Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

Page 31

1 (Jeudi 22 février 2001 – Procédure d'appel.)

2 (L'audience est ouverte à 9 heures 35.)

3 (Audience publique.)

4 M. le Président (interprétation): Madame la Greffière, veuillez annoncer

5 l'affaire.

6 Mme Taylor (interprétation): Il s'agit de l'affaire IT-95-10-A, le

7 Procureur contre Goran Jelisic.

8 M. le Président (interprétation): Puis-je partir de l'idée qu'il est

9 compris que, sous cette rubrique, en fait nous sommes saisis de deux

10 appels: l'un interjeté par le Procureur qui s'oppose à l'acquittement,

11 l'autre appel ayant été déposé par M. Jelisic à l'encontre de la peine

12 prononcée contre lui.

13 Si c'est bien ce qui est compris par les parties, je vais demander que

14 celles-ci se présentent. Je suppose que nous avons le même conseil qui va

15 représenter les intérêts de la même partie pour les deux appels.

16 M. Clegg (interprétation): C'est exact.

17 M. le Président (interprétation): S'agissant du premier appel, pris dans

18 l'ordre chronologique -il s'agit de celui interjeté par l'accusation-,

19 puis-je demander à celle-ci quels sont les conseils et avocats présents à

20 l'audience?

21 M. Yapa (interprétation): Je m'appelle Upawansa Yapa. Je défends les

22 intérêts de l'accusation, en présence de M. Nice, de Mme Carmela Anninck-

23 Javier qui est notre substitut d'audience, et de M. Guariglia.

24 M. le Président (interprétation): Vous serez l'avocat pour les deux

25 appels?

Page 32

1 M. Yapa (interprétation): Oui.

2 M. le Président (interprétation): Et pour M. Jelisic, sera-ce le même

3 avocat?

4 M. Clegg (interprétation): Je m'appelle William Clegg. Je comparais en

5 présence de M. Babic et de Mme McQuitty pour les deux appels.

6 Mais je voudrais formuler une mise en garde s'agissant des propos que vous

7 venez de tenir. Vous avez demandé si l'appel interjeté par l'appelant se

8 limitait uniquement à la peine prononcée contre lui. Jusqu'à hier, c'était

9 sans nul doute le cas, mais hier, à mon arrivée à La Haye, il m'a été

10 remis une copie de l'arrêt Celebici, prononcé par la Chambre d'appel. Le

11 Juge Nieto-Navia et le Juge Pocar connaissent sans doute mieux cet arrêt

12 Celebici que moi.

13 J'ai lu cependant les passages pertinents et il apparaît que le principe

14 des cumuls des condamnations s'appliquerait aux plaidoyers déposés par cet

15 accusé, face à l'Acte d'accusation. A bien des égards, ce sujet est

16 purement théorique; il est dénué de toute incidence pratique sur l'issue

17 de ce procès. En effet, il a reçu une seule peine, peine à propos de

18 laquelle, je crois qu'elle lui a été infligée pour ses actions et pas pour

19 la façon dont l'Acte d'accusation a décrit et qualifié les infractions.

20 Cependant, dans l'affaire Celebici, même s'il n'y a pas eu dualité de

21 peines, puisque les faits ne se situaient qu'à la fin, au cumul des

22 condamnations, la Chambre a renvoyé l'affaire à une Chambre de première

23 instance, parce que la Chambre d'appel dit, à son paragraphe 431 de

24 l'arrêt, que l'issue aurait peut-être été différente.

25 En l'espèce, je n'affirme pas que l'issue du procès, à savoir la peine,

Page 33

1 aurait été différente et la dernière chose que voudrait M. Jelisic, ce

2 serait que son appel soit reporté du fait de cette question très

3 technique. Cependant, j'ai le sentiment qu'au vu des décisions

4 majoritaires prises dans l'affaire Celebici, le cumul des condamnations

5 décidées contre cet accusé, du fait de son plaidoyer de culpabilité, ne

6 peut pas être maintenu.

7 Nous invitons la Chambre d'appel à annuler officiellement la moindre des

8 deux peines pour laquelle il a été condamné. A mon avis, ceci n'a pas

9 d'effet pratique sur le résultat de l'appel, pas le moins du monde. Je ne

10 veux pas dire que la peine imposée par la Chambre de première instance

11 aurait été en aucune façon différente.

12 Toutefois, à la lumière de l'arrêt Celebici -du moins de la façon dont je

13 le lis- en tant que conseil de M. Jelisic, je ne pense pas qu'il serait

14 juste que j'abandonne un point qui a été accueilli par la Chambre d'appel

15 du Tribunal.

16 Par conséquent, je me permets de demander l'autorisation à la Chambre de

17 faire appel s'agissant de chacun des binômes de peine, d'interjeter appel

18 de la moindre des deux d'entre elles. Du moins pour ce qui est des charges

19 dont il s'est déclaré coupable. J'invite la Cour à annuler ces

20 condamnations au vu de l'arrêt Celebici et puis de procéder à l'audience

21 consacrée à l'appel. Par exemple, en ce qui concerne l'appel interjeté par

22 l'accusation devant l'acquittement de M. Jelisic, et pour ce qui est de la

23 défense de l'appel interjeté par celle-ci sur la question de l'appel.

24 M. le Président (interprétation): Merci. Vous pouvez vous rasseoir.

25 La Chambre est saisie d'une requête visant à la modification de l'Acte

Page 34

1 d'appel dans l'un des deux appels déposés. Qu'en dit l'accusation?

2 M. Yapa (interprétation): Nous ne sommes pas surpris par les arguments que

3 vient de présenter M. Clegg. En effet, il m'a informé ce matin à 9 heures

4 de son intention de vous soumettre ces questions.

5 Ce que je voudrais faire valoir, c'est ceci: même si M. Clegg semble dire

6 qu'il s'agit d'une question purement académique ou théorique, nous ne

7 pouvons pas nous engager ici à l'audience. Il faudra sans doute que nous

8 voyons quelles seront les répercussions de l'arrêt Celebici sur le

9 jugement dont vous êtes saisi ici. Je ne m'oppose pas du tout à ce que

10 cette question soit soulevée par la défense, mais nous vous demandons

11 l'autorisation de déposer des écritures sur cette question par la suite.

12 Je vous remercie.

13 M. le Président (interprétation): Monsieur Clegg, voulez-vous réagir?

14 M. Clegg (interprétation): Si le Règlement l'autorise, je ferai remarquer

15 que M. Yapa était le premier substitut du Bureau du Procureur dans l'arrêt

16 Celebici, donc je suppose qu'il est mieux au courant de l'affaire Celebici

17 que moi. Mais je pensais qu'il aurait pu peut-être réagir à cette

18 proposition assez simple que j'ai faite ici, à l'audience, puisqu'il était

19 présent dans l'affaire Celebici, sans qu'il soit nécessaire d'avoir

20 recours à des dépôts d'écriture trop longues.

21 M. le Président (interprétation): Il y a certains membres de la Chambre

22 d'appel qui ne connaissent peut-être pas aussi bien que les parties le

23 dossier et l'arrêt Celebici. Est-ce que l'on ne peut pas, dès lors,

24 retenir la proposition faite par M. Yapa? Ne serait-ce que pour informer

25 les autres membres de la Chambre d'appel qui ne connaissent pas le dossier

Page 35

1 Celebici. Je pense qu'il serait utile de laisser latitude aux parties de

2 déposer des écritures sur la question.

3 Je m'explique. Si j'ai bien compris, l'accusation ne fait pas objection à

4 votre proposition qui consiste à modifier votre Acte d'appel. L'audience

5 consacrée à l'appel peut se poursuivre dans ces conditions, mais je

6 suppose qu'à un stade ultérieur de la procédure, les parties seront

7 autorisées ou nous pourrions les autoriser dès maintenant à déposer par la

8 suite des mémoires sur la question.

9 M. Clegg (interprétation): J'en suis tout à fait satisfait. Merci,

10 Monsieur le Président.

11 M. le Président (interprétation): Les parties sont ainsi autorisées dans

12 ces conditions. Nous allons préciser par la suite quels seront les délais

13 à respecter pour le dépôt éventuel de mémoire.

14 Deuxième point: question d'intendance.

15 En avez-vous terminé, Monsieur Clegg?

16 M. Clegg (interprétation): Oui, mais j'avais oublié de faire état du fait

17 que j'ai ici l'aide d'un interprète ou d'une interprète. L'anglais de M.

18 Babic est bien meilleur que mon serbo-croate, mais pour faciliter les

19 échanges entre nous, il est utile d'avoir une interprète qui est à

20 l'extérieur du prétoire et qui ne peut entrer qu'avec l'autorisation de la

21 Chambre. Peut-elle le faire? Afin que l'interprète soit assise entre M.

22 Babic et moi. Nous pourrons ainsi communiquer directement avec M. Jelisic.

23 M. le Président (interprétation): Voyons ce qu'en pense la partie adverse.

24 Avez-vous une objection à ce que ce soit fait?

25 M. Yapa (interprétation): Non.

Page 36

1 M. le Président (interprétation): Nous accordons cette mesure.

2 (L'interprète est introduite dans la salle d'audience.)

3 Fort bien. Puis-je passer maintenant à quelques questions d'intendance?

4 Nous avons commencé l'audience à 9 heures 30 ce matin, et elle se

5 terminera ce matin, si vous le voulez bien, à 13 heures. Nous aurons alors

6 une pause pour le déjeuner. Pause d'une demi-heure normalement. Une heure

7 et demie, pardon. Mais nous vous proposons de reprendre nos travaux à 15

8 heures, parce qu'un des Juges qui devra participer à l'audience par la

9 suite, a quelque chose à faire pendant la pause. Nous reprendrons donc à

10 15 heures. Nous poursuivrons jusqu'à 17 heures ou 17 heures 15. Et nous

11 aurons deux interruptions de quinze minutes chacune.

12 Nous allons d'abord entendre l'appel interjeté par l'accusation. Comme

13 nous l'avons fait comprendre dans l'ordonnance portant calendrier, chacune

14 des parties disposera de deux heures pour faire valoir ses arguments.

15 La partie, qui lui emboîtera le pas, disposera de deux heures et le

16 premier intervenant aura une heure pour conclure. Nous allons d'abord

17 entendre l'appel interjeté par l’accusation. Une fois ces présentations

18 terminées, nous enchaînerons sur l'appel présenté par M. Jelisic.

19 Dans une de nos ordonnances portant calendrier, nous avons demandé à

20 chacune des parties d'avoir l'obligeance de publier une version publique

21 de ces arguments. L'accusation l'a faite; dans sa réponse du 6 septembre,

22 elle l'a fait mais, dans nos dossiers, nous n'avons pas vu de version

23 publique qui eut été déposée par la défense. Est-ce que l'on peut remédier

24 à cet état de choses dans les meilleurs délais?

25 M. Clegg (interprétation): Ce sera fait le plus vite possible. Je ne sais

Page 37

1 pas si la Chambre d'appel le sait, je n'ai reçu des instructions que dans

2 ces trois dernières semaines, je n'étais pas au courant de cette

3 ordonnance portant calendrier; je vais m'exécuter tout de suite.

4 M. le Président (interprétation): Nous sommes conscients des inconvénients

5 dont vous avez pâtis, et nous admirons aussi votre capacité à vous

6 exécuter de façon si diligente.

7 Voici ce que nous proposons. Nous allons entendre l'appel en attendant la

8 présentation des versions publiques du document par la défense.

9 Nous avons reçu un argumentaire général présenté par M. Clegg, est-ce que

10 nous comprenons bien la situation dans laquelle se trouve l'accusation?

11 L'accusation pense-t-elle qu'il y a de nouveaux arguments présentés dans

12 le mémoire, dans l'ossature ou résumé d'argumentaires déposé par M. Clegg?

13 Est-ce que vous demandiez à faire un dépôt formel?

14 M. Clegg (interprétation): Je ne voulais pas en faire un nouvel argument

15 mais, manifestement, l'interprétation était dans ce sens. Il faudrait

16 peut-être apporter des précisions sur les points que maintient l'appelant,

17 et c'est pourquoi nous avions fait cette présentation mais je ne m'oppose

18 pas à ce que l'accusation tienne compte de ces nouveaux arguments dans la

19 présentation qu'elle va faire aujourd'hui.

20 M. le Président (interprétation): Vous avez l'intention de demeurer dans

21 les confins arrêtés par les premiers dépôts d'écritures faites par les

22 conseils de M. Jelisic?

23 M. Clegg (interprétation): Oui.

24 M. le Président (interprétation): Dans ce résumé d'arguments présenté par

25 M. Clegg, il y avait également annonce qui était faite de certaines

Page 38

1 concessions. Je suppose que l'accusation en aura tenu compte, ceci pourra

2 peut-être permettre d'écourter les arguments, ce qui est tout à fait

3 souhaitable. Les parties tiendront également compte du fait qu'il faudrait

4 prévenir la Chambre si telle ou telle partie voudrait passer à huis clos à

5 un moment donné. Nous allons d'abord entendre les arguments présentés par

6 l'accusation. Je vous remercie.

7 M. Yapa (interprétation): Avant de vous présenter les arguments de

8 l'accusation, j'aimerais vous remettre un document très bref que j'ai

9 préparé, pour ce qui est de l'ordre dans lequel l'accusation va présenter

10 ses arguments. Je suis sûr que ce sera un document utile pour les Juges

11 comme pour la partie adverse.

12 J'aimerais en guise de préambule vous rappeler aussi quelle est la durée

13 que j'avais l'intention d'utiliser. Nous avons reçu l'autorisation de

14 parler pendant deux heures et d'avoir une heure pour la réplique mais,

15 tout compte fait, nous sommes convenus qu'il ne sera peut-être pas

16 nécessaire de consacrer deux heures à la réponse. Est-ce que nous

17 pourrions avoir une demi-heure de ce temps qui est nous imparti pour la

18 réplique, pour l'utiliser dans un premier temps, puisque nous avons

19 d'abord deux heures puis une heure? Nous, nous aimerions avoir deux heures

20 et demie et une demi-heure, cela ne fait pas de différence sur le temps

21 qui nous est donné, mais nous aimerions avoir une demi-heure de plus pour

22 la première partie afin de présenter l'appel

23 M. le Président (interprétation): Vous ne vous opposez pas à cette

24 proposition Monsieur Clegg?

25 M. Clegg (interprétation): Oui, nous avions espéré, au départ, que ce

Page 39

1 serait bref mais ces espoirs se sont vite dissipés. Ils étaient

2 prématurés.

3 M. le Président (interprétation): Permettez-moi de dire ceci, Monsieur

4 Yapa. La Chambre a pris connaissance des mémoires déposés, ce sont des

5 documents assez volumineux dont a été saisie la Chambre et nous espérons

6 que ceci permettra d'avoir une présentation orale brève. Mais tant que

7 vous ne dépassez pas le temps imparti par l'ordonnance portant calendrier,

8 nous serions prêts à consacrer deux heures et demie à la première partie

9 M. Yapa (interprétation): Je vous remercie infiniment et merci des

10 remarques faites s'agissant des mémoires déposés. A cet égard, j'ai essayé

11 de faire des présentations écrites les plus circonstanciées possible. Les

12 plaidoiries orales seront faites en guise d'ajout.

13 M. le Président (interprétation): Vous savez que les Juges ont, depuis

14 lors, rendu une directive pratique qui détermine quelle est la longueur

15 maximale des mémoires ou toutes autres écritures.

16 M. Yapa (interprétation): J'en suis conscient, j'ai pour tâche maintenant,

17 comme indiqué dans le document que je vous ai présenté, de présenter en

18 préalable à l'appel déposé par l'accusation et puis de vous parler des

19 réparations recherchées par celle-ci. Dans l'appel, le deuxième aspect qui

20 porte sur les réparations sera peut-être présenté par un autre

21 représentant du Bureau du Procureur mais c'est une question sera tranchée

22 par la suite. Vous le savez, s'agissant des motifs d'appel présentés par

23 l'accusation, d'emblée ce que j'aimerais vous dire c'est ceci.

24 M. le Président (interprétation): Un instant, s'il vous plaît, Monsieur

25 Yapa. Mon collègue à ma gauche vient de relever que vous avez commencé

Page 40

1 vers 10 heures, il faut tenir compte de cela lorsque nous allons voir

2 combien de temps vous avez utilisé.

3 M. Yapa (interprétation): Je vous remercie.

4 En guise de préambule, je saurais dire que, suite à ce que vous avez

5 décidé, la procédure d'appel est de nature corrective dans ce Tribunal.

6 C'est ce que nous dit le Statut.

7 Et l'accusation se présente devant vous et vous demande réparation en

8 vertu de l'Article 25 du Statut. Jusqu'à présent, la Chambre d'appel a été

9 saisie de plusieurs appels et l'accusation a présenté des arguments sur le

10 champ de l'examen en appel.

11 Je n'ai pas l'intention de répéter ces arguments, si ce n'est pour dire

12 ceci: nous sommes la partie appelante et nous soumettons des motifs

13 d'appel dans des points tant de droit que de fait. Cet appel, même s'il

14 porte sur une décision définitive rendue par une Chambre de première

15 instance, présente des caractéristiques différentes des appels dont la

16 Chambre a été saisie jusqu'à présent.

17 En effet, il s'agit d'un appel suite à un jugement définitif prononcé non

18 pas à la fin du procès, comme nous avons coutume de le voir. L'appel se

19 formule contre un jugement rendu à un stade préalable du procès, ce stade

20 de la procédure étant à mi-chemin. C'est du moins ce qu'ont dit certains

21 Juges.

22 Je voudrais ici attirer votre attention sur l'Article 98bis du Règlement

23 de procédure et de preuve. Les motifs d'appel déposés par l'accusation ont

24 trait ou sont déclenchés par cet Article. C'est d'ailleurs le thème

25 central dans l'appel de l'accusation.

Page 41

1 Nous estimons que la Chambre de première instance a adopté et appliqué une

2 procédure irrégulière et erronée. En tant que premier motif d'appel, nous

3 estimons que la Chambre de première instance a versé dans l'erreur en

4 matière de droit en ne donnant pas l'occasion à l'accusation d'être

5 entendu devant la Chambre en vertu du 98bis.

6 Il y a deux facettes à ce premier motif d'appel que nous faisons valoir.

7 L'accusation a été privée de son droit d'être entendue en vertu du 98bis.

8 Et, de façon concomitante, la Chambre de première instance a nié à

9 l'accusation le droit d'être entendue sur la question de savoir si

10 l'accusation devait se voir accorder une audience.

11 Je n'ai pas pour tâche ici d'entrer dans le détail des motifs d'appel que

12 nous vous avons soumis. Il nous suffira de dire qu'en conséquence de cette

13 première erreur qui a consisté à priver l'accusation de son droit d'être

14 entendue, la Chambre de première instance a versé dans l'erreur en matière

15 de droit, en application du 98bis. Et puis, elle s'est aussi trompée en

16 matière de droit en divisant, en essayant de voir quel était l'état

17 d'esprit qui était une des conditions pour le génocide, en vertu de

18 l'Article 4 du Statut.

19 Donc nous avons pris trois motifs d'appel. D'abord, le premier motif: le

20 droit d'être entendu; deuxième: peine en application du 98bis, et surtout

21 pour l'interprétation de cette règle, nous parlons ici du critère d'au-

22 delà de tout doute raisonnable. Le troisième motif, c'est sur l'intention

23 en matière de génocide (Article 4 du Statut).

24 Ce sont mes collègues qui vont vous présenter nos argumentations au sujet

25 de ces motifs d'appel. Mais je vais me permettre de vous faire un exposé

Page 42

1 général au sujet de ces motifs d'appel.

2 Ces motifs d'appel ont trait à des questions absolument essentielles et

3 fondamentales pour les procès entendus par ce Tribunal. Ces motifs d'appel

4 sont intrinsèquement liés, à tel point qu'on pourrait aller jusqu'à dire

5 qu'il y a une sorte de réaction en chaîne depuis la première erreur

6 commise en l'espèce.

7 Avant que je ne parle des réparations que nous demandons, je souhaiterais

8 parler brièvement du résumé de l'argumentation de l'appelant. Nous ne nous

9 opposons pas à cette présentation des argumentations; au contraire, nous

10 sommes très reconnaissants à notre éminent confrère de nous avoir fourni

11 ce document.

12 En ce qui concerne l'appel de la défense, on nous dit que l'appelant

13 souhaite ne faire appel que de la peine prononcée contre lui. Il est

14 important de constater que l'appelant concède les deux premiers motifs

15 d'appel de l'accusation, allant jusqu'à dire que, pour les raisons

16 avancées par l'accusation, l'accusation aurait dû avoir la possibilité

17 d'être entendue par la Chambre.

18 Et pour les raisons qui sont avancées par l'accusation, la Chambre de

19 première instance n'a pas appliqué les critères relatifs à la preuve qui

20 étaient appropriés à ce stade du procès.

21 Je reprends donc ici ce qui figure dans l'argumentation de mon éminent

22 confrère. L'appelant maintient sa position selon laquelle la Chambre de

23 première instance a correctement appliqué le droit relatif au génocide aux

24 faits de cette affaire. Nous ne sommes pas d'accord et nous allons

25 présenter des arguments à ce sujet, en présentant les arguments relatifs

Page 43

1 au troisième motif de notre appel.

2 En ce qui concerne les deux premiers motifs d'appel, l'appelant ajoute un

3 paragraphe supplémentaire, un document supplémentaire. En ce qui concerne

4 le premier motif d'appel, on nous dit que le fait que l'accusation n'ait

5 pas eu la possibilité d'être entendue n'invalide pas la décision. A moins

6 que la Chambre de première instance se soit trompée dans le droit

7 applicable en l'espèce. Nous avançons, avec tout le respect que nous

8 devrons à la Chambre et à la défense, nous estimons que ce n'est pas une

9 argumentation valable et qu'il est nécessaire d'en parler en ce qui

10 concerne le premier motif d'appel.

11 En ce qui concerne le deuxième motif d'appel, l'appelant reconnaît que la

12 plainte déposée par l'accusation est fondée et qu'ici, il s'agit plus de

13 forme que de fond. Or, nous ne sommes pas d'accord. Il ne s'agit pas ici

14 que d'une question de fond; il s'agit ici d'une erreur grave, qui a limité

15 la procédure, qui a sapé la procédure et qui a entraîné des erreurs de

16 point et de droit. Nous allons donc ultérieurement traiter de la question

17 dans un exposé.

18 L'affirmation selon laquelle la Chambre de première instance a court-

19 circuité -je reprends les termes de l'appelant- la procédure habituelle

20 n'est pas acceptable. Parce que ceci n'est pas prévu.

21 Je vais revenir brièvement aux réparations que nous demandons. Monsieur le

22 Président, Madame et Messieurs les Juges, nous demandons un nouveau procès

23 en ce qui concerne le chef d'accusation de génocide, devant une Chambre de

24 première instance constituée de Juges différents de la première.

25 Et mes collègues de l'équipe de ce procès vont vous présenter des

Page 44

1 arguments à l'appui de cette demande.

2 D'autre part, nous enjoignons la Chambre de nous donner des instructions

3 quant à la question juridique de l'intention criminelle dans le cadre du

4 crime de génocide.

5 Je ne vais pas procéder plus avant en ce qui concerne le premier motif

6 d'appel. C'est M. Fabricio Guaraglia qui va exposer nos arguments à ce

7 sujet. Je vous demande la permission de le laisser s'exprimer.

8 Merci, Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges.

9 M. le Président (interprétation): Monsieur Guariglia, vous avez la parole.

10 M. Guariglia (interprétation): Merci, Monsieur le Président, et bonjour à

11 la Chambre d'appel.

12 Je vais traiter des motifs d'appels 1 et 2, qui sont contenus dans le

13 mémoire du Procureur. Je ne pense pas y passer plus de 20 minutes. Et je

14 suis prêt ensuite à répondre à vos questions.

15 Nous nous réjouissons des concessions de la défense.

16 Ceci confirme notre position selon laquelle la Chambre de première

17 instance a versé dans l'erreur.

18 Cependant, le fait que la partie adverse soit d'accord au sujet de ce

19 point de droit ne signifie pas pour autant que la question soit réglée.

20 Nous avançons que la Chambre d’appel doit également reconnaître que la

21 position présentée par les parties constitue la bonne application du

22 droit.

23 Et comme cela a déjà été expliqué par M. Yapa, il n'y a, d'autre part, pas

24 d'accord parfait en ce qui concerne la portée de cette erreur et les

25 conséquences de ces erreurs, en ce qui concerne les deux premiers motifs

Page 45

1 d'appel de l’accusation.

2 En ce qui concerne le premier motif d'appel de l’accusation, je vais

3 parler des questions qui figurent au paragraphe 2.1 à 2.40 de notre

4 mémoire en appel, et expliquer pourquoi le refus de l'accusation

5 d'entendre des arguments de l’accusation avant de prononcer l'acquittement

6 justifie un nouveau procès.

7 Le principe de base, ici, c'est que l’accusation a le droit, elle aussi,

8 aux termes de l'Article 20 paragraphe 1, à un procès rapide et équitable.

9 Et nous nous appuyons sur une conclusion de la Chambre d'appel de la

10 Chambre dans la décision relative à Aleksovski. Dans le cadre d’un appel

11 interlocutoire, le concept du procès équitable doit s'appliquer aux deux

12 parties, aussi bien à la défense qu'à l’accusation, puisque l’accusation

13 agit au nom des intérêts de la communauté internationale, y compris des

14 victimes des faits incriminés.

15 Donc on ne peut pas considérer qu'un procès est juste et équitable si

16 l'accusé est favorisé par rapport à l’accusation. Le droit d'être entendu

17 par rapport à une décision, une décision finale, dans le cadre par exemple

18 de l'application de l'Article 98bis, est un droit essentiel. C'est un

19 droit absolument essentiel qui a un impact très important sur l'équité de

20 la procédure. Cela constitue une partie essentielle du système

21 contradictoire qui part du principe que les deux parties ont le droit de

22 présenter leurs arguments avant que l'accusé ne soit condamné ou ne soit

23 acquitté.

24 Ceci est reconnu par le Règlement du TPIY, contrairement à la décision de

25 la Chambre d'instance dans Jelisic, puisque l'Article 86 stipule très

Page 46

1 clairement que les parties ont le droit de représenter des argumentations

2 avant une décision finale.

3 Et d'autre part, cet Article ne donne nullement le pouvoir à une Chambre

4 de refuser d'entendre des réquisitoires ou des plaidoiries avant la

5 décision.

6 Donc nous avançons qu'en ce qui concerne un jugement d'acquittement, aux

7 terme de l'Article 98bis, eh bien, il faut appliquer les mêmes principes

8 aux parties avant le prononcé de la décision.

9 Le droit de l'accusation à être entendue dans le cadre de l'Article 98bis,

10 ne doit pas être considéré comme un droit sans grande substance, que l'on

11 peut ignorer, puisque cela aurait une influence très néfaste sur

12 l'intégrité de la procédure, parce que c'est l'argument de la défense,

13 qu'il s'agit d'un droit qui n'est pas très important.

14 Nous estimons au contraire que c'est un droit absolument essentiel et que,

15 sans l'application de ce droit, on ne peut pas considérer que le procès

16 soit équitable aux termes de l'Article 20 paragraphe 1 du Statut, si la

17 Chambre de première instance n'a pas eu la possibilité d'entendre tous les

18 arguments avant de prendre sa décision.

19 Dans ce contexte, il serait intéressant, il serait utile d'identifier les

20 événements lors du procès qui ont trait à ce type d’appel.

21 La situation sur laquelle vous devez vous pencher, ce n'est pas une

22 situation au cours de laquelle l'accusation n'a pas pris la possibilité,

23 qui était la sienne, de s'adresser à la Chambre de première instance, donc

24 a en quelque sorte renoncé à son droit. Ce n'est pas cela. Ce n'est pas

25 non plus une situation dans laquelle le préjudice causé à l'accusation est

Page 47

1 dû à une limite imposée par la Chambre de première instance au droit

2 d'être entendue. Car, dans ces deux cas, on pourrait dire qu'il s'agit

3 d'une erreur qui n'est pas très grave.

4 Non, ici, cela va beaucoup plus loin puisque l’accusation n'a absolument

5 pas eu la possibilité de présenter ses arguments aux termes de l'Article

6 98bis.

7 Lorsque l’accusation a demandé à la Chambre de première instance,

8 expressément, de pouvoir être entendue, elle s'est vue confrontée à un

9 refus catégorique de la Chambre. Et la décision finale a immédiatement

10 suivi une décision d’acquittement.

11 En plus de ces facteurs, il convient également de prendre en considération

12 l'importance pour les Chambres du Tribunal international d'entendre les

13 arguments des parties afin de conclure sur les affaires présentées devant

14 elle.

15 Dans le contexte du système contradictoire adopté par le TPIY, les

16 arguments présentés par les parties sont absolument essentiels pour

17 permettre aux Chambres de se présenter aussi bien sur les faits que sur le

18 droit.

19 Et que ce soit à la demande d'une des parties ou de son propre chef, la

20 Chambre de première instance a besoin d'entendre les arguments des parties

21 avant de prendre ses décisions, ceci afin de pouvoir prendre en compte

22 tous les aspects de l’affaire qui lui est présentée. Le fait de ne pas

23 entendre les arguments des parties avant de prendre une décision, a des

24 conséquences négatives.

25 En revanche, l'aide fournie par les parties est très utile dans le cadre

Page 48

1 de la prise de décision et ceci est illustré par l'Article 98bis et son

2 étude, puisqu'en refusant d'entendre les arguments de l’accusation la

3 Chambre de première instance n'a pas pu bénéficier des arguments de

4 l’accusation quant aux normes, aux critères à adopter en ce qui concernait

5 l'Article 98bis.

6 Nous estimons donc, de ce fait, que la Chambre de première instance a

7 versé dans l'erreur en adoptant un critère de culpabilité au-delà de tout

8 doute raisonnable. Et le jugement oral, aussi bien qu'écrit, rendu par la

9 Chambre de première instance n'a même pas envisagé la possibilité

10 d’utiliser un autre critère dans le cadre de sa décision.

11 En revanche, on constate que deux Juges de la Chambre de première

12 instance, lorsqu'ils étaient dans l'affaire Kvocka confrontés à une

13 requête aux fins d'acquittement de l'Article 98bis du Règlement, et après

14 avoir entendu les argumentations des parties, au lieu d'adopter le critère

15 de culpabilité au-delà de tout doute raisonnable, ont adopté le critère

16 qui est préconisé par l'accusation en l'espèce.

17 On peut donc tout à fait en conclure que, sur la base des argumentations

18 qui leur avaient été présentées, qu'ils avaient entendues, ces deux Juges

19 ont réalisé que leur décision précédente était erronée.

20 Il est possible qu'à ce moment-là, si la Chambre Jelisic avait accepté

21 d'entendre les arguments de l’accusation, elle avait réalisé que le

22 critère qu'elle allait appliquer était erroné.

23 Donc, pour résumer: en ce qui concerne le motif n°1, le droit d'être

24 entendu avant la prise d'une décision finale dans une affaire est

25 absolument fondamental. Cela constitue un élément essentiel de l'équité

Page 49

1 des procès. Le fait que la Chambre de première instance ne l'ait pas

2 considéré, constitue une infraction telle au concept d'équité du procès,

3 stipulé à l'Article 20 du Statut paragraphe 1, qu'il est nécessaire et que

4 cela justifie d'organiser un nouveau procès.

5 Et il en va même bien au-delà de cela, puisque le fait de ne pas permettre

6 à une partie d'être entendue, viole les droits de cette partie, mais en

7 plus cela remet en question l'intégrité et la qualité des procès, puisque

8 cela remet en question le système judiciaire qui est appliqué ici, le

9 système contradictoire.

10 Donc contrairement à ce qui est avancé par la défense, nous estimons qu'il

11 n'est pas nécessaire que la Chambre de première instance s'intéresse à

12 l'impact de cette erreur sur la décision, puisque nous estimons qu'au

13 titre du motif 1, eh bien, la Chambre d'appel doit décider qu'il convient

14 d'organiser un nouveau procès avec de nouveaux Juges.

15 Mais si la Chambre d'appel estime qu'il est nécessaire de montrer quelles

16 ont été les conséquences de cette décision sur la décision finale, nous

17 estimons que le fait que la Chambre de première instance n'a pas entendu

18 l'accusation a eu des conséquences fondamentales quant à l'application de

19 l'Article 98bis, puisque le mauvais critère a été appliqué.

20 Et je vais en parler quand je vous parlerai de nos arguments au titre de

21 notre deuxième motif d'appel.

22 Voici, j'en ai terminé de mes arguments en ce qui concerne le motif

23 d'appel n°1. A moins que vous n'ayez des questions, je vais passer au

24 deuxième.

25 M. le Président (interprétation): Monsieur Guariglia, les Juges de la

Page 50

1 Chambre vous poseront des questions lorsqu'ils le souhaiteront. Mais je

2 vais malgré tout leur demander, m'assurer qu'ils n'ont pas de questions à

3 vous poser. Non, donc vous pouvez donc poursuivre.

4 M. Guariglia (interprétation): On peut en arriver aux mêmes conclusions

5 pour le motif 2 que pour le motif 1. Et le motif 2, c'est l’application du

6 critère de culpabilité au-delà de tout doute raisonnable aux termes de

7 l'Article 98bis.

8 La défense reconnaît que la Chambre de première instance s'est trompée à

9 ce sujet. Mais la défense nous dit qu'il s'agit d'une question de forme et

10 pas d’une question de fond.

11 Il semble que la position de la défense soit la suivante. Puisque la

12 Chambre de première instance juge aussi bien les faits que le droit, eh

13 bien, le fait que la Chambre décide de prononcer la culpabilité ou

14 l'innocence en utilisant l'Article 98bis n'a aucune importance, car en

15 fait la Chambre de première instance aurait acquitté l'accusé à la fin du

16 procès également, si celui-ci avait suivi son cours.

17 En présentant une argumentation de ce type, la défense avance que la

18 réussite du deuxième motif d'appel de l’accusation dépend de la réussite

19 du troisième motif d'appel relatif aux éléments de preuve présentés et

20 relatif au génocide; mais nous ne sommes pas d'accord.

21 Nous estimons que, tout d'abord, la défense essaie d'identifier les

22 erreurs commises par la Chambre de première instance et ensuite analyse

23 ces erreurs, une par une, pour montrer que finalement elles ne sont pas

24 très importantes. Mais ceci n'est pas valable et je l’ai expliqué dans le

25 cadre de mon argumentation au sujet du premier motif d'appel.

Page 51

1 D’autre part, l'accusation avance que, d'une part, il y a des raisons tout

2 à fait impérieuses qui incitent à se demander si le fait de ne pas

3 utiliser le bon critère pour appliquer l'Article 98bis ne doit pas nous

4 inciter à penser que le jugement est invalide. D'autre part, l'accusation

5 avance que les erreurs commises par la Chambre de première instance sont

6 toutes liées et qu'il faut les considérer comme un tout.

7 Je vais maintenant vous exposer mes arguments.

8 Il apparaît indiscutable, pour les raisons qui sont présentées au

9 paragraphe 3.1 à 3.58 de notre mémoire, que la Chambre de première

10 instance a versé dans l’erreur en utilisant le critère de culpabilité au-

11 delà de tout doute raisonnable dans le cadre de l’application de l'Article

12 98bis du Règlement.

13 Il faut noter que sur les huit décisions prises à ce jour, en ce qui

14 concerne les requêtes aux fins d'acquittement par ce Tribunal, eh bien, la

15 décision Jelisic est la seule décision où on a utilisé le critère de

16 culpabilité au-delà de tout doute raisonnable à mi-chemin du procès.

17 Si on a accepte le fait que la Chambre a versé dans l'erreur en agissant

18 de la sorte, à ce moment-là la question à laquelle vous devez répondre est

19 de savoir si, sur cette base uniquement, vous devez demander un nouveau

20 procès, vous devez décider qu'il y ait un nouveau procès, ou bien s'il

21 faut que vous déterminiez que cette erreur compromet la validité de la

22 décision. C'est ce qui est présenté par la défense.

23 Mon argumentation a deux volets: premièrement, nous estimons quant à nous

24 que la Chambre d'appel peut tout à fait en conclure que l'erreur de la

25 Chambre de première instance ne peut pas être corrigée par la Chambre

Page 52

1 d'appel et qu'on ne peut pas simplement dire qu'il n'y a pas eu d'erreur

2 fondamentale, de préjudice fondamental. En l'espèce, la procédure a été en

3 quelque sorte mutilée par une décision prématurée au titre de l'Article

4 98bis.

5 La Chambre d'appel doit se demander si elle doit effectivement essayer de

6 deviner ce qu'aurait été l'issue du procès si la Chambre de première

7 instance avait appliqué le bon critère. Mais la Chambre de première

8 instance peut décider d'appliquer un critère beaucoup plus objectif, non

9 pas celui de savoir si la Chambre de première instance aurait acquitté

10 l'accusé, mais s'il y avait des éléments de preuve qui permettaient de

11 condamner cet accusé. Si la réponse est positive, la Chambre d'appel peut

12 en conclure qu'il fallait entendre l'accusation. Et sur cette base

13 uniquement, je pense que la Chambre d'appel peut conclure qu'il convient

14 d'organiser un nouveau procès.

15 Bien évidemment, si la Chambre d'appel en conclut qu'il n'y avait aucun

16 élément de preuve qui aurait incité toute Chambre de première instance à

17 prononcer une condamnation, à ce moment-là, on peut considérer que

18 l'erreur de la Chambre de première instance était anodine. Mais nous

19 estimons que ceci n'est pas le cas, si l'on considère les éléments de

20 preuve présentés à la Chambre de première instance.

21 Mon collègue, M. Geoffrey Nice, vous en parlera lors de notre

22 argumentation relative au troisième motif de l'accusation.

23 L'accusation avance qu'en demandant un nouveau procès, sans évaluer la

24 qualité du jugement, la Chambre d'appel prendrait une décision qui aurait

25 trois avantages.

Page 53

1 Premièrement, cela empêcherait la Chambre d'appel de se lancer dans des

2 spéculations quant à la position qu'aurait prise la défense et de

3 déterminer quelle aurait été l'accusation, puisque ceci aurait été

4 complètement spéculatif et qu'on peut considérer que ce n'est pas le

5 travail d'une Chambre d'appel.

6 Deuxièmement, une telle décision garantirait le fait que les décisions

7 définitives sur le droit et sur les faits sont constituées de deux étapes.

8 Nous estimons que ceci est applicable en l'espèce et qu'il s'agit de la

9 position du Juge Shahabuddeen dans une affaire précédente. La Chambre

10 d'appel n'est pas là pour reprendre les questions examinées par une

11 Chambre de première instance. Il ne s'agit pas, pour la Chambre d'appel,

12 d'organiser elle-même un nouveau procès. Ceci est particulièrement

13 important en l'espèce, puisqu'on ne s'est jamais penché sur la qualité des

14 éléments de preuve présentés en première instance.

15 Troisième avantage d'adopter notre proposition: ceci permettrait une

16 adoption uniformisée de l'Article 98bis du Règlement, et ceci dissuaderait

17 les Chambres de première instance de mélanger leurs deux fonctions, d'une

18 part, de Juges des faits et, d'autre part, de Juges du droit.

19 Parce que ceci est extrêmement néfaste, on le voit ici, mais ceci peut

20 également avoir des conséquences très dommageables pour la défense, si une

21 Chambre de première instance estime qu'elle est en droit de statuer sur la

22 culpabilité au delà de tout doute raisonnable et de prendre une décision

23 dans une affaire aux termes de l'Article 98bis.

24 Nous avançons qu'il faut considérer que l'erreur commise par la Chambre de

25 première instance était une erreur fatale et que la Chambre d'appel ne

Page 54

1 peut pas la corriger, en considérant qu'il s'agissait en fait d'une erreur

2 anodine. Nous estimons que cette erreur, à elle seule, justifie un nouveau

3 procès.

4 Mais, dans le même temps, comme je l'ai déjà dit, nous avançons que le

5 fait que la Chambre de première instance n'ait pas donné à l'accusation la

6 possibilité d'être entendue, ajouté à la mauvaise application du critère,

7 dans le cadre de l'Article 98bis, doit être considéré comme invalidant

8 totalement la décision puisqu'on n'a pas agi comme il le fallait.

9 En agissant de cette façon, la Chambre de première instance non seulement

10 a remis en cause l'intégrité du procès mais a remis en cause son jugement.

11 Nous estimons que la qualité de la décision d'une Chambre de première

12 instance dans une affaire donnée dépend de la qualité de la procédure.

13 Dans le cas qui nous intéresse, l'effet cumulé d'erreurs aussi

14 fondamentales que celles-ci invalide la totalité de la procédure, à tel

15 point que les décisions obtenues ne peuvent plus être fiables. Il n'est

16 pas nécessaire de se demander si le jugement est convenable -si tant est

17 qu'il l'était et nous disons qu'il ne l'est pas-, mais s'il l'était, ce ne

18 serait que par hasard.

19 En même temps, cette accumulation d'erreurs fondamentales a un effet si

20 négatif sur l'intégrité de la procédure que la procédure et les décisions

21 ne répondent pas aux exigences fondamentales rappelées par cette Chambre

22 de première instance dans l'affaire Furundzija, c'est-à-dire le fait

23 d'administrer la justice. Dans l'affaire qui nous intéresse, la justice

24 n'a pas été rendue.

25 Pour poursuivre, l'accusation estime qu'il n'y a aucun fondement dans le

Page 55

1 contenu du mémoire du répondant et que la Chambre de première instance…

2 selon laquelle le fait que le Procureur n'ait pas appliqué le bon critère

3 en vertu de l'Article 98 est une erreur de forme qui peut rendre la

4 décision nulle.

5 Pour les raisons déjà avancées, l'accusation estime que l'erreur de la

6 Chambre de première instance n'aurait pas pu être corrigée en cours de

7 procédure. Nous demandons donc que la Chambre d'appel ordonne un nouveau

8 procès.

9 Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges, j'en ai terminé de

10 mes arguments.

11 Mme Wald (interprétation): Monsieur Guariglia, votre deuxième argument où

12 vous avez parlé des critères que la Chambre de première instance aurait dû

13 utiliser en application de l'Article 98bis, et pour décider d'un

14 acquittement, la plupart des sources, à part celles qui proviennent du

15 Tribunal que vous nous avez cité, appliquent le critère que vous nous

16 proposez, à savoir qu'aucune Chambre agissant de façon raisonnable

17 n'aurait pu aboutir à la décision rendue.

18 La plupart des décisions dans lesquelles les Juges ne prononcent pas une

19 décision d'acquittement, mais dans lesquelles un jury -qui est un juge des

20 faits un peu différent- est habilité à prendre la décision ultime se fonde

21 sur l'absence de tout doute raisonnable. Il est donc aisé, au moins pour

22 moi, de voir sur quels faits objectifs et subjectifs vous fondez votre

23 argumentation.

24 Mais pourquoi est-ce que le même critère s'applique dans une situation où

25 le même juge des faits existe, en fin de compte, au moment du prononcé de

Page 56

1 l'acquittement, et puisque l'accusation doit porter le fardeau de la

2 preuve?

3 M. Guariglia (interprétation): Il m'est très aisé de répondre, Madame le

4 Juge. Il est vrai que les mêmes critères sont appliqués en général dans

5 toutes les juridictions, notamment en présence d'un jury. Mais dans

6 d'autres systèmes judiciaires plus semblables à celui-ci, en particulier

7 au Royaume Uni, même dans des procédures jugées par un seul juge des faits

8 et du droit, les critères demeurent les mêmes. Et nous y affirmons qu'il y

9 a identité de critères en vue de garantir une certaine solidité et une

10 certaine fiabilité de l'application des principes du droit.

11 Dès que les critères deviennent interchangeables, les décisions

12 judiciaires n'ont plus le même poids ni la même sûreté. Si une Chambre de

13 première instance avait pouvoir de décider, à l'avance, de la culpabilité

14 au-delà de tout doute raisonnable en vertu de l'application l'Article

15 98bis, cela serait à double tranchant car, finalement, cela pourrait

16 intervenir contre l'accusé.

17 Si une Chambre de première instance a le pouvoir de se lancer dans une

18 telle analyse, elle a alors latitude de décider au milieu d'un procès que

19 la culpabilité a été établie au-delà de tout doute raisonnable; ce qui

20 créera automatiquement une charge, un fardeau sur l'accusé qui devra aller

21 à l'encontre de cette décision en montrant qu'elle a été prématurée,

22 puisqu'elle s'est située au milieu du procès, et persuader la Chambre de

23 première instance du contraire par rapport à sa propre décision en

24 prouvant l'innocence.

25 C'est également une manière d'agir qui serait contraire au Statut de ce

Page 57

1 Tribunal où un tel fardeau ne repose pas sur l'accusé. Il n'y a aucune

2 nécessité pour qu'un critère soit appliqué en vertu de l'Article 98bis,

3 aux fins de créer un cercle vicieux dans lequel la charge de la preuve

4 passerait alternativement de l'un à l'autre sans solution.

5 Les arguments présentés par l'accusation s'appuient à la fois sur des

6 erreurs au niveau de la présentation des élément de preuve, et sur des

7 erreurs de droit, et l'accusation affirme que la culpabilité est établie

8 au-delà de tout doute raisonnable.

9 Si le critère de l'application de l'Article 98bis est ambigu, nous sommes

10 dans un cercle vicieux qui, tôt ou tard, aboutira au prononcé de la

11 culpabilité de l'accusé au-delà de tout doute raisonnable, au milieu du

12 procès et non pas à la fin de ce procès, au moment où les plaidoiries

13 réquisitoires ont été entendues et où chacun peut se prononcer en toute

14 certitude.

15 M. le Président (interprétation): J'aimerais vous poser une question,

16 Monsieur Guariglia. Ai-je raison de penser que vous contestez les

17 références utilisées par la Chambre de première instance, selon lesquelles

18 les critères qui permettent de décider une culpabilité au-delà de tout

19 doute raisonnable sont appliqués à mi-chemin? Ai-je raison d'avoir cette

20 impression?

21 M. Guariglia (interprétation): Si j'ai bien compris votre question,

22 Monsieur le Juge, notre objection, effectivement, consiste à dire que la

23 Chambre de première instance a procédé prématurément à un test qui devrait

24 se situer à la fin du procès.

25 M. le Président (interprétation): Très bien mais il possible, peut-être,

Page 58

1 d'éliminer complètement cette notion du processus de décision. Ce que je

2 veux dire par là est la chose suivante: il y a plusieurs façons de

3 présenter la question, mais la façon la plus classique consiste à poser la

4 question que je vais poser à présent.

5 Les éléments de preuve présentés par l'accusation sont-ils capables, pris

6 simultanément, d'appuyer un verdict de culpabilité prononcé par le jury

7 dans le sens qui convient?

8 Alors si vous prenez en compte ces derniers mots "dans le sens qui

9 convient", je vous demande si, dans vos arguments, vous tenez compte de la

10 bonne orientation d'un Tribunal, à savoir qu'il est impossible pour un

11 Tribunal de prononcer une culpabilité, sauf en la prouvant au-delà de tout

12 doute raisonnable. En d'autres termes, au milieu de la procédure, y a-t-il

13 une différence entre le fait de prononcer la culpabilité au-delà de tout

14 doute raisonnable et le fait d'affirmer que les éléments de preuve de

15 l'accusation, au plus fort de leur pouvoir, n'ont pas permis à un Tribunal

16 jugeant les faits de prononcer une culpabilité en application du critère

17 consistant à exiger une preuve de culpabilité au-delà de tout doute

18 raisonnable?

19 M. Guariglia (interprétation): Ma réponse à votre question, Monsieur le

20 Juge, sera une réponse affirmative. Oui, il y a une différence entre ces

21 deux notions. La différence se situe au niveau de l'intensité de l'analyse

22 des éléments de preuve. Ceci apparaît clairement lorsqu'on examine les

23 décisions prises par cette Institution, en application de l'Article 98bis,

24 où l'on voit que les efforts des Chambres de première instance, pour ne

25 pas être affectées par une évaluation prématurément approfondie, montrent

Page 59

1 clairement que la Chambre de première instance a limité son analyse, au

2 fait de déterminer s'il y avait des bases matérielles permettant de se

3 diriger vers une notion de culpabilité au-delà de tout doute raisonnable,

4 en tout cas sur les questions relevant de l'Article 7 1) des principes

5 criminels.

6 Mais la Chambre de première instance n'a pas agi de cette façon. Elle

7 s'est limitée à l'étude de ces éléments matériels. Elle a simplement dit

8 qu'il y avait des éléments matériels et elle a décidé, dans le premier

9 stade de la procédure, d'examiner les éléments de preuve de façon plus

10 superficielle. Nous estimons, pour notre part, qu'il est indispensable de

11 respecter cette différence d'intensité d'examen des éléments de preuve

12 dans une procédure comme celle-ci.

13 M. le Président (interprétation): J'aimerais vous poser une question

14 découlant de la précédente. Vous avez parlé du caractère contradictoire de

15 nos procédures. Je vous demande de me dire si je me trompe, mais suis-je

16 en droit de supposer que nous avons pour obligation de tenir compte entre

17 le fond et la forme?

18 Je vous demande si les Juges de la Chambre de première instance étaient

19 bien des juges originaires d'un système qui n'est celui de la common law?

20 M. Guariglia (interprétation): Oui, je crois en effet.

21 M. le Président (interprétation): Dans ces conditions, n'est-il pas exact

22 que le droit doit être respecté sur le fond, n'est-ce pas? Mais en lisant

23 la décision de la Chambre de première instance, ne doit-il pas être

24 également être tenu compte du fait que cette Chambre de première instance

25 n'était pas une instance de common law. Il est donc possible que des mots

Page 60

1 aient été utilisés dans le jugement qui ne changent rien à la décision sur

2 le fond mais qui sont simplement une différence de forme.

3 M. Guariglia (interprétation): Eh bien, je vous dirai d'emblée, Monsieur

4 le Juge, que je ne suis pas un juriste de common law moi-même.

5 M. le Président (interprétation): Oui.

6 M. Guariglia (interprétation): Et pour répondre à la deuxième partie de

7 votre question, si je l'ai bien comprise, elle consistait à me demander si

8 une Chambre de première instance n'a pas simplement utilisé des termes un

9 peu erronés pour mener à bien une opération tout à fait appropriée. Nous

10 disons non. Nous disons que les choses vont bien au-delà de cela et que le

11 jugement est tout à fait clair, Monsieur le Juge.

12 Il est clair que la Chambre de première instance savait ce qu'elle

13 faisait, savait quels critères elle allait appliquer et elle a décidé

14 d'appliquer ces critères. Elle a appliqué ces critères de façon très

15 détaillée dans l'examen des éléments de preuve. Elle a apprécié ces

16 éléments de preuve à leur juste valeur et il semble simplement que dans la

17 prise de décision elle a utilisé les éléments de preuve d'une façon

18 erronée. Nous disons donc que ce n'était pas une erreur de forme.

19 M. le Président (interprétation): Monsieur Guariglia, je vous dois

20 beaucoup pour votre réponse. Je me rappelle que Me Clegg a admis que la

21 Chambre de première instance avait appliqué les mauvais critères, mais

22 surtout mal appliqué ces critères au fait. C'est bien cela, Maître Clegg?

23 M. Clegg (interprétation): Nous avons admis que la Chambre de première

24 instance avait mal appliqué des critères convenables à l'examen de la

25 preuve à un certain stade du procès, mais nous n'admettons pas que la

Page 61

1 conclusion tirée par la Chambre de première instance était erronée.

2 Nous nous exprimons donc différemment de ce que nous lisons dans les

3 motifs d'appel interjeté par le Procureur.

4 M. le Président (interprétation): Oui, bien sûr, Maître Clegg. Merci pour

5 votre éclaircissement.

6 Mais, Monsieur Guariglia, j'ai une idée qui me vient à l'esprit. A la

7 lecture prononcée par oral, et je pense que c'est celui qui est réellement

8 pertinent dans l'affaire qui nous intéresse; je parle donc du jugement

9 prononcé oralement le 19 octobre. Il y a des extraits qui viennent à

10 l'appui de votre thèse; à savoir que sur les questions de droit, c'est au

11 Tribunal qu'il appartient de se prononcer, indépendamment d'un accord

12 éventuellement conclu par les parties.

13 Alors, si vous lisez ce jugement prononcé oralement, vous y trouverez

14 peut-être des éléments qui sont à l'appui de votre thèse, mais permettez-

15 moi de vous en lire quelques-uns et de vous demander quelle est votre

16 position à leur sujet. Je cite donc le compte rendu d'audience du 19

17 octobre 1999, version anglaise page 2327.

18 (Les interprètes précisent qu'ils n'ont pas ce document sous les yeux.)

19 Vous avez trouvé ce passage, Monsieur Guariglia?

20 M. Guariglia (interprétation): Oui,

21 M. le Président (interprétation): Le dernier paragraphe se lit comme suit.

22 C'est le Président d'audience qui parle –je cite:

23 "Les Juges ont alors examiné tous les éléments de preuves proposés par

24 l'accusation et, à l'issue de leurs délibérations, ils sont parvenus à la

25 conclusion que même sans avoir entendu les éventuels arguments de la

Page 62

1 défense, l'accusé ne pouvait être reconnu coupable du crime de génocide".

2 Fin de citation.

3 Dans les mots que je viens de lire, quels sont ceux qui vous permettent de

4 penser qu'un jugement est rendu sur le champ au sujet de l'accusation ou

5 de l'innocence? Ne sommes-nous pas là dans une situation où au sujet de

6 ces éléments de preuve, aucun Tribunal, jugeant de façon raisonnable un

7 certain nombre de faits, ne pourrait être en mesure de rendre un verdict

8 de culpabilité au-delà de tout doute raisonnable?

9 Autre passage, même compte rendu d'audience, page 2332. Et là, une

10 distinction semble être établie entre deux catégories de décisions. A

11 savoir, d'une part une détermination de culpabilité immédiate, et d'autre

12 part le fait de penser qu'aucun Tribunal agissant de façon raisonnable et

13 jugeant des faits ne pourrait, même à l'avenir, prononcer une décision de

14 culpabilité. Donc page 2322 du compte rendu d'audience du 19 octobre,

15 deuxième paragraphe. Nous lisons –je cite:

16 "De plus, il importe de ne pas confondre la notion d'acquittement avec

17 celle de l'absence d'éléments de preuve. A savoir donc l'absence

18 d'arguments de la part du Procureur". Fin de citation.

19 Donc les Juges, en disant cela, avaient à l'esprit une distinction qui est

20 tout à fait pertinente. Ils affirment que cela concerne un argument de

21 l'accusation provenant d'une autre affaire déjà jugée par le Tribunal, à

22 savoir l'affaire Blaskic. Les Juges poursuivent en disant –je cite:

23 "Dans la deuxième affaire, il suffit pour la Chambre de première instance

24 d'estimer que le Procureur a présenté suffisamment d'éléments de preuve

25 pour contraindre la défense à répondre, c'est-à-dire pour présenter des

Page 63

1 arguments exigeant une réponse". Fin de citation.

2 Si vous examinez le texte français, en français il devient manifeste que

3 c'est bien le critère qui est utilisé: qu'il s'agisse des éléments de

4 preuve de l'accusation ou du fait qu'un tribunal, agissant de façon

5 raisonnable et jugeant des faits, ne peut à l'avenir prononcer un verdict

6 de culpabilité.

7 Ensuite, même compte rendu d'audience, page 2337, deuxième paragraphe

8 entier de la page –je cite: "Dans l'affaire en question, les Juges

9 estiment que le Procureur n'a pas fourni suffisamment d'éléments de preuve

10 nous permettant d'établir au delà de tout doute raisonnable que Jelisic a

11 planifié, etc., etc., etc.".

12 Alors, si l'on tient compte du fait que les Juges qui se sont prononcés

13 ici sont des juges qui ne sont pas des juges de common law mais qui

14 travaillaient dans un système contradictoire, on doit penser qu'il n'était

15 pas possible de leur demander d'avoir la même orientation verbale que des

16 juges de common law. Une fois cela dit, je vous demande: quelle est votre

17 analyse de ces trois paragraphes?

18 M. Guariglia (interprétation): Monsieur le Juge, je dirai, après avoir

19 entendu la lecture de ces passages, que la Chambre de première instance a

20 considérablement varié dans ses décisions et que celles-ci ne sont pas

21 claires du tout.

22 J'appelle votre attention, sur le même compte rendu d'audience, page 2338,

23 2337 –je crois- dans votre version, où nous voyons qu'il est dit "que le

24 Procureur n'a pas fourni suffisamment d'éléments de preuve et que, dans ce

25 cas-là, nous -les Juges- permettrons l'établissement au delà de tout doute

Page 64

1 raisonnable du jugement que l'accusé Jelisic a planifié, incité, ordonné,

2 etc., etc.". Le passage se termine par –je cite: "Ce doute doit être à

3 l'avantage de l'accusé". Fin de citation. Ce qui constitue une distinction

4 très claire avec le scénario de l'Article 98bis.

5 Donc les éléments de preuve sont présentés d'une façon plus favorable par

6 l'accusation et, dans ce cas, le prononcé d'une peine de culpabilité au-

7 delà de tout doute raisonnable ne peut se faire, car tout doute doit

8 bénéficier à l'accusé.

9 En outre, Monsieur le Juge, je pense que votre arrêt doit correspondre au

10 jugement écrit.

11 Dans le jugement écrit, vous trouverez le paragraphe 15 selon lequel la

12 Chambre de première instance a conclu qu'il n'était pas possible de

13 conclure, au-delà de tout doute raisonnable, que les victimes étaient des

14 victimes se situant dans la logique précise d'une destruction visant la

15 communauté musulmane dans son ensemble.

16 Paragraphe 93: il n'a pas été établi, au-delà de tout doute raisonnable,

17 que l'accusé a tué au camp de Luka, sous les ordres de quelqu'un.

18 Paragraphe 95: le Procureur n'a pas fourni des éléments de preuve

19 permettant d'établir, au-delà de tout doute raisonnable, qu'il y a eu un

20 plan destiné à détruire, etc.

21 M. le Président (interprétation): Il était possible de l'établir -vous le

22 voyez, Monsieur Guariglia-, de permettre à la Chambre de l'établir.

23 Monsieur Guariglia, j'aimerais vous poser une question. Est-il exact de

24 penser que, même dans l'application stricte de la common law, un Juge de

25 première instance n'a absolument pas la possibilité d'évaluer un doute en

Page 65

1 milieu de procédure? Y a-t-il une situation peut-être dans laquelle, sur

2 la base des éléments présentés par l'accusation, les Juges peuvent décider

3 que les contradictions sont trop nombreuses, que les contre-

4 interrogatoires ont prouvé ce qu'ils avaient à prouvé et que, dans des

5 situations exceptionnelles et donc prioritaires, il est permis de dire:

6 "Au vu des éléments de preuve, aucun tribunal jugeant sur les faits de

7 façon raisonnable n'a la moindre chance de prononcer un verdict de

8 culpabilité au-delà de tout doute raisonnable. Il s'agit donc d'un critère

9 qui permet à la Chambre, même à l'avenir, de lever tous les problèmes liés

10 au doute."

11 Imaginez-vous qu'une telle solution soit possible?

12 M. Guariglia (interprétation): Monsieur le Juge, vous avez absolument

13 raison: nous ne voyons pas pourquoi de telles situations exceptionnelles

14 permettraient de mettre en doute les arguments de l'accusation au sujet du

15 critère appliqué dans la présente affaire.

16 C'est simplement une situation dans laquelle les arguments du Procureur

17 sont battus en brèche et il n'y a pas d'argument auquel apporter réponse.

18 M. le Président (interprétation): Monsieur Guariglia, j'essaie de vous

19 comprendre pour vous donner le bénéfice de la pleine valeur de vos

20 arguments. Je ne conclus absolument pas sur le sujet. Je pense que tout

21 ceci est bien compris?

22 M. Guariglia (interprétation): Absolument. C'est tout à fait clair.

23 M. le Président (interprétation): Merci.

24 M. Guariglia (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

25 Je laisse la parole maintenant à M. Morten Bergsmo qui vous parlera des

Page 66

1 aspects juridiques du troisième motif d'appel interjeté par l'accusation.

2 M. le Président (interprétation): Est-ce que chacun ici a le sentiment que

3 c'est un moment approprié pour la pause?

4 Très bien. Quinze minutes de pause et nous reprendrons nos travaux à 11

5 heures 15.

6 (L'audience, suspendue à 11 heures, est reprise à 11 heures 16.)

7 M. le Président (interprétation): Bien. Maintenant nous allons entendre M.

8 Bergsmo. Veuillez m'excusez si je prononce mal votre nom. Vous allez donc

9 nous parler du troisième motif d'appel.

10 M. Bergsmo (interprétation): C'est exact. Je vais articuler mon

11 argumentation en trois parties en ce qui concerne le chapitre 4B du

12 mémoire de l'accusation. Donc je vais parler de l'intention délictueuse de

13 l'état mental, nécessaire au titre de l'Article 4 du Statut et mon éminent

14 confrère, M. Nice, parlera des autres éléments contenus au chapitre 4 de

15 notre mémoire.

16 Tout d'abord, je vais essayer de déterminer et d'expliquer quelle est

17 l'interprétation et la présentation des arguments de l'accusation en ce

18 qui concerne le Point 4B.

19 Ensuite, vous expliquer que nous n'avons pas l'intention de dire que

20 l'état mental requis à l'Article 4 du Statut est un état mental ou une

21 intention délictueuse particulière.

22 Enfin, je vais intervenir au sujet de l'interprétation que nous avons

23 adoptée dans le chapitre 4B de notre mémoire. Je pense en avoir pour

24 environ 20 à 22 minutes.

25 Donc je vais passer à la première partie de mon argumentation.

Page 67

1 L'accusation ne demande nullement à la Chambre d'appel de modifier le

2 droit international en matière de génocide. Ce que demande l'accusation,

3 c'est une clarification de la part de la Chambre d'appel du critère de

4 mens rea, en ce qui concerne l'Article 4, vu deux arguments qui ont été

5 présentés à la Chambre d'appel au paragraphe 4.9 du mémoire de

6 l'accusation, et je fais référence aux catégories B et C qui sont énoncées

7 au paragraphe 4.9 de notre mémoire.

8 Première argumentation que nous présentons au paragraphe B, c'est la

9 suivante. L'accusation avance que, si un accusé se rend coupable d'une

10 conduite génocidaire, consciemment et avec la volonté d'agir, et si ce

11 même accusé sait qu'il est en train de détruire un groupe en tant que tel,

12 eh bien, à ce moment-là, un tel accusé présente les critères requis par

13 l'Article A du Statut en ce qui concerne l'intention délictueuse. Il ne

14 s'agit ici nullement de probabilité ou de choses de ce genre mais il

15 s'agit de connaissances effectives de la destruction en tout ou partie.

16 Le deuxième argument que nous avançons figure à la catégorie C, au

17 paragraphe 4.9. L'accusation avance que, si un accusé qui est complice,

18 qui aide et encourage un génocide en cours -dont on peut dire

19 objectivement qu'il existe- c'est-à-dire un génocide qui existe

20 indépendamment de celui qui l'aide et l'encourage, et si l'accusé présente

21 ce comportement de complicité, s'il aide et encourage avec la volonté

22 d'agir, et si cet accusé, d'autre part, est conscient du fait qu'il y a un

23 génocide et que si son comportement fait partie de ce génocide mais que,

24 si l'accusé sait seulement que la conséquence de son comportement de sa

25 complicité, de cet encouragement, de cette aide fait partie du génocide, à

Page 68

1 ce moment-là, nous avançons au paragraphe 4.9, catégorie C, que cet accusé

2 présente les éléments correspondant aux exigences relatives à l'intention

3 délictueuse qui figure à l'Article 4 du Statut du Tribunal.

4 Les catégories B et C au paragraphe 4.9 de notre mémoire signifient ce que

5 je viens de vous expliquer, et rien de plus.

6 Toute référence à une intention de nature générale, au paragraphe 4B et

7 4.6 de notre mémoire signifie ce que je viens de vous expliquer sous les

8 catégories B et C. Rien de plus.

9 Ces deux catégories, B et C, sont mises en place en partant du principe

10 que l'accusé a eu effectivement un comportement délictueux, consciemment

11 et avec la volonté d'agir. C'est-à-dire que l'intention délictueuse aux

12 catégories B et C présente deux caractéristiques, deux aspects.

13 Premièrement, il s'agit d'une intention délictueuse qui est limitée, qui

14 relève uniquement de la conduite génocidaire de l'accusé, et il faut qu'il

15 y ait là à la fois un composant cognitif et délibéré. C'est-à-dire que

16 l'accusé doit avoir fait ce qu'il a fait de façon consciente, c'est la

17 valeur cognitive, et avec la volonté d'agir; ici, nous avons donc le

18 composant délibéré.

19 Deuxième aspect relatif à l'état mental de l'accusé, c'est une intention

20 plus générale qui implique la destruction du groupe en tant que tel, et

21 qui comprend un composant cognitif, c'est-à-dire la connaissance du fait

22 que, effectivement, l'accusé est en train de causer une destruction, tout

23 ou partie, ou une destruction probable ou que la destruction va être la

24 conséquence de son comportement.

25 En d'autres ternes, il faut qu'il y ait à la fois un composant cognitif et

Page 69

1 délibéré dans l'intention ou l'état mental d'un accusé à qui l'on reproche

2 un crime de génocide. Puisque n'importe quel accusé n'a généralement qu'un

3 seul esprit, un seul état mental, l'accusation estime qu'il n'est pas

4 nécessaire de déterminer lequel de ces aspects s'applique, puisque l'état

5 mental est unique et indivisible.

6 La Chambre de première instance, à l'Article 4 du Statut, semble indiquer

7 que seul "dolus specialis" entre en compte ici. Si c'est le cas, eh bien,

8 nous estimons que la Chambre de première instance s'est trompée.

9 En tout état de cause, comme va l'expliquer M. Nice après moi, l'accusé

10 Goran Jelisic, en l'espèce, a présenté tous les éléments qui permettent de

11 conclure à un "dolus specialis".

12 En résumé, la question qui se pose à la Chambre d'appel est de savoir si

13 l'intention délictueuse de l'accusé, qui doit comprendre un composant

14 cognitif et un composant délibéré en ce qui concerne le comportement

15 délictueux, doit aussi comprendre un composant délibéré en ce qui concerne

16 donc son intention délictueuse.

17 En d'autres termes, est-ce que l'Article 4 protège d'un comportement

18 génocidaire lorsque l'accusé avait le désir ou l'intention de détruire un

19 groupe mais pas lorsqu'il n'en avait pas l'intention?

20 La volonté consciente ne signifie pas toujours que la destruction est en

21 train de se produire ou que c'est une conséquence probable. Mais l'accusé,

22 dans le cadre de cette notion de désir conscient, de volonté consciente,

23 doit le savoir; savoir qu'il veut ce qu'il veut. C'est le composant

24 cognitif dont je parlais.

25 Nous avançons que le cynique qui sait est plus dangereux, est aussi

Page 70

1 dangereux et peut-être même plus dangereux que l'esprit qui désire la

2 destruction. Puisque, lorsque vous avez connaissance, eh bien, vous avez

3 connaissance de la façon dont on peut arriver à un résultat. Il s'agit

4 d'un état d'esprit exécutif, si l'on peut dire ainsi.

5 Cela m'amène à la deuxième partie de mon argumentation. L'accusation n'est

6 pas opposée à l'utilisation d'intentions particulières ou précises ou même

7 ciblées, dans le cadre de l'intention délictueuse requise au titre de

8 l'Article 4 du Statut. Mais nous vous mettons en garde contre la dilution

9 du critère relatif à l'intention délictueuse pour ce qui est du génocide.

10 Mais la raison pour laquelle ceci est particulier à l'Article 4, en ce qui

11 concerne l'intention délictueuse, ce n'est pas à cause de l'utilisation du

12 terme d'"intention" mais à cause de l'utilisation des termes "détruire" et

13 "groupe", et de l'utilisation de ces deux termes en même temps.

14 Cela est particulier du fait du lien qui existe, de la présentation de ces

15 deux concepts. A l'Article 4, on peut lire "détruire, destruction" et non

16 pas "attaquer, discriminer, persécuter". On peut lire le terme de

17 "groupe", pas de "population civile", pas de "non-combattants", pas de

18 "civils".

19 Aucun autre crime qui figure dans le Statut du Tribunal ne contient ces

20 deux mots ensemble. Ce sont eux qui constituent le critère relatif à

21 l'intention délictueuse. Ici, ce n'est pas le terme d'"intention" qui

22 compte.

23 Mais si les termes "détruire" et "groupe" nous donnent une idée de la

24 portée de cet état mental, la question qui se pose à la Chambre d'appel

25 ici a trait à la nature de cet état, pour ce qui est de l'Article 4. A

Page 71

1 savoir, quels sont les aspects cognitifs et délibérés qui doivent être

2 présents dans le cadre de l'intention de la personne concernée?

3 L'intention, cela fait référence à l'état d'esprit et la portée au côté

4 pratique de la chose. Cette distinction est bien établie dans la théorie

5 pénale et nous estimons que cela ressort très, très clairement de

6 l'Article 4 du Statut du Tribunal.

7 Cela m'amène à la troisième partie de mon argumentation. Il s'agit ici de

8 l'interprétation qui a été adoptée dans le mémoire de l'accusation. Dans

9 la partie 4B de celui-ci, nous avançons que l'intention délictueuse, telle

10 qu'elle est définie à l'Article 4 du Statut, n'implique pas uniquement le

11 "dolus specialis". Cette position s'appuie sur une interprétation logique

12 et générale du Statut.

13 Cette approche, elle se retrouve dans l'Article 31 de la Convention de

14 Vienne, sur la loi des traités, donc le droit des traités, que l'on peut

15 appliquer ici par analogie. Et ceci est d'ailleurs confirmé par la

16 jurisprudence du Tribunal.

17 Examinons les trois approches.

18 L'approche contextuelle, je l'ai déjà abordée au début de mes remarques.

19 Le terme d'"intention" à l'Article 4 doit être interprété dans son

20 contexte qui est "avoir l'intention de détruire, en tout ou partie, un

21 groupe national, ethnique, racial, etc.". Donc c'est ce contexte qui

22 définit quel est l'état mental requis en ce qui concerne l'Article 4. Et

23 le fait que vous ayez les termes "détruire" et "groupe", "destruction" et

24 "groupe" fait que l'état mental de la personne en question est différent

25 de ce qui est requis pour d'autres crimes, jugés au niveau international.

Page 72

1 Deuxièmement, l'interprétation générale de l'Article 4 du Statut ne peut

2 pas être considérée comme uniquement un cas de "dolus specialis".

3 Je m'en réfère à l'opinion consultative de 1951, de la Cour internationale

4 de justice, sur les réserves à adopter en ce qui concerne la convention

5 sur le génocide. Je cite:

6 "La convention manifestement a été adoptée dans un objectif purement

7 humanitaire et pour renforcer les valeurs de la civilisation. Il est en

8 effet difficile d'imaginer une convention qui puisse présenter cet aspect

9 à un plus haut point que ce n'est le cas ici. Puisque son objectif, d'une

10 part, est de sauvegarder l'existence même de certains groupes d'hommes et

11 de femmes et, d'autre part, de confirmer et de renforcer, d'adopter les

12 principes de la morale les plus élémentaires. Dans une telle convention,

13 les Etats contractants n'ont aucun intérêt personnel; ils n'ont qu'un seul

14 et même intérêt commun, à savoir la réalisation des objectifs élevés,

15 dignes et nobles qui sont la raison d'être de la convention." Fin de

16 citation.

17 L'existence et la préservation de l'existence de groupes humains est peut-

18 être l'intérêt juridique le plus élevé qui puisse exister au niveau de la

19 justice internationale. Et nous avançons qu'interpréter l'Article 4 du

20 Statut en le limitant à un "dolus specialis" sape l'objectif recherché par

21 l'Article 4 et par la convention sur le génocide. Cela peut même avoir

22 pour conséquence de gravement limiter l'application de cette convention.

23 Troisièmement, nous avançons qu'une interprétation -en tant que telle- du

24 texte du terme d'"intention" à l'Article 4 montre que ce n'est pas ici

25 uniquement de "dolus specialis" qu'il s'agit.

Page 73

1 Le terme d'"intention" qui se retrouve dans des systèmes juridiques

2 nationaux ne correspond pas au terme de "dolus specialis". C'est le cas

3 aussi bien dans le système anglais que français ou qu'espagnol. Il ne

4 s'agit pas ici de l'interprétation qui était adoptée généralement.

5 Nous avançons que l'une quelconque de ces approches de cette

6 interprétation, et surtout si on les prend ensemble, montre qu'il ne

7 s'agit pas ici de "dolus specialis" dans l'Article 4. Mais nous avançons

8 donc que les catégories B et C, définies dans le paragraphe 4.9 du mémoire

9 du Procureur correspondent également à l'Article 4. Il n'est pas

10 nécessaire d'avoir recours à d'autres types d'interprétation pour arriver

11 à cette conclusion. Cette conclusion est tout à fait raisonnable. Elle

12 entre absolument dans le cadre du principe de "nullum crimen sine lege".

13 Si la Chambre estime qu'elle a recours à d'autres sources

14 d'interprétation, nous estimons quant à nous que de telles sources

15 juridiques doivent reconnaître la distinction qui existe entre la portée

16 de l'état mental et son niveau, pour pouvoir être pertinentes. D'autre

17 part, nous estimons que, si les sources utilisées ne présentent pas de

18 cohérence avec l'objectif de l'Article 4 de la convention sur le génocide,

19 on ne peut pas leur accorder le même poids, on ne peut pas les considérer

20 en tant que telles.

21 Je n'ai pas beaucoup de temps, donc je ne peux pas entrer dans l'analyse

22 de toutes les sources sur lesquelles nous nous sommes penchés, mais je

23 voudrais simplement vous renvoyer à l'Article 30 du Statut de la Cour

24 pénale internationale où l'on nous parle des éléments du crime de

25 génocide, et je voudrais vous renvoyer également au rapport final de la

Page 74

1 commission d'experts.

2 Nous nous sommes également appuyés sur les publications d'universitaires

3 de très haut niveau. Je pense, par exemple, au Pr Triffterer et au Pr Gil

4 Gil.

5 En conclusion, le jugement rendu par la Chambre de première instance

6 semble vouloir signifier que, seule une personne normale qui a un mobile

7 génocidaire et qui a la connaissance d'un plan de génocide peut entrer

8 dans le cadre de l'état mental requis au titre de l'Article 4.

9 Alors qu'en est-il du cynique, de l'exécuteur qui agit de façon délibérée,

10 et sans lequel il ne peut y avoir génocide?

11 La Chambre d'appel, à notre avis, ne doit pas donner un précédent

12 restrictif quant à l'application ou l'interprétation de l'état mental

13 défini à l'Article 4 qui ferait que l'exécutant délibéré et cynique

14 sortirait du champ prévu par le Statut et par la convention sur le

15 génocide. Il ne faut pas vider de tout son sens l'Article 4 du Statut et

16 la convention sur le génocide.

17 En résumé, quelles sont nos argumentations?

18 Premièrement, nous pensons qu'en ce qui concerne l'état mental de la

19 personne concernée, la Chambre peut considérer que cet état mental a un

20 caractère spécial ou particulier, à cause des termes de destruction et de

21 groupe qui figurent dans cet Article 4.

22 Deuxièmement, nous estimons que la Chambre ne doit pas abaisser la valeur

23 des critères d'état mental requis en ce qui concerne l'Article 4. Il faut

24 simplement prendre en compte prendre l'existence, dans cet article, des

25 deux termes de destruction et de groupe.

Page 75

1 Troisièmement, la Chambre doit considérer que les catégories B et C au

2 paragraphe 4.9 du mémoire de l'accusation entrent dans le cadre de l'état

3 mental requis par l'Article 4 du Statut, c'est-à-dire que les catégories B

4 et C, telles qu'elles sont présentées dans notre mémoire, sont telles que

5 je viens de vous les expliquer.

6 J'en ai terminé de mon intervention. Je suis prêt à répondre à vos

7 questions.

8 Mme Wald (interprétation): J'aimerais avoir une précision. Il y a

9 plusieurs experts sur le crime de génocide, et je suis sûr que vous les

10 connaissez très bien, et qui nous disent que la connaissance est

11 suffisante. Cela correspond à vos catégories B et C.

12 En d'autres termes, la connaissance du fait que les actes que l'on a

13 l'intention de commettre vont entraîner la destruction, tout ou partie

14 d'un groupe précis, ou bien c'est la catégorie C qui va plus loin avec les

15 conséquences probables. Est-ce vous adoptez ce point de vue, à savoir que

16 la connaissance des conséquences; les conséquences étant la destruction en

17 tout ou partie d'un groupe? Etes-vous donc d'avis que cette connaissance

18 est suffisante ou est-ce que vous vous ralliez à un autre groupe

19 d'experts, de commentateurs, qui estiment que, sur la base de ce niveau de

20 connaissances, on peut en déduire l'intention délictueuse?

21 M. Bergsmo (interprétation): Madame le Juge, l'accusation, ici, ne

22 présente pas une position à caractère général en ce qui concerne la

23 connaissance et l'état mental prévu et requis pour l'Article 4.

24 Nous avançons simplement que les catégories B et C, qui figurent au

25 paragraphe 4.9 de notre mémoire, montrent que la connaissance de la

Page 76

1 destruction suffit et que, pour la catégorie C, que pour quelqu'un qui

2 aide et encourage ces actes, la connaissance de la conséquence probable de

3 sa conduite et du fait que cela contribue à un génocide qui est en train

4 de se produire, est suffisant et dans le cas où le complice est conscient

5 du fait que ce qu'il fait s'inscrit dans le cadre d'un génocide déjà

6 existant.

7 Mme Wald (interprétation): Pour continuer sur ma question, je comprends

8 bien la nature de vos arguments et je vois bien que cela ne concerne pas

9 uniquement l'affaire qui nous intéresse ici. Ce que vous voulez nous dire,

10 c'est que si on n'éprouve aucune inimitié à l'égard d'un groupe

11 particulier, mais que si l'on savait que ce que l'on allait faire allait

12 entraîner la destruction de tout ou partie d'un groupe, donc vous avez là

13 quelqu'un de complètement neutre, qui agit pour des raisons tout à fait

14 différentes, pour prendre contrôle d'un territoire…, enfin quelqu'un à qui

15 le groupe est totalement indifférent mais quelqu'un qui sait bien que la

16 conséquence de ses actes va être la destruction de ce groupe, à ce moment-

17 là -d'après vous-, cette personne entrerait dans le cadre de votre

18 interprétation de l'Article 4 du Statut, le génocide?

19 M. Bergsmo (interprétation): Pas tout à fait. Vous employez le

20 conditionnel. Or, si vous examinez la catégorie B, vous n'avez aucun

21 conditionnel, aucune probabilité. C'est un niveau de preuve qui est

22 supérieur à celui qui figure dans le Statut de la Cour pénale

23 internationale. Il s'agit de la connaissance du résultat de ces actions.

24 Mme Wald (interprétation): Mais vous dites que, en ce qui concerne B et C,

25 il n'est nul besoin que la personne éprouve une haine ou une inimitié

Page 77

1 particulière vis-à-vis du groupe concerné.

2 M. Bergsmo (interprétation): Nous estimons, quant à nous, qu'en ce qui

3 concerne les catégories B et C, il n'est pas nécessaire qu'il y ait un

4 désir d'obtenir le résultat qui va se produire.

5 M. le Président (interprétation): Monsieur Bergsmo, j'aimerais vous poser

6 une question. Vos arguments découlent de la référence faite par la Chambre

7 de première instance au concept de "dolus specialis", est-ce exact?

8 M. Bergsmo (interprétation); Oui.

9 M. le Président (interprétation): Fort bien. Est-ce que je dois en

10 conclure que ce terme s'applique à l'état mental ou intention délictueuse

11 de l'accusé, et l'examine à un degré très élevé, examine à un degré très

12 élevé la question de son intention de sa volonté?

13 M. Bergsmo (interprétation): Je ne peux répondre que par l'affirmative à

14 la deuxième partie de votre question. Nous estimons, effectivement, que ce

15 qui donne un aspect spécial à cette condition reprise à l'Article 4, ce

16 n'est pas le degré requis ou la qualité de l'intention mais le fait qu'il

17 y a eu destruction.

18 M. le Président (interprétation): J'en suis conscient, mais je parle de

19 façon théorique, abstraite, et sans faire référence particulièrement au

20 libellé du Statut.

21 Est-ce que qu'en règle générale, le "dolus specialis" relève de ou

22 s'applique à l'intention délictueuse de l'accusé? Est-ce que le "dolus

23 specialis" examine un aspect à un degré très élevé?

24 M. Bergsmo (interprétation): Oui, ceci a trait l'intention délictueuse de

25 l'accusé. Vous verrez le chapitre 4B et vous verrez là que nous parlons du

Page 78

1 "dolus specialis" comment étant un désir conscient ou du fait d'avoir ce

2 désir conscient.

3 Quant à savoir si cela représente un degré très élevé d'intention

4 délictueuse, cela ce n'est pas clair. Je ne pense pas qu'il y ait une

5 définition généralement acceptée en droit pénal de ce "dolus specialis".

6 Il n'y a pas non plus de principe général du droit qui soit appuyé dans

7 les systèmes nationaux ou dans les grandes traditions juridiques. Il n'y a

8 pas là de déclaration ou de définition particulièrement précise du "dolus

9 specialis". J'utilise la version anglaise de "désir conscient" et, là,

10 nous montrons qu'il y a une composante de volonté.

11 M. le Président (interprétation): Est-ce que l'on pourrait lire le

12 jugement rendu de cette façon? La Chambre de première instance a fait

13 référence au concept de "dolus specialis". Cependant, si l'on examine la

14 question dans son contexte, est-ce que la Chambre pensait à l'intention

15 délictueuse de celui qui agissait ou est-ce que, plutôt, elle pensait à

16 l'intention au regard d'actes spécifiquement prohibés? Est-ce que l'on

17 peut faire une distinction entre deux choses, à savoir une intention

18 spécifique, au sens où c'est une intention d'exécuter des actes qui sont

19 spécifiquement prohibés? Ou est-ce une intention comme étant un état

20 d'esprit, une intention délictueuse particulière?

21 M. Bergsmo (interprétation): Oui, ce sont là les deux aspects que nous

22 considérés en matière d'intention délictueuse. Vous voulez laisser

23 entendre que, s'agissant du génocide, de la conduite génocidaire de

24 l'"actus reus", s'il doit avoir cette composante cognitive et délibérée.

25 Alors que si l'on parle de l'intention qui a présidé à la destruction d'un

Page 79

1 groupe, il n'y aurait, de l'avis de l'accusation, que l'aspect cognitif.

2 Si l'on applique le terme de "dolus specialis" comme signifiant le désir

3 conscient, cela veut dire qu'il y a le souhait, le désir, la volonté, mais

4 que cet aspect ne se rapporte qu'au fait de provoquer la destruction

5 totale ou partielle d'un groupe. Et comme je l'ai déjà dit, l'accusation a

6 le sentiment qu'en réalité, puisque l'on ne parle que d'un seul et même

7 esprit, que d'une seule et même intention délictueuse de l'accusé, les

8 différentes composantes de celle-ci vont se confondre pour ne devenir

9 qu'une.

10 M. le Président (interprétation): Monsieur Clegg, ou son prédécesseur à ce

11 poste, a relevé, je pense, que ce terme n'apparaissait qu'une seule fois

12 dans le jugement.

13 Comment répondriez-vous à la question suivante?

14 Pourrait-on lire le jugement de la façon suivante: qu'une Chambre de

15 première instance, lorsqu'elle a fait référence au concept de "dolus

16 specialis", en fait, faisait référence à une intention spécifique qui

17 était de commettre ces actes expressément prohibés et ne faisait pas

18 référence à un état d'intention particulier?

19 M. Bergsmo (interprétation): L'accusation a le sentiment qu'une intention

20 spécifique de commettre certains actes est une manifestation de l'esprit

21 de l'accusé. Si la Chambre de première instance a recours au terme de

22 "dolus specialis" pour décrire le fait que l'accusé devait avoir commis ce

23 "actus rius" avec la volonté d'agir et si la Chambre de première instance

24 ne demande pas qu'il y ait un désir, désir conscient, s'agissant de la

25 volonté d'avoir comme résultat la destruction, il semblerait que la

Page 80

1 Chambre de première instance avait un avis conforme à celui de

2 l'accusation.

3 M. le Président (interprétation): Je vous remercie. C'est tout ce que je

4 voulais vous demander.

5 M. Bergsmo (interprétation): Je vais passer la parole à M. Geoffrey Nice

6 qui va vous présenter les autres aspects contenus au chapitre 4 du mémoire

7 du Procureur.

8 M. Nice (interprétation): J'ai demandé qu'on mette à votre disposition,

9 pour entendre mon argumentaire, non seulement le jugement de la Chambre de

10 première instance mais aussi l'annexe que nous avions apposée à notre

11 mémoire. Ce n'est pas là la façon coutumière de présenter les documents en

12 public, mais je voudrais être conscient des initiales accordées aux

13 témoins qui ont comparu à huis clos. Et je voudrais pouvoir vous renvoyer

14 à ces références plus facilement.

15 Aujourd'hui, j'ai pour tâche de parler du degré nécessaire qu'il faut

16 apporter aux faits ou aux moyens de preuve à présenter au cours du procès.

17 Si je formule la chose de la façon dont je l'ai fait, c'est bien

18 évidemment que tous ces arguments sont sans préjudice de nos arguments de

19 base, à savoir que les procédures du procès exigent en fait qu'il y ait

20 nouveau procès. Nous ne connaissons pas, bien sûr, la décision que prendra

21 la Chambre d'appel. Nous vous soumettons dès lors les arguments qui sont

22 susceptibles de vous assister dans votre prise de décision.

23 La Chambre va peut-être penser qu'il est utile non seulement d'examiner

24 les moyens de preuve présentés lors du procès, mais qu'il faut également

25 s'attacher aux processus utilisés par la Chambre de première instance pour

Page 81

1 entendre les moyens de preuve. Car s'il est clair qu'il y a eu faille dans

2 cette procédure, qu'il y a eu vice de procédure. Plus la procédure est

3 viciée, moindre sera le poids que cette Chambre devra accorder à la

4 décision prise en première instance. Et plus il sera impossible, à notre

5 avis, de maintenir la décision du jugement en première instance.

6 Nous l'avons vu, vous savez, ce sont des affaires qui passent d'un avocat

7 à l'autre. Moi, je suis ici pour assurer une certaine continuité car, même

8 si je n'ai pas été le premier avocat en jugement, puisque c'était d'abord

9 Terry Bals qui avait été assigné, et puis il y avait moi-même qui suis

10 intervenu en présence et en compagnie de M. Vladimir Tochilovsky, jusqu'à

11 la fin du procès. J'espère que ceci me donnera l'occasion de vous apporter

12 assistance face aux griefs soulevés par l'accusé, s'agissant du

13 comportement affiché par la Chambre de première instance. Nous verrons si

14 ces griefs peuvent être maintenus.

15 Toutefois, à ce stade de l'audience, permettez-moi de rappeler quelque

16 chose qui était sans doute évident pour la Chambre elle-même. A savoir que

17 si, et dans la mesure où nous avons des documents montrant que la Chambre

18 de première instance était par trop préoccupée des questions de

19 calendrier, comme ceci apparaît clairement dans les griefs de la défense,

20 eh bien, ceci ne fait que soutenir et corroborer les inquiétudes que nous

21 avions. Car nous pensons qu'il y a eu un écourtement inapproprié et erroné

22 de la procédure de jugement.

23 Si vous examinez des affaires de ce type, vous savez qu'il y a en général

24 des catégories de moyens de preuve qui sont présentées. On peut dire, de

25 façon générale, qu'on essaie de savoir ce qui s'est fait de façon générale

Page 82

1 et cela peut comprendre les actes commis par l'accusé. Puis, vous allez

2 vous intéresser aux moyens de preuve montrant ce que l'accusé lui-même

3 aurait fait. Et enfin, vous allez vous intéresser aux moyens de preuve

4 concernant son intention délictueuse, son état d'esprit.

5 En l'espèce, il y avait une quantité considérable de documents afférents à

6 chacune des trois catégories. Et le fait même qu'il y ait une quantité

7 aussi impressionnante de documents, le côté clair et percutant de ces

8 moyens de preuve était tel que ce procès devait nécessairement être le

9 procès d'une personne qui était un exécutant, certes à un faible niveau,

10 mais exécutant quand même délibéré, qui devait faire l'objet d'un procès

11 de génocide.

12 Car, lorsque vous avez un tel accusé, il aurait été difficile d'apporter

13 des moyens de preuve plus précis. La décision de porter l'accusation de

14 génocide a été prise par Mme Arbour, le Procureur d'alors, et soumis à

15 cette Chambre; elle a été confirmée par une Chambre de première instance

16 au vu des moyens de preuve proposés. Et beaucoup de Juges, beaucoup

17 d'avocats se seraient sans doute réjouis de pouvoir discuter des faits et

18 du droit applicable en l'espèce, même si cet intérêt seul ne justifiait

19 pas nécessairement de porter au rôle du Tribunal une telle affaire.

20 Mais je reprends ici les conclusions de mes remarques liminaires. Les

21 survivants, ceux qui ont souffert des événements qui se sont produits à

22 Brcko, qui ont peut-être utilisé le terme de génocide pour décrire les

23 souffrances qu'ils ont subies, ces victimes, ces survivants avaient et ont

24 toujours un intérêt légitime, ont des attentes tout aussi légitimes à voir

25 un procès qui se tienne en bonne et due forme.

Page 83

1 Nous allons maintenant parler des faits. J'ai déjà souligné leur

2 importance et, à ce stade de la procédure, la Chambre voudra garder à

3 l'esprit ceci: lorsqu'il est devenu clair que la Chambre de première

4 instance était sur le point de se prononcer de façon définitive,

5 l'accusation a mis en garde la Chambre, par voie de requête déposée le 15

6 octobre 1999, pour alerter la Chambre des difficultés auxquelles

7 l'accusation faisait face.

8 Je ne sais pas si la Chambre a eu l'occasion d'examiner cette requête,

9 mais je peux vous en résumer les effets. Parce que cette requête ne se

10 contentait pas seulement de rappeler que l'Article 98bis était un article

11 nouveau, que l'accusation n'avait pas du tout été informée des inquiétudes

12 qu'avait la Chambre, et que l'accusation avait parlé de la nécessité de

13 présenter des arguments et du fait que l'accusation n'était pas complète.

14 M. le Président (interprétation): Vous vous basez sur quelle branche de

15 vos arguments?

16 M. Nice (interprétation): Je suis encore à mes questions liminaires ou à

17 ma présentation liminaire. Je vais répéter ce que je disais, parce que je

18 n'ai peut-être pas été suffisamment clair.

19 M. le Président (interprétation): Si je vous pose cette question, c'est

20 parce que j'ai reçu cette espèce de structure, ce plan qui nous a été

21 remis ce matin par M. Yapa et vous étiez censé parler des moyens de preuve

22 relatifs à l'intention génocidaire de M. Jelisic.

23 M. Nice (interprétation): Oui, je suis censé le faire mais j'espère

24 pouvoir ratisser un peu plus large, parce que je parle des faits et de la

25 façon dont ces faits ont été examinés de façon générale.

Page 84

1 J'espère que les raisons pour lesquelles je le fais deviendront claires,

2 parce que la Chambre doit examiner les moyens de preuve, mais la façon

3 dont ils ont été présentés, parce que, à mon avis, la démarche était

4 viciée, vue la démarche adoptée par la Chambre de première instance.

5 Je reviens à cette requête déposée par l'accusation, le 15 octobre 1999.

6 Ne connaissant pas les inquiétudes de la Chambre de première instance,

7 mais devant faire de notre mieux pour essayer d'évaluer les intentions

8 éventuelles de la Chambre, l'accusation a rappelé qu'il y avait ce

9 critère, pas seulement du fait d'être convaincu au-delà de tout doute

10 raisonnable -ce que nous avons rappelé dans notre requête du 15 octobre-

11 nous avons également dit qu'il n'y avait pas lieu de faire distinction

12 entre le niveau d'un participant et la chaîne hiérarchique pour faire une

13 distinction entre ceux qui étaient susceptibles d'être accusés de génocide

14 ou pas.

15 On a fait référence à l'affaire Nikolic dont est saisi ce Tribunal, et

16 nous avons rappelé à la Chambre la question de la complicité au génocide

17 qui se retrouve dans l'argument de l'accusation puisque, là, il y avait un

18 lien avec la complicité de l'accusé.

19 Il y avait donc cette mise en garde et la Chambre devait le savoir, devait

20 en être informée lorsqu'elle a pris la décision qu'elle a prise. Nous

21 avions dit que nous n'avions pas terminé la présentation de nos moyens à

22 charge.

23 Venons-en à ce qui s'est passé dans les faits. Puis nous allons examiner

24 certains des moyens de preuve présentés. Nous disons que la Chambre n'a

25 pas appliqué le bon critère pour ce qui est de la validité des moyens de

Page 85

1 preuve. Lorsque l'on examine ces derniers, vous verrez que, dans certains

2 cas, la conclusion est inévitable. Celle que nous tirons s'impose.

3 On ne peut pas dire qu'il doit y avoir classement de l'affaire parce qu'il

4 n'y a tout simplement pas eu de moyens de preuves présentés. S'il y a eu

5 un vol de routine, on n'a pas nécessairement la preuve que l'accusé est le

6 voleur. Peu importe comment le juge va décrire le test ou le critère qu'il

7 va appliquer, de toute façon, il n'y a pas eu de preuve selon laquelle cet

8 homme serait le cambrioleur.

9 Ce n'est pas le cas, en l'espèce, parce que nous avons soumis beaucoup de

10 documents qui pourraient, certes, être interprétés d'une façon ou d'une

11 autre. Mais, de toute façon, quelle que soit la démarche du Tribunal, si

12 celui-ci se comportait de façon correcte, il devait conclure et il devait

13 arriver aux conclusions suggérées par l'accusation.

14 Et j'espère pouvoir vous convaincre, ici, que la Chambre a manifestement

15 utilisé le mauvais critère, le mauvais test.

16 M. le Président (interprétation): Monsieur Nice, vous revenez sur des

17 éléments déjà abordés par les intervenants précédents, était-ce là votre

18 intention?

19 M. Nice (interprétation): Non, ce n'était pas le cas mais je passe à autre

20 chose et j'espère que vous m'autoriserez à faire valoir ceci, à prononcer

21 cette remarque. Parce que j'ai bien entendu ce que disait le Juge Wald,

22 qui montrait la différence entre un procès par jury ou par juge. Est-ce

23 que le test, le critère devrait être celui reconnu par ce Tribunal?

24 Je me permets de rappeler aux Juges ceci. Ceci ne vaut pas que pour les

25 juridictions inférieures, même lorsqu'il ne s'agit pas d'affaires au

Page 86

1 pénal, comme c'est le cas au Royaume-Uni. Je n'ai pas pu confirmer si

2 c'est le cas aussi au Cameroun, où vous avez des juges seuls qui sont

3 saisis de procès au pénal mais, en général, la Chambre n'accepte pas

4 d'arguments d'insuffisance si on a décidé de ne pas appeler le témoin à la

5 barre.

6 Pour dire qu'il y a insuffisance d'arguments, cela voudrait dire que les

7 Juges risquent de faire un jugement de façon prématurée, et risquent de

8 s'engager sur un voie sur laquelle ils ne peuvent plus faire marche

9 arrière.

10 Les moyens de preuves présentés à la Chambre, et sous réserve d'une autre

11 remarque que je voudrais faire, j'arrive au cœur de mon argument, les

12 moyens de preuve présentées devant la Chambre et sur lesquels celle-ci

13 s'est appuyée n'ont pas inclus des moyens de preuves sur lesquels ils ont

14 souhaité s'appuyer par la suite, au moment de rédiger leur jugement.

15 Rappelez-vous, Madame et Messieurs les Juges, le fait que la Chambre a

16 beaucoup insisté sur les éléments de preuve d'ordre psychiatrique. Or, ces

17 moyens de preuve n'avaient pas été présentés comme tel, comme moyens de

18 preuve à la Chambre, du moins au moment où la Chambre a rendu son prononcé

19 oral. Ces moyens de preuve n'ont été soumis à la Chambre qu'au moment de

20 la détermination de la peine, phase qui était de loin ultérieure à la

21 précédente.

22 Il était donc erroné que la Chambre incorpore ce moyen de preuve dans les

23 moyens de preuves sur lesquels elle a basé sa décision en matière de

24 génocide.

25 De plus, même au moment où la Chambre a reçu ces moyens de preuve, elle ne

Page 87

1 les avait pas reçus en tant que moyens relevant du sujet sur lequel la

2 Chambre s'est basée, pas du tout. Ces moyens de preuve ne disaient rien

3 quant à l'accusé, quant à son intention, son état d'esprit, au moment de

4 la commission de ces tueries dont il s'est rendu coupable. On parlait

5 d'autre chose: sa capacité à comparaître au procès, s'agissant de l'accusé

6 et, dans une mesure plus limitée, du risque qu'il peut représenter à

7 l'avenir.

8 Puisque nous sommes en train d'examiner les moyens de preuve, j'aimerais à

9 votre intention, Madame et Messieurs les Juges, mais aussi à notre

10 intention à tous, opérer une distinction entre cet exercice qu'il vous

11 semblera peut-être nécessaire de faire, et l'exercice qu'aurait dû mener à

12 bien la Chambre de première instance, si elle avait été disposée à

13 entendre les inquiétudes que nous avions.

14 Nous parlons, ici, de la question de l'insuffisance de preuves, à la fin

15 de la présentation des moyens à charge.

16 Il y a trois parties dans un procès. Il y a les Juges, les deux parties,

17 qui ont une expérience directe des moyens de preuve et ils peuvent se

18 remémorer cette expérience. Ceux d'entre nous qui sont expérimentés dans

19 ce genre de procès savent que le fait d'argumenter va raviver le souvenir

20 qu'on a des moyens de preuve, et va stimuler d'abord chez la partie

21 adverse des contre-arguments et, très souvent, peut-être, vont soulever

22 des questions dans les Juges neutres, les Juges vont alors soulever ce

23 type de problèmes sous forme de questions.

24 Mais c'est un processus qui donne un caractère tridimensionnel aux moyens

25 de preuve présentés. Ici, malheureusement, tout au plus, et je crois que

Page 88

1 si quelqu'un avait pris la peine de lire la totalité des comptes-rendus

2 d'audience, on pourrait dire malheureusement que l'évaluation réalisée par

3 les Juges est bi-dimensionnelle, puisque vous, Madame et Messieurs les

4 Juges, vous n'auriez pas la possibilité de raviver, de façon directe, des

5 souvenirs que vous auriez pu avoir de ce qu'ont dit les témoins, puisque

6 tout cela n'a pu se faire que pour les déclarations écrites des témoins.

7 Le processus est donc tout à fait différent du processus qui aurait dû

8 être adopté en première instance.

9 Lorsque l'on avance l'argument de la suffisance ou de l'insuffisance, et

10 lorsque c'est une Chambre de première instance qui s'en charge, les

11 délibérations de la Chambre et les différents arguments y afférents

12 doivent être mis à la disposition de la Chambre d'appel qui doit pouvoir

13 les examiner. La Chambre d'appel pourra voir ce que la Chambre de première

14 instance a pris en compte sous forme de moyens de preuve ou sous forme

15 d'arguments.

16 Et puis, bien sûr dans le cadre des limites qui lui sont imposées, la

17 Chambre d'appel peut procéder à un examen. Ici, la Chambre d'appel n'a

18 disposé d'aucun matériel de cet ordre; elle ne dispose que du jugement. Et

19 c'est dans ce jugement que je voudrais vous demander de consulter le texte

20 ainsi que l'annexe à notre mémoire.

21 Dans la version anglaise du jugement, à la page 20, version anglaise,

22 paragraphe 65, vous vous en souviendrez, la Chambre de première instance a

23 dit que les éléments matériels du crime de génocide avaient été prouvés.

24 Il n'est donc pas nécessaire de vous importuner sur ce fait.

25 Dans la même veine, à la page 24 de version anglaise, paragraphe 77, la

Page 89

1 Chambre de première instance a estimé que l'intention discriminatoire

2 avait été établie. Inutile, là aussi, de vous importuner davantage.

3 Pour ce qui est des autres pages, vous le savez, Monsieur le Président,

4 Madame et Messieurs les Juges, nous avons présenté sous forme narrative

5 les arguments dans notre mémoire; je ne vais donc pas les répéter et vous

6 importuner. Je sais de toute façon que vous en avez déjà pris

7 connaissance. Je préfère vous faire parcourir les autres paragraphes du

8 jugement, car ce sont ceux-là qui comptent. J'aimerais faire quelques

9 remarques suite aux affirmations qu'a fait la Chambre de première instance

10 et je voudrais vous faire parcourir aussi, grâce à l'annexe A de notre

11 mémoire, certains des moyens de preuve qui ont été, de façon patente,

12 ignorés par la Chambre de première instance.

13 Nous allons commencer par la page 24, dans la rubrique générale de

14 "l'intention de détruire, en tout ou partie, le groupe en tant que tel".

15 Tout d'abord, j'aimerais que vous examiniez la page 26 en version

16 anglaise, pour faire une remarque sur les moyens de preuve. C'est vers le

17 bas de la page, à la fin du paragraphe, page 29 en français.

18 La Chambre y dit que l'intention génocidaire peut donc s'exprimer sous

19 deux formes: elle peut consister à vouloir l'extermination d'un nombre

20 très élevé de membres du groupe. Nous serions alors dans l'hypothèse d'une

21 volonté de destruction massive du groupe. Elle peut cependant aussi

22 consister à rechercher la destruction d'un nombre plus limité de

23 personnes, celles-ci étant sélectionnées en raison de l'impact qu'aurait

24 leur disparition pour la survie du groupe comme tel. Il s'agirait, dans

25 cette hypothèse, d'une volonté de destruction "sélective du groupe. Le

Page 90

1 Procureur n'a pas véritablement tranché entre ces deux approches". Fin de

2 citation.

3 Si cette question avait été soulevée, la réponse aurait été celle-ci:

4 c'est que les deux options, les deux approches étaient possibles en

5 matière d'administration de la peine, parce qu'il y a les deux grandes

6 proportions et puis le fait d'être tué. Mais, de toute façon, la structure

7 consistant à commettre des crimes de façon sélective s'est révélée.

8 Si nous tournons maintenant plusieurs pages pour atteindre la page 29 du

9 Jugement, nous y trouvons trois paragraphes -les paragraphes 91, 92 et 93-

10 où il est question de listes. Et il est possible mais difficile de le dire

11 avec certitude, car aucun argument n'a permis de l'expliquer, il est donc

12 possible qu'une confusion fondamentale ait été commise par la Chambre de

13 première instance quant à la liste à laquelle elle s'intéressait. C'est

14 une interprétation possible de la lecture de ces paragraphes.

15 Et j'aimerais, si vous le permettez, vous expliquer la situation des

16 éléments de preuve. Ils ont été nombreux -nous y viendrons dans quelques

17 instants-, nombreux à se présenter sous forme de listes, de petits

18 morceaux de papier sur lesquels des noms étaient inscrits et ces papiers

19 ont été donnés ou remis à l'accusé et à d'autres personnes, selon les

20 témoins. Ces listes comportaient les noms de personnes qui devaient être

21 traitées, mais en réalité tuées.

22 D'autres listes sont des listes sur lesquelles figuraient les noms de

23 personnes dont les corps ont été retrouvés dans des fosses communes. Deux

24 cents noms et davantage, fournis par les autorités, dont cent

25 correspondent à des personnes qui ont pu être identifiées. Il y avait

Page 91

1 notamment une liste comportant trente-neuf noms, fournie par une

2 personnalité au pouvoir au sein de la communauté et ces noms sont

3 forcément les noms de personnes importantes qu'il était satisfaisant pour

4 quelqu'un de voir disparaître, qu'il était donc devenu nécessaire de tuer.

5 Il y avait aussi une liste plus longue, élaborée par…, sur laquelle on

6 trouve les noms de dirigeants musulmans de la municipalité, dont une

7 grande proportion -la moitié à peu près- ont été tués; l'autre moitié

8 ayant réussi à s'enfuir, selon les témoignages entendus par la Chambre.

9 Et dans ces listes, les trente-neuf noms et les cents noms des personnes

10 dont les corps ont été trouvés dans des fosses communes, il y a certains

11 noms qui correspondent à des personnes qui, selon les témoins entendus et

12 de l'aveu même de l'accusé, ont été tuées par l'accusé.

13 Donc ces listes sont tout à fait différentes par leur nature. Les listes

14 sur lesquelles figurent les noms de dirigeants importants de la communauté

15 musulmane, cette liste est une liste pour laquelle il était prévu de tuer

16 les personnes dont les noms figuraient sur le papier. Quant à l'autre,

17 celle dont l'accusé a parlé lors de son interrogatoire par les enquêteurs

18 du Tribunal et dont ont parlé également d'autres témoins, était des listes

19 qui leur étaient fournies à l'époque pour commettre un certain nombre

20 d'actes qui ont été commis.

21 Donc si on n'a pas l'image globale en tête et si l'on n'établit pas cette

22 distinction, on risque de commettre une erreur.

23 Regardons par exemple les paragraphes 91 à 93 du Jugement. Nous y voyons

24 que la raison pour laquelle ces listes ont été établies n'est peut-être

25 pas tout à fait claire, qu'il n'est pas établi que l'accusé s'est fondé

Page 92

1 sur ces listes pour procéder aux exécutions. Et il est question de Jelisic

2 qui, apparemment, choisissait les noms de personnes au hasard sur la

3 liste. Il n'y a aucun élément de preuve et il n'est donc pas établi. Et là

4 encore, je rappelle que la Chambre d'appel estimera peut-être que

5 l'utilisation du terme "établi" correspond aux dires de l'accusation selon

6 laquelle la Chambre de première instance appliquait le critère de la

7 preuve au-delà de tout doute raisonnable plutôt que de se prononcer sur

8 l'absence matérielle de preuves permettant l'établissement de la

9 culpabilité.

10 J'espère ne pas avoir à rappeler cet argument, car il me paraît tout à

11 fait évident, mais il est récurrent dans les propos de l'accusation.

12 Quoi qu'il en soit les listes, vues par le témoin K ou d'autres témoins,

13 correspondent aux dires de l'accusation. Par conséquent, il est impossible

14 de conclure au-delà de tout doute raisonnable que le choix des victimes

15 répondait à une logique précise, qui se donnait pour objectif de détruire

16 les personnalités les plus importantes de la communauté musulmane.

17 Le même argument peut être utilisé s'agissant de la preuve.

18 J'aimerais à présent orienter la Chambre d'appel vers le texte de

19 l'annexe, page 21 en anglais. Je ne vais pas faire de nombreuses

20 citations, je vais simplement vous citer un certain nombre de références à

21 titre d'information; cela vous aidera dans votre tâche. J'estime pour ma

22 part que j'aurais accompli la mienne.

23 Donc, page 29 d'abord. Il est question des listes.

24 Vous constaterez, après avoir entendu ce que je viens de dire, que la

25 préparation de l'ordre de présentation des éléments de preuve a toujours

Page 93

1 été très utile pour la Chambre de première instance. Donc nous avons prévu

2 de vous dire dans quel ordre nous présentons les éléments de notre

3 argumentation et nous le ferons un peu plus tard.

4 C'est le premier point que j'espérais vous soumettre, Madame et Messieurs

5 les Juges, pour vous aider dans votre travail.

6 Un autre point important, c'est que l'accusé, dans ce procès, a répondu de

7 façon très précise dans les interrogatoires qu'il a subis et que ce

8 faisant, il a fourni des éléments de preuve à charge, qui désormais

9 constituent des faits jugés par le Tribunal.

10 La Chambre de première instance, en revanche, semble ne pas en avoir tenu

11 grand compte. Page 29 de l'annexe, nous y trouvons des extraits d'un

12 compte rendu d'interrogatoire; par exemple, où l'accusé déclare en page 8,

13 et j'irai aussi vite que je peux "qu'une liste lui a été remise. Sur cette

14 liste figuraient les noms de personnalités importantes. C'est la seule

15 façon de les décrire" dit-il. Rien ne pouvait être plus clair que le fait

16 que, grâce à cette liste, ces personnalités importantes étaient prises

17 pour cibles.

18 Page 17, à présent, traitant des personnes qu'il a tuées les premières,

19 dans deux sites, et c'est une certitude, le poste de police et ensuite le

20 camp de Luka, il dit que "au poste de police, il s'agissait des personnes

21 détenues dans la cellule 13", et il poursuit en disant ceci: "Ces

22 personnes avaient leur nom sur leur liste parce que…", il l'avait dit, des

23 listes lui avaient été données avant même d'être recruté, avant même que

24 le conflit ne commence.

25 Page 22, "99% des personnes dont les noms figuraient sur les listes que

Page 94

1 j'ai vues étaient musulmanes".

2 Page 47, "il s'agissait d'une liste sur laquelle figuraient les noms de

3 prisonniers musulmans". A la fin, il dit que c'est la cellule de crise qui

4 a élaboré cette liste. Donc c'était une liste venant du cœur du pouvoir.

5 Page 49, interrogé au sujet de la liste, l'accusé répond que: "un maximum

6 de Musulmans devaient être tués car la ville devait devenir une ville

7 serbe".

8 Page suivante, et ensuite je laisserai la Chambre d'appel examiner ces

9 documents par elle-même, car je ne tiens pas abuser du temps qui m'est

10 imparti, mais il n'y a aucun doute quant au fait que les listes remises à

11 l'accusé l'étaient dans un but bien précis.

12 Si vous lisez ce qui figure en page 31, vous voyez que ce n'est pas

13 l'accusé seul qui a parlé de ces listes, mais d'autres également. Le

14 témoin H, et de nombreux témoins auxquels avait été accordé… Il faut

15 savoir que de nombreux témoins se voient accorder un pseudonyme et que,

16 seuls, quelques rares témoins s'expriment en public. En tout cas, le

17 témoin H a pu reconnaître 20 personnes dont les noms figurent sur ces

18 listes. Il a déclaré que toutes ces personnes étaient bosniennes.

19 Un autre témoin, mentionné en bas de page, je ne donnerai pas son nom, je

20 ne voudrais pas qu'il puisse être possible de l'identifier, mais la

21 Chambre verra ce qu'a dit ce témoin à cet endroit de l'annexe.

22 Page 33, un autre témoin. Encore une fois, je ne le nomme pas. Deuxième

23 témoin, à partir du bas, traite de ces listes. Avec tout le respect que

24 nous devons à la Chambre d'appel, la conclusion du paragraphe 93, à notre

25 avis, ne peut pas être défendable. Quel que soit le critère appliqué, il

Page 95

1 est impossible de conclure au-delà de tout doute raisonnable qu'aucun

2 élément de preuve n'existait prouvant les faits avancés par l'accusation.

3 De quelque manière que nous interprétions ces propos, le choix des

4 victimes répondait à une logique de destruction destinée à détruire les

5 personnalités les plus importantes de la communauté musulmane. Des efforts

6 importants ont été accomplis dans ce sens sur le plan matériel; ce qui

7 confirme nos dires.

8 Je compulse mes tableaux, Monsieur le Président. J'ai un peu perdu le fil

9 dans mes papiers, c'est regrettable.

10 Page 21, des tableaux qui vous ont été remis, Madame, Messieurs les Juges,

11 vous y découvrirez les premiers éléments d'une catégorie d'éléments de

12 preuve intitulée comme "personnalités musulmanes les plus importantes", et

13 cette même catégorie se poursuit dans nos tableaux jusqu'à la page 28.

14 Si vous regardez les réponses apportées par l'accusé lors de

15 l'interrogatoire au milieu de cette même page, il commence par identifier

16 les victimes en parlant du rôle qui était le leur dans les rangs du parti

17 musulman et, en bas de page, il dit de quelle façon on sélectionnait les

18 gens.

19 Page suivante, il dit: "Ils étaient choisis par qu'ils occupaient un rang

20 élevé au sein du SDA ou dans la hiérarchie" et ces propos se poursuivent

21 tout au long de la page.

22 Page 32, nous trouvons les propos du témoin dont il a été question et, au

23 milieu de la page, son argument est présenté. C'est un élément de preuve

24 tout à fait manifeste de la part de quelqu'un qui n'avait aucune raison de

25 présenter les choses sous un jour erroné ou de mentir. Ce que cette femme

Page 96

1 a vu et qui constitue un élément de preuve, c'est que les Musulmans les

2 plus importants ont été sélectionnés. Je crois que ce sera intéressant

3 pour la Chambre.

4 J'appelle encore l'attention des Juges sur un autre passage. Oui, page 27.

5 Où il est dit que la liste comportait les noms de personnalités

6 importantes.

7 Donc à notre avis, le contenu de l'Article 83 est totalement fautif,

8 erroné. Au paragraphe 94, nous voyons une mention du fait que des

9 personnes ont été remises en liberté, à de nombreuses reprises, le jour

10 même de leur arrivée.

11 Les Juges constateront, à la lecture des tableaux que, dans la colonne de

12 droite, on trouve une mention signalant si, oui ou non, les éléments de

13 preuve existants ont été pris en compte dans le jugement prononcé par la

14 Chambre de première instance.

15 Page 11 et 12 de ce document, vous constaterez, Madame et Messieurs les

16 Juges, s'agissant du témoignage du témoin A, un témoin à qui un pseudonyme

17 avait été octroyé mais dont le témoignage s'est fait en public; donc en

18 bas de page, ce témoin déclare ce qui suit: "En dépit des laissez-passer

19 délivrés par la police, ces laissez-passer n'étaient que la source d'un

20 faux espoir pour les personnes qui les recevaient. En effet, ces personnes

21 rentraient chez elles et, le lendemain, on les ramenait. Ou bien, comme

22 des personnes qui les ont ramenées chez elles l'ont raconté par la suite,

23 on les libérait le matin et on les tuait le soir chez elles, dans leur

24 maison ou dans leur appartement". Fin de citation.

25 Eh bien, cet élément de preuve qui figure dans nos tableaux a simplement

Page 97

1 était laissé de côté par les Juges de la Chambre de première instance,

2 alors que cela constitue un élément de preuve tout à fait important

3 permettant de comprendre ce qui était à la base de la remise en liberté

4 apparente ou réelle de ces personnes.

5 Donc le paragraphe 94 est erroné et fautif dans son contenu. Des éléments

6 de preuve présentant des arguments tout à fait opposés n'ont pas été pris

7 en compte.

8 Paragraphe 95, il y est question d'un argument qui n'a pas été établi au-

9 delà de tout doute raisonnable, à savoir si, oui ou non, l'accusé a tué

10 sous les ordres d'un supérieur dans le camp de Luka. Il semble qu'il se

11 présentait comme le commandant du camp de Luka. On pensait qu'il était le

12 chef ou, en tout cas, une personne détenant un certain pouvoir parce qu'il

13 donnait des ordres aux soldats du camp qui avaient apparemment peur de

14 lui.

15 Eh bien, si nous avions eu la possibilité d'examiner cet argument, il

16 apparaîtrait de façon tout à fait claire, avec examen de tous les éléments

17 de preuve y afférents, y compris les réponses de l'accusé aux

18 interrogatoires, qu'il a fait ce qu'il a fait, y compris l'acte de tuer,

19 en application d'un plan global. Ce que montre y compris les listes dont

20 je viens de parler et que la Chambre de première instance semble ne pas

21 avoir considérées comme importantes.

22 En tout état de cause, la question de savoir s'il a tué toutes ces

23 victimes ou certaines d'entre elles en application d'ordres n'est pas

24 déterminant. Car, premièrement, l'important est de prouver l'existence ou

25 pas d'un meurtre de masse et, deuxièmement, parce que les acteurs d'un

Page 98

1 génocide choisissent au préalable de placer leurs futures victimes dans

2 des camps, soit parce qu'ils ont été recrutés à cette fin soit parce

3 qu'eux-mêmes souhaitent détruire et tuer, même sur instruction d'un

4 supérieur.

5 Donc cela ne permet pas de prouver qu'il y a génocide; c'est sans doute

6 plutôt le contraire.

7 S'agissant du paragraphe 95, j'inviterai les Juges de cette Chambre

8 d’appel à noter au moins les pages dont je considère qu'elles méritent

9 d'être examinées, mais je n’en parlerai que superficiellement.

10 Page 35, vous pouvez commencer par les catégories matérielles. En effet,

11 on trouve certaines réponses de l'accusé en page 35, qui correspondent à

12 la page 7 de ses réponses aux interrogatoires dans lesquels il affirme de

13 ne pas avoir tué sur la base de l'appartenance ethnique.

14 Ce que l'on trouve également dans les premières lignes de ces réponses

15 suivantes: "Il continue à affirmer qu'il a tué sur les ordres de

16 quelqu'un. Tout cela s'est passé au poste de police".

17 Mais je reviendrai sur ces meurtres un peu plus tard.

18 Page suivante, la même chose se poursuit.

19 En page 37, vous trouvez un endroit où l'accusé, répondant longuement à

20 des questions concernant le fait d'avoir tué plusieurs personnes, raconte

21 de façon très détaillée comment il a traité deux victimes particulières:

22 certains lui donnaient des instructions, il y avait une autre personne qui

23 souhaitait se joindre à lui pour commettre ce meurtre.

24 Enfin, vous trouverez de très nombreux éléments de preuve à cet endroit,

25 ainsi qu’en page 41.

Page 99

1 Page 40, le sujet est très ramassé, très concentré. Il s'agit d'un témoin,

2 le témoin I, auquel le Président d'audience demande si l'accusé lui avait

3 donné l'impression de diriger les opérations ou d'être simplement un

4 exécutant. "Réponse -je cite-: Je pourrais dire qu'il était les deux." Fin

5 de citation.

6 Autre citation: "Il exécutait les ordres mais il lui arrivait aussi de

7 sélectionner les victimes de son propre gré. Il aurait pu ne pas tuer

8 quelqu'un, même si on lui avait ordonné de le faire. Il y a pas mal de

9 choses qu'il a faites de sa propre initiative". Fin de citation.

10 Aucune référence n'est faite à cela dans le jugement.

11 Nous poursuivons. Pages 41 à 44: on y trouve un passage très intéressant

12 pris en compte par la Chambre de première instance mais en laissant de

13 côté des éléments de preuve tout à fait fondamentaux encore une fois.

14 En haut de la page 43, le témoin raconte comment, après plusieurs

15 semaines, un moment est arrivé où quelqu'un -qui apparemment avait une

16 position de supérieur- a fait cesser les meurtres. Cet élément a été pris

17 en compte par la Chambre de première instance et il est important.

18 Mais ce que la Chambre de première instance n'a pas pris en compte se

19 trouve en page 43 et, plus bas, nous voyons ce que dit le témoin B.

20 Et puis, vous trouverez aussi dans notre mémoire de l'accusation, au

21 paragraphe 4.67, les preuves apportées par M. Ralston, qui parle d'une

22 série de meurtres commis à Brcko, et qui dit que les organisateurs de ces

23 meurtres ne pouvaient plus les arrêter parce que c'était devenu un fait de

24 notoriété publique à Brcko, car il y avait eu des fuites, et il n'était

25 donc plus acceptable de continuer à utiliser cette méthode.

Page 100

1 S'agissant des éléments de preuve favorables à l'accusé, l'un d'entre eux

2 consisterait à penser qu'il agissait parce qu'il ne se contrôlait pas.

3 Or les éléments de preuve, considérés globalement et dont on trouve un

4 grand nombre entre la page 59 de ce tableau et la fin du tableau, prouvent

5 qu'il a agi, bel et bien, en appliquant un plan préexistant. Et toutes les

6 sources d’où proviennent les éléments de preuve sont tout à fait unanimes

7 sur ce point.

8 Donc oui, il a agi en application de certains ordres, il a tué; il est

9 possible qu'il ait même tué davantage que ce qu'on lui ordonnait dans

10 l'immédiat, qu'il a pris pour cibles des personnes qui étaient de toute

11 façon condamnées, mais il les a tuées à un autre moment que celui qui

12 était prévu.

13 Peut-être peut-on parler aussi au passage, comme je m'y suis engagé, d'un

14 autre élément de preuve qui, je crois, a été pris en compte par la Chambre

15 de première instance, mais sans peut-être qu'elle lui accorde l'importance

16 que cet élément mérite.

17 Il y a eu une série de photographies qui ont été montrées à la Chambre où

18 l'on voit l'accusé exécuter quelqu'un dans une allée. On lui a demandé

19 s'il avait choisi ces personnes et de quelle façon la photographie avait

20 été prise.

21 Dans ses réponses à l'interrogatoire -et l'accusation n'a pas contesté ces

22 réponses-, il dit que ces extraordinaires photographies ont été prises

23 parce que les Serbes qui lui donnaient ces ordres souhaitaient les

24 utiliser dans leur propagande.

25 En effet, les personnes qu'on voit sur la photo sont pour la plupart de

Page 101

1 dos; il est difficile de faire la différence visuellement entre un Serbe

2 et un Musulman.

3 Et donc l’accusé a déclaré que les Serbes voulaient utiliser ces photos

4 pour donner à croire que c'étaient des Musulmans qui étaient en train de

5 tuer des Serbes.

6 Alors, que cette réponse soit exacte ou pas, la Chambre de première

7 instance doit la prendre en compte et cela ne lui indique pas si Jelisic

8 agissait seul ou pas. Mais en tout cas, le fait de vouloir utiliser ces

9 photographies dans le cadre d'une propagande organisée montre bien qu'il

10 existait un plan.

11 Donc, si je peux les classer en plusieurs catégories, il y a plusieurs

12 façons d'aborder le paragraphe 95. Mais en tout état de cause, quelle que

13 soit la façon dont on l’aborde, on constate que des éléments de preuve

14 importants n'ont pas été pris en compte et que des interprétations ont été

15 faites qui vont en fait à l’inverse des conclusions qu'il aurait été bon

16 de tirer.

17 Et puisque j'ai dit quelques mots des photographies, je vais revenir sur

18 l’une d'entre elles qui, je crois, est mentionnée dans notre mémoire

19 écrit.

20 On y voit une fosse commune qui vient d'être partiellement comblée.

21 A l'arrière-plan, on voit un camion, un camion blanc de marque Bimeks.

22 Bien sûr, ce camion est présent dans de nombreux témoignages et de

23 nombreux éléments de preuve. Vous le trouverez mentionné dans les tableaux

24 de l’accusation. C’était en effet le camion qui, régulièrement, ramassait

25 les corps des personnes tuées. C'était un camion réfrigéré, je pense.

Page 102

1 Donc tout argument de la Chambre de première instance, selon lequel les

2 meurtres ont été commis par l'accusé parce qu'il perdait le contrôle de

3 lui-même sans qu'il y ait plan préétabli, aurait dû tenir compte du fait,

4 assez répugnant en soit, qu'un camion circulait ici et là pour ramasser

5 les corps des personnes décédées.

6 Ce n'est pas quelque chose que l'accusé aurait pu organiser tout seul, à

7 son niveau. Et je pense que ce camion Bimeks est mentionné dans une note

8 en bas de page du jugement de la Chambre de première instance. Mais,

9 encore une fois, cet élément de preuve tout à fait significatif et

10 important a été totalement laissé de côté.

11 Je regarde la montre, Monsieur le Président. Si je ne m'abuse, il doit me

12 rester à peu près un quart d'heure encore. Je ne sais pas exactement

13 quelle est la position de la Chambre d'appel sur ce point?

14 M. le Président (interprétation): Peut-être êtes-vous un peu dans l'erreur

15 s'agissant du temps qu'il vous reste, Monsieur Nice.

16 M. Nice (interprétation): Oui, peut-être, Monsieur le Président.

17 Mais j'aurais voulu savoir si des questions vont m'être posées et de

18 quelle façon cela modifie le temps qui m'est imparti.

19 (Les Juges se consultent sur le siège.)

20 M. le Président (interprétation): Très bien. La Chambre va vous permettre

21 de poursuivre jusqu'à 13 heures, mais le rideau tombera à ce moment-là.

22 M. Nice (interprétation): Merci beaucoup.

23 Page 30 du jugement, paragraphe 97: je crois que j'ai déjà fait valoir à

24 quel point il était non significatif de se demander si, de temps en temps,

25 l'accusé avait opéré en perdant le contrôle de lui-même ou en outrepassant

Page 103

1 ses attributions.

2 Et puis, nous en arrivons à la conclusion.

3 Paragraphe 98: nous voyons la mention suivante -je cite-: "Le Procureur

4 n'a pas apporté les preuves suffisantes permettant d'établir au-delà de

5 tout doute raisonnable l'existence d'un plan de destruction du groupe

6 musulman à Brcko ou même au-delà". Fin de citation.

7 Avec le respect que nous devons aux Juges de ce Tribunal, nous disons que

8 ceci est une façon tout à fait déplacée et erronée de se prononcer dans

9 cette affaire.

10 J'aimerais appeler l'attention de la Chambre d'appel sur les neuf

11 premières pages de notre document, notamment la page 3, où l'on trouve le

12 nom d'un témoin que je ne vais pas prononcer; il s'agit donc des tableaux

13 de l'accusation. Je ne vais pas citer le nom de ce témoin, mais en tout

14 cas, c'est un témoin qui fait remonter l'organisation de ces meurtres à

15 Karadzic.

16 Des éléments de preuves ont été présentés à ce sujet. L'accusé d'ailleurs

17 a dit à peu près la même chose quand il répondait aux représentants du

18 Bureau du Procureur.

19 En page 5, au milieu de la page, dans les réponses de l'accusé, je

20 choisirai simplement celle-ci -je cite-: "Il a dit très clairement

21 qu'avant la planification de tout ceci, un plan existait déjà, un plan où

22 il était question du pont, des listes et de tout le reste". Fin de

23 citation.

24 Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges, si vous regardez ce

25 qui figure dans la colonne de droite des tableaux de l'accusation, vous

Page 104

1 verrez que cet élément de preuve matériel, tout à fait conséquent, n'a

2 absolument pas été pris en compte par la Chambre de première instance .

3 M. le Président (interprétation): C'est un témoin?

4 M. Nice (interprétation) : Oui, et j’espère que nos tableaux permettront

5 aux Juges de bien comprendre chaque fois s'il s'agit des réponses fournies

6 par l'accusé ou de témoignages de témoin.

7 D'autres pages du document de l'accusation ont une très grande importance,

8 y compris les pages 45 à 54 et 54 à 58.

9 Et il me reste dix minutes pendant lesquelles je vais revenir sur ce qui

10 figure dans le jugement entre la page 31 et la conclusion du texte.

11 On trouve le mot "dolus specialis", en bas de page 33. On voit que la

12 Chambre de première instance a conclu qu'il convenait d'acquitter l'accusé

13 pour le crime de génocide; ceci figure en haut de la page 34.

14 La Chambre utilise la phrase très révélatrice "le bénéfice du doute doit

15 profiter à l'accusé".

16 Pour revenir à cet ensemble de documents assez limité.

17 Page 32, paragraphes 101 et 102: la Chambre, comme elle devait le faire,

18 fait état des documents et des éléments de preuve extrêmement forts qui

19 déterminent, qui expliquent l'état d'esprit de l'accusé et où il affirme

20 qu'il avait tué, qu’il se vantait de tuer des Musulmans avant le déjeuner,

21 ou avant de prendre son café, et où il se qualifiait d'Adolf.

22 Tout ceci, on le trouve dans les documents en annexe.

23 Et ses intentions, on ne peut imaginer pire et plus conforme au crime qui

24 lui est reproché!

25 Comment la Chambre a-t-elle pu résoudre le hiatus qui existe entre ces

Page 105

1 éléments de preuve extrêmement convaincants, d'un niveau exceptionnel,

2 qu'on peut rarement s'attendre à trouver dans un procès de ce type, donc

3 comment réussir à concilier cette incohérence entre cette masse d'éléments

4 de preuve si convaincants et la décision de prononcer un acquittement.

5 Paragraphe 105, page 103, on peut lire: "Les propos de Jelisic, tels que

6 rapportés par un témoin, révèlent essentiellement une personnalité

7 perturbée".

8 Note de bas de page 162: on mentionne le rapport du Dr Van den Bussche,

9 dont ils ne disposaient pas avant de prendre leur décision et que les

10 Juges de la Chambre de première instance n'ont examiné qu'au moment de

11 déterminer la peine à appliquer.

12 Ce qui suit et qui a trait à l'immaturité de l'accusé, qui souffre d'une

13 personnalité de type "border line", tout ceci nous donne des éléments

14 relatifs à l'accusé, mais cela n'a pas été utilisé pour traiter de la

15 question du génocide.

16 Paragraphe 106: on parle d'éléments de preuve bien particuliers. Je

17 souhaiterais pour ceux-ci demander que l'on passe brièvement à huis clos

18 partiel parce que le témoin en question a témoigné à huis clos.

19 M. le Président (interprétation): Oui.

20 (Audience à huis clos partiel.)

21 (expurgée)

22 (expurgée)

23 (expurgée)

24 (expurgée)

25 (expurgée)

Page 106

1 (expurgée)

2 (expurgée)

3 (expurgée)

4 (expurgée)

5 (expurgée)

6 (expurgée)

7 (expurgée)

8 (expurgée)

9 (expurgée)

10 (expurgée)

11 (expurgée)

12 (expurgée)

13 (expurgée)

14 (expurgée)

15 (expurgée)

16 (expurgée)

17 (expurgée)

18 (Audience publique.)

19 En ce qui concerne les laissez-passer, on en parle à la page 106.

20 Je vous ai donc parlé d'un témoin qui évoquait la réalité de ces laissez-

21 passer et leur validité.

22 Donc j'en ai terminé, en résumé, de l'examen des éléments de preuve dont

23 il convient que vous preniez connaissance avec attention.

24 Les deux raisons pour lesquelles la Chambre de première instance a décidé

25 de rejeter le génocide figurent dans les éléments que j'essaie de vous

Page 107

1 résumer.

2 Ces deux motifs, c'est qu'il y avait eu un volume considérable de

3 documents, mais du fait qu'ils n'ont pas choisi de s'interroger sur

4 d'autres éléments de preuve qui auraient pu exister ou sur

5 l'interprétation de ces éléments de preuve, ils se sont privés de la

6 possibilité de dire que ces éléments de preuve justifiaient la poursuite

7 du procès et que ces éléments de preuve, à notre avis, constituaient les

8 éléments de preuve les plus valables qu'on puisse imaginer pour prouver

9 qu'effectivement, Jelisic était dans un état d'esprit qui indiquait

10 l'intention génocidaire.

11 Et même si l'idée qui est avancée, selon laquelle la personnalité troublée

12 de l'accusé, une personnalité de type "border line", l'idée de suggérer

13 que ceci constitue une excuse doit être rejetée immédiatement. Parce qu'il

14 serait très difficile, je pense, de trouver des personnes coupables d'acte

15 génocidaire qui soient complètement saines d'esprit, sans aucun trouble

16 mental quel qu'il soit, sans aucun trouble de la personnalité quel qu'il

17 soit, aussi bien pour le message qu'on donnerait au public qu'en matière

18 de droit, je pense que ce serait la mauvaise décision à prendre.

19 D'autre part, aucun moyen de défense relatif à l'état mental de l'accusé

20 n'a été soulevé par son conseil.

21 J'en ai terminé. Je vous remercie du temps supplémentaire qui m'a été

22 imparti. Je pense qu'il est de mon devoir de vous redonner cinq minutes

23 sur ce temps.

24 M. le Président (interprétation): Merci, Monsieur Nice. Nous vous

25 remercions.

Page 108

1 Monsieur Yapa, vous en avez donc terminé de la présentation de votre

2 argumentation?

3 M. Yapa (interprétation): Oui.

4 M. le Président: Fort bien.

5 Nous allons maintenant suspendre et nous reprendrons à 15 heures, avec

6 l'argumentation de Me Clegg.

7 (L'audience, suspendue à 12 heures 52, est reprise à 15 heures.

8 M. le Président (interprétation): L'audience est reprise. Maître Clegg,

9 nous allons vous écouter maintenant.

10 M. Clegg (interprétation): Si vous me le permettez, je souhaiterais

11 traiter, tout d'abord, du motif d'appel n°1 de l'appel présenté par

12 l'accusation.

13 On avance, du côté de l'accusation, que l'on n'a pas eu la possibilité de

14 présenter des arguments avant le prononcé du verdict; la Chambre ayant

15 indiqué qu'elle souhaitait prononcer un jugement suite à la fin de la

16 présentation des éléments à charge.

17 J'estime quant à moi que l'accusation a raison lorsqu'elle affirme qu'elle

18 aurait dû avoir la possibilité de présenter un réquisitoire. L'Article 86

19 A) du Règlement reflète bien cette situation: "Après présentation de tous

20 les moyens de preuve, le Procureur peut prononcer un réquisitoire". Il

21 apparaît clairement que, dans le cadre de la procédure adoptée par la

22 Chambre de première instance, tous les éléments de preuve avaient

23 effectivement été présentés, lorsque l'accusation a demandé la possibilité

24 d'être entendue, et donc si on adopte une interprétation stricte de

25 l'Article 86, l'accusation aurait dû avoir la possibilité et aurait dû

Page 109

1 obtenir l'autorisation de s'adresser à la Chambre de première instance.

2 Même s'il n'y avait pas l'Article 86 du Règlement, j'aurais quant à moi eu

3 tendance à estimer que les parties doivent avoir la possibilité de

4 s'adresser à une Chambre de première instance avant le prononcé d'un

5 verdict, en particulier si le verdict va s'opposer à celui qui est requis

6 par la partie qui souhaite s'exprimer devant la Chambre de première

7 instance.

8 Cependant nous avançons, quant à nous, que le fait que la Chambre de

9 première instance n'ait pas permis à l'accusation de présenter ses

10 arguments, donc ce fait n'invalide pour autant pas le verdict prononcé. On

11 peut dire qu'au maximum, c'est un comportement discourtois qui a été celui

12 de la Chambre de première instance. D'ailleurs, si on lit l'Article 86, on

13 peut dire que ce qui s'est passé s'oppose au Règlement appliqué dans les

14 prétoires mais, en fait, il s'agit d'un problème purement procédural.

15 Si, après analyse approfondie des éléments de preuve, l'accusation voit

16 rejeté son troisième motif d'appel, et nous estimons que cela doit être le

17 cas, nous avançons qu'à ce moment-là, malgré l'erreur regrettable qui a

18 été commise lorsque l'on n'a pas permis à l'accusation de se faire

19 entendre à la fin de la présentation de ces éléments, eh bien nous

20 estimons pour autant que cette erreur n'invalide pas le verdict.

21 Il y a très longtemps, Lord Hewitt a dit que, non seulement, il faut que

22 la justice soit rendue mais il faut qu'on voit qu'elle soit rendue. Et en

23 refusant d'entendre une des parties au procès, nous estimons que cela peut

24 susciter au moins la perception, l'impression qu'on n'a pas montré que la

25 justice avait été rendue, puisqu'une des parties n'a pas pu être entendue.

Page 110

1 Donc nous n'avons pas l'intention de soutenir l'approche qui a été adoptée

2 par la Chambre de première instance. Cela ne signifie pas pour autant que

3 nous soyons d'accord avec les mesures qui sont demandées par l'accusation,

4 qui nous demande donc un nouveau procès.

5 Ainsi, vu les arguments qui nous ont été présentés, il n'est absolument

6 pas inévitable que se produise un nouveau procès, puisque c'est ce qui a

7 été dit ce matin. Ce que nous dit l'Article 117 C) du Règlement, c'est que

8 la Chambre de première instance peut renvoyer l'affaire devant la Chambre

9 de première instance pour un nouveau procès lorsque les circonstances le

10 requièrent; la Chambre d'appel donc.

11 Mais nous estimons que si ceci était appliqué comme l'accusation le

12 souhaite, il y aurait un grand nombre de nouveaux procès. Les termes de

13 "lorsque les circonstances le requièrent" peuvent être remplacés par "si

14 cela est exigé par les intérêts de la justice". Et nous avançons que la

15 réponse à la question de savoir s'il convient qu'il y ait un nouveau

16 procès en l'espèce, on la trouve dans la décision qui sera celle de la

17 Chambre d'appel en ce qui concerne le troisième motif d'appel.

18 Donc on ne peut pas arguer que si, effectivement, la Chambre a pris la

19 bonne décision mais en utilisant la mauvaise procédure, il devrait y avoir

20 un procès, un procès qui coûterait extrêmement cher, qui serait

21 extrêmement difficile pour les témoins qui devraient revenir témoigner et

22 pour l'accusé qui est en détention depuis plus de trois ans.

23 Tout ceci pour arriver au résultat auquel la Chambre serait arrivée, si on

24 avait accepté d'entendre les arguments de l'accusation à la fin de la

25 présentation de ces éléments à charge. Il s'ensuit que, bien que je

Page 111

1 reconnaisse qu'effectivement, il aurait fallu donner l'autorisation à

2 l'accusation de se faire entendre, cependant nous avançons que cela n'a

3 pour autant créé aucune injustice et que la Chambre de première instance

4 en est arrivée à la bonne décision, même si elle a, pour ce faire, utilisé

5 un raccourci.

6 Je devrais vous indiquer, à ce stade de mon argumentation que, au départ,

7 l'intimé de cet appel avait décidé de demander un nouveau procès. Ce n'est

8 pas un remède que je demande aujourd'hui dans le premier mémoire déposé,

9 il avait demandé un nouveau procès bien qu'il ait été acquitté de tous les

10 chefs d'accusation qu'il avait contestés. Mais ceci nous entraînerait à

11 des procès sans fin.

12 C'est pour cette raison que nous ne demandons pas un nouveau procès. Nous

13 estimons que la Chambre de première instance a pris la décision qui était

14 la bonne, même si elle l'a fait en utilisant une procédure qui n'était

15 peut-être pas appropriée.

16 Maintenant, en ce qui concerne le deuxième motif d'appel, je souhaiterais

17 vous dire clairement quelle est ma position à ce sujet.

18 Il s'agit du critère appliqué par la Chambre de première instance, critère

19 de la culpabilité au-delà de tout doute raisonnable. Donc la Chambre de

20 première instance a appliqué ce critère.

21 A ce stade, eh bien, nous estimons que, si c'est effectivement le cas, ce

22 n'était pas le bon critère à appliquer. Et lorsque je l'ai reconnu,

23 lorsque je l'ai reconnu dans le résumé de mes argumentations, je me

24 référais au jugement rendu par la Chambre de première instance qui

25 s'exprime dans des termes que seul un juriste du système de common law

Page 112

1 considérerait comme s'appliquant à la décision prise.

2 Je dois dire que je ne travaille dans cette affaire que depuis très peu de

3 temps et que je n'ai donc pas eu l'occasion d'étudier le jugement avec

4 autant d'attention que la Chambre d'appel. Et je reconnais que les juges

5 qui viennent d'un système civiliste ne s'expriment peut-être pas avec la

6 même précision que les juges qui viennent d'un système de common law.

7 Nous avançons que, lorsqu'on lit avec attention aussi bien le jugement

8 rendu oralement que le jugement écrit, donc si le critère appliqué par la

9 Chambre de première instance est celui qui a été présenté par la Chambre

10 aujourd'hui, à savoir -je cite- "qu'aucun juge des faits raisonnable ne

11 pourrait se faire une conviction au-delà de tout doute raisonnable sur la

12 base de ces éléments de preuve", nous estimons qu'à ce moment-là, cela

13 constituerait le critère approprié à adopter à ce stade de la procédure.

14 Si vous me permettez d'analyser cette distinction, elle est la suivante:

15 aux termes de l'Article 98 B), il faut prendre en compte les termes

16 suivants, à savoir que les moyens à charge ne suffisent pas à justifier

17 une condamnation. Le terme important est "justifier" ou "sustained" en

18 anglais. Et en anglais, c'est un terme qui signifie que cela confirme la

19 validité d'une décision. Dans le contexte juridique, cela signifierait

20 qu'une telle décision serait confirmée en appel.

21 Il ne s'agit pas ici uniquement de l'examen du fondement du verdict au

22 niveau de la Chambre de première instance, mais cela signifie que la

23 Chambre d'appel confirmerait cette décision.

24 Et dans l'appel Dusko Tadic -je cite à la page 28, paragraphe 64-: "Il est

25 important de noter que deux Juges qui agissent de façon raisonnable

Page 113

1 peuvent en arriver à des conclusions différentes sur la base des mêmes

2 éléments de preuve".

3 Il s'ensuit qu'une déclaration de culpabilité peut être justifiée, même si

4 des Juges raisonnables auraient pu arriver à des conclusions différentes

5 sur la base des mêmes faits, tant que la conclusion qui a été celle des

6 Juges est une conclusion raisonnable.

7 Et moi, je pense que c'est effectivement le critère qu'il convient

8 d'adopter lorsqu'on pense à l'Article 98bis: si une Chambre de première

9 instance raisonnable, sur la base des éléments de preuve présentés, peut

10 raisonnablement prononcer une condamnation. A ce moment-là, la Chambre ne

11 doit pas intervenir et prononcer un verdict de non-culpabilité, sous une

12 réserve que je vais vous expliquer ultérieurement.

13 Je ne pense pas qu'il soit exact de dire que la Chambre de première

14 instance doive permettre la poursuite du procès s'il existe une trace

15 d'éléments de preuve qui suggèrent qu'il y a culpabilité. Mais si

16 effectivement il y a des éléments… Par exemple, il peut y avoir des

17 éléments de preuve qui sont totalement insuffisants, notoirement

18 insuffisants, qui n'entraîneraient jamais une condamnation. Par exemple,

19 le cas où vous avez le contre-interrogatoire qui détruit complètement la

20 crédibilité d'un témoin, un témoin de l'accusation qui fournissait une

21 identification sur un chef d'accusation précis. Or, il se peut que

22 l'interrogatoire montre à la Chambre que le témoin en question n'est

23 absolument pas fiable. Mais l'on pourrait extraire de la déposition de ce

24 témoin une phrase qui aille à l'encontre de l'accusé; cela ne signifie pas

25 pour autant qu'il faille poursuivre le procès suite à la présentation des

Page 114

1 éléments à charge, parce que la Chambre de première instance est en droit

2 d'examiner la totalité des éléments de preuve à ce stade, et non pas de se

3 demander: est-ce qu'il y a un élément de preuve quelconque qui indique la

4 culpabilité?

5 Non, ce n'est pas la question qu'elle a à se poser. La question qu'elle a

6 à se poser est la suivante: est-ce qu'une Chambre de première instance

7 raisonnable rendrait la même décision que celle que nous souhaitons

8 rendre?

9 Et c'est ce deuxième critère qui est utilisé en Irlande du Nord par des

10 juges qui siègent seuls, dans le cadre d'infraction de terrorisme ou dans

11 le cadre d'accusation de terrorisme. Bien entendu, dans ce genre de

12 procès, vous n'avez pas de jury.

13 L'accusation évoque un procès qui a eu lieu dans l'Ontario: la Reine c./

14 Collins & Pelfrey. Or, nous estimons que ceci n'étaye en rien

15 l'argumentation de l'accusation. La différence ici, comme cela a été dit

16 ce matin,…

17 M. le Président (interprétation): Maître Clegg, je souhaiterais vous

18 mettre en garde: il ne faut pas attribuer à l'ensemble de la Chambre

19 d'appel les mots prononcés par le Président. Cela représente uniquement le

20 point de vue du Juge qui se prononce.

21 M. Clegg (interprétation): Je vous remercie de cette précision et de cette

22 correction.

23 Ce à quoi je fais référence, c'est à ce qu'a dit Mme le Juge Wald,

24 lorsqu'elle évoquait la distinction qu'il convient de faire lorsque le

25 juge des faits est différent du juge qui évalue les points de droit. Et,

Page 115

1 bien entendu, il y a une distinction à faire.

2 Dans un système de common law, avec un jury, il n'y a pas de jugement

3 motivé sur la base des faits. Ce qui passe, c'est que le juge se réunit

4 avec le jury, et le juge n'a absolument aucune idée de la perception par

5 le jury des faits incriminés, donc de ce fait, à la fin du procès, le juge

6 aura une attitude différente de celle qui est celle du Tribunal, qui

7 décide aussi bien sur les questions de fait que sur les questions de

8 droit.

9 La Chambre de première instance, tout comme un juge qui siège sans jury,

10 est déjà consciente, sait déjà qu'elle en est arrivée à la conclusion

11 inébranlable qu'il y a certains éléments de preuves qui ont été présentés

12 qui n'ont aucune valeur. Et la Chambre ou le juge en question peut tout à

13 fait en arriver à la conclusion que les éléments de preuves présentés ne

14 peuvent en aucune façon persuader un juge ou une Chambre raisonnable à

15 prononcer un verdict de condamnation. Et nous estimons qu'il y a une

16 distinction à appliquer, parce que le cas contraire serait absurde.

17 Examinons que l'on adopte la position extrême de l'accusation. La Chambre

18 de première instance connaît d'une affaire, les trois Juges se disent: "Il

19 est absolument impossible que nous condamnions cet homme sur la base de

20 ces éléments de preuve. Nous ne croyons pas ce témoin, ni le deuxième et

21 encore moins le troisième".

22 Est-ce qu'à ce moment-là, la Chambre de première instance ne doit rien

23 dire au moment où M. Greaves annonce qu'il va entendre appeler 60 témoins,

24 ce qui aurait pris des mois, des mois avant que les Juges de la Chambre de

25 première instance ne puissent se faire connaître la conviction tout à fait

Page 116

1 inébranlable à laquelle ils étaient arrivés?

2 Nous estimons que, là, il en va beaucoup plus de la forme que du fond dans

3 le motif d'appel invoqué par l'accusation. Une fois de plus, je vais faire

4 une supposition. Imaginons que le Président de la Chambre, à la fin de la

5 présentation des éléments de preuve dans cette affaire, ait dit aux deux

6 autres Juges et ait dit à toutes les parties: "Peut-être sera-t-il utile

7 pour vous de savoir que nous en sommes arrivés tous trois à la conclusion

8 que nous ne sommes absolument pas satisfaits, au-delà de tout doute

9 raisonnable, de la culpabilité de cet homme sur la base des éléments de

10 preuve qui nous ont été présentés". Rien n'empêche un Juge de faire une

11 telle déclaration.

12 Et si le Président l'avait dit en l'espèce, est-ce qu'à ce moment-là, on

13 aurait pu se récrier de cette déclaration? On se plaint, ici, du fait que

14 le Président de la Chambre n'ait pas partagé les vues de l'accusation.

15 Mais on ne peut nullement se plaindre qu'une Chambre fasse connaître son

16 opinion une fois que l'accusation a eu la possibilité d'appeler tous les

17 témoins qu'elle souhaitait et présenter tous les éléments de preuve quelle

18 souhaitait. Si cela avait été le cas, si les Juges s'étaient comportés de

19 la sorte, nous estimons qu'on n'aurait absolument pas à se plaindre de

20 leur position et que nous serions dans la même situation actuellement et

21 que, seul, le motif d'appel n°2 de l'appelant pourrait faire l'objet d'une

22 argumentation.

23 Donc nous estimons que ce motif d'appel a trait beaucoup plus à la forme

24 qu'au fond de l'affaire. Je n'ai pas autre chose à dire au sujet des deux

25 premiers motifs d'appel.

Page 117

1 Je souhaite maintenant passer au troisième motif d'appel de l'accusation.

2 Il se trouve résumé au mieux dans le mémoire de l'accusation qui stipule,

3 au paragraphe 4.7, que la signification ordinaire ou commune de l'Article

4 4 ne permet pas de dire que le "dolus specialis", l'intention délictueuse

5 spécifique est requise. Je continue à citer le mémoire de l'accusation:

6 "Une telle supposition va à l'encontre du jugement Acajesu et de la

7 jurisprudence du TPIY.

8 Dans le cadre des arguments présentés ce matin, cette position a été

9 modifiée ou affinée quelque peu, si j'ai bien compris. Je pense que,

10 maintenant, on reconnaît qu'il est nécessaire qu'il y ait "dolus

11 specialis", c'est-à-dire que cela va totalement à l'encontre de ce qui

12 figure au paragraphe 4.7 du mémoire de l'accusation mais "dolus specialis"

13 –enfin, c'est ce qu'on nous dit-, "dolus specialis" ne veut pas absolument

14 pas dire ce que tout le monde croit, mais quelque chose de tout à fait

15 différent qui, pour moi, n'a rien à voir non plus avec "dolus specialis".

16 Donc les faits de l'argumentation qui a été présentée, c'est de

17 reconnaître que ces termes -et moi, je pense que c'est difficile de le

18 dire sans faire de concessions-, donc ce qu'on nous dit, c'est que les

19 mots sont bien les mots qu'il convient d'employer mais ils ont été

20 interprétés de la mauvaise manière.

21 Or, nous, nous estimons qu'en réalité, il ne s'agit ni plus ni moins que

22 d'une tentative assez fine de détournement juridique, stratégie

23 d'évincement. Je ne veux absolument pas ici faire preuve de manque de

24 courtoisie envers l'accusation mais je pense qu'effectivement, c'est ce

25 qui passe. En effet, nous estimons que l'intention délictueuse,

Page 118

1 particulière, spécifique est nécessaire pour prouver le crime de génocide

2 et ceci est dit très clairement par la Chambre de première instance au

3 paragraphe 66 de son Jugement. Il serait peut-être bon de se demander

4 quelle était l'intention particulière.

5 La Chambre de première instance déclare au paragraphe 66: "C'est en effet

6 l'élément moral qui confère au génocide sa spécificité et le distingue

7 d'un crime de droit commun et des autres crimes du droit international

8 humanitaire. Le ou les crimes sous-jacents doivent être qualifiés de

9 génocides s'ils ont été commis dans l'intention de détruire tout ou en

10 partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel.

11 Autrement dit, l'acte prohibé doit être commis en raison de l'appartenance

12 de la victime à un certain groupe et à titre de mesure concourant à la

13 réalisation de l'objectif global de destruction du groupe.

14 Deux éléments peuvent donc être dégagés de cette intention spéciale.

15 Premièrement, celle-ci suppose d'une part que les victimes appartiennent à

16 un groupe identifié. Deuxièmement, l'auteur présumé doit inscrire son acte

17 dans un projet plus vaste de destruction du groupe comme tel.

18 Les actes commis en raison de l'appartenance des victimes à un groupe

19 national, ethnique ou religieux: a) Le caractère discriminatoire de

20 l'acte. L'intention spéciale qui caractérise le génocide suppose que

21 l'auteur présumé du crime choisisse ses victimes en fonction de leur

22 appartenance au groupe qu'il cherche à détruire.

23 Si le but du ou des auteurs du crime consiste en effet à détruire tout ou

24 partie d'un groupe, c'est bien "l'appartenance de l'individu à un groupe

25 particulier et non son identité personnelle qui est le critère décisif

Page 119

1 déterminant le choix des victimes immédiates du crime de génocide". Fin de

2 citation.

3 A notre avis, nous avons là une définition de manuel d'école de ce qu'est

4 un crime. Pour dire les choses plus simplement: pour être coupable de

5 génocide, il ne suffit pas de tuer sa victime parce que cette victime est

6 musulmane, juive ou catholique, mais il faut que le meurtre s'accompagne

7 de l'intention de détruire en tout ou partie un groupe national, ethnique

8 ou religieux. C'est donc cet état d'esprit qui met ce qui autrement serait

9 un crime contre l'humanité, au rang de crime de génocide. A savoir, le

10 crime le plus grave de tous les crimes jugés dans le système judiciaire

11 qu'applique ce Tribunal. Un crime que les juristes théoriciens appelle "le

12 crime des crimes".

13 Si nous réfléchissons un instant à la jurisprudence du génocide après la

14 Deuxième guerre mondiale, nous voyons comment cette jurisprudence s'est

15 développée et les réponses apportées par le droit international à

16 l'holocauste dû à l'Allemagne nazie. C'est là bien sûr que l'on trouve

17 l'illustration classique du délit de génocide commis dans ce cas-là par un

18 Etat contre un groupe religieux.

19 Mais je vais faire une digression rapide, si vous me le permettez.

20 Personne ne peut mettre en doute un instant que les auteurs de la solution

21 finale du IIIe Reich étaient coupables de génocide. En effet, c'est ce

22 crime qui est l'exemple sans doute le plus classique du génocide. Mais

23 l'intention n'était pas présente. Je parle de la volonté objective de

24 détruire la totalité de la race juive; sauf à quelques exceptions près

25 qui, en raison de leur importance, ont été considérées comme très

Page 120

1 significatives par l'Etat allemand. Cela ne signifie pas que chacun des

2 membres de l'Etat allemand est coupable ou ait voulu le crime de génocide,

3 alors que les groupes de personnes pourchassées se déplaçaient de village

4 en village et de ville en ville dans toute l'Europe de l'Est. Cette

5 possibilité était prouvée ou ne l'était pas, selon l'intention personnelle

6 de l'individu concerné. Un grand nombre de ces personnes n'avaient sans

7 doute pas la volonté personnelle de rayer de la carte ou d'aider à obtenir

8 l'extermination de l'intégralité de la race juive.

9 Donc avec le respect que nous devons à ce Tribunal, nous affirmons que le

10 crime ne s'est pas limité aux architectes du crime de génocide et que ce

11 fait est illustré, au mieux, par le fait qu'il s'agit là d'un délit qui

12 est conçu et qui peut être appliqué aux personnes qui sont les architectes

13 du génocide. Dans le sens où ce sont ces personnes qui créent la politique

14 et qui prennent les décisions menant à un tel crime.

15 Je ne suis pas en train de dire qu'un homme pris individuellement ne peut

16 pas être coupable de génocide. C'est possible, mais pour le prouver il

17 faut surmonter toutes sortes de difficultés très complexes. Et la Chambre

18 de première instance a admis elle-même qu'un homme pris individuellement

19 pouvait être coupable de génocide. C'est d'ailleurs une éventualité qui a

20 été prise en compte par la Chambre de première instance dans tous ces

21 détails au moment du prononcé du jugement. Mais en tant que crime, nous

22 affirmons que cette qualification doit être réservée, dans la majorité des

23 cas, aux architectes, aux concepteurs du nettoyage ethnique.

24 La différence qui existe entre un "crime contre l'humanité" et le "crime

25 de génocide" réside exclusivement dans cet élément moral. C'est-à-dire

Page 121

1 dans l'état d'esprit de l'auteur du crime. A notre avis, il est largement

2 admis que cet élément est requis pour prouver l'existence d'un "dolus

3 specialis". C'est démontrer, par l'ensemble des jugements prononcés par le

4 ce Tribunal, le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie ainsi

5 que par le Tribunal pénal international pour le Rwanda.

6 Dans l'affaire jugée par le TPIR, l'affaire Kayishema en particulier, le

7 Tribunal a utilisé dans son Jugement les mots suivants -je cite: "Dans

8 l'élément unique que constitue le "dolus specialis", où doit être prouvée

9 la volonté de détruire tout ou en partie un groupe ethnique, racial ou

10 religieux, nous voyons la condition préalable pour prononcer un verdict de

11 crime de génocide". Fin de citation.

12 On trouve ce passage au paragraphe 9 du Jugement. C'est donc un élément

13 unique dont l'existence est nécessaire, est déclarée nécessaire dans le

14 Jugement de l'affaire Kayishema par la Chambre de première instance. Et la

15 Chambre de première instance qui a jugé l'affaire Serushago au Tribunal du

16 Rwanda a utilisé les mêmes mots pour définir le génocide.

17 Elle a dit: "Le crime de génocide est unique parce que l'élément de "dolus

18 special" donc d'intention particulière est requis, et que cet élément

19 exige que le crime ait été commis dans l'intention de détruire en tout ou

20 partie un groupe national ethnique racial ou religieux". On trouve cette

21 situation au paragraphe 4 du Jugement.

22 Un peu plus loin, le génocide est évoqué comme étant le crime des crimes.

23 Nous disons, sans rentrer dans les détails, que les affirmations que l'on

24 trouve dans le mémoire du Procureur, selon lesquelles la Chambre de

25 première instance, dans la présente affaire, n'a pas respecté la

Page 122

1 jurisprudence de ce Tribunal ou la jurisprudence du Tribunal du Rwanda est

2 une affirmation qu'il est absolument impossible d'étayer.

3 Nous avons déposé, dans mon plan de mémoire, un article paru dans la revue

4 trimestrielle internationale et comparative de juillet 2000, sous la plume

5 du Pr Verdirame de l'université de Nottingham, en Angleterre, qui traite

6 des différents abords possibles de l'intention délictueuse et qui traite

7 des exigences existant pour prononcer un verdict de crime de génocide.

8 Page 584, il parle de "l'élément moral" et discute la décision de la

9 Chambre de première instance dans l'affaire que j'évoquais tout à l'heure,

10 à savoir l'affaire A Kayishema ainsi que dans Akayesu, que le Procureur a

11 cité dans son mémoire en appel, sur lequel je reviendrai dans quelques

12 instances.

13 Ce que ce professeur déclare en haut de la page 588 est ce qui suit:

14 "Cette distinction entre plusieurs types d'intentions hostiles à

15 l'encontre d'un groupe est de la plus haute importance. L'intention

16 discriminatoire dirigée contre un groupe que l'on veut persécuter ne peut

17 pas être considérée comme identique à l'intention d'obtenir une

18 annihilation physique de ce groupe. En outre, une méthode d'application

19 judiciaire du "dolus specialis" dans le cas de génocide est appliquée par

20 les tribunaux ad hoc. Mais les éléments liés au contexte doivent d'abord

21 être appréciés".

22 Apparemment, les lumières se sont éteintes.., mes mots ont dû provoquer

23 une panne d'électricité et je n'ai pas une assez bonne vue pour continuer

24 ma lecture.

25 M. le Président (interprétation): Maître Clegg, nous allons attendre

Page 123

1 quelques instants pour voir si la lumière revient et, dans le cas

2 contraire, nous suspendrons l'audience pendant quelques instants.

3 Maître Clegg, j'essaie d'obtenir des informations.

4 M. Clegg (interprétation): Est-ce que s'est dû à quelque chose que

5 j'aurais dit?

6 (La lumière revient.)

7 Je vais reprendre la citation. "Compte tenu des circonstances, cette

8 distinction entre des types différents d'intentions hostiles à l'encontre

9 d'un groupe est de la plus haute importance. L'intention d'exercer une

10 discrimination ou même de persécuter un groupe ne peut pas être considérée

11 comme identique à la volonté d'obtenir son annihilation physique. En

12 outre, une méthode permettant d'appliquer, sur le plan judiciaire, le

13 concept de "dolus specialis" au crime de génocide a été explicité par les

14 tribunaux ad hoc. D'abord, les éléments du contexte doivent être évalués,

15 notamment l'existence d'un plan visant au génocide, ainsi que la

16 commission d'un génocide dans une situation déterminée.

17 En deuxième lieu, les tribunaux examinent l'intention de procéder, de

18 commettre un génocide contre des individus qui est différente, tout en

19 étant lié au génocide collectif et à l'intention sous-tendant un génocide

20 collectif dans le cadre d'un plan prédéterminé".

21 Il apparaît certainement que ce bon professeur s'est fait un point de vue

22 assez différent des décisions prononcées par les tribunaux ad hoc de celle

23 que le Procureur a exposée devant vous dans son mémoire en appel.

24 Nous aimerions également appeler l'attention des Juges de cette Chambre

25 d'appel sur un ouvrage qui provient de la bibliothèque du TPIY. Cet

Page 124

1 ouvrage est intitulé "Le génocide en droit international", et son auteur

2 est le Pr Schabas. On y trouve un chapitre qui traite de l'élément moral

3 et de l'intention délictueuse dans le cadre du génocide. Nous aimerions

4 inciter chacun des Juges de cette Chambre à lire cet ouvrage.

5 Pour étayer l'argument de l'accusation, selon lequel l'Article 4 n'exige

6 pas l'existence d'un "dolus specialis", en tout cas pas dans son

7 interprétation jusqu'à une date récente, un appui universitaire de cette

8 thèse s'est présenté il y a deux jours sous la forme d'un document déposé

9 à cette date. Je ne me plains pas, je ne remets pas en cause le caractère

10 assez tardif de ce dépôt documentaire.

11 Nous invitons les Juges de la Chambre à examiner, avec une certaine

12 attention, les points de vue académiques développés ou présentés dans ce

13 document, pour voir s'ils y trouveront, d'après leur analyse, moyen

14 d'étayer les arguments présentés par le Procureur.

15 On trouve d'abord une traduction assez grossière d'un extrait d'un ouvrage

16 d'Alicia Gil Gil, et la traduction assez grossière que j'ai obtenue de ce

17 passage semble permettre d'admettre, en page 258, où il est question de

18 l'intention délictueuse, qu'il est nécessaire de prouver qu'une personne

19 avait l'intention, la volonté d'agir et de continuer à tuer, ou bien

20 lorsqu'il y a plusieurs auteurs, qu'il faut que les coauteurs aient la

21 connaissance de cette intention de poursuivre le meurtre jusqu'à

22 achèvement du plan consistant à exterminer en tout ou partie le groupe

23 concerné, et que c'est en comptant, au moins, sur la possibilité de

24 l'existence de ce "dolus eventualis" qu'une telle décision peut être

25 prise.

Page 125

1 Alors je ne suis pas tout à fait sûr que les propos que je viens de lire

2 correspondent aux arguments avancés par l'accusation. Un peu plus loin

3 dans le jugement, dans une page qui n'est pas numérotée mais qui vient

4 après la page 258 dans la copie que j'ai reçue par fax, l'auteur évoque

5 l'existence d'un plan grâce aux termes suivants: "Infliger des conditions

6 qui, dans l'abstrait, sont en mesure d'avoir pour résultat une

7 extermination avec connaissance préalable de l'existence d'un tel risque."

8 Fin de citation.

9 Le deuxième ouvrage que je voudrais citer est celui du Pr Triffterer, de

10 l'université de Salzburg, qui est encore sous presse. J'avoue que,

11 personnellement, la syntaxe et la grammaire me paraissent un peu

12 artificielles, en tout cas, ne pas correspondre au style d'un professeur.

13 Mais, en page 144A, ce professeur estime qu'il est nécessaire qu'existe

14 une intention supplémentaire, "additionnal intent" en anglais.

15 Je dois avouer qu'en anglais, le texte est assez difficile à suivre, mais

16 ce que le professeur dit de façon un peu plus claire, en annexe 3, c'est

17 qu'il y a eu un changement du droit. Ce que dit ce bon professeur, c'est

18 que le "dolus specialis", comme c'était prévu à l'Article 6 du Statut de

19 Rome, doit être revu.

20 Ce professeur a sans doute raison en admettant que le droit appliqué

21 actuellement ne correspond pas à ce qui lui convient le mieux. Il nous dit

22 donc ce qui ne lui plaît pas au sujet de cette exigence qu'exige un "dolus

23 specialis".

24 Nous affirmons, pour notre part, que l'on peut parler très longuement en

25 faveur du droit que l'on souhaiterait voir appliquer, mais je suppose que

Page 126

1 ce Tribunal préférera que l'on parle du droit tel qu'il est, plutôt que du

2 droit tel que ce bon professeur voudrait le voir.

3 La seule affaire citée par le Procureur dans son mémoire écrit est le

4 jugement du Tribunal rwandais dans l'affaire Akayesu. Si l'on analyse le

5 texte de ce jugement, à notre avis, on ne trouve rien à l'appui des

6 arguments présentés par l'accusation.

7 Je cite un passage de la page 3: "Le crime de génocide est unique parce

8 que -et c'est moi qui ajoute "il est"-, parmi les différents éléments

9 composant le "dolus specialis", un élément est exigé, à savoir que le

10 crime ait été commis avec existence d'une intention préalable". Fin de

11 citation. Ensuite, les paroles deviennent plus facilement compréhensibles.

12 Alors, j'ai le plus grand mal, personnellement, à voir en quoi le texte

13 que je viens de citer pourrait étayer les propos du Procureur.

14 Mais je vous présente toutes ces citations pour vous montrer à quel point

15 il est difficile de prouver l'existence d'une intention spéciale, d'un

16 "dolus specialis". Or l'existence de ce "dolus specialis" est exigée pour

17 prouver le crime de génocide.

18 Si vous lisez le texte de ce jugement, le problème est tout à fait claire,

19 s'agissant de prouver la culpabilité d'un individu. Au paragraphe 523 du

20 Jugement, il est dit -je cite-: "L'intention est un élément moral qu'il

21 est difficile, sinon impossible, de déterminer en l'absence d'un éventuel

22 aveu de l'accusé. Elément moral qui ne peut être que déduit d'un certain

23 nombre de présomptions factuelles." Fin de citation.

24 Alors, s'agissant de la Chambre de première instance, je suis d'accord

25 avec la deuxième partie de cette citation mais, en aucun cas, avec la

Page 127

1 première. L'intention en tant qu'élément moral n'est pas difficile, sinon

2 impossible, à prouver. Si la citation que je viens de vous livrer avait

3 des applications générales, tout juge jugeant des faits dans un système

4 judiciaire national -qu'il s'agisse d'un préfet, d'un juge ou d'un

5 magistrat- aurait les plus grandes difficultés à appliquer le droit pénal

6 aux faits évoqués dans de très nombreux procès en assise. En réalité, ceux

7 qui jugent des faits dans des systèmes pénaux différents dans le monde

8 n'ont aucune difficulté à déduire l'intention et à le faire dans des

9 conditions assez sûres, à partir des éléments de preuve qui leur sont

10 présentés globalement.

11 La plupart des systèmes judiciaires exigent que, pour prouver un crime de

12 meurtre, il y ait intention de tuer ou, en tout cas, intention de

13 provoquer des dommages graves à l'intégrité physique d'une personne.

14 L'intention est donc facilement déductible par un juge, à partir de ce que

15 l'accusé a fait.

16 Je n'admets donc pas, en tout cas en termes généraux, l'argument selon

17 lequel l'intention serait un élément moral difficile, sinon impossible, à

18 déterminer en l'absence d'aveu de l'accusé.

19 Mais appliquer la notion de crime de génocide à ceux qui ont élaboré la

20 solution finale en Allemagne nazie ne présente aucune difficulté à mon

21 avis, en tout cas s'agissant de déduire l'existence d'une intention

22 d'obtenir un génocide. Les commandants des camps de concentration de

23 Dachau et de Belsem avaient prévu un certain nombre de choses et s'ils

24 avaient été jugés par un Tribunal, il n'y aurait eu aucune difficulté à

25 prouver leur intention préalable.

Page 128

1 Bien entendu, plus on est descend dans la structure hiérarchique, plus on

2 s'écarte des concepteurs du nettoyage ethnique et plus, éventuellement, il

3 peut s'avérer difficile de prouver l'existence de l'intention préalable ou

4 de l'intention délictueuse. Mais nous disons que ce n'est là qu'une des

5 nombreuses difficultés de prouver que l'on retrouve dans de nombreux

6 systèmes judiciaires du monde.

7 Ce que la Chambre de première instance, dans l'affaire qui nous intéresse,

8 a évoqué sous les termes "d'intention spéciale de commettre un génocide"

9 était ce qui, à notre avis, dans une affaire bien menée, devrait être

10 facile à déduire à partir des éléments de preuve mais qui, dans l'affaire

11 qui nous intéresse, et ce n'est sans doute pas une surprise, s'est avéré

12 impossible à justifier par l'accusation.

13 Par conséquent, nous affirmons que le crime de génocide exige, pour être

14 prouvé, l'existence préalable d'une intention particulière d'un "dolus

15 specialis", intention préalable dont l'existence a été reconnue par ce

16 Tribunal ainsi que par le Tribunal du Rwanda. Et cette intention spéciale

17 doit très présente pour que le crime jugé soit placé à un rang autre que

18 celui des autres crimes que ce Tribunal a compétence de juger.

19 Dans les arguments oraux entendus aujourd'hui, il a été admis, et je lis à

20 partir de la page 35, lignes 11 et 12 du compte rendu d'audience

21 d'aujourd'hui, il a été admis donc que l'accusé aurait besoin "de savoir

22 qu'il détruisait effectivement un groupe en tant que tel"

23 Venant d'un système judiciaire où les arguments sont le plus souvent

24 présentés oralement, je n'ai certainement pas l'intention d'abuser du

25 temps des Juges pour pinailler sur un mot, s'il s'agissait de pinailler

Page 129

1 sur un mot. Mais si ce qui a été dit était véritablement la façon de voir

2 du Procureur, s'agissant de l'application de la notion d'intention

3 délictueuse au crime de génocide, avec le respect que je dois à

4 l'accusation, je dirai que nous sommes, n'est-ce pas, très, très près de

5 la notion de "dolus specialis", c'est-à-dire d'intention spéciale

6 appliquée par la Chambre de première instance, et très, très loin du

7 mémoire de l'accusation où nous lisons: "la signification courante et

8 ordinaire de l'Article 4 ne justifie pas l'argument selon lequel le "dolus

9 specialis" doit être nécessairement présent".

10 Je me permettrai, à présent, de passer au deuxième volet du mémoire de

11 l'accusation en appel. Mais j'ai peut-être encore quelques mots à dire au

12 sujet du premier volet, si c'est indispensable. Moi, je pense que cela ne

13 l'est nécessairement mais je rappelle, tout de même, à la Chambre d'appel

14 l'existence de la Convention de 1948 et du Statut de Rome où nous trouvons

15 les définitions de l'intention spéciale que je viens de donner.

16 Passons maintenant au deuxième volet du mémoire du Procureur où nous

17 lisons les mots suivants: "En droit et dans les faits, la Chambre de

18 première instance a commis une erreur aux paragraphes 88 à 98, lorsqu'il

19 est dit que les éléments de preuve n'ont pas permis d'établir au-delà de

20 tout doute raisonnable l'existence d'un plan visant à détruire le groupe

21 musulman de Brcko ou d'ailleurs. Plan dans lequel s'inscrivent les crimes

22 présumés de Goran Jelisic. Et les actes de Goran Jelisic n'étaient pas

23 l'expression physique d'une décision affirmée de détruire en tout ou en

24 partie un groupe, mais plutôt des actes arbitraires débouchant sur des

25 meurtres commis par une personnalité perturbée".

Page 130

1 Le deuxième volet des arguments du Procureur porte sur trois erreurs en

2 droit et en faits. La seule erreur de droit que j'ai pu trouver est

3 définie dans le premier volet des motifs d'appel du Procureur et, pour ma

4 part, je ne l'ai pas trouvée dans les écritures du Procureur ou dans ses

5 arguments oraux, dans la deuxième partie du mémoire du Procureur si tant

6 est qu'il en existe. Donc j'ai encore le plus grand mal à comprendre où se

7 trouve véritablement le motif d'appel de ce deuxième volet du mémoire du

8 Procureur sur le plan du droit.

9 Mais passons à l'examen des faits. La Chambre de première instance a été

10 critiquée par rapport aux conclusions qu'elle a tirées de l'examen des

11 faits dans dix paragraphes; les paragraphes 88 à 98. Un accent particulier

12 est mis sur l'évocation de l'état mental de Jelisic avec, à l'appui, la

13 présentation d'un certain nombre de rapports médicaux qui ont permis de

14 décrire cet homme comme ayant une personnalité perturbée.

15 Je crois qu'il est utile d'examiner ce que dit la Chambre de première

16 instance au paragraphe 105. Voici ce qu'a dit la Chambre de première

17 instance. "Les propos et l'attitude de Goran Jelisic, tels que rapportés

18 par des témoins, révèlent essentiellement une personnalité perturbée". Le

19 texte se poursuit en disant que "Jelisic manquait de maturité narcissique,

20 il avait la soif de remplir un vide et le souci de plaire à ses

21 supérieurs".

22 A notre avis, ce sont là des conclusions que la Chambre pouvait

23 parfaitement tirer à partir des témoins qu'elle avait entendus. Témoins

24 qui avaient été présents au moment des faits et avaient vu l'accusé se

25 comporter de la façon dont il l'a fait dans la ville de Brcko et dans ses

Page 131

1 environs, au moment où se sont produit ces événements.

2 Même si on fait référence, ici, au rapport du Dr Van den Bussche, la

3 Chambre fait référence de façon explicite aux témoins qui les ont amenés à

4 la conclusion que la Chambre et ses Juges ont tirée.

5 Ils font référence aux témoins appelés à la barre par l'accusation. La

6 Chambre va peut-être penser qu'il ne faut pas nécessairement l'avis d'un

7 éminent psychiatre pour savoir si quelqu'un manque de maturité. Je crois

8 qu'un juge peut tirer lui-même cette conclusion, au vu des éléments qui

9 lui sont présentés. Il est inutile d'avoir un psychiatre pour apprendre

10 que quelqu'un est narcissique ou, plutôt, tient à plaire à ses supérieurs.

11 Ce sont des conclusions factuelles qu'il est parfaitement possible de

12 tirer pour un juge des faits; ce qu'il fait d'ailleurs chaque jour dans

13 les affaires au pénal.

14 Selon nous, il n'est rien d'indicatif au paragraphe 105, rien qui

15 montrerait que la Chambre de première instance aurait, pour ainsi dire,

16 importé des rapports émis après le verdict, aurait importé ces conclusions

17 dans des considérations qu'elle a eu avant le verdict.

18 Permettez-moi de vous soumettre une hypothèse générale en guise

19 d'introduction à mon examen des faits.

20 Le jugement d'une Chambre, surtout s'il s'agit d'un jugement écrit court à

21 la suite d'un jugement rendu oralement et assez long, un tel jugement n'a

22 pas pour objet d'être un examen complet de chacun des moyens de preuve

23 soumis à l'examen des Juges. Inévitablement, ce procès fut long. Ce

24 jugement n'est pas non plus être un document qu'on examine comme l'aurait

25 fait un jésuite examinant des textes anciens, non c'est plutôt le

Page 132

1 raisonnement établi par une Chambre qui tire des conclusions. Et il faut

2 accorder une certaine latitude aux Juges dans les termes qu'ils utilisent

3 pour exprimer les conclusions auxquelles ils sont parvenus après

4 délibération.

5 A l'évidence, tout jugement quel qu'il soit et, sans aucun doute, s'il

6 s'agit d'un jugement aussi court que celui-ci, va inévitablement omettre

7 nombre des moyens de preuve présentés à l'audience. Il est impossible

8 d'incorporer tous les moyens de preuve pertinents dans un jugement de

9 cette longueur. Ce n'était d'ailleurs pas l'intention que poursuivait la

10 Chambre de première instance.

11 L'accusation commet pour erreur de partir du principe que le fait que la

12 Chambre de première instance n'aurait pas fait allusion à tel ou tel moyen

13 de preuve en particulier voudrait dire que la Chambre aurait ignoré,

14 aurait oublié ces moyens de preuve. Il est impossible de faire une telle

15 affirmation.

16 Nous irions même jusqu'à dire que la Chambre d'appel peut, sans aucun

17 risque, partir du principe selon lequel la Chambre de première instance

18 était parfaitement au courant et consciente des moyens de preuve qui

19 avaient été soumis de façon très circonstanciée, très minutieuse au fil de

20 plusieurs mois.

21 Il est tout à fait erroné de dire que le seul fait qu'on n'ait pas

22 mentionné un moyen de preuve signifie que celui-ci n'a pas été examiné en

23 bonne et due forme par la Chambre, au moment du délibéré.

24 Qu'a fait, à notre avis, la Chambre de première instance? Elle a dûment

25 appliqué le droit aux faits tels qu'ils leur ont été présentés. Les Juges

Page 133

1 de première instance l'ont fait avec soin et dans l'application précise

2 des conditions imposées par la loi, pour ce qui est de l'administration de

3 la preuve du "dolus specialis" dans le cadre de l'infraction de génocide.

4 L'accusation affirme que les moyens de preuve apportent la preuve de la

5 culpabilité au regard de l'infraction en partie seulement. Parce que

6 l'accusation pense qu'il n'est pas nécessaire d'apporter la preuve de

7 l'intention spéciale ou particulière, critère qu'a appliqué la Chambre de

8 première instance à l'examen des moyens de preuve soumis.

9 Pourtant, au paragraphe 496, page 82, l'accusation dit à défaut ceci -je

10 la cite-: "Ceci n'exclut aucunement son désir conscient ou sa résolution

11 ferme de détruire."

12 Excusez-moi, je ne retrouve plus le passage que je voulais citer.

13 Permettez-moi de recommencer la citation.

14 En fait, l'accusation adopte deux points de vue. D'abord, elle dit: "La

15 Chambre a versé dans l'erreur -la Chambre de première instance, s'entend-

16 parce qu'ils ont effectivement pensé à tort qu'il fallait une intention

17 spéciale ou, comme l'accusation nous l'a dit aujourd'hui, qu'il fallait

18 une intention spéciale mais exprimée différemment".

19 Deuxièmement point de vue: même si le droit se trompe et même s'il faut

20 apporter la preuve du "dolus specialis", il n'empêche que les moyens de

21 preuve apportés ont apporté la preuve de cette intention spéciale.

22 J'aimerais ici me pencher sur cette question.

23 La Chambre de première instance a, à juste titre, déterminé quelle était

24 la distinction qu'il fallait opérer entre le génocide et d'autres crimes

25 contre l'humanité. Elle a bien appliqué les faits au droit. La Chambre

Page 134

1 d'appel, dans l'affaire Tadic, a reconnu "qu'une décision portant sur les

2 faits ne pouvait pas être renversée à moins -et je cite la Chambre- que

3 les éléments de preuve sur lesquels se sont appuyés les Juges de la

4 Chambre de première instance n'auraient pas pu raisonnablement être

5 acceptés par une personne raisonnable". Page 28, paragraphe 64.

6 Est-ce que les faits apportent la preuve de ce que Jelisic aurait eu

7 l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe ethnique ou

8 religieux? Ou est-ce que cela prouve qu'il a tué 12 Musulmans, plus 3 dont

9 il a admis le meurtre alors que l'accusation n'avait pas été portée contre

10 lui, parce que c'étaient des Musulmans et non pas parce que c'était une

11 action qui se serait inscrite dans le cadre d'un plan plus large?

12 Il y a deux possibilités: soit qu'il a tué les 15 personnes et aucune

13 autre, pour des raisons irrationnelles, narcissiques, parce que c'étaient

14 des Musulmans, parce qu'il voulait montrer le pouvoir qu'il avait par

15 rapport à eux; soit qu'on peut se demander s'il les a tuées parce que ceci

16 s'inscrivait dans un plan de nettoyage ethnique et que lui, au moment où

17 il a tué ces personnes, il avait l'intention de détruire, en tout ou en

18 partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux.

19 Ce sont donc les deux questions qui vont déterminer l'issue du verdict.

20 Est-ce que l'accusation était en mesure de prouver cette deuxième

21 possibilité?

22 Nous aimerions inviter la Chambre à élargir son analyse du jugement,

23 depuis le paragraphe 88 jusqu'au paragraphe 108.

24 En effet, à notre avis, cela prouve qu'il y a eu une analyse vraiment très

25 fouillée des moyens de preuve. Trois conclusions sont possibles. La

Page 135

1 première, c'est qu'il n'y a pas eu suffisamment de preuves apportées de ce

2 qu'il y aurait eu génocide. Deuxième possibilité: il y avait insuffisance

3 de preuves pour prouver la présence de génocide au-delà de tout doute

4 raisonnable. Troisième possibilité: il y avait des moyens de preuve

5 permettant à la Chambre de se convaincre de l'existence de la preuve du

6 génocide.

7 Evidemment, chacune de ces possibilités s'applique directement à Jelisic.

8 Le Jugement a dégagé beaucoup d'incohérences, voire de contradictions dans

9 les moyens de preuve apportés sur la façon dont les personnes étaient

10 sélectionnées en vue d'une exécution. Et souvent, il n'y avait pas la

11 moindre sélection du tout; c'était quelque chose de tout à fait aléatoire.

12 Le Jugement a mis l'accent sur le fait qu'au vu des moyens de preuve

13 apportés, il a été prouvé que 66 personnes ont trouvé la mort dans le camp

14 de Brcko. Elles n'ont pas toutes été tuées par l'accusé Jelisic, en dépit

15 des pièces 12 et 13 qui montraient qu'il y avait, en fait, un nombre plus

16 important de personnes qui avaient trouvé la mort dans ce camp.

17 Alors ceci, il faut le voir par rapport à cette population musulmane de

18 plus de 22.000 personnes en 1991, dans la ville, 55% apparemment de la

19 population totale de la ville; et qu'il restait environ de 2.000 à 3.000

20 Musulmans après la destruction des ponts le 30 avril 1992, destruction qui

21 a coïncidé, bien sûr, avec la division de la ville en trois parties sur

22 des bases ethniques.

23 L'accusation cite certains extraits de témoignages mais ces extraits ont

24 bien sûr été sélectionnés à dessein.

25 Cependant, la Chambre de première instance a eu l'occasion de voir et

Page 136

1 d'entendre la totalité des témoins. Et les Juges de première instance

2 n'ont pas pensé que la preuve apportée par les différentes listes évoquées

3 -et j'en ai évoqué deux en particulier bien qu'il y en ait eu beaucoup

4 plus- n'ont pas accepté ces éléments de preuve comme les convainquant de

5 l'intention génocidaire de Jelisic.

6 M. le Président (interprétation): Maître Clegg, je ne veux pas, ici, vous

7 limiter en aucune matière, mais est-ce que vous avez l'intention de

8 poursuivre pendant très longtemps? Nous avions espéré lever l'audience

9 vers 17 heures, 17 heures 15. Nous avions pensé avoir une brève pause mais

10 il faut bien sûr que cela se prête à vos exigences.

11 M. Clegg (interprétation): Si vous vouliez faire une pause maintenant, je

12 peux vous assurer que j'en aurai terminé d'ici à 17 heures 15. J'espère

13 avoir terminé d'ici à 17 heures.

14 M. le Président (interprétation): L'audience est levée.

15 (L'audience, suspendue à ce 16 heures 15, est reprise à 17 heures 37.)

16 M. le Président (interprétation): L'audience est reprise. Vous avez la

17 parole Monsieur Clegg.

18 M. Clegg (interprétation): Permettez-moi de vous demander de consulter le

19 Jugement de la Chambre de première instance, et tout d'abord son

20 paragraphe 65.

21 "Bien que la Chambre ne soit pas en mesure d'établir, de façon précise, le

22 nombre de victimes imputables à Goran Jelisic pour la période incriminée

23 dans l'Acte d'accusation, elle constate en l'espèce que l'élément matériel

24 du crime de génocide est rempli. Il s'agit dès lors pour la Chambre

25 d'apprécier si l'intention de l'accusé était telle que ses actes doivent

Page 137

1 être qualifiés de génocide".

2 La seule conclusion de la Chambre est plutôt sur l'"actus reus", pour se

3 demander si celui-ci a été prouvé s'agissant de crime de génocide. La

4 Chambre ne tire aucunement de conclusion sur la question de savoir si on a

5 prouvé qu'il y avait eu génocide dans le camp où Jelisic travaillait.

6 Examinons maintenant le paragraphe 87. La Chambre précise la première

7 question qu'elle s'est posée, avant même de se prononcer sur le niveau

8 d'intention requis, la Chambre doit vérifier, dans un premier temps, si un

9 génocide a été commis, l'accusé ne pouvant être jugé coupable d'avoir aidé

10 et encouragé le crime de génocide que si celui-ci a, par ailleurs, été

11 établi. La Chambre essaie de voir s'il y a eu preuve de l'existence du

12 génocide. Voici la conclusion tirée au paragraphe 98: "La Chambre estime

13 qu'en l'espèce, l'accusation n'a pas fourni suffisamment de preuves

14 permettant d'établir, au-delà de tout doute raisonnable, l'existence d'un

15 projet de destruction du groupe musulman à Brcko ou même au-delà, dans

16 lequel s'inscriraient les meurtres commis par l'accusé".

17 Selon nous, c'est une déclaration factuelle importante ici formulée par la

18 Chambre de première instance. Qu'a-t-elle établi? Elle a établi qu'il y

19 avait insuffisance de preuves sur l'existence d'un projet génocidaire qui

20 aurait été mis en place à Brcko à l'époque où l'appelant a commis ces

21 crimes. Cette décision cruciale est beaucoup plus importante encore

22 lorsque l'on examine le verdict ultime, plus importante que la deuxième

23 décision, celle qui est visée au paragraphe 99; à savoir si c'est en tant

24 qu'auteur que Jelisic pourrait être déclaré coupable de génocide.

25 Vous voyez, tout comme moi, qu'en théorie c'est possible bien sûr, mais

Page 138

1 que ceci présente d'énormes difficultés en matière d'administration de la

2 preuve.

3 Qu'a conclu la Chambre de première instance? Elle a conclu que les

4 événements, tels qu'ils ont été avérés à Brcko n'ont pas établi

5 l'application dans les faits d'un plan génocidaire par ceux qui

6 travaillaient au camp. Jelisic a plaidé coupable de la commission de

7 certains crimes, mais ceci a fait l'objet d'un accord auquel sont

8 parvenues les parties avant le début du procès portant sur le génocide.

9 On voit, s'agissant de ces crimes, qu'il n'y avait pas d'organisation,

10 qu'il n'y avait pas de planification. Et même si, dans une certaine

11 mesure, la méthode était la même, à bien des égards, il s'agissait là de

12 meurtres commis de façon aléatoire. Et tous ces facteurs ne cadrent pas

13 avec l'existence d'un plan personnel génocidaire. Or, ceci serait

14 nécessaire, vu les conclusions tirées par la Chambre au paragraphe 98.

15 La Chambre rejette l'existence d'un projet global auquel aurait participé

16 Jelisic. Et la Chambre veut savoir s'il était parti pour accomplir une

17 mission génocidaire de son propre chef. La Chambre conclut à la nature

18 aléatoire de sa conduite. Ce qui veut dire que la Chambre n'aurait pas pu

19 tirer une telle conclusion, en dépit du fait que Jelisic a sélectionné la

20 plupart, sinon la totalité de ces victimes du fait de leur origine

21 musulmane, en dépit du fait qu'il avait tendance à se montrer cruel à leur

22 égard.

23 Comme j'ai essayé de le dire, quasi tout accusé mis en inculpation par ce

24 Tribunal, depuis la création de celui-ci et je remonte ici au premier

25 procès, celui de Dusko Tadic, où on a vu qu'il y avait une certaine

Page 139

1 propension à tuer les Musulmans et à se montrer cruel envers eux mais on a

2 dit aussi que Tadic n'était pas coupable de génocide.

3 Tout d'abord, il n'existait pas de plan visant à la destruction du groupe

4 musulman à Brcko. C'est une conclusion que l'on trouve au paragraphe 98.

5 Je viens de vous la lire.

6 Deuxièmement, rien ne prouve que Jelisic à lui seul, lui-même, ait

7 concocté un tel plan. Ceci apparaît aux paragraphes 99 et suivants.

8 Si c'était nécessaire, nous ferions valoir que si l'on examine bien les

9 éléments de preuve, ils ne remplissent pas les conditions visées au 98,

10 puisqu'il n'y a pas de preuve d'un plan génocidaire qui englobe tous les

11 meurtres. Dès lors, rien ne peut suggérer que Jelisic ait eu une mission,

12 qu'il se soit lui-même confié mission génocidaire.

13 Effectivement, les actes reconnus par la Chambre de première instance ont

14 montré que, parfois, il a autorisé à certaines personnes de partir. Il

15 agissait souvent sur un caprice, sur une idée qui lui passait par la tête,

16 et ceci ne cadre pas avec l'idée d'un plan génocidaire. Il ne fait pas

17 l'ombre d'un doute que des centaines de Musulmans ont été libérés de ce

18 camp, que certains ont été repris, que d'autres ont pris la fuite. Il

19 reste que des centaines, sinon des milliers de Musulmans ont été relâchés

20 vivants. Il n'est pas surprenant que la Chambre de première instance ait

21 conclu que la charge même, que l'inculpation même de génocide en l'espèce

22 était franchement excessive alors qu'en fait, l'accusé avait reconnu

23 chacun des crimes qu'il avait commis.

24 M. le Président (interprétation): Je crois subodorer une hypothèse à la

25 base de vos arguments. Vous voulez dire que la preuve de l'existence d'un

Page 140

1 plan est un élément constitutif juridique du crime de génocide. Il se peut

2 qu'il y ait litige sur la question. Mais ai-je raison de penser que

3 l'accusation a présenté ceci comme élément de son argumentation? Est-ce

4 que vous voulez y réagir?

5 M. Clegg (interprétation): Je ne pense pas que ce soit un élément

6 constitutif que d'avoir un plan de génocide qui englobe plus d'une seule

7 personne. C'est une question…

8 Si l'on pense à l'administration de la preuve, il est difficile

9 d'envisager un procès de génocide s'il n'y a pas de preuve de l'existence

10 d'un tel plan. Mais c'est un élément constitutif de l'infraction.

11 Il est possible qu'une seule personne, à elle seule, en théorie du moins,

12 commette un crime de génocide mais, en pratique, il est difficile

13 d'imaginer comment un tel cas pourrait se présenter. Toutefois, cela

14 pourrait se produire et, quelque part, ceci nierait la nécessité d'avoir

15 un plan puisque vous pourriez avoir votre propre plan, l'exécuter vous-

16 même, ce qui veut dire que vous ne feriez que mettre en pratique votre

17 intention particulière.

18 Moi, je ne pense pas qu'il s'agisse là d'une exigence en matière d'élément

19 constitutif.

20 M. le Président (interprétation): Je vous ai parfaitement compris, Maître

21 Clegg.

22 M. Clegg (interprétation): C'est une question d'administration de la

23 preuve, qui sera toujours nécessaire pour prouver l'existence de

24 l'infraction.

25 Nous disons que le mémoire de l'accusation contient plusieurs erreurs qui

Page 141

1 montrent que l'accusation n'a pas compris le raisonnement de la Chambre.

2 Au paragraphe 4494, à la page 81, l'accusation dit que "la Chambre et sa

3 conclusion que l'accusé était un auteur isolé et n'a pas eu d'intention

4 génocidaire, ceci se base uniquement sur le fait qu'il aurait agi de façon

5 arbitraire davantage qu'avec l'intention claire et précise de détruire un

6 groupe tout entier".

7 Ceci n'entame en rien le raisonnement de la Chambre de première instance

8 qui fait référence de façon explicite au comportement qu'il a eu lorsque

9 l'accusé a libéré des Musulmans. C'est dit dans la note de bas de page

10 relative au témoin E. On dit "que le comportement de l'accusé était peu

11 cohérent, était opportuniste, aléatoire et qu'on pourrait faire valoir

12 ceci contre l'affirmation selon laquelle il aurait eu une intention

13 particulière et précise d'agir de façon génocidaire à l'encontre de la

14 communauté musulmane."

15 Mais il est tout à fait erroné d'affirmer, comme le fait l'accusation, que

16 c'est la base seule sur laquelle s'est appuyée la Chambre pour tirer ses

17 conclusions.

18 Si l'on pense à l'état d'esprit de l'accusé, il faut l'évaluer au regard

19 d'une conclusion bien plus importante, à savoir que l'existence d'un plan

20 visant à la destruction du groupe musulman à Brcko n'avait pas été prouvé.

21 Permettez-moi maintenant de parler brièvement de la démarche adoptée par

22 l'accusation, en partie du moins, lorsque l'accusation dit à la Chambre

23 d'appel: "La population de Brcko considère qu'il s'agit de génocide". Donc

24 vous, vous devez également considérer et dire qu'il s'agit d'un génocide

25 par considération pour les personnes qui sont mortes ainsi que pour les

Page 142

1 survivants.

2 J'imagine qu'il y a des éléments qui appuient cette affirmation, si cela

3 est vrai effectivement. La distinction entre un crime de guerre et le

4 génocide donc est une distinction à caractère éminemment juridique.

5 Très franchement, peu importe ce que pense un membre du public de la

6 qualification juridique appliquée à un crime donné! Ceci n'est pas un

7 argument qui soit propre à aider la Chambre d'appel, de lui demander donc

8 de penser à l'impact de sa décision sur les survivants ou sur l'opinion

9 publique en général. Si l'accusation ne peut pas prouver -et elle ne peut

10 pas prouver- qu'il existe une composante, qu'il y a un élément constitutif

11 de crime de génocide, à ce moment-là, le crime de génocide n'est pas

12 prouvé.

13 Cela signifie pourtant que le génocide doit toujours être condamné pour

14 crime grave contre l'humanité. Et personne ne remet ceci en question. Il

15 ne s'agit pas pour la Chambre d'excuser son comportement, d'atténuer la

16 gravité de son comportement en ne le qualifiant pas de génocidaire. Ce

17 n'est pas de cela qu'il s'agit.

18 Les mesures demandées par l'accusation, enfin, eh bien, elles se résument

19 à un nouveau procès pour les raisons que j'ai déjà invoquées. Si le motif

20 d'appel n°1, si le motif n°2 sont accueillis ou rejetés, eh bien, nous,

21 nous estimons qu'il ne faut pas qu'il y ait de nouveaux procès, sauf si

22 l'accusation a raison en ce qui concerne le motif 3. En effet, s'ils n'ont

23 pas raison en ce qui concerne le motif d'appel n°3, à ce moment-là, on

24 peut dire que la Chambre de première instance a pris la bonne décision,

25 même si elle a emprunté pour ce faire un chemin détourné, qui n'est pas le

Page 143

1 chemin approprié.

2 Même si l'accusation avait raison, même si l'on part du principe

3 qu'effectivement, il y a des éléments de preuve qui indiquent l'existence

4 du génocide, un faisceau de présomptions qui indiquent le génocide, eh

5 bien, nous estimons quant à nous que la décision d'ordonner la tenue d'un

6 nouveau procès a un caractère discrétionnaire.

7 Quand vous avez quelqu'un qui a déjà passé trois ans en prison, c'est un

8 homme encore très jeune, dans une situation où vous avez déjà des témoins

9 qui ont dû une fois revivre tous ces événements extrêmement pénibles en

10 venant témoigner, eh bien, dans ces conditions, il est tout à fait

11 justifié que la Chambre, sur la base du plaidoyer de culpabilité de

12 l'accusé, peut tout à fait légitimement se demander si l'intérêt de la

13 justice exige qu'il y ait nouveau procès en l'espèce.

14 Et la Chambre d'appel serait justifiée à tenir compte des facteurs de

15 nature pratique, pragmatique, à savoir la date de ce nouveau procès, vu le

16 retard dans le traitement des affaires devant cette Chambre et vu les

17 limites de temps et les contraintes de temps. On peut donc se demander

18 s'il serait justifié d'ordonner la tenue d'un nouveau procès.

19 Ces arguments, bien entendu, je ne les présente que dans l'hypothèse que

20 la Chambre d'appel rejette la première partie de mon argumentation.

21 Mais je dois vous dire que, grâce à cette pause que nous avons observée,

22 je suis parvenu à rendre mes pensées plus concises et j'en ai donc terminé

23 de mon argumentation.

24 M. le Président (interprétation): (Hors micro)

25 Mme Wald (interprétation): J'ai une question ou plutôt deux questions.

Page 144

1 J'ai un petit peu de mal à comprendre ce que vous nous avez dit au sujet

2 de la portée de l'examen, en ce qui concerne le 98bis ou plutôt de savoir

3 donc si la Chambre de première instance aurait dû estimer que l'accusation

4 avait prouvé sa cause au-delà de tout doute raisonnable. Donc il y a d'une

5 part ceci.

6 Et d'autre part, ce que vous avez dit lorsque vous dites que nous devons

7 estimer que la Chambre de première instance a appliqué le droit comme il

8 le fallait aux faits qu'elle a constatés.

9 Vous avez cité un extrait d'une décision Kordic, au sujet du fait que la

10 Chambre d'appel ne remet pas en question la décision d'une Chambre

11 d'instance, à moins qu'il n'y ait erreur manifeste. Je pense que vous

12 anticipez donc ma question qui est la suivante: comment appliquer un

13 critère objectif à une Chambre de première instance objective, si vous

14 nous dites que cette Chambre est en droit de conclure à certaines

15 déterminations sur les faits? Il me semble qu'ici, le critère objectif que

16 vous demandez n'est pas tout à fait jus justifié. Est-ce que qu'une

17 Chambre de première instance raisonnables n'aurait pas pu aboutir à une

18 conclusion différente?

19 M. Clegg (interprétation): Je me suis sans doute exprimé de façon peu

20 claire. Moi, j'avance que, pour ce qui est de l'Article 98bis, et du

21 moment où cela s'applique, il faut appliquer le critère suivant: il faut

22 se demander si une Chambre de première instance raisonnable, appliquant

23 dûment la loi, pouvait à ce moment-là prononcer un verdict.

24 Nous, nous estimons que c'est le critère qu'il faut adopter à ce stade de

25 la procédure. Il faut, pour ce faire, adopter la perspective de la Chambre

Page 145

1 de première instance en question. Je crains de ne pas être tout à fait

2 clair.

3 Mme Wald (interprétation): C'est un concept extrêmement complexe.

4 M. Clegg (interprétation): En ce qui concerne l'Article 98bis, je pense

5 qu'il faut appliquer un critère objectif, à savoir est-ce que sur la base

6 des éléments de preuve présentés, la Chambre peut présenter un verdict de

7 culpabilité? A ce moment-là, le procès se serait poursuivi. Le critère

8 appliqué par la Chambre d'appel est à bien des égards le même critère mais

9 est décrit de façon différente.

10 Si on examine la décision de la Chambre de première instance sur la base

11 des faits, à ce moment-là, on se demande si une Chambre de première

12 instance raisonnable aurait pu arriver à une conclusion quelconque,

13 coupable ou non coupable. Et même vous-mêmes, en tant que Juges de la

14 Chambre d'appel, vous vous dites peut-être: "Moi, à ce stade, je l'aurais

15 déclaré coupable ou bien non coupable". Mais ce n'est pas une raison pour

16 laquelle vous allez infirmer le verdict. Vous allez infirmer le verdict,

17 uniquement si vous pensez qu'aucun juge raisonnable ne serait arrivé à

18 cette conclusion.

19 Mme Wald (interprétation): Je trouve cela un petit peu difficile à suivre.

20 Si sur requête d'acquittement, à la moitié du procès, vous nous dites

21 qu'il faut appliquer un critère, le critère de la Chambre raisonnable qui

22 décide ou non de poursuivre, je ne suis pas tout à fait convaincue.

23 Pourquoi est-ce que nous ne devrions pas adopter tout simplement le

24 critère de savoir que, sur la base des éléments de preuves présentés dans

25 le dossier, eh bien, il était en fait raisonnable de s'interrompre au lieu

Page 146

1 d'attendre la fin du procès?

2 M. Clegg (interprétation): Oui, en effet, parce que vous vous êtes une

3 Chambre d'appel mais pas une Chambre chargée de réviser le jugement

4 prononcé par la Chambre de première instance. En fait, vous êtes en train

5 d'essayer de voir ce qu'ils ont fait pour voir s'ils sont arrivés à la

6 bonne conclusion. C'est donc un petit peu une distinction, une différence

7 qu'il y aurait avec un nouveau procès; la différence entre le comportement

8 d'une nouvelle Chambre de première instance et le comportement de la

9 Chambre d'appel.

10 Il s'agit de voir s'il y a eu des erreurs de procédure au niveau de

11 l'instance, la première instance ou si une décision a été prise qu'aucun

12 Tribunal raisonnable n'aurait normalement dû prendre.

13 Il y a des raisons très convaincantes qui nous incitent à dire que c'est

14 le cas.

15 Première raison, c'est que nul ici ne connaît les témoins, ne connaît les

16 témoins et n'ait en mesure de forger le jugement que la Chambre de

17 première instance est parvenue à se former, en écoutant et en évaluant les

18 témoins lorsqu'ils déposent.

19 Peu importe de lire un transcript qui est très sec. Cela ne donne pas une

20 idée. La personne peut très bien s'être exprimée dans le prétoire de telle

21 façon que personne ne peut la croire. Donc vous n'avez pas l'avantage de

22 pouvoir assister aux dépositions et, dans le système de la justice pénale,

23 on s'appuie sur les dépositions orales. C'est ce qui est à la base

24 d'ailleurs du verdict rendu par la Chambre de première instance. C'est

25 pourquoi j'avance que le critère qu'il convient d'adopter est celui que je

Page 147

1 vous ai présenté.

2 M. le Président (interprétation): Un instant, si vous me permettez de

3 rebondir sur ce qui vient d'être dit et sur la question qui a été posée

4 par Mme la Juge Wald. Je voudrais savoir si on peut dire, raisonnablement,

5 que le critère Tadic auquel vous avez fait référence a trait l'évaluation

6 finale faite par la Chambre de première instance de tous les éléments de

7 preuves présentés dans une affaire, et plus particulièrement au stade où

8 la Chambre est en train dévaluer sa conclusion de culpabilité ou

9 d'innocence?

10 A ce stade, est-il possible de dire qu'on pourrait demander à la Chambre

11 d'appel de réévaluer la question de crédibilité et d'importance à accorder

12 aux éléments de preuve alors que, ici, nous avons une situation où le Juge

13 dépend de questions relatives à la crédibilité et à la fiabilité?

14 M. Clegg (interprétation): Je ne pense pas qu'il convienne de faire les

15 distinctions que vous venez d'évoquer. La question de la crédibilité, de

16 la fiabilité, de l'importance accordée aux éléments de preuve, cela doit

17 se décider sur la base des dépositions, en direct, dans le prétoire.

18 Il n'est pas fréquent qu'un nouveau témoin soit en mesure de remettre en

19 question la fiabilité d'un autre témoin, à moins que le témoin ne l'ai

20 fait lui-même. Donc l'évaluation du témoin par la Chambre doit se baser

21 sur l'évaluation de sa déposition dans le prétoire. Il ne faut donc pas

22 qu'il y ait un critère différent qui soit appliqué par la Chambre d'appel,

23 critère différent du critère Tadic, uniquement parce qu'ici, la

24 conclusion, la décision a été prise à la fin de la présentation des

25 éléments à charge.

Page 148

1 Comme je l'ai dit, si la Chambre avait dit: "Maître Greaves, nous ne

2 sommes pas très impressionnés par la qualité des éléments de preuve qui

3 ont été présentés", Me Greaves aurait certainement compris et il aurait

4 dit: "Eh bien, je ne vais pas appeler les 60 témoins que j'avais

5 l'intention de faire venir". Donc on aurait une application du critère

6 Tadic. Mais, ici, nous sommes dans une position différente.

7 Donc si la Chambre avait agi de la sorte, nul grief ne pourrait être

8 évoqué. Le fait que la Chambre n'ait pas agi de la sorte ne doit pas

9 modifier le critère que doit appliquer la Chambre d'appel parce que c'est

10 malgré tout un critère qui a été adapté ou appliqué à tous les éléments de

11 preuves présentés.

12 M. le Président (interprétation): Dernière question qui a trait à

13 l'intention: dans le Statut, on nous explique la nature de l'intention qui

14 est prise en compte, intention de détruire en tout ou partie un groupe

15 national.

16 Mais je voudrais savoir s'il y a une question qu'il convient de se poser,

17 au préalable, au sujet de la signification de l'intention.

18 Ce matin, Monsieur Bergsmo nous a présenté un cadre de réflexion et il a

19 parlé d'actes délibérés. Il a également parlé de désir, de volonté. La

20 question est de savoir si, dans ces conditions, l'intention traduit un

21 acte délibéré, volontaire ou bien un acte qui a une composante

22 supplémentaire, qui en fait un désir. Donc, vous, vous nous dites, si j'ai

23 bien compris: c'est une question d'interprétation. Lorsque la Chambre de

24 première instance a parlé de "dolus specialis", elle faisait référence à

25 l'intention dans le même esprit que l'accusation. Donc cela ne présente

Page 149

1 aucune difficulté.

2 M. Clegg (interprétation): Oui, effectivement. En écoutant l'accusation ce

3 matin, je suis tout à fait d'accord que c'est le cas. Parce que, dans leur

4 mémoire écrit, leur position était légèrement différente. J'essayais

5 d'ailleurs de vous l'expliquer.

6 Le terme d'"intention" appliqué au génocide reflète, à notre avis, un

7 autre état d'esprit: l'état d'esprit qui doit être présent chez l'accusé.

8 Personnellement, les termes de "désir", de "mobile" ne me paraissent pas

9 très heureux.

10 Ce qu'exige le Statut du Tribunal, c'est que la personne en question

11 manifeste un état d'esprit dont l'accusation doit faire la preuve et un

12 état d'esprit qui est celui qui se traduit de la manière suivante: cette

13 personne sait que ses actions, dans le cadre de ses meurtres, s'inscriront

14 dans le cadre d'un processus de destruction en tout ou partie, etc. Donc

15 il faut qu'il tue avec cet état d'esprit.

16 M. le Président (interprétation): Nous n'avons plus de question. Maître

17 Clegg, nous vous remercions.

18 Je me tourne vers le Procureur. Nous vous serions très reconnaissants de

19 répondre brièvement.

20 M. Yapa (interprétation): C'est M. Guariglia qui va répondre.

21 M. Guariglia (interprétation): Merci, Monsieur le Président. Je serai très

22 bref en ce qui concerne les motifs 1 et 2.

23 En ce qui concerne le motif 1, la seule chose que nous souhaitions dire en

24 ce qui concerne l'invitation de Me Clegg à dire que la décision a été la

25 bonne, mais, même si l'on a adopté la mauvaise procédure, nous estimons

Page 150

1 que ça, c'est très dangereux.

2 C'est très dangereux parce que vous avez ici violation des droits

3 fondamentaux des parties ou d'une partie, en l'occurrence. Si nous avons

4 une situation dans laquelle l'accusation, après la présentation de son

5 réquisitoire, n'a pas le droit de demander la présentation d'éléments de

6 preuve supplémentaires, eh bien, on ne se poserait même pas de question au

7 sujet de la décision finale. Tout le monde s'accorderait à dire que les

8 droits de l'accusation ont été enfreints. Et nous vous invitons à prendre

9 la même position en ce qui concerne notre droit à être entendu.

10 En ce qui concerne le deuxième motif d'appel: dès le départ, le conseil de

11 l'accusation souhaite s'excuser auprès de la Chambre d'appel pour ne pas

12 avoir fait comprendre assez clairement ou attiré l'attention de la Chambre

13 d'appel sur la conclusion de la Chambre d'appel dans Celebici, en ce qui

14 concerne l'Article 98bis du Règlement, paragraphe 434 de ladite décision,

15 puisque c'est exactement la position que nous vous engageons à prendre.

16 Deux précisions. Premièrement, concernant la question de Mme la Juge Wald,

17 ce matin, qui a été reprise par mon éminent confrère, à savoir: est-ce

18 qu'il y a une différence s'il n'y a qu'un seul juge?

19 C'est exact. Nous nous appuyons sur une affaire jugée dans l'Ontario avec

20 un jury. Cependant, dans cette affaire, vous avez deux décisions

21 identiques prises par des juges qui jugent seuls. Et le critère qu'ils

22 adoptent, c'est que, dans des affaires très simples, lorsque la Chambre

23 d'appel est en mesure de déterminer ce qui se serait passé si l'affaire

24 s'était poursuivie, à ce moment-là, la Chambre d'appel peut estimer qu'il

25 n'y a pas eu erreur dommageable. Mais dans tous les autres cas, c'est un

Page 151

1 exercice purement spéculatif que nous n'encourageons pas.

2 Enfin, nous estimons qu'il est tout à fait juste et qu'il y a des raisons

3 qui doivent nous inciter à faire la distinction entre les faits et le

4 droit, le juge sur les faits et le juge sur le droit. La question de Mme

5 la Juge Wald a très clairement mis en lumière la confusion qui peut en

6 résulter, concernant le critère à appliquer pour l'Article 98bis du

7 Règlement. On voit la confusion qui peut résulter de cela.

8 La question maintenant est de savoir si, à ce stade de la procédure, on a

9 effectivement appliqué un critère objectif pour l'Article 98bis. Il ne

10 s'agit pas d'analyser de nouveau les éléments de preuve présentés mais de

11 se demander si le critère nécessaire à l'application de l'Article 98bis a

12 été pris en compte ou non. Et nous, nous estimions que, si vous estimez

13 qu'il y a une erreur de droit de la part de la Chambre de première

14 instance, eh bien, vous avez l'autorité de corriger cette erreur.

15 Voici donc ce que j'avais à vous dire au titre des motifs 1 et 2.

16 M. Bergsmo (interprétation): Quelques précisions au sujet de

17 "l'intention", au titre de l'Article 4.

18 Premièrement, l'accusation ne reconnaît absolument pas qu'il y a eu "dolus

19 specialis" ou nécessité de prouver l'intention consciente aux termes de

20 l'Article 4 du Statut. Notre position reste celle qui est présentée au

21 paragraphe 4.9 de notre mémoire et que nous avons explicitée dans nos

22 arguments présentés ce matin à l'audience.

23 Ce matin, j'ai fait référence à la nécessité de prouver la connaissance de

24 la destruction du groupe en tant que tel et mon éminent confrère de la

25 défense y a fait référence. Mais quand j'ai dit cela, je ne faisais

Page 152

1 référence qu'à la catégorie b) du paragraphe 4.9 de notre mémoire, à rien

2 d'autre.

3 La catégorie a), qui figure dans ce même paragraphe, est indépendante,

4 autonome et exige la volonté consciente de la part de l'auteur des crimes

5 incriminés.

6 Deuxièmement, la défense estime que le paragraphe 66 du Jugement de la

7 Chambre de première instance est une définition académique et exemplaire

8 de l'intention spécifique.

9 D'après la dernière phrase de ce paragraphe, apparemment, on exige

10 l'existence d'un plan génocidaire. Le conseil de la défense reconnaît

11 qu'il n'y a peut-être pas, dans l'Article 4, de nécessité de prouver

12 l'existence d'un plan génocidaire.

13 La commission préparatoire à la mise en place du Tribunal pénal

14 international s'est penchée sur la question lorsqu'elle a étudié le

15 génocide. Cette commission a adopté une approche différente: elle a décidé

16 de ne pas adopter le critère du plan génocidaire. Elle a choisi de définir

17 un nouvel élément -et ceci a été reconnu officiellement par les délégués

18 qui ont pris part à ces négociations-, donc un élément qui exige de

19 prouver que la conduite génocidaire a eu lieu dans le contexte d'une

20 conduite manifeste et délibérée à l'encontre de ce groupe, ou que la

21 conduite génocidaire en question aurait pu avoir pour conséquence la

22 destruction du même groupe.

23 Il se trouve que je représentais le Tribunal dans le cadre de ces

24 négociations à New York. Vous serez sans doute intéressés de savoir que,

25 pendant les négociations, de nombreux délégués ont fait référence au

Page 153

1 "scénario Jelisic", entre guillemets, lorsqu'on a parlé de cela.

2 Le fait qu'on dise ici "conduite délibérée, manifeste" montre très bien

3 que les délégués voulaient être sûrs que, lorsque vous avez une campagne

4 de persécution, au cours de laquelle se manifestent des auteurs qui ont

5 une intention génocidaire, ne doit pas sortir du contexte de la définition

6 du génocide. Et c'est pourquoi de nombreux délégués, notamment du Canada,

7 ont fait référence au scénario Jelisic en disant que c'était une affaire

8 d'une extrême importance et qui devait pouvoir s'inscrire dans le cadre de

9 l'Article 6 de la Cour pénale permanente.

10 Il est intéressant de constater que la commission a eu le courage de

11 modifier le droit stipulé dans la convention sur le génocide, en ce qui

12 concerne les contextes objectifs du génocide. En revanche, ils n'ont

13 absolument rien changé en ce qui concerne l'intention de l'auteur. Au

14 contraire, ils l'ont atténuée, ils ont atténué la formulation. Alors que

15 dans le Statut, on dit "avec l'intention de détruire", si l'on regarde les

16 documents de la Cour permanente, ils disent simplement que "l'accusé

17 devait avoir l'intention de détruire, en tout ou partie, le groupe

18 concerné, en tant que tel.

19 Et, Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges, le terme "avoir

20 l'intention" dans ce contexte a été utilisé dans douze crimes de l'Article

21 8 du Statut relatif aux crimes de guerre. Ce sont là tous les délits liés

22 à l'existence d'un "dolus specialis" ou d'un désir conscient de commettre

23 ces crimes. Nous disons que, dans le cas qui nous intéresse, ceci n'existe

24 pas.

25 Troisièmement, la défense affirme que la seule différence entre le crime

Page 154

1 contre l'humanité et le génocide réside dans l'intention spécifique exigée

2 pour prouver l'existence d'un génocide. Mais qu'en est-il des éléments

3 décrivant les crimes contre l'humanité, qui exigent d'abord l'existence

4 d'une attaque systématique et de grande envergure? Deuxièmement, le

5 comportement de l'accusé doit faire partie d'un plan préexistant et de

6 cette attaque systématique et à grande échelle. Troisièmement, l'accusé

7 doit savoir que son comportement fait partie de cette attaque systématique

8 et à grande échelle. Quatrièmement -et ceci est spécifique au Statut de ce

9 Tribunal-, il faut qu'il y ait eu un conflit armé.

10 Aucun de ces quatre éléments ne s'applique au crime de génocide.

11 Quatrième argument en réponse: la défense semble s'efforcer de remettre au

12 goût du jour la vieille discussion relative aux dirigeants d'un Etat et à

13 leur rapport à un génocide, en laissant entendre qu'effectivement, seuls

14 les auteurs d'un génocide peuvent être considérés comme responsables de ce

15 génocide. C'est le point de vue proposé par la France au cours des

16 négociations de la convention sur le génocide.

17 Je vous renvoie à la proposition A/C6/224 au sujet de laquelle nous avons

18 remis aux Juges de cette Chambre un compte rendu des discussions où ces

19 propositions sont faites à la Chambre. Les discussions ont abouti sur un

20 vote; quarante Etats ont voté contre la proposition et deux pour la

21 proposition.

22 La Chambre ne devrait pas admettre un point de vue que, s'il s'appliquait

23 à l'Allemagne nazie, permettrait de condamner un commandant d'un camp de

24 la mort pour génocide, alors qu'un autre commandant d'un autre camp

25 pourrait simplement être décrit comme ayant fait preuve d'ambition

Page 155

1 militaire, ceci donnant lieu à des sentences et à des verdicts

2 fondamentalement distincts.

3 Cinquième argument de l'accusation: la défense a fait référence à la

4 jurisprudence des tribunaux ad hoc. Le jugement Jelisic, bien sûr, est le

5 seul jugement prononcé par le TPIY au sujet du génocide. Et c'est

6 d'ailleurs pourquoi cet appel acquiert une telle importance. C'est

7 pourquoi il est si important que les questions juridiques relatives au

8 génocide soient traitées comme il convient.

9 L'une des premières décisions du Tribunal rwandais, sinon la première, au

10 sujet du génocide a conclu l'affaire Akayesu. Le Procureur sait bien que

11 ce jugement évoque l'intention spéciale ou le "dolus specialis" mais, dans

12 le même temps, au paragraphe 520, il fait référence à la notion de "la

13 nécessité de savoir ou d'avoir été en mesure de savoir" comme étant le

14 critère prééminent. C'est ce critère qui est sous-jacent dans les deux

15 catégories e) et suivantes, au paragraphe 4.9 du mémoire du Procureur.

16 "Devrait savoir" n'est pas seulement un critère probable dans une telle

17 argumentation. Le Procureur affirme que cette contradiction apparente avec

18 le jugement Akayesu est telle que le jugement ne peut pas être utilisé

19 contre la position du Procureur, établie au paragraphe 4 b) de notre

20 mémoire.

21 Les jugements suivants: l'affaire Akayesu, sur l'intention génocidaire,

22 demeurent entachés de la même contradiction. En tout état de cause, aucune

23 de ces décisions n'est contraignante pour la présente Chambre d'appel.

24 Sixième argument de l'accusation: le Procureur ne partage pas

25 l'interprétation de la défense au sujet des textes écrits par Gil Gil et,

Page 156

1 enfin, la position du Procureur continue à être que l'on ne doit pas

2 recourir à des moyens supplémentaires d'interprétation pour aboutir à la

3 conclusion que le "dolus specialis" n'est pas la seule forme d'état

4 d'esprit décrite dans l'article 4. Cette position découle du libellé

5 relatif à l'état mental, c'est-à-dire à l'élément moral dans l'article 4,

6 replacé dans son contexte et examiné au vu de l'objet et de l'intention de

7 l'article 4, et de la Convention sur le génocide.

8 Je donne maintenant la parole à mon collègue M. Nice

9 M. Nice (interprétation): Monsieur le Président, Madame, Messieurs les

10 Juges, je serai bref.

11 La question de droit contenue dans notre motif d'appel que mon collègue,

12 Me Clegg, a examiné et argumenté de manière tout à fait complète aux

13 points 489 et suivants de notre mémoire écrit, c'est donc une

14 argumentation que je n'ai pas besoin de reprendre dans le temps limité qui

15 m'est encore imparti aujourd'hui. Et ces écritures montrent que ce motif

16 ne peut avoir aucune incidence sur une intention juridique. Tel est

17 l'argument de droit. Il a été débattu et décrit par écrit à votre

18 intention.

19 Deuxièmement, j'aimerais dire un mot au sujet des jugements, qu'ils soient

20 complets ou pas. Très souvent, devant ce Tribunal, ils sont complets;

21 lorsqu'ils ne le sont pas et ne sont pas suivis d'argumentation, il est

22 moins aisément possible de leur accorder une quelconque confiance.

23 Ce que nous proposons -et cela renforce notre position antérieure-, c'est

24 que lorsque le droit s'applique correctement aux faits, une grande masse

25 d'éléments de preuve n'ont pas besoin d'être résumés et cela ne peut pas

Page 157

1 être le cas lorsqu'un grand nombre d'éléments de preuve ont été laissés de

2 côté. J'ai appelé votre attention sur quelques exemples à cet effet, qui

3 montrent que les arguments évoqués à l'instant sont contredits par la

4 réalité.

5 Jelisic a admis avoir tué quinze personnes. Les crimes qu'il a admis ont

6 concouru au prononcé de la sentence contre lui, mais les éléments de

7 preuve relatifs au génocide ont démontré une responsabilité directe et

8 indirecte pour un certain nombre d'actes. Et nous avons assisté à un

9 court-circuitage du procès, ce qui est une erreur de la part de la Chambre

10 de première instance.

11 De même, le chiffre de 66 personnes tuées n'est absolument pas admis. La

12 Chambre de première instance saura, après avoir entendu nos arguments,

13 qu'un certain nombre d'éléments de preuve semblent indiquer qu'il y aurait

14 eu 2000 à 3000 corps de Musulmans qui ont été tués et, bien entendu, ces

15 éléments de preuve indiquent qu'il s'agit bien d'un acte qui a pris pour

16 cible tout un groupe.

17 Il n'est pas exact que les tableaux que vous avez sous les yeux soient

18 sélectifs. Au contraire, ils ont été produits par moi et sous mon

19 contrôle, mais par quelqu'un qui n'est pas partie prenante au procès.

20 C'est parce que nous savions quels problèmes il y aurait à apprécier les

21 éléments de preuve à ce niveau, dans le cadre d'un procès qui n'est pas un

22 procès particulièrement important mais un procès qui traite de questions

23 très fondamentales, donc en raison également des réponses apportées par

24 l'accusé à un certain nombre de questions, que nous avons procédé de cette

25 façon.

Page 158

1 Nous avons déterminé un certain nombre de sujets et choisi ces sujets dans

2 ce cadre. J'admets l'analyse de mon collègue, Me Clegg, quant à la façon

3 dont la Chambre de première instance aborde les problèmes dans les

4 paragraphes 65 et 87. J'admets son analyse des actes accomplis par la

5 Chambre, mais je rejette totalement ses arguments quant au fait qu'ils

6 prouveraient qu'il n'y a pas eu de plan préexistant.

7 Je vous demanderai simplement à vous, Juges de cette Chambre d'appel,

8 d'examiner les documents une nouvelle fois et d'y réfléchir d'une façon

9 très approfondie pour déterminer si ce n'est pas l'existence d'un plan

10 prééminent qui a amené Jelisic à agir comme il l'a fait et comme il s'en

11 est plaint lui-même, sous les ordres de tiers qui étaient tout aussi

12 coupables que lui.

13 Des centaines et des centaines de personnes ont été remises en liberté

14 -cela n'est pas contesté-, mais il y en avait beaucoup plus qui les

15 gardaient prisonnières. Et quant aux actes de Jelisic, j'en ai traité dans

16 les derniers passages de mon intervention précédente, ce matin. Nous

17 découvrirons demain la position du Procureur s'agissant de ce point

18 particulier et des réponses apportées par l'accusé aux enquêteurs qui

19 l'interrogeaient, réponses qui ont été cyniques, uniquement destinées à

20 défendre ses intérêts, même si la Chambre cherchait à découvrir en lui

21 d'autres formes d'expression et avait à l'esprit l'existence des crimes de

22 guerre jugés au Tribunal de Nuremberg.

23 Il n'est pas rare, comme nous avons pu le voir dans un certain nombre de

24 situations, de trouver un peu de bien dans une personnalité

25 fondamentalement mauvaise. La citation vient du procès de Nuremberg et je

Page 159

1 la reprends en toute sécurité: "Un peu d'humour de la part d'une personne

2 fondamentalement négative ne signifie pas que cet homme soit un homme mû

3 par des motivations positives". Nous n'admettons pas qu'il y ait eu la

4 moindre motivation positive chez Jelisic, malgré les propos tenus par la

5 défense et, malgré l'existence d'un certain nombre d'actes tout à fait

6 insignifiants qui sembleraient l'indiquer.

7 Le fait de dire qu'une personne ordinaire peut se montrer narcissique

8 exagérément narcissique est tout simplement erroné. Le libellé utilisé

9 dans le paragraphe du texte en question est tiré du dernier rapport, si je

10 ne m'abuse du Dr Van den Bussche, soumis à la Chambre après que celle-ci

11 eut pris sa décision au sujet du génocide.

12 J'en reviens à la référence faite à Brcko pour corriger une erreur de la

13 défense sur point.

14 Bien entendu, les lieux, les habitants civils d'une communauté n'ont pas

15 le droit de s'exprimer ou de se prononcer de la même façon que peut le

16 faire un Tribunal, cela c'est tout à fait évident.

17 Et j'ai dit que leur seul intérêt était que l'affaire soit traitée de la

18 façon la plus complète qui soit.

19 Etant donné l'existence d'un droit discrétionnaire de la part des Juges,

20 en référence aux témoignages des victimes, je reprends ce que j'ai dit ce

21 que matin, nous pensons qu'un nouveau procès est indispensable de façon à

22 entendre une nouvelle les témoins qui déposeront sur cette question. Un

23 grand nombre d'entre eux sont très préoccupés par la nécessité de rejuger

24 ce point.

25 Il ne s’agit pas uniquement de convenances personnelles.

Page 160

1 Voilà les conclusions que nous souhaitions vous soumettre, Monsieur le

2 Président.

3 M. le Président (interprétation): J'aimerais vous poser une question.

4 Maître Clegg, si j'ai bien compris, a présenté l'argumentation suivante.

5 Vous avez consacré un certain temps ce matin à démontrer qu'il existait

6 des éléments de preuves qui, s'ils avaient été pris en compte par la

7 Chambre de première instance, auraient dû d'une façon raisonnable l'amener

8 à prononcer un verdict de culpabilité.

9 J'ai cru comprendre qu'il avait affirmé que cela n'avait pas été le cas,

10 c'est-à-dire qu'il fallait que vous démontriez qu'aucun élément de preuve

11 pris en compte par la Chambre de première instance sur cette affaire

12 n'aurait pu permettre à la Chambre de se prononcer comme elle la fait.

13 La question qui se pose donc n'est pas de savoir s’il existe des éléments

14 de preuve qui auraient pu permettre à un Tribunal agissant de façon

15 raisonnable de se prononcer d'une autre façon sur les faits, mais de

16 savoir s'il existait un seul ou plusieurs éléments de preuve qui auraient

17 pu amener le Tribunal à se prononcer comme il l'a fait.

18 Alors ne peut-on pas répondre à cela?

19 Est-ce que la question sur le fond est vraiment très différente de la

20 question qui a été évoquée lors de la décision définitive sur les éléments

21 de preuve?

22 Nous avons là une décision qui a été prise au milieu d'un procès. Et la

23 question qui se pose consiste à savoir si les éléments de preuve de

24 l'accusation, au cas où ils étaient acceptés, auraient pu justifier une

25 condamnation de la part d’un Tribunal agissant d’une façon raisonnable

Page 161

1 dans son jugement des faits.

2 Ceci vous permet de souligner les éléments de preuve allant dans ce sens,

3 éléments de preuve donc qui auraient pu justifier un verdict de

4 culpabilité par un Tribunal agissant de façon raisonnable dans son

5 jugement sur les faits.

6 M. Nice (interprétation): Nous sommes tout à fait d'accord là-dessus,

7 Monsieur le Président, pour les raisons déjà avancées par mon confrère, M.

8 Guariglia, ainsi que pour d'autres raisons.

9 Et avec le respect que je dois au Tribunal, je ne serais pas tout à fait

10 d'accord néanmoins avec le point de vue exprimé néanmoins par Me Clegg

11 lorsqu'il a dit que les Juges ont jugé des faits à mi-chemin, si je puis

12 m’exprimer ainsi.

13 Comme vous semblez l'avoir dit à l'instant, Monsieur le Président, la

14 question qui se pose n'est pas simplement celle d'une suspension technique

15 d'un jugement, mais de la façon dont des Juges se sont prononcés sur une

16 affaire déterminée.

17 Donc ce qu'il faut, c'est déterminer si les Juges ont bien fait leur

18 travail en suspendant leur jugement jusqu'à la fin de la présentation des

19 éléments de preuve selon les arguments qui sont avancés ici.

20 C'est pour cette raison que j'ai abordé la question lorsque j'ai répondu

21 aux observations du Juge Wald, un peu plus tôt, au cours de l'après-midi,

22 quant à la façon dont les Juges ont jugé des faits.

23 Et j'aimerais me répéter peut-être sur un point particulier en reprenant

24 vos propos, Monsieur le Président, qui me semblent être tout à fait

25 appropriés en la matière.

Page 162

1 Nous sommes ici dans un procès jugé par trois Juges. Maître Clegg affirme

2 qu'à la fin d'une affaire qui ne serait pas une affaire criminelle un Juge

3 pourrait se prononcer d'une façon qui influerait négativement sur la

4 décision, comme un médecin qui agirait de façon négative contre son

5 patient. Cela risquerait de créer des dangers très réels et d'orienter le

6 procès à un moment, trop tôt, dans la procédure vers une décision erronée,

7 vers une déviation. D’où la suspension du jugement.

8 Mme Wald (interprétation): (Hors micro.)

9 J'aimerais savoir quelle est votre position au sujet de l'argument avancé

10 par Me Clegg lorsqu'il a parlé de Juges qui, par hypothèse, auraient

11 appliqué les critères qui s'imposent et seraient parvenus à la conclusion

12 qu'un acquittement était nécessaire.

13 Lorsque la Chambre d'appel revient sur l'action des Juges de cette Chambre

14 de première instance, est-ce que la question de droit qui se pose consiste

15 à se demander s'il faut accorder une certaine attention au jugement de la

16 Chambre de première instance ou s'il ne faut lui accorder aucune

17 attention. Je sais que dans mon système une certaine attention doit lui

18 être doit lui être accordée. Mais quelle est votre position sur ce sujet?

19 M. Nice (interprétation): Madame la Juge, cela ne me pose aucun problème

20 que dans ce Tribunal, comme je pense que c’est le cas dans de nombreux

21 autres tribunaux, cette question soit purement une question de droit et

22 donc un critère objectif.

23 J'allais dire encore quelque chose... Oui, je retrouve le fil. Il est

24 assez difficile de dire comment la lumière entière peut être faite sur la

25 question, sauf dans les circonstances dont nous discutons ici, à savoir

Page 163

1 les circonstances dans lesquelles une Chambre de première instance a

2 accéléré la procédure sur un point particulier.

3 Si nous laissons de côté les affaires tout à fait marginales dont Me Clegg

4 a parlé, je crois, la marginalisation totale d'un témoin, la destruction

5 complète d'un témoin, ne parlons pas de cela, mais parlons des affaires de

6 génocide où il existe des éléments de preuve corroborants qui montrent que

7 l'accusé, dans le cas d’un cambriolage par exemple, était bien le voleur

8 et qu’un certain nombre d’éléments nécessaires pour fonder l'existence du

9 délit sont présents.

10 Sur la base de ces éléments de preuve, les Juges estiment pouvoir

11 continuer.

12 Mais une Chambre d’appel va toujours devoir se prononcer sur la même

13 chose, c'est-à-dire la décision de la Chambre de première instance,

14 déterminer s'il s'agissait d'une décision capricieuse ou d’une décision

15 qui a bien pris en compte les critères valables pour éviter toute erreur.

16 M. le Président (interprétation): Je vous remercie, Monsieur Nice, pour

17 votre aide.

18 Je pense que nous en sommes arrivés à la fin de l'audience dans ce

19 jugement en appel, ayant entendu les arguments de l'accusation.

20 Demain, nous entendrons les motifs d'appel de Me Clegg, de la défense, à

21 partir de 9 heures 30, et nous suspendons l’audience pour ce soir jusqu'à

22 demain matin, 9 heures 30 du matin.

23 (L'audience est levée à 18 heures 33.)

24

25