Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-95-10-T

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE

3 Lundi 30 août 1999

4 L'audience est ouverte à 14 heures 05.

5 M. le Président. - Veuillez vous asseoir. Monsieur le Greffier, voulez-

6 vous faire entrer l'accusé, s'il vous plaît ?

7 (L'accusé est introduit dans le prétoire.)

8 Nous reprenons le cours de nos travaux qui ont été interrompus depuis fort

9 longtemps, pour des raisons diverses.

10 Est-ce que les interprètes m'entendent ?

11 L' interprète. - Bonjour, Monsieur le Président.

12 M. le Président. - J'entends leurs voix que je connais bien.

13 Le Bureau du Procureur entend-il les Juges ?

14 M. Nice (interprétation). - Oui, bien ; merci, Monsieur le Président.

15 M. le Président. - Le Bureau de la défense représenté par Me Greaves et

16 Me Londrovic m'entend-il aussi ?

17 M. Greaves (interprétation). - Oui, Monsieur le Président.

18 M. le Président. - L'accusé m'entend-il également ?

19 (Signe affirmatif de l'accusé.)

20 Nous pouvons reprendre.

21 J'en profite pour souhaiter la meilleure et la plus amicale des bienvenues

22 à Monsieur le Juge Riad.

23 Nous reprenons sur une motion de la défense, déposée vendredi, que

24 Me Greaves pourrait expliciter, et nous entendrons les observations du

25 Procureur.

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1 Si j'ai bien compris, vous vouliez l'ajournement de ce procès,

2 Maître Greaves. Pouvez-vous nous expliquer ? Vous savez que ce procès a

3 déjà connu un certain nombre d'interruptions. Vous allez nous expliquer

4 pourquoi vous voulez l'interrompre. Je pense que vous avez de bonnes

5 raisons. Ensuite le Procureur répondra et les Juges prendront leur

6 décision comme il se doit.

7 Nous vous écoutons.

8 M. Greaves (interprétation). - Merci, Monsieur le Président, d'avoir

9 présenté cette affaire d'une façon très concise. La situation est la

10 suivante ; vous l'avez d'ailleurs définie de très bonne façon en disant

11 que le but de cette requête consistait à demander l’ajournement du procès.

12 Je dirai d'emblée que cette requête n'est pas faite par nous sans

13 réflexion, pour les raisons tout à fait évidentes que vous venez d'évoquer

14 et en raison du fait que cela risque de créer des difficultés pour un

15 certain nombre de témoins. Nous n'avons déposé cette requête qu'après lui

16 avoir accordé un temps de réflexion long et mesuré.

17 Mais la situation est la suivante. Je commencerai par vous donner quelques

18 explications de fond ; vous m’excuserez si cela prend quelques instants.

19 L'un des objets sur lesquels le Procureur a dit s'appuyer pour prouver le

20 crime de génocide retenu contre Goran Jelisic est une liste d'une centaine

21 de personnes dont il est allégué que leurs corps ont été retrouvés dans un

22 fosse commune, dans la région de Brcko, en 1992.

23 Le Procureur s'appuie également sur une deuxième liste de personnalités

24 politiques qui comporte environ 139 noms.

25 La défense, compte tenu de l'existence de ces listes, pense que,

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1 s'agissant de ces personnes, le Procureur estime qu'il s'agit

2 exclusivement de personnes ayant une appartenance ethnique musulmane et

3 que ces 139 personnes au total ont été victimes d'homicides délibérés qui

4 font partie d'un plan destiné à détruire en tout ou partie les Musulmans

5 de Bosnie-Herzégovine.

6 La défense n'admet pas que ces personnes sont nécessairement mortes,

7 qu'elles ont été tuées, ou en tout cas qu'elles l'ont été en conséquence

8 d'un tel plan. C'est la raison pour laquelle elle a l'intention de citer

9 un certain nombre de témoins originaires de la région de Brcko pour les

10 interroger au sujet des noms qui figurent sur ces listes et leur demander

11 s'ils savent dans quelles circonstances ces personnes sont mortes ou si, a

12 contrario, ces personnes seraient encore vivantes.

13 Au moins un des témoins qui va devoir comparaître ici (je ne vais pas

14 donner son nom) parle d'un certain nombre de personnes dont les noms

15 figurent sur ces listes. Ce témoin décrit ces personnes comme ayant été

16 tuées au cours d'une évacuation et cite les noms des personnes dont elles

17 parlent.

18 Il peut donc arriver que des informations soient fournies par ces témoins

19 qui démontreront que, loin d'avoir été tuées en raison d'une politique

20 délibérée destinée à liquider les Musulmans, les personnes dont les noms

21 figurent sur ces listes, ou en tout cas certaine d'entre elles, ont, en

22 fait, été tuées au cours d'opérations militaires ordinaires ; par exemple,

23 en raison de pilonnages d'obus tirés par l'une des parties contre l'autre

24 ou au cours d'escarmouches locales opposant deux groupes d'infanterie.

25 Il peut également être démontré que ces personnes ont trouvé la mort en

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1 raison de circonstances qui n'ont aucun rapport avec la situation de Brcko

2 à l'époque.

3 Très récemment, le 17 août de cette année en fait, un enquêteur

4 travaillant pour la défense, un avocat de Belgrade, en République fédérale

5 yougoslave, a appris l'existence d'un endroit appelé Maoca en Bosnie-

6 Herzégovine. C'est une institution dont le but consistait à travailler sur

7 la situation de Brcko et qui était destinée, si j'ai bien compris, à

8 accueillir les personnes qui avaient peur de se rendre à Brcko pour les

9 aider à répondre à leurs obligations dans le cadre de travaux du tribunal

10 de Brcko. Autrement dit, il s'agissait de personnes qui vivaient à Brcko,

11 dont les biens étaient à Brcko mais qui, aujourd'hui, craignent de se

12 rendre physiquement à Brcko pour traiter des affaires auxquelles elles

13 doivent participer. C'est la raison pour laquelle cette institution qui,

14 en fait, est un Tribunal secondaire, a été créée.

15 L'enquêteur s'est rendu à Brcko le 17 août et, au cours de ses

16 investigations, s'est rendu compte que ce tribunal avait à traiter d'un

17 grand nombre de dossiers qui sont, en fait, des demandes présentées par un

18 certain nombre de personnes souhaitant que des membres de leur famille

19 soient déclarés morts.

20 Je crois comprendre qu'il s'agit de demandes qui existent dans tous les

21 systèmes judiciaires. Je suis sûr, Monsieur le Président, Messieurs les

22 Juges, qu'il existe dans vos pays des organismes chargés de déclarer

23 formellement le décès des personnes qui sont mortes de façon à ce qu'elles

24 ne soient plus considérées comme portées disparues mais effectivement

25 comme mortes.

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1 Mais avant tout cela, la défense s'était déjà convaincue que seul le

2 tribunal de Brcko avait compétence pour traiter ce genre de questions et,

3 d'ailleurs, c'est lui qui traitait ces questions jusqu'à ce moment-là.

4 Je me permettrai de décrire en quelques mots ce que l'on peut considérer

5 comme étant les conséquences de requêtes de ce genre. Il est fort probable

6 que chacune de ces requêtes sera étayée, entre autres, par des éléments de

7 preuve consistant en mémoires sous serment de parents de la personne

8 considérée comme décédée, ayant donc connaissance des circonstances de la

9 vie de cette personne.

10 S'agissant des dossiers de Brcko, nous estimons que les informations

11 fournies par les membres de ces familles révéleront des détails très

12 importants au sujet des circonstances dans lesquelles les personnes qui

13 font l'objet de ces requêtes, de ces dossiers, ont trouvé la mort, et nous

14 pensons que certains de ces dossiers seront soumis aux Juges de cette

15 Chambre. En tout cas, dans ces dossiers, on voit que, loin de faire partie

16 d'une politique délibérée, les personnes qui ont trouvé la mort ont été

17 tuées au cours d'opérations militaires.

18 M. le Président. - Je ne voudrais pas qu'il y ait d'ambiguïté dans la

19 requête. Vous n'êtes pas en train de faire votre plaidoyer en défense. Je

20 voudrais savoir quel est l'objet qui motive l'ajournement des présentes

21 audiences. Revenons-en à l'objet normal de la requête. Tout ceci fait

22 partie de l'argumentation que vous aurez l’occasion de faire.

23 Ce qui nous intéresse, nous, les Juges, c'est en quoi votre argumentation

24 -qui est la vôtre-, et qui est certainement défendable à votre point de

25 vue -, justifie l'ajournement de notre présent procès ; c'est la véritable

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1 question.

2 M. Greaves (interprétation). - Je vous demanderai encore un peu de

3 patience. Je souhaitais simplement expliquer les bases qui justifient de

4 considérer ces documents comme très importants, et j'aimerais que cela

5 soit très bien compris.

6 M. le Président. - Alors, soyez concis et très précis, car pour l'instant

7 je me permets de vous faire remarquer que nous partons dans des

8 considérations, certes légitimes du point de vue de la défense de votre

9 client, mais qui pour l'instant n'expliquent pas en quoi il faut ajourner

10 le présent procès. Essayez donc d'accélérer et d'être concis,

11 Maître Greaves. Vous avez la parole.

12 M. Greaves (interprétation). - Merci beaucoup. L'enquêteur a cherché à

13 obtenir des photocopies de ces dossiers et, pour résumer, je me

14 contenterai de dire qu'il a été empêché de les obtenir, de se présenter et

15 de s'adresser au ministre de la Justice. Il a donc écrit au ministère de

16 la Justice et a reçu une réponse qui est un refus de fourniture des

17 documents, le renvoyant devant les tribunaux auxquels il devrait demander

18 ces mêmes documents. Nous n'avons pas encore ces documents en notre

19 possession.

20 La défense, à l'heure actuelle, n'est donc pas en possession de

21 59 dossiers environ portant sur certains des arguments de l'accusation,

22 arguments que nous considérons d'ailleurs comme majeurs. Ces dossiers vont

23 très probablement contenir des informations qui contrediront les arguments

24 du Procureur.

25 Il est fort possible également que ces documents comportent des

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1 informations montrant que ces personnes décédées ne sont pas mortes en

2 raison d'une politique délibérée de génocide ou de liquidation.

3 Ces documents contiendront sans soute aussi des informations au sujet de

4 décès d'autres personnes dont les noms figurent sur les listes, et des

5 détails qui contrediront l'allégation selon laquelle une fosse commune

6 trouvée en 1992 peut être reliée à ces incidents.

7 Donc tous ces documents, tous ces dossiers, vont au coeur même du procès

8 qui nous intéresse ici, procès en génocide.

9 Nous affirmons que ces éléments de preuve sont importants, que la défense

10 a besoin de les avoir en sa possession avant l'interrogatoire des témoins

11 de l'accusation.

12 En l'absence d'une pleine connaissance de ce que comportent ces documents,

13 il sera, d'après nous, très difficile de procéder à des contre-

14 interrogatoires convenables de ces témoins au moment actuel, notamment si,

15 par exemple, des informations contenues dans l'un de ces dossiers

16 permettent de montrer que l'un des témoins de l'accusation est au courant

17 de ces faits, ou bien si l'un de ces dossiers contredit, en bonne et dûe

18 forme, des propos tenus par les témoins de l'accusation.

19 Je l'ai déjà dit, nous ne présentons pas cette requête sans réflexion

20 mais, compte tenu de l'importance de ces informations qui portent sur le

21 coeur même de l'argumentation du Procureur, nous sommes en droit de

22 demander aux témoins ce qu'ils savent au sujet des personnes dont les noms

23 figurent sur ces listes, et nous sommes en droit d'interroger les témoins

24 au sujet de tout cela, en toute connaissance de cause.

25 Nous affirmons donc que ces dossiers sont absolument indispensables pour

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1 permettre à la défense de contre-interroger convenablement les témoins de

2 l'accusation.

3 Nous affirmons que la justice ne peut pas être rendue tant que nous ne

4 sommes pas en mesure d'agir de la sorte. Je n'ai aucun doute sur le fait

5 que notre requête soulèvera des objections, mais j'aimerais vous rappeler,

6 Monsieur le Président et Messieurs les Juges, que les enquêteurs qui

7 résident à Belgrade n'ont pas eu, ces derniers mois, la possibilité de

8 circuler librement sur tout le territoire de la Bosnie-Herzégovine, ce

9 qui, bien sûr, a créé une certaine différence dans les modalités de

10 fonctionnement que la défense a eues.

11 Cela explique en partie pourquoi notre enquêteur, n'ayant pu voyager que

12 dans la période récente, n'a pu se rendre dans cette région que très

13 récemment.

14 Je pense que d'autres équipes de la défense, dans d'autres procès, ont

15 sans doute eu les mêmes difficultés que celles auxquelles nous nous sommes

16 heurtés. Voilà donc le contenu de notre requête, Monsieur le Président.

17 M. le Président. - L'objet essentiel de la requête c'est un ajournement

18 car la défense, semble-t-il, compte tenu de ce qui se passe dans la

19 région, concernant les dossiers des disparus, aurait besoin que ses

20 enquêteurs puissent obtenir ces dossiers pour pouvoir utilement contre-

21 interroger les témoins que vous voulez faire citer, Maître Nice. Voilà le

22 résumé de la requête de la défense.

23 Peut-être une question, simplement, avant de donner la parole.

24 Maître Greaves, votre enquêteur pense pouvoir avoir ces dossiers au bout

25 de quel délai ? Ceci pour que les Juges soient complètement informés.

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1 M. Greaves (interprétation). - Il y a un problème, je le crains, Monsieur

2 le Président et Messieurs les Juges. Je ne vous en ai pas donné les

3 détails puisque vous m'aviez demandé d'être succinct, mais je vais le

4 faire maintenant.

5 Au départ, notre enquêteur pensait que ces documents lui seraient remis.

6 Et pendant qu'il attendait la remise de ces documents, l'un des Juges qui

7 s'est occupé de la question au Tribunal a vu arriver un autre Juge qui lui

8 a dit : "Cessez tout votre travail, il faut vérifier auprès du Président

9 du Tribunal", et le Président du Tribunal, une fois sollicité, a dit qu'il

10 convenait de s'adresser au ministère de la Justice. Une fois que le

11 ministère de la Justice a été sollicité, la réponse a été : "Non, vous

12 devez retourner devant le Tribunal".

13 Donc, en ce moment, nous en sommes là. Nous devons revenir devant le

14 Tribunal. Il est possible que le Tribunal nous oppose un refus, ce qui

15 nous contraindra à revenir devant vous, Monsieur le Président et Messieurs

16 les Juges, pour vous demander de rédiger une demande adressée à la

17 Bosnie-Herzégovine, lui demandant la remise de ces documents. Mais là,

18 bien sûr, je suis un peu en avance sur le temps.

19 Ces documents, je pense, se trouvent en Bosnie. Il faudra ensuite qu'ils

20 soient traduits, en tout cas pour moi ; ce qui constitue un autre

21 problème.

22 Mais oui, en effet, Monsieur le Président, vous avez très correctement

23 identifié l'objet de ces documents.

24 M. le Président. - Maître Nice ?

25 M. Nice (interprétation). - Nous pensons qu'il n'y a absolument aucune

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1 raison qu'un ajournement soit accepté dans les conditions qui viennent

2 d'être décrites.

3 Les résultats des enquêtes menées devant ce Tribunal n'ont sans doute pas

4 la moindre différence avec le résultat des enquêtes menées par le tribunal

5 de Brcko.

6 Il importe peu de savoir si la défense a eu accès aux résultats des

7 travaux du tribunal de Brcko ou pas, car ici un certain nombre de requêtes

8 ont déjà été présentées, requêtes qui porteront sur un certain nombre de

9 personnes et qui sont très comparables à celles présentées devant

10 n'importe quel tribunal au sujet de n'importe quelle personne.

11 Donc les résultats de l'enquête dont il est question ici n'ont guère de

12 chance d'avoir un rôle fondamental central dans notre procès. Et, en tout

13 état de cause, si ces documents étaient disponibles, il est permis de se

14 poser la question de la possibilité de les obtenir.

15 Mais nous aimerions également souligner que cette requête vient très tard

16 et que c'est également une raison qui justifie de la rejeter. Je citerai à

17 l'appui de mes dires un certain nombre d'arguments.

18 D'abord, quel est le rapport de l'accusation à cette liste ? Est-ce bien,

19 comme la défense vient de vous le dire, un élément absolument central des

20 éléments de preuve ? Non, l'élément de preuve le plus important provient

21 des témoins oculaires dans le présent procès, témoins oculaires qui

22 parleront de la façon la plus nette d'une campagne d'assassinats, campagne

23 qui pourra être jugée sur la base de tous les éléments de preuve vivants,

24 que vous aurez sous les yeux, s'agissant de son organisation, de son

25 importance et de son objectif, c'est-à-dire des cibles visées.

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1 Et ces éléments de preuve portent également sur l'état d'esprit de

2 l'accusé. Je pense que les Juges vont sans doute se pencher sur cet

3 élément de preuve très important en temps utiles.

4 Donc voilà quels sont les éléments de preuve les plus importants, les

5 éléments de preuve capitaux.

6 Et s'ajoutant à ces éléments de preuve, il y a effectivement une liste,

7 moi je parle d'une liste, une liste sur laquelle figurent les noms de

8 200 personnes décédées au moins, dont une centaine ou un peu plus a été

9 identifiée. C'est une liste qui a été dressée par des responsables de la

10 République en question en octobre 1992, liste qui a été ensuite remise par

11 le truchement d'une autre source aux enquêteurs du Bureau du Procureur

12 quelques années plus tard. Cette liste prétend être la liste des personnes

13 qui sont décédées, qui ont été enterrées dans une tombe sans noms, à

14 partir du mois de mai 1992.

15 Eu égard au fait qu'une centaine au plus de noms sont identifiés sur la

16 liste, il importe de savoir que huit en tout cas de ces noms peuvent être

17 reliés directement à l'accusé Jelisic puisque celui-ci a plaidé coupable

18 par rapport au meurtre de chacune de ces huit personnes dont les noms

19 figurent sur la liste.

20 Il y a un certain nombre d'autres noms également pour lesquels il est

21 possible d'établir un lien entre l'accusé et ces noms par des témoins qui

22 pourront venir ici pour dire : "Jelisic a été complice ou acteur de ces

23 crimes, et voilà les noms des personnes dont nous parlons".

24 Outre cela, il y a également des possibilités d'établir un lien au sujet

25 d'un certain nombre d'autres noms quant au fait que les noms en question

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1 sont les noms de personnes qui ont été tuées à cette époque-là.

2 Donc la liste n'est pas un élément de preuve central, c'est un élément de

3 preuve qui est contemporain des événements puisqu'elle a été dressée à

4 l'époque des événements.

5 C'est un élément de preuve dans la mesure où il permet de confirmer

6 l'existence des décès qui seront corroborés par ce que les Juges

7 entendront à partir d'autres sources et c'est un élément de preuve qui

8 peut-être parviendra à prouver que l’importance de ces massacres, dont

9 Jelisic se vante, est prouvée par l'existence de cette fosse commune

10 découverte en 1992 et comblée à l'époque.

11 Et puis, cet élément de preuve pourra venir aux côtés d'autres éléments de

12 preuve pour montrer que c'est bien en 1992 que l'une au moins de ces

13 fosses communes a été comblée.

14 J'aimerais rappeler aux Juges de cette Chambre qu'il existe un élément de

15 preuve qui se présente sous la forme d'une série de photographies dont la

16 première est constituée des photographies dont l'accusé a admis qu'elles

17 montrent comment il a exécuté une victime devant le commissariat de police

18 de Brcko. Il y a également un film et il y a, à la fin de ce dossier, la

19 photographie d'une fosse commune qui a été identifiée par ceux qui l'ont

20 exhumée comme étant manifestement la même fosse commune que celle qui

21 figure sur la photographie de la fosse commune en question à l'époque.

22 C'est bien la même, on peut le constater d'après la disposition des corps.

23 Donc ce sont là les éléments centraux parmi les éléments de preuve,

24 éléments de preuves qui sont complétés par la liste. Mais la liste ne sert

25 qu'à confirmer ces photographies, rien de plus.

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1 S'agissant maintenant des préoccupations très précises de mon collègue,

2 Me Greaves, Me Greaves nous dit que des témoins vont être interrogés au

3 sujet des noms qui figurent sur cette liste. Effectivement.

4 Aujourd'hui, d'ailleurs, je me suis préparé à lui remettre la liste pour

5 ne pas avoir à lui faire lire rapidement une centaine de noms dans ce

6 prétoire, mais lui permettre de les lire à l'avance et de voir ce qu'il

7 sait des noms qui figurent sur cette liste. Il découvrira sans doute qu'il

8 connaît deux noms de cette liste au moins, et que sur cette liste figure

9 le nom d'une personne qui n'est pas musulmane, qui est croate.

10 Et il sera donc possible au témoin que nous interrogerons de dire sur la

11 base de ces noms si, oui ou non, il peut confirmer que ces personnes ont

12 été tuées ou qu'elles sont en vie aujourd'hui. Est-ce que les témoins

13 pourront aller plus loin que cela ? Sans doute pas.

14 Et si, effectivement, il s'avérait souhaitable de rappeler à la barre des

15 témoins déjà interrogés sur ce type de sujet, eh bien ils pourront être

16 rappelés. Les Juges ont toujours le pouvoir de rappeler à la barre tel ou

17 tel témoin et les Juges peuvent -y compris- supprimer la totalité des

18 éléments de preuve apportés par un témoin qui, pour une raison ou pour une

19 autre, refuserait de répondre à cette nouvelle citation à comparaître.

20 Mais en dehors de cela, sur le principe, ce sont les témoignages fournis

21 par les témoins qui permettront de se former une opinion dans ce procès.

22 La liste sera utilisée, éventuellement elle peut faire partie des éléments

23 de preuve supplémentaires, elle peut faire partie des preuves de la

24 défense, mais il serait totalement erroné de faire droit à une requête

25 d'ajournement sur la base de cette liste à l'heure actuelle.

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1 Je me permettrai -avec tout le respect que je dois à cette Chambre- de

2 vous rappeler quelle est l'histoire, assez malheureuse, des témoins dans

3 le présent procès.

4 Lors d'une audience antérieure, sur les huit témoins qui sont ici

5 aujourd'hui et qui attendent de témoigner, trois ont été appelés, mais il

6 a été impossible de les atteindre, donc trois sur huit.

7 Et l'un des témoins qui se trouvent ici aujourd'hui, je ne dirai pas de

8 quel pays il vient, mais je dirai simplement qu'il a fait un très long

9 voyage pour se trouver à La Haye aujourd'hui.

10 Tous les témoins qui sont à La Haye aujourd'hui se sont préparés à

11 témoigner de façon succincte devant ce Tribunal. Ils sont donc

12 pratiquement au bout du processus qui les a forcés à se remémorer tous

13 leurs souvenirs et à revivre les événements de l'époque.

14 Dans l'intérêt du Tribunal, il serait donc très erroné -c'est ce que nous

15 disons avec tout le respect que nous devons à cette Chambre- de ne pas les

16 entendre.

17 La Chambre devrait se rendre compte qu'il a été difficile, déjà,

18 d'organiser la venue de ces témoins pour les trois semaines d'audience que

19 nous allons vivre à présent. Et il est difficile également de dire, s'il y

20 a ajournement, quand les prochaines audiences pourront se dérouler.

21 Mais je reviens, si vous le voulez bien, sur les arguments de la défense.

22 La défense dit que les éléments à sa disposition sont incomplets.

23 Mais puisqu'il sera question dans la bouche des témoins de personnes que

24 ces témoins ont vues se faire tuer, il est très peu probable qu'il peut

25 être prouvé suite à un contre-interrogatoire que ces témoins ont menti.

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1 Les Juges se rappelleront sans doute les éléments de preuve fournis par

2 les deux premiers témoins A et B, et les contre-interrogatoires très

3 réduits qui ne sont pas allés au coeur des meurtres, mais qui ont abouti à

4 l'accord de Jelisic quant à la véracité des événements. C'est la réalité,

5 ce sont des élément de preuve qui montreront que ces meurtres ont bien eu

6 lieu.

7 S'il existe des éléments de preuve provenant d'un autre tribunal et

8 concernant les noms des personnes figurant sur cette liste, nous disons

9 que cela n'a aucune influence sur le présent procès.

10 Les témoins qui sont arrivés à La Haye dans les circonstances que je viens

11 de décrire devraient, je le dis, être entendus cet après-midi.

12 Et je voudrais vérifier auprès de mon confrère, M. Tochilovsky, s'il a

13 quelque chose à ajouter... Non, Monsieur le Président. Ce sera donc la fin

14 de mes arguments.

15 M. le Président. - Maître Greaves, vous voulez exercer votre droit de

16 réplique, s'il vous plaît ?

17 M. Greaves (interprétation). - La première question qui a été soulevée par

18 mon éminent confrère au sujet de l'existence des tribunaux de Brcko, je

19 crois qu'il a mal compris. Nous avons déjà examiné la situation des

20 tribunaux de Brcko : les dossiers qui ont été trouvés dans d'autres

21 tribunaux ne se trouvent pas à Brcko.

22 C'est la première fois que nous faisons une enquête dans ce sens et nous

23 n'avons trouvé ailleurs aucun dossier se rapportant à ces personnes. C'est

24 seulement au tribunal de Maoca qu'on trouve ces dossiers.

25 Deuxièmement chose, en essayant de diminuer l'importance de cette liste,

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1 mon éminent collègue en fait souligne la raison pour laquelle cette liste

2 est importante, parce que cette liste va dans le sens des témoignages

3 d'autres témoins. Il ne s'agit pas uniquement des témoins oculaires, il

4 s'agit d'autres témoins dont le témoignage sera étayé par cette liste.

5 C'est pour ça que c'est important pour l'accusation, elle ne se servirait

6 pas de cette liste si elle ne l'estimait pas importante.

7 Troisièmement, mon éminent confrère commence d'ores et déjà à nous parler

8 de l'honnêteté et de la sincérité des témoins. Or, c'est à vous, Messieurs

9 les Juges, de vous prononcer à ce sujet puisque nous ne pouvons pas le

10 savoir. Nous ne pouvons pas savoir si un témoin viendra ici avec

11 l'intention de ne pas dire la vérité. Et si l'un de ces dossiers devait

12 révéler qu'un témoin n'a pas dit la vérité, à ce moment-là cela aurait des

13 conséquences extrêmement importantes.

14 Bien entendu, l'accusation, comme toutes les accusations du monde, est

15 tout à fait confiante dans la sincérité de ces témoins, mais cela peut se

16 révéler erroné. Il se peut que l'on découvre dans ces dossiers des

17 éléments qui indiquent que les témoins n'ont pas dit la vérité ou plutôt

18 qu'ils ne se souviennent pas tout à fait clairement de ce qui s'est passé.

19 Après tout, de longues années se sont écoulées depuis. Il est possible

20 qu'un témoin ait mal compris une informations et la rapporte de façon

21 incomplète, ce qui pourrait vous induire en erreur. Et ceci serait

22 regrettable. Il serait regrettable que vous, Messieurs les Juges, receviez

23 des informations erronées.

24 Donc nous affirmons que ces dossiers vont être très utiles pour cette

25 affaire. Et dans l'intérêt de la vérité, nous estimons que ces dossiers

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1 sont vitaux et qu'il est important de les soumettre, ceci afin que nous

2 puissions mener à bien le contre-interrogatoire des témoins.

3 Mon éminent confrère mentionne le fait que les témoins que nous devrions

4 entendre sont déjà venus à La Haye. C'est bien la raison pour laquelle

5 nous n'avons pas présenté notre requête à la légère, mais nous le faisons

6 et nous vous demandons de la prendre en compte et d'y accéder.

7 M. le Président. - Simplement, peut-être avant que les Juges ne

8 délibèrent, est-ce que vous avez pris en compte, Maître Greaves, qu'aux

9 termes de l'article 73 ter, lorsque l'accusation aura présenté l'ensemble

10 de ses moyens de preuve, nous examinerons au cours d'une conférence

11 préalable à la présentation de vos moyens à décharge l'ensemble de votre

12 défense, et que peut-être c'est à ce moment-là qu'un problème de cette

13 nature pourra se poser, et que les Juges pourront le trancher ? Est-ce que

14 vous avez bien mesuré la portée de cette disposition de nos textes de

15 procédure ?

16 Deuxièmement, est-ce que vous avez bien mesuré également qu'aujourd'hui il

17 s'agit de trois semaines d'audience et qu'ensuite -M. Fourmy n'a pas pu

18 être là aujourd'hui- nous aurons de toute façon une interruption qui vous

19 permettra peut-être, pendant ce temps-là, d'obtenir ce qui est nécessaire

20 à la présentation de vos arguments en défense ?

21 M. Greaves (interprétation). - En ce qui concerne le premier point, je

22 dois dire que je n'ai pas consulté l'article 73ter. Mais nous, nous

23 estimons qu'il est important que ceci soit fait dans le cadre de la

24 présentation des moyens de preuve de l'accusation. Et si l'on regarde

25 l'article 73ter, cela prévoit une conférence, mais une fois que les moyens

Page 333

1 à charge ont été présentés. Donc je ne vois pas à ce moment-là comment

2 nous pourrions rectifier ou modifier des choses qui auraient été dites

3 auparavant.

4 En ce qui concerne le deuxième point de votre intervention...

5 M. le Président. - Excusez-moi de vous interrompre, mais en reconvoquant

6 éventuellement le ou les témoins pour lequel vous souhaiteriez pouvoir lui

7 poser un certain nombre de questions après que vous ayez vos dossiers. Ce

8 n'est pas impossible, cela.

9 M. Greaves (interprétation). - Oui, à ce moment-là il faudrait que

10 l'accusation représente ses moyens à charge et nous, nous ne souhaiterions

11 pas être responsables d'appeler à comparaître des témoins qui sont opposés

12 à notre client.

13 Le deuxième point que vous avez évoqué, c'est le temps dont nous

14 disposerions après ces trois semaines, période pendant laquelle nous

15 pourrions obtenir ces dossiers. Mais après ces trois semaines, les témoins

16 seront partis et il sera peut-être difficile de les faire revenir. Et il

17 ne sera peut-être pas possible de les inciter à revenir à La Haye. Ils

18 nous diront peut-être qu'ils ne veulent pas revenir, que cela est trop

19 compliqué. Et à ce moment-là, nous ne pourrons pas poser les questions

20 relatives à ces dossiers aux témoins. La situation serait donc très

21 défavorable à la défense et très insatisfaisante parce que l'on n'aurait

22 pas pu clarifier tous les points. Et à ce moment-là il y aurait toujours

23 un point d'interrogation sur les dépositions de certains témoins pour

24 vous, Messieurs les Juges. Cela serait donc insatisfaisant.

25 En ce qui concerne le témoin que nous devrions entendre cet après-midi, il

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1 est apparemment prêt à dire certaines choses sur des gens qui sont

2 présents sur cette liste et c'est peut-être le cas des autres témoins que

3 l'accusation souhaite citer.

4 Puis-je répondre à une autre question de vous, Monsieur le Président ou de

5 MM. les Juges ?

6 M. le Président. - Je me tourne vers mes collègues.

7 (Les Juges se consultent sur le Siège.)

8 Les Juges vont délibérer et l'audience reprendra à 15 heures 15.

9 (L'audience, suspendue à 14 heures 45, est reprise à 15 heures 15.)

10 M. le Président. - L'audience est reprise. Veuillez vous asseoir.

11 Monsieur le Greffier, faites introduire l'accusé, s'il vous plaît.

12 (L'accusé est introduit dans la salle d'audience.)

13 M. Nice (interprétation). - Avant que vous n'annonciez votre décision, je

14 voudrais ajouter quelque chose.

15 M. le Président. - Maître Nice, vous permettez, les débats sont clos,

16 les Juges vont rendre leur décision.

17 M. Nice (interprétation). - Je le comprends bien. La difficulté c'est que,

18 lorsqu'on reçoit une requête tard le vendredi, il peut se glisser

19 certaines erreurs dans cette requête et j'ai découvert dans cette requête

20 des points qui sont favorables à ma position et défavorables à la défense

21 en regardant la liste de Me Greaves.

22 M. le Président. - Maître Nice, ce n'est pas convenable parce que, si l'on

23 rouvre le débat, il faut redonner la parole à Me Greaves. Je crois que

24 les Juges ont entendu vos arguments et rendent leur décision, s'il vous

25 plaît.

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1 M. Nice (interprétation). - Comme vous le souhaitez.

2 M. le Président. - Merci, Maître Nice de le comprendre.

3 Les Juges saisis de la requête de la défense de Goran Jelisic, requête en

4 date du 27 août, font d'abord observer que c'est une requête tardive qui a

5 d'ailleurs été, pour le Président qui vous parle, non traduite dans l'une

6 des deux langues du Tribunal. Mais ce n'est qu'une parenthèse.

7 Les Juges, après avoir écouté les observations des deux parties, aussi

8 bien les observations de présentation de la requête, les observations aux

9 répliques, les observations en duplique, ont pris la décision de rejeter

10 ladite requête et d'ordonner que le procès suive son cours pour les trois

11 sortes de raisons suivantes.

12 Les Juges ont eu d'abord à l'esprit comme première raison les droits de

13 l'accusé. Or, ces droits de l'accusé non seulement ne sont pas compromis

14 par ladite décision, mais bien au contraire sont sauvegardés. Les Juges

15 trouvent d'abord dans l'article 73ter, "Conférence préalable à la

16 présentation des moyens à décharge", la possibilité pour la défense le

17 moment venu, à la lumière de ce qui se sera passé pendant la phase de

18 présentation des moyens de l'accusation, auront la possibilité de dresser

19 devant les Juges, à huis clos, un bilan complet de ce qui s'est passé et

20 des éventuelles carences qui auraient pu, si les témoins avaient été

21 contre-interrogés conformément aux éléments qui, d'après la défense, lui

22 auraient permis de contre-interroger valablement lesdits témoins,

23 pourront, à ce moment-là, être repris dans un débat de fond et

24 contradictoire avec l'accusation.

25 Toujours s'agissant des droits de l'accusé, les Juges font observer que la

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1 défense pourra reconvoquer les témoins si nécessaire, même si cela peut

2 apparaître difficile. La demande pourra toujours en être faite, et c'est

3 un droit qui est à la défense de convoquer les témoins et de les

4 reconvoquer sous le contrôle du Juge.

5 Enfin, les Juges font observer, toujours pour protéger les droits de

6 l'accusé, que la défense pourra présenter tous autres témoins qui, en

7 fonction d'événements qui se seraient produits sur le territoire ou dans

8 la région, pourront permettre, éventuellement après justification, de

9 compléter la liste des témoins initiale présentée par la défense. Voici le

10 premier ordre de raisons.

11 La deuxième série de raisons tient au rôle du Juge devant le présent

12 Tribunal. Les Juges tiennent du Statut et du Règlement, ils tiennent des

13 droits que leur a confiés le Conseil de sécurité, d'être les gardiens du

14 procès équitable ; équitable et rapide, bien sûr, mais équitable, c'est-à-

15 dire en pleine égalité pour les droits de chacune des parties.

16 Dans cet ordre de raisons, les Juges s'appuient d'abord sur l'article 98,

17 qui est le pouvoir des Chambres d'ordonner de leur propre initiative la

18 production de moyens de preuve supplémentaires. Je répète :la Chambre de

19 première instance peut ordonner la production de moyens de preuve

20 supplémentaires par l'une ou l'autre des parties, et elle peut d'office

21 citer des témoins à comparaître. Au vu des débats, la Chambre, le cas

22 échéant, utilisera le pouvoir qu'elle tient de l'article 98.

23 Gardiens du procès équitable ; les Juges en trouvent également la trace

24 écrite dans l'article 89-D qui permettrait le cas échéant aux Juges

25 d'exclure tout élément de preuve dont la valeur probante serait largement

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1 inférieure à l'exigence de ce procès équitable dont ils sont les gardiens.

2 Gardiens du procès équitable, les Juges s'appuient également sur

3 l'article 90-G-i. Je rappelle que la Chambre de première instance exerce

4 un contrôle sur les modalités de l'interrogatoire des témoins et de la

5 présentation des éléments de preuve, ainsi que sur l'ordre dans lequel ils

6 interviennent, de manière à rendre l'interrogatoire et la présentation des

7 éléments de preuve efficaces pour l'établissement de la vérité, étant

8 entendu - c'est le commentaire que je fais - que l'établissement de la

9 vérité est une notion qui dépasse bien entendu et les intérêts bien

10 compris de l'accusation et les intérêts bien compris de la défense.

11 Enfin, le troisième ordre de raisons est l'intérêt supérieur de la

12 justice, dont les Juges sont également les gardiens, et c'est à ce titre

13 qu'ils doivent prendre en compte la situation des témoins qui, bien

14 souvent, sont des victimes, et cette situation des témoins qui fait qu'à

15 présent ils doivent être entendus dans l'ordre qui a été fixé.

16 C'est pour l'ensemble de ces raisons que la requête présentée par la

17 défense de M. Jelisic est rejetée, et qu'il est ordonné que le procès

18 suive son cours comme cela était prévu.

19 Maître Nice, vous avez maintenant la parole, non pas pour apporter des

20 commentaires sur une décision qui vient d'être prise, mais simplement pour

21 nous annoncer la poursuite des débats et la convocation,

22 vraisemblablement, d'un témoin. Lequel est-ce ?

23 M. Nice (interprétation). - Il y a une ou deux question d'intendance que

24 je souhaiterais aborder tout d'abord. Premièrement, la Chambre a donné

25 l'autorisation à M. Donaju d'être présent ici. M. Paul Basham est

Page 338

1 actuellement derrière moi, et je voudrais demander à M. Basham d'avoir

2 l'autorisation de m'assister dans le prétoire, car c'est très important

3 pour moi, cela m'aide beaucoup.

4 M. le Président. - Pas d'objection ?

5 M. Greaves (interprétation). - Je n'ai pas d'observation.

6 M. le Président. - Pas d'observations ? Donc M. Basham peut rejoindre les

7 bancs de l'accusation pour prêter assistance, et nous souhaitons la

8 bienvenue en même temps.

9 M. Nice (interprétation). - Deuxième chose : du côté de l'accusation, nous

10 savons depuis quelques semaines qu'il a été prévu trois semaines pour ce

11 procès à partir d'aujourd'hui, et d'après ce que j'ai compris la défense

12 est peut-être dans une position difficile : apparemment, ils ne savaient

13 pas qu'il y avait trois semaines de débats. Pour nous, c'est trois

14 semaines.

15 M. Greaves (interprétation). - Mercredi dernier, j'ai parlé avec

16 l'officier de liaison ; on m'a dit qu'il n'y avait pas d'audiences pendant

17 la troisième semaine, et nous n'avons pas été notifiés de la troisième

18 semaine d'audiences. Si effectivement une troisième semaine a été prévue,

19 cela risque de me poser à moi-même un certain nombre de problèmes, puisque

20 nous avons organisé notre travail sur la base de deux semaines

21 d'audiences.

22 M. le Président. - Monsieur le Greffier, pouvez-vous nous apporter des

23 précisions ? Il me semblait que nous devrions travailler jusqu'au 15 ou

24 16 septembre. Mon éminent collègue le Juge Riad me rappelle que c'est le

25 18 septembre. C'est bien cela ?

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1 M. Abtahi. - Oui, Monsieur le Président, jusqu'au vendredi 17 septembre.?

2 M. le Président. - Pour le matin, n'est-ce pas ?

3 M. Abtahi. - Oui, le matin.

4 M. le Président. - Et cela a été communiqué à la défense en temps voulu ?

5 M. Abtahi. - Je sais que la date de ces trois semaines avait été arrêtée

6 aux alentours de la mi-juillet ou fin juillet, sauf erreur de ma part,

7 pour ce qui est des trois semaines de procès.

8 M. le Président. - Maître Londrovic lui-même avait-il été averti ?

9 M. Londrovic (interprétation). - Non, Monsieur le Juge. Quand je parlais

10 avec M. Rohde aujourd'hui - nous avons discuté jusqu'à 13 heures 45,

11 jusqu'au début de l'audience - il m'a dit que l'audience durerait deux

12 semaines, et Mme Monika m'a dit qu'il s'agissait de deux semaines. Nous

13 n'avons pas reçu d'informations écrites et nous n'avons reçu

14 d'informations disant si les Juges ont accepté ces témoins additionnels.

15 Je ne sais pas quels sont les témoins protégés, je ne sais pas si je dois

16 prononcer ou pas leurs noms. Une partie de ces témoins ne se trouvaient

17 pas sur la liste qui nous a été fournie précédemment. Je ne sais pas si

18 les Juges - c'est-à-dire la Chambre - ont accepté d'entendre ces témoins.

19 M. le Président. - Pour l'instant, ce sont les Juges qui posent les

20 questions, Maître Londrovic. Les Juges, normalement, sont là pour trois

21 semaines pour l'affaire Jelisic. Vous ne pouvez pas vous préparer pour la

22 troisième semaine, Maître Grease ou Maître Londrovic, à supposer qu'il y

23 ait eu une erreur du Greffe ? Nous n'en savons d'ailleurs rien ; je n'ai

24 pas vu M. Olivier Fourmy aujourd'hui, mais il me semble qu'il y a

25 longtemps que nous avions parlé de ces trois semaines. A priori, nous

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1 ferons trois semaines de procès, je vous l'indique.

2 M. Greaves (interprétation). - Nous n'avons eu aucune information

3 officielle au sujet de cette troisième semaine d'audiences. On peut parler

4 d'une possibilité, mais la possibilité ne devient certitude que lorsqu'est

5 délivré un document officiel stipulant que tel est le calendrier, avec les

6 semaines d'audiences. Nous agissons sur la base de ce type de documents,

7 or aucun document de ce type ne nous a été communiqué.

8 L'unité de liaison avec la défense n'est pas au courant de cette troisième

9 semaine d'audiences ; je l'ai vérifié la semaine dernière, ils n'en

10 avaient pas entendu parler, et je n'en ai pas entendu parler non plus.

11 C'est sur cette base que nous travaillons.

12 M. le Président. - Monsieur le Procureur, il vous reste combien de témoins

13 à entendre pendant ces trois semaines ?

14 M. Nice (interprétation). - Je crois que nous avons environ vingt témoins

15 disponibles. Nous les appelons en groupe, si je puis dire.

16 Nous espérons que nous pourrons accélérer les dépositions des témoins

17 grâce à une technique que j'ai mise en place dont je vous parlerai

18 ultérieurement, et en nous concentrant sur le coeur des éléments de

19 preuve.

20 M. le Président. - Vous me confirmez bien que la défense est quand même au

21 courant d'une décision que j'ai rendue le 27 avril 1999 où vous avez

22 ajouté seulement trois témoins ?

23 M. Nice (interprétation). - Je suis désolé mais, en fait, j'avais mal

24 compris votre première question.

25 En ce qui concerne les témoins supplémentaires, l'observation qu'a faite

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1 Me Londrovic au sujet de la troisième semaine d'audience et les témoins

2 qui ne sont pas sur la liste originale de témoins, il y a donc des témoins

3 supplémentaires sur cette liste.

4 Je pensais en parler lors d'une requête demain, requête dont le fond est

5 le suivant : il y a des témoins qui ont refusé de venir ici et, pour

6 arriver au coeur des éléments de preuve que nous cherchons à mettre en

7 évidence, demain je vais donc demander l'addition d'un certain nombre de

8 témoins sur la liste. Mais je préfère parler de cela demain parce que

9 j'espère avoir la possibilité d'en discuter avec mon éminent collègue en

10 parlant des dépositions de ces témoins supplémentaires qui seront peut-

11 être appelés.

12 Donc, sous réserve de l'addition de ces noms, j'ai plus de vingt témoins

13 disponibles, je pense que nous irons beaucoup plus rapidement dans cette

14 affaire que dans la plupart des autres affaires et que nous arriverons à

15 cibler les éléments de preuve les plus importants. Nous aurons donc une

16 vingtaine de témoins, y compris un certain nombre d'experts pour ces trois

17 semaines d'audience.

18 Je voudrais rajouter quelque chose au sujet des experts : les éléments de

19 preuve relatives aux exhumations ne feront pas l'objet de contre-

20 interrogatoires. J'en ai parlé avec Me Greaves -nous avons toujours réussi

21 à parler très franchement de ce genre de chose-. Mais il apparaît qu'en ce

22 qui concerne les témoignages d'experts sur les exhumations, si je reprends

23 la terminologie de la Common Law, on me demande de vous fournir des

24 éléments de preuve même s'ils ne vont pas être remis en cause. J'en suis

25 un peu préoccupé parce qu'il va falloir faire venir le témoin en question

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1 d'Australie, de l'autre bout du monde donc, et il me semble peu

2 souhaitable que des questions qui ne sont sujettes à aucune contestation

3 nécessitent cependant de faire venir des témoins d'aussi loin.

4 J'espère qu'au cours de cette semaine... Je demanderai aux Juges de

5 demander à la défense s'ils ont vraiment quelque chose à contester au

6 sujet de ce que doit nous déclarer ce témoin expert. Bien entendu, les

7 Juges ont toujours la possibilité d'accepter des éléments de preuve par

8 ouï-dire s'ils le souhaitent.

9 Je parle de cela parce que j'étais sur le point de demander au témoin de

10 venir d'Australie et finalement j'ai décidé d'attendre.

11 C'est donc un sujet sur lequel je souhaite me pencher un peu plus tard

12 pendant cette semaine, mais j'ai une vingtaine de témoins à ma disposition

13 pendant ces trois semaines.

14 M. le Président. - Je vous remercie de cette proposition.

15 Le calendrier de la Chambre avait été arrêté. Je ne sais pas

16 s'il y a eu une erreur dans les transmissions mais vous devez comprendre,

17 Maître Greaves, que nous sommes aujourd'hui le 30 août et que nous parlons

18 de la troisième semaine de septembre, du 13 au 17 septembre. Donc vous

19 avez en principe le temps de vous y préparer, à supposer qu'il y ait eu

20 une erreur dans les transmissions.

21 J'y vois d'autant plus la possibilité de vous y préparer que nous avons

22 décidé le 27 avril d'ajouter trois témoins. J'avais rendu une décision

23 avec mes collègues d'ajouter trois témoins à la liste du Procureur, trois

24 témoins dont vous avez eu les noms.

25 Donc en principe, vous devez être prêt pour ces trois semaines. C'est

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1 d'autant plus important que ces trois semaines devraient clôturer le cycle

2 de la présentation des preuves par le Procureur, ce qui vous permettrait

3 ensuite calmement -puisque nous n'avons pas prévu d'audience ensuite de

4 faire une conférence préalable, la conférence de l'article 73 ter, où vous

5 pourrez nous expliquer tous les problèmes qui sont les vôtres au vu de la

6 première phase de l'accusation.

7 Donc, a priori, nous siégerons trois semaines jusqu'au 17 septembre.

8 Pour les autres problèmes soulevés par Me Nice, nous attendons qu'il les

9 soulève demain. Mais pour l'instant, je tiens à vous dire que nous

10 siégerons trois semaines jusqu'au vendredi 17 septembre et je vous demande

11 de vous préparer pour cet échéancier-là.

12 Vous connaissez les déclarations des témoins, vous les avez eues depuis

13 longtemps. Vous savez vraisemblablement ce qu'ils peuvent dire ; vous

14 serez tout à fait à même de les contre-interroger et je suppose que vous

15 arriverez à vous dégager pour parvenir à siéger cette troisième semaine,

16 hors de laquelle le procès prendrait un nouveau retard, ce que je

17 trouverais inadéquat par rapport aux textes que je viens de présenter dans

18 la précédente décision.

19 S'il n'y a pas d'autre observation, nous allons lever quelques instants

20 l'audience pour nous préparer, tout de suite après la pause (car il faut

21 penser aux interprètes) à recevoir le premier témoin.

22 Est-ce un témoin protégé ? Huis clos total ou huis clos partiel ? Je le

23 dis à l'intention du public : nos audiences sont publiques et je tiens

24 beaucoup à ce qu'il soit informé de la nature de nos travaux. Je pense que

25 c'est un témoignage à huis clos partiel, c'est-à-dire que c'est simplement

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1 la distorsion de la voix, Maître Nice ?

2 M. Nice (interprétation). - Ce témoin souhaiterait bénéficier d'un

3 mécanisme de distorsion des traits de son visage, ainsi que d'un

4 pseudonyme. Les pseudonymes de A à D ont été utilisés, donc nous demandons

5 que ce témoin puisse porter le pseudonyme F. D'autres témoins ont reçu les

6 pseudonymes C, D, E précédemment, donc nous demanderions que ce témoin

7 porte le pseudonyme F.

8 Je voudrais brièvement vous dire la façon dont je souhaite procéder pour

9 accélérer la procédure. Les témoins font généralement une, deux, parfois

10 trois déclarations. Il est nécessaire de résumer à partir de ces

11 différentes déclarations ce que va dire le témoin. Ce que nous avons fait

12 dans mon équipe, c'est de faire cela à l'avance, avant l'arrivée du

13 témoin. Donc on fait un résumé à partir de ce qu'il a déclaré auparavant,

14 ceci avant l'arrivée du témoin. Bien entendu, à ce moment-là, il est

15 nécessaire que le témoin vérifie que le résumé est adéquat, qu'il puisse y

16 ajouter ou y enlever certains éléments.

17 Ce résumé final ne peut donc être fourni qu'une fois que le témoin est

18 ici, à La Haye. Cependant, il est possible de fournir à la défense aussi

19 bien qu'à vous, Messieurs les Juges, un résumé de ce que va dire le

20 témoin. Et cela aurait pu être possible normalement dans les trois langues

21 du Tribunal parce que j'avais fait traduire ce résumé dans les trois

22 langues. Mais en fait la version définitive de ce résumé ne sera

23 disponible que demain.

24 Cependant, je vais vous fournir trois copies en anglais ainsi que des

25 copies en français qui portent l'inscription "Projet de résumé". Je pense

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1 que cette façon de procéder peut nous être très utile.

2 M. le Président. - Tout à fait, Maître Nice, je pense que c'est tout à

3 fait comme cela qu'il faut travailler. D'ailleurs je vous y aurais incité,

4 vous savez que c'est le voeu de cette Chambre d'aller droit au coeur de la

5 déposition du témoin, ce qu'il est venu dire et non pas de lui faire

6 raconter toute sa vie ; parce que vous savez qu'après c'est extrêmement

7 complexe et très délicat pour les Juges d'interrompre un témoin qui bien

8 souvent a été une victime malheureuse de ces événements. Donc je demande

9 toujours, avant que le témoin n'entre, un résumé.

10 Maintenant c'est un résumé écrit, j'en suis très heureux, et je veux que

11 l'interrogatoire aille au coeur des éléments de preuve que vous voulez

12 soutenir.

13 Normalement, les textes qui nous régissent indiquent que le contre-

14 interrogatoire ne doit pas s'écarter de l'interrogatoire principal. C'est

15 une règle, je le reconnais, d'une application subtile et pas toujours

16 aisée. Je rassure la défense, nous essaierons de le faire avec le maximum

17 de justesse et toujours en ayant en vue les droits de l'accusé.

18 Mais normalement, avec le résumé, le ciblage des questions sur les points

19 essentiels pour lequel le témoin est venu à La Haye et un contre-

20 interrogatoire adapté à l'interrogatoire principal, on doit aller

21 relativement vite et de façon tout à fait équitable, permettant à

22 l'accusation comme à la défense de donner leurs points de vue.

23 Avez-vous d'autres précisions, Maître Nice ?

24 M. Nice (interprétation). - Permettez-moi d'ajouter une chose : si vous

25 regardez le document relatif au témoin F, il faut savoir que la version en

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1 français peut être différente parce qu'il s'agit du premier projet de

2 résumé. La version finale sera disponible en français demain.

3 Si Me Greaves et Me Londrovic en sont d'accord, la façon dont il est

4 possible de procéder est la suivante. On pourrait dire : les paragraphes 1

5 à 5 ne font l'objet d'une contestation. A ce moment-là, je pourrais moi-

6 même résumer ces paragraphes pour le témoin qui pourra dire oui ou non, et

7 à ce moment-là on pourra passer au paragraphe suivant. Je voudrais donc

8 vous demander si une telle procédure vous agrée.

9 M. le Président. - Oui, mes collègues sont tout à fait d'abord.

10 Maître Greaves, pas d'observation ? Pas d'objection ?

11 M. Greaves (interprétation). - Non, je n'ai pas d'objection à ce sujet,

12 mais il y a deux questions d'ordre administratif que je souhaiterais

13 évoquer avant la pause.

14 Tout d'abord, Me Londrovic et moi-même ne parlons pas la même langue. Je

15 voudrais donc savoir si vous permettez à notre interprète de s'asseoir à

16 nos côtés pendant l'audience. Le Procureur n'y voit aucun inconvénient.

17 M. le Président. - Tout à fait, c'est accordé, bien sûr.

18 M. Greaves (interprétation). - Je vous en suis très reconnaissant.

19 Je ne vais pas m'étendre indûment sur la question du calendrier. Il ne

20 s'agit pas de la question de préparation, mais quand, nous, nous ne sommes

21 pas au courant d'un calendrier, nous prenons d'autres dispositions

22 personnelles ou autres.

23 Comme je l'ai déjà dit auparavant, il est très important pour nous que

24 nous soyons prévenus très longtemps à l'avance sur ce qui va se passer.

25 Nous devons nous préparer lorsque nous venons ici, nous n'habitons pas à

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1 La Haye. De ce fait, il ne nous est vraiment pas facile de nous

2 réorganiser à la dernière minute, lorsque nous sommes mis au courant très

3 en retard du calendrier. Je voudrais donc répéter cette demande : que nous

4 puissions être mis au courant très vite des changements de calendrier.

5 M. le Président. - Sur le plan de l'avenir bien entendu, à supposer qu'il

6 y ait eu une erreur. D'ailleurs, j'attends l'arrivée de M. Olivier Fourmy

7 pour m'en assurer. S'il y a eu erreur de la part de l'administration du

8 Tribunal, croyez bien que j'en suis absolument désolé, mais cela ne

9 changera pas la détermination des Juges à faire que ces trois semaines

10 auront lieu, sauf impondérable que l'on ne peut pas prévoir.

11 Je crois que s'il n'y a pas d'autre observation, nous pouvons à présent

12 suspendre pendant quinze minutes.

13 M. Londrovic (interprétation). - Excusez-moi, Monsieur le Président, de

14 vous retenir.

15 Tout à l'heure, vous avez permis au Procureur de rajouter trois témoins

16 supplémentaires sur la liste. Ce n'est pas discutable.

17 Cependant, je vois d'autres noms sur leur liste, deux noms dont les Juges

18 n'ont pas informé, n'ont rien décidé, dont la défense n'a pas été

19 informée. Je ne voudrais pas donner les noms de ces témoins car je ne sais

20 pas s'ils sont protégés. Ce sont les témoins sous les nombres 16, 17, 18,

21 19 et 20. Il s'agit des cinq témoins dont nous apprenons pour la première

22 fois qu'ils seront ajoutés sur la liste.

23 Et nous ne connaissons pas pour l'instant votre décision concernant ces

24 témoins. Nous ne savons pas si le Procureur s'est adressé à vous en accord

25 avec la règle 73 pour élargir cette liste et nous ne sommes pas au courant

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1 des 20 témoins dont a parlé Me Nice.

2 Quand je compte tous les témoins qui se trouvent sur cette liste, hormis

3 les experts, je trouve 12 ou 13 témoins, donc sans les 5 témoins dont nous

4 venons de parler.

5 Si les Juges permettent d'ajouter ces témoins, c'est une décision qui

6 appartient aux Juges, mais la défense se retrouve dans une situation qui

7 n'est pas équitable. Je vous dis que je ne savais pas que les audiences

8 allaient durer trois semaines, sinon je n'aurais pas acheté le billet

9 aller-retour pour retourner en Bosnie-Herzégovine.

10 Aussi, concernant les déclarations, je pense que nous allons avoir un

11 problème car je ne sais pas quelles sont ces déclarations qui ne sont pas

12 discutables. Je pense que nous devons recevoir des traductions en anglais

13 et en serbo-croate de ces déclarations pour savoir si elles sont

14 discutables ou non, alors que nous venons d'apprendre de Me Nice que ces

15 déclarations ne seront disponibles que demain.

16 Nous pouvons difficilement travailler de cette façon et je pense que nous ne

17 sommes pas d'accord avec cette façon de travailler.

18 Si le collègue Nice souhaite agir de la même façon que celle dont on agit

19 dans l'affaire Kordic, je pense que ceci doit être accepté par les Juges.

20 Et je l'ai dit, nous ne savons pas, par exemple, quel serait l'ordre de

21 comparution des témoins, nous ne savons pas quels sont les témoins qui ont

22 été acceptés par les Juges, quels sont les témoins qui n'ont pas été

23 acceptés.

24 M. le Président. - Maître Nice, une observation avant la pause ?

25 M. Nice (interprétation). - Il y a deux questions qui se posent ici à mon

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1 avis.

2 S'agissant des résumés de déclarations, il ne fait aucun doute que je

3 pourrais mettre à la disposition de M. Londrovic un premier projet de ces

4 déclarations, texte comparable à celui que j'ai remis aux Juges et je

5 pense que cela le satisfera pour l'après-midi d'aujourd'hui.

6 S'agissant des témoins supplémentaires, je préférerais que nous en

7 parlions demain après avoir eu l'occasion d'en parler en privé avec mon

8 collègue. Mais, avant les vacances judiciaires, je rappellerai à

9 Me Greaves que j'ai fini par lui envoyer une lettre dans laquelle

10 j'évoquais la possibilité de demander l'introduction de nouveaux témoins

11 au moment de la reprise de nos débats. Il s'en souviendra sans doute.

12 Donc je crois qu'il est possible de satisfaire Me Londrovic en lui donnant

13 le premier projet de texte en BCS, et je pense qu'il serait bon que la

14 question des témoins supplémentaires soit traitée demain au prétoire.

15 M. le Président. - Je voudrais, moi, qu'autant que possible vous vous

16 mettiez d'accord. Je rappelle d'abord que, normalement, la liste des

17 témoins a été arrêtée lors de la conférence préalable de l'article 73 bis

18 et qu'il est toujours délicat d'ajouter des témoins. Nous l'avons fait le

19 27 avril, Maître Nice, à votre demande, par une décision prise par

20 les Juges, mais qui a pu être donc notifiée largement à l'avance, bien

21 entendu, à la défense.

22 Chaque fois qu'en cours de procès on ajoute des témoins, on déséquilibre

23 l'ordonnancement du procès. Or, vous savez que la préoccupation du

24 Tribunal dans son ensemble et des Juges de cette Chambre en particulier

25 est quand même de faire en sorte que les procédures aboutissent.

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1 C'est vrai que si dès que le procès est engagé on ajoute des témoins et on

2 ajoute des éléments de preuve nouveaux, voire même on continue les

3 enquêtes, je ne vois pas évidemment comment on peut arriver à un bon

4 écoulement du rôle.

5 Je trouve que ça vient, Maître Nice, un peu en contrepoint des efforts que

6 par ailleurs vous faites et auxquels nous venons de rendre hommage pour

7 arriver à simplifier les interrogatoires.

8 Alors, si vous le voulez bien, peut-être le problème des témoins

9 supplémentaires, nous l'aborderons demain.

10 Pour l'instant, je désirerais qu'enfin l'audience commence et je voudrais

11 aussi que les interprètes se reposent un peu. Si vous le voulez bien, nous

12 allons prendre quinze minutes de pause. Nous reprendrons à 16 heures 20.

13 Maintenant, rien ne vous empêche, Maître Nice et Maître Greaves, de vous

14 mettre d'accord sur les témoins supplémentaires. Je n'en serai que

15 satisfait.

16 (L'audience, suspendue à 16 heures 05, est reprise à 16 heures 30.)

17 M. le Président. - L'audience est reprise. Introduisez l'accusé, s'il vous

18 plaît.

19 (L'accusé est introduit dans le prétoire.)

20 Nous allons introduire l'accusé et ensuite -je le dis pour le public- les

21 rideaux seront relevés, afin que le témoin ne soit pas identifié au moment

22 de son passage devant les vitres qui nous séparent de la galerie du

23 public.

24 Monsieur le Procureur, nous n'allons pas reprendre le résumé, comme je le

25 faisais dans d'autres procès, puisque vous nous avez donné en français -et

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1 j'y suis très sensible- un résumé qui va nous permettre d'accélérer le

2 passage du témoin.

3 Il s'agit du témoin F, n'est-ce pas ?

4 M. Nice (interprétation). - Oui, c'est cela.

5 M. le Président. - Monsieur l'Huissier et Monsieur le Greffier, pouvez-

6 vous faire entrer le témoin F ?

7 M. Abtahi. - J'en profite également, Monsieur le Président, pour numéroter

8 les résumés qui vous ont été déposés. Ce sera donc la pièce n° 8 de

9 l'accusation, la pièce n° 7 étant l'identification du nom du témoin.

10 M. le Président. - Vous mettez une cotation sur la version anglaise et

11 aussi sur la version française ?

12 M. Abtahi. - Oui, j'ai cru comprendre qu'il y avait une version française,

13 une version anglaise et aussi une version en BCS, auquel cas la version en

14 BCS, probablement... Tout dépendra de l'original, mais je pense que la

15 version en BCS étant l'original...

16 M. le Président. - Simplement, vous n'oublierez pas de le faire, n'est-ce

17 pas ?

18 M. Abtahi. - Oui, Monsieur le Président.

19 M. le Président. - La pièce n° 8 est donc le résumé. Le témoin va entrer.

20 Peut-il entrer ?

21 (Le témoin est introduit dans le prétoire.)

22 Vous préférez qu'il s'assoie tout de suite ? Il va prêter serment assis ?

23 M. Abtahi. - Oui, en raison des conditions techniques.

24 M. le Président. - Très bien.

25 M'entendez-vous, Témoin F ?

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1 Témoin F (interprétation). - Oui.

2 M. le Président. - Vous êtes venu jusqu'à la Haye, peut-être même déjà une

3 première fois, et nous vous en savons tout à fait gré. Vous allez d'abord

4 prêter serment et ensuite vous identifierez votre nom sur un document que

5 vous tendra l'huissier. Mais d'abord, vous allez prêter serment et,

6 exceptionnellement, vous allez rester assis pour ne pas que l'on distingue

7 vos traits.

8 Allez-y, sur la formule que vous tend l'huissier.

9 Monsieur l'huissier, tendez la formule afin que le témoin F lise la

10 formule.

11 (L'huissier s'exécute.)

12 Pouvez-vous lire la formule ?

13 Témoin F (interprétation). - Je déclare solennellement que je dirai la

14 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

15 M. le Président. - Merci. Maintenant, vous allez identifier votre nom,

16 mais ne le prononcez pas. Vérifiez simplement que c'est bien votre

17 identité. Monsieur l'huissier, tendez le document.

18 (L'huissier s'exécute.)

19 Témoin F (interprétation). - Oui, c'est cela.

20 M. le Président. - Merci. Vous bénéficiez des mesures de protection que

21 vous avez demandées, que le Procureur a demandées en votre faveur. Vous

22 êtes donc parfaitement protégé, en tout cas au Tribunal.

23 Vous pouvez parler à présent selon les questions du Procureur, ensuite

24 vous répondrez aux questions de la défense, et enfin vous répondrez aux

25 questions des Juges, si ceux-ci ont besoin de vous poser des questions.

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1 Parlez sans haine, parlez sans crainte. Sentez-vous à l'aise. Vous êtes

2 devant un Tribunal, devant des Juges. Décontractez-vous, sentez-vous

3 serein et sans crainte ; voilà tout ce que je peux vous dire.

4 Si vous avez un problème émotionnel, physique ou de quelque nature que ce

5 soit, n'hésitez pas à le dire. Si vous devez boire, si vous devez vous

6 interrompre, n'hésitez pas. En tout cas, sentez-vous très à l'aise.

7 A présent, je crois que nous pouvons commencer, Monsieur le Greffier ?

8 M. Abtahi. - Oui, Monsieur le Président.

9 M. le Président. - Bien. Monsieur le Procureur, c'est à vous.

10 M. Nice (interprétation). - Témoin F, en avril 1992, résidiez-vous à

11 Brcko ?

12 Témoin F (interprétation). - Oui.

13 M. Nice (interprétation). - Les ponts ont sauté le 30 avril ?

14 Témoin F (interprétation). - Oui.

15 M. Nice (interprétation). - On vous avait conseillé de quitter la ville. A

16 ce moment-là, êtes-vous parti dans l'appartement de certains de vos amis ?

17 Témoin F (interprétation). - Oui, mais cela s'est passé plus tard, après

18 l'éclatement...

19 M. Nice (interprétation). - A quelle date avez-vous déménagé chez vos

20 amis ?

21 Témoin F (interprétation). - J'étais en train de vous dire que la guerre a

22 commencé le 1er mai.

23 J'ai passé cette nuit-là chez moi, à la maison, parce que nous n'avions

24 aucune protection contre les combats et les pilonnages. Et le lendemain

25 matin, le deuxième jour de la guerre, nous avons utilisé les possibilités

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1 qui nous ont été offertes pour nous rendre dans l'appartement en sous-sol

2 d'un de nos amis, car nous y étions plus en sécurité.

3 M. Nice (interprétation). - Je vais vous interrompre ici pour vous

4 demander de mieux cibler votre témoignage.

5 Est-ce que vous-même et d'autres ont été évacués par des militaires serbes

6 plusieurs jours plus tard ? Je vous demande de répondre simplement par oui

7 ou non.

8 Témoin F (interprétation). - Oui.

9 M. Nice (interprétation). - Pouvez-vous dire à quelle date vous avez été

10 évacués de la sorte ?

11 Témoin F (interprétation). - Le 7 mai 1992.

12 M. Nice (interprétation). - Cette évacuation s'est-elle faite sans

13 violence ou sous la contrainte ?

14 Témoin F (interprétation). - Sous la contrainte.

15 M. Nice (interprétation). - Vous a-t-on séparés ? A-t-on créé un groupe de

16 Serbes et un groupe de non-Serbes ?

17 Témoin F (interprétation). - Oui.

18 M. Nice (interprétation). - Les non-Serbes ont-ils été emmenés à la

19 caserne de Brcko où les hommes de plus de 18 ans et de moins de 60 ans ont

20 été séparés des autres hommes ?

21 Témoin F (interprétation). - Oui.

22 M. Nice (interprétation). - Le lendemain matin, on vous a dit qu'on allait

23 vous emmener à un endroit déterminé et, en fait, on vous a fait monter

24 dans des autobus pour vous emmener dans un entrepôt, pour vous emmener au

25 bord de la rivière Luka ?

Page 355

1 Témoin F (interprétation). - Oui.

2 M. Nice (interprétation). - Combien de personnes -et je vous demande un

3 chiffre approximatif- ont-elles été évacuées ?

4 Témoin F (interprétation). - Entre 1000 et 2000 personnes; il est

5 difficile de le dire avec précision.

6 Mais un instant... Je voudrais savoir si vous m'interrogez au sujet du

7 camp de Luka ou au sujet de la caserne de Brcko ?

8 M. Nice (interprétation). - Ma question porte sur la caserne de Brcko.

9 Témoin F (interprétation). - Entre 1000 et 2000 personnes.

10 M. Nice (interprétation). - Et vers Luka, vers le camp de Luka ?

11 Témoin F (interprétation). - D'après mon évaluation, entre 600 et

12 700 personnes.

13 M. Nice (interprétation). - Dans la caserne, avez-vous vu des hommes

14 originaires du village de Janje ou Janja ?

15 Témoin F (interprétation). - Dans la caserne non, mais dans le camp de

16 Luka oui, parce que c'est le nom qu'on leur donnait.

17 M. Nice (interprétation). - Qu'est-il arrivé à l'un de ces hommes ?

18 Témoin F (interprétation). - Nous sommes arrivés à Luka, et à ce moment-là

19 on nous a demandé de remettre nos documents d'identification.

20 Les soldats serbes ont examiné ces documents. Et lorsqu'ils ont vu cet

21 homme de Janja, ils l'ont appelé et ont commencé à le frapper dans le

22 hangar déjà, à Luka ; après quoi, ils l'ont fait sortir du hangar où nous

23 étions tous installés.

24 M. Nice (interprétation). - Avez-vous revu cet homme ?

25 Témoin F (interprétation). - Non, une fois qu'on l'a fait sortir, nous ne

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1 pouvions pas voir ce qui se passait, mais nous avons entendu des

2 hurlements, des cris et cet homme n'est plus jamais revenu dans ce hangar

3 où nous nous trouvions.

4 M. Nice (interprétation). - Peu de temps après cela, deux hommes ont-ils

5 pénétré dans le hangar ?

6 Témoin F (interprétation). - Oui.

7 M. Nice (interprétation). - Comment étaient-ils habillés ?

8 Témoin F (interprétation). - L'un de ces hommes portait l'uniforme de

9 l'ancienne police, dépendant du ministère de l'Intérieur, c'est-à-dire une

10 chemise bleu clair et un pantalon bleu clair également, mais un peu plus

11 sombre, un peu plus foncé que la chemise. Il portait également un fusil

12 automatique à la main, avec une sécurité. Et à la ceinture, il portait ce

13 qu'on appelle le bâton français, c'est-à-dire une matraque, un bâton de

14 police, c'est-à-dire une matraque très longue.

15 M. Nice (interprétation). - Si cet homme a dit quelque chose, qu'a-t-il

16 dit ?

17 Témoin F (interprétation). - Oui, cet homme nous a posé la question de

18 savoir si nous le connaissions. Nous lui avons répondu pratiquement tous

19 en choeur que nous ne le connaissions pas ; et nous ne le connaissions pas

20 parce qu'il n'était certainement pas originaire de Brcko.

21 Il a répondu à ce moment-là : "Si vous ne me connaissez pas, vous allez

22 faire rapidement ma connaissance, je suis l'Adolf serbe."

23 M. Nice (interprétation). - A-t-il ajouté d'autres mots ? A-t-il dit qui

24 il était, quelles étaient ses fonctions ?

25 Témoin F (interprétation). - Oui, il a dit : "5 % à 10 % d'entre vous qui

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1 êtes ici aujourd'hui auraient la chance de continuer à vivre dans cet

2 endroit".

3 M. Nice (interprétation). - A-t-il dit quoi que ce soit au sujet de qui

4 avait le contrôle sur vos existences ?

5 Témoin F (interprétation). - Il a dit quelques mots signifiant que notre

6 destin était désormais entre ses mains.

7 M. Nice (interprétation). - A-t-il dit quoi que ce soit à son compagnon ?

8 Témoin F (interprétation). - Oui, il a dit à l'homme qui l'accompagnait :

9 "Nous pourrions commencer à travailler", et il lui a demandé d'aller

10 chercher une boîte, une boîte vide et quand son compagnon est arrivé avec

11 la boîte, il nous a dit : "Tout ce que vous avez comme objets de valeur,

12 argent, bijoux ou autres, vous devez le mettre dans cette boîte. Si plus

13 tard on trouve que vous avez gardé quoi que ce soit, le processus durera

14 très peu de temps, sera très rapide." Ce qui signifiait que la personne

15 serait tuée.

16 M. Nice (interprétation). - Une autre personne en uniforme a-t-elle

17 pénétré dans le hangar ?

18 Témoin F (interprétation). - Oui, à peu près à ce moment-là, c'est-à-dire

19 quand les gens avaient déjà commencé à retirer leurs bijoux et à remettre

20 leur argent, un soldat en uniforme a pénétré dans la salle. Nous

21 connaissions les insignes qu'il portait qui indiquaient qu'il appartenait

22 à l'ancienne police militaire de l'ancienne armée populaire yougoslave,

23 car ces hommes portaient un ceinturon et une lanière en cuir blanche en

24 travers de la poitrine.

25 Je dois continuer ?

Page 358

1 M. Nice (interprétation). - Oui, qu'a dit cet homme ?

2 Témoin F (interprétation). - Quand il a pénétré dans la salle, mon

3 impression c'est qu'il ne connaissait pas cet homme qui s'était présenté

4 en tant qu'Adolf serbe. Donc quand il a pénétré dans le hangar il a

5 demandé : "Mais qu'est-ce que vous faites ici ?". Et quand il a constaté

6 que les vols avaient commencé, il a dit : "Nous sommes arrivés de Bjelina,

7 et tant que nous serons ici personne ne touchera à eux."

8 Et puis il y a eu une petite dispute, un homme s'est présenté, cet homme

9 qui s'était présenté comme l'Adolf serbe rétorquant : "Vous ne me

10 connaissez pas, je n'aurai besoin que d'un coup de téléphone pour que vous

11 appreniez qui je suis et vous verrez ce qui va se passer."

12 A ce moment-là, l'Adolf serbe a quitté le hangar où nous étions tous

13 installés.

14 M. Nice (interprétation). - En son absence, comment vous a-t-on traité ?

15 Témoin F (interprétation). - Il y avait des gens qui entraient, d'autres

16 qui sortaient. Moi, j'étais arrivé parmi les premiers puisque j'étais dans

17 l'un des premiers autobus, mais j'ai vu que tous ceux qui me suivaient

18 essayaient d'aller vers l'arrière parce qu'ils pensaient qu'ils seraient

19 plus en sécurité.

20 Tous ceux qui entraient dans le hangar devaient remettre leur sac s'ils en

21 portaient, ou leurs objets de valeur et leur argent, les soldats examinant

22 ces documents d'identification.

23 Et c'est à ce moment-là qu'ils ont reçu une carte d'identité qui indiquait

24 qu'il y avait un jeune homme venant de Janja. Ils l'ont appelé et nous

25 avons appris un peu plus tard que Janja, étant un village musulman, était

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1 le seul endroit où il y avait encore quelques armes, armes que la

2 population avait refusé de remettre.

3 Donc ces Serbes, ces unités paramilitaires chetniks serbes étaient

4 furieuses contre les habitants de ce village. C'est la raison pour

5 laquelle ils ont appelé ce jeune homme, ils lui ont donné l'ordre de

6 sortir et il n'est jamais revenu dans le hangar.

7 M. Nice (interprétation). - Certains d'entre vous avaient-ils la

8 possibilité de se voir libérer ?

9 Témoin F (interprétation). - Pour que tout soit très clair, j'aimerais

10 faire état d'un élément dont je considère qu'il est très important. Les

11 membres de ce qu'on appelait la police militaire dans l'ex-armée populaire

12 yougoslave, en fait nous nous sentions plus en sécurité quand ils étaient

13 là, en notre présence. Pourquoi ? Parce que nous connaissions ces hommes,

14 c'étaient des habitants de la zone dans laquelle j'habitais moi-même et

15 ces hommes se sont conduits de la façon la plus correcte qui soit à notre

16 égard.

17 M. Nice (interprétation). - Et ceux d'entre vous que les Serbes

18 connaissaient ont-ils eu la possibilité, ou au moins une chance dirons-

19 nous, d'être libérés ?

20 Témoin F (interprétation). - Oui, après quelque temps, ils sont venus

21 seuls, revenus seuls, et mon impression c'est qu'ils cherchaient la

22 possibilité de nous aider d'une certaine façon dans cette situation parce

23 que nous nous connaissions très bien, nous avions grandi ensemble. Je

24 crois que c'est l'une des raisons pour lesquelles ils sont revenus un peu

25 plus tard, pour nous dire que certains d'entre nous seraient libérés, mais

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1 que les Serbes garantissaient leur comportement, leur vie, ce qui

2 signifiait que si l'un d'entre nous était libéré et qu'on constatait plus

3 tard qu'il adhérait au SDA ou qu'il avait le moindre rapport avec ce parti

4 politique du SDA, le Serbe en question allait payer de sa vie cette

5 libération. Je ne sais pas si j'ai expliqué les choses avec suffisamment

6 de clarté.

7 Entre-temps, au moment de la saisie des documents d'identité, on a entendu

8 qu'un véhicule arrivait à l'extérieur. Donc le soldat qui était à l'entrée

9 ramassait tous ces documents d'identification et à un certain moment, il

10 les a emportés à l'extérieur.

11 Et puis, ces jeunes ont pénétré dans le hangar pour voir à ce moment-là de

12 qui ils pourraient se porter garant. Après quoi ils ont quitté le hangar

13 et sont revenus avec entre cinq et dix documents d'identification qu'ils

14 ont distribués. Et tout homme qui recevait un passeport ou une carte

15 d'identité ou quelque document d'identité que ce soit comprenait donc

16 qu'il pouvait se rendre à la porte du hangar et recevoir un certificat,

17 certificat qui signifiait qu'au moment de l'arrivée du véhicule nécessaire

18 cet homme serait libéré du camp de Luka.

19 M. Nice (interprétation). - Avez-vous vous-même eu la chance d'entendre

20 votre nom appelé et de recevoir un laissez-passer ?

21 Témoin F (interprétation). - Oui, oui, j'ai eu cette chance. Je suppose...

22 M. Nice (interprétation). - Qui était le signataire du laissez-

23 passer que vous avez reçu ?

24 Témoin F (interprétation). - Eh bien, compte tenu du fait que je considère

25 cet instant comme tout à fait important, j'aimerais consacrer quelques

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1 instants à expliquer ce qui s'est passé.

2 Nous recevions donc un laissez-passer. Ce laissez-passer avait

3 10 centimètres sur 20 à peu près et comportait un sceau que je ne

4 connaissais pas à ce moment-là. Il y était écrit "Région autonome serbe de

5 Senberja" et en haut, dans le coin supérieur du document, il était indiqué

6 que la date de naissance de la personne libérée devait être inscrite ainsi

7 que le numéro de sa carte d'identité. Un peu plus bas figurait la

8 signature qui était celle de Georges Ristanic qui avait été nommé

9 Président de l'assemblée municipale de Brcko. Je ne connaissais pas ce nom

10 à l'époque mais je pense que ce document est très instructif.

11 D'abord, je répète que le sceau en question n'existait pas par le passé et

12 que l'autorité en question était l'autorité civile suprême. C'est la

13 signature de son représentant qui figurait sur ce document.

14 Tout ceci indique que les choses ne se sont pas passées par hasard ; elles

15 ont été préparées, coordonnées par les autorités militaires avec les

16 autorités civiles.

17 M. Nice (interprétation). - Excusez-moi de vous interrompre mais qui avait

18 signé votre laissez-passer ?

19 Témoin F (interprétation). - La signature était celle Djordje Ristanic

20 qui, au moment où la guerre a éclaté (puisque les Serbes ont pris le

21 contrôle d'une majeure partie de la ville) est devenu Président de

22 l'Assemblée municipale de Brcko, c'est-à-dire de l'autorité civile suprême

23 dans la ville.

24 M. Nice (interprétation). - Je vous prierai de bien vouloir regarder cette

25 photographie aérienne que l'on placera sur le rétroprojecteur et que

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1 l'huissier va vous remettre. Vous ne devez pas vous lever de votre siège.

2 Et nous vous demanderons de pointer un certain nombre d'éléments sur cette

3 photo.

4 Cette photo sera la pièce à conviction n°7 ou 8 ?

5 M. Abtahi. - Numéro 9.

6 M. Nice (interprétation). - Oui, 9 bien entendu, j'avais oublié

7 les deux pièces précédentes. Merci. Vous pouvez rester assis, s'il vous

8 plaît, et utiliser le pointeur. Ne vous levez pas sinon on verra votre

9 visage. Pourriez-vous montrer avec le pointeur le hangar où l'on vous a

10 tout d'abord emmené ?

11 Témoin F (interprétation). - Il est par ici.

12 M. Nice (interprétation). - Où étiez-vous quand on vous a délivré le

13 laissez-passer à l'extérieur du hangar ?

14 Témoin F (interprétation). - J'étais ici. C'est un endroit un peu abrité

15 et il y a une porte par ici ; il y avait aussi une table où un soldat

16 remplissait les laissez-passer.

17 M. Nice (interprétation). - Pourriez-vous regarder cette photo, s'il vous

18 plaît, qui va devenir la pièce à conviction n° 10 ? S'agit-il du même

19 endroit mais maintenant vu d'un autre endroit ?

20 Témoin F (interprétation). - Oui.

21 M. Nice (interprétation). - Vous étiez sous cet endroit abrité ?

22 Témoin F (interprétation). - Oui, il s'agit de cette porte ; c'est une

23 porte coulissante. Cette porte était ouverte et nous, nous nous trouvions

24 dans cette première partie du hangar dans le premier tiers de l'espace,

25 donc on ne pouvait pas voir grand-chose à partir de la porte. Quand on

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1 attendait pour avoir le laissez-passer, on attendait à l'endroit où se

2 trouvait la table.

3 M. Nice (interprétation). - Je vais vous interrompre encore une fois.

4 Quand on vous a donné votre laissez-passer, étiez-vous à l'extérieur du

5 hangar ?

6 Témoin F (interprétation). - Oui, j'étais à peu près là, à cet endroit,

7 juste à côté de la porte. Devant moi il y avait la table et ce jeune homme

8 qui travaillait là.

9 M. Nice (interprétation). - Que se passait-il dans le bâtiment

10 administratif en face de vous ?

11 Témoin F (interprétation). - Quand nous nous trouvions à cet endroit, nous

12 pouvions entendre assez clairement un bruit terrible. On pouvait entendre

13 les meubles qui se cassaient et des cris très forts. Je n'ai jamais

14 entendu quelque chose de semblable... des cris terribles, des cris

15 humains.

16 M. Nice (interprétation). - Les cris venaient d'où ?

17 Témoin F (interprétation). - En face de l'entrée du hangar . il s'agit des

18 bâtiments administratifs et de la caisse, de ce qui était auparavant la

19 caisse du port de Brsko. Ces cris venaient de cet endroit.

20 M. Nice (interprétation). - Vous souvenez-vous avoir vu un certain nombre

21 de personnes quitter les bureaux juste en face à plusieurs reprises ?

22 Témoin F (interprétation). - Oui, de la position où je me trouvais,

23 puisque j'étais pratiquement à l'extérieur, j'ai pu voir ce qui se

24 trouvait à l'extérieur. Donc, j'ai pu voir la porte ; j'ai vu un homme

25 sortir. Cet homme s'est présenté comme l'Adolf serbe. Je ne connaissais

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1 pas son vrai nom à l'époque car il ne nous l'avait pas dit ; il s'est

2 juste présenté comme l'Adolf serbe.

3 Je dois dire quelque chose que je considère comme très important. Nous

4 étions tous terrifiés et nous nous sommes pratiquement résignés à l'idée

5 de la mort car tout nous disait que ça allait finir comme cela, et je dois

6 dire qu'au bord de la rivière de Sava, il y avait des monuments aux

7 victimes du fascisme et c'est un endroit où il y a eu des massacres de

8 civils ; donc cet endroit en soi faisait peur et surtout à ce moment-là où

9 nous nous trouvions tous face à la mort.

10 M. Nice (interprétation). - Je vais vous demander si vous avez vu l'homme

11 que l'on appelait Adolf 2. Est-ce que c'était l'homme qui sortait du

12 bureau ?

13 Témoin F (interprétation). - J'étais à peu près en face. Il est sorti de

14 la porte qui est en face de la porte du hangar. Cet homme est sorti,

15 l'Adolf, et il poussait quelqu'un avec un fusil automatique, lui donnant

16 la direction. Il a poussé cet homme en lui donnant la direction qu'il

17 devait prendre et ils sont allés là, derrière l'immeuble, et nous ne

18 pouvions pas voir plus loin, nous ne pouvions pas voir ce qui se passait

19 plus loin, mais quelques instants plus tard, nous avons entendu deux coups

20 de feu et ensuite Goran est revenu.

21 M. Nice (interprétation). - L'homme que l'on a poussé à marcher, qui

22 marchait devant et qui n'est pas revenu, a-t-il dit quelque chose ?

23 Témoin F (interprétation). - Je voudrais tout d'abord dire que cet homme

24 avait un aspect physique terrible : il était impossible de le reconnaître

25 car il était couvert de sang, il avait beaucoup de sang sur son visage,

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1 sur ses vêtements, sur sa tête. Il était dans une position peu naturelle,

2 il était probablement blessé. Donc Goran le poussait avec le pistolet en

3 lui montrant la direction qu'il devait prendre. Cet homme jurait sur la

4 tête de ses enfants qu'il n'était pas membre des Bérets verts et il priait

5 Goran, c'est-à-dire l'Adolf serbe, de ne pas le tuer.

6 M. Nice (interprétation). - Où est parti l'Adolf serbe après être revenu

7 de l'arrière de cet immeuble ?

8 Témoin F (interprétation). - Quand il est revenu de cet endroit, il est

9 arrivé jusqu'à cette table où on donnait les laissez-passer, c'est-à-dire

10 à 6 mètres à peu près de la table. Il y avait un groupe de soldats serbes

11 qui étaient en train de discuter. Je ne sais pas de quoi ils discutaient,

12 mais Goran qui travaillait à cet endroit s'est approché de ce groupe, il a

13 ri avec eux. Je ne sais pas de quoi ils parlaient, mais je sais qu'ils ont

14 beaucoup ri et qu'ils avaient l'air de s'amuser.

15 M. Nice (interprétation). - Qui était le deuxième homme que vous avez vu

16 quitter le bureau ? D'abord, combien de temps après que le premier homme

17 est sorti le deuxième est sorti ?

18 Témoin F (interprétation). - Après la sortie du premier homme, on a

19 entendu la même chose : les bruits, les cris terribles et à peu près dix

20 ou quinze minutes plus tard un second prisonnier est sorti du bureau. Il

21 est sorti par cette même porte. Goran s'est approché et c'était encore la

22 même scène : il marchait derrière la victime, il l'a emmené au même

23 endroit et on a entendu à nouveau deux coups de feu. Ensuite Goran est

24 retourné. Il s'est approché du groupe de soldats et il a à nouveau parlé

25 avec eux, il a ri comme si de rien n'était.

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1 A ce moment-là, si mes souvenirs sont bons, il a demandé à ce groupe ce

2 que faisaient ces gens à l'extérieur et il a pensé à nous. Et l'homme qui

3 était en train de remplir les laissez-passer a dit que c'étaient des

4 hommes qui allaient recevoir des laissez-passer car des Serbes

5 garantissaient pour eux. Et il nous a dit : "Ah, c'est bien vous ces 5 %

6 ou 10 % de chanceux, ceux qui allez survivre et je pense que vous serez

7 bien heureux de me payer une boisson, un coup, plus tard dans l'avenir

8 quand vous me verrez dans la ville."

9 Nous n'avons rien répondu car nous avons baissé le regard et nous n'osions

10 pas le regarder car ce regard aurait pu attirer son attention et nous

11 avions très, très peur.

12 M. Nice (interprétation). - La troisième personne a quitté le bâtiment

13 administratif combien de temps plus tard ?

14 Témoin F (interprétation). - Si mes souvenirs sont bons, c'était 10, 15 ou

15 20 minutes plus tard. C'était toujours à peu près le même intervalle.

16 Pendant ce temps-là, on entendait des cris, la porte s'ouvrait, la

17 troisième personne sortait qui avait le même aspect physique qu'il est

18 très difficile de décrire. Elle était pleine de bleus, pleine de sang, ses

19 cheveux étaient ensanglantés, son corps avait une position peu naturelle

20 comme si des os avaient été brisés et elle marchait très lentement.

21 Et donc il s'agissait encore une fois du même scénario : la personne

22 marchait, poussée par le pistolet. Elle prenait la même direction, on la

23 perdait de vue, on entendait à nouveau les deux coups de feu. Et Goran

24 revenait seul, se joignait à nouveau au groupe de

25 soldats qui était juste à côté.

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1 M. Nice (interprétation). - Qui était le quatrième prisonnier qui a quitté

2 le bâtiment administratif ?

3 Témoin F (interprétation). - La quatrième victime avait un aspect physique

4 encore plus terrible : elle ne pouvait pratiquement pas marcher, ses

5 mains, ses bras avaient l'air d'être brisés et quand Jelisic le poussa, il

6 ne pouvait pas se tenir debout et il est tombé sur ses genoux. L'Adolf

7 serbe se tenait à deux ou trois mètres derrière lui, il s'est approché, il

8 l'a pris, il l'a aidé à se relever, il l'a pris par la taille pour le

9 relever, mais à peine a-t-il fait cela qu'il était dégoûté. Il avait l'air

10 d'avoir été dégoûté, il a dit : "Mais je suis vraiment fou d'aider un

11 Balija à se relever ! Je me salis les mains en faisant cela !"

12 Cet homme marchait très lentement. Il prenait la direction de la victime

13 précédente. Et donc il s'est approché de cet homme avec son fusil

14 automatique qui avait une sourdine et il s'est approché à 20 ou

15 30 centimètres et il a tiré un coup de feu dans le dos de cet homme. Et

16 c'est comme si vous... il s'est approché et il s'est mis au-dessous de sa

17 victime et de très près il a tiré un autre coup de feu dans le dos de

18 l'homme.

19 Et ensuite il s'est tourné et il a montré les deux hommes qui ont reçu un

20 laissez-passer et il leur a demandé de transporter la victime derrière le

21 bâtiment. Evidemment, ils ont immédiatement accepté de le faire. Ils ont

22 porté la victime jusqu'à l'endroit où se trouvaient les autres victimes.

23 M. Nice (interprétation). - Cet homme qui a tué ces autres hommes, qu'a-t-

24 il fait ensuite et à qui a-t-il fait quelque chose, s'il a dit quelque

25 chose ?

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1 Témoin F (interprétation). - Parmi ce groupe de soldats qui étaient debout

2 juste avant que Goran ne tue le quatrième homme devant nous, il y avait un

3 homme qui s'est approché de la table et il nous a traité de Balija, de

4 lâches. Il nous a dit que nous devions nous battre de notre côté. Il nous

5 a dit que son père était un Albanais, que sa mètre était une Croate alors

6 qu'il se battait pour l'armée croate. Il a dit, si mes souvenirs sont

7 bons, il a dit qu'il s'appelait Ranko et il nous a montré un collier qu'il

8 portait, un collier en cuir, et comme pendentif c'était une balle. Il a

9 montré cette balle en nous disant : "Regardez, les lâches, regardez ! Moi,

10 je me bats pour la Yougoslavie jusqu'à bout de souffle et cette dernière

11 balle sera pour moi."

12 Bien sûr, nous n'avons pas fait de commentaires, nous étions silencieux

13 car nous avions peur de dire quoi que ce soit. Alors, pour répondre, Goran

14 à ce moment-là s'est rapproché de cet homme, Ranko -je ne suis pas sûr de

15 son nom mais je pense que c'était son nom- et il a dit : "C'est le

16 soixante-huitième".

17 M. le Président. - Témoin F, je vous interromps. Témoin F, sauf lorsque

18 vous avez à indiquer quelque chose sur le rétroprojecteur, essayez quand

19 vous répondez de vous tourner vers les Juges, s'il vous plaît. Merci.

20 M. Nice (interprétation). - Donc il a dit : "C'est le soixante-huitième".

21 Pouvez-vous continuer ? Qu'a-t-il dit ensuite ?

22 Témoin F (interprétation). - Ranko a demandé : "Comment cela, soixante-

23 huitième ?". On avait l'impression qu'il ne comprenait pas ce que cela

24 voulait dire. Alors Goran a répondu : "Mais bien sûr, le soixante-huitième

25 Balija est parti". Et il a ajouté : "Mon Dieu, combien encore devrai-je en

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1 tuer avant que cela ne se termine ?".

2 M. Nice (interprétation). - Ranko a-t-il ajouté quelque chose, ou l'autre

3 homme a-t-il ajouté quelque chose ?

4 Témoin F (interprétation). - Oui.

5 Ranko a alors dit -c'est-à-dire la personne dont je pense qu'elle

6 s'appelle Ranko- a dit à Goran que s'il était fatigué, il pouvait le

7 remplacer. Il voulait dire qu'il voulait continuer son travail. Goran a

8 répondu non, qu'il ne trouvait pas ce travail difficile, et que lorsqu'il

9 voudrait aller boire un verre il lui dirait de le remplacer.

10 Avec votre permission, je voudrais dire qu'il est très difficile de

11 décrire le comportement de Ranko et d'Adolf. Ils se comportaient comme

12 s'ils se trouvaient au milieu d'une représentation théâtrale et pas dans

13 la réalité. Ils riaient, ils blaguaient. Dans des moments pareils, c'est

14 parfaitement incompréhensible.

15 Dans leurs yeux, on avait l'impression... Je ne sais pas comment

16 l'expliquer, mais il y avait quelque chose de bizarre dans ce regard. On

17 avait l'impression que ce n'était pas une personne normale, il y avait

18 quelque chose de tellement cruel dans ses yeux. Ses yeux ne riaient

19 jamais ; c'était sa bouche qui riait, il riait avec sa bouche. C'est

20 difficile de le décrire, j'ai vu cela dans des films, avant. Quand il

21 riait, il riait avec sa bouche, mais ses yeux ne riaient pas. C'étaient

22 les yeux d'une personne anormale ; c'est la seule chose que je peux dire.

23 M. Nice (interprétation). - Passons maintenant au cinquième prisonnier que

24 vous avez vu. Combien de temps après la sortie du quatrième le cinquième

25 est-il sorti du bureau ?

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1 Témoin F (interprétation). - Ces intervalles étaient toujours à peu près

2 les mêmes ; il s'agissait d'intervalles de dix, quinze, peut-être vingt

3 minutes ; il est difficile de le dire avec précision.

4 M. Nice (interprétation). - Qu'est-il arrivé au cinquième détenu ?

5 Témoin F (interprétation). - Pour ne pas répéter toujours le même

6 processus, donc cette personne est sortie par cette porte. Goran s'est

7 approché, à peu près à mi-chemin entre l'endroit d'où il sortait et

8 l'endroit où on ne les voyait plus, car ils étaient derrière les

9 bâtiments, et il a -à nouveau- suivi cette victime avec un pistolet

10 automatique, en lui donnant la direction.

11 Il s'agissait du même type de victime. Elle était dans le même état que

12 les précédentes, pleine de sang, elle avait du mal à bouger, elle était

13 déformée ; on le voyait, on pouvait le voir de la façon dont il marchait.

14 Soit Jelisic ne voulait plus marcher, soit il voulait nous faire peur à

15 nous qui regardions ; il lui a tiré une balle dans la nuque, de très près,

16 de vingt ou trente centimètres. Après cela, la victime s'est effondrée

17 face à la terre, il s'est à nouveau approché de la victime de très près,

18 et il lui a tiré une balle dans le dos.

19 Ensuite, il a demandé aux personnes qui ont reçu des laissez-passer de

20 porter la victime derrière l'immeuble ; elles étaient obligées de la

21 faire, et dix ou quinze secondes plus tard ces jeunes hommes revenaient.

22 Entre-temps, il était déjà plus de vingt heures, la nuit tombait et nous

23 avions de plus en plus peur car nous savions qu'il y avait un couvre-feu

24 qui entrait en vigueur à 21 heures et qu'après 21 heures personne n'avait

25 le droit de marcher. Nous habitions assez loin du camp de Luka et nous

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1 savions que nous avions besoin de plus d'une demi-heure pour marcher

2 jusqu'à notre maison. Nous demandions tout le temps à ces jeunes hommes,

3 qui étaient des membres de la police militaire, ce que nous allions faire

4 par rapport aux transports.

5 M. Nice (interprétation). - Pour résumer, finalement vous a-t-on escortés

6 pour sortir du camp ce soir-là ?

7 Témoin F (interprétation). - Cet autobus qu'on nous a promis n'est jamais

8 arrivé, mais on nous a laissé partir à pied. Les membres de la police

9 militaire passaient, nous suivaient avec la voiture ; nous devions passer

10 de nombreux points de contrôle de Chetniks et donc il était difficile

11 d'arriver à la maison.

12 M. Nice (interprétation). - Pour revenir à ce qui s'est passé à Luka après

13 que ce cinquième homme a été abattu par Adolf, qu'a-t-il fait avec son

14 pistolet ? A-t-il fait quelque chose de son pistolet ?

15 Témoin F (interprétation). - Après la cinquième victime, ils ont pris un

16 jeune, Damir, qui habitait à Kolobara, et ils l'ont frappé. Je pense qu'il

17 y avait une porte ouverte à l'intérieur, donc on entendait encore mieux.

18 On l'a frappé ; je pense qu'ils ont trouvé un fusil automatique chez lui.

19 On lui a demandé d'avouer d'où il tenait ce pistolet ; on voulait qu'il

20 avoue qu'il était membre des Bérets verts. Lui, il criait très fort, et on

21 lui demandait de dire pourquoi il avait acheté ce pistolet. Il suppliait

22 et disait qu'il voulait protéger sa femme et ses enfants, mais qu'il ne

23 voulait pas utiliser ce pistolet contre les Serbes.

24 A ce moment-là, on nous a laissé partir. Je ne l'ai pas vu

25 personnellement, mais j'ai entendu dire qu'il a été tué également. A ce

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1 moment-là, nous avons quitté Luka.

2 M. Nice (interprétation). - Ma question était la suivante : qu'a fait

3 Adolf après avoir abattu le cinquième homme ? Qu'a-t-il fait avec son

4 pistolet ? A-t-il fait quelque chose avec son arme ?

5 Témoin F (interprétation). - La personne qui se présentait comme l'Adolf

6 serbe a donné son pistolet à la personne que j'ai appelée Ranko, et il lui

7 a dit : "Tiens, je te donne l'occasion d'ajouter un trait", comme dans les

8 films de Westerns, quand on ajoute un trait chaque fois qu'on a une

9 nouvelle victime. Il a dit qu'il avait soif, qu'il voulait aller boire un

10 verre, et il lui a demandé de le remplacer.

11 Ensuite, on nous a laissé partir ; je ne sais pas ce qui s'est passé

12 concrètement.

13 M. Nice (interprétation). - Pièce à conviction suivante, s'il vous plaît.

14 Il s'agit d'un croquis que vous avez vous-même réalisé, et qui montre ce

15 qui s'est passé. Nous allons pouvoir traiter cette pièce à conviction très

16 rapidement.

17 Ce croquis a-t-il été dessiné par vous-même, ou par quelqu'un suivant vos

18 instructions ?

19 Témoin F (interprétation). - J'ai fait ce croquis moi-même, lorsque j'ai

20 fait ma déclaration devant le représentant des Nations Unies.

21 M. Nice (interprétation). - On peut voir le hangar, la route ; on peut

22 voir également le bureau.

23 Témoin F (interprétation). - La porte d'entrée, ensuite les bâtiments

24 administratifs, et nous pouvions voir jusqu'à cet endroit, et c'est là

25 qu'Adolf partait avec les victimes et ensuite revenait. La table se

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1 trouvait à cet endroit ; là se trouvait la porte d'où sortaient les

2 victimes, et c'est le chemin qu'ils empruntaient. Ensuite on ne voyait

3 plus rien.

4 M. Nice (interprétation). - Entre le bureau et le hangar, ce n'est pas

5 très clair sur nos écrans, mais vous avez écrit les chiffres 4 et 5 sur le

6 croquis. Est-ce bien exact ?

7 Témoin F (interprétation). - Oui.

8 M. Nice (interprétation). - Que représentent ces chiffres ?

9 Témoin F (interprétation). - Ces chiffres représentent l'endroit où Goran

10 a tué les victimes 4 et 5 devant nos yeux.

11 M. Nice (interprétation). - Merci. Pour en finir avec cette pièce à

12 conviction, on peut voir des blocs qui ont été dessinés. En haut de cette

13 pièce à conviction, vous avez écrit "maison". Etait-ce visible depuis la

14 route où vous vous trouviez ? Pouvait-on voir ces maisons ?

15 Témoin F (interprétation). - Je pense que dans une certaine mesure oui,

16 car c'était un endroit surélevé, plus surélevé que les maisons, donc je

17 pense que l'on pouvait voir quelques maisons.

18 M. Nice (interprétation). - Merci. Je vais demander de présenter au témoin

19 la pièce à conviction N° 3 qui a déjà été versée au dossier ; j'en ai

20 quelques photocopies s'il besoin est.

21 Deux choses, et seulement deux choses ici. Vous voyez ici une arme ; si

22 vous la comparez avec le pistolet dont vous nous avez parlé, pouvez-vous

23 faire une comparaison ? Et vous nous avez parlé d'une matraque. Que

24 pouvez-vous nous dire, si vous la comparez avec la matraque dont vous nous

25 avez parlé précédemment ?

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1 Témoin F (interprétation). - C'est l'arme, le pistolet automatique que

2 l'on appelle "le scorpion". Je connais bien cette arme car, pendant mon

3 service militaire, j'ai utilisé ce type d'arme. Donc c'est un pistolet

4 automatique que l'on peut aussi utiliser comme une arme simple, et devant

5 il y a une sourdine ; c'est un silencieux. Et cela, c'est la matraque ;

6 elle était exactement comme cela mais on ne le voit pas très bien sur la

7 photo, elle était plus longue, beaucoup plus longue. Je n'ai jamais vu une

8 matraque aussi longue chez les membres de la police.

9 M. Nice (interprétation). - Merci. Lorsque vous êtes partis de Luka, lors

10 de cette marche qui vous a conduit à traverser un certain nombre de points

11 de contrôle, avez-vous entendu des informations sur quelqu'un dont on sait

12 qu'il ou elle a été tué(e) ? Je m'en rapporte au paragraphe 31 du résumé.

13 Témoin F (interprétation). - En marchant dans la colonne, quand nous avons

14 quitté Luka, j'ai entendu parler des personnes qui ont porté la victime,

15 qui avaient très peur et qui n'avaient pas l'air bien ; ils ont dit que

16 sur ces tas de corps où il y avait une vingtaine de corps, ils ont vu une

17 grande tache noire, comme une tache suite aux brûlures, à un feu fait par

18 du pétrole. Ils disaient que cela avait l'air d'être un corps qui avait

19 brûlé, un corps humain. Une de ces personnes (je ne me souviens plus de

20 son nom) a dit... c'est-à-dire qu'ils ont mentionné un certain nombre de

21 noms et je me souviens d'un nom, c'était Jasmin Cumurevic, (expurgé)

22 (expurgé) . Donc je

23 me rappelle de cet homme et de ce nom, je ne peux pas me rappeler des

24 autres noms.

25 M. Nice (interprétation). - Deux autres pièces à conviction : l'une de ces

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1 pièces est une liste ; quant à la deuxième, si vous le souhaitez, je ne

2 pourrai la produire que demain matin si c'est plus pratique.

3 M. le Président. - Nous allons bien jusqu'à 6 heures aujourd'hui,

4 Monsieur le Greffier ?

5 M. Abtahi. - Oui, Monsieur le Président.

6 M. le Président. - Nous poursuivons jusqu'à 18 heures.

7 M. Abtahi. - Pièce de l'accusation N° 12.

8 M. Nice (interprétation). - Merci. Témoin F, vous a-t-on demandé ce matin

9 de parcourir une liste établie par ordre alphabétique qui, si ce n'est pas

10 la même, ressemble à celle que vous avez maintenant devant les yeux ?

11 Témoin F (interprétation). - Oui.

12 M. Nice (interprétation). - Je peux montrer l'original, Messieurs les

13 Juges, et déjà, d'ailleurs, montrer l'original à Me Greaves. Avez-vous

14 parcouru cette liste, Monsieur le Témoin, pour voir si vous connaissiez

15 certaines des personnes qui sont mentionnées ou si vous saviez ce qui leur

16 était arrivé ? Puis-je donc vous référer à un certain nombre de noms pour

17 que vous puissiez nous dire, si vous le savez, si vous savez ce qui leur

18 est arrivé et comment vous l'avez appris ? Je me réfère à la première

19 feuille et je voudrais signaler à MM. les Juges qu'un autre témoin va

20 produire cette liste qui a été tapée à la machine pour des raisons de

21 lisibilité.

22 Le premier nom donc : Stipo Glavosevic. Pouvez-vous nous dire quelque

23 chose au sujet de ce nom ?

24 Témoin F (interprétation). - Je connaissais très bien ce monsieur car

25 (expurgé)

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1 (expurgé) . Il était juriste de formation. J'ai entendu dire

2 par les personnes que je connais, par des amis, qu'il a été tué à Luka, et

3 pas seulement qu'il a été tué mais qu'il a aussi été frappé et qu'on lui a

4 coupé les oreilles, qu'il a été torturé et qu'il se tenait les oreilles,

5 et qu'il y avait du sang qui sortait de ce qui était ses oreilles et qu'il

6 suppliait ses assassins serbes de l'assassiner probablement à cause de

7 l'intensité de ses souffrances. Et notre collègue commun qui le

8 connaissait très bien m'a dit que ce soldat serbe lui a dit qu'il allait

9 le tuer s'il embrassait sa botte. Celui-ci l'a fait et ensuite il l'a tué.

10 M. Nice (interprétation). - Le nom suivant : Mehmed Glinac ?

11 Témoin F (interprétation). - Oui.

12 M. Nice (interprétation). - Pouvez-vous nous dire quelque chose au sujet

13 de ce nom ?

14 Témoin F (interprétation). – (expurgé)

15 (expurgé) . Et je l'ai vu à Luka pendant que

16 j'y étais. On l'a amené mais ensuite, depuis je n'ai pas entendu parler de

17 lui.

18 M. Nice (interprétation). - Je vais maintenant vous demander de passer à

19 la deuxième page de cette pièce à conviction. A peu près à cinq ou six

20 lignes à partir du bas, il y a deux noms : Kartal, deux Kartal et un

21 Kevric. Est-ce que ces noms vous disent quelque chose ?

22 Témoin F (interprétation). - Oui.

23 M. Nice (interprétation). - Pouvez-vous nous parler des deux premiers noms

24 que je viens de vous citer ?

25 Témoin F (interprétation). - Kasim et Rasim Kartal, c'étaient deux frères.

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1 Je les connaissais assez bien parce que nos parents étaient très proches.

2 Et je peux dire aussi que je ne sais pas ce qui leur est arrivé. Je crois

3 qu'ils sont toujours considérés comme disparus, mais on ne sait rien de ce

4 qui leur est arrivé.

5 M. Nice (interprétation). - Mais vous les connaissiez ?

6 Témoin F (interprétation). - Oui.

7 M. Nice (interprétation). - Le nom suivant, Kevric.

8 Témoin F (interprétation). - Je connaissais également Sead Kevric. Je le

9 connaissais même très bien parce qu'il habitait dans mon quartier, mais je

10 ne peux pas vous dire ce qui lui est arrivé, en tout cas je ne l'ai jamais

11 revu.

12 M. Nice (interprétation). - Merci. Maintenant, nous allons tourner deux

13 pages, passer à la page 4 de cette pièce à conviction. Est-ce que le nom

14 de Terzic vous dit quoi que ce soit ?

15 Témoin F (interprétation). - Il y a plusieurs personnes qui s'appellent

16 Terzic ici, il s'agissait de frères. Je les ai vus à Luka.

17 Personnellement, je ne sais pas ce qui leur est arrivé, mais beaucoup de

18 gens m'ont dit qu'ils ont tous été tués. On en a beaucoup parlé parce que

19 c'est une tragédie pour cette famille.

20 M. Nice (interprétation). - Merci. Il s'agit ici de la plus longue des

21 listes qui comporte plus d'une centaine de noms. Donc la liste maintenant

22 que je vais produire, c'est une liste de 39 noms.

23 M. Greaves (interprétation). - Je me permets d'interrompre mon éminent

24 collègue, mais je voudrais vous référer à la page 4 de cette liste qu'on

25 vient de nous présenter, des noms qui se ressemblent beaucoup. Je voudrais

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1 savoir de quoi nous parle mon éminent collègue de l'accusation.

2 M. Nice (interprétation). - Bien entendu, si l'on en revient donc à cette

3 pièce à conviction que je viens de vous montrer, placez-la s'il vous plaît

4 sur le rétroprojecteur, la page 4 de cette pièce à conviction.

5 (L'huissier s'exécute.)

6 Quand vous nous avez parlé donc de ces frères dont tout le monde sait ce

7 qui leur est arrivé, pouvez-vous nous dire de qui vous parlez ? Il s'agit

8 du nom T-E-R-Z-I-C.

9 Témoin F (interprétation). - Oui, oui, il s'agit des frères Terzic, Ekrem,

10 Enes, Muhamed. Il s'agit des personnes dont je vous parlais.

11 M. Nice (interprétation). - Passons maintenant au suivant. Est-ce que vous

12 savez quelque chose au sujet d'Aldin et Almir Tursic, les deux noms

13 suivants sur la liste ? Est-ce que vous connaissez quelque chose ?

14 Témoin F (interprétation). - Je ne peux que vous dire que ces deux frères

15 habitaient très près de chez moi, (expurgé). Je les ai

16 tous les deux vus à Luka, mais depuis je ne les ai plus jamais revus, je

17 ne sais pas ce qui leur est arrivé.

18 M. Nice (interprétation). - Cette liste que l'on vous a demandé de

19 regarder, est-ce que vous avez vu des personnes portant les noms qui

20 figurent sur cette liste depuis votre séjour à Luka ?

21 Mon micro n'était peut-être pas allumé. Est-ce que vous avez vu les noms

22 de ces gens depuis votre séjour au camp de Luka, Témoin F ?

23 Témoin F (interprétation). - Parmi les personnes dont on a parlé, je n'en

24 ai revu aucune en tout cas.

25 M. Nice (interprétation). - Pièce à conviction n° 13, s'il vous plaît. Je

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1 crois que l'on vous a demandé de regarder cette liste de noms cet après-

2 midi. Est-ce bien exact ?

3 Témoin F (interprétation). - Oui.

4 M. Nice (interprétation). - Est-ce que certains noms vous disent quelque

5 chose ?

6 Témoin F (interprétation). - Oui.

7 M. Nice (interprétation). - Pouvez-vous indiquer sur la liste les noms,

8 afin que nous soyons sûrs de parler de la même chose ? Donc le N° 2 sur la

9 liste ?

10 Témoin F (interprétation). - Oui, le N° 2, Ahmed Hodzic qui portait le

11 surnom de "Papa" ; je le connaissais bien, je le connaissais d'avant, il

12 habitait dans le quartier Kolobara. C'était un membre du mouvement de

13 résistance, il était actif dans la défense de son quartier et je sais que

14 lui aussi a été tué.

15 M. Nice (interprétation). - N° 6 et 7, s'agit-il de noms que vous

16 connaissiez ?

17 Témoin F (interprétation). - Oui.

18 M. Nice (interprétation). - Savez-vous s'il est arrivé quelque chose à ces

19 gens, ce qui leur est arrivé ?

20 Témoin F (interprétation). - Je ne sais pas. Je connais ces gens mais je

21 ne sais pas ce qui leur est arrivé.

22 M. Nice (interprétation). - N° 8, est-ce que vous connaissiez cette

23 personne ?

24 Témoin F (interprétation). - Oui.

25 M. Nice (interprétation). - Que lui est-il arrivé ?

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1 Témoin F (interprétation). - Je le connais très bien, je le connais très

2 bien, on l'a également amené à Luka.

3 M. Nice (interprétation). - Et savez-vous ce qui lui est arrivé ?

4 Témoin F (interprétation). - Lui aussi a été tué, on me l'a dit plus

5 tard ; ce sont des amis à moi qui le connaissaient bien qui me l'ont dit.

6 Apparemment, on l'a accusé d'être un militant du parti mais, d'après ce

7 que je savais, ce n'était pas vrai. Comme nous tous, c'était juste un

8 habitant de la ville, il n'avait pas d'activité politique particulière.

9 C'est pourquoi à peu près 10 000 Musulmans sont restés chez eux. Le fait

10 qu'ils soient restés chez eux montre clairement qu'ils ne s'attendaient

11 pas à cela, à ce qui s'est passé ; ils étaient très naïfs et ils l'ont

12 payé de leur vie.

13 M. Nice (interprétation). - N° 16 ?

14 Témoin F (interprétation). - Oui, Sakib Becirevic qui portait le surnom de

15 "Kibe". Il était boucher dans la même entreprise que moi ; il a été tué.

16 Et l'on dit que Ranko Cecic, l'autre personne qui est recherchée par ce

17 tribunal, on dit que c'est lui qui l'a tué. Il est bien connu que c'est

18 Ranko Cecic qui l'a tué.

19 M. Nice (interprétation). - Les noms des 20 et 21, vous nous en avez parlé

20 déjà pour l'autre liste ?

21 Témoin F (interprétation). - Oui, il s'agit des frères qui ont été tués

22 aussi.

23 M. Nice (interprétation). - 23 ?

24 Témoin F (interprétation). - Oui, Vasif Sulejmanovic, il était très connu

25 en ville lui aussi. Il travaillait à la station de télévision de Brcko. Il

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1 a également été tué.

2 M. Nice (interprétation). - Nous allons tourner la page et passer au nom

3 qui porte le n° 33.

4 Témoin F (interprétation). - Oui, M. Himzo Kevric, très connu lui aussi à

5 Brcko. C'était un négociant, il était très connu. Moi, je le connaissais

6 personnellement parce que je connaissais très bien ses fils et je suis

7 souvent allé chez lui. Il vivait dans la partie serbe de la ville, près de

8 Luka.

9 M. Nice (interprétation). - 36 ?

10 Témoin F (interprétation). - Osman Vatic. Lui aussi était très connu en

11 ville, c'était un avocat. Il avait un cabinet d'avocats en ville, il était

12 très apprécié de tous. On raconte des choses atroces sur sa mort. On dit

13 non seulement qu'il a été tué mais qu'avec sa femme il a été torturé,

14 qu'il a fait l'objet de sévices atroces et qu'on ne l'a tué qu'à la fin,

15 cela parce que c'était un homme riche. Donc, on l'a gardé en vie jusqu'à

16 ce qu'il leur donne sa Mercedes, son or et tout cela.

17 M. Nice (interprétation). - 39 ?

18 Témoin F (interprétation). - 39, c'est Izudin Brodlic. Lui aussi était

19 quelqu'un qui était très connu dans notre ville. Il tenait un magasin de

20 chaussures qui lui appartenait, donc, tout le monde à Brcko le connaissait

21 très bien. Il a été tué chez lui d'après ce que je sais. Lui aussi

22 habitait à côté de la caserne.

23 M. Nice (interprétation). - Merci. Vous nous avez parlé de quelqu'un qui

24 s'est présenté comme étant Adolf, comme s'appelant Adolf, mais vous avez

25 parlé de lui en utilisant un autre nom. Ce nom, d'où le tenez-vous et

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1 quand l'avez-vous appris ?

2 Témoin F (interprétation). - Après que je suis parti de Luka, je suis

3 revenu dans l'appartement de mon ami, là où j'étais avant d'être amené à

4 Luka. Cet endroit était très dangereux ; des soldats serbes entraient

5 souvent, des Chetniks de formation paramilitaire qui se comportaient de

6 façon inconvenante. C'était très dangereux d'être un Musulman et un homme,

7 (expurgé)

8 (expurgé)

9 (expurgé), il pouvait nous transporter avec son

10 véhicule.

11 Mon ex-directeur, (expurgé), qui me connaissait très bien, nous

12 a laissés venir travailler (expurgé). Nous n'avions pas le droit de circuler

13 car c'était très dangereux, et plus tard on a laissé d'autres personnes de

14 Luka, d'ex-ouvriers ou travailleurs de (expurgé), des personnes qui étaient

15 importantes pour le travail (expurgé), c'étaient des personnes qui sont

16 restées à Luka plus tard que moi. Ensuite j'ai appris que cette personne

17 qui se présentait comme l'Adolf serbe, que son vrai nom était Goran

18 Jelisic.

19 M. Nice (interprétation). - C'est toutes les questions que je souhaitais

20 poser au témoin.

21 M. le Président. - Je vous remercie.

22 Maître Greaves ?

23 M. Greaves (interprétation). - Je ne sais pas si vous souhaitiez que je

24 commence maintenant pour m'arrêter dans quelques minutes ou si vous

25 préférez que je commence demain matin. C'est à vous de décider.

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1 M. le Président. - Nous décidons qu'il reste dix minutes encore et vous

2 pouvez commencer. Chaque minute est précieuse, vous le savez bien.

3 M. Riad. - Il faut profiter.

4 M. le Président. - Oui. Maintenant, Témoin F, ce sont les défenseurs de

5 Goran Jelisic qui vont vous poser des questions.

6 M. Greaves (interprétation). - Témoin F, si vous ne comprenez pas une de

7 mes questions, n'hésitez pas à m'interrompre immédiatement pour que je

8 vous explique exactement ce que je veux vous demander.

9 Tout d'abord, je voudrais vous demander la chose suivante : lorsque vous

10 avez fait une déclaration au Tribunal international, vous étiez membre de

11 l'armée de Bosnie-Herzégovine ; est-ce bien exact ?

12 Témoin F (interprétation). - Oui.

13 M. Greaves (interprétation). - Est-ce que c'est toujours votre métier ?

14 Témoin F (interprétation). - Je n'ai jamais travaillé dans l'armée de

15 Bosnie-Herzégovine ; j'ai juste défendu mon peuple et mon pays de

16 l'occupation.

17 M. Greaves (interprétation). - Je me suis peut-être mal exprimé, mais est-

18 ce que vous servez toujours dans les rangs de l'armée de Bosnie-

19 Herzégovine ?

20 Témoin F (interprétation). - Non, puisqu'il n'y a plus besoin de servir.

21 M. Greaves (interprétation). - Je voudrais vous poser la question

22 suivante : vous avez, je crois, 38 ans, n'est-ce pas ?

23 Témoin F (interprétation). - Peut-être.

24 M. Greaves (interprétation). - Je ne vais pas, bien entendu, donner la

25 date précise, mais je crois que vous êtes né en septembre 1961 ?

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1 Témoin F (interprétation). - Oui.

2 M. Greaves (interprétation). - Vous aviez donc trente ans en mai 1992, au

3 moment de la guerre ?

4 Témoin F (interprétation). - Oui.

5 M. Greaves (interprétation). - Témoin F, avant mai 1992, aviez-vous une

6 activité politique quelconque ?

7 Témoin F (interprétation). - Non.

8 M. Greaves (interprétation). - Etiez-vous membre d'un parti politique

9 avant la guerre ?

10 Témoin F (interprétation). - Non.

11 M. Greaves (interprétation). - Etes-vous devenu membre d'un parti

12 politique pendant la guerre ?

13 Témoin F (interprétation). - Non.

14 M. Greaves (interprétation). - Et depuis la guerre, avez-vous adhéré à un

15 parti politique ?

16 Témoin F (interprétation). - Non, je n'ai jamais été membre d'un parti

17 politique quelconque.

18 M. Greaves (interprétation). - Merci. Je vais vous poser quelques

19 questions rapides sur la période précédant immédiatement le déclenchement

20 des combats à Brcko. Mon éminent collègue vous a posé des questions sur

21 les événements s'étant déroulés à la fin du mois d'avril 1992. A ce

22 moment-là, avant que l'on ait fait sauté les ponts, saviez-vous qu'il

23 allait y avoir des combats dans la région ?

24 Témoin F (interprétation). - Non. Personne ne pouvait l'imaginer, personne

25 ne pouvait savoir ce qui allait se passer. Moi, je ne pouvais pas le

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1 savoir, je ne pouvais pas l'imaginer, sinon autrement je n'aurais pas

2 attendu de vivre ce que j'ai vécu.

3 M. Greaves (interprétation). - Bien entendu. Témoin F, vous nous dites que

4 vous vous doutiez qu'il allait se produire quelque chose. Est-ce que c'est

5 parce que vous saviez ce qui se passait au niveau politique dans la région

6 de Brcko, ou parce que vous aviez une vision de ce qui se passait dans

7 l'ensemble de l'ex-Yougoslavie ?

8 Témoin F (interprétation). - Eh bien, comme chaque habitant de Bosnie à

9 cette époque, j'avais le sentiment que la situation devenait dangereuse,

10 et je crois que l'essence de ma réponse est très simple : probablement

11 parce que je ne souhaitais pas la guerre, j'ai pensé qu'il y aurait des

12 conflits mineurs entre différents groupes extrémistes, mais je ne pensais

13 pas qu'il y aurait la guerre, sinon je ne serais pas resté chez moi, et je

14 ne me serais pas permis de vivre ce que j'ai vécu.

15 Donc non seulement moi-même, mais aussi des dizaines et des milliers de

16 Musulmans de Bosnie ont vu l'armée entrer chez eux, n'en croyant pas

17 leurs yeux, car ils ne pensaient pas que cela allait se passer, que

18 c'était possible. Il est clair que plus de 10 000 Musulmans sont restés

19 dans la ville avec leurs familles, à la grâce de notre armée, ce que nous

20 pensions être notre armée ; en réalité, c'était l'occupant serbo-chetnik.

21 M. Greaves (interprétation). - Témoin F, très brève question au sujet de

22 la liste ou de l'une des listes que l'on vous a demandé de parcourir. La

23 deuxième liste, celle que vous avez vue cette semaine pour la première

24 fois, est-ce que cette liste comporte un certain nombre de noms actifs

25 dans la vie politique local ? Est-il exact que les noms des gens que vous

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1 connaissiez, et qui figurent sur cette liste, ce sont des gens qui avaient

2 des activités politiques ?

3 Témoin F (interprétation). - Pour être franc, je ne le crois pas. S'ils

4 avaient des activités, s'ils étaient actifs dans la politique et s'ils

5 savaient ce qui allait se passer, je ne pense pas qu'ils seraient devenus

6 des victimes comme ils le sont devenus. Donc, pour être logique, cela n'a

7 pas de sens.

8 M. Greaves (interprétation). - Vous nous avez dit que vous vous rendiez

9 bien compte de ce qui se passait sur l'ensemble du territoire yougoslave.

10 Je vous ai peut-être posé la question de façon maladroite, mais aviez-vous

11 une idée de ce qui se passait, au niveau politique, dans la région de

12 Brcko ?

13 Témoin F (interprétation). - Oui, mais je crois que vous avez touché

14 quelque chose de très important, une raison pour laquelle les gens ont

15 payé de leur vie. La guerre a commencé au mois de mai, le 1er mai, entre

16 entre 16 heures et 17 heures. On a entendu des pilonnages, et pendant

17 cette journée et la journée suivante, on a commencé à en parler dans la

18 presse. Tous les représentants des partis politiques de Brcko se sont

19 tournés vers les gens ; ils ont parlé aux habitants, ils ont dit que les

20 partis s'étaient mis d'accord pour partager la ville de Brcko, et je pense

21 que c'est une des raisons pour laquelle la plupart des gens sont restés

22 dans leur maison ; j'en suis certain, mais je pense que c'est un autre

23 thème.

24 Cela veut dont dire que la politique locale, que la position... Le parti

25 serbe savait qu'il avait la force avec lui, qu'il avait l'appui de l'armée

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1 yougoslave, avec toutes leurs forces militaires, car le peuple serbe était

2 une population minoritaire sur Brcko : il ne représentait que 20 %, et

3 aujourd'hui ils disent que Brcko est une ville serbe alors que le

4 recensement de la population montre la structure de la population sur le

5 territoire de la municipalité de Brcko.

6 De plus, je crois que notre peuple ne voulait pas la guerre, et cela a été

7 prouvé par tous les morts. Imaginez une ville que l'on partage en

8 trois ;je pense que ceci est impossible, qu'il est impossible de partager

9 une ville en trois parties : serbe, croate et musulmane. Cela n'était pas

10 réalisable, mais je pense que c'était précisément la politique du

11 gouvernement légal de Bosnie-Herzégovine qui ne voulait pas entrer dans la

12 guerre, car il a été démontré par les événements que les Serbes n'avaient

13 pas besoin de raisons, ils avaient juste besoin d'une cause pour

14 commencer. Nous, nous nous demandions pourquoi faire la guerre à Brcko ;

15 est-ce que nous allions faire la guerre avec nos voisins ?

16 M. le Président. - Excusez-moi. Essayez de répondre de façon concise. Ici,

17 ce n'est pas une tribune. Je comprends très bien que vous puissiez émettre

18 vos opinions ; elles sont tout à fait respectables, croyez-le bien, compte

19 tenu des souffrance que vous avez endurées. Mais je voudrais que l'on

20 essaie de se recentrer toujours le plus précisément possible sur les

21 questions qui vous sont posées, tant du côté de l'accusation que de la

22 défense.

23 Vouliez-vous ajouter quelque chose sur la question posée par le défenseur

24 de M. Jelisic, ou en aviez-vous à peu près terminé ?

25 Témoin F (interprétation). - Je peux terminer. En ce qui me concerne, tout

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1 ce qui est important, ce que j'ai voulu dire concernant M. Jelisic,

2 c'est-à-dire la personne qui s'était autoproclamée Adolf, tout ce qui

3 était important, je l'ai dit. Mais je voudrais dire que ce

4 que je n'ai pas vu de mes propres yeux, et il y a beaucoup de choses que

5 je n'ai pas vues... Donc j'ai dit les choses, j'ai raconté les événements

6 auxquels j'ai assisté et il s'agit de la vérité, de rien d'autre que de la

7 vérité. J'aurais voulu que cela soit différent.

8 M. le Président. - Merci. Cela n'est pas terminé pour vous, Témoin F.

9 Demain matin, si vous voulez bien, nous nous retrouverons à 10 heures avec

10 le témoin F. Je vous souhaite de vous reposer ce soir, Témoin F ; vous

11 serez obligé de revenir demain. Merci.

12 L'audience est levée à 18 heures 05.

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