Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le mercredi 28 mars 2007

2 [Audience publique]

3 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

4 --- L'audience est ouverte à 9 heures 03.

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bonjour à tous.

6 Madame la Greffière, veuillez citer l'affaire.

7 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président,

8 Messieurs les Juges. Il s'agit de l'affaire IT-04-84-T, le Procureur contre

9 Ramush Haradinaj et consorts.

10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Madame la Greffière.

11 Je crois que l'on peut faire entrer le témoin dans le prétoire.

12 Pendant ce temps-là, Monsieur Di Fazio, je pense que les pièces à

13 conviction qui ont été mises dans un nouvel ordre pour le témoin

14 Andjelkovic étaient attendues hier, je crois. A 18 heures 45 hier, nous

15 n'avions encore rien reçu.

16 M. DI FAZIO : [interprétation] Je ne me suis pas rendu compte de

17 cela, Monsieur le Président, je vous demande de m'excuser.

18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je suppose que vous allez vous occuper

19 de cela.

20 M. DI FAZIO : [interprétation] Oui, je vais m'en assurer et je veillerai à

21 ce que les pièces arrivent.

22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien.

23 M. DI FAZIO : [interprétation] Nous allons nous occuper de cela

24 aujourd'hui.

25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

26 M. DI FAZIO : [interprétation] Monsieur le Président, je voulais simplement

27 vous informer qu'il y a quelques photographies que l'Accusation a obtenues.

28 Elle a fourni des copies papier à la Défense.

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1 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

2 M. DI FAZIO : [interprétation] Les copies électroniques ont été fournies à

3 la Défense aussi et nous avons un ensemble de copies papier pour les Juges

4 de la Chambre. Elles sont ici à votre disposition si vous le souhaitez.

5 Elles ont été obtenues par Barney Kelly par l'un de nos enquêteurs.

6 Malheureusement, il était malade. Il est arrivé hier à la suite de sa

7 mission. C'est juste parce que j'ai été mis au courant de cela hier soir.

8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Nous allons voir les

9 photographies et voir s'il y a un problème avec la source, oui ou non.

10 Monsieur Emmerson, je crois que vous êtes prêt à poursuivre avec votre

11 contre-interrogatoire. Mais d'abord le témoin, M. --

12 M. EMMERSON : [interprétation] Juste avant que vous ne continuiez, Monsieur

13 le Président, il y a une question que je voulais porter à votre attention

14 pour ce qui est de la pièce à conviction et les photographies.

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

16 M. EMMERSON : [interprétation] Pour ce qui est de la question d'hier.

17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

18 M. EMMERSON : [interprétation] Pour ce qui vient de la question d'hier, il

19 n'y a pas d'objection pour que le témoin ait son casque parce qu'il s'agit

20 ici de localisations indiquées. J'ai donné à l'huissier trois copies

21 papier, ainsi qu'à l'Accusation. Vous avez demandé, Monsieur le Président,

22 à ce que le témoin marque la maison de Smajl Haradinaj.

23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

24 M. EMMERSON : [interprétation] Puis-je orienter votre attention, Monsieur

25 le Président, ainsi que celle des Juges à la photographie en particulier.

26 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

27 M. EMMERSON : [interprétation] En bas de la photographie, Monsieur le

28 Président, vous allez voir juste au centre de la page, c'est-à-dire de

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1 gauche à droite, mais au bas, la maison Haradinaj. Est-ce que vous voyez

2 cela ?

3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, en bas --

4 M. EMMERSON : [interprétation] Juste là.

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] On peut le dire comme cela.

6 M. EMMERSON : [interprétation] Excusez-moi.

7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. C'est cela. C'est très clair.

8 M. EMMERSON : [interprétation] Vous pouvez voir, Monsieur le Président,

9 Messieurs les Juges, la route.

10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

11 M. EMMERSON : [interprétation] La route qui monte vers Gllogjan.

12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

13 M. EMMERSON : [interprétation] Et là, la patte du chien à la droite du

14 village. Je crois qu'il s'agit du tournant de la route.

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Là, c'est parfaitement clair.

16 M. EMMERSON : [interprétation] Je vois que la photo que vous, Monsieur le

17 Président, ainsi que les Juges regardiez hier après-midi a probablement été

18 prise d'un avion juste au-dessus du cercle bleu.

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] J'ai des raisons de croire, mais je

20 vérifierai, que la portion entourée par un cercle bleu se trouve sur une

21 des photographies.

22 M. EMMERSON : [interprétation] Très bien.

23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] C'est parce que je me souviens qu'il y a

24 -- enfin, on va voir. Je crois, Monsieur Di Fazio, la localisation -- c'est

25 la maison de Smalj et c'est ce que nous allons vous entendre dire.

26 M. DI FAZIO : [interprétation] Oui.

27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

28 Ensuite, Monsieur Emmerson, puisque nous avons traité de ceci.

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1 Monsieur Stojanovic, les Juges de la Chambre pendant que nous attendons les

2 photos sur lesquelles vous pouvez identifier exactement la maison de Smajl

3 Haradinaj, vous ne devez pas vous en occuper. Monsieur Stojanovic,

4 j'aimerais vous rappeler que vous êtes encore lié par la déclaration

5 solennelle que vous avez donnée au début de votre témoignage, M. Emmerson

6 va continuer son contre-interrogatoire.

7 Veuillez poursuivre, Monsieur Emmerson.

8 M. EMMERSON : [interprétation] Oui.

9 Je me demandais si on pouvait voir la pièce 1146 de la liste 65 ter à

10 l'écran, s'il vous plaît.

11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Nous allons de devoir donner une

12 cote à cela -- ou nous ne devons pas donner une cote à cette pièce puisque

13 nous avons déjà fait cela. Peut-être, pouvons-nous y référer, s'il vous

14 plaît. Je crois que c'est D28 -- D29.

15 M. EMMERSON : [interprétation] D29.

16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

17 LE TÉMOIN: MIJAT STOJANOVIC [Reprise]

18 [Le témoin répond par l'interprète]

19 Contre-interrogatoire par M. Emmerson : [Suite]

20 Q. [interprétation] Monsieur Stojanovic, avez-vous eu l'occasion de

21 réfléchir pendant la nuit et de me dire si vous avez été interviewé par une

22 dame du Centre de droit humanitaire le 25 avril ?

23 R. Oui.

24 Q. Après avoir réfléchi à cela, acceptez-vous que vous avez été interviewé

25 par cette dame à cette date ?

26 R. Je ne m'en souviens pas, mais je ne crois pas. Je ne crois pas que

27 j'aie été interrogé.

28 Q. Très bien. Nous avons, comme je vous ai indiqué aujourd'hui, un rapport

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1 élaboré par cette dame selon lequel vous avez été interviewé et qu'elle a

2 enregistré ce que vous avez dit. Dans cette déclaration que nous avons

3 devant nous, il y a un récit qui suit avec des détails sur votre

4 déposition, et ceci a été écrit comme si c'était vos propres mots. Je vais

5 vous poser une ou deux questions sur cela et nous pouvons envisager la

6 question de savoir comment ceci a été fait de manière séparée.

7 Je vous ai suggéré hier après-midi qu'il n'y avait pas de mention

8 dans la déclaration de Daut Haradinaj entrant dans la maison avec les

9 hommes tel que vous l'avez dit qu'il a fait le 18 avril. Vous souvenez-vous

10 avoir mentionné Daut Haradinaj et qui que ce soit à cette date et d'avoir

11 dit qu'il était présent ?

12 R. Je crois -- ou du moins je suis sûr qu'à la première entrevue que

13 j'ai donnée à "Illustrojana Politika," j'ai mentionné cela.

14 Q. Mais vous l'avez dit dans l'interview, Monsieur Stojanovic. Vos

15 mots sont consignés en détail et il y a des citations. Bien que les noms

16 aient été mentionnés, il n'y a aucune mention faite de Daut Haradinaj comme

17 quoi il était présent ?

18 R. Comme j'ai pu le voir hier, l'interview - il y a longtemps -

19 cette entrevue n'a pas été publiée entièrement.

20 Q. Le rapport ou le compte rendu de l'entrevue entre vous et la dame

21 du Centre de droit humanitaire se termine par les mots suivants que je vais

22 vous lire.

23 "90 % d'entre eux," c'étaient les hommes qui avaient participé à

24 l'incident, "90% étaient en uniforme et portaient des armes légères. Ils

25 ont enlevé leurs masques. Aucun d'eux ne portait des masques. C'étaient

26 surtout des voisins à moi, des gens avec qui j'avais été à l'école, dont

27 j'avais gardé les magasins. Je connaissais 95 % d'entre eux. Les 5 %, je ne

28 les ai pas reconnus parce qu'ils ne venaient pas de nos environs. Ils

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1 venaient de villages plus éloignés."

2 Est-ce que ceci reflète précisément vos souvenirs, c'est-à-dire que

3 toutes les personnes dans l'incident ont enlevé leurs masques et que 95 %

4 d'entre eux, vous les avez reconnus de visu et que 5 % d'entre eux étaient

5 des gens qui venaient d'autres régions ?

6 R. Puisque j'ai dit que je connaissais 90 à 95 % de ces gens-là,

7 j'ai probablement voulu dire, ou plutôt, ceci veut dire que j'ai reconnu

8 Daut Haradinaj. Pour ce qui est des 5 % restant, il y avait des gens que je

9 ne connaissais pas tout simplement, ou peut-être étaient-ils plus jeunes

10 que moi. C'est la raison pour laquelle je ne les connaissais pas.

11 Q. Sur la première page de ce document, la page de garde, il y a un espace

12 dans lequel les noms de tous les auteurs de ces actes, sous le titre

13 "Informations sur les auteurs des actes," ont été laissés. Vous avez rempli

14 cela par deux noms. Le premier, c'est Nasim Haradinaj et le second c'est

15 Zed ou Ziqi Nimonaj ?

16 R. Zeqir Nimonaj. Excusez-moi, j'ai inscrit ce nom en premier parce qu'il

17 était la personne qui essayait de calmer la situation. En même temps, il

18 indiquait par des gestes qu'ils devaient continuer à nous frapper. J'ai

19 également mentionné son nom parce qu'il se trouvait dans la pièce où nous

20 étions frappés dans la maison de Smajl Haradinaj. Donc, ces deux personnes

21 avaient une importance particulière pour moi dans ce contexte à l'époque.

22 C'est la raison pour laquelle j'ai mentionné leurs noms précisément.

23 Q. Vous vous souvenez maintenant d'avoir précisé les noms de ces deux

24 individus dans l'interview avec la dame et pas le nom d'autres personnes ?

25 R. Je ne me souviens pas de cette dame. Je vous ai déjà dit que je ne me

26 souviens pas de cette dame ou d'avoir été interviewé par elle. Je pourrais

27 même dire que je n'ai jamais été interviewé par elle.

28 Q. Veuillez m'accorder quelques instants, s'il vous plaît.

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1 Passons maintenant à la déclaration que vous avez faite au bureau du

2 Procureur, dans cette affaire en particulier, le 1er novembre 2001. Je

3 voulais simplement être sûr d'une chose, Monsieur Stojanovic. Aviez-vous

4 fait des déclarations préalables à la police au sujet de cet incident ?

5 R. Je n'ai jamais fait de déclarations à la police. Je n'ai jamais eu de

6 contacts avec la police. Un instant. Laissez-moi expliquer ceci clairement.

7 Après que je suis parti ou après que j'ai été relâché ou avant cela ?

8 Q. Après cet incident, après avoir été relâché, le 18 avril, à un moment

9 ou à un autre, avez-vous fait une déclaration à la police, une déclaration

10 écrite à la police ?

11 R. Je ne crois pas, mais je ne m'en souviens pas.

12 Q. Voyez-vous, nous avons un exemplaire de la déclaration que vous avez

13 donnée au bureau du Procureur dans cette affaire en novembre 2001. Dans

14 cette déclaration-là, vous mentionnez que Daut Haradinaj comme étant été

15 parmi les hommes qui sont entrés dans votre maison, le 18 avril. Comprenez-

16 vous ?

17 R. Oui.

18 Q. Je suis en train de vous suggérer que c'est la première fois que vous

19 avez mentionné, dans quelque déclaration que ce soit et à qui que ce soit,

20 que Daut Haradinaj est entré dans la propriété en compagnie de ces hommes-

21 là ?

22 R. Je peux vous dire que vous êtes en train de déclarer une chose et je

23 déclare le contraire. Je dis exactement le contraire de ce que vous dites.

24 La première fois que j'ai mentionné ces noms, c'étai à ce journaliste de

25 "Illustrojana Politika."

26 Q. Un ou deux points au sujet de la déclaration que vous avez faite au

27 bureau du Procureur en novembre 2001. Tout d'abord, vous avez décrit Besnik

28 Haradinaj, la personne qui était en train de vous interroger dans la petite

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1 pièce de la maison comme quelqu'un de 16 ou 17 ans. C'est ce que vous avez

2 dit dans votre déclaration au préalable. Est-ce exact, avait-il 16 ou 17

3 ans ?

4 R. Je ne sais pas quel âge il avait. C'était une estimation, j'ai appris

5 de Dragoslav qu'il s'appelait Besnik. Je sais qu'il s'agissait du fils de

6 Rasim Haradinaj.

7 Q. Laissons de côté son nom, je vous parle de la personne qui était dans

8 la pièce et qui vous posait des questions, est-ce qu'il avait l'air d'avoir

9 16 ou 17 ans ?

10 R. Oui, c'est l'impression que j'ai eue, il m'avait l'air d'avoir cet âge-

11 là.

12 Q. Vous avez également dit dans votre déclaration et ici, je vais vous

13 lire un passage, vous avez dit en décrivant ceux qui se trouvaient dans la

14 maison de Smajl Haradinaj, je cite : "Beaucoup des soldats étaient des

15 enfants, 11, 12 ou 13 ans." Encore une fois, est-ce exact cette déclaration

16 que vous avez donnée au bureau du Procureur selon laquelle nombre de

17 personnes que vous avez décrites comme étant des soldats étaient des

18 enfants ?

19 R. Oui. C'est exact. Lors de certaines occasions, j'étais gardé par des

20 enfants qui portaient des armes. Ils étaient debout en face de nous trois

21 après que nous ayons été jeté en dehors de la pièce.

22 Q. Saviez-vous, à ce moment-là, Monsieur Stojanovic, que trois adolescents

23 du village qu'on avait tiré dessus, qu'ils avaient été tués le 24 mars par

24 les forces serbes ?

25 R. Comme je l'ai déjà dit hier, c'est quelque chose que j'ai lu et appris

26 dans "Zeri Rinisi" et "Rilindja" le lendemain de l'incident, c'est-à-dire

27 le 25.

28 Q. Ces enfants que vous avez vus ce jour-là, est-ce que l'un d'eux vous

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1 aurait dit quelque chose qui vous aurait permis de savoir que leurs

2 camarades de classe, leurs amis du village avaient été tués le 24 mars ?

3 R. Non. Cela a été mentionné dans la pièce, mais pas pendant qu'ils nous

4 gardaient.

5 Q. Ceci a été mentionné au cours de l'interrogatoire par le garçon de 16

6 ou 17 ans, dans cette pièce-là, n'est-ce pas ?

7 R. Que voulez-vous dire ?

8 Q. Vous avez dit que la mort des adolescents a été évoquée devant vous

9 alors que vous étiez dans la pièce, en train d'être questionné, je crois.

10 Comme vous nous l'avez dit il y a quelques instants, vous nous avez dit que

11 la personne qui vous posait des questions était un garçon de 16 ou 17 ans.

12 Etait-ce lui qui a mentionné le fait que les adolescents du village avaient

13 été tués ?

14 R. Non, non. Je n'ai pas dit que c'est lui qui avait dit cela, mais Zeqir,

15 quand il était là, a mentionné cet incident.

16 Q. Juste pour comprendre ce qui se passait un petit peu plus tôt quand

17 vous marchiez à travers le village, est-ce exact que les gens sortaient et

18 vous frappaient vous, votre frère et votre cousin, des gens du village ?

19 R. Oui. Pour être très précis, comme je l'ai dit hier, les gens sortaient

20 de la maison de Xhavit Nimonaj ou sortaient des prés ou des maisons à

21 Glodjane.

22 Q. Aviez-vous l'impression que tout le village vous tombait dessus ?

23 R. Oui, quelque chose de la sorte.

24 Q. Vous avez dit hier, en réponse à M. Di Fazio, on vous a accusé vous et

25 votre famille d'avoir espionné au profit des forces serbes avant le 24

26 mars ?

27 R. Non, non, ce n'est pas ce que j'ai dit. Je n'ai pas dit qu'il

28 s'agissait de ma famille, j'ai dit que lorsque Zeqir Nimonaj nous frappait,

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1 c'était évoqué, j'ai dit que Zeqir Nimonaj a dit que j'étais un espion.

2 Q. Est-ce qu'il y a d'autres gens qui sont sortis de leur maison dans le

3 village, est-ce qu'ils ont dit quelque chose qui tenterait à évoquer que

4 vous ou votre famille étiez responsables de ce qui s'est passé le 24 mars ?

5 R. Non, non.

6 Q. Je voudrais passer à un autre point maintenant, qui découle de la

7 déclaration que vous avez faite. Je voudrais vous poser quelques questions

8 sur votre frère Dragoslav à différentes étapes de la procédure et sur son

9 état. Vous nous avez dit que lorsque vous avez été amené dans la maison de

10 Smajl Haradinaj, c'est Dragoslav qui a été amené en premier dans la petite

11 pièce et que vous-même et Veselin étiez restés dans le couloir à

12 l'extérieur. Vous nous avez décrit un moment lorsque Dragoslav a été amené

13 en dehors de la pièce et ramené dans le couloir.

14 Ensuite, vous avez dit dans votre déclaration, je peux lire un passage de

15 ce que vous avez écrit, je cite : "Ils ont ouvert la porte après l'avoir

16 interrogé," cela c'est Dragoslav, "ils l'ont jeté dans le couloir, il était

17 inconscient. Il était couvert de sang et avait l'air très mal."

18 Est-ce que ceci est une description fidèle, était-il inconscient comme vous

19 l'avez dit dans votre déclaration ?

20 R. Oui, il n'était pas entièrement conscient.

21 Q. C'est ce que je voudrais préciser avec vous. Je voudrais vous poser une

22 question sur le moment où il était sorti de la pièce et ensuite on vous y

23 fait entrer, je crois que Veselin a été amené dans la pièce d'abord et que

24 vous êtes resté seul avec votre frère pendant un instant, est-ce exact ?

25 R. Oui, mais je ne peux pas vous dire pendant combien de temps, parce que

26 je ne m'en souviens pas.

27 Q. Je comprends bien cela, mais vous pouvez nous donner une idée d'environ

28 combien de temps Veselin est resté seul dans la pièce avant qu'on vous y

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1 est emmené ?

2 R. Non, non, je ne pourrais pas vous le dire. Vraiment, je ne m'en

3 souviens pas combien de temps cela a duré parce qu'à ce moment-là je ne

4 réfléchissais pas vraiment au temps qui passait.

5 Q. Dans votre déclaration, vous avez dit qu'une demi-heure s'était écoulée

6 entre le moment où Veselin est entré et le moment où on vous y a emmené.

7 Est-ce que ceci vous semble exact ?

8 R. Il se peut que j'aie dit cela, ou plutôt, je suis sûr de l'avoir dit,

9 mais à savoir s'il s'agissait vraiment de cette durée-là, je ne m'en

10 souviens pas.

11 Q. Si nous laissons de côté la durée, je voulais simplement vous demandez

12 la question suivante : au cours de cette période quelle qu'en ait été sa

13 durée, je voudrais vous interroger au sujet de l'état de votre frère

14 Dragoslav. Est-ce que vous lui avez parlé ?

15 R. J'ai essayé de lui parler. Il pouvait à peine opiner du chef ou me

16 serrer la main. Il n'était pas entièrement conscient, il ne pouvait pas

17 parler du tout. Nous pouvions communiquer par gestes simplement ou par ses

18 expressions faciales. Ensuite, un des soldats qui nous gardaient s'est

19 approché un moment, il m'a mis en garde, il m'a dit de ne pas l'aider ou il

20 m'a frappé pour l'avoir aider.

21 Q. Essayez de vous concentrer sur lui pendant un instant, était-il en

22 mesure de reconnaître votre nom, savait-il que c'était vous ?

23 R. Je suis sûr qu'il était en mesure de me reconnaître parce qu'il m'a

24 serré les mains à un moment. Il voulait me dire quelque chose, mais il

25 n'avait tout simplement pas assez de force.

26 Q. Vous avez dit dans votre déclaration qu'il était couvert de sang. Est-

27 ce qu'il avait du sang sur son visage ?

28 R. Oui.

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1 Q. Vous êtes sûr qu'il vous a reconnu parce qu'il vous a serré la main.

2 Est-ce qu'il vous regardait le visage ?

3 R. Je suis sûr à 100 %. Il ne pouvait pas me regarder le visage parce

4 qu'il était en boule.

5 Q. Il ne pouvait pas vous regarder face à face parce qu'il était en boule.

6 Pourriez-vous nous décrire ceci avec plus de détails, s'il vous plaît ?

7 R. Il était roulé en boule par terre, c'est la position dans laquelle il

8 était. Peut-être qu'il a pu jeter un coup d'œil vers moi, mais pas beaucoup

9 plus. J'ai essayé d'obtenir des informations. Je lui ai demandé : Où as-tu

10 mal ? Et cetera.

11 Q. Il était en si mauvais état qu'il ne pouvait pas vous répondre ?

12 R. Oui, c'est cela, il ne pouvait pas me répondre.

13 Q. Ensuite, vous nous avez dit qu'on vous a amené dans la pièce, vous avez

14 décrit ce qui vous êtes advenu et que Veselin était à l'intérieur de cette

15 pièce. Ensuite, vous êtes sorti, là je vais vous lire un passage de la

16 déclaration que vous avez donnée en novembre 2001.

17 Vous avez dit et je cite : "Après deux heures, Veselin nous a ordonné de

18 nous habiller, Veselin et moi-même avons été amenés dans le couloir et j'ai

19 vu Dragoslav par terre, inconscient."

20 Si je m'arrête là un instant, cette période de deux heures, est-ce

21 également quelque chose que nous devrions prendre avec une certaine

22 prudence puisque vous n'étiez pas sûr de la durée ?

23 R. Dans ma déclaration, j'ai dit environ deux, mais il se peut que cela

24 ait été mal transcrit.

25 Q. Je ne suis pas en train de vous critiquer du tout pour cela. Je suis en

26 train d'essayer d'éclaircir les choses avec vous, Monsieur Stojanovic. Est-

27 ce que cela aurait pu être beaucoup plus court que deux heures ?

28 R. Non.

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1 Q. Quelle est la durée la plus courte, à votre avis, que cela aurait pu

2 représenter ?

3 R. Certainement pas moins de deux heures. Ils m'ont fait traduire un

4 extrait de la revue "Politika". J'ai probablement oublié aussi de

5 mentionner cela dans ma déclaration. Cela a pris assez longtemps aussi,

6 très probablement.

7 Q. Est-ce que c'est l'extrait que nous avons déjà vu ? Non, cela ne peut

8 pas être cet extrait-là. Est-ce que c'est l'extrait de la revue qu'ils vous

9 ont demandé de traduire ?

10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Avez-vous entendu la dernière question ?

11 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez y répondre, s'il vous plaît.

13 M. EMMERSON : [interprétation]

14 Q. Cet article de la revue "Politika", qu'est-ce que c'était ?

15 R. Cet article concernait le médecin et son équipe, deux semaines plus

16 tôt. Il était allé au village de Glodjane pour vacciner des enfants qui se

17 trouvaient là-bas, mais on l'a arrêté et on l'a détenu. Cela concernait cet

18 incident précis et la personne en question était le Dr Mirko Pesic.

19 Q. Très bien. Il se peut qu'il y ait d'autres renseignements concernant

20 cet incident auxquels je reviendrais dans une autre partie du contre-

21 interrogatoire.

22 Je vais vous poser la question suivante : lorsque vous êtes ressorti après

23 cette intervalle, est-ce que Dragoslav, comme vous le dites dans votre

24 déclaration préalable, était-il encore inconscient sur le sol ?

25 R. Oui.

26 Q. En ce moment-là, est-ce qu'il était dans le même état quand vous

27 l'aviez vu pour la dernière fois ?

28 R. Non. C'était encore pire.

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1 Q. A ce moment-là, il avait complètement perdu connaissance, n'est-ce pas

2 ?

3 R. Non, pas complètement, mais son état empirait. Il est probable qu'il

4 souffrait davantage et que l'hémorragie interne avait déjà augmenté en

5 toute probabilité. Il vomissait du sang à ce moment-là. Tout ceci m'a amené

6 à conclure que son état avait empiré.

7 Q. Oui, je comprends. Après cela, au bout d'un moment, on vous a fait

8 sortir et on vous a amené pour que vous puissiez dépanner votre Lada. Cela

9 c'est ce qui s'est passé après, cela a été l'étape suivante, c'est bien

10 cela ?

11 R. Oui -- non. Maintenant Nasim Haradinaj est venu, il nous a dit que

12 serions remis en liberté.

13 Q. Oui ?

14 R. Dans l'intervalle, d'autres choses s'étaient passées aussi.

15 Q. Soyons bien clairs à ce sujet. Vous avez dit dans votre déclaration que

16 c'était vers 3 heures que Nasim était venu et il vous avait dit que vous

17 alliez être remis en liberté ?

18 R. C'est exact.

19 Q. Puis vous avez dit qu'il avait donné à Dragoslav un cachet contre les

20 douleurs; c'est exact ?

21 R. Exact.

22 Q. Et qu'il a dit qu'il fallait que quelqu'un l'accompagne pour aller

23 fouiller la maison, vous vous êtes proposé. C'est bien cela ?

24 R. Non, non. Cela ne s'est pas passé comme cela. Il est vrai que Nasim a

25 donné un cachet à Dragoslav. Dragoslav, à ce moment-là, a repris

26 connaissance. Plus tard, Nasim a dit que nous serions relâchés et que l'une

27 des voitures nous serait rendue. L'un d'entre nous, sur les trois d'entre

28 nous qui étaient là, devait l'accompagner et prendre la voiture. J'ai su

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1 immédiatement qu'il voulait parler de la Lada.

2 Q. Je vais vous lire ce que vous dites dans votre déclaration et nous

3 allons vérifier si vous êtes d'accord avec cela.

4 Vous dites ceci, je cite : "Il était environ 15 heures et Haradinaj Nasim,

5 fils de Smajl, est venu et a dit qu'ils seraient relâchés plus tard avec

6 une voiture et qu'il était nécessaire que quelqu'un les accompagne pour

7 fouiller la maison. Nasim a même donné à Dragoslav un cachet pour ses

8 douleurs. Je me suis proposé. J'ai vu le temps, j'ai vu quelle heure il

9 était sur les montres albanaises. J'ai su qu'il était 15 heures. Nous

10 sommes repartis à pied en direction du village et Nasim m'a demandé où nous

11 souhaiterions être relâchés. Je lui ai dit, Babaloc."

12 Juste pour que nous soyons bien au clair, il était environ 15 heures au

13 moment où Nasim est arrivé. C'est bien cela ?

14 R. Oui.

15 Q. C'est très peu de temps après cela qu'on vous a dit que vous alliez

16 être remis en liberté. C'est bien cela ?

17 R. C'était avant cela. C'était en route qu'il nous a dit cela. Il nous a

18 dit que nous serions relâchés et qu'il nous rendrait l'une des voitures,

19 c'était avant 15 heures.

20 Q. Mais il est arrivé à 15 heures, nous avez-vous dit ? L'heure est moins

21 importante que la séquence des événements, Monsieur Stojanovic. La question

22 sur laquelle j'essaie d'obtenir une réponse claire de vous est la suivante

23 : c'était à ce moment-là ?

24 R. Bien. Nasim arrive, il nous parle de Dragoslav; puis nous partons.

25 Nasim, moi et une troisième personne qui était avec nous, nous dirigeons

26 vers la voiture. C'est cela votre séquence.

27 Q. Je vous remercie. Avant l'arrivée de Nasim, avez-vous vu Hilmi ?

28 R. Oui. Dans la cour avec Ramush comme je l'ai dit précédemment. Non, je

Page 2097

1 m'excuse, pas avant. C'était une fois que nous sommes sortis par cette

2 porte que nous avons aperçu Nasim.

3 Q. Soyons bien sûrs que nous avons compris. C'est une fois que vous êtes

4 sortis par cette porte que vous avez vu pour la première fois voir Hilmi;

5 c'est exact ?

6 R. Oui.

7 Q. C'est ce point que je voulais éclaircir avec vous. Vous avez vu Hilmi

8 Haradinaj là pour la première fois, au moment où on venait de vous dire que

9 vous alliez être relâchés ?

10 R. Non. Ce n'était pas la première fois. Je pense avoir dit hier qu'Hilmi,

11 à un moment donné dans la journée, était venu alors que Dragoslav était

12 encore sans connaissance. Il lui a donné du jus de fruit, ou je ne sais pas

13 comment on l'appelle. Je ne peux pas être très précis pour ce qui est de

14 l'heure pourtant.

15 Q. Voyez-vous, ce que je voulais vous suggérer, Monsieur Stojanovic, c'est

16 que c'est l'arrivée de Hilmi Haradinaj qui a eu pour résultat que l'on vous

17 dise que vous alliez être remis en liberté ?

18 R. Non.

19 Q. Est-ce que vous savez combien de temps avant cela Nasim vous a dit que

20 vous alliez être remis en liberté. Est-ce que vous savez combien de temps

21 avant que vous ne voyiez pour la première fois Hilmi ?

22 R. Je ne peux pas être très précis. Mais je pense que cela a représenté un

23 très bref moment.

24 Q. Donc, il était sur place très peu de temps avant qu'on ne vous dise que

25 vous alliez être remis en liberté. C'est bien cela ?

26 R. Pour autant que je m'en souvienne maintenant.

27 Q. Lorsque le chef de la maisonnée Haradinaj est arrivé, vous avez été

28 remis en liberté ?

Page 2098

1 R. Pas quand il est arrivé. C'est Nasim qui nous a dit que nous serions

2 relâchés. Je ne sais pas qui a pris la décision proprement dite de nous

3 relâcher.

4 Q. Je vous remercie. Vous nous avez dit que vous êtes allé à la maison,

5 chez vous, votre maison et qu'ensuite vous êtes revenu au QG de l'UCK,

6 comme vous l'avez décrit, la maison de Smalj Haradinaj, que vous êtes

7 remonté à l'étage et que vous avez trouvé votre frère Dragoslav qui se

8 trouvait dans la petite pièce; c'est exact ?

9 R. La première chose que j'ai dite a peut-être mal été enregistrée, mais

10 j'ai dit cela dans pratiquement toutes mes déclarations. Nous étions en

11 route vers la maison, mais nous n'étions pas encore parvenus à la maison.

12 Quand nous sommes parvenus à la maison, nous sommes arrivés à cette route

13 où il y a un coude, une fourche qui va en direction de la maison de Hilmi

14 Haradinaj, et c'est là que j'ai trouvé la Lada.

15 Q. Excusez-moi de vous interrompre. Mais je vous parle simplement de votre

16 frère Dragoslav et de l'état dans lequel il était lorsque vous êtes

17 revenus. Lorsque vous êtes revenus, vous nous avez dit que vous l'aviez vu

18 dans la petite pièce; c'est exact ?

19 R. Oui.

20 Q. Maintenant, dans votre déclaration vous dites ceci, vous dites que vous

21 pouviez voir que Dragoslav était de temps à autre conscient et qu'il

22 perdait connaissance de temps à autre, et que sa tête était ensanglantée

23 lorsque vous l'avez vu là. Est-ce que je peux être bien sûr, lorsque vous

24 avez vu Dragoslav dans la petite pièce après votre retour, est-ce qu'il

25 continuait de perdre connaissance et de reprendre connaissance ?

26 R. Oui.

27 Q. Je vous remercie.

28 M. EMMERSON : [interprétation] Je vais maintenant passer à une autre

Page 2099

1 question. Je fais attention à l'heure. Je ne vais pas prendre très

2 longtemps avec cela, Monsieur le Président, Messieurs les Juges.

3 Q. Il s'agit du 24 mars. Vous êtes arrivé ce jour-là et vous nous avez dit

4 que vous êtes arrivé dans votre maison venant dans la direction du village

5 de Dubrava. C'est bien cela ?

6 R. Oui.

7 Q. Vous nous avez dit que la police était à Dubrava et que vous aviez dû

8 leur demander l'autorisation de passer, de traverser Dubrava; c'est exact ?

9 R. Oui.

10 Q. Maintenant, est-ce que vous avez jamais entendu parler d'un général

11 serbe qui se trouvait dans le secteur et qui s'appelait le général Bozidar

12 Delic ? Est-ce que c'est un nom que vous avez jamais entendu ?

13 R. Non. La seule chose que j'ai entendue, c'était ici à La Haye. Mais là-

14 bas, dans la région, je n'avais jamais entendu ce nom. Je me déplaçais

15 beaucoup et je connaissais bon nombre de Serbes.

16 Q. Juste pour être bien au clair, vous avez dit il y a un moment que la

17 seule fois que vous ayez jamais entendu son nom c'était à propos de la

18 déposition ici à La Haye. C'est exact ?

19 R. Oui, la déposition concernant Milosevic. C'est la première fois que je

20 l'ai entendu mentionné.

21 Q. C'est cela que je voulais vous demander, Monsieur Stojanovic. Dans

22 l'affaire Milosevic, le général Delic a fait une déposition selon laquelle

23 il y avait 400 membres des forces de sécurité serbe qui se trouvaient

24 stationnés dans le village de Dubrava et qui procédaient à un blocus le 24

25 mars. Je vous repose la question. La déposition faite par le général Delic

26 dans l'affaire Milosevic, c'est que le jour où vous avez traversé Dubrava

27 et avez dû demander une autorisation pour le faire, il y avait 400 membres

28 des forces de sécurité serbe à Dubrava.

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1 Je voudrais vous demander, s'il vous plaît, de nous dire ce que vous avez

2 vu, s'il y avait la police, l'armée, les services de Sécurité dans le

3 secteur, alors que vous vous rapprochiez de votre maison ?

4 R. Sauf pour ceux qui m'ont autorisé à passer et celui que j'ai vu à

5 Glodjane, je ne sais pas. Quant aux commentaires de Delic, je ne sais pas.

6 C'est difficile pour moi de faire des commentaires sur sa déclaration. Je

7 pense que vous devriez probablement lui demander à lui. Le 20, j'en ai vu

8 quelques-uns le long de la route et quelques-uns sur la propriété.

9 Q. Oui, mais pour le moment, vous êtes en train de mal comprendre ma

10 question, je crois. Je ne vous pose pas de questions concernant la police

11 que vous avez vue là dans le secteur autour de votre maison. Je vous

12 demande s'il y avait une présence de la police avant que vous n'arriviez

13 chez vous, à votre maison. Vous nous avez dit que vous aviez été arrêté à

14 Dubrava ?

15 R. Il y avait les deux qui m'avaient arrêté à Dubrava. Ils assuraient la

16 sécurité du secteur, comment pourrais-je dire, de façon à empêcher

17 quiconque de simplement se diriger là-bas sans raison et risquer d'être

18 tué. Ils m'ont arrêté, ils m'ont demandé ce que je voulais. Je leur ai

19 demandé de me laisser passer parce que ma maison était de l'autre côté

20 derrière la ligne.

21 Q. Peut-être que je pourrais poser la question d'une façon différente. Que

22 s'est-il passé lorsque vous êtes parti dans la soirée, est-ce que vous avez

23 vu un grand nombre de soldats serbes dans le secteur ou de policiers

24 serbes ?

25 R. Non.

26 Q. Je vois. Pour les véhicules blindés, est-ce que vous en avez vus?

27 R. Non.

28 Q. Tous les policiers qui se trouvaient autour de votre maison, Monsieur

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1 Stojanovic, il est probable qu'ils étaient arrivés dans des véhicules.

2 Avez-vous vu des véhicules, des véhicules qui portaient des marques ou des

3 symboles ?

4 R. Oui, j'ai vu des véhicules tels que des Pinzgauer mais ce n'étaient pas

5 des blindés.

6 Q. Je vois. Vous avez vu des Pinzgauer. En gros, combien ?

7 R. Deux ou trois environ.

8 Q. Vous étiez conscient du fait qu'un grand nombre de personnes du village

9 avaient été détenues par la police le 24 mars ?

10 R. Non.

11 Q. Vous voyez. Je voudrais vous suggérer qu'il y avait un nombre assez

12 important de personnes qui ont été arrêtées et, dans la soirée, rassemblées

13 dans le jardin que se trouvait devant votre maison par la police.

14 R. C'est ce que j'ai dit dans ma déclaration. Si quelqu'un avait été amené

15 dans la cour ou devant la cour, parce que c'était avant cela que nous

16 avions parlé aux policiers qui nous avaient dit de ne faire venir personne

17 dans notre cour. Je ne suis pas sûr qu'ils aient respecté la consigne ou

18 non. Mais j'ai passé 80 % de ce temps à l'intérieur de la maison, tout

19 particulièrement ce soir-là.

20 Q. Pour être bien clairs, pourquoi disiez-vous à la police de ne pas faire

21 venir de gens dans votre cour ?

22 R. Il s'agissait de nos voisins après tout, de sorte que nous savions

23 quelles étaient les relations entre ces personnes. Nous savions ce qui se

24 passait exactement. Ces personnes se battaient, combattaient.

25 Q. Pourquoi avez-vous dit à la police que vous ne vouliez pas qu'ils

26 amènent ces personnes dans votre cour ?

27 R. Je leur ai dit que ceux-ci étaient nos voisins. C'était la raison et

28 tout le reste.

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1 Q. Est-ce que vous connaissiez Shaban Zeqiri ?

2 R. Shaban, oui. ?

3 Q. C'était un homme d'un certain âge, n'est-ce pas, qui avait été membre

4 de la police et qui vivait à Glodjane ?

5 R. Oui, il avait travaillé avec mon frère.

6 Q. Vous voyez, Monsieur Stojanovic, est-ce que vous avez appris que Shaban

7 Zeqiri faisait partie du nombre des personnes qui avaient été arrêtées et

8 passées à tabac par la police serbe ce jour-là au village ?

9 R. Non.

10 Q. Est-ce que vous avez jamais revu Shaban Zeqiri après le 24 mars ?

11 R. Non jamais. Ce soir-là, comme je l'ai dit, nous avons dû quitter la

12 maison.

13 Q. Vous avez mentionné des hélicoptères. Est-ce que vous avez été en

14 mesure de voir depuis l'intérieur de la maison ce que faisaient ces

15 hélicoptères ?

16 R. Oui.

17 Q. Donc vous avez eu une vue très claire de l'intérieur de votre maison de

18 cela, n'est-ce pas ?

19 R. Pas alors qu'ils étaient en l'air tout autour, mais quand ils se sont

20 rapprochés de la maison, lorsqu'ils ont commencé à faire le tour de la

21 maison, à ce moment-là, oui, j'ai eu une vue claire.

22 Q. Il y avait beaucoup de tirs à ce moment-là ?

23 R. Qu'est-ce que vous voulez dire par un grand nombre de coups de feu ?

24 Par les hélicoptères, provenant des hélicoptères ou --

25 Q. La question que je vous pose, c'est pendant que les hélicoptères

26 étaient là, y avait-il des coups de feu nombreux pendant tout ce temps-là ?

27 R. On entendait dans le lointain des tirs mais ce n'était pas vraiment

28 proche.

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1 Q. Est-ce que les hélicoptères qui se trouvaient là à ce moment-là, est-ce

2 qu'ils n'étaient pas là lorsque les tirs avaient lieu entre votre propriété

3 et la propriété à Haradinaj ?

4 R. Je ne me rappelle pas si les hélicoptères se trouvaient là à ce moment

5 précis, mais je ne pense pas.

6 Q. Vous avez mentionné le fait que pendant un certain temps, il y avait

7 des coups de feu entre votre propriété et la propriété à Haradinaj. Vous

8 nous avez dit dans votre déposition, en réponse à une question de M. Di

9 Fazio, qu'à un moment donné le combat s'est déplacé vers Gllogjan. Vous

10 rappelez-vous avoir dit cela ?

11 R. Oui.

12 Q. Je voudrais vous dire que, immédiatement avant les combats ne se

13 déplacent vers Gllogjan, les hélicoptères se trouvaient en l'air au-dessus

14 de la propriété Haradinaj et tiraient dessus.

15 R. J'affirme catégoriquement enfin peut-être pas catégoriquement, mais ce

16 que je dis c'est que moi, personnellement, je n'ai pas entendu les

17 hélicoptères ouvrir le feu.

18 Q. Est-ce que vous seriez capable de reconnaître la différence --

19 R. A un moment donné, l'un des hélicoptères était stationné sur le pré

20 d'Ibrahim Maloku juste à l'extérieur de ma maison. Pour autant que je

21 sache, ils attendaient d'avoir la possibilité d'évacuer Otovic qui avait

22 été blessé -- à cause des blessures qu'il avait reçues.

23 Q. Deux questions. Vous nous avez dit que votre frère était là au cours de

24 la journée. Nous avons vu une déclaration de témoin ou d'interview de

25 témoin qui était enregistrée, donnée par votre frère Vladimir qui dit qu'il

26 était là aussi pendant la journée. Est-ce que Vladimir était là pendant la

27 journée ?

28 R. Vladimir a été appelé par la mère. Son fils cadet, qui avait trois ans

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1 était chez nous et sa mère avait peur et elle l'a appelé au cours de

2 l'après-midi, à un moment donné.

3 Q. Est-ce que la réponse est oui pour ce qui est de savoir si au cours de

4 la journée il était là ?

5 R. Pas au cours de la journée, mais l'après-midi.

6 Q. Bien. Finalement pourriez-vous montrer, s'il vous plaît, au témoin la

7 pièce à conviction D19 ?

8 M. EMMERSON : [interprétation] Pour le témoin nous allons avoir besoin du

9 texte en serbe, c'est bien cela. Pourrions-nous aller, s'il vous plaît, à

10 la cinquième page du document. Pour vous, Monsieur le Président, Messieurs

11 les Juges, c'est la sixième page de la version anglaise, sixième page parce

12 que la première page est une déclaration.

13 Q. Pourriez-vous nous lire, s'il vous plaît, les mots qui figurent tout en

14 haut, là dans ce titre. Est-ce que vous voyez les mots au centre qui

15 commencent par la lettre "C" ? Pourriez-vous lire tout ce qu'il y a dans ce

16 titre pour nous, s'il vous plaît ?

17 R. "République de Serbie, le ministère des Affaires intérieures, le

18 secrétariat des Affaires intérieures, poste de police de Djakovica."

19 Q. Oui. Puis il y a ce titre au centre de la page, si vous voulez bien le

20 lire ?

21 R. "Liste. Membres du PJP du SUP de Djakovica pour les paiements de

22 l'indemnité quotidienne correspondant à la période qui va du 23 mars au 31

23 mars 1999."

24 Q. Pourriez-vous nous dire qui est la personne qui figure au numéro deux

25 de cette liste.

26 R. Pouvez-vous me dire simplement ce que veux dire "PJP", s'il vous plaît,

27 il est question là de Predrag Stojanovic et voilà ce que cela dit :

28 "Predrag Stojanovic". Etait-il membre du PJP ?

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1 Q. Je regrette, Monsieur Stojanovic, mais ce n'est pas à moi de faire une

2 déposition, de dire quelque chose à ce sujet. Vous êtes en train de nous

3 dire que vous ne savez pas ?

4 R. Je ne sais pas.

5 Q. Saviez-vous que Predrag faisait partie de la police paramilitaire tout

6 au moins en 1999 ?

7 R. Je sais qu'il était dans les forces de police régulière. Je ne sais

8 rien en ce qui concerne une police paramilitaire. Je sais qu'il était un

9 officier qui faisait des rondes. Bien entendu, si nous parlons bien de mon

10 frère Predrag.

11 Q. Pourriez-vous jeter un coup d'œil, s'il vous plaît, au numéro 17. Qui

12 est cette personne ?

13 R. Mon frère s'appelle Veselin Stojanovic, mais il travaillait depuis 25

14 ans en tant qu'entrepreneur d'une entreprise privée à Indjija. Je déclare

15 catégoriquement qu'il n'avait rien à voir ni avec les militaires, ni la

16 police à aucun moment. Quant à ce Veselin Stojanovic, je ne sais pas. Peut-

17 être que vous devriez voir et jeter un coup d'œil à d'autres listes aussi.

18 Il n'y a pas de nom du père indiqué ici à côté du nom de Predrag, non plus

19 que pour Veselin, en l'occurrence. Predrag Stojanovic et Veselin

20 Stojanovic, Mijat Stojanovic, ce sont des noms extrêmement communs en

21 Serbie. Il est difficile pour moi d'essayer de donner quelque lumière sur

22 ceci à moins qu'il y ait le nom de leur père, à moins que ces noms soient

23 inclus.

24 Q. Vous pouvez nous éclairer à ce sujet, Monsieur Stojanovic, parce que

25 vous venez justement de nous donner certains éléments que je souhaite

26 d'ailleurs éclaircir avec vous. Est-ce que vous dites bien dans votre

27 déposition que votre frère Veselin est quelqu'un pour lequel vous pouvez

28 dire de façon catégorique qu'il n'a jamais appartenu en aucune manière à la

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1 police ? Est-ce que c'est bien là une déclaration que vous faites

2 catégoriquement devant le Tribunal sous serment ?

3 R. Je suis à 100 % certain. Au cours des cinq années précédant ceci, il

4 n'avait pas été du tout au Kosovo. Il n'a jamais été au Kosovo jusqu'au

5 moment où nous avons été arrêtés, et même après qu'on nous relâche. Ces

6 noms ne veulent rien dire pour moi sans le nom du père de la personne.

7 Veselin possède un magasin à Indjija, il possède ce même magasin depuis 25

8 ans. Vous pouvez aller dans n'importe quelle institution en Serbie et il

9 est très probable qu'ils vous confirmeront cela.

10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Emmerson, je voudrais appeler

11 votre attention sur le fait que le témoin est en train de donner des

12 éléments temporels.

13 M. EMMERSON : [interprétation] Exactement, j'étais sur le point de poser

14 une question à ce sujet.

15 Q. Vous venez de dire que votre frère Veselin n'est pas revenu au Kosovo

16 après que vous ayez été arrêtés. Comment est-ce qu'il est revenu ?

17 R. Non, pas pendant cinq ans, les cinq années précédant la guerre, pas

18 avant et pas après. C'est cela que je voulais dire.

19 Q. Mais alors --

20 R. -- et c'est cela que j'ai dit.

21 Q. Comment est-il revenu au Kosovo, Monsieur Stojanovic ?

22 R. Jamais.

23 Q. Je vois. Il n'est jamais revenu pendant la guerre ?

24 R. Non.

25 Q. Je vois.

26 R. Pas pendant la guerre et pas après la guerre.

27 Q. Je vois. Je voulais juste vous poser la question suivante.

28 M. EMMERSON : [interprétation] Pourrions-nous, s'il vous plaît, voir le

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1 document de la Défense qui porte le numéro ID020739, s'il vous plaît.

2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame la Greffière, ceci va nous donner

3 quelle cote ?

4 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Monsieur le Président, ce sera la pièce

5 à conviction numéro D30, qui reçoit une cote provisoire aux fins

6 d'identification.

7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Madame la Greffière.

8 M. EMMERSON : [interprétation]

9 Q. Monsieur Stojanovic, voici une note faite par M. Di Fazio, qui se

10 trouve là-bas en face, et qui vous a posé des questions plus tôt concernant

11 une réunion qu'il avait eue avec vous le 23 mars, c'est-à-dire il y a

12 quatre jours, à La Haye dans laquelle il vous a posé des questions

13 supplémentaires concernant votre déposition. Est-ce que vous vous rappelez

14 cette réunion avec M. Di Fazio ?

15 R. Oui.

16 Q. Est-ce que vous pourriez jeter un coup d'œil à la deuxième page de ce

17 document et à l'avant-dernier paragraphe qui commence

18 par : "Occupations ou professions". Je vais vous lire ceci lentement en

19 anglais de façon à ce que l'on puisse vous le traduire. La note est de M.

20 Di Fazio, ce sont des notes qu'il a prises pendant votre conversation qui

21 se lit comme suit : "Occupations - témoin," c'est vous, "s'occupait de

22 peinture, Dragoslav était gardien d'une école à Decane, Veselin travaillait

23 dans une société d'ameublement à Decane."

24 Maintenant, pourquoi avez-vous dit à M. Di Fazio que Veselin travaillait

25 dans une société de meuble à Decane, maintenant vous dites au Tribunal

26 qu'il n'avait pas été au Kosovo avant ou pendant la guerre, Monsieur

27 Stojanovic ?

28 R. Je voudrais être bien clair, il s'agit ici de Veselin Stijovic, pas

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1 Stojanovic. Il était avec nous lorsque nous avons été capturés. C'est cela

2 le point. Il ne s'agit pas de Veselin Stojanovic, mon frère, mais il s'agit

3 de mon cousin ou un parent à moi; en d'autres termes, Veselin Stijovic et

4 Veselin Stijovic travaillait à Sipad.

5 Q. Je vois. Donc à la phrase suivante, vous dites : "Ni moi, ni mon frère

6 n'avons été mobilisés dans la police ou l'armée en 1998, et je ne sais pas

7 pour ce qui est de Veselin." Nous prenons cela comme référence pour Veselin

8 Stijovic aussi ?

9 R. Oui.

10 Q. Pour autant que vous le sachiez, est-ce que Veselin Stijovic était

11 membre de la police ?

12 R. Veselin Stijovic, je sais avec certitude que nous étions au camp là-

13 bas, mais je sais qu'il n'a jamais travaillé dans la police.

14 Q. Je vois. Si ceci est exact, soyons bien clairs.

15 R. A 100 %.

16 Q. Pouvez-vous expliquer --

17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Emmerson, je suis en

18 train de regarder M. Di Fazio, est-ce que je peux considérer que : "Ni

19 moi, ni mon frère nous n'avons pas été mobilisés" c'est une erreur alors;

20 c'est donc "Ni moi, ni mon frère n'avons été mobilisés."

21 M. EMMERSON : [interprétation] C'est comme cela je l'ai compris.

22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Di Fazio, est-ce que c'est une

23 interprétation correcte ? Il y a donc une double négation, est-ce que cela

24 devrait être une simple négation ?

25 M. DI FAZIO : [hors micro]

26 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez poursuivre, Maître Emmerson.

27 M. EMMERSON : [interprétation]

28 Q. Lorsque vous avez parlé il y a un moment du fait que vous étiez

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1 catégoriquement certain, absolument certain que Veselin Stijovic n'avait

2 jamais travaillé pour la police, pourriez-vous nous dire pourquoi que vous

3 avez répondu à M. Di Fazio, je ne sais pas en ce qui concerne Veselin ?

4 R. Je ne sais pas si, en 1998, il participait à l'armée, ou plutôt, en

5 1999. Je pense que la question avait trait à sa participation au fait qu'il

6 était militaire ou non et s'il avait ou non un fusil. Pour autant que je

7 puisse m'en souvenir, c'est de cela que nous parlions. Mais je peux vous

8 dire que ce n'était pas le cas, il n'en faisait pas partie, nous étions au

9 camp mais il n'a jamais été dans la police. Je ne l'ai jamais vu porter un

10 uniforme de police, et dans ces chalets dans lesquels nous vivions --

11 M. EMMERSON : [interprétation] Oui, je vous remercie.

12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que c'est la position, Maître

13 Guy-Smith ?

14 M. GUY-SMITH : [interprétation] Elle demeure la même.

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] La même chose serait vrai pour vous,

16 Maître Harvey ?

17 M. HARVEY : [interprétation] Oui, effectivement.

18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Di Fazio, y a-t-il une raison

19 pour laquelle vous auriez des questions supplémentaires à poser au témoin ?

20 M. DI FAZIO : [interprétation] Juste quelques points mineurs, nous pourrons

21 en terminer rapidement.

22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

23 Nouvel interrogatoire par M. Di Fazio :

24 Q. [interprétation] Vous avez mentionné un peu plus tôt que vous pourriez

25 faire traduire l'article du magazine "Politika" et j'ai compris, d'après ce

26 que vous avez dit, que vous étiez battu et torturé dans la maison de Smajl

27 Haradinaj.

28 R. Oui, oui.

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1 Q. On vous a demandé de faire cela et c'est l'un des hommes qui vous avait

2 capturé qui a fait le travail qu'on vous a demandé, si oui, vous rappelez-

3 vous son nom ?

4 R. L'homme dont je ne connais pas le nom, qu'il est allé avec moi jusqu'à

5 la Lada dont j'ai pu observer pendant tout le temps que j'ai été à ses

6 côtés qu'il exerçait un commandement -- parlait serbo-croate et j'ai

7 commencé à traduire. L'article était court, peut-être une demi-page.

8 Q. Très bien. Mais c'est eux qui vous ont demandé de traduire, n'est-ce

9 pas ?

10 R. Oui, oui. Parce qu'il me surveillait pendant que je traduisais.

11 Q. D'accord. Vous avez dit également - je cherche le passage, un instant,

12 s'il vous plaît - Me Emmerson vous a interrogé au sujet du fait que la

13 police avait amené des hommes dans votre cour. Il vous a été dit qu'un

14 grand nombre de personnes avaient été arrêtées ce soir-là et rassemblées

15 dans la cour de votre maison, la cour située à l'avant de votre maison.

16 Vous avez dit avoir parlé à la police, de leur avoir dit de n'amener

17 personne dans votre cour.

18 Je vous demande d'abord si la police a effectivement arrêté des personnes

19 pour les regrouper dans votre cour, pour autant que vous le sachiez, ce

20 jour-là ?

21 R. Pour autant que je le sache, non, mais peut-être parce que notre maison

22 est juste à côté de la route, juste à côté de la route, peut-être qu'ils

23 veulent parler de cette cour-là.

24 Q. Excusez-moi, mais cela n'a pas l'air de devenir plus clair, je veux que

25 tout soit absolument clair. D'abord, je vous demande si de vos propres

26 yeux, vous avez vu personnellement des personnes qui ont été arrêtées et

27 regroupées dans votre cour quelle qu'elle soit ?

28 R. Non, je n'en ai pas vu.

Page 2112

1 Q. Est-ce que personnellement vous avez entendu avec vos oreilles des gens

2 parler du fait que des personnes auraient été arrêtées et amenées dans

3 votre cour; si oui, qui vous a dit cela ?

4 R. Non, je n'ai jamais entendu cela, avant il y a quelques instants ici.

5 Q. Me Emmerson vous a posé la question suivante et vous avez répondu ce

6 que je vais citer également, je cite :

7 "Question : pourquoi avez-vous dit à la police que vous ne vouliez pas

8 qu'elle amène ces personnes dans votre cour ?"

9 Vous avez répondu, je cite : "Je leur ai dit que ces personnes étaient nos

10 voisins."

11 R. Oui.

12 Q. Je cite : "C'était," malheureusement il y a un mot qui manque, en tout

13 cas il est question de "raison, et cetera." Est-ce que vous avez dit à la

14 police --

15 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Le témoin a dit que : "Il n'avait pas

16 de motif."

17 M. DI FAZIO : [interprétation] Je vois. Merci.

18 Q. Vous venez d'entendre l'explication apportée par M. le Juge, Monsieur

19 le Témoin.

20 Vous avez répondu ce qui suit, je cite : "Je leur ai dit que toutes ces

21 personnes étaient nos voisins et qu'il n'y avait aucune raison d'agir

22 ainsi, et tout le reste."

23 Est-ce que vous avez à quelque moment que ce soit dit à la police de ne pas

24 amener de personnes dans votre cour ?

25 R. A un certain moment dans la journée, oui, je l'ai dit au policier qui

26 se trouvait sur la route devant la maison, même si à ce moment-là il

27 n'était pas encore question de l'existence de quelques prisonniers que ce

28 soit mais…

Page 2113

1 Q. Qu'aviez-vous à l'esprit ? Qu'est-ce qui vous dérangeait dans l'idée

2 qu'on pouvait amener des gens dans votre cour ? Qu'est-ce qui vous

3 inquiétait ?

4 R. C'est simple, je vivais dans ce quartier avec toutes ces personnes, je

5 n'avais pas envie de voir qui que ce soit. Comment est-ce que je pourrais

6 expliquer cela ? Ce sont des situations désagréables pour n'importe qui. Si

7 quelqu'un était amené dans ma cour et que je le revoyais demain c'était

8 très gênant. C'est la raison pour laquelle cela me plaçait dans une

9 situation inconfortable et je ne souhaitais pas voir qui que ce soit dans

10 ma cour.

11 Q. D'accord. Combien de temps vous a-t-il fallu pour marcher de votre

12 propriété à la maison de Smajl Haradinaj ?

13 R. Cela dépend de la vitesse à laquelle on marche, mais il y a sûrement un

14 kilomètre, un kilomètre et demi entre les deux. Donc une quinzaine de

15 minutes au total sans doute en marchant normalement.

16 Q. Merci.

17 [La Chambre de première instance se concerte]

18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que les questions supplémentaires

19 de l'Accusation vous incitent à poser d'autres questions du côté de la

20 Défense ?

21 M. EMMERSON : [interprétation] Un instant, simplement, Monsieur le

22 Président.

23 Contre-interrogatoire supplémentaire par M. Emmerson :

24 Q. [interprétation] M. Di Fazio vient de vous poser quelques questions au

25 sujet des personnes présentes ou non dans votre cour, je lis le compte

26 rendu d'audience page 25, ligne 5 [comme interprété], M. Di Fazio vous pose

27 la question suivante, je cite : "D'abord, est-ce que la police a arrêté des

28 personnes pour les regrouper dans votre cour, pour autant que vous le

Page 2114

1 sachiez, ce jour-là ?"

2 Vous répondez, je cite : "Pour autant que je le sache, non, mais parce que

3 ma maison est juste à côté de la route, juste à côté de la route, peut-être

4 qu'ils pensaient à cette cour-là."

5 Que vouliez-vous dire par là ?

6 R. J'ai dit qu'ils pensaient peut-être à cette cour-là parce qu'il y avait

7 une voiture garée non loin de la cour. J'ai dit qu'il y avait aussi ces

8 Pinzgauer garés tout près de la cour sur la route. Peut-être que c'est à

9 cela qu'ils ont pensé quand ils ont parlé de la cour, voilà ce que je

10 voulais dire.

11 Q. Peut-être vous voulez dire quoi ?

12 R. Je veux dire que c'est cela que j'ai pensé.

13 Q. Qui a parlé aux gens qui se trouvaient près des Pinzgauer garés non

14 loin de votre maison ? Qui a parlé aux détenus --

15 R. Personne n'en a parlé, mais j'ai dit que pendant la journée lorsque

16 nous avons discuté, j'ai dit à l'officier de police : Ne me mettez pas dans

17 une situation inconfortable. N'amenez personne dans ma cour, s'il vous

18 plaît. S'il y avait des prisonniers, parce que nous devions penser à tous

19 les aspects possibles de la situation, j'ai dit cela pour que nous ne

20 soyons pas placés dans une situation inconfortable.

21 Q. Qu'est-ce qui vous a donné l'idée que la police pouvait prévoir

22 d'arrêter des gens et de les regrouper dans votre cour ? Qu'est-ce que qui

23 vous a poussé à parler de cela avec la police ?

24 R. Parce que la police était venue de cette direction, les policiers que

25 j'ai vus, et que je voyais dans tous --

26 Q. Excusez-moi, nous n'avons pas entendu la fin de votre réponse. Je vous

27 repose la question. Vous avez dit que la police venait de cette direction,

28 de quelle direction venait-elle ?

Page 2115

1 R. Certains des policiers que j'ai vus venaient de cette direction,

2 puisque j'avais vu trois Pinzgauer, deux ou trois Pinzgauer, j'ai pensé

3 qu'ils venaient de cette direction.

4 Q. De quelle direction ?

5 R. De la direction de Dubrava.

6 Q. Donc vous les avez vus, ils étaient à l'extérieur de votre maison,

7 n'est-ce pas, garés sur la route, mais hors de votre maison ?

8 R. Un Pinzgaueur était garé sur la route tout près de la maison, très près

9 de la maison. Il n'était pas au portail d'entrée ou dans la propriété, mais

10 tout près de la maison, assez près, disons, sur la route.

11 Q. Finalement, vous nous avez dit il y a quelques instants que vous aviez

12 vu ce Pinzgauer, vous avez demandé à la police de ne pas amener de

13 personnes dans votre cour, et je vous ai demandé : quelle est l'idée qui

14 vous est venue à l'esprit et qui vous a fait penser que la police prévoyait

15 éventuellement d'arrêter des personnes et de les regrouper dans votre cour,

16 qu'est-ce que vous a poussé à leur dire de ne pas le faire ? Vous avez

17 répondu : La police était venue de cette direction.

18 Pourriez-vous nous expliquer, simplement nous expliquer pourquoi cette idée

19 que la police pouvait avoir l'intention d'amener des gens dans votre cour

20 vous est venue à l'esprit ?

21 R. Je ne saurais vous expliquer pourquoi j'ai pensé cela à ce moment-là.

22 Cela s'est passé il y a très longtemps, mais je considérais -- en fait,

23 j'ai pensé par souci de précaution que je ne souhaitais pas que des

24 personnes soient arrêtées ou faites prisonnières. Je ne souhaitais que cela

25 nous mette, nous qui vivions là, dans une situation inconfortable ou

26 désagréable. Voilà quelle était la raison, parce qu'après tout nous vivions

27 tous les uns à côté des autres à cet endroit.

28 Q. Simplement cela. Est-ce que je comprends bien ce que vous avez dit dans

Page 2116

1 votre déposition, à savoir que ce qui vous inquiétait, c'était que les gens

2 du village puissent penser que votre maison servait d'installation

3 militaire ? Est-ce que c'était cela qui vous inquiétait ?

4 R. Absolument. C'est tout à fait cela.

5 Q. Merci.

6 Questions de la Cour :

7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous aurions une question

8 supplémentaire à vous poser sur le même sujet, Monsieur Stojanovic. Il y a

9 quelques temps, on vous a demandé pourquoi vous aviez dit à la police de ne

10 pas amener de gens dans votre cour ? Vous avez répondu : Ces personnes

11 étaient nos voisins. Aviez-vous une idée préconçue quant à l'identité

12 possible des personnes qui allaient être arrêtées à ce moment-là ?

13 R. Je supposais. Ce n'était pas une idée, mais je supposais simplement que

14 les gens qui avaient ouvert le feu sur la police risquaient d'être faits

15 prisonniers.

16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Par ces mots, vous faites référence à

17 des membres de la famille Haradinaj, ou en tout cas à des personnes qui

18 habitaient dans la propriété des Haradinaj ?

19 R. Je ne pensais à personne en particulier. Je ne pensais ni à Haradinaj

20 en particulier, ni à qui que ce soit d'autre en particulier. Mais comme des

21 combats étaient en train de se dérouler, j'ai pensé aux soldats qui étaient

22 en train de se battre.

23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Merci beaucoup pour votre réponse.

24 Plus de questions de la part des parties ? Ce n'est pas le cas. Monsieur

25 Stojanovic, ceci met un terme à votre déposition devant cette Chambre de

26 première instance. Je vous remercie d'être venu à La Haye pour répondre aux

27 questions posées par les parties et les Juges.

28 Vous pouvez maintenant vous retirer.

Page 2117

1 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie de m'avoir convoqué.

2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame l'Huissière, je vous demande de

3 bien vouloir escorter M. Stojanovic hors de la salle d'audience.

4 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie.

5 [Le témoin se retire]

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je propose, puisque nous avons besoin de

7 chaque minute de la journée d'aujourd'hui -- d'ailleurs je ne pense pas

8 qu'il y ait de gros problèmes avec les pièces à conviction, mais ne

9 consacrons pas une minute de notre temps aux pièces à conviction. A

10 l'instant même, poursuivons simplement. Madame l'Huissière -- elle est

11 sortie de la salle.

12 Monsieur Di Fazio, est-ce que vous êtes prêt à faire entrer votre témoin

13 suivant ?

14 M. DI FAZIO : [interprétation] M. Kearney est prêt.

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Kearney.

16 M. DI FAZIO : [interprétation] Si vous le souhaitez, Monsieur le Président,

17 si vous acceptez, je pourrais me retirer et informer moi-même Mme

18 l'Huissière --

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, cela nous permettrait de gagner du

20 temps. En même temps, si on pouvait retrouver la nouvelle photographie où

21 on voit la maison de Smajl, parce qu'il n'est pas surprenant que le témoin

22 précédent n'ait pas pu identifier la maison de Smajl sur la pièce P32,

23 puisque la maison en question n'y figurait pas. Nous avons consacré à peu

24 près deux pages de compte rendu d'audience à la production de cette

25 photographie et aux questions posées au témoin quant à sa capacité à se

26 situer sur cette photographie. Il y a vraiment des moments où l'efficacité

27 du travail dans ce prétoire m'a impressionné plus que cela n'a été le cas à

28 ce moment-là.

Page 2118

1 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Kearney, pas de mesures de

3 protection pour le témoin suivant ?

4 M. KEARNEY : [interprétation] Non, Monsieur le Président.

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Votre témoin suivant est qui ?

6 M. KEARNEY : [interprétation] M. Veselin Stijovic.

7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bonjour, Monsieur Stijovic.

8 LE TÉMOIN : [interprétation] Bonjour.

9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Avant que vous ne déposiez devant cette

10 Chambre de première instance, le Règlement de procédure et de preuve de ce

11 Tribunal exige que vous prononciez une déclaration dans laquelle vous

12 déclarez que vous direz la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

13 Le texte de cette déclaration vous est tendu sur un carton à l'instant même

14 par Mme l'Huissière. Je vous invite à lire cette déclaration solennelle.

15 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

16 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

17 LE TÉMOIN: VESELIN STIJOVIC [Assermenté]

18 [Le témoin répond par l'interprète]

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur Stijovic.

20 Veuillez vous asseoir et les premières questions qui vous seront posées le

21 seront par M. Kearney qui représente l'Accusation, substitut du Procureur.

22 Interrogatoire principal par M. Kearney :

23 Q. [aucune interprétation]

24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Kearney, je pars du principe

25 que, s'agissant de notre travail jeudi et vendredi, vous êtes au courant du

26 fait que si l'audition de ce témoin ne se termine pas aujourd'hui, nous

27 devrons siéger demain, ne serait-ce que pour une demi-heure. L'audition de

28 ce témoin a été prévue pour une heure et demie.

Page 2119

1 M. KEARNEY : [interprétation] Monsieur le Président, je suis au courant,

2 mais vous savez aussi que la fin de l'audition du témoin précédent a duré

3 plus longtemps ce matin que cela n'était prévu, je vais réduire mes

4 questions au minimum en tout état de cause.

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous en prie, veuillez poursuivre.

6 M. KEARNEY : [interprétation]

7 Q. Monsieur Stijovic, bonjour. Pourriez-vous nous donner votre date de

8 naissance et votre lieu de naissance ?

9 R. Je m'appelle Veselin Stijovic. Je suis né à Decani en 1972.

10 Q. Quel est le prénom de votre père, s'il vous plaît, votre appartenance

11 ethnique, si vous voulez bien nous le dire ?

12 R. Je suis Serbe et le prénom de mon père est Bogic.

13 Q. Monsieur Stijovic, vous avez dit que vous étiez né dans le village de

14 Dasinovac. Combien de temps y avez-vous résidé après votre naissance ?

15 R. Oui, Dasinovac.

16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Kearney, je vois au compte

17 rendu d'audience, et c'est ce que j'ai entendu de la bouche de

18 l'interprète, que le témoin était né à Decani. Bien sûr, il peut s'agir de

19 la municipalité où de la ville. Mais je n'ai pas entendu parler de

20 Dasinovac jusqu'à présent.

21 M. KEARNEY : [interprétation] Je vais tirer ce point au clair, Monsieur le

22 Président.

23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

24 M. KEARNEY : [interprétation]

25 Q. Monsieur Stijovic, êtes-vous né à Decani en tant que telle ou dans un

26 village relevant de la municipalité de Decani ?

27 R. Je suis né à l'hôpital de Decani, mais je vivais dans le village de

28 Dasinovac.

Page 2120

1 Q. Combien de temps avez-vous vécu dans ce village ?

2 R. Personnellement, depuis ma naissance.

3 Q. Pourriez-vous nous dire, à partir de 1997, quelle était la composition

4 ethnique du village de Dasinovac ?

5 R. Il y avait des Albanais, des Catholiques et des Serbes. Cinq ou six

6 maisons catholiques, 50 maisons albanaises à peu près et une dizaine de

7 maisons serbes.

8 Q. Monsieur Stijovic, puisque vous avez vécu toute votre vie à Dasinovac,

9 je suppose que vous y êtes allé à l'école et que vous aviez des relations

10 avec vos voisins pendant toute cette durée. Est-ce exact ?

11 R. Oui, je suis allé à l'école à Donji Ratis, l'école de la municipalité;

12 je connaissais tous les voisins.

13 Q. Je reviendrai sur ce point de façon plus détaillée un peu plus tard.

14 Pour l'instant, je vous en parle de façon générale. Comment qualifieriez-

15 vous vos relations avec vos voisins albanais avant 1997, s'il vous plaît ?

16 R. Avant 1997, j'avais de bonnes relations avec nos voisins. Nous étions

17 en bons termes. Je fréquentais mes voisins albanais, serbes et catholiques

18 au même titre. J'avais de bonnes relations avec l'ensemble d'entre eux.

19 Nous allions à l'école ensemble.

20 Q. Nous reviendrons un instant sur les événements qui se sont déroulés fin

21 1997 et durant l'année 1998. Mais avant cela, j'aimerais que vous nous

22 disiez quelques mots de votre carrière professionnelle. D'abord pourriez-

23 vous nous dire quel est votre emploi ?

24 R. Aujourd'hui, je suis machiniste de chantier.

25 Q. Durant votre carrière, est-ce que vous avez à quelque moment que ce

26 soit travaillé pour l'armée yougoslave ?

27 R. Non.

28 Q. Est-ce que vous avez été dans l'armée, Monsieur ?

Page 2121

1 R. J'ai été dans l'armée.

2 Q. De quelle date à quelle date ?

3 R. De 1991 à 1992.

4 Q. Après être sorti de l'armée en 1992, quelle a été votre profession ?

5 R. J'ai trouvé un emploi dans l'usine de meubles de Decani.

6 Q. Combien de temps avez-vous travaillé à l'usine de meubles de Decani ?

7 R. De 1992 à 1998.

8 Q. A quel moment en 1998 avez-vous cessé de travailler dans cette usine de

9 meubles ?

10 R. J'ai cessé de travailler au moment où j'ai été fait prisonnier.

11 Q. Nous en parlerons dans un instant. Monsieur, au moment où vous avez été

12 fait prisonnier, est-ce que vous auriez qualifié votre travail, votre

13 emploi comme un emploi civil ou un emploi militaire ?

14 R. Je travaillais en qualité de civil, en tant qu'artisan dans cette usine

15 de meubles. Je participais à la fabrication de lits et de meubles de ce

16 genre.

17 Q. Vous avez dit un peu plus tôt qu'avant 1997 les rapports que vous aviez

18 avec les Albanais dans votre village de Dasinovac étaient bons. Mais est-ce

19 que cela a commencé à changer à un certain moment de l'année 1997 ou 1998 ?

20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je regarde l'horloge Monsieur Kearney,

21 et j'entends la question que vous venez de poser qui me permet de penser

22 que vous allez aborder un nouveau thème. C'est la raison pour laquelle je

23 pense que la pause pourrait avoir lieu maintenant.

24 Mais j'ai une question à poser au préalable aux équipes de la Défense. J'ai

25 entendu les dix dernières minutes de l'interrogatoire de ce témoin, je

26 demande à la Défense si elle aurait eu la moindre objection à ce que son

27 lieu de naissance, l'endroit où il est allé à l'école, l'endroit où il a

28 travaillé, sa profession, et cetera, aient fait l'objet d'un accord

Page 2122

1 préalable entre les parties ?

2 Monsieur Kearney, cela aurait permis de gagner à peu près la moitié du

3 temps. Je vois que vous secouez la tête de façon négative.

4 M. EMMERSON : [interprétation] Bien entendu, le problème de l'emploi est un

5 domaine où j'aurais pensé qu'il était tout à fait acceptable que M. Kearney

6 ne guide pas le témoin.

7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

8 M. EMMERSON : [interprétation] En d'autres termes, il a exclu certaines

9 possibilités. J'ai indiqué à M. Kearney hier après-midi les domaines qui

10 sont contestés par rapport à l'audition des deux derniers témoins et ce qui

11 n'est pas contesté.

12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

13 M. EMMERSON : [interprétation] Par conséquent, il est possible sans doute

14 d'avancer assez rapidement dans la plus grande partie de l'interrogatoire

15 principal.

16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] J'ai remarqué que l'Accusation n'a pas

17 utilisé l'article 89(F) jusqu'à présent. Je veux dire que toutes les

18 questions ont été posées au témoin et nous avons entendu les réponses à ces

19 questions. Mais la question qui se pose c'est, est-ce que cela n'aurait pas

20 été plus efficace de trouver des moyens d'accélérer un peu l'interrogatoire

21 dans les domaines qui ne sont pas contestés.

22 Maître Guy-Smith.

23 M. GUY-SMITH : [interprétation] J'espère que la Chambre a remarqué que je

24 me suis abstenu de faire la moindre remarque.

25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

26 M. GUY-SMITH : [interprétation] C'était précisément pour cette raison.

27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Guy-Smith, il existe une

28 objection globale. Nous ne l'avons pas simplement à l'esprit de temps en

Page 2123

1 temps, mais en permanence.

2 M. EMMERSON : [interprétation] Pour être équitable à l'égard de

3 l'Accusation, je pense que lorsque Dutertre menait l'interrogatoire, il a

4 guidé le témoin sur ses détails de sa vie personnelle au début et a demandé

5 au témoin de confirmer simplement s'il avait des objections ou pas.

6 M. KEARNEY : [interprétation] Monsieur le Président --

7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ne débattons pas en détail de cela. Je

8 pense que le message est suffisamment clair et que nous trouverons le

9 moyen, sans nuire aux informations que doit recevoir la Chambre, d'essayer

10 cette méthode.

11 Suspendons jusqu'à 11 heures 00.

12 --- L'audience est suspendue à 10 heures 31.

13 --- L'audience est reprise à 11 heures 00.

14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Kearney, veuillez poursuivre.

15 M. KEARNEY : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Dès le départ,

16 je voudrais informer les Juges de la Chambre que j'ai parlé à M. Re pendant

17 la pause, qu'il a bien compris la préoccupation de la Cour sur

18 l'utilisation éventuelle de l'article 89(F). Il voulait transmettre ce

19 message à la Chambre que c'est notre intention de travailler de notre mieux

20 pour utiliser le 89(F) et 92 ter pour essayer de réduire au plus la

21 procédure.

22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie. Veuillez poursuivre.

23 M. KEARNEY : [interprétation]

24 Q. Monsieur Stijovic, lorsque nous avons commencé, je vous demandais et je

25 posais la question quant aux relations entre les Serbes et les Albanais

26 dans votre village de Dasinovac et comment ces relations ont changé.

27 Pouvez-vous nous éclairer, s'il vous plaît, et nous dire si c'est vrai et

28 dans quelle mesure ?

Page 2124

1 R. C'est vrai qu'il y avait eu un changement au niveau des tensions dans

2 les relations, ensuite l'attaque s'est produite sur la maison de Culafic.

3 Je l'ai lu dans les journaux, je suis allé le lendemain chez lui, puisque

4 nous étions amis. Je suis allé chez eux pour voir s'ils avaient besoin

5 d'aide. Ensuite, il y a eu l'attaque sur le poste de police à Rznici - je

6 l'ai lu dans la presse, je l'ai vu à la télévision - ensuite, il y a eu le

7 meurtre d'Otovic. Dragoslav et Mijat m'ont dit qu'ils avaient dû quitter

8 leur maison ce soir-là pour des raisons de sécurité personnelle. Il était

9 fréquent que les gens passent devant les maisons la nuit et tiraient des

10 coups. Donc, pour des raisons de sécurité, j'ai dû quitter la maison dans

11 laquelle nous habitions. Finalement, j'ai dû aller à Decani.

12 Q. Quand vous dites que vous avez dû quitter votre maison pour des raisons

13 de sécurité, voulez-vous nous expliquer exactement ce que vous voulez dire

14 par cela ?

15 R. Pour éviter que la même chose ne se produise avec ma famille que ce qui

16 s'était produit avec Malesa Culafic, et pour assurer la sécurité de ma

17 famille.

18 Q. Quand était-ce, Monsieur Stijovic, que vous avez quitté votre village ?

19 R. Je ne peux pas vous donner une date précise, mais c'était au mois

20 d'avril, fin mars, début avril.

21 Q. Vous avez dit auparavant dans votre déclaration, vous avez mentionné

22 Dragoslav et Mijat. Vous avez deux cousins, n'est-ce pas, qui portent ces

23 prénoms ?

24 R. Oui, c'est bien cela. Deux cousins, oui.

25 Q. Ces cousins habitaient dans le village de Dubrava; est-ce exact ?

26 R. Oui.

27 Q. A un moment donné au cours de cette même période, avez-vous su qu'ils

28 avaient quitté leur maison à Dubrava pour aller à Decani ?

Page 2125

1 R. Oui, ils m'ont dit qu'on les avait forcés à partir pour des raisons de

2 sécurité, probablement environ au même moment que l'officier de police

3 Otovic a été tué.

4 Q. A part vos cousins et votre propre famille, saviez-vous que d'autres

5 Serbes quittaient Dasinovac à la même époque, c'est-à-dire, la même période

6 en général ?

7 R. Oui, au cours de cette période-là, de manière générale.

8 Q. Maintenant, à un moment donné après que vous et vos cousins ayez quitté

9 vos maisons respectives, êtes-vous retourné à Dubrava avec vos cousins pour

10 les aider chez eux, dans leur maison ?

11 R. Oui. Ils m'avaient demandé de venir leur donner un coup de main, de

12 leur apporter des choses, des choses dont ils avaient besoin pour leur

13 bétail ainsi que des objets de première nécessité. Nous y sommes allés avec

14 la Lada et la Mazda 626. Nous avons commencé à charger la voiture, lorsque

15 soudainement l'attaque a éclaté. Nous nous sommes précipités à l'intérieur

16 de la maison. L'attaque s'est poursuivie pendant environ 45 minutes. Ils

17 tiraient en utilisant des armes automatiques et des lance-grenades à main.

18 Mijat et moi sommes restés dans un coin dans l'une des pièces pour nous

19 protéger, et Dragoslav s'approchait de la fenêtre de temps en temps pour

20 voir s'ils s'approchaient de la maison et il nous disait ce qu'il se

21 passait à l'extérieur.

22 Q. A quelle date était ce, Monsieur, si vous vous en souvenez ?

23 R. C'était un samedi, la veille de Pâques. Je ne me souviens pas de la

24 date exacte.

25 Q. C'était en avril 1998, cependant; est-ce exact ?

26 R. Oui, c'est exact.

27 Q. Vous avez dit qu'après le début de l'attaque, vous avez couru à

28 l'intérieur de la maison de votre cousin. Est-ce que vous avez vu à

Page 2126

1 l'époque qui tirait sur la maison, ou est-ce que vous avez découvert cela

2 par la suite ?

3 R. C'était plus tard que nous l'avons découvert. Les tirs provenaient de

4 Glodjane et de toutes directions. Il était difficile pour moi de dire d'où

5 venaient les tirs. Quarante-cinq minutes plus tard environ, ils ont

6 finalement atteint la maison et ont commencé à crier de sortir et de nous

7 rendre. Dragoslav était le premier à passer la porte; ensuite, il a été

8 suivi par Mijat et moi-même. Ils nous ont ordonnés de nous coucher face

9 contre terre. Dragoslav était le premier qui a ouvert la porte. Ils ont

10 commencé à le frapper, ensuite ils sont venus vers nous, ils nous ont

11 frappés, ils nous ont roués de coups, ils nous ont roués de coups de pied,

12 ils nous ont frappés avec la crosse du fusil et tout ce qu'ils pouvaient

13 utiliser, tout ce qu'ils avaient à portée de main, après quoi ils nous ont

14 jetés à l'extérieur de la maison.

15 Q. Je voudrais vous demander de retourner en arrière pour un instant. Vous

16 avez dit qu'ils ont tiré sur vous ainsi qu'avec des lance-grenades à main.

17 Est-ce que vous saviez cela ? Est-ce que vous avez pu le voir ?

18 R. Non, c'était à cause des détonations que nous pouvions le dire.

19 C'étaient des explosions assez fortes, celles qui ont touchées la maison,

20 et Dragoslav regardait par la fenêtre. Plus tard, quand nous avons vu nous-

21 mêmes une fois que nous étions à l'extérieur, nous avions vu que des gens

22 portaient des lance-grenades à main.

23 Q. Combien d'explosions avez-vous entendues toucher la maison ?

24 R. Je ne m'en souviens pas exactement, mais un certain nombre. Nous étions

25 très effrayés, même traumatisés, donc je n'ai pas de souvenir d'exactement

26 combien.

27 Q. Vous avez dit que l'attaque a duré environ 40 à 45 minutes. Combien de

28 coups de feu pensez-vous qu'il y a eu au cours de ladite période, s'il vous

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1 plaît ?

2 R. Les tirs étaient constants, ininterrompus. Je ne peux pas vous dire

3 combien de série. Cela a continué pendant environ 45 minutes de façon

4 ininterrompue.

5 Q. Durant cette attaque, Monsieur Stijovic, est-ce que vous-même ou vos

6 cousins avez riposté en tirant sur les gens qui vous ont attaqués ?

7 R. Non, nous n'avions rien avec quoi tirer. Nous n'avions pas d'armes.

8 Q. Vous avez dit plus tôt dans votre témoignage que les coups de feu se

9 sont arrêtés un moment et qu'il y a eu des cris qui provenaient de

10 l'extérieur à votre attention. Est-ce fidèle à ce qui s'est passé ?

11 R. Oui. Une fois qu'ils ont atteint la maison, ils ont arrêté de tirer et

12 ils nous ont ordonnés de sortir en criant. Dragoslav a ouvert la porte et

13 Kika et moi, on nous a ordonnés à l'intérieur de la maison, de nous coucher

14 face contre terre, de garder la tête baissée et de ne pas regarder.

15 Ensuite, 30 soldats sont rentrés en courant dans la maison. Dragoslav a été

16 frappé dès qu'il a ouvert la porte, ensuite ils sont entrés dans la maison

17 et ils nous ont frappés également avec des armes automatiques et tout ce

18 qu'ils pouvaient utiliser.

19 Q. Vous souvenez-vous de ce que ces hommes vous criaient à ce moment-là ?

20 R. Ils criaient des insultes, des choses horribles, des références à nos

21 mères serbes, et cetera, des choses de ce genre.

22 Q. Quelle langue utilisaient-ils quand ils criaient ?

23 R. Albanais.

24 Q. Ces 30 soldats qui sont entrés en courant dans votre maison, pourriez-

25 vous nous les décrire, s'il vous plaît ?

26 R. Les décrire, certains -- non, tous étaient armés, certains étaient en

27 uniforme, d'autres en civil, mais tous étaient armés.

28 Q. Les uniformes de quelle organisation ?

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1 R. Les uniformes de camouflage; mais de quelle appartenance, je ne le sais

2 pas.

3 Q. Avez-vous vu des insignes sur l'uniforme ?

4 R. Oui.

5 Q. Veuillez nous décrire, s'il vous plaît, ces insignes.

6 R. Il y avait un cercle rouge, un aigle noir, avec je crois des lettres en

7 jaune, mais je n'en suis pas sûr. Je ne sais plus si c'était en jaune ou

8 pas, mais il était inscrit : "Armée de libération du Kosovo."

9 Q. Vous avez dit que lorsqu'ils sont entrés, ils ont attaqué Dragoslav ?

10 R. Oui.

11 Q. Veuillez nous décrire cette attaque, s'il vous plaît.

12 R. Dès qu'il a ouvert la porte, ils ont commencé à le frapper avec des

13 armes automatiques. Ils l'ont frappé à l'estomac, à la tête, dans tous les

14 sens. Ils frappaient. Six ou dix entre eux frappaient en même temps. Il est

15 tombé par terre. Ils nous ont dit de nous coucher par terre avant même

16 d'être près de nous, et quand ils sont arrivés près de nous, ils ont

17 commencé à nous frapper dessus avec les armes automatiques et ce genre de

18 choses. Ils nous ont amenés à l'extérieur de la maison. Ils nous ont dit

19 encore de nous coucher face contre terre et de ne pas lever les yeux, de ne

20 pas les regarder, non plus. Ils ont continué à nous rouer de coups pendant

21 un moment, après quoi ils nous ont dit de nous relever et ils nous ont

22 amenés à Glodjane. Nous nous sommes levés et ils nous ont menés le long de

23 la route à Glodjane. Il y avait des nombreux soldats et des civils le long

24 de la route.

25 Q. Monsieur Stijovic --

26 R. Ils nous ont frappés pendant un moment.

27 Q. Je vais vous interrompre pendant un moment.

28 Je voudrais vous parler des coups que vous avez reçus pendant cette

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1 attaque. Vous nous avez décrit qu'après que les hommes sont entrés dans

2 votre maison, ils vous ont dit de vous coucher par terre. Avez-vous été

3 frappé à ce moment-là quand vous étiez à l'intérieur de la maison ?

4 Pourriez-vous nous dire combien de fois vous avez été frappé et où sur

5 votre corps, s'il vous plaît.

6 R. Oui. Oui, oui. Mijat et moi-même avons été frappés à de nombreuses

7 reprises. Ils nous ont donné des coups de pied et ils nous ont frappés avec

8 des armes automatiques. Ils nous ont frappés lorsque nous étions à

9 l'intérieur de la maison pendant un long moment.

10 Q. Où sur votre corps avez-vous reçu des coups ?

11 R. Sur la tête et sur le corps, partout. Ils ne regardaient pas où ils

12 frappaient. Ils frappaient sans discrimination.

13 Q. Est-ce qu'ils ont continué à vous frapper lorsque vous avez été invités

14 à venir à l'extérieur de la maison. Si c'était le cas, veuillez nous dire

15 le nombre de coups, pendant combien de temps et où les coups étaient

16 portés.

17 R. Oui. A l'extérieur de la maison, le même scénario s'est répété qu'à

18 l'intérieur. Ils nous ont dit de nous coucher face contre terre. Ils nous

19 ont donné des coups de pied. Ils nous ont frappés avec des armes

20 automatiques, partout sur la tête, partout sur le corps. Peu importe, il y

21 avait six ou dix d'entre eux qui essayaient de s'approcher le plus possible

22 de nous pour essayer de porter quelques coups.

23 Q. Que faisiez-vous pendant ce temps-là ?

24 R. Nous étions simplement couchés par terre essayant de nous protéger la

25 tête avec les mains dans la mesure du possible.

26 Q. Au cours de cette deuxième séance de coups, lorsque vous étiez à

27 l'extérieur de la maison, est-ce que ces hommes vous parlaient ? Vous

28 disaient-ils quelque chose pendant ce temps que vous auriez pu entendre ?

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1 R. La plupart du temps, ils nous insultaient. Ils juraient. Je n'ai pas

2 tout compris tout ce qu'ils disaient en albanais. Mais j'ai bien compris

3 l'idée même, toutes ces insultes.

4 Q. Vous parlez et vous comprenez l'albanais, Monsieur Stijovic ?

5 R. Oui.

6 Q. Quand vous dites que vous avez compris l'essence de ce qu'ils disaient,

7 qu'avez-vous compris ? Qu'aviez-vous le sentiment qu'ils vous disaient ?

8 R. Des insultes. Qu'est-ce que vous faites ici ? C'est notre terre. Ils

9 nous appelaient Chetniks et ce genre de choses. Ils nous insultaient.

10 Q. Quand vous dites qu'ils vous ont dit : c'est notre terre. Qu'ont-ils

11 dit exactement ? Quelle en était la signification, s'il vous plaît ?

12 R. Je ne sais pas. Je ne sais pas ce qu'ils voulaient dire très

13 exactement. Quand ils disaient, c'est notre terre, on ne peut pas

14 s'attendre à ce que moi je dise ce qu'ils avaient l'intention d'exprimer

15 dans ce cas-là. Mais il s'agit ici bien de haine qui était dirigée vers

16 nous.

17 Q. Avez-vous jamais rencontré aucun de ces hommes auparavant, Monsieur

18 Stijovic, si vous vous en souvenez ?

19 R. Non, pas ceux qui se trouvaient à l'extérieur de la maison avec nous.

20 Mais lorsqu'on nous a emmenés à Glodjane au quartier général ou quel

21 qu'était le bâtiment, j'ai été en mesure de reconnaître certaines

22 personnes.

23 Q. Nous allons en parler dans un moment, mais je voudrais que nous nous

24 concentrions sur les hommes qui vous rouaient de coups dans la cour. Vous

25 avez parlé du fait qu'ils exprimaient de la haine à votre encontre. Quelle

26 était la cause de cette haine ?

27 R. Je ne peux vraiment pas vous expliquer. C'est juste parce que nous

28 étions serbes. Je ne crois pas qu'il ait pu y avoir une quelque autre

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1 raison. Je n'ai jamais eu d'altercation avec aucun d'eux, ni Mijat

2 d'ailleurs, pas que je sache en tout cas.

3 Q. Monsieur Stijovic, vous souvenez-vous d'avoir fait une déclaration au

4 bureau du Procureur du TPIY en 2002 au sujet de cet incident ?

5 R. Oui.

6 M. KEARNEY : [interprétation] Pour les Juges de la Chambre ainsi que les

7 conseils, je fais référence à la déclaration préalable à la page 4 de la

8 traduction en anglais.

9 Q. Avez-vous dit aux enquêteurs du TPIY en 2002 que vous avez entendu ces

10 hommes dire : "Le Kosovo appartient aux Albanais."

11 Tout d'abord, vous souvenez-vous d'avoir fait cette déclaration aux

12 enquêteurs; et deuxièmement si c'est le cas, est-ce qu'ils vous ont dit

13 cela ?

14 R. Oui, c'est exactement ce que je voulais dire, c'est-à-dire le Kosovo

15 nous appartient, le Kosovo appartient aux Albanais. Qu'est-ce que vous

16 faites là, vous n'avez rien à faire ici, et cetera ?

17 Q. Vous avez mentionné qu'à ce moment-là dans la cour, vous n'avez pas

18 reconnu qui que ce soit. Est-ce que l'un ou l'autre de vos cousins vous

19 aurait dit qu'ils ont reconnu quelqu'un ?

20 R. Ils connaissaient la plupart d'entre eux. Enfin, je crois qu'ils les

21 connaissaient. Ils m'ont dit qu'il y avait un homme qui, à un moment donné,

22 est arrivé dans la cour et a essayé de nous défendre, a essayé de nous

23 protéger des autres. Je crois qu'ils ont dit que cet homme était Nasim.

24 Q. A part cet homme du nom de Nasim, vous ont-ils donné d'autres noms de

25 soldats, soldats de l'UCK, qu'ils auraient reconnus ?

26 R. Plus tard, ils m'ont parlé de Zeqir qui est celui qui nous a frappé le

27 plus dans la petite pièce. C'était lui qui nous a dit d'ôter nos vêtements

28 au-dessus de la taille, qui nous a roués de coups, qui nous a frappés très

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1 fort. Je lui ai demandé qui est celui-là ? Il a dit, c'est Zeqir.

2 Q. Monsieur Stijovic, passons au second endroit où vous avez été frappé.

3 Vous avez mentionné dans votre déclaration, à un moment donné, que vous

4 avez quitté la maison de vos cousins à Dubrava et que vous êtes allé à

5 Glodjane. Est-ce exact ?

6 R. Oui.

7 Q. Comment êtes-vous arrivé là-bas ?

8 R. Nous sommes allés à pied. Ils nous ont dit de lever les mains, de

9 garder la tête baissée, de ne regarder ni à gauche ni à droite. Nous avons

10 croisé pas mal de leurs soldats le long de la route, ils nous frappaient

11 tous alors que nous marchions vers Glodjane. Une fois que nous sommes

12 arrivés, ils nous ont emmenés à l'intérieur d'une maison où il y avait de

13 nombreux soldats. Il y avait des gardiens à l'extérieur de la maison, dans

14 la cour. Certains nettoyaient leurs armes, ou étaient tout simplement

15 debout là. Ils nous ont emmenés à l'intérieur de la maison au premier étage

16 et ils nous ont laissés dans un couloir à l'extérieur d'une petite pièce où

17 nous nous sommes assis par terre. Ensuite, ils ont emmené Dragoslav à

18 l'intérieur de la petite pièce.

19 Q. Laissez-moi vous interrompre là, si je puis juste un instant. Vous

20 disiez qu'alors que vous marchiez le long de la route vers Gllogjan, il y

21 avait d'autres soldats le long de cette même route qui vous ont frappés.

22 Est-ce exact ?

23 R. Oui.

24 Q. Alors que l'on vous frappait en chemin le long de la route, est-ce

25 qu'on vous a dit quelque chose ? Est-ce que ces hommes vous ont dit quelque

26 chose, ceux qui vous frappaient ?

27 R. Oui, ils nous insultaient.

28 Q. Quand vous dites "insultaient", encore une fois pour le compte rendu

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1 d'audience, que voulez-vous dire exactement ?

2 R. Ils nous injuriaient, insultaient nos mères serbes, et tout ce que je

3 vous ai dit, c'est-à-dire que nous n'avions rien à faire au Kosovo, et

4 cetera.

5 Q. Ces hommes que vous avez croisés en route vers Gllogjan, comment

6 étaient-ils habillés et comment étaient-ils armés, si vous pouvez nous le

7 dire ?

8 R. Ils avaient des armes automatiques. C'étaient des civils et il y avait

9 des hommes en uniforme, mais tous étaient armés. Certains portaient des

10 pantalons militaires et des vestes civiles. Il y avait des gens qui

11 portaient des uniformes militaires complets. Il y avait des gens

12 entièrement habillés en civil, mais qui portaient des armes.

13 Q. Encore une fois, avez-vous vu l'insigne de l'UCK sur les uniformes de

14 certains de ces soldats?

15 R. Oui.

16 Q. A partir du moment où vous avez quitté la maison à Dubrava, jusqu'à ce

17 que vous arriviez à la maison à Gllogjan, combien de soldats de l'UCK

18 pensez-vous avoir croisés ?

19 R. Je ne peux pas vous dire exactement. Je dirais une centaine, une

20 centaine de soldats, oui plus ou moins, dans ces eaux-là.

21 Q. Avant que nous ne commencions à parler de ce qui s'est passé à

22 l'intérieur de la maison à Gllogjan, pourriez-vous nous dire quel était

23 votre état physique alors que vous avanciez à pied le long de la route vers

24 la maison ? Comment vous sentiez-vous; pourriez-vous nous décrire vos

25 blessures ?

26 R. Dragoslav était celui qui était dans l'état le plus grave de nous

27 trois. Les deux autres de nous trois, nous saignions et nous étions obligés

28 de marcher avec des douleurs intenses.

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1 Q. En route vers Gllogjan, c'est-à-dire à partir de la maison de votre

2 cousin vers cette seconde maison où on vous a emmenés, est-ce que Dragoslav

3 était en mesure de marcher à ce moment-là ?

4 R. Il pouvait à peine marcher. Nous l'aidions à avancer, mais il avançait

5 très lentement.

6 Q. Vous avez dit que vous saigniez, mais d'où saigniez-vous ?

7 R. De la tête, de la tête surtout.

8 Q. Vous nous avez dit que vous avez été emmenés dans une maison

9 particulière à Glodjane, pourriez-vous décrire cette maison pour nous ?

10 Pourriez-vous nous dire ce qu'était cette maison, si vous le savez ?

11 R. C'était une maison tout à côté de la route, avec un rez-de-chaussée et

12 un premier étage. Je crois que c'était de cette façade-là de la maison --

13 dont je me souviens. Ils nous ont emmenés à l'intérieur de la maison. Ils

14 nous ont laissés dans le couloir. Après ils ont emmené Dragoslav dans une

15 pièce. Cela n'a pas pris très longtemps. Ils l'ont ressorti. Il était dans

16 un état très grave. Ils l'ont fait sortir de la pièce, il est tombé par

17 terre. Ils l'ont laissé à côté de nous et Mijat et moi-même avons été

18 emmenés à l'intérieur. J'ai essayé d'aider Dragoslav. J'ai entendu qu'ils

19 étaient en train de frapper Mijat. Ils l'ont roué de coups pendant un

20 certain temps. Cela a duré une heure à peu près. Mijat ensuite a été jeté à

21 l'extérieur de la pièce. On m'a appelé à l'intérieur. Je suis entré dans la

22 pièce. Il y avait deux soldats à l'intérieur. Il y avait une table au

23 centre de la pièce, une toute petite pièce avec une chaise également. Deux

24 soldats, trois parfois, alors d'autres soldats sont entrés, mais il y avait

25 une présence constante dans la pièce. Ils étaient responsables de nous

26 frapper, de nous rouer de coups.

27 Q. Laissez-moi vous arrêter là, s'il vous plaît, pour un instant.

28 Pourriez-vous nous dire quelle était l'impression que vous aviez quand ils

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1 vous frappaient, si vous pouvez nous le dire ?

2 R. Je pense que c'était leur QG, leur poste de commandement, leur quartier

3 général en quelque sorte, quelque chose comme cela. Parce que c'est là où

4 il y avait le plus de sécurité. La plupart des soldats étaient regroupés

5 là, concentrés là, dans cet endroit où on nous a emmenés.

6 Q. Vous avez dit qu'à un moment donné après votre arrivée, Dragoslav avait

7 été emmené dans une pièce et que vous-même et Mijat êtes restés à

8 l'extérieur de la pièce. Est-ce que vous avez entendu pendant cette période

9 ce qui se passait à l'intérieur de cette pièce ?

10 R. Dragoslav était là, nous avons entendu parler à l'intérieur de la

11 pièce, mais quand ils ont ouvert la porte et qu'ils l'ont jeté dehors, il

12 était déjà dans un très mauvais état à cause des coups qu'il avait subis.

13 Il ne pouvait plus le supporter. Il a commencé à perdre connaissance. Il

14 avait d'intenses douleurs et je me souviens que Nasim lui apportait des

15 cachets, et il a dit : "Prends ceci, c'est bon contre les douleurs."

16 Q. Pendant combien de temps est-ce que Dragoslav s'est trouvé dans la

17 pièce avant qu'on ne le jette à nouveau à l'extérieur ?

18 R. Je ne suis pas sûr, à peu près une demi-heure, peut-être plus, peut-

19 être moins, mais environ une demi-heure.

20 Q. Vous avez dit, quand on l'a fait sortir, vos mots étaient : "Il a

21 commencé à perdre connaissance." Je voudrais vous demander : est-ce qu'il

22 avait perdu connaissance ? Est-ce que vous avez pu lui parler à ce moment-

23 là ? Donnez-nous, s'il vous plaît, un peu plus de détails sur ces

24 instants ?

25 R. De temps à autre, oui, je pouvais. Il reprenait connaissance pendant un

26 petit instant, puis les douleurs revenaient. Les douleurs étaient si

27 intenses qu'il perdait connaissance tout le temps. Il perdait et reprenait

28 connaissance, perdait à nouveau connaissance.

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1 Q. Y a-t-il eu des moments où -- je vais vous reposer la question, y a-t-

2 il des moments où il redevenait conscient, des moments où vous avez pu lui

3 parler pendant ces moments, ces instants ?

4 R. Non. Parce que même quand il était conscient, il gémissait, il se

5 plaignait de ses douleurs. Il se peut qu'on ait échangé un ou deux mots,

6 mais je ne peux pas m'en souvenir maintenant, à ce stade, parce que

7 beaucoup de temps s'est écoulé depuis lors.

8 Q. Pendant combien de temps est-ce qu'ils ont gardé Mijat à l'intérieur de

9 la pièce, si vous pouvez nous le dire ? Aussi, est-ce que vous avez pu

10 entendre ce qui se passait lorsque Mijat a été emmené à l'intérieur de la

11 pièce ?

12 R. J'ai entendu porter des coups, j'ai entendu Mijat gémir à cause des

13 coups reçus. Je ne sais pas combien de temps il est resté là-dedans. Je ne

14 peux pas m'en souvenir, ce que je sais c'est que quand on l'a jeté dehors,

15 on m'a fait entrer et on m'a posé des questions dans le genre : Est-ce que

16 tu as des armes ? Combien y a-t-il de policiers à Decani ? Pour moi,

17 c'était simplement des questions qui leur donnaient un prétexte pour nous

18 frapper. Ils nous battaient de toute manière mais ils se servaient de ces

19 questions et de ces renseignements comme prétexte pour nous passer à tabac.

20 Ils m'ont frappé pendant environ une heure, ces deux-là, tout le

21 temps, et Zeqir était parmi eux. Puis il m'a dit d'enlever ma veste, mon

22 blouson et ma chemise, parce qu'il pensait que ce bâton qu'il utilisait, ce

23 gourdin, ne causait pas beaucoup de douleur. Alors il m'a dit de me tourner

24 contre le mur et de regarder l'angle. A ce moment-là, ils m'ont battu sur

25 la tête et sur le dos. Quiconque entrait dans la pièce me portait des coups

26 aussi.

27 Après cela, au bout d'un moment, Mijat a été ramené dans la pièce et

28 Zeqir lui a ordonné de se mettre torse nu. Il a obéi et il s'est mis à le

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1 battre. Puis, ils nous ont battus tous les deux pendant longtemps. Je ne

2 sais pas combien de temps cela a pris, mais cela a duré longtemps. Après

3 cela, ils nous ont jetés dehors. Quand ils l'ont fait, Dragoslav était dans

4 un très, très mauvais état.

5 Q. Vous avez dit beaucoup de choses maintenant. Je voudrais essayer de

6 reprendre un instant. Vous dites que quand on vous a emmenés dans la pièce,

7 il y avait deux hommes qui se trouvaient à l'intérieur. Vous dites que l'un

8 d'entre était Zeqir. Est-ce que vous savez qui était l'autre homme à

9 l'intérieur de la pièce ?

10 R. Non. Je ne les connaissais pas, donc je ne peux pas vous dire. Je ne

11 les connaissais pas. On m'a dit qu'il y avait là Zeqir. C'est Mijat qui

12 m'en a parlé. Mijat m'a dit que Zeqir était celui qui nous avait battus

13 avec cette matraque qui avait une sorte de ressort tout autour, il y avait

14 une balle ou une bille de métal tout en haut et ceci causait de très grande

15 douleur.

16 Cela a duré pendant longtemps, ensuite nous sommes sortis, à ce

17 moment-là, des civils - il y en avait qui portaient des vêtements civils et

18 d'autres qui portaient des uniformes - sont entrés dans cette pièce qui

19 s'appelait "sobura", et un homme que je connaissais parmi eux, Deli Lekaj.

20 Je le connaissais très bien. Il avait un lance-grenades manuel. Il portait

21 des vêtements civils, mais il avait ce lance-grenades et il a dit :

22 Pourquoi est-ce que vous êtes venu ici ? Je lui ai dit que j'étais venu

23 aider mes cousins. Il m'a dit : S'ils te laissent repartir vivant, ne

24 retourne jamais à Dasinovac parce que ce n'est qu'une question de temps

25 avant que nous mettions un barrage sur la route qui conduit à Dasinovac

26 dans le village de Pozar.

27 Q. Très bien. Je veux revenir un peu en arrière un instant. Pendant le

28 passage à tabac à l'intérieur de la pièce avec cette matraque ou ce

Page 2139

1 gourdin, combien de temps avez-vous été frappé avec cet engin, si vous

2 pouvez nous le dire ?

3 R. Pendant deux ou trois heures. Ils nous ont battus sans arrêt avec cette

4 matraque, avec leurs poings, avec les crosses de fusil. Ils nous ont

5 réellement battus comme plâtre.

6 Q. Est-ce que vous pourriez nous décrire quelle était la force des coups

7 que subissait votre corps ? Est-ce que vous pourriez nous dire quelque

8 chose à ce sujet, s'il vous plaît ?

9 R. Il nous frappait avec toute la force dont il disposait. Il prenait son

10 élan, quelques pas en arrière, et puis il donnait des coups avec cette

11 matraque de façon à ce que le coup soit aussi fort que possible.

12 Q. Redécrivez-nous cette matraque, s'il vous plaît. Quelle était sa

13 longueur ? Pouvez-vous nous montrer ceci avec vos mains ?

14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Kearney, est-ce que nous avons

15 vraiment besoin de ces détails ? Je veux dire, voilà le troisième témoin de

16 ces événements. Est-ce que nous avons besoin de savoir si c'était en bois

17 ou en plastique ? Je veux dire que le tableau semble avoir été décrit de

18 façon suffisamment détaillée pour le moment.

19 Veuillez poursuivre.

20 M. KEARNEY : [interprétation] Je vais poursuivre, Monsieur le Président. Je

21 vous remercie.

22 Q. Vous avez dit qu'à un moment donné on avait fait entrer Mijat dans la

23 pièce avec vous et qu'à ce moment-là le passage à tabac a continué ?

24 R. Oui, oui.

25 Q. Ensuite, après cela, on vous a jetés à nouveau à l'extérieur de la

26 pièce; est-ce que c'est exact ?

27 R. Oui, on nous a jetés hors de la pièce à l'endroit où gisait déjà

28 Dragoslav sur le sol en ciment et il était en très, très mauvais état.

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1 Q. Est-ce que vous pourriez décrire dans quel état était Dragoslav à ce

2 moment-là, s'il vous plaît. Quel était son état ? Est-ce qu'il était

3 conscient ou inconscient, à ce moment-là ?

4 R. Il souffrait intensément. Il vomissait du sang. Il y avait des soldats

5 qui s'approchaient de lui et lui donnaient des coups de pied, malgré son

6 état, dans ce couloir où nous nous trouvions.

7 Q. Est-ce que vous-même vous avez reconnu un quelconque de ces soldats qui

8 le battaient ou lui donnaient des coups de pied ?

9 R. Non.

10 Q. Vous avez dit que pendant cette période que vous avez eu une

11 conversation avec un homme que vous connaissiez qui avait pour nom Lekaj;

12 c'est bien cela ?

13 R. Oui, Deli Lekaj.

14 Q. Comment se fait-il que vous connaissiez Deli Lekaj ?

15 R. Je le connaissais. J'ai appris à le connaître parce qu'il rencontrait

16 un de mes parents et c'est par le truchement de ce parent que je l'ai

17 connu. Nous avons continué à avoir des rapports agréables. Nous sommes

18 allés à Prizren pour aller chercher du blé. Il avait un camion qu'il

19 conduisait.

20 Q. Vous avez dit plus tôt qu'il portait une arme. Etait-il vêtu en

21 militaire ou en civil à l'époque ?

22 R. Il portait des vêtements civils.

23 Q. Les hommes qui vous battaient à l'intérieur de cette pièce, est-ce

24 qu'ils étaient en vêtements militaires ou en tenue civile ?

25 R. Un portait un uniforme militaire normal de l'armée régulière et les

26 autres avaient des uniformes ou des vêtements civils, parce qu'il y en

27 avait qui entraient et qui sortaient et toutes sortes de personnes qui

28 portaient toutes sortes d'effets, de pièces de vêtements.

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1 Q. Vous avez dit plus tôt que lorsque vous avez parlé à M. Lekaj, il vous

2 a donné des conseils; est-ce exact ? Pourriez-vous nous dire ce que

3 c'était, si vous pouvez.

4 R. Oui, oui. Son conseil, le conseil qu'il m'a donné c'est : S'ils vous

5 laissent repartir d'ici, vous rentrez chez vous. S'ils vous laissent

6 repartir vivant, n'allez plus à Dasinovac, ne prenez pas la route qui

7 conduit chez vous parce que c'est seulement une question de temps avant

8 qu'on ne mette un barrage sur la route à Pozar. Après cela, vous serez à

9 nouveau mis en prison, peut-être torturé, peut-être pire encore. Mais quoi

10 qu'il en soit, ne retournez pas chez toi.

11 Q. Maintenant, Monsieur Stijovic, ce conseil ou cet avertissement

12 concernant le barrage sur la route près de Pozar, sur la base de ce que

13 vous avez appris, est-ce qu'à un moment donné ceci s'est révélé exact ?

14 R. Oui.

15 Q. Quand est-ce que cela a eu lieu ? Veuillez nous le dire.

16 R. Je ne sais pas quand cela a eu lieu, quand cela a été fait, mais je

17 sais que Stanisa Radosevic, Novak Stijovic et la mère de Stanisa Radosevic

18 ont été capturés là dans le village de Pozar.

19 Q. Un jour plus tard, à un moment donné, c'était après que vous soyez

20 passés à tabac, vous avez été relâchés ?

21 R. Est-ce qu'ils nous ont relâchés ? Ils étaient dans le couloir. Il y

22 avait la sécurité qui nous gardait. Ils ont amené Mijat avec eux pour

23 réparer la Lada. Ils ont dit : Il faut que tu viennes avec nous réparer la

24 Lada. Dragoslav et moi-même sommes restés là. Ils nous ont fait sortir dans

25 la cour devant la maison pour nous laver à une pompe pour ôter le sang.

26 Bien qu'il ait été en si mauvais état, nous sommes sortis pour nettoyer le

27 sang. J'ai fait la même chose pour lui.

28 Ils nous ont forcés à ôter le sang dont nous étions recouverts, notamment

Page 2142

1 la tête et les oreilles, et ainsi de suite. C'est probablement lorsqu'ils

2 ont décidé de nous laisser partir, mais cela c'était juste avant que nous

3 ne partions -- enfin, Mijat est revenu plus tard. Il a dit qu'il ne pouvait

4 pas réparer la Lada. Ils nous ont amenés et nous ont ordonnés de retourner

5 à Dubrava à leur maison. Nous sommes allés à pied et un tracteur est passé.

6 Parce que Dragoslav était en si mauvais état, on l'a mis sur ce tracteur et

7 lentement nous nous sommes mis en route derrière le tracteur jusqu'à ce que

8 nous parvenions à leur maison à Dubrava. Mijat a été amené devant la maison

9 --

10 Q. Je vous arrête un instant. Je voudrais qu'avant que nous ne retournions

11 à Dubrava, vous avez dit à un moment donné qu'après que Mijat soit allé

12 réparer la Lada, vous et Dragoslav êtes sortis dans la cour à côté de la

13 pompe à eau pour nettoyer et laver vos blessures; est-ce que c'est exact ?

14 R. Oui, ils nous ont fait sortir sur un endroit qui se trouvait devant la

15 maison pour que nous nous lavions.

16 Q. Vous êtes allés depuis le couloir où vous aviez été détenus jusqu'à la

17 pompe à eau, comment êtes-vous allés jusque-là ? Est-ce que vous et

18 Dragoslav avez marché ? Est-ce qu'on vous a portés ? Est-ce qu'on vous a

19 traînés ? Comment est-ce que vous êtes arrivés jusque-là ? Comment est-ce

20 que vous avez fait pour sortir ?

21 R. J'ai aidé Dragoslav à se mettre debout. Il y avait quelques soldats qui

22 nous gardaient là dans le couloir et qui nous ont escortés. C'était très

23 difficile. On arrivait à peine à le faire descendre, à l'emmener en bas.

24 Bien qu'il ait été dans un état aussi épouvantable, ils ont refusé de nous

25 aider pour utiliser la pompe pour nous laver, mais nous avons dû nous aider

26 l'un l'autre pour enlever le sang. Je suppose que c'est parce qu'ils

27 avaient décidé de nous laisser repartir, parce qu'ils ne voulaient pas

28 qu'on nous voie tout ensanglantés.

Page 2143

1 Q. Bien. Je vous arrête-là, Monsieur Stijovic. Ma question était

2 simplement celle-ci : vous avez dit que vous aviez aidé Dragoslav à

3 descendre pour aller jusqu'à la pompe. Est-ce qu'il était capable de

4 marcher seul un petit peu ou est-ce que vous avez dû le porter jusqu'à la

5 pompe ?

6 R. J'ai dû le porter même s'il était capable de rester debout. Il

7 tremblait beaucoup. Je ne l'ai pas véritablement porté dans mes bras.

8 Q. Malgré le fait qu'il tremblait sur ses jambes, qu'il avait les jambes

9 flageolantes, est-ce que vous dites dans la déposition qu'il a été capable

10 de faire fonctionner la pompe à eau; c'est bien cela ?

11 R. Il a bien fallu.

12 Q. Maintenant, parlez-nous du retour à Dubrava. Vous avez dit qu'un

13 tracteur est venu, que Dragoslav a été placé sur ce tracteur et que vous,

14 vous avez marché; c'est bien cela ?

15 R. Oui, oui, parce que lui, il était dans un si mauvais état qu'on l'a mis

16 sur le tracteur. En fait même, nous l'avons aidé à y monter et nous avons

17 marché lentement derrière le tracteur, derrière lui, Mijat et moi, bien sûr

18 il y avait les soldats qui nous escortaient et ceux qui se trouvaient le

19 long de la route.

20 Quand nous sommes arrivés à leur maison, nous sommes restés là à

21 l'entrée dans la cour. Ils ont emmené Mijat dans un coin de la maison. Il a

22 fallu qu'il enlève ce qui emballait un arbre fruitier qu'on avait mis là

23 pour essayer de le protéger contre le froid, puis ils sont entrés dans la

24 maison. Ils ont pris une étoffe, un drap ou quelque chose qu'ils ont coupé

25 en plusieurs morceaux pour nous faire des bandeaux. Ils nous ont mis des

26 bandeaux sur les yeux. Ils nous ont attaché les poignets, puis dans une

27 voiture on nous a amenés au village de Babaloc, un endroit qui était proche

28 du village de Babaloc.

Page 2144

1 De temps à autre, ils s'arrêtaient en route. Je ne sais pas s'il y

2 avait des points de contrôle ou simplement un groupe de soldats. Je ne sais

3 pas qui avait organisé cela. Ces gens

4 demandaient : Qui sont ces gars ? Pourquoi est-ce que vous les laissez

5 filer ? Leur réponse c'était : Ce sont des bons, ceux-là. Nous avons décidé

6 de les relâcher, et ainsi de suite.

7 Ceci a eu lieu en plusieurs endroits. Ils nous ont emmenés dans une

8 voiture qui était une Opel Ascona rouge. C'était la voiture dans laquelle

9 nous étions et, dans cette voiture, ils nous ont emmenés vers Babaloc dans

10 un endroit qui était proche d'un camp de réfugiés. Ils nous ont, à ce

11 moment-là, éjectés de la voiture et ils nous ont dit de regarder devant

12 nous, de ne pas regarder en arrière ni de côté, sinon ils nous tueraient.

13 Nous nous sommes mis en route lentement, à un moment donné Dragoslav

14 n'était plus capable de marcher, ne pouvait plus faire un pas de plus, donc

15 je suis resté avec lui. J'ai essayé de l'aider à avancer, même très

16 lentement. Mijat est allé en courant jusqu'au camp de réfugiés et est

17 revenu avec un homme qui, à ce moment-là, nous a emmenés avec un véhicule

18 au centre médical de Decani où nos blessures ont été pansées, ensuite on

19 nous a envoyés à l'hôpital à Decani.

20 Q. Je vous arrête un instant --

21 R. Au moment où nous sommes arrivés là, Dragoslav --

22 Q. Je vous arrête un moment. Avant que nous parlions de l'hôpital de

23 Decani, je voudrais revenir un petit peu en arrière. Vous avez dit tout à

24 l'heure dans votre déposition que lors de l'itinéraire de Dubrava pour

25 aller à un endroit qui était près de Babaloc, vous aviez rencontré ce que

26 vous avez appelé des points de contrôle ou des barrages. Vous aviez encore

27 les bandeaux sur les yeux à ce moment-là, c'est bien cela, Monsieur

28 Stijovic ?

Page 2145

1 R. Oui, oui, mais c'étaient les groupes qui se trouvaient là qui

2 arrêtaient l'Ascona et qui demandaient : Mais qui sont ces gars ? Pourquoi

3 vous les laissez partir ? Certaines de ces personnes nous insultaient.

4 Alors, Nasim disait : Bien, ceux-là, c'est des bons. Nous avons décidé

5 qu'on allait les laisser repartir.

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Kearney, j'ai une question.

7 Vous avez parlé du tracteur que vous avez pris de Gllogjan pour aller chez

8 Dragoslav. Qui conduisait le tracteur ?

9 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne sais pas. C'était une de ces personnes

10 de Glodjane. Je ne sais pas qui c'était, qui conduisait le tracteur.

11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais c'était l'une des personnes qui

12 vous avait fait prisonnier ou qui appartenait à ce groupe ?

13 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne crois pas qu'il faisait partie du groupe

14 qui nous avait fait prisonnier, mais je ne sais pas parce que je ne

15 connaissais presque personne de ce groupe. Je ne peux pas vraiment vous

16 dire s'il en faisait partie ou non, ou s'il avait participé à ceci ou non.

17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez poursuivre, Monsieur Kearney.

18 M. KEARNEY : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

19 Q. Ces hommes qui conduisaient la voiture, l'Ascona rouge, est-ce qu'ils

20 faisaient partie de ceux qui vous avaient fait prisonnier à l'origine ? Qui

21 étaient-ils, s'il vous plaît ?

22 R. Je ne sais pas qui conduisait la voiture. Je ne sais pas quel était cet

23 homme, mais dans le siège du passager avant, il y avait Nasim - je crois

24 que c'est - Haradinaj. Je ne suis pas absolument sûr de son nom de famille,

25 mais son prénom c'était Nasim.

26 Q. Il y avait un ou deux hommes à l'avant de l'Ascona ?

27 R. Deux.

28 Q. Nasim, l'homme dont vous venez de parler, est-ce qu'il conduisait ou

Page 2146

1 est-ce qu'il était passager ?

2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Kearney, si vous regardez la

3 dernière question, il dit que dans le siège du passager à l'avant il y

4 avait Nasim.

5 M. KEARNEY : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

6 Q. Est-ce que ces deux hommes étaient armés ? Est-ce qu'ils portaient des

7 uniformes ?

8 R. Je ne peux pas m'en souvenir. Nasim portait un tricot et des pantalons

9 d'uniforme de camouflage, mais pour les deux autres je ne sais pas, parce

10 que j'avais un bandeau sur les yeux et ils ne sont jamais sortis de la

11 voiture.

12 Q. Lorsque vous dites "les deux autres," est-ce qu'il y avait deux autres

13 hommes dans la voiture en plus de Nasim et vous-même et vos cousins ?

14 Veuillez nous dire exactement ce que vous voulez dire.

15 R. Nasim, le conducteur et nous trois à l'arrière, nous étions attachés.

16 Q. Lorsqu'on vous a amenés -- enfin, vous dites qu'on vous a emmenés à un

17 endroit près de Babaloc et on vous a fait sortir de la voiture et vous

18 aviez un bandeau sur les yeux, est-ce qu'on a ôté les liens autour de vos

19 poignets à ce moment-là; c'est bien cela ?

20 R. Oui, oui.

21 Q. Au moment où on vous a détachés, est-ce qu'il y avait des soldats de

22 l'UCK à cet endroit-là ?

23 R. Où cela ? Lorsqu'ils nous ont détaché les poignets ? Les deux qui nous

24 ont emmenés là-bas nous ont détachés les mains. Nous ne devions regarder ni

25 derrière nous, ni à droite ni à gauche. Nous avions pour consigne de

26 regarder droit devant nous. Je ne sais pas s'il y a des soldats de l'UCK

27 qui se trouvaient là, en plus des deux qui nous avaient conduits jusque-là.

28 Q. Les deux soldats, Nasim et l'autre homme, est-ce qu'ils avaient tiré

Page 2147

1 leurs armes à ce moment-là, lorsqu'on était en train de vous détacher ?

2 Est-ce qu'ils avaient braqué leurs armes vers vous ou est-ce qu'ils étaient

3 dans leur fonte ?

4 R. Lorsqu'ils ont défait nos liens, ils avaient tiré leurs armes et ils

5 nous ont dit de marcher droit devant nous et de ne pas regarder en arrière

6 parce que, sans cela, ils nous tireraient dessus et nous tueraient. C'est

7 cela qu'ils voulaient dire.

8 Q. Est-ce que c'est bien ce que vous avez fait ? Est-ce que vous êtes

9 partis en marchant tout droit à partir de là ?

10 R. Oui, nous avons marché. Nous n'avons pas osé regarder en arrière. Pour

11 commencer, nous avons avancé tous les trois ensemble, puis au bout d'un

12 moment, je suis resté en arrière avec Dragoslav pour l'aider. Mijat, Kika,

13 est allé au camp de réfugiés et a demandé à un homme qui avait une voiture

14 de venir nous chercher et de nous conduire à l'hôpital à Decani, au centre

15 médical de Decani.

16 Q. Est-ce que c'était un camp de réfugiés qui se trouvait là, où est-ce

17 que c'était ? C'était à Babaloc, Monsieur Stijovic ?

18 R. Oui, à Babaloc.

19 Q. A partir de l'endroit où on vous a relâchés jusqu'au moment où vous

20 êtes effectivement arrivés à Babaloc, quelle était la distance ? A quelle

21 distance à l'extérieur de Babaloc vous trouviez-vous et vous a-t-on

22 relâchés ?

23 R. C'était à environ 500 mètres du camp, peut-être un petit peu moins,

24 mais quelque chose comme cela, pour autant que je puisse m'en souvenir.

25 Q. Ce camp de réfugiés dont vous avez parlé, c'était un camp de réfugiés

26 pour les Serbes je suppose, est-ce que c'est juste ?

27 R. Oui, c'était pour des Serbes d'Albanie.

28 Q. A ce moment-là, est-ce que le village de Babaloc était dans une zone

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1 contrôlée par les Serbes, le savez-vous ?

2 R. Je n'ai pas compris la question, que voulez-vous dire par sous le

3 contrôle des Serbes ? C'était un camp qui était destiné à acceuillir des

4 Serbes qui avaient dû fuir l'Albanie. Il logeait des réfugiés d'Albanie qui

5 étaient des Serbes en majorité.

6 Q. Quand vous êtes arrivés dans la zone de ce camp de réfugiés, est-ce que

7 vous y avez vu des policiers ou des soldats serbes à ce moment-là ?

8 R. Non.

9 Q. Y avez-vous vu d'autres soldats de l'UCK dans ce secteur du camp de

10 réfugiés de Babaloc ?

11 R. Non.

12 Q. Dans le camp de réfugiés de Babaloc, ces Serbes qui avaient fui

13 l'Albanie et avec qui vous avez pu vous entretenir, vous ont-ils dit qu'ils

14 avaient la liberté de circuler comme ils le voulaient à leur gré, ou est-ce

15 qu'ils étaient prisonniers ? Est-ce qu'ils étaient sous la garde quelqu'un,

16 ou est-ce qu'ils étaient simplement logés à cet endroit ?

17 R. Où cela à Babaloc ?

18 Q. Oui.

19 R. C'étaient des maisons et ils y habitaient. Ils se déplaçaient, ils

20 circulaient dans la cour et un peu partout.

21 Q. Vous avez dit qu'à un certain moment, un peu plus tard au cours de

22 cette même journée, vous êtes allés quelque part recevoir des soins

23 médicaux. Pourriez-vous nous donner plus de détails, je vous prie ?

24 R. Nous avons d'abord été reçus au centre médical, au dispensaire de

25 Decani où on nous a dispensé les premiers soins de là on nous a transférés

26 à l'hôpital de Pec. Nous sommes allés à l'hôpital de Pec. On nous a fait

27 des radios. Dès qu'ils ont vu les radios, ils ont décidé qu'il fallait nous

28 transférer à Pristina. Dragoslav, compte tenu des blessures qui se sont

Page 2149

1 vues aux rayons X, a été embarqué à bord d'une ambulance pour Pristina. Ils

2 ont dit à Mijat et à moi de rester là où nous étions pour nous faire

3 soigner sur place. Ce que j'ai refusé, tout comme Mijat, pour des raisons

4 de sécurité personnelle. Je me sentais mieux à la maison, au milieu de ma

5 famille. J'avais trop peur de rester là à l'hôpital.

6 Q. Pourriez-vous décrire les lésions physiques dont vous souffriez ce

7 jour-là, suite aux coups que vous avez reçus ?

8 R. J'avais des plaies sur la tête. Mon oreille était gonflée. J'avais des

9 bosses un peu partout sur la tête. Mon dos était couvert d'hématomes, au

10 niveau des reins aussi, à cause des coups qu'ils nous ont infligés.

11 Q. Combien de temps avez-vous souffert de ces lésions ?

12 R. Pendant 20 jours au moins, et même plus. J'ai gardé les hématomes, j'ai

13 senti la douleur pendant 20 jours et plus.

14 Q. Y a-t-il eu un moment, Monsieur Stijovic, où vous avez quitté le

15 Kosovo ?

16 R. Exact.

17 Q. Cela s'est passé quand ?

18 R. Je suis parti du Kosovo en juin 1999, si je me souviens bien.

19 Q. Pour quelle raison êtes-vous parti ?

20 R. Pour quelle raison ? Je suis parti parce que j'avais peur de rester là-

21 bas. Etant donné ce que j'avais vécu une fois, je ne souhaitais pas que la

22 même chose ou pire se répète.

23 Q. En quittant le Kosovo, avez-vous laissé derrière vous des biens qui

24 vous appartenaient ?

25 R. Tout ce que je possédais est resté là-bas. A Dasinovac, je possédais

26 une maison, une étable, 4 hectares et 75 ares de terre. Tout cela est resté

27 là-bas à Dasinovac.

28 Q. Après avoir subi tous ces coups et avoir été remis en liberté, avez-

Page 2150

1 vous essayé de retourner sur votre propriété à Dasinovac ?

2 R. Non.

3 Q. Merci.

4 M. KEARNEY : [interprétation] Je n'ai plus de questions pour le témoin,

5 Monsieur le Président.

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Monsieur Kearney.

7 Maître Emmerson, je me pose simplement la question de savoir si la pause ne

8 devrait pas se faire maintenant.

9 M. EMMERSON : [interprétation] J'aurais une petite question de procédure à

10 vous soumettre avant le contre-interrogatoire en tout état de cause. Si

11 vous décidez de reprendre l'audience à 12 heures 30, je crois vraiment que

12 je pourrais finir le contre-interrogatoire de ce témoin avant la fin de la

13 prochaine tranche de la matinée, ce qui laissera du temps pour les

14 questions supplémentaires éventuelles.

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

16 Maître Guy-Smith ou Maître Harvey, aurez-vous besoin d'interroger le

17 témoin ?

18 M. GUY-SMITH : [interprétation] Si j'ai des questions à lui poser, elles

19 seront au nombre de trois.

20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

21 Maître Harvey.

22 M. HARVEY : [interprétation] Pas davantage, c'est certain.

23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je propose que nous demandions à Mme

24 l'Huissière d'escorter le témoin hors de la salle d'audience. Nous allons

25 faire la pause, Monsieur, et nous reprendrons nos débats dans 20 minutes

26 environ.

27 M. KEARNEY : [interprétation] Monsieur le Président, une question de

28 calendrier. La Chambre de première instance a reçu la communication du

Page 2151

1 bureau du Procureur au sujet du calendrier pour aujourd'hui parce que

2 s'agissant des autres témoins --

3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Nous l'avons reçue.

4 M. KEARNEY : [interprétation] Merci.

5 [Le témoin quitte la barre]

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il y a une autre question dont

7 j'aimerais traiter avant de vous donner la parole, Maître Emmerson. La

8 Chambre a demandé à l'Accusation de lui communiquer des documents sur une

9 question particulière que je décrirais de façon générale comme étant la

10 situation du point de vue de la sécurité au Kosovo. Nous comprenons bien

11 aussi que l'Accusation peut craindre que ces documents soient contaminés

12 par des questions susceptibles de ne pas être favorables à l'accusé. Par

13 conséquent, il a été proposé, si j'ai bien compris, de soumettre à la

14 Chambre un accord sur les faits au sujet de cette situation relative à la

15 sécurité.

16 M. EMMERSON : [interprétation] Puis-je répondre brièvement ?

17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

18 M. EMMERSON : [interprétation] La position est la suivante : les documents

19 demandés par la Chambre ainsi que d'autres d'ailleurs sont de qualité très

20 diverse. Certains ont déjà été présentés à la Chambre de première instance

21 ainsi qu'à la Chambre d'appel au cours des demandes de mise en liberté

22 provisoire et, dans tous les cas, les conclusions qui ont été faites

23 consistaient à dire qu'il n'y avait aucun fondement, en tout cas,

24 s'agissant de mon client, qui permettrait de tirer des conclusions

25 négatives par rapport à lui dans ces documents. Mais il y a un certain

26 nombre de questions qui se posent au sujet de ces documents et j'aimerais

27 pouvoir les indiquer dans leur grande ligne.

28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

Page 2152

1 M. EMMERSON : [interprétation] D'abord, qu'est-ce que ces documents peuvent

2 ajouter aux documents déjà versés au dossier; deuxièmement, quel est le

3 format le plus opportun pour procéder au versement au dossier de ces

4 documents; troisièmement, quelles sont les questions qui sont traitées.

5 J'ai eu la possibilité de communiquer brièvement avec un membre du

6 personnel de la Chambre de première instance qui m'a appris que les Juges

7 s'intéressaient particulièrement au troisième critère relatif aux mesures

8 de protection des témoins, s'agissant de témoins qui n'avaient pas été

9 menacés personnellement. Ce critère s'applique à une situation

10 éventuellement instable.

11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais le troisième critère, c'est la

12 situation instable sur le plan de la sécurité dans le territoire qui peut

13 être très dommageable au témoin acceptant de témoigner devant le Tribunal.

14 Voilà quel est le critère ?

15 M. EMMERSON : [interprétation] Oui. Monsieur le Président, puis-je répondre

16 en quelques mots. La démarche la plus opportune a fait l'objet de

17 discussions animées au sein des équipes de la Défense et, bien entendu,

18 fera l'objet de discussions avec nos clients.

19 Il y a une option possible, c'est une option que nous avons déjà appliquée

20 dans d'autres affaires, à savoir que la Défense n'a pas d'objections par

21 rapport aux mesures de protection demandées par des témoins éventuellement,

22 pour peu que le deuxième critère ait été établi en bonne et due forme,

23 ainsi que le premier, bien entendu. En d'autres termes, il faut que la

24 déposition soit telle qu'elle permette de montrer un rapport direct entre

25 le témoin et le Kosovo C'est notre position depuis le début et je n'ai

26 aucune raison de supposer qu'un changement est intervenu entre-temps. Le

27 seul témoin par rapport auquel nous avons posé une question à cet égard

28 était le témoin qui a fait l'objet des dernières demandes de mesures de

Page 2153

1 protection, c'est-à-dire Stanisa Radosevic, mesures qui n'ont pas été

2 accordées parce que ce critère n'était pas rempli.

3 Voilà, je pense que c'est clair. Des discussions animées ont eu lieu au

4 sein des équipes de Défense et auront lieu en temps utile entre les parties

5 sur la possibilité d'un accord, le cas échéant. Mais s'il n'y a pas

6 d'objection par rapport aux mesures de protection, elles ne seront pas

7 présentées lorsque les critères que je viens de décrire auront été

8 respectés. Voilà ce que je voulais dire officiellement à la Chambre de

9 première instance. Excusez-moi de mes explications un peu longues.

10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Les Juges ont très bien compris.

11 Monsieur Di Fazio et Monsieur Kearney, le terme de "litige collatéral" est

12 un peu nouveau pour moi, mais il exprime bien ce qui peut devenir un

13 problème, à savoir si une question qui fait l'objet d'un litige n'a pas été

14 discutée de façon détaillée, elle peut donner lieu à un problème par

15 rapport à l'application du troisième critère.

16 Monsieur Di Fazio, si les deux parties s'entendent, est-ce que, d'une façon

17 ce sont des termes généraux bien entendu, parce qu'évidemment il y aura des

18 exceptions si des situations exceptionnelles se présentent. Mais si

19 l'Accusation est prête à éventuellement conclure un accord avec la Défense,

20 cela nous permettrait de ne pas passer trop de temps à réfléchir à la

21 question de savoir si le troisième critère est respecté ou pas.

22 M. DI FAZIO : [interprétation] Monsieur le Président, Monsieur Kearney et

23 moi-même ne sommes pas tout à fait au clair sur cette question. Toutefois,

24 il y a un point sur lequel je peux m'exprimer plus fermement, à savoir que

25 l'Accusation serait prête à envisager un éventuel accord. Cela j'en suis

26 certain. Je suis sûr que nous pouvons au moins entrer dans un débat avec la

27 Défense pour voir si une possibilité existe d'aboutir à un résultat.

28 M. EMMERSON : [interprétation] J'avais déjà évoqué cela avec M. Re.

Page 2154

1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, et je suppose que l'Accusation ne

2 déposera plus de documents tant que ces conversations ne seront pas

3 parvenues à leur terme.

4 M. DI FAZIO : [interprétation] Je suis certain que ce sera le cas.

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Par conséquent, la Chambre aimerait dire

6 que si aucun accord n'est conclu, la Chambre devra se pencher sur la

7 meilleure façon d'organiser le dépôt de ces documents.

8 Bien, je vous remercie. D'autres questions, Maître Emmerson.

9 M. EMMERSON : [interprétation] Non.

10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous suspendons jusqu'à 12 heures 35. Ce

11 sera suffisant ?

12 M. EMMERSON : [interprétation] Oui.

13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous avons besoin de 20 minutes.

14 --- L'audience est suspendue à 12 heures 13.

15 --- L'audience est reprise à 12 heures 38.

16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Avant de vous donner la parole pour le

17 contre-interrogatoire du témoin, Maître Emmerson, j'aurais une question,

18 une précision à vous demander, Monsieur Kearney.

19 Monsieur Kearney, je cherche le passage du compte rendu d'audience pour le

20 citer précisément. Je crois me rappeler que vous avez dit au témoin, vous

21 avez mentionné M. Lekaj. Or, je n'ai pas trouvé l'endroit où le témoin est

22 censé avoir mentionné M. Lekaj précédemment dans sa déposition.

23 M. KEARNEY : [interprétation] C'était un peu plus tôt, Monsieur le

24 Président, au moment où il répondait en relatant une série d'événements. Il

25 a dit qu'il l'avait rencontré à l'extérieur de la pièce, un homme répondant

26 au nom de Lekaj, ensuite je suis rentré, a-t-il dit.

27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais la première fois je n'ai pas trouvé

28 la première mention.

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1 M. KEARNEY : [interprétation] Je crois qu'il y a eu une erreur

2 d'orthographe au compte rendu d'audience. Le nom a été écrit D-e-l-i.

3 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Oui, il y a eu une erreur

4 d'orthographe la première fois, J-e-k-a-j. C'est en page 58 du compte

5 rendu, ligne 6.

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, merci beaucoup.

7 Maître Emmerson, veuillez procéder.

8 Monsieur Stojanovic, vous allez maintenant répondre aux questions de Me

9 Emmerson qui procède au contre-interrogatoire, étant le conseil de la

10 Défense de M. Haradinaj.

11 M. EMMERSON : [interprétation] Vous m'accordez un instant, Monsieur le

12 Président.

13 Contre-interrogatoire par M. Emmerson :

14 Q. [interprétation] Monsieur Stijovic, avant de commencer, j'aimerais

15 m'assurer que vous comprenez bien les questions qui vous sont posées dans

16 une langue que vous comprenez. Vous hochez du chef. Donc vous avez bien

17 compris les questions qui vous étaient posées par M. Kearney, par exemple ?

18 R. Oui.

19 Q. Vous n'avez eu aucun problème de compréhension quand il vous a

20 interrogé grâce aux interprètes ?

21 R. Non.

22 Q. Notamment, vous avez bien compris la question qu'il vous a posée

23 lorsqu'il vous a interrogé au début au sujet de votre carrière

24 professionnelle ?

25 R. Oui.

26 Q. Vous n'avez eu aucune difficulté à comprendre ce qu'il vous demandait ?

27 R. Non.

28 Q. J'aimerais vous demander un détail complémentaire.

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1 M. EMMERSON : [interprétation] Je demande qu'on affiche à l'écran le

2 document de la Défense dont le numéro d'identification est 1D0040029 pour

3 la version anglaise. Pour la version B/C/S, le numéro est différent car les

4 deux ne sont pas annexés l'un à l'autre pour l'instant. Donc, le numéro

5 pour la version B/C/S est 1D0040038. Je me suis trompé, ces deux documents

6 sont annexés l'un à l'autre.

7 Q. Monsieur Stijovic, pourriez-vous je vous prie vous rendre au bas de ce

8 document pour vérifier si c'est bien votre signature qui est apposée à cet

9 endroit ?

10 M. EMMERSON : [interprétation] D'abord, je voudrais que l'on montre au

11 témoin la première page de la version anglaise ?

12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

13 M. EMMERSON : [interprétation]

14 Q. Vous voyez en bas. Est-ce que c'est votre signature qu'on voit au bas

15 de la page ?

16 R. Oui.

17 M. EMMERSON : [interprétation] Maintenant, j'aimerais que l'on affiche à

18 nouveau la version en B/C/S à l'intention du témoin.

19 Q. Ceci, Monsieur, est une traduction dans votre langue de la déclaration

20 que vous avez faite au bureau du Procureur le 28 mai 2002. Vous y trouvez

21 tous les détails y compris votre nom, et cetera.

22 Je vous demanderais de lire ce qui figure un peu plus bas, au bas de

23 l'écran, juste en dessous de la ligne qu'on voit dans le texte. Du côté

24 droit, on trouve mention de votre dernier emploi. On lit le mot menuisier;

25 c'est bien cela ?

26 R. Oui, à l'usine de meubles.

27 Q. Quant à votre emploi actuel en mai 2002, donc emploi actuel de l'époque

28 où le texte a été rédigé, il est dit que vous étiez réceptionniste dans les

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1 rangs de l'armée yougoslave. C'est bien

2 cela ?

3 R. J'étais sous-traitant pour l'armée yougoslave, oui.

4 Q. Et --

5 R. J'étais soldat sous contrat dans l'armée yougoslave depuis 2000.

6 Q. Qu'est-ce que c'est qu'un soldat sous contrat de l'armée yougoslave ?

7 Qu'est-ce que cela signifie ?

8 R. J'avais un contrat. J'étais sous-traitant, sous-traitant dans le

9 domaine de la fourniture de matériels de construction. Si on ne donne pas

10 satisfaction, si les performances que l'on atteint ne sont pas suffisantes

11 au bout d'un an, le contrat n'est pas prorogé. Voilà ce que cela signifie.

12 Q. Je comprends. Mais vous avez dit soldat sous contrat. Qu'est-ce que

13 cela signifie soldat sous contrat ?

14 R. Ce que cela signifie ?

15 Q. Oui.

16 R. Depuis l'an 2000, je travaille en tant que soldat de l'armée yougoslave

17 sous contrat pour la fourniture de matériel de construction.

18 Q. Vous avez un grade ?

19 L'INTERPRÈTE : La réponse du témoin était inaudible pour les interprètes.

20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Pourriez-vous répéter votre réponse,

21 Monsieur Stijovic, je vous prie ? Ce que vous avez répondu quand on vous a

22 demandé quel était votre grade ?

23 LE TÉMOIN : [interprétation] Caporal-chef.

24 M. EMMERSON : [interprétation]

25 Q. Quand avez-vous commencé à travailler pour l'armée yougoslave en tant

26 que caporal-chef ?

27 R. Le 3 avril 2000.

28 Q. J'aimerais maintenant vous interroger au sujet d'une réponse que vous

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1 avez faite à une autre question de M. Kearney. Vous vous rappelez qu'il y a

2 à peine un instant, je vous ai demandé si vous aviez tout à fait compris

3 les questions qui vous étaient posées par M. Kearney et vous avez répondu

4 par l'affirmative.

5 M. EMMERSON : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

6 je vais maintenant faire référence à la page 39 du compte rendu d'audience.

7 En fait, cela commence au bas de la page 38, à la ligne 25 de la page 38.

8 Q. Je vais vous donner lecture de ce passage très lentement, Monsieur

9 Stijovic, de façon à ce que vous compreniez bien la question qui vous est

10 posée et ce que vous nous avez dit sous serment.

11 M. Kearney vous pose la question suivante, je cite : "Veuillez nous dire

12 aujourd'hui quel est votre emploi ?

13 "Réponse : Je suis machiniste dans la construction aujourd'hui.

14 "Question : Durant votre carrière professionnelle, vous est-il arrivé

15 à quelque moment que ce soit de travailler pour l'armée yougoslave, je vous

16 prie ?

17 "Réponse : Non."

18 Pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez répondu cela, je vous prie ?

19 M. KEARNEY : [interprétation] Monsieur le Président, excusez-moi, Monsieur

20 Stijovic.

21 Je vais demander que Me Emmerson pose la question qu'il veut poser

22 sans question de suivi, sans commentaire ultérieur --

23 M. EMMERSON : [interprétation] Non, non.

24 M. KEARNEY : [interprétation] -- cela rendrait la question plus claire.

25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Kearney, c'est moi qui vais

26 vous reposer la question que vous a déjà posée Me Emmerson. Me Emmerson

27 vous a demandé lorsque vous avez répondu : "non" à la question de savoir si

28 à quelque moment que ce soit vous aviez travaillé pour l'armée yougoslave,

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1 pourquoi vous avez répondu non ? Pourquoi vous n'avez pas dit à Me Emmerson

2 que --

3 LE TÉMOIN : [interprétation] Jusqu'à l'an 2000, je n'avais jamais

4 travaillé pour l'armée yougoslave. J'avais compris que la question portait

5 sur la période allant jusqu'à l'an 2000. A partir de l'an 2000, j'ai obtenu

6 un travail dans les rangs de l'armée.

7 M. EMMERSON : [interprétation]

8 Q. La question, Monsieur Stijovic --

9 R. Peut-être j'ai mal compris la question la première fois que je l'ai

10 entendue. Je pensais que la question portait sur la période dont nous

11 parlions, la période de 1997 à 1999.

12 Q. Je vais revenir sur ce point, parce que je vous ai demandé il y a un

13 instant si vous aviez tout à fait bien compris la question qui vous a été

14 posée par M. Kearney.

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] En même temps, Maître Emmerson, si vous

16 lisez la page 38 du compte rendu d'audience, ligne 23, vous y trouverez la

17 mise en place d'un cadre temporel. Je crois que ce que vous venez de dire a

18 été très bien compris par chacun ici. Je ne sais pas si vous devriez

19 poursuivre dans ce sens; enfin, je vous en laisse la décision.

20 M. EMMERSON : [interprétation] Puis-je poursuivre parce que le témoin a été

21 assez clair.

22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

23 M. EMMERSON : [interprétation]

24 Q. Monsieur Stijovic, lorsqu'on vous a demandé : "Est-ce que vous avez été

25 dans l'armée ?"

26 Vous avez répondu : "J'ai été dans l'armée."

27 On vous a ensuite demandé : "De quelle date à quelle date ?"

28 Vous avez répondu : "De 1991 à 1992."

Page 2160

1 Monsieur Stijovic, pourquoi n'avez-vous pas dit aux Juges de la

2 Chambre que vous étiez caporal-chef au sein de l'armée yougoslave depuis

3 l'an 2000 et encore aujourd'hui ?

4 R. Je n'ai pas compris la question. Je parlais de 1997, 1998, 1999. Je

5 n'ai pas compris que la question portait sur une période ultérieure, c'est-

6 à-dire, ultérieure à l'an 2000.

7 Q. Monsieur Stijovic, on vous a demandé très clairement : "Est-ce que vous

8 avez été dans l'armée à quelque moment que ce soit ?"

9 Vous avez répondu que vous aviez été dans l'armée, pas en 1998, mais

10 en 1991 et 1992. Pourquoi est-ce que vous n'avez pas dit aux Juges de la

11 Chambre : J'ai fait partie de l'armée en 1991 et 1992, et depuis l'an 2000

12 et encore aujourd'hui je suis caporal-chef au sein de l'armée ? Pourquoi ne

13 l'avez-vous pas dit à la Chambre ?

14 R. Je pensais que nous parlions de la période se terminant en 1999.

15 Q. Je vois. Est-ce que quiconque vous aurait laissé entendre, Monsieur

16 Stijovic, que ce pourrait être une bonne idée que vous-même et vos cousins

17 dissimulent votre participation et celle d'autres membres de votre famille

18 à l'armée yougoslave et à la police ?

19 R. Non.

20 Q. Je vais vous poser maintenant la question suivante : Predrag Stojanovic

21 était bien officier de police en 1998, n'est-ce pas ?

22 R. Predrag Stojanovic, vous pensez à Dragan ? Je le connais sous le prénom

23 de Dragan.

24 Q. Très bien.

25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce le même homme ?

26 M. EMMERSON : [interprétation] Je ne sais pas.

27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

28 M. EMMERSON : [interprétation]

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1 Q. Monsieur Stijovic, est-ce que Dragan est un autre prénom de Predrag ?

2 R. Possible. Je le connais sous le prénom de Dragan.

3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, mais le témoin n'est-il pas en

4 train de parler de Dragoslav en ce moment ?

5 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, non, non, je ne parle pas de Dragoslav;

6 je parle de Dragan. On l'appelait Dragan. Voilà comment on l'appelait. Est-

7 ce que son vrai prénom est Predrag ? Je n'en suis pas sûr.

8 M. EMMERSON : [interprétation]

9 Q. Soyons très clairs. Le surnom de Dragoslav, c'est bien Drago, n'est-ce

10 pas ?

11 R. Dragoslav ?

12 Q. Son surnom est bien Drago, n'est-ce pas ?

13 R. Je ne connais pas ce surnom.

14 Q. Je vois. Parlons rapidement des frères. Il y a un frère qui s'appelle

15 Mijat dont vous nous avez parlé; vous le connaissiez ?

16 R. Oui.

17 Q. Il y a un autre frère qui s'appelle Dragoslav dont vous nous avez

18 parlé, vous le connaissiez ?

19 R. Oui.

20 Q. Il y a un troisième frère qui s'appelle Veselin, n'est-ce pas, ou

21 Vesko ?

22 R. Oui.

23 Q. Pourriez-vous nous dire les prénoms des deux autres frères, je vous

24 prie.

25 R. Vlado et Dragan. Il est possible que ce soit Predrag, je n'en suis pas

26 sûr. Je le connais sous le prénom de Dragan.

27 Q. Maintenant, je vous demanderais de répondre très soigneusement à la

28 prochaine question en fouillant bien votre mémoire et sans malentendu. Je

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1 n'ai pas fixé de cadre temporel. Pour autant que vous le sachiez, en dehors

2 de Dragan, l'un quelconque des autres frères de cette famille a-t-il à

3 quelque moment que ce soit été membre de la police ou de l'armée d'une

4 façon ou d'une autre ?

5 R. Des frères Stojanovic ? Non, pas que je sache.

6 Q. Je vois, et vous-même n'avez jamais fait partie des réservistes de la

7 police à quelque moment que ce soit ?

8 R. Non, jamais.

9 Q. Je vois. Dans ces conditions, je reviendrai sur un certain nombre de

10 choses que vous avez dites dans votre déposition jusqu'à présent. Vous nous

11 avez parlé de cet incident au cours duquel des hommes armés sont arrivés à

12 la maison des Stojanovic le 18 avril, ils ont frappé Dragoslav, puis ils

13 vous ont frappés, vous-même et Mijat. Voilà la partie de votre déposition

14 sur laquelle j'aimerais vous interroger plus avant. On vous a demandé si

15 vous connaissiez les prénoms de l'un quelconque de ces hommes qui vous

16 auraient été communiqués par Dragoslav ou Mijat. Vous avez cité deux

17 prénoms. Vous nous avez parlé d'un homme qui se prénommait Nasim, dont vous

18 avez dit qu'il avait essayé de vous défendre.

19 R. Oui.

20 Q. C'est bien l'homme que vous décrivez comme étant Nasim Haradinaj,

21 n'est-ce pas ?

22 R. Je crois qu'il s'appelle Haradinaj, mais je ne suis pas sûr de son nom

23 de famille. Je crois qu'il s'agit de Haradinaj.

24 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] C'est la manière dont le témoin a

25 répondu la dernière fois.

26 M. EMMERSON : [interprétation] Oui, je crois c'est exact.

27 Q. Qu'a-t-il fait pour essayer de vous protéger ?

28 R. Il essayait de repousser les soldats, de les éloigner, de les empêcher

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1 de nous frapper.

2 Q. Leur disait-il quelque chose ?

3 R. Oui, il leur parlait, mais je ne comprenais pas ce qu'il disait.

4 Q. Or, il était clair dans votre esprit qu'il les empêchait ou essayait de

5 les empêcher de vous frapper ?

6 R. Oui, il les repoussait. Il a essayé de les repousser.

7 Q. Dans votre déclaration, je vais vous donner une lecture. Je vais vous

8 donner lecture d'une phrase qui y figure, sur une page avec votre

9 signature. Je vais le lire lentement, je cite : "Je crois que Nasim était

10 responsable des soldats chez mes cousins. C'était celui qui a donné l'ordre

11 aux soldats d'arrêter de nous frapper. C'est également lui qui a donné

12 l'ordre aux soldats de nous emmener à l'extérieur."

13 M. KEARNEY : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

14 puis-je, simplement pour un moment, c'est-à-dire, si M. Emmerson fait

15 référence à une partie de la déclaration préalable, pour faciliter

16 l'Accusation, pourrions-nous savoir exactement dans quelle déclaration et

17 quelle page cela se trouve ?

18 M. EMMERSON : [interprétation] J'ai déjà pris la déclaration du témoin,

19 identifié sa signature et donné la date qui est du 28 mai 2002.

20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je crois que M. Kearney vous demande de

21 retrouver la déclaration.

22 M. EMMERSON : [interprétation] A la page 3 du texte, paragraphe 4.

23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci.

24 M. EMMERSON : [interprétation] Je vais reposer la question.

25 Q. Vous avez dit dans votre déclaration préalable : "Je pense que Nasim

26 était responsable des soldats et leur position dans la maison de mes

27 cousins, et c'est lui qui finalement a ordonné aux soldats d'arrêter de

28 nous frapper et également c'est également lui qui a donné l'ordre de nous

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1 emmener à l'extérieur."

2 Est-ce que ceci correspond à votre souvenir ?

3 R. Je crois qu'il était une des personnes de plus d'influence parmi les

4 gens là-bas. Je n'ai pas dit qu'il était "responsable". C'est peut être dû

5 à une mauvaise traduction. J'ai dit que c'était une personne avec plus

6 d'influence au sein du groupe. Je répète, cela aurait pu être une mauvaise

7 traduction. Je n'ai jamais dit qu'il était responsable.

8 Q. Y avait-il quelqu'un d'autre sur place qui semblait être responsable et

9 d'un niveau hiérarchique supérieur ?

10 R. Je ne sais pas.

11 Q. Je vois. Mais à part cette influence dont il jouissait, il n'a pas pu

12 empêcher les autres ou il n'a pas pu empêcher qu'ils continuent à vous

13 porter des coups.

14 R. Ce n'était que pour quelques brefs instants, ensuite il est parti et

15 ils ont continué à nous frapper.

16 Q. Ont-ils arrêtés de vous frapper quand il leur a dit d'arrêter et qu'il

17 a essayé de les repousser ?

18 R. Il essayait de les repousser, de les éloigner de nous. Il y avait des

19 groupes entiers de gens qui nous frappaient. Il repoussait un groupe à la

20 fois dans le but de nous protéger.

21 Q. Mais malgré le fait qu'il vous semble que ce soit lui qui était la

22 personne avec le plus d'influence, il n'a pas pu mettre un terme ou

23 empêcher ceci de se produire ?

24 R. Tant qu'il était là, il a réussi à les en empêcher, mais il n'est pas

25 resté assez longtemps pour nous protéger entièrement des coups.

26 Q. Disons que c'est quand il est parti que les coups ont continué à être

27 portés ?

28 R. Oui, dès qu'il est parti, ils nous frappaient à nouveau.

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1 Q. Maintenant, vous nous avez donné un autre nom que vous avez dit être

2 Mijat et Dragoslav, que vous avez décrits comme étant des personnes qui

3 vous ont frappé dans la petite pièce, et le nom que vous nous avez donné,

4 je crois est Zeqir Nimonaj, ou je crois juste Zeqir ?

5 R. Zeqir, Zeqir. C'est cela.

6 Q. Si on examine votre déclaration préalable, je fais référence au même

7 paragraphe qu'auparavant, vous dites, je cite : "Je me souviens que des

8 noms de deux soldats qui connaissaient Dragoslav. Il s'agissait de deux

9 hommes qui portaient les prénoms Nasim et Zeqir."

10 R. Oui.

11 Q. C'étaient les deux prénoms que Dragoslav et Mijat vous avaient donnés,

12 n'est-ce pas ?

13 R. Oui. J'avais mémorisé ces deux noms. Il y a d'autres noms qui ont été

14 mentionnés, mais je ne les ai pas retenus. J'ai retenu Nasim parce que

15 c'était lui qui avait essayé de nous protéger, et je me souviens de Zeqir

16 parce que c'était lui qui nous avait frappés le plus brutalement.

17 Q. Mais vous ne vous souvenez pas d'autres noms en particulier qu'ils

18 avaient mentionnés ?

19 R. Non, je ne m'en souviens pas. Je ne leur demandais pas les noms,

20 puisque je ne connaissais personne là.

21 Q. Par exemple, vous ne vous souvenez pas les avoir entendus dire que Daut

22 Haradinaj était parmi les hommes présents dans la pièce ?

23 R. Daut Haradinaj ? Je ne parlais pas de ces questions avec eux.

24 Q. Ils n'ont jamais mentionné ce nom devant vous ?

25 R. Non, je ne parlais pas de cela avec eux. Ils ont cité des noms. Ils ont

26 mentionné Daut, oui, mais je ne me souvenais pas de cela quand j'ai fait ma

27 déposition parce que je ne sais pas qui est cet homme.

28 Q. Vous avez donné votre déclaration préalable, votre témoignage

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1 principal, et maintenant vous vous souvenez qu'ils ont mentionné Daut

2 devant vous ? Est-ce exact, Monsieur ? Est-ce la vérité, Monsieur

3 Stojanovic ?

4 R. Qu'ils aient mentionné le nom de Daut devant moi ?

5 Q. Oui. Est-ce la vérité ? Parce qu'il y a quelques instants, vous avez

6 dit que vous vous ne souvenez pas d'autres noms mentionnés ?

7 R. J'ai entendu le nom Daut, mais - comment puis-je vous expliquer ? Quand

8 ils nous ont frappés, c'étaient les deux noms qui me sont restés à

9 l'esprit. C'est ce que j'ai mis dans ma déclaration.

10 Q. Certainement, celui qui y est resté présent dans votre esprit, celui

11 avec le plus d'influence que vous déclarez être la personne responsable

12 dans votre déclaration au préalable, c'était Nasim ?

13 R. A mon avis, oui.

14 Q. Vous avez dit que lorsque vous marchiez le long de la route, ou du

15 moins lorsqu'on vous amenait à pied le long de la route vers Gllogjan, on

16 vous a dit de lever les bras au-dessus de la tête, garder la tête baissée

17 et de ne regarder ni à gauche, ni à droite; est-ce exact ?

18 R. Oui.

19 Q. Etait-ce une instruction qui avait été donnée à tous les trois ?

20 R. Oui.

21 Q. Pour autant que vous ayez pu le voir, est-ce que tous les trois, vous

22 marchiez avec les bras au-dessus de la tête ?

23 R. Oui, de temps en temps, puisque nous essayions d'aider Dragoslav un

24 petit peu.

25 Q. Je crois que vous avez dit que vous-même et Mijat souffriez beaucoup et

26 saigniez beaucoup; est-ce exact ?

27 R. Oui. Je saignais et Dragoslav aussi.

28 Q. Et Mijat ?

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1 R. Mijat, je ne me souviens pas, mais Dragoslav et moi étions entièrement

2 couverts de sang. Je sais que plus tard, lorsque nous avions dû nous laver

3 à la pompe à eau, il n'y avait que nous deux qui y étions.

4 Q. Pour autant que vous ayez pu dire, est-ce que les deux autres ont obéi

5 à l'instruction de garder les bras au-dessus de la tête et de ne pas

6 regarder à gauche ou à droite, alors que vous marchiez le long de la

7 route ?

8 R. Je ne sais pas. Je n'en suis plus sûr.

9 Q. Maintenant, je voudrais revenir à certains des incidents que vous avez

10 décrits comme ayant été la cause de votre départ de Dasinovac tout

11 d'abord ?

12 R. Oui.

13 Q. Vous avez établi une liste d'incidents pour nous et je veux être sûr

14 d'avoir bien compris, parce que je ne suis pas sûr que le compte rendu

15 d'audience les reflète fidèlement. Vous avez dit que vous aviez lu dans la

16 presse sur la relation d'une attaque sur la maison de quelqu'un et que vous

17 saviez qui étaient les gens, donc vous êtes allé leur parler. Pouvez-vous

18 nous dire le nom de famille des gens concernés par cet incident ?

19 R. C'était la maison de Malesa Culafic à Donji Ratis. Nous étions amis de

20 famille.

21 Q. Est-ce que Malesa Culafic, C-u-l-a-f-i-c ?

22 R. Oui.

23 Q. Etiez-vous au courant d'un différend de propriété entre les Culafic et

24 quelqu'un qui habitait à côté ? Il s'agissait d'un différend sur la

25 propriété dans le plan de terre ?

26 R. Je n'en sais rien, mais je ne crois pas à cela parce qu'il s'agit de

27 personnes âgées qui ont vécues leur vie à Ratis.

28 Q. Vous avez mentionné une attaque sur le poste de police d'Irzniq. Vous

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1 avez dit avoir lu cela mais ne pas en avoir été le témoin direct; est-ce

2 exact ?

3 R. Non, non, oui, c'est cela. Je l'ai lu dans la presse et je l'ai vu à la

4 télévision puisque cet incident a été diffusé à la télévision.

5 Q. Ensuite, la troisième chose que vous avez indiqué sur cette liste

6 d'incidents est ce que vous avez décrit comme étant le meurtre d'un

7 officier de police qui s'appelait Otovic; c'est exact ?

8 R. Oui.

9 Q. Ceci est quelque chose qui s'est produit le 24 mars, juste à

10 l'extérieur de la maison de votre cousin, n'est-ce pas ?

11 R. D'après ce qu'ils m'ont dit, cela s'est passé juste à côté de leur

12 maison.

13 Q. La dernière chose que vous avez mentionnée, c'est que les gens

14 passaient la nuit devant les maisons et tiraient des coups. Avez-vous

15 jamais vu ou entendu cela, de vos propres yeux ou de vos propres oreilles ?

16 R. Oui, bien sûr, des coups de feu et des choses de la sorte.

17 Q. Laissez-moi poser la question différemment, vous avez entendu des coups

18 de feu lorsque vous étiez dans votre maison à Dashinoc?

19 R. Oui, des coups de feu d'armes automatiques. Lorsqu'ils marchaient le

20 long de la route, ils vidaient leurs chargeurs pour effrayer les gens.

21 C'est cela que je pense.

22 Q. Soyez très clair et dites-moi ce que vous avez vu ou entendu

23 personnellement ? Quand et à combien de reprises avez-vous entendu des

24 coups de feu ?

25 R. Combien de fois ? Cela se produisait fréquemment, surtout la nuit,

26 après la tombée de la nuit.

27 Q. Où exactement avez-vous entendu ces coups de feu ?

28 R. Dans mon village. A côté des maisons, il y avait la route principale

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1 qui les longeait. Lorsque les voitures passaient en circulant sur cette

2 route, les gens vidaient leurs chargeurs pour intimider les habitants.

3 Q. Je vois. Quand exactement ces incidents se sont-ils produits ?

4 R. Juste avant que nous ne quittions le village, que nous ne quittions la

5 maison dans le village.

6 Q. Vous nous avez dit que vous aviez quitté votre maison dans le village à

7 la fin du mois de mars; c'est exact ?

8 R. Je n'ai pas dit fin mars. J'ai dit, à un moment donné, en mars ou

9 avril. Je ne savais pas la date exacte, c'est fin mars ou avril.

10 Q. Oui. Je pense que pour être absolument au clair sur ce que vous avez

11 dit, c'était à un moment donné vers la fin mars ou début avril. C'était

12 après, je crois ?

13 R. Oui.

14 Q. Je n'avais pas fini ma question. C'était après le meurtre d'Otovic,

15 n'est-ce pas ?

16 R. Oui.

17 Q. Les coups de feu que vous avez commencé à entendre, ils ont tous eu

18 lieu après l'incident à Gllogjan le 24 mars; c'est cela ?

19 R. Oui. Les coups de feu qui étaient entendus avant cela --

20 Q. Pardon, excusez-moi. Pour être absolument clair en ce qui concerne

21 votre réponse.

22 R. Comment ? Je n'ai pas compris votre question. Pourriez-vous, s'il vous

23 plaît, la répéter ?

24 Q. Oui, je vais essayer --

25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Emmerson, je vais essayer de

26 comprendre.

27 Témoin, est-ce que vous avez entendu ces coups de feu la nuit dans votre

28 village aussi, avant qu'Otovic --

Page 2171

1 LE TÉMOIN : [interprétation] A Dasinovac ?

2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. A Dasinovac, avez-vous entendu cela

3 avant qu'Otovic ne soit tué ou après qu'Otovic ait été tué ?

4 LE TÉMOIN : [interprétation] Avant et après le meurtre d'Otovic.

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez poursuivre, Maître Emmerson.

6 M. EMMERSON : [interprétation]

7 Q. Vous nous avez dit lors de l'interrogatoire principal il y a un moment,

8 en répondant à une question de M. Kearney pour décrire la haine comme vous

9 l'avez dit, que vous pouviez choisir les personnes de Gllogjan le 18 avril,

10 vous avez dit : "Il ne pouvait y avoir aucune raison de cela,

11 indépendamment du fait que nous étions des Serbes. Il ne pouvait y avoir

12 aucune autre raison. Je n'ai jamais eu d'affrontements avec eux," avez-vous

13 dit, "Mijat non plus pour autant que je le sache."

14 Est-ce que ceci résume bien ce que vous avez dit dans votre déposition ?

15 R. Vous voulez dire pour moi ? Je n'ai pas mentionné Mijat ou Dragoslav.

16 Ils nous ont frappés parce que nous étions des Serbes.

17 Q. Vous avez, en fait, mentionné Mijat. Mais peu importe pour le moment.

18 Est-ce que vous nous dites que vous n'aviez aucune idée des raisons pour

19 lesquelles les gens du village de Gllogjan pourraient attaquer Mijat et

20 Dragoslav Stojanovic ?

21 R. Je ne sais pas.

22 Q. Est-ce qu'ils vous avaient dit ce qui s'était passé le 24 mars à

23 Gllogjan ?

24 R. A Glodjane, le 24 mars ?

25 R. Est-ce que vos cousins vous ont dit ce qui s'était passé à Gllogjan, le

26 24 mars ?

27 R. Je ne comprends pas votre question.

28 Q. Avez-vous parlé avec Dragoslav et Mijat de ce qui s'est passé le jour

Page 2172

1 où Otovic a été tué ?

2 R. Quand Otovic a été tué, ils m'ont tout simplement dit qu'ils avaient

3 quitté leur maison cette nuit-là pour des raisons de sécurité.

4 Q. Est-ce qu'ils ne vous ont pas dit que leur maison avait été utilisée

5 comme une position d'où la police pourrait tirer sur les bâtiments

6 Haradinaj ? Est-ce qu'ils ne vous ont pas dit cela ?

7 R. C'est la première fois que j'entends dire quelque chose comme cela.

8 Nous n'avons pas du tout parlé de cela.

9 Q. Bien. Mais vous devez d'une façon générale savoir ce qui s'est passé à

10 Gllogjan et à Irzniq le 24 mars, c'était de notoriété publique, n'est-ce

11 pas ?

12 R. Lorsque Otovic a été tué, c'était -- est-ce que c'est cela que vous

13 voulez dire ?

14 Q. Ce jour-là, vous avez dû savoir, Monsieur Stijovic, ce qui s'était

15 passé en gros à Gllogjan et Irzniq. Il y avait eu un combat très important

16 qui avait duré toute la journée, des échanges de coups de feu. Vous saviez

17 cela, n'est-ce pas ?

18 M. KEARNEY : [interprétation] Monsieur le Président, j'ai besoin

19 d'intervenir, si vous me le permettez pour un instant.

20 LE TÉMOIN : [interprétation] Cela, je ne le savais pas.

21 M. KEARNEY : [interprétation] On demande au témoin maintenant de faire des

22 hypothèses concernant des événements dont il n'avait pas connaissance

23 directement, parce qu'il nous a déjà dit qu'à son avis, la raison pour

24 laquelle ils avaient été attaqués c'était parce qu'ils étaient Serbes.

25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Néanmoins, la ligne de questions

26 posées par Me Emmerson est admissible. Malheureusement, Maître Emmerson,

27 lorsque le témoin a demandé : "Quand Otovic a été tué -- est-ce que c'est

28 cela que vous voulez dire ?", si vous aviez dit "Oui", vous auriez peut-

Page 2173

1 être reçu une autre réponse.

2 M. EMMERSON : [interprétation] C'est une description relativement sélective

3 de ce qui a eu lieu le 24 mars.

4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

5 Mais, Témoin, Monsieur Stijovic, lorsque vous avez dit : "Quand Otovic a

6 été tué, est-ce que c'est cela que vous voulez dire ?" Est-ce que vous

7 savez quoi que ce soit du contexte dans lequel M. Otovic a été tué, ce qui

8 s'est passé lorsqu'il a été tué ? Est-ce que vous avez entendu dire quoi

9 que ce soit à ce sujet ?

10 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai lu dans les médias qu'Otovic avait été

11 tué, et Dragoslav et Mijat m'ont dit plus tard qu'ils avaient quitté leur

12 domicile cette nuit-là, à cette date, pour des raisons de sécurité. Ceci

13 est tout ce que je sais en ce qui concerne cet incident concernant Otovic,

14 et ainsi de suite.

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que les médias n'ont pas dit quoi

16 que ce soit concernant les circonstances dans lesquelles a eu lieu la mort

17 de M. Otovic ?

18 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne peux pas me rappeler.

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Si je disais -- est-ce que les médias

20 auraient pu dire que c'était au cours d'un échange de coups de feu ou

21 quelque chose de ce genre ?

22 LE TÉMOIN : [interprétation] Ils ont dit dans les médias qu'une patrouille

23 de police régulière avait été attaquée.

24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous ne vous rappelez pas certaines des

25 circonstances qui ont été mentionnées dans les médias, parce que vous avez

26 dit un peu plus tôt : Je ne savais rien à ce sujet et je ne sais pas, pour

27 vous citer littéralement. Monsieur Stijovic, vous dites : "J'ai lu dans les

28 médias qu'Otovic avait été tué et Dragoslav et Mijat m'ont dit plus tard

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1 qu'ils avaient quitté plus tard leur domicile cette nuit."

2 Puis, je vous ai demandé : "Est-ce que les médias n'ont rien dit

3 concernant les circonstances dans lesquelles a eu lieu la mort de M.

4 Otovic ?" A ce moment-là, vous avez dit : "Je ne peux pas me rappeler."

5 Comme réponse à ma question suivante, vous vous rappeliez

6 effectivement que les médias avaient relaté le fait que M. Otovic avait été

7 tué, comme vous l'avez dit, au cours de, je vous cite : "Lorsqu'une

8 patrouille de police régulière avait été attaquée." Donc, vous avez appris

9 quelque chose des médias concernant les circonstances. Est-ce que vous

10 voudriez, s'il vous plaît -- oui.

11 LE TÉMOIN : [interprétation] Dans les médias, oui.

12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Pourriez-vous être très précis si

13 on vous pose des questions qui visent à scruter entièrement votre mémoire

14 et voir, à partir des médias ou de toute autre source, si vous avez eu

15 connaissance et si vous avez appris, même par ouï-dire ou directement, est-

16 ce que vous avez eu des renseignements concernant les événements ?

17 Veuillez poursuivre, Maître Emmerson.

18 M. EMMERSON : [interprétation] Oui.

19 Q. Je suis particulièrement intéressé par le fait que vous avez dit dans

20 votre déposition à la Chambre que vous ne voyiez aucune raison pour

21 laquelle les habitants du village de Gllogjan auraient pu vouloir faire du

22 mal à Mijat Stojanovic. Vous avez dit dans votre déposition devant la

23 Chambre que vous n'aviez aucune connaissance de cela. Vous ne voyiez aucun

24 motif et que la seule raison à laquelle vous pourriez penser était le fait

25 que vous étiez des Serbes, c'est cela que je suis en train d'essayer

26 d'examiner maintenant.

27 M. KEARNEY : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président, mais je

28 dois redire ceci.

Page 2175

1 Me Emmerson continue de se référer au fait que des habitants du village ont

2 attaqué les Stojanovic. Nous avons une déposition très claire consignée au

3 compte rendu qu'il s'agissait de soldats de l'UCK.

4 M. EMMERSON : [aucune interprétation]

5 M. KEARNEY : [interprétation] Peut-être que ceci peut causer les quelques

6 confusions dont souffre le témoin.

7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

8 Maître Emmerson, soyons aussi précis que possible. Essayez d'éviter de

9 résumer parce que ceci pourrait être critiqué et tâchons de nous concentrer

10 sur la déposition précise faite par le témoin, comme j'ai essayé de le

11 faire précédemment.

12 Veuillez poursuivre.

13 M. EMMERSON : [interprétation]

14 Q. Vous nous avez dit, Monsieur Stijovic, que les gens de Gllogjan qui

15 vous ont attaqué, tant à la maison que dans la rue, comprenaient des

16 personnes qui portaient des vêtements civils, n'est-ce pas ?

17 R. A la fois des personnes en uniforme et des personnes en civil.

18 Q. Exactement. Il y avait des personnes en civil, en vêtements civils, qui

19 vous ont attaqué. C'est bien cela ?

20 R. Des civils armés. Des hommes, des jeunes hommes.

21 Q. Je comprends très bien. Des gens sont sortis de leurs maisons pour vous

22 attaquer, n'est-ce pas, le long de la route ?

23 R. Je ne comprends pas. Ils avaient encerclé la maison probablement avant

24 de faire cela.

25 Q. Alors que vous étiez --

26 R. Avant que nous n'arrivions.

27 Q. Alors qu'on vous a emmenés à Gllogjan et dans cette maison vous avez

28 été battus, des gens étaient sortis ou sortaient de leurs maisons pour vous

Page 2176

1 attaquer. C'est cela ?

2 R. Ils étaient proches de la route. Ils étaient sur la route.

3 Q. Juste pour que nous soyons bien au clair, vous n'avez aucune idée des

4 raisons ou des motifs que ces gens pourraient avoir contre les Stojanovic ?

5 R. Je ne sache qu'ils aient eu quoi que ce soit contre eux, qu'ils aient

6 eu aucune raison de faire cela.

7 Q. Je vous pose la question suivante. Est-ce que vous savez que trois

8 adolescents avaient été tués lors de l'attaque du 24 mai par la police ?

9 R. Je ne sais pas cela.

10 Q. C'était à Dashinoc, le 24 mars ou autour de cette date, vous-même ?

11 R. Oui.

12 Q. Vous avez dû savoir, n'est-ce pas, que toute la population de Gllogjan

13 et d'Irzniq avait été déplacée pendant plusieurs jours immédiatement avant

14 cette attaque, et qu'un grand nombre d'entre eux venait dans la direction

15 de votre village, n'est-ce pas ?

16 R. Je ne savais pas cela.

17 Q. Ce n'était pas un petit incident, Monsieur Stijovic, et cela s'est

18 passé dans le village voisin. Est-ce que vous êtes vraiment en train de

19 nous dire que vous ne saviez pas cela ?

20 R. Non. Je ne savais rien de ces adolescents avaient été tués comme vous

21 venez juste de me le dire.

22 Q. Est-ce que --

23 R. Mais en fait, ce n'est pas vraiment un village voisin.

24 Q. Vous ne saviez pas du tout -- laissez-moi finir ma question, s'il vous

25 plaît. Est-ce que vous ne saviez pas que toute la population de Gllogjan et

26 d'Irzniq avait été déplacée ?

27 R. C'est la première fois que j'entends quelque chose de ce genre.

28 Q. Est-ce que vous ne savez pas que la propriété de la famille Stojanovic

Page 2177

1 avait été effectivement utilisée comme installation militaire pour lancer

2 une attaque, le 24 mars, par la police ? Vous ne saviez pas cela ?

3 R. Non, je ne le savais pas.

4 Q. Vous voyez, lorsque vous nous avez dit que la seule raison possible

5 pouvait être parce que vous étiez des Serbes, est-ce que Dragoslav ne vous

6 avait pas dit que, quelques semaines plus tôt, il avait été arrêté par

7 l'UCK, traité de façon appropriée, avait été questionné et qu'il avait

8 signé un papier et avait été autorisé à rentrer chez lui ? Est-ce qu'il ne

9 vous a pas dit qu'il avait été traité de façon tout à fait convenable

10 lorsqu'il avait été arrêté par l'UCK, une nuit avant le 24 mars ?

11 R. Je ne me souviens pas.

12 Q. Predrag ou Dragan, comme vous l'appelez, ne saviez-vous pas qu'en fait

13 il avait participé ou pris part à l'opération de police le 24 mars,

14 Monsieur Stijovic ?

15 R. Non, parce que je n'étais pas en contact étroit avec lui. Pour

16 l'essentiel, je voyais Dragoslav, six mois passaient, puis je revoyais

17 Predrag.

18 Q. Juste pour être absolument au clair, vous nous avez dit que vous avez

19 lu dans les journaux le fait qu'Otovic avait été tué, comme vous l'avez

20 dit. Vos cousins vous ont demandé de revenir chez eux trois semaines après

21 le 24 mars, sans vous parler de l'étendue du conflit qui avait eu lieu là

22 et dans ce village, n'est-ce pas ?

23 R. Non.

24 Q. Je crois que vous voulez dire, oui ? Ils ne vous ont pas dit; c'est

25 cela que vous êtes en train de nous dire ? Ils n'ont jamais mentionné quoi

26 que ce soit de ce genre devant vous ?

27 R. Ils ont simplement mentionné le fait qu'ils avaient quitté leur maison

28 cette nuit lorsque Otovic a été tué.

Page 2178

1 Q. Je vois. Est-ce qu'ils vous ont dit si quelqu'un leur avait dit de

2 quitter leur maison ?

3 R. Je ne sais pas. Je ne me rappelle pas.

4 Q. Vous nous avez dit que cet incident s'était produit un samedi, peut-

5 être que ceci aussi permettrait d'aider à retrouver la date ou à dater cet

6 événement. Le 18 avril était un vendredi en 1998 et le 19 avril était un

7 samedi. Etes-vous bien sûr que c'était un samedi ?

8 R. Un jour avant Pâques, donc c'était samedi. Je pense que c'était samedi.

9 Q. Je vous prie de m'excuser, c'est moi qui me trompe. J'ai mal lu le

10 calendrier. Vous avez parfaitement raison, le 18 avril est un samedi. Est-

11 ce que les adolescents dans les villages vont à l'école le samedi ?

12 R. Un samedi ? Je ne sais pas. Je n'ai pas ce genre de renseignements à ma

13 disposition.

14 Q. Vous ne vous rappelez pas cela par rapport à l'époque où vous alliez

15 vous-même à l'école ? Je veux dire, est-ce que ce n'était pas l'habitude

16 d'aller à l'école les samedis ?

17 R. Parfois on avait école le samedi, mais parfois pas; mais dans la

18 plupart des cas, on n'allait pas à l'école, le samedi.

19 Q. Voyez-vous, Mijat Stojanovic a déposé aujourd'hui devant nous. Il nous

20 a dit qu'un grand nombre de personnes qu'il avait vues, y compris certaines

21 personnes en uniforme avec des armes, étaient des adolescents, parfois

22 ayant même 11 ou 12 ans seulement. Est-ce que ceci correspond à vos

23 souvenirs ?

24 R. Il y avait des gens de tous les âges, là. Je pense que -- je ne peux

25 pas être vraiment sûr, mais ils avaient, je crois, dans les 14 ans et plus.

26 Il y avait un grand nombre de jeunes qui étaient là, et ils nous gardaient

27 dans le couloir avec leurs fusils. Ils étaient armés.

28 Q. Aucun d'entre eux ne vous a jamais dit que c'étaient leurs camarades

Page 2179

1 d'école qui avaient été tués ou que c'étaient des amis de la région qui

2 avaient été tués par balle le 24 mars par la police ?

3 R. Je ne me souviens pas.

4 Q. Vous voyez, Monsieur Stijovic, ce que je vous dis pour l'essentiel,

5 c'est ce qui s'est passé le 18 avril. Ce n'est pas quelque chose qui s'est

6 passé parce que vous trois étiez des Serbes, c'est quelque chose qui s'est

7 passé parce que le village dans son ensemble avait subi une terrible

8 attaque de la part de la police militaire le 24 mars, et pensait que la

9 famille Stojanovic était directement en cause pour cela.

10 R. Si la famille Stojanovic avait eu une participation à cela, alors

11 pourquoi est-ce qu'ils m'auraient infligé ce type de passage à tabac et de

12 torture, alors que je n'avais strictement rien à voir avec Glodjane et rien

13 à voir avec la famille Stojanovic, et pourtant, j'ai partagé leur sort.

14 Q. Est-ce que vos cousins vous ont dit, ou est-ce que vous avez lu dans

15 les journaux, qu'un policier avait été tué dans un véhicule de la police,

16 qui portait les marques de la police, ou dans un véhicule civil lorsqu'il a

17 été tué ?

18 R. Je ne me souviens pas.

19 Q. Il y avait bien des policiers qui circulaient dans des véhicules

20 civils, n'est-ce pas ?

21 R. Je ne sais pas. Je ne sais rien de cela.

22 Q. Je vois.

23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Stijovic, ce que Me Emmerson

24 essaie d'apprendre, c'est s'il ne vous est jamais venu à l'esprit que les

25 événements qui ont eu lieu le jour où M. Otovic a été tué aurait pu être le

26 motif de ce qui s'est passé plus tard au mois d'avril. Est-ce que cela ne

27 vous a jamais traversé l'esprit, est-ce que vous n'avez jamais pensé à

28 cela ?

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1 LE TÉMOIN : [interprétation] Vraiment, je n'y avais jamais vraiment

2 réfléchi. Je ne pensais pas vraiment que ceci pouvait avoir été la raison.

3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous dites que vous ne pensiez pas

4 vraiment que ceci aurait pu être la raison, en même temps vous dites : "Je

5 n'y ai pas vraiment pas réfléchi." Si vous concluez que ceci n'était pas la

6 raison, alors vous aviez vraisemblablement réfléchi, n'est-ce pas ?

7 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne crois pas que c'était cela la raison. Ce

8 que la Défense vient juste de me dire, à savoir que nous ayons été battus à

9 cause d'une participation aux attaques. Parce qu'à ce moment-là, pourquoi

10 est-ce qu'ils m'auraient battu de la même manière qu'eux, alors que je

11 n'étais même pas du même village.

12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, cela c'est votre explication.

13 Veuillez poursuivre, Maître Emmerson, je pense, oui.

14 M. EMMERSON : [interprétation] J'ai presque fini.

15 Q. Mijat Stojanovic a dit dans sa déposition que des accusations

16 d'espionnage avaient été proférées au cours des interrogatoires. Espionnage

17 pour la police serbe. Est-ce que vous vous rappelez que ces accusations ont

18 été lancées ?

19 R. Personnellement, je n'ai pas entendu ces accusations.

20 Q. Je vois.

21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que vous avez entendu qu'ils

22 aient été lancées à d'autres, ou faites à d'autres, c'est-à-dire Dragoslav

23 et Mijat ?

24 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne sais pas, je ne peux pas me rappeler, je

25 n'ai certainement jamais été accusé de quoi que ce soit comme cela.

26 M. LE JUGE ORIE : Maître Emmerson

27 M. EMMERSON : [interprétation]

28 Q. Une dernière question. Vous avez parlé de Deli Lekaj, l'homme qui est

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1 passé à côté de vous portant une arme à la main et qui vous a averti qu'un

2 barrage routier serait sans doute dressé à Pozar. Je voudrais bien

3 comprendre ce que vous avez dit. Vous avez dit qu'il a essayé de vous

4 aider, n'est-ce pas ?

5 R. C'est ce que j'ai compris que ce qu'il me disait signifiait, oui.

6 Q. Il n'était pas en train de vous menacer, il vous a dit : Ecoute, si tu

7 veux éviter d'autres problèmes personnels, je te dis qu'il est probable

8 qu'un barrage routier sera dressé ?

9 R. Je ne sais pas exactement quelles étaient ses intentions. Est-ce que

10 c'était parce que nous étions camarades, mais en tout cas il m'a dit :

11 Ecoute, si tu sors vivant d'ici, fais attention, ne rentre pas chez toi

12 parce qu'il est fort probable qu'un barrage routier sera dressé à Pozar et

13 que si l'on te surprend à ce barrage, on te fera encore peut-être pire que

14 ce tu viens de vivre ici.

15 Q. Lorsque vous avez été interrogé sur ce point par M. Di Fazio, il y a

16 quelques jours, je crois me rappeler que vous avez dit avoir considéré ces

17 paroles comme des paroles d'avertissements plutôt que comme des paroles de

18 menaces, n'est-ce pas ?

19 R. Non, ce que j'ai dit c'est que j'étais incapable d'interpréter ses

20 intentions, que ne pouvais pas savoir à sa place ce qu'il pensait. En tout

21 cas, j'ai pris très au sérieux ce qu'il m'a dit, et je n'ai plus fait la

22 moindre tentative de retourner dans mon village.

23 Q. Avez-vous entendu dire par la suite que Deli Lekaj avait été abattu ?

24 R. Non.

25 Q. Merci.

26 M. EMMERSON : [interprétation] J'en ai terminé, Monsieur le Président.

27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Guy-Smith, je vois que vous

28 n'avez pas de questions.

Page 2182

1 Maître Harvey, je vois que vous n'en avez pas non plus.

2 Y a-t-il nécessité de questions supplémentaires du côté de l'Accusation ?

3 M. KEARNEY : [interprétation] Deux questions, Monsieur le Président.

4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez procéder.

5 Nouvel interrogatoire par M. Kearney :

6 Q. [interprétation] M. Lekaj, dont vous pensiez qu'il faisait partie de

7 l'UCK, vous a dit que vous ne devriez pas retourner dans votre village, là

8 où se trouvait votre maison de famille car vous risquiez d'être blessé.

9 C'est bien ce que vous avez compris dans ce qu'il vous a dit ?

10 R. Je n'ai pas pensé qu'il était membre de l'UCK, mais comme je l'ai vu

11 portant des armes, j'en ai immédiatement déduit qu'il était effectivement

12 membre de l'UCK.

13 Q. Quand un membre de l'UCK vous dit que vous ne devriez pas rentrer dans

14 votre village, il vous dit cela pourquoi ? D'après vous, il vous a dit de

15 ne pas retourner dans votre village pour quelle raison ?

16 R. C'est quelque chose qu'on peut interpréter de plusieurs façons, mais je

17 crois qu'il l'a dit parce qu'il a vu dans quel état j'étais. Il a vu ce que

18 je venais de vivre, je crois qu'il me l'a dit avec de bonnes intentions,

19 car nous avions été copains par le passé. Peut-être, n'est-ce pas le cas.

20 Peut-être avait-il de mauvaises intentions, mais je l'ai compris comme

21 cela.

22 Q. Ce n'est pas ce que je dis, Monsieur. Je vous demande simplement ce que

23 vous pensez ce qu'il aurait pu advenir si vous aviez essayé ensuite de

24 retourner dans votre village de Dasinovac ?

25 R. Ce qui serait passé, c'est qu'ils m'auraient arrêté comme ils ont

26 arrêté Radosevic par la suite. Lui savait sans doute que cette arrestation

27 était déjà prévue. Il y a plusieurs personnes dans le village qui, par la

28 suite, ont été arrêtées. Voilà ce qui serait passé. J'aurais été arrêté

Page 2183

1 aussi.

2 Q. On vous a interrogé longuement sur les motivations qui ont

3 éventuellement poussé les assaillants de la maison des Stojanovic à faire

4 ce qu'ils ont fait. Pour ma part, je vous pose la question suivante. Vous

5 avez déjà dit dans une réponse précédente que vous pensiez que cet assaut

6 était dû au fait que vous étiez Serbes. Est-ce que vous fondez, en tout cas

7 partiellement, cet avis sur le fait que vous les ayez entendus dire très

8 précisément : "Le Kosovo appartient aux Albanais" ?

9 R. Oui. Qu'est-ce que vous avez à y faire ? Et toutes sortes de choses du

10 même genre. Ils criaient ce genre de choses : Le Kosovo nous appartient, il

11 appartient aux Albanais et ils insultaient nos mères serbes, ce genre de

12 choses.

13 Q. Le fait que vous ayez pensé, vous-même et vos cousins, que cette

14 attaque était, en tout cas en partie, due à votre appartenance ethnique,

15 est-ce que ce fait était dû en partie au fait que d'autres attaques dont

16 vous aviez été témoin avaient pris pour cible des Serbes dans votre village

17 et dans un village environnant ?

18 R. Oui, c'est ce que je pense.

19 M. EMMERSON : [interprétation] Je ne suis pas au courant que le témoin ait

20 dit avoir assisté à une quelconque autre attaque dont les Serbes auraient

21 été victimes à quel que moment que ce soit.

22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Non, je ne suis pas au courant de cela

23 non plus. Monsieur Kearney, peut-être pourriez-vous demander au témoin

24 quels sont exactement les événements auxquels il fait référence quand il

25 parle d'avoir assisté à des attaques antérieures, pour que Me Emmerson et

26 moi-même puissions voir si nous avons la même chose en tête.

27 M. KEARNEY : [interprétation] Je n'ai aucun problème à le faire, Monsieur

28 le Président.

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1 Q. Monsieur Stijovic, le fait que vous ayez pensé que l'attaque qui vous

2 visait, vous et vous cousins, était fondée, en tout cas pour partie, sur le

3 fait que vous étiez Serbes, pouvait-il reposer sur le fait que vous aviez

4 une vue dégagée sur la maison de Malesa Culavic, ou sur les articles de

5 presse parlant d'attaques qui avaient visé des Serbes et des maisons serbes

6 précédemment ?

7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous allons peut-être y arriver. Je vais

8 poser la question très simplement.

9 Quand vous avez dit que ceci était dû au fait que vous étiez Serbe,

10 et que vous ne pouviez pas imaginer d'autres raisons, vous pensiez à des

11 événements dont vous aviez entendu parler, à un genre d'événement dont vous

12 avez vous-même également parlé précédemment ?

13 LE TÉMOIN : [interprétation] Tout cela fait un tout. Mais mon impression

14 fondamentale, c'était que tout cela se passait parce nous étions tous

15 Serbes. Peut-être que le fait qu'Otovic ait été tué juste avant faisait

16 partie de la motivation dans leurs esprits, mais personnellement, je n'ai

17 jamais rien eu à faire avec la police ou quoi que ce soit d'autre dans

18 cette zone. J'habitais dans un autre village et pourtant j'ai subi le même

19 sort que les autres.

20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien. J'ai averti les deux parties

21 d'éviter toute conjecture il y a quelques instants, mais je n'encourage pas

22 que l'on poursuivre dans ce sens.

23 Monsieur Kearney, à vous.

24 M. KEARNEY : [interprétation] Monsieur le Président, nous n'avons pas

25 d'autres questions. Je vous remercie.

26 [La Chambre de première instance se concerte]

27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] M. le Juge Hoepfel a une question à vous

28 adresser.

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1 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Oui, je vous en prie.

2 Questions de la Cour :

3 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] J'ai la question suivante à vous

4 poser pour complément d'information. Vous avez dit que plus tard vous avez

5 quitté le pays, vous avez quitté le Kosovo. Durant le mois de quelle année

6 avez-vous quitté la région ?

7 LE TÉMOIN : [interprétation] Au mois de mai, ou au mois de juin 1999. Je ne

8 me souviens plus exactement du mois, mai ou juin.

9 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] En 1999. Très bien. Merci.

10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Stijovic, puisque je n'ai pas

11 de questions complémentaires à vous poser, je vous annonce que ceci met un

12 terme à votre audition devant cette Chambre. Je vous remercie de tout cœur

13 d'être venu à La Haye pour répondre aux questions qui vous ont été posées

14 par les deux parties et par les Juges de la Chambre. Je vous souhaite un

15 bon retour chez vous.

16 Madame l'Huissière, je vous demanderais d'escorter M. Stijovic hors de ce

17 prétoire.

18 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci à vous également de m'avoir convoqué,

19 Monsieur le Président.

20 [Le témoin se retire]

21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] La Chambre aimerait consacrer les

22 quelques minutes qui restent d'abord à la lecture d'une décision orale que

23 je lis. Voici la décision relative à la notification à l'avance des témoins

24 à entendre.

25 Le 19 mars 2007, la Défense de Ramush Haradinaj a adressé à la Chambre de

26 première instance une proposition détaillée avec notification à l'avance

27 des témoins dont l'audition était prévue semaine après semaine. Le 23 mars,

28 l'Accusation a répondu à cette proposition en rejetant certains aspects

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1 comme n'étant pas réalisable.

2 La Chambre de première instance a réfléchi aux deux propositions, et

3 adopte la contre-proposition de l'Accusation en tant que moyen de

4 poursuivre la présentation des moyens de preuve de l'Accusation, en tout

5 cas dans le court terme. La Chambre prévoit que l'Accusation améliorera

6 l'organisation de sa présentation et s'efforcera de respecter un préavis

7 plus important, aussi bien dans ses rapports avec la Défense qu'avec la

8 Chambre de première instance. Ainsi, la proposition que nous adoptons, en

9 tout cas pour le court terme, implique de fournir les notes de récolement à

10 la Défense au plus tard 27 heures à l'avance, et les notes de récolement

11 ainsi que les déclarations préalables de témoin à la Chambre de première

12 instance, au plus tard 24 heures avant le début de la déposition d'un

13 témoin.

14 Par ailleurs, la proposition adoptée par la Chambre implique que sera

15 fournie à la Défense et à la Chambre de première instance tous les jeudis

16 une liste des témoins à entendre la semaine suivante. Cette liste devra

17 comporter une estimation de la durée de l'interrogatoire principal, si

18 celle-ci est différente de celle qui figurait dans le résumé 65 ter.

19 L'Accusation doit également, comme elle l'a fait jusqu'à présent, fournir à

20 la Défense et à la Chambre de première instance une liste des pièces à

21 conviction qu'elle entend utiliser dans l'audition de chaque témoin.

22 Enfin, s'agissant d'un certain nombre de témoins dont les identités

23 sont précisées dans l'annexe à la proposition de la Défense Haradinaj,

24 ainsi que dans un mail adressé à l'Accusation par la Défense de Lahi

25 Brahimaj le 20 mars 2007, l'Accusation est convenue de fournir à la Défense

26 une information quant au moment où ces témoins seront cités à la barre sept

27 jours à l'avance.

28 Ceci conclut la décision relative à la notification à l'avance des

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1 témoins.

2 Nous allons maintenant suspendre à moins qu'il y ait d'autres questions

3 urgentes de procédure à traiter.

4 M. EMMERSON : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président, mais la

5 Chambre recevra très bientôt dans l'heure qui suit, dans une heure et demie

6 peut-être, les écritures achevées de la Défense au sujet du récolement.

7 C'est en partie pour des raisons de temps, ainsi que pour d'autres raisons

8 impliquant la façon dont le travail a été géré, que j'ai le regret de dire

9 qu'il s'agira de deux documents et non d'un seul.

10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] D'accord. Nous verrons cela. Nous

11 attendons ces écritures aujourd'hui, ces deux documents.

12 Je suspends jusqu'à lundi 2 avril, 14 heures 15 dans la salle d'audience

13 numéro II.

14 --- L'audience est levée à 13 heures 45 et reprendra le lundi 2 avril

15 2007, à 14 heures 15.

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