Page 23468
1 Le mardi 24 janvier 2012
2 [Audience publique]
3 [L'accusé est introduit dans le prétoire]
4 --- L'audience est ouverte à 9 heures 04.
5 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bonjour à toutes et à tous. A moins
6 qu'il y ait des questions à soulever, nous pouvons commencer. Je souhaite,
7 pour ma part, rendre une ordonnance à huis clos partiel.
8 Oui, avant cela, Maître Robinson.
9 M. ROBINSON : [interprétation] Oui, bonjour, Monsieur le Président. Bonjour
10 à toutes et à tous. Monsieur le Président, nous souhaiterions qu'une pause
11 nous soit accordée après l'interrogatoire principal. C'est très tard hier
12 que M. Karadzic a reçu des documents et ces documents lui ont été remis
13 après la fin de la journée d'audience, et nous souhaiterions pouvoir
14 examiner ces documents avant le début du contre-interrogatoire.
15 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, Madame West.
16 Mme WEST : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Bonjour. J'ai
17 pu ce matin avoir un petit échange avec le témoin qui ne se sent pas très
18 bien. Donc cela l'arrangerait et, également, elle m'a demandé si elle
19 pouvait avoir une petite pause avant l'interrogatoire -- le contre-
20 interrogatoire.
21 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Alors vous pensez à quelle longueur de
22 pause -- d'interruption, Maître Robinson ?
23 M. ROBINSON : [interprétation] Je pense qu'une pause régulière de 30
24 minutes serait suffisante.
25 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Madame West, est-ce que cela
26 conviendrait au témoin ?
27 Mme WEST : [interprétation] Je suppose que oui, mais peut-être que nous
28 pourrions avoir cela à la fin de l'interrogatoire principal.
Page 23469
1 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie.
2 Est-ce que nous pouvons passer à huis clos partiel brièvement, s'il
3 vous plaît ?
4 [Audience à huis clos partiel]
5 (expurgé)
6 (expurgé)
7 (expurgé)
8 (expurgé)
9 (expurgé)
10 (expurgé)
11 (expurgé)
12 (expurgé)
13 (expurgé)
14 (expurgé)
15 (expurgé)
16 (expurgé)
17 (expurgé)
18 (expurgé)
19 (expurgé)
20 (expurgé)
21 (expurgé)
22 (expurgé)
23 (expurgé)
24 (expurgé)
25 (expurgé)
26 (expurgé)
27 (expurgé)
28 (expurgé)
Page 23470
1 (expurgé)
2 (expurgé)
3 (expurgé)
4 (expurgé)
5 (expurgé)
6 (expurgé)
7 (expurgé)
8 (expurgé)
9 (expurgé)
10 (expurgé)
11 (expurgé)
12 (expurgé)
13 (expurgé)
14 (expurgé)
15 (expurgé)
16 (expurgé)
17 (expurgé)
18 (expurgé)
19 [Audience publique]
20 M. LE JUGE KWON : [interprétation] La Chambre se propose de rendre une
21 ordonnance sur l'admissibilité de la pièce à conviction D203 [comme
22 interprété] qui n'a reçu qu'une cote à titre d'identification pour
23 l'instant. Le Juge Baird rendrait l'ordonnance de la Chambre.
24 M. LE JUGE BAIRD : [interprétation] Pendant le contre-interrogatoire du
25 Témoin Paul Groenewegen, l'Accusation [comme interprété] a demandé de
26 verser au dossier les pages 1 et 3 d'un article de journaux de Zagreb ainsi
27 -- et a demandé que deux -- les deux pages soient -- ces deux pages
28 faisaient partie d'un entretien que le témoin a accordé aux journalistes.
Page 23471
1 Mme West s'est opposée au versement de ces deux pages en estimant que le
2 témoin n'a pas -- ne s'est -- ne s'est pas exprimé de la manière exacte --
3 n'a pas utilisé ces mêmes propos que les propos qui ont été publiés dans
4 l'article. Elle a estimé qu'en fait ses propos ont été complètement
5 déformés. La -- cet article n'était plus fiable à son avis. Elle n'estimait
6 pas qu'il pouvait être versé pour sa teneur.
7 Elle a estimé que, même si le témoin avait déposé au -- en affirmant
8 que cet incident s'était produit, il ne se serait pas produit de la manière
9 dont cela a été représenté dans l'article. Donc ces documents ne seraient
10 pas fiables, à moins que le journaliste ne vienne et ne dépose pour
11 préciser ce que le témoin aurait dit dans sa déposition.
12 Me Robinson a estimé que le témoin avait eu un entretien avec le
13 journaliste sur les sujets dont parlait l'article et que ce serait plutôt
14 une question de poids qui se poserait quant à savoir si le -- la
15 journaliste avait effectivement repris les propos exacts du témoin ou si
16 elle les avait déformés.
17 La Chambre a estimé qu'elle a entendu les deux parties sur la
18 question.
19 La Chambre [comme interprété] rappelle les pages 22080 -- 22988 à
20 22099 [comme interprété] du compte rendu d'audience à -- je cite :
21 "A partir de nos postes d'observations, nous avons vu avec notre
22 équipement de vision nocturne que les Musulmans quittaient l'enclave
23 essentiellement pour se livrer la contrebande, mais également pour
24 combattre. Le lendemain, ils en ont parlé. Ils ont dit comment ils ont
25 coupé les gorges des Chetniks. Ces gars étaient sous l'emprise de la
26 cocaïne. Je l'ai vu -- je l'ai compris vu que je viens de Rotterdam."
27 L'Accusation [comme interprété] a par la suite demandé au témoin
28 comment il était en mesure de nous en parler. Il semblait qu'ils avaient
Page 23472
1 l'équipement leur permettant de voir les sorties des Musulmans, leur
2 infiltration sur le territoire serbe de nuit et ils ont entendu se vanter
3 comment ils ont coupé les gorges des Chetniks.
4 Le témoin a répondu sur deux -- à deux niveaux. Le témoin était
5 d'accord avec l'accusé en déclarant : "Vous avez -- vous avez absolument
6 raison" et ces mots sont soulignés, et effectivement, le -- c'est moi qui
7 les mets en exergue. Ensuite, il a continué en disant qu'il ne s'était pas
8 exprimé exactement verbatim de cette manière-là et que ses propos ont été
9 déformés. Par la suite, on lui a parlé de cet incident comme faisant partie
10 d'un rapport qui concernerait une exécution alléguée d'un soldat musulman
11 par un Serbe premier -- en première page et l'accusé lui a demandé s'il
12 avait effectivement dit à la journaliste ou bien si c'était elle qui
13 l'avait inventé. Il a répondu, je cite : "Eh bien, bien sûr que cela n'est
14 pas vrai que -- qu'elle l'a inventé -- elle -- elle inventé." Encore, ces
15 termes sont soulignés et c'est moi qui souligne. Donc il a fini par dire
16 qu'il ne pourrait pas confirmer ce récit tel qu'il a été formulé.
17 Le témoin parfois a dit qu'il ne se souvenait pas du nom de la
18 journaliste. Il a dit que -- et du fait qu'elle faisait son reportage
19 depuis Zagreb, mais qu'effectivement, il a -- qu'il -- qu'il était en
20 mesure de le relire et de vérifier.
21 Pour -- en répondant aux questions du Président, il a déposé que ce qu'il
22 avait dit à la journaliste par rapport à l'incident, allégué qui l'aurait
23 vu depuis son poste d'observation, correspondait à ce qu'il avait déclaré
24 précédemment. Egalement, l'information au sujet de la contrebande alléguée
25 et l'attaque depuis l'intérieur de l'enclave vers l'extérieur, c'est
26 quelque chose qu'ils ont reçu effectivement, mais il n'a jamais, il ne
27 s'est jamais exprimé comme cela est représenté dans l'article. Donc le
28 journaliste aurait modifié son nom jusqu'à ce qu'elle ait entendu
Page 23473
1 qu'effectivement il aurait vu.
2 Alors le journaliste a déposé en disant qu'il n'avait pas vu
3 l'article dans la presse néerlandaise mais que l'article dans la presse
4 néerlandaise ne faisait pas partie des documents dont on demandait le
5 versement. Donc on ne s'y penche pas.
6 La Chambre a examiné les éléments reçus. Elle considère qu'effectivement, à
7 aucun moment, le témoin ne conteste pas qu'il ait accordé cet entretien à
8 la journaliste, et qu'il ait parlé de ce sujet avec le journaliste, donc du
9 sujet dont parlent ces deux pages d'article dans l'entretien. Par ailleurs
10 à aucun moment, le témoin n'a pas rejeté la substance de cet article, mais
11 j'insiste qu'il s'agisse bien de la substance. Il me semble, il apparaît à
12 la Chambre que la difficulté et la préoccupation donc aux yeux du témoin
13 concerne la formulation qui a été employée, les termes qui ont été employés
14 par le journaliste -- la journaliste, donc dans les deux articles. Je
15 souligne qu'à la page 2296, il est question d'un entretien qui aurait été
16 donné par sergent --
17 L'INTERPRÈTE : Non inaudible.
18 M. LE JUGE BAIRD : [interprétation] -- et dans un autre -- à un autre
19 endroit, dans l'autre publication, il est question de combattant, du
20 sergent --
21 L'INTERPRÈTE : Non inaudible.
22 M. LE JUGE BAIRD : [interprétation] -- qui aurait commenté donc sur ces
23 combattants musulmans et l'assassinat de Serbes.
24 L'accusé a demandé : "Est-ce que cela est conforme à ce qu'il avait
25 dit au journaliste." Il a répondu qu'il y avait des traits communs mais il
26 a affirmé que c'est quelque chose qu'il a reçu de seconde main, des ouï-
27 dire.
28 Compte tenu de témoignage qui figure en page 22988 [comme interprété]
Page 23474
1 jusqu'à 2291 [comme interprété] du compte rendu d'audience, la Chambre
2 n'aurait pas tendance à accepter l'affirmation que ces deux pages ne
3 pourraient pas être reçue au dossier qu'à partir du moment où la
4 journaliste qui les a publiées pourrait être cité en tant que témoin.
5 La Chambre estime que nous avons effectivement reçu un fondement
6 approprié pour pouvoir verser ces documents au dossier. Par conséquent,
7 nous ne pensons pas que la journaliste doit être citée à comparaître, et la
8 Chambre par conséquent, donne droit au versement, donc accorde le versement
9 de ces deux pages, et cette décision a été prise à la majorité des Juges.
10 Le Juge Kwon a une opinion dissidente.
11 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Juge
12 Baird.
13 Citons le témoin suivant, s'il vous plaît, Madame West.
14 Mme WEST : [interprétation] Je vous remercie. Nous allons citer Mirsada
15 Malagic.
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Vous n'allez pas demander de versement
17 de pièces associées, au titre de l'article 92 ter.
18 Mme WEST : [interprétation] Non, il n'y en a pas, Monsieur le Président.
19 Comme vous le savez, il y a eu un changement de statut de ce témoin qui
20 était un témoin 92 bis. Donc j'allais lui poser quelques questions au sujet
21 de sa déposition dans l'affaire Krstic.
22 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Très bien. Nous avons admis plusieurs
23 pièces associées dans la décision concernée.
24 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
25 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bonjour, Madame.
26 LE TÉMOIN : [interprétation] Bonjour.
27 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous invite à prononcer la
28 déclaration solennelle.
Page 23475
1 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la
2 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
3 LE TÉMOIN : MIRSADA MALAGIC [Assermentée]
4 [Le témoin répond par l'interprète]
5 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie, Madame Malagic.
6 Veuillez vous asseoir.
7 Merci. Madame West.
8 Interrogatoire principal par Mme West :
9 Q. [interprétation] Bonjour, Madame.
10 R. Bonjour.
11 Q. Comment vous appelez-vous ?
12 R. Mirsada Malagic.
13 Q. Où vivez-vous maintenant ?
14 R. En ce moment, je vis à Vogosca. C'est une municipalité qui fait partie
15 de Sarajevo.
16 Q. Madame, pouvez-vous confirmer que vous avez eu l'occasion de réécouter
17 votre déposition donnée dans l'affaire Krstic, et que cette déposition, cet
18 enregistrement reflète de manière exacte ce que vous avez dit à la Chambre
19 ?
20 R. Oui.
21 Q. Si l'on vous posait ces mêmes questions aujourd'hui, dans ce prétoire,
22 est-ce que vous répondriez de la même façon ?
23 R. Oui.
24 Mme WEST : [interprétation] Monsieur le Président, la déposition dans
25 l'affaire Krstic, nous l'avons déjà dit, est déjà versée au dossier sous la
26 cote P00356. Il n'y a pas de pièces associées. Il y avait une pièce
27 associée qui en fait a entre-temps été versée par le biais d'un autre
28 témoin.
Page 23476
1 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie.
2 Mme WEST : [interprétation] Je me propose de donner lecture d'un bref
3 résumé.
4 Le témoin est né à Potocari, en 1959. En 1992, elle vivait dans un petit
5 village sur la rivière Drina, près de Bratunac. Elle y vivait avec son mari
6 et ses trois fils. Elle a été forcée à quitter son village en mai 1992.
7 Entre 1992 et 1995, elle a vécu dans plusieurs autres villages y compris à
8 Srebrenica avec ses proches et avec ses parents moins proches. Pendant
9 cette période, ils ont connu des pénuries qu'ont connues tous les réfugiés
10 vivant dans l'enclave, en particulier il n'y avait jamais suffisamment de
11 nourriture pour pouvoir nourrir cette localité qui a reçu énormément de
12 réfugiés.
13 Le témoin est parti pour Potocari, le 11 juillet 1995. Son mari et deux de
14 ses fils aînés ainsi que son frère ont décidé d'essayer d'atteindre Tuzla,
15 à pied, passant par les bois. Ils avaient peur de ce qu'il allait leur
16 arriver entre les mains des Serbes de Bosnie, si jamais ils devaient tomber
17 entre leurs mains. Avant de partir, le témoin a été blessé par un éclat
18 d'obus pendant les bombardements serbes de l'enclave. Il a été difficile
19 pour elle de se rendre à Potocari, pour elle et pour d'autres réfugiés à
20 cause des bombardements incessants. Le témoin a été également enceinte à
21 l'époque.
22 Lorsqu'elle est arrivée à Potocari avec son fils cadet, son beau-père, la
23 base était déjà remplie de monde. Elle a pu se mettre à l'abri dans une
24 usine, elle y est restée jusqu'à ce qu'elle quitte Potocari. Pendant la
25 soirée du 12, elle a vu beaucoup d'hommes qui ont été emmenés. Elle a
26 entendu des cris provenant des maisons se situant derrière cette usine de
27 zinc.
28 Le 13, elle-même, son fils et son beau-père sont approchés des autocars
Page 23477
1 pour être évacués. Son beau-père a été séparé par l'armée serbe de Bosnie.
2 Elle l'a vu emmené dans la cour de la "maison blanche," où il a déposé son
3 sac par terre avant de s'engager vers la maison. Le témoin et son fils
4 cadet ont été évacués. Elle n'a plus jamais revu son mari ni ses deux
5 autres fils.
6 Q. Madame, d'après ce que j'ai compris, vous ne vous sentez pas très bien.
7 Si vous avez besoin d'une pause, n'hésitez pas à nous le dire. Mais
8 j'aimerais que vous sachiez d'ores et déjà que nous aurons une petite pause
9 après mes questions.
10 Madame, où êtes-vous née ?
11 R. Je suis née, le 10 janvier 1959, à Potocari, municipalité de
12 Srebrenica.
13 Q. En avril 1992, où viviez-vous ?
14 R. En avril 1992, je vivais dans le village de Voljavica, à trois
15 kilomètres de Bratunac. C'est une localité près de la rivière Drina. C'est
16 là que nous avions notre maison familiale et une propriété. C'est là que je
17 vivais avec mon mari et mes trois fils.
18 Q. A un moment donné en mai, est-ce que l'on vous a dit de quitter votre
19 maison ?
20 R. Oui.
21 Q. Qui vous a dit de partir ?
22 R. Le 11 mai, des représentants du peuple serbe sont venus. C'est comme ça
23 qu'ils se sont présentés. Ils sont venus de Pobrdje car la localité devant
24 la mienne, en direction de Voljevci, c'était Pobrdje. C'était la même
25 commune locale que Voljevci. Ils se sont adressés aux gens dans Voljavica,
26 en disant qu'on ne pouvait plus rester là et qu'avant de partir, il fallait
27 qu'on se rende à la mairie de Pobrdje pour signer que c'était de plein gré
28 qu'on allait abandonner nos biens, nos maisons et qu'on n'allait plus
Page 23478
1 jamais revenir là-bas et qu'ils allaient nous évacuer par autocars pour
2 Kladanj. Ils nous ont expliqué qu'ils ne pouvaient plus nous protéger face
3 à leurs paramilitaires, les hommes à Arkan, à Seselj et les autres
4 paramilitaires qu'ils n'ont pas précisé, et ils ne pouvaient plus nous
5 garantir la sécurité. C'était ça la raison pour laquelle il fallait qu'on
6 parte.
7 Q. Qu'avez-vous fait suite à cette information ?
8 R. Moi-même, mon mari, les enfants, le père et la mère de mon mari,
9 d'autres parents de même que la plupart des habitants du village avons
10 décidé de ne pas signer de documents sur ce sujet. Nous avons décidé de ne
11 pas nous rendre et de ne pas nous rendre dans la rue, comme cela avait été
12 demandé, pour qu'ils puissent nous transporter. Nous avons décidé
13 simplement de quitter nos foyers et de nous diriger vers les bois -- ou
14 plutôt, de nous diriger vers les villages en direction de Srebrenica.
15 Le 12 mai, en fait -- ou d'ici au 12 mai, nous n'avions pas dormi dans nos
16 maisons et -- depuis environ une dizaine de jours. Donc je m'étais rendue
17 dans ma maison au début de soirée pour aller chercher des vêtements et des
18 couvertures, peut-être, pour pouvoir être en mesure de protéger nos enfants
19 s'ils avaient froid. Nous n'avions aucune idée de notre destination finale,
20 comment nous allons nous y rendre, si nous serions ou non en mesure
21 d'atteindre un village ou non. Personne ne le savait.
22 Cette nuit-là, nous avons quitté le village aux environs de 8 heures
23 et nous sommes arrivés après plusieurs heures au premier village. Il
24 s'appelait Bojici, un petit hameau. Il y avait déjà un groupe important de
25 personnes qui s'étaient rassemblées dans ce village. Etant donné qu'il
26 faisait déjà sombre, nous ne savions pas si nous pouvions poursuivre notre
27 route. Nous ne connaissions pas notre chemin et il y a un habitant local
28 qui nous a proposé de nous mener en direction -- en direction de Brezovica,
Page 23479
1 parce que nous étions entourés de toutes parts de villages serbes. Il y
2 avait partout des endroits où ils avaient érigé leurs barricades alors que
3 nous étions encore dans nos maisons. Donc, à 1 heure 30 du matin, nous
4 avons poursuivi notre route. Toutes les personnes qui sont restées et qui
5 ont décidé de partir à 3 heures 30, parce que c'était le résultat d'un
6 accord que nous avions conclu ce soir-là, n'ont pas -- ne sont pas arrivés
7 à destination, n'ont pas eu le temps. Nous, nous avons réussi à aller à
8 Brezovica alors que les autres ont été attaqués. Ils ont été cernés par les
9 soldats serbes. Je ne sais pas si c'était des soldats, des réservistes ou
10 autres mais, en tout cas, ils ont été habillés. Ensuite, on les a menés à
11 la route à partir de laquelle ils ont été évacués. Je ne sais pas ce qu'il
12 est advenu ensuite. Certains d'entre eux ont été tués. Je ne sais pas quel
13 était le destin des autres, mais j'ai atteint Brezovica. J'y suis restée
14 avec ma belle-famille, avec mon mari et avec mes fils. Il y avait des
15 nombreuses personnes venant de mon village là-bas.
16 Q. Nous savons que vous y êtes restés pendant environ une quinzaine de
17 jours, mais est-ce que vous avez fini par atteindre Srebrenica ?
18 R. Oui. Nous n'avons pas pu y demeurer, parce qu'il y avait juste à
19 proximité un village serbe et ils ont expliqué qu'à cause de nous, eux
20 aussi allaient devoir quitter le village, qu'à cause de nous, ils n'étaient
21 pas en sécurité. Donc, nous avons décidé de ne pas créer de problèmes pour
22 eux, donc nous avons décidé de partir et de quitter le village pour
23 Srebrenica. Nous avons donc marché en direction du village de Skenderovici
24 et d'autres villages, Spat et d'autres qui se trouvaient dans les autres
25 boisés. Il y avait également une route que nous aurions pu emprunter, mais
26 nous n'avons pas osé le faire, parce que nous avions peur d'être vus. Donc,
27 nous avons pensé que nous étions plus en sécurité à traverser les bois pour
28 atteindre Srebrenica.
Page 23480
1 Après environ huit heures de marche avec les enfants, nous sommes
2 arrivés à proximité de Srebrenica, à Kula Grad. Et ensuite, nous sommes
3 allés dans le centre-ville de Srebrenica.
4 Q. Lorsque vous êtes arrivés en centre-ville, qu'avez-vous vu ?
5 R. En centre-ville de Srebrenica et alors que nous nous dirigions vers
6 Srebrenica, c'était un véritable désastre. C'est les seuls -- la seule
7 description que je puisse en faire de ce j'ai vu à Srebrenica ce jour-là.
8 Ça sentait très mauvais. Il y avait une odeur de combustion. Toutes les
9 maisons avaient été brûlées. On rencontrait des chiens errants, quelques
10 personnes éparses, des gens qui avaient commencé à organiser une sorte de
11 protection civile. Je ne sais pas comment on peut appeler ça, mais nous
12 avons vu quelques personnes alors que nous nous dirigions vers le centre-
13 ville lui-même et nous avons vu des personnes qui essayaient d'organiser
14 une sorte de bienvenue pour les personnes qui arrivaient de tous les
15 villages environnement -- environnants.
16 Pour moi, ça a été une journée plus difficile que la journée où j'ai
17 quitté ma maison. Vous allez peut-être me demander pourquoi. C'est
18 difficile à décrire. Je me sentais vraiment très mal, et en fait, c'est
19 dans cette ville elle-même que j'ai compris le destin qui nous attendait.
20 C'était ma ville, une ville où j'avais passé toute ma vie professionnelle.
21 C'est une ville qui était prise, qui était désertée et j'ai compris que
22 nous nous trouvions maintenant dans un cercle vicieux, et je demandais ce
23 qui nous attend encore. Il n'y avait nulle part où aller, et des larmes ont
24 commencé à couler, et je ne pourrai plus endiguer mes larmes. Si vous
25 m'aviez demandé, les gens ont demandé pourquoi je pleurais, je ne pouvais
26 pas exprimer pourquoi. C'était terrible, c'était un désastre. Tout était
27 tellement difficile, il régnait une telle tristesse, une telle misère, et
28 comme je l'ai dit, il y avait cette odeur persistante de combustion. Toutes
Page 23481
1 les maisons avaient été brûlées.
2 Q. [aucune interprétation]
3 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Micro, s'il vous plaît.
4 Mme WEST : [interprétation]
5 Q. J'ai besoin d'un éclaircissement sur l'information que vous avez donnée
6 précédemment. Vous avez dit que le 12 mai, vous aviez déjà quitté votre
7 village, le village où se trouvait votre maison. Vous avez également dit
8 que vous n'aviez de toute façon pas dormi dans votre maison depuis un
9 certain nombre de jours. C'était combien de jours exactement, c'était dix
10 jours ou 20 jours ?
11 R. Après le 17 ou le 18 avril, je ne me souviens pas de la date, à partir
12 de cette date, en tout cas, nous n'avons pas vraiment, nous n'avons plus
13 vraiment dormi dans notre maison. Il y avait beaucoup de choses qui se
14 passaient à l'époque, je ne peux pas vous préciser les dates exactes. Mais,
15 à l'époque, un certain nombre de personnes étaient enlevées. Nous étions
16 dans nos maisons, mais il y avait des barricades à Pobrdje, à Bjelovac, qui
17 était un petit lieu au-dessus de notre village, il y avait également des
18 barricades. Le terrain était occupé, si je puis dire. Il y avait des
19 personnes d'origine serbe qui se trouvaient partout. Nous étions simplement
20 des prisonniers dans notre propre village. Nous ne pouvons plus aller à
21 Bratunac, nous n'avions nulle part où aller.
22 Ils passaient dans leurs voitures, ils recherchaient des personnes alitées.
23 En général, il s'agissait de personnes éduquées, qui étaient diplômées, et
24 puis ils les emportaient avec eux. Des meurtres ont été commis. Par
25 exemple, une nuit, à l'extérieur de ma maison, une voiture s'est arrêtée,
26 elle venait de Bratunac. Il y a de jeunes hommes, j'imagine qu'ils
27 essayaient de s'enfuir, qui ont été fusillés, et le lendemain, lorsque nous
28 sommes revenus, en face de maison, nous avons vu deux corps de jeunes
Page 23482
1 hommes, et ce sont nos aînés qui les ont ensuite inhumés.
2 Q. Nous allons maintenant mettre l'accent sur le délai qui commence en
3 juin 1992, lorsque vous êtes arrivé à Srebrenica. Pour les six ou sept
4 premiers mois, suite à votre arrivée, est-ce que vous avez vécu avec votre
5 frère à Potocari, à côté de Srebrenica ?
6 R. Oui. J'ai résidé à Srebrenica quelques jours seulement, parce que mon
7 fils cadet ou plutôt pas le plus jeune, le fils cadet effectivement avait
8 de la fièvre, nous ne savions pas que faire. Il n'y avait pas d'hôpital,
9 pas de soins médicaux disponibles, comme vous le savez. Donc nous sommes
10 restés dans notre appartement qui n'était pas loin du lieu où j'avais
11 exercé ma profession. Ensuite nous sommes allés à la maison, tout était en
12 désordre. Nous avons trouvé des médicaments, un petit peu d'alcool, nous
13 avons pris tout cela avec nous. Ça a pris à peu près une semaine, et c'est
14 là que j'ai découvert que mes frères étaient toujours vivants, qu'ils
15 étaient à Potocari. C'est là que nous sommes allés à Potocari. Nous sommes
16 arrivés à Potocari au mois de juin. Ils avaient une maison de famille là-
17 bas, donc nous sommes allés dans cette maison.
18 Q. Nous savons que vous y avez résidé pendant environ six à sept mois, et
19 enfin à l'issue de cette période, vous êtes parti; qu'est-ce qui vous a
20 fait quitter Potocari ?
21 R. Pendant cette période de sept mois que nous avons passé à Potocari,
22 c'était difficile, ça a été désastreux. On n'était content chaque jour
23 d'être en vie. Tous les jours, alors qu'on allait chercher de l'eau, on
24 était bombardé, et c'était tellement près de nous, qu'on pouvait voir à
25 l'œil nu. Ils étaient très rapprochés, et ils pouvaient voir exactement ce
26 qui se passait à Potocari. Donc c'était très difficile, rien ne
27 fonctionnait, plus rien ne fonctionnait.
28 Q. Quelque chose s'est survenue à la maison de votre frère qui vous a fait
Page 23483
1 quitter Potocari ?
2 R. Oui, oui. Beaucoup d'obus sont tombés sur la maison de mon frère, mais
3 il s'agissait d'obus de petit calibre. Donc nous sommes passés d'une
4 chambre à -- d'une pièce à l'autre pour finir dans le garage, ou pour être
5 protégé de ces tirs d'obus, jusqu'à ce qu'un jour, quelqu'un parlait d'un
6 missile guidé, la maison était touchée. Heureusement, ce jour-là, mon
7 frère, mon mari et mon fils n'étaient pas dans la maison. Ils étaient à
8 Zepa, ils étaient allés chercher de la nourriture, et moi-même, j'étais
9 sortie, je n'étais pas dans la maison elle-même. J'ai entendu une explosion
10 très importante. J'ai vu que tout tremblait, lorsque la fumée s'est
11 dissipée, j'ai vu qu'il n'y avait plus de maison, que la maison avait été
12 rasée complètement, et qu'il était donc impossible de continuer à y vivre.
13 C'est la raison pour laquelle nous sommes partis.
14 Q. Vous avez parlé de la nourriture. Est-ce que vous pouvez nous décrire
15 la situation alimentaire à Srebrenica et Potocari, pendant l'hiver 1992,
16 1993 ?
17 R. Certaines personnes, qui avaient quitté leur maison au mois de mai, ont
18 souffert de pénurie alimentaire dès le départ. Il n'y avait simplement rien
19 à manger. Donc mon mari et mon fils aîné, et d'autres jeunes hommes ont dû
20 essayer de repartir à notre maison à Voljavica, en passant par la forêt
21 pour voir si, en risquant leur vie, ils pouvaient trouver quelque chose à
22 manger. Cette agonie s'est poursuivie à Potocari, il y avait énormément de
23 personnes qui arrivaient de Bjelavica, et d'autres zones, et qui essayaient
24 de se saisir des denrées alimentaires qui avaient été laissées dans les
25 fermes. Il y avait par exemple du maïs, d'autres céréales, que nous avons
26 récupérées, c'est comme ça que nous avons réussi à nous nourrir.
27 Cependant, la situation s'est poursuivie ainsi jusqu'à la prochaine chute
28 de neige. Chutes de neige qui ont commencé en 1992, là, ça s'est devenu
Page 23484
1 vraiment critique, il n'y avait vraiment plus rien à manger. Il n'y avait
2 toutes les fermes et toutes les granges avaient été vidées, à cette époque-
3 là. A Srebrenica, il y avait beaucoup de personnes qui étaient venues des
4 municipalités de Zepa et de Han Pijesak, qui étaient donc arrivées sur les
5 lieux. Ce qui fait qu'il y avait de moins en moins à manger, et s'il avait
6 quelque chose à échanger, nous le faisions pour pouvoir obtenir des denrées
7 alimentaires. Mais même les personnes qui venaient de Srebrenica, mais
8 elles-mêmes, vers la fin du mois de décembre, janvier, n'avaient plus rien
9 à manger non plus. Donc nos villages de la région de la vallée de la Drina
10 souffraient désormais de famine. En janvier ou février, il ne restait
11 pratiquement plus rien. Donc nous allions de maison en maison, et nous
12 avions commencé à mendier pratiquement. Il fallait nourrir nos enfants. Les
13 hommes, mon mari, et mon fils aîné, mon frère, s'aventuraient à l'extérieur
14 et marchaient pendant des dizaines de kilomètres pour essayer de trouver
15 quelque chose. Mais parfois, ils revenaient bredouille, ils rentrent à la
16 maison, affamés.
17 J'ai essayé d'obtenir ce que je pouvais de la part de personne que je
18 connaissais, de la part d'amis qui nous aidaient et j'utilisais ces
19 aliments essentiellement pour donner à manger aux enfants, et même ces
20 denrées alimentaires ne suffisaient pas des nourrir, ils leur permettraient
21 que de survivre.
22 Q. Vous avez donné cette nourriture aux enfants; est-ce qu'il y en avait
23 beaucoup qui vous restait à vous de ce fait ?
24 R. Non. Je n'ai même jamais pensé à moi. Ma première pensée allait
25 toujours aux enfants. Je donnais toujours la nourriture aux enfants, et
26 s'il n'y avait plus rien après, il n'y avait plus rien pour moi.
27 Q. En janvier 1993, êtes-vous tombée malade ?
28 R. Oui.
Page 23485
1 Q. [aucune interprétation]
2 L'INTERPRÈTE : L'interprète signifie que la question est inaudible.
3 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
4 Mme WEST : [interprétation]
5 Q. Avez-vous parlé à un médecin ?
6 R. Oui.
7 Q. Et que vous a-t-il dit ?
8 R. Oui, il y avait un médecin à Srebrenica. C'était un médecin qui était
9 resté à Srebrenica parce qu'il avait son père et sa mère sur place, et il
10 ne voulait pas les quitter, mais c'était un médecin qui travaillait au
11 centre, un centre médical, et mon mari est allé le voir. Moi, je pouvais à
12 peine marcher. Ils m'y ont conduite. Ils m'ont aidée à m'y rendre, et
13 lorsqu'il m'a examinée, il m'a demandé :
14 "Mirsada, que puis-je vous donner ? Vous avez faim. Vous êtes mal
15 nourrie, vous avez besoin d'aliments, vous n'avez pas besoin de médicament.
16 La seule chose que je puisse vous donner maintenant c'est de la nourriture,
17 parce qu'il n'y a aucun médicament que j'aie sous la main qui puisse vous
18 aider. Si vous pouvez au moins avoir une tasse de café par jour pour
19 augmenter votre pression artérielle" - qui était faible à l'époque - "à ce
20 moment-là, vous pourrez survivre."
21 Donc voilà ce qu'il a proposé. Il a dit :
22 "Eh bien, il y a -- je vais vous donner une injection de vitamine."
23 Ils ont dit qu'ils allaient me faire une intraveineuse, de ce
24 cocktail vitaminé, pour essayer de me ressusciter d'une certaine manière.
25 Donc tous les jours effectivement, j'ai reçu ces injections. Il avait
26 beaucoup de mal à trouver une veine qu'il puisse piquer pour m'administrer
27 le produit, en effet, mes tissus avaient perdu leur vitalité.
28 Donc, après les cinq premières piqûres - je crois que c'était le 7 ou le 8
Page 23486
1 janvier - à 9 heures du matin, j'ai reçu une piqûre et ensuite plus tard au
2 cours de journée, nous avons été bombardés. C'était un bombardement aérien
3 donc bombardement du village et ce médecin a été tué, et c'était le seul
4 médecin qui était encore là.
5 Q. Madame, je reviens sur les commentaires que vous avez faits à propos du
6 café; qu'avez-vous fait ?
7 R. J'ai dit aux personnes qui se trouvaient dans la maison, ce qu'il
8 m'avait dit. Cette maison était désormais pleine de réfugiés. Il y avait
9 des familles dans chaque pièce, différentes familles, et il y a eu une de
10 ces personnes dans cette maison qui m'a dit qu'il y avait une femme qui
11 avait un magasin et qui avait des stocks de nourriture qu'elle avait
12 enterrés quelque part et que je devrais aller la voir pour lui demander
13 s'il avait du café. J'y suis allée, et elle m'a demandé de l'or. Je lui ai
14 donné ce que j'avais, j'avais une poignée de bijoux, et j'ai demandé à cet
15 homme d'aller voir s'il pouvait obtenir quelque chose auprès de cette
16 femme.
17 Cet homme est allé la voir avec mon or, et cette femme m'a fait parvenir du
18 café, 100 grammes de café et un petit peu de sucre avec ce café. Elle a
19 également envoyé un litre de jus de fruit, jus de myrtille.
20 Q. Qu'avez-vous fait avec le jus de fruit ?
21 R. Quand vos enfants ont faim, et si vos enfants n'ont pas bu de jus
22 depuis des semaines, moi, je n'ai pas pu boire ce jus. Tout simplement,
23 j'ai fait du café, et pour les enfants, j'ai préparé le jus à leur
24 intention, et pendant quelques jours, ils ont pu utiliser cette bouteille
25 de jus de fruit, l'ont mélangé avec de l'eau et l'utiliser pendant deux
26 jours.
27 Ensuite, le jour suivant, mon fils cadet est venu me voir, et il m'a
28 demandé si j'avais mal. J'ai répondu : "Non, mon fils. Pourquoi me
Page 23487
1 demandes-tu cela ?" Il a dit --
2 L'INTERPRÈTE : Il n'y a pas d'interprétation. Problème d'interprétation.
3 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je crois que nous n'avons plus
4 l'interprétation. Pouvez-vous, je vous prie, répéter votre réponse lorsque
5 vous avez dit et j'ai répondu à mon fils : "Pourquoi me poses-tu la
6 question ?" Est-ce que vous pouvez reprendre vos propos, je vous prie ?
7 LE TÉMOIN : [interprétation] Lorsque je lui ai demandé : "Pourquoi me
8 poses-tu la question, mon fils ?" Il m'a dit : "Eh bien, est-ce que je
9 devrais de préparer un verre de jus avec de l'eau ?" Alors je lui ai dit
10 qu'il pouvait le faire mais il savait que je ne le boirais pas, que je ne
11 pourrais pas le boire, que lui devrait le boire à ma place. Lorsqu'il l'a
12 préparé pour moi, je lui ai dit de le boire lui-même. Moi, je n'avais pas
13 le cœur de le faire alors qu'il me regardait boire ce jus. Il avait huit
14 ans.
15 C'était difficile. Je n'oublierai jamais ces journées jamais de ma vie. Il
16 est vrai que des gens sont morts de faim, parce qu'il n'avait plus rien à
17 trouver sur cette couche de neige, et vous avez déjà de la chance de
18 pouvoir survivre d'un jour sur l'autre.
19 Mme WEST : [interprétation]
20 Q. J'aimerais maintenant vous parler des convois alimentaires
21 internationaux pendant ces années-là et des aliments qui ont été apportés
22 pour leur entremise. Pouvez-vous nous dire si, en 1993, Srebrenica a reçu
23 des denrées alimentaires de la part de groupes internationaux ?
24 R. Pendant les premiers mois de 1993, très tôt une opération a été menée.
25 Il avait des parachutes. Il avait des convois aériens, et en février, au
26 mois de février 1993, à Srebrenica, je ne me souviens pas exactement de la
27 date parce qu'il faut savoir que nous n'avions rien qui fonctionnait. Pas
28 de calendrier, pas de repère. Rien du tout. Pas de montre. Mais je sais
Page 23488
1 quand ont commencé effectivement ces convois aériens, quand ils ont
2 commencé à envoyer des denrées alimentaires envoyées par avions, je sais
3 que les gens ont commencé à survivre grâce à ces rations, que la nourriture
4 était distribuée chaque jour. Les réfugiés de Konjevic Polje ont apporté
5 leur aide parce qu'ils avaient avec eux des denrées alimentaires.
6 Moi, je n'avais rien à échanger, alors ils m'ont simplement prêté ces
7 denrées alimentaires. Ils m'ont donné, par exemple, de la farine et
8 d'autres denrées, desquelles j'ai pu confectionner du pain ou de la
9 pâtisserie.
10 Q. Passons maintenant à 1994. Est-ce que vous pouvez parler des denrées
11 alimentaires qui sont arrivées dans Srebrenica pendant cette année-là ?
12 R. Lorsque les convois ont commencé à arriver à Srebrenica, très tôt, il y
13 avait beaucoup de nourriture qui nous parvenait, qui était relativement
14 suffisante. Vous pouviez obtenir un deux kilos de farine par membres de la
15 famille. Il y avait également du sucre, ce qui était mesuré en grammes. De
16 l'huile, de l'huile de cuisson. Donc, très tôt, au tout début, il y avait
17 suffisamment de nourriture. Nous n'avions pas suffisamment de sels ou de
18 sucres. Ces rations étaient toujours mesurées en grammes. On obtenait peut-
19 être l'équivalent d'un couvercle de sucre ou de sel et c'était tout.
20 Parfois, il y avait du riz, mais nous n'avions pas de sel pour pouvoir
21 l'utiliser avec le riz, donc voilà comment allaient les choses. Mais nous
22 avions de la farine, donc les gens, qui avaient tellement souffert, étaient
23 heureux au moins de pouvoir avoir du pain.
24 Alors, en 1994, tout avait été remué à Srebrenica. On avait -- tout
25 avait été labouré à Srebrenica, parce que les gens essayaient de labourer
26 autant que possible pour pouvoir survivre. Moi aussi, je suis allée à
27 Potocari. J'ai commencé à potager, parce que nous avions reçu des semences
28 de la part des organisations d'aide humanitaire. Nous avions reçu certaines
Page 23489
1 semences de carotte et autres semences que nous avons mises en terre.
2 En 1994, pendant la première moitié de 1994 jusqu'à l'automne, la
3 situation était supportable. Il n'y avait pas de pénurie ou moins de
4 pénurie sur le plan alimentaire, ce qui fait qu'il était possible de -- il
5 était possible de travailler la terre, donc il y avait effectivement à
6 manger.
7 Q. Puis, que s'est-il passé l'hiver 1995 et pendant le printemps de la
8 même année, du point de vue de la situation alimentaire qui prévalait à
9 l'époque ?
10 R. Déjà, pendant l'hiver, on a constaté une diminution des rations
11 alimentaires dont on pouvait et les convois n'arrivaient plus aussi
12 fréquemment que par le passé, et lorsqu'ils arrivaient, ils nous
13 apportaient bien moins de nourriture qu'au début. Par exemple, au début,
14 13, 14 camions d'aide humanitaire étaient présents, alors que plus tard, le
15 nombre de camions qui nous parvenaient était réduit de moitié. Il n'y en
16 avait que cinq ou six.
17 Lorsque les camions étaient déchargés, lors -- l'ancien entrepôt,
18 dépôt de nourriture à Srebrenica, moi, j'essayais de voir ce qui se
19 passait. Un camion arrivait et vous auriez pu penser que ce camion avait à
20 son bord beaucoup d'aide humanitaire, mais en fait, il déchargeait
21 simplement quelques sacs de farine et du sel qui était piétinés par les
22 soldats. Cela voulait dire que quelqu'un, qui voulait se rendre sur place
23 pour recevoir une ration, ne le pouvait pas, parce que, finalement, les
24 camions étaient repartis vers Srebrenica à moitié vides. Cela signifie que
25 l'aide humanitaire était -- y était déchargée autre part d'abord et ce
26 n'est que pour sauver les apparences qu'on laissait quelque chose à
27 l'intérieur des camions pour que le -- la communauté internationale puisse
28 voir que des camions arrivaient bien à Srebrenica.
Page 23490
1 C'est cet hiver-là que nous avons commencé à nouveau à rechercher de
2 la nourriture. On s'est rendus principalement à Zepa. Ce sont mes frères et
3 mon époux qui sont allés à Zepa, parce qu'une de mes sœurs y résidait et
4 elle et sa famille disposaient de plus de nourriture. Je ne sais pas
5 comment ni pourquoi, mais elle nous avait fait comprendre que nous pouvions
6 y aller et qu'elle nous donnerait de la farine.
7 Mon fils aîné participait également à ces déplacements. Nous avons
8 essayé de faire durer la nourriture que nous avions aussi longtemps que
9 possible et nous essayons d'au moins pouvoir compter un repas par jour, ce
10 qui ne nous -- nous n'y parvenons pas très souvent.
11 Q. Bien. Revenons s'il vous plaît au mois de juillet 1995. Mais avant,
12 j'aimerais que vous nous disiez combien de personnes se trouvaient à
13 Srebrenica en juin ou juillet 1995.
14 R. Au mois de juillet 1995, vers la fin du mois de juin, début du mois de
15 juillet, je ne sais pas combien de personnes se trouvaient précisément,
16 mais je sais qu'un très grand nombre de personnes se trouvaient rassemblées
17 sur une très petite zone, dans un espace très confiné. Je ne sais pas. J'ai
18 entendu dire que plus ou mois 40 000 personnes se trouvaient sur une
19 superficie de 50 kilomètres carrés. Dans chaque pièce de chaque appartement
20 se trouvait une famille et même les garages accueillaient des familles, des
21 abris, les écoles, les classes abritaient des familles également et des
22 réfugiés, des personnes qui n'avaient plus nulle part où aller.
23 Q. Je vous prie de m'excuser, je vous interromps, mais après les attaques
24 survenues le 6 juillet, plus de personnes ont-elles afflué vers Srebrenica
25 ?
26 R. Oui. Après, même des réfugiés qui se trouvaient auparavant à Zeleni
27 Jadar ont commencé à venir à Srebrenica. Il y avait des petits cabanons de
28 bois qui abritaient un très grand nombre de personnes, jusqu'à 3 000
Page 23491
1 personnes lorsque les bombardements ont commencé. Lorsque le premier poste
2 d'observation de la FORPRONU qu'on appelait, je pense, le poste de
3 Ljubisevic [phon], près de Zeleni Jadar, était attaqué, ces personnes ont
4 commencé à battre en retraite vers la ville elle-même, vers Srebrenica. Ils
5 avaient l'impression qu'ils s'y trouveraient en sécurité, parce que les
6 forces serbes avançaient et donc beaucoup plus de personnes ont commencé
7 d'arriver à Srebrenica.
8 Q. Lorsque les bombardements ont commencé, réellement, le 6 juillet, où
9 vous trouviez-vous lorsque vous en avez entendu parler pour la première
10 fois ?
11 R. Ce jour-là, je me rendais de Potocari vers Srebrenica et j'étais à mi-
12 chemin lorsque j'ai entendu la première explosion, et l'explosion pouvait
13 être entendue à Srebrenica même. Lorsque j'ai entendu cette explosion, mes
14 jambes se sont dérobées et je ne sais pas comment je suis parvenue à
15 Srebrenica. C'était absolument horrible, parce qu'après cette trêve, après,
16 ce moment de calme relatif.
17 Ensuite, j'ai revu des images du chaos, des bombardements, des
18 tueries et je ne sais pas comment mes jambes ont pu me porter jusqu'à
19 Srebrenica où je suis finalement arrivée et où j'ai vu ce qui se passait,
20 parce que mon mari et mes enfants essayaient de faire quelque chose et se
21 trouvaient dans notre jardin.
22 Q. Pendant les journées du 6, du 7, et du 8 les bombardements, ont-ils
23 continué au même rythme ? Ont-ils augmenté en intensité ou non ? Ont-ils
24 diminué ?
25 R. Pendant ces jours-là, les bombardements ont continué. Comme je l'ai
26 déjà dit tout à l'heure, Srebrenica comptait un très, très grand nombre de
27 personnes qui étaient confinées. Il y avait tellement de monde, et donc
28 évidemment il s'agissait de cible évidente. Dès qu'un obus était lancé, il
Page 23492
1 trouvait immanquablement une cible. Ça ne pouvait pas être autrement. Il
2 suffisait que l'on cible Srebrenica et des victimes tombaient. Il y a des
3 gens qui faisaient la queue pour obtenir de l'eau. Certains travaillaient
4 dans leurs potagers, et l'hôpital était plein, parce que les personnes ont
5 été tuées et blessées, et vous ne trouviez plus aucun endroit sûr à
6 Srebrenica.
7 Q. Pendant ces journées-là, avez-vous vu nombreuses personnes blessées ou
8 tuées dans les rues ?
9 R. Oui. Oui. Notamment un médecin, une femme, qui s'appelait Fatima, je ne
10 connais pas son nom de famille. Elle était blessée et elle a été blessée
11 alors qu'elle se rendait de l'hôpital vers son appartement vers son
12 immeuble. Près de notre maison, l'oncle de mon mari a également été très
13 grièvement blessé lorsqu'un obus est tombé dans son jardin. Puis, il y
14 avait nombre d'autres personnes qui ont été blessées alors qu'elles
15 faisaient la queue pour obtenir de l'eau, parce que vous aviez besoin d'eau
16 pour la toilette, parce qu'il fallait bien sûr que l'on continue à se
17 laver, à maintenir de bonnes conditions d'hygiène, et nous n'avions pas
18 d'eau pour les toilettes. Nous devions improviser des latrines à
19 l'extérieur, et les enfants devaient s'aventurer à l'extérieur, parce
20 qu'ils devaient trouver du bois étant donné qu'il n'y avait pas
21 d'électricité depuis longtemps, nous n'avions pas d'électricité, et puis
22 dans les bois qui entouraient Srebrenica, il n'y avait plus rien à prendre.
23 Tout le bois avait déjà été utilisé, il fallait aller plus loin de plus en
24 plus loin pour utiliser du bois.
25 Jusqu'au 10 juillet, l'hôpital était -- déjà le 10 juillet, l'hôpital était
26 plein, ce qui en dit long sur le nombre de personnes qui avaient été
27 blessées et qui se trouvaient en danger.
28 Q. Venons-en maintenant à la soirée du 10 juillet. Ce soir-là, avez-vous
Page 23493
1 tenu une réunion, une réunion de famille avec tous les membres de votre
2 famille immédiate et élargie ?
3 R. Oui. En fait, cet après-midi-là, vers 16 heures ou 17 heures, je n'en
4 suis plus très sûre, une très longue colonne de personnes s'est mise en
5 marche vers la base de la FORPRONU, le 10 juillet, et nous avons également
6 quitté la ville. On nous a dit que nous devions nous rendre à la base de la
7 FORPRONU qui se trouvait à plusieurs kilomètres de Srebrenica vers
8 Potocari, et mes enfants et moi-même, nous y sommes rendus pour voir ce que
9 nous pouvions faire. Mais, lorsque nous sommes arrivés aux barrières, nous
10 avons vu une énorme foule de personnes, et on nous a dit que nous devions
11 rebrousser chemin. Des soldats de la FORPRONU nous ont dit qu'ils nous
12 protégeraient des forces serbes, qu'il ne fallait pas que nous paniquions -
13 -
14 Q. Arrêtons-nous un moment, je vous prie. Lorsque vous nous parlez de la
15 base de la FORPRONU, parlez-vous de celle qui se trouvait près de
16 Srebrenica, ou faites-vous référence à celle qui se trouvait plus loin,
17 c'est-à-dire à Potocari ?
18 R. Il s'agit de celle qui se trouvait près de Srebrenica.
19 Q. Ce soir-là, de quoi avez-vous parlé lors de cette réunion de famille ?
20 R. Nous étions tous revenus dans les appartements où nous logions, mais un
21 grand nombre de personnes venaient de Zeleni Jadar et d'Ucina Basta, qui se
22 trouve dans la région de Srebrenica. En fait, tout le monde avait fui et
23 tentait de se réfugier près de la base de la FORPRONU, et il n'y avait pas
24 plus un endroit qui n'était considéré comme un lieu où on pouvait se
25 réfugier, trouver refuge. Une femme avait apporté de la farine pour faire
26 du pain, au moins pour les enfants.
27 Cette nuit-là personne n'a dormi. Mon mari, mes frères, mes parents, moi-
28 même, nous ne savions pas exactement ce qui se passait, mais nous avons
Page 23494
1 parlé ensemble et nous avons pris une décision, une décision que d'autres
2 ont prises peut-être, mais une décision selon laquelle moi-même, ainsi que
3 mon plus jeune fils et mon beau-père devrions nous rendre vers la base de
4 la FORPRONU si les soldats serbes occupaient la ville, alors que les autres
5 hommes de la famille iraient vers Tuzla à travers bois. Ils ne faisaient
6 pas confiance aux forces serbes ils étaient convaincus qu'ils seraient
7 maltraités s'ils étaient capturés. Alors qu'ils pensaient que les Serbes ne
8 feraient aucun mal aux femmes et aux enfants mais ils pensaient qu'ils
9 devaient essayer de parvenir en zone libre entre guillemets à travers bois,
10 et c'est comme cela que la soirée et la nuit s'est passée.
11 Q. Vouliez-vous quitter Srebrenica ?
12 R. Etant donné la situation pendant ces journées-là à l'époque, alors
13 personne ne voulait quitter Srebrenica mais étant donné qu'ils se sentaient
14 plus en sécurité étant donné le chaos qui régnait, c'était une solution qui
15 s'imposait, et le chaos régnait, provoqué par les forces serbes qui
16 avançaient vers la ville, les forces avaient déjà pris un point de contrôle
17 qui avait été érigé par la FORPRONU. D'autres postes d'observation des
18 Nations Unies n'étaient plus sûrs non plus. Donc l'étau se resserrait petit
19 à petit autour de la ville, et les troupes serbes se rapprochaient de plus
20 en plus. C'est pourquoi tout le monde avait peur, ne se sentait plus en
21 sécurité et souhaitait quitter la ville. Ils craignaient pour leur vie.
22 Q. Pouvons-nous maintenant --
23 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Un moment, s'il vous plaît. J'aimerais
24 que l'on remonte à la page précédente du compte rendu d'audience à la ligne
25 20, je cite :
26 "On nous a dit de nous rendre vers la base de la FORPRONU qui se trouvait à
27 plusieurs kilomètres de 'Vienna'" - je lis en anglais - "en direction de
28 Potocari."
Page 23495
1 Je pense qu'il ne s'agit pas de "Vienna," mais de Srebrenica; est-ce
2 exact, Madame ?
3 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, non. Il s'agit, bien sûr, de Srebrenica.
4 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci, Madame. Je vous prie de
5 poursuivre, Madame West.
6 Mme WEST : [interprétation] Merci.
7 Q. Venons-en à la journée du 11 juillet, le matin, après que vous et votre
8 famille avez quitté l'appartement; où êtes-vous allés ?
9 R. Ma famille et moi-même, qui résidions dans ces immeubles et dans les
10 immeubles aux alentours, nous sommes allés avec tout le monde d'ailleurs à
11 Potocari -- vers Potocari, en tout cas, vers la base de la FORPRONU, et
12 nous ne savions pas où nous irions après peut-être Potocari, mais, à ce
13 moment-là, nous souhaitions simplement nous rendre vers la base de la
14 FORPRONU.
15 Q. Avant de partir vers Potocari, aviez-vous été séparée de votre mari, de
16 vos frères et de vos deux fils aînés ?
17 R. Oui.
18 Q. En temps de paix --
19 Q. Où ?
20 R. En temps de paix, c'était une station de service qui se trouvait juste
21 devant les barrières, l'enceinte de la base de la FORPRONU. Nous sommes
22 arrivés à cet endroit lorsque nous avons vu un médecin qui descendait la
23 rue, fendant la foule et qui demandait aux jeunes hommes de retourner vers
24 l'hôpital pour y déposer les blessés dans les camions, parce que l'hôpital
25 était plein. Il ne pouvait plus accueillir de blessés. A ce moment-là, des
26 obus ont commencé à tomber sur la foule, et il y avait énormément de
27 personnes, énormément d'enfants, les enfants ont commencé à hurler. Le
28 chaos était indescriptible, et il y avait plus aucun contrôle de qui que ce
Page 23496
1 soit, et comme je l'ai dit, il y avait été décidé que mon beau-père, le
2 plus jeune de mes fils et moi-même devions aller vers la base de la base de
3 la FORPRONU, alors que mes frères, mon mari et mon fils aîné ainsi que le
4 fils de mes beaux-parents avaient décidé d'aller vers Susnjari et de
5 quitter cette station de service. Nous n'avons même pas eu le temps de nous
6 dire au revoir. Nous avons fait ce que nous avions décidé antérieurement,
7 et nous ne sommes pas dit au revoir.
8 Lorsque je suis arrivé à plus ou moins 50 mètres de la base de la FORPRONU,
9 les obus continuaient de pleuvoir, et dans cette situation de chaos,
10 personne ne savait où étaient les membres de sa famille, des gens tombaient
11 sous les bombes, les obus, les éclats d'obus, certains tombaient de peur,
12 la chaleur était insupportable et certaines personnes s'évanouissaient
13 devant l'enceinte de la base de la FORPRONU.
14 Q. Avez-vous vous-même été blessée ?
15 R. Un obus est tombé sur l'enceinte même, les grillages qui entouraient la
16 base, et un obus est tombé juste en face de nous, sur du béton. Nous sommes
17 tous tombés au sol, nous sommes tombés par terre. Les obus sont tombés
18 très, très près de nous. Je pensais que mon fils et mon beau-père avaient
19 été tués, parce que, pendant un très long laps de temps, plus personne ne
20 s'était relevé. Après un certain temps, ceux, qui n'avaient pas été
21 blessés, ont commencé à se relever.
22 Mon fils était si pâle, il était pâle comme un linceul. Il semblait
23 très, très mal tout comme mon beau-père, mais ils n'étaient pas blessés.
24 Moi, j'étais blessée, j'ai été blessée à l'épaule droite, et je saignais. A
25 la vue du sang, mon fils a pris peur, donc j'ai pris un mouchoir, j'ai pris
26 le foulard que je portais sur la tête, et je l'avais mis sur la tête pour
27 me protéger du soleil et de chaleur, et c'est peut-être ce foulard qui m'a
28 sauvé la vie, étant donné que je l'ai pris pour empêcher l'hémorragie. Il y
Page 23497
1 avait énormément d'éclats d'obus et j'ai constaté que nombre d'éclats
2 d'obus ont été pris, en tout cas, je les ai retrouvés dans mon foulard
3 ainsi que dans le pull que je portais. Heureusement, grâce à ce pull-over
4 que je portais, et à ce foulard, j'ai pu aguiller le sang qui coulait de ma
5 blessure.
6 La balle avait traversé mon épaule, et il n'y avait aucun éclat
7 d'obus dans la blessure à proprement parler.
8 Lorsque le bombardement a arrêté, le chaos par contre a continué. Les
9 gens allaient, y venaient, entraient et sortaient de la base de la
10 FORPRONU. Ils criaient, ils hurlaient, la panique régnait, c'est absolument
11 indescriptible.
12 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Madame West, pourriez-vous, s'il vous
13 plaît, préciser de quelle base de la FORPRONU il s'agit ici ?
14 Mme WEST : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur le Président.
15 Q. Lorsque vous parlez de la base de la FORPRONU, s'agit-il de la base qui
16 se trouve près de Srebrenica ou de celle qui se trouve près de Potocari ?
17 R. Non. Il s'agit toujours de celle qui se trouve près de Srebrenica.
18 Q. Ensuite, la foule a-t-elle commencé à se diriger vers la base des
19 Nations Unies, à Potocari ?
20 R. Oui.
21 Q. La distance qui sépare la base des Nations Unies, la Compagnie Bravo à
22 Srebrenica, de la base de Potocari, est plus ou moins de quatre kilomètres;
23 est-ce exact ?
24 R. Oui.
25 Q. Avez-vous suivi la foule qui s'y rendait ?
26 R. Oui.
27 Q. Pourquoi ? Pourquoi vous êtes-vous rendue à Potocari ?
28 R. Après être restée pendant plusieurs jours dans cette base de la
Page 23498
1 FORPRONU, et dans cette rue, nous avons entendu que des aéronefs
2 arrivaient, et les soldats de la FORPRONU n'étaient pas même de communiquer
3 avec nous. Nous ne nous comprenions pas, mais ils nous ont indiqué du doigt
4 le ciel. Ils nous ont fait comprendre que des avions arrivaient et que ces
5 avions allaient bombarder les positions serbes qui se trouvaient aux
6 alentours. Ils nous ont également indiqué que nous devions partir vers
7 Potocari, tous, nous devions partir. La foule a obéi, certaines personnes
8 ont commencé de quitter les lieux, et puis d'autres ont suivi. Voilà
9 comment nous nous sommes tous rendus sur la route à asphaltée qui mène à
10 Potocari.
11 Q. Madame, alors que vous marchiez sur cette route, vous étiez bien avec
12 votre plus jeune fils et votre beau-père, n'est-ce pas ? Aviez-vous des
13 bagages, des sacs ?
14 R. Non, non, parce que, quand j'étais blessée, je n'avais plus la
15 sensation de mon bras droit, et donc je ne pouvais plus porter mon sac. De
16 toute façon, ma priorité c'était mon fils, et je le tenais par la main, la
17 main gauche, et donc je n'avais cure de mon sac. Je l'ai laissé là où il se
18 trouvait.
19 Q. Pouvez-vous nous décrire ce qui s'est passé au cours de ce trajet de
20 quatre kilomètres vers l'autre base des Nations Unies ?
21 R. Oui. Au début de notre voyage, au tout début, alors que nous entendions
22 toujours le bruit des avions dont j'ai parlé qui se trouvaient près du
23 stade de football, près de la base, nous entendions toujours ces avions
24 mais le bruit s'éloignait de plus en plus, alors que nous marchions. Ils
25 devaient se trouver près de Zalazje, et nous avons entendu un grand nombre
26 d'explosions et nous avons continué notre chemin.
27 Au début, tout était désorganisé, mais petit à petit la foule, ce
28 groupe très désorganisé, s'est organise et puis on s'est transformé en
Page 23499
1 colonne, parce que, de toute façon, les gens se déplaçaient à des rythmes
2 différents. Il y avait des personnes âgées, des enfants qui, de toute
3 façon, ne pouvaient pas marcher très vite, et de toute façon, les femmes
4 restaient avec les enfants.
5 En tout état de cause, une colonne s'est constituée sur cette route
6 et les obus tombaient tout le temps des deux côtés de la route. Je ne peux
7 pas dire qu'ils touchaient la route à proprement parler, mais ils tombaient
8 très, très près de cette route et des deux côtés de la route.
9 De nombreuses personnes ont été blessées, pas grièvement, et elles
10 ont pu continuer à marcher. D'autres personnes ont été tuées, mais je
11 voudrais que vous me croyiez quand je dis que personne ne pouvait porter
12 quiconque ni porter assistance à quiconque. Vous savez, on n'avait pour
13 seule préoccupation de rester vivants et personne ne savait s'il ou elle
14 serait en mesure d'arriver à Potocari vivant.
15 Une femme a été tuée. On a recouvert son corps d'une couverture et on
16 l'a laissée au bord de la route. Elle se trouvait tout près de moi et il
17 n'y avait personne que je connaissais qui se trouvait tout près de moi.
18 Seuls mon plus jeune fils et mon beau-père étaient à mes côtés, et donc
19 nous avons continué pendant un kilomètre et demi à l'extérieur de Potocari,
20 lorsque deux camions de la FORPRONU nous ont pris à leur bord. Les camions
21 roulaient très lentement et ils voyaient très bien tout ce qui se passait.
22 Ils ne pouvaient, de toute façon, pas avancer très vite étant donné la
23 foule qui se trouvait sur les lieux. Mais des personnes se sont frayé un
24 chemin vers les camions et --
25 L'INTERPRÈTE : Correction de l'interprète.
26 LE TÉMOIN : [interprétation] -- mais les personnes ont laissé passé les
27 camions et donc les camions ont pu rouler plus vite. Puis on a arraché les
28 bâches des camions et -- et j'ai vu mon fils aîné et un de ses amis qui se
Page 23500
1 trouvaient à bord de ces camions. L'autre garçon en question était le
2 meilleur ami ou un ami très proche, en tout cas, de mon fils à Srebrenica
3 et j'étais très surprise de le voir à bord de ce camion, mais quand il m'a
4 vue également, il a fait un signe de reconnaissance, et ensuite les camions
5 ont poursuivi leur chemin. Nous étions là assez près de la base de la
6 FORPRONU de Potocari.
7 Q. Voyons ce qui s'est produit lorsque vous êtes arrivée à Potocari, à la
8 base de Potocari. Alors est-ce que vous avez pu entrer à l'intérieur de la
9 base des Nations Unies vous-même, de l'autre côté de la clôture ?
10 R. Non.
11 Q. Alors où est-ce que vous vous êtes dirigée, où est-ce que vous êtes
12 allée ?
13 R. Alors on dirait que c'était une barricade -- en fait, ce n'était pas
14 vraiment une barricade. C'était plutôt un ruban qui a été installé à
15 travers la voie, à travers la route par les soldats de la FORPRONU.
16 Ils -- en passant par l'interprète, ils nous ont fait comprendre que
17 la base était déjà trop pleine de monde, qu'on -- ils ne pouvaient plus
18 nous laisser rentrer à l'intérieur, qu'il fallait qu'on reste de l'autre
19 côté et qu'on essaye de se placer là, sur l'asphalte, autour de ces -- ces
20 usines. Il y avait l'usine de zinc, il y avait l'usine appelée du 11 mai où
21 moi-même j'avais travaillé précédemment, une entreprise de transport,
22 l'usine Faros. Donc il -- il y avait ces esplanades devant les usines.
23 C'est là qu'on devait se placer et plus personne ne pouvait rentrer à
24 l'intérieur.
25 Q. Est-ce que vous avez pu rentrer à l'intérieur de l'une des usines ?
26 R. J'étais avec mon fils et avec mon beau-père donc, et j'ai réussi à
27 revenir vers l'usine de zinc, et donc, au grand portail d'entrée, j'ai
28 voulu rentrer à l'intérieur parce que mon fils avait très peur et, moi-
Page 23501
1 même, j'étais très faible et je me suis dis que j'allais me sentir plus en
2 sécurité à l'intérieur, même s'il n'y avait plus de fenêtre ni de porte.
3 C'étaient des bureaux, en fait, d'anciens bureaux.
4 Donc, je -- j'ai emmené mon fils dans un de ces bureaux où on a vu
5 entrer d'autres femmes avec leurs enfants, et puis les personnes âgées, où
6 ceux qui n'avaient pas d'enfants se tenaient à l'extérieur, autour du
7 bâtiment de l'usine.
8 Donc c'était une manière simplement de placer les enfants à
9 l'intérieur, parce que la nuit, ils allaient venir juste pour les mettre un
10 peu à l'abri, et c'est là que j'ai passé la nuit, avec mon fils.
11 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vois l'heure, Madame West. Il vous
12 faudrait encore du temps ? Est-ce que l'on pourrait faire une pause
13 maintenant ?
14 Mme WEST : [interprétation] Oui, ce serait bien, mais je pense que Mme le
15 Témoin souhaiterait avoir également une pause également à la fin de
16 l'interrogatoire principal.
17 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Très bien. Faisons une pause maintenant.
18 Madame, nous ferons 30 minutes de pause et nous reprendrons à 11 heures 05.
19 Vous pouvez sortir maintenant.
20 Entre-temps, à une autre question que je souhaite aborder à huis clos
21 partiel.
22 Oui, vous pouvez -- vous pouvez quitter le prétoire, Madame.
23 [Le témoin quitte la barre]
24 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je demande que l'on passe brièvement à
25 huis clos partiel.
26 [Audience à huis clos partiel] [Confidentialité partiellement levée par une ordonnance de la Chambre]
27 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.
28 La Chambre a estimé que la visite sur les lieux qu'elle a effectuée à
Page 23502
1 Sarajevo a été très utile. Par conséquent, la Chambre envisage d'organiser
2 un déplacement sur les sites autour de Srebrenica. A ce stade et compte
3 tenu du nombre de municipalités qui font l'objet de l'acte d'accusation et
4 la nature différente des allégations qui les concerne, la Chambre
5 n'envisage pas pour le moment de se rendre dans des municipalités, mais
6 souhaiterait que les parties s'expriment là-dessus.
7 Comme cela a été le cas précédemment lors du déplacement précédent,
8 je souhaiterais que les parties s'expriment par voie d'écriture sur des
9 points comme suit.
10 Premièrement, est-ce qu'une visite, sur le territoire des
11 municipalités qui font l'objet de l'acte d'accusation, serait utile à leur
12 avis ?
13 Deuxièmement, est-ce que les parties pourraient énumérer les sites
14 qui devraient faire partie de ce déplacement, ainsi qu'à un itinéraire --
15 un projet d'itinéraire ?
16 Troisièmement, de citer les participants qui se déplaceraient.
17 Et, quatrièmement, toute autre question concernée utile.
18 La Chambre demande que ces écritures soient déposées à titre
19 confidentiel au plus tard le mardi 31 janvier 2012.
20 (expurgé)
21 (expurgé)
22 (expurgé)
23 (expurgé)
24 (expurgé)
25 (expurgé)
26 (expurgé)
27 (expurgé)
28 (expurgé)
Page 23503
1 (expurgé)
2 (expurgé)
3 (expurgé)
4 (expurgé)
5 (expurgé)
6 (expurgé)
7 (expurgé)
8 (expurgé)
9 (expurgé)
10 (expurgé)
11 (expurgé)
12 (expurgé)
13 (expurgé)
14 (expurgé)
15 (expurgé)
16 (expurgé)
17 (expurgé)
18 (expurgé)
19 (expurgé)
20 (expurgé)
21 (expurgé)
22 (expurgé)
23 (expurgé)
24 (expurgé)
25 (expurgé)
26 (expurgé)
27 (expurgé)
28 [Audience publique]
Page 23504
1 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci. Après la pause à venir, est-ce
2 que la Défense pense avoir besoin d'une autre pause pour terminer le
3 témoignage -- l'interrogatoire au principal ?
4 M. ROBINSON : [interprétation] Non, Monsieur le Président.
5 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci. Nous allons faire une pause d'une
6 demi-heure et nous allons reprendre à 11 heures 10.
7 --- L'audience est suspendue à 10 heures 38.
8 --- L'audience est reprise à 11 heures 11.
9 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, Madame West, veuillez continuer.
10 Mme WEST : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
11 Q. Madame, lorsque nous avons été sur le plan de prendre notre pause, on
12 était en train de discuter du fait que vous étiez entrée avec votre fils
13 dans l'une de ces usines, le 11. Lorsque vous vous êtes trouvée à
14 l'intérieur de l'usine, où se trouvait votre beau-père ?
15 R. Mon beau-père se trouvait dans l'enceinte de la même usine, à la
16 différence près qu'il était à l'extérieur, et il y avait une fenêtre qui
17 nous séparait. Enfin, il n'y avait pas de vitre sur la fenêtre, on pouvait
18 se voir, on pouvait communiquer, on était au rez-de-chaussée. Nous, on
19 était à l'intérieur, et lui, il était à l'extérieur, sur le plateau de
20 l'usine.
21 Q. Ça se passait pendant la journée du 11. Est-ce que vous pouvez nous
22 dire s'il y a eu quoi que ce soit de remarquable à se produire, ce 11
23 juillet, pendant que vous étiez à l'usine ?
24 R. Cette nuit du 11 juillet, pendant que nous étions à l'usine, on peut
25 dire que c'était plutôt paisible. Il y a eu des rafales ou des coups de feu
26 qu'on tirait autour, mais ce n'était pas sur les lieux, pas dans
27 l'enceinte. L'enceinte où je me trouvais du moins.
28 Vers la soirée, il y a eu des obus à tomber autour, pas à Potocari,
Page 23505
1 dans l'enceinte, mais plus haut sous les cimes des forêts, des villages de
2 Caus, Likari, c'est là qu'il y avait des lignes de démarcation. C'est là
3 que s'étaient trouvés auparavant les postes de la FORPRONU, et c'est sur
4 ces lignes qu'on pouvait entendre des détonations, des obus qui tombaient
5 là-bas, et c'est ce qui a marqué le 11 juillet, la soirée. La nuit a été
6 calme jusqu'au matin.
7 Q. Bon. Passons maintenant à la matinée du lendemain, c'est-à-dire au 12
8 juillet. Dans la matinée et dans l'après-midi, avez-vous remarqué des
9 soldats serbes de Bosnie se mêlaient à la foule ?
10 R. Oui.
11 Q. Que faisaient-ils ?
12 R. Au tout début matin, je ne vais pas vous dire l'heure, mais c'était 9
13 h, 10 h du matin, d'après moi. C'est là que, depuis Djogazi et Peciste,
14 c'est ce que je pouvais voir. J'ai vu ces premiers soldats, parce qu'on a
15 vu les vieilles maisons en train de brûler, du foin en train de brûler et
16 de la paille de blé qui était récoltée déjà. C'est ce qu'on pouvait voir en
17 direction de Potocari. En descendant, ils tiraient en l'air, ils criaient,
18 ils fêtaient. On savait que c'étaient des soldats serbes, et ils ont
19 commencé à se mêler à la population qui se trouvait là. Dans l'enceinte où
20 je me trouvais, ils étaient en train de déambuler, puis ils interrogeaient
21 les gens. Ils demandaient où était notre armée, où sont nos maris, nos
22 enfants, enfin nos fils, ce genre de questions. On nous demandait ce qu'on
23 avait décidé de faire, est-ce qu'on savait ce qu'ils attendaient. Il y
24 avait un soldat qui nous avait dit, qu'enfin, à moi et à une femme qui se
25 trouvait à côté de moi, il est entré dans cette pièce, et parce qu'eux, ils
26 se connaissaient depuis les temps de paix, il nous disait : Allez à Tuzla,
27 on vous évacuera probablement vers Tuzla, mais soyez certains que ce type
28 de scénario se produira prochainement là-bas aussi.
Page 23506
1 Enfin, pour l'essentiel et surtout dans la matinée et vers midi, ils
2 déambulaient, ils interrogeaient les uns, les autres. Ils n'ont touché à
3 personne, à ce moment, rien de particulier ne s'est produit jusque dans
4 l'après-midi. Quand on en est arrivé à l'après-midi, ils ont commencé à
5 emmener des groupes d'hommes qui ont été interrogés déjà, ils les ont
6 emmenés vers ces maisons qui se trouvaient derrière l'enceinte de cette
7 usine de zinc. Il y avait une espèce de lopin qui avait été, on avait semé
8 du maïs. Le maïs avait déjà poussé, et il y avait une plaque en métal qui
9 avait été enlevée de la clôture, et 11 juillet, on sortait par là pour
10 aller vers les maisons qui se trouvaient là-bas, pour apporter de l'eau. Il
11 y avait des toilettes extérieures, on emmenait les enfants là-bas.
12 Mais ce jour dans l'après-midi, le 12 juillet, je veux dire, je suis allée,
13 une fois de plus, emmener mon fils jusqu'au PC. Je ne savais trop ce qui
14 allait se passer. J'étais inquiète. Je n'ai pas regardé au loin devant moi
15 et lorsque je suis arrivée à quelques mètres de la clôture, j'ai vu des
16 soldats qui se tenaient debout sur, enfin, là où on devait passer. Ils ne
17 m'ont rien dit. Il y en a un qui m'a montré de la main que je devais
18 rebrousser mon chemin. C'est ce que j'ai fait avec mon fils. Il n'y avait
19 là que des soldats serbes qui étaient pour l'essentiel en uniforme. Il n'y
20 avait pas de population à nous autour des maisons et dans les maisons et on
21 ne nous laissait pas aller là-bas.
22 Donc, je suis retournée de là -- enfin, vers le point de départ.
23 Dans la soirée, ils ont emmené un groupe -- pas un groupe d'hommes. J'ai vu
24 qu'ils les interrogeaient, parce que je pouvais voir dans l'enceinte de
25 cette usine de zinc qu'il y avait Efendic, Hamed. Il a été interrogé, puis
26 emmené. Puis, ils sont interrogé Salihovic Ahmo. Puis, il y a eu le fils
27 d'une collègue à moi qui a été emmenée. Elle était venue avec lui à
28 Potocari. Deux fois, ils l'ont interrogée. Ils l'ont emmenée à la troisième
Page 23507
1 fois, ils ne l'ont plus jamais ramenée. Enfin, les gens qui ont été emmenés
2 ne revenaient plus, ceux qui étaient sélectionnés dans la foule. Ils -- On
3 les emmenait vers ces maisons et ces gens ne sont jamais revenus. C'est
4 ainsi qu'est venue la nuit.
5 Q. Merci. Madame, est-ce que vous avez dormi ce soir-là ?
6 R. Non. Il n'y avait aucune chance de dormir cette nuit et cette nuit, je
7 n'ai pas dormi. La nuit précédente non plus.
8 Q. A la date du 13, au matin, le lendemain, donc, quel était votre état
9 d'esprit ? Que vouliez-vous faire, rester ou partir ?
10 R. Après cette nuit ainsi passé à Potocari, je pense que les autres
11 personnes voulaient au plus tôt en arriver jusqu'à ce barrage de la
12 FORPRONU pour entrer dans l'enceinte même, afin d'être évacué comme on nous
13 l'avait promis auparavant.
14 On nous avait dit que tout le monde allait être évacués, parce que le
15 12 déjà, en début de soirée, d'après ce qu'on nous a dit, il y a déjà eu
16 des autocars ou des camions, que sais-je, qui avaient transporté les femmes
17 avec les bébés, parce que c'est elles qui avaient la priorité, comme on
18 nous l'a expliqué. Nous, on voulait tous partir et arriver au plus vite
19 jusqu'à ces autocars et ces camions pour quitter l'enceinte, pour quitter
20 cet état de situation chaotique. Il y avait des températures très élevées,
21 il n'y avait pas de vivres. Les enfants étaient dans un état lamentable. On
22 n'avait rien à leur donner. Même le lait ne pouvait pas durer longtemps.
23 C'est ça se périmait.
24 Tout ce monde voulait s'en aller au plus vite. Ils voulaient tous
25 partir en même temps.
26 Q. Parlons maintenant de la façon dont vous avez quitté Potocari à la date
27 du 13. A un moment donné, avez-vous pris votre jeune fils et avec votre
28 beau-père, êtes-vous allés vers ces autocars ?
Page 23508
1 R. Oui.
2 Q. Une fois que vous avez passé l'endroit où il y avait ce barrage
3 routier, comme vous l'avez qualifié avec ces rubans rouges, avez-vous vu au
4 final ces autocars ?
5 R. Oui.
6 Q. Dans quelle direction étaient-ils tournés ?
7 R. Tous les autocars et les camions étaient tournés vers la direction de
8 Bratunac. Ils étaient garés et tournés vers Bratunac.
9 Q. Lorsque vous vous êtes approchés des autocars, est-ce que votre beau-
10 père était en train de marcher à côté de vous ?
11 R. Oui. Mais avant les autocars, lorsqu'on se dirigeait vers ces autocars,
12 depuis Bratunac, il est arrivé un véhicule. Je vais peut-être mal le
13 décrire. Ça ressemblait à une espèce de Jeep. C'était sans toit, un
14 véhicule sans toit. A bord, il y avait des soldats serbes, des soldats
15 serbes armés. Entre eux, dans le véhicule, il y avait un vieil homme. Ce
16 vieil homme, je le connaissais. Enfin, tous les gens du cru qui étaient
17 avec nous le connaissaient. Mon beau-père le connaissait. Il travaillait à
18 la mine de zinc à Srebrenica. C'est -- il s'agissait d'Ilija Petrovic.
19 Il insultait, injuriait, ils nous insultaient notre mère de Balija, il nous
20 disait : "Allez donc chez Alija, ça ira mieux. Si vous aviez prêté une
21 oreille attentive à ce que disait Babo, vous n'auriez pas connu ce sort."
22 Il nous donnait -- enfin, il nous disait bien des choses injurieuses, et il
23 nous disait que ça en était fini de nous et que probablement on ne se
24 reverrait plus.
25 Q. Qu'est-il arrivé à votre beau-père ?
26 R. Quand on est passé à côté de ce soldat, il y avait debout des soldats
27 serbes, et une fois de plus, il y a eu séparation des hommes et des femmes.
28 Les femmes avec les enfants allaient vers la droite, vers les autocars,
Page 23509
1 vers la droite des autocars, et vers la gauche, on mettait de côté tous les
2 hommes. C'est là qu'ils ont mis de côté mon beau-père, puis mon beau-frère,
3 c'est-à-dire le mari de ma sœur. Puis, il y avait d'autres personnes qui
4 étaient passées à côté de ce barrage routier. C'étaient des gens que je
5 connaissais, et pour l'essentiel, ils ont tous été emmenés vers la "maison
6 blanche." C'est ainsi qu'on l'appelait. Pendant qu'on marchait vers les
7 autocars, dès qu'on avait passé cette espèce de canal ou de petit pont qui
8 séparait l'asphalte et la maison, il fallait jeter les sacs dans la cour.
9 J'ai vu mon beau-père jeter son sac quand on le lui a dit et sans rien, ils
10 se sont dirigés vers cette maison.
11 Nous, on s'est dirigés vers les autocars et puis, on n'a plus pu voir. De
12 là, à savoir s'ils sont allés dans la maison ou derrière la maison, je n'ai
13 plus pu le voir. Nous, on ne pouvait plus le voir.
14 Q. Est-ce que vous avez jamais revu votre beau-père plus tard ?
15 R. Non.
16 Q. Est-ce que vous avez pu monter à bord d'un autocar avec votre fils ?
17 R. Oui.
18 Q. Votre sœur, était-elle à bord du même autocar ?
19 R. Oui.
20 Q. Madame Malagic, quand avez-vous pour la dernière fois vu votre époux,
21 Salko ?
22 R. Mon mari, tout comme les enfants, je les ai vus la dernière fois --
23 pour la dernière fois quand on s'est quittés à Srebrenica, devant
24 l'enceinte de la FORPRONU. On est partis chacun de notre côté et je ne l'ai
25 plus jamais revu.
26 Q. Quel âge avait votre mari, à l'époque ?
27 R. 44 ans. Je pense qu'il avait 44 ans. 44 sur -- 45 --
28 Q. Merci. Est-ce qu'à un moment donné, pendant les années écoulées, on
Page 23510
1 vous aurait informée de la découverte de sa dépouille ?
2 R. Oui.
3 Q. Quand avez-vous été informée de la chose ?
4 R. Vers le début du mois de juin de l'an 2009, j'ai été informée d'abord
5 de mon mari. C'était avant l'enterrement, je ne suis allée que pour
6 identifier ce qui pouvait être identifié, et signer des papiers.
7 Quatre mois plus tard, j'ai reçu une convocation en provenance de Tuzla,
8 pour aller identifier mon fils cadet. Je l'ai fait, et avant cet avant-
9 dernier enterrement, mon mari et mon fils ont été enterrés au centre
10 commémoratif de Potocari. Le beau-père a été enterré quelques années avant
11 cela, je ne sais trop vous dire quand. Une semaine avant que d'être
12 informée de la nécessité de venir ici à La Haye, j'ai été convoquée par
13 Tuzla, j'ai été donc sollicitée pour aller à une autre identification, donc
14 j'ai retrouvé mon fils aîné. Je ne suis pas encore allée là-bas, j'ai
15 d'abord décidé de terminer ce que j'avais à faire ici à La Haye, parce que
16 je ne savais pas comment je me sentirais après tout ce mal ou toute cette
17 souffrance que j'aurais à subir à Tuzla. Je pense qu'une chose aurait été -
18 - je considérais que les choses se passeraient plus aisément pour moi de la
19 sorte.
20 Q. Madame, lorsqu'il s'agit de votre fils, Admir, qui se trouve entre les
21 deux, celui que vous avez pour la dernière fois vu à Srebrenica, quel âge
22 avait-il, à l'époque ?
23 R. Lors de la chute de Srebrenica, il avait 15 ans et cinq mois.
24 Q. Votre fils aîné, que vous venez de mentionner tout à l'heure, vous
25 venez d'avoir une notification pour ce qui est de la découverte de sa
26 dépouille, quel âge avait-il quand vous l'avez vu pour la dernière fois ?
27 R. Il avait à peine six de plus que l'autre fils, donc il devait avoir
28 quelque 20 ans. Il avait cinq ans de plus qu'Admir.
Page 23511
1 Q. Votre fils cadet, celui qui a survécu et qui était avec vous à
2 Potocari, quel avait avait-il à l'époque, lorsqu'il s'est trouvé dans
3 l'enceinte de Potocari ?
4 R. Il avait dix ans à l'époque. Il était sur le point d'avoir 11 ans.
5 Q. Où réside-t-il actuellement ?
6 R. Mon fils réside actuellement à Vogosca, tout comme moi. Il est sous
7 locataire lui aussi, il attend que l'on lui trouve un appartement. Enfin,
8 il a acheté quelque chose, mais c'est en construction. Il vit là-bas avec
9 sa famille. Il a un fils, lui aussi, il réside à Vogosca.
10 Q. Lors du pilonnage de Srebrenica, en juillet 1995, lorsque vous vous
11 dirigiez vers Potocari, vous étiez enceinte à l'époque, n'est-ce pas ?
12 R. Oui.
13 Q. Quand avez-vous donné naissance à cet enfant ?
14 R. Ma fille est née le 21 janvier 1996. L'autre jour, samedi passé,
15 c'était son anniversaire. Elle vient d'avoir 16 ans. Elle a eu 16 ans
16 pendant que je me suis trouvée ici.
17 Q. Quel était son état de santé lorsqu'elle est née ?
18 R. Il est probable que toutes ces difficultés et souffrances, que j'ai
19 connues au fil de ma grossesse chute de Srebrenica et le reste, ont dû
20 laisser des traces au niveau de l'enfant. Après sa naissance, je dirais
21 d'abord que ce n'était pas un bébé en bonne santé. On a tout de suite été
22 voir des hôpitaux à Tuzla, elle a eu des problèmes avec ses hanches, et
23 pendant qu'on soignait une hanche, l'autre se compliquait, ce qui fait
24 quand elle a eu deux ans, je l'ai prise à Sarajevo pour voir beaucoup de
25 médecins. On n'a rien pu faire sans opération, et elle a eu trois
26 opérations à la hanche droite.
27 On restait pendant deux mois et demi d'affilée à l'hôpital, et puis
28 pendant six mois, il y avait des thérapeutiques, des traitements de
Page 23512
1 physiothérapeute, alors on lui mettait des attaches, il y avait eu des
2 questions à se poser au niveau de sa survie, mais moyennant nombre
3 d'efforts des médecins, de la part des médecins et de ma part à moi, j'ai
4 réussi à la remettre sur pied. Elle n'est pas restée invalide. Elle est
5 toujours sous contrôle médical, et pendant les vacances d'hiver, elle fait
6 trois semaines, elle a fait trois semaines de physiothérapie, et puis
7 l'été, elle fait deux semaines d'eau thermale. Elle est toujours sous
8 contrôle des médecins qui l'ont opérée.
9 En tout et pour tout, ça va assez bien. C'est satisfaisant à présent.
10 Elle est à l'école. Mais je tiens à dire qu'elle est toujours dispensée
11 d'éducation physique, c'est donc un enfant qui est en quelque sorte un
12 invalide, et passe des examens dans ces matières-là mais rien que sur le
13 plan théorique, afin d'avoir une note quand même.
14 Q. Madame, est-ce que vous avez toujours, en votre possession, la maison
15 qui était la vôtre, sur la rivière Drina, à Bratunac ?
16 R. Oui.
17 Q. A quelle fréquence vous rendez-vous là-bas ?
18 R. Croyez-moi que, pendant l'été, j'y vais souvent. L'an passé, je suis
19 allée souvent. Je n'ai pas de date pour y aller. Quand j'ai envie d'y
20 aller, j'y vais. Mais plus que pour aller voir la maison, je vais au centre
21 commémoratif, et chemin faisant je vais voir la maison. L'une des raisons
22 pour lesquelles je me déplace moins souvent que je voudrais, c'est le fait
23 qu'il y a des souvenirs douloureux.
24 J'ai fait quelque chose au niveau de la maison pour la réparer,
25 moyennant donation, moyennant des deniers à moi, pour pouvoir y passer la
26 nuit, passer deux ou trois, cinq jours, autant que faire se peut. Mais,
27 physiquement parlant, je ne peux pas rester longtemps, parce que toute ma
28 vie durant, je revois ça comme un film, vous savez, vous rentrez là-bas,
Page 23513
1 vous êtes seule, vous ne pouvez pas rester indifférente. Alors je vais à la
2 maison, je vais voir, inspecter la maison, j'ouvre, j'aère, je referme.
3 C'est difficile, psychiquement parlant, je ne peux pas supporter de rester
4 seule là-bas. Cette solitude me tue. Les souvenirs que j'aie de mes
5 enfants, de mon mari, de la vie que j'ai eue avant 1992, tout ça c'est très
6 pénible.
7 Q. Merci, Madame Malagic. Je n'ai plus de questions à vous poser.
8 Mme WEST : [interprétation] Monsieur le Président, je voudrais savoir si on
9 peut demander au témoin si elle se sent capable de continuer.
10 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vais le faire.
11 Mme WEST : [interprétation] Merci.
12 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Madame Malagic, s'agissant de votre
13 témoignage dans une affaire antérieure, où vous êtes venue témoigner il y a
14 12 ans, il y a eu un versement au dossier -- sa teneur dans cette affaire-
15 ci, et ce, en complément des questions posées par Mme West. Alors, vous
16 allez maintenant être contre-interrogé par M. Karadzic; est-ce que vous
17 souhaitez faire une pause avant ou est-ce que vous préférez que la
18 prochaine pause se fasse à midi 30 ?
19 LE TÉMOIN : [interprétation] On peut attendre la pause ordinaire.
20 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.
21 Oui, Monsieur Karadzic, vous avez la parole.
22 L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Excellence. Bonjour, Excellence. Bonjour
23 à toutes et à tous.
24 Contre-interrogatoire par M. Karadzic :
25 Q. [interprétation] Bonjour, Madame.
26 R. Bonjour.
27 Q. Avant tout, je tiens à vous dire combien je compatis avec vous pour
28 toutes les souffrances que vous avez connues, et je vous remercie également
Page 23514
1 d'avoir reçu mes jeunes collaborateurs qui ont pu donc s'entretenir avec
2 vous. Compte tenu de ce que vous avez traversé, je préférerais ne pas vous
3 poser de questions. Toutefois, comme vous dites beaucoup de choses dans
4 votre déposition, il y a des points sur lesquels j'aurais besoin de votre
5 aide pour préciser des choses. Donc je suis néanmoins obligé de vous
6 interroger.
7 Pour commencer, est-il exact de dire que, dans votre village, dans
8 Voljavica, la crise s'est déclarée après le 12 mai ?
9 R. Dans mon village, la crise s'est déclenchée avant le 12 mai. Le 12 mai,
10 j'étais déjà partie de mon village. Après cette date-là, je ne sais plus
11 comment la situation a continué à Voljavica parce qu'on était déjà partis.
12 Q. [aucune interprétation]
13 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Karadzic, de quelle année
14 s'agit-il ?
15 L'ACCUSÉ : [interprétation] De l'année 1992. Mme West a commencé par cela.
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.
17 M. KARADZIC : [interprétation]
18 Q. Le 8 mai, est-il exact de dire que les Bérets verts et la Ligue
19 patriotique, c'est-à-dire les combattants musulmans ont tué le Juge Zekic
20 près de Potocari ?
21 R. Je ne peux pas vous répondre à cette question, il faut savoir qu'à ce
22 moment-là, j'étais à Voljavica, et ce qui s'est passé, d'après ce qu'on a
23 dit, cela ce serait passé entre Srebrenica et Potocari, et à l'époque, je
24 ne connaissais pas les événements là-bas.
25 Q. Merci. Justement vous n'êtes pas tenue de connaître ces choses-là, mais
26 je voudrais simplement qu'on voit si vous avez ces informations, est-ce que
27 vous avez appris que ce juge a été tué à ce moment-là ?
28 R. Je vous ai expliqué que nous ne passions pas la nuit chez nous à la
Page 23515
1 maison. Pendant qu'on était au village, à 500 mètres peut-être de chez moi
2 en traversant un champ, on a vu une colonne qui est passée de Bratunac, une
3 colonne de véhicules. Ça n'a pas pris longtemps. Elle est revenue vers
4 Bratunac. Nous ne savions pas de quoi il s'agissait, mais nous avons
5 entendu dire par un homme qui lui vivait à Pobrdje qui avait sa maison près
6 des voisins serbes, parce que, là-bas, ils étaient mixtes, il y avait à la
7 fois des Serbes et des Musulmans. Nous avons entendu dire qu'il aurait
8 appris que Zekic aurait perdu la vie, et que c'était, en fait, son corps
9 qui a été transporté par cette colonne-là vers Ljubovja [phon] pour
10 enterrer là-bas, mais je ne sais pas si c'est exact, c'est ce que j'ai
11 entendu dire.
12 Q. Merci. Donc c'était en fait un cortège funèbre, mais est-ce que vous
13 saviez qu'il était lui dans sa voiture qu'il n'y avait pas de colonne qu'il
14 était à titre privé lorsqu'on l'a tué ?
15 R. Non.
16 Q. Vous avez mentionné Hranca, cela se situe à l'entrée même de Bratunac ?
17 R. Oui.
18 Q. Savez-vous que le Corps d'armée de Novi Sad dont vous parlez dans
19 plusieurs de vos déclarations est-ce que vous savez qu'il a été stationné
20 dans le cadre de la JNA, forces armées régulières de l'époque, et qu'il
21 avait commencé à se replier vers la Yougoslavie ?
22 R. Non. Je vais essayer de vous expliquer ça si je peux, je sais où ça se
23 trouve Hranca, mais ce que je sais aussi c'est que ce Corps d'armée de Novi
24 Sad était à Bratunac pendant cette période-là, et Monsieur Karadzic, c'est
25 à ce moment-là qu'on a proclamé une obligation de travail à Bratunac. C'est
26 à la scierie qu'a travaillé une de mes proches, pendant sept jours elle y a
27 travaillé. Nous avons appris donc que c'était le Corps d'armée de Novi Sad,
28 je vais vous donner mon opinion maintenant, jamais, jamais à Bratunac, à
Page 23516
1 Srebrenica, il n'y a eu d'armée régulière jusqu'à ce moment-là, donc, dans
2 ces localités. Mes frères, mon époux, mes parents, ils sont tous allés
3 faire leur service militaire en Serbie, à Valjevo [phon], à Batanica
4 [phon], donc il n'y avait pas d'armée régulière stationnée sur place.
5 Alors pourquoi sont-ils venus à ce moment-là, ça je ne sais pas. Mais je
6 pense qu'ils ne sont pas venus nous défendre nous, parce que s'ils nous
7 avaient défendus, ils ne se seraient pas passé ce qui s'est passé avec
8 nous.
9 Q. Merci. Mais dans le cadre de votre déposition et dans votre déclaration
10 écrite vous avez confirmé, n'est-ce pas, que la JNA a été déployée en
11 Bosnie pour s'interposer entre les Serbes et les Musulmans qui se faisaient
12 la guerre ?
13 R. Oui.
14 Q. Merci. Alors est-il exact de dire que ces unités faisant partie du
15 Corps d'armée de Novi Sad étaient arrivées de Bosnie centrale et qu'elles
16 étaient en route vers la Yougoslavie ?
17 R. Je ne suis pas certaine de leur itinéraire. Je ne sais pas comment
18 m'expliquer le fait que ce Corps d'armée de Novi Sad arrive de Bosnie
19 centrale pour se retirer vers la Yougoslavie, ainsi Novi Sad et en
20 Yougoslavie. Donc je ne sais pas d'où ils sont venus à Bratunac, ni
21 comment, je ne le sais pas, j'étais à Voljavica, j'étais bloquée dans mon
22 village. Mais ce qu'on nous a dit pour nous expliquer leur présence,
23 c'était parmi vos voisins serbes, il y avait des gens qui disaient que ce
24 corps d'armée, paraît-il, allait préserver la paix à Bratunac. Mais de
25 quelle paix s'agit-il, écoutez, je ne saurais pas vous dire qui, qui était-
26 il censé protéger à Bratunac, quelle est cette paix dont on parle.
27 Q. Bon, d'accord. Mais est-ce que vous confirmez que si ce corps d'armée
28 était basé à Novi Sad, est-ce que la zone de responsabilité de la JNA
Page 23517
1 n'était pas toute la Yougoslavie ? Donc c'était logique que Corps de Novi
2 Sad ne reste pas cantonné en Yougoslavie. Mais il se déplace, qu'il se
3 déploie et redéploie.
4 Mme WEST : [interprétation] Monsieur le Président.
5 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.
6 Mme WEST : [interprétation] Ce ne sont pas des questions appropriées pour
7 ce témoin.
8 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je suis d'accord avec vous. Posez une
9 autre question, Monsieur Karadzic.
10 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je vous remercie. Je retire cette question.
11 M. KARADZIC : [interprétation]
12 Q. Est-ce que vous savez qu'à Hranca ce convoi qui était parti pour la
13 Yougoslavie, eh bien, qu'il a été attaqué à Hranca et qu'il y a eu des
14 soldats qui ont été tués faisant partie de ce convoi ?
15 R. Non.
16 Q. Le 4 mai, le 3 ou le 4, vous n'avez pas entendu parler d'une attaque,
17 une attaque contre ce convoi qui se déplaçait en se repliant, se retirant
18 en paix pas en position de combat ?
19 R. Non, je n'en ai pas entendu parler.
20 Q. Alors Voljavica est-ce qu'elle avait ses propres unités ou bien est-ce
21 que cette localité a été démilitarisée ?
22 R. Voljavica n'avait pas ses unités. Ça, j'en suis certaine. Je ne sais
23 pas vous donner la date exacte, mais vos représentants de Bratunac sont
24 venus nous voir un jour et ils ont posé un ultimatum. Ils ont dit que
25 toutes les armes que possédaient les habitants de Voljavica devaient être
26 rendue. A ce moment-là, c'était un policier à la retraite qui faisait
27 partie de la police des routes, Miladin, qui était à la tête de cette
28 délégation. Je le connaissais. Je me suis un peu étonnée de le voir là,
Page 23518
1 mais il était là, avec plusieurs soldats et ils sont allés vers l'école et
2 c'est là qu'ils ont expliqué qu'il fallait expliquer à tout le monde de
3 rendre leurs armes. Ce jour-là, si on avait un fusil de chasse, ou si on
4 avait un permis de port d'armes pour n'importe quelle autre arme, on y est
5 allés pour la remettre. Donc il n'y avait pas d'unités armées à Voljavica
6 et, tout simplement, on n'aurait pas pu se défendre de toutes les manières.
7 Q. Merci. Ekrem Malagic, est-ce que quelqu'un que vous connaissiez ?
8 R. Oui.
9 Q. Savez-vous qu'à titre posthume, il s'est vu décoré du lys d'or ?
10 R. Non, je ne suis pas au courant de ça.
11 Q. Connaissiez-vous Osman --
12 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Attendez un instant. Monsieur Karadzic,
13 ménagez une pause entre les questions et les réponses.
14 L'ACCUSÉ : [interprétation] Excusez-moi. C'est ma faute.
15 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Attendez. Je pense que le témoin a
16 répondu en disant non. Oui, continuez, s'il vous plaît.
17 M. KARADZIC : [interprétation]
18 Q. Donc, vous ne saviez pas qu'à titre posthume, il a reçu la médaille la
19 plus importante qui soit -- décoration -- la plus importante qui soit parmi
20 les décorations de guerre ?
21 R. Je n'étais pas au courant.
22 Q. Puisque nous n'avons pas la même façon de nier que -- que cela est
23 habituel en langue anglaise, vous vouliez, en fait, dire, que vous n'étiez
24 pas au courant de cela; c'est bien ça ?
25 R. Oui, vous avez raison.
26 Q. Merci. Osman Malagic, est-ce que quelqu'un que vous connaissiez ?
27 R. Oui. C'était mon gendre.
28 L'INTERPRÈTE : L'interprète se corrige : C'était mon beau-frère.
Page 23519
1 M. KARADZIC : [interprétation]
2 Q. Saviez-vous que c'était un des commandants les plus en vue de l'une des
3 unités de la 28e Division ?
4 R. La seule chose que je puisse vous dire, c'est que ce beau-frère, il est
5 tombé au tout début. Je ne sais pas comment il aurait pu devenir un
6 commandant aussi important. Je pense qu'il n'y a pas eu suffisamment de
7 temps pour qu'il le devienne. Juste, c'est qu'il avait un très grand désir,
8 un souhait à -- avec un groupe de jeunes hommes et il voulait aller jusqu'à
9 sa maison, sa maison sur la rivière Drina. Il n'était pas armé.
10 Je ne sais pas s'ils avaient des -- d'autres instruments de guerre
11 pour faire la guerre, mais, vous savez, il a perdu sa vie au tout début,
12 devant sa maison, enfin, en allant chez lui.
13 Q. Mais c'est le 12 juillet [phon] 1992 qu'il a été tué, n'est-ce pas ? Il
14 a été décoré à titre posthume le 24 mai 1994; le saviez-vous ?
15 R. Non, non. Je n'étais pas au courant de cela. Je n'ai pas appris qu'il
16 aurait été décoré d'un lys d'or. Sa mère se trouve --
17 L'INTERPRÈTE : L'interprète se corrige.
18 LE TÉMOIN : [interprétation] Sa femme se trouve aux Pays-Bas. Elle m'en
19 aurait parlé.
20 M. KARADZIC : [interprétation]
21 Q. Le 12 juillet, j'ai dit. Le mois n'a pas été correctement consigné.
22 Est-ce que vous connaissiez Hazim Jananovic [phon] ?
23 R. Non.
24 Q. Donc, vous ne savez pas qu'il a été commandant du Bataillon indépendant
25 de Voljavica à partir du 11 décembre 1992 jusqu'au 14 janvier 1993 ?
26 R. Monsieur Karadzic, mais je l'ai déjà dit. Je vous ai dit ce que j'ai
27 traversé pendant cette période-là, en 1992-1993, tout ce que j'ai -- j'ai
28 dû vivre pendant cette période-là avec mes enfants, avec ma famille. Mes
Page 23520
1 enfants n'étaient pas des soldats à ce moment-là. Je ne peux pas vous
2 répondre à cette question-là. Si des gens ont été commandants à ce moment-
3 là, ce n'était pas quelque chose qu'on me disait, dont on m'informait. Je
4 ne sais pas ces choses-là. Je n'en suis pas certaine.
5 Q. Je vous remercie. Je comprends parfaitement ce que vous dites, mais il
6 est important pour la Défense de comprendre sur la base de quelles
7 informations vous pouvez parler des choses de nature militaire qui
8 dépassent le cadre de votre famille. Donc, je voudrais simplement savoir
9 exactement ce que vous saviez et ce que vous ne saviez.
10 Donc, je me propose de donner lecture des noms des commandants de ce
11 Bataillon indépendant. Je ne donnerai pas les dates où ils ont été
12 commandants. Mais dites-moi si vous les connaissez.
13 Mithat Salihovic, pour commencer, le connaissiez-vous ?
14 R. Oui.
15 Q. Safet Omerovic ?
16 R. Non.
17 Q. Zajko Alic ?
18 R. Oui.
19 Q. Muharem Husic ?
20 R. Non.
21 Q. Fikret Cvrk ?
22 R. Oui.
23 Q. Omerovic Mirzet ?
24 R. Non.
25 Q. Ce sont des noms de commandants et pour certains, ils ont été
26 assistants chargés du moral du Bataillon indépendant de Voljavica. Est-ce
27 que vous saviez que le Bataillon indépendant de Voljavica existait bel et
28 bien et qu'il a pris part à toutes les actions armées ?
Page 23521
1 R. Non.
2 Q. Merci. Hajrudin Malagic, le connaissiez-vous ?
3 R. Oui.
4 Q. Saviez-vous que c'était aussi un combattant ?
5 R. Mais comment pourrais-je expliquer bien cette situation ? A -- pas
6 seulement Hajrudin Malagic, c'est un parent de mon époux. Donc, tous ces
7 gars, tous ces hommes qui se sentaient valides, en fin de compte, il
8 fallait bien qu'ils protègent leurs familles quand elles étaient attaquées,
9 parce qu'à un moment donné, on s'est retrouvés à Srebrenica et puis, il a
10 fallu qu'ils aillent chercher la nourriture, ne serait-ce que pour apporter
11 un blé de maïs. Ils sortaient de Voljavica et je ne sais pas comment --
12 comment vous parlez de cela. Ils étaient chargés de monter la garde. Peut-
13 être que je me trompe en disant ça, mais pour protéger votre frère, votre
14 sœur, vos -- vos parents, vous le feriez. C'est ce qu'ils faisaient, et
15 quant à dire que c'étaient des combattants, une unité armée, non, ça, je ne
16 le crois pas, mais je pense qu'ils n'étaient pas -- du moins pas pendant
17 cette période-là, donc, pendant -- au début de la guerre.
18 Q. Merci. Et Enes, le frère de votre père -- père, Hajrudin, est-ce qu'il
19 est votre oncle ?
20 R. Non. Le cousin, cousin de mon beau-père.
21 Q. Et Mejrudin [phon] Malagic, le connaissiez-vous ?
22 R. Non.
23 Q. Le fils d'Orhan ?
24 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Karadzic, j'ai du mal à
25 comprendre quelle est la pertinence de ces questions. Est-ce que vous
26 pouvez, s'il vous plaît, passer à autre chose ?
27 L'ACCUSÉ : [interprétation] Excellence, mais cette famille a joué un rôle
28 très important sur le plan militaire. Elle a contribué, de manière très
Page 23522
1 considérable, au combat et je m'appuie sur des documents musulmans, la --
2 les documents du 2e Corps d'armée. Je comprends que le témoin ne connaisse
3 pas certaines choses, mais ça aussi est important à mes yeux pour que je
4 sache faire la part des choses. Donc tout ce qu'elle sait, c'est qu'elle ne
5 sait pas, non seulement pour savoir ce qu'a traversé sa famille, pour voir
6 ce qu'il y en est des questions générales auxquelles elle a répondu, comme
7 si elle était au courant de ces choses-là.
8 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Vous pouvez présenter votre thèse au
9 témoin si vous le souhaitez et ensuite, vous passez à autre chose.
10 L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Excellence, mais cela handicape la
11 Défense, parce que si le témoin ne -- n'est pas prêt à répondre
12 véritablement à toutes les questions de la Défense, on aura pas à une image
13 exacte.
14 Mais, enfin, passons à autre chose.
15 M. KARADZIC : [interprétation]
16 Q. Madame Malagic, est-il exact de dire que la guerre a commencé en
17 Bosnie-Herzégovine le 6 avril, et cinq semaines après cette date-là, vous
18 avez quitté votre village vous-même ?
19 R. Monsieur Karadzic, la guerre a commencé sans aucun doute bien avant que
20 je ne quitte mon village. Moi-même, mes proches ainsi que tous les autres,
21 on était déjà prisonniers à Voljavica à ce moment-là, avant le 6 avril,
22 comme vous le dites. On travaillait encore à l'entreprise, mais à partir de
23 ce moment-là, on avait dressé les premiers barrages ou les barricades à
24 Pobrdje. Donc, on ne pouvait pas circuler, et puis il y a eu des barricades
25 par le SUP de Bratunac qui ne nous laissait pas d'aller -- laissait pas
26 avancer plus loin que Pobrdje. Puis j'ai aussi entendu dire qu'il y a eu
27 d'autres endroits à Bjelovac qu'on a posé des barricades. Moi, je n'y suis
28 pas allé. Puis, plus tard, je ne sais pas exactement à quelle date, mais on
Page 23523
1 a déclaré cette obligation de travailler, mais pas pour tout le monde,
2 uniquement pour un certain nombre de personnes dont les noms figuraient sur
3 la liste. Pourquoi les a-t-on sélectionnés, je ne le sais pas, mais il y a
4 eu des gens qui se sont rendus, donc, au travail, dans le cadre de cette
5 obligation de travailler.
6 Puis je vous ai dit qu'on ne passait pas la nuit chez nous. On se
7 déplaçait, on allait ailleurs dans le village, même si ce n'était pas très
8 loin. Mais on a vu de nos propres yeux, je dois dire, et ça, c'est quelque
9 chose que j'ai appris après et j'ai confirmé dans mes déclarations que j'ai
10 appris de la part d'autres personnes, parce que j'avais plusieurs membres
11 de ma famille ou de la famille de mon mari qui ont traversé le martyr avant
12 nous à Voljavica, à Hranca. Donc vous dites que les soldats du Corps de
13 Novi Sad ont été attaqués. Ça, je ne sais pas, mais ce que je sais, c'est
14 que toutes les maisons de Hranca ont été incendiées, que Glogova a été
15 complètement incendiée, celle qui se situe avant Hranca. On a incendié les
16 granges avec le bétail dedans et ma belle sœur, qui était en train de
17 labourer le champ, pendant qu'elle était devant chez elle, elle a vu un
18 obus tomber dans sa maison par une fenêtre. Elle a réussi uniquement de
19 sauver son enfant, sortir l'enfant de la maison et se cacher dans le cour
20 d'un ruisseau pour ne pas se faire tuer, puisque tous ceux qui ont été
21 trouvés sur place à Hranca, ce jour-là, ont été tués, et ça, c'est vrai,
22 c'est la vérité. Enfin, on voyait l'éclat des flammes dans le ciel, on le
23 voyait depuis notre village, derrière la colline.
24 Donc, à l'époque où il y avait encore des téléphones qui
25 fonctionnaient, ma belle-sœur m'a téléphoné de Hranca pour me dire qu'on
26 avait incendié sa maison. Elle est sortie. Elle, elle a réussi à se tirer
27 de là, et puis, en fait, elle a eu de la chance de se trouver à l'extérieur
28 au moment où sa maison a été incendiée.
Page 23524
1 Donc, vous, c'est-à-dire vos soldats ont incendié Hranca et Glogova
2 et c'est comme ça qu'ils sont arrivés à Bratunac.
3 Puis le 10 mai, c'est le village de Mihajlevici qui a été incendié.
4 Nous le voyons depuis chez nous.
5 Q. Oui, on va y venir. Mais confirmez s'il vous plaît, ligne 16, vous
6 dites que c'est le MUP qui a été désarmé. Mais, ça, on ne le trouve pas
7 dans le compte rendu d'audience. Page 55, c'est ce que vous avez dit ?
8 R. J'ai appris cela de nos policiers. Je vous ai dit que je ne savais pas
9 de quelle date il s'agissait. C'était Muja Husic, un policier régulier de
10 Bratunac. Il y avait Mirsad aussi…
11 Q. Merci, je vous remercie. Alors, dites-nous s'il est exact que l'on vous
12 a dit qu'il y avait des paramilitaires à Bratunac qui devaient être chassés
13 de là et que en attendant, il fallait que tous les civils se rendent au
14 stade.
15 R. Il n'y avait -- qu'il y avait des paramilitaires, ça, on nous a dit,
16 mais tous les civils de ce village et j'avais commencé à vous en parlé,
17 donc village incendié, Mihajlevici, Redzici, et d'autres, tous ces gens-là
18 ont été emmenés au stade de foot de Bratunac.
19 Mes belles-sœurs également, parce qu'il y en a une qui est passée par les
20 bois pour s'y rendre à Bratunac et puis, ils ont tous été rassemblés et
21 placés là. Puis, les hommes ont été séparés, emmenés à l'école de Karadzic
22 et puis les femmes ont été évacuées vers Kladanj ou Tuzla, je ne sais pas
23 exactement. Puis nous, nous étions tous, à ce moment-là, encore chez nous,
24 à Voljavica, au village.
25 Q. Merci. Saviez-vous qu'à Bratunac, il y avait des membres de la Ligue
26 patriotique ?
27 R. Non.
28 Q. Je ne vous reproche pas de ne pas savoir ce qui s'est passé à Bratunac.
Page 23525
1 R. Oui, je ne suis pas au courant de la Ligue patriotique.
2 Q. Est-ce que vous savez qu'il y ait des gens qui se sont rendus
3 illégalement en Croatie pour se faire encadrer par le MUP de Croatie et que
4 votre chef n'était pas d'accord parce que cela faisait peur aux Serbes ?
5 R. Ça, je ne suis pas au courant de cela.
6 Q. Merci. Est-ce que vous pouvez nous dire qui a perdu la vie à Hranca, à
7 ce moment-là, et de combien de personnes il s'agit ?
8 R. Les noms de ces gens-là, je ne les connais pas bien, mais pour ce qui
9 est du nombre de personnes qui ont été tuées, je pense que vous pouvez
10 vérifier ça facilement. Je sais qu'il y a eu des gens qui ont perdu la vie,
11 mais je ne pourrais pas vous donner le nombre. Donc, ceux qui s'étaient
12 trouvés sur place et qui n'ont pas réussi à prendre la fuite, dans leurs
13 maisons, je ne connais pas ces gens bien. Parfois, j'étais invitée ici ou
14 là, mais je ne les connaissais pas bien.
15 Q. Vous ne connaissez ni leurs noms ni le chiffre ?
16 R. Oui, c'est exact.
17 Q. Merci. Dites-nous : de quelle date il s'agit ? C'était les 3 ou 4 mai,
18 quand on a attaqué la colonne ?
19 R. Je ne le sais pas. Je ne sais pas la date exacte quand Hranca a été
20 incendiée. Je ne suis pas certaine de la date.
21 Q. Merci. Après cela, vous êtes donc partie pour Srebrenica et vous dites
22 que Srebrenica était déserte, si ce n'est pour des chiens errants et qu'il
23 y avait une odeur de -- du -- de combustion. Qui a incendié Srebrenica ?
24 R. Srebrenica a été incendiée par des Serbes, des soldats, des habitants
25 de Srebrenica, je ne sais pas, mais toujours est-il que c'étaient des
26 Serbes. Ce sont eux qui l'ont incendiée parce qu'ils étaient les seuls à
27 Srebrenica, à ce moment-là.
28 Q. Mais quelle est l'armée que vous avez trouvée sur place à Srebrenica
Page 23526
1 quand vous y êtes arrivée ?
2 R. Aucune.
3 Q. Les soldats serbes, ils étaient --
4 L'INTERPRÈTE : L'interprète se corrige.
5 M. KARADZIC : [interprétation]
6 Q. Les habitants serbes, ils étaient où ?
7 R. A côté de ma maison, et je pense que vous, vous le savez parfaitement,
8 que vous êtes au courant parfaitement. Il y avait un chemin qui menait en
9 passant par Zalazje vers Bratunac et Ljubovija [phon] si on partait de
10 Srebrenica. Il y avait plein de camions, de voitures. Depuis Bratunac, j'ai
11 vu passer devant ma maison des camionnettes remplies de soldats armés,
12 généralement pointés vers nous, et parfois, ils étaient assis sur des
13 capots.
14 Q. Madame, avec tous les respects que je vous dois, on y viendra, on y
15 viendra. Maintenant, nous parlons de Srebrenica. Vous entrez dans
16 Srebrenica, d'accord.
17 R. Oui.
18 Q. Donc la ville est déserte, il y a que des chiens errants, et ça sent le
19 brûlé. Alors quelle est l'armée que vous avez trouvée sur place, Srebrenica
20 est entre les mains de qui ? Qui la contrôle ?
21 R. Mais ces premiers qui sont arrivés dans Srebrenica, ils ont trouvé une
22 ville qui n'était contrôlée par personne, vous comprenez. Il n'y avait
23 personne dans Srebrenica. La ville est déserte, et ce n'est que là que
24 commencent à arriver des gens, je pense qui s'étaient en fait cachés dans
25 les bois, avant, après avoir pris la fuite. Mais les habitants, les vrais
26 habitants de Srebrenica, ils étaient déjà partis. Donc tous ceux qui sont
27 restés, il faut savoir quel sort leur a été réservé, donc tous ceux qui
28 n'étaient pas serbes.
Page 23527
1 Q. Vous parlez du mois de juin 1992, Madame ?
2 R. Oui.
3 Q. Mais vos voisins, les Serbes, 30 % à peu près de la population de
4 Srebrenica était serbe, ils se sont trouvés où au moment où vous êtes
5 arrivés ?
6 R. Mais ils ont quitté Srebrenica de leur propre chef, justement j'allais
7 vous l'expliquer à l'instant. On les a vus piller Srebrenica, donc tous ces
8 camions qui sont arrivés, on prenait tout ce qu'on trouvait dans une
9 maison, et vous voyez tout ça sur un camion. Le chauffeur du camion, ça
10 peut être quelqu'un que vous connaissez donc après, ils repartaient vers
11 Bratunac, ou en Serbie, je ne sais pas où, plus loin que Bratunac.
12 Mais vous ne m'avez pas laissé expliquer ce que j'allais vous dire. On
13 voyait donc des camionnettes pleines de soldats partir, et puis ils
14 revenaient tous avec des voitures, et puis on voyait des images
15 terrifiantes, des têtes de mort, mouvement Chetnik, et cetera, des
16 inscriptions. Tous ces gens-là, donc ils allaient à Srebrenica, et puis
17 quelques heures plus tard y revenaient. Chacun avait une voiture pour lui,
18 pour certains, ils avaient des camions, et puis ils prenaient tout ce
19 qu'ils trouvaient dans les maisons. Tous les objets, tout.
20 Donc je suppose, je suppose après la mort de Vekic, tous vos habitants ont
21 quitté Srebrenica, il n'y avait plus personne à Srebrenica.
22 Q. Donc vous dites qu'ils prenaient la fuite. Mais je vois dans votre
23 première déclaration de 1995, que vous avez dit que les Serbes ont commencé
24 à partir. Ils vidaient même leur tombe et emportaient les restes pour les
25 enterrer de l'autre côté de la Drina.
26 R. Oui.
27 Q. D'après, ils agissaient par peur ?
28 R. Je ne peux vous dire exactement pourquoi ces choses se sont produites
Page 23528
1 ainsi. Seuls eux pourraient vous dire ce qu'ils ont fait à l'époque.
2 Q. Si je vous dis que Naser Oric - et nous avons justement un extrait de
3 sa conversation avec Mahmut Cehajic - si je vous dis qu'il a affirmé qu'au
4 début du mois de juin 1992, il avait nettoyé quelques villages serbes avec
5 son armée, qu'il est entré à Srebrenica, et qu'il a nettoyé, est-ce que
6 vous accepteriez de dire qu'à partir de cette époque jusqu'à juillet 1995,
7 Srebrenica était sous son contrôle ?
8 Mme WEST : [interprétation] Objection.
9 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, et pour quel motif ?
10 Mme WEST : [interprétation] Je crois qu'il est très difficile pour ce
11 témoin, sur la base de son expérience, de faire un commentaire sur cet
12 extrait de la conversation avec Naser Oric.
13 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Moi, je pensais qu'il était en train de
14 présenter son argumentation. Si le témoin est en mesure de répondre à cette
15 question, la Chambre peut s'en satisfaire.
16 Alors, Madame Malagic, pouvez-vous répondre à cette question ?
17 LE TÉMOIN : [interprétation] Non.
18 M. KARADZIC : [interprétation]
19 Q. Alors laissons de côté cette conversation, ces écoutes. Est-il exact
20 qu'à partir du début du mois de juin 1995, 1992 -- pardon, juin 1992
21 jusqu'à juillet 1995, Srebrenica était contrôlé par l'armée musulmane ?
22 R. Je ne sais vraiment pas répondre à cette question. Lorsque vous dites
23 "l'armée musulmane," nous ne définissons sans doute pas "l'armée" de la
24 même façon. Donc je ne serai pas en mesure de répondre à une question de ce
25 type. Pour moi, une armée est constituée de personnes qui sont armées, qui
26 bénéficient d'une logistique, d'un soutien, qui sont équipées de tout.
27 Quelques armes, quelques armes réalisées à la va-vite, des gens qui n'ont
28 rien entre les mains, je ne peux pas considérer qu'il s'agisse là d'une
Page 23529
1 armée. Il est absurde d'affirmer que l'armée musulmane a attaqué
2 Srebrenica, d'après moi. Comment peut-on considérer qu'ils aient été des
3 soldats s'ils n'étaient pas armés ? Ces gens dont nous parlons actuellement
4 étaient certes des personnes valides, mais sans plus. Il s'agissait
5 d'individus non armés.
6 Q. Mais les soldats serbes ou les autorités serbes ne contrôlaient pas
7 Srebrenica, entre le début du mois de juin et même le mois de mai 1992
8 jusqu'à la mi-juillet 1995; est-ce bien exact ?
9 R. Je ne sais que vous répondre. Peut-être ne contrôlaient-ils pas au plan
10 -- ils ne contrôlaient pas la région peut-être en tant que tel, mais parce
11 qu'ils n'attaquaient pas, parce qu'ils contrôlaient nos vies, nous n'étions
12 pas en mesure d'aller chercher des denrées alimentaires. Nous n'avions pas
13 d'électricité, nous n'avions rien à manger. Ils contrôlaient tout cela.
14 Alors comment dire qu'ils ne contrôlaient pas Srebrenica ? Nous ne pouvions
15 rien faire en dehors de cette ville. Nous étions comme enfermés l'intérieur
16 d'un camp.
17 De quel genre de question s'agit-il là ? Il n'y a absolument pas de
18 comparaison entre les deux parties. Nous avions d'un côté une armée, de
19 l'autre, pas.
20 Q. Vous avez dit que ces problèmes s'étaient produits les 5 ou 6 mais,
21 mais jusque-là, vous aviez été laissé tranquille, et vous avez même dit que
22 ce responsable Branko vous avait dit que vous étiez libre de travailler sur
23 vos terres, à Voljavica. Il vous a même mis à disposition du diesel.
24 R. Il l'a fait avec un voisin qui travaillait dans la coopérative, et
25 étant donné que cet homme, Branko, était le responsable de cette
26 coopérative agricole, il avait lui-même beaucoup de terre cultivée de
27 plants de tabac. On lui a donné ce dont il avait besoin pour planter son
28 tabac.
Page 23530
1 Q. Cet homme, Branko, c'était un Serbe qui vivait à Voljavica?
2 R. Oui.
3 Q. Dans votre déclaration écrite de 1995, vous affirmez que votre
4 résidence a appréhendé un individu du nom de Dragan, pour le remettre à
5 quelqu'un, entre les mains de quelqu'un. En fait, c'était le frère de ce
6 policier, Dragan de Pobrdje.
7 R. Oui.
8 Q. Donc il devait bien être armé ?
9 R. Vous voyez tous nos jeunes hommes, tous, des gens montaient la garde,
10 ça n'était une véritable armée. Ils montaient simplement la garde
11 protégeant leurs familles et leurs enfants. Cette nuit-là, sur la rivière
12 Drina, ils ont vu des bateaux transportaient quelque chose. Ils les ont
13 attendus sur la rive de la rivière Drina, et à bord d'un de ces bateaux, il
14 y avait ce policier que vous avez mentionné, ils n'avaient besoin de rien
15 pour pouvoir l'arrêter. Ils portaient à bord de ce bateau toute une
16 cargaison d'armes. Ils ont simplement emmené cet homme, la brigade à
17 Pobrdje, et l'un de ces hommes sur la barricade c'était précisément Dragan.
18 Ils montaient ces genres de barricades contre les autorités.
19 Q. Alors, sur la base du compte rendu d'audience, à la page 13 tard [phon]
20 -- et plutôt, également, au cours de votre déclaration, vous avez dit que
21 vous étiez arrivée à Srebrenica qui était en flammes. Vous avez dit que
22 vous étiez arrivée et que les Chetniks avaient attaqué Potocari le 8 -- le
23 8 juin, que les personnes qui étaient avec vous n'avaient que très peu
24 d'armes qu'il s'agissait de fusils et d'armes à la va-vite mais ils ont
25 continué, malgré tout, à attaquer les soldats grâce à ces armes de fortune,
26 des armes improvisées.
27 R. Ils ont utilisé ce qu'ils avaient, ils ont réussi à faire ce qu'ils
28 voulaient, mais il y a des gens qui ont été soit tués, soit très grièvement
Page 23531
1 blessés, ce jour-là.
2 Q. Qui a compté les 2 800 obus qui sont tombés sur Potocari, et sur
3 Peciste et les villages avoisinants ?
4 R. On pouvait les entendre. Je ne sais pas. Je sais que les bombardements
5 ne se sont pas interrompus un seul instant, j'y étais. On ne pouvait pas
6 sortir. Il fallait se protéger. Il fallait mettre une serviette sur sa
7 bouche. Un nombre important de personnes ont été tuées, il y en a eu
8 beaucoup qui ont été blessés également, les personnes transportaient les
9 blessés, parce que les obus continuaient à tomber, et on a également pu
10 entendre les communications à la radio, et d'après nos propres
11 informations, nous savons que, ce jour-là, ce sont environ 2 800 à 3 000
12 obus qui sont tombés sur la ville de Srebrenica, et le pilonnage ne s'est
13 jamais interrompu, il s'est poursuivi des deux côtés.
14 Q. Savez-vous combien coûte un obus ? Le salaire mensuel de cinq soldats ?
15 Est-ce que vous pensez vraiment que les autorités aient été aussi
16 généreuses de leurs obus ?
17 R. J'ai passé cinq, moi, à Srebrenica et c'était horrible, tous ces obus
18 qui tombaient sur la fabrique, sur l'usine, sur les maisons. Il y avait une
19 maison juste de l'autre côté de la rivière.
20 A partir du camp d'entraînement où se trouvaient les exercices
21 d'entraînement avant la guerre jusqu'à Potocari, jusqu'à Djogazi, partout
22 il y avait des obus qui tombaient sur la route, dans chaque maison, à
23 Petrovac aussi, où ma famille avait sa propre maison, des obus tombaient,
24 et nous n'avons pas été en mesure de voir tout cela. Un obus est tombé sur
25 une maison ensuite une minute plus tard un obus tombait sur une autre. On
26 pouvait voir tout cela. On ne pouvait pas remettre tout cela en cause parce
27 que des milliers de témoins pourront vous le dire. Il y a des milliers
28 d'obus qui sont tombés à ce moment-là lorsque j'y étais.
Page 23532
1 Q. Nous viendrons sur le lieu où sont tombés ces obus et qui a été tué,
2 mais vous avez dit que ce mois de juin, Hajrudin Osmanovic a été tué.
3 Comment connaissiez-vous les personnes qui ont été tuées ?
4 R. Je connaissais cet homme Hajrudin, parce que son frère est allé à
5 l'école avec moi. Nous étions de la même année. Voilà pourquoi je le
6 connaissais.
7 Q. Il est le fils de qui ?
8 R. Le fils de Mustafa Osmanovic. Je crois que le nom de son père était
9 Mustafa.
10 Q. Merci. Est-ce que vous connaissiez également le nom de Mehmedovic ?
11 R. Oui, je le reconnais c'est quelqu'un qui travaillait à la mine.
12 Q. Donc il s'agissait bien de son père ?
13 R. Oui.
14 Q. Ce Resko Husic, est-ce que c'est le fils de Rasid ?
15 R. Je ne sais pas. Je ne sais pas répondre à cette question.
16 Q. Husan Mehmedovic, est-ce que vous le connaissiez ?
17 R. Oui. C'est un homme âgé.
18 Q. C'était le fils de qui ?
19 R. Je crois que Smajo était le nom de son père. Cet homme a été tu é, en
20 fait il a ensuite été porté disparu alors qu'il se rendait pour aller
21 chercher de la nourriture à Voljavica, et il a été porté disparu depuis
22 lors.
23 Q. Sead Masic, est-ce qu'il a été aussi tué ? Il était le fils de qui ?
24 R. De Dzemal Masic, il était porté disparu depuis lors.
25 Q. Il s'agit bien du fils de Dzemal, n'est-ce pas ?
26 R. Oui.
27 Q. Est-ce que Nedzad a également perdu la vie à cette occasion ?
28 R. Je ne sais pas. Je ne sais pas. Mais, en tout cas, tous ces gens-là ont
Page 23533
1 été tués. Et leur père est également décédé.
2 Q. Dites-moi : ce Saban Omerovic, est-ce que vous le connaissiez ?
3 R. Je connaissais un homme, un homme âgé qui portait ce nom, si nous
4 parlons de la même personne.
5 Q. Vous avez dit qu'il avait été tué à ce moment-là.
6 R. Oui, oui, effectivement.
7 Q. Est-ce que vous savez de qui il était le fils ?
8 R. Je ne sais pas. Je ne sais pas. C'était un homme âgé. Je ne sais pas
9 qui était son père.
10 Q. Huso Mehmedovic est-ce que c'est le fils de Husein ?
11 R. Je ne sais pas. Je ne sais pas de qui vous parlez.
12 Q. Merci. Alors je regarde votre déclaration écrite pour savoir qui a
13 perdu la vie.
14 Alors, dans votre déclaration écrite, vous affirmez que vous aviez les
15 jambes tremblantes lorsque le pilonnage a recommencé, parce qu'avant cela,
16 il y avait une période où aucun obus n'était tombé; est-ce bien exact ?
17 R. Oui.
18 Q. Merci. Vous avez également affirmé que lorsque la trêve avait été
19 déclarée, lorsque les Nations Unies sont arrivées, il y a eu plus de calme,
20 le plus de paix; est-ce bien exact ?
21 R. Oui, c'est exact.
22 Q. Savez-vous combien de soldats Oric a perdu pendant cette période ?
23 R. Non.
24 Q. Saviez-vous que les hommes d'Oric, qui sont allés dans les villages
25 serbes, toutes les nuits, ont tué des Serbes et également subi des pertes ?
26 R. Non.
27 Q. Merci. Je regarde ma montre. J'aimerais maintenant passer à juillet
28 1995. Mais peut-être pouvons-nous reporter ces questions après la pause ?
Page 23534
1 Dites-moi, je vous prie : savez-vous où les Serbes des villages avoisinants
2 se trouvaient, ces villages autour de Srebrenica ? Est-ce qu'ils sont
3 restés dans ces villages pendant la guerre ?
4 R. Non. J'ai entendu dire par d'autres personnes que pour ceux qui se
5 trouvaient à Potocari, c'est là que se trouvaient mes frères, les voisins
6 les ont envoyés ou emmenés à Bratunac, au pont jaune, tous ceux qui
7 venaient de Studenac et de Cumovici. Je ne sais pas. Je ne sais pas où ils
8 se trouvaient. C'était le village qui se trouvait le plus proche de nous.
9 Il n'y avait pas d'autres villages serbes autour de Potocari, à côté de
10 Potocari.
11 Q. Est-ce que Studenac est un village serbe proche de chez vous ?
12 R. Oui.
13 Q. N'est-il pas exact qu'au mois de juillet à Potocari, vous avez entendu
14 des soldats qui parlaient, et l'un a dit : "Frère," le mot frère, ou des
15 mots dans ce goût-là : "ça a été facile de libérer mon village," a-t-il
16 dit. Il était de Studenac, n'est-ce pas ?
17 R. Oui.
18 Q. Donc il n'était pas dans ce village entre juin 1992 et juillet 1995,
19 n'est-ce pas ?
20 R. Oui.
21 L'ACCUSÉ : [interprétation] Effectivement, les circonstances semblent bien
22 indiquer pour faire la pause.
23 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Très bien. Nous allons maintenant faire
24 la pause pendant une heure, et ensuite nous reviendrons aux événements
25 survenus après juillet 1995.
26 Nous reprendrons l'audience à une heure 30, mais avant cela, j'ai une
27 question. Il serait bon peut-être que vous présentiez votre demande en
28 audience publique.
Page 23535
1 Mme WEST : [interprétation] Oui, oui.
2 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Faites donc.
3 Mme WEST : [interprétation] Monsieur le Président, vous avez posé la
4 question à propos de Tomasz Blaszczyk, l'enquêteur. Nous aurons trois
5 témoins. Il y aura M. Tomasz Blaszczyk, le premier, qui peut -- fera sa
6 déposition aujourd'hui et qui concernera une présentation rapide de la voie
7 entre Bratunac et Konjevic Polje. Je noterais qu'avant qu'il n'apporte sa
8 déclaration, les techniciens auront besoin de vingt minutes pour
9 télécharger tout ce dont on a besoin pour sa présentation. Il sera suivi
10 par l'enquêteur Ruez qui parlera, lui, des différents lieux du crime,
11 ensuite, deux enquêteurs sur cette affaire qui apporteront leur témoignage.
12 Nous aurons Dusan Janc et Dean Manning qui parleront plus spécifiquement
13 des aspects médico-légaux et Janc qui parlera plus précisément de l'ADN.
14 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Ma question était plus spécifiquement --
15 Mme WEST : [interprétation] Posez votre question.
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] -- la teneur de -- des preuves apportées
17 par M. Blaszczyk en ce qui concerne la mise à jour et les discussions du
18 rapport de M. Dean Manning.
19 Mme WEST : [interprétation] Il semble que ce soit incorrect. A ce stade, il
20 parlera de la route entre Konjevic Polje et Bratunac et il parlera à propos
21 du corps d'armée de la Drina.
22 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, merci.
23 L'ACCUSÉ : [interprétation] Puis-je ?
24 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.
25 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'espère que la Chambre ne m'accordera pas
26 moins de temps que pour l'interrogatoire principal. Donc, j'espère
27 bénéficier de toute la journée et de la journée de demain également, et ça,
28 c'est d'après le 92 ter. L'Accusation a passé plus de deux heures en
Page 23536
1 interrogatoire.
2 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Est-ce que vous parlez de votre contre-
3 interrogatoire de Mme Malagic -- Malagic ?
4 L'ACCUSÉ : [interprétation] Oui, parce qu'on a annoncé Blaszczyk pour
5 aujourd'hui.
6 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Vous avez déjà passé une heure sur les
7 questions et nous doutons de la pertinence de ces questions. Vous avez un
8 peu plus d'une demi-heure. Je crois qu'on peut vous accorder encore 35
9 minutes après la reprise d'audience, après la pause.
10 L'ACCUSÉ : [interprétation] Puis-je intervenir --
11 [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]
12 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Vous aurez 40 minutes.
13 L'ACCUSÉ : [interprétation] Puis-je dire quelques mots ? Si ça n'est pas
14 important, pourquoi est-ce que l'Accusation demande des informations qui
15 datent de 1992 par l'intermédiaire de ce témoin. Est-ce que c'est important
16 pour l'Accusation ? Ce qui est important pour l'Accusation est important
17 pour la Défense aussi, et l'Accusation a passé plus de deux heures sur son
18 interrogatoire. Je suis supposé passer une heure et demie alors que le 92
19 ter s'applique également à moi pour l'ensemble du compte rendu Krstic. Est-
20 ce que je peux au moins me voir accorder l'ensemble de la prochaine
21 audience ?
22 [La Chambre de première instance se concerte]
23 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nous reprenons à 1 heure 30.
24 --- L'audience est suspendue à 12 heures 31.
25 --- L'audience est reprise à 13 heures 32.
26 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Karadzic, on me fait savoir que
27 l'Accusation a pris une heure 35 minutes, donc il vous reste encore 45
28 minutes exactement pour cette audience.
Page 23537
1 L'ACCUSÉ : [interprétation] Excellence, d'habitude, en application du 92
2 ter, l'accusé devrait avoir plus de temps que l'Accusation, parce que j'ai
3 toute l'affaire Krstic à aborder, et ce, à l'occasion de l'interrogatoire
4 principal.
5 M. LE JUGE KWON : [interprétation] La Chambre est d'opinion -- est d'avis
6 qu'une heure et demie, c'est plus que suffisant pour votre contre-
7 interrogatoire.
8 M. LE JUGE MORRISON : [interprétation] J'ai déjà fait cette observation
9 avant, Docteur Karadzic, et c'est tout aussi vrai maintenant, parce que
10 c'est toujours valide. Vous devriez vous concentrer sur les questions qui
11 sont à l'acte d'accusation. Ce n'est pas un exercice en matière de
12 réévaluation de l'histoire ou de tentative de se pencher sur chaque fait
13 concret. Bien sûr, les faits sont énoncés à l'acte d'accusation, et ceci ne
14 vous amène à des éléments de droit qui doivent être mis en œuvre. Mais si
15 on se penche attentivement sur l'acte d'accusation et si on se conforme au
16 conseil qui a déjà été énoncé par M. Robinson, il est de mon avis et je
17 crois avoir déjà fait part de mon point de vue pour ce qui est de dire que
18 je me -- j'ai des doutes pour ce qui est de vous voir vous concentrer sur
19 des faits d'importance. Vous évoquez des questions qui sont plus de nature
20 à relever du tu quoque que d'aider qui que ce soit pour ce qui est de
21 déterminer les éléments figurant à l'acte d'accusation.
22 L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Excellence. Mais, moi, j'ai le sentiment
23 qui est le suivant : ce que l'accusation énonce a des finalités et un
24 objectif et je me dois de répondre à ce qui est dit, mais je m'efforcerai
25 de me conformer à ce que vous avez dit.
26 M. KARADZIC : [interprétation]
27 Q. Madame --
28 M. LE JUGE MORRISON : [interprétation] Docteur, je ne vous donne pas des
Page 23538
1 instructions. Je vous donne un conseil. Je vous dispense un conseil.
2 L'ACCUSÉ : [interprétation] Bon, un conseil. Merci.
3 M. KARADZIC : [interprétation]
4 Q. Madame, au compte rendu d'audience, dans votre témoignage dans
5 l'affaire Krstic, page 1942, vous indiquez que des hommes à vous, à
6 l'occasion des tous premiers pilonnages, voulaient quitter Srebrenica parce
7 qu'ils avaient redouté des représailles de la part des Serbes; c'est bien
8 cela ?
9 R. Je n'ai pas bien compris votre question.
10 Q. Voilà. Alors, à cette page 1942, vous avez dit -- je vais donner
11 lecture de ce passage en anglais pour que ce soit mieux traduit par moi :
12 "Eh bien, nous étions tous ensemble sur le chemin de Potocari, et sur la
13 route, il y avait beaucoup de gens. Et les Serbes ont donné l'ordre de
14 pilonner la ville et ils ont simplement souhaité se venger. Les gens ne
15 savaient donc pas où se tourner et où aller."
16 Est-ce que c'était cela l'évaluation que vous aviez faite, à savoir que les
17 Serbes allaient se venger ?
18 R. Nous savions que rien de bon ne devait être attendu de nous, parce que
19 quand il y a eu des obus qui ont commencé à tomber et on a eu à souffrir la
20 chose au début de la guerre, et on a vu qu'ils ont commencé à pilonner la
21 ville, tout un chacun a pensé qu'il fallait -- qu'il valait mieux s'en
22 aller tout de suite, parce que si on leur tombait entre les mains, on
23 savait comment les autres avaient -- quel avait -- quel est le sort connu
24 des autres et on ne pouvait pas s'attendre à mieux.
25 Q. Merci. Est-ce que vous savez nous dire pourquoi les Serbes voulaient se
26 venger, à peu près ?
27 R. Non. Nous n'avons pas pensé qu'ils avaient beaucoup de raisons de le
28 faire. De mon avis personnel, si quelqu'un avait des raisons de se venger,
Page 23539
1 c'était nous. Nous avions beaucoup souffert. Peut-être avions-nous plus de
2 raisons si tant est qu'il y ait lieu de se venger à l'égard de qui que ce
3 soit ? Ce peuple a tellement souffert, a tellement pâti pendant ces trois
4 ans qu'il n'y avait aucune raison de le faire.
5 Mais la situation était telle et je ne sais trop quels étaient les
6 objectifs, mais je sais qu'il fallait s'attendre à rien de bien.
7 Q. Merci. Vous avez dit que votre beau-père avait dit : "Maintenant, nous
8 sommes cuits," lorsqu'il a vu quelqu'un qu'il connaissait et avec qui il
9 n'était pas en bons termes; c'est bien exact ?
10 R. Oui.
11 Q. Est-ce que vous voulez dire par là qu'il était possible pour ces
12 individus qu'ils pouvaient venir régler leurs comptes et se venger de
13 choses passées ?
14 R. Connaissant la personne dont j'ai parlé - parce que c'est quelqu'un que
15 je connaissais aussi - c'était quelqu'un, dirais-je -- comment dire ? Il
16 avait l'air de tout le temps blaguer, mais il y avait des sous-entendus
17 nationalistes, il y avait des injures, des insultes, des offenses au
18 travail, il ne s'entendait pas avec mon beau-père et d'autres personnes qui
19 étaient des ressortissants du groupe ethnique musulman.
20 Q. Etait-il le seul à être comme ça ou y avait-il d'autres personnes qui
21 avaient profité de la situation pour régler à titre privé leurs comptes
22 avec quelqu'un ?
23 R. Je ne sais pas vous dire. Pour Potocari, je n'ai vu davantage de
24 connaissances. J'ai vu des soldats serbes. J'ai vu des gens du groupe
25 ethnique serbe, mais je n'ai pas vu des gens que je connaissais quand nous
26 avons franchi le barrage de la FORPRONU, avant cela il y avait des gens qui
27 ne faisaient qu'observer. Et comme je l'ai déjà dit, ils n'ont rien fait
28 d'anormal ou de mal. Maintenant, de là à savoir ce qui s'est passé avec les
Page 23540
1 gens qui ont été amenés par la suite, ça je l'ignore.
2 Q. Merci.
3 L'ACCUSÉ : [interprétation] Y a-t-il un micro qui est trop ouvert ou qui
4 est branché alors qu'il ne devrait pas l'être. J'entends une traduction en
5 sus.
6 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Excusez-moi.
7 L'ACCUSÉ : [interprétation] Il y a un haut parleur qui doit être branché
8 quelque part.
9 M. KARADZIC : [interprétation]
10 Q. Vous nous avez dit aujourd'hui à l'occasion de l'interrogatoire
11 principal et dans vos déclarations de même que la population s'était
12 dirigée vers les Nations Unies à la date du 10 juillet, et vous vous êtes
13 approchés de la première des bases des Nations Unies, celle qui était la
14 plus proche, n'est-ce pas ?
15 R. Oui.
16 Q. Mais Srebrenica n'était pas encore tombée, n'est-ce pas ?
17 R. Pas encore, mais le poste de la FORPRONU qui se trouvait sur les
18 hauteurs à Ljubistivica [phon], c'est là que se trouvaient les soldats de
19 la FORPRONU. Ce poste avait déjà été déplacé de là où il se trouvait à la
20 date indiquée.
21 Q. Merci. Est-ce que c'est vous qui avez décidé de la chose ou quelqu'un
22 dans les autorités vous aurait-il soufflé la chose pour dire qu'il serait
23 bon de le faire ?
24 R. Vous vouliez dire quoi, quitter Srebrenica ? Il valait mieux faire quoi
25 ? Je n'ai pas compris.
26 Q. Se déplacer vers le poste des Nations Unies à la date du 10.
27 R. Nous nous trouvions non loin de l'école primaire là où j'habitais, on a
28 vu une grande masse des gens qui avaient commencé à bouger de Srebrenica,
Page 23541
1 c'est là que les premiers soldats serbes sont entrés, à Ucina Basta, à
2 Pekara [phon], à Jadar. Tous ces gens de ces localités se dirigeaient vers
3 Srebrenica et ils se dirigeaient vers la base de la FORPRONU. C'était un
4 mouvement de la population. De mon avis, personne n'a donné d'ordre,
5 personne n'avait organisé quoi que ce soit.
6 Q. Merci. Alors ça s'est répété le 11 à 11 heures avant, une fois de plus,
7 que les Serbes n'entrent dans Srebrenica, n'est-ce pas ?
8 R. Le 11 au matin à un moment donné, je ne sais pas vous dire l'heure, on
9 était encore dans le bâtiment, et mon frère avait vu des colonnes de gens
10 se déplacer, puis il est revenu à nous plus vite qu'on ne le pensait et il
11 a dit qu'ils étaient arrivés à l'ex-ministère de l'Intérieur à Srebrenica.
12 Les Serbes étaient donc arrivés jusque-là lorsque je suis sorti de
13 l'immeuble et lorsque je me suis dirigé vers l'enceinte de la FORPRONU.
14 Q. Merci. Vous nous dites là que des camions ont fait leur apparition.
15 Vous le dites en page 1 944. Camions de la FORPRONU. Bondés de gens, et
16 c'est ce moyen de transport que la population utilisait pour aller vers
17 Potocari, n'est-ce pas ?
18 R. Non. Je ne sais pas vous dire si la population utilisait ce type de
19 transport. Ils n'ont emmené personne. Tout le monde était censé descendre.
20 Je ne sais pas si cette information est exacte, parce que j'ai vu mon fils
21 sur les lieux. J'imagine qu'on l'a renvoyé, on lui a demandé de laisser les
22 gens de l'hôpital. Et ce sont les gens de l'hôpital qui étaient sur le
23 camion, il y avait la bâche qui était déchirée d'un côté, et je l'ai vu et
24 j'ai vu un copain à lui qui était à bord du camion. Je ne sais plus si
25 c'étaient des gens qui avaient tout simplement monté ou y avait-il des
26 blessés. Il n'y a que ces deux camions qui sont passés. Le reste de la
27 population allait à pied.
28 Q. Merci. A compter de la ligne 10, page 1 944, vous dites :
Page 23542
1 "Pas loin de Potocari, à un peu près 1 kilomètre --"
2 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Un instant. Est-ce que vous pouvez
3 recommencer avec la question que vous avez posée.
4 M. KARADZIC : [interprétation]
5 Q. Voilà ce que vous dites en page 1 944 :
6 "Pas loin de Potocari, à un peu près 1 kilomètre, et je n'en suis pas trop
7 sûr, il y avait beaucoup de gens qui nous avaient rattrapés, il y avait
8 deux camions de la FORPRONU qui sont arrivés, et ils ont été bondés de
9 gens."
10 Puis en page 1 946, vous indiquez en ligne 9 que les gens montaient à
11 bord des camions de la FORPRONU, et c'est ainsi qu'un certain nombre de
12 personnes s'en est allé de là à pied, et d'autres sont partis à bord des
13 camions de la FORPRONU jusqu'à la base de Potocari; est-ce exact ?
14 R. Ce n'est pas ce que j'ai dit, peut-être ne nous sommes-nous pas
15 bien compris. Lorsque les gens étaient dans la base de la FORPRONU à
16 Srebrenica ils montaient à bord des camions en pensant je ne sais quoi.
17 Mais lorsqu'on a commencé à y aller à pied, lorsque les soldats nous ont
18 dit qu'il fallait aller vers Potocari, tous les gens devaient descendre des
19 camions. Les camions n'ont pas pris de personnes depuis cet endroit-là. La
20 colonne est allée à pied jusqu'à Potocari. Alors à 1 kilomètre ou 1
21 kilomètre et demi de là, il y a deux camions de la FORPRONU qui nous ont
22 rattrapés, où allaient ces camions, je ne le sais. Mais j'ai vu à bord d'un
23 camion qu'il y avait une bâche de déchirée et de relevée, j'ai vu mon fils
24 et un gars qui était un copain à lui, ils se fréquentaient à Srebrenica
25 tous les deux. Et j'imagine que quand on s'était quitté, ils avaient une
26 demande de formulée pour ce qui était de faire monter les blessés. Ils ont
27 ramassé des gars aptes. Et comme il était plus âgé que les autres, ils
28 l'ont peut-être pris avec, mais je ne puis que le supposer. Et c'est ainsi
Page 23543
1 qu'il est arrivé à l'enceinte des Nations Unies à Potocari, et depuis lors
2 je ne l'ai plus jamais revu.
3 Q. Merci. Vous avez mentionné le fait qu'il y avait eu des tirs, des obus.
4 Vous avez dit qu'on avait tiré en direction des personnes qui faisaient la
5 queue pour prendre de l'eau. Alors dites-nous qui a été tué dans la queue
6 qui s'était créée pour prendre de l'eau ?
7 R. Ecoutez, Monsieur Karadzic, il y avait tant de gens qui faisaient la
8 queue. Comment voulez-vous que je sache combien ont été tués ? Les prés ont
9 été transformés en cimetières. Il y avait des gens venus de cinq ou six
10 municipalités, je ne sais pas qui étaient ces gens. Je ne peux pas vous
11 dire celui-ci a été tué ici, l'autre a été tué là-bas. Il y avait des gens
12 qui mourraient sur les terrains de jeu, il y avait des gens qui étaient
13 tués dans la rue. Les gens tombaient partout. Il n'y avait pas que les
14 queues pour aller prendre de l'eau. Il fallait faire longtemps la queue
15 pour aller prendre de l'eau, on pouvait périr à n'importe quel endroit.
16 Alors de là à vous dire qui sont ces gens-là ? Je ne peux pas vous le dire
17 ni combien il y a eu de morts. Vous savez, les morts à Srebrenica, plus
18 personne ne les comptaient --
19 Q. Mais mis à part l'obus qui avait touché le stade pendant un match de
20 foot, chose que nous allons essayer de prouver autrement, vous souvenez-
21 vous d'un autre incident où il y a eu des morts en masse à Srebrenica entre
22 la proclamation de Srebrenica comme étant une zone protégée et le mois de
23 juillet 1995 ?
24 R. Monsieur, à côté de ma maison, non loin de la Maison de la culture où
25 je me trouvais ces jours-là, il est tombé un obus. Il s'agit de je ne sais
26 trop quelle date, il y avait des gens qui étaient venus de Konjevic Polje
27 et de Cerska, ils venaient s'enregistrer et il est tombé un obus, une femme
28 a perdu deux enfants. Une autre femme a perdu un enfant. Il y avait des
Page 23544
1 gens qui faisaient la queue pour s'enregistrer, je ne sais pas qui étaient
2 ces gens et je ne sais pas combien il y en a eu de tués. Mais là il y a une
3 femme qui a perdu deux enfants et mon fils était non loin de là.
4 Heureusement, dans la maison où on habitait, les fenêtres ont volé en
5 éclats. Mais il n'y avait pas qu'à Srebrenica qu'on tuait des gens. Il y
6 avait des morts partout, je vous l'ai déjà dit.
7 Q. Ecoutez, Madame, presque 1 000 jours se sont passés entre la
8 proclamation -- non, il s'est passé 700 à 800 jours entre la proclamation
9 de cette zone comme étant une zone protégée et juillet 1995.
10 R. Oui.
11 Q. Quand ces obus sont-ils tombés, puisque vous nous avez dit que vous
12 aviez perdu l'habitude des obus et que tout à coup il y a eu des obus à
13 nouveau au mois de juillet ?
14 R. Ecoutez, Monsieur, la première année il y a eu beaucoup d'obus avant
15 que les Nations Unies n'arrivent, avant que le Bataillon canadien ne
16 vienne.
17 Q. Merci. Mais vous saviez qu'en juillet 1995 -- je m'excuse. Je m'excuse
18 d'aller si vite. Je suis pressé par le temps. C'est la raison pour laquelle
19 je vais aussi rapidement.
20 Vous aviez conscience du fait que les Serbes tiraient non pas pour cibler
21 qui que ce soit, ils tiraient des deux côtés de la route et ces obus
22 avaient une intention autre et non pas celle de tuer ?
23 R. D'après moi, plus on s'approchait de Potocari, plus il y avait une
24 volonté de faire peur aux gens, il pouvait y avoir des éclats d'obus de
25 perdus, il pouvait y avoir aussi des personnes blessées par éclat d'obus,
26 mais était-ce une volonté de faire peur ? Parce que comment voulez-vous
27 expliquer aux enfants que les obus ne tombaient là que pour faire peur ?
28 Ils ne le savaient pas. Tous étaient pressés pour arriver à Potocari au
Page 23545
1 plus vite. Et les personnes âgées, les malades, les femmes avec leurs
2 enfants allaient plus lentement que les autres, et la colonne s'est étirée
3 en longueur, la colonne était très longue.
4 Q. Merci. En page 1 946, vous dites que la FORPRONU avait proposé que vous
5 alliez vers Potocari et qu'entre-temps vous avez entendu des avions tourner
6 au-dessus. Et en bas de page vous dites que des obus tombaient d'un côté et
7 de l'autre de la route. Et au début de la page d'après, 1 947, vous dites
8 ce que vous avez dit à l'instant, à savoir que ces obus visaient notamment
9 à nous faire peur.
10 Alors êtes-vous d'accord avec les opinions formulées par les autres témoins
11 ici qui ont dit que c'était destiné à empêcher les gens d'aller ailleurs,
12 si ce n'est d'emprunter cette route-là justement ?
13 R. C'était la route menant vers Potocari, de part et d'autre il y avait
14 des champs et des maisons, comment voulez-vous traverser les cours d'autrui
15 ? Puis les gens s'étaient cachés aussi. Vous n'aviez pas donc où aller. La
16 population n'avait nul besoin de prendre un chemin autre que celui qu'elle
17 avait pris.
18 Q. Merci. Il me semble que vous avez mentionné aujourd'hui, et je précise
19 que c'est en page 1 949, qu'il y a eu beaucoup d'obus à tomber sur la ligue
20 de séparation, la ligne de démarcation entre les armées serbes et
21 musulmanes; c'est bien cela ?
22 R. Oui.
23 Q. Merci. Dans la nuit du 11 au 12, vous avez décrit cette nuit comme
24 étant relativement calme, n'est-ce pas ?
25 R. Oui.
26 Q. Et à la date du 12 juillet, pour la première fois vous avez vu des
27 soldats serbes. C'est la première fois qu'ils sont entrés en contact avec
28 vous, n'est-ce pas ?
Page 23546
1 R. Oui.
2 Q. En page 1 950, vous décrivez le fait que personne ne savait où aller.
3 Tout le monde se posait la question de savoir où aller. Avant cela, en
4 votre qualité de famille, vous aviez décidé de faire en sorte que les
5 civils, vous, votre beau-père et votre jeune enfant, vous suiviez le
6 mouvement des civils pour aller à Potocari; c'est bien cela ?
7 R. Oui.
8 Q. Est-ce que quelqu'un vous l'a suggéré cela ou était-ce une décision que
9 vous avez prise vous-même ?
10 R. C'est une décision que j'ai prise moi-même, que nous avons prise nous-
11 même.
12 Q. Est-ce que cela coïncidait avec la décision prise par la majorité de la
13 population autre, mais les autres gens ont-ils décidé de façon similaire ?
14 R. Oui.
15 Q. Merci. Qui a décidé de faire en sorte que les hommes aptes au combat se
16 dirigent vers Susnjari ?
17 R. Je ne sais pas s'il y a eu une décision d'officielle. Je sais que mes
18 hommes à moi, et je parle pour eux et je parle pour moi aussi, je sais
19 qu'ils ont décidé d'y aller. Parce qu'en termes simples, en 1992, on ne
20 faisait pas confiance aux Serbes de Bosnie pour ce qui était d'une
21 reddition et il en allait de même en 1995. Ils ont donc décidé d'emprunter
22 les forêts pour essayer de se frayer un passage jusqu'à des territoires que
23 l'on pourrait peut-être qualifier de libérés.
24 Q. Merci. Mais moi ce qui m'intéresse c'est de savoir s'ils pouvaient
25 aller dans quatre directions, au nord, nord-ouest aussi. Comment se fait-il
26 que 13 à 15 000 hommes en âge de combattre se dirigent tous vers Susnjari ?
27 Est-ce que quelqu'un a décidé de la chose ? Est-ce que quelqu'un a décidé
28 d'un point de rencontre à Susnjari ?
Page 23547
1 R. Je ne sais pas qui a pris cette décision. Ce que je sais c'est que la
2 plupart des gens c'étaient des gens originaires de Cerska, de Konjevic
3 Polje, il y avait des gens venus même de Zvornik, ils connaissaient cette
4 partie de la route. Certains avaient même décidé de retourner vers Zepa, il
5 y en a eu des comme ça aussi. Alors de là à savoir qui est-ce qui a pris
6 une telle décision, je ne le sais pas.
7 Q. Merci. Avez-vous eu ouï-dire que quelque 1 000 combattants à Oric
8 étaient passés via la Drina et Zepa pour entrer en Serbie ?
9 R. J'ai entendu dire que certains hommes étaient passés par la Serbie, je
10 ne sais pas qui étaient ces hommes. Etaient-ce des civils, étaient-ce des
11 soldats, je n'en sais rien.
12 Q. Vous avez dit que certaines maisons qui n'étaient pas habitables et
13 d'autres bâtiments annexes et des meules de foin, au fur et à mesure de la
14 descente de l'armée serbe des collines, ces maisons et ces meules étaient
15 brûlées.
16 R. Oui.
17 Q. Mais d'où viennent ces meules ? Est-ce que quelqu'un avait coupé les
18 foins ?
19 R. Mais on vivait, il y avait les habitants des villages environnants,
20 c'étaient des gens qui habitaient là et ils ont travaillé leurs terres, ils
21 ont coupé les foins, ils ont moissonné le blé. C'était le mois de juillet.
22 Q. Mais le foin c'était pour le bétail, n'est-ce pas ?
23 R. Oui.
24 Q. Merci. Alors maintenant, ces maisons, est-ce que quelqu'un vous a
25 expliqué que lorsqu'une armée passe, elle ne peut laisser derrière elle des
26 soldats dissimulés de l'ennemi qui risqueraient de leur tirer dans le dos,
27 est-ce qu'on vous a expliqué que c'était pour ça ?
28 R. Mais qui pouvait nous expliquer, Monsieur Karadzic, à cette époque, ce
Page 23548
1 que l'armée pouvait ou ne pouvait pas faire ? On a vu des maisons qui
2 brûlaient lorsque les soldats approchaient. C'est ce que nous, gens
3 ordinaires, avons vu. Et quand ils se sont approchés, on a su qui ils
4 étaient. Puis il y avait des gens à nous qui se trouvaient dans la base de
5 la FORPRONU et autour, dans les usines, autour, sur le plateau, les prés,
6 et cetera.
7 Q. Merci. En page 1 951, vous avez dit et vous avez dit aujourd'hui aussi
8 que des gens avaient tiré en l'air pour fêter quelque chose; c'est bien ce
9 que vous nous avez dit ?
10 R. Oui.
11 Q. Bon, sur la ligne 13, en page 1 951, c'est évoqué aussi. Puis, vous
12 dites que les soldats serbes se sont mêlés à vous, à la population, n'est-
13 ce pas ?
14 R. Oui. Ils sont entrés dans la population, ils allaient d'un groupe à
15 l'autre et ils posaient des questions.
16 Q. Alors, ils posaient des questions au sujet de personnes concrètes, non
17 ?
18 R. Moi, on ne m'a rien demandé à moi-même. Là où je me trouvais, il est
19 venu des gens. Ils nous ont demandé où étaient nos fils, nos enfants, nos
20 maris. C'étaient les questions habituelles. En ce qui me concerne, personne
21 ne m'a rien demandé à moi. On ne m'a posé, à titre officiel, aucune
22 question au sujet des miens.
23 Q. Alors vous nous avez dit qu'on demandait où étaient les enfants,
24 d'autres donnaient des chocolats et des "chewing-gum" aux enfants, et les
25 enfants acceptaient volontiers parce qu'il y avait longtemps qu'ils n'en
26 avaient pas eu; c'est bien cela ?
27 R. Oui.
28 Q. Merci. En page 1 953, la page d'après, vous nous l'avez dit déjà
Page 23549
1 aujourd'hui en pages 38, 39, à savoir qu'à plusieurs reprises on convoquait
2 les gens pour les interroger. On interpellait une fois, deux fois, trois
3 fois, puis on emmenait certaines personnes. C'est bien ce que vous avez dit
4 ?
5 R. Oui.
6 Q. Mais qu'avaient-ils pu apprendre entre-temps ? Pourquoi ne les avaient-
7 ils pas emmenés la première fois ? En avez-vous une information à ce sujet
8 ?
9 R. Certaines personnes ne sont pas revenues après la première fois qu'on
10 les eut emmenées, et puis deux ou trois autres personnes ont été
11 interrogées à deux ou trois reprises et ne sont pas revenues après le
12 troisième interrogatoire. Je ne sais pas pourquoi.
13 Q. A la page 1 953, vous dites avoir vu un soldat de la FORPRONU attaché à
14 un véhicule.
15 R. Oui.
16 Q. Est-ce là le fruit de votre imagination ?
17 R. Non.
18 Q. Je pense, et c'est la raison d'ailleurs pour laquelle je vous pose
19 cette question, que personne n'a jamais fait état d'un soldat de la
20 FORPRONU attaché à un véhicule.
21 R. Lorsque nous sommes sortis pour chercher de l'eau se trouvait un
22 véhicule de la FORPRONU dans la rue, et un soldat se trouvait sur le sol,
23 sur le dos, et ses bras étaient attachés, il avait les bras attachés
24 derrière le dos.
25 Q. Dans certaines de vos déclarations écrites, vous avez dit, mais je
26 pense qu'il s'agissait là d'un lapsus, que les Serbes avaient emmené
27 plusieurs centaines de jeunes femmes et qu'ils les avaient séparées des
28 autres. Personne ne nous a jamais rendu compte de cela, que qui que ce soit
Page 23550
1 avait tenté de séparer ces jeunes femmes des autres membres du groupe ?
2 R. J'ai vu ces jeunes femmes qui étaient séparées des autres et emmenées
3 vers des maisons qui se trouvaient à la droite de Srebrenica, par exemple,
4 dans la maison de Hasan Malic ainsi que ses voisins, il s'agissait de
5 maisons qui se trouvaient juste en dessous de la maison de mon frère, qui
6 avait été détruite à l'époque. Ils les ont emmenés vers ces maisons.
7 Mme WEST : [interprétation] Monsieur le Président, je n'ai pas d'objection
8 à cette question, mais M. Karadzic fait mention de déclarations. Or, je
9 crois savoir qu'il n'y a qu'une seule déclaration écrite. Donc, s'il
10 mentionne plusieurs déclarations, j'aimerais qu'il soit plus précis dans la
11 citation de ces déclarations.
12 L'ACCUSÉ : [interprétation] Il y a deux transcriptions de la déposition du
13 témoin dans les affaires Tolimir et Krstic, ainsi qu'une déclaration écrite
14 qui date de 1995. Je vous trouverai la référence ultérieurement. Je pense
15 que ce passage, plus particulièrement, est tiré de la déclaration qui date
16 de 1995.
17 M. KARADZIC : [interprétation]
18 Q. Vous nous dites que certaines personnes, et vous mentionnez Alija, vous
19 ont demandé pourquoi vous n'aviez pas écouté Babo, votre papa.
20 R. C'est l'homme qui avait maudit notre mère et nous avait dit que si nous
21 écoutions Babo, c'est-à-dire Alija, ce qui nous avait été prédit
22 n'arriverait pas.
23 Q. Je dis cela parce que les membres de la Chambre ne savent pas qui est
24 Babo. Savez-vous que Babo était un chef musulman qui avait remporté une
25 élection écrasante lors des élections de 1992, mais qui n'appartient pas au
26 même groupe politique qu'Izetbegovic ?
27 R. Je ne peux pas répondre à ce type de question, Monsieur Karadzic. Je ne
28 sais pas quel homme politique appartenait à quel parti, ni quels étaient
Page 23551
1 les résultats au cours d'élections. Je n'étais pas au fait de la vie
2 politique. Je ne savais pas ce qui serait arrivé si j'avais écouté ceci ou
3 cela, ou celui-ci ou celui-là. Je ne suis qu'une simple femme qui n'a fait
4 que survivre à ces événements.
5 Q. Oui, mais vous savez qu'il s'agissait d'un chef musulman que les Serbes
6 préféraient à Alija et que les Serbes vous disaient que si vous aviez
7 écouté Babo, rien ne se serait produit. Vous savez qu'il était un chef,
8 n'est-ce pas ?
9 R. Oui.
10 Q. Aux pages 1 959 et 1 958, vous dites qu'on pouvait entendre des
11 gémissements venant de personnes qui étaient torturées dans la maison
12 blanche ou qui émanaient du lieu où ils étaient interrogés. Comment cela
13 était-il possible ? Comment était-il possible que personne de la FORPRONU
14 n'ait fait état de cela alors qu'ils étaient 150 sur le terrain ?
15 R. C'est n'importe quoi, Monsieur Karadzic.
16 Mme WEST : [aucune interprétation]
17 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Le témoin a répondu à la question.
18 M. LE JUGE MORRISON : [interprétation] Il s'agit d'un exemple classique de
19 question portant sur ce qu'aurait pensé une tierce personne, et si
20 l'Accusation avait fait cela, vous auriez été le premier à objecter,
21 Monsieur Karadzic.
22 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je ne fais ici référence qu'à ce qu'a dit la
23 FORPRONU à la page 1 959 -- à la page 58, ligne 23, je cite :
24 "Des familles criaient mais ils répondaient simplement qu'un membre de leur
25 famille avait dû devenir fou, et ils nous ont dit de ne pas avoir peur, que
26 cela n'était rien."
27 M. KARADZIC : [interprétation]
28 Q. Donc, il semble que la FORPRONU n'ait pas remarqué que quelqu'un était
Page 23552
1 torturé, ils pensaient simplement que certaines familles devenaient folles
2 et exagéraient peut-être.
3 R. Vous connaissez mieux la réponse à cette question que moi.
4 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui. Nous allons poursuivre, parce que
5 le témoin a déjà commencé sa réponse.
6 Oui, Madame West.
7 Mme WEST : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Je fais objection
8 sur les mêmes raisons que tout à l'heure. Deuxièmement, M. Karadzic n'a pas
9 lu la totalité du passage parce qu'il s'agit de soldats qui sont en fait
10 des soldats serbes et qui portaient des uniformes de la FORPRONU. Il ne
11 s'agit pas de soldats néerlandais.
12 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Karadzic, pourriez-vous, s'il
13 vous plaît -- voulez-vous entendre le témoin vous répondre une fois de plus
14 : c'est n'importe quoi, Monsieur Karadzic ? Je vous prie de poursuivre.
15 M. KARADZIC : [interprétation]
16 Q. Vous dites qu'il s'agissait seulement d'une hypothèse. Vous supposiez
17 que quelqu'un s'était suicidé. Combien de personnes s'étaient suicidées ?
18 R. Certaines personnes se sont suicidées. J'ai vu un homme, de mes propres
19 yeux, cette nuit-là, se pendre, quand il a vu ce qui se passait. Puis,
20 après minuit, plus personne ne dormait. Il s'est pendu dans l'usine de
21 zinc. Je connais cet homme. Il faisait partie de ma famille, Hamdije
22 Smajlovic, et d'après les dires de sa famille, son épouse, qui revenait
23 avec nous, leur maison se trouvait à proximité de la mienne, je sais que
24 son mari s'était également pendu et que d'autres personnes également, qui
25 ne savaient pas quoi faire ni où aller avait également décidé d'en finir
26 avec la vie.
27 Toutes les personnes qui ont été emmenées par les soldats serbes, le
28 soir du 12, n'ont pu entendre un seul coup de feu tiré. Seuls des
Page 23553
1 hurlements, des gémissements pouvaient être entendus, et il ne s'agissait
2 pas de la "maison blanche." Il y avait, en fait, deux maisons qui se
3 trouvaient à proximité de l'usine de zinc, et certaines personnes y ont été
4 emmenées ce soir-là. Il y avait des cris, des cris, des hurlements
5 absolument atroces, et vous ne pouviez pas vraiment savoir d'où venaient
6 ces cris et ces hurlements. Mais ils venaient également d'une société de
7 transport.
8 Tous ces cris venaient de partout et c'était comme si vous étiez
9 trouvé dans un film d'horreur. La nuit était remplie de ces cris et de ces
10 hurlements, et personne ne comprenait ce qui se passait. Mais des familles
11 qui se trouvaient autour de nous avaient toutes perdu certains de leurs
12 membres. Des hommes avaient été emmenés cette nuit-là et ne sont jamais
13 revenus.
14 Q. Nous reviendrons sur ce point après, si vous me le permettez. A la page
15 1 958 et 1 959, le témoin a supposé qu'il s'agissait de soldats serbes
16 parce qu'il connaissait la langue serbe mais il n'y a absolument aucune
17 preuve qui atteste le fait qu'il s'agissait de soldats serbes. Je vous dis,
18 Madame, qu'il est impossible que des soldats serbes aient pu porter
19 l'uniforme de la FORPRONU, et ce, devant les troupes de la FORPRONU.
20 Donc vous avez décidé qu'il s'agissait là de soldats serbes parce
21 qu'ils parlaient le serbe ?
22 R. Non, j'ai vu un soldat. J'ai vu un soldat qui avait retiré son tee-
23 shirt et l'avait donné à un autre soldat, et nous avions passé un très long
24 moment avec les soldats néerlandais à Srebrenica auparavant et aucun
25 d'entre eux ne connaissait la langue serbe.
26 Le 13, le matin du 13, lorsque nous leur avons demandé où nous
27 devions nous rendre et ce que nous devions faire, ils souriaient, et vous
28 savez, ce sourire qui voulait dire qu'ils avaient atteint leur objectif.
Page 23554
1 Ils parlaient serbe si parfaitement qu'ils ne pouvaient absolument pas être
2 néerlandais. Aucun soldat néerlandais ne maîtrisait aussi bien le serbe.
3 Q. Vous n'avez jamais dit qu'un soldat avait retiré son tee-shirt
4 auparavant.
5 R. Je pourrais écrire un roman vous savez, si je devais mentionner le
6 moindre détail qu'il m'a été donné de voir pendant toutes ces années, ces
7 jours passés à Potocari. Mais ces choses-là se produisaient absolument
8 chaque jour. Les gens, des adultes qui avaient côtoyé ces soldats pendant
9 toutes ces années savaient parfaitement qu'aucun soldat néerlandais ne
10 pouvait si bien parler le serbe.
11 Q. Vous mentionnez également pour la première fois dans votre déposition,
12 à la page 1 969, que des jeunes femmes étaient séparées des autres, elles
13 étaient emmenées, je cite :
14 "Ils ont emmené des filles et des jeunes femmes."
15 Je cite ici votre déposition pour que tout le monde ici présent
16 puisse suivre.
17 Vous nous dites maintenant que certaines personnes se sont pendues.
18 Vous connaissiez une de ces personnes, il s'agissait de Hamdije Smajlovic;
19 comment le connaissiez-vous ?
20 R. C'était un cousin, et avant la guerre, il travaillait pour la société
21 ou l'usine de zinc dans l'atelier de maintenance.
22 Q. Quel est le nom de son père ?
23 R. Demir Smajlovic.
24 Q. Connaissez-vous Kiram Smajlovic? S'est-il également pendu ?
25 R. Je connaissais cet homme, mais je ne l'ai pas vu se pendre.
26 Q. Ensuite -- et je vais ici référence à la page 1 960, je cite :
27 "Mon voisin direct --" je cite directement à partir de la version en
28 anglais.
Page 23555
1 "Une voisine avait une maison à proximité de l'usine. Puis, elle-même et
2 les membres de sa famille se rendaient à l'extérieur pour trouver de la
3 nourriture et elle m'a dit qu'elle avait vu deux autres personnes, deux de
4 nos voisins qui s'étaient pendus; Kiram Smajic et Fahim Hasanovic."
5 Est-ce exact ?
6 R. Oui.
7 Q. Connaissez-vous cet homme Kiram ? Connaissez-vous le nom de son père ?
8 R. Nazif.
9 Q. Nazif ou Kemal ?
10 R. Nazif.
11 Q. Merci. Nous reviendrons sur ces personnes dont vous avez appris
12 ultérieurement qu'ils étaient décédés ou qu'ils s'étaient suicidés.
13 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Karadzic, il vous reste cinq
14 minutes.
15 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur le Président, je ne pense pas que le
16 prochain témoin puisse commencer il faut 20 minutes pour installer le
17 prétoire. Donc je pense qu'étant donné les circonstances vous pourriez
18 m'accorder quelques minutes supplémentaires.
19 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Il vous reste cinq minutes pour clore
20 votre contre-interrogatoire, Monsieur Karadzic.
21 M. KARADZIC : [interprétation]
22 Q. A la page 1 983, vous avez déclaré à la ligne 16, je cite :
23 "Corroboré par les exemples qui m'étaient donnés par ma famille, mon beau-
24 père Omer Malagic, né en 1926, ses trois fils, l'un d'entre eux étant mon
25 époux, Salko Malagic, né en 1948, ses deux frères Osman Malagic et Dzafer
26 Malagic, trois fils, c'est-à-dire mes deux fils, Elvir Malagic, né en 1973,
27 Admir Malagic, né en 1979, et mon beau-frère, Samir Malagic."
28 Ils sont tous décédés, n'est-ce pas ?
Page 23556
1 R. Oui.
2 Q. Quand furent-il tués respectivement ?
3 R. Mon beau-père, comme je l'ai déjà dit, Omer Malagic, mon mari, Salko
4 Malagic, et Samir Malagic et les autres ont été tous tués au moment de la
5 chute de Srebrenica. Mon beau-frère, Osman Malagic, a été tué un peu plus
6 tard au mois de juin, alors que Dzafer Malagic a été tué en 1992. Il
7 cherchait de la nourriture et il a été tué lors d'un bombardement aérien.
8 Q. Les autres qui ont été tués, où furent-ils tués ? Comment sont-ils
9 morts ? Ils cherchaient tous à partir à l'exception de votre père, n'est-ce
10 pas ?
11 R. Comme je l'ai déjà dit, quand je suis allée identifier les corps à
12 Tuzla, nous avions reçu des documents et je les ai présentés au bureau du
13 Procureur, il se trouvait des protocoles qui indiquaient les lieux où ils
14 avaient été tués, et les tombes ou les fosses où je pouvais -- où ils
15 avaient été trouvés, il s'agissait de Zvornicka, Kamenica, où les
16 exécutions avaient eu lieu.
17 S'agissant de mon fils, la cause de son décès était indiquée comme
18 étant possiblement une blessure par balle à la poitrine. S'agissant de mon
19 mari, la cause de la mort n'avait pas pu être déterminée étant donné que
20 des os avaient été rassemblées à partir de plusieurs sites et son squelette
21 n'était pas complet. Le médecin ne pouvait donc déterminer la cause de son
22 décès, donc je ne peux pas vous répondre.
23 Q. Quel type de certificat avez-vous obtenu s'agissant de ces victimes ?
24 Comment qualifiées ces victimes, dans ces certificats ?
25 R. Qu'entendez-vous par là ?
26 Q. Avez-vous reçu des certificats qui faisaient état de victimes, de
27 victimes civils ou de combattants ou de blessés ? Qu'était-il indiqué sur
28 ces certificats ?
Page 23557
1 R. Mon mari apparaissait dans la liste en tant que combattant, et mes
2 enfants, victimes de guerre.
3 Q. A la page 1 991, vous avez répété que 1 000 femmes n'étaient pas
4 revenues de Potocari, et que 650 enfants n'étaient pas revenus. Continuez-
5 vous à dire cela, à savoir que les Serbes ont gardé 1 000 femmes et 650
6 enfants ?
7 R. Ça ne veut pas dire que les Serbes les ont gardés. J'ai entendu
8 plusieurs histoires, un homme m'a dit que toute sa famille était montée à
9 bord d'un camion à Potocari qui n'était pas arrivé à Tuzla. Alors je ne
10 sais pas où finalement sont arrivées ces personnes. Certaines femmes ont
11 également été tuées. Où furent-elles tuées, comment furent-elles tuées, je
12 n'en sais rien ?
13 Q. Qu'est-il écrit dans cette notification 92 ter selon laquelle certains
14 hommes avaient été séparés par un des soldats serbes, ce n'est pas vrai.
15 R. Je ne comprends pas.
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous demanderais d'attendre un peu
17 avant de commencer à répondre à la question, Madame Malagic.
18 Pourriez-vous, s'il vous plaît, répéter votre question, Monsieur Karadzic,
19 qui, selon moi, devrait être la dernière question ?
20 L'ACCUSÉ : [interprétation] Pourrais-je poser une toute dernière question ?
21 Donc il s'agit là de l'avant-dernière question que je pose.
22 M. KARADZIC : [interprétation]
23 Q. Alors, ici, dans cette notification 92 ter, le bureau du Procureur
24 affirme que vous avez été séparée de vos fils et de votre mari par les
25 soldats serbes. Ce n'est pas tout à fait exact, n'est-ce pas ?
26 R. Littéralement, peut-être pourriez-vous dire qu'effectivement ce n'est
27 pas correct ? Mais en fait c'était tout à fait exact dans la mesure où nous
28 avons été séparés par des soldats serbes. En fait, ils ne nous séparaient
Page 23558
1 pas sur place, mais nous avons été contraints de nous séparer étant donné
2 la présence des soldats serbes et étant donné également les bombardements,
3 et parce que nous essayions de leur échapper. Donc nous avons été séparés
4 dans les faits, et ce, à proximité de Srebrenica.
5 Q. Merci. Voici ma dernière question : Vous avez mentionné aujourd'hui
6 qu'un grand nombre de personnes avaient été tuées en 1992 et également que
7 certaines personnes s'étaient suicidées et que d'autres également avaient
8 été portées disparues alors qu'elles tentaient de s'enfuir vers Tuzla. Tous
9 ces noms sont-ils gravés sur le monument mort à Srebrenica ?
10 R. Tous ces noms, le nom de toutes ces personnes qui ont été tuées à
11 Srebrenica lors de la chute de Srebrenica ou qui ont été tuées alors que
12 ces personnes essayaient de fuir et qui ont été tuées avant, n'ont pas
13 leurs noms sur le monument mort. Ces personnes ont été enterrées dans
14 d'autres lieux, dans d'autres régions. Donc seules les personnes qui ont
15 été tuées à Potocari ou à Srebrenica ont leurs noms sur le monument mort.
16 Q. Mais je vous dis que leurs noms se trouvent sur les listes, les listes
17 d'identification d'ADN, et on reprend la liste également des personnes qui
18 se sont suicidées, et si je vous dis que leurs noms se trouvaient sur la
19 liste de 1992 et que donc ce que vous dites n'est pas juste, qu'avez-vous à
20 répondre ? Ces personnes, où ont-elles été enterrées ?
21 R. Au cimetière de Potocari, puis dans des fosses communes également,
22 surtout pendant les périodes de pilonnage intense. En d'autres termes, dans
23 toutes les zones qui se trouvaient aux alentours de Srebrenica où se
24 trouvait un cimetière, où se trouvait de l'espace où on pouvait enterrer
25 ces personnes.
26 Q. Où se trouve ce cimetière maintenant ?
27 R. Il se trouve toujours à Srebrenica, dans la ville.
28 Q. Voici ma dernière question : L'Accusation a essayé d'établir un lien
Page 23559
1 avec quelque chose que vous auriez vu à Sandici. Quand cela s'est-il
2 produit ? A quelle date, à quel moment ?
3 R. C'était le 13 juillet. J'étais dans l'autocar à ce moment-là. C'était,
4 je pense, vers le début de l'après-midi, vers 13 ou 14 heures. Je n'avais
5 pas de montre, donc je ne peux pas être sûre à 100 % de l'heure, mais le
6 soleil était très haut dans le ciel.
7 Q. Mais savez-vous que dans la nuit du 12 au 13 il n'y avait pas de
8 soldats serbes à Potocari, et vous avez dit que cette nuit avait été
9 absolument horrible.
10 R. Le 12, le 13 juillet ? Non, ce n'est pas exact.
11 Q. Merci.
12 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur le Président, je n'ai pas eu
13 suffisamment de temps pour terminer mon contre-interrogatoire. Et la
14 Défense devrait se voir attribuer le même laps de temps que l'Accusation,
15 et ce, conformément au 92 ter, il s'agit ici donc d'un précédent.
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Karadzic, je voudrais vous
17 redonner lecture du compte rendu d'aujourd'hui et attirer votre attention
18 sur le type de questions que vous avez posé au témoin pendant la première
19 heure de votre contre-interrogatoire.
20 Madame West, avez-vous des questions supplémentaires à poser ?
21 Mme WEST : [interprétation] Non merci, Monsieur le Président.
22 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur le Président, pourrais-je, s'il vous
23 plaît, dire un tout dernier mot. Ceci est lié aux questions que j'ai posées
24 au tout début de mon contre-interrogatoire.
25 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Non, Monsieur Karadzic.
26 Madame Malagic, ceci clôt votre déposition dans cette affaire. Au nom de
27 mes collègues et du Tribunal, je voudrais vous remercier de vous être
28 déplacée jusqu'à La Haye pour déposer. Vous êtes libre maintenant, vous
Page 23560
1 pouvez disposer, Madame.
2 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.
3 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous souhaite donc un bon retour chez
4 vous.
5 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.
6 L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Madame Malagic, au nom de la Défense, et
7 j'espère que vous ne nous en voulez pas.
8 [Le témoin se retire]
9 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Qui va assurer l'interrogatoire du
10 prochain témoin ?
11 Mme WEST : [interprétation] M. Nicholls.
12 M. LE JUGE KWON : [interprétation] On m'a dit que 15 minutes étaient
13 nécessaires pour préparer le Tribunal pour le prochain témoin, donc je
14 pense que nous allons prendre une pause de 20 minutes.
15 Mme WEST : [interprétation] Oui, très bien, Monsieur le Président.
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui. Nous allons plutôt faire une pause
17 de 15 minutes maintenant et reprendre à 14 heures 45.
18 --- La pause est prise à 14 heures 28.
19 --- La pause est terminée à 14 heures 45.
20 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
21 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bon après-midi, Monsieur Blaszczyk.
22 Toutes mes excuses pour la mauvaise prononciation de votre nom.
23 LE TÉMOIN : [interprétation] Bon après-midi, Monsieur le Président.
24 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Vous comparaissez aujourd'hui pour la
25 deuxième fois, mais je préférerais à des fins de clarté que vous prononciez
26 de nouveau la déclaration solennelle.
27 LE TÉMOIN : [interprétation] Bien sûr. Je déclare solennellement de dire la
28 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
Page 23561
1 LE TÉMOIN : TOMASZ BLASZCZYK [Rappelé]
2 [Le témoin répond par l'interprète]
3 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci. Veuillez prendre place.
4 Oui, Monsieur Nicholls.
5 M. NICHOLLS : [interprétation] Merci, et bon après-midi, Monsieur le Juge,
6 Madame, Messieurs les Juges. Juste une chose, très brièvement, j'ai discuté
7 avec mon ami M. Robinson, j'aimerais bien que le bureau du Procureur puisse
8 entrer en contact et parler avec M. Blaszczyk alors qu'il dépose seulement
9 sur les questions qui concernent les témoins parce que parfois il nous
10 aide, les personnes qui font le calendrier avec les numéros de téléphone et
11 les adresses des témoins, des choses de ce genre.
12 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui. Votre demande est accordée.
13 M. NICHOLLS : [interprétation] Je vous remercie.
14 Nouvel Interrogatoire par M. Nicholls :
15 Q. [interprétation] Bon après-midi, Monsieur Blaszczyk.
16 R. Bon après-midi.
17 Q. Comme vous le savez, aujourd'hui très brièvement et demain par la suite
18 nous allons parler d'une pièce à conviction que vous avez créée, il s'agit
19 de la pièce 65 ter qui porte la cote 03931, et nous allons maintenant la
20 projeter au prétoire électronique, c'est ce que nous appelons en fait la
21 vidéo de Petrovic.
22 M. NICHOLLS : [interprétation] Monsieur le Président, Madame, Messieurs les
23 Juges, je pense qu'on devrait vous remettre une copie en dur, je l'ai
24 remise à M. Karadzic.
25 Q. Je ne vais pas du tout vous parler bien entendu de la toile de fond,
26 Monsieur Blaszczyk, parce que vous en avez parlé lorsque vous avez témoigné
27 le 20 août 2010, lorsque vous avez comparu auparavant.
28 Alors parlons maintenant de ce registre, est-ce que vous pouvez nous
Page 23562
1 dire, et vous en avez un exemplaire sous les yeux, de quoi il s'agit et
2 qu'est-ce que cela nous montre ?
3 R. Ce livre de vidéos de Petrovic a été réalisé sur la base d'un matériel
4 qui a été diffusé par la télévision serbe et qui est apparu au studio B de
5 la télévision, c'était en juillet 1995. C'est un document qui comporte une
6 carte d'une zone particulière de Bratunac, en fait il s'agit d'une carte de
7 Potocari, de Sandici, de Kravica. Il y figure un certain nombre de clichés
8 ou d'instantanés qui ont été diffusés par la télévision serbe en juillet
9 1995. Il faut savoir que tout cela a été enregistré par le journaliste
10 serbe, Zoran Petrisic [phon], et vous verrez dans ce guide routier
11 également des instantanés de certaines zones, certains sites que j'ai
12 mentionnés précédemment. Ce sont des photographies aériennes qui ont été
13 prises.
14 Q. Merci.
15 M. LE JUGE KWON : [aucune interprétation]
16 M. NICHOLLS : [interprétation] Merci.
17 Q. Et vous avez dit, Monsieur Blaszczyk, que M. Petrovic Pirocanac
18 considérait qu'il s'agissait là d'une séquence vidéo non éditée. C'est le
19 sujet, justement, de ce guide routier, qui a été donc créé par le
20 documentaire du Studio B. Pouvez-vous nous dire à quelle date M. Petrovic
21 Pirocanac a réalisé cette séquence vidéo dans les zones que vous avez
22 décrites ?
23 R. La vidéo a été enregistrée les 13 et 14 juillet 1995, dans les zones
24 que j'ai décrites, c'est-à-dire avec les différentes villes de Potocari,
25 les villes de Sandici, Kravica et Pervana.
26 Q. Pour être tout à fait au clair, le nom de cet homme, c'est Zoran
27 Petrovic, et il y a également un surnom qui lui est parfois donné et
28 attribué, et c'est bien Pirocanac, un nom qui est rattaché à son nom -- son
Page 23563
1 patronyme entier ?
2 R. C'est exact. Son vrai nom, c'est effectivement Zoran Petrovic, mais il
3 utilise le surnom de Pirocanac.
4 Q. Nous allons bientôt voir la vidéo, mais pouvez-vous nous dire juste une
5 chose. C'est justement de l'autre côté de la pièce qui porte la cote de la
6 liste 65 ter numéro 03931, donc de ce guide routier Petrovic, et il y a un
7 CD ou un DVD. Est-ce que vous pouvez nous dire ce qui se trouve derrière
8 cette pièce à conviction ?
9 R. Pour chaque guide routier, nous avons annexé une présentation numérique
10 de la même zone. En fait, la présentation numérique qui ne contient que des
11 informations à propos de Potocari, et Sandici et de Kravica, de ces zones-
12 là. C'est plus ou moins la même présentation que celle qui se retrouve dans
13 la vidéo, mais c'est décrit de façon plus large et c'est plus accessible.
14 Si nous voyons la présentation, je vous expliquerai tout et je vous
15 expliquerai de quoi il retourne.
16 Q. Merci. Et juste avant que nous ne revenions à ce guide routier, nous
17 allons voir une vidéo qui a été réalisée par M. Petrovic Pirocanac, qui se
18 déplaçait en voiture dans la zone en question. Il a filmé certaines
19 séquences vidéo les 13 et 14 juillet. Qui se trouvait avec lui alors qu'il
20 résidait et qu'il se déplaçait dans ce secteur ? Qui était présent avec lui
21 dans le véhicule ?
22 R. M. Zoran Petrovic-Pirocanac voyageait avec M. Ljubisa Borovcanin et
23 avec son chauffeur, c'est-à-dire Ljubomir Borovcanin. Je crois que c'était
24 son nom.
25 Q. Simplement, aux fins du compte rendu d'audience, qui est M. Borovcanin
26 ?
27 R. A l'époque, il était le commandant de la Brigade spéciale de police de
28 la Republika Srpska.
Page 23564
1 Q. Merci. La séquence vidéo qui a été utilisée et qui se trouvait dans ce
2 guide routier, quelle est son origine et comment l'avez-vous eue entre les
3 mains ? Je parle ici de la vidéo qui se trouve ici et qui porte la cote
4 V000-6747, c'est-à-dire que c'est la pièce qui porte la cote P00667, qui
5 avait précédemment été versée au dossier.
6 R. En ce qui concerne cette vidéo en particulier, c'est une copie de la
7 séquence vidéo qui a été initialement tournée par M. Pirocanac ou Petrovic
8 en juillet 1995 dans la zone de Srebrenica. M. Petrovic nous a donné accès
9 à cette séquence d'origine en 2006 - je crois que c'était en février de
10 2006 - pendant l'entretien que nous avons réalisé avec lui dans nos bureaux
11 de Belgrade. Nous avons fait la meilleure copie, de qualité, que nous avons
12 pu réaliser de cette séquence vidéo. Sur la copie, il a pu confirmer que ce
13 qui avait été enregistré contenait exactement les mêmes éléments que ce
14 qu'il y avait dans la vidéo d'origine.
15 Q. Merci. Pour que les choses soient claires, est-il exact de dire que M.
16 Petrovic-Pirocanac vous a personnellement remis cette séquence filmée
17 d'origine, et que vous étiez présent lorsque le représentant du bureau du
18 Procureur en a fait une copie de cette séquence d'origine, et est-il vrai
19 que vous étiez là quand M. Pirocanac a certifié que la copie était une
20 copie authentique et exacte ?
21 R. Oui, c'est exact. Lorsque nous avons rencontré M. Pirocanac en février
22 2006, nous lui avons demandé de fournir la séquence d'origine et il a été
23 d'accord. Je me souviens qu'à l'époque il n'avait pas le matériel avec lui
24 et j'ai dû aller avec lui dans son logement à Belgrade pour que nous
25 puissions aller chercher cette séquence d'origine, que nous l'avons ramenée
26 dans notre bureau, et notre assistant vidéo, qui nous a également aidés à
27 l'occasion de cette mission, a réalisé à ce moment-là une copie de cette
28 séquence vidéo d'origine en notre présence, donc en ma présence tout
Page 23565
1 d'abord, M. Nicholls était également présent à l'époque, ainsi que M.
2 Petrovic.
3 Q. Merci. Très brièvement, le bureau du Procureur a-t-il obtenu d'autres
4 versions ou d'autres enregistrements de cette séquence vidéo d'origine
5 d'autres sources ?
6 R. Oui. Le bureau du Procureur est également en possession d'autres
7 copies, mais du même matériau mais provenant d'autres sources. C'est en
8 fait un matériel que nous avons reçu de la part de la BBC. C'était en 2002.
9 Ensuite, nous avons également reçu une copie de ces séquences d'origine
10 reçues -- filmées par M. Pirocanac. C'est un matériel que nous avons reçu
11 du ministère de la Défense de Bosnie-Herzégovine, et je crois que c'était
12 en 2007. Nous avons également ajouté des matériels qui avaient été diffusés
13 par le Studio B en juillet 1995, et qui contenaient des séquences vidéo du
14 matériel d'origine filmé par M. Petrovic. C'était une version éditée, un
15 montage, et nous l'avons reçu de M. Ljubomir Borovcanin à l'occasion d'un
16 entretien que nous avons eu avec lui. D'après ce que je me souviens,
17 c'était en mars 2002.
18 Q. Merci.
19 M. NICHOLLS : [interprétation] Est-ce que nous pouvons voir, s'il vous
20 plaît, la pièce qui porte la cote de la liste 65 ter 03933 ? Simplement
21 pour que nous gagnions un peu de temps, je dirai que c'est un document qui
22 vient du Centre responsable des informations et des activités de propagande
23 de la VRS, qui date du 22 juin 1996, et qui a été signé par le colonel
24 Milovan Milutinovic, et qui porte le titre de : "Rapport sur la séquence
25 télévisuelle de Srebrenica, principal organe de sécurité de l'état-major
26 principal de la VRS". Il serait bon que nous regardions jusqu'en bas de ce
27 document pour voir la signature.
28 Q. Alors, Monsieur Blaszczyk, en juillet 1995, quelle était la position du
Page 23566
1 colonel Milutinovic dans la VRS ?
2 R. En juillet 1995, le colonel Milan Milutinovic était responsable du
3 centre de presse de la VRS.
4 Q. Très rapidement, vous avez déjà vu ce document, n'est-ce pas, au
5 préalable ?
6 R. Oui, c'est exact.
7 Q. Simplement pour faire court, cela fait référence à la séquence filmée
8 par M. Petrovic Pirocanac qui se trouvait à Belgrade et qui aurait dû être
9 obtenue par la VRS.
10 R. Oui. C'est exact. Effectivement.
11 M. NICHOLLS : [interprétation] Puis-je demander le versement de ce document
12 au dossier, Monsieur le Président ?
13 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.
14 M. LE GREFFIER : [interprétation] Il s'agit de la pièce à conviction qui
15 porte la cote P4266, Monsieur le Juge, Monsieur, Madame les Juges.
16 M. NICHOLLS : [interprétation] Nous avons encore un petit peu de temps.
17 Est-ce que je peux demander à ce que l'on voie la pièce de la liste 65 ter
18 qui porte la cote 03934 sur le prétoire électronique. C'est un document qui
19 est en date du 24 juin 1996, et nous voyons donc ce document qui avait été
20 saisi à titre provisoire et signé par le capitaine de la navale, M. Ljubisa
21 Beara.
22 Q. Nous venons de voir le document du colonel. Il a dit qu'un reçu était
23 nécessaire. Tout d'abord, quelle était la position de M. Ljubisa Beara, en
24 1995, dans la VRS ?
25 R. Ljubisa Beara, en juillet 1995 et pendant toute la période de la guerre
26 en Bosnie-Herzégovine, était responsable de l'administration de la sécurité
27 dans l'état-major principal de l'armée de la Republika Srpska.
28 Q. Pouvez-vous nous dire si ces documents ont joué un rôle pour que le
Page 23567
1 bureau du Procureur puisse obtenir une version de la séquence vidéo
2 d'origine filmée par M. Petrovic Pirocanac à laquelle vous avez fait
3 allusion et qui aurait été reçue par le ministère de la Défense sur le côté
4 droit de l'écran ?
5 R. Oui. Tout d'abord, je vais vous donner des explications sur la façon
6 dont nous avons reçu ce document. Tout d'abord, notre équipe -- notre
7 équipe de La Haye est allée à la caserne de Banja Luka. Je crois que
8 c'était en 2006, je crois que c'était en 1996, en novembre ou octobre, en
9 2006. Nous avons eu accès aux archives de l'état-major principal de
10 l'armée, les archives de l'armée de la Republika Srpska à Banja Luka, et
11 ils ont procédé à une reproduction -- ils ont scanné des documents. Il y
12 avait beaucoup de matériel qui venait des archives. Puis, plus tard,
13 lorsque l'équipe est revenue à La Haye, nous avions donc toutes les
14 versions scannées de ces documents, et nous avons saisi dans notre système,
15 ils sont devenus accessibles pour tous les enquêteurs, et c'est là que nous
16 avons commencé à examiner tous ces documents. Et pendant cette phase
17 d'examen de tous ces documents qui, à l'époque, comme je l'ai dit, avaient
18 été scannés dans les casernes de l'armée de la Republika Srpska, nous avons
19 découvert ces deux documents précis. C'est l'information qui vient du
20 colonel Milutinovic, et nous avons également reçu des objets saisis à titre
21 temporaire, et en particulier la vidéo qui avait été signée par le colonel
22 Ljubisa Beara, et bien, nous avons reçu une copie de ces documents -- je
23 veux dire la version scannée de ces documents. Immédiatement après, nous
24 avons découvert les reçus que nous avions demandés auprès du ministère de
25 la Défense de la Bosnie-Herzégovine pour les originaux de ces documents, et
26 nous avons également demandé, pour l'enregistrement qui est mentionné dans
27 ce document, soit reçu.
28 Q. Bien. Rapidement, vous avez dit que -- vous parliez des archives, au
Page 23568
1 début, vous aviez eu accès à ces archives de l'état-major principal de
2 l'armée, et vous avez dit qu'il s'agissait de l'armée de la Republika
3 Srpska à Banja Luka. De quelle archive s'agissait-il à Banja Luka ?
4 R. C'était l'archive de l'armée de la Republika Srpska. Je dis cela parce
5 que personnellement, je peux dire que c'était des documents qui venaient
6 des archives de la Republika Srpska.
7 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Nicholls, je regarde simplement
8 ma montre.
9 M. NICHOLLS : [interprétation] Oui. Est-ce que je peux demander le
10 versement de ce document au dossier, Monsieur le Président ?
11 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.
12 M. NICHOLLS : [interprétation] Je crois que nous pouvons maintenant faire
13 une pause.
14 M. LE GREFFIER : [interprétation] Il s'agit de la pièce P4267.
15 M. LE JUGE KWON : [interprétation] -- et voilà pourquoi nous avons dû faire
16 une pause avant la préparation, nous manquons un peu de temps.
17 M. NICHOLLS : [interprétation] Nous avions la vidéo précédente que nous
18 avons versée au dossier comme la vidéo Petrovic.
19 M. NICHOLLS : [interprétation] C'est vrai, Monsieur le Président.
20 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Est-ce que nous pouvons avoir le numéro
21 de pièce à conviction de la déclaration de M. Petrovic ?
22 M. NICHOLLS : [interprétation] Il va falloir que je vérifie, Monsieur le
23 Président.
24 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.
25 M. NICHOLLS : [interprétation] Je suis désolé, je ne l'ai pas sous la main.
26 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Très bien. Nous allons lever l'audience
27 aujourd'hui et nous reprendrons demain à 9 heures.
28 L'ACCUSÉ : [interprétation] Est-ce que je peux éclairer un point ?
Page 23569
1 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.
2 L'ACCUSÉ : [interprétation] M. Petrovic n'a pas fait sa déposition ici.
3 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nous avons mis au dossier cette pièce à
4 conviction en application de la règle 92 bis. C'était le sens de ma
5 question.
6 On nous a dit que c'était maintenant la pièce à conviction P375, déposée
7 sous pli scellé.
8 M. NICHOLLS : [interprétation] C'est exact. Merci beaucoup.
9 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nous nous retrouverons demain à 9 heures
10 pour reprendre l'audience.
11 --- L'audience est levée à 15 heures 04 et reprendra le mercredi 25 janvier
12 2012, à 9 heures 00.
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28