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1 (Jeudi 22 février 2001 – Procédure d'appel.)
2 (L'audience est ouverte à 9 heures 35.)
3 (Audience publique.)
4 M. le Président (interprétation): Madame la Greffière, veuillez annoncer
5 l'affaire.
6 Mme Taylor (interprétation): Il s'agit de l'affaire IT-95-10-A, le
7 Procureur contre Goran Jelisic.
8 M. le Président (interprétation): Puis-je partir de l'idée qu'il est
9 compris que, sous cette rubrique, en fait nous sommes saisis de deux
10 appels: l'un interjeté par le Procureur qui s'oppose à l'acquittement,
11 l'autre appel ayant été déposé par M. Jelisic à l'encontre de la peine
12 prononcée contre lui.
13 Si c'est bien ce qui est compris par les parties, je vais demander que
14 celles-ci se présentent. Je suppose que nous avons le même conseil qui va
15 représenter les intérêts de la même partie pour les deux appels.
16 M. Clegg (interprétation): C'est exact.
17 M. le Président (interprétation): S'agissant du premier appel, pris dans
18 l'ordre chronologique -il s'agit de celui interjeté par l'accusation-,
19 puis-je demander à celle-ci quels sont les conseils et avocats présents à
20 l'audience?
21 M. Yapa (interprétation): Je m'appelle Upawansa Yapa. Je défends les
22 intérêts de l'accusation, en présence de M. Nice, de Mme Carmela Anninck-
23 Javier qui est notre substitut d'audience, et de M. Guariglia.
24 M. le Président (interprétation): Vous serez l'avocat pour les deux
25 appels?
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1 M. Yapa (interprétation): Oui.
2 M. le Président (interprétation): Et pour M. Jelisic, sera-ce le même
3 avocat?
4 M. Clegg (interprétation): Je m'appelle William Clegg. Je comparais en
5 présence de M. Babic et de Mme McQuitty pour les deux appels.
6 Mais je voudrais formuler une mise en garde s'agissant des propos que vous
7 venez de tenir. Vous avez demandé si l'appel interjeté par l'appelant se
8 limitait uniquement à la peine prononcée contre lui. Jusqu'à hier, c'était
9 sans nul doute le cas, mais hier, à mon arrivée à La Haye, il m'a été
10 remis une copie de l'arrêt Celebici, prononcé par la Chambre d'appel. Le
11 Juge Nieto-Navia et le Juge Pocar connaissent sans doute mieux cet arrêt
12 Celebici que moi.
13 J'ai lu cependant les passages pertinents et il apparaît que le principe
14 des cumuls des condamnations s'appliquerait aux plaidoyers déposés par cet
15 accusé, face à l'Acte d'accusation. A bien des égards, ce sujet est
16 purement théorique; il est dénué de toute incidence pratique sur l'issue
17 de ce procès. En effet, il a reçu une seule peine, peine à propos de
18 laquelle, je crois qu'elle lui a été infligée pour ses actions et pas pour
19 la façon dont l'Acte d'accusation a décrit et qualifié les infractions.
20 Cependant, dans l'affaire Celebici, même s'il n'y a pas eu dualité de
21 peines, puisque les faits ne se situaient qu'à la fin, au cumul des
22 condamnations, la Chambre a renvoyé l'affaire à une Chambre de première
23 instance, parce que la Chambre d'appel dit, à son paragraphe 431 de
24 l'arrêt, que l'issue aurait peut-être été différente.
25 En l'espèce, je n'affirme pas que l'issue du procès, à savoir la peine,
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1 aurait été différente et la dernière chose que voudrait M. Jelisic, ce
2 serait que son appel soit reporté du fait de cette question très
3 technique. Cependant, j'ai le sentiment qu'au vu des décisions
4 majoritaires prises dans l'affaire Celebici, le cumul des condamnations
5 décidées contre cet accusé, du fait de son plaidoyer de culpabilité, ne
6 peut pas être maintenu.
7 Nous invitons la Chambre d'appel à annuler officiellement la moindre des
8 deux peines pour laquelle il a été condamné. A mon avis, ceci n'a pas
9 d'effet pratique sur le résultat de l'appel, pas le moins du monde. Je ne
10 veux pas dire que la peine imposée par la Chambre de première instance
11 aurait été en aucune façon différente.
12 Toutefois, à la lumière de l'arrêt Celebici -du moins de la façon dont je
13 le lis- en tant que conseil de M. Jelisic, je ne pense pas qu'il serait
14 juste que j'abandonne un point qui a été accueilli par la Chambre d'appel
15 du Tribunal.
16 Par conséquent, je me permets de demander l'autorisation à la Chambre de
17 faire appel s'agissant de chacun des binômes de peine, d'interjeter appel
18 de la moindre des deux d'entre elles. Du moins pour ce qui est des charges
19 dont il s'est déclaré coupable. J'invite la Cour à annuler ces
20 condamnations au vu de l'arrêt Celebici et puis de procéder à l'audience
21 consacrée à l'appel. Par exemple, en ce qui concerne l'appel interjeté par
22 l'accusation devant l'acquittement de M. Jelisic, et pour ce qui est de la
23 défense de l'appel interjeté par celle-ci sur la question de l'appel.
24 M. le Président (interprétation): Merci. Vous pouvez vous rasseoir.
25 La Chambre est saisie d'une requête visant à la modification de l'Acte
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1 d'appel dans l'un des deux appels déposés. Qu'en dit l'accusation?
2 M. Yapa (interprétation): Nous ne sommes pas surpris par les arguments que
3 vient de présenter M. Clegg. En effet, il m'a informé ce matin à 9 heures
4 de son intention de vous soumettre ces questions.
5 Ce que je voudrais faire valoir, c'est ceci: même si M. Clegg semble dire
6 qu'il s'agit d'une question purement académique ou théorique, nous ne
7 pouvons pas nous engager ici à l'audience. Il faudra sans doute que nous
8 voyons quelles seront les répercussions de l'arrêt Celebici sur le
9 jugement dont vous êtes saisi ici. Je ne m'oppose pas du tout à ce que
10 cette question soit soulevée par la défense, mais nous vous demandons
11 l'autorisation de déposer des écritures sur cette question par la suite.
12 Je vous remercie.
13 M. le Président (interprétation): Monsieur Clegg, voulez-vous réagir?
14 M. Clegg (interprétation): Si le Règlement l'autorise, je ferai remarquer
15 que M. Yapa était le premier substitut du Bureau du Procureur dans l'arrêt
16 Celebici, donc je suppose qu'il est mieux au courant de l'affaire Celebici
17 que moi. Mais je pensais qu'il aurait pu peut-être réagir à cette
18 proposition assez simple que j'ai faite ici, à l'audience, puisqu'il était
19 présent dans l'affaire Celebici, sans qu'il soit nécessaire d'avoir
20 recours à des dépôts d'écriture trop longues.
21 M. le Président (interprétation): Il y a certains membres de la Chambre
22 d'appel qui ne connaissent peut-être pas aussi bien que les parties le
23 dossier et l'arrêt Celebici. Est-ce que l'on ne peut pas, dès lors,
24 retenir la proposition faite par M. Yapa? Ne serait-ce que pour informer
25 les autres membres de la Chambre d'appel qui ne connaissent pas le dossier
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1 Celebici. Je pense qu'il serait utile de laisser latitude aux parties de
2 déposer des écritures sur la question.
3 Je m'explique. Si j'ai bien compris, l'accusation ne fait pas objection à
4 votre proposition qui consiste à modifier votre Acte d'appel. L'audience
5 consacrée à l'appel peut se poursuivre dans ces conditions, mais je
6 suppose qu'à un stade ultérieur de la procédure, les parties seront
7 autorisées ou nous pourrions les autoriser dès maintenant à déposer par la
8 suite des mémoires sur la question.
9 M. Clegg (interprétation): J'en suis tout à fait satisfait. Merci,
10 Monsieur le Président.
11 M. le Président (interprétation): Les parties sont ainsi autorisées dans
12 ces conditions. Nous allons préciser par la suite quels seront les délais
13 à respecter pour le dépôt éventuel de mémoire.
14 Deuxième point: question d'intendance.
15 En avez-vous terminé, Monsieur Clegg?
16 M. Clegg (interprétation): Oui, mais j'avais oublié de faire état du fait
17 que j'ai ici l'aide d'un interprète ou d'une interprète. L'anglais de M.
18 Babic est bien meilleur que mon serbo-croate, mais pour faciliter les
19 échanges entre nous, il est utile d'avoir une interprète qui est à
20 l'extérieur du prétoire et qui ne peut entrer qu'avec l'autorisation de la
21 Chambre. Peut-elle le faire? Afin que l'interprète soit assise entre M.
22 Babic et moi. Nous pourrons ainsi communiquer directement avec M. Jelisic.
23 M. le Président (interprétation): Voyons ce qu'en pense la partie adverse.
24 Avez-vous une objection à ce que ce soit fait?
25 M. Yapa (interprétation): Non.
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1 M. le Président (interprétation): Nous accordons cette mesure.
2 (L'interprète est introduite dans la salle d'audience.)
3 Fort bien. Puis-je passer maintenant à quelques questions d'intendance?
4 Nous avons commencé l'audience à 9 heures 30 ce matin, et elle se
5 terminera ce matin, si vous le voulez bien, à 13 heures. Nous aurons alors
6 une pause pour le déjeuner. Pause d'une demi-heure normalement. Une heure
7 et demie, pardon. Mais nous vous proposons de reprendre nos travaux à 15
8 heures, parce qu'un des Juges qui devra participer à l'audience par la
9 suite, a quelque chose à faire pendant la pause. Nous reprendrons donc à
10 15 heures. Nous poursuivrons jusqu'à 17 heures ou 17 heures 15. Et nous
11 aurons deux interruptions de quinze minutes chacune.
12 Nous allons d'abord entendre l'appel interjeté par l'accusation. Comme
13 nous l'avons fait comprendre dans l'ordonnance portant calendrier, chacune
14 des parties disposera de deux heures pour faire valoir ses arguments.
15 La partie, qui lui emboîtera le pas, disposera de deux heures et le
16 premier intervenant aura une heure pour conclure. Nous allons d'abord
17 entendre l'appel interjeté par l’accusation. Une fois ces présentations
18 terminées, nous enchaînerons sur l'appel présenté par M. Jelisic.
19 Dans une de nos ordonnances portant calendrier, nous avons demandé à
20 chacune des parties d'avoir l'obligeance de publier une version publique
21 de ces arguments. L'accusation l'a faite; dans sa réponse du 6 septembre,
22 elle l'a fait mais, dans nos dossiers, nous n'avons pas vu de version
23 publique qui eut été déposée par la défense. Est-ce que l'on peut remédier
24 à cet état de choses dans les meilleurs délais?
25 M. Clegg (interprétation): Ce sera fait le plus vite possible. Je ne sais
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1 pas si la Chambre d'appel le sait, je n'ai reçu des instructions que dans
2 ces trois dernières semaines, je n'étais pas au courant de cette
3 ordonnance portant calendrier; je vais m'exécuter tout de suite.
4 M. le Président (interprétation): Nous sommes conscients des inconvénients
5 dont vous avez pâtis, et nous admirons aussi votre capacité à vous
6 exécuter de façon si diligente.
7 Voici ce que nous proposons. Nous allons entendre l'appel en attendant la
8 présentation des versions publiques du document par la défense.
9 Nous avons reçu un argumentaire général présenté par M. Clegg, est-ce que
10 nous comprenons bien la situation dans laquelle se trouve l'accusation?
11 L'accusation pense-t-elle qu'il y a de nouveaux arguments présentés dans
12 le mémoire, dans l'ossature ou résumé d'argumentaires déposé par M. Clegg?
13 Est-ce que vous demandiez à faire un dépôt formel?
14 M. Clegg (interprétation): Je ne voulais pas en faire un nouvel argument
15 mais, manifestement, l'interprétation était dans ce sens. Il faudrait
16 peut-être apporter des précisions sur les points que maintient l'appelant,
17 et c'est pourquoi nous avions fait cette présentation mais je ne m'oppose
18 pas à ce que l'accusation tienne compte de ces nouveaux arguments dans la
19 présentation qu'elle va faire aujourd'hui.
20 M. le Président (interprétation): Vous avez l'intention de demeurer dans
21 les confins arrêtés par les premiers dépôts d'écritures faites par les
22 conseils de M. Jelisic?
23 M. Clegg (interprétation): Oui.
24 M. le Président (interprétation): Dans ce résumé d'arguments présenté par
25 M. Clegg, il y avait également annonce qui était faite de certaines
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1 concessions. Je suppose que l'accusation en aura tenu compte, ceci pourra
2 peut-être permettre d'écourter les arguments, ce qui est tout à fait
3 souhaitable. Les parties tiendront également compte du fait qu'il faudrait
4 prévenir la Chambre si telle ou telle partie voudrait passer à huis clos à
5 un moment donné. Nous allons d'abord entendre les arguments présentés par
6 l'accusation. Je vous remercie.
7 M. Yapa (interprétation): Avant de vous présenter les arguments de
8 l'accusation, j'aimerais vous remettre un document très bref que j'ai
9 préparé, pour ce qui est de l'ordre dans lequel l'accusation va présenter
10 ses arguments. Je suis sûr que ce sera un document utile pour les Juges
11 comme pour la partie adverse.
12 J'aimerais en guise de préambule vous rappeler aussi quelle est la durée
13 que j'avais l'intention d'utiliser. Nous avons reçu l'autorisation de
14 parler pendant deux heures et d'avoir une heure pour la réplique mais,
15 tout compte fait, nous sommes convenus qu'il ne sera peut-être pas
16 nécessaire de consacrer deux heures à la réponse. Est-ce que nous
17 pourrions avoir une demi-heure de ce temps qui est nous imparti pour la
18 réplique, pour l'utiliser dans un premier temps, puisque nous avons
19 d'abord deux heures puis une heure? Nous, nous aimerions avoir deux heures
20 et demie et une demi-heure, cela ne fait pas de différence sur le temps
21 qui nous est donné, mais nous aimerions avoir une demi-heure de plus pour
22 la première partie afin de présenter l'appel
23 M. le Président (interprétation): Vous ne vous opposez pas à cette
24 proposition Monsieur Clegg?
25 M. Clegg (interprétation): Oui, nous avions espéré, au départ, que ce
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1 serait bref mais ces espoirs se sont vite dissipés. Ils étaient
2 prématurés.
3 M. le Président (interprétation): Permettez-moi de dire ceci, Monsieur
4 Yapa. La Chambre a pris connaissance des mémoires déposés, ce sont des
5 documents assez volumineux dont a été saisie la Chambre et nous espérons
6 que ceci permettra d'avoir une présentation orale brève. Mais tant que
7 vous ne dépassez pas le temps imparti par l'ordonnance portant calendrier,
8 nous serions prêts à consacrer deux heures et demie à la première partie
9 M. Yapa (interprétation): Je vous remercie infiniment et merci des
10 remarques faites s'agissant des mémoires déposés. A cet égard, j'ai essayé
11 de faire des présentations écrites les plus circonstanciées possible. Les
12 plaidoiries orales seront faites en guise d'ajout.
13 M. le Président (interprétation): Vous savez que les Juges ont, depuis
14 lors, rendu une directive pratique qui détermine quelle est la longueur
15 maximale des mémoires ou toutes autres écritures.
16 M. Yapa (interprétation): J'en suis conscient, j'ai pour tâche maintenant,
17 comme indiqué dans le document que je vous ai présenté, de présenter en
18 préalable à l'appel déposé par l'accusation et puis de vous parler des
19 réparations recherchées par celle-ci. Dans l'appel, le deuxième aspect qui
20 porte sur les réparations sera peut-être présenté par un autre
21 représentant du Bureau du Procureur mais c'est une question sera tranchée
22 par la suite. Vous le savez, s'agissant des motifs d'appel présentés par
23 l'accusation, d'emblée ce que j'aimerais vous dire c'est ceci.
24 M. le Président (interprétation): Un instant, s'il vous plaît, Monsieur
25 Yapa. Mon collègue à ma gauche vient de relever que vous avez commencé
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1 vers 10 heures, il faut tenir compte de cela lorsque nous allons voir
2 combien de temps vous avez utilisé.
3 M. Yapa (interprétation): Je vous remercie.
4 En guise de préambule, je saurais dire que, suite à ce que vous avez
5 décidé, la procédure d'appel est de nature corrective dans ce Tribunal.
6 C'est ce que nous dit le Statut.
7 Et l'accusation se présente devant vous et vous demande réparation en
8 vertu de l'Article 25 du Statut. Jusqu'à présent, la Chambre d'appel a été
9 saisie de plusieurs appels et l'accusation a présenté des arguments sur le
10 champ de l'examen en appel.
11 Je n'ai pas l'intention de répéter ces arguments, si ce n'est pour dire
12 ceci: nous sommes la partie appelante et nous soumettons des motifs
13 d'appel dans des points tant de droit que de fait. Cet appel, même s'il
14 porte sur une décision définitive rendue par une Chambre de première
15 instance, présente des caractéristiques différentes des appels dont la
16 Chambre a été saisie jusqu'à présent.
17 En effet, il s'agit d'un appel suite à un jugement définitif prononcé non
18 pas à la fin du procès, comme nous avons coutume de le voir. L'appel se
19 formule contre un jugement rendu à un stade préalable du procès, ce stade
20 de la procédure étant à mi-chemin. C'est du moins ce qu'ont dit certains
21 Juges.
22 Je voudrais ici attirer votre attention sur l'Article 98bis du Règlement
23 de procédure et de preuve. Les motifs d'appel déposés par l'accusation ont
24 trait ou sont déclenchés par cet Article. C'est d'ailleurs le thème
25 central dans l'appel de l'accusation.
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1 Nous estimons que la Chambre de première instance a adopté et appliqué une
2 procédure irrégulière et erronée. En tant que premier motif d'appel, nous
3 estimons que la Chambre de première instance a versé dans l'erreur en
4 matière de droit en ne donnant pas l'occasion à l'accusation d'être
5 entendu devant la Chambre en vertu du 98bis.
6 Il y a deux facettes à ce premier motif d'appel que nous faisons valoir.
7 L'accusation a été privée de son droit d'être entendue en vertu du 98bis.
8 Et, de façon concomitante, la Chambre de première instance a nié à
9 l'accusation le droit d'être entendue sur la question de savoir si
10 l'accusation devait se voir accorder une audience.
11 Je n'ai pas pour tâche ici d'entrer dans le détail des motifs d'appel que
12 nous vous avons soumis. Il nous suffira de dire qu'en conséquence de cette
13 première erreur qui a consisté à priver l'accusation de son droit d'être
14 entendue, la Chambre de première instance a versé dans l'erreur en matière
15 de droit, en application du 98bis. Et puis, elle s'est aussi trompée en
16 matière de droit en divisant, en essayant de voir quel était l'état
17 d'esprit qui était une des conditions pour le génocide, en vertu de
18 l'Article 4 du Statut.
19 Donc nous avons pris trois motifs d'appel. D'abord, le premier motif: le
20 droit d'être entendu; deuxième: peine en application du 98bis, et surtout
21 pour l'interprétation de cette règle, nous parlons ici du critère d'au-
22 delà de tout doute raisonnable. Le troisième motif, c'est sur l'intention
23 en matière de génocide (Article 4 du Statut).
24 Ce sont mes collègues qui vont vous présenter nos argumentations au sujet
25 de ces motifs d'appel. Mais je vais me permettre de vous faire un exposé
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1 général au sujet de ces motifs d'appel.
2 Ces motifs d'appel ont trait à des questions absolument essentielles et
3 fondamentales pour les procès entendus par ce Tribunal. Ces motifs d'appel
4 sont intrinsèquement liés, à tel point qu'on pourrait aller jusqu'à dire
5 qu'il y a une sorte de réaction en chaîne depuis la première erreur
6 commise en l'espèce.
7 Avant que je ne parle des réparations que nous demandons, je souhaiterais
8 parler brièvement du résumé de l'argumentation de l'appelant. Nous ne nous
9 opposons pas à cette présentation des argumentations; au contraire, nous
10 sommes très reconnaissants à notre éminent confrère de nous avoir fourni
11 ce document.
12 En ce qui concerne l'appel de la défense, on nous dit que l'appelant
13 souhaite ne faire appel que de la peine prononcée contre lui. Il est
14 important de constater que l'appelant concède les deux premiers motifs
15 d'appel de l'accusation, allant jusqu'à dire que, pour les raisons
16 avancées par l'accusation, l'accusation aurait dû avoir la possibilité
17 d'être entendue par la Chambre.
18 Et pour les raisons qui sont avancées par l'accusation, la Chambre de
19 première instance n'a pas appliqué les critères relatifs à la preuve qui
20 étaient appropriés à ce stade du procès.
21 Je reprends donc ici ce qui figure dans l'argumentation de mon éminent
22 confrère. L'appelant maintient sa position selon laquelle la Chambre de
23 première instance a correctement appliqué le droit relatif au génocide aux
24 faits de cette affaire. Nous ne sommes pas d'accord et nous allons
25 présenter des arguments à ce sujet, en présentant les arguments relatifs
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1 au troisième motif de notre appel.
2 En ce qui concerne les deux premiers motifs d'appel, l'appelant ajoute un
3 paragraphe supplémentaire, un document supplémentaire. En ce qui concerne
4 le premier motif d'appel, on nous dit que le fait que l'accusation n'ait
5 pas eu la possibilité d'être entendue n'invalide pas la décision. A moins
6 que la Chambre de première instance se soit trompée dans le droit
7 applicable en l'espèce. Nous avançons, avec tout le respect que nous
8 devrons à la Chambre et à la défense, nous estimons que ce n'est pas une
9 argumentation valable et qu'il est nécessaire d'en parler en ce qui
10 concerne le premier motif d'appel.
11 En ce qui concerne le deuxième motif d'appel, l'appelant reconnaît que la
12 plainte déposée par l'accusation est fondée et qu'ici, il s'agit plus de
13 forme que de fond. Or, nous ne sommes pas d'accord. Il ne s'agit pas ici
14 que d'une question de fond; il s'agit ici d'une erreur grave, qui a limité
15 la procédure, qui a sapé la procédure et qui a entraîné des erreurs de
16 point et de droit. Nous allons donc ultérieurement traiter de la question
17 dans un exposé.
18 L'affirmation selon laquelle la Chambre de première instance a court-
19 circuité -je reprends les termes de l'appelant- la procédure habituelle
20 n'est pas acceptable. Parce que ceci n'est pas prévu.
21 Je vais revenir brièvement aux réparations que nous demandons. Monsieur le
22 Président, Madame et Messieurs les Juges, nous demandons un nouveau procès
23 en ce qui concerne le chef d'accusation de génocide, devant une Chambre de
24 première instance constituée de Juges différents de la première.
25 Et mes collègues de l'équipe de ce procès vont vous présenter des
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1 arguments à l'appui de cette demande.
2 D'autre part, nous enjoignons la Chambre de nous donner des instructions
3 quant à la question juridique de l'intention criminelle dans le cadre du
4 crime de génocide.
5 Je ne vais pas procéder plus avant en ce qui concerne le premier motif
6 d'appel. C'est M. Fabricio Guaraglia qui va exposer nos arguments à ce
7 sujet. Je vous demande la permission de le laisser s'exprimer.
8 Merci, Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges.
9 M. le Président (interprétation): Monsieur Guariglia, vous avez la parole.
10 M. Guariglia (interprétation): Merci, Monsieur le Président, et bonjour à
11 la Chambre d'appel.
12 Je vais traiter des motifs d'appels 1 et 2, qui sont contenus dans le
13 mémoire du Procureur. Je ne pense pas y passer plus de 20 minutes. Et je
14 suis prêt ensuite à répondre à vos questions.
15 Nous nous réjouissons des concessions de la défense.
16 Ceci confirme notre position selon laquelle la Chambre de première
17 instance a versé dans l'erreur.
18 Cependant, le fait que la partie adverse soit d'accord au sujet de ce
19 point de droit ne signifie pas pour autant que la question soit réglée.
20 Nous avançons que la Chambre d’appel doit également reconnaître que la
21 position présentée par les parties constitue la bonne application du
22 droit.
23 Et comme cela a déjà été expliqué par M. Yapa, il n'y a, d'autre part, pas
24 d'accord parfait en ce qui concerne la portée de cette erreur et les
25 conséquences de ces erreurs, en ce qui concerne les deux premiers motifs
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1 d'appel de l’accusation.
2 En ce qui concerne le premier motif d'appel de l’accusation, je vais
3 parler des questions qui figurent au paragraphe 2.1 à 2.40 de notre
4 mémoire en appel, et expliquer pourquoi le refus de l'accusation
5 d'entendre des arguments de l’accusation avant de prononcer l'acquittement
6 justifie un nouveau procès.
7 Le principe de base, ici, c'est que l’accusation a le droit, elle aussi,
8 aux termes de l'Article 20 paragraphe 1, à un procès rapide et équitable.
9 Et nous nous appuyons sur une conclusion de la Chambre d'appel de la
10 Chambre dans la décision relative à Aleksovski. Dans le cadre d’un appel
11 interlocutoire, le concept du procès équitable doit s'appliquer aux deux
12 parties, aussi bien à la défense qu'à l’accusation, puisque l’accusation
13 agit au nom des intérêts de la communauté internationale, y compris des
14 victimes des faits incriminés.
15 Donc on ne peut pas considérer qu'un procès est juste et équitable si
16 l'accusé est favorisé par rapport à l’accusation. Le droit d'être entendu
17 par rapport à une décision, une décision finale, dans le cadre par exemple
18 de l'application de l'Article 98bis, est un droit essentiel. C'est un
19 droit absolument essentiel qui a un impact très important sur l'équité de
20 la procédure. Cela constitue une partie essentielle du système
21 contradictoire qui part du principe que les deux parties ont le droit de
22 présenter leurs arguments avant que l'accusé ne soit condamné ou ne soit
23 acquitté.
24 Ceci est reconnu par le Règlement du TPIY, contrairement à la décision de
25 la Chambre d'instance dans Jelisic, puisque l'Article 86 stipule très
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1 clairement que les parties ont le droit de représenter des argumentations
2 avant une décision finale.
3 Et d'autre part, cet Article ne donne nullement le pouvoir à une Chambre
4 de refuser d'entendre des réquisitoires ou des plaidoiries avant la
5 décision.
6 Donc nous avançons qu'en ce qui concerne un jugement d'acquittement, aux
7 terme de l'Article 98bis, eh bien, il faut appliquer les mêmes principes
8 aux parties avant le prononcé de la décision.
9 Le droit de l'accusation à être entendue dans le cadre de l'Article 98bis,
10 ne doit pas être considéré comme un droit sans grande substance, que l'on
11 peut ignorer, puisque cela aurait une influence très néfaste sur
12 l'intégrité de la procédure, parce que c'est l'argument de la défense,
13 qu'il s'agit d'un droit qui n'est pas très important.
14 Nous estimons au contraire que c'est un droit absolument essentiel et que,
15 sans l'application de ce droit, on ne peut pas considérer que le procès
16 soit équitable aux termes de l'Article 20 paragraphe 1 du Statut, si la
17 Chambre de première instance n'a pas eu la possibilité d'entendre tous les
18 arguments avant de prendre sa décision.
19 Dans ce contexte, il serait intéressant, il serait utile d'identifier les
20 événements lors du procès qui ont trait à ce type d’appel.
21 La situation sur laquelle vous devez vous pencher, ce n'est pas une
22 situation au cours de laquelle l'accusation n'a pas pris la possibilité,
23 qui était la sienne, de s'adresser à la Chambre de première instance, donc
24 a en quelque sorte renoncé à son droit. Ce n'est pas cela. Ce n'est pas
25 non plus une situation dans laquelle le préjudice causé à l'accusation est
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1 dû à une limite imposée par la Chambre de première instance au droit
2 d'être entendue. Car, dans ces deux cas, on pourrait dire qu'il s'agit
3 d'une erreur qui n'est pas très grave.
4 Non, ici, cela va beaucoup plus loin puisque l’accusation n'a absolument
5 pas eu la possibilité de présenter ses arguments aux termes de l'Article
6 98bis.
7 Lorsque l’accusation a demandé à la Chambre de première instance,
8 expressément, de pouvoir être entendue, elle s'est vue confrontée à un
9 refus catégorique de la Chambre. Et la décision finale a immédiatement
10 suivi une décision d’acquittement.
11 En plus de ces facteurs, il convient également de prendre en considération
12 l'importance pour les Chambres du Tribunal international d'entendre les
13 arguments des parties afin de conclure sur les affaires présentées devant
14 elle.
15 Dans le contexte du système contradictoire adopté par le TPIY, les
16 arguments présentés par les parties sont absolument essentiels pour
17 permettre aux Chambres de se présenter aussi bien sur les faits que sur le
18 droit.
19 Et que ce soit à la demande d'une des parties ou de son propre chef, la
20 Chambre de première instance a besoin d'entendre les arguments des parties
21 avant de prendre ses décisions, ceci afin de pouvoir prendre en compte
22 tous les aspects de l’affaire qui lui est présentée. Le fait de ne pas
23 entendre les arguments des parties avant de prendre une décision, a des
24 conséquences négatives.
25 En revanche, l'aide fournie par les parties est très utile dans le cadre
Page 48
1 de la prise de décision et ceci est illustré par l'Article 98bis et son
2 étude, puisqu'en refusant d'entendre les arguments de l’accusation la
3 Chambre de première instance n'a pas pu bénéficier des arguments de
4 l’accusation quant aux normes, aux critères à adopter en ce qui concernait
5 l'Article 98bis.
6 Nous estimons donc, de ce fait, que la Chambre de première instance a
7 versé dans l'erreur en adoptant un critère de culpabilité au-delà de tout
8 doute raisonnable. Et le jugement oral, aussi bien qu'écrit, rendu par la
9 Chambre de première instance n'a même pas envisagé la possibilité
10 d’utiliser un autre critère dans le cadre de sa décision.
11 En revanche, on constate que deux Juges de la Chambre de première
12 instance, lorsqu'ils étaient dans l'affaire Kvocka confrontés à une
13 requête aux fins d'acquittement de l'Article 98bis du Règlement, et après
14 avoir entendu les argumentations des parties, au lieu d'adopter le critère
15 de culpabilité au-delà de tout doute raisonnable, ont adopté le critère
16 qui est préconisé par l'accusation en l'espèce.
17 On peut donc tout à fait en conclure que, sur la base des argumentations
18 qui leur avaient été présentées, qu'ils avaient entendues, ces deux Juges
19 ont réalisé que leur décision précédente était erronée.
20 Il est possible qu'à ce moment-là, si la Chambre Jelisic avait accepté
21 d'entendre les arguments de l’accusation, elle avait réalisé que le
22 critère qu'elle allait appliquer était erroné.
23 Donc, pour résumer: en ce qui concerne le motif n°1, le droit d'être
24 entendu avant la prise d'une décision finale dans une affaire est
25 absolument fondamental. Cela constitue un élément essentiel de l'équité
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1 des procès. Le fait que la Chambre de première instance ne l'ait pas
2 considéré, constitue une infraction telle au concept d'équité du procès,
3 stipulé à l'Article 20 du Statut paragraphe 1, qu'il est nécessaire et que
4 cela justifie d'organiser un nouveau procès.
5 Et il en va même bien au-delà de cela, puisque le fait de ne pas permettre
6 à une partie d'être entendue, viole les droits de cette partie, mais en
7 plus cela remet en question l'intégrité et la qualité des procès, puisque
8 cela remet en question le système judiciaire qui est appliqué ici, le
9 système contradictoire.
10 Donc contrairement à ce qui est avancé par la défense, nous estimons qu'il
11 n'est pas nécessaire que la Chambre de première instance s'intéresse à
12 l'impact de cette erreur sur la décision, puisque nous estimons qu'au
13 titre du motif 1, eh bien, la Chambre d'appel doit décider qu'il convient
14 d'organiser un nouveau procès avec de nouveaux Juges.
15 Mais si la Chambre d'appel estime qu'il est nécessaire de montrer quelles
16 ont été les conséquences de cette décision sur la décision finale, nous
17 estimons que le fait que la Chambre de première instance n'a pas entendu
18 l'accusation a eu des conséquences fondamentales quant à l'application de
19 l'Article 98bis, puisque le mauvais critère a été appliqué.
20 Et je vais en parler quand je vous parlerai de nos arguments au titre de
21 notre deuxième motif d'appel.
22 Voici, j'en ai terminé de mes arguments en ce qui concerne le motif
23 d'appel n°1. A moins que vous n'ayez des questions, je vais passer au
24 deuxième.
25 M. le Président (interprétation): Monsieur Guariglia, les Juges de la
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1 Chambre vous poseront des questions lorsqu'ils le souhaiteront. Mais je
2 vais malgré tout leur demander, m'assurer qu'ils n'ont pas de questions à
3 vous poser. Non, donc vous pouvez donc poursuivre.
4 M. Guariglia (interprétation): On peut en arriver aux mêmes conclusions
5 pour le motif 2 que pour le motif 1. Et le motif 2, c'est l’application du
6 critère de culpabilité au-delà de tout doute raisonnable aux termes de
7 l'Article 98bis.
8 La défense reconnaît que la Chambre de première instance s'est trompée à
9 ce sujet. Mais la défense nous dit qu'il s'agit d'une question de forme et
10 pas d’une question de fond.
11 Il semble que la position de la défense soit la suivante. Puisque la
12 Chambre de première instance juge aussi bien les faits que le droit, eh
13 bien, le fait que la Chambre décide de prononcer la culpabilité ou
14 l'innocence en utilisant l'Article 98bis n'a aucune importance, car en
15 fait la Chambre de première instance aurait acquitté l'accusé à la fin du
16 procès également, si celui-ci avait suivi son cours.
17 En présentant une argumentation de ce type, la défense avance que la
18 réussite du deuxième motif d'appel de l’accusation dépend de la réussite
19 du troisième motif d'appel relatif aux éléments de preuve présentés et
20 relatif au génocide; mais nous ne sommes pas d'accord.
21 Nous estimons que, tout d'abord, la défense essaie d'identifier les
22 erreurs commises par la Chambre de première instance et ensuite analyse
23 ces erreurs, une par une, pour montrer que finalement elles ne sont pas
24 très importantes. Mais ceci n'est pas valable et je l’ai expliqué dans le
25 cadre de mon argumentation au sujet du premier motif d'appel.
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1 D’autre part, l'accusation avance que, d'une part, il y a des raisons tout
2 à fait impérieuses qui incitent à se demander si le fait de ne pas
3 utiliser le bon critère pour appliquer l'Article 98bis ne doit pas nous
4 inciter à penser que le jugement est invalide. D'autre part, l'accusation
5 avance que les erreurs commises par la Chambre de première instance sont
6 toutes liées et qu'il faut les considérer comme un tout.
7 Je vais maintenant vous exposer mes arguments.
8 Il apparaît indiscutable, pour les raisons qui sont présentées au
9 paragraphe 3.1 à 3.58 de notre mémoire, que la Chambre de première
10 instance a versé dans l’erreur en utilisant le critère de culpabilité au-
11 delà de tout doute raisonnable dans le cadre de l’application de l'Article
12 98bis du Règlement.
13 Il faut noter que sur les huit décisions prises à ce jour, en ce qui
14 concerne les requêtes aux fins d'acquittement par ce Tribunal, eh bien, la
15 décision Jelisic est la seule décision où on a utilisé le critère de
16 culpabilité au-delà de tout doute raisonnable à mi-chemin du procès.
17 Si on a accepte le fait que la Chambre a versé dans l'erreur en agissant
18 de la sorte, à ce moment-là la question à laquelle vous devez répondre est
19 de savoir si, sur cette base uniquement, vous devez demander un nouveau
20 procès, vous devez décider qu'il y ait un nouveau procès, ou bien s'il
21 faut que vous déterminiez que cette erreur compromet la validité de la
22 décision. C'est ce qui est présenté par la défense.
23 Mon argumentation a deux volets: premièrement, nous estimons quant à nous
24 que la Chambre d'appel peut tout à fait en conclure que l'erreur de la
25 Chambre de première instance ne peut pas être corrigée par la Chambre
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1 d'appel et qu'on ne peut pas simplement dire qu'il n'y a pas eu d'erreur
2 fondamentale, de préjudice fondamental. En l'espèce, la procédure a été en
3 quelque sorte mutilée par une décision prématurée au titre de l'Article
4 98bis.
5 La Chambre d'appel doit se demander si elle doit effectivement essayer de
6 deviner ce qu'aurait été l'issue du procès si la Chambre de première
7 instance avait appliqué le bon critère. Mais la Chambre de première
8 instance peut décider d'appliquer un critère beaucoup plus objectif, non
9 pas celui de savoir si la Chambre de première instance aurait acquitté
10 l'accusé, mais s'il y avait des éléments de preuve qui permettaient de
11 condamner cet accusé. Si la réponse est positive, la Chambre d'appel peut
12 en conclure qu'il fallait entendre l'accusation. Et sur cette base
13 uniquement, je pense que la Chambre d'appel peut conclure qu'il convient
14 d'organiser un nouveau procès.
15 Bien évidemment, si la Chambre d'appel en conclut qu'il n'y avait aucun
16 élément de preuve qui aurait incité toute Chambre de première instance à
17 prononcer une condamnation, à ce moment-là, on peut considérer que
18 l'erreur de la Chambre de première instance était anodine. Mais nous
19 estimons que ceci n'est pas le cas, si l'on considère les éléments de
20 preuve présentés à la Chambre de première instance.
21 Mon collègue, M. Geoffrey Nice, vous en parlera lors de notre
22 argumentation relative au troisième motif de l'accusation.
23 L'accusation avance qu'en demandant un nouveau procès, sans évaluer la
24 qualité du jugement, la Chambre d'appel prendrait une décision qui aurait
25 trois avantages.
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1 Premièrement, cela empêcherait la Chambre d'appel de se lancer dans des
2 spéculations quant à la position qu'aurait prise la défense et de
3 déterminer quelle aurait été l'accusation, puisque ceci aurait été
4 complètement spéculatif et qu'on peut considérer que ce n'est pas le
5 travail d'une Chambre d'appel.
6 Deuxièmement, une telle décision garantirait le fait que les décisions
7 définitives sur le droit et sur les faits sont constituées de deux étapes.
8 Nous estimons que ceci est applicable en l'espèce et qu'il s'agit de la
9 position du Juge Shahabuddeen dans une affaire précédente. La Chambre
10 d'appel n'est pas là pour reprendre les questions examinées par une
11 Chambre de première instance. Il ne s'agit pas, pour la Chambre d'appel,
12 d'organiser elle-même un nouveau procès. Ceci est particulièrement
13 important en l'espèce, puisqu'on ne s'est jamais penché sur la qualité des
14 éléments de preuve présentés en première instance.
15 Troisième avantage d'adopter notre proposition: ceci permettrait une
16 adoption uniformisée de l'Article 98bis du Règlement, et ceci dissuaderait
17 les Chambres de première instance de mélanger leurs deux fonctions, d'une
18 part, de Juges des faits et, d'autre part, de Juges du droit.
19 Parce que ceci est extrêmement néfaste, on le voit ici, mais ceci peut
20 également avoir des conséquences très dommageables pour la défense, si une
21 Chambre de première instance estime qu'elle est en droit de statuer sur la
22 culpabilité au delà de tout doute raisonnable et de prendre une décision
23 dans une affaire aux termes de l'Article 98bis.
24 Nous avançons qu'il faut considérer que l'erreur commise par la Chambre de
25 première instance était une erreur fatale et que la Chambre d'appel ne
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1 peut pas la corriger, en considérant qu'il s'agissait en fait d'une erreur
2 anodine. Nous estimons que cette erreur, à elle seule, justifie un nouveau
3 procès.
4 Mais, dans le même temps, comme je l'ai déjà dit, nous avançons que le
5 fait que la Chambre de première instance n'ait pas donné à l'accusation la
6 possibilité d'être entendue, ajouté à la mauvaise application du critère,
7 dans le cadre de l'Article 98bis, doit être considéré comme invalidant
8 totalement la décision puisqu'on n'a pas agi comme il le fallait.
9 En agissant de cette façon, la Chambre de première instance non seulement
10 a remis en cause l'intégrité du procès mais a remis en cause son jugement.
11 Nous estimons que la qualité de la décision d'une Chambre de première
12 instance dans une affaire donnée dépend de la qualité de la procédure.
13 Dans le cas qui nous intéresse, l'effet cumulé d'erreurs aussi
14 fondamentales que celles-ci invalide la totalité de la procédure, à tel
15 point que les décisions obtenues ne peuvent plus être fiables. Il n'est
16 pas nécessaire de se demander si le jugement est convenable -si tant est
17 qu'il l'était et nous disons qu'il ne l'est pas-, mais s'il l'était, ce ne
18 serait que par hasard.
19 En même temps, cette accumulation d'erreurs fondamentales a un effet si
20 négatif sur l'intégrité de la procédure que la procédure et les décisions
21 ne répondent pas aux exigences fondamentales rappelées par cette Chambre
22 de première instance dans l'affaire Furundzija, c'est-à-dire le fait
23 d'administrer la justice. Dans l'affaire qui nous intéresse, la justice
24 n'a pas été rendue.
25 Pour poursuivre, l'accusation estime qu'il n'y a aucun fondement dans le
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1 contenu du mémoire du répondant et que la Chambre de première instance…
2 selon laquelle le fait que le Procureur n'ait pas appliqué le bon critère
3 en vertu de l'Article 98 est une erreur de forme qui peut rendre la
4 décision nulle.
5 Pour les raisons déjà avancées, l'accusation estime que l'erreur de la
6 Chambre de première instance n'aurait pas pu être corrigée en cours de
7 procédure. Nous demandons donc que la Chambre d'appel ordonne un nouveau
8 procès.
9 Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges, j'en ai terminé de
10 mes arguments.
11 Mme Wald (interprétation): Monsieur Guariglia, votre deuxième argument où
12 vous avez parlé des critères que la Chambre de première instance aurait dû
13 utiliser en application de l'Article 98bis, et pour décider d'un
14 acquittement, la plupart des sources, à part celles qui proviennent du
15 Tribunal que vous nous avez cité, appliquent le critère que vous nous
16 proposez, à savoir qu'aucune Chambre agissant de façon raisonnable
17 n'aurait pu aboutir à la décision rendue.
18 La plupart des décisions dans lesquelles les Juges ne prononcent pas une
19 décision d'acquittement, mais dans lesquelles un jury -qui est un juge des
20 faits un peu différent- est habilité à prendre la décision ultime se fonde
21 sur l'absence de tout doute raisonnable. Il est donc aisé, au moins pour
22 moi, de voir sur quels faits objectifs et subjectifs vous fondez votre
23 argumentation.
24 Mais pourquoi est-ce que le même critère s'applique dans une situation où
25 le même juge des faits existe, en fin de compte, au moment du prononcé de
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1 l'acquittement, et puisque l'accusation doit porter le fardeau de la
2 preuve?
3 M. Guariglia (interprétation): Il m'est très aisé de répondre, Madame le
4 Juge. Il est vrai que les mêmes critères sont appliqués en général dans
5 toutes les juridictions, notamment en présence d'un jury. Mais dans
6 d'autres systèmes judiciaires plus semblables à celui-ci, en particulier
7 au Royaume Uni, même dans des procédures jugées par un seul juge des faits
8 et du droit, les critères demeurent les mêmes. Et nous y affirmons qu'il y
9 a identité de critères en vue de garantir une certaine solidité et une
10 certaine fiabilité de l'application des principes du droit.
11 Dès que les critères deviennent interchangeables, les décisions
12 judiciaires n'ont plus le même poids ni la même sûreté. Si une Chambre de
13 première instance avait pouvoir de décider, à l'avance, de la culpabilité
14 au-delà de tout doute raisonnable en vertu de l'application l'Article
15 98bis, cela serait à double tranchant car, finalement, cela pourrait
16 intervenir contre l'accusé.
17 Si une Chambre de première instance a le pouvoir de se lancer dans une
18 telle analyse, elle a alors latitude de décider au milieu d'un procès que
19 la culpabilité a été établie au-delà de tout doute raisonnable; ce qui
20 créera automatiquement une charge, un fardeau sur l'accusé qui devra aller
21 à l'encontre de cette décision en montrant qu'elle a été prématurée,
22 puisqu'elle s'est située au milieu du procès, et persuader la Chambre de
23 première instance du contraire par rapport à sa propre décision en
24 prouvant l'innocence.
25 C'est également une manière d'agir qui serait contraire au Statut de ce
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1 Tribunal où un tel fardeau ne repose pas sur l'accusé. Il n'y a aucune
2 nécessité pour qu'un critère soit appliqué en vertu de l'Article 98bis,
3 aux fins de créer un cercle vicieux dans lequel la charge de la preuve
4 passerait alternativement de l'un à l'autre sans solution.
5 Les arguments présentés par l'accusation s'appuient à la fois sur des
6 erreurs au niveau de la présentation des élément de preuve, et sur des
7 erreurs de droit, et l'accusation affirme que la culpabilité est établie
8 au-delà de tout doute raisonnable.
9 Si le critère de l'application de l'Article 98bis est ambigu, nous sommes
10 dans un cercle vicieux qui, tôt ou tard, aboutira au prononcé de la
11 culpabilité de l'accusé au-delà de tout doute raisonnable, au milieu du
12 procès et non pas à la fin de ce procès, au moment où les plaidoiries
13 réquisitoires ont été entendues et où chacun peut se prononcer en toute
14 certitude.
15 M. le Président (interprétation): J'aimerais vous poser une question,
16 Monsieur Guariglia. Ai-je raison de penser que vous contestez les
17 références utilisées par la Chambre de première instance, selon lesquelles
18 les critères qui permettent de décider une culpabilité au-delà de tout
19 doute raisonnable sont appliqués à mi-chemin? Ai-je raison d'avoir cette
20 impression?
21 M. Guariglia (interprétation): Si j'ai bien compris votre question,
22 Monsieur le Juge, notre objection, effectivement, consiste à dire que la
23 Chambre de première instance a procédé prématurément à un test qui devrait
24 se situer à la fin du procès.
25 M. le Président (interprétation): Très bien mais il possible, peut-être,
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1 d'éliminer complètement cette notion du processus de décision. Ce que je
2 veux dire par là est la chose suivante: il y a plusieurs façons de
3 présenter la question, mais la façon la plus classique consiste à poser la
4 question que je vais poser à présent.
5 Les éléments de preuve présentés par l'accusation sont-ils capables, pris
6 simultanément, d'appuyer un verdict de culpabilité prononcé par le jury
7 dans le sens qui convient?
8 Alors si vous prenez en compte ces derniers mots "dans le sens qui
9 convient", je vous demande si, dans vos arguments, vous tenez compte de la
10 bonne orientation d'un Tribunal, à savoir qu'il est impossible pour un
11 Tribunal de prononcer une culpabilité, sauf en la prouvant au-delà de tout
12 doute raisonnable. En d'autres termes, au milieu de la procédure, y a-t-il
13 une différence entre le fait de prononcer la culpabilité au-delà de tout
14 doute raisonnable et le fait d'affirmer que les éléments de preuve de
15 l'accusation, au plus fort de leur pouvoir, n'ont pas permis à un Tribunal
16 jugeant les faits de prononcer une culpabilité en application du critère
17 consistant à exiger une preuve de culpabilité au-delà de tout doute
18 raisonnable?
19 M. Guariglia (interprétation): Ma réponse à votre question, Monsieur le
20 Juge, sera une réponse affirmative. Oui, il y a une différence entre ces
21 deux notions. La différence se situe au niveau de l'intensité de l'analyse
22 des éléments de preuve. Ceci apparaît clairement lorsqu'on examine les
23 décisions prises par cette Institution, en application de l'Article 98bis,
24 où l'on voit que les efforts des Chambres de première instance, pour ne
25 pas être affectées par une évaluation prématurément approfondie, montrent
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1 clairement que la Chambre de première instance a limité son analyse, au
2 fait de déterminer s'il y avait des bases matérielles permettant de se
3 diriger vers une notion de culpabilité au-delà de tout doute raisonnable,
4 en tout cas sur les questions relevant de l'Article 7 1) des principes
5 criminels.
6 Mais la Chambre de première instance n'a pas agi de cette façon. Elle
7 s'est limitée à l'étude de ces éléments matériels. Elle a simplement dit
8 qu'il y avait des éléments matériels et elle a décidé, dans le premier
9 stade de la procédure, d'examiner les éléments de preuve de façon plus
10 superficielle. Nous estimons, pour notre part, qu'il est indispensable de
11 respecter cette différence d'intensité d'examen des éléments de preuve
12 dans une procédure comme celle-ci.
13 M. le Président (interprétation): J'aimerais vous poser une question
14 découlant de la précédente. Vous avez parlé du caractère contradictoire de
15 nos procédures. Je vous demande de me dire si je me trompe, mais suis-je
16 en droit de supposer que nous avons pour obligation de tenir compte entre
17 le fond et la forme?
18 Je vous demande si les Juges de la Chambre de première instance étaient
19 bien des juges originaires d'un système qui n'est celui de la common law?
20 M. Guariglia (interprétation): Oui, je crois en effet.
21 M. le Président (interprétation): Dans ces conditions, n'est-il pas exact
22 que le droit doit être respecté sur le fond, n'est-ce pas? Mais en lisant
23 la décision de la Chambre de première instance, ne doit-il pas être
24 également être tenu compte du fait que cette Chambre de première instance
25 n'était pas une instance de common law. Il est donc possible que des mots
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1 aient été utilisés dans le jugement qui ne changent rien à la décision sur
2 le fond mais qui sont simplement une différence de forme.
3 M. Guariglia (interprétation): Eh bien, je vous dirai d'emblée, Monsieur
4 le Juge, que je ne suis pas un juriste de common law moi-même.
5 M. le Président (interprétation): Oui.
6 M. Guariglia (interprétation): Et pour répondre à la deuxième partie de
7 votre question, si je l'ai bien comprise, elle consistait à me demander si
8 une Chambre de première instance n'a pas simplement utilisé des termes un
9 peu erronés pour mener à bien une opération tout à fait appropriée. Nous
10 disons non. Nous disons que les choses vont bien au-delà de cela et que le
11 jugement est tout à fait clair, Monsieur le Juge.
12 Il est clair que la Chambre de première instance savait ce qu'elle
13 faisait, savait quels critères elle allait appliquer et elle a décidé
14 d'appliquer ces critères. Elle a appliqué ces critères de façon très
15 détaillée dans l'examen des éléments de preuve. Elle a apprécié ces
16 éléments de preuve à leur juste valeur et il semble simplement que dans la
17 prise de décision elle a utilisé les éléments de preuve d'une façon
18 erronée. Nous disons donc que ce n'était pas une erreur de forme.
19 M. le Président (interprétation): Monsieur Guariglia, je vous dois
20 beaucoup pour votre réponse. Je me rappelle que Me Clegg a admis que la
21 Chambre de première instance avait appliqué les mauvais critères, mais
22 surtout mal appliqué ces critères au fait. C'est bien cela, Maître Clegg?
23 M. Clegg (interprétation): Nous avons admis que la Chambre de première
24 instance avait mal appliqué des critères convenables à l'examen de la
25 preuve à un certain stade du procès, mais nous n'admettons pas que la
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1 conclusion tirée par la Chambre de première instance était erronée.
2 Nous nous exprimons donc différemment de ce que nous lisons dans les
3 motifs d'appel interjeté par le Procureur.
4 M. le Président (interprétation): Oui, bien sûr, Maître Clegg. Merci pour
5 votre éclaircissement.
6 Mais, Monsieur Guariglia, j'ai une idée qui me vient à l'esprit. A la
7 lecture prononcée par oral, et je pense que c'est celui qui est réellement
8 pertinent dans l'affaire qui nous intéresse; je parle donc du jugement
9 prononcé oralement le 19 octobre. Il y a des extraits qui viennent à
10 l'appui de votre thèse; à savoir que sur les questions de droit, c'est au
11 Tribunal qu'il appartient de se prononcer, indépendamment d'un accord
12 éventuellement conclu par les parties.
13 Alors, si vous lisez ce jugement prononcé oralement, vous y trouverez
14 peut-être des éléments qui sont à l'appui de votre thèse, mais permettez-
15 moi de vous en lire quelques-uns et de vous demander quelle est votre
16 position à leur sujet. Je cite donc le compte rendu d'audience du 19
17 octobre 1999, version anglaise page 2327.
18 (Les interprètes précisent qu'ils n'ont pas ce document sous les yeux.)
19 Vous avez trouvé ce passage, Monsieur Guariglia?
20 M. Guariglia (interprétation): Oui,
21 M. le Président (interprétation): Le dernier paragraphe se lit comme suit.
22 C'est le Président d'audience qui parle –je cite:
23 "Les Juges ont alors examiné tous les éléments de preuves proposés par
24 l'accusation et, à l'issue de leurs délibérations, ils sont parvenus à la
25 conclusion que même sans avoir entendu les éventuels arguments de la
Page 62
1 défense, l'accusé ne pouvait être reconnu coupable du crime de génocide".
2 Fin de citation.
3 Dans les mots que je viens de lire, quels sont ceux qui vous permettent de
4 penser qu'un jugement est rendu sur le champ au sujet de l'accusation ou
5 de l'innocence? Ne sommes-nous pas là dans une situation où au sujet de
6 ces éléments de preuve, aucun Tribunal, jugeant de façon raisonnable un
7 certain nombre de faits, ne pourrait être en mesure de rendre un verdict
8 de culpabilité au-delà de tout doute raisonnable?
9 Autre passage, même compte rendu d'audience, page 2332. Et là, une
10 distinction semble être établie entre deux catégories de décisions. A
11 savoir, d'une part une détermination de culpabilité immédiate, et d'autre
12 part le fait de penser qu'aucun Tribunal agissant de façon raisonnable et
13 jugeant des faits ne pourrait, même à l'avenir, prononcer une décision de
14 culpabilité. Donc page 2322 du compte rendu d'audience du 19 octobre,
15 deuxième paragraphe. Nous lisons –je cite:
16 "De plus, il importe de ne pas confondre la notion d'acquittement avec
17 celle de l'absence d'éléments de preuve. A savoir donc l'absence
18 d'arguments de la part du Procureur". Fin de citation.
19 Donc les Juges, en disant cela, avaient à l'esprit une distinction qui est
20 tout à fait pertinente. Ils affirment que cela concerne un argument de
21 l'accusation provenant d'une autre affaire déjà jugée par le Tribunal, à
22 savoir l'affaire Blaskic. Les Juges poursuivent en disant –je cite:
23 "Dans la deuxième affaire, il suffit pour la Chambre de première instance
24 d'estimer que le Procureur a présenté suffisamment d'éléments de preuve
25 pour contraindre la défense à répondre, c'est-à-dire pour présenter des
Page 63
1 arguments exigeant une réponse". Fin de citation.
2 Si vous examinez le texte français, en français il devient manifeste que
3 c'est bien le critère qui est utilisé: qu'il s'agisse des éléments de
4 preuve de l'accusation ou du fait qu'un tribunal, agissant de façon
5 raisonnable et jugeant des faits, ne peut à l'avenir prononcer un verdict
6 de culpabilité.
7 Ensuite, même compte rendu d'audience, page 2337, deuxième paragraphe
8 entier de la page –je cite: "Dans l'affaire en question, les Juges
9 estiment que le Procureur n'a pas fourni suffisamment d'éléments de preuve
10 nous permettant d'établir au delà de tout doute raisonnable que Jelisic a
11 planifié, etc., etc., etc.".
12 Alors, si l'on tient compte du fait que les Juges qui se sont prononcés
13 ici sont des juges qui ne sont pas des juges de common law mais qui
14 travaillaient dans un système contradictoire, on doit penser qu'il n'était
15 pas possible de leur demander d'avoir la même orientation verbale que des
16 juges de common law. Une fois cela dit, je vous demande: quelle est votre
17 analyse de ces trois paragraphes?
18 M. Guariglia (interprétation): Monsieur le Juge, je dirai, après avoir
19 entendu la lecture de ces passages, que la Chambre de première instance a
20 considérablement varié dans ses décisions et que celles-ci ne sont pas
21 claires du tout.
22 J'appelle votre attention, sur le même compte rendu d'audience, page 2338,
23 2337 –je crois- dans votre version, où nous voyons qu'il est dit "que le
24 Procureur n'a pas fourni suffisamment d'éléments de preuve et que, dans ce
25 cas-là, nous -les Juges- permettrons l'établissement au delà de tout doute
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1 raisonnable du jugement que l'accusé Jelisic a planifié, incité, ordonné,
2 etc., etc.". Le passage se termine par –je cite: "Ce doute doit être à
3 l'avantage de l'accusé". Fin de citation. Ce qui constitue une distinction
4 très claire avec le scénario de l'Article 98bis.
5 Donc les éléments de preuve sont présentés d'une façon plus favorable par
6 l'accusation et, dans ce cas, le prononcé d'une peine de culpabilité au-
7 delà de tout doute raisonnable ne peut se faire, car tout doute doit
8 bénéficier à l'accusé.
9 En outre, Monsieur le Juge, je pense que votre arrêt doit correspondre au
10 jugement écrit.
11 Dans le jugement écrit, vous trouverez le paragraphe 15 selon lequel la
12 Chambre de première instance a conclu qu'il n'était pas possible de
13 conclure, au-delà de tout doute raisonnable, que les victimes étaient des
14 victimes se situant dans la logique précise d'une destruction visant la
15 communauté musulmane dans son ensemble.
16 Paragraphe 93: il n'a pas été établi, au-delà de tout doute raisonnable,
17 que l'accusé a tué au camp de Luka, sous les ordres de quelqu'un.
18 Paragraphe 95: le Procureur n'a pas fourni des éléments de preuve
19 permettant d'établir, au-delà de tout doute raisonnable, qu'il y a eu un
20 plan destiné à détruire, etc.
21 M. le Président (interprétation): Il était possible de l'établir -vous le
22 voyez, Monsieur Guariglia-, de permettre à la Chambre de l'établir.
23 Monsieur Guariglia, j'aimerais vous poser une question. Est-il exact de
24 penser que, même dans l'application stricte de la common law, un Juge de
25 première instance n'a absolument pas la possibilité d'évaluer un doute en
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1 milieu de procédure? Y a-t-il une situation peut-être dans laquelle, sur
2 la base des éléments présentés par l'accusation, les Juges peuvent décider
3 que les contradictions sont trop nombreuses, que les contre-
4 interrogatoires ont prouvé ce qu'ils avaient à prouvé et que, dans des
5 situations exceptionnelles et donc prioritaires, il est permis de dire:
6 "Au vu des éléments de preuve, aucun tribunal jugeant sur les faits de
7 façon raisonnable n'a la moindre chance de prononcer un verdict de
8 culpabilité au-delà de tout doute raisonnable. Il s'agit donc d'un critère
9 qui permet à la Chambre, même à l'avenir, de lever tous les problèmes liés
10 au doute."
11 Imaginez-vous qu'une telle solution soit possible?
12 M. Guariglia (interprétation): Monsieur le Juge, vous avez absolument
13 raison: nous ne voyons pas pourquoi de telles situations exceptionnelles
14 permettraient de mettre en doute les arguments de l'accusation au sujet du
15 critère appliqué dans la présente affaire.
16 C'est simplement une situation dans laquelle les arguments du Procureur
17 sont battus en brèche et il n'y a pas d'argument auquel apporter réponse.
18 M. le Président (interprétation): Monsieur Guariglia, j'essaie de vous
19 comprendre pour vous donner le bénéfice de la pleine valeur de vos
20 arguments. Je ne conclus absolument pas sur le sujet. Je pense que tout
21 ceci est bien compris?
22 M. Guariglia (interprétation): Absolument. C'est tout à fait clair.
23 M. le Président (interprétation): Merci.
24 M. Guariglia (interprétation): Merci, Monsieur le Président.
25 Je laisse la parole maintenant à M. Morten Bergsmo qui vous parlera des
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1 aspects juridiques du troisième motif d'appel interjeté par l'accusation.
2 M. le Président (interprétation): Est-ce que chacun ici a le sentiment que
3 c'est un moment approprié pour la pause?
4 Très bien. Quinze minutes de pause et nous reprendrons nos travaux à 11
5 heures 15.
6 (L'audience, suspendue à 11 heures, est reprise à 11 heures 16.)
7 M. le Président (interprétation): Bien. Maintenant nous allons entendre M.
8 Bergsmo. Veuillez m'excusez si je prononce mal votre nom. Vous allez donc
9 nous parler du troisième motif d'appel.
10 M. Bergsmo (interprétation): C'est exact. Je vais articuler mon
11 argumentation en trois parties en ce qui concerne le chapitre 4B du
12 mémoire de l'accusation. Donc je vais parler de l'intention délictueuse de
13 l'état mental, nécessaire au titre de l'Article 4 du Statut et mon éminent
14 confrère, M. Nice, parlera des autres éléments contenus au chapitre 4 de
15 notre mémoire.
16 Tout d'abord, je vais essayer de déterminer et d'expliquer quelle est
17 l'interprétation et la présentation des arguments de l'accusation en ce
18 qui concerne le Point 4B.
19 Ensuite, vous expliquer que nous n'avons pas l'intention de dire que
20 l'état mental requis à l'Article 4 du Statut est un état mental ou une
21 intention délictueuse particulière.
22 Enfin, je vais intervenir au sujet de l'interprétation que nous avons
23 adoptée dans le chapitre 4B de notre mémoire. Je pense en avoir pour
24 environ 20 à 22 minutes.
25 Donc je vais passer à la première partie de mon argumentation.
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1 L'accusation ne demande nullement à la Chambre d'appel de modifier le
2 droit international en matière de génocide. Ce que demande l'accusation,
3 c'est une clarification de la part de la Chambre d'appel du critère de
4 mens rea, en ce qui concerne l'Article 4, vu deux arguments qui ont été
5 présentés à la Chambre d'appel au paragraphe 4.9 du mémoire de
6 l'accusation, et je fais référence aux catégories B et C qui sont énoncées
7 au paragraphe 4.9 de notre mémoire.
8 Première argumentation que nous présentons au paragraphe B, c'est la
9 suivante. L'accusation avance que, si un accusé se rend coupable d'une
10 conduite génocidaire, consciemment et avec la volonté d'agir, et si ce
11 même accusé sait qu'il est en train de détruire un groupe en tant que tel,
12 eh bien, à ce moment-là, un tel accusé présente les critères requis par
13 l'Article A du Statut en ce qui concerne l'intention délictueuse. Il ne
14 s'agit ici nullement de probabilité ou de choses de ce genre mais il
15 s'agit de connaissances effectives de la destruction en tout ou partie.
16 Le deuxième argument que nous avançons figure à la catégorie C, au
17 paragraphe 4.9. L'accusation avance que, si un accusé qui est complice,
18 qui aide et encourage un génocide en cours -dont on peut dire
19 objectivement qu'il existe- c'est-à-dire un génocide qui existe
20 indépendamment de celui qui l'aide et l'encourage, et si l'accusé présente
21 ce comportement de complicité, s'il aide et encourage avec la volonté
22 d'agir, et si cet accusé, d'autre part, est conscient du fait qu'il y a un
23 génocide et que si son comportement fait partie de ce génocide mais que,
24 si l'accusé sait seulement que la conséquence de son comportement de sa
25 complicité, de cet encouragement, de cette aide fait partie du génocide, à
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1 ce moment-là, nous avançons au paragraphe 4.9, catégorie C, que cet accusé
2 présente les éléments correspondant aux exigences relatives à l'intention
3 délictueuse qui figure à l'Article 4 du Statut du Tribunal.
4 Les catégories B et C au paragraphe 4.9 de notre mémoire signifient ce que
5 je viens de vous expliquer, et rien de plus.
6 Toute référence à une intention de nature générale, au paragraphe 4B et
7 4.6 de notre mémoire signifie ce que je viens de vous expliquer sous les
8 catégories B et C. Rien de plus.
9 Ces deux catégories, B et C, sont mises en place en partant du principe
10 que l'accusé a eu effectivement un comportement délictueux, consciemment
11 et avec la volonté d'agir. C'est-à-dire que l'intention délictueuse aux
12 catégories B et C présente deux caractéristiques, deux aspects.
13 Premièrement, il s'agit d'une intention délictueuse qui est limitée, qui
14 relève uniquement de la conduite génocidaire de l'accusé, et il faut qu'il
15 y ait là à la fois un composant cognitif et délibéré. C'est-à-dire que
16 l'accusé doit avoir fait ce qu'il a fait de façon consciente, c'est la
17 valeur cognitive, et avec la volonté d'agir; ici, nous avons donc le
18 composant délibéré.
19 Deuxième aspect relatif à l'état mental de l'accusé, c'est une intention
20 plus générale qui implique la destruction du groupe en tant que tel, et
21 qui comprend un composant cognitif, c'est-à-dire la connaissance du fait
22 que, effectivement, l'accusé est en train de causer une destruction, tout
23 ou partie, ou une destruction probable ou que la destruction va être la
24 conséquence de son comportement.
25 En d'autres ternes, il faut qu'il y ait à la fois un composant cognitif et
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1 délibéré dans l'intention ou l'état mental d'un accusé à qui l'on reproche
2 un crime de génocide. Puisque n'importe quel accusé n'a généralement qu'un
3 seul esprit, un seul état mental, l'accusation estime qu'il n'est pas
4 nécessaire de déterminer lequel de ces aspects s'applique, puisque l'état
5 mental est unique et indivisible.
6 La Chambre de première instance, à l'Article 4 du Statut, semble indiquer
7 que seul "dolus specialis" entre en compte ici. Si c'est le cas, eh bien,
8 nous estimons que la Chambre de première instance s'est trompée.
9 En tout état de cause, comme va l'expliquer M. Nice après moi, l'accusé
10 Goran Jelisic, en l'espèce, a présenté tous les éléments qui permettent de
11 conclure à un "dolus specialis".
12 En résumé, la question qui se pose à la Chambre d'appel est de savoir si
13 l'intention délictueuse de l'accusé, qui doit comprendre un composant
14 cognitif et un composant délibéré en ce qui concerne le comportement
15 délictueux, doit aussi comprendre un composant délibéré en ce qui concerne
16 donc son intention délictueuse.
17 En d'autres termes, est-ce que l'Article 4 protège d'un comportement
18 génocidaire lorsque l'accusé avait le désir ou l'intention de détruire un
19 groupe mais pas lorsqu'il n'en avait pas l'intention?
20 La volonté consciente ne signifie pas toujours que la destruction est en
21 train de se produire ou que c'est une conséquence probable. Mais l'accusé,
22 dans le cadre de cette notion de désir conscient, de volonté consciente,
23 doit le savoir; savoir qu'il veut ce qu'il veut. C'est le composant
24 cognitif dont je parlais.
25 Nous avançons que le cynique qui sait est plus dangereux, est aussi
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1 dangereux et peut-être même plus dangereux que l'esprit qui désire la
2 destruction. Puisque, lorsque vous avez connaissance, eh bien, vous avez
3 connaissance de la façon dont on peut arriver à un résultat. Il s'agit
4 d'un état d'esprit exécutif, si l'on peut dire ainsi.
5 Cela m'amène à la deuxième partie de mon argumentation. L'accusation n'est
6 pas opposée à l'utilisation d'intentions particulières ou précises ou même
7 ciblées, dans le cadre de l'intention délictueuse requise au titre de
8 l'Article 4 du Statut. Mais nous vous mettons en garde contre la dilution
9 du critère relatif à l'intention délictueuse pour ce qui est du génocide.
10 Mais la raison pour laquelle ceci est particulier à l'Article 4, en ce qui
11 concerne l'intention délictueuse, ce n'est pas à cause de l'utilisation du
12 terme d'"intention" mais à cause de l'utilisation des termes "détruire" et
13 "groupe", et de l'utilisation de ces deux termes en même temps.
14 Cela est particulier du fait du lien qui existe, de la présentation de ces
15 deux concepts. A l'Article 4, on peut lire "détruire, destruction" et non
16 pas "attaquer, discriminer, persécuter". On peut lire le terme de
17 "groupe", pas de "population civile", pas de "non-combattants", pas de
18 "civils".
19 Aucun autre crime qui figure dans le Statut du Tribunal ne contient ces
20 deux mots ensemble. Ce sont eux qui constituent le critère relatif à
21 l'intention délictueuse. Ici, ce n'est pas le terme d'"intention" qui
22 compte.
23 Mais si les termes "détruire" et "groupe" nous donnent une idée de la
24 portée de cet état mental, la question qui se pose à la Chambre d'appel
25 ici a trait à la nature de cet état, pour ce qui est de l'Article 4. A
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1 savoir, quels sont les aspects cognitifs et délibérés qui doivent être
2 présents dans le cadre de l'intention de la personne concernée?
3 L'intention, cela fait référence à l'état d'esprit et la portée au côté
4 pratique de la chose. Cette distinction est bien établie dans la théorie
5 pénale et nous estimons que cela ressort très, très clairement de
6 l'Article 4 du Statut du Tribunal.
7 Cela m'amène à la troisième partie de mon argumentation. Il s'agit ici de
8 l'interprétation qui a été adoptée dans le mémoire de l'accusation. Dans
9 la partie 4B de celui-ci, nous avançons que l'intention délictueuse, telle
10 qu'elle est définie à l'Article 4 du Statut, n'implique pas uniquement le
11 "dolus specialis". Cette position s'appuie sur une interprétation logique
12 et générale du Statut.
13 Cette approche, elle se retrouve dans l'Article 31 de la Convention de
14 Vienne, sur la loi des traités, donc le droit des traités, que l'on peut
15 appliquer ici par analogie. Et ceci est d'ailleurs confirmé par la
16 jurisprudence du Tribunal.
17 Examinons les trois approches.
18 L'approche contextuelle, je l'ai déjà abordée au début de mes remarques.
19 Le terme d'"intention" à l'Article 4 doit être interprété dans son
20 contexte qui est "avoir l'intention de détruire, en tout ou partie, un
21 groupe national, ethnique, racial, etc.". Donc c'est ce contexte qui
22 définit quel est l'état mental requis en ce qui concerne l'Article 4. Et
23 le fait que vous ayez les termes "détruire" et "groupe", "destruction" et
24 "groupe" fait que l'état mental de la personne en question est différent
25 de ce qui est requis pour d'autres crimes, jugés au niveau international.
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1 Deuxièmement, l'interprétation générale de l'Article 4 du Statut ne peut
2 pas être considérée comme uniquement un cas de "dolus specialis".
3 Je m'en réfère à l'opinion consultative de 1951, de la Cour internationale
4 de justice, sur les réserves à adopter en ce qui concerne la convention
5 sur le génocide. Je cite:
6 "La convention manifestement a été adoptée dans un objectif purement
7 humanitaire et pour renforcer les valeurs de la civilisation. Il est en
8 effet difficile d'imaginer une convention qui puisse présenter cet aspect
9 à un plus haut point que ce n'est le cas ici. Puisque son objectif, d'une
10 part, est de sauvegarder l'existence même de certains groupes d'hommes et
11 de femmes et, d'autre part, de confirmer et de renforcer, d'adopter les
12 principes de la morale les plus élémentaires. Dans une telle convention,
13 les Etats contractants n'ont aucun intérêt personnel; ils n'ont qu'un seul
14 et même intérêt commun, à savoir la réalisation des objectifs élevés,
15 dignes et nobles qui sont la raison d'être de la convention." Fin de
16 citation.
17 L'existence et la préservation de l'existence de groupes humains est peut-
18 être l'intérêt juridique le plus élevé qui puisse exister au niveau de la
19 justice internationale. Et nous avançons qu'interpréter l'Article 4 du
20 Statut en le limitant à un "dolus specialis" sape l'objectif recherché par
21 l'Article 4 et par la convention sur le génocide. Cela peut même avoir
22 pour conséquence de gravement limiter l'application de cette convention.
23 Troisièmement, nous avançons qu'une interprétation -en tant que telle- du
24 texte du terme d'"intention" à l'Article 4 montre que ce n'est pas ici
25 uniquement de "dolus specialis" qu'il s'agit.
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1 Le terme d'"intention" qui se retrouve dans des systèmes juridiques
2 nationaux ne correspond pas au terme de "dolus specialis". C'est le cas
3 aussi bien dans le système anglais que français ou qu'espagnol. Il ne
4 s'agit pas ici de l'interprétation qui était adoptée généralement.
5 Nous avançons que l'une quelconque de ces approches de cette
6 interprétation, et surtout si on les prend ensemble, montre qu'il ne
7 s'agit pas ici de "dolus specialis" dans l'Article 4. Mais nous avançons
8 donc que les catégories B et C, définies dans le paragraphe 4.9 du mémoire
9 du Procureur correspondent également à l'Article 4. Il n'est pas
10 nécessaire d'avoir recours à d'autres types d'interprétation pour arriver
11 à cette conclusion. Cette conclusion est tout à fait raisonnable. Elle
12 entre absolument dans le cadre du principe de "nullum crimen sine lege".
13 Si la Chambre estime qu'elle a recours à d'autres sources
14 d'interprétation, nous estimons quant à nous que de telles sources
15 juridiques doivent reconnaître la distinction qui existe entre la portée
16 de l'état mental et son niveau, pour pouvoir être pertinentes. D'autre
17 part, nous estimons que, si les sources utilisées ne présentent pas de
18 cohérence avec l'objectif de l'Article 4 de la convention sur le génocide,
19 on ne peut pas leur accorder le même poids, on ne peut pas les considérer
20 en tant que telles.
21 Je n'ai pas beaucoup de temps, donc je ne peux pas entrer dans l'analyse
22 de toutes les sources sur lesquelles nous nous sommes penchés, mais je
23 voudrais simplement vous renvoyer à l'Article 30 du Statut de la Cour
24 pénale internationale où l'on nous parle des éléments du crime de
25 génocide, et je voudrais vous renvoyer également au rapport final de la
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1 commission d'experts.
2 Nous nous sommes également appuyés sur les publications d'universitaires
3 de très haut niveau. Je pense, par exemple, au Pr Triffterer et au Pr Gil
4 Gil.
5 En conclusion, le jugement rendu par la Chambre de première instance
6 semble vouloir signifier que, seule une personne normale qui a un mobile
7 génocidaire et qui a la connaissance d'un plan de génocide peut entrer
8 dans le cadre de l'état mental requis au titre de l'Article 4.
9 Alors qu'en est-il du cynique, de l'exécuteur qui agit de façon délibérée,
10 et sans lequel il ne peut y avoir génocide?
11 La Chambre d'appel, à notre avis, ne doit pas donner un précédent
12 restrictif quant à l'application ou l'interprétation de l'état mental
13 défini à l'Article 4 qui ferait que l'exécutant délibéré et cynique
14 sortirait du champ prévu par le Statut et par la convention sur le
15 génocide. Il ne faut pas vider de tout son sens l'Article 4 du Statut et
16 la convention sur le génocide.
17 En résumé, quelles sont nos argumentations?
18 Premièrement, nous pensons qu'en ce qui concerne l'état mental de la
19 personne concernée, la Chambre peut considérer que cet état mental a un
20 caractère spécial ou particulier, à cause des termes de destruction et de
21 groupe qui figurent dans cet Article 4.
22 Deuxièmement, nous estimons que la Chambre ne doit pas abaisser la valeur
23 des critères d'état mental requis en ce qui concerne l'Article 4. Il faut
24 simplement prendre en compte prendre l'existence, dans cet article, des
25 deux termes de destruction et de groupe.
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1 Troisièmement, la Chambre doit considérer que les catégories B et C au
2 paragraphe 4.9 du mémoire de l'accusation entrent dans le cadre de l'état
3 mental requis par l'Article 4 du Statut, c'est-à-dire que les catégories B
4 et C, telles qu'elles sont présentées dans notre mémoire, sont telles que
5 je viens de vous les expliquer.
6 J'en ai terminé de mon intervention. Je suis prêt à répondre à vos
7 questions.
8 Mme Wald (interprétation): J'aimerais avoir une précision. Il y a
9 plusieurs experts sur le crime de génocide, et je suis sûr que vous les
10 connaissez très bien, et qui nous disent que la connaissance est
11 suffisante. Cela correspond à vos catégories B et C.
12 En d'autres termes, la connaissance du fait que les actes que l'on a
13 l'intention de commettre vont entraîner la destruction, tout ou partie
14 d'un groupe précis, ou bien c'est la catégorie C qui va plus loin avec les
15 conséquences probables. Est-ce vous adoptez ce point de vue, à savoir que
16 la connaissance des conséquences; les conséquences étant la destruction en
17 tout ou partie d'un groupe? Etes-vous donc d'avis que cette connaissance
18 est suffisante ou est-ce que vous vous ralliez à un autre groupe
19 d'experts, de commentateurs, qui estiment que, sur la base de ce niveau de
20 connaissances, on peut en déduire l'intention délictueuse?
21 M. Bergsmo (interprétation): Madame le Juge, l'accusation, ici, ne
22 présente pas une position à caractère général en ce qui concerne la
23 connaissance et l'état mental prévu et requis pour l'Article 4.
24 Nous avançons simplement que les catégories B et C, qui figurent au
25 paragraphe 4.9 de notre mémoire, montrent que la connaissance de la
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1 destruction suffit et que, pour la catégorie C, que pour quelqu'un qui
2 aide et encourage ces actes, la connaissance de la conséquence probable de
3 sa conduite et du fait que cela contribue à un génocide qui est en train
4 de se produire, est suffisant et dans le cas où le complice est conscient
5 du fait que ce qu'il fait s'inscrit dans le cadre d'un génocide déjà
6 existant.
7 Mme Wald (interprétation): Pour continuer sur ma question, je comprends
8 bien la nature de vos arguments et je vois bien que cela ne concerne pas
9 uniquement l'affaire qui nous intéresse ici. Ce que vous voulez nous dire,
10 c'est que si on n'éprouve aucune inimitié à l'égard d'un groupe
11 particulier, mais que si l'on savait que ce que l'on allait faire allait
12 entraîner la destruction de tout ou partie d'un groupe, donc vous avez là
13 quelqu'un de complètement neutre, qui agit pour des raisons tout à fait
14 différentes, pour prendre contrôle d'un territoire…, enfin quelqu'un à qui
15 le groupe est totalement indifférent mais quelqu'un qui sait bien que la
16 conséquence de ses actes va être la destruction de ce groupe, à ce moment-
17 là -d'après vous-, cette personne entrerait dans le cadre de votre
18 interprétation de l'Article 4 du Statut, le génocide?
19 M. Bergsmo (interprétation): Pas tout à fait. Vous employez le
20 conditionnel. Or, si vous examinez la catégorie B, vous n'avez aucun
21 conditionnel, aucune probabilité. C'est un niveau de preuve qui est
22 supérieur à celui qui figure dans le Statut de la Cour pénale
23 internationale. Il s'agit de la connaissance du résultat de ces actions.
24 Mme Wald (interprétation): Mais vous dites que, en ce qui concerne B et C,
25 il n'est nul besoin que la personne éprouve une haine ou une inimitié
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1 particulière vis-à-vis du groupe concerné.
2 M. Bergsmo (interprétation): Nous estimons, quant à nous, qu'en ce qui
3 concerne les catégories B et C, il n'est pas nécessaire qu'il y ait un
4 désir d'obtenir le résultat qui va se produire.
5 M. le Président (interprétation): Monsieur Bergsmo, j'aimerais vous poser
6 une question. Vos arguments découlent de la référence faite par la Chambre
7 de première instance au concept de "dolus specialis", est-ce exact?
8 M. Bergsmo (interprétation); Oui.
9 M. le Président (interprétation): Fort bien. Est-ce que je dois en
10 conclure que ce terme s'applique à l'état mental ou intention délictueuse
11 de l'accusé, et l'examine à un degré très élevé, examine à un degré très
12 élevé la question de son intention de sa volonté?
13 M. Bergsmo (interprétation): Je ne peux répondre que par l'affirmative à
14 la deuxième partie de votre question. Nous estimons, effectivement, que ce
15 qui donne un aspect spécial à cette condition reprise à l'Article 4, ce
16 n'est pas le degré requis ou la qualité de l'intention mais le fait qu'il
17 y a eu destruction.
18 M. le Président (interprétation): J'en suis conscient, mais je parle de
19 façon théorique, abstraite, et sans faire référence particulièrement au
20 libellé du Statut.
21 Est-ce que qu'en règle générale, le "dolus specialis" relève de ou
22 s'applique à l'intention délictueuse de l'accusé? Est-ce que le "dolus
23 specialis" examine un aspect à un degré très élevé?
24 M. Bergsmo (interprétation): Oui, ceci a trait l'intention délictueuse de
25 l'accusé. Vous verrez le chapitre 4B et vous verrez là que nous parlons du
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1 "dolus specialis" comment étant un désir conscient ou du fait d'avoir ce
2 désir conscient.
3 Quant à savoir si cela représente un degré très élevé d'intention
4 délictueuse, cela ce n'est pas clair. Je ne pense pas qu'il y ait une
5 définition généralement acceptée en droit pénal de ce "dolus specialis".
6 Il n'y a pas non plus de principe général du droit qui soit appuyé dans
7 les systèmes nationaux ou dans les grandes traditions juridiques. Il n'y a
8 pas là de déclaration ou de définition particulièrement précise du "dolus
9 specialis". J'utilise la version anglaise de "désir conscient" et, là,
10 nous montrons qu'il y a une composante de volonté.
11 M. le Président (interprétation): Est-ce que l'on pourrait lire le
12 jugement rendu de cette façon? La Chambre de première instance a fait
13 référence au concept de "dolus specialis". Cependant, si l'on examine la
14 question dans son contexte, est-ce que la Chambre pensait à l'intention
15 délictueuse de celui qui agissait ou est-ce que, plutôt, elle pensait à
16 l'intention au regard d'actes spécifiquement prohibés? Est-ce que l'on
17 peut faire une distinction entre deux choses, à savoir une intention
18 spécifique, au sens où c'est une intention d'exécuter des actes qui sont
19 spécifiquement prohibés? Ou est-ce une intention comme étant un état
20 d'esprit, une intention délictueuse particulière?
21 M. Bergsmo (interprétation): Oui, ce sont là les deux aspects que nous
22 considérés en matière d'intention délictueuse. Vous voulez laisser
23 entendre que, s'agissant du génocide, de la conduite génocidaire de
24 l'"actus reus", s'il doit avoir cette composante cognitive et délibérée.
25 Alors que si l'on parle de l'intention qui a présidé à la destruction d'un
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1 groupe, il n'y aurait, de l'avis de l'accusation, que l'aspect cognitif.
2 Si l'on applique le terme de "dolus specialis" comme signifiant le désir
3 conscient, cela veut dire qu'il y a le souhait, le désir, la volonté, mais
4 que cet aspect ne se rapporte qu'au fait de provoquer la destruction
5 totale ou partielle d'un groupe. Et comme je l'ai déjà dit, l'accusation a
6 le sentiment qu'en réalité, puisque l'on ne parle que d'un seul et même
7 esprit, que d'une seule et même intention délictueuse de l'accusé, les
8 différentes composantes de celle-ci vont se confondre pour ne devenir
9 qu'une.
10 M. le Président (interprétation): Monsieur Clegg, ou son prédécesseur à ce
11 poste, a relevé, je pense, que ce terme n'apparaissait qu'une seule fois
12 dans le jugement.
13 Comment répondriez-vous à la question suivante?
14 Pourrait-on lire le jugement de la façon suivante: qu'une Chambre de
15 première instance, lorsqu'elle a fait référence au concept de "dolus
16 specialis", en fait, faisait référence à une intention spécifique qui
17 était de commettre ces actes expressément prohibés et ne faisait pas
18 référence à un état d'intention particulier?
19 M. Bergsmo (interprétation): L'accusation a le sentiment qu'une intention
20 spécifique de commettre certains actes est une manifestation de l'esprit
21 de l'accusé. Si la Chambre de première instance a recours au terme de
22 "dolus specialis" pour décrire le fait que l'accusé devait avoir commis ce
23 "actus rius" avec la volonté d'agir et si la Chambre de première instance
24 ne demande pas qu'il y ait un désir, désir conscient, s'agissant de la
25 volonté d'avoir comme résultat la destruction, il semblerait que la
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1 Chambre de première instance avait un avis conforme à celui de
2 l'accusation.
3 M. le Président (interprétation): Je vous remercie. C'est tout ce que je
4 voulais vous demander.
5 M. Bergsmo (interprétation): Je vais passer la parole à M. Geoffrey Nice
6 qui va vous présenter les autres aspects contenus au chapitre 4 du mémoire
7 du Procureur.
8 M. Nice (interprétation): J'ai demandé qu'on mette à votre disposition,
9 pour entendre mon argumentaire, non seulement le jugement de la Chambre de
10 première instance mais aussi l'annexe que nous avions apposée à notre
11 mémoire. Ce n'est pas là la façon coutumière de présenter les documents en
12 public, mais je voudrais être conscient des initiales accordées aux
13 témoins qui ont comparu à huis clos. Et je voudrais pouvoir vous renvoyer
14 à ces références plus facilement.
15 Aujourd'hui, j'ai pour tâche de parler du degré nécessaire qu'il faut
16 apporter aux faits ou aux moyens de preuve à présenter au cours du procès.
17 Si je formule la chose de la façon dont je l'ai fait, c'est bien
18 évidemment que tous ces arguments sont sans préjudice de nos arguments de
19 base, à savoir que les procédures du procès exigent en fait qu'il y ait
20 nouveau procès. Nous ne connaissons pas, bien sûr, la décision que prendra
21 la Chambre d'appel. Nous vous soumettons dès lors les arguments qui sont
22 susceptibles de vous assister dans votre prise de décision.
23 La Chambre va peut-être penser qu'il est utile non seulement d'examiner
24 les moyens de preuve présentés lors du procès, mais qu'il faut également
25 s'attacher aux processus utilisés par la Chambre de première instance pour
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1 entendre les moyens de preuve. Car s'il est clair qu'il y a eu faille dans
2 cette procédure, qu'il y a eu vice de procédure. Plus la procédure est
3 viciée, moindre sera le poids que cette Chambre devra accorder à la
4 décision prise en première instance. Et plus il sera impossible, à notre
5 avis, de maintenir la décision du jugement en première instance.
6 Nous l'avons vu, vous savez, ce sont des affaires qui passent d'un avocat
7 à l'autre. Moi, je suis ici pour assurer une certaine continuité car, même
8 si je n'ai pas été le premier avocat en jugement, puisque c'était d'abord
9 Terry Bals qui avait été assigné, et puis il y avait moi-même qui suis
10 intervenu en présence et en compagnie de M. Vladimir Tochilovsky, jusqu'à
11 la fin du procès. J'espère que ceci me donnera l'occasion de vous apporter
12 assistance face aux griefs soulevés par l'accusé, s'agissant du
13 comportement affiché par la Chambre de première instance. Nous verrons si
14 ces griefs peuvent être maintenus.
15 Toutefois, à ce stade de l'audience, permettez-moi de rappeler quelque
16 chose qui était sans doute évident pour la Chambre elle-même. A savoir que
17 si, et dans la mesure où nous avons des documents montrant que la Chambre
18 de première instance était par trop préoccupée des questions de
19 calendrier, comme ceci apparaît clairement dans les griefs de la défense,
20 eh bien, ceci ne fait que soutenir et corroborer les inquiétudes que nous
21 avions. Car nous pensons qu'il y a eu un écourtement inapproprié et erroné
22 de la procédure de jugement.
23 Si vous examinez des affaires de ce type, vous savez qu'il y a en général
24 des catégories de moyens de preuve qui sont présentées. On peut dire, de
25 façon générale, qu'on essaie de savoir ce qui s'est fait de façon générale
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1 et cela peut comprendre les actes commis par l'accusé. Puis, vous allez
2 vous intéresser aux moyens de preuve montrant ce que l'accusé lui-même
3 aurait fait. Et enfin, vous allez vous intéresser aux moyens de preuve
4 concernant son intention délictueuse, son état d'esprit.
5 En l'espèce, il y avait une quantité considérable de documents afférents à
6 chacune des trois catégories. Et le fait même qu'il y ait une quantité
7 aussi impressionnante de documents, le côté clair et percutant de ces
8 moyens de preuve était tel que ce procès devait nécessairement être le
9 procès d'une personne qui était un exécutant, certes à un faible niveau,
10 mais exécutant quand même délibéré, qui devait faire l'objet d'un procès
11 de génocide.
12 Car, lorsque vous avez un tel accusé, il aurait été difficile d'apporter
13 des moyens de preuve plus précis. La décision de porter l'accusation de
14 génocide a été prise par Mme Arbour, le Procureur d'alors, et soumis à
15 cette Chambre; elle a été confirmée par une Chambre de première instance
16 au vu des moyens de preuve proposés. Et beaucoup de Juges, beaucoup
17 d'avocats se seraient sans doute réjouis de pouvoir discuter des faits et
18 du droit applicable en l'espèce, même si cet intérêt seul ne justifiait
19 pas nécessairement de porter au rôle du Tribunal une telle affaire.
20 Mais je reprends ici les conclusions de mes remarques liminaires. Les
21 survivants, ceux qui ont souffert des événements qui se sont produits à
22 Brcko, qui ont peut-être utilisé le terme de génocide pour décrire les
23 souffrances qu'ils ont subies, ces victimes, ces survivants avaient et ont
24 toujours un intérêt légitime, ont des attentes tout aussi légitimes à voir
25 un procès qui se tienne en bonne et due forme.
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1 Nous allons maintenant parler des faits. J'ai déjà souligné leur
2 importance et, à ce stade de la procédure, la Chambre voudra garder à
3 l'esprit ceci: lorsqu'il est devenu clair que la Chambre de première
4 instance était sur le point de se prononcer de façon définitive,
5 l'accusation a mis en garde la Chambre, par voie de requête déposée le 15
6 octobre 1999, pour alerter la Chambre des difficultés auxquelles
7 l'accusation faisait face.
8 Je ne sais pas si la Chambre a eu l'occasion d'examiner cette requête,
9 mais je peux vous en résumer les effets. Parce que cette requête ne se
10 contentait pas seulement de rappeler que l'Article 98bis était un article
11 nouveau, que l'accusation n'avait pas du tout été informée des inquiétudes
12 qu'avait la Chambre, et que l'accusation avait parlé de la nécessité de
13 présenter des arguments et du fait que l'accusation n'était pas complète.
14 M. le Président (interprétation): Vous vous basez sur quelle branche de
15 vos arguments?
16 M. Nice (interprétation): Je suis encore à mes questions liminaires ou à
17 ma présentation liminaire. Je vais répéter ce que je disais, parce que je
18 n'ai peut-être pas été suffisamment clair.
19 M. le Président (interprétation): Si je vous pose cette question, c'est
20 parce que j'ai reçu cette espèce de structure, ce plan qui nous a été
21 remis ce matin par M. Yapa et vous étiez censé parler des moyens de preuve
22 relatifs à l'intention génocidaire de M. Jelisic.
23 M. Nice (interprétation): Oui, je suis censé le faire mais j'espère
24 pouvoir ratisser un peu plus large, parce que je parle des faits et de la
25 façon dont ces faits ont été examinés de façon générale.
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1 J'espère que les raisons pour lesquelles je le fais deviendront claires,
2 parce que la Chambre doit examiner les moyens de preuve, mais la façon
3 dont ils ont été présentés, parce que, à mon avis, la démarche était
4 viciée, vue la démarche adoptée par la Chambre de première instance.
5 Je reviens à cette requête déposée par l'accusation, le 15 octobre 1999.
6 Ne connaissant pas les inquiétudes de la Chambre de première instance,
7 mais devant faire de notre mieux pour essayer d'évaluer les intentions
8 éventuelles de la Chambre, l'accusation a rappelé qu'il y avait ce
9 critère, pas seulement du fait d'être convaincu au-delà de tout doute
10 raisonnable -ce que nous avons rappelé dans notre requête du 15 octobre-
11 nous avons également dit qu'il n'y avait pas lieu de faire distinction
12 entre le niveau d'un participant et la chaîne hiérarchique pour faire une
13 distinction entre ceux qui étaient susceptibles d'être accusés de génocide
14 ou pas.
15 On a fait référence à l'affaire Nikolic dont est saisi ce Tribunal, et
16 nous avons rappelé à la Chambre la question de la complicité au génocide
17 qui se retrouve dans l'argument de l'accusation puisque, là, il y avait un
18 lien avec la complicité de l'accusé.
19 Il y avait donc cette mise en garde et la Chambre devait le savoir, devait
20 en être informée lorsqu'elle a pris la décision qu'elle a prise. Nous
21 avions dit que nous n'avions pas terminé la présentation de nos moyens à
22 charge.
23 Venons-en à ce qui s'est passé dans les faits. Puis nous allons examiner
24 certains des moyens de preuve présentés. Nous disons que la Chambre n'a
25 pas appliqué le bon critère pour ce qui est de la validité des moyens de
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1 preuve. Lorsque l'on examine ces derniers, vous verrez que, dans certains
2 cas, la conclusion est inévitable. Celle que nous tirons s'impose.
3 On ne peut pas dire qu'il doit y avoir classement de l'affaire parce qu'il
4 n'y a tout simplement pas eu de moyens de preuves présentés. S'il y a eu
5 un vol de routine, on n'a pas nécessairement la preuve que l'accusé est le
6 voleur. Peu importe comment le juge va décrire le test ou le critère qu'il
7 va appliquer, de toute façon, il n'y a pas eu de preuve selon laquelle cet
8 homme serait le cambrioleur.
9 Ce n'est pas le cas, en l'espèce, parce que nous avons soumis beaucoup de
10 documents qui pourraient, certes, être interprétés d'une façon ou d'une
11 autre. Mais, de toute façon, quelle que soit la démarche du Tribunal, si
12 celui-ci se comportait de façon correcte, il devait conclure et il devait
13 arriver aux conclusions suggérées par l'accusation.
14 Et j'espère pouvoir vous convaincre, ici, que la Chambre a manifestement
15 utilisé le mauvais critère, le mauvais test.
16 M. le Président (interprétation): Monsieur Nice, vous revenez sur des
17 éléments déjà abordés par les intervenants précédents, était-ce là votre
18 intention?
19 M. Nice (interprétation): Non, ce n'était pas le cas mais je passe à autre
20 chose et j'espère que vous m'autoriserez à faire valoir ceci, à prononcer
21 cette remarque. Parce que j'ai bien entendu ce que disait le Juge Wald,
22 qui montrait la différence entre un procès par jury ou par juge. Est-ce
23 que le test, le critère devrait être celui reconnu par ce Tribunal?
24 Je me permets de rappeler aux Juges ceci. Ceci ne vaut pas que pour les
25 juridictions inférieures, même lorsqu'il ne s'agit pas d'affaires au
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1 pénal, comme c'est le cas au Royaume-Uni. Je n'ai pas pu confirmer si
2 c'est le cas aussi au Cameroun, où vous avez des juges seuls qui sont
3 saisis de procès au pénal mais, en général, la Chambre n'accepte pas
4 d'arguments d'insuffisance si on a décidé de ne pas appeler le témoin à la
5 barre.
6 Pour dire qu'il y a insuffisance d'arguments, cela voudrait dire que les
7 Juges risquent de faire un jugement de façon prématurée, et risquent de
8 s'engager sur un voie sur laquelle ils ne peuvent plus faire marche
9 arrière.
10 Les moyens de preuves présentés à la Chambre, et sous réserve d'une autre
11 remarque que je voudrais faire, j'arrive au cœur de mon argument, les
12 moyens de preuve présentées devant la Chambre et sur lesquels celle-ci
13 s'est appuyée n'ont pas inclus des moyens de preuves sur lesquels ils ont
14 souhaité s'appuyer par la suite, au moment de rédiger leur jugement.
15 Rappelez-vous, Madame et Messieurs les Juges, le fait que la Chambre a
16 beaucoup insisté sur les éléments de preuve d'ordre psychiatrique. Or, ces
17 moyens de preuve n'avaient pas été présentés comme tel, comme moyens de
18 preuve à la Chambre, du moins au moment où la Chambre a rendu son prononcé
19 oral. Ces moyens de preuve n'ont été soumis à la Chambre qu'au moment de
20 la détermination de la peine, phase qui était de loin ultérieure à la
21 précédente.
22 Il était donc erroné que la Chambre incorpore ce moyen de preuve dans les
23 moyens de preuves sur lesquels elle a basé sa décision en matière de
24 génocide.
25 De plus, même au moment où la Chambre a reçu ces moyens de preuve, elle ne
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1 les avait pas reçus en tant que moyens relevant du sujet sur lequel la
2 Chambre s'est basée, pas du tout. Ces moyens de preuve ne disaient rien
3 quant à l'accusé, quant à son intention, son état d'esprit, au moment de
4 la commission de ces tueries dont il s'est rendu coupable. On parlait
5 d'autre chose: sa capacité à comparaître au procès, s'agissant de l'accusé
6 et, dans une mesure plus limitée, du risque qu'il peut représenter à
7 l'avenir.
8 Puisque nous sommes en train d'examiner les moyens de preuve, j'aimerais à
9 votre intention, Madame et Messieurs les Juges, mais aussi à notre
10 intention à tous, opérer une distinction entre cet exercice qu'il vous
11 semblera peut-être nécessaire de faire, et l'exercice qu'aurait dû mener à
12 bien la Chambre de première instance, si elle avait été disposée à
13 entendre les inquiétudes que nous avions.
14 Nous parlons, ici, de la question de l'insuffisance de preuves, à la fin
15 de la présentation des moyens à charge.
16 Il y a trois parties dans un procès. Il y a les Juges, les deux parties,
17 qui ont une expérience directe des moyens de preuve et ils peuvent se
18 remémorer cette expérience. Ceux d'entre nous qui sont expérimentés dans
19 ce genre de procès savent que le fait d'argumenter va raviver le souvenir
20 qu'on a des moyens de preuve, et va stimuler d'abord chez la partie
21 adverse des contre-arguments et, très souvent, peut-être, vont soulever
22 des questions dans les Juges neutres, les Juges vont alors soulever ce
23 type de problèmes sous forme de questions.
24 Mais c'est un processus qui donne un caractère tridimensionnel aux moyens
25 de preuve présentés. Ici, malheureusement, tout au plus, et je crois que
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1 si quelqu'un avait pris la peine de lire la totalité des comptes-rendus
2 d'audience, on pourrait dire malheureusement que l'évaluation réalisée par
3 les Juges est bi-dimensionnelle, puisque vous, Madame et Messieurs les
4 Juges, vous n'auriez pas la possibilité de raviver, de façon directe, des
5 souvenirs que vous auriez pu avoir de ce qu'ont dit les témoins, puisque
6 tout cela n'a pu se faire que pour les déclarations écrites des témoins.
7 Le processus est donc tout à fait différent du processus qui aurait dû
8 être adopté en première instance.
9 Lorsque l'on avance l'argument de la suffisance ou de l'insuffisance, et
10 lorsque c'est une Chambre de première instance qui s'en charge, les
11 délibérations de la Chambre et les différents arguments y afférents
12 doivent être mis à la disposition de la Chambre d'appel qui doit pouvoir
13 les examiner. La Chambre d'appel pourra voir ce que la Chambre de première
14 instance a pris en compte sous forme de moyens de preuve ou sous forme
15 d'arguments.
16 Et puis, bien sûr dans le cadre des limites qui lui sont imposées, la
17 Chambre d'appel peut procéder à un examen. Ici, la Chambre d'appel n'a
18 disposé d'aucun matériel de cet ordre; elle ne dispose que du jugement. Et
19 c'est dans ce jugement que je voudrais vous demander de consulter le texte
20 ainsi que l'annexe à notre mémoire.
21 Dans la version anglaise du jugement, à la page 20, version anglaise,
22 paragraphe 65, vous vous en souviendrez, la Chambre de première instance a
23 dit que les éléments matériels du crime de génocide avaient été prouvés.
24 Il n'est donc pas nécessaire de vous importuner sur ce fait.
25 Dans la même veine, à la page 24 de version anglaise, paragraphe 77, la
Page 89
1 Chambre de première instance a estimé que l'intention discriminatoire
2 avait été établie. Inutile, là aussi, de vous importuner davantage.
3 Pour ce qui est des autres pages, vous le savez, Monsieur le Président,
4 Madame et Messieurs les Juges, nous avons présenté sous forme narrative
5 les arguments dans notre mémoire; je ne vais donc pas les répéter et vous
6 importuner. Je sais de toute façon que vous en avez déjà pris
7 connaissance. Je préfère vous faire parcourir les autres paragraphes du
8 jugement, car ce sont ceux-là qui comptent. J'aimerais faire quelques
9 remarques suite aux affirmations qu'a fait la Chambre de première instance
10 et je voudrais vous faire parcourir aussi, grâce à l'annexe A de notre
11 mémoire, certains des moyens de preuve qui ont été, de façon patente,
12 ignorés par la Chambre de première instance.
13 Nous allons commencer par la page 24, dans la rubrique générale de
14 "l'intention de détruire, en tout ou partie, le groupe en tant que tel".
15 Tout d'abord, j'aimerais que vous examiniez la page 26 en version
16 anglaise, pour faire une remarque sur les moyens de preuve. C'est vers le
17 bas de la page, à la fin du paragraphe, page 29 en français.
18 La Chambre y dit que l'intention génocidaire peut donc s'exprimer sous
19 deux formes: elle peut consister à vouloir l'extermination d'un nombre
20 très élevé de membres du groupe. Nous serions alors dans l'hypothèse d'une
21 volonté de destruction massive du groupe. Elle peut cependant aussi
22 consister à rechercher la destruction d'un nombre plus limité de
23 personnes, celles-ci étant sélectionnées en raison de l'impact qu'aurait
24 leur disparition pour la survie du groupe comme tel. Il s'agirait, dans
25 cette hypothèse, d'une volonté de destruction "sélective du groupe. Le
Page 90
1 Procureur n'a pas véritablement tranché entre ces deux approches". Fin de
2 citation.
3 Si cette question avait été soulevée, la réponse aurait été celle-ci:
4 c'est que les deux options, les deux approches étaient possibles en
5 matière d'administration de la peine, parce qu'il y a les deux grandes
6 proportions et puis le fait d'être tué. Mais, de toute façon, la structure
7 consistant à commettre des crimes de façon sélective s'est révélée.
8 Si nous tournons maintenant plusieurs pages pour atteindre la page 29 du
9 Jugement, nous y trouvons trois paragraphes -les paragraphes 91, 92 et 93-
10 où il est question de listes. Et il est possible mais difficile de le dire
11 avec certitude, car aucun argument n'a permis de l'expliquer, il est donc
12 possible qu'une confusion fondamentale ait été commise par la Chambre de
13 première instance quant à la liste à laquelle elle s'intéressait. C'est
14 une interprétation possible de la lecture de ces paragraphes.
15 Et j'aimerais, si vous le permettez, vous expliquer la situation des
16 éléments de preuve. Ils ont été nombreux -nous y viendrons dans quelques
17 instants-, nombreux à se présenter sous forme de listes, de petits
18 morceaux de papier sur lesquels des noms étaient inscrits et ces papiers
19 ont été donnés ou remis à l'accusé et à d'autres personnes, selon les
20 témoins. Ces listes comportaient les noms de personnes qui devaient être
21 traitées, mais en réalité tuées.
22 D'autres listes sont des listes sur lesquelles figuraient les noms de
23 personnes dont les corps ont été retrouvés dans des fosses communes. Deux
24 cents noms et davantage, fournis par les autorités, dont cent
25 correspondent à des personnes qui ont pu être identifiées. Il y avait
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1 notamment une liste comportant trente-neuf noms, fournie par une
2 personnalité au pouvoir au sein de la communauté et ces noms sont
3 forcément les noms de personnes importantes qu'il était satisfaisant pour
4 quelqu'un de voir disparaître, qu'il était donc devenu nécessaire de tuer.
5 Il y avait aussi une liste plus longue, élaborée par…, sur laquelle on
6 trouve les noms de dirigeants musulmans de la municipalité, dont une
7 grande proportion -la moitié à peu près- ont été tués; l'autre moitié
8 ayant réussi à s'enfuir, selon les témoignages entendus par la Chambre.
9 Et dans ces listes, les trente-neuf noms et les cents noms des personnes
10 dont les corps ont été trouvés dans des fosses communes, il y a certains
11 noms qui correspondent à des personnes qui, selon les témoins entendus et
12 de l'aveu même de l'accusé, ont été tuées par l'accusé.
13 Donc ces listes sont tout à fait différentes par leur nature. Les listes
14 sur lesquelles figurent les noms de dirigeants importants de la communauté
15 musulmane, cette liste est une liste pour laquelle il était prévu de tuer
16 les personnes dont les noms figuraient sur le papier. Quant à l'autre,
17 celle dont l'accusé a parlé lors de son interrogatoire par les enquêteurs
18 du Tribunal et dont ont parlé également d'autres témoins, était des listes
19 qui leur étaient fournies à l'époque pour commettre un certain nombre
20 d'actes qui ont été commis.
21 Donc si on n'a pas l'image globale en tête et si l'on n'établit pas cette
22 distinction, on risque de commettre une erreur.
23 Regardons par exemple les paragraphes 91 à 93 du Jugement. Nous y voyons
24 que la raison pour laquelle ces listes ont été établies n'est peut-être
25 pas tout à fait claire, qu'il n'est pas établi que l'accusé s'est fondé
Page 92
1 sur ces listes pour procéder aux exécutions. Et il est question de Jelisic
2 qui, apparemment, choisissait les noms de personnes au hasard sur la
3 liste. Il n'y a aucun élément de preuve et il n'est donc pas établi. Et là
4 encore, je rappelle que la Chambre d'appel estimera peut-être que
5 l'utilisation du terme "établi" correspond aux dires de l'accusation selon
6 laquelle la Chambre de première instance appliquait le critère de la
7 preuve au-delà de tout doute raisonnable plutôt que de se prononcer sur
8 l'absence matérielle de preuves permettant l'établissement de la
9 culpabilité.
10 J'espère ne pas avoir à rappeler cet argument, car il me paraît tout à
11 fait évident, mais il est récurrent dans les propos de l'accusation.
12 Quoi qu'il en soit les listes, vues par le témoin K ou d'autres témoins,
13 correspondent aux dires de l'accusation. Par conséquent, il est impossible
14 de conclure au-delà de tout doute raisonnable que le choix des victimes
15 répondait à une logique précise, qui se donnait pour objectif de détruire
16 les personnalités les plus importantes de la communauté musulmane.
17 Le même argument peut être utilisé s'agissant de la preuve.
18 J'aimerais à présent orienter la Chambre d'appel vers le texte de
19 l'annexe, page 21 en anglais. Je ne vais pas faire de nombreuses
20 citations, je vais simplement vous citer un certain nombre de références à
21 titre d'information; cela vous aidera dans votre tâche. J'estime pour ma
22 part que j'aurais accompli la mienne.
23 Donc, page 29 d'abord. Il est question des listes.
24 Vous constaterez, après avoir entendu ce que je viens de dire, que la
25 préparation de l'ordre de présentation des éléments de preuve a toujours
Page 93
1 été très utile pour la Chambre de première instance. Donc nous avons prévu
2 de vous dire dans quel ordre nous présentons les éléments de notre
3 argumentation et nous le ferons un peu plus tard.
4 C'est le premier point que j'espérais vous soumettre, Madame et Messieurs
5 les Juges, pour vous aider dans votre travail.
6 Un autre point important, c'est que l'accusé, dans ce procès, a répondu de
7 façon très précise dans les interrogatoires qu'il a subis et que ce
8 faisant, il a fourni des éléments de preuve à charge, qui désormais
9 constituent des faits jugés par le Tribunal.
10 La Chambre de première instance, en revanche, semble ne pas en avoir tenu
11 grand compte. Page 29 de l'annexe, nous y trouvons des extraits d'un
12 compte rendu d'interrogatoire; par exemple, où l'accusé déclare en page 8,
13 et j'irai aussi vite que je peux "qu'une liste lui a été remise. Sur cette
14 liste figuraient les noms de personnalités importantes. C'est la seule
15 façon de les décrire" dit-il. Rien ne pouvait être plus clair que le fait
16 que, grâce à cette liste, ces personnalités importantes étaient prises
17 pour cibles.
18 Page 17, à présent, traitant des personnes qu'il a tuées les premières,
19 dans deux sites, et c'est une certitude, le poste de police et ensuite le
20 camp de Luka, il dit que "au poste de police, il s'agissait des personnes
21 détenues dans la cellule 13", et il poursuit en disant ceci: "Ces
22 personnes avaient leur nom sur leur liste parce que…", il l'avait dit, des
23 listes lui avaient été données avant même d'être recruté, avant même que
24 le conflit ne commence.
25 Page 22, "99% des personnes dont les noms figuraient sur les listes que
Page 94
1 j'ai vues étaient musulmanes".
2 Page 47, "il s'agissait d'une liste sur laquelle figuraient les noms de
3 prisonniers musulmans". A la fin, il dit que c'est la cellule de crise qui
4 a élaboré cette liste. Donc c'était une liste venant du cœur du pouvoir.
5 Page 49, interrogé au sujet de la liste, l'accusé répond que: "un maximum
6 de Musulmans devaient être tués car la ville devait devenir une ville
7 serbe".
8 Page suivante, et ensuite je laisserai la Chambre d'appel examiner ces
9 documents par elle-même, car je ne tiens pas abuser du temps qui m'est
10 imparti, mais il n'y a aucun doute quant au fait que les listes remises à
11 l'accusé l'étaient dans un but bien précis.
12 Si vous lisez ce qui figure en page 31, vous voyez que ce n'est pas
13 l'accusé seul qui a parlé de ces listes, mais d'autres également. Le
14 témoin H, et de nombreux témoins auxquels avait été accordé… Il faut
15 savoir que de nombreux témoins se voient accorder un pseudonyme et que,
16 seuls, quelques rares témoins s'expriment en public. En tout cas, le
17 témoin H a pu reconnaître 20 personnes dont les noms figurent sur ces
18 listes. Il a déclaré que toutes ces personnes étaient bosniennes.
19 Un autre témoin, mentionné en bas de page, je ne donnerai pas son nom, je
20 ne voudrais pas qu'il puisse être possible de l'identifier, mais la
21 Chambre verra ce qu'a dit ce témoin à cet endroit de l'annexe.
22 Page 33, un autre témoin. Encore une fois, je ne le nomme pas. Deuxième
23 témoin, à partir du bas, traite de ces listes. Avec tout le respect que
24 nous devons à la Chambre d'appel, la conclusion du paragraphe 93, à notre
25 avis, ne peut pas être défendable. Quel que soit le critère appliqué, il
Page 95
1 est impossible de conclure au-delà de tout doute raisonnable qu'aucun
2 élément de preuve n'existait prouvant les faits avancés par l'accusation.
3 De quelque manière que nous interprétions ces propos, le choix des
4 victimes répondait à une logique de destruction destinée à détruire les
5 personnalités les plus importantes de la communauté musulmane. Des efforts
6 importants ont été accomplis dans ce sens sur le plan matériel; ce qui
7 confirme nos dires.
8 Je compulse mes tableaux, Monsieur le Président. J'ai un peu perdu le fil
9 dans mes papiers, c'est regrettable.
10 Page 21, des tableaux qui vous ont été remis, Madame, Messieurs les Juges,
11 vous y découvrirez les premiers éléments d'une catégorie d'éléments de
12 preuve intitulée comme "personnalités musulmanes les plus importantes", et
13 cette même catégorie se poursuit dans nos tableaux jusqu'à la page 28.
14 Si vous regardez les réponses apportées par l'accusé lors de
15 l'interrogatoire au milieu de cette même page, il commence par identifier
16 les victimes en parlant du rôle qui était le leur dans les rangs du parti
17 musulman et, en bas de page, il dit de quelle façon on sélectionnait les
18 gens.
19 Page suivante, il dit: "Ils étaient choisis par qu'ils occupaient un rang
20 élevé au sein du SDA ou dans la hiérarchie" et ces propos se poursuivent
21 tout au long de la page.
22 Page 32, nous trouvons les propos du témoin dont il a été question et, au
23 milieu de la page, son argument est présenté. C'est un élément de preuve
24 tout à fait manifeste de la part de quelqu'un qui n'avait aucune raison de
25 présenter les choses sous un jour erroné ou de mentir. Ce que cette femme
Page 96
1 a vu et qui constitue un élément de preuve, c'est que les Musulmans les
2 plus importants ont été sélectionnés. Je crois que ce sera intéressant
3 pour la Chambre.
4 J'appelle encore l'attention des Juges sur un autre passage. Oui, page 27.
5 Où il est dit que la liste comportait les noms de personnalités
6 importantes.
7 Donc à notre avis, le contenu de l'Article 83 est totalement fautif,
8 erroné. Au paragraphe 94, nous voyons une mention du fait que des
9 personnes ont été remises en liberté, à de nombreuses reprises, le jour
10 même de leur arrivée.
11 Les Juges constateront, à la lecture des tableaux que, dans la colonne de
12 droite, on trouve une mention signalant si, oui ou non, les éléments de
13 preuve existants ont été pris en compte dans le jugement prononcé par la
14 Chambre de première instance.
15 Page 11 et 12 de ce document, vous constaterez, Madame et Messieurs les
16 Juges, s'agissant du témoignage du témoin A, un témoin à qui un pseudonyme
17 avait été octroyé mais dont le témoignage s'est fait en public; donc en
18 bas de page, ce témoin déclare ce qui suit: "En dépit des laissez-passer
19 délivrés par la police, ces laissez-passer n'étaient que la source d'un
20 faux espoir pour les personnes qui les recevaient. En effet, ces personnes
21 rentraient chez elles et, le lendemain, on les ramenait. Ou bien, comme
22 des personnes qui les ont ramenées chez elles l'ont raconté par la suite,
23 on les libérait le matin et on les tuait le soir chez elles, dans leur
24 maison ou dans leur appartement". Fin de citation.
25 Eh bien, cet élément de preuve qui figure dans nos tableaux a simplement
Page 97
1 était laissé de côté par les Juges de la Chambre de première instance,
2 alors que cela constitue un élément de preuve tout à fait important
3 permettant de comprendre ce qui était à la base de la remise en liberté
4 apparente ou réelle de ces personnes.
5 Donc le paragraphe 94 est erroné et fautif dans son contenu. Des éléments
6 de preuve présentant des arguments tout à fait opposés n'ont pas été pris
7 en compte.
8 Paragraphe 95, il y est question d'un argument qui n'a pas été établi au-
9 delà de tout doute raisonnable, à savoir si, oui ou non, l'accusé a tué
10 sous les ordres d'un supérieur dans le camp de Luka. Il semble qu'il se
11 présentait comme le commandant du camp de Luka. On pensait qu'il était le
12 chef ou, en tout cas, une personne détenant un certain pouvoir parce qu'il
13 donnait des ordres aux soldats du camp qui avaient apparemment peur de
14 lui.
15 Eh bien, si nous avions eu la possibilité d'examiner cet argument, il
16 apparaîtrait de façon tout à fait claire, avec examen de tous les éléments
17 de preuve y afférents, y compris les réponses de l'accusé aux
18 interrogatoires, qu'il a fait ce qu'il a fait, y compris l'acte de tuer,
19 en application d'un plan global. Ce que montre y compris les listes dont
20 je viens de parler et que la Chambre de première instance semble ne pas
21 avoir considérées comme importantes.
22 En tout état de cause, la question de savoir s'il a tué toutes ces
23 victimes ou certaines d'entre elles en application d'ordres n'est pas
24 déterminant. Car, premièrement, l'important est de prouver l'existence ou
25 pas d'un meurtre de masse et, deuxièmement, parce que les acteurs d'un
Page 98
1 génocide choisissent au préalable de placer leurs futures victimes dans
2 des camps, soit parce qu'ils ont été recrutés à cette fin soit parce
3 qu'eux-mêmes souhaitent détruire et tuer, même sur instruction d'un
4 supérieur.
5 Donc cela ne permet pas de prouver qu'il y a génocide; c'est sans doute
6 plutôt le contraire.
7 S'agissant du paragraphe 95, j'inviterai les Juges de cette Chambre
8 d’appel à noter au moins les pages dont je considère qu'elles méritent
9 d'être examinées, mais je n’en parlerai que superficiellement.
10 Page 35, vous pouvez commencer par les catégories matérielles. En effet,
11 on trouve certaines réponses de l'accusé en page 35, qui correspondent à
12 la page 7 de ses réponses aux interrogatoires dans lesquels il affirme de
13 ne pas avoir tué sur la base de l'appartenance ethnique.
14 Ce que l'on trouve également dans les premières lignes de ces réponses
15 suivantes: "Il continue à affirmer qu'il a tué sur les ordres de
16 quelqu'un. Tout cela s'est passé au poste de police".
17 Mais je reviendrai sur ces meurtres un peu plus tard.
18 Page suivante, la même chose se poursuit.
19 En page 37, vous trouvez un endroit où l'accusé, répondant longuement à
20 des questions concernant le fait d'avoir tué plusieurs personnes, raconte
21 de façon très détaillée comment il a traité deux victimes particulières:
22 certains lui donnaient des instructions, il y avait une autre personne qui
23 souhaitait se joindre à lui pour commettre ce meurtre.
24 Enfin, vous trouverez de très nombreux éléments de preuve à cet endroit,
25 ainsi qu’en page 41.
Page 99
1 Page 40, le sujet est très ramassé, très concentré. Il s'agit d'un témoin,
2 le témoin I, auquel le Président d'audience demande si l'accusé lui avait
3 donné l'impression de diriger les opérations ou d'être simplement un
4 exécutant. "Réponse -je cite-: Je pourrais dire qu'il était les deux." Fin
5 de citation.
6 Autre citation: "Il exécutait les ordres mais il lui arrivait aussi de
7 sélectionner les victimes de son propre gré. Il aurait pu ne pas tuer
8 quelqu'un, même si on lui avait ordonné de le faire. Il y a pas mal de
9 choses qu'il a faites de sa propre initiative". Fin de citation.
10 Aucune référence n'est faite à cela dans le jugement.
11 Nous poursuivons. Pages 41 à 44: on y trouve un passage très intéressant
12 pris en compte par la Chambre de première instance mais en laissant de
13 côté des éléments de preuve tout à fait fondamentaux encore une fois.
14 En haut de la page 43, le témoin raconte comment, après plusieurs
15 semaines, un moment est arrivé où quelqu'un -qui apparemment avait une
16 position de supérieur- a fait cesser les meurtres. Cet élément a été pris
17 en compte par la Chambre de première instance et il est important.
18 Mais ce que la Chambre de première instance n'a pas pris en compte se
19 trouve en page 43 et, plus bas, nous voyons ce que dit le témoin B.
20 Et puis, vous trouverez aussi dans notre mémoire de l'accusation, au
21 paragraphe 4.67, les preuves apportées par M. Ralston, qui parle d'une
22 série de meurtres commis à Brcko, et qui dit que les organisateurs de ces
23 meurtres ne pouvaient plus les arrêter parce que c'était devenu un fait de
24 notoriété publique à Brcko, car il y avait eu des fuites, et il n'était
25 donc plus acceptable de continuer à utiliser cette méthode.
Page 100
1 S'agissant des éléments de preuve favorables à l'accusé, l'un d'entre eux
2 consisterait à penser qu'il agissait parce qu'il ne se contrôlait pas.
3 Or les éléments de preuve, considérés globalement et dont on trouve un
4 grand nombre entre la page 59 de ce tableau et la fin du tableau, prouvent
5 qu'il a agi, bel et bien, en appliquant un plan préexistant. Et toutes les
6 sources d’où proviennent les éléments de preuve sont tout à fait unanimes
7 sur ce point.
8 Donc oui, il a agi en application de certains ordres, il a tué; il est
9 possible qu'il ait même tué davantage que ce qu'on lui ordonnait dans
10 l'immédiat, qu'il a pris pour cibles des personnes qui étaient de toute
11 façon condamnées, mais il les a tuées à un autre moment que celui qui
12 était prévu.
13 Peut-être peut-on parler aussi au passage, comme je m'y suis engagé, d'un
14 autre élément de preuve qui, je crois, a été pris en compte par la Chambre
15 de première instance, mais sans peut-être qu'elle lui accorde l'importance
16 que cet élément mérite.
17 Il y a eu une série de photographies qui ont été montrées à la Chambre où
18 l'on voit l'accusé exécuter quelqu'un dans une allée. On lui a demandé
19 s'il avait choisi ces personnes et de quelle façon la photographie avait
20 été prise.
21 Dans ses réponses à l'interrogatoire -et l'accusation n'a pas contesté ces
22 réponses-, il dit que ces extraordinaires photographies ont été prises
23 parce que les Serbes qui lui donnaient ces ordres souhaitaient les
24 utiliser dans leur propagande.
25 En effet, les personnes qu'on voit sur la photo sont pour la plupart de
Page 101
1 dos; il est difficile de faire la différence visuellement entre un Serbe
2 et un Musulman.
3 Et donc l’accusé a déclaré que les Serbes voulaient utiliser ces photos
4 pour donner à croire que c'étaient des Musulmans qui étaient en train de
5 tuer des Serbes.
6 Alors, que cette réponse soit exacte ou pas, la Chambre de première
7 instance doit la prendre en compte et cela ne lui indique pas si Jelisic
8 agissait seul ou pas. Mais en tout cas, le fait de vouloir utiliser ces
9 photographies dans le cadre d'une propagande organisée montre bien qu'il
10 existait un plan.
11 Donc, si je peux les classer en plusieurs catégories, il y a plusieurs
12 façons d'aborder le paragraphe 95. Mais en tout état de cause, quelle que
13 soit la façon dont on l’aborde, on constate que des éléments de preuve
14 importants n'ont pas été pris en compte et que des interprétations ont été
15 faites qui vont en fait à l’inverse des conclusions qu'il aurait été bon
16 de tirer.
17 Et puisque j'ai dit quelques mots des photographies, je vais revenir sur
18 l’une d'entre elles qui, je crois, est mentionnée dans notre mémoire
19 écrit.
20 On y voit une fosse commune qui vient d'être partiellement comblée.
21 A l'arrière-plan, on voit un camion, un camion blanc de marque Bimeks.
22 Bien sûr, ce camion est présent dans de nombreux témoignages et de
23 nombreux éléments de preuve. Vous le trouverez mentionné dans les tableaux
24 de l’accusation. C’était en effet le camion qui, régulièrement, ramassait
25 les corps des personnes tuées. C'était un camion réfrigéré, je pense.
Page 102
1 Donc tout argument de la Chambre de première instance, selon lequel les
2 meurtres ont été commis par l'accusé parce qu'il perdait le contrôle de
3 lui-même sans qu'il y ait plan préétabli, aurait dû tenir compte du fait,
4 assez répugnant en soit, qu'un camion circulait ici et là pour ramasser
5 les corps des personnes décédées.
6 Ce n'est pas quelque chose que l'accusé aurait pu organiser tout seul, à
7 son niveau. Et je pense que ce camion Bimeks est mentionné dans une note
8 en bas de page du jugement de la Chambre de première instance. Mais,
9 encore une fois, cet élément de preuve tout à fait significatif et
10 important a été totalement laissé de côté.
11 Je regarde la montre, Monsieur le Président. Si je ne m'abuse, il doit me
12 rester à peu près un quart d'heure encore. Je ne sais pas exactement
13 quelle est la position de la Chambre d'appel sur ce point?
14 M. le Président (interprétation): Peut-être êtes-vous un peu dans l'erreur
15 s'agissant du temps qu'il vous reste, Monsieur Nice.
16 M. Nice (interprétation): Oui, peut-être, Monsieur le Président.
17 Mais j'aurais voulu savoir si des questions vont m'être posées et de
18 quelle façon cela modifie le temps qui m'est imparti.
19 (Les Juges se consultent sur le siège.)
20 M. le Président (interprétation): Très bien. La Chambre va vous permettre
21 de poursuivre jusqu'à 13 heures, mais le rideau tombera à ce moment-là.
22 M. Nice (interprétation): Merci beaucoup.
23 Page 30 du jugement, paragraphe 97: je crois que j'ai déjà fait valoir à
24 quel point il était non significatif de se demander si, de temps en temps,
25 l'accusé avait opéré en perdant le contrôle de lui-même ou en outrepassant
Page 103
1 ses attributions.
2 Et puis, nous en arrivons à la conclusion.
3 Paragraphe 98: nous voyons la mention suivante -je cite-: "Le Procureur
4 n'a pas apporté les preuves suffisantes permettant d'établir au-delà de
5 tout doute raisonnable l'existence d'un plan de destruction du groupe
6 musulman à Brcko ou même au-delà". Fin de citation.
7 Avec le respect que nous devons aux Juges de ce Tribunal, nous disons que
8 ceci est une façon tout à fait déplacée et erronée de se prononcer dans
9 cette affaire.
10 J'aimerais appeler l'attention de la Chambre d'appel sur les neuf
11 premières pages de notre document, notamment la page 3, où l'on trouve le
12 nom d'un témoin que je ne vais pas prononcer; il s'agit donc des tableaux
13 de l'accusation. Je ne vais pas citer le nom de ce témoin, mais en tout
14 cas, c'est un témoin qui fait remonter l'organisation de ces meurtres à
15 Karadzic.
16 Des éléments de preuves ont été présentés à ce sujet. L'accusé d'ailleurs
17 a dit à peu près la même chose quand il répondait aux représentants du
18 Bureau du Procureur.
19 En page 5, au milieu de la page, dans les réponses de l'accusé, je
20 choisirai simplement celle-ci -je cite-: "Il a dit très clairement
21 qu'avant la planification de tout ceci, un plan existait déjà, un plan où
22 il était question du pont, des listes et de tout le reste". Fin de
23 citation.
24 Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges, si vous regardez ce
25 qui figure dans la colonne de droite des tableaux de l'accusation, vous
Page 104
1 verrez que cet élément de preuve matériel, tout à fait conséquent, n'a
2 absolument pas été pris en compte par la Chambre de première instance .
3 M. le Président (interprétation): C'est un témoin?
4 M. Nice (interprétation) : Oui, et j’espère que nos tableaux permettront
5 aux Juges de bien comprendre chaque fois s'il s'agit des réponses fournies
6 par l'accusé ou de témoignages de témoin.
7 D'autres pages du document de l'accusation ont une très grande importance,
8 y compris les pages 45 à 54 et 54 à 58.
9 Et il me reste dix minutes pendant lesquelles je vais revenir sur ce qui
10 figure dans le jugement entre la page 31 et la conclusion du texte.
11 On trouve le mot "dolus specialis", en bas de page 33. On voit que la
12 Chambre de première instance a conclu qu'il convenait d'acquitter l'accusé
13 pour le crime de génocide; ceci figure en haut de la page 34.
14 La Chambre utilise la phrase très révélatrice "le bénéfice du doute doit
15 profiter à l'accusé".
16 Pour revenir à cet ensemble de documents assez limité.
17 Page 32, paragraphes 101 et 102: la Chambre, comme elle devait le faire,
18 fait état des documents et des éléments de preuve extrêmement forts qui
19 déterminent, qui expliquent l'état d'esprit de l'accusé et où il affirme
20 qu'il avait tué, qu’il se vantait de tuer des Musulmans avant le déjeuner,
21 ou avant de prendre son café, et où il se qualifiait d'Adolf.
22 Tout ceci, on le trouve dans les documents en annexe.
23 Et ses intentions, on ne peut imaginer pire et plus conforme au crime qui
24 lui est reproché!
25 Comment la Chambre a-t-elle pu résoudre le hiatus qui existe entre ces
Page 105
1 éléments de preuve extrêmement convaincants, d'un niveau exceptionnel,
2 qu'on peut rarement s'attendre à trouver dans un procès de ce type, donc
3 comment réussir à concilier cette incohérence entre cette masse d'éléments
4 de preuve si convaincants et la décision de prononcer un acquittement.
5 Paragraphe 105, page 103, on peut lire: "Les propos de Jelisic, tels que
6 rapportés par un témoin, révèlent essentiellement une personnalité
7 perturbée".
8 Note de bas de page 162: on mentionne le rapport du Dr Van den Bussche,
9 dont ils ne disposaient pas avant de prendre leur décision et que les
10 Juges de la Chambre de première instance n'ont examiné qu'au moment de
11 déterminer la peine à appliquer.
12 Ce qui suit et qui a trait à l'immaturité de l'accusé, qui souffre d'une
13 personnalité de type "border line", tout ceci nous donne des éléments
14 relatifs à l'accusé, mais cela n'a pas été utilisé pour traiter de la
15 question du génocide.
16 Paragraphe 106: on parle d'éléments de preuve bien particuliers. Je
17 souhaiterais pour ceux-ci demander que l'on passe brièvement à huis clos
18 partiel parce que le témoin en question a témoigné à huis clos.
19 M. le Président (interprétation): Oui.
20 (Audience à huis clos partiel.)
21 (expurgée)
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23 (expurgée)
24 (expurgée)
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18 (Audience publique.)
19 En ce qui concerne les laissez-passer, on en parle à la page 106.
20 Je vous ai donc parlé d'un témoin qui évoquait la réalité de ces laissez-
21 passer et leur validité.
22 Donc j'en ai terminé, en résumé, de l'examen des éléments de preuve dont
23 il convient que vous preniez connaissance avec attention.
24 Les deux raisons pour lesquelles la Chambre de première instance a décidé
25 de rejeter le génocide figurent dans les éléments que j'essaie de vous
Page 107
1 résumer.
2 Ces deux motifs, c'est qu'il y avait eu un volume considérable de
3 documents, mais du fait qu'ils n'ont pas choisi de s'interroger sur
4 d'autres éléments de preuve qui auraient pu exister ou sur
5 l'interprétation de ces éléments de preuve, ils se sont privés de la
6 possibilité de dire que ces éléments de preuve justifiaient la poursuite
7 du procès et que ces éléments de preuve, à notre avis, constituaient les
8 éléments de preuve les plus valables qu'on puisse imaginer pour prouver
9 qu'effectivement, Jelisic était dans un état d'esprit qui indiquait
10 l'intention génocidaire.
11 Et même si l'idée qui est avancée, selon laquelle la personnalité troublée
12 de l'accusé, une personnalité de type "border line", l'idée de suggérer
13 que ceci constitue une excuse doit être rejetée immédiatement. Parce qu'il
14 serait très difficile, je pense, de trouver des personnes coupables d'acte
15 génocidaire qui soient complètement saines d'esprit, sans aucun trouble
16 mental quel qu'il soit, sans aucun trouble de la personnalité quel qu'il
17 soit, aussi bien pour le message qu'on donnerait au public qu'en matière
18 de droit, je pense que ce serait la mauvaise décision à prendre.
19 D'autre part, aucun moyen de défense relatif à l'état mental de l'accusé
20 n'a été soulevé par son conseil.
21 J'en ai terminé. Je vous remercie du temps supplémentaire qui m'a été
22 imparti. Je pense qu'il est de mon devoir de vous redonner cinq minutes
23 sur ce temps.
24 M. le Président (interprétation): Merci, Monsieur Nice. Nous vous
25 remercions.
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1 Monsieur Yapa, vous en avez donc terminé de la présentation de votre
2 argumentation?
3 M. Yapa (interprétation): Oui.
4 M. le Président: Fort bien.
5 Nous allons maintenant suspendre et nous reprendrons à 15 heures, avec
6 l'argumentation de Me Clegg.
7 (L'audience, suspendue à 12 heures 52, est reprise à 15 heures.
8 M. le Président (interprétation): L'audience est reprise. Maître Clegg,
9 nous allons vous écouter maintenant.
10 M. Clegg (interprétation): Si vous me le permettez, je souhaiterais
11 traiter, tout d'abord, du motif d'appel n°1 de l'appel présenté par
12 l'accusation.
13 On avance, du côté de l'accusation, que l'on n'a pas eu la possibilité de
14 présenter des arguments avant le prononcé du verdict; la Chambre ayant
15 indiqué qu'elle souhaitait prononcer un jugement suite à la fin de la
16 présentation des éléments à charge.
17 J'estime quant à moi que l'accusation a raison lorsqu'elle affirme qu'elle
18 aurait dû avoir la possibilité de présenter un réquisitoire. L'Article 86
19 A) du Règlement reflète bien cette situation: "Après présentation de tous
20 les moyens de preuve, le Procureur peut prononcer un réquisitoire". Il
21 apparaît clairement que, dans le cadre de la procédure adoptée par la
22 Chambre de première instance, tous les éléments de preuve avaient
23 effectivement été présentés, lorsque l'accusation a demandé la possibilité
24 d'être entendue, et donc si on adopte une interprétation stricte de
25 l'Article 86, l'accusation aurait dû avoir la possibilité et aurait dû
Page 109
1 obtenir l'autorisation de s'adresser à la Chambre de première instance.
2 Même s'il n'y avait pas l'Article 86 du Règlement, j'aurais quant à moi eu
3 tendance à estimer que les parties doivent avoir la possibilité de
4 s'adresser à une Chambre de première instance avant le prononcé d'un
5 verdict, en particulier si le verdict va s'opposer à celui qui est requis
6 par la partie qui souhaite s'exprimer devant la Chambre de première
7 instance.
8 Cependant nous avançons, quant à nous, que le fait que la Chambre de
9 première instance n'ait pas permis à l'accusation de présenter ses
10 arguments, donc ce fait n'invalide pour autant pas le verdict prononcé. On
11 peut dire qu'au maximum, c'est un comportement discourtois qui a été celui
12 de la Chambre de première instance. D'ailleurs, si on lit l'Article 86, on
13 peut dire que ce qui s'est passé s'oppose au Règlement appliqué dans les
14 prétoires mais, en fait, il s'agit d'un problème purement procédural.
15 Si, après analyse approfondie des éléments de preuve, l'accusation voit
16 rejeté son troisième motif d'appel, et nous estimons que cela doit être le
17 cas, nous avançons qu'à ce moment-là, malgré l'erreur regrettable qui a
18 été commise lorsque l'on n'a pas permis à l'accusation de se faire
19 entendre à la fin de la présentation de ces éléments, eh bien nous
20 estimons pour autant que cette erreur n'invalide pas le verdict.
21 Il y a très longtemps, Lord Hewitt a dit que, non seulement, il faut que
22 la justice soit rendue mais il faut qu'on voit qu'elle soit rendue. Et en
23 refusant d'entendre une des parties au procès, nous estimons que cela peut
24 susciter au moins la perception, l'impression qu'on n'a pas montré que la
25 justice avait été rendue, puisqu'une des parties n'a pas pu être entendue.
Page 110
1 Donc nous n'avons pas l'intention de soutenir l'approche qui a été adoptée
2 par la Chambre de première instance. Cela ne signifie pas pour autant que
3 nous soyons d'accord avec les mesures qui sont demandées par l'accusation,
4 qui nous demande donc un nouveau procès.
5 Ainsi, vu les arguments qui nous ont été présentés, il n'est absolument
6 pas inévitable que se produise un nouveau procès, puisque c'est ce qui a
7 été dit ce matin. Ce que nous dit l'Article 117 C) du Règlement, c'est que
8 la Chambre de première instance peut renvoyer l'affaire devant la Chambre
9 de première instance pour un nouveau procès lorsque les circonstances le
10 requièrent; la Chambre d'appel donc.
11 Mais nous estimons que si ceci était appliqué comme l'accusation le
12 souhaite, il y aurait un grand nombre de nouveaux procès. Les termes de
13 "lorsque les circonstances le requièrent" peuvent être remplacés par "si
14 cela est exigé par les intérêts de la justice". Et nous avançons que la
15 réponse à la question de savoir s'il convient qu'il y ait un nouveau
16 procès en l'espèce, on la trouve dans la décision qui sera celle de la
17 Chambre d'appel en ce qui concerne le troisième motif d'appel.
18 Donc on ne peut pas arguer que si, effectivement, la Chambre a pris la
19 bonne décision mais en utilisant la mauvaise procédure, il devrait y avoir
20 un procès, un procès qui coûterait extrêmement cher, qui serait
21 extrêmement difficile pour les témoins qui devraient revenir témoigner et
22 pour l'accusé qui est en détention depuis plus de trois ans.
23 Tout ceci pour arriver au résultat auquel la Chambre serait arrivée, si on
24 avait accepté d'entendre les arguments de l'accusation à la fin de la
25 présentation de ces éléments à charge. Il s'ensuit que, bien que je
Page 111
1 reconnaisse qu'effectivement, il aurait fallu donner l'autorisation à
2 l'accusation de se faire entendre, cependant nous avançons que cela n'a
3 pour autant créé aucune injustice et que la Chambre de première instance
4 en est arrivée à la bonne décision, même si elle a, pour ce faire, utilisé
5 un raccourci.
6 Je devrais vous indiquer, à ce stade de mon argumentation que, au départ,
7 l'intimé de cet appel avait décidé de demander un nouveau procès. Ce n'est
8 pas un remède que je demande aujourd'hui dans le premier mémoire déposé,
9 il avait demandé un nouveau procès bien qu'il ait été acquitté de tous les
10 chefs d'accusation qu'il avait contestés. Mais ceci nous entraînerait à
11 des procès sans fin.
12 C'est pour cette raison que nous ne demandons pas un nouveau procès. Nous
13 estimons que la Chambre de première instance a pris la décision qui était
14 la bonne, même si elle l'a fait en utilisant une procédure qui n'était
15 peut-être pas appropriée.
16 Maintenant, en ce qui concerne le deuxième motif d'appel, je souhaiterais
17 vous dire clairement quelle est ma position à ce sujet.
18 Il s'agit du critère appliqué par la Chambre de première instance, critère
19 de la culpabilité au-delà de tout doute raisonnable. Donc la Chambre de
20 première instance a appliqué ce critère.
21 A ce stade, eh bien, nous estimons que, si c'est effectivement le cas, ce
22 n'était pas le bon critère à appliquer. Et lorsque je l'ai reconnu,
23 lorsque je l'ai reconnu dans le résumé de mes argumentations, je me
24 référais au jugement rendu par la Chambre de première instance qui
25 s'exprime dans des termes que seul un juriste du système de common law
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1 considérerait comme s'appliquant à la décision prise.
2 Je dois dire que je ne travaille dans cette affaire que depuis très peu de
3 temps et que je n'ai donc pas eu l'occasion d'étudier le jugement avec
4 autant d'attention que la Chambre d'appel. Et je reconnais que les juges
5 qui viennent d'un système civiliste ne s'expriment peut-être pas avec la
6 même précision que les juges qui viennent d'un système de common law.
7 Nous avançons que, lorsqu'on lit avec attention aussi bien le jugement
8 rendu oralement que le jugement écrit, donc si le critère appliqué par la
9 Chambre de première instance est celui qui a été présenté par la Chambre
10 aujourd'hui, à savoir -je cite- "qu'aucun juge des faits raisonnable ne
11 pourrait se faire une conviction au-delà de tout doute raisonnable sur la
12 base de ces éléments de preuve", nous estimons qu'à ce moment-là, cela
13 constituerait le critère approprié à adopter à ce stade de la procédure.
14 Si vous me permettez d'analyser cette distinction, elle est la suivante:
15 aux termes de l'Article 98 B), il faut prendre en compte les termes
16 suivants, à savoir que les moyens à charge ne suffisent pas à justifier
17 une condamnation. Le terme important est "justifier" ou "sustained" en
18 anglais. Et en anglais, c'est un terme qui signifie que cela confirme la
19 validité d'une décision. Dans le contexte juridique, cela signifierait
20 qu'une telle décision serait confirmée en appel.
21 Il ne s'agit pas ici uniquement de l'examen du fondement du verdict au
22 niveau de la Chambre de première instance, mais cela signifie que la
23 Chambre d'appel confirmerait cette décision.
24 Et dans l'appel Dusko Tadic -je cite à la page 28, paragraphe 64-: "Il est
25 important de noter que deux Juges qui agissent de façon raisonnable
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1 peuvent en arriver à des conclusions différentes sur la base des mêmes
2 éléments de preuve".
3 Il s'ensuit qu'une déclaration de culpabilité peut être justifiée, même si
4 des Juges raisonnables auraient pu arriver à des conclusions différentes
5 sur la base des mêmes faits, tant que la conclusion qui a été celle des
6 Juges est une conclusion raisonnable.
7 Et moi, je pense que c'est effectivement le critère qu'il convient
8 d'adopter lorsqu'on pense à l'Article 98bis: si une Chambre de première
9 instance raisonnable, sur la base des éléments de preuve présentés, peut
10 raisonnablement prononcer une condamnation. A ce moment-là, la Chambre ne
11 doit pas intervenir et prononcer un verdict de non-culpabilité, sous une
12 réserve que je vais vous expliquer ultérieurement.
13 Je ne pense pas qu'il soit exact de dire que la Chambre de première
14 instance doive permettre la poursuite du procès s'il existe une trace
15 d'éléments de preuve qui suggèrent qu'il y a culpabilité. Mais si
16 effectivement il y a des éléments… Par exemple, il peut y avoir des
17 éléments de preuve qui sont totalement insuffisants, notoirement
18 insuffisants, qui n'entraîneraient jamais une condamnation. Par exemple,
19 le cas où vous avez le contre-interrogatoire qui détruit complètement la
20 crédibilité d'un témoin, un témoin de l'accusation qui fournissait une
21 identification sur un chef d'accusation précis. Or, il se peut que
22 l'interrogatoire montre à la Chambre que le témoin en question n'est
23 absolument pas fiable. Mais l'on pourrait extraire de la déposition de ce
24 témoin une phrase qui aille à l'encontre de l'accusé; cela ne signifie pas
25 pour autant qu'il faille poursuivre le procès suite à la présentation des
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1 éléments à charge, parce que la Chambre de première instance est en droit
2 d'examiner la totalité des éléments de preuve à ce stade, et non pas de se
3 demander: est-ce qu'il y a un élément de preuve quelconque qui indique la
4 culpabilité?
5 Non, ce n'est pas la question qu'elle a à se poser. La question qu'elle a
6 à se poser est la suivante: est-ce qu'une Chambre de première instance
7 raisonnable rendrait la même décision que celle que nous souhaitons
8 rendre?
9 Et c'est ce deuxième critère qui est utilisé en Irlande du Nord par des
10 juges qui siègent seuls, dans le cadre d'infraction de terrorisme ou dans
11 le cadre d'accusation de terrorisme. Bien entendu, dans ce genre de
12 procès, vous n'avez pas de jury.
13 L'accusation évoque un procès qui a eu lieu dans l'Ontario: la Reine c./
14 Collins & Pelfrey. Or, nous estimons que ceci n'étaye en rien
15 l'argumentation de l'accusation. La différence ici, comme cela a été dit
16 ce matin,…
17 M. le Président (interprétation): Maître Clegg, je souhaiterais vous
18 mettre en garde: il ne faut pas attribuer à l'ensemble de la Chambre
19 d'appel les mots prononcés par le Président. Cela représente uniquement le
20 point de vue du Juge qui se prononce.
21 M. Clegg (interprétation): Je vous remercie de cette précision et de cette
22 correction.
23 Ce à quoi je fais référence, c'est à ce qu'a dit Mme le Juge Wald,
24 lorsqu'elle évoquait la distinction qu'il convient de faire lorsque le
25 juge des faits est différent du juge qui évalue les points de droit. Et,
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1 bien entendu, il y a une distinction à faire.
2 Dans un système de common law, avec un jury, il n'y a pas de jugement
3 motivé sur la base des faits. Ce qui passe, c'est que le juge se réunit
4 avec le jury, et le juge n'a absolument aucune idée de la perception par
5 le jury des faits incriminés, donc de ce fait, à la fin du procès, le juge
6 aura une attitude différente de celle qui est celle du Tribunal, qui
7 décide aussi bien sur les questions de fait que sur les questions de
8 droit.
9 La Chambre de première instance, tout comme un juge qui siège sans jury,
10 est déjà consciente, sait déjà qu'elle en est arrivée à la conclusion
11 inébranlable qu'il y a certains éléments de preuves qui ont été présentés
12 qui n'ont aucune valeur. Et la Chambre ou le juge en question peut tout à
13 fait en arriver à la conclusion que les éléments de preuves présentés ne
14 peuvent en aucune façon persuader un juge ou une Chambre raisonnable à
15 prononcer un verdict de condamnation. Et nous estimons qu'il y a une
16 distinction à appliquer, parce que le cas contraire serait absurde.
17 Examinons que l'on adopte la position extrême de l'accusation. La Chambre
18 de première instance connaît d'une affaire, les trois Juges se disent: "Il
19 est absolument impossible que nous condamnions cet homme sur la base de
20 ces éléments de preuve. Nous ne croyons pas ce témoin, ni le deuxième et
21 encore moins le troisième".
22 Est-ce qu'à ce moment-là, la Chambre de première instance ne doit rien
23 dire au moment où M. Greaves annonce qu'il va entendre appeler 60 témoins,
24 ce qui aurait pris des mois, des mois avant que les Juges de la Chambre de
25 première instance ne puissent se faire connaître la conviction tout à fait
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1 inébranlable à laquelle ils étaient arrivés?
2 Nous estimons que, là, il en va beaucoup plus de la forme que du fond dans
3 le motif d'appel invoqué par l'accusation. Une fois de plus, je vais faire
4 une supposition. Imaginons que le Président de la Chambre, à la fin de la
5 présentation des éléments de preuve dans cette affaire, ait dit aux deux
6 autres Juges et ait dit à toutes les parties: "Peut-être sera-t-il utile
7 pour vous de savoir que nous en sommes arrivés tous trois à la conclusion
8 que nous ne sommes absolument pas satisfaits, au-delà de tout doute
9 raisonnable, de la culpabilité de cet homme sur la base des éléments de
10 preuve qui nous ont été présentés". Rien n'empêche un Juge de faire une
11 telle déclaration.
12 Et si le Président l'avait dit en l'espèce, est-ce qu'à ce moment-là, on
13 aurait pu se récrier de cette déclaration? On se plaint, ici, du fait que
14 le Président de la Chambre n'ait pas partagé les vues de l'accusation.
15 Mais on ne peut nullement se plaindre qu'une Chambre fasse connaître son
16 opinion une fois que l'accusation a eu la possibilité d'appeler tous les
17 témoins qu'elle souhaitait et présenter tous les éléments de preuve quelle
18 souhaitait. Si cela avait été le cas, si les Juges s'étaient comportés de
19 la sorte, nous estimons qu'on n'aurait absolument pas à se plaindre de
20 leur position et que nous serions dans la même situation actuellement et
21 que, seul, le motif d'appel n°2 de l'appelant pourrait faire l'objet d'une
22 argumentation.
23 Donc nous estimons que ce motif d'appel a trait beaucoup plus à la forme
24 qu'au fond de l'affaire. Je n'ai pas autre chose à dire au sujet des deux
25 premiers motifs d'appel.
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1 Je souhaite maintenant passer au troisième motif d'appel de l'accusation.
2 Il se trouve résumé au mieux dans le mémoire de l'accusation qui stipule,
3 au paragraphe 4.7, que la signification ordinaire ou commune de l'Article
4 4 ne permet pas de dire que le "dolus specialis", l'intention délictueuse
5 spécifique est requise. Je continue à citer le mémoire de l'accusation:
6 "Une telle supposition va à l'encontre du jugement Acajesu et de la
7 jurisprudence du TPIY.
8 Dans le cadre des arguments présentés ce matin, cette position a été
9 modifiée ou affinée quelque peu, si j'ai bien compris. Je pense que,
10 maintenant, on reconnaît qu'il est nécessaire qu'il y ait "dolus
11 specialis", c'est-à-dire que cela va totalement à l'encontre de ce qui
12 figure au paragraphe 4.7 du mémoire de l'accusation mais "dolus specialis"
13 –enfin, c'est ce qu'on nous dit-, "dolus specialis" ne veut pas absolument
14 pas dire ce que tout le monde croit, mais quelque chose de tout à fait
15 différent qui, pour moi, n'a rien à voir non plus avec "dolus specialis".
16 Donc les faits de l'argumentation qui a été présentée, c'est de
17 reconnaître que ces termes -et moi, je pense que c'est difficile de le
18 dire sans faire de concessions-, donc ce qu'on nous dit, c'est que les
19 mots sont bien les mots qu'il convient d'employer mais ils ont été
20 interprétés de la mauvaise manière.
21 Or, nous, nous estimons qu'en réalité, il ne s'agit ni plus ni moins que
22 d'une tentative assez fine de détournement juridique, stratégie
23 d'évincement. Je ne veux absolument pas ici faire preuve de manque de
24 courtoisie envers l'accusation mais je pense qu'effectivement, c'est ce
25 qui passe. En effet, nous estimons que l'intention délictueuse,
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1 particulière, spécifique est nécessaire pour prouver le crime de génocide
2 et ceci est dit très clairement par la Chambre de première instance au
3 paragraphe 66 de son Jugement. Il serait peut-être bon de se demander
4 quelle était l'intention particulière.
5 La Chambre de première instance déclare au paragraphe 66: "C'est en effet
6 l'élément moral qui confère au génocide sa spécificité et le distingue
7 d'un crime de droit commun et des autres crimes du droit international
8 humanitaire. Le ou les crimes sous-jacents doivent être qualifiés de
9 génocides s'ils ont été commis dans l'intention de détruire tout ou en
10 partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel.
11 Autrement dit, l'acte prohibé doit être commis en raison de l'appartenance
12 de la victime à un certain groupe et à titre de mesure concourant à la
13 réalisation de l'objectif global de destruction du groupe.
14 Deux éléments peuvent donc être dégagés de cette intention spéciale.
15 Premièrement, celle-ci suppose d'une part que les victimes appartiennent à
16 un groupe identifié. Deuxièmement, l'auteur présumé doit inscrire son acte
17 dans un projet plus vaste de destruction du groupe comme tel.
18 Les actes commis en raison de l'appartenance des victimes à un groupe
19 national, ethnique ou religieux: a) Le caractère discriminatoire de
20 l'acte. L'intention spéciale qui caractérise le génocide suppose que
21 l'auteur présumé du crime choisisse ses victimes en fonction de leur
22 appartenance au groupe qu'il cherche à détruire.
23 Si le but du ou des auteurs du crime consiste en effet à détruire tout ou
24 partie d'un groupe, c'est bien "l'appartenance de l'individu à un groupe
25 particulier et non son identité personnelle qui est le critère décisif
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1 déterminant le choix des victimes immédiates du crime de génocide". Fin de
2 citation.
3 A notre avis, nous avons là une définition de manuel d'école de ce qu'est
4 un crime. Pour dire les choses plus simplement: pour être coupable de
5 génocide, il ne suffit pas de tuer sa victime parce que cette victime est
6 musulmane, juive ou catholique, mais il faut que le meurtre s'accompagne
7 de l'intention de détruire en tout ou partie un groupe national, ethnique
8 ou religieux. C'est donc cet état d'esprit qui met ce qui autrement serait
9 un crime contre l'humanité, au rang de crime de génocide. A savoir, le
10 crime le plus grave de tous les crimes jugés dans le système judiciaire
11 qu'applique ce Tribunal. Un crime que les juristes théoriciens appelle "le
12 crime des crimes".
13 Si nous réfléchissons un instant à la jurisprudence du génocide après la
14 Deuxième guerre mondiale, nous voyons comment cette jurisprudence s'est
15 développée et les réponses apportées par le droit international à
16 l'holocauste dû à l'Allemagne nazie. C'est là bien sûr que l'on trouve
17 l'illustration classique du délit de génocide commis dans ce cas-là par un
18 Etat contre un groupe religieux.
19 Mais je vais faire une digression rapide, si vous me le permettez.
20 Personne ne peut mettre en doute un instant que les auteurs de la solution
21 finale du IIIe Reich étaient coupables de génocide. En effet, c'est ce
22 crime qui est l'exemple sans doute le plus classique du génocide. Mais
23 l'intention n'était pas présente. Je parle de la volonté objective de
24 détruire la totalité de la race juive; sauf à quelques exceptions près
25 qui, en raison de leur importance, ont été considérées comme très
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1 significatives par l'Etat allemand. Cela ne signifie pas que chacun des
2 membres de l'Etat allemand est coupable ou ait voulu le crime de génocide,
3 alors que les groupes de personnes pourchassées se déplaçaient de village
4 en village et de ville en ville dans toute l'Europe de l'Est. Cette
5 possibilité était prouvée ou ne l'était pas, selon l'intention personnelle
6 de l'individu concerné. Un grand nombre de ces personnes n'avaient sans
7 doute pas la volonté personnelle de rayer de la carte ou d'aider à obtenir
8 l'extermination de l'intégralité de la race juive.
9 Donc avec le respect que nous devons à ce Tribunal, nous affirmons que le
10 crime ne s'est pas limité aux architectes du crime de génocide et que ce
11 fait est illustré, au mieux, par le fait qu'il s'agit là d'un délit qui
12 est conçu et qui peut être appliqué aux personnes qui sont les architectes
13 du génocide. Dans le sens où ce sont ces personnes qui créent la politique
14 et qui prennent les décisions menant à un tel crime.
15 Je ne suis pas en train de dire qu'un homme pris individuellement ne peut
16 pas être coupable de génocide. C'est possible, mais pour le prouver il
17 faut surmonter toutes sortes de difficultés très complexes. Et la Chambre
18 de première instance a admis elle-même qu'un homme pris individuellement
19 pouvait être coupable de génocide. C'est d'ailleurs une éventualité qui a
20 été prise en compte par la Chambre de première instance dans tous ces
21 détails au moment du prononcé du jugement. Mais en tant que crime, nous
22 affirmons que cette qualification doit être réservée, dans la majorité des
23 cas, aux architectes, aux concepteurs du nettoyage ethnique.
24 La différence qui existe entre un "crime contre l'humanité" et le "crime
25 de génocide" réside exclusivement dans cet élément moral. C'est-à-dire
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1 dans l'état d'esprit de l'auteur du crime. A notre avis, il est largement
2 admis que cet élément est requis pour prouver l'existence d'un "dolus
3 specialis". C'est démontrer, par l'ensemble des jugements prononcés par le
4 ce Tribunal, le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie ainsi
5 que par le Tribunal pénal international pour le Rwanda.
6 Dans l'affaire jugée par le TPIR, l'affaire Kayishema en particulier, le
7 Tribunal a utilisé dans son Jugement les mots suivants -je cite: "Dans
8 l'élément unique que constitue le "dolus specialis", où doit être prouvée
9 la volonté de détruire tout ou en partie un groupe ethnique, racial ou
10 religieux, nous voyons la condition préalable pour prononcer un verdict de
11 crime de génocide". Fin de citation.
12 On trouve ce passage au paragraphe 9 du Jugement. C'est donc un élément
13 unique dont l'existence est nécessaire, est déclarée nécessaire dans le
14 Jugement de l'affaire Kayishema par la Chambre de première instance. Et la
15 Chambre de première instance qui a jugé l'affaire Serushago au Tribunal du
16 Rwanda a utilisé les mêmes mots pour définir le génocide.
17 Elle a dit: "Le crime de génocide est unique parce que l'élément de "dolus
18 special" donc d'intention particulière est requis, et que cet élément
19 exige que le crime ait été commis dans l'intention de détruire en tout ou
20 partie un groupe national ethnique racial ou religieux". On trouve cette
21 situation au paragraphe 4 du Jugement.
22 Un peu plus loin, le génocide est évoqué comme étant le crime des crimes.
23 Nous disons, sans rentrer dans les détails, que les affirmations que l'on
24 trouve dans le mémoire du Procureur, selon lesquelles la Chambre de
25 première instance, dans la présente affaire, n'a pas respecté la
Page 122
1 jurisprudence de ce Tribunal ou la jurisprudence du Tribunal du Rwanda est
2 une affirmation qu'il est absolument impossible d'étayer.
3 Nous avons déposé, dans mon plan de mémoire, un article paru dans la revue
4 trimestrielle internationale et comparative de juillet 2000, sous la plume
5 du Pr Verdirame de l'université de Nottingham, en Angleterre, qui traite
6 des différents abords possibles de l'intention délictueuse et qui traite
7 des exigences existant pour prononcer un verdict de crime de génocide.
8 Page 584, il parle de "l'élément moral" et discute la décision de la
9 Chambre de première instance dans l'affaire que j'évoquais tout à l'heure,
10 à savoir l'affaire A Kayishema ainsi que dans Akayesu, que le Procureur a
11 cité dans son mémoire en appel, sur lequel je reviendrai dans quelques
12 instances.
13 Ce que ce professeur déclare en haut de la page 588 est ce qui suit:
14 "Cette distinction entre plusieurs types d'intentions hostiles à
15 l'encontre d'un groupe est de la plus haute importance. L'intention
16 discriminatoire dirigée contre un groupe que l'on veut persécuter ne peut
17 pas être considérée comme identique à l'intention d'obtenir une
18 annihilation physique de ce groupe. En outre, une méthode d'application
19 judiciaire du "dolus specialis" dans le cas de génocide est appliquée par
20 les tribunaux ad hoc. Mais les éléments liés au contexte doivent d'abord
21 être appréciés".
22 Apparemment, les lumières se sont éteintes.., mes mots ont dû provoquer
23 une panne d'électricité et je n'ai pas une assez bonne vue pour continuer
24 ma lecture.
25 M. le Président (interprétation): Maître Clegg, nous allons attendre
Page 123
1 quelques instants pour voir si la lumière revient et, dans le cas
2 contraire, nous suspendrons l'audience pendant quelques instants.
3 Maître Clegg, j'essaie d'obtenir des informations.
4 M. Clegg (interprétation): Est-ce que s'est dû à quelque chose que
5 j'aurais dit?
6 (La lumière revient.)
7 Je vais reprendre la citation. "Compte tenu des circonstances, cette
8 distinction entre des types différents d'intentions hostiles à l'encontre
9 d'un groupe est de la plus haute importance. L'intention d'exercer une
10 discrimination ou même de persécuter un groupe ne peut pas être considérée
11 comme identique à la volonté d'obtenir son annihilation physique. En
12 outre, une méthode permettant d'appliquer, sur le plan judiciaire, le
13 concept de "dolus specialis" au crime de génocide a été explicité par les
14 tribunaux ad hoc. D'abord, les éléments du contexte doivent être évalués,
15 notamment l'existence d'un plan visant au génocide, ainsi que la
16 commission d'un génocide dans une situation déterminée.
17 En deuxième lieu, les tribunaux examinent l'intention de procéder, de
18 commettre un génocide contre des individus qui est différente, tout en
19 étant lié au génocide collectif et à l'intention sous-tendant un génocide
20 collectif dans le cadre d'un plan prédéterminé".
21 Il apparaît certainement que ce bon professeur s'est fait un point de vue
22 assez différent des décisions prononcées par les tribunaux ad hoc de celle
23 que le Procureur a exposée devant vous dans son mémoire en appel.
24 Nous aimerions également appeler l'attention des Juges de cette Chambre
25 d'appel sur un ouvrage qui provient de la bibliothèque du TPIY. Cet
Page 124
1 ouvrage est intitulé "Le génocide en droit international", et son auteur
2 est le Pr Schabas. On y trouve un chapitre qui traite de l'élément moral
3 et de l'intention délictueuse dans le cadre du génocide. Nous aimerions
4 inciter chacun des Juges de cette Chambre à lire cet ouvrage.
5 Pour étayer l'argument de l'accusation, selon lequel l'Article 4 n'exige
6 pas l'existence d'un "dolus specialis", en tout cas pas dans son
7 interprétation jusqu'à une date récente, un appui universitaire de cette
8 thèse s'est présenté il y a deux jours sous la forme d'un document déposé
9 à cette date. Je ne me plains pas, je ne remets pas en cause le caractère
10 assez tardif de ce dépôt documentaire.
11 Nous invitons les Juges de la Chambre à examiner, avec une certaine
12 attention, les points de vue académiques développés ou présentés dans ce
13 document, pour voir s'ils y trouveront, d'après leur analyse, moyen
14 d'étayer les arguments présentés par le Procureur.
15 On trouve d'abord une traduction assez grossière d'un extrait d'un ouvrage
16 d'Alicia Gil Gil, et la traduction assez grossière que j'ai obtenue de ce
17 passage semble permettre d'admettre, en page 258, où il est question de
18 l'intention délictueuse, qu'il est nécessaire de prouver qu'une personne
19 avait l'intention, la volonté d'agir et de continuer à tuer, ou bien
20 lorsqu'il y a plusieurs auteurs, qu'il faut que les coauteurs aient la
21 connaissance de cette intention de poursuivre le meurtre jusqu'à
22 achèvement du plan consistant à exterminer en tout ou partie le groupe
23 concerné, et que c'est en comptant, au moins, sur la possibilité de
24 l'existence de ce "dolus eventualis" qu'une telle décision peut être
25 prise.
Page 125
1 Alors je ne suis pas tout à fait sûr que les propos que je viens de lire
2 correspondent aux arguments avancés par l'accusation. Un peu plus loin
3 dans le jugement, dans une page qui n'est pas numérotée mais qui vient
4 après la page 258 dans la copie que j'ai reçue par fax, l'auteur évoque
5 l'existence d'un plan grâce aux termes suivants: "Infliger des conditions
6 qui, dans l'abstrait, sont en mesure d'avoir pour résultat une
7 extermination avec connaissance préalable de l'existence d'un tel risque."
8 Fin de citation.
9 Le deuxième ouvrage que je voudrais citer est celui du Pr Triffterer, de
10 l'université de Salzburg, qui est encore sous presse. J'avoue que,
11 personnellement, la syntaxe et la grammaire me paraissent un peu
12 artificielles, en tout cas, ne pas correspondre au style d'un professeur.
13 Mais, en page 144A, ce professeur estime qu'il est nécessaire qu'existe
14 une intention supplémentaire, "additionnal intent" en anglais.
15 Je dois avouer qu'en anglais, le texte est assez difficile à suivre, mais
16 ce que le professeur dit de façon un peu plus claire, en annexe 3, c'est
17 qu'il y a eu un changement du droit. Ce que dit ce bon professeur, c'est
18 que le "dolus specialis", comme c'était prévu à l'Article 6 du Statut de
19 Rome, doit être revu.
20 Ce professeur a sans doute raison en admettant que le droit appliqué
21 actuellement ne correspond pas à ce qui lui convient le mieux. Il nous dit
22 donc ce qui ne lui plaît pas au sujet de cette exigence qu'exige un "dolus
23 specialis".
24 Nous affirmons, pour notre part, que l'on peut parler très longuement en
25 faveur du droit que l'on souhaiterait voir appliquer, mais je suppose que
Page 126
1 ce Tribunal préférera que l'on parle du droit tel qu'il est, plutôt que du
2 droit tel que ce bon professeur voudrait le voir.
3 La seule affaire citée par le Procureur dans son mémoire écrit est le
4 jugement du Tribunal rwandais dans l'affaire Akayesu. Si l'on analyse le
5 texte de ce jugement, à notre avis, on ne trouve rien à l'appui des
6 arguments présentés par l'accusation.
7 Je cite un passage de la page 3: "Le crime de génocide est unique parce
8 que -et c'est moi qui ajoute "il est"-, parmi les différents éléments
9 composant le "dolus specialis", un élément est exigé, à savoir que le
10 crime ait été commis avec existence d'une intention préalable". Fin de
11 citation. Ensuite, les paroles deviennent plus facilement compréhensibles.
12 Alors, j'ai le plus grand mal, personnellement, à voir en quoi le texte
13 que je viens de citer pourrait étayer les propos du Procureur.
14 Mais je vous présente toutes ces citations pour vous montrer à quel point
15 il est difficile de prouver l'existence d'une intention spéciale, d'un
16 "dolus specialis". Or l'existence de ce "dolus specialis" est exigée pour
17 prouver le crime de génocide.
18 Si vous lisez le texte de ce jugement, le problème est tout à fait claire,
19 s'agissant de prouver la culpabilité d'un individu. Au paragraphe 523 du
20 Jugement, il est dit -je cite-: "L'intention est un élément moral qu'il
21 est difficile, sinon impossible, de déterminer en l'absence d'un éventuel
22 aveu de l'accusé. Elément moral qui ne peut être que déduit d'un certain
23 nombre de présomptions factuelles." Fin de citation.
24 Alors, s'agissant de la Chambre de première instance, je suis d'accord
25 avec la deuxième partie de cette citation mais, en aucun cas, avec la
Page 127
1 première. L'intention en tant qu'élément moral n'est pas difficile, sinon
2 impossible, à prouver. Si la citation que je viens de vous livrer avait
3 des applications générales, tout juge jugeant des faits dans un système
4 judiciaire national -qu'il s'agisse d'un préfet, d'un juge ou d'un
5 magistrat- aurait les plus grandes difficultés à appliquer le droit pénal
6 aux faits évoqués dans de très nombreux procès en assise. En réalité, ceux
7 qui jugent des faits dans des systèmes pénaux différents dans le monde
8 n'ont aucune difficulté à déduire l'intention et à le faire dans des
9 conditions assez sûres, à partir des éléments de preuve qui leur sont
10 présentés globalement.
11 La plupart des systèmes judiciaires exigent que, pour prouver un crime de
12 meurtre, il y ait intention de tuer ou, en tout cas, intention de
13 provoquer des dommages graves à l'intégrité physique d'une personne.
14 L'intention est donc facilement déductible par un juge, à partir de ce que
15 l'accusé a fait.
16 Je n'admets donc pas, en tout cas en termes généraux, l'argument selon
17 lequel l'intention serait un élément moral difficile, sinon impossible, à
18 déterminer en l'absence d'aveu de l'accusé.
19 Mais appliquer la notion de crime de génocide à ceux qui ont élaboré la
20 solution finale en Allemagne nazie ne présente aucune difficulté à mon
21 avis, en tout cas s'agissant de déduire l'existence d'une intention
22 d'obtenir un génocide. Les commandants des camps de concentration de
23 Dachau et de Belsem avaient prévu un certain nombre de choses et s'ils
24 avaient été jugés par un Tribunal, il n'y aurait eu aucune difficulté à
25 prouver leur intention préalable.
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1 Bien entendu, plus on est descend dans la structure hiérarchique, plus on
2 s'écarte des concepteurs du nettoyage ethnique et plus, éventuellement, il
3 peut s'avérer difficile de prouver l'existence de l'intention préalable ou
4 de l'intention délictueuse. Mais nous disons que ce n'est là qu'une des
5 nombreuses difficultés de prouver que l'on retrouve dans de nombreux
6 systèmes judiciaires du monde.
7 Ce que la Chambre de première instance, dans l'affaire qui nous intéresse,
8 a évoqué sous les termes "d'intention spéciale de commettre un génocide"
9 était ce qui, à notre avis, dans une affaire bien menée, devrait être
10 facile à déduire à partir des éléments de preuve mais qui, dans l'affaire
11 qui nous intéresse, et ce n'est sans doute pas une surprise, s'est avéré
12 impossible à justifier par l'accusation.
13 Par conséquent, nous affirmons que le crime de génocide exige, pour être
14 prouvé, l'existence préalable d'une intention particulière d'un "dolus
15 specialis", intention préalable dont l'existence a été reconnue par ce
16 Tribunal ainsi que par le Tribunal du Rwanda. Et cette intention spéciale
17 doit très présente pour que le crime jugé soit placé à un rang autre que
18 celui des autres crimes que ce Tribunal a compétence de juger.
19 Dans les arguments oraux entendus aujourd'hui, il a été admis, et je lis à
20 partir de la page 35, lignes 11 et 12 du compte rendu d'audience
21 d'aujourd'hui, il a été admis donc que l'accusé aurait besoin "de savoir
22 qu'il détruisait effectivement un groupe en tant que tel"
23 Venant d'un système judiciaire où les arguments sont le plus souvent
24 présentés oralement, je n'ai certainement pas l'intention d'abuser du
25 temps des Juges pour pinailler sur un mot, s'il s'agissait de pinailler
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1 sur un mot. Mais si ce qui a été dit était véritablement la façon de voir
2 du Procureur, s'agissant de l'application de la notion d'intention
3 délictueuse au crime de génocide, avec le respect que je dois à
4 l'accusation, je dirai que nous sommes, n'est-ce pas, très, très près de
5 la notion de "dolus specialis", c'est-à-dire d'intention spéciale
6 appliquée par la Chambre de première instance, et très, très loin du
7 mémoire de l'accusation où nous lisons: "la signification courante et
8 ordinaire de l'Article 4 ne justifie pas l'argument selon lequel le "dolus
9 specialis" doit être nécessairement présent".
10 Je me permettrai, à présent, de passer au deuxième volet du mémoire de
11 l'accusation en appel. Mais j'ai peut-être encore quelques mots à dire au
12 sujet du premier volet, si c'est indispensable. Moi, je pense que cela ne
13 l'est nécessairement mais je rappelle, tout de même, à la Chambre d'appel
14 l'existence de la Convention de 1948 et du Statut de Rome où nous trouvons
15 les définitions de l'intention spéciale que je viens de donner.
16 Passons maintenant au deuxième volet du mémoire du Procureur où nous
17 lisons les mots suivants: "En droit et dans les faits, la Chambre de
18 première instance a commis une erreur aux paragraphes 88 à 98, lorsqu'il
19 est dit que les éléments de preuve n'ont pas permis d'établir au-delà de
20 tout doute raisonnable l'existence d'un plan visant à détruire le groupe
21 musulman de Brcko ou d'ailleurs. Plan dans lequel s'inscrivent les crimes
22 présumés de Goran Jelisic. Et les actes de Goran Jelisic n'étaient pas
23 l'expression physique d'une décision affirmée de détruire en tout ou en
24 partie un groupe, mais plutôt des actes arbitraires débouchant sur des
25 meurtres commis par une personnalité perturbée".
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1 Le deuxième volet des arguments du Procureur porte sur trois erreurs en
2 droit et en faits. La seule erreur de droit que j'ai pu trouver est
3 définie dans le premier volet des motifs d'appel du Procureur et, pour ma
4 part, je ne l'ai pas trouvée dans les écritures du Procureur ou dans ses
5 arguments oraux, dans la deuxième partie du mémoire du Procureur si tant
6 est qu'il en existe. Donc j'ai encore le plus grand mal à comprendre où se
7 trouve véritablement le motif d'appel de ce deuxième volet du mémoire du
8 Procureur sur le plan du droit.
9 Mais passons à l'examen des faits. La Chambre de première instance a été
10 critiquée par rapport aux conclusions qu'elle a tirées de l'examen des
11 faits dans dix paragraphes; les paragraphes 88 à 98. Un accent particulier
12 est mis sur l'évocation de l'état mental de Jelisic avec, à l'appui, la
13 présentation d'un certain nombre de rapports médicaux qui ont permis de
14 décrire cet homme comme ayant une personnalité perturbée.
15 Je crois qu'il est utile d'examiner ce que dit la Chambre de première
16 instance au paragraphe 105. Voici ce qu'a dit la Chambre de première
17 instance. "Les propos et l'attitude de Goran Jelisic, tels que rapportés
18 par des témoins, révèlent essentiellement une personnalité perturbée". Le
19 texte se poursuit en disant que "Jelisic manquait de maturité narcissique,
20 il avait la soif de remplir un vide et le souci de plaire à ses
21 supérieurs".
22 A notre avis, ce sont là des conclusions que la Chambre pouvait
23 parfaitement tirer à partir des témoins qu'elle avait entendus. Témoins
24 qui avaient été présents au moment des faits et avaient vu l'accusé se
25 comporter de la façon dont il l'a fait dans la ville de Brcko et dans ses
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1 environs, au moment où se sont produit ces événements.
2 Même si on fait référence, ici, au rapport du Dr Van den Bussche, la
3 Chambre fait référence de façon explicite aux témoins qui les ont amenés à
4 la conclusion que la Chambre et ses Juges ont tirée.
5 Ils font référence aux témoins appelés à la barre par l'accusation. La
6 Chambre va peut-être penser qu'il ne faut pas nécessairement l'avis d'un
7 éminent psychiatre pour savoir si quelqu'un manque de maturité. Je crois
8 qu'un juge peut tirer lui-même cette conclusion, au vu des éléments qui
9 lui sont présentés. Il est inutile d'avoir un psychiatre pour apprendre
10 que quelqu'un est narcissique ou, plutôt, tient à plaire à ses supérieurs.
11 Ce sont des conclusions factuelles qu'il est parfaitement possible de
12 tirer pour un juge des faits; ce qu'il fait d'ailleurs chaque jour dans
13 les affaires au pénal.
14 Selon nous, il n'est rien d'indicatif au paragraphe 105, rien qui
15 montrerait que la Chambre de première instance aurait, pour ainsi dire,
16 importé des rapports émis après le verdict, aurait importé ces conclusions
17 dans des considérations qu'elle a eu avant le verdict.
18 Permettez-moi de vous soumettre une hypothèse générale en guise
19 d'introduction à mon examen des faits.
20 Le jugement d'une Chambre, surtout s'il s'agit d'un jugement écrit court à
21 la suite d'un jugement rendu oralement et assez long, un tel jugement n'a
22 pas pour objet d'être un examen complet de chacun des moyens de preuve
23 soumis à l'examen des Juges. Inévitablement, ce procès fut long. Ce
24 jugement n'est pas non plus être un document qu'on examine comme l'aurait
25 fait un jésuite examinant des textes anciens, non c'est plutôt le
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1 raisonnement établi par une Chambre qui tire des conclusions. Et il faut
2 accorder une certaine latitude aux Juges dans les termes qu'ils utilisent
3 pour exprimer les conclusions auxquelles ils sont parvenus après
4 délibération.
5 A l'évidence, tout jugement quel qu'il soit et, sans aucun doute, s'il
6 s'agit d'un jugement aussi court que celui-ci, va inévitablement omettre
7 nombre des moyens de preuve présentés à l'audience. Il est impossible
8 d'incorporer tous les moyens de preuve pertinents dans un jugement de
9 cette longueur. Ce n'était d'ailleurs pas l'intention que poursuivait la
10 Chambre de première instance.
11 L'accusation commet pour erreur de partir du principe que le fait que la
12 Chambre de première instance n'aurait pas fait allusion à tel ou tel moyen
13 de preuve en particulier voudrait dire que la Chambre aurait ignoré,
14 aurait oublié ces moyens de preuve. Il est impossible de faire une telle
15 affirmation.
16 Nous irions même jusqu'à dire que la Chambre d'appel peut, sans aucun
17 risque, partir du principe selon lequel la Chambre de première instance
18 était parfaitement au courant et consciente des moyens de preuve qui
19 avaient été soumis de façon très circonstanciée, très minutieuse au fil de
20 plusieurs mois.
21 Il est tout à fait erroné de dire que le seul fait qu'on n'ait pas
22 mentionné un moyen de preuve signifie que celui-ci n'a pas été examiné en
23 bonne et due forme par la Chambre, au moment du délibéré.
24 Qu'a fait, à notre avis, la Chambre de première instance? Elle a dûment
25 appliqué le droit aux faits tels qu'ils leur ont été présentés. Les Juges
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1 de première instance l'ont fait avec soin et dans l'application précise
2 des conditions imposées par la loi, pour ce qui est de l'administration de
3 la preuve du "dolus specialis" dans le cadre de l'infraction de génocide.
4 L'accusation affirme que les moyens de preuve apportent la preuve de la
5 culpabilité au regard de l'infraction en partie seulement. Parce que
6 l'accusation pense qu'il n'est pas nécessaire d'apporter la preuve de
7 l'intention spéciale ou particulière, critère qu'a appliqué la Chambre de
8 première instance à l'examen des moyens de preuve soumis.
9 Pourtant, au paragraphe 496, page 82, l'accusation dit à défaut ceci -je
10 la cite-: "Ceci n'exclut aucunement son désir conscient ou sa résolution
11 ferme de détruire."
12 Excusez-moi, je ne retrouve plus le passage que je voulais citer.
13 Permettez-moi de recommencer la citation.
14 En fait, l'accusation adopte deux points de vue. D'abord, elle dit: "La
15 Chambre a versé dans l'erreur -la Chambre de première instance, s'entend-
16 parce qu'ils ont effectivement pensé à tort qu'il fallait une intention
17 spéciale ou, comme l'accusation nous l'a dit aujourd'hui, qu'il fallait
18 une intention spéciale mais exprimée différemment".
19 Deuxièmement point de vue: même si le droit se trompe et même s'il faut
20 apporter la preuve du "dolus specialis", il n'empêche que les moyens de
21 preuve apportés ont apporté la preuve de cette intention spéciale.
22 J'aimerais ici me pencher sur cette question.
23 La Chambre de première instance a, à juste titre, déterminé quelle était
24 la distinction qu'il fallait opérer entre le génocide et d'autres crimes
25 contre l'humanité. Elle a bien appliqué les faits au droit. La Chambre
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1 d'appel, dans l'affaire Tadic, a reconnu "qu'une décision portant sur les
2 faits ne pouvait pas être renversée à moins -et je cite la Chambre- que
3 les éléments de preuve sur lesquels se sont appuyés les Juges de la
4 Chambre de première instance n'auraient pas pu raisonnablement être
5 acceptés par une personne raisonnable". Page 28, paragraphe 64.
6 Est-ce que les faits apportent la preuve de ce que Jelisic aurait eu
7 l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe ethnique ou
8 religieux? Ou est-ce que cela prouve qu'il a tué 12 Musulmans, plus 3 dont
9 il a admis le meurtre alors que l'accusation n'avait pas été portée contre
10 lui, parce que c'étaient des Musulmans et non pas parce que c'était une
11 action qui se serait inscrite dans le cadre d'un plan plus large?
12 Il y a deux possibilités: soit qu'il a tué les 15 personnes et aucune
13 autre, pour des raisons irrationnelles, narcissiques, parce que c'étaient
14 des Musulmans, parce qu'il voulait montrer le pouvoir qu'il avait par
15 rapport à eux; soit qu'on peut se demander s'il les a tuées parce que ceci
16 s'inscrivait dans un plan de nettoyage ethnique et que lui, au moment où
17 il a tué ces personnes, il avait l'intention de détruire, en tout ou en
18 partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux.
19 Ce sont donc les deux questions qui vont déterminer l'issue du verdict.
20 Est-ce que l'accusation était en mesure de prouver cette deuxième
21 possibilité?
22 Nous aimerions inviter la Chambre à élargir son analyse du jugement,
23 depuis le paragraphe 88 jusqu'au paragraphe 108.
24 En effet, à notre avis, cela prouve qu'il y a eu une analyse vraiment très
25 fouillée des moyens de preuve. Trois conclusions sont possibles. La
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1 première, c'est qu'il n'y a pas eu suffisamment de preuves apportées de ce
2 qu'il y aurait eu génocide. Deuxième possibilité: il y avait insuffisance
3 de preuves pour prouver la présence de génocide au-delà de tout doute
4 raisonnable. Troisième possibilité: il y avait des moyens de preuve
5 permettant à la Chambre de se convaincre de l'existence de la preuve du
6 génocide.
7 Evidemment, chacune de ces possibilités s'applique directement à Jelisic.
8 Le Jugement a dégagé beaucoup d'incohérences, voire de contradictions dans
9 les moyens de preuve apportés sur la façon dont les personnes étaient
10 sélectionnées en vue d'une exécution. Et souvent, il n'y avait pas la
11 moindre sélection du tout; c'était quelque chose de tout à fait aléatoire.
12 Le Jugement a mis l'accent sur le fait qu'au vu des moyens de preuve
13 apportés, il a été prouvé que 66 personnes ont trouvé la mort dans le camp
14 de Brcko. Elles n'ont pas toutes été tuées par l'accusé Jelisic, en dépit
15 des pièces 12 et 13 qui montraient qu'il y avait, en fait, un nombre plus
16 important de personnes qui avaient trouvé la mort dans ce camp.
17 Alors ceci, il faut le voir par rapport à cette population musulmane de
18 plus de 22.000 personnes en 1991, dans la ville, 55% apparemment de la
19 population totale de la ville; et qu'il restait environ de 2.000 à 3.000
20 Musulmans après la destruction des ponts le 30 avril 1992, destruction qui
21 a coïncidé, bien sûr, avec la division de la ville en trois parties sur
22 des bases ethniques.
23 L'accusation cite certains extraits de témoignages mais ces extraits ont
24 bien sûr été sélectionnés à dessein.
25 Cependant, la Chambre de première instance a eu l'occasion de voir et
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1 d'entendre la totalité des témoins. Et les Juges de première instance
2 n'ont pas pensé que la preuve apportée par les différentes listes évoquées
3 -et j'en ai évoqué deux en particulier bien qu'il y en ait eu beaucoup
4 plus- n'ont pas accepté ces éléments de preuve comme les convainquant de
5 l'intention génocidaire de Jelisic.
6 M. le Président (interprétation): Maître Clegg, je ne veux pas, ici, vous
7 limiter en aucune matière, mais est-ce que vous avez l'intention de
8 poursuivre pendant très longtemps? Nous avions espéré lever l'audience
9 vers 17 heures, 17 heures 15. Nous avions pensé avoir une brève pause mais
10 il faut bien sûr que cela se prête à vos exigences.
11 M. Clegg (interprétation): Si vous vouliez faire une pause maintenant, je
12 peux vous assurer que j'en aurai terminé d'ici à 17 heures 15. J'espère
13 avoir terminé d'ici à 17 heures.
14 M. le Président (interprétation): L'audience est levée.
15 (L'audience, suspendue à ce 16 heures 15, est reprise à 17 heures 37.)
16 M. le Président (interprétation): L'audience est reprise. Vous avez la
17 parole Monsieur Clegg.
18 M. Clegg (interprétation): Permettez-moi de vous demander de consulter le
19 Jugement de la Chambre de première instance, et tout d'abord son
20 paragraphe 65.
21 "Bien que la Chambre ne soit pas en mesure d'établir, de façon précise, le
22 nombre de victimes imputables à Goran Jelisic pour la période incriminée
23 dans l'Acte d'accusation, elle constate en l'espèce que l'élément matériel
24 du crime de génocide est rempli. Il s'agit dès lors pour la Chambre
25 d'apprécier si l'intention de l'accusé était telle que ses actes doivent
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1 être qualifiés de génocide".
2 La seule conclusion de la Chambre est plutôt sur l'"actus reus", pour se
3 demander si celui-ci a été prouvé s'agissant de crime de génocide. La
4 Chambre ne tire aucunement de conclusion sur la question de savoir si on a
5 prouvé qu'il y avait eu génocide dans le camp où Jelisic travaillait.
6 Examinons maintenant le paragraphe 87. La Chambre précise la première
7 question qu'elle s'est posée, avant même de se prononcer sur le niveau
8 d'intention requis, la Chambre doit vérifier, dans un premier temps, si un
9 génocide a été commis, l'accusé ne pouvant être jugé coupable d'avoir aidé
10 et encouragé le crime de génocide que si celui-ci a, par ailleurs, été
11 établi. La Chambre essaie de voir s'il y a eu preuve de l'existence du
12 génocide. Voici la conclusion tirée au paragraphe 98: "La Chambre estime
13 qu'en l'espèce, l'accusation n'a pas fourni suffisamment de preuves
14 permettant d'établir, au-delà de tout doute raisonnable, l'existence d'un
15 projet de destruction du groupe musulman à Brcko ou même au-delà, dans
16 lequel s'inscriraient les meurtres commis par l'accusé".
17 Selon nous, c'est une déclaration factuelle importante ici formulée par la
18 Chambre de première instance. Qu'a-t-elle établi? Elle a établi qu'il y
19 avait insuffisance de preuves sur l'existence d'un projet génocidaire qui
20 aurait été mis en place à Brcko à l'époque où l'appelant a commis ces
21 crimes. Cette décision cruciale est beaucoup plus importante encore
22 lorsque l'on examine le verdict ultime, plus importante que la deuxième
23 décision, celle qui est visée au paragraphe 99; à savoir si c'est en tant
24 qu'auteur que Jelisic pourrait être déclaré coupable de génocide.
25 Vous voyez, tout comme moi, qu'en théorie c'est possible bien sûr, mais
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1 que ceci présente d'énormes difficultés en matière d'administration de la
2 preuve.
3 Qu'a conclu la Chambre de première instance? Elle a conclu que les
4 événements, tels qu'ils ont été avérés à Brcko n'ont pas établi
5 l'application dans les faits d'un plan génocidaire par ceux qui
6 travaillaient au camp. Jelisic a plaidé coupable de la commission de
7 certains crimes, mais ceci a fait l'objet d'un accord auquel sont
8 parvenues les parties avant le début du procès portant sur le génocide.
9 On voit, s'agissant de ces crimes, qu'il n'y avait pas d'organisation,
10 qu'il n'y avait pas de planification. Et même si, dans une certaine
11 mesure, la méthode était la même, à bien des égards, il s'agissait là de
12 meurtres commis de façon aléatoire. Et tous ces facteurs ne cadrent pas
13 avec l'existence d'un plan personnel génocidaire. Or, ceci serait
14 nécessaire, vu les conclusions tirées par la Chambre au paragraphe 98.
15 La Chambre rejette l'existence d'un projet global auquel aurait participé
16 Jelisic. Et la Chambre veut savoir s'il était parti pour accomplir une
17 mission génocidaire de son propre chef. La Chambre conclut à la nature
18 aléatoire de sa conduite. Ce qui veut dire que la Chambre n'aurait pas pu
19 tirer une telle conclusion, en dépit du fait que Jelisic a sélectionné la
20 plupart, sinon la totalité de ces victimes du fait de leur origine
21 musulmane, en dépit du fait qu'il avait tendance à se montrer cruel à leur
22 égard.
23 Comme j'ai essayé de le dire, quasi tout accusé mis en inculpation par ce
24 Tribunal, depuis la création de celui-ci et je remonte ici au premier
25 procès, celui de Dusko Tadic, où on a vu qu'il y avait une certaine
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1 propension à tuer les Musulmans et à se montrer cruel envers eux mais on a
2 dit aussi que Tadic n'était pas coupable de génocide.
3 Tout d'abord, il n'existait pas de plan visant à la destruction du groupe
4 musulman à Brcko. C'est une conclusion que l'on trouve au paragraphe 98.
5 Je viens de vous la lire.
6 Deuxièmement, rien ne prouve que Jelisic à lui seul, lui-même, ait
7 concocté un tel plan. Ceci apparaît aux paragraphes 99 et suivants.
8 Si c'était nécessaire, nous ferions valoir que si l'on examine bien les
9 éléments de preuve, ils ne remplissent pas les conditions visées au 98,
10 puisqu'il n'y a pas de preuve d'un plan génocidaire qui englobe tous les
11 meurtres. Dès lors, rien ne peut suggérer que Jelisic ait eu une mission,
12 qu'il se soit lui-même confié mission génocidaire.
13 Effectivement, les actes reconnus par la Chambre de première instance ont
14 montré que, parfois, il a autorisé à certaines personnes de partir. Il
15 agissait souvent sur un caprice, sur une idée qui lui passait par la tête,
16 et ceci ne cadre pas avec l'idée d'un plan génocidaire. Il ne fait pas
17 l'ombre d'un doute que des centaines de Musulmans ont été libérés de ce
18 camp, que certains ont été repris, que d'autres ont pris la fuite. Il
19 reste que des centaines, sinon des milliers de Musulmans ont été relâchés
20 vivants. Il n'est pas surprenant que la Chambre de première instance ait
21 conclu que la charge même, que l'inculpation même de génocide en l'espèce
22 était franchement excessive alors qu'en fait, l'accusé avait reconnu
23 chacun des crimes qu'il avait commis.
24 M. le Président (interprétation): Je crois subodorer une hypothèse à la
25 base de vos arguments. Vous voulez dire que la preuve de l'existence d'un
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1 plan est un élément constitutif juridique du crime de génocide. Il se peut
2 qu'il y ait litige sur la question. Mais ai-je raison de penser que
3 l'accusation a présenté ceci comme élément de son argumentation? Est-ce
4 que vous voulez y réagir?
5 M. Clegg (interprétation): Je ne pense pas que ce soit un élément
6 constitutif que d'avoir un plan de génocide qui englobe plus d'une seule
7 personne. C'est une question…
8 Si l'on pense à l'administration de la preuve, il est difficile
9 d'envisager un procès de génocide s'il n'y a pas de preuve de l'existence
10 d'un tel plan. Mais c'est un élément constitutif de l'infraction.
11 Il est possible qu'une seule personne, à elle seule, en théorie du moins,
12 commette un crime de génocide mais, en pratique, il est difficile
13 d'imaginer comment un tel cas pourrait se présenter. Toutefois, cela
14 pourrait se produire et, quelque part, ceci nierait la nécessité d'avoir
15 un plan puisque vous pourriez avoir votre propre plan, l'exécuter vous-
16 même, ce qui veut dire que vous ne feriez que mettre en pratique votre
17 intention particulière.
18 Moi, je ne pense pas qu'il s'agisse là d'une exigence en matière d'élément
19 constitutif.
20 M. le Président (interprétation): Je vous ai parfaitement compris, Maître
21 Clegg.
22 M. Clegg (interprétation): C'est une question d'administration de la
23 preuve, qui sera toujours nécessaire pour prouver l'existence de
24 l'infraction.
25 Nous disons que le mémoire de l'accusation contient plusieurs erreurs qui
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1 montrent que l'accusation n'a pas compris le raisonnement de la Chambre.
2 Au paragraphe 4494, à la page 81, l'accusation dit que "la Chambre et sa
3 conclusion que l'accusé était un auteur isolé et n'a pas eu d'intention
4 génocidaire, ceci se base uniquement sur le fait qu'il aurait agi de façon
5 arbitraire davantage qu'avec l'intention claire et précise de détruire un
6 groupe tout entier".
7 Ceci n'entame en rien le raisonnement de la Chambre de première instance
8 qui fait référence de façon explicite au comportement qu'il a eu lorsque
9 l'accusé a libéré des Musulmans. C'est dit dans la note de bas de page
10 relative au témoin E. On dit "que le comportement de l'accusé était peu
11 cohérent, était opportuniste, aléatoire et qu'on pourrait faire valoir
12 ceci contre l'affirmation selon laquelle il aurait eu une intention
13 particulière et précise d'agir de façon génocidaire à l'encontre de la
14 communauté musulmane."
15 Mais il est tout à fait erroné d'affirmer, comme le fait l'accusation, que
16 c'est la base seule sur laquelle s'est appuyée la Chambre pour tirer ses
17 conclusions.
18 Si l'on pense à l'état d'esprit de l'accusé, il faut l'évaluer au regard
19 d'une conclusion bien plus importante, à savoir que l'existence d'un plan
20 visant à la destruction du groupe musulman à Brcko n'avait pas été prouvé.
21 Permettez-moi maintenant de parler brièvement de la démarche adoptée par
22 l'accusation, en partie du moins, lorsque l'accusation dit à la Chambre
23 d'appel: "La population de Brcko considère qu'il s'agit de génocide". Donc
24 vous, vous devez également considérer et dire qu'il s'agit d'un génocide
25 par considération pour les personnes qui sont mortes ainsi que pour les
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1 survivants.
2 J'imagine qu'il y a des éléments qui appuient cette affirmation, si cela
3 est vrai effectivement. La distinction entre un crime de guerre et le
4 génocide donc est une distinction à caractère éminemment juridique.
5 Très franchement, peu importe ce que pense un membre du public de la
6 qualification juridique appliquée à un crime donné! Ceci n'est pas un
7 argument qui soit propre à aider la Chambre d'appel, de lui demander donc
8 de penser à l'impact de sa décision sur les survivants ou sur l'opinion
9 publique en général. Si l'accusation ne peut pas prouver -et elle ne peut
10 pas prouver- qu'il existe une composante, qu'il y a un élément constitutif
11 de crime de génocide, à ce moment-là, le crime de génocide n'est pas
12 prouvé.
13 Cela signifie pourtant que le génocide doit toujours être condamné pour
14 crime grave contre l'humanité. Et personne ne remet ceci en question. Il
15 ne s'agit pas pour la Chambre d'excuser son comportement, d'atténuer la
16 gravité de son comportement en ne le qualifiant pas de génocidaire. Ce
17 n'est pas de cela qu'il s'agit.
18 Les mesures demandées par l'accusation, enfin, eh bien, elles se résument
19 à un nouveau procès pour les raisons que j'ai déjà invoquées. Si le motif
20 d'appel n°1, si le motif n°2 sont accueillis ou rejetés, eh bien, nous,
21 nous estimons qu'il ne faut pas qu'il y ait de nouveaux procès, sauf si
22 l'accusation a raison en ce qui concerne le motif 3. En effet, s'ils n'ont
23 pas raison en ce qui concerne le motif d'appel n°3, à ce moment-là, on
24 peut dire que la Chambre de première instance a pris la bonne décision,
25 même si elle a emprunté pour ce faire un chemin détourné, qui n'est pas le
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1 chemin approprié.
2 Même si l'accusation avait raison, même si l'on part du principe
3 qu'effectivement, il y a des éléments de preuve qui indiquent l'existence
4 du génocide, un faisceau de présomptions qui indiquent le génocide, eh
5 bien, nous estimons quant à nous que la décision d'ordonner la tenue d'un
6 nouveau procès a un caractère discrétionnaire.
7 Quand vous avez quelqu'un qui a déjà passé trois ans en prison, c'est un
8 homme encore très jeune, dans une situation où vous avez déjà des témoins
9 qui ont dû une fois revivre tous ces événements extrêmement pénibles en
10 venant témoigner, eh bien, dans ces conditions, il est tout à fait
11 justifié que la Chambre, sur la base du plaidoyer de culpabilité de
12 l'accusé, peut tout à fait légitimement se demander si l'intérêt de la
13 justice exige qu'il y ait nouveau procès en l'espèce.
14 Et la Chambre d'appel serait justifiée à tenir compte des facteurs de
15 nature pratique, pragmatique, à savoir la date de ce nouveau procès, vu le
16 retard dans le traitement des affaires devant cette Chambre et vu les
17 limites de temps et les contraintes de temps. On peut donc se demander
18 s'il serait justifié d'ordonner la tenue d'un nouveau procès.
19 Ces arguments, bien entendu, je ne les présente que dans l'hypothèse que
20 la Chambre d'appel rejette la première partie de mon argumentation.
21 Mais je dois vous dire que, grâce à cette pause que nous avons observée,
22 je suis parvenu à rendre mes pensées plus concises et j'en ai donc terminé
23 de mon argumentation.
24 M. le Président (interprétation): (Hors micro)
25 Mme Wald (interprétation): J'ai une question ou plutôt deux questions.
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1 J'ai un petit peu de mal à comprendre ce que vous nous avez dit au sujet
2 de la portée de l'examen, en ce qui concerne le 98bis ou plutôt de savoir
3 donc si la Chambre de première instance aurait dû estimer que l'accusation
4 avait prouvé sa cause au-delà de tout doute raisonnable. Donc il y a d'une
5 part ceci.
6 Et d'autre part, ce que vous avez dit lorsque vous dites que nous devons
7 estimer que la Chambre de première instance a appliqué le droit comme il
8 le fallait aux faits qu'elle a constatés.
9 Vous avez cité un extrait d'une décision Kordic, au sujet du fait que la
10 Chambre d'appel ne remet pas en question la décision d'une Chambre
11 d'instance, à moins qu'il n'y ait erreur manifeste. Je pense que vous
12 anticipez donc ma question qui est la suivante: comment appliquer un
13 critère objectif à une Chambre de première instance objective, si vous
14 nous dites que cette Chambre est en droit de conclure à certaines
15 déterminations sur les faits? Il me semble qu'ici, le critère objectif que
16 vous demandez n'est pas tout à fait jus justifié. Est-ce que qu'une
17 Chambre de première instance raisonnables n'aurait pas pu aboutir à une
18 conclusion différente?
19 M. Clegg (interprétation): Je me suis sans doute exprimé de façon peu
20 claire. Moi, j'avance que, pour ce qui est de l'Article 98bis, et du
21 moment où cela s'applique, il faut appliquer le critère suivant: il faut
22 se demander si une Chambre de première instance raisonnable, appliquant
23 dûment la loi, pouvait à ce moment-là prononcer un verdict.
24 Nous, nous estimons que c'est le critère qu'il faut adopter à ce stade de
25 la procédure. Il faut, pour ce faire, adopter la perspective de la Chambre
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1 de première instance en question. Je crains de ne pas être tout à fait
2 clair.
3 Mme Wald (interprétation): C'est un concept extrêmement complexe.
4 M. Clegg (interprétation): En ce qui concerne l'Article 98bis, je pense
5 qu'il faut appliquer un critère objectif, à savoir est-ce que sur la base
6 des éléments de preuve présentés, la Chambre peut présenter un verdict de
7 culpabilité? A ce moment-là, le procès se serait poursuivi. Le critère
8 appliqué par la Chambre d'appel est à bien des égards le même critère mais
9 est décrit de façon différente.
10 Si on examine la décision de la Chambre de première instance sur la base
11 des faits, à ce moment-là, on se demande si une Chambre de première
12 instance raisonnable aurait pu arriver à une conclusion quelconque,
13 coupable ou non coupable. Et même vous-mêmes, en tant que Juges de la
14 Chambre d'appel, vous vous dites peut-être: "Moi, à ce stade, je l'aurais
15 déclaré coupable ou bien non coupable". Mais ce n'est pas une raison pour
16 laquelle vous allez infirmer le verdict. Vous allez infirmer le verdict,
17 uniquement si vous pensez qu'aucun juge raisonnable ne serait arrivé à
18 cette conclusion.
19 Mme Wald (interprétation): Je trouve cela un petit peu difficile à suivre.
20 Si sur requête d'acquittement, à la moitié du procès, vous nous dites
21 qu'il faut appliquer un critère, le critère de la Chambre raisonnable qui
22 décide ou non de poursuivre, je ne suis pas tout à fait convaincue.
23 Pourquoi est-ce que nous ne devrions pas adopter tout simplement le
24 critère de savoir que, sur la base des éléments de preuves présentés dans
25 le dossier, eh bien, il était en fait raisonnable de s'interrompre au lieu
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1 d'attendre la fin du procès?
2 M. Clegg (interprétation): Oui, en effet, parce que vous vous êtes une
3 Chambre d'appel mais pas une Chambre chargée de réviser le jugement
4 prononcé par la Chambre de première instance. En fait, vous êtes en train
5 d'essayer de voir ce qu'ils ont fait pour voir s'ils sont arrivés à la
6 bonne conclusion. C'est donc un petit peu une distinction, une différence
7 qu'il y aurait avec un nouveau procès; la différence entre le comportement
8 d'une nouvelle Chambre de première instance et le comportement de la
9 Chambre d'appel.
10 Il s'agit de voir s'il y a eu des erreurs de procédure au niveau de
11 l'instance, la première instance ou si une décision a été prise qu'aucun
12 Tribunal raisonnable n'aurait normalement dû prendre.
13 Il y a des raisons très convaincantes qui nous incitent à dire que c'est
14 le cas.
15 Première raison, c'est que nul ici ne connaît les témoins, ne connaît les
16 témoins et n'ait en mesure de forger le jugement que la Chambre de
17 première instance est parvenue à se former, en écoutant et en évaluant les
18 témoins lorsqu'ils déposent.
19 Peu importe de lire un transcript qui est très sec. Cela ne donne pas une
20 idée. La personne peut très bien s'être exprimée dans le prétoire de telle
21 façon que personne ne peut la croire. Donc vous n'avez pas l'avantage de
22 pouvoir assister aux dépositions et, dans le système de la justice pénale,
23 on s'appuie sur les dépositions orales. C'est ce qui est à la base
24 d'ailleurs du verdict rendu par la Chambre de première instance. C'est
25 pourquoi j'avance que le critère qu'il convient d'adopter est celui que je
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1 vous ai présenté.
2 M. le Président (interprétation): Un instant, si vous me permettez de
3 rebondir sur ce qui vient d'être dit et sur la question qui a été posée
4 par Mme la Juge Wald. Je voudrais savoir si on peut dire, raisonnablement,
5 que le critère Tadic auquel vous avez fait référence a trait l'évaluation
6 finale faite par la Chambre de première instance de tous les éléments de
7 preuves présentés dans une affaire, et plus particulièrement au stade où
8 la Chambre est en train dévaluer sa conclusion de culpabilité ou
9 d'innocence?
10 A ce stade, est-il possible de dire qu'on pourrait demander à la Chambre
11 d'appel de réévaluer la question de crédibilité et d'importance à accorder
12 aux éléments de preuve alors que, ici, nous avons une situation où le Juge
13 dépend de questions relatives à la crédibilité et à la fiabilité?
14 M. Clegg (interprétation): Je ne pense pas qu'il convienne de faire les
15 distinctions que vous venez d'évoquer. La question de la crédibilité, de
16 la fiabilité, de l'importance accordée aux éléments de preuve, cela doit
17 se décider sur la base des dépositions, en direct, dans le prétoire.
18 Il n'est pas fréquent qu'un nouveau témoin soit en mesure de remettre en
19 question la fiabilité d'un autre témoin, à moins que le témoin ne l'ai
20 fait lui-même. Donc l'évaluation du témoin par la Chambre doit se baser
21 sur l'évaluation de sa déposition dans le prétoire. Il ne faut donc pas
22 qu'il y ait un critère différent qui soit appliqué par la Chambre d'appel,
23 critère différent du critère Tadic, uniquement parce qu'ici, la
24 conclusion, la décision a été prise à la fin de la présentation des
25 éléments à charge.
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1 Comme je l'ai dit, si la Chambre avait dit: "Maître Greaves, nous ne
2 sommes pas très impressionnés par la qualité des éléments de preuve qui
3 ont été présentés", Me Greaves aurait certainement compris et il aurait
4 dit: "Eh bien, je ne vais pas appeler les 60 témoins que j'avais
5 l'intention de faire venir". Donc on aurait une application du critère
6 Tadic. Mais, ici, nous sommes dans une position différente.
7 Donc si la Chambre avait agi de la sorte, nul grief ne pourrait être
8 évoqué. Le fait que la Chambre n'ait pas agi de la sorte ne doit pas
9 modifier le critère que doit appliquer la Chambre d'appel parce que c'est
10 malgré tout un critère qui a été adapté ou appliqué à tous les éléments de
11 preuves présentés.
12 M. le Président (interprétation): Dernière question qui a trait à
13 l'intention: dans le Statut, on nous explique la nature de l'intention qui
14 est prise en compte, intention de détruire en tout ou partie un groupe
15 national.
16 Mais je voudrais savoir s'il y a une question qu'il convient de se poser,
17 au préalable, au sujet de la signification de l'intention.
18 Ce matin, Monsieur Bergsmo nous a présenté un cadre de réflexion et il a
19 parlé d'actes délibérés. Il a également parlé de désir, de volonté. La
20 question est de savoir si, dans ces conditions, l'intention traduit un
21 acte délibéré, volontaire ou bien un acte qui a une composante
22 supplémentaire, qui en fait un désir. Donc, vous, vous nous dites, si j'ai
23 bien compris: c'est une question d'interprétation. Lorsque la Chambre de
24 première instance a parlé de "dolus specialis", elle faisait référence à
25 l'intention dans le même esprit que l'accusation. Donc cela ne présente
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1 aucune difficulté.
2 M. Clegg (interprétation): Oui, effectivement. En écoutant l'accusation ce
3 matin, je suis tout à fait d'accord que c'est le cas. Parce que, dans leur
4 mémoire écrit, leur position était légèrement différente. J'essayais
5 d'ailleurs de vous l'expliquer.
6 Le terme d'"intention" appliqué au génocide reflète, à notre avis, un
7 autre état d'esprit: l'état d'esprit qui doit être présent chez l'accusé.
8 Personnellement, les termes de "désir", de "mobile" ne me paraissent pas
9 très heureux.
10 Ce qu'exige le Statut du Tribunal, c'est que la personne en question
11 manifeste un état d'esprit dont l'accusation doit faire la preuve et un
12 état d'esprit qui est celui qui se traduit de la manière suivante: cette
13 personne sait que ses actions, dans le cadre de ses meurtres, s'inscriront
14 dans le cadre d'un processus de destruction en tout ou partie, etc. Donc
15 il faut qu'il tue avec cet état d'esprit.
16 M. le Président (interprétation): Nous n'avons plus de question. Maître
17 Clegg, nous vous remercions.
18 Je me tourne vers le Procureur. Nous vous serions très reconnaissants de
19 répondre brièvement.
20 M. Yapa (interprétation): C'est M. Guariglia qui va répondre.
21 M. Guariglia (interprétation): Merci, Monsieur le Président. Je serai très
22 bref en ce qui concerne les motifs 1 et 2.
23 En ce qui concerne le motif 1, la seule chose que nous souhaitions dire en
24 ce qui concerne l'invitation de Me Clegg à dire que la décision a été la
25 bonne, mais, même si l'on a adopté la mauvaise procédure, nous estimons
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1 que ça, c'est très dangereux.
2 C'est très dangereux parce que vous avez ici violation des droits
3 fondamentaux des parties ou d'une partie, en l'occurrence. Si nous avons
4 une situation dans laquelle l'accusation, après la présentation de son
5 réquisitoire, n'a pas le droit de demander la présentation d'éléments de
6 preuve supplémentaires, eh bien, on ne se poserait même pas de question au
7 sujet de la décision finale. Tout le monde s'accorderait à dire que les
8 droits de l'accusation ont été enfreints. Et nous vous invitons à prendre
9 la même position en ce qui concerne notre droit à être entendu.
10 En ce qui concerne le deuxième motif d'appel: dès le départ, le conseil de
11 l'accusation souhaite s'excuser auprès de la Chambre d'appel pour ne pas
12 avoir fait comprendre assez clairement ou attiré l'attention de la Chambre
13 d'appel sur la conclusion de la Chambre d'appel dans Celebici, en ce qui
14 concerne l'Article 98bis du Règlement, paragraphe 434 de ladite décision,
15 puisque c'est exactement la position que nous vous engageons à prendre.
16 Deux précisions. Premièrement, concernant la question de Mme la Juge Wald,
17 ce matin, qui a été reprise par mon éminent confrère, à savoir: est-ce
18 qu'il y a une différence s'il n'y a qu'un seul juge?
19 C'est exact. Nous nous appuyons sur une affaire jugée dans l'Ontario avec
20 un jury. Cependant, dans cette affaire, vous avez deux décisions
21 identiques prises par des juges qui jugent seuls. Et le critère qu'ils
22 adoptent, c'est que, dans des affaires très simples, lorsque la Chambre
23 d'appel est en mesure de déterminer ce qui se serait passé si l'affaire
24 s'était poursuivie, à ce moment-là, la Chambre d'appel peut estimer qu'il
25 n'y a pas eu erreur dommageable. Mais dans tous les autres cas, c'est un
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1 exercice purement spéculatif que nous n'encourageons pas.
2 Enfin, nous estimons qu'il est tout à fait juste et qu'il y a des raisons
3 qui doivent nous inciter à faire la distinction entre les faits et le
4 droit, le juge sur les faits et le juge sur le droit. La question de Mme
5 la Juge Wald a très clairement mis en lumière la confusion qui peut en
6 résulter, concernant le critère à appliquer pour l'Article 98bis du
7 Règlement. On voit la confusion qui peut résulter de cela.
8 La question maintenant est de savoir si, à ce stade de la procédure, on a
9 effectivement appliqué un critère objectif pour l'Article 98bis. Il ne
10 s'agit pas d'analyser de nouveau les éléments de preuve présentés mais de
11 se demander si le critère nécessaire à l'application de l'Article 98bis a
12 été pris en compte ou non. Et nous, nous estimions que, si vous estimez
13 qu'il y a une erreur de droit de la part de la Chambre de première
14 instance, eh bien, vous avez l'autorité de corriger cette erreur.
15 Voici donc ce que j'avais à vous dire au titre des motifs 1 et 2.
16 M. Bergsmo (interprétation): Quelques précisions au sujet de
17 "l'intention", au titre de l'Article 4.
18 Premièrement, l'accusation ne reconnaît absolument pas qu'il y a eu "dolus
19 specialis" ou nécessité de prouver l'intention consciente aux termes de
20 l'Article 4 du Statut. Notre position reste celle qui est présentée au
21 paragraphe 4.9 de notre mémoire et que nous avons explicitée dans nos
22 arguments présentés ce matin à l'audience.
23 Ce matin, j'ai fait référence à la nécessité de prouver la connaissance de
24 la destruction du groupe en tant que tel et mon éminent confrère de la
25 défense y a fait référence. Mais quand j'ai dit cela, je ne faisais
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1 référence qu'à la catégorie b) du paragraphe 4.9 de notre mémoire, à rien
2 d'autre.
3 La catégorie a), qui figure dans ce même paragraphe, est indépendante,
4 autonome et exige la volonté consciente de la part de l'auteur des crimes
5 incriminés.
6 Deuxièmement, la défense estime que le paragraphe 66 du Jugement de la
7 Chambre de première instance est une définition académique et exemplaire
8 de l'intention spécifique.
9 D'après la dernière phrase de ce paragraphe, apparemment, on exige
10 l'existence d'un plan génocidaire. Le conseil de la défense reconnaît
11 qu'il n'y a peut-être pas, dans l'Article 4, de nécessité de prouver
12 l'existence d'un plan génocidaire.
13 La commission préparatoire à la mise en place du Tribunal pénal
14 international s'est penchée sur la question lorsqu'elle a étudié le
15 génocide. Cette commission a adopté une approche différente: elle a décidé
16 de ne pas adopter le critère du plan génocidaire. Elle a choisi de définir
17 un nouvel élément -et ceci a été reconnu officiellement par les délégués
18 qui ont pris part à ces négociations-, donc un élément qui exige de
19 prouver que la conduite génocidaire a eu lieu dans le contexte d'une
20 conduite manifeste et délibérée à l'encontre de ce groupe, ou que la
21 conduite génocidaire en question aurait pu avoir pour conséquence la
22 destruction du même groupe.
23 Il se trouve que je représentais le Tribunal dans le cadre de ces
24 négociations à New York. Vous serez sans doute intéressés de savoir que,
25 pendant les négociations, de nombreux délégués ont fait référence au
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1 "scénario Jelisic", entre guillemets, lorsqu'on a parlé de cela.
2 Le fait qu'on dise ici "conduite délibérée, manifeste" montre très bien
3 que les délégués voulaient être sûrs que, lorsque vous avez une campagne
4 de persécution, au cours de laquelle se manifestent des auteurs qui ont
5 une intention génocidaire, ne doit pas sortir du contexte de la définition
6 du génocide. Et c'est pourquoi de nombreux délégués, notamment du Canada,
7 ont fait référence au scénario Jelisic en disant que c'était une affaire
8 d'une extrême importance et qui devait pouvoir s'inscrire dans le cadre de
9 l'Article 6 de la Cour pénale permanente.
10 Il est intéressant de constater que la commission a eu le courage de
11 modifier le droit stipulé dans la convention sur le génocide, en ce qui
12 concerne les contextes objectifs du génocide. En revanche, ils n'ont
13 absolument rien changé en ce qui concerne l'intention de l'auteur. Au
14 contraire, ils l'ont atténuée, ils ont atténué la formulation. Alors que
15 dans le Statut, on dit "avec l'intention de détruire", si l'on regarde les
16 documents de la Cour permanente, ils disent simplement que "l'accusé
17 devait avoir l'intention de détruire, en tout ou partie, le groupe
18 concerné, en tant que tel.
19 Et, Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges, le terme "avoir
20 l'intention" dans ce contexte a été utilisé dans douze crimes de l'Article
21 8 du Statut relatif aux crimes de guerre. Ce sont là tous les délits liés
22 à l'existence d'un "dolus specialis" ou d'un désir conscient de commettre
23 ces crimes. Nous disons que, dans le cas qui nous intéresse, ceci n'existe
24 pas.
25 Troisièmement, la défense affirme que la seule différence entre le crime
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1 contre l'humanité et le génocide réside dans l'intention spécifique exigée
2 pour prouver l'existence d'un génocide. Mais qu'en est-il des éléments
3 décrivant les crimes contre l'humanité, qui exigent d'abord l'existence
4 d'une attaque systématique et de grande envergure? Deuxièmement, le
5 comportement de l'accusé doit faire partie d'un plan préexistant et de
6 cette attaque systématique et à grande échelle. Troisièmement, l'accusé
7 doit savoir que son comportement fait partie de cette attaque systématique
8 et à grande échelle. Quatrièmement -et ceci est spécifique au Statut de ce
9 Tribunal-, il faut qu'il y ait eu un conflit armé.
10 Aucun de ces quatre éléments ne s'applique au crime de génocide.
11 Quatrième argument en réponse: la défense semble s'efforcer de remettre au
12 goût du jour la vieille discussion relative aux dirigeants d'un Etat et à
13 leur rapport à un génocide, en laissant entendre qu'effectivement, seuls
14 les auteurs d'un génocide peuvent être considérés comme responsables de ce
15 génocide. C'est le point de vue proposé par la France au cours des
16 négociations de la convention sur le génocide.
17 Je vous renvoie à la proposition A/C6/224 au sujet de laquelle nous avons
18 remis aux Juges de cette Chambre un compte rendu des discussions où ces
19 propositions sont faites à la Chambre. Les discussions ont abouti sur un
20 vote; quarante Etats ont voté contre la proposition et deux pour la
21 proposition.
22 La Chambre ne devrait pas admettre un point de vue que, s'il s'appliquait
23 à l'Allemagne nazie, permettrait de condamner un commandant d'un camp de
24 la mort pour génocide, alors qu'un autre commandant d'un autre camp
25 pourrait simplement être décrit comme ayant fait preuve d'ambition
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1 militaire, ceci donnant lieu à des sentences et à des verdicts
2 fondamentalement distincts.
3 Cinquième argument de l'accusation: la défense a fait référence à la
4 jurisprudence des tribunaux ad hoc. Le jugement Jelisic, bien sûr, est le
5 seul jugement prononcé par le TPIY au sujet du génocide. Et c'est
6 d'ailleurs pourquoi cet appel acquiert une telle importance. C'est
7 pourquoi il est si important que les questions juridiques relatives au
8 génocide soient traitées comme il convient.
9 L'une des premières décisions du Tribunal rwandais, sinon la première, au
10 sujet du génocide a conclu l'affaire Akayesu. Le Procureur sait bien que
11 ce jugement évoque l'intention spéciale ou le "dolus specialis" mais, dans
12 le même temps, au paragraphe 520, il fait référence à la notion de "la
13 nécessité de savoir ou d'avoir été en mesure de savoir" comme étant le
14 critère prééminent. C'est ce critère qui est sous-jacent dans les deux
15 catégories e) et suivantes, au paragraphe 4.9 du mémoire du Procureur.
16 "Devrait savoir" n'est pas seulement un critère probable dans une telle
17 argumentation. Le Procureur affirme que cette contradiction apparente avec
18 le jugement Akayesu est telle que le jugement ne peut pas être utilisé
19 contre la position du Procureur, établie au paragraphe 4 b) de notre
20 mémoire.
21 Les jugements suivants: l'affaire Akayesu, sur l'intention génocidaire,
22 demeurent entachés de la même contradiction. En tout état de cause, aucune
23 de ces décisions n'est contraignante pour la présente Chambre d'appel.
24 Sixième argument de l'accusation: le Procureur ne partage pas
25 l'interprétation de la défense au sujet des textes écrits par Gil Gil et,
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1 enfin, la position du Procureur continue à être que l'on ne doit pas
2 recourir à des moyens supplémentaires d'interprétation pour aboutir à la
3 conclusion que le "dolus specialis" n'est pas la seule forme d'état
4 d'esprit décrite dans l'article 4. Cette position découle du libellé
5 relatif à l'état mental, c'est-à-dire à l'élément moral dans l'article 4,
6 replacé dans son contexte et examiné au vu de l'objet et de l'intention de
7 l'article 4, et de la Convention sur le génocide.
8 Je donne maintenant la parole à mon collègue M. Nice
9 M. Nice (interprétation): Monsieur le Président, Madame, Messieurs les
10 Juges, je serai bref.
11 La question de droit contenue dans notre motif d'appel que mon collègue,
12 Me Clegg, a examiné et argumenté de manière tout à fait complète aux
13 points 489 et suivants de notre mémoire écrit, c'est donc une
14 argumentation que je n'ai pas besoin de reprendre dans le temps limité qui
15 m'est encore imparti aujourd'hui. Et ces écritures montrent que ce motif
16 ne peut avoir aucune incidence sur une intention juridique. Tel est
17 l'argument de droit. Il a été débattu et décrit par écrit à votre
18 intention.
19 Deuxièmement, j'aimerais dire un mot au sujet des jugements, qu'ils soient
20 complets ou pas. Très souvent, devant ce Tribunal, ils sont complets;
21 lorsqu'ils ne le sont pas et ne sont pas suivis d'argumentation, il est
22 moins aisément possible de leur accorder une quelconque confiance.
23 Ce que nous proposons -et cela renforce notre position antérieure-, c'est
24 que lorsque le droit s'applique correctement aux faits, une grande masse
25 d'éléments de preuve n'ont pas besoin d'être résumés et cela ne peut pas
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1 être le cas lorsqu'un grand nombre d'éléments de preuve ont été laissés de
2 côté. J'ai appelé votre attention sur quelques exemples à cet effet, qui
3 montrent que les arguments évoqués à l'instant sont contredits par la
4 réalité.
5 Jelisic a admis avoir tué quinze personnes. Les crimes qu'il a admis ont
6 concouru au prononcé de la sentence contre lui, mais les éléments de
7 preuve relatifs au génocide ont démontré une responsabilité directe et
8 indirecte pour un certain nombre d'actes. Et nous avons assisté à un
9 court-circuitage du procès, ce qui est une erreur de la part de la Chambre
10 de première instance.
11 De même, le chiffre de 66 personnes tuées n'est absolument pas admis. La
12 Chambre de première instance saura, après avoir entendu nos arguments,
13 qu'un certain nombre d'éléments de preuve semblent indiquer qu'il y aurait
14 eu 2000 à 3000 corps de Musulmans qui ont été tués et, bien entendu, ces
15 éléments de preuve indiquent qu'il s'agit bien d'un acte qui a pris pour
16 cible tout un groupe.
17 Il n'est pas exact que les tableaux que vous avez sous les yeux soient
18 sélectifs. Au contraire, ils ont été produits par moi et sous mon
19 contrôle, mais par quelqu'un qui n'est pas partie prenante au procès.
20 C'est parce que nous savions quels problèmes il y aurait à apprécier les
21 éléments de preuve à ce niveau, dans le cadre d'un procès qui n'est pas un
22 procès particulièrement important mais un procès qui traite de questions
23 très fondamentales, donc en raison également des réponses apportées par
24 l'accusé à un certain nombre de questions, que nous avons procédé de cette
25 façon.
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1 Nous avons déterminé un certain nombre de sujets et choisi ces sujets dans
2 ce cadre. J'admets l'analyse de mon collègue, Me Clegg, quant à la façon
3 dont la Chambre de première instance aborde les problèmes dans les
4 paragraphes 65 et 87. J'admets son analyse des actes accomplis par la
5 Chambre, mais je rejette totalement ses arguments quant au fait qu'ils
6 prouveraient qu'il n'y a pas eu de plan préexistant.
7 Je vous demanderai simplement à vous, Juges de cette Chambre d'appel,
8 d'examiner les documents une nouvelle fois et d'y réfléchir d'une façon
9 très approfondie pour déterminer si ce n'est pas l'existence d'un plan
10 prééminent qui a amené Jelisic à agir comme il l'a fait et comme il s'en
11 est plaint lui-même, sous les ordres de tiers qui étaient tout aussi
12 coupables que lui.
13 Des centaines et des centaines de personnes ont été remises en liberté
14 -cela n'est pas contesté-, mais il y en avait beaucoup plus qui les
15 gardaient prisonnières. Et quant aux actes de Jelisic, j'en ai traité dans
16 les derniers passages de mon intervention précédente, ce matin. Nous
17 découvrirons demain la position du Procureur s'agissant de ce point
18 particulier et des réponses apportées par l'accusé aux enquêteurs qui
19 l'interrogeaient, réponses qui ont été cyniques, uniquement destinées à
20 défendre ses intérêts, même si la Chambre cherchait à découvrir en lui
21 d'autres formes d'expression et avait à l'esprit l'existence des crimes de
22 guerre jugés au Tribunal de Nuremberg.
23 Il n'est pas rare, comme nous avons pu le voir dans un certain nombre de
24 situations, de trouver un peu de bien dans une personnalité
25 fondamentalement mauvaise. La citation vient du procès de Nuremberg et je
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1 la reprends en toute sécurité: "Un peu d'humour de la part d'une personne
2 fondamentalement négative ne signifie pas que cet homme soit un homme mû
3 par des motivations positives". Nous n'admettons pas qu'il y ait eu la
4 moindre motivation positive chez Jelisic, malgré les propos tenus par la
5 défense et, malgré l'existence d'un certain nombre d'actes tout à fait
6 insignifiants qui sembleraient l'indiquer.
7 Le fait de dire qu'une personne ordinaire peut se montrer narcissique
8 exagérément narcissique est tout simplement erroné. Le libellé utilisé
9 dans le paragraphe du texte en question est tiré du dernier rapport, si je
10 ne m'abuse du Dr Van den Bussche, soumis à la Chambre après que celle-ci
11 eut pris sa décision au sujet du génocide.
12 J'en reviens à la référence faite à Brcko pour corriger une erreur de la
13 défense sur point.
14 Bien entendu, les lieux, les habitants civils d'une communauté n'ont pas
15 le droit de s'exprimer ou de se prononcer de la même façon que peut le
16 faire un Tribunal, cela c'est tout à fait évident.
17 Et j'ai dit que leur seul intérêt était que l'affaire soit traitée de la
18 façon la plus complète qui soit.
19 Etant donné l'existence d'un droit discrétionnaire de la part des Juges,
20 en référence aux témoignages des victimes, je reprends ce que j'ai dit ce
21 que matin, nous pensons qu'un nouveau procès est indispensable de façon à
22 entendre une nouvelle les témoins qui déposeront sur cette question. Un
23 grand nombre d'entre eux sont très préoccupés par la nécessité de rejuger
24 ce point.
25 Il ne s’agit pas uniquement de convenances personnelles.
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1 Voilà les conclusions que nous souhaitions vous soumettre, Monsieur le
2 Président.
3 M. le Président (interprétation): J'aimerais vous poser une question.
4 Maître Clegg, si j'ai bien compris, a présenté l'argumentation suivante.
5 Vous avez consacré un certain temps ce matin à démontrer qu'il existait
6 des éléments de preuves qui, s'ils avaient été pris en compte par la
7 Chambre de première instance, auraient dû d'une façon raisonnable l'amener
8 à prononcer un verdict de culpabilité.
9 J'ai cru comprendre qu'il avait affirmé que cela n'avait pas été le cas,
10 c'est-à-dire qu'il fallait que vous démontriez qu'aucun élément de preuve
11 pris en compte par la Chambre de première instance sur cette affaire
12 n'aurait pu permettre à la Chambre de se prononcer comme elle la fait.
13 La question qui se pose donc n'est pas de savoir s’il existe des éléments
14 de preuve qui auraient pu permettre à un Tribunal agissant de façon
15 raisonnable de se prononcer d'une autre façon sur les faits, mais de
16 savoir s'il existait un seul ou plusieurs éléments de preuve qui auraient
17 pu amener le Tribunal à se prononcer comme il l'a fait.
18 Alors ne peut-on pas répondre à cela?
19 Est-ce que la question sur le fond est vraiment très différente de la
20 question qui a été évoquée lors de la décision définitive sur les éléments
21 de preuve?
22 Nous avons là une décision qui a été prise au milieu d'un procès. Et la
23 question qui se pose consiste à savoir si les éléments de preuve de
24 l'accusation, au cas où ils étaient acceptés, auraient pu justifier une
25 condamnation de la part d’un Tribunal agissant d’une façon raisonnable
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1 dans son jugement des faits.
2 Ceci vous permet de souligner les éléments de preuve allant dans ce sens,
3 éléments de preuve donc qui auraient pu justifier un verdict de
4 culpabilité par un Tribunal agissant de façon raisonnable dans son
5 jugement sur les faits.
6 M. Nice (interprétation): Nous sommes tout à fait d'accord là-dessus,
7 Monsieur le Président, pour les raisons déjà avancées par mon confrère, M.
8 Guariglia, ainsi que pour d'autres raisons.
9 Et avec le respect que je dois au Tribunal, je ne serais pas tout à fait
10 d'accord néanmoins avec le point de vue exprimé néanmoins par Me Clegg
11 lorsqu'il a dit que les Juges ont jugé des faits à mi-chemin, si je puis
12 m’exprimer ainsi.
13 Comme vous semblez l'avoir dit à l'instant, Monsieur le Président, la
14 question qui se pose n'est pas simplement celle d'une suspension technique
15 d'un jugement, mais de la façon dont des Juges se sont prononcés sur une
16 affaire déterminée.
17 Donc ce qu'il faut, c'est déterminer si les Juges ont bien fait leur
18 travail en suspendant leur jugement jusqu'à la fin de la présentation des
19 éléments de preuve selon les arguments qui sont avancés ici.
20 C'est pour cette raison que j'ai abordé la question lorsque j'ai répondu
21 aux observations du Juge Wald, un peu plus tôt, au cours de l'après-midi,
22 quant à la façon dont les Juges ont jugé des faits.
23 Et j'aimerais me répéter peut-être sur un point particulier en reprenant
24 vos propos, Monsieur le Président, qui me semblent être tout à fait
25 appropriés en la matière.
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1 Nous sommes ici dans un procès jugé par trois Juges. Maître Clegg affirme
2 qu'à la fin d'une affaire qui ne serait pas une affaire criminelle un Juge
3 pourrait se prononcer d'une façon qui influerait négativement sur la
4 décision, comme un médecin qui agirait de façon négative contre son
5 patient. Cela risquerait de créer des dangers très réels et d'orienter le
6 procès à un moment, trop tôt, dans la procédure vers une décision erronée,
7 vers une déviation. D’où la suspension du jugement.
8 Mme Wald (interprétation): (Hors micro.)
9 J'aimerais savoir quelle est votre position au sujet de l'argument avancé
10 par Me Clegg lorsqu'il a parlé de Juges qui, par hypothèse, auraient
11 appliqué les critères qui s'imposent et seraient parvenus à la conclusion
12 qu'un acquittement était nécessaire.
13 Lorsque la Chambre d'appel revient sur l'action des Juges de cette Chambre
14 de première instance, est-ce que la question de droit qui se pose consiste
15 à se demander s'il faut accorder une certaine attention au jugement de la
16 Chambre de première instance ou s'il ne faut lui accorder aucune
17 attention. Je sais que dans mon système une certaine attention doit lui
18 être doit lui être accordée. Mais quelle est votre position sur ce sujet?
19 M. Nice (interprétation): Madame la Juge, cela ne me pose aucun problème
20 que dans ce Tribunal, comme je pense que c’est le cas dans de nombreux
21 autres tribunaux, cette question soit purement une question de droit et
22 donc un critère objectif.
23 J'allais dire encore quelque chose... Oui, je retrouve le fil. Il est
24 assez difficile de dire comment la lumière entière peut être faite sur la
25 question, sauf dans les circonstances dont nous discutons ici, à savoir
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1 les circonstances dans lesquelles une Chambre de première instance a
2 accéléré la procédure sur un point particulier.
3 Si nous laissons de côté les affaires tout à fait marginales dont Me Clegg
4 a parlé, je crois, la marginalisation totale d'un témoin, la destruction
5 complète d'un témoin, ne parlons pas de cela, mais parlons des affaires de
6 génocide où il existe des éléments de preuve corroborants qui montrent que
7 l'accusé, dans le cas d’un cambriolage par exemple, était bien le voleur
8 et qu’un certain nombre d’éléments nécessaires pour fonder l'existence du
9 délit sont présents.
10 Sur la base de ces éléments de preuve, les Juges estiment pouvoir
11 continuer.
12 Mais une Chambre d’appel va toujours devoir se prononcer sur la même
13 chose, c'est-à-dire la décision de la Chambre de première instance,
14 déterminer s'il s'agissait d'une décision capricieuse ou d’une décision
15 qui a bien pris en compte les critères valables pour éviter toute erreur.
16 M. le Président (interprétation): Je vous remercie, Monsieur Nice, pour
17 votre aide.
18 Je pense que nous en sommes arrivés à la fin de l'audience dans ce
19 jugement en appel, ayant entendu les arguments de l'accusation.
20 Demain, nous entendrons les motifs d'appel de Me Clegg, de la défense, à
21 partir de 9 heures 30, et nous suspendons l’audience pour ce soir jusqu'à
22 demain matin, 9 heures 30 du matin.
23 (L'audience est levée à 18 heures 33.)
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