Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le jeudi 29 novembre 2012

  2   [Jugement]

  3   [Audience publique]

  4   [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

  5   --- L'audience est ouverte à 9 heures 00.

  6   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bonjour à toutes et à tous dans le

  7   prétoire.

  8   Monsieur le Greffier, veuillez citer l'affaire, s'il vous plaît.

  9   M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges. Il s'agit

 10   de l'affaire IT-04-84bis-T, le Procureur contre Ramush Haradinaj, Idriz

 11   Balaj et Lahi Brahimaj.

 12   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie beaucoup, Monsieur le

 13   Greffier.

 14   Pouvons-nous avoir la présentation des parties, à commencer par

 15   l'Accusation, s'il vous plaît.

 16   M. ROGERS : [interprétation] Paul Rogers du côté de l'Accusation,

 17   accompagné de Mme Daniela Kravetz, M. [comme interprété] Gopolan et notre

 18   commise à l'audience aujourd'hui, Mme Line Pedersen.

 19   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Du côté de la Défense, s'il vous

 20   plaît.

 21   M. EMMERSON : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges. Ben Emmerson

 22   représentant les intérêts de Ramush Haradinaj, accompagné de Rod Dixon,

 23   Andrew Strong, Annie O'Reilly et Kerrie Rowan.

 24   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Et représentant M. Balaj.

 25   M. GUY-SMITH : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges. Chad Mair,

 26   Gentian Zyberi, Colleen Rohan et Gregor Guy-Smith représentant les intérêts

 27   de M. Idriz Balaj.

 28   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Et pour M. Brahimaj.


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  1   M. HARVEY : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges. Richard Harvey,

  2   accompagné de Paul Troop, Rudina Jasini et Sophie Rigney représentant les

  3   intérêts de M. Brahimaj.

  4   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie, Maître Harvey.

  5   La présente Chambre de première instance est réunie aujourd'hui pour rendre

  6   son jugement dans le procès de trois accusés, Ramush Haradinaj, Idriz Balaj

  7   et Lahi Brahimaj. Au cours de la présente audience, la Chambre de première

  8   instance va brièvement résumer ses conclusions, en soulignant qu'il ne

  9   s'agit que d'un résumé et que seul fait autorité l'exposé des conclusions

 10   et des motifs de la Chambre qui figure dans le jugement écrit, dont des

 11   copies seront mises à la disposition des parties à l'issue de l'audience.

 12   Les trois accusés, Ramush Haradinaj, Idriz Balaj et Lahi Brahimaj, sont

 13   accusés en tant que membres d'une entreprise criminelle commune ou, à

 14   défaut, au titre d'autres formes de responsabilité pénale individuelle, de

 15   crimes qui auraient été commis par eux ou par d'autres membres de l'Armée

 16   de libération du Kosovo en 1998 contre des civils serbes, rom/égyptiens du

 17   Kosovo et albanais du Kosovo ou d'autres civils au quartier général de

 18   l'Armée de libération du Kosovo dans le village de Jabllanice, dans la

 19   municipalité de Djakovica, à l'ouest du Kosovo. J'utiliserai par la suite

 20   le terme ALK pour désigner l'Armée de libération du Kosovo.

 21   L'acte d'accusation allègue des faits spécifiques au cours desquels un

 22   total de 16 Albanais, Serbes et Rom du Kosovo et d'autres civils auraient

 23   été enlevés, détenus et soumis à des actes de torture et de traitement

 24   cruel au quartier général de l'ALK à Jabllanice. Il est allégué en outre

 25   que huit de ces individus ont été tués alors qu'ils étaient sous la garde

 26   de l'ALK. Ces allégations constituent le fondement de six chefs de

 27   violation des lois ou coutumes de la guerre, à savoir traitement cruel,

 28   torture et meurtre, retenus contre Ramush Haradinaj et Idriz Balaj en vertu


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  1   de l'article 3 du Statut. Quatre de ces chefs ont été retenus contre Lahi

  2   Brahimaj.

  3   Cette affaire est un nouveau procès partiel. Lors du premier procès en

  4   première instance, 16 chefs de crimes contre l'humanité et 19 chefs de

  5   violation des lois ou coutumes de la guerre ont été retenus contre les

  6   trois accusés dans l'affaire le Procureur contre Haradinaj et consorts,

  7   affaire numéro IT-04-84, le 4 mars 2005. Un chef supplémentaire au titre de

  8   crimes contre l'humanité et un chef supplémentaire au titre de violation

  9   des lois ou coutumes de la guerre ont été retenus contre Ramush Haradinaj.

 10   Le 3 avril 2008, la Chambre de première instance a acquitté Ramush

 11   Haradinaj et Idriz Balaj de tous les chefs mis en cause dans l'acte

 12   d'accusation et a déclaré Lahi Brahimaj coupable de deux chefs, l'a

 13   condamné à six ans d'emprisonnement et l'a acquitté de tous les autres

 14   chefs. L'Accusation a fait appel du jugement en alléguant, entre autres,

 15   que la Chambre de première instance avait enfreint son droit à un procès

 16   équitable en ne lui accordant pas un temps supplémentaire pour entendre la

 17   déposition de deux témoins essentiels et a demandé un nouveau procès.

 18   Le 21 juillet 2010, la Chambre d'appel, le Juge Robinson étant en

 19   désaccord, a partiellement fait droit à l'appel de l'Accusation et a

 20   infirmé la décision de la Chambre de première instance d'acquitter l'accusé

 21   de certains chefs d'accusation liés aux crimes qui auraient été commis au

 22   quartier général de l'ALK à Jabllanice. La Chambre d'appel a ordonné un

 23   nouveau procès partiel pour ce qui est de ces chefs d'accusation. Le procès

 24   a débuté le 18 août 2011. La Chambre de première instance a entendu la

 25   déposition de 56 témoins, notamment de deux témoins qui faisaient l'objet

 26   du nouveau procès ordonné par la Chambre.

 27   Le présent acte d'accusation allègue qu'à l'époque des faits, Ramush

 28   Haradinaj était commandant de la zone opérationnelle de Dukagjin de l'ALK à


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  1   l'ouest du Kosovo et qu'à ce titre il commandait l'ensemble des forces de

  2   l'ALK dans ce secteur. Il est allégué qu'Idriz Balaj était membre de l'ALK,

  3   subordonné directement à Ramush Haradinaj, et qu'il était le commandant

  4   d'une unité spéciale d'intervention rapide connue sous le nom des Aigles

  5   noirs. Il est allégué que Lahi Brahimaj était membre de l'ALK, qu'il était

  6   affecté à Jabllanice pendant toute la durée couverte par l'acte

  7   d'accusation et qu'il était le subordonné de Ramush Haradinaj. Il est

  8   allégué que Lahi Brahimaj a été brièvement commandant adjoint de la zone

  9   opérationnelle de Dukagjin et par la suite directeur financier de l'état-

 10   major général de l'ALK.

 11   En ce qui concerne les six chefs de violation des lois ou coutumes de la

 12   guerre reprochés dans l'acte d'accusation, la Chambre de première instance

 13   a rendu les conclusions suivantes, et je vais commencer par le chef 3 :

 14   Le 13 juin 1998, le Témoin 6, un Albanais catholique du Kosovo a été enlevé

 15   par des soldats de l'ALK sur la route entre Djakovica et Klina. Il a été

 16   détenu au quartier général de l'ALK à Jabllanice pendant environ six

 17   semaines, où il a été frappé à maintes reprises par des soldats de l'ALK,

 18   notamment Nazmi Brahimaj, Lahi Brahimaj et Hamza Brahimaj. Le Témoin 6

 19   était accusé d'avoir collaboré avec les Serbes et d'être un espion. Le 25

 20   juillet 1998, le Témoin 6 a été libéré du quartier général de l'ALK à

 21   Jabllanice par Nazmi Brahimaj. La Chambre de première instance est

 22   convaincue que les chefs de torture et de traitement cruel infligés au

 23   Témoin 6 ont été établis. Ce chef n'a pas été retenu contre Lahi Brahimaj

 24   dans ce nouveau procès.

 25   Chef 4. Encore une fois, le 13 juin 1998, Nenad Remistar, un agent chargé

 26   de la circulation d'appartenance ethnique serbe, a été contraint par des

 27   soldats de l'ALK à quitter son véhicule sur la route entre Klina et

 28   Djakovica. Il a été emmené au quartier général de l'ALK à Jabllanice. Là,


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  1   il a été violemment battu par Nazmi Brahimaj et d'autres soldats de l'ALK.

  2   Le lendemain, le 14 juin 1998, on a fait sortir Nenad Remistar de la pièce

  3   au quartier général de l'ALK à Jabllanice où il était détenu et on ne l'a

  4   jamais revu. Il n'a toujours pas été retrouvé. La Chambre de première

  5   instance est convaincue que les allégations de torture et de traitement

  6   cruel contre Nenad Remistar ont été établies. L'Accusation n'a présenté

  7   aucun élément de preuve sur le sort de Nenad Remistar après sa sortie de la

  8   pièce au quartier général de l'ALK à Jabllanice. La Chambre de première

  9   instance conclut, dans les circonstances de l'espèce, que le meurtre de

 10   Nenad Remistar n'a pas été établi.

 11   Vers la fin du mois de juin 1998, un inconnu bosniaque ainsi que trois

 12   inconnus monténégrins ont été conduits au quartier général de l'ALK à

 13   Jabllanice, où ils ont été frappés et poignardés à coups de couteaux par

 14   des soldats de l'ALK, en présence de Nazmi Brahimaj et Hamza Brahimaj.

 15   L'inconnu bosniaque était accusé d'avoir coupé l'électricité. La Chambre de

 16   première instance est convaincue que les allégations de traitement cruel

 17   contre ces quatre hommes et le chef de torture contre l'inconnu bosniaque

 18   ont été établis. En l'absence d'élément de preuve que les mauvais

 19   traitements des trois inconnus monténégrins ont été infligés avec

 20   l'intention requise pour la torture, la Chambre de première instance

 21   conclut que le chef de torture des trois Monténégrins n'a pas été établi.

 22   Chef 5. Vers le 13 ou le 14 juillet 1998, Skender Kuci, un Albanais du

 23   Kosovo, a été conduit au quartier général de l'ALK à Jabllanice dans le

 24   coffre de sa voiture et a été détenu dans une pièce au quartier général de

 25   l'ALK. A son arrivée, il a été frappé dans la cour et dans la pièce où il a

 26   été détenu par des soldats de l'ALK, notamment Nazmi Brahimaj et Hamza

 27   Brahimaj, en présence de Lahi Brahimaj. Le lendemain, c'est-à-dire vers le

 28   14 ou le 15 juillet 1998, Pal Krasniqi, un Albanais catholique du Kosovo


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  1   qui avait quitté sa maison de Pec le 10 juillet 1998 avec l'intention de

  2   rejoindre l'ALK, a été conduit au quartier général de l'ALK à Jabllanice.

  3   Il a été détenu dans la même pièce que Skender Kuci. Quelques heures plus

  4   tard, le Témoin 3, un Albanais du Kosovo, a été conduit par Lahi Brahimaj

  5   au quartier général de l'ALK à Jabllanice et a été détenu dans la même

  6   pièce que Skender Kuci et Pal Krasniqi. Les trois hommes ont été frappés à

  7   maintes reprises au quartier général de l'ALK à Jabllanice. Un témoin a

  8   décrit l'état dans lequel étaient Skender Kuci et Pal Krasniqi après avoir

  9   été battus, et je cite :

 10   "Je n'ai jamais vu personne dans un état pareil. J'ai vu des personnes

 11   mortes, tuées pendant la guerre. Mais des personnes réduites à cet état-là,

 12   jamais. En très, très mauvais état."

 13   Pendant qu'on le frappait, Pal Krasniqi était accusé d'être un espion, et

 14   Skender Kuci d'avoir beaucoup d'argent. Le Témoin 3 a été interrogé par

 15   Lahi Brahimaj, après quoi Lahi Brahimaj a demandé à deux femmes de

 16   s'entraîner à le frapper avec des matraques. La Chambre de première

 17   instance est convaincue que les allégations de torture et de traitement

 18   cruel en ce qui concerne Skender Kuci, Pal Krasniqi et le Témoin 3 ont été

 19   établies. Ce chef d'accusation n'est pas retenu contre Lahi Brahimaj dans

 20   le nouveau procès.

 21   Vers le 15 ou le 16 juillet 1998, le jour de l'échec de sa tentative

 22   d'évasion du quartier général de l'ALK à Jabllanice, Skender Kuci a été

 23   violemment battu, après quoi il a été emmené à l'hôpital, où il est mort.

 24   La Chambre de première instance est convaincue que la mort de Skender Kuci

 25   a été provoquée par les complications dues à ces blessures qui lui ont été

 26   infligées lorsqu'il a été frappé au quartier général de l'ALK à Jabllanice.

 27   Le chef de meurtre de Skender Kuci a été établi.

 28   Pal Krasniqi a été violemment frappé à maintes reprises au quartier général


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  1   de l'ALK à Jabllanice. Il a été vu pour la dernière fois par le Témoin 6 au

  2   quartier général de l'ALK à Jabllanice le 25 juillet 1998. Son corps a été

  3   découvert en septembre 1998 dans le canal du lac de Radoniq, et des

  4   blessures par balles au niveau de la tête, du torse et des membres

  5   supérieurs ont été trouvées. L'Accusation n'a présenté aucun élément de

  6   preuve sur les circonstances de sa mort. Dans les circonstances de

  7   l'espèce, la Chambre de première instance ne peut pas conclure au-delà de

  8   tout doute raisonnable que le chef de meurtre de Pal Krasniqi a été établi.

  9   Chef 6. Le lendemain de l'attaque par les forces serbes du village de

 10   Grabanice à la date du 19 mai 1998 ou vers cette date, Naser Lika et Fadil

 11   Fazliu ont été chassés par la force par des soldats de l'ALK d'une maison à

 12   Zhabel. Au cours de l'événement, des soldats de l'ALK ont appelé Fadil

 13   Fazliu et Naser Lika des traîtres. Les soldats de l'ALK ont frappé et roué

 14   de coups Naser Lika et Fadil Fazliu à Zhabel. La Chambre de première

 15   instance est convaincue que les allégations de torture et de traitement

 16   cruel contre Naser Lika et Fadil Fazliu en ce qui concerne leur transfert

 17   sous la contrainte de Zhabel ont été établies.

 18   La Chambre de première instance est, par conséquent, convaincue que les

 19   chefs 3, 4, 5 et le transfert sous la contrainte de Naser Lika et de Fadil

 20   Fazliu de Zhabel par des soldats de l'ALK allégué au chef 6 ont été

 21   établis.

 22   Pour ce qui est du chef 1 de l'acte d'accusation, celui-ci allègue le

 23   meurtre, le traitement cruel et la torture d'Ivan Zaric, un Serbe du

 24   Kosovo, ainsi que d'Agron Berisha et de Burim Bejta, tous deux Kosovars

 25   d'origine Rom égyptienne. Les éléments de preuve permettent d'établir que

 26   les trois hommes ont quitté le village de Dolac le 17 ou le 18 mai 1998 à

 27   bord d'une charrette tirée par un cheval en direction de la minoterie du

 28   village de Grabanice où ils allaient moudre un sac de blé. Ils sont arrivés


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  1   à Grabanice le même jour. Les membres de la famille des trois hommes ne les

  2   ont plus jamais revus après ce jour-là. L'Accusation a présenté deux

  3   témoins pour apporter la preuve d'événements qui se sont déroulés, tel que

  4   l'Accusation l'allègue, après qu'Ivan Zaric, Agron Berisha et Burim Bejta

  5   ont été vus pour la dernière fois par les membres de leurs familles. Un de

  6   ces témoins a laissé entendre dans sa déposition que les trois hommes ont

  7   été maltraités et tués au quartier général de l'ALK à Jabllanice et que les

  8   trois accusés ont participé au mauvais traitement et au meurtre. L'autre

  9   témoin a laissé entendre dans sa déposition qu'Idriz Balaj et Lahi Brahimaj

 10   ont participé au mauvais traitement et au meurtre, notamment des trois

 11   victimes. Le premier témoin a modifié son récit à plusieurs reprises sur

 12   des points essentiels. Il s'est contredit à maintes reprises, et sa

 13   déposition a été contredite par d'autres témoignages dans ce procès. La

 14   déposition du deuxième témoin se caractérise par d'importantes incohérences

 15   et contradictions. La Chambre de première instance n'a pas été convaincue

 16   de la fiabilité de la déposition de l'un ou l'autre de ces deux témoins.

 17   Pour les motifs énoncés plus en détail dans le jugement écrit, la Chambre

 18   de première instance conclut que le chef 1 n'a pas été établi.

 19   Il est allégué au chef 2 que deux Rom égyptiens, Uke Rexhepaj et son

 20   gendre, Nesret Alijaj, du village de Grabanice, ont été tués et ont fait

 21   l'objet de traitement cruel. Les éléments de preuve établissent que le 20

 22   mai 1998, Uke Rexhepaj et Nesret Alijaj ont été arrêtés sur la route entre

 23   Grabanice et Dolovo par des hommes vêtus de tenues de camouflage vert foncé

 24   qui parlaient albanais. Ces hommes ont lié les mains d'Uke Rexhepaj et

 25   Nesret Alijaj, leur ont bandé les yeux et les ont jetés dans une voiture

 26   qui est partie vers une direction inconnue. L'Accusation n'a présenté

 27   aucune preuve directe sur le sort d'Uke Rexhepaj et Nesret Alijaj après

 28   leur enlèvement sur la route entre Grabanice et Dolovo. Elle se fond sur le


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  1   témoignage d'un témoin dans un autre procès, témoignage qui n'a pas fait

  2   l'objet d'un contre-interrogatoire sur ce point et qui fait référence à un

  3   gendre et à son beau-père d'origine Rom, dont l'identité n'est pas connue,

  4   et qui se trouvaient au quartier général de l'ALK à Jabllanice. A nouveau,

  5   pour les motifs énoncés plus en détail dans le jugement écrit, la Chambre

  6   conclut que le chef 2 n'a pas été établi.

  7   Il est en outre allégué au chef 6 que Naser Lika, un Albanais du Kosovo, a

  8   subi des sévices au quartier général de l'ALK à Jabllanice. L'Accusation

  9   n'a appelé qu'un témoin à la barre pour corroborer ce chef; il s'agissait

 10   de l'un des deux témoins qu'elle a convoqués pour étayer le chef 1. La

 11   Chambre n'a pas été convaincue par la crédibilité du témoin. Et la Chambre

 12   n'a notamment pas été persuadée que le témoin était effectivement présent

 13   au quartier général de l'ALK à Jabllanice à l'époque des faits et qu'il a

 14   vraiment observé les événements à propos desquels il a témoigné. La Chambre

 15   a la nette impression que ce témoin a peut-être relaté ce qu'il a pu

 16   entendre d'autres personnes. Pour les motifs énoncés plus en détail dans le

 17   jugement écrit, la Chambre conclut que les allégations de torture et de

 18   traitement cruel de Naser Lika au quartier général de l'ALK à Jabllanice

 19   figurant au chef 6 n'ont pas été établies.

 20   L'existence d'une entreprise criminelle commune est une accusation

 21   principale dans l'acte d'accusation en l'espèce. Le but commun allégué

 22   était de permettre à l'ALK d'exercer un contrôle total sur la zone

 23   opérationnelle de Dukagjin en procédant au transfert illégal de civils

 24   serbes et en leur infligeant des mauvais traitements, ainsi qu'aux civils

 25   albanais et Rom égyptiens du Kosovo et à d'autres civils collaborant ou

 26   soupçonnés de collaborer avec les forces serbes ou soupçonnés de ne pas

 27   soutenir l'ALK. Cette entreprise criminelle commune aurait existé à partir

 28   de mars 1998 ou vers cette date jusqu'à la fin du mois de septembre 1998 au


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  1   moins.

  2   L'Accusation n'a pas fourni de preuve directe démontrant que les crimes

  3   établis avaient été commis dans le cadre de l'entreprise criminelle commune

  4   dont les trois accusés étaient membres. La Chambre a examiné les éléments

  5   de preuve indirects versés par l'Accusation pour prouver cette allégation.

  6   Parmi ces éléments de preuve figurent des communiqués de l'état-major

  7   général de l'ALK publiés par les médias qui contiennent des informations

  8   sur des attaques ou des "mesures" prises par l'ALK contre les personnes qui

  9   collaboraient avec les autorités serbes. La Chambre est d'avis que les

 10   informations figurant dans ces communiqués ont pu être exagérées ou

 11   modifiées à des fins de propagande. Elles sont souvent vagues et ne

 12   fournissent pas de précisions relatives au lieu et à l'heure de

 13   l'événement, à l'identité de l'auteur, à l'identité des victimes ou à leur

 14   statut de civil ou militaire. En outre, la Chambre a reçu des éléments de

 15   preuve concernant l'existence de plusieurs listes de noms qui, selon

 16   l'Accusation, étaient, je cite :

 17   "Des listes noires de l'ALK de personnes soupçonnées d'être déloyales

 18   envers l'ALK, de sympathiser avec le parti de l'opposition, la Ligue

 19   démocratique du Kosovo, ou d'avoir travaillé pour les autorités serbes."

 20   Une seule de ces lites a été versée au dossier, il s'agit de notes

 21   manuscrites d'une réunion, intitulées "Personnes recherchées ou portées

 22   disparues," dont la finalité n'a pas été établie par les éléments de

 23   preuve. La Chambre pense que les éléments de preuve versés au dossier eu

 24   égard à ces listes ne permettent pas de conclure à l'existence d'une

 25   entreprise criminelle commune et d'un objectif commun tel qu'allégué dans

 26   l'acte d'accusation.

 27   Le règlement de la police militaire de l'ALK dispose notamment que la

 28   police militaire de l'ALK a pour tâche de "mener des enquêtes et démasquer…


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  1   toutes ces personnes qui collaborent d'une manière ou d'une autre avec

  2   l'ennemi," et, je cite à nouveau, "de prendre des mesures contre tous ceux

  3   qui oeuvrent contre l'Armée de libération du Kosovo." La Chambre a apprécié

  4   les éléments de preuve relatifs aux activités de la police militaire de

  5   l'ALK sur le terrain et a conclu que ce règlement n'était pas l'existence

  6   d'une entreprise criminelle commune.

  7   Hormis ces événements au quartier général de l'ALK à Jabllanice, la Chambre

  8   a conclu que les mauvais traitements de civils sur le territoire de la zone

  9   opérationnelle de Dukagjin par des soldats de l'ALK avaient été établis

 10   comme suit : les mauvais traitements infligés à Mijat Stojanovic, Dragoslav

 11   Stojanovic et Veselin Stijovic le 18 avril 1998 dans la propriété famille

 12   des Stojanovic et au domicile de Smajl Haradinaj à Gllogjan par des soldats

 13   de l'ALK, notamment Zeqir Nimonaj, Daut Haradinaj et Besnik Haradinaj; les

 14   mauvais traitements infligés à Novak Stijovic et Stanisa Radosevic le 22

 15   avril 1998 par des soldats de l'ALK à Gllogjan et les coups infligés à

 16   l'interprète albanais de l'équipe de la MOCE à Gllogjan par Idriz Balaj le

 17   11 août 1998. Compte tenu des circonstances précises de chacun de ces fais,

 18   et notamment des événements qui ont précédé et suivi les mauvais

 19   traitements et la libération des victimes peu de temps après, la Chambre

 20   conclut qu'aucun de ces faits n'est révélateur d'un contexte ou d'un projet

 21   impliquant le mauvais traitement de civils tel qu'allégué dans l'acte

 22   d'accusation. Par exemple, après l'un de ces événements, un soldat de l'ALK

 23   a présenté ses excuses aux victimes et a attribué ledit événement aux

 24   groupes extrémistes incontrôlables au sein de l'ALK.

 25   La Chambre conclut que Jah Bushati, le Témoin 6, Nenad Remistar, un inconnu

 26   bosniaque, trois inconnus monténégrins, Pal Krasniqi, Skender Kuci et le

 27   Témoin 3 ont été détenus au quartier général de l'ALK à Jabllanice, où des

 28   soldats de l'AlK les ont battus à maintes reprises. La Chambre conclut que


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  1   les auteurs de ces violences physiques étaient notamment Nazmi Brahimaj,

  2   Hamza Brahimaj, Naser Brahimaj et Lahi Brahimaj, sauf dans le cas de Jah

  3   Bushati. A l'exception de Jah Bushati et des trois Monténégrins, les

  4   victimes étaient accusées d'espionner ou de collaborer avec des Serbes ou

  5   d'être en relation avec les forces serbes. Ces conclusions de la Chambre

  6   semblent indiquer qu'un projet commun aurait pu exister entre Nazmi

  7   Brahimaj, Hamza Brahimaj, Naser Brahimaj, Lahi Brahimaj et d'autres soldats

  8   de l'ALK présents au quartier général de l'ALK à Jabllanice afin de détenir

  9   et maltraiter des individus qu'ils soupçonnaient de collaborer avec les

 10   forces serbes ou de ne pas soutenir l'ALK. Un tel projet commun n'est pas

 11   allégué dans l'acte d'accusation en l'espèce et sort du cadre de cette

 12   affaire. Toutefois, la Chambre note que même si l'existence d'un tel projet

 13   commun était établie, ce qui n'est pas la conclusion de la Chambre, rien

 14   dans les éléments de preuve n'indique que Ramush Haradinaj ou Idriz Balaj

 15   auraient pu participer à un tel projet commun. Au contraire, les éléments

 16   de preuve établissent que lorsque Ramush Haradinaj a été informé de la

 17   détention de Skender Kuci et des mauvais traitements qu'il avait subis, il

 18   est allé à Jabllanice pour parler à Nazmi Brahimaj de la libération de

 19   Skender Kuci et lui a dit que, je cite : "Ce genre de choses ne devraient

 20   plus se passer parce que cela nuit à notre cause."

 21   Lorsque le Témoin 3 a été conduit à Ramush Haradinaj après son évasion de

 22   Jabllanice et son arrestation ultérieure par Lahi Brahimaj, Ramush

 23   Haradinaj a donné à manger au Témoin 3, a proposé de le loger et l'a rendu

 24   à sa famille. L'Accusation n'a fait état d'aucun élément de preuve crédible

 25   permettant d'établir que Ramush Haradinaj avait une quelconque connaissance

 26   des crimes commis au quartier général de l'ALK à Jabllanice. Sur la base

 27   des éléments de preuve acceptés par la Chambre, il n'existe aucune mention

 28   de la présence d'Idriz Balaj au quartier général de l'ALK à Jabllanice ou


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  1   du fait qu'il avait connaissance de ces crimes.

  2   La Chambre a analysé tous les éléments de preuve indirects présentés pour

  3   prouver l'existence de l'entreprise criminelle commune alléguée dans l'acte

  4   d'accusation et conclut que l'objectif commun de l'entreprise criminelle

  5   commune n'a pas été établi. Par conséquent, s'agissant des crimes reprochés

  6   aux chefs d'accusation 3, 4, 5 et 6, Ramush Haradinaj et Idriz Balaj ne

  7   sont pas tenus pénalement responsables pour avoir participé à une

  8   entreprise criminelle commune. S'agissant des crimes reprochés aux chefs

  9   d'accusation 4 et 6, Lahi Brahimaj n'est pas tenu pénalement responsable

 10   pour avoir participé à une entreprise criminelle commune. Et je répète, que

 11   Lahi Brahimaj n'est pas tenu pénalement responsable pour avoir participé à

 12   une entreprise criminelle commune s'agissant des crimes reprochés aux chefs

 13   d'accusation 4 et 6.

 14   A titre subsidiaire, Ramush Haradinaj est accusé d'avoir ordonner, inciter

 15   à commettre ou aider et encourager les crimes reprochés au chef 6. La

 16   Chambre conclut que les crimes allégués dans ce chef n'ont pas été établis,

 17   à l'exception du transfert sous la contrainte de Naser Lika et Fadil Fazliu

 18   de Zhabel par des soldats de l'ALK. Il n'existe aucune preuve qui suggère,

 19   et encore moins qui prouve au-delà de tout doute raisonnable, que Ramush

 20   Haradinaj ait incité les soldat de l'ALK qui ont expulsé sous la contrainte

 21   Naser Lika et Fadil Fazliu de Zhabel à commettre ces actes ou qu'il ait

 22   donné des instructions pour ce faire ou qu'il ait aidé et encouragé la

 23   commission de ce crime.

 24   A titre subsidiaire, Idriz Balaj et Lahi Brahimaj sont accusés d'avoir

 25   commis, planifié ou aidé et encouragé la commission des crimes reprochés au

 26   chef 6. La Chambre conclut que les crimes reprochés à ce chef n'ont pas été

 27   établis, à l'exception du transfert sous la contrainte de Naser Lika et de

 28   Fadil Fazliu de Zhabel par des soldats de l'ALK. L'Accusation n'a fourni


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  1   aucun élément de preuve pour étayer les allégations qu'Idriz Balaj et Lahi

  2   Brahimaj ont commis, planifié ou aidé et encouragé la perpétration de ce

  3   crime. Par conséquent, Idriz Balaj et Lahi Brahimaj ne sont aucunement

  4   tenus responsables des crimes reprochés au chef 6, y compris des modes de

  5   participation mis en cause à titre subsidiaire.

  6   Monsieur Ramush Haradinaj, veuillez vous lever.

  7   La Chambre vous déclare non coupable de tous les chefs de l'acte

  8   d'accusation. La Chambre ordonne votre libération du quartier pénitentiaire

  9   des Nations Unies lorsque les dispositions nécessaires auront été prises, à

 10   moins que vous n'y soyez détenu en application d'un ordre de mise en

 11   détention valide. Vous pouvez vous rasseoir.

 12   Monsieur Idriz Balaj, veuillez vous lever.

 13   La Chambre vous déclare non coupable de tous les chefs de l'acte

 14   d'accusation. La Chambre ordonne votre libération du quartier pénitentiaire

 15   des Nations Unies lorsque les dispositions nécessaires auront été prises, à

 16   moins que vous n'y soyez détenu en application d'un ordre de mise en

 17   détention valide. Vous pouvez vous rasseoir.

 18   Monsieur Lahi Brahimaj, veuillez vous lever.

 19   La Chambre vous déclare non coupable de tous les chefs de l'acte

 20   d'accusation qui vous sont reprochés. La Chambre ordonne votre libération

 21   du quartier pénitentiaire des Nations Unies lorsque les dispositions

 22   nécessaires seront prises, à moins que vous n'y soyez détenu en application

 23   d'un ordre de mise en détention valide. Vous pouvez vous rasseoir.

 24   Ceci met fin à ce procès. L'audience est levée.

 25   --- L'audience est levée à 9 heures 35.

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