Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-95-10

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE

3 Jeudi 25 novembre 1999

4

5 L'audience est ouverte à 10 heures 50.

6 M. le Président. - Veuillez-vous asseoir. Monsieur le Greffier,

7 introduisez l'accusé.

8 (L'accusé est introduit dans le prétoire.)

9 Bien, je voudrais saluer les interprètes. Je suis persuadé que tout marche

10 bien puisqu'il y a eu une précédente audience, ce qui explique,

11 d'ailleurs, le retard que nous avons pris, qui était un retard annoncé.

12 Je voudrais bien entendu, d'abord, saluer toutes les parties présentes, le

13 Bureau de l'accusation, saluer les conseils de la défense, saluer

14 l'accusé, et puis, peut-être, nous mettre tout de suite à cette dernière

15 journée.

16 Je vois que Me Greaves a changé de place. J'espère qu'il a bien dormi,

17 Me Greaves, quand même, ce qui nous augurerait d'un temps de plaidoirie

18 moins long que celui qu'il nous avait annoncé. Mais ce n'est qu'une

19 plaisanterie... Bien ! Vous prendrez le temps qui vous est nécessaire,

20 Maître Greaves.

21 Donc nous allons pouvoir commencer. Je crois que l'ordre des travaux, si

22 on peut terminer -si on peut, évidemment-, le réquisitoire du Procureur ce

23 matin, vers 1 heure, nous ferons une pause, si vous le voulez bien, à

24 11 heures 30, parce que les interprètes seront fatigués, ils ont commencé

25 tôt ce matin. Et puis les Juges sont peut-être fatigués aussi, bien que

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1 les Juges ne sont jamais fatigables !

2 Je vois que Me Greaves reste debout. C'est donc qu'il a quelque chose à

3 dire ou bien rien ?

4 M. Greaves (interprétation). - Je suis désolé, je regardais le transcript,

5 je n'avais pas encore mon casque et je croyais que vous me demandiez de

6 dire quelque chose. Non, mais pas du tout, alors je me rassieds.

7 M. le Président. - J'essaie, sur le plan de l'humour, de me hisser au

8 niveau légendaire de l'humour britannique, mais je n'y arrive pas

9 toujours, je le reconnais.

10 Alors, si vous voulez bien, sans plus attendre, c'est, je suppose, M. Nice

11 que je salue, qui va commencer son réquisitoire. Vous avez la parole,

12 Monsieur le Procureur.

13 M. Nice (interprétation). - Merci.

14 Je crois que certains documents devaient être remis. Nous avions un

15 document qui devait être remis. Je ne sais pas s'il y a des documents qui

16 doivent arriver, enfin moi je n'ai aucune objection en tout cas.

17 M. le Président. - Je crois qu'il y avait simplement le rapport du

18 commandant du quartier pénitentiaire, n'est-ce pas, qui avait été demandé.

19 J'ai d'ailleurs fait des observations car, effectivement, la défense l'a

20 eu bien tard, mais ce rapport est arrivé aujourd'hui.

21 Non, Maître Greaves ?

22 D'ailleurs, il est sur le bureau des Juges, en anglais.

23 M. Greaves (interprétation). - Je crois que vous venez de dire que vous

24 aviez ce rapport. Il y a également d'autres documents que nous aimerions

25 déposer. La raison pour laquelle vous n'en avez pas encore entendu parler,

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1 c'est parce qu'ils faisaient l'objet de discussions entre mon éminent

2 collègue et moi-même. Nous n'étions pas encore tombés d'accord sur cette

3 question. C'est pourquoi je me permets de déposer un total de 7 dossiers,

4 7 documents avec une traduction en anglais et des copies d'originaux.

5 M. le Président. - Oui, oui, bien sûr. Allez-y, excusez-moi.

6 M. Nice (interprétation). - Je vous remercie.

7 En ce qui concerne les documents que l'accusation souhaite présenter et en

8 ce qui concerne la défense, nous n'acceptons pas la véridicité de ces

9 documents, la vérité du contenu de ces documents.

10 M. le Président. - Monsieur Greaves ?

11 M. Greaves (interprétation). - Le document dont mon éminent collègue a dit

12 qu'il voulait le déposer à un moment donné.

13 M. le Président. - Là, je voudrais que l'on m'aide parce que je ne

14 comprends pas très bien. Moi, je comptais que l'on commence le

15 réquisitoire ce matin.

16 Monsieur Tochilovsky, de quels documents s'agit-il ? De quoi conteste-t-on

17 la véracité ? Vous allez m'aider à y voir clair, et s'il faut prendre une

18 décision, nous la prendrons.

19 M. Tochilovsky (interprétation). - Eh bien, il s'agit d'un document de la

20 défense. La défense souhaite que certains documents soient reçus, comme on

21 vient de le dire. L'accusation n'a pas d'objection à recevoir ces

22 documents, nous avons simplement quelques commentaires à faire, tout

23 d'abord concernant la crédibilité de ces documents que la défense vient de

24 vous fournir.

25 Il y a deux lettres de décharge de la part du centre médical de Brcko

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1 concernant l'accusé. D'après une lettre, l'accusé a été traité dans ce

2 centre médical du 8 septembre au 9 septembre 1992 et il a été reçu avec

3 des blessures au pied gauche.

4 D'après notre lettre de décharge, même hôpital, même date, 8 septembre au

5 15 septembre, il fut traité pour des blessures suite à des coups de feu à

6 la cheville droite. Ce sont des documents qui se contredisent dès lors. Il

7 s'agit donc de remettre en question la crédibilité de ces documents.

8 Autre point, la défense, parmi d'autres documents qu'elle vous a

9 présentés, a également un certificat du 17 juin 1998 d'après lequel

10 M. Goran Jelisic était à l'armée de la Republika Srpska du 22 juin au

11 28 avril 1996, du 28 juin 1982 au 20 avril 1996. Et la défense, d'après

12 l'historique de l'affaire, nous a dit que Goran Jelisic a été employé au

13 ministère de l'Intérieur, le MUP, en date du 30 juillet 1992.

14 En ce qui concerne le document dont on vient de faire état, le document

15 que l'accusation souhaiterait faire recevoir avec les documents de la

16 défense, la défense a fourni l'historique de l'affaire d'après lequel cet

17 accusé fut examiné sur le plan psychologique en date du 31 juillet 1992

18 et, d'après ce rapport d'examen psychologique, il pourrait avoir des

19 éléments de paranoïa. C'est ce qui est dit à la fin de ce document : on

20 dit qu'il serait nécessaire qu'il suive un examen psychiatrique ainsi

21 qu'un traitement dans une clinique psychiatrique à Belgrade.

22 Bien entendu, il est logique et utile que les Juges puissent voir ces

23 rapports d'examen psychologique de l'accusé fait à Belgrade, cela paraît

24 assez logique. Mais la défense ne nous a pas fourni ce document, et

25 l'accusation dispose de ce document.

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1 Nous disposons de ce document de Belgrade, et d'après ce document, Goran

2 fut reçu à cette clinique le 31 juillet. Il y est resté du 31 juillet

3 jusqu'au 3 août 1992. Et suite à ce document, il apparaît clairement que

4 sur le plan psychologique il n'y a aucun élément, d'après ce document,

5 aucun élément, aucun signe de perturbation dans sa réflexion, dans sa

6 perception ni sa réflexion critique, et que toutes ses facultés sont

7 préservées.

8 C'est pour cela que la défense n'a pas souhaité que ce document soit reçu.

9 Sans ce document, les autres documents que la défense a présentés,

10 évidemment ces autres documents ne donnent pas le tableau complet de ce

11 qui se passait à l'époque.

12 Donc, voilà un certain nombre de remarques que je voulais faire sur les

13 documents que la défense voudrait faire recevoir. Et encore en général,

14 l'accusation cependant n'a aucune objection à faire recevoir ces

15 documents.

16 M. le Président. - Maître Greaves et Maître Tochilovsky, je vais consulter

17 mes collègues.

18 (Les Juges se consultent sur le siège.)

19 Les Juges reçoivent l'intégralité des pièces, y joignent l'incident au

20 fond. Ils en apprécieront la valeur pertinente aux vues des réquisitoires

21 et des plaidoiries.

22 Monsieur le Procureur, vous avez la parole.

23 M. Nice (interprétation). - C'est un honneur et un privilège de me trouver

24 ici à ce Tribunal international avec des Juges qui viennent des quatre

25 coins du monde. Et avant de commencer ce que j'ai à dire concernant

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1 l'accusé, je dois vous faire savoir que dans l'instruction de cette

2 affaire un certain nombre de personnes ont été impliquées pas toujours à

3 temps complet.

4 Mais la Chambre se rappellera de M. Terree Bowers qui avait ouvert ce

5 dossier, il y a à peu près un an, et que suite à l'examen de cette

6 affaire, nous avons été assistés par M. Tochilovsky, un conseiller

7 juridique éminent qui m'a accompagné tout au fil de cette affaire. Nous

8 avons également eu M. Brcmo qui est venu de temps en temps et qui nous a

9 aidés à la préparation des plaidoiries, et puis l'assistance infatigable

10 de Mme Bauer qui est ici, qui est mon assistante et qui s'est acquittée de

11 pas mal de tâches dans le cadre de cette affaire importante.

12 Il y a eu bien sûr les enquêteurs, dont vous avez entendu parler,

13 M. O'Donnell, M. Basham qui sont venus témoigner. Et puis enfin, il y a eu

14 deux gestionnaires de cette affaire, M. Javier-Annink et Mme Reynders, qui

15 sont ici avec moi et qui n'ont jamais manqué un seul document et ont

16 toujours respecté toutes les échéances et qui ont été aidés par quelqu'un

17 que vous n'avez jamais vu, mais qui sort les documents et qui travaille

18 très dur, Mme Walpita.

19 Quelquefois des stagiaires, qui travaillent gratuitement pour cette

20 institution, M. Duhaime très récemment, ont également ajouté leur

21 compétence. C'est un plaisir de travailler avec cette équipe, mais en fin

22 de compte c'est moi qui prends toutes les responsabilités de ce qui s'est

23 passé, surtout si les choses tournent mal ou si quelque chose est

24 incorrect.

25 Il n'en reste pas moins que, en ce qui concerne cette affaire, il s'agit

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1 bien d'un travail d'équipe. Dans la présentation de notre plaidoirie, je

2 vais vous distribuer deux documents et j'espère que ces documents

3 prendront moins de temps, les plus petits documents donc qui prendront

4 sans doute moins de temps que ce que la première comparution pourrait

5 laisser attendre.

6 Le premier document est ma plaidoirie. Je regrette de ne pas l'avoir en

7 français. Comme vous pouvez très bien l'imaginer, ceci n'a été terminé que

8 ce matin. Je sais évidemment que je devrai faire ma plaidoirie à une

9 vitesse qui pourra tenir compte tant des interprètes que des sténographes.

10 S'il y a des difficultés -je sais que j'ai tendance à m'emporter- j'espère

11 que mon attention sera attirée là-dessus et j'essaierai de ralentir

12 immédiatement.

13 J'ai le français dans les oreilles pratiquement, enfin sur la nuque, et

14 j'espère que des injonctions fermes me seront données si je dois modifier

15 la vitesse de mon exposé.

16 M. le Président. - Comptez sur moi, Monsieur Nice.

17 M. Nice (interprétation). - Cet homme, M. Goran Jelisic, n'était pas

18 uniquement un exécutant docile. Il a tué sans remettre en question son

19 obéissance suite à des instructions de tuer, même si elles avaient été

20 exprimées de manière minime. Il a également tué comme si c'était par

21 plaisir à sa propre initiative ou même suite à un caprice. Et il n'a

22 jamais présenté de récit satisfaisant ni logique sur la manière dont il a

23 participé, comment on lui a fait confiance pour exécuter et exécuter

24 encore.

25 Ces revendications selon lesquelles il aurait agi suivant des ordres -mais

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1 la Chambre sera vigilante concernant la possibilité qu'en vérité il était

2 un exécutant docile pour faire ce genre de travail-, s'il avait été aussi

3 docile, aussi volontaire ou même s'il ne nous a jamais présenté la vérité

4 sur la manière dont il fut recruté, tant pis pour lui.

5 Des discussions récentes sur sa personnalité limite ne peuvent pas

6 obscurcir le fait que des sociétés civilisées ont des systèmes de justice

7 pénale qui fonctionnent sur la base que les personnes assument les

8 responsabilités de leurs actes, sauf si leur état mental tombe sous une

9 certaine ligne qui est généralement associée à des maladies mentales

10 graves, et bien que les troubles de la personnalité pourraient dans

11 certains régimes juridiques ou certains systèmes modifier les

12 circonstances dans lesquelles une personne accusée peut être détenue, et

13 le fait qu'il pourrait ensuite séjourner plus longtemps dans des

14 institutions psychiatriques qu'il ne le ferait en prison.

15 Il n'y a cependant en l'espèce aucune suggestion qui nous indique que cet

16 accusé soit qualifié pour ce type de traitement. Il doit être traité-,

17 comme du reste devraient l'être les leaders de cette guerre ou d'autres

18 guerres de terreur qui ont eu lieu et qui, eux-mêmes devaient sans doute

19 souffrir de troubles de la personnalité-, il doit donc être traité comme

20 un homme majeur et responsable.

21 Tout instinct humain -nous vous suggérons cette idée avec respect, mais

22 nous pensons que dès lors qu'il s'agit de personnes en deuil telles que

23 les victimes de cet homme qui ont survécu et tels que les sentiments qui

24 vous animent, vous, Madame et Messieurs les Juges- nous indique, nos

25 instincts nous indiquent que cet homme doit recevoir la sentence maximum

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1 possible et ne devrait plus jamais respirer l'air de la société libre.

2 Mais avant d'écouter nos instincts pour prononcer un jugement, cette

3 Chambre devra examiner certains éléments qui pourraient être aptes à

4 nuancer cette conclusion naturelle et qu'il faudra en tenir compte afin de

5 réduire inévitablement au maximum, de manière la plus modeste possible,

6 cette sentence maximale.

7 A première vue, en effet, il y a quelques circonstances atténuantes : le

8 comportement de l'accusé, comme la défense vous l'a présenté, avant et

9 après ces assassinats, disant qu'il avait fait part d'un certain bien ;

10 ses aveux de lui-même ; la coopération ; et puis le fait qu'il ait plaidé

11 coupable.

12 Mais parmi ces facteurs, on peut dire qu'il ne s'agit que de facteurs

13 superficiels, car le fait qu'il s'agisse ici d'exercer notre pouvoir de

14 sentence ne pourrait pas épargner à la Chambre de première instance une

15 analyse rigoureuse de tous les éléments, ni l'épargner du devoir qu'elle

16 se doit, qu'elle doit au Tribunal, qu'elle doit à la communauté

17 internationale et aux victimes d'explorer toutes ces circonstances en

18 profondeur.

19 Et si après analyse il s'avère que ces facteurs, ces circonstances ou

20 certains facteurs, ne sont en tout ou en partie que de nouvelles

21 manifestations du même esprit malfaisant et corrompu qui a envoyé tant de

22 Musulmans-Bosniens innocents vers une mort atroce, lui en accorder le

23 bénéfice serait un tort, sauf si la jurisprudence impose l'idée qu'un

24 avantage pratique, le gain de temps, dû y compris à une réponse inique à

25 l'Acte d'accusation, en est un, doit entraîner un profit pour l'accusé.

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1 L'accusation conteste la valeur de toutes ces circonstances atténuantes

2 qui pourraient profiter à l'accusé.

3 J'en viens maintenant au comportement de l'accusé présenté par la défense.

4 Dans quelle mesure le comportement de l'accusé, qui nous a été présenté

5 par les témoins à décharge, était déterminé par la connaissance du fait

6 qu'un jour il devrait faire face à ces accusations -et dès lors il s'est

7 préparé un écran de fumée ? Et dans quelle mesure aussi est-ce que les

8 témoins à décharge vous ont induits en erreur par des affirmations

9 répétées disant qu'il était forcé de tuer, sans jamais mener leur enquête

10 un peu plus loin ? Est-ce que les témoins de la défense ont parlé de

11 l'accusé comme étant un jeune homme plein de bonté, sans tendances

12 discriminatoires ?

13 Il faut se souvenir que ceci n'a sans doute aucune pertinence, étant donné

14 que tous les groupes ethniques à Bjelina, une ville essentiellement

15 musulmane, s'entendaient très bien avant la guerre. Il y a eu ensuite

16 corruption de ces bonnes relations, qui font partie du mal de cette

17 guerre, dont nous avons tellement entendu parler devant ce Tribunal.

18 Les témoins tels que DL, DO et DS n'ont eu que des contacts occasionnels

19 avec cet homme et ne pouvaient donc pas connaître un certain nombre de

20 choses telles que ses relations avec sa famille, la jalousie envers sa

21 sœur, etc.

22 Des amis plus proches n'ont pas été informés des véritables circonstances

23 de sa vie. DJ ne connaissait pas les activités criminelles de l'accusé.

24 Son meilleur ami, DM a décrit l'accusé comme étant un lâche, connaissant

25 pourtant ses activités criminelles et a dépensé l'argent volé avec lui.

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1 C'est un témoin pour lequel la Chambre serait bien avisée de faire preuve

2 de prudence. Bien qu'à la lumière des éléments psychiatriques qui nous ont

3 été présentés hier, il est intéressant de noter que DM a dit que l'accusé

4 aimait l'argent, et que c'était donc l'esprit du lucre qui l'amenait au

5 crime, rien d'autre. Le témoin DR, dont le fils a été emmené en vacances,

6 a fait preuve d'une énorme confiance pour aucune raison apparente.

7 S'agissait-il de naïveté de sa part à elle devant la naïveté de l'accusé ?

8 Ou s'agissait-il de naïveté de la part de cette femme devant une histoire

9 montée par l'accusé ? Ou est-ce que toute l'histoire est réelle en tant

10 que telle ?

11 Aucune des victimes possibles et supposées à Luka qui aurait été épargnée

12 par cet accusé n'a été appelée à la barre, et les histoires qui nous sont

13 parvenues par des parties tierces, ce que j'énumère au paragraphe 16,

14 proviennent de victimes qui sont vivantes, en bonne santé, qui dès lors

15 auraient dû comparaître.

16 Tous ces éléments, après avoir été examinés avec soin, correspondent avec

17 l'illusion générale de cet accusé d'esprit de grandeur et de narcissisme.

18 Il n'a fait preuve d'aucun remords ni de contrition. Il s'agit en fait

19 d'une autre facette de cette même personnalité corrompue qui a commis ces

20 horribles crimes.

21 Des témoins d'atténuation qui ont été trafiqués correspondent également

22 avec cet esprit de manipulation. Le fait que l'accusé ait aidé les

23 Musulmans -s'il l'a fait- correspond également au fait qu'il souhaite être

24 considéré comme un héros et non pas comme quelqu'un qui tuait les autres.

25 Il ne voulait pas faire cela par remords ou par culpabilité, mais

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1 simplement pour se donner une meilleure image. Dès lors, ces différentes

2 faveurs ne peuvent avoir aucun effet positif.

3 Bizarrement, pratiquement aucun des témoins de personnalité n'a parlé de

4 son comportement entre Brcko et son arrestation. On n'a pas parlé de lui

5 en tant que père de famille, encore moins en tant que travailleur. Et

6 voilà un mystère : que s'est-il passé au cours de cette période ? Bien

7 qu'il soit clair qu'il vivait dans sa ville, et dès lors les habitants de

8 cette ville devaient connaître ce qu'il était censé avoir fait, ou ce

9 qu'on disait qu'il avait fait.

10 Un témoin a parlé de 1997, DO. Il a parlé de ces vacances passées

11 ensemble, vacances qu'il avait organisées. A l'époque, bien entendu,

12 l'accusé savait qu'il faisait l'objet d'un Acte d'accusation et qu'il

13 était pourchassé. Et la fiabilité de ce témoin doit également être vue par

14 rapport au fait qu'il a trouvé un refuge pour quelqu'un dont il savait

15 qu'il faisait l'objet d'un Acte d'accusation de ce Tribunal et il l'a fait

16 sous un faux nom.

17 Le témoin qui a été appelé DQ et qui a parlé de cet homme pourchassé ou

18 hanté, qui pensait se rendre, nous a indiqué que cet accusé cherchait à

19 poursuivre ses propres intérêts -et même les intérêts de sa famille-

20 lorsqu'il a demandé les 50 000 dollars, et que cette personne se trouvait

21 dans une situation de plus en plus difficile.

22 Mais sa facilité de contact avec un personnage aussi public que DQ, dans

23 des lieux publics, soulève la question de savoir si ces mouvements étaient

24 connus, voire même suivis dans une ville où, apparemment, il pouvait se

25 déplacer librement.

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1 Sa capacité de disposer d'une carte d'identité fausse lors de son

2 arrestation, mais de montrer cependant la véritable carte d’identité au

3 témoin DQ nous paraît également assez bizarre.

4 A la fin de la déposition de DQ, il a dit que l'accusé aurait pu se rendre

5 facilement, mais en fait il a essayé de tirer des avantages pour lui-même

6 et, dès lors, ne s'est pas rendu.

7 Dans la même logique, d'autres éléments à décharge nous ont indiqué qu’au

8 cours de la guerre, et par la suite, l'accusé pouvait se déplacer

9 librement à Bjelina et à Brcko, qu’il disposait d'argent à distribuer,

10 même sans doute suite à des activités de trafic de voitures comme il l’a

11 indiqué dans l'entretien. Et la Chambre a conclu qu’il n'était sans doute

12 pas en danger, pas au départ en tout cas, d’être liquidé par les autorités

13 de Bjelina ou de Brcko et qu'il n'avait pas besoin de se cacher, en tout

14 cas la plupart du temps.

15 Nous concluons en demandant à la Chambre de dire que les témoins n'ont pas

16 permis d’établir des éléments qui constituent une réelle atténuation de

17 circonstances. Certains témoins doivent être écartés car ils ont témoigné

18 par liaison vidéo sans bonne cause.

19 Si les éléments à charge qui ont indiqué un certain enthousiasme à tuer

20 est accepté, à ce moment-là les éléments à décharge qui suggéraient une

21 réticence à tuer semblent peu fiables.

22 Soit il ne faut pas faire confiance à ces éléments qui révèlent que

23 l'accusé a un esprit qui peut se dissocier entre deux types de

24 comportement contradictoire et en même temps, apparemment, mais il est

25 également possible qu'une personnalité limite qui crée sa propre réalité,

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1 comme le psychiatre nous l’a indiqué hier, a menti à propos des événements

2 -à certains ou à tous les témoins- et que par ce biais, par la bouche de

3 ces témoins, il a menti devant cette Cour.

4 Le tableau que l’accusé a brossé grâce aussi aux témoignages des

5 psychiatres peut être comparé à ce que nous, qui sommes non experts -que

6 nous sommes tous du reste- pourrions cependant imaginer comme étant une

7 personne pleine de remords et de contrition et que ce type de personne

8 manifesterait. Et là nous demandons où se trouve cette agonie lorsque l'on

9 pense aux têtes, aux visages et aux corps de ceux qu'il a abattus ? Où se

10 trouve l’agonie de la culpabilité pour leur famille ? Et où, en effet, a-

11 t-il dit quoi que ce soit de spontané qui provenait du cœur et quand a-t-

12 il manifesté la moindre affection, si ce n'est pour lui-même ?

13 L'accusé a profité d'une situation de guerre pour s'embarquer dans une

14 forme d’autogratification en exerçant tous les contrôles possibles.

15 Est-ce qu’un homme de ce genre a le droit de profiter de la liberté à

16 nouveau et est-ce que la justice serait desservie si elle le faisait ? La

17 Chambre doit également savoir que les documents que je vous ai remis

18 incluent une annexe à la fin, dont je ne vous parlerai pas à ce stade,

19 page 31 jusqu’à la fin. Il s’agit d’une analyse plus complète des

20 dépositions des témoins à décharge. Ceci vous est remis à fins de

21 référence, si cela peut vous être d'une certaine utilité.

22 J'en viens maintenant à la page 8 de ma plaidoirie et aux aveux en cours

23 d'entretien avec les enquêteurs. Dans quelle mesure est-ce que ces aveux

24 en cours d'entretien ont été des versions expurgées d’une réalité plus

25 horrible ? Ce sont des aveux qui ont été faits après la signification des

Page 2713

1 déclarations qui indiquaient qu'il serait impossible pour cet homme de

2 nier les assassinats qu'il a reconnus ensuite.

3 Est-ce que ces aveux ont été faits pour ne pas refléter sa contrition mais

4 pour tromper cette Chambre, afin que celle-ci le trouve moins malveillant

5 qu'il ne l'est ? La Chambre remarquera, suite à l’analyse, qu’il n’est pas

6 allé beaucoup au-delà de ce qui avait été prouvé dans les documents qui

7 lui ont été communiqués et qu'il a refusé d'ailleurs que certains sujets

8 soient discutés, y compris, comme nous le savons, toute la question de

9 l'Acte d'accusation de génocide dont il a été acquitté pour absence

10 d’éléments de preuves sur son état d'esprit.

11 Je traiterai de ces entrevues de manière plus approfondie lorsque nous

12 traiterons des éléments de preuve.

13 J’en viens maintenant à la coopération. La coopération de l’accusé avec

14 l'accusation n'a pas été ni matérielle, ni poursuivie et la Chambre dès

15 lors pourra voir dans ma plaidoirie des notes en bas de page ; je ne me

16 propose pas d’en donner lecture, sauf si cela s'avérait une chose

17 essentielle. Cela vient étayer des choses que j'ai dites dans ma

18 plaidoirie ou cela permet de retrouver certaines références pertinentes.

19 Si cette coopération n’a pas été ni matérielle, ni poursuivie, il ne faut

20 donc pas la considérer comme circonstance atténuante. Pour qu'il s'agisse

21 d’une coopération matérielle, il faut qu'elle soit importante, il faut

22 qu'elle ait contribué de manière sensible à l’administration de la

23 justice ; je fais observer cependant que ceci est étayé par un exposé

24 avant sentence dans l'affaire Kambanda, bien que ceci n’ait pas fait

25 l'objet d'un désaccord.

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1 Plusieurs facteurs nous indiquent que la coopération de l'accusé n'a pas

2 été importante et n'a pas contribué de manière sensible à l’administration

3 de la justice.

4 Cette coopération n'a pas contribué à l'arrestation d’autres accusés ni à

5 la poursuite d’autres suspects ou d’autres objectifs et n'a pas permis de

6 mener à des enquêtes.

7 Et l'accusé ne s'est pas remis lui-même à la justice. Les informations

8 fournies par l'accusé n'ont pas été considérées par l'accusation comme

9 étant utiles, sachant qu'il s'agissait essentiellement d’informations du

10 domaine public ou connues de tous, sauf à l'exception de ses propres

11 agissements.

12 L'accusation estime qu'une partie de cette information est peu digne de

13 foi ou incorrecte, étant donné certains illogismes, incohérences et du

14 fait qu'il s’agit d’une version expurgée des événements. On peut dire

15 cependant, comme je le fais en bas de l'alinéa c, comme la Cour se

16 souviendra, il a fait quelques allégations, c’était d’ailleurs en huis

17 clos -dès lors le nom n'apparaît pas ici-, mais il a présenté des

18 allégations concernant un membre particulier d’un organe qui se trouve

19 dans le texte et dont je ne parlerai pas et il a accusé cette personne des

20 ordres dont il dit avoir fait l’objet.

21 En outre, la coopération a été limite étant donné que l'accusé -comme du

22 reste le psychiatre nous l’a rappelé- a été très clair sur les questions

23 dont il était prêt à discuter et les questions dont il ne voulait pas

24 discuter.

25 Il n'y a pas eu d'accord sur le plaidoyer entre l'accusé et l'accusation

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1 ce qui confirmerait une coopération en l'espèce ; et l'accusation n'a pas

2 invité la Chambre de première instance à envisager cette coopération comme

3 étant une circonstance atténuante importante.

4 Le plaidoyer coupable, dans quelle mesure est-ce que ce plaidoyer coupable

5 justifie toute réduction de sentence appropriée, étant donné la nature des

6 éléments de preuve et des circonstances dans lesquelles ce plaidoyer s'est

7 fait ?

8 Nous pensons qu'il ne faut pas considérer cet élément comme circonstance

9 atténuante importante puisqu'il s'agit souvent de circonstance atténuante

10 mais dans des circonstances particulières.

11 Quelquefois, le fait de plaider coupable est un indicateur de remords,

12 mais la Chambre pourrait conclure qu'il n'y a aucun élément de véritable

13 remords en l'espèce.

14 Et l'accusation conclut avec respect que la Chambre de première instance

15 devrait considérer les éléments portant sur le remords de la défense comme

16 étant particulièrement peu fiables.

17 Encore une fois, je fais un écart par rapport à ce que je dis dans ma

18 plaidoirie écrite, mais hier on nous a rappelé encore que la seule et

19 unique fois au cours de laquelle on a pu voir quelque chose qui

20 s'approchait de larmes, de remords, ceci s'est déroulé au cours de ce

21 dernier examen psychiatrique préparé aux fins de cette affaire ou pour

22 présenter des éléments de preuve avec toute la connaissance des rapports

23 d'expertise précédents.

24 L'accusé n'a jamais versé une larme quand il a vu l'image d'un homme ou

25 d'une femme qu'il a tué ; il n'a jamais manifesté de remords ni de honte,

Page 2716

1 ni de culpabilité, ni de peine en voyant les personnes endeuillées et

2 toutes les familles qu'il a brisées.

3 J'en viens maintenant au paragraphe 28. Un plaidoyer de culpabilité

4 épargne aux victimes la nécessité de témoigner et peut donc être considéré

5 comme faisant partie des circonstances atténuantes. Mais comme les contre-

6 interrogatoires nombreux, d'un grand nombre de témoins, l'ont révélé, même

7 s'il n'y avait pas eu procès au sujet du génocide, les éléments de preuve

8 présentés à la Chambre pour prouver la réalité des faits liés à ce

9 plaidoyer auraient dû être soumis de toute façon. Compte tenu que dans les

10 contre-interrogatoires l'accusé n'a pas montré qu'il admettait les

11 déclarations préalables des témoins et donc la même position aurait

12 nécessairement été prise par la Chambre.

13 Donc le plaidoyer de culpabilité n'a pas eu pour effet d'épargner à tous

14 les témoins la nécessité de témoigner.

15 Un plaidoyer de culpabilité ne doit pas nécessairement être considéré

16 comme une circonstance atténuante importante, si avant ce plaidoyer

17 l'accusé s'est vu proposer des éléments de preuve prouvant qu'en fait il

18 n'avait guère le choix, il n'avait guère d'autre possibilité que de

19 plaider coupable. Dans ces circonstances, le plaidoyer peut apparaître

20 comme à peine une manoeuvre tactique destinée à obtenir une sentence plus

21 légère ou un autre type de profit. Et ceci est particulièrement pertinent

22 lorsque l'accusé ne manifeste aucun remords véritable.

23 Dans la présente affaire, l'accusé a consulté des éléments de preuve au

24 préalable avant ses auditions, avant de plaider coupable, et n'a jamais

25 manifesté de véritable remords. Il a proféré des aveux mais qui ne vont

Page 2717

1 pas beaucoup plus loin que ce qui figure dans les éléments de preuve

2 soumis à la Chambre, et ce dont ont parlé des témoins, quelquefois en

3 détail, quelquefois de façon générale au sujet des meurtres commis par

4 l'accusé décrits en précision et donc avoués par lui.

5 Je répète, l'accusé a toujours exprimé le voeu dans ses entretiens avec

6 les psychiatres et les enquêteurs d'imposer l'ordre du jour des

7 entretiens, et d'exclure certains sujets et ce, à deux fins : une fin le

8 concernant, une fin concernant la Chambre. Il souhaitait éviter de

9 répondre aux éléments cruciaux et difficiles, et il souhaitait fournir des

10 éléments de preuve incontestables quand à son besoin et à son désir de

11 contrôle. Ce qui est étayé par les propos des psychiatres et qui augure

12 mal de son avenir en liberté.

13 Mais il a aussi avoué un certain nombre de choses qui sont écrites et

14 décrites dans les documents, et un certain nombre de crimes qui n'y

15 figurent pas. Donc il n'a en tout état de cause pas fait des aveux

16 complets.

17 Si indépendamment de ces éléments essentiels, la Chambre de première

18 instance considérait le plaidoyer de culpabilité de l'accusé comme une

19 circonstance atténuante, nous disons, avec le respect que nous devons au

20 Tribunal, que des preuves encore plus importantes et constituant des

21 facteurs aggravants figurent dans les paragraphes auxquels je vais venir

22 maintenant et qui l'emportent sur la force des circonstances atténuantes.

23 Un plaidoyer de culpabilité est une circonstance atténuante dans certain

24 cas, mais dans le cas précis il n'a guère d'importance par rapport au

25 processus de réconciliation national.

Page 2718

1 Et d'ailleurs, au passage, nous demandons si la conduite de l'accusé au

2 cours du procès ne devrait pas réduire pour le moins l'avantage que

3 pourrait lui valoir son plaidoyer de culpabilité car, même en étant très

4 généreux par rapport à la fragilité humaine et par rapport à un mauvais

5 état de santé, y compris lorsqu'il s'agit de quelqu'un qui est en jugement

6 ou d'un être malfaisant, nous pensons tout de même que la Chambre et

7 l'accusation ont observé le comportement de l'accusé au cours du procès.

8 Et nous demandons du côté de l'accusation s'il a véritablement manifesté

9 une grande franchise, une grande honnêteté par rapport à la Chambre ou par

10 rapport aux témoins, pour qui venir témoigner ici est un processus très

11 important dans la reconstruction de leur vie.

12 Nous disons qu'il n'a pas joué franc jeu et nous disons que sa conduite ne

13 peut pas être considérée comme un élément à porter à son crédit, mais bien

14 au contraire à son discrédit.

15 M. le Président. - J'allais vous le proposer puisque vous avez terminé une

16 partie de votre réquisitoire.

17 Nous allons nous ajourner pour quinze à vingt minutes.

18 L'audience est suspendue.

19 (L'audience, suspendue à 11 heures 30, est reprise à 11 heures 53.)

20 M. le Président. - L'audience est reprise. Introduisez l'accusé, veuillez-

21 vous asseoir.

22 (L'accusé est introduit dans le prétoire.)

23 Monsieur le Procureur Nice, c'est à vous de poursuivre.

24 M. Nice (interprétation). - Je reprends la page 12 de mon exposé et je

25 vais à présent parler du contexte qu'il convient de décrire.

Page 2719

1 Quel est le contexte pertinent qui s'applique à un homme coupable de crime

2 en temps de guerre ? Eh bien, ce contexte se résume principalement à

3 l'homme lui-même ; c'est lui qui est son propre contexte et il ne peut

4 tirer guère de réconfort du contexte plus large, celui de la guerre, dans

5 lequel il convient de rappeler que certains ont souffert en tant que

6 victimes, certains se sont comportés en toute innocence et certains se

7 sont même comportés d'une manière noble.

8 Les éléments les plus utiles pour les Juges de cette Chambre seront sans

9 doute les rapports psychiatriques et psychologiques même si, bien entendu,

10 ces rapports ont été établis sur la base de ce que l'homme en question a

11 dit lui-même. Dans une certaine mesure, ces rapports peuvent être

12 considérés comme des récits auto-générés par l'homme en question, et

13 manqués de crédibilité, ces rapports psychiatriques : si l'homme en

14 question a abusé le psychiatre, ce que tous ont reconnu comme étant une

15 possibilité.

16 Cependant, un schéma ou des schémas très clairs apparaissent. L'homme en

17 question a blâmé chacun pour ses insuffisances : il a blâmé ses parents,

18 il a blâmé sa soeur, il a blâmé le corps sans vie de sa grand-mère, il a

19 blâmé ses grands-parents qui en ont fait un garçon turbulent, il a blâmé

20 ceux qui l'ont gâté au point de le pourrir, il a blâmé la séparation

21 contrainte de sa première femme, il a blâmé l'alcool, la drogue, ses

22 mauvaises fréquentations, il a blâmé sa détention à Tuzla où les problèmes

23 ont commencé avec les membres des autres groupes ethniques, il a blâmé sa

24 toute jeune femme qui l'aurait poussé au mariage par la ruse et il a blâmé

25 la police serbe qui l'aurait menacé d'enlever son enfant s'il ne se

Page 2720

1 taisait pas.

2 Il a parlé avec fatuité notamment des femmes ; des passages pertinents

3 sont cités dans mon texte écrit. Il a été incapable de manifester la

4 moindre discipline ou d'assumer des responsabilités à l'armée ou ailleurs.

5 Et pourtant il se décrit en termes rutilants comme un être sensible, un

6 esprit pur, un homme bon, jamais mauvais, dont les critères moraux et

7 émotionnels sont élevés. Il s'est décrit comme une personne qui dit avoir

8 eu un effet positif sur la population de l'ex-Yougoslavie.

9 Cet homme était et est toujours un homme qui a menti aux différents

10 experts dont il dépend pourtant. Il a menti de façon spectaculaire, en

11 disant avoir été torturé en Croatie. Les Juges de cette Chambre se

12 souviendront de tout ce qu'il a dit au sujet de l'incision des veines, au

13 sujet des braises ardentes, au sujet de la coupure sur le dos, au sujet

14 des barres de béton, au sujet du fait qu'il aurait été recapturé par les

15 Serbes qui l'auraient torturé en mettant du sel sur ses blessures.

16 Et tout cela a abouti à une demande d'élimination complète de tous ses

17 propos, même si la Chambre se souviendra de ce qu'il a dit au sujet des

18 tortures par les Croates et des tortures par les Serbes. Mais en fait, il

19 importe d'examiner les éléments de preuve de façon plus large pour se

20 rendre compte de l'étendue des mensonges proférés par cet homme.

21 Hier, je crois que les Juges de cette Chambre, dans certaines des

22 questions qu'ils ont posées, ont permis d'envisager la possibilité, qui

23 correspond à ses dires, qu'il aurait été contraint par ses avocats de

24 faire le récit qu'il a fait. Lorsque je dis que c'est inévitable, c'est

25 que les Juges ont pour obligation d'envisager cette possibilité.

Page 2721

1 Le témoin A il y a un an, et plus récemment le témoin DH ont produit des

2 éléments de preuve montrant que cet homme s'est plaint d'avoir été torturé

3 par les Croates en 1992. Donc il est tout simplement impossible que ses

4 avocats l'aient forcé à dire cela. Et cette histoire, il l'a concoctée peu

5 de temps après le temps qu'il a passé à Brcko.

6 La coupure dans le dos, il a montré la cicatrice, et lorsque la défense a

7 demandé des détails au sujet des tortures par les Serbes, à savoir le fait

8 d'avoir eu du sel versé sur ses blessures, eh bien cet événement se serait

9 également déroulé en 1992. Donc il est fort probable que tout ce qu'il a

10 dit au sujet des tortures ne soit qu'une série de propos mensongers.

11 Et j'en arrive à présent à la page 13 de mon texte écrit. Manifestement,

12 il a menti à quelqu'un, il a menti au Dr Van den Bussche ou au Dr Duits

13 lorsqu'il prétend que certaines choses ont été inscrites dans le rapport,

14 et qu'il n'aurait pas dites. C'est un homme qui prétend avoir fait du bien

15 à Luka, du bien à un prêtre et du bien à l'imam. Il prétend avoir subi des

16 perturbations après ce qu'il aurait été contraint de faire, avoir eu des

17 rêves, souffert d'angoisse et de dépressions, et finalement il pleure.

18 Les experts qui l'ont examiné estiment que c'est un homme qui cherche à

19 justifier toutes ses actions, que c'est un homme incapable de se mettre à

20 la place d'autrui, que c'est un manipulateur, que c'est un homme qui a

21 besoin d'une figure paternelle, que c'est un homme égocentrique, obsédé

22 par des idées de grandeur, qu'il crée sa propre réalité et qu'une fois et

23 une seule fois, selon le Dr Van den Bussche, il a manifesté du remords.

24 Il est considéré comme un homme désireux de montrer au monde son désir de

25 repentir, ce en quoi il voit une mission alors qu'il glorifie sa

Page 2722

1 coopération avec le Tribunal, sans se rendre compte qu'il travestit ce

2 faisant la réalité. C'est un homme sur lequel un diagnostic a été porté,

3 un diagnostic de troubles de la personnalité avec tendance antisociale ;

4 un homme souffrant de problèmes de comportement traduisant un trouble de

5 la personnalité modéré.

6 Mais bien entendu, le psychiatre qui a dit cela tenait compte des

7 allégations de tortures lorsqu'il a même envisagé un syndrome de stress

8 post-traumatique. Mais comme je le dis en haut de la page 16, cela ne

9 serait guère étonnant étant donné les expériences traumatiques vécues par

10 cet homme.

11 Et donc l'accusé a pratiquement réussi à tromper les psychiatres qui l'ont

12 examiné. Dans le cadre du diagnostic, le remords n'a pas été établi.

13 L'homme est un homme qui a peu d'émotions, qui ne ressent pas un regret

14 profond, selon le Dr Ertz. Et bien que l'accusé le conteste, les Juges de

15 cette Chambre se formeront leur propre point de vue et concluront sans

16 doute qu'il n'a pas la capacité de manifester un remords réel.

17 Je me rends bien compte des difficultés que va éprouver la défense, qu'a

18 éprouvé la défense eu égard à la décision prise, s'agissant du

19 Dr Petkovic. Mais mon devoir, à moi, demeure de citer ces éléments, mon

20 devoir continue à consister à rappeler aux Juges de cette Chambre que,

21 selon les personnes qui ont eu le plus grand nombre de contacts avec cet

22 homme, cet homme est quelqu'un qui est incapable de contrôler ses

23 impulsions. C'est ce qui a causé son comportement au cours de la guerre.

24 Selon ces personnes qui ont eu des contacts avec lui, c'est un homme

25 primitif, incapable de renoncer à la satisfaction de ses besoins.

Page 2723

1 Donc, le diagnostic est un diagnostic de trouble de la personnalité

2 profond. Et une rage liée à ses tensions paranoïaques a été diagnostiquée

3 également, liée de toute évidence à son rejet paranoïaque de certaines

4 personnes qu'il a idéalisées quelques instants auparavant.

5 Les Juges de cette Chambre ont reçu les rapports psychiatriques il y a peu

6 de temps, et ces rapports indiquent un accord complet au sujet de la

7 personnalité en question, au sujet de sa capacité à tromper, au sujet de

8 la manipulation. L'examen psychiatrique qui a permis d'envisager une

9 possibilité de remords porte sur les larmes de l'accusé versées non pas

10 par rapport aux victimes, mais par rapport au fait que ces victimes

11 pourraient venir témoigner en sa faveur.

12 Donc voilà le contexte qui caractérise cet homme. Il n'est pas

13 particulièrement agréable d'avoir à évoquer ce genre de fait de façon

14 aussi détaillée, même si l'on parle d'un homme qui fait face à un risque

15 de sentence pour ces crimes. Mais la description de ces détails doit être

16 donnée de façon à permettre d'apprécier cet homme comme il mérite de

17 l'être.

18 Et bien entendu, aussi bien avec les enquêteurs qu'avec les psychiatres,

19 il a prétendu n'avoir agi que sur ordres. C'est la raison pour laquelle,

20 avant d'envisager les circonstances aggravantes, je voudrais dire quelques

21 mots de ces ordres émanant de supérieurs qui constituent un élément à

22 prendre en compte dans le cadre de l'examen des circonstances atténuantes

23 demandées, et également de façon plus générale.

24 Le fait que l'accusé n'ait pas été le commandant du camp de Luka ou un

25 responsable serbe bosniaque de haut rang ne doit pas être considéré comme

Page 2724

1 une circonstance atténuante. La jurisprudence de Nuremberg montre à

2 l'évidence que le fait qu'un accusé ait été l'auteur de bas étage d'un

3 certain nombre de crimes n'empêche pas d'imposer la sentence la plus

4 grave.

5 Dans l'affaire du lynchage d'Essen, un civil a été condamné à mort pour

6 avoir tué un prisonnier de guerre, et un simple soldat a été condamné à

7 une peine d'emprisonnement pour n'être pas intervenu lorsqu'une foule a

8 assassiné des prisonniers confiés à sa garde.

9 Dans l'affaire Belsen, quatre responsables des camps de concentration de

10 Belsen et d'Auschwitz ont été condamnés à mort, alors qu'un prisonnier

11 nommé kapo au camp de Belsen a été condamné à une peine d'emprisonnement.

12 Dans le procès de Peter Bach, un civil allemand a été condamné à mort pour

13 avoir tué un prisonnier de guerre. Et dans le procès de Karl Buck et de

14 "dix autres", la personne responsable du camp de Cermek et deux gardes ont

15 été condamnés à mort pour avoir tué des prisonniers de guerre et des

16 civils.

17 Et enfin, dans l'affaire Hadmar, les accusés, qui étaient membres du

18 personnel d'un petit sanatorium en Allemagne ont été, pour trois d'entre

19 eux, condamnés à mort, les quatre autres étant condamnés à des peines de

20 prison allant de 25 ans à la prison à vie.

21 Tous ces accusés pouvaient prétendre aux circonstances atténuantes liées

22 au fait d'avoir obéi à des ordres émanant de supérieurs. Mais cet élément

23 n'est pas intervenu. Et en dehors d'une analogie provenant du monde des

24 affaires, il n'y a pas de paroi de verre qui distingue, du point de vue de

25 la sentence, ceux qui sont au plus bas de l'échelle du point de vue

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1 hiérarchique, de ceux qui sont au sommet de cette même échelle.

2 J'en passe à présent aux circonstances aggravantes car je crois que c'est

3 mon devoir d'examiner également ce point. Et à partir du haut de la

4 page 18, paragraphe 37 de mon texte écrit, je vais donc traiter des

5 circonstances aggravantes en disant aux Juges de cette Chambre que les

6 circonstances aggravantes répondant aux catégories suivantes sont visibles

7 dans la présente affaire : malhonnêteté, enthousiasme pour menacer,

8 violenter, manifester une haine ethnique, humilier des victimes, en bref

9 un comportement discriminatoire très net.

10 Enthousiasme à exercer le pouvoir avec pour fin ultime le meurtre, y

11 compris pour le plaisir, et susceptibilité vis-à-vis des personnalités au

12 pouvoir. Je dis que c'est une circonstance aggravante car tout homme est

13 présumé pouvoir résister au mal provenant d'autrui en le remettant en

14 cause.

15 J'aimerais maintenant examiner ces différents éléments un par un. Là

16 encore, je ferai observer que, s'il est avéré que l'accusé n'a pas été

17 honnête ou précis dans ses récits, s'il a tenté d'induire en erreur ceux

18 auxquels il parlait sur ces sujets, cela doit constituer une circonstance

19 aggravante.

20 Paragraphe 39 de mon texte écrit. Bien entendu, les problèmes de

21 personnalité, qui ne sont peut-être pas très séduisants mais qui

22 préexistent chez tout être humain et qui étaient préexistants au procès,

23 ne peuvent pas constituer des circonstances atténuantes, mais doivent être

24 considérés comme des circonstances aggravantes.

25 Il y a un grand manque de clarté au sujet de ce que cet homme a fait

Page 2726

1 entre 1998 (1988?) et 1990, ce qui semble indiquer qu'il a peut-être des

2 choses à cacher. Il a commencé à falsifier des chèques en 1990, condamné à

3 trois ans et sept mois de prison. Certains événements décrits sans grande

4 clarté dans les éléments fournis à la Chambre, et je les reprends en

5 page 19 de mon texte écrit après les avoir réexaminés avec les psychiatres

6 hier, donc je n'y reviendrai pas, j'en ai parlé hier, je gagne du temps,

7 je passe à la page 20 de mon texte écrit.

8 Nous allons parler des meurtres eux-mêmes et du recrutement. Comme

9 les Juges se souviendront certainement, le docteur Ertz a dit à quel point

10 il lui était facile de s'identifier aux hommes au pouvoir, comment

11 lorsqu'il a été au poste, dans une position de pouvoir lui-même,

12 inconsciemment il voyait cela comme une confirmation et un renforcement de

13 sa propre identité. Vous vous souviendrez certainement de ce que le

14 docteur Duits a dit à propos de quelqu'un qui reçoit un fusil et une

15 Motorola.

16 Sur la base des documents, il apparaît qu'il a pris connaissance du plan

17 de renforcer le peu de Serbes de Brcko avec un nombre plus important de

18 Serbes de Bjelina lors d'un enterrement. Ensuite, il a appris les choses

19 sur l’explosion des ponts. Ensuite il explique comment les groupes

20 paramilitaires ont exercé des pressions sur lui, comment il a essayé de

21 s’évader, comment il a reçu le surnom d’Adolf, il rejette la

22 responsabilité sur les radicaux.

23 En haut de la page 21, il dit qu'on lui a dit qu'il devait tuer des

24 Musulmans, qu'il allait être appelé Adolf, qu’il devait tuer et qu'il

25 allait être tué à moins de tuer de sa part, de tuer les autres de sa part,

Page 2727

1 il dit aussi avoir reçu les pilules ; ensuite il dit qu’en avril il a reçu

2 un uniforme et qu'il devait le porter pour éviter d'être tué et il donne

3 ce récit, qu’il donne visiblement malhonnêtement, il dit qu'on lui a dit

4 qu'on allait le tuer, qu'on l’a menacé de violer sa sœur à moins qu’il

5 s’acquitte de sa tâche correctement alors que, lorsqu’il a parlé de ces

6 menaces une autre fois, le récit a été complètement différent ; ensuite il

7 dit qu'on lui a dit qu'il fallait qu'il amène un groupe de personnes

8 derrière le poste de police et de les tuer.

9 Il a également dit au docteur la chose suivante : il faut savoir que dans

10 ces entretiens avec les enquêteurs, c'est tout à fait clair, il n'y a pas

11 eu de menace du tout, il dit à plusieurs reprises : "Je sais que j'aurais

12 été tué", mais lorsqu'on lui a posé la question de savoir s'il y avait eu

13 des menaces, il l'a nié étant donné qu'il n'y a pas eu de menaces. Il a

14 dit au docteur Duits qu'il devait détourner la tête pendant les meurtres

15 commis, mais nous savons que ceci n'est pas vrai étant donné que ceci est

16 prouvé par les photographies, étant donné qu'il n'est pas nécessaire de

17 remontrer car nous ne pouvons pas oublier les photographies qui montrent

18 comment il fait face aux personnes qu’il tuait, même si, à ce moment-là,

19 il tuait quelqu'un de dos.

20 Il a dit à Van den Bussche que ce sont ses supérieurs qui l'ont forcé à

21 tuer et ensuite il raconte comment il s'est agenouillé en implorant de ne

22 pas continuer à tuer quelqu'un d'autre, alors qu'auparavant il n'a jamais

23 parlé de ceci.

24 Sur la base de ces récits, les Juges peuvent conclure qu'il n'y a pas de

25 cohérence entre eux, il n'y a pas de cohérence entre la vérité, ni entre

Page 2728

1 les récits des témoins, de tous les témoins. Je répéterai l'une des

2 premières choses que j'ai dites ce matin dont j'ai parlé d'ailleurs avec

3 le psychiatre aussi : si vous avez besoin de quelqu'un pour s'acquitter de

4 la sale besogne, le moyen le plus sûr de savoir si la personne veut le

5 faire est de lui poser la question. C'est comme cela qu'on obtient un

6 volontaire, et comme le médecin l’a confirmé hier, il s'agit ici du type

7 de personnalité qui peut facilement se porter volontaire dans ce genre de

8 situation.

9 Maintenant, je souhaite parcourir le deuxième document, n'ayez pas peur,

10 nous n'allons pas entrer dans tous les détails, mais j'ai besoin de

11 m'attarder sur certains passages de certaines dépositions.

12 Dans la mesure du possible, nous essayons, dans ce document, de suivre

13 l'ordre chronologique dans le passage en revue des dépositions de témoins.

14 J’espère que ceci sera utile pour les Juges mais il s'agit d'un document

15 qui suit l'ordre chronologique : à gauche, c’est clair, il s’agit de dates

16 et de lieux ; au milieu nous avons la déposition de témoins, et à droite,

17 je crois que ceci était possible d'établir un lien entre la déposition du

18 témoin et le récit de l'accusé vis-à-vis du même événement. Ceci est

19 indiqué aux fins de référence.

20 Ce document change un peu plus au fur et à mesure car il y a des

21 événements que l'on ne peut pas placer dans l'ordre chronologique. Et ceci

22 est le cas de la partie du document après la page 68. J'ai choisi de

23 m'attarder pendant une dizaine de minutes sur seulement certains des

24 passages que j'ai soulignés moi-même.

25 Il est possible d'utiliser ce document, enfin de raconter une histoire

Page 2729

1 d'une manière assez ordonnée. Et si je peux compter sur la bienveillance

2 des Juges, je vais tout simplement me baser sur les références et les

3 numéros de pages et je peux procéder rapidement. A la page 1, il parle de

4 son frère, comment il est venu à Brcko, il parle également des explosions

5 des ponts. A la page 2, on voit sur la base de sa propre déposition, de

6 son récit, que d'après ce qu’il a compris un nombre maximum de Musulmans

7 devaient être tués et que Brcko devait devenir une ville serbe.

8 Ce récit, bien évidemment, est conforme à la déposition du témoin K, dans

9 la partie centrale, qui a vu la liste sur son bureau, a reconnu des

10 personnes de renom dont les noms figuraient sur cette liste. Ceci est

11 conforme également à la réponse donnée à la question du Juge Riad, en bas

12 de page : lorsque le témoin a donné sa réponse aux questions il y a un an,

13 il a dit sur la base de ce qu’il se passait, les Musulmans devaient être

14 tués et si possible éradiqués.

15 Page 3, dans le cas de sa défense générale, l'accusé a reconnu à droite,

16 en milieu de page, que les personnes qui ont été tuées n’ont pas reçu une

17 chance de se défendre, qu’elles étaient complètement impuissantes. Mais un

18 peu plus tard il dit qu'il ne pouvait lancer un appel vis-à-vis de qui que

19 ce soit, et lorsqu’on lui a posé la question de savoir s'il a protesté,

20 s'il a posé des questions concernant ces listes, sa réponse était : "Non,

21 pour être tout à fait honnête, non".

22 Ensuite la page 4 en haut à droite. Je rappelle aux Juges qu'il a

23 participé à la création de ce plan étant donné qu'il a été informé de son

24 existence. Quel a été le degré de cette connaissance ? Cela, c'est une

25 autre question.

Page 2730

1 Dans son entretien avec nous, il a dit qu'il était au barrage routier à

2 Srpska Varos et que, le 4 mai, on lui a retiré sa tâche spéciale.

3 Maintenant, nous pouvons passer à la page 6. Je vous rappelle, je rappelle

4 aux Juges, qu'il a passé une certaine période dans une caserne, qu'il a

5 menacé des Musulmans, des détenus musulmans.

6 Et dans la deuxième case, au milieu, le témoin G a dit qu'il a dit que

7 70 % d'entre eux devaient être tués, 30 % passés à tabac et peut-être 3 %

8 allaient être bien. Il a dit : "Vous allez tous passer par mes soins." Il

9 a injurié leur mère de "Balija" également.

10 Ensuite, nous parlerons du témoin N. Il a dit qu'il a tué 80 Musulmans et

11 qu'il allait tuer tous les autres aussi.

12 En ce qui concerne la société Laser, certains disaient qu'il ne s'était

13 pas présenté en tant qu'Adolf mais, en bas de page à droite, l'accusé lui-

14 même dit avoir été à la Laser. Et il dit que les gens qui étaient soit à

15 Laser, soit au n° 13 se sont regroupés afin de constituer le camp de Luka.

16 Nous allons maintenant voir la page 7, avec le témoin L, en haut de la

17 page. Elle a relaté les propos suivants : "Mon nom est Goran Jelisic,

18 Adolf le deuxième, le premier était en Allemagne et je suis le deuxième

19 Adolf".

20 Ensuite, dans la même page, au milieu de la page, il dit qu'il a tué

21 80 Musulmans et qu'il allait en finir avec tous les autres.

22 Ensuite, il y a une partie du contre-interrogatoire de M. Greaves où l'on

23 parle du fait que la défense n'accepte pas que Goran était à Laser et

24 qu'il s'était identifié en tant qu'Adolf. Donc la défense a indiqué qu'il

25 s'agissait de quelqu'un d'autre.

Page 2731

1 Mais si nous voyons cette page, en bas à droite, on voit que l'accusé lui-

2 même a dit avoir été à Laser : il a proposé de discuter de Laser un peu

3 plus tard, mais peut-être ceci n'a pas été élaboré en détail par lui par

4 la suite.

5 Nous passons à la page 8. Ici, nous avons une référence au chef

6 d'accusation 44, cet homme qui dit qu'il ne voulait absolument pas

7 accepter de faire ce qu'il était en train de faire, d'après le témoin N.

8 Et en ce qui concerne le chef d'accusation 44, il a dit qu'apparemment,

9 quand il est arrivé à Laser, les soldats essayaient de trouver des gens

10 qui venaient de famille riche. Les noms de ces personnes ont été cités ;

11 la personne dit que d'autres soldats sont entrés et que l'un d'eux s'est

12 identifié, s'est présenté en tant qu'Adolf de Bjelina, il a demandé que

13 tous les objets de valeur et tous les documents soient placés sur la

14 table, et lui il a enlevé tout cela.

15 Maintenant, nous parlerons du 6 mai, c'est-à-dire le premier meurtre pour

16 lequel nous disposons de photographies.

17 Comme les Juges s'en souviennent sans doute, ces photographies montrent

18 une scène où l'on voit non seulement le meurtre qui est en train d'être

19 commis, mais deux autres corps de deux autres personnes qui ont déjà été

20 tuées.

21 En ce qui concerne cela, à la page 8, à droite en bas de page, il parle de

22 ces photographies, il parle du fait qu'il s'agissait de son baptême de

23 feu. Mais la question qui se pose, c'est que, si c'était le baptême de

24 feu, comment expliquer les deux corps qui sont déjà allongés par terre ?

25 Je souhaite savoir si les interprètes arrivent à me suivre.

Page 2732

1 Page 10, nous allons parler maintenant des chefs d'accusation 6 et 7, le

2 meurtre de Hasim Jasarevic. Le témoin décrit le meurtre, au milieu de la

3 page ; et peut-être que le témoin Q offre un récit plus intéressant à ce

4 moment-là, étant donné qu'il a dit que, tout de suite après avoir tué

5 Hasim Jasarevic, "L'accusé est venu dans le kiosque et m'a frappé sur la

6 tête. Il a pointé son pistolet sur moi et il a posé la question concernant

7 les ONG et les Bérets verts, et il a commencé à proférer des jurons contre

8 ma mère musulmane."

9 En bas de page, le témoin P donne son récit qui se trouve à la page 11.

10 Cette victime, et on ne peut pas lui reprocher cela, a commencé à pleurer

11 et à implorer que l'on sauve sa femme et ses enfants. Mais ceci ne lui a

12 pas été utile. Et nous pouvons faire un lien entre cela et ce que l'accusé

13 a dit aux psychiatres en disant que si quelqu'un pleurait devant lui, si

14 quelqu'un implorait, il aurait préféré se tuer.

15 Nous allons parler maintenant toujours de la page 11 où un jeune homme dit

16 que, au poste de police, Jelisic a tué quelqu'un avec deux balles.

17 Page 12, un homme connu sous le nom de "Papa" et qui était politiquement

18 actif avant la guerre ; au milieu de la page, il dit qu'il avait une

19 matraque et qu'il passait "Papa" à tabac, qu'il lui disait de se dépêcher,

20 d'accélérer ses mouvements. Et c'était la dernière fois que le témoin a vu

21 "Papa".

22 A la page 12, en bas à droite, l'accusé dit qu'il a reçu Zahirovic dans

23 son poste de travail. Un peu plus tard, il dit : "Je ne l'ai pas passé à

24 tabac, je ne m'en souviens pas étant donné que je n'ai pas reçu l'ordre de

25 le passer à tabac."

Page 2733

1 Et ensuite, à la page suivante, lorsqu'on le confronte à la déposition du

2 témoin, maintenant nous parlons de la page 13, il dit : "Si une personne

3 commençait à implorer, commençait à demander d'être sauvée, moi j'aurais

4 préféré me tuer moi-même." Et puis un peu plus tard, il dit : "S'il

5 m'avait dit ne serait-ce qu'un mot, je l'aurais sauvé, j'aurais fait

6 quelque chose pour le sauver."

7 Page 14, chef d'accusation 12, le meurtre de Suad, la déposition du

8 témoin J. Les Juges se souviendront que c'est un homme fort qui devait

9 enlever les corps, et ensuite il a été le dernier qui a été tué.

10 Donc tout d'abord, on peut dire qu'il a survécu grâce à sa corpulence. Il

11 parle de cet homme malheureux, au milieu de la page 14, et comment il

12 pleurait. On lui a posé la question de savoir ce qui s'est produit lorsque

13 l'homme a commencé à pleurer, et puis il a dit que Goran n'aimait pas ses

14 larmes et qu'il lui a demandé d'arrêter. L'homme a pleuré, il a dit qu'il

15 avait un enfant à la maison, mais Goran n'a pas voulu entendre parler de

16 cela. Et cela ne l'a pas fait fléchir.

17 A droite, lorsque l'accusé parle de ceci, il nie les allégations

18 concernant le passage à tabac. Il dit : "Si je devais passer quelqu'un à

19 tabac, j'utilisais la matraque, mais je n'aime pas passer les gens à

20 tabac." En bas de la page 14, il dit : "Je crois que Suad était plutôt

21 jeune, mais je n'ai pas trouvé de données concernant la raison pour

22 laquelle il a été accusé. Je crois que les gens qui se trouvaient dans la

23 cellule n° 13 étaient soit actifs politiquement soit liés à la hiérarchie

24 du parti SDA."

25 Page 15, maintenant, je souhaite attirer votre attention sur la manière

Page 2734

1 dont il appelait les Musulmans Balijas. Le témoin J dit en bas de cette

2 page que l'accusé leur ordonnait de chanter les chansons serbes tout en

3 les battant.

4 Nous passons maintenant à la page 16, nous parlerons du témoin P qui a

5 fait une erreur et qui a été frappé à cause de cela. La question que les

6 Juges risquent de se poser à ce sujet est : comment est-ce que l'on peut

7 trouver une cohérence entre cela et tout ce qu'il dit dans le cadre des

8 circonstances atténuantes éventuelles ?

9 Page 17, meurtre de Lucic et Korenjic qui ne font pas partie de l'Acte

10 d'accusation mais pour lesquels l'accusé a procédé à un aveu ; il a avoué

11 les avoir commis. Ensuite, en bas de la page 17, on parle du camion

12 frigorifique. Et je sais que même lorsqu'on pense aux photographies de

13 Goran Jelisic en train de tuer certaines personnes, lorsqu'on pense à ces

14 photographies, c'est une image inoubliable. Mais même cette image risque

15 d'être pâle quand on pense à la tombe, à la fosse commune ouverte.

16 Ensuite à la page 18, nous voyons ce qui s'est passé au poste de police.

17 Et à la page 19, il arrive au camp de Luka.

18 Page 20, au cours des entretiens, il dit que la raison pour laquelle il

19 fut appelé "Adolf", c'était suite au Motorola. Et c'est une affirmation

20 qui n'est pas étayée par ailleurs. La Chambre pourra sans doute remettre

21 en question la fiabilité. Au milieu de la page 20, le témoin A, il y a

22 juste un an, nous a indiqué que cet accusé nous a dit avoir tué

23 150 personnes.

24 En page 21, le même témoin dit, à la fin du passage de transcription,

25 que 5 à 10 personnes auraient seulement pu échapper vivantes. Le témoin D

Page 2735

1 parle de la même chose, de la même période. Il dit qu'autant de Balijas

2 que possible devaient être abattues, et il attribuait ce propos à

3 l'accusé.

4 Ensuite en page 22, il y a encore d'autres éléments qui sont résumés, y

5 compris dans la déposition du témoin K. D'abord une remarque blessante

6 disant que les Musulmans se reproduisaient trop rapidement et qu'il

7 fallait dès lors procéder à une purification. Et puis dans le deuxième

8 passage, en milieu de page, où il explique que le défendant était le

9 personnage principal dans le camp, que tout le monde devait le respecter

10 et qu'il donnait des ordres, qu'il décidait des destins des uns et des

11 autres. Le témoin nous dit qu'il a répété qu'il était "l'Adolf serbe". En

12 reprenant à son compte la méthode nazie de purification.

13 Autre description particulièrement blessante rapportée par le témoin P, en

14 bas de page, disant que : "La purification des Serbes, des Musulmans

15 extrémistes et des Balijas est telle qu'il faut soi-même s'enlever des

16 poux de la tête." Voilà un trait d'imagination qui est sans doute

17 l'imagination d'un enfant. Mais est-ce vraiment quelqu'un qui agit à la

18 limite ou est-ce que cela nous indique tout à fait qu'il s'agit d'une

19 personne pleinement responsable ?

20 En page 23, chef d'accusation 14, il y a deux hommes ; l'un que nous

21 voyons dans la déposition de G au milieu, on parle d'une personne qui

22 avait insulté la mère d'un Musulman qui a dû sortir.

23 Et puis en fait de l'autre côté de la page, c'est-à-dire en page 24, nous

24 voyons dans la déposition du témoin, au milieu de la page, comment ils ont

25 décidé de manière extrêmement dure qui allait être tué par qui. Et à

Page 2736

1 droite de la page, nous voyons comment l'accusé lorsqu'il a expliqué cet

2 événement a dit que Jasmin Kucalovic avait été achevée par les

3 inspecteurs, et puis il a dit qu'il était dangereux, donc il l'a emmené

4 vers le coin du hangar et il l'a abattu ; mais il dit que -même après ce

5 meurtre- il n'a pas pu savoir et que personne n'a pu lui dire pourquoi cet

6 homme était coupable et de quoi il était accusé.

7 Les événements concernant ce meurtre se poursuivent par la déposition du

8 témoin M qui a donné un récit extrêmement détaillé. Est-ce que c'était

9 quelque chose d'inventé ou véritable ? -où l'on dit que l'accusé a forcé

10 l'homme qu'il allait tuer, d'abord il l'a obligé à lui lécher la main et

11 puis il l'a abattu.

12 Je passe maintenant beaucoup plus rapidement, après avoir rappelé à la

13 Chambre un certain nombre d'éléments de preuve.

14 Je passe à la page 26, le meurtre de Danijel Ibrahamovic qui n'est pas

15 repris dans l'Acte d'accusation.

16 Ensuite page 27, Uso et Smajl Zahirovic, les deux frères de Zvornik.

17 Page 28, il y a d'autres éléments portant sur ce même fait. Il reconnaît

18 n'en avoir abattu qu'un des deux, bien entendu.

19 Nous passons alors à la page 30. Simplement pour nous rappeler la réalité

20 de ces faits, vous voyez en haut de page, le témoin N concernant les deux

21 frères, il vous a détaillé tout ce qui s'est passé, les hurlements, les

22 cris, etc. qui ont eu lieu au cours de ces deux meurtres.

23 Toujours en page 30, cinq personnes inconnues ayant été abattues, vous

24 avez le récit du témoin F qui a vu une succession de personnes qui ont été

25 emmenées derrière le coin du bâtiment, qui ont été abattues, tout cela en

Page 2737

1 date du 8 mai 1992.

2 Et puis on explique aussi une exécution qu'il n'avait pas voulu effectuer,

3 qui a été vue par le témoin L. On l'a vu en train de compter de l'argent.

4 En page 31, l'accusé a dit ceci : "Il m'a montré une somme d'argent et a

5 dit qu'un homme lui avait donné de l'argent pour ne pas être tué", et il a

6 dit : "J'ai pris l'argent et je l'ai tué quand même".

7 Toujours en page 31, les dépositions du témoin B, prises par

8 Me Tochilovsky, il y a un an, et suite à toutes les choses horribles qu'on

9 a vues et entendues, des dépositions. Et vous voyez les trois ou quatre

10 hommes qui ont été appelés à plusieurs reprises, l'un étant choisi par

11 l'accusé, sa tête a été placée sur une caisse, deux autres ont dû

12 l'emmener derrière le coin, devant une pile de cadavres, et les

13 trois autres étaient devant le hangar, et un autre allait encore être

14 choisi et puis emmené.

15 Le témoin B a survécu à deux ou trois tours de ce type de roulette, ce qui

16 a constitué sans doute un des témoignages les plus mémorables déposés

17 devant cette Chambre.

18 Ensuite nous passons à la page 34, toujours cette même date du 8 mai, le

19 témoin K, dans la file des détenus qui étaient obligés de chanter des

20 chants serbes.

21 Nous passons aussi à la page 35, à la date du 9 mai, les chefs

22 d'accusation 8 et 19, le passage à tabac et le meurtre de Naza Bukvic, une

23 femme. Le témoin G nous dit, en milieu de page, qu'il était assis sur

24 l'herbe, qu'il avait été battu par Jelisic lui disant que son frère était

25 un snipper. Son récit, vous le trouverez à droite. Avait-il eu une

Page 2738

1 conversation avant de l'avoir abattu ? Il a dit que non, qu'il ne

2 reconnaissait pas cela, "Peut-être que je l'ai injurié, dit-il, peut-être

3 que je l'ai insulté", dit-il en haut de la page 36. "Je ne me souviens

4 plus". La mère de cette femme fut l'objet des chefs d'accusation 20 et 21.

5 Le comportement extrêmement dur dont le témoin D nous fait le récit, en

6 milieu de page ; quand on l'a interrogé sur le meurtre de cet homme, le

7 témoin nous explique qu'Ahmetovic (?) avait demandé où se trouvait sa

8 fille, Goran a dit : "Tu le sauras bientôt".

9 Ses explications, à droite : il fait la même chose qu'à Naza ; c'étaient

10 des extrémistes nationalistes.

11 Page 37, voilà ici des détails terribles du meurtre d'un homme qui portait

12 sa propre oreille. Jelisic a dit que les Musulmans allaient tuer, l'homme

13 suppliait d'être abattu et puis Jelisic l'a fait, etc.

14 Il faut faire remarquer en page 37, à droite, au tout dernier paragraphe,

15 il dit : "Personnellement, je n'ai jamais tiré sur un cadavre, ce n'était

16 pas nécessaire".

17 La Chambre se souviendra des dernières photographies, de toute la série

18 des photographies et pourrait se poser des questions sur la véridicité de

19 cette affirmation.

20 Un homme inconnu a été abattu ; nous le voyons en page 39, dans la

21 déposition du témoin D, en date du 9 mai. Vous voyez ici, au milieu de la

22 page, à la fin de la déposition du témoin D : "- Est-ce que Goran a dit

23 quelque chose au prisonnier avant de l'abattre ? - Oui. -Qu'a-t-il dit ? -

24 Je n'ai pas de raison de perdre mon temps avec toi".

25 Ensuite, en page 40, ce récit se poursuit, et à la fin de la déposition du

Page 2739

1 témoin O, qui est résumée en milieu de page 40, Jelisic demande que

2 l'homme soit maintenu, fermement, au sol de sorte qu'il ne puisse pas

3 bouger pendant qu'il l'abattait.

4 Je passe à la page 42.

5 Messieurs les Juges, comme vous voyez, dans ce document nous avons fort

6 peu tenu compte de l'annexe 1 qui était tous les éléments qui

7 accompagnaient le plaidoyer coupable.

8 Vous voyez ici ce qu'on a dit pour les 10 et 12 mai, le passage à tabac de

9 ces deux personnes qui n'a pas été étayé par des éléments de preuve devant

10 cette Cour, il a reconnu cependant avoir tabassé deux hommes. Puis sur

11 cette même page 42, un homme âgé de 70 ans qui a été tué par l'accusé, qui

12 était trop vieux, comme le témoin vous le dit pour être un snipper.

13 Et puis à droite, il avoue qu'effectivement cet homme était trop âgé pour

14 être un soldat, il a pensé qu'il était un militant politique malgré son

15 âge.

16 Page 43, vous voyez ici de quelle nature fut ce passage à tabac, vers la

17 sixième ligne, on explique une pelle métallique avec un manche en bois,

18 c’est ce qui a été décrit par le témoin, et que c'est avec cet instrument

19 qu'il a été battu et qu’ensuite la mort s’est ensuivie.

20 Page 44, chefs d'accusation 36 et 37, le passage à tabac de

21 Mohammed Bukvic, l'explication de l'accusé que vous trouvez à droite en

22 bas de la page 44, l’ordre était de le passer à tabac parce qu'on savait

23 que son frère et son gendre viendraient le chercher.

24 Et puis en milieu de la page 45, je ne nie pas le fait qu'il ait été passé

25 à tabac.

Page 2740

1 Page 47, la Chambre se souviendra de la déposition extrêmement détaillée

2 d'une femme portant un pull rouge. Les éléments fournis par le témoin E

3 nous indiquent qu'elle est arrivée dans une fourgonnette rouge en criant,

4 en hurlant qu'elle n'était pas coupable, qu'elle n'avait rien fait.

5 L'accusé arrive peu de temps après dans un autre véhicule. Le témoin

6 pensait qu'il avait un fusil à canon scié et puis ensuite il s'est dirigé

7 vers elle. Elle était assise, je pense, il l'a attrapée par la peau du

8 cou, l’a emmenée vers un des bureaux, l’a fait tomber, l’a poussée de

9 sorte qu'elle tombe sur le trottoir, a tiré dans sa nuque. Et ainsi, il

10 l’a tuée.

11 Ceci est repris également dans le témoignage que vous voyez dans la page

12 suivante, je crois que je n'ai pas besoin de repasser cela en détail.

13 Page 48, vous avez le meurtre d'un infirmier.

14 Page 49, le 14 mai, d’autres meurtres et puis le passage à tabac du

15 témoin E lui-même. Et vous voyez, dans la colonne du milieu de cette page

16 49, quelqu'un a demandé à l'accusé s'il fallait passer à tabac cet homme ;

17 qui devait le faire : celui-ci ou celui qui portait un tee-shirt noir ? Et

18 l'accusé a donné des ordres pour savoir qui allait le faire et qui allait

19 le passer à tabac et lui donner des coups de pieds malgré des

20 protestations sur lesquelles ce pauvre homme devait être laissé

21 tranquille.

22 Page 50, je rappelle à la Chambre que dans un passage de son entrevue

23 portant sur le témoin R, l'accusé dit qu'il a signé, qu'il avait seulement

24 accès à un laissez-passer. Et le témoin E vous en a parlé et vous l’a même

25 montré ; il vous a montré un laissez-passer signé par "Adolf" qui

Page 2741

1 garantissait un sauve-conduit.

2 Comme nous pouvons le voir en bas de ce que dit le témoin E, à la page 50,

3 Jelisic a dit que ce laissez-passer disait que personne ne pouvait poser

4 le doigt sur lui, mais il a tout de même poursuivi, comme je vous l’ai

5 indiqué, qu’il n’y avait qu’un seul laissez-passer. Cette capacité de

6 pouvoir émettre des laissez-passer dans ce camp, qu’est-ce que cela nous

7 indique par rapport à son pouvoir et son autorité ?

8 Page 51, nous passons à la date du 14 mai, l'arrivée du major de l’armée

9 qui a arrêté les meurtres malgré le malaise de Jelisic à ce sujet. En bas

10 de la page 51, à peu près à la même époque, nous arrivons au témoin R lui-

11 même. Quelques faits que je souhaite rappeler à votre mémoire, 15 600 DM

12 dont un certain montant appartenait à une communauté religieuse et qui

13 avait été pris. L'accusé ne reconnaît pas cela mais la Chambre a vu

14 comment il a pu se déplacer, acheter des choses sans avoir un travail

15 rémunérateur, sauf le fait qu'il était à l’armée.

16 La Chambre se souviendra des détails des meurtres de trois détenus, il y a

17 une différence entre ce que disent R et S : est-ce que c’est parce que

18 l'un ou l'autre vous ont menti ou bien est-il possible aussi que les

19 circonstances étaient tellement terrifiantes qu'il peut y avoir des

20 divergences dans le détail des récits mais le fond reste le même ? Et si

21 le fond est correct, cet homme, comme il a pu le montrer et l’afficher, a

22 abattu trois hommes simplement pour se vanter d'une personnalité plus

23 forte et il n'a pas ici procédé à la roulette russe.

24 Est-ce qu'il y a le moindre doute selon lequel il s'agit ici d'un des

25 événements qui nous montrent ses motifs les plus profonds ? Il veut passer

Page 2742

1 à tabac des hommes et les abattre de la manière qu'il souhaite. En ce qui

2 concerne l'épisode de la roulette russe, a-t-il vraiment poussé sur la

3 gâchette, ou ne l’a-t-il pas fait, comme R le dit, ou bien a-t-il

4 simplement dit que les Serbes avaient besoin de lui et puis il a écarté le

5 revolver ?

6 Qui, pensez-vous, aurait le souvenir le plus vivant, le plus réel, et qui,

7 vu l'ambiance terrifiante de cette salle, avait le plus de chance de se

8 tromper et d'être imprécis ? Et de toute façon suite à tout ce que vous

9 avez entendu concernant cet accusé, pensez-vous vraiment qu’il aurait le

10 courage de prendre le risque de la roulette russe ? C'était un lâche avant

11 la guerre.

12 Est-ce qu'il y a quelque chose qui vous a été montré qu'il serait devenu

13 courageux par la suite ? Il a fourni un laissez-passer à ces personnes, il

14 pouvait ainsi passer par les barrages ; c'est quelque chose que la Chambre

15 aura à examiner. Est-ce que cela correspond à la personnalité d'un homme

16 qui s'acquitte des sales besognes, qui doit abattre des personnes au nom

17 d’autres ou est-ce que sa marge de manœuvre et sa liberté de mouvement

18 nous donnent d’autres indications ?

19 Nous passons à la page 55, le meurtre de Adnan Kucalovic, les chefs

20 d'accusation 38 et 39.

21 Page 56, en haut, Jelisic vous en parle : "Je suis rentré dans le hangar

22 pour aller le chercher, je lui ai demandé si son frère était dans l'armée

23 musulmane, il n’a pas voulu répondre. Je l'ai fait sortir et je l'ai

24 abattu."

25 Smajl Ribic, qui n'est pas dans l'acte d'accusation, témoin B,

Page 2743

1 la première personne a été tuée, nous suivons un ordre chronologique.

2 Maintenant nous avons parfois une incertitude de date.

3 Et nous passons à la page 57. A partir de la page 57, nous

4 parlons toujours d'autres meurtres et j'espère pouvoir passer beaucoup

5 plus rapidement. Le témoin B, je pense déjà avoir parlé des trois ou

6 quatre volontaires qui étaient sortis du hangar.

7 Et en page 59, d'autres éléments que la Cour se rappellera suite

8 à la déposition du témoin A.

9 Autre question que je pourrais vous dire avant que nous levions

10 la séance pour le déjeuner, un autre élément de preuve dont j'aurai peut-

11 être besoin de parler et je reviendrai ensuite à mon premier document cet

12 après-midi lors de la reprise. Le seul autre élément qu'il serait sans

13 doute utile de vous rappeler à ce stade, c'est la déposition de cette

14 femme qui est venue devant vous.

15 Vous vous souviendrez que c’était lié à la disparition de l'accusation

16 après le premier passage de sa déposition et son souhait de parler, en sa

17 présence, et de ne pas déposer en son absence. Elle a parlé également de

18 son traitement horrible dans les mains d'autres hommes que Jelisic. Elle a

19 parlé également, vous vous en souviendrez, de passages à tabac à plusieurs

20 reprises, de meurtre d'hommes qui étaient devant elle bien qu’elle devait

21 baisser les yeux, elle et les autres, des passages à tabac qui étaient

22 suivis par la mort. Des dépositions qui correspondent, comme vous le

23 voyez, à d’autres éléments que vous avez entendus, d’autres tels que

24 l'imam, des éléments qui vous indiquent que la Chambre pourra juger des

25 objectifs qui ne correspondent pas toujours au récit d'un homme qui dit

Page 2744

1 avoir obéi à des ordres, et cela en dit bien long sur l'autorité et

2 l'indépendance de cet homme.

3 Je suis désolé de ne pas avoir pu terminer. Nous avons commencé un petit

4 peu plus tard que prévu, aussi je vais essayer de me résumer de sorte que

5 Me Greaves puisse disposer de la majorité de l'après-midi.

6 M. le Président. - Tout d'abord, je vous remercie, Monsieur Nice. Il est

7 13 heures, nous nous ajournons jusqu'à 14 heures 30. L'audience est

8 suspendue.

9 (Suspendue à 13 heures, l'audience est reprise à 14 heures 45.)

10 M. le Président. - Veuillez introduire l'accusé, s'il vous plaît.

11 Monsieur Nice, c'est à vous.

12 M. Nice (interprétation). - Merci. Je n'ai que quelques autres références

13 au second document que j'ai présenté. Je vais commencer par la page 60.

14 Je reviens en arrière quelques instants simplement pour vous rappeler,

15 Messieurs les Juges, le témoignage du témoin A qui a parlé des gens que

16 l'on faisait sortir pour les tuer. Ce témoin vous a rappelé dans sa

17 déposition que les personnes appelées devaient sortir le matin pour

18 nettoyer le sang sur la grille, et on trouve cette référence au bas de la

19 page 60.

20 A cinq lignes du bas de la page, le témoin a estimé que si 25 à 30 étaient

21 multipliés par 4, le nombre de groupes et le nombre de fois où les hommes

22 ont été appelés à sortir, selon les estimations de ce témoin, une

23 cinquantaine de témoins au moins ont été appelés à sortir et ne sont pas

24 rentrés.

25 Ensuite, page 61 dans la même déposition, on trouve une partie du récit

Page 2745

1 que ce témoin a fait d'un meurtre, c'est une description très parlante. On

2 voit que l'accusé contraignait les gens à s'étendre sur l'asphalte avec la

3 tête sur la grille de façon à pouvoir les tuer sans inconvénient pour lui

4 et sans que le sang se répande.

5 Au milieu de la page 61, on trouve un autre témoignage qui porte sur un

6 incident particulièrement désagréable et déplaisant. L'homme parle d'un

7 Musulman qui était marié à une femme serbe. Je n'ai peut-être pas besoin

8 de reprendre précisément les mots utilisés pour exprimer son avis sur cet

9 incident, mais on le trouve dans ce passage du texte.

10 Et au bas de la page 61 -ce sera le dernier passage dont je parlerai en

11 détail-, au bas de cette page on trouve une image que les Juges de cette

12 Chambre trouveront peut-être particulièrement difficile à supprimer de

13 leur mémoire en raison, notamment, du traitement très civilisé dont

14 l'accusé a joui ici, dans le prétoire, où il a reçu de l'eau à chaque fois

15 qu'il en avait besoin. Le psychiatre, d'ailleurs, nous a rappelé -ce qui

16 est très intéressant- que chaque fois que l'accusé demande des

17 rafraîchissements, y compris dans ses entretiens avec lui, il les reçoit.

18 Or ici, on voit décrit le sort de ces hommes qui doivent traverser l'allée

19 dans la terreur pour se procurer de l'eau. Il est normal qu'ils aient eu

20 peur, n'est-ce pas ? Et l'un de ces hommes fait tomber sa bouteille d'eau

21 car elle était humide, il la laisse tomber parce qu'il est terrorisé sans

22 doute, et cela scelle son destin car il est immédiatement appelé à se

23 rendre à la grille par Jelisic et tué.

24 A moins que cette déposition soit totalement fausse, à moins que ce ne

25 soit le fruit de l'imagination du témoin, c'est une déposition qui

Page 2746

1 correspond entièrement avec chacune des affirmations faites par cet homme,

2 qui est en contradiction flagrante avec toutes les affirmations de cet

3 homme qui nous dit de façon répétée ici qu'il agit sur ordre.

4 Donc nous passons maintenant à la page 63, au milieu de la page 63, où

5 l'on traite de la période ultérieure au 18, 19 mai, date à laquelle le

6 camp était tombé sous le commandement du frère de Monika, c'est-à-dire du

7 frère de la jeune amie de l'accusé. Selon le témoin Didic, Jelisic était

8 toujours présent. Il lui arrivait de venir dans le camp et d'ailleurs,

9 selon les auditions de l'accusé que je n'ai pas sous la main ici, il a

10 admis qu'après les tueries il était retourné sur les lieux voir les

11 prisonniers.

12 Vous vous rappellerez la déposition d'un témoin qui vous a dit de quelle

13 façon, frustré sans doute par l'interdiction qui lui avait été faite de

14 continuer à tuer, il est retourné sur les lieux en exprimant le désir de

15 continuer à tuer.

16 On voit le début de la description du passage à tabac de Didic, au bas de

17 la page 63. Etant donné que c'est un crime moins important que les autres

18 qui correspond aux chefs 40 et 41, je ne m'étendrai pas sur cet incident,

19 mais vous constaterez au bas de la page 64 que le témoin parle du fait

20 qu'une bouteille de Coca-Cola a été cassée contre sa tête, qu'il a été

21 frappé -il donne les détails-, vous verrez à quel point ce récit est

22 cruel. Et l'accusé a également utilisé très souvent des matraques, c'est

23 d'ailleurs l'instrument qu'il décrit le plus souvent comme étant son

24 instrument de prédilection lorsqu'il passe des hommes à tabac.

25 Page 67 à présent. Nous voyons ici une référence à la déposition faite au

Page 2747

1 sujet des fosses communes. Ce n'est pas ce qui est le plus pertinent, mais

2 vous vous rappellerez l'audition du 23 juillet : Jelisic a été au courant

3 qu'à la fin de 1992 ou au début de 1993, il est blâmé, non pas pour le

4 fait que des corps aient été déposés à un certain endroit, mais pour le

5 fait que ces corps aient été enlevés, transférés. La Chambre se rappellera

6 les dépositions au sujet des exhumations, des dépositions très claires qui

7 montrent que les fosses communes ont été fouillées par la suite de façon à

8 tromper, à induire en erreur les enquêteurs du Tribunal.

9 Page 69 et page suivante, nous trouvons une compilation d'extraits de

10 comptes rendus d'audience qui ont pour but de démontrer l'autorité, le

11 pouvoir de facto exercé par l'accusé à Luka. J'ai déjà abordé certains de

12 ces comptes rendus d'audience, mais j'aimerais appeler votre attention sur

13 des passages particuliers.

14 En page 69, à un tiers de la fin de la page, le témoin B décrit l'accusé

15 comme quelqu'un qui était vantard, infatué, mais également quelqu'un qui

16 mentait et qui disait notamment qu'il était le chef dans le camp.

17 A la page 70, en bas de page, le témoin I répondant à une question du

18 Président de cette Chambre qui lui demandait si l'accusé donnait

19 l'impression de diriger les opérations ou s'il exécutait les ordres

20 d'autrui, le témoin I répond à cette question ce qui suit : "Je pourrais

21 dire qu'il était les deux. Il exécutait les ordres mais choisissait

22 également ses victimes de son propre chef. Il aurait pu ne pas tuer

23 quelqu'un même s'il en avait reçu l'ordre. Mais il a fait pas mal de

24 choses à sa propre initiative." Fin de citation.

25 La page 71, en haut de la page, nous trouvons le récit du témoin A qui

Page 2748

1 affirme que Jelisic a déclaré être le directeur du centre de regroupement

2 et que c'est lui qui déterminait qui devait être amené dans ce camp, qui

3 devait être interrogé, qui devait être tué et qui devait être remis en

4 liberté. Tous ces mots ont été prononcés par lui ; l'accusé affirmant qu'à

5 son avis aucun Balija ne pouvait ne pas être coupable.

6 Et puis, dans le deuxième extrait de déposition du même témoin A, on

7 trouve le récit du témoin qui dit : "Je ne crois pas qu'il tuait sur

8 ordres mais par plaisir, car il avait et nourrissait une certaine haine

9 contre mon peuple." Et tout cela après la citation des propos de

10 l'accusé : "un Balija de moins".

11 En bas de page, nous avons la déposition très parlante du témoin E qui, à

12 moins que l'on abandonne complètement les critères de la civilisation,

13 tend à prouver la crédibilité de ce témoin. Avait-il la moindre raison

14 d'inventer ce qu'il a dit ? Ce témoin affirme : "Un homme est entré, un

15 autre homme donc est entré, et a dit à "Adolf" que les yeux, le nez et les

16 oreilles du témoin avaient été entaillés ou coupés. "Adolf" ensuite décide

17 de tuer cet homme qui, malgré tout cela, était encore en vie."

18 En page 73, nous trouvons une série d'extraits où Jelisic parle du nombre

19 de Musulmans qu'il prétend avoir tués. On trouve les chiffres dans cette

20 page : 80, 53, 54 ; et en bas de page, l'accusé dit : "J'ai tué

21 7 personnes jusqu'à aujourd'hui, il m'en reste 8 à tuer, et ce sera

22 suffisant pour la journée."

23 En page 74, au milieu de la page, nous trouvons une référence au

24 pourcentage de personnes destinées à survivre, et selon l'accusé, une fois

25 que ces personnes auraient survécu, elles le rencontreraient en ville et

Page 2749

1 lui offriraient un verre.

2 Nouvelle référence à des nombres, le nombre 68 en particulier qui est cité

3 par le témoin F. Et en bas de page, une description très parlante, très

4 détaillée, de l'incident au cours duquel "l'Adolf serbe" a tourné son

5 fusil automatique vers une personne à qui il a dit : "Maintenant vous avez

6 une chance aussi de faire une encoche sur ce fusil", parce que lorsque

7 l'on tue un Balija, lorsque l'on tue un Musulman, on doit faire une

8 encoche sur le fusil pour s'en souvenir et boire un verre à sa santé après

9 l'avoir remis en liberté.

10 En page 75 en bas de page, le témoin L, je cite : "Le lendemain matin, il

11 se lèverait et avant de prendre son premier café, il lui faudrait tuer 30

12 ou 40 personnes." Fin de citation.

13 Page 76, nous y trouvons une série d'extraits, de comptes rendus

14 d'audience qui traitent du comportement anti-Musulmans de l'accusé,

15 notamment la citation selon laquelle un homme prétendait n'agir que sur

16 ordres. Le témoin F déclare qu'il a mis un homme sur ses genoux, en

17 disant : "Je dois être fou, j'aide un Balija à se remettre debout. Je me

18 suis sali les mains." Et puis d'autres extraits de comptes rendus

19 d'audience sont cités à cet endroit dans le texte pour servir de rappel

20 aux Juges de cette Chambre.

21 Page 81, il est question à cet endroit du fait que l'accusé prétend ne pas

22 avoir été une personne détentrice de pouvoir. En bas de page, s'agissant

23 du 15 mai, le témoin R déclare que l'accusé avait un dossier plastifié

24 qu'il l'a ouvert et qu'à l'aide d'un crayon il a encerclé un certain nom

25 et qu'ensuite il a parcouru rapidement le reste de la page en encerclant

Page 2750

1 d'autres noms.

2 Etait-ce vraiment un homme qui n'avait aucune possibilité d'exercer sa

3 propre volonté puisque c'était un homme qui, à tout moment, pouvait

4 circuler librement à Brcko, pouvait franchir les barrages routiers ?

5 Et enfin en page 82, ce sera la dernière citation de ce document, dans la

6 jouissance de tuer, si c'est le mot qui s'applique, l'accusé a manifesté

7 une incapacité à se fatiguer de ce qu'il faisait, selon la description de

8 ce témoin, le témoin B. Je cite : "Je pense qu'il prenait plaisir à faire

9 ce qu'il faisait car il était si puissant qu'il était considéré comme

10 Dieu. Pour lui, ce n'était rien de tuer un homme, il se considérait comme

11 la personne la plus puissante du monde, et c'est ce qu'il était à Brcko.

12 Je ne comprends pas cela, c'était un homme jeune, un homme bien de sa

13 personne, faire ce qu'il a fait... (trois points de suspension)."

14 Le témoin F décrit l'incident au cours duquel lui-même et un autre garde,

15 après avoir tué quelqu'un, se rencontrent et rient à haute voix. Et en bas

16 de page, un autre homme lui parle et lui propose de reprendre son travail

17 pour que l'accusé puisse se reposer quelques instants ; et l'accusé

18 répond : "C'est un travail auquel je ne trouve aucune difficulté." Et

19 quand il a eu envie de boire un verre, il a accepté l'offre d'aide

20 formulée par ce garde.

21 Avec le respect que je dois aux Juges, je les inviterai à présent à

22 revenir au texte de mes réquisitions que j'ai abandonné à la page 21. Je

23 vais donc en reprendre quelques extraits.

24 Paragraphe 49. Nous sommes donc arrivés à cette partie du texte : "La

25 description du comportement de quelqu'un peut être un signe qui indique

Page 2751

1 que telle ou telle action a été commise. Cela peut être un facteur

2 aggravant.", je ne crois pas avoir besoin de lire le reste de ce

3 paragraphe, car j'ai déjà résumé l'ensemble des écrits contenus à ce

4 niveau dans ce que j'ai dit jusqu'à présent.

5 Au bas de la page 22, je traite rapidement des quelques éléments de preuve

6 qui portent sur ce qui s'est passé par la suite.

7 En page 23, nous entendons le Dr Duits nous dire que l'accusé a quitté le

8 camp après avoir, semble-t-il, fait des aveux à un avocat musulman dont

9 nous n'avons d'ailleurs pas entendu parler davantage. Il serait rentré

10 chez lui, il aurait dit vouloir se plaindre auprès d'une organisation

11 internationale ; si tout cela est vrai, il se serait même tiré une balle

12 dans la jambe.

13 Ce matin, nous avons entendu parler des dates de septembre 1992, ce sont

14 des dates tardives. A ce moment-là, il était déjà dans l'armée ; les

15 rapports des médecins, bien entendu, ne disent rien d'une quelconque

16 blessure que l'accusé se serait infligée à lui-même.

17 Je reprends au paragraphe 52 de ce document et je redis que les éléments

18 de preuve présentés par la défense peuvent être interprétés d'une façon

19 tout à fait différente eu égard à l'accusé, à savoir en aggravant la

20 situation de l'accusé s'il est prouvé qu'il a proposé des témoignages

21 fabriqués de toutes pièces.

22 La gravité des délits. La Chambre de première instance doit, selon nous,

23 se pencher sur le problème de la gravité. La Chambre de première instance

24 de l'affaire Tadic a fait observer au moment du prononcé de la peine que

25 le mal précis causé aux victimes et à leur famille par l'accusé était

Page 2752

1 d'une importance capitale.

2 Il existe de nombreuses victimes, sinon des victimes innombrables des

3 crimes commis par cet homme. Dans l'affaire Tadic, l'importance des

4 souffrances imposées aux victimes a été considérablement inférieure à

5 celles que nous avons observées dans la présente affaire. Et la volonté,

6 la participation directe aux assassinats se situe à un niveau entièrement

7 différent.

8 Comparer des souffrances peut être un exercice difficile, mais les Juges

9 de cette Chambre vont sans doute vouloir respecter une cohérence avec les

10 sentences prononcées dans d'autres affaires. Lorsqu'ils évalueront la

11 gravité des délits, les Juges de cette Chambre devront prendre en compte

12 les souffrances psychiques et psychologiques de toutes les victimes.

13 Et avec tout le respect que nous devons à ce Tribunal, ne nous adressant

14 d'ailleurs pas uniquement à cette Chambre mais traitant du problème auquel

15 sont confrontés les Juges qui doivent prononcer des sentences dans tous

16 les tribunaux et notamment dans celui-ci, nous disons qu'il y a un certain

17 danger de voir le temps consacré à l'analyse psychologique d'un accusé et

18 réduire l'insistance que l'on accorde au sort des victimes, des morts, de

19 tous les survivants, dont les souffrances, parce que ces victimes sont

20 mortes, ne peuvent pas être testées ou sont difficiles à tester

21 lorsqu'elles ont survécu. Mais néanmoins, ce sont ces victimes, les morts

22 et les survivants, dont l'intérêt doit être pris en compte en priorité.

23 L'accusé a commis plusieurs actes qui constituent des crimes contre

24 l'humanité jugés par une Chambre de première instance récemment comme un

25 crime plus grave qu'un crime de guerre ordinaire qui, normalement, devrait

Page 2753

1 donner lieu à une peine plus importante. Je suis au courant de l'avis

2 minoritaire du Juge Robinson sur cet avis, d'ailleurs.

3 Paragraphe 55. L'accusé a commis les crimes qu'il a commis avec une

4 cruauté particulière, d'une façon particulièrement impitoyable, nous en

5 avons déjà parlé. Mais dans ce paragraphe, il peut être utile de proposer

6 que ce qu'il a voulu montrer c'est sa volonté de détruire le psychisme et

7 la personnalité de ses victimes. J'ai oublié de parler ce matin, mais

8 les Juges de cette Chambre s'en souviendront peut-être, que la femme que

9 j'ai évoquée, la femme dont la déposition a été évitée par le témoin -il

10 était absent pendant pratiquement toute cette déposition-, cette femme a

11 parlé d'un homme qui a été passé à tabac et puis qu'on a encore fait

12 sortir pour le tuer. Mais elle a dit également que Jelisic avait déclaré

13 que ceux qui survivraient n'auraient que des emplois de deuxième

14 catégorie, qu'ils ne pourraient plus avoir des professions dignes et

15 respectables, qu'ils ne pourraient que faire le ménage ou nettoyer le sol.

16 Nous ne pouvons qu'espérer qu'il avait tort car, bien sûr, il est possible

17 que l'exercice de catharsis que ce témoin a exécuté en venant ici l'aura

18 aidé à récupérer. Mais au jour d'aujourd'hui, pour différentes raisons, ce

19 que l'accusé a dit s'avère malheureusement exact. Rien n'a été fait pour

20 protéger le bien-être de ces détenus, mais tout a été fait pour les

21 violenter dans ce camp.

22 Paragraphe 56. Et je pense que je respecte les critères établis par

23 l'affaire Tadic en disant que les meurtres et les passages à tabac des

24 détenus à Luka faisaient partie d'un plan plus large d'extermination dont

25 nous avons entendu parler de la bouche des témoins. Et lorsque les

Page 2754

1 survivants étaient finalement remis en liberté, ils ne pouvaient pas

2 rester à Brcko, ils devenaient des réfugiés privés de propriétés, privés

3 de lieu d'habitation, incapables d'être indépendants, incapables d'être

4 des citoyens autosuffisants, mais réduits à l'état de réfugiés dépendant

5 largement d'autrui.

6 Aucun de ces réfugiés n'est retourné à Brcko. Bien entendu, cet accusé

7 n'est pas responsable de tout ce que ces réfugiés, ces victimes ont perdu,

8 mais la Chambre de première instance a déterminé que l'environnement

9 général pouvait être considéré comme pertinent eu égard au supplément de

10 souffrances vécues par ces victimes devenues des réfugiés.

11 S'agissant maintenant de l'historique personnel, nous sommes invités à en

12 traiter et nous en avons déjà traité largement. Au paragraphe 57 de mon

13 document écrit, je dis que la jeunesse et les problèmes de personnalité

14 d'un accusé peuvent, dans d'autres circonstances, être considérés, être

15 pris en compte au moment du prononcé d'une peine adaptée. Mais la position

16 de l'accusation dans le présent procès est que ses problèmes étaient des

17 problèmes qui étaient déjà anciens, et qu'ils ne permettent pas de dire

18 que l'accusé ne constitue pas un danger pour la société à l'avenir.

19 Les questions hypothétiques qui ont été posées eu égard au comportement de

20 l'accusé à l'avenir, en temps de paix ou en temps de guerre, ne sont pas

21 véritablement au coeur de notre sujet. Par sa personnalité, l'accusé peut

22 être un danger et il est impossible de dire qu'il ne l'est pas.

23 En tout état de cause, si nous parlons de châtiment et de dissuasion

24 s'agissant des crimes graves que cet homme a commis, nous disons qu'il

25 convient de refuser en toute circonstance le moindre bénéfice à cet homme

Page 2755

1 sur la base de sa personnalité. Le rôle de l'accusé dans les délits

2 commis, c'est également un point à examiner, je crois que nous l'avons

3 examiné de façon très complète déjà.

4 Page 26, paragraphe 59, des éléments de politique générale en faveur d'une

5 sanction stricte. Paragraphe 60, la fonction dissuasive du Tribunal

6 international doit être le principal principe de politique guidant la

7 détermination de la sentence.

8 Dans le jugement récent rendu dans l'affaire Tadic, une Chambre de

9 première instance a précisé que le mandat singulier du Tribunal

10 international, qui doit mettre un terme aux violations à grande échelle du

11 droit international humanitaire, doit faire l'objet d'une attention

12 particulière au moment du prononcé de la sentence.

13 Citant l'affaire Celibici et se référant à la jurisprudence du Tribunal

14 yougoslave et du Tribunal de Rwanda, la Chambre de première instance a

15 souligné que la dissuasion est probablement l'élément le plus important

16 dans l'appréciation de la peine appropriée en cas de violation du droit

17 international humanitaire.

18 Le jugement de l'affaire Erdemovic met l'accent sur l'importance capitale

19 qu'il y a à stigmatiser les violations les plus graves du droit

20 humanitaire international par le biais de la sentence.

21 En outre, la présente Chambre peut envisager la pratique générale du point

22 de vue de la sentence des tribunaux yougoslaves de l'ex-Yougoslavie.

23 S'agissant de la sentence, elle peut le faire mais ce n'est pas

24 contraignant pour elle. La peine capitale existait à l'époque, même si

25 elle a été abolie par un amendement constitutionnel dans certaines

Page 2756

1 républiques de la Yougoslavie autres que la Bosnie-Herzégovine.

2 Dans l'affaire Tadic, il a été dit, je crois, que les dispositions

3 statutaires les plus applicables de l'ex-Yougoslavie étaient celles qui

4 concernaient les crimes contre la paix et le droit international, c'est-à-

5 dire des actes criminels de diverses natures recouvrant la torture, les

6 actes criminels, les meurtres et d'autres. Et ces crimes étaient censés

7 être punis par cinq ans d'emprisonnement ou par la peine de mort.

8 Il est question dans ce paragraphe également d'autres facteurs qu'il

9 convient de prendre en compte. On trouve ces facteurs en haut de la

10 page 28. Les limites juridiques eu égard à la punition, à la sanction d'un

11 crime, le degré de responsabilité criminelle, les objectifs d'une

12 sanction, les mobiles de l'auteur des crimes, l'intensité des menaces ou

13 des atteintes effectives subies par un objet protégé, les circonstances

14 dans lesquelles le délit a été commis, le passé personnel de l'auteur des

15 crimes, la vie actuelle de l'auteur des crimes et son comportement après

16 avoir commis les délits qu'il a commis sont tous des éléments qui, selon

17 nous, ne permettent pas à l'accusé de trouver les bases d'une atténuation

18 significative de sa peine.

19 Le jugement Tadic fait référence à l'importance de la fonction de

20 réconciliation du Tribunal, en signifiant que le mandat singulier du

21 Tribunal international, à savoir contribuer à la restauration et au

22 maintien de la paix dans l'ex-Yougoslavie, doit faire l'objet d'une

23 attention particulière au moment du prononcé de la peine.

24 Un facteur important dans un procès contre un accusé qui est connu

25 largement sans doute dans toute la Bosnie-Herzégovine comme étant un tueur

Page 2757

1 de masse, un accusé qui fait référence à lui-même en se désignant sous les

2 mots : "L'Adolf serbe."

3 Le paragraphe 66 établit ce que nous avons sans doute déjà dit quant à

4 l'objet du présent procès.

5 Et j'en arrive au paragraphe 67, page 29 de mes écrits. L'accusé cherche

6 un avantage dans sa situation qui, selon lui, était une situation de grade

7 peu élevé dans l'échelle hiérarchique. Nous invitons les Juges de cette

8 Chambre à ne pas perdre de vue que, dans toute guerre, des dirigeants

9 militaires et politiques ont besoin d'exécutants dociles pour exécuter les

10 actes criminels qu'ils souhaitent voir exécuter en leur nom. Ils tiennent

11 à garder les mains propres. En l'absence d'exécutant enthousiaste tel que

12 celui-ci, tel que l'accusé qui se trouve ici, de tels crimes ne seraient

13 jamais commis. Et les objectifs poursuivis par les dirigeants criminels,

14 dont je viens de parler, ne seraient pas atteints.

15 La Chambre de première instance qui agit dans le présent procès a une

16 occasion unique d'adresser un message très ferme à tous les auteurs de

17 crimes quel que soit leur niveau hiérarchique. Un message montrant que la

18 commission de crimes tels que ceux-ci rend les auteurs de ces crimes

19 vulnérables, rend tous ceux qui sont présentés à la justice

20 internationale, et au poids de cette justice internationale, vulnérables.

21 En l'espèce, ou dans le cas plutôt où la Chambre accepterait, admettrait

22 que l'accusé a effectué une quelconque bonne action après les meurtres de

23 Brcko -ce qui irait à l'encontre de tous nos arguments-, il peut être

24 prudent de rappeler la sagesse de la jurisprudence de Nuremberg qui

25 explique que ce n'est pas un phénomène inhabituel dans la vie que de

Page 2758

1 trouver une bonne action isolée chez un homme malfaisant.

2 Pour des raisons de convenances personnelles, par caprice ou même grâce à

3 un sursaut éphémère de bienveillance qui se force un passage dans un coeur

4 endurci, même un meurtrier peut aider un enfant à trouver un abri. Un

5 trait d'humour noir peut pousser l'égorgeur à épargner sa victime.

6 Mais quelles que soient les raisons qui ont motivé la bienveillance de X à

7 l'égard de Y, cette bonne action ne suffit pas pour oblitérer

8 l'indifférence dont il a fait preuve à l'égard des innombrables

9 souffrances qu'il ne pouvait pas ignorer ; souffrances que, contrairement

10 à ses allégations, il n'a rien fait ou si peu pour amoindrir.

11 Rien dans les éléments de preuve présentés à cette Chambre ne permet de

12 penser que l'accusé ait manifesté la moindre bienveillance au camp de

13 Luka. Mais même s'il l'avait fait, ceci ne pourrait oblitérer l'extrême

14 gravité des actes criminels commis par lui, actes pour lesquels il a été

15 condamné par ce Tribunal.

16 La sentence qu'il convient de prononcer à l'égard de cet accusé doit,

17 selon nous, rendre compte de l'énormité des crimes horribles qui ont eu

18 lieu à Luka et des souffrances imposées par cet accusé.

19 Il pleure effectivement. Il implore la pitié, il n'en a manifesté aucune.

20 L'opinion mondiale doit, selon nous, ne pas accepter qu'une quelconque

21 pitié soit manifestée à son égard. La Chambre ne doit manifester aucune

22 pitié à son égard et doit lui imposer la sentence maximale, c'est-à-dire

23 la peine à vie.

24 A moins que je ne puisse être d'une quelconque aide supplémentaire à

25 l'égard des Juges de cette Chambre, j'en ai terminé, Monsieur le

Page 2759

1 Président.

2 M. le Président. - Nous vous remercions. Il est 15 heures 20. Sans plus

3 attendre, nous donnons la parole à Me Greaves pour la défense de

4 Goran Jelisic. C'est à vous, Maître Greaves.

5 M. Greaves (interprétation). - En guise d'introduction de ma plaidoirie

6 cet après-midi, je me réfère d'abord aux trois remarques. Tout d'abord, je

7 souhaite revenir sur les observations faites par mon éminent collègue,

8 M. Nice, concernant l'honneur qui nous incombe d'être devant cette Cour.

9 J'ai eu la chance de pouvoir déjà participer à deux autres procès

10 importants avant celui-ci. Et j'espère, bien que d'autres ne soient pas

11 d'accord avec moi, avoir pu apporter ma modeste pierre à l'édifice de sa

12 jurisprudence lors de l'un ou l'autre de ces procès.

13 J'ai été élevé en croyant que la tâche du conseil de la défense, et son

14 rôle du reste, son rôle à jouer au cours d'une procédure pénale a en tout

15 cas un aspect qui est d'une importance particulière, et qui est qu'il

16 doit, à tout moment, se présenter comme étant le dernier bastion contre un

17 Etat potentiellement oppresseur, et avec toutes les facilités et les

18 facultés à sa disposition, essayer de présenter tous les arguments de la

19 cause de son client.

20 En ouvrant sa plaidoirie, mon éminent collègue a eu l'extrême amabilité

21 d'attirer l'attention de MM. les Juges sur les membres de l'équipe de

22 l'accusation.

23 Mais je dois vous dire qu'il s'agit ici d'un procès contre un seul accusé

24 et non pas plusieurs. Ce que je veux dire par là est qu'il vous a présenté

25 les membres de l'équipe importante qu'il a eu à sa disposition, avec des

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1 co-conseils assistés par d'autres personnes qui pouvaient venir à son

2 aide, à n'importe quel moment, M. Brcmo, également un assistant

3 juridique, un responsable de l'affaire, deux enquêteurs, et puis encore

4 une autre personne qui est occupée ici mais qui -dans les coulisses-

5 s'occupe de tous les documents. Et puis enfin, il vous a parlé de

6 stagiaires travaillant gracieusement, ajoutant également leur contribution

7 à cet édifice. Il a sans doute oublié de parler des interprètes qui sont

8 employés par le Bureau du Procureur, quand il en a besoin. Mais ceci n'a

9 en aucune manière limité le temps qu'ils ont eu pour préparer leur

10 dossier.

11 Eh bien, moi, je voudrais attirer votre attention et faire un commentaire

12 sur les membres des conseils de défense, puisque vous-mêmes, éminents

13 collègues, vous avez pu féliciter vos collègues.

14 Monsieur Londrovic, moi-même, l'assistant juridique, M. Babic, un

15 enquêteur, un interprète, la pauvre Mme Cetkovic qui a dû supporter mon

16 mauvais caractère et mes colères de temps en temps. Et puis, c'est tout !

17 L'assistant juridique n'a pas été autorisé à venir à La Haye, il n'a pas

18 pu recevoir une contribution financière par le Tribunal. Si nous avions

19 voulu l'avoir, c'étaient nous qui devions payer les frais.

20 Le nombre total d'heures a été limité à 250 heures. Et mon interprète a dû

21 batailler tout le temps pour pouvoir obtenir l'autorisation de travailler

22 pour moi. Il lui était fort difficile de pouvoir lui permettre

23 d'intervenir pour communiquer avec mon client au cours du procès.

24 Au cours de cette période, nous n'avons eu que 23 heures de travail

25 rémunérées par semaine. Et au moment où je vous parle, il y a des plans

Page 2761

1 pour limiter encore davantage le travail rétribué et les conditions de

2 travail de la défense. C'est pour ceux qui m'écoutent, qui jugeront si

3 ceci ne constitue que les prémisses d'une égalité des armes. J'ai ma

4 propre opinion là-dessus.

5 La seconde question est la suivante et elle concerne une question fort

6 importante en l'espèce, il s'agit des rapports médicaux.

7 Et je suis reconnaissant à mon collègue par rapport à la concession qu'il

8 a faite ; nous avons eu un désavantage par rapport à la présentation de

9 ces éléments de preuve médicaux.

10 L'accusation a pu utiliser les services d'un psychiatre qui n'a connu

11 aucune restriction ni de la part du Greffe, ni de la part du médecin elle-

12 même quant à savoir si ce témoin pouvait reposer sur ces examens,

13 traitements et diagnostics, et tirer les conclusions qui figurent au

14 rapport.

15 Dès lors, je crois qu'il faut faire remarquer que l'accusation s'est

16 reposée de manière spécifique sur certaines déclarations de ce médecin ;

17 je fais référence aux pages 26 et 27 du transcript, ligne 21 jusqu'à la

18 ligne 27 de la page suivante.

19 D'après nous, ces circonstances ont rendu extrêmement inéquitable pour la

20 défense de pouvoir reposer sur ces rapports et sur les témoignages du

21 Dr Duits, et nous n'avons pas eu les mêmes conditions que celles qui

22 étaient offertes à l'accusation.

23 Et il s'agit, je crois, franchement d'une violation très claire des

24 dispositions d'équité qui sont garanties à l'accusé au titre des

25 articles 20 et 21.

Page 2762

1 Je vous rappelle, Messieurs les Juges, que vous avez des pouvoirs

2 importants, non pas simplement pour évaluer les éléments de preuve, mais

3 pour exclure certains éléments, si ceci était justifié par la nécessité

4 d'assurer un procès équitable sans tenir compte de la valeur probatoire de

5 ces éléments de preuve.

6 Troisième point. Juste avant d'entrer en séance, vous êtes venus, vous, ce

7 matin. L'accusation a présenté à la défense quelque 130 pages de

8 documentation que vous avez vous-mêmes reçues, comme je l'ai compris.

9 Il y avait une ordonnance selon laquelle il n'y aurait plus de pièces

10 écrites, et c'est une question qui fut discutée lors de la conférence de

11 mise en état.

12 Nous avons entendu qu'un résumé de l'argumentation vous serait présenté et

13 nous avons remarqué que ce document est sorti. Nous faisons remarquer que

14 sa taille et le fait que sa présentation n'a suscité aucun commentaire de

15 votre part. Outre cela, nous nous abstiendrons de tout autre commentaire.

16 J'en viens maintenant à la question portant sur l'accusé en personne.

17 Sept ans et demi après les événements qui ont éclaté dans le Nord-Est de

18 la Bosnie, M. Goran Jelisic est confronté, aujourd'hui, aux conséquences

19 de ce qu'il a fait et il devra payer un prix inévitable de ce qui s'est

20 passé à Brcko en mai 1992.

21 Nous souhaitons dire très clairement que tout ce que nous allons vous dire

22 aujourd'hui ne vise en aucune manière à diminuer la gravité du fait

23 d'avoir supprimé la vie, ne voudra pas diminuer la gravité d'avoir

24 maltraité d'autres êtres humains et ne voudra non plus diminuer la gravité

25 des conséquences pour les familles, les amis de ceux qui ont survécu.

Page 2763

1 Monsieur Jelisic, aujourd'hui et à la date où vous prononcerez la

2 sentence, devra faire face à tout cela ; il le sait et il l'accepte.

3 Cependant, il faudra dire que malgré ce que l'accusation a dit, jusqu'en

4 date du 8 novembre de cette année, Messieurs les Juges, le public, vous

5 n'aviez entendu qu'un aspect de la personnalité et de la vie de

6 M. Jelisic. Et l'une des tâches à laquelle je me suis attaqué, c'est de

7 présenter à vous-mêmes un aspect un peu plus équilibré de la personnalité

8 de ce jeune homme.

9 Il faut donc revenir maintenant en arrière, au mois de mai 1992.

10 Nous avons entendu au cours des débats pas mal d'éléments de preuve

11 expliquant quel type de personne est M. Jelisic jusqu'à ce que la guerre

12 éclate dans son pays. En 1992, M. Jelisic était encore un jeune homme, à

13 l'époque il avait 23 ans, et c'est avec respect que nous disons que son

14 âge est une question que vous devrez examiner avec beaucoup de soin.

15 D'après les récits et quels que furent les problèmes de sa vie

16 personnelle, il provient d'une famille digne et respectable, et personne

17 -qui a rencontré la sœur ou les parents de l'accusé- ne pourrait contester

18 cette phrase.

19 Au moment où la guerre a éclaté au printemps et en été 1992, M. Jelisic

20 était un homme qui avait vécu une vie assez ordinaire, même s'il y a eu

21 quelques moments de criminalité.

22 Au cours des trois dernières semaines, nous avons entendu toute une série

23 d'éléments de preuve qui nous indiquent qu'avant la guerre il menait une

24 vie similaire à toutes celles de beaucoup d'autres jeunes hommes en

25 Europe. Il aimait les filles, et c'est vrai qu'il fait des commentaires

Page 2764

1 inconvenants à propos des femmes, mais personne ne fera de concessions

2 disant que, peut-être, il est d'une autre culture et que, sans doute, de

3 telles remarques seraient plus acceptables. L'accusation vous a laissé à

4 penser qu'il s'agissait d'une caractéristique impardonnable de l'accusé.

5 Mais malheureusement, l'accusation est tout à fait aveugle par contre par

6 rapport à tout ce qui pourrait relever de la normalité chez cet homme : il

7 aimait bien fréquenter les bars de Bjelina avec ses amis, il aimait boire,

8 il aimait fumer, il aimait faire la fête avec ses amis. C'était aussi un

9 pêcheur passionné. Il a été employé, pas dans des postes importants, c'est

10 vrai.

11 Il n'y avait aucun autre signe qui nous laisse à penser qu'il ne serait

12 pas un homme tout à fait normal au début de la vingtaine. C'est vrai aussi

13 qu'il a eu des problèmes avec la police, mais ce n'est pas tout à fait

14 inhabituel à l'époque moderne que nous connaissons.

15 C'est sans doute une surprise pour vous d'avoir entendu dans quelle mesure

16 il fut l'ami et il a fraternisé avec la communauté musulmane. L'idée un

17 peu stéréotypée que l'on peut avoir des événements qui se sont déroulés en

18 Bosnie-Herzégovine et ailleurs en Yougoslavie au cours du début des

19 années 90 est une idée selon laquelle il y avait vraiment une haine

20 ethnique profonde. Bien entendu, ce n'est pas vrai.

21 Avant les événements, les gens étaient assez satisfaits de se fréquenter

22 mutuellement, au-delà des barrières ethniques, et c'est d'ailleurs toute

23 l'histoire de la Bosnie. Et ceux qui aiment la Bosnie vous souligneront

24 toujours qu'il s'agissait d'une des caractéristiques importantes de sa

25 culture.

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1 Je me souviens avoir entendu cela par M. Hazinovic qui était dans

2 l'affaire Celebici et qui est quelqu'un qui soutient beaucoup son pays

3 comme étant une société multiethnique, multiculturelle et multiraciale.

4 Nous pensons qu'avant la guerre l'accusé était donc quelqu'un qui n'avait

5 fait preuve d'aucun signe quelconque de haine ethnique du tout. Et cela va

6 au-delà de cela.

7 C'est un homme qui a recherché l'amitié des Musulmans. Il y a d'ailleurs

8 pas mal d'éléments qui vous laissent à penser que la majorité de ses amis

9 étaient en fait des Musulmans. Et il n'y a aucun élément, par contre, qui

10 contredise cette conclusion.

11 L'accusation rejette cela en disant : "Mais tout le monde était l'ami de

12 tout le monde à ce moment-là et dès lors cela ne compte pas !".

13 Je crois que, à mon avis, ils n'ont pas compris car ce qui est important

14 c'est qu'il était l'ami des Musulmans avant la guerre, il était l'ami des

15 Musulmans au cours de la guerre et il était l'ami des Musulmans après la

16 guerre.

17 Dès lors, il y a là une espèce de logique, une cohérence. Bien sûr, il

18 faut mettre en brèche ce premier élément pour démontrer qu'au cours de la

19 guerre et, après, sa gentillesse envers les Musulmans étaient des actes

20 qui ne servaient que ses propres intérêts pour, en quelque sorte, se

21 monter une défense ou des circonstances atténuantes pour les crimes qu'il

22 avait commis.

23 Il n'en reste pas moins que son amitié envers les Musulmans est cohérente,

24 durable, et cela remonte -ou cela a duré en tout cas- pendant toute sa vie

25 d'adulte. Ceci, d'après nous, est une caractéristique importante en

Page 2766

1 l'espèce.

2 Il n'y a aucun élément dans cette affaire qui nous indique qu'avant la

3 guerre l'accusé ait jamais manifesté d'attitude raciste, n'ait jamais dit

4 quelque chose qui ait eu une connotation raciste et ait eu un acte

5 quelconque qui aurait une connotation raciste. Vous pourriez penser qu'il

6 n'avait pas ce type de pensées ou de réflexion.

7 Et c'est à ce stade que l'accusation a eu des difficultés puisqu'ils n'ont

8 même pas commencé à expliquer comment il se fait que, d'un seul coup, au

9 cours d'une période de 18 jours, en mai 1992, Goran Jelisic d'un seul coup

10 a changé et est devenu un homme assoiffé de sang, un tueur qui prenait

11 plaisir à ce qu'il faisait, et qu'une fois qu'il a arrêté ces activités-

12 là, il est revenu à des sentiments d'amitié envers les Musulmans qu'il

13 aidait en les transportant au-delà de la rivière, en encourant des risques

14 lui-même. Ils n'ont pas expliqué ce changement, ils n'ont apporté aucun

15 motif qui explique ce revirement.

16 Il n'y a non plus aucune preuve dans cette affaire qui indique qu'avant la

17 guerre M. Jelisic ait participé à des activités politiques. En

18 particulier, au type d'activité, de politique qui était ultra nationaliste

19 et qui a donné cours à tout ce qui s'est produit ensuite, dont nous avons

20 tellement entendu parler pour tous ceux qui ont participé aux diverses

21 affaires devant ce Tribunal.

22 Bien entendu, lorsque l'on réfléchit à M. Jelisic en tant que personne, on

23 peut alors dire qu'à un moment donné il a déraillé, et il n'y a rien

24 d'inhabituel à cela.

25 Ceux d'entre nous, comme mon éminent collègue, l'accusation, qui ont été

Page 2767

1 avocats pendant de longues années devant des cours pénales, ont rencontré

2 des centaines d'accusés comme M. Jelisic qui sont passés d'une existence

3 tout à fait innocente, tout à coup à un cycle de toxicomanie ou d'autres

4 activités qui sont venu soutenir leurs activités criminelles.

5 A cet égard, M. Jelisic ressemble à pas mal d'autres jeunes hommes en

6 Europe. C'est quelque chose que nous connaissons bien, malheureusement.

7 Mais en effet, il y a eu un moment où il s'est engagé dans des activités

8 criminelles graves, et il a commencé à s'adonner à la fabrication de faux

9 chèques ; il a été pris, condamné, et il a reçu une condamnation pour ses

10 délits. Ce qui est intéressant à cet égard, et c'est quelque chose que lui

11 et ses témoins ont démontré, il l'a caché à ses amis. Et du reste, des

12 efforts ont été faits de la part de l'accusation pour amoindrir le

13 jugement de ces témoins et pour remettre en question la proximité de ses

14 amis parce qu'ils disaient qu'ils ne savaient pas que leur ami s'était

15 engagé dans ce genre d'activité. Nous pensons que c'est irréaliste et

16 injuste comme approche.

17 Dans le monde réel, il y a pas mal de personnes qui cachent des activités

18 de ce genre. Qui dans cette salle n'aurait jamais entendu une affaire où

19 d'un seul coup on révèle que telle ou telle personne, dont tout le monde

20 pensait qu'elle était parfaitement honnête et respectueuse des lois, il

21 s'avère d'un seul coup que cette personne a maille à partir avec la loi et

22 ceci au grand étonnement de sa famille, de ses amis et de la communauté ?

23 En l'espèce, nous concluons que les amis de Goran Jelisic étaient

24 essentiellement des personnes dignes. Il ne sera donc pas étonnant que

25 Goran Jelisic essaie de leur cacher, à ces personnes tout à fait dignes,

Page 2768

1 que lui vivait une vie de délits.

2 Et lors de cette partie de l'année 1992, nous rentrons dans la partie

3 noire de la vie de Goran Jelisic. Ensuite il y a eu les événements du

4 printemps et de l'été 1992. La Yougoslavie qui était une entité unifiée

5 pendant longtemps, tout à coup, se dissout.

6 Les personnes qui habitaient des villes telles que Brcko se retrouvent à

7 devoir choisir d'appartenir à un côté ou l'autre. Les gens qui avaient été

8 des amis, des voisins pendant des années, se retrouvent dans des parties

9 opposées à une guerre brutale, guerre civile. Et personne ne niera un seul

10 instant que Goran Jelisic ait joué un rôle, un rôle grave, dans la

11 brutalité qui s'est fait jour au cours de ce conflit.

12 L'accusation a dépeint un tableau de Goran Jelisic à ce moment-là, mais un

13 tableau d'une seule couleur. Et ils nous ont dit que, pendant une brève

14 période, il fut un exécutant enthousiaste et docile qui abattait les

15 Musulmans, bien qu'on n'ait pas tout à fait expliqué pourquoi d'un seul

16 coup il soit devenu ce personnage.

17 Ils nous disent qu'il n'avait aucune qualité, qu'il ne présentait aucun

18 remords et qu'il profitait de la situation des Musulmans. C'était la

19 position qu'ils ont prise tout au long du procès. Et sans doute qu'ils

20 estimaient que vu les éléments de preuve qu'ils pouvaient présenter, ils

21 pouvaient garantir ce tableau.

22 Nous disons, avec tout le respect, que des éléments ont été présentés

23 devant ce Tribunal qui vont à l'encontre de ce que l'accusation nous a

24 décrit et nous disons que les faits sont inévitables. Et comme je vous

25 l'ai décrit, il avait son cercle d'amis dont la majorité était des

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1 Musulmans.

2 Au cours de la guerre, il y a des preuves qui nous montrent qu'il a fait

3 tout ce qu'il pouvait pour aider des Musulmans, pas seulement ceux qui

4 étaient ses amis mais, d'après certains éléments de preuve, même il a aidé

5 des personnes qu'il ne connaissait pas, des Musulmans qu'il ne connaissait

6 pas. A certaines occasions, et c'est peut-être une question de bon sens vu

7 l'attitude de l'époque, il a fourni cette assistance dès lors que ceci

8 pouvait présenter un risque direct pour lui-même. A chaque fois, il y

9 avait tout de même un risque général qu'il soit identifié au sein de sa

10 communauté comme étant quelqu'un qui était beaucoup trop auprès des

11 Musulmans et qui les aidait activement.

12 La question est la suivante : pourquoi prendrait-il le risque de mort

13 éventuelle ou en tout cas subirait-il des répercussions graves dans cette

14 tentative de monter, comme l'accusation nous l'a dit, de monter une des

15 circonstances atténuantes à son avantage ? Vous pourriez penser qu'il

16 risquait en tout cas d'être arrêté, de faire l'objet d'enquêtes en tant

17 qu'espion, collaborateur, d'être lui-même passé à tabac ou tué, étant

18 donné l'aide qu'il avait prêtée aux Musulmans ? Et les témoins ont

19 d'ailleurs expliqué clairement le risque qu'il encourait.

20 Après la guerre, il a poursuivi ses efforts d'assistance, non pas sur un

21 mode mineur, mais de manière où il continuait à s'exposer aux risques que

22 je vous ai décrits. Et nous pensons que les éléments de preuve qui furent

23 présentés à décharge de la part de ces témoins, concernant cet aspect de

24 sa vie, vont à l'encontre du tableau que l'accusation vous a brossé.

25 Le problème auquel se trouve confrontée l'accusation, selon nous, réside

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1 dans le fait que la version qu'il donne de Goran Jelisic n'a absolument

2 pas le moindre rapport avec la réalité. Et j'aimerais revenir sur un

3 aspect de ce qui s'est passé ici hier ou plutôt sur un point qui a été

4 présenté au cours de ce procès.

5 Sachant comme on le savait quelle serait la nature des éléments de preuve

6 présentés, nous attendions avec le plus grand intérêt de voir comment

7 l'accusation allait contre-attaquer par rapport à l'allégation selon

8 laquelle Goran Jelisic n'était pas seulement l'ami des Musulmans mais

9 qu'il en avait aidé beaucoup. Comment l'accusation allait réagir à cette

10 longue file de Musulmans qui viendraient témoigner en faveur de l'accusé ?

11 D'ailleurs c'est un cas tout à fait exceptionnel. Selon moi, il n'y a pas

12 beaucoup d'accusés qui ont vu défiler comme témoins à décharge un nombre

13 aussi important de membres du groupe ethnique qu'il était allégué avoir

14 agressés. Encore moins y a-t-il eu un nombre aussi important de témoins

15 qui ont accepté de venir déposer en courant des risques pour eux-mêmes, et

16 ce dans l'intérêt de celui que mon collègue de la partie adverse prend un

17 si grand plaisir à appeler le "tueur de masse, Goran Jelisic". C'est un

18 risque que ces témoins prenaient, un risque considérable.

19 La contre-attaque de l'accusation a mis très longtemps à venir mais elle a

20 fini par venir. Le Procureur à l'évidence devait trouver un moyen de

21 comprendre ce que j'ai décrit comme étant cette longue procession de

22 témoins musulmans qui sont venus témoigner de la bienveillance du

23 caractère de Goran Jelisic et de l'aide qu'il a apportée à des Musulmans

24 et à d'autres.

25 En fait, cela montre bien à quel point les arguments de l'accusation sont

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1 devenus faibles sur ce point. Il suffit pour cela d'examiner en détail la

2 nature de cette contre-attaque qui s'est produite au moment où mon

3 collègue, M. Tochilovsky, était debout en train de contre-interroger un

4 témoin. Il a cherché à nous faire penser que la raison pour laquelle

5 Goran Jelisic avait aidé toutes ces personnes résidait dans une soi-disant

6 politique officielle, selon laquelle il convenait d'encourager les

7 Musulmans à partir. De sorte que la population musulmane de Brcko puisse

8 se voir réduite encore davantage.

9 Messieurs les Juges, Monsieur le Président, très franchement, en dehors du

10 fait que l'accusation tentait de nourrir son appel contre le résultat du

11 procès pour génocide, je suis sûr, Messieurs les Juges, que vous allez

12 trouver ces déclarations risibles et ridicules. Rien ne vient à l'appui de

13 ces propositions. Si quelque chose avait existé à cet égard, nous en

14 aurions entendu parler depuis longtemps.

15 Quoi qu'il en soit et quelle que soit la décision que vous prendrez à cet

16 égard, il n'est pas nécessaire de prendre un petit canal pour faire

17 franchir la rivière Drina à telle ou telle personne si cette évasion est

18 une forme d'expression d'une politique officielle. Il y a sans doute des

19 moyens plus simples de mettre en oeuvre la politique officielle. Et si

20 cette politique officielle avait existé, n'aurait-elle pas été

21 transparente aux yeux de ceux que Goran Jelisic a aidés ? Ne serait-il pas

22 apparu à ces personnes que Goran ne les aidait pas par volonté de les

23 aider mais pour simplement mettre en oeuvre une politique sanguinaire de

24 nettoyage ethnique ?

25 Nous affirmons que ce moment de la présentation des arguments de

Page 2772

1 l'accusation a été très révélateur. L’accusation sait bien que l'aide

2 fournie par l’accusé aux Musulmans pendant et après la guerre contredit

3 fondamentalement l’image que l’accusation a dressée de l'accusé. La

4 personne décrite par l'accusé et la personne que nous connaissons de façon

5 différente par le biais des éléments de preuve de la défense sont

6 entièrement contradictoires et nous disons -et c’est un argument crucial-

7 que l’accusation n’a pas fourni le moindre fragment de preuve permettant

8 d’expliquer comment, pendant une très brève période, en mai 1992, cet

9 homme aurait subi un tel revirement dans son caractère.

10 Comment cet homme qui était tout à fait à l'aise avec les Musulmans se

11 serait écarté de ses amis pour aider les Musulmans ? Comment quelqu'un qui

12 a consacré 18 jours à une sauvagerie barbare et brutale contre ces mêmes

13 personnes peut exister ? Un tel argument n'est simplement pas crédible, ni

14 réel. Nous disons que l'accusation, que le portrait dressé par

15 l'accusation de cet homme est un portrait infidèle.

16 Bien entendu, il existe une explication convenable, rationnelle, logique,

17 qui permet d’expliquer pourquoi un homme de cette nature se serait lancé

18 dans les activités auxquelles il s'est consacré. Et il est tout à fait

19 manifeste, lorsqu’on entend ce qu'il dit de lui-même, que l'accusé est

20 véritablement, effectivement dans certaines circonstances, susceptible

21 d'obéir aux pressions.

22 Exécuter des meurtres était une possibilité, au mieux s'il y avait des

23 pressions exercées par autrui. Nous affirmons qu'il y a des explications

24 logiques qui permettent de comprendre pourquoi, dans cette brève période

25 de trois semaines, Goran Jelisic s’est transformé en tueur.

Page 2773

1 Compte tenu de ce que vous avez entendu de lui, l'explication consiste à

2 dire qu'il a agi comme il a agi pas car il en avait l’envie, ou qu’il

3 voulait le faire avec enthousiasme, non parce qu'il était un monstre mais

4 en fait parce que d'autres personnes, des personnes plus âgées, des

5 personnes supérieures à lui, se sont servies de ce jeune homme. Ils l’ont

6 fait en le recrutant, en lui imposant la discipline militaire et policière

7 et en le forçant à le faire. D'ailleurs, l’accusation connaît ces raisons,

8 ces explications logiques et il a dû obéir.

9 Nous disons que l'accusation s'est bien rendu compte que, de ce point de

10 vue, les éléments de preuve présentés par la défense contredisent les

11 arguments présentés par elle.

12 Il faut bien s'occuper du fait que, dès le début de 1992, l’accusé disait

13 à d'autres ce qu'il avait fait. Il disait qu’il avait participé à ces

14 événements sans l'avoir voulu. Les explications du Procureur se déroulent

15 comme suit : l’accusé aurait dit à ses amis qu’il avait été contraint

16 d'exécuter ces meurtres, l'accusé s'est enfui de Brcko. L’accusé s'est

17 inscrit dans un hôpital et a demandé à ses amis de passer des coups de fil

18 menaçants, ou peut-être n’a-t-il fait que parler à l'interlocuteur qu'il

19 avait au bout du fil alors que personne ne se présentait au bout du fil.

20 Il est allé à Belgrade et il a imaginé des coups de fil à ses supérieurs

21 pour se plaindre de ce qu’il était forcé de faire.

22 Il se serait caché temporairement dans une unité militaire, il se serait

23 tiré une balle dans le pied ; tout cela dans le cadre d’un plan calculé,

24 élaboré, soigneusement préparé, destiné à lui permettre de bénéficier de

25 circonstances atténuantes par rapport à ce qu'il avait fait, au cas où

Page 2774

1 quelqu'un un jour créait un Tribunal international devant lequel il serait

2 appelé à répondre de ses actes !

3 Là encore, je vais qualifier cette série de propos comme étant absurdes.

4 La simple idée qu'un homme ayant l'éducation qu'a l'accusé, la simple idée

5 qu'un tel homme pourrait, dans ces circonstances, imaginer un plan de si

6 grande ampleur, un plan de si grande durée pour justifier de ses crimes,

7 cette simple idée est, d’après nous, une idée absurde.

8 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je voudrais maintenant parler

9 de l'accusé et de la façon dont il convient que vous le traitiez.

10 Le premier point que j’aborderai est le suivant : l'accusé, après son

11 arrestation, a été amené devant le Tribunal lors de son audition, de sa

12 comparution initiale ; étant défendu par un autre que moi, il a plaidé non

13 coupable.

14 Par la suite, et après avoir reçu des conseils, il a réfléchi et a plaidé

15 coupable, donc s’est plié au souhait de l'accusation, hormis sur un point.

16 Sauf le respect que nous devons au Tribunal, nous disons que la

17 proposition avancée par l'accusation selon laquelle vous pouvez ne faire

18 aucun cas du plaidoyer de culpabilité dans le cas de cet accusé, nous

19 disons que c’est fondamentalement inéquitable.

20 Nous disons qu'un plaidoyer de culpabilité est une indication de remords

21 et également d'honnêteté et de coopération, et que c'est même le signe le

22 plus important de tous ces éléments.

23 Il a plaidé coupable très tôt dans son procès, et j’ajouterai qu’il a

24 plaidé coupable par rapport à un Acte d'accusation modifié. Pourquoi je

25 mets l'accent là-dessus ? Car, à l’évidence, il y avait un certain nombre

Page 2775

1 de problèmes qui se posaient et qui devaient être réglés entre la défense

2 et l'accusation.

3 Après discussion avec l'accusation, un Acte d'accusation modifié a été

4 émis, et lorsque l'accusé s'est vu demander ce qu'il plaidait par rapport

5 à cet Acte d'accusation modifié, il a prononcé un plaidoyer acceptable

6 pour l’accusation, sauf sur le point du génocide.

7 Or, aujourd'hui, on le blâme de n’avoir pas plaidé coupable dès le premier

8 jour et ce, avec le respect que je dois à l'accusation, ceci est injuste

9 car il y avait un grand nombre de défauts dans l'Acte d'accusation initial

10 qui exigeait d’être corrigé. Et donc, lorsque l’Acte d’accusation modifié,

11 corrigé, a été produit comme je l'ai déjà dit, l'accusé a plaidé coupable

12 dès qu’il a eu connaissance du contenu de cet Acte d’accusation.

13 Le Procureur affirme que cela n'a aucune valeur. Nous invitons les Juges

14 de cette Chambre, avec le respect que nous leur devons, à rejeter avec la

15 plus grande fermeté la proposition de l'accusation. Et il est important

16 d'agir de la sorte, car, à part l’accusé Erdemovic, je crois ne pas me

17 tromper en disant que Goran Jelisic est le seul à avoir plaidé coupable

18 des crimes retenus contre lui par ce Tribunal, ce qui le distingue très

19 clairement des autres accusés Tadic, Aleksovski, Furundzija, les accusés

20 du procès Celebici, ou Ruzindena ou Akayesu, traduits devant d’autres

21 tribunaux, qui tous ont plaidé non coupables et il y a des accusés qui

22 subissent d’autres procès de très longue durée, qui attendent également un

23 jugement ou qui attendent encore de comparaître.

24 Quel est l’effet du plaidoyer de culpabilité de cet accusé ?

25 Indépendamment des affirmations de l'accusation, et même si vous deviez

Page 2776

1 admettre ce que dit l'accusation selon laquelle un tel plaidoyer n'a

2 aucune importance et aucune valeur, la réalité c'est que le Procureur a

3 communiqué à la défense des déclarations préalables de témoins, d'un

4 nombre de personnes beaucoup plus important que les témoins cités dans le

5 cadre du procès pour génocide. Donc, même si l'accusation avait raison

6 dans ce qu'elle dit, il n'en reste pas moins qu'un nombre très important

7 de témoins aurait dû être cité à la barre eu égard aux crimes pour

8 lesquels l'accusé a plaidé coupable. Et ce grand nombre de témoins n'a pas

9 eu besoin de venir à La Haye pour relater les expériences vécues.

10 Et puis, il y a une autre valeur attachée au plaidoyer de culpabilité car

11 il évite des enquêtes très longues, très coûteuses et très difficiles.

12 Chacun sait bien, d'ailleurs cela a été dit au cours de ce procès et

13 d'autres procès, chacun sait bien que lorsqu'un accusé plaide non

14 coupable, cela exige un très grand travail de la part du Procureur pour

15 préparer le procès.

16 Et puis, le troisième argument est le suivant, troisième argument dont

17 l'accusation va sans doute dire que c'est simplement un signe de la

18 volonté de l'accusé de manipuler les gens. Mais le plaidoyer de

19 culpabilité de l'accusé indique son désir, sa volonté de coopérer avec la

20 Chambre de première instance. Comme je l'ai déjà dit, son intention de

21 plaider coupable, il l'a indiquée à un stade très préliminaire des

22 audiences.

23 Ce qui se voit confirmé par le fait que, lors d'une audition par les

24 membres du Bureau du Procureur, il a fait preuve d'une franchise

25 pratiquement, quasi embarrassante en avouant immédiatement les crimes

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1 retenus contre lui, les meurtres commis par lui.

2 Vous pouvez lire le compte rendu de cette audition avec le Bureau du

3 Procureur. On lui dit : "Voici quels sont les chefs. Vous avez tué tel et

4 tel homme.", et immédiatement l'accusé répond : "Oui, je l'ai fait et j'en

5 répondrai." Tout indique la volonté de l'accusé, dans son plaidoyer de

6 culpabilité, de coopérer avec le Tribunal en admettant ce qu'il a fait.

7 Mais bien sûr, cet acte ne peut pas être envisagé seul car vous avez

8 entendu la déposition d'un témoin interrogé à huis clos partiel, qui vous

9 a parlé des événements survenus en 1997. Ce n'était pas un exemple isolé

10 d'un accusé qui se serait trouvé tout d'un coup devant le Tribunal et qui

11 aurait été dépassé par la réalité. Non, quels que soient les aveux de

12 l'accusé, même si l'on affirme que ces aveux sont limités, il a néanmoins

13 avoué des crimes qui se sont déroulés sur une très longue période.

14 Donc lorsque le Procureur cherche à nier à l'accusé le crédit qui lui est

15 dû à juste titre puisqu'il a plaidé coupable -c'est ce que nous disons-,

16 eh bien cette tentative du Procureur est non fondée, selon nous, et nous

17 le lui disons avec le respect que nous lui devons.

18 Et puis, il y a également un élément de politique important à prendre en

19 compte lorsqu'on se penche sur un plaidoyer de culpabilité. Bien entendu,

20 dans certains cas, en dépit de ce plaidoyer de culpabilité, une peine à

21 vie peut être adaptée. Pensons à la jurisprudence récente du Tribunal,

22 l'affaire Jean Kambanda, Premier ministre de son pays, responsable

23 effectivement non seulement de tous les événements survenus et retenus

24 contre lui dans le cadre du génocide, mais responsable également des actes

25 de ses collègues au sein du cabinet, responsable des actes des militaires

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1 et des policiers de son pays.

2 S'il y a quelqu'un, dans un Etat, qui a davantage l'obligation que le chef

3 de l'Etat de protéger la vie de ses citoyens... il est difficile de

4 trouver quelqu'un qui a davantage le devoir de protéger la vie de ses

5 citoyens, de ses concitoyens, que le chef de l'Etat. Et la sentence

6 prononcée dans cette affaire devant le Tribunal du Rwanda devait

7 inévitablement, quelle que soit la coopération fournie par l'accusé,

8 déboucher sur une sentence de peine à vie.

9 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je peux poursuivre mais je

10 pourrai également m'interrompre ici, si vous le souhaitez.

11 M. le Président. - Si cela vous paraît être une césure cohérente pour

12 votre plaidoirie, à ce moment-là je propose de suspendre. Nous sommes

13 d'accord ?

14 M. Greaves (interprétation). - Oui, je peux m'interrompre ici sans

15 difficulté, Monsieur le Président.

16 M. le Président. - Je vous vais vous poser une question. Vous pensez

17 plaider combien de temps ?

18 M. Greaves (interprétation). - Monsieur le Président, vous ne cessez de me

19 poser cette question, je ne peux répondre qu'en disant que nous

20 terminerons à l'heure aujourd'hui.

21 M. le Président. - Je vous pose cette question, non pas pour vous limiter,

22 mais parce que je suis le Président de la formation, et c'est pour

23 l'organisation des travaux. Ne serait-ce d'ailleurs que pour savoir si les

24 interprètes devront faire des heures supplémentaires tout simplement, et

25 pour la fatigue, pour organiser les pauses. Ce n'est pas du tout pour vous

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1 contraindre, je tiens à ce que ce soit bien, bien clair.

2 M. Greaves (interprétation). - En cette occasion précise, je suis tout

3 simplement dans l'incapacité de vous dire combien de temps je parlerai.

4 Contrairement au Procureur, je n'ai que couché sur le papier quelques

5 notes et je développe mon argumentation oralement, donc il est difficile

6 de préciser exactement combien de temps cela durera. Mais j'en terminerai

7 à l'heure.

8 M. le Président. - D'accord. Eh bien, je vous remercie beaucoup, c'était

9 l'indication que j'attendais. Merci beaucoup, Maître Greaves.

10 Donc, nous suspendons pour vingt minutes.

11 (L'audience, suspendue à 16 heures 05, est reprise à 16 heures 30.)

12 M. le Président. – L'audience est reprise. Veuillez vous asseoir,

13 Maître Greaves ?

14 M. Greaves (interprétation). – Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

15 nous en étions arrivés au plaidoyer de culpabilité et à l'encouragement

16 qu'il faut octroyer à un accusé pour qu'il plaide coupable. Je vous ai

17 cité l'exemple d'un cas où, dans des circonstances tout à fait

18 particulières il peut être approprié, bien que cela soit tout à fait

19 exceptionnel, de prononcer une sentence de peine à vie, indépendamment du

20 plaidoyer de culpabilité accepté par l'accusé.

21 Mais en d'autres circonstances, s'il importe d'encourager les plaidoyers

22 de culpabilité, s’il importe d’encourager les aveux et la reddition

23 volontaire des accusés, dans ce cas adresser à un accusé le message selon

24 lequel : "si vous plaidez coupable, cela ne vous fera pas grand bien car

25 le Procureur dira que cela n’a pas d’importance et finalement vous vous

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1 verrez condamné à vie", c’est le contraire de l'encouragement. Donc une

2 peine à vie ne comporte aucun élément d'encouragement, cela n'encourage

3 personne à se rendre volontairement, cela n'encourage personne à faire des

4 aveux, cela n’encourage personne à plaider coupable en présence d’un Acte

5 d’accusation modifié ou non.

6 Et puis, bien entendu, s'agissant de la peine à vie, il y a un autre

7 élément important qui s’applique ou ne s’applique pas à la présente

8 affaire, à savoir que c'est dans le contexte de ce système judiciaire très

9 spécial qu'il convient de se demander si la peine de vie doit en fait être

10 réservée à ceux qui sont coupables des crimes les plus graves. J'ai déjà

11 laissé entendre que je n'avais aucune intention de réduire l’importance

12 des crimes commis par cet homme, et ce que je vais dire à présent ne sera

13 pas dit dans cette intention.

14 Mais s'il existe un barème, une échelle, dans ce cas, il y a deux choses à

15 prendre en compte. D'abord le fait que, sans aucun doute, le génocide se

16 situera à un niveau supérieur du point de vue de la gravité, y compris les

17 crimes avoués par cet homme ; et deuxièmement il est possible que vous

18 acceptiez de considérer, Messieurs les Juges, dans le cadre d’une

19 politique publique judiciaire générale, que les peines à vie doivent être

20 réservées aux accusés les plus coupables, aux accusés qui ont participé de

21 façon la plus centrale à la commission de leurs actes.

22 Je ne vais pas citer de nom, mais il y a des personnes qui doivent encore

23 être arrêtées, qui doivent encore être présentées devant ce Tribunal et

24 c'est à ces personnes que je fais référence car il importe de montrer que

25 leur comportement est particulièrement grave, que leurs actes méritent,

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1 plus que d’autres, de se voir condamnées par la peine la plus importante.

2 Et j’en arrive à présent à la question du remords, un problème ardu sans

3 aucun doute. L'accusation s'est vue contrainte de s'appuyer sur les propos

4 d’une personne qui n'avait pas rencontré l'accusé depuis un an. Et il peut

5 se faire que vous pensiez que le docteur Duits ait finalement été prêt à

6 admettre une certaine évolution, un certain changement de la part de

7 l'accusé, la personne la plus apte, indépendamment du fait que son examen

8 médical s’est déroulé avec l’aide d’une autre personne, la personne la

9 plus apte à vous parler de ce problème, c’est le docteur Van den Bussche.

10 Je ne vais pas revenir longuement sur cet élément de preuve qui nous a été

11 présenté hier, une date récente, car j’imagine que cette déposition est

12 encore très fraîche dans votre mémoire, mais la réalité, d’après la

13 défense, c’est qu'il existe des éléments de preuve dans cette affaire, des

14 éléments de preuve provenant d'un professionnel, de quelqu'un qui connaît

15 bien les meurtriers en série, qui connaît leur comportement, qui est

16 suffisamment capable -c'est lui-même qui vous l'a dit- de ne pas céder aux

17 tentatives de manipulation d'un accusé, de quelqu'un qui est capable de

18 placer à la place qui lui revient cette tentative de manipulation quand il

19 rédige son rapport.

20 Eh bien, je vous rappellerai que cette personne a admis l'existence du

21 remords. Et je vous demande de l'admettre également car la réalité c'est

22 que le docteur Duits n'a pas vu l'accusé depuis un an, ne connaît pas son

23 comportement actuel et n’est donc pas en mesure de se prononcer de façon

24 appropriée sur le comportement de l’accusé. Il ne peut d’ailleurs pas

25 faire de commentaire sur l'opinion du docteur Van den Bussche à cet égard.

Page 2782

1 Et à présent, j'aimerais parler de la coopération. Je me vois contraint

2 d’admettre que, compte tenu des éléments de preuve présentés à cette

3 Chambre, je ne saurais décrire convenablement ces actes qui sont décrits

4 dans les éléments de preuve comme un signe réel de coopération ou comme un

5 signe de coopération importante. Non, je ne peux le faire.

6 Mais ignorer complètement ces actions, dire qu’il ne s’agit d’aucune forme

7 de coopération est injuste.

8 Le fait que l'accusé a apporté une certaine aide au Tribunal, le fait que

9 bien sûr les documents qui lui ont été soumis étaient déjà connus par le

10 Procureur, mais les témoins de l'accusation devraient tenir compte du fait

11 que ce n'est pas la faute de l'accusé si le Procureur connaissait déjà ces

12 documents. L'accusé ne peut pas faire plus que dire ce qu'il sait. Et

13 maintenant, en quelques mots, je voudrais traiter brièvement du rapport de

14 M. McFadden.

15 Là encore, vous estimerez sans doute, Messieurs les Juges, que ce rapport

16 vaut la peine d'être compulsé, en tout cas après l'expérience de l'affaire

17 Tadic, puisque dans l'affaire Tadic, ce même rapport stipulant que

18 l’accusé s’était bien comporté a été pris en compte.

19 Monsieur McFadden est le directeur du quartier pénitentiaire des Nations

20 Unies. Il a donc rédigé son rapport en date du 25 novembre 1999, et

21 indique que ce n'est sans doute pas une surprise que l'accusé s’est

22 généralement comporté de bonne manière, qu’il a manifesté une attitude

23 convenable à l’égard des gardes et des autres détenus, ainsi que de la

24 direction de la prison, malgré quelques accès de violence verbale.

25 Mais compte tenu du temps passé en prison par cet accusé, vous comprendrez

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1 sans doute, Messieurs les Juges, que des éléments existent de temps en

2 temps qui peuvent justifier de telles violences verbales.

3 En tout cas, ce rapport indique que, dans la dernière période, l’accusé

4 s’est beaucoup mieux comporté et je m'appuie sur l’avant-dernier

5 paragraphe de ce rapport qui indique que M. McFadden estime qu’au cours

6 des derniers mois l’accusé a eu un très bon comportement, qu’il a été

7 moins enclin à des comportements erratiques du type de ceux qu'il

8 manifestait au début de sa détention.

9 C’est là un élément très important, je me permettrai de le souligner aux

10 Juges de cette Chambre, car cet élément correspond sans doute aux

11 conclusions du docteur Van den Bussche, selon lesquelles cet homme a

12 changé, selon lesquelles cet homme s'est développé notamment au cours des

13 derniers mois et cela, vous l'estimerez peut-être comme moi, peut venir

14 donc à l’appui des propos tenus par le docteur Van den Bussche.

15 A présent, si vous me le permettez, j'aimerais traiter d’un point que

16 l'accusation a encore une fois estimé que cela n’avait aucune importance,

17 ou en tout cas une importance réduite.

18 Il s'agit des négociations que l'accusé a menées avec un témoin

19 particulier de cette affaire ; je ne tiens pas à rentrer dans les détails

20 compte tenu des circonstances dans lesquelles le témoin en question a

21 déposé devant la Chambre, mais avec le respect que nous devons à cette

22 Chambre, nous estimons que cette déposition est importante pour plusieurs

23 raisons. D’abord car elle indique qu'il existe un schéma constant

24 d'évolution chez l’accusé.

25 Il a d'abord admis l'obligation d'avouer ce qu’il avait fait devant le

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1 Tribunal en plaidant coupable.

2 Et en deuxième lieu, l'accusation cherche à démontrer que l'accusé n’a

3 mené ces négociations que dans le but d'obtenir les plus grands avantages

4 pour lui-même.

5 Ceci, si je puis me permettre de le dire, n’a rien à voir, compte tenu de

6 la réputation de ce Tribunal dans une grande partie de la population de

7 Serbie et de la Republika Srpska, il est peut-être permis de dire que le

8 Tribunal n'est sans doute pas l’institution la plus populaire dans ces

9 deux pays et il est inutile que je donne des motifs à mon affirmation.

10 Mais quoi qu'il en soit, le Tribunal qui juge les crimes de guerre n’est

11 pas l'institution la plus admirée dans cette partie du monde et nous avons

12 entendu un certain nombre de témoins, notamment celui dont je viens de

13 parler, qui a parlé des préoccupations de l’accusé qui craignait être

14 attaqué alors qu'il était en détention dans le quartier pénitentiaire des

15 Nations Unies.

16 Bien sûr, c'est une contrevérité puisque toute personne qui a des contacts

17 avec le quartier pénitentiaire des Nations Unies sait bien que cela est

18 impossible. Mais la réalité c'est qu’en Republika Srpska, et sans aucun

19 doute en Serbie également, les choses sont vues de façon différente et que

20 toute personne résidant dans ces pays, à l'époque, pouvait être la proie

21 de cette propagande et la proie de ces contrevérités. Donc ne connaissant

22 pas la vérité, une personne telle que l'accusé souhaitait exprimer son

23 inquiétude, souhaitait dire : "Si je me rends, j'aimerais être assuré de

24 le faire en toute sécurité, compte tenu de ce que j'ai entendu de la

25 bouche de Serbes au sujet des mauvais traitements infligés au Tribunal."

Page 2785

1 A présent, je voudrais parler des inquiétudes de l'accusé par rapport à sa

2 famille, également mentionnées par ce témoin. Il est particulièrement

3 cruel de la part de l'accusation, -il est permis de le penser- de dire

4 simplement qu'il s'agit d'une négociation sans importance menée par un

5 homme qui prévoit de se rendre. Toute personne qui prévoit de se rendre

6 devant un Tribunal, dans les circonstances dans lesquelles était placé

7 l'accusé, peut normalement souhaiter obtenir quelques assurances.

8 Que le Tribunal pour le témoin en question soit capable de fournir ces

9 assurances, quant à la possibilité de faire quelque chose pour la famille

10 de l'accusé en son absence, est une autre question. Mais l'accusation se

11 rit de l'accusé pour avoir agi de la sorte en affirmant que c'était

12 simplement une tentative de sa part pour obtenir des avantages

13 supplémentaires. La défense estime que c'est une façon très peu généreuse

14 de considérer le comportement de l'accusé et de juger ce qu'il était en

15 train d'essayer de faire.

16 Bien entendu si cet homme voulait se rendre, eh bien il pouvait le faire

17 et le faire directement, mais ça n'est pas toujours comme cela que ça se

18 passe dans le monde réel. En effet, il y a des personnes qui souhaitent

19 d'abord savoir ce qui va leur arriver et pendant combien de temps, comme

20 le témoin vous l'a dit, elles vont devoir rester en prison et quelles

21 seront les conditions : "Est-ce que je serai mal traité si je m'y rends ?

22 Qu'est-ce qui va se passer pour ma famille ?" Voilà en réalité des

23 questions tout à fait justifiables que l'on peut se poser.

24 Et nous concluons que les éléments de preuve portant sur cet aspect de la

25 question nous indiquent que cet accusé, se rendant compte que cette

Page 2786

1 situation se rapprochait de lui et que le filet se resserrait, a, à ce

2 moment-là, tout à fait sincèrement fait tous les efforts nécessaires pour

3 se renseigner sur la position qu'il aurait s'il se rendait et a rencontré

4 trois fois la personne voulue pour pouvoir se rendre dans ces conditions.

5 Mais on pourrait sans doute sous-entendre, suite aux éléments de preuve

6 déposés par le témoin, que ce témoin a donné des informations à d'autres

7 indiquant que l'accusé était tout à fait prêt à se rendre. Et ceci

8 d'ailleurs est apparu clairement. En effet l'accusé se trouvait à Bjelina

9 régulièrement.

10 Dès lors, il n'est pas du tout surprenant que le témoin parte en vacances

11 et que peu de temps après il rentre chez lui ; et avant que l'accusé n'est

12 eu une autre occasion de faire plus que ce qu'il avait déjà fait, il est

13 arrêté et transféré à La Haye.

14 Mais comme je vous l'ai indiqué, il y a une espèce de logique dans son

15 comportement ensuite sur laquelle nous nous reposons et que nous vous

16 demandons de prendre en compte pour dire qu'il s'agit d'un homme qui était

17 déjà intéressé à l'idée de se rendre, sachant ce qu'il allait faire une

18 fois qu'il serait ici et qui a fait exactement cela, c'est-à-dire qu'il a

19 avoué et qu'il a plaidé coupable.

20 Messieurs les Juges prendront certainement en compte, et nous invitons à

21 le faire, l'âge de l'accusé à l'époque des faits et son âge aujourd'hui.

22 Si vous deviez le condamner à vie, ça veut dire qu'il vivrait jusqu'à un

23 âge avancé, et donc cette sentence à vie -vu son âge moyen de vie- cela

24 pourrait durer 50 à 60 ans, ce qui est tout même une durée extrêmement

25 longue.

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1 Et cela ne pourrait se justifier que s'il y avait manifestement et sans

2 aucune ambiguïté des éléments de preuve qui nous indiqueraient que jusqu'à

3 ce qu'il arrive à un très vieil âge et sans doute infirme, il reste un

4 danger pour la société. Il n'existe aucun élément qui aille dans ce sens.

5 L'accusation bien entendu a essayé de présenter les choses dans le sens

6 inverse : si vous n'êtes pas sûrs qu'il n'est pas un danger, il faut

7 l'enfermer et jeter la clef. D'après nous, ce n'est pas comme ça qu'il

8 faut approcher la situation.

9 Il faudrait plutôt procéder ainsi et se poser les trois questions

10 suivantes : y a-t-il des éléments de preuve prouvant qu'il est dangereux ?

11 Y a-t-il des éléments de preuve qui nous indiquent qu'il n'est pas

12 dangereux ? Ou est-ce qu'il n'y a aucune preuve qui aille dans un sens ou

13 dans l'autre ?

14 D'après nos conclusions, il n'y a aucune preuve qui irait au-delà de tout

15 doute raisonnable qu'il est dangereux et qu'il présente un danger pour le

16 public s'il était relâché. Et je suis d'accord également pour dire qu'il

17 n'y a aucun élément prouvant qu'il n'est pas dangereux. Notre position est

18 une position médiane : il n'y a aucun élément de preuve qui aille dans un

19 sens ou dans l'autre.

20 Et Messieurs les Juges pourront sans doute considérer qu'il s'agit de la

21 seule conclusion à tirer suite aux éléments de preuve dont nous disposons

22 de la part des médecins. S'il n'y a donc aucune preuve qui aille dans un

23 sens ou dans l'autre et si on ne peut prouver, comme il faudrait le faire,

24 au-delà de tout doute raisonnable qu'il s'agit d'une personne présentant

25 un danger pour le public, Messieurs les Juges devront trancher cette

Page 2788

1 question en faveur de l'accusé.

2 Et je dirai également, avec tout le respect que je vous dois, au nom de

3 Goran Jelisic que tout simplement il n'y a pas suffisamment d'éléments de

4 preuve qui puissent établir le critère nécessaire pour juger qu'il est

5 dangereux.

6 D'autres questions que vous aurez sans doute envisagées, s'agissant de cet

7 accusé, sont parmi les documents d'ailleurs que vous avez reçus

8 aujourd'hui. Vous avez des preuves qui vous disent et je reviendrai

9 d'ailleurs à l'accusation de malhonnêteté, il n'y a aucune suggestion qui

10 nous indique que dans son passé cet homme ait été coupable d'actes de

11 violence, d'homicides, aucun délit de comportement agressif, aucun délit

12 de comportement raciste ni de désordre public.

13 Dès lors en ce sens, sur ce sens uniquement, c'est un homme qui arrive

14 avec une ardoise tout à fait vierge devant ce Tribunal. Bien entendu, il y

15 a toutes les accusations et condamnations de malhonnêteté et de faux

16 chèques. J'ai déjà traité de ces questions, j'ai déjà fait mes

17 commentaires et je n'estime pas nécessaire de revenir là-dessus ; si ce

18 n'est pour dire que dans le contexte de l'espèce, le vol ou l'abus de

19 chèque de manière malhonnête tombent dans une catégorie de délit tout à

20 fait différente de ceux sur lesquels vous aurez à vous prononcer. Et dès

21 lors, nous concluons avec tout le respect que nous vous devons que dans le

22 contexte de l'instance, cette question ne relève que d'une importance

23 périphérique.

24 J'en viens maintenant à la question des ordres supérieurs et la question

25 étant de savoir si ces ordres étaient réels ou prétendus. Vous vous

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1 souviendrez, je l'espère, d'une déposition importante au cours de laquelle

2 un témoin a décrit comment deux individus, Tasic ? et Karinovic ?, les

3 inspecteurs, étaient les juges de ceux qui devaient mourir ou qui ne

4 devaient pas mourir. C'est important de se souvenir de cela car il est

5 clair que ces deux personnes, ces deux individus ont participé activement

6 à ce centre de détention de Luka, et ont participé de près au processus de

7 décision de la sélection de ceux qui devaient être tués. Il se peut très

8 bien que vous accepterez qu'ils ont également participé à la décision de

9 catégories de personnes qui devaient être liquidées.

10 Le rang est important. Et c'est tout à fait clair dans tout ce que nous

11 connaissons de l'ex-Yougoslavie. Les rangs, les grades politiques,

12 militaires, de police sont pris très au sérieux. Il y a une chaîne de

13 commandement très claire qui existait dans ces pays. C'étaient des gens

14 qui étaient des supérieurs par rapport à l'accusé, et il y a des éléments

15 de l'accusation -et non pas de la défense- qui nous indiquent que

16 c'étaient des personnes qui étaient responsables de certains choix.

17 On peut en déduire que le fait de donner des ordres à d'autres, y compris

18 M. Jelisic, ordres suivant lesquels telle ou telle personne devait être

19 abattue, nous en concluons que l'accusation a présenté des arguments par

20 rapport à l'accusé en disant qu'il était un tueur enthousiaste, mais un

21 tueur qui décidait lui-même qui il devait tuer n'est pas fondé.

22 Prenons un exemple. Nous avons entendu hier de la bouche d'un témoin que

23 l'accusation a appelé pour corroborer -bien que ce ne soit pas

24 nécessaire-, pour corroborer les preuves apportées par un autre témoin, en

25 réalité ils ont dit ceci. Pour ce qui est des détails importants, et non

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1 pas les détails mineurs, donc pour ce qui est des questions importantes,

2 les récits de ces deux témoins sont contradictoires. Nous pensons que nous

3 ne pouvons pas concilier les récits de l'un avec les récits de l'autre.

4 Les deux récits ne peuvent être véridiques.

5 Et si c'est vrai, et c'est ce que nous pensons avec tout le respect, si

6 c'est vrai donc, alors en fin de compte on ne peut pas savoir lequel des

7 deux dit la vérité. Et la seule conclusion valable que l'on est en droit

8 de tirer suite à cet état de choses est que cette preuve devrait être

9 rejetée dans sa totalité.

10 Je donnerai seulement un exemple. Bien entendu, l'accusation vous a dit

11 que chacun de ses témoins était tout à fait sincère à tout moment et

12 qu'ils comptaient sur leurs témoins, disant que ceci prouve ceci ou prouve

13 cela, et que l'accusé était donc un tueur enthousiaste et docile.

14 Je ne vais pas revenir à un examen ligne par ligne de tous les éléments de

15 preuve. Cependant, ce que je vous dirai, c'est que l'accusation a tout

16 simplement ignoré le fait que pas mal des récits qui nous ont été donnés

17 par les témoins étaient, encore une fois au niveau des détails importants,

18 incohérents avec les récits qu'ils avaient fournis à des occasions

19 précédentes. Ce qui est important.

20 Que ce soit auprès des cours ou des polices, ou de la police de sécurité,

21 les gens sont appelés pour donner un récit et lorsqu'ils signent en bas de

22 leur déclaration, ils attestent qu'il s'agit d'une représentation

23 véridique des événements et ils l'ont fait à des époques rapprochées des

24 événements. Puis ils se présentent devant ce Tribunal et ils expliquent ce

25 qu’il s'est passé ; et au niveau des faits importants, des détails

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1 importants, nous entendons qu'il y a contradiction par rapport au récit

2 qu'ils ont donné précédemment.

3 Alors, quelle est l'importance de ce fait ? Les déclarations précédentes

4 nous permettent d'estimer l'honnêteté ou la fiabilité, ou l'exactitude

5 d'un témoin. Et en utilisant ces documents, il est dès lors important et

6 nécessaire de les regarder et de voir ce qui s'y trouve. Et nous nous

7 rendons compte qu'il ne s'agit pas de différences mineures, il s'agit de

8 différences fondamentales qui ne peuvent pas être conciliées ou

9 réconciliées les unes avec les autres.

10 La seule conclusion que l'on puisse tirer de ce degré d'incohérence est,

11 soit que le témoin n'est pas précis ni fiable -et si un témoin n'est ni

12 fiable ni précis, nous ne pouvons pas compter sur lui-, ou alors, pire

13 encore, il se peut que ce témoin ait volontairement été malhonnête. Et si

14 ce témoin n'est pas digne de foi, il ne serait que justifié et nécessaire

15 que de rejeter cet élément de preuve.

16 L'accusation doit apporter des éléments qui iront au-delà du moindre doute

17 et doit également... Quand nous mettons le doigt sur ces incohérences,

18 nous pensons qu'il y a maintenant un doute raisonnable et que, dès lors,

19 s'il y a un doute raisonnable par rapport aux dépositions de ces témoins,

20 il n'est qu'adéquat et nécessaire de rejeter ces éléments de preuve.

21 Messieurs les Juges, nous avons fait cela à plusieurs occasions. Il ne

22 s'agit pas ici de personnes qui sont devant la police de sécurité et qui

23 n'ont pas l'aide de leur conseil. Il faut voir ce qu'ils ont dit et,

24 fréquemment, c'est vrai qu'il existe parfois des divergences entre les

25 termes utilisés dans les diverses déclarations, mais très fréquemment ces

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1 personnes s'assoient ici et disent que "nous confirmons la véracité de ce

2 qui est dans la déclaration". Et très fréquemment on se rend compte qu'il

3 n'y a pas de référence à Goran Jelisic, ou si référence il y a, ce n'est

4 qu'une référence mineure.

5 Et si Goran Jelisic était ce meurtrier en série enthousiaste que

6 l'accusation nous a décrit, il serait raisonnable alors de s'attendre à ce

7 que ces déclarations qui ont été faites fin 1992 ou début 1993 confirment

8 cette description. Il est assez curieux de remarquer que, quelques années

9 plus tard, lorsque ces témoins viennent ici déposer devant le Procureur,

10 la question a quelque peu changé.

11 Et d'un seul coup, dans la déclaration d'un individu et d'après les

12 éléments qu'il a présentés devant ce Tribunal, tout d'un coup M. Jelisic

13 est vraiment sous les feux de la rampe, alors que précédemment ce n'était

14 pas une personne de grande importance. C'est donc une question importante.

15 Pourquoi se fait-il que, d'un seul coup, le témoin change radicalement de

16 position ?

17 Il y a là une explication. C'est parce que, pour une raison quelconque et

18 ce n'est pas à la défense de démontrer cette raison, le témoin a décidé

19 d'exagérer ou d'être malhonnête par rapport à sa description de la

20 conduite de Jelisic. Et nous rappelons à M. les Juges toutes les occasions

21 au cours desquelles les témoins se sont avéré s'être écartés dans leur

22 déposition par rapport aux déclarations qu'ils avaient fait précédemment,

23 au début des années 90, concernant les événements qu'ils avaient observés.

24 J'en viens maintenant, ou je reviens plus exactement, à l'état mental de

25 l'accusé. Je ne vais pas suggérer que la situation n'est pas que

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1 M. Jelisic souffre en effet de certains problèmes qui sont décrits dans

2 les rapports d'expertise qui vous ont été fournis. Je ne pourrais pas me

3 permettre de m'écarter de ces conclusions.

4 Mais je voudrais simplement vous rappeler ceci. Tout d'abord, le docteur

5 Van den Bussche vous a présenté le fait qu'il avait pu observer quelque

6 progrès chez cet homme. Et si c'est vrai, alors on pourrait sans doute

7 faire d'autres expertises, et cet homme pourrait recevoir un traitement

8 approprié pour pouvoir améliorer encore le développement dont il fait

9 l'objet.

10 On a fait référence à sa conduite au cours du procès, et là aussi

11 l'accusation l'a blâmé. C'est une question, disaient-ils, qui donnait un

12 mauvais effet de sa personnalité. Cependant je suis sûr que M. les Juges

13 auront pu remarquer qu'au cours de toute la période de son procès, cet

14 homme a présenté des risques de suicide. Il a été d'ailleurs surveillé

15 dans sa cellule, dans le quartier de détention, et donc c'est un homme qui

16 a souffert d'angoisse, de stress, tout au long de ce procès. Et à

17 certaines époques, cela s'est manifesté de diverses manières. Bien

18 entendu, c'est assez irritant pour nous, irritant pour les Juges, irritant

19 pour chacun lorsqu'il dit qu'il veut sortir, qu'il ne peut pas rester,

20 c'est assez irritant, c'est vrai.

21 Mais je crois qu'il faut également faire preuve de tolérance. On a comparé

22 la souffrance qu'il ressent à la souffrance de ses victimes. C'est assez

23 facile à faire, mais cela me paraît tout de même peu élégant. Le fait est

24 qu'il subit son procès, c'est quelque chose de stressant. Il faisait

25 l'objet d'un des chefs d'accusation les plus graves jusqu'à il y a peu et

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1 il était clair qu'à l'époque il pouvait subir une condamnation des plus

2 graves suite à ce chef d'accusation, à ce chef d'accusation. Ce qui fait

3 que tout homme, même d'une constitution robuste, vivrait certainement pas

4 mal de stress lorsqu'il subit son procès et qu'il doit être confronté aux

5 conséquences de ce type d'accusation. Je crois dès lors qu'il faut faire

6 preuve de tolérance à son endroit.

7 Bien. Je voudrais maintenant très brièvement revenir à un certain nombre

8 de notes que j'ai prises au cours de la pause déjeuner concernant les

9 documents qui vous ont été présentés. Je vais faire ça rapidement parce

10 que mes notes sont assez brèves.

11 Au paragraphe 1, page 1, nous pensons que les propos qui s'y trouvent ne

12 sont pas conformes aux éléments de preuve de l'accusé concernant son état

13 mental avant, pendant et après la guerre. Par contre, nous sommes d'accord

14 avec la première partie du paragraphe 2, les quatre premières lignes en

15 tout cas. C'est vrai que le fait qu'il a plaidé coupable et qu'il n'a pas

16 demandé le moyen de défense de la responsabilité limitée et la contrainte,

17 il doit dès lors être traité comme un homme majeur et pleinement

18 responsable, ce qui ne veut pas dire que ces difficultés mentales et toute

19 pression exercée sur lui ne puissent pas être prises en compte. Ce n'est

20 pas possible.

21 Paragraphe 3, nous estimons avec respect qu'un appel à l'instinct humain

22 ne trouve pas sa place dans une juridiction. C'est un appel à vos émotions

23 et à l'instinct, ce qui n'est pas approprié, surtout dans un Tribunal

24 composé, comme vous avez le plaisir de me le rappeler souvent, de Juges

25 professionnels et éminents.

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1 Paragraphes 5 et 6, je me passerai de commentaires puisque nous en

2 reparlerons ensuite au paragraphe 7 et suivant.

3 Le paragraphe 7, je crois déjà en avoir parlé. J'estime qu'il s'agit d'une

4 suggestion assez absurde suite à ce que nous connaissons à propos de cet

5 accusé.

6 Le 8, on a parlé des témoins de la défense de manière critique qui ne

7 s'étaient pas préoccupés de savoir ce qu'il en était de ces enquêtes et ce

8 que l'accusé avait reconnu. Cela me paraît fort peu réaliste. Imaginez

9 simplement que vous soyez confronté à quelqu'un que vous connaissez depuis

10 pas mal d'années, qui vient devant vous et qui dit : "Ecoutez, je viens de

11 commettre toute une série de crimes." Si ce n'est que, lorsque quelqu'un

12 vous dit : "Je viens de perdre ma femme ou mon mari", on reste déjà sans

13 mots rien que dans une situation pareille. Alors, imaginez, dans cet autre

14 cas de figure, que pourrons-nous répondre ? Imaginez donc ce type de

15 conversation que vous auriez avec quelqu'un qui se présenterait à vous

16 avec un tel aveu !

17 Il n'est dès lors pas tellement surprenant de se rendre compte que les

18 personnes que vous avez vues, qui sont sans doute moins éduquées que vous,

19 trouvent particulièrement difficile de se voir confrontées à ce genre de

20 propos. Et surtout ceux qui étaient au courant de rumeurs selon lesquelles

21 l'accusé tuait des Musulmans et qu'ils étaient Musulmans eux-mêmes. Ils se

22 trouvaient dans une situation particulièrement difficile. Il n'est dès

23 lors pas surprenant qu'ils n'aient pas pu mener leur enquête ou leurs

24 renseignements plus loin.

25 Il y a un autre aspect, un aspect qui ne nous vient pas à l'esprit

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1 immédiatement. Souvenez-vous simplement de l'atmosphère dans cette partie

2 du monde à l'époque : savoir, c'était dangereux. Si quelqu'un savait que

3 vous saviez qu'il avait participé à des meurtres, il avait dès lors des

4 motifs qui pouvaient justifier qu'il vous fasse du tort. Donc poser trop

5 de questions n'était peut-être pas une très bonne idée.

6 Vous vous seriez mis dans une situation où vous auriez eu connaissance de

7 choses que d'autres n'avaient pas tellement intérêt à ce que vous les

8 répandiez autour de vous.

9 En ce qui concerne le paragraphe 9, je crois déjà en avoir traité. Et nous

10 estimons que ce n'est pas une approche que MM. les Juges devraient suivre.

11 Paragraphe 10, il est inévitable que, parmi les amis de l'accusé, certains

12 ne connaissent pas tous les détails de ce qu’il se passait dans son

13 ménage. Bien entendu, c'est vrai, c'est évident ! Alors, accuser le témoin

14 et puis dire que leur témoignage est d'une moindre valeur parce qu'ils ne

15 connaissaient pas ces faits, eh bien nous estimons que ce n'est pas une

16 remarque valable.

17 Ensuite, l'accusation critique ses amis qui n'étaient pas au courant de

18 son comportement. Eh bien, je crois ne pas devoir commenter plus avant, ce

19 n'est sans doute pas le genre de choses que vous racontez à vos meilleurs

20 amis s'il s'agit de personnes dignes et honnêtes. Il y a un de ces amis

21 qui a avoué ce qu'il avait fait avec cet argent, mais nous estimons qu'il

22 est relativement peu probable qu'il puisse dire : "Vous savez, cette

23 nouvelle voiture que je viens d'acheter, eh bien c'est le résultat de mes

24 activités criminelles" !. Cela ne me paraît pas être très réaliste.

25 Le témoin DR, je suis au paragraphe 12, est une mauvaise représentation de

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1 ce qu'elle a dit. Cette femme a dit deux choses : elle a dit d'une part

2 qu'il ne s'agit pas simplement de la question de son enfant qui

3 accompagnerait seul un étranger total, mais elle a dit qu'un autre enfant

4 avait accompagné l'accusé.

5 Deuxièmement, elle vous a dit également -donc il y avait l'idée d'emmener

6 l'enfant en vacances, l'accusé est parti et revenu une semaine plus tard-,

7 et pendant ce temps-là on a le temps de réfléchir. Réfléchissez dès lors à

8 l'accusé. Et moi je conclus qu'il s'agissait sans doute d'une chose sûre,

9 elle était musulmane, elle est musulmane. Elle est venue ici en prenant

10 des risques pour elle-même : si on sait qu'elle a témoigné pour l'accusé,

11 elle encourait un risque. Le ferait-elle si ce n'était pas vrai ? Et le

12 ferait-elle s'il y avait eu des mobiles peu avouables derrière ce qu'elle

13 a fait ? Nous estimons que les mobiles qu'on lui a en tout cas attribués

14 étaient peu valable.

15 Paragraphe 13, lorsque l'accusation a l'occasion de profiter de ouï-dire,

16 elle le fait. Par contre, lorsque la défense présente des éléments de

17 preuve par ouï-dire, ce qui est recevable devant Tribunal et si c'est

18 justifié, je veux dire si c'est justifié tel que cela a été envisagé par

19 la décision qui a été prise dans l'affaire Tadic concernant la

20 recevabilité d'éléments de preuve par ouï-dire, donc lorsqu'il y a bonne

21 justification l'accusation nous dit malgré tout qu'il ne faut pas en tenir

22 compte.

23 Et je vous prie, Messieurs les Juges, comme vous l'avez dit d'ailleurs

24 très clairement, que ce type d'éléments de preuve est recevable. C'est une

25 question que vous trancherez vous-mêmes quant à savoir si cet élément de

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1 preuve est fiable et quelle est l'importance que nous devons lui accorder.

2 Il n'en reste pas moins qu'un grand nombre de témoins à décharge sont

3 venus et ont dit : "Voilà ce que nous avons entendu." Bien entendu,

4 l'accusation a fait appel à toute une série de témoins qui ont dit

5 également ce qu'ils avaient entendu, des personnes qui sont encore

6 vivantes. Donc les mêmes critiques peuvent être adressées. Je me souviens

7 d'une liste que nous avons examinée, et l'on pourrait sans doute critiquer

8 de la même manière l'approche adoptée par l'accusation.

9 Si pour eux, cela convient de présenter des éléments de preuve par oui-

10 dire, la même chose va s'appliquer à nous. Dès lors, je vous demande de

11 tenir compte de ces éléments, s'ils sont fiables, prenez-les en compte.

12 Paragraphe 15. Ici, c'est la deuxième manière dont l'accusation essaie de

13 traiter de la question assez difficile de l'aide accordée par l'accusé à

14 des Musulmans. La deuxième ficelle qu'ils tirent est de se dire : "Ah oui,

15 mais il s'agit de l'accusé ici qui essaie d'assumer un rôle de héros. Il

16 ne le fait pas par remords ou suite à sa culpabilité, mais pour se donner

17 une meilleure image de lui-même."

18 Est-ce qu'il aurait pu éventuellement agir ainsi par amitié ? Après tout,

19 pas mal de ces personnes qu'il a aidées étaient ses amis d'avant la

20 guerre. A chaque occasion, on fait chaque fois appel à des motifs les plus

21 sombres dès lors qu'il s'agit d'un acte d'amitié. Alors, je ne crois pas

22 avoir besoin de revenir sur les détails du nombre de personnes qui ont

23 dit : "Cet accusé m'a aidé même s'il encourait des risques. Cet accusé a

24 aidé des membres de ma famille malgré les risques et je sais également

25 qu'il a aidé d'autres personnes qui n'étaient pas ses amis."

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1 Est-ce qu'il s'agit simplement ici de se donner une bonne image de soi ou

2 s'agirait-il plutôt de quelqu'un qui agit par amitié, amitié qu'il avait

3 formée il y a longtemps ? Et dès lors il s'agit de comportement tout à

4 fait normal. Peut-être qu'en partie il l'a fait à la lumière de ce qu'il

5 avait fait précédemment et qu'il essayait de corriger les choses, c'est

6 peut-être une partie de l'explication. Mais dire tout simplement qu'il

7 s'agissait simplement de se donner une bonne image de soi me paraît un

8 petit peu exagéré.

9 Paragraphe 16, le Procureur se plaint du fait que les témoins de la

10 défense n'ont pas parlé de son comportement après la guerre. Là encore,

11 nous disons que c'est une manière faussée de présenter la réalité. Que

12 dire par exemple du témoin qui a décrit de quelle façon un grand nombre de

13 membres de sa famille a reçu l'aide de l'accusé pour s'enfuir de cette

14 région après la guerre ? Et ce témoin finalement est arrivé dans un pays

15 européen, si je ne m'abuse.

16 Je dis cela pour montrer qu'il n'existe aucun élément de preuve selon

17 l'accusation traitant de son comportement après la guerre. Et ceci est une

18 inexactitude puisqu'il en existe au moins un. Le Procureur poursuit un

19 objectif en parlant ainsi, même s'il n'est pas très clair. Il tente de

20 sous-entendre certaines choses quant à ce que l'accusé aurait fait jusqu'à

21 son arrestation en 1998. Mais sur la base des dires de l'accusation, ce

22 serait un tort que de tirer des conclusions sur ce point dans un sens ou

23 dans l'autre.

24 J'ai déjà dit que l'accusé réfléchissait à la possibilité de rendre.

25 L'accusation estime qu'il n'y a aucun élément de preuve à l'appui du fait

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1 qu'il était supervisé par des personnes dans cette ville. Nous vous

2 demandons de rejeter ces propos, tout simplement car nous disons que tous

3 les éléments de preuve montrent qu'il a participé à des négociations

4 significatives et importantes au sujet de sa reddition.

5 Paragraphe 19, une affirmation est faite agrémentée du mot "peut-être".

6 Quelqu'un aurait donc eu de l'argent, tiré peut-être d'activité illégale,

7 trafic de voitures ou autres activités de marché noir. Cette affirmation

8 n'est prouvée par rien. Il est tout à fait clair que l'accusé avait accès

9 à des documents d'identité falsifiés. Et vous vous rappellerez d'ailleurs,

10 des dépositions ont été faites ici selon lesquelles il a aidé des

11 Musulmans à obtenir de faux papiers. Donc la défense affirme que ce n'est

12 pas là l'argument le plus valable pour le Procureur dans cette affaire.

13 Et enfin dans le même paragraphe, le Procureur affirme que tous ces

14 éléments de preuve indiquent que l'accusé ne courrait aucun danger de

15 liquidation de la part des autorités. C'est peut-être une conclusion

16 appropriée mais, bien entendu, le danger existant à l'époque n'existe plus

17 depuis longtemps.

18 Et le stress et l'angoisse réels qu'il était possible de ressentir à cet

19 égard doivent être renvoyés en 1993, à l'époque où ces événements étaient

20 encore récents, à l'époque où certaines personnes craignaient encore de

21 voir dans l'accusé quelqu'un qui risquait de divulguer des choses qu'elles

22 ne souhaitaient pas voir divulguées à des tiers. Peut-être devrait-on se

23 replacer dans le contexte de l'époque qui rend les choses un peu moins

24 aisées.

25 Les aveux au cours des entretiens avec les membres du Bureau du Procureur,

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1 paragraphe 22. L'accusé est blâmé pour avoir refusé que l'on explore son

2 esprit en rapport avec la question du génocide. Cela me surprend

3 considérablement. J'aurais pensé que puisque l'accusé n'a jamais accepté

4 la culpabilité vis-à-vis du génocide, il a été acquitté sur ce chef, et

5 puisque le Règlement stipule que l'accusé a le droit de ne pas s'exprimer

6 sur tel ou tel sujet s'il en décide ainsi, eh bien s'il refuse de

7 s'exprimer quant à son état d'esprit vis-à-vis du génocide, il ne fait

8 rien d'autre qu'exercer son droit, droit qu'il lui est garanti en vertu

9 des articles 20 et 21 du Règlement de procédure et de preuve.

10 Donc j'invite les Juges de cette Chambre à ne pas tenir compte de cet

11 argument qui n'a pas sa place dans ce réquisitoire.

12 J'ai déjà parlé de la coopération, j'ai admis que l'accusé effectivement

13 ne s'était pas rendu de son plein gré, j'ai proféré un certain nombre

14 d'observations à ce sujet. Un commentaire est formulé en page 9,

15 paragraphe 23 (d), quant au fait que l'accusé aurait limité le nombre de

16 sujets sur lesquels il était prêt à s'exprimer.

17 Cela peut être justifié par toute sorte de raisons dont certaines sont

18 peut-être sans valeur, mais d'autres peut-être assez valables. Par

19 exemple, il est fort possible que l'accusé ait été particulièrement

20 sensible au sujet d'une personne en particulier dont il ne souhaitait pas

21 parler parce que cette personne représente un danger pour lui. Qui sait ?

22 En tout cas, j'estime que cet argument ne doit pas être pris en compte par

23 les Juges de cette Chambre.

24 Paragraphes 26 et 27, j'en ai déjà traité longuement. Il s'agit du

25 plaidoyer de culpabilité prononcé par l'accusé. Et je ne vais pas revenir

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1 sur ce terrain dont j'ai déjà traité, sauf en ce qui concerne le

2 paragraphe 30 où l'on trouve une observation du Procureur selon lequel

3 l'accusé aurait avoué très peu en dehors de ce qui était déjà établi. Mais

4 il est possible, bien entendu, de penser que ce qui a été établi est

5 exactement et complètement ce qu’il s'est produit.

6 Le Procureur affirme que l'accusé a également refusé de répondre sur les

7 points difficiles, les points les plus importants et là je répète que

8 c'est le droit de l'accusé de refuser de répondre à des questions, c'est

9 un droit qui lui est garanti par le Règlement.

10 Et je pense que les Juges de cette Chambre ne devraient pas spéculer sur

11 les mobiles qui l'ont animé au moment de refuser de répondre car il

12 s'agirait uniquement de spéculation.

13 L'accusé est blâmé, encore une fois, pour le fait que son plaidoyer de

14 culpabilité n'aurait pas une grande valeur eu égard à l'objectif de

15 réconciliation.

16 Il appartient aux Juges d'en juger. Bien entendu si l'on pense au procès

17 Jean Kambanda, cet argument pourrait avoir son importance, mais l'accusé

18 qui est ici dans le prétoire n'est pas un premier ministre, il n'est pas

19 membre d'un cabinet ministériel, il n'est pas membre d'une présidence de

20 guerre, il n'est pas un conseiller local, il n'est pas un général de

21 l'armée, il est simplement quelqu'un qui s'est trouvé au mauvais endroit à

22 un moment particulièrement sensible.

23 Donc sa volonté de plaider coupable peut constituer un exemple pour

24 d'autres et si ce plaidoyer est considéré comme un exemple par d'autres,

25 comme je l'ai déjà dit lorsque j'ai parlé d'encouragements à d'autres, si

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1 d'autres se présentent devant le Tribunal en voyant que l'on obtient un

2 avantage en plaidant coupable, en voyant que le plaidoyer de culpabilité

3 est traité comme il se doit, eh bien dans ce cas ce processus, à lui seul,

4 va contribuer à la réconciliation nationale.

5 Si les autres accusés regardent ce que vous faites, Messieurs les Juges,

6 s'ils voient dans vos actions pas seulement le signe d'une politique mais

7 un encouragement accordé à un plaidoyer de culpabilité, il est fort

8 possible qu'ils se sentent encouragés à se présenter devant le Tribunal,

9 et le sous produit de cela peut s’avérer être un encouragement, une

10 contribution favorable dans le sens de la réconciliation nationale.

11 J'ai déjà traité du comportement de l'accusé au cours du procès, je ne

12 vais pas y revenir.

13 Mais je vous invite à vous pencher sur la page 16 en version anglaise du

14 texte, Messieurs les Juges, où l'on traite du problème des ordres

15 provenant de supérieurs.

16 Bien entendu, il peut survenir dans certains cas que le fait que quelqu'un

17 se trouve au bas d'une filière de commandement, si je puis m'exprimer

18 ainsi, tout en bas de l'échelle, c'est-à-dire un simple soldat ou un

19 simple policier, il est possible que ce simple fait ne suffise pas à

20 empêcher que cette personne se voit condamnée à une peine très longue.

21 Chaque affaire, chaque exemple, chaque action doit être jugé sur le fond.

22 Et le problème envisagé ici dans le détail, avec de très nombreuses

23 références dans ce paragraphe, peut être considéré par les Juges de cette

24 Chambre comme n'étant pas tout à fait au même niveau que l'importance de

25 l'affaire dont nous traitons ici globalement aujourd'hui, les procès dont

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1 il est question dans ce paragraphe.

2 Paragraphe 40, il est suggéré que l'accusé souhaitait cacher un certain

3 nombre de choses aux enquêteurs et aux experts qui l'ont interrogé. Le

4 Procureur ne dit pas savoir très clairement ce que l'accusé a fait, en

5 tout cas, n'a présenté aucun élément de preuve à l'appui de ses dires sur

6 ce point particulier.

7 Paragraphe 49 à présent, où il est question d'un comportement

8 discriminatoire. Bien sûr, l'existence d'un mobile racial ou raciste, pour

9 justifier un crime, est dans de nombreux systèmes judiciaires considéré

10 comme un facteur d'aggravation de la peine, s'il est pris en compte en

11 tant que tel. Et dans notre monde moderne, c'est un fait qui est admis un

12 peu partout, je ne remets pas cela en cause en tant que point de départ de

13 la réflexion.

14 Mais s'agissant du comportement de l'accusé, j'ai déjà dit aux Juges de

15 cette Chambre, et je l'ai fait longuement que les témoins de l'accusation

16 n'étaient pas tous fiables, que leurs propos n'étaient pas acceptables,

17 qu'ils ne concordaient pas avec le fait que Goran Jelisic ami des

18 Musulmans, qui a aidé des Musulmans, ait eu le comportement qu'il a eu et

19 ce de façon durable.

20 Donc nous vous disons que la proposition présentée ici doit être rejetée

21 par les Juges de cette Chambre et ne doit pas être prise en considération

22 dans l'affaire qui nous intéresse.

23 Au paragraphe 52, on nous parle une nouvelle fois de la fabrication de

24 toute pièce des témoignages des témoins à décharge considérée comme une

25 circonstance aggravante.

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1 Eh bien, si vous, Messieurs les Juges, pensez que tous ces témoins sont

2 venus ici en étant les dupes de l'accusé, qu'ils sont venus ici sur

3 manipulation de la part de l'accusé, il peut survenir que vous souhaitiez

4 donner des conséquences à votre conviction.

5 Mais nous disons pour notre part, avec le respect que nous devons au

6 Tribunal, que c'est un jugement erroné au sujet de l'accusé, que ces

7 personnes sont des personnes ordinaires, qui connaissaient simplement

8 l'accusé, qu'il y a des choses que l'accusé ne leur a pas dit, qu'ils ne

9 savaient donc pas au sujet de l'accusé, mais qu'ils ont dit : "Tout ce que

10 je peux vous dire, c'est qu'il était l'ami des Musulmans et qu'il les a

11 aidés", c'est pour cela qu'ils sont venus s'exprimer ici. Etaient-ils

12 malhonnêtes, ont-ils essayé de jeter un nuage devant les yeux des Juges de

13 cette Chambre ? Je crois le contraire, car s'ils connaissaient la réalité

14 des risques qui les menaçaient, dans ce cas les risques auraient été

15 importants.

16 Or la réalité c'est que la plupart des témoins de la défense prennent un

17 risque en venant ici ; j'admets même que les témoins de l'accusation

18 acceptent un tel risque également. C'est le risque que subit toute

19 personne quand elle vient déposer ici et qu'elle habite à Brcko ou

20 Bjelina, en tout cas quand elle vient déposer en faveur de celui que le

21 Procureur appelle un tueur de masse.

22 Imaginez quelle popularité serait celle de quelqu'un au sein de la

23 communauté musulmane, s'il était de notoriété publique qu'il était venu

24 apporter réconfort et soutien à l'accusé Goran Jelisic ! Il est facile de

25 penser qu'au contraire d'un avantage cette personne serait en grand

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1 danger.

2 Donc la suggestion selon laquelle il y a eu manipulation de ces témoins,

3 d'après la défense, est simplement une proposition sans fondement.

4 Et je parlerai maintenant de la gravité du crime ou de l'infraction. Bien

5 entendu, j'espère que tout ce que j'ai dit jusqu'à présent indique que

6 nous sommes tout à fait d'accord pour penser que priver quelqu'un de la

7 vie est un délit grave. C'est toujours quelque chose de très grave,

8 quelque chose qui a des conséquences graves également pour les membres de

9 la famille, pour les proches, pour les amis et pour la communauté dans

10 laquelle l'auteur d'un tel acte réside.

11 Et Goran Jelisic a à répondre de ses actes graves, il l'a admis, il

12 l'admet d'ailleurs depuis pas mal de temps.

13 Mais ce qu'il reste tout de même à faire c'est, en tout cas du point de

14 vue de la défense, examiner avec le plus grand soin s'il a réellement été

15 établi que l'accusé présent ici a changé en 90 jours pour devenir du jeune

16 homme ordinaire qu'il était au départ un tueur assoiffé de sang comme le

17 dit le Procureur et comme il vous invite à le penser.

18 S'il y à le moindre doute à ce sujet, et nous disons que ce doute existe,

19 alors il convient pour le moins d'employer des termes un peu moins fort

20 que ceux utilisés par le Procureur sur ce point, et nous disons que ce

21 serait la bonne attitude à adopter.

22 Paragraphe 54, je viens de relire la décision Tadic sur la sentence, la

23 nuit dernière, et j'ai eu grand intérêt à découvrir au cours de cette

24 lecture qu'effectivement il y a une différence quantitative entre un crime

25 de guerre et un crime contre l'humanité.

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1 S'agissant de la deuxième décision portant sentence rendue il y a à peine

2 une dizaine de jours, et s'agissant des chefs d'accusation de crime de

3 guerre qui sont considérés comme des chefs d’accusation moins importants

4 que les chefs d'accusation de crime contre l'humanité, car la sentence

5 dans un cas est de 24 ans et dans l'autre de 25 ans, eh bien j’en conclus,

6 avec mes talents mathématiques limités, que la différence entre ces deux

7 catégories de crimes se résume à 4 % du point de vue de la durée de la

8 peine, donc c’est une différence minime.

9 Je vous invite, Messieurs les Juges, à lire avec le plus grand soin l’avis

10 différent du Juge Robinson dans l'affaire Tadic.

11 Nous sommes d'accord avec cet avis distinct qui établit très clairement,

12 comme nous le disons nous-mêmes, que s'il y a une différence utile entre

13 crime de guerre et crime contre l'humanité, cette différence est

14 artificielle et que donc dans la réalité, d’après ce que nous disons, elle

15 n’existe pas.

16 En effet, passez quelques instants à voir de quelle façon les gens sont

17 mis en accusation devant ce Tribunal ; en général, ils sont mis en

18 accusation pour trois sortes de délits différents : crime contre

19 l’humanité, infractions graves aux conventions de Genève ou violation des

20 lois aux coutumes de la guerre.

21 Mais le crime que l'accusé aurait prétendument commis, l'acte pour lequel

22 le Procureur cherche à obtenir une condamnation contre l'accusé, cet acte

23 est un seul et même acte, c'est un meurtre et il serait un peu artificiel

24 de condamner quelqu'un de façons différentes en vertu d’une simple

25 étiquette que l'on place sur tel ou tel crime. Nous disons que l'étiquette

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1 n'a pas d'importance et ne doit pas être prise en compte par les Juges,

2 mais que les Juges doivent se pencher quand ils prononceront la sentence

3 sur la réalité du crime. Car se fonder sur l'étiquette serait une attitude

4 artificielle.

5 Et si l’on prend connaissance de la récente décision Tadic, cette attitude

6 artificielle aurait pour simple résultat d’établir une distinction de 4 %

7 d'un an dans la durée de la peine, entre une peine prononcée pour crime

8 contre l’humanité et une peine prononcée pour crime de guerre. Nous

9 invitons les Juges de cette Chambre à considérer, comme nous le

10 considérons nous-mêmes, que cette distinction artificielle va tomber dans

11 les oubliettes de l’histoire très bientôt.

12 Paragraphe 56, il y est question de l'extermination, terme utilisé dans ce

13 paragraphe que nous regrettons de voir figurer dans ce texte. En effet,

14 l'accusé a été acquitté pour génocide et n’est pas accusé de persécution.

15 Donc il est erroné de vous inviter à considérer un schéma d’extermination

16 qui va bien au-delà des crimes que vous avez à juger.

17 Le paragraphe 57 : j'ai déjà traité du point qui est évoqué dans ce

18 paragraphe.

19 Et le paragraphe que je voudrais maintenant considérer avec vous,

20 Messieurs les Juges, est le paragraphe 63. Permettez-moi de jeter un coup

21 d’œil à mes notes. Les propositions que l'on trouve dans ce paragraphe

22 concernant la pratique générale des tribunaux de l’ex-Yougoslavie,

23 s'agissant des peines prononcées, ne me posent aucun problème. Car en tout

24 état de cause, elle n'est pas contraignante pour le Tribunal pénal

25 international où vous siégez aujourd’hui.

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1 Il s'agit simplement de la jurisprudence existant à ce jour et j’espère

2 pouvoir vous aider, Messieurs les Juges, en vous apportant quelques

3 détails supplémentaires au sujet de la pratique des tribunaux de Bosnie-

4 Herzégovine, eu égard aux peines prononcées.

5 J'ai réussi à trouver des détails au sujet de quatre procès ; je n'ai pas

6 les rapports juridiques relatifs à ces procès car j'attendais l'aide d'un

7 collègue de Sarajevo qui devait m'envoyer des informations plus récentes

8 sur ces points et qui ne l'a pas encore fait. Mais je peux vous parler,

9 Messieurs les Juges, de quatre procès.

10 En 1995, si je ne m'abuse, un certain Dragan Opacic a été condamné de

11 crime de guerre contre la population civile, en vertu de l’article 142 du

12 Code pénal de la RSFY, Code pénal qui était encore en vigueur en Bosnie-

13 Herzégovine à l’époque.

14 Il a été condamné pour vingt-trois meurtres commis avec armes à feu et de

15 deux autres homicides, ainsi que de dix viols, ainsi que d'une série

16 d'infractions consistant en mauvais traitements infligés à des

17 prisonniers. En effet, il avait été fait état d’un garde dans un camp. Il

18 avait été condamné à dix ans dans une prison pour jeunes, ce qui est la

19 peine maximale, si j’ai bien compris, qu’il est possible de prononcer

20 contre un jeune homme de son âge, car il s’agissait d'un jeune homme.

21 Donc, c'est l'explication des dix ans, je crois avoir compris qu'il avait

22 entre 16 et 18 ans à l'époque de sa condamnation.

23 Le deuxième procès implique un certain Veselin Cancar. J’ai le numéro du

24 jugement. Si vous souhaitez des informations complémentaires, il s’agit du

25 numéro du KM11/95. Veselin Cancar, jugement K186/96, a été condamné pour

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1 crime de guerre contre la population civile, toujours en vertu de

2 l’article 142 du Code pénal : il avait été un gardien d'un camp à Foca, il

3 a été condamné pour détention illégale et mauvais traitements physiques et

4 psychologiques imposés aux détenus coupables d'un meurtre, ainsi que de

5 blessures infligées à une autre personne. Au départ, il a été condamné à

6 onze ans, mais finalement la Cour suprême a réduit sa peine à neuf ans

7 d'emprisonnement.

8 L'affaire suivante, celle de Milan Hrvacevic, le numéro du jugement est

9 K112/96 : toujours en vertu de l’article 142 du Code pénal de la RSFY,

10 condamné pour crime de guerre avec l’intention de détruire des

11 installations civiles de grande importance et de grande valeur, à hauteur

12 de 1 million de deutsche marks, condamné à 15 ans d'emprisonnement en

13 première instance, et à 12 ans en appel. Il est possible d'ailleurs que

14 cette affaire n’ait pas grande similitude avec l’affaire qui nous

15 intéresse ici.

16 Et puis dernière affaire, la quatrième, le jugement K14/93, Borislav Herak

17 et Svetko Damjanovic qui ont été convaincus de génocide en vertu de

18 l’article 141, de crime de guerre contre la population civile en vertu de

19 l’article 142, et de crime de guerre en vertu de l’article 144 du Code

20 pénal de l’ex-Yougoslavie.

21 Herak avait tué quarante civils. Il a d'abord été condamné à mort et par

22 la suite, en appel, sa peine a été réduite à vingt ans d'emprisonnement.

23 Celui qui m'a donné ces informations ne m'a pas dit en fait ce qu'il était

24 advenu du deuxième accusé, mais les circonstances ne devaient être guère

25 différentes. Voilà les informations que je tenais à vous fournir eu égard

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1 à ces quatre jugements.

2 Mon collègue a fait une remarque au sujet de la cohérence des sentences.

3 En général, je suis d'accord sur ce point mais j’ajouterai qu'il convient

4 qu'il y ait cohérence des peines prononcées, non seulement eu égard aux

5 peines prononcées devant ce Tribunal mais puisqu'il s'agit d'affaires

6 relatives à l’ex-Yougoslavie, il faudrait également qu'il y ait cohérence

7 avec les peines prononcées suite à ce conflit en Yougoslavie.

8 S'il devait advenir que des peines très différentes soient prononcées ici

9 par rapport aux peines prononcées en ex-Yougoslavie, cela permettrait de

10 penser qu'il y a un certain degré d'inéquité. En effet, si quelqu'un se

11 présente ici et est condamné plus gravement ici qu'à Sarajevo, il est

12 permis de penser qu'il serait préférable de se présenter devant un

13 tribunal de Sarajevo.

14 Donc oui, il doit y avoir cohérence, mais il doit y avoir cohérence

15 globale et pas seulement cohérence interne dans les peines prononcées par

16 ce Tribunal international ou par tous les tribunaux internationaux.

17 Je tiens compte de l'heure, Monsieur le Président, et je me presse autant

18 que faire se peut pour en arriver au terme de ma plaidoirie.

19 Dans ce contexte de la cohérence des peines, je n'ai pas l'intention de

20 vous infliger, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, le détail de

21 toutes les décisions rendues par ce Tribunal en matière de sentence. Ce

22 sont des points que vous pourrez compulser dans le confort de votre salle

23 de délibérations, si je puis me permettre cette expression et vous êtes

24 des habitués de ce genre d'exercice puisque certains d'entre vous ont déjà

25 eu à prononcer des peines dans ce Tribunal.

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1 Mais s'il importait de prendre en compte l'ensemble des faits et

2 l'ensemble des éléments qui ont déjà intéressé les Juges de ce Tribunal,

3 il serait permis de parler de jurisprudence, qui permet de tirer une

4 conclusion quant à l'importance de la peine qu'il convient de prononcer.

5 Il peut être utile que je rappelle aux Juges de cette Chambre certaines

6 autres affaires qui n'ont aucun rapport avec ce Tribunal.

7 Un certain nombre d'affaires ont déjà été jugées par le Tribunal du

8 Rwanda. Bien entendu, chacun des procès jugés par le Tribunal du Rwanda

9 implique des crimes de persécution, de génocide, crime contre l'humanité

10 et crime de guerre également.

11 Je vous ai déjà parlé de l'affaire Jean Kambanda et j'ai déjà dit que

12 c'était peut-être un procès singulier, un procès qui sort de la norme.

13 Vous serez peut-être d'accord, Messieurs les Juges, pour dire que

14 l'affaire Kambanda ne peut sans doute pas servir de référence à l'affaire

15 qui nous intéresse.

16 L'affaire Kayishema et Ruzindena.

17 Kayishema, un procès complet, quatre chefs de génocide y étaient jugés et

18 ont donné lieu à condamnation. Le préfet de Kabuje au Rwanda, qui disait

19 avoir obéi à des ordres, a été condamné à une peine de prison à vie. Et

20 chacun ici sait bien que la réalité du génocide dans ce procès, comme dans

21 pratiquement tous les procès jugés, eu égard au Rwanda, sont des affaires

22 de génocide impliquant un très très grand nombre de victimes.

23 Contrairement à cela, le co-accusé dans ce même procès, Ruzindena, jugé

24 entièrement également et n'ayant pas plaidé coupable, a été condamné sur

25 un chef de génocide. En quelques mots, je dirai qu'il avait tué des

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1 milliers de Tutsis et qu'il avait participé personnellement à un meurtre.

2 Donc je vous rappelle que le procès est arrivé à son terme et que la peine

3 prononcée a été de 25 ans.

4 Akayesu, condamné pour une série de crimes : extermination, meurtre, crime

5 contre l'humanité, torture, viol, actes inhumains, procès complet ; il

6 avait été le maire de sa commune et selon le jugement il a participé

7 personnellement à seize meurtres au moins, condamnés à la prison à vie.

8 Et j'en arrive enfin à l'affaire Saracagu ? Je me permettrai, Messieurs

9 les Juges, de commenter ce jugement qui permet de s'interroger sur la

10 jurisprudence en matière de sentence, mais également en matière de

11 circonstances atténuantes puisqu'elles étaient présentes dans ce procès,

12 et puis elle nous intéresse au titre de ce que mon collègue de la partie

13 adverse dirait les éléments intéressants à prendre en compte.

14 Cet accusé s'est rendu, a plaidé coupable pour génocide, meurtre,

15 extermination, torture, il a donc plaidé coupable je le répète. Il y a eu

16 à l'évidence une coopération importante fournie par cet accusé au cours de

17 son procès. Donc si l'on essaye une comparaison non artificielle, on

18 constate que, d'une part il y a plaidoyer de culpabilité par rapport à des

19 délits qui, à première vue sont plus importants qu'un simple meurtre

20 puisqu'il s'agit de génocide et d'extermination, d'autre part il y a

21 coopération importante fournie par l'accusé au Procureur.

22 Et compte tenu de toutes ces circonstances, sans oublier, Messieurs les

23 Juges, ce que je vous ai déjà dit, à savoir que les crimes jugés au Rwanda

24 concernent des centaines de milliers de victimes, eh bien la sentence

25 considérée adaptée à l'issue de ce procès a été une sentence de 15 ans

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1 d'emprisonnement.

2 J'ai déjà dit et je le répète que nous n'avons nullement l'intention

3 d'inviter les Juges de cette Chambre ou de dire aux Juges de cette

4 Chambre, qu'un nombre "x" d'années d'emprisonnement serait la peine la

5 plus adaptée à l'issue de ce procès.

6 Je ne m'exprimerai pas ainsi :

7 - premièrement, parce que je pense qu'il n'est pas bon pour la défense de

8 stipuler un nombre d'années déterminé en parlant de la sentence, sauf à

9 dire que la sentence qui s'applique est une peine d'emprisonnement, mais

10 je n'ai aucune intention de vous engager à prononcer une peine d'un nombre

11 déterminé d'années.

12 - et deuxièmement, je ne le ferai pas car si je le faisais la défense

13 deviendrait l'otage de la chance, si l'on tient compte des possibilités

14 d'appel.

15 Donc je n'agirai pas de la sorte.

16 Mais ce que je veux faire, et ce que je vais faire, c'est signaler aux

17 Juges de cette Chambre des éléments de jurisprudence qui peut-être sont

18 plus actuels que la jurisprudence de Nuremberg invoquée par le Procureur

19 dans ces réquisitions.

20 Je vais donc signaler ces éléments aux Juges de cette Chambre en leur

21 disant : essayons de rechercher un élément d'uniformité, un élément de

22 cohérence entre les peines prononcées notamment par les deux tribunaux

23 chargés de juger les auteurs d'infractions graves ou d'atteintes graves au

24 droit humanitaire international.

25 Et, Messieurs les Juges, je conclurai sur le point suivant. J'ai dit que

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1 je n'avais pas l'intention du tout d'amoindrir l'importance des crimes

2 commis par l'accusé.

3 Il sait que ces crimes sont graves, il sait qu'une sentence sera prononcée

4 suite à ces meurtres et il accepte cela, je peux vous le dire, Messieurs

5 les Juges, je n'ai pas besoin de le prouver. Il est tout à fait clair,

6 suite à ce qu'il nous a dit, qu'il accepte que la sentence ne sera pas

7 courte et nous ne suggérons pas non plus qu'une sentence courte doive

8 s'appliquer en l'espèce.

9 Mais suite à tous les éléments que je viens de vous présenter, je prie

10 maintenant, Messieurs les Juges, de suivre le raisonnement que je vous ai

11 présenté, et même si les crimes étaient horribles, et il suffit d'ailleurs

12 de voir les photographies qui vous ont été présentées pour vous convaincre

13 de la gravité des crimes, mais quelle que soit leur gravité nous n'avons

14 pas de véritable raison pour supprimer toute possibilité d'avenir à cet

15 homme qui a encore une longue vie devant lui, et que dès lors la démarche

16 à suivre est celle que je vous ai recommandée, à savoir de se pencher sur

17 d'autres jurisprudences d'autres affaires et d'essayer que cette affaire

18 corresponde au barème appliqué à ces autres affaires, et dès lors

19 prononcer une sentence qui lui donne l'espoir d'une lumière au bout du

20 tunnel, et qui n'annihile pas l'esprit de l'homme.

21 Voilà ce que j'avais à vous dire au nom de Goran Jelisic.

22 M. le Président. - Je vous remercie, Maître Greaves.

23 Je pense que ni l'accusation ni la défense n'ont le sentiment que le

24 Tribunal ou la présente Chambre les a perturbés dans le cours complet du

25 développement de leurs arguments.

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1 A présent, je vais donc prononcer la clôture des débats du procès intenté

2 contre Goran Jelisic et vous dire que la sentence, en tout cas la décision

3 sera rendue entre le 10 et le 15 décembre prochain.

4 L'audience est levée.

5 L'audience est levée à 17 heures 50.

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