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1 Le lundi 11 juin 2012
2 [Audience de Règle 98 bis]
3 [Audience publique]
4 [L'accusé est introduit dans le prétoire]
5 --- L'audience est ouverte à 9 heures 02.
6 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bonjour à tous. Nous sommes réunis
7 aujourd'hui dans l'audience tenue au titre de l'article 98 bis du
8 Règlement. L'article 98 bis se lit comme suit :
9 "A la fin de la présentation des moyens à charge, la Chambre de première
10 instance doit, par décision orale, et après avoir entendu les arguments
11 oraux des parties, prononcer l'acquittement de tout chef d'accusation pour
12 lequel il n'y a pas d'élément de preuve susceptible de justifier une
13 condamnation."
14 Cette procédure sera appliquée qu'il y ait élément de preuve ou pas, et si
15 elle est acceptée, s'il est admis qu'un juge raisonnable du fait pourrait
16 être satisfait au-delà de tout doute raisonnable de la condamnation de
17 l'accusé, la procédure parviendra à son terme. Ce test ne consiste pas à
18 savoir si une Chambre de première instance aurait condamné au-delà de tout
19 doute raisonnable, mais bien si elle pouvait le faire. Par conséquent,
20 Monsieur Karadzic, ne perdez pas de vue les deux points suivants.
21 Tout d'abord, comme vous le savez sans doute déjà, à ce stade de la
22 procédure, la Chambre de première instance n'a pas pour devoir d'évaluer la
23 crédibilité des témoins ou la puissance ou la faiblesse des éléments de
24 preuve présentés en contradictoire.
25 Et deuxième point, le Règlement s'applique à chacun des 11 chefs
26 d'accusation figurant dans l'acte d'accusation, sans exiger de la Chambre
27 qu'elle soit convaincue qu'il existe des éléments de preuve à l'appui de
28 chacune de ces accusations isolément dans le cadre de l'acte d'accusation.
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1 Ceci étant dit, Monsieur Karadzic, je vous donne la parole pour vos
2 arguments.
3 Maître Robinson.
4 M. ROBINSON : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Ce matin nous
5 allons nous répartir le travail entre moi-même et M. Karadzic. Il y a deux
6 chefs d'accusation pour lesquels les arguments seront majoritairement de
7 nature juridique, il s'agit des chefs numéro 1 et numéro 11. Donc c'est moi
8 qui m'exprimerai au nom de l'équipe en ce qui concerne le chef 1 au début
9 de l'audience, et à la fin de l'audience, après que M. Karadzic aura traité
10 les chefs 2 à 10, je reprendrai la parole pour traiter du chef numéro 11.
11 Donc M. Karadzic demande un jugement d'acquittement en application de
12 l'article 98 du Règlement de procédure et de preuve pour les 11 chefs
13 d'accusation qui sont retenus contre lui.
14 Je passe maintenant au chef numéro 1. Pour l'essentiel, le chef numéro 1
15 figure au paragraphe 38 de l'acte d'accusation et concerne un certain
16 nombre de municipalités - il y en a sept dont la liste est dressée au bas
17 du document - qui stipule ce qui suit, et je cite : "Entre le 31 mars et le
18 31 décembre 1992, la campagne présumée de persécution évoquée dans l'acte
19 d'accusation a englobé ou s'est intensifiée pour englober un comportement
20 dont l'intention était de détruire en partie les groupes nationaux,
21 ethniques et/ou religieux des Musulman de Bosnie et/ou des Croates de
22 Bosnie."
23 Et ce chef est considéré comme constituant une violation de l'article 4 du
24 Statut du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie.
25 Le Statut définit le génocide comme étant l'un des actes suivants commis
26 dans l'intention de détruire en tout ou partie un groupe national,
27 ethnique, racial ou religieux. Et au nombre de ces actes figurent le
28 meurtre, le fait d'avoir voulu porter atteinte gravement à l'intégrité
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1 corporelle ou mentale et d'avoir délibérément imposé des conditions de vie
2 destinées à entraîner la destruction du groupe en question.
3 Il est indiqué que le génocide est le crime des crimes. L'intention de
4 détruire un groupe fait du génocide un crime exceptionnellement grave et le
5 distingue de tous les autres crimes graves, tels que persécutions, dans
6 lesquels l'auteur de l'acte choisit ces victimes en raison de son
7 appartenance à un groupe particulier mais ne cherche pas nécessairement à
8 détruire la communauté en tant que telle. Par conséquent, le génocide n'est
9 pas simplement l'addition d'un certain nombre de meurtres et, par ailleurs,
10 l'intention matérielle. Et des expressions telles que les Musulmans
11 devraient disparaître font partie de cette intention matérielle, mais le
12 génocide est bien la confluence de l'ensemble de ces actes et démontre
13 l'intention que les meurtres soient commis non seulement par haine ou par
14 vengeance, mais avec l'intention bien spécifique de détruire effectivement
15 le groupe ou une importante partie du groupe.
16 Et notre position par rapport au chef numéro 1 consiste simplement dans le
17 fait de dire qu'il n'y a pas eu génocide dans les municipalités de Bosnie
18 en 1992 et que, par conséquent, il n'existe aucun élément de preuve pouvant
19 permettre à la Chambre de première instance de conclure que le Dr Karadzic
20 est coupable de génocide contrairement à l'accusation portée au chef numéro
21 1. Vous ne devez pas nous faire confiance sur ce point. La Cour
22 internationale de justice a conclu qu'il n'y a pas eu génocide dans les
23 municipalités de Bosnie en 1992 et a ainsi emporté la partie dans l'affaire
24 Bosnie contre Serbie-et-Monténégro. La Cour internationale de justice a
25 conclu qu'aucun tribunal n'aurait pu se convaincre que les meurtres de
26 masse des membres du groupe protégé ont été commis dans l'intention bien
27 définie de la part des auteurs de détruire le groupe en tout ou en partie.
28 Cette décision a été rendue 15 ans après les faits, et dans l'intervalle,
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1 entre 2007, date de cette décision, et aujourd'hui, 2012, le Procureur n'a
2 présenté aucun nouvel élément de preuve qui pourrait remettre en cause
3 cette conclusion. En fait, les éléments de preuve présentés en l'espèce
4 indiquent de façon tout à fait claire qu'il n'y a pas eu génocide dans ces
5 municipalités.
6 La pièce D2250 est un tableau qui a été produit par l'expert de
7 l'Accusation Ewa Tabeau et qui montre que dans l'ensemble de la Bosnie, 2.6
8 % de Musulmans ont été tués. Dans ce pourcentage sont intégrés les soldats
9 qui sont morts au combat, et ce, pendant trois ans et demi de guerre, pas
10 seulement en 1992. Et dans ce pourcentage sont intégrés également les
11 meurtres commis en 1995 à Srebrenica, qui se retrouvent dans le total
12 relatif à la municipalité de Bratunac. Donc il est probable que le nombre
13 effectif des civils tués suite à des crimes de guerre se situe bien en
14 dessous d'un pourcentage de 2 % de la population. Et ceci n'est pas du
15 génocide. Près de 60 % des Juifs d'Europe ont été tués pendant l'Holocauste
16 de la Seconde Guerre mondiale, et 70 % des Tutsis ont été tués pendant le
17 génocide du Rwanda.
18 Alors, l'élément-clé pour comprendre la jurisprudence qui concerne le
19 génocide dans les municipalités résulte simplement dans le fait que
20 déplacement n'est pas synonyme de destruction. Nous pouvons d'ailleurs
21 reprendre la convention sur le génocide à cet effet. Il y a eu un
22 amendement qui a été proposé, et c'est assez comique, par la Syrie qui
23 aurait fait du déplacement un acte de génocide. Cet amendement a été battu
24 par les voix, par 29 voix contre et cinq voix pour. Et la Yougoslavie,
25 c'est aussi comique, a voté pour l'amendement. Donc ceci démontre
26 l'intention claire des rédacteurs de la convention de décider que des actes
27 résultant en déplacement de la population, contrairement à des actes
28 résultant en destruction, ne constituent pas un génocide.
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1 Dans l'affaire Eichmann qui a été jugée en Israël en 1961, Eichmann a été
2 acquitté du crime de génocide pour des actes qui ont eu lieu avant 1941
3 parce que la Chambre a estimé que jusqu'à ce moment-là, les Allemands
4 avaient l'intention de déplacer ou d'expulser les Juifs, mais qu'après
5 l'invasion, c'est-à-dire l'attaque par l'Union Soviétique en 1941, leur
6 programme a changé du tout au tout et que leur intention est devenue une
7 intention de détruire et de tuer en excluant tout déplacement de
8 population. Par conséquent, Eichmann a été condamné de génocide uniquement
9 pour des actes qui avaient pour but tout à fait clair de détruire le
10 groupe, et non pas pour des actes qui avaient pour but de déplacer la
11 population.
12 Regardons maintenant la jurisprudence relative au génocide du TPIY
13 s'agissant des municipalités.
14 La première affaire de génocide a impliqué Goran Jelesic, qui était un
15 garde au camp de Luka dans la municipalité de Brcko, c'était un homme dont
16 on disait qu'il se faisait appeler l'Adolf serbe. La Chambre de première
17 instance en l'espèce a conclu qu'il n'y avait pas d'élément de preuve
18 démontrant l'existence d'un plan visant à détruire les Musulmans de Brcko
19 ou d'ailleurs et que Jelesic avait tué de façon arbitraire. La Chambre
20 d'appel a disconvenu sur ce point. Elle a déclaré que l'existence d'un plan
21 n'était pas requise et que l'aspect aléatoire cité par la Chambre de
22 première instance n'était pas une façon de nier l'intention génocidaire,
23 mais elle a refusé de revenir sur le jugement de la Chambre de première
24 instance Jelesic pour génocide, et donc son acquittement a été maintenu.
25 J'ai déjà dit que Brcko ne figure au nombre des sept municipalités qui font
26 l'objet d'accusation de génocide en l'espèce.
27 La deuxième occasion dans laquelle le TPIY a eu à se pencher sur la
28 question de génocide dans les municipalités a été l'affaire intentée contre
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1 Dusko Sikirica, c'était une affaire dans laquelle trois gardiens du camp de
2 Keraterm de la région de Prijedor étaient en cause. Et dans ce jugement,
3 une demande d'acquittement a été accordée par la Chambre de première
4 instance, et au nombre des meurtres examinés il y avait ce massacre infâme
5 qui s'est déroulé dans la salle numéro 3 du camp de Keraterm, la Chambre
6 ayant estimé que cet acte n'avait pas été commis dans l'intention de
7 détruire le groupe en tant que tel.
8 La Chambre de première instance a déclaré dans l'affaire Sikirica que si
9 l'Accusation avait présenté des éléments de preuve susceptibles de
10 permettre de penser que la doctrine politique générale des autorités serbes
11 de Bosnie avait donné lieu à une campagne de persécution menée contre la
12 population non serbe de Prijedor, aucun élément de preuve ne démontrait que
13 cette doctrine avait pour but effectif d'entraîner un génocide.
14 L'affaire Sikirica a également traité de deux modalités possibles pour le
15 génocide, à savoir prendre pour cible un nombre important de personnes ou
16 prendre pour cible un nombre bien choisi d'individus au nombre desquels
17 figurent les dirigeants. Et en l'espèce, il a été indiqué que le fait de
18 prendre pour cible un nombre bien choisi de personnes en raison de leur
19 qualité de dirigeants au sein du groupe était d'une telle importance que la
20 prise à partie de ces personnes pouvait avoir une incidence sur la survie
21 du groupe en tant que tel. La Chambre a estimé qu'il n'y avait pas eu prise
22 à partie des dirigeants dans l'affaire relative au camp de Keraterm et
23 qu'aucun élément de preuve ne montrait que le meurtre ou la disparition
24 d'un certain nombre de personnes dans ce camp reposait sur le fait qu'il
25 s'agissait de dirigeants ou sur une volonté précise de s'en prendre à des
26 dirigeants dans le but de détruire le groupe.
27 Dans l'affaire qui nous intéresse, le même argument est valable. Si vous
28 examinez certains des événements importants évoqués par l'Accusation en
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1 l'espèce, vous voyez pourquoi ces actes n'ont pas été commis dans
2 l'intention de détruire le groupe. Si vous vous penchez sur l'événement de
3 Koricanske Stijene, des milliers de Musulmans ont été transférés sur le
4 territoire musulman alors que, non loin de Koricanske Stijene, une
5 sélection d'une centaine d'entre eux a été effectuée, une centaine ou un
6 peu moins, et cette sélection reposait sur un certain nombre de critères, à
7 savoir est-ce qu'ils étaient intégrables aux catégories 1, 2 ou 3. La
8 catégorie 1 étant celle des combattants, des hommes qui avaient participé à
9 la guerre selon leurs propres dires, ces personnes ont reçu l'ordre de
10 descendre des autobus et ont été tués. Et les autres milliers de personnes
11 ont été emmenées en territoire musulman. S'il y avait eu intention de
12 détruire, bien entendu, l'objectif aurait été de tuer tous les Musulmans, y
13 compris les dirigeants, et le critère de sélection de ceux qui ont été tués
14 aurait reposé sur le fait de savoir qui étaient dirigeants de la communauté
15 et non pas sur le fait de savoir s'il s'agissait de combattants qui
16 pouvaient ensuite revenir les armes à la main pour combattre les Serbes de
17 Bosnie.
18 Si vous vous penchez sur le système qui a prévalu pour les échanges de
19 prisonniers, eh bien, il montre encore une fois qu'il n'y a pas eu
20 génocide. Des milliers de Musulmans de Bosnie ont été échangés et libérés
21 pendant l'année 1992. Est-ce que vous savez quel est le nombre de Tutsis
22 qui ont été échangés contre des Hutus au Rwanda ? Zéro. Ce qui montre bien
23 que dans les municipalités de Bosnie en 1992 il n'y a pas eu génocide.
24 Le Tribunal s'est penché sur la question du génocide dans une autre affaire
25 qui concernait un certain nombre de municipalités, il s'agit de l'affaire
26 intentée à Milomir Stakic, président de la cellule de Crise de la
27 municipalité de Prijedor. Il a été acquitté de l'acte de génocide. La
28 Chambre de première instance a déclaré que les Serbes avaient les moyens de
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1 perpétrer le génocide s'ils en avaient eu l'intention. Si leur objectif
2 avait été de tuer tous les Musulmans, les structures nécessaires étaient en
3 place pour que ce crime soit commis. La Chambre de première instance fait
4 remarquer que si près de 23 000 personnes ont été enregistrées comme étant
5 passées par le camp de Trnopolje, le nombre total de personnes tuées dans
6 la municipalité de Prijedor n'excédait sans doute pas 3 000. La Chambre de
7 première instance dans l'affaire Stakic n'a pas été convaincue que chacun
8 avait pour intention bien particulière de détruire les Musulmans ou les
9 Croates en tant que groupe, et elle a discuté en particulier les objectifs
10 stratégiques, qui figurent dans la pièce à conviction P781 en l'espèce, en
11 concluant que ces objectifs visaient à une séparation des populations et
12 non à une destruction.
13 La Chambre a conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants en
14 l'espèce pour prouver qu'il y avait eu une campagne génocidaire planifiée
15 au plus haut niveau. Et la Cour internationale de justice, à ce sujet,
16 s'est prononcée au sujet des objectifs stratégiques. L'argument du
17 demandeur ne cherche pas à déterminer quel était le motif essentiel des
18 dirigeants serbes de Bosnie, à savoir créer un Etat serbe plus important
19 par la guerre ou par la conquête si nécessaire, et la Chambre n'a pas
20 conclu que cet objectif exigeait nécessairement la destruction des
21 Musulmans de Bosnie ou autres communautés, mais bien leur expulsion. Les
22 objectifs définis en 1992, en particulier le premier, pouvaient être
23 atteints par déplacement de la population et acquisition de territoire.
24 La Chambre d'appel dans l'affaire Stakic a affirmé l'acquittement par
25 rapport au chef de génocide et a rejeté donc l'appel interjeté par
26 l'Accusation. Elle a conclu que les éléments de preuve pouvaient
27 raisonnablement être considérés comme cohérents par rapport à la conclusion
28 de la Chambre de première instance, à savoir que l'appelant avait
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1 simplement eu l'intention de déplacer la population musulmane mais non de
2 la détruire. Et elle a mis en évidence un certain nombre d'éléments de
3 preuve qui prouvent cette conclusion, tels que la déclaration de Stakic
4 selon laquelle les Musulmans de Bosnie qui n'ont pas participé aux
5 hostilités pouvaient être autorisés à revenir à Prijedor après la guerre.
6 Nous disposons d'éléments de preuve très comparables dans notre affaire, y
7 compris l'ordre donné par le Dr Karadzic le 13 juin 1992, qui constitue la
8 pièce à conviction D101, dans lequel il rend nul et non avenu tout document
9 signé préalablement par les Musulmans ou les Croates par lequel ils
10 renonçaient à leurs biens immobiliers avant de quitter la municipalité.
11 Alors, l'affaire suivante à laquelle s'est intéressé le Tribunal en rapport
12 avec le génocide dans les municipalités a été l'affaire Milosevic, et
13 l'article 98 bis du Règlement a donné lieu à une requête d'acquittement, la
14 Chambre de première instance ayant conclu que les éléments de preuve
15 pouvaient prouver que le génocide dans les municipalités existait, ou en
16 tout cas pouvaient laisser à penser qu'il y avait eu génocide. Comme nous
17 le savons, cette affaire n'a jamais été jugée jusqu'à son terme en raison
18 du décès du président Milosevic. La décision dont je parle a été rendue en
19 juin 2004, avant la décision de la Chambre d'appel dans l'affaire Stakic et
20 avant aussi le jugement de la Cour internationale de justice en 2007. Même
21 dans l'affaire Stakic et Brdjanin et dans l'affaire Krajisnik, dont je suis
22 sur le point de parler, les requêtes déposées en application de cet article
23 ont été rejetées, et la conclusion finale de la Chambre a été une décision
24 d'acquittement. Toutes ces décisions ont eu lieu avant les décisions de la
25 Cour internationale de justice, qui établit très clairement qu'il n'y a pas
26 eu génocide des les municipalités et qui a prononcé ce jugement en
27 abaissant la charge de la preuve plutôt qu'en estimant que les éléments de
28 preuve pouvaient être considérés comme valables au-delà de tout doute
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1 raisonnable.
2 Donc vous pouvez vous poser la question de savoir pourquoi vous devriez
3 faire droit à une requête d'acquittement à ce stade par rapport au chef
4 numéro 1 plutôt que d'attendre la fin de l'affaire pour vous prononcer de
5 façon définitive au moment de votre jugement. La réponse est, d'abord, que
6 vous disposez actuellement de la décision de la Cour internationale de
7 justice, mais ce qui est encore plus important, c'est le droit à un procès
8 équitable que doit garantir l'article 98 bis du Règlement par rapport à
9 l'accusé, c'est une protection qui est accordée à un accusé qui assure lui-
10 même sa défense pour qu'il ne soit pas débordé par des accusations qui ne
11 sont pas garanties au regard des éléments de preuve et de la jurisprudence;
12 et autoriser un accusé à se centrer sur les moyens dont il dispose, même
13 s'ils ne sont pas nombreux, par rapport à la puissance des moyens de
14 l'Accusation au regard d'un certain nombre de crimes est une nécessité
15 indispensable vis-à-vis du risque de condamnation.
16 Et vous savez que je suis payé 75 euros de l'heure pour le travail que
17 j'effectue ici. J'ai passé une heure à parler du génocide dans la
18 présentation des moyens de la Défense, simplement une heure, car les moyens
19 dont je viens de parler peuvent être utilisés pour nourrir deux enfants en
20 Afrique pendant un mois. Donc il incombe à la Chambre de première instance,
21 à mon avis, de traiter de cette question à ce stade et de se prononcer
22 quant au fait de savoir si réellement, au vu de la jurisprudence et des
23 éléments de preuve qui ont été soumis en l'espèce, la Chambre peut se
24 prononcer sur le point du génocide dans les municipalités.
25 Je passe maintenant à la décision dans l'affaire Brdjanin. Comme vous le
26 savez, Radoslav Brdjanin était président de la Région autonome de Krajina
27 et il était la plus haute personnalité de Bosnie, et dans l'affaire qui lui
28 a été intentée, la Chambre de première instance l'a également acquitté du
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1 génocide dans les municipalités. Elle a conclu qu'à partir de l'été 1992,
2 les forces serbes de Bosnie contrôlaient le territoire de la Région
3 autonome de Krajina, comme ceci a été démontré par le fait qu'elles ont été
4 capables de réunir les ressources logistiques nécessaires pour déplacer par
5 la contrainte des dizaines de milliers de Musulmans et de Croates de Bosnie
6 ou d'ailleurs, qui étaient utilisées dans l'intention de détruire
7 l'ensemble des Musulmans et des Croates de Bosnie de la Région autonome de
8 Krajina.
9 La Chambre de première instance dans l'affaire Brdjanin s'est penchée sur
10 les éléments de preuve que vous avez eus devant vous dans l'affaire, les
11 meurtres de Koricanske Stijene, les meurtres et les mauvais traitements
12 infligés aux prisonniers d'Omarska, de Keraterm, de Trnopolje, et les actes
13 commis dans les municipalités de Prijedor, de Sanski Most et de Kljuc, qui
14 sont trois des sept municipalités pour lesquelles des présomptions de
15 génocide existent. Dans l'affaire Brdjanin, la Chambre de première instance
16 a entendu à plusieurs reprises ce que vous avez entendu vous-mêmes, elle a
17 eu sous les yeux des conversations interceptées, des discours publics, et
18 elle a mis en exergue un certain nombre d'affirmations de l'accusé comme
19 étant ouvertement haïssables, haineuses, intolérables, répugnantes,
20 infâmes. Et si ces affirmations permettent de penser de façon assez claire
21 qu'il y avait eu intention discriminatoire de l'accusé, elles ne permettent
22 pas d'atteindre la conclusion selon laquelle l'accusé nourrissait
23 l'intention de détruire les Musulmans et les Croates de Bosnie dans leur
24 ensemble dans la Région autonome de Krajina.
25 Dans l'affaire Brdjanin, il a également été question de l'escalade du
26 génocide, qui figure également au nombre des accusations en l'espèce. La
27 Chambre de première instance a estimé qu'aucun élément de preuve ne
28 démontrait l'existence d'une escalade du génocide dans la Région autonome
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1 de Krajina. Et au paragraphe 982 du jugement, il est également indiqué
2 qu'aucun élément de preuve ne démontre l'existence d'une escalade de
3 génocide.
4 La dernière affaire dans laquelle il a été question de génocide dans les
5 municipalités devant ce Tribunal, c'est l'affaire le Procureur contre
6 Momcilo Krajisnik, Krajisnik étant le président de l'assemblée et un
7 collaborateur très proche du Dr Karadzic. Il a été mis en accusation pour
8 génocide au niveau national. La Chambre de première instance n'a pas conclu
9 à l'existence d'une intention de détruire le groupe. Elle a affirmé qu'elle
10 n'avait trouvé présence d'aucun acte commis dans l'intention de détruire
11 les Musulmans ou Croates de Bosnie en tant que groupe ethnique, et que ces
12 actes, pratiquement l'ensemble des actes faisant l'objet d'application dans
13 cette affaire, y compris les meurtres de l'école technique de Karakaj de
14 Zvornik et du camp de Susica de Vlasenica, ne permettaient pas une telle
15 conclusion. Elle a formulé les mêmes affirmations au sujet des versions A
16 et B, dans lesquelles figurent les six objectifs stratégiques, ainsi que
17 par rapport au discours prononcé par le Dr Karadzic en octobre 1991 devant
18 l'assemblée, et elle a eu sous les yeux les mêmes conversations
19 interceptées que vous-mêmes.
20 Donc l'ensemble de cette jurisprudence rend absolument impérieuse la
21 conclusion selon laquelle il n'y a pas eu génocide dans les municipalités
22 de Bosnie en 1992.
23 Je soulignerais encore que le génocide, tel qu'il est évoqué dans l'acte
24 d'accusation, figurant dans l'acte d'accusation, n'est pas le crime
25 suprême. Il n'est pas accompagné d'incitation au génocide ou de
26 conspiration à commettre le génocide. Donc il a été établi qu'un génocide
27 aurait effectivement eu lieu sans aucun élément de preuve qui vous
28 permettrait de vous convaincre de la culpabilité du Dr Karadzic par rapport
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1 au chef numéro 1. Et je souligne que le génocide au chef numéro 1 n'inclut
2 pas les meurtres de Srebrenica, qui désormais sont évoqués au chef numéro
3 2. L'Accusation n'a donc apporté aucun élément de preuve nouveau en
4 l'espèce qui pourrait vous pousser à vous interroger quant à l'opportunité
5 de vous écarter du poids très important de la jurisprudence. Malgré les
6 millions de documents en la possession du Tribunal, malgré le fait que des
7 collections entières de documents militaires et politiques des Serbes de
8 Bosnie, des conversions interceptées, les procès-verbaux de réunions
9 secrètes, eh bien, aucun élément de preuve n'existe qui montrerait que le
10 génocide a été commis dans les municipalités de Bosnie en 1992.
11 La semaine dernière, au Conseil de sécurité des Nations Unies, M. le
12 Procureur Brammertz a critiqué le président de la Serbie pour ses
13 dénégations par rapport au fait qu'un génocide aurait été commis à
14 Srebrenica. Il a rappelé un certain nombre de commentaires récents de la
15 part du président nouvellement élu de Serbie qui nie l'existence d'un
16 génocide à Srebrenica en juillet 1995, en le qualifiant d'inacceptable et
17 d'infraction juridique et factuelle par rapport aux conclusions du TPIY et
18 de la Cour internationale de Justice. De même, le Procureur et ses efforts
19 permanents pour affirmer qu'un génocide a eu lieu dans les municipalités de
20 Bosnie en 1992 enfreignent les conclusions juridiques et factuelles du TPIY
21 et de la Cour internationale de Justice. Le Procureur a poursuivi en
22 déployant une rhétorique qui présente les souffrances des victimes comme
23 plus graves qu'elles l'ont été et met en danger le processus fragile de
24 réconciliation dans l'ex-Yougoslavie. Selon le même ordre d'idée, les
25 affirmations du Procureur selon lesquelles le génocide s'est produit dans
26 les municipalités de Bosnie en 1992, au vu de toute la jurisprudence, ne
27 rendent pas service à ce Tribunal ou à la population de l'ex-Yougoslavie.
28 Il ne fait aucun doute que les souffrances ont été importantes et que les
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1 crimes ont été commis. Mais rien ne permet de se prononcer en faveur d'un
2 génocide contre les Musulmans ou Croates de Bosnie dans les municipalités
3 en 1992, et, par conséquent, le Dr Karadzic a le droit à un jugement
4 d'acquittement par rapport au chef numéro 1. Je vous remercie.
5 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.
6 L'ACCUSE : [aucune interprétation]
7 M. LE JUGE KWON : [interprétation] L'interprétation française vient juste
8 de se terminer.
9 Monsieur Karadzic, je vous en prie.
10 L'ACCUSE : [interprétation] -- dans le cadre de ce qui est prévu par les
11 Règles de l'article 98 bis. Tout d'abord, j'aimerais reconnaître le mérite
12 de mes confrères et consœurs de l'autre côté, de l'Accusation je veux dire,
13 parce qu'ils ont investi beaucoup d'efforts pour, à partir de rien, monter
14 un acte d'accusation. Et ce que je vais dire, ce n'est pas lié à leur
15 incapacité de le faire, mais il y a le fait qu'il n'y a eu aucun élément de
16 preuve qui ferait de cet acte d'accusation quelque chose qui aurait l'air
17 d'avoir une teneur. Cet acte d'accusation se fonde sur plusieurs
18 déclarations et sur plusieurs éléments qui n'ont pas été prouvés. C'est la
19 raison pour laquelle je me propose d'en parler d'abord, parce que ça se
20 trouve à la base même de l'acte d'accusation tout entier, et il en va de
21 même pour la totalité des chefs.
22 Tout l'acte d'accusation contre moi est fondé par l'Accusation sur ma
23 prétendue intention d'éliminer de façon durable ou, pour ce qui est des
24 Serbes, d'éliminer la présence des Bosniens de Bosnie ou des Croates de
25 Bosnie des territoires au sujet desquels nous avions des prétentions.
26 L'Accusation n'a pas prouvé la substantifique moelle de cette allégation, à
27 savoir que nous avions eu l'intention d'éliminer de façon durable les
28 Musulmans et les Croates de ces territoires serbes, parce que le Procureur
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1 avait conscience du fait qu'éloigner à titre temporaire, c'est-à-dire
2 déplacer, partir - appelez-le comme vous voulez - ces civils menacés de ces
3 territoires, c'est quelque chose de souhaitable et c'est quelque chose qui
4 découle de notre législation pour ce qui est de la Défense populaire
5 généralisée et de l'autoprotection civile. Il n'y a aucun doute pour ce qui
6 est de voir cette loi dire qu'il y a obligation et droit pour ces civils
7 d'être éloignés des zones d'activités de combat.
8 L'INTERPRETE : Les interprètes n'entendent plus M. Karadzic.
9 L'ACCUSE : [interprétation] Nous nous attendions à ce que la partie numéro
10 1 dure plus longtemps, ce qui fait qu'on ne s'est pas techniquement
11 préparés de façon appropriée, mais peu importe. On a vu le texte de loi et
12 on a vu qu'il y a une confusion linguistique qui découle de traductions peu
13 précises au sujet de ce que signifie "expert moves" ou "shifts" en anglais.
14 Et c'est ce qui a contribué à une mauvaise compréhension de ce que
15 voulaient certaines directions civiles ou certains commandements au niveau
16 de municipalités déterminées.
17 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Karadzic, si vous souhaitez
18 faire une pause, la Chambre peut tout à fait vous accorder cinq minutes de
19 préparation si vous le souhaitez.
20 L'ACCUSE : [interprétation] Ce serait une bonne chose.
21 M. LE JUGE KWON : [interprétation] La Chambre va faire une interruption de
22 cinq minutes.
23 --- La pause est prise à 9 heures 36.
24 --- La pause est terminée à 9 heures 46.
25 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Veuillez poursuivre. Je fais
26 remarquer que les documents qui seront évoqués dans cet exposé peuvent être
27 vus par le biais du prétoire électronique.
28 L'ACCUSE : [interprétation] Grand merci. Je ne suis pas très sûr d'avoir
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1 préparé les choses de façon brillante, mais mes explications vont vous
2 venir en aide pour mieux comprendre.
3 Alors, il s'agissait à une certaine phase de procéder à une harmonisation
4 mutuelle de ce que disait notre législation. Notre législation relative à
5 la Défense populaire imposait comme cela est imposé dans d'autres pays en
6 cas d'intempérie ou de catastrophe naturelle; tout ouragan sur les côtes
7 américaines impose un état d'urgence, donc il en allait de même pour ce qui
8 est de cette Loi relative à la Défense populaire généralisée dans notre
9 pays à nous. Là-bas, il n'est dit nulle part que ces gens n'allaient pas
10 revenir. C'était sous-entendu comme nulle part, jamais. Aucun document des
11 instances de l'Etat ou des instances politiques de la Republika Srpska
12 n'avait prévu ou n'avait contesté le droit au retour de ceux qui avaient
13 fui des zones de combat ou des zones où il y avait eu un contrôle exercé
14 par autrui. Au contraire, le 11 avril 1992, et allant jusqu'à fin septembre
15 1992, cinq ou six accords ont été signés par nous sous-entendant et
16 définissant la façon dont l'évacuation et les déplacements de la population
17 devaient être faits et l'obligation de procéder à la chose de façon
18 conforme à la loi, de façon aménagée, avec une escorte de la police, et,
19 bien entendu, avec y compris un droit au retour. L'anniversaire de cette
20 prétendue intention d'éliminer de façon durable - et je répète, durable -
21 cette composante durable n'a jamais été quelque chose de prouvé, et on n'a
22 même pas essayé de le prouver. Alors l'anniversaire de cette intention,
23 l'Accusation la case en octobre 1991. On voit qu'en l'année 1991, c'est des
24 luttes politiques où la partie serbe a une position conservatrice, qui vise
25 à conserver l'intégrité de la Yougoslavie et la Bosnie-Herzégovine dans son
26 intégralité en Yougoslavie. Les Serbes n'ont pas été les premiers à
27 participer à parler de partage; ça a été M. Izetbegovic. A ce moment-là, en
28 1991, nous avons accepté deux propositions majeures émanant des parties
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1 musulmanes, à savoir : la proposition d'Izetbegovic de faire de la Bosnie
2 un Etat indépendant; et la proposition de Zulfikarpasic qui consistait à
3 renoncer à la régionalisation et rester au sein de la Yougoslavie et ne pas
4 créer trois républiques.
5 Donc, par des interprétations manquantes ou déficientes de mes phrases à
6 moi, on n'a pas pu prouver que nous avions voulu les éliminer de façon
7 durable. Et on a encore moins prouvé que nous avions contesté le droit de
8 quiconque au retour. Et autre chose encore que l'Accusation avait sous-
9 entendu, mais n'a pas pour autant prouvé : le Procureur dit que la
10 condition sine qua non, la condition principale sans laquelle il ne pouvait
11 pas y avoir réalisation des objectifs et aspirations serbes du point de vue
12 stratégique, c'était de conduire la guerre et d'avoir recours à la
13 violence. Or, ce n'était pas exact et ça n'a pas été prouvé. Au contraire,
14 on a prouvé que les objectifs serbes ont été reconnus par la communauté
15 internationale, les appréhensions des Serbes ont été prises en
16 considération pour ce qui est de l'indépendance de cette Bosnie-Herzégovine
17 militariste. Et avant même la guerre, il y a eu des contacts politiques
18 bilatéraux et trilatéraux avec la participation de l'Union européenne, avec
19 des propositions disant qu'il devait y avoir un concept de la Bosnie qui
20 devrait être la Suisse des Balkans, c'est-à-dire un Etat avec plusieurs
21 entités. Cette revendication serbe ou cet objectif poursuivi par les Serbes
22 avait été reconnu avant la guerre même et pendant toute l'année 1992
23 jusqu'à début avril [phon]. Il y a eu des négociations qui ont été
24 conduites bona fide du côté serbe, c'est-à-dire dans la meilleure des
25 intentions possibles, et où l'on peut voir que ces objectifs politiques se
26 trouvaient être réalisables sans qu'il y ait une guerre.
27 Nous avons dans le dossier des pièces qui ont été versées reprenant les
28 textes des réunions du Parlement de la Bosnie-Herzégovine en février et
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1 mars, et on voit que le peuple serbe en Bosnie-Herzégovine voulait quelque
2 chose de multiethnique. On voulait faire participer les Croates et les
3 Musulmans à l'autorité politique, et ce, proportionnellement à leur nombre
4 et à leur représentation, et on s'attendait à ce qu'il en aille de même
5 pour ce qui est des Serbes dans les unités constitutives musulmanes, voire
6 croates. Donc nos volontés et nos objectifs avaient été reconnus dans tous
7 les plans et dans toutes les négociations avant la guerre, pendant la
8 guerre et même après la guerre jusqu'à Dayton. Cette condition, donc,
9 n'était pas celle qu'on a avancée, à savoir que la guerre nous était
10 indispensable.
11 Ca ne tient pas debout, parce que la communauté serbe en Bosnie-
12 Herzégovine était la moins nombreuse. Elle n'était pas du tout prête à
13 conduire une guerre. Elle n'avait pas disposé de formation paramilitaire.
14 Elle s'est appuyée sur la protection de l'Etat fédéral, c'est-à-dire de
15 l'armée yougoslave fédérale. Et pour finir, ici, il y a eu des témoins, en
16 premier lieu je parle de Robert Donia qui disait bien qu'ils savaient que
17 j'avais opté contre la guerre. On a vu que le 8 mars 1992, M. Vance avait
18 informé M. Genscher - et cette phrase n'est pas sous pli scellé, c'est
19 public - il a dit, Le Dr Karadzic veut éviter la guerre à tout prix.
20 L'Accusation n'a pas prouvé que les crimes qui surviennent dans toute
21 guerre civile, dans notre guerre civile à nous, c'est des crimes qui ne se
22 sont pas produits parce qu'il y avait une entreprise criminelle commune de
23 fomentée. L'Accusation a omis de prouver qu'il s'est agi d'une entreprise
24 criminelle commune du fait même que l'on pouvait montrer du doigt certains
25 événements dans plusieurs municipalités sur un total de plus de 60 en
26 Republika Srpska. Un témoin de l'Accusation, M. Mujadzic, a confirmé ici
27 que là où les Musulmans avaient été représentés à moins de 50 %, c'est-à-
28 dire où ils étaient 20 % ou 30 % de la population, il n'y avait pas de
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1 problèmes. Et ça se trouve aux pages 20 500, 600, 700 -- non, voilà, 20 650
2 à 20 750. Et le Dr Mujadzic a confirmé que j'étais contre la guerre, que
3 j'avais voulu éviter la guerre, que lui il voulait éviter la guerre, et que
4 ça aurait été une bonne chose. Il a confirmé que les atrocités se sont
5 produites dans la vallée de la rivière Sana, qui était importante de façon
6 stratégique tant pour l'armée populaire yougoslave que pour l'armée de la
7 Republika Srpska, que pour encore l'armée musulmane, et il a été clairement
8 dit que leur objectif stratégique était de s'emparer d'au moins de la rive
9 gauche de la Sana pour lui faire faire partie de la Krajina de Cazin.
10 Ca, ce sont des choses qui ont été clairement prouvées ici, et
11 d'autre part, on a démontré qu'il n'y a pas d'autre preuve qui abonderait
12 dans le sens de l'affirmation au terme de laquelle une entreprise
13 criminelle commune avait été un objectif de constitué et que j'aurais
14 participé à sa création. Au contraire, jusqu'au tout dernier jour, jusqu'au
15 1er avril, toute la communauté serbe en Bosnie-Herzégovine et toute sa
16 direction, tout son être politique, visait à faire créer et à faire se
17 mettre en place des autorités du pouvoir dans une organisation de la
18 Bosnie-Herzégovine nouvelle. Le Procureur indique que ces organes ont été
19 créés dans l'objectif de réaliser ou faire réaliser ces objectifs; or, ces
20 organes avaient été prévus par les accords de Lisbonne et par tous les
21 autres accords. Et leur création ou mise en place accélérée avait pour
22 objectif le fait d'empêcher le chaos, et non pas la production du chaos.
23 Le Procureur a fait fi d'un fait jugé par une autre Chambre de ce même
24 Tribunal qui a conclu du fait qu'au moins jusqu'au 14 février 1992, j'ai
25 tenu compte des intérêts des Musulmans et des Croates. Au paragraphe 907,
26 il est dit, où l'on cite mon discours du 14 février, et je vais en donner
27 lecture de cette partie-là. Paragraphe 907 du jugement en première instance
28 dans l'affaire Krajisnik. Il est dit :
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1 "Il appartient à chaque personne de jouer le rôle qui lui incombe. Et nous
2 allons en parler aujourd'hui, mais je dois vous dire que nous devons être
3 judicieux, unifiés, dévoués pour pouvoir assumer ne serait-ce que la
4 dernière partie du pouvoir qui nous appartient de façon humaine pour que
5 cela soit exécuté et pour que tout soit ajusté par rapport aux Musulmans et
6 aux Croates qui résident là-bas. Il est important de savoir qu'il n'y aura
7 pas de personnes qui s'enfuiront de nos zones."
8 Et au paragraphe 908, il est dit :
9 "Au début de l'année 1992, Karadzic continue à exprimer son respect pour
10 les intérêts des autres peuples étant donné que la séparation et
11 l'homogénéisation n'avaient pas encore été déclarées comme objectif de la
12 direction."
13 Le Procureur avait donc l'obligation de définir une nouvelle date pour ce
14 qui est du début de la prétendue intention à être promulguée, intention qui
15 m'est reprochée.
16 Et on a pu voir que le 11 avril, je signe avec l'UNHCR un accord. Le 22
17 avril, je promulgue une plateforme qui dit que l'on ne devait pas
18 reconnaître les territoires pris par la force et qu'il fallait assurer le
19 plus vite possible le retour de la paix et le retour de tout un chacun chez
20 soi.
21 Le 3 mai, et on voit dans les journaux la conférence de presse qui est
22 rapportée, pour ce qui est de savoir s'il allait y avoir des déplacements,
23 et j'ai répondu que nous n'avions pas envisagé de déplacement de la
24 population et que nous ne leur recommandions pas. Nous voulions que soient
25 protégés de façon réciproque les droits des minorités. Et pendant toute
26 l'année 1992, je me bats pour que les juges musulmans et les juges croates
27 et les procureurs musulmans et croates soient élus. Et lorsque je l'ai
28 fait, de façon conforme à la constitution, je les ai nommés. Lorsque
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1 l'assemblée a commencé à siéger au mois d'août et au mois de septembre, je
2 me bats pour qu'il y ait nomination de ces gens-là. Et on ne retrouvera pas
3 de nouvel anniversaire de cette prétendue intention tout simplement parce
4 que cette intention de mon côté et de notre côté n'avait pas existé.
5 Je voudrais maintenant attirer votre attention sur le chef numéro 2,
6 génocide lié à Srebrenica.
7 Dès le paragraphe 41 de l'acte d'accusation, le Procureur présente une
8 thèse qui n'a pas été prouvée parce qu'il n'y a aucun élément de preuve qui
9 montrerait que moi, à côté d'autres personnes, j'aurais planifié, incité à
10 commettre, ordonné et/ou aidé et encouragé un génocide à Srebrenica. Au
11 contraire, il y a des éléments de preuve au dossier qu'il n'y avait eu
12 d'intention de la part de l'armée de la Republika Srpska d'entrer dans
13 Srebrenica. Ca s'est fait une fois que la ville a été abandonnée par la 28e
14 Division et par la population. Qui plus est, on peut voir des déclarations
15 de personnes initiées et d'autres qui étaient au courant des événements qui
16 se produisaient et même des auteurs de crimes, c'est-à-dire ceux qui ont
17 exécuté les prisonniers de guerre, et alors ils ont dit qu'ils n'avaient
18 connaissance de qui que ce soit pour ce qui est d'avoir eu l'intention
19 d'anéantir les Musulmans de Srebrenica, et ils ont dit qu'ils n'avaient pas
20 eu eux-mêmes cette intention-là.
21 Alors, le Procureur maintient ses allégations qui ont été étayées par quoi
22 que ce soit et qui disent que j'aurais planifié ou que j'avais eu
23 l'intention, et si je n'ai pas eu cette intention-là, peut-être
24 alternativement aurais-je dû prévoir que quelqu'un pour ce qui est de ces
25 membres de l'entreprise criminelle commune pourrait commettre un génocide
26 au cas où il y aurait continuation de certains comportements de notre part
27 ou continuation des combats. Et pour ce qui est de ces activités reliées à
28 Srebrenica, c'était militaire et c'était profondément justifié parce qu'il
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1 n'était pas tenable que d'être exposé constamment à des attaques en
2 provenance de Srebrenica. La question liée à l'entrée de nos effectifs à
3 Srebrenica, ça s'est présenté à minuit entre le 9 et le 10 juillet. On a pu
4 voir ici que j'ai été informé de la possibilité d'entrer, et j'ai donné mon
5 approbation et j'ai ordonné de procéder de la façon la plus humaine
6 possible. Il n'y avait eu donc aucune intention d'entrer dans Srebrenica,
7 et encore moins y a-t-il eu des plans de faire autre chose, et il paraît
8 que ces plannings ont été mis sur pied pendant les journées de l'attaque.
9 Donc on a conscience du fait que les plannings n'avaient pas été établis au
10 préalable, mais pendant les journées de l'attaque il y aurait eu une
11 décision de prise en ce sens. Mais il n'y a eu aucun élément de preuve pour
12 dire qui a décidé du génocide, qui a décidé d'exécuter qui que ce soit.
13 Quand ? A quel moment, je veux dire, cette décision a-t-elle été prise ?
14 Lorsqu'il s'agit -- on reviendra au point relatif aux exécutions. Lorsqu'il
15 s'agit de cette prétendue déportation forcée de la population de
16 Srebrenica, ici, de façon non ambiguë, il a été démontré que l'armée serbe
17 n'avait eu aucun contact ou combat dans Srebrenica et dans les environs, il
18 n'y a eu aucun contact avec la 28e Division, aucun combat ou aucun contact
19 avec la population avant Potocari, c'est-à-dire à l'endroit où la
20 population, sur incitation de leurs propres autorités, avait cherché
21 refuge.
22 Maintenant, l'Accusation, à l'occasion de la présentation de ses éléments à
23 charge, a investi beaucoup d'efforts pour démontrer à chaque heure et à
24 chaque minute qu'il y a eu de la part de Mladic et du côté serbe en général
25 planification ou disponibilité pour ce qui est d'évacuer la population
26 civile avant que ladite population civile ne se prononce en la faveur de
27 cette éventualité. On a démontré de façon plus qu'évidente qu'il n'y a eu
28 aucune planification de déportation quelle qu'elle soit. On a démontré que
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1 s'agissant de l'évacuation de la population, il y avait les autorités
2 locales de Srebrenica qui étaient favorables, l'autorité centrale de
3 Sarajevo était favorable, et l'autorité centrale de Sarajevo était
4 intervenue par le biais des Nations Unies pour que la partie serbe rende
5 possible cette évacuation.
6 Et les Nations Unies, à cet effet, ont véhiculé cette demande via le
7 général Nicolai et le lieutenant-colonel Karremans à l'intention de Mladic,
8 et Mladic n'a pas approuvé cela avant l'arrivée des représentants de la
9 population musulmane pour que ces représentants-là disent exactement ce
10 qu'ils souhaitaient faire. L'Accusation a investi beaucoup d'efforts, je le
11 consens, et je reconnais qu'ils ont investi énormément d'efforts pour
12 prouver des activités qui, au sujet de l'évacuation, auraient eu lieu avant
13 10 heures de la journée du 10 juillet. Mais au soir du 11 juillet, il était
14 clair ce que voulait –- enfin, on savait clairement ce que la partie
15 musulmane voulait. Et il n'y avait eu au préalable aucun préparatif
16 d'effectué sauf le fait d'avoir inventorié les endroits où on pouvait se
17 procurer des véhicules.
18 Donc, par la suite, il nous est donné la possibilité de voir qu'il y a une
19 évacuation de la population dans la direction souhaitée par cette
20 population, et nulle part, à aucun endroit il n'est possible de voir que
21 l'on aurait affirmé que ces gens ne reviendraient plus et qu'ils ne
22 pourraient pas retourner vers leurs villes. Il est tout à fait clair
23 partant d'un document émanant de moi et daté du 11 juillet par lequel je
24 nomme un représentant civil et j'ordonne la création d'instances du
25 pouvoir, pour parler seulement de la municipalité serbe de Srebrenica. Et
26 on se souviendra tous que la création de municipalités ethniques avait été
27 l'un des sujets évoqués avant le début de la guerre et après le début de la
28 guerre afin que chaque municipalité se sente en sécurité. Elle avait la
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1 liberté, la latitude de créer ses propres pouvoirs politiques, sa propre
2 police et gérer sa vie de façon indépendante vis-à-vis des autres groupes
3 ethniques conformément à une législation qui est commune. Donc personne ne
4 pouvait savoir ni prévoir, parce que moi, s'il n'y a pas d'élément de
5 preuve disant que j'ai fait de façon active telle chose, alors on me
6 reproche de ne pas avoir été devin pour savoir à l'avance ce qui allait se
7 passer. Comment pouvait-on prévoir que la 28e Division allait quitter
8 l'enclave avant même que d'avoir été obligée de le faire ? Elle aurait pu
9 défendre l'enclave, ils avaient plus de soldats que l'armée de la Republika
10 Srpska. Qui aurait pu prévoir que toute la population allait quitter ses
11 maisons ? Personne ne pouvait prévoir cela. Et on n'a pas pu planifié en
12 fonction. On ne pouvait pas non plus prévoir quel allait être le
13 comportement des commandants du type d'Oric et autres qui avaient leurs
14 propres intérêts et leurs propres idées concernant la façon dont il
15 s'agissait d'inciter les Serbes à entrer dans Srebrenica.
16 Alors, voyons un peu comment certains témoins décrivent cette situation au
17 sujet de l'évacuation. Nous allons nous pencher sur le témoignage du Témoin
18 Kingori. Il a dit qu'il avait déclaré auprès du général Mladic qu'il
19 fallait se procurer des moyens de transport pour l'évacuation. On peut voir
20 ce qu'a dit dans son témoignage le dénommé Nikolic pour indiquer que les
21 soldats des Nations Unies étaient venus pour demander d'accélérer
22 l'évacuation. Et ceci découle du témoignage de M. Rutten, qui est un témoin
23 qui a comparu lors de l'enquête parlementaire néerlandaise. On a pu voir
24 que le ministère de la Défense des Pays-Bas était favorable à l'évacuation.
25 Et personne parmi les Serbes, si ce n'est les étrangers, n'avait envisagé
26 que ce soit à titre permanent. Il n'y a aucune trace, aucune mention de
27 faite qu'il s'agissait là d'une évacuation permanente.
28 Nous avons KDZ084. Ici, nous rappellerons son témoignage : le 13, quasiment
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1 jusqu'au soir, la situation semble être parfaitement calme et on pensait
2 qu'il allait y avoir un échange de prisonniers, et jusqu'à l'incident de
3 Kravica, rien ne s'était produit. Le Procureur a déployé des efforts
4 immenses afin de démontrer que les meurtres dans la vallée de la Cerska ont
5 eu lieu avant l'incident de Kravica. Mais le Procureur a échoué dans cette
6 intention parce que les témoins mêmes de l'Accusation ont témoigné que
7 Cerska s'est produit très probablement le 17 ou plus tard, et non pas le
8 13, parce que ceux qui ont été exhumés là auraient été vus en vie le 17.
9 Nous avons ici un témoin de l'Accusation, un témoin international, un
10 enquêteur de qualité, qui évoque le fait que là où la police est là, et
11 l'armée était présente en nombre conséquent, comme à Potocari, il n'y a pas
12 eu de meurtres; tandis qu'en ville, où c'étaient des réservistes, des
13 personnes âgées qui étaient chargées de préserver l'ordre, il y a eu des
14 vengeances personnelles, il y a eu des meurtres, il y a eu des villageois
15 qui ont été cherchés pour être éliminés. Donc, là où l'Etat est présent, il
16 n'y a pas eu de crimes.
17 De même, les instances que nous avons rapidement constituées tout au long
18 de l'année de 1992, et le Procureur affirme que notre intention était
19 d'atteindre par leur biais nos objectifs criminels, démontrent qu'à partir
20 du moment où les instances des Etats étaient mieux organisées, il y avait
21 moins de criminalité, moins de chaos, moins d'insécurité. C'est exactement
22 à l'envers de ce qu'affirme le Procureur. Là où l'Etat était présent, où il
23 pouvait assurer sa présence dans des circonstances aussi difficiles, eh
24 bien, là, la situation s'améliorait considérablement.
25 J'ai bien peur, Excellences, que la propagande musulmane portant sur les
26 événements, les causes, les conséquences, le déroulement, le nombre de
27 victimes, et cetera, eh bien, a été efficace auprès du Procureur, que le
28 Procureur a succombé entièrement à la propagande des extrémistes musulmans
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1 qui ont déformé les faits, non seulement pour ce qui est des causes et des
2 conséquences, mais également sur le plan des données très précises, très
3 exactes, qui portent sur le nombre de victimes.
4 Cependant, indépendamment de cela, même s'il y a eu des expulsions, le
5 Procureur n'a fourni aucune preuve de ma connaissance là-dessus, et encore
6 moins de mon éventuelle participation aux contributions. Donc la Défense
7 affirme que le Procureur, en présentant sa cause, a présenté suffisamment
8 de preuve démontrant qu'il n'y a pas eu de plan, qu'il n'y a pas eu de
9 souhait de transfert forcé, mais qu'il s'agissait simplement de répondre au
10 souhait de la population et des instances de pouvoir musulmanes et d'une
11 partie des Nations Unies et du gouvernement néerlandais. Mais quand bien
12 même il aurait eu des preuves, encore une fois, il n'y aurait pas eu de
13 preuve de ma connaissance et encore moins de preuve démontrant que j'aurais
14 agi dans le cadre de ce qui m'est reproché sur le plan des évacuations ou -
15 comme l'acte d'accusation le dit - de transfert forcé.
16 Mais sur un plan plus général, le Procureur m'attribue la
17 responsabilité d'avoir, dès mars 1995, conçu le plan de nous emparer de
18 Srebrenica et de commettre des crimes, et ce, là encore, dans le cadre de
19 l'entreprise criminelle globale cherchant à chasser à jamais les
20 populations, et cetera. Je suppose qu'ils ont à l'esprit la directive
21 numéro 7, ici. Alors je ne vais pas rentrer dans la création de cette
22 entreprise - où, qui, comment est à l'origine de l'entreprise - et
23 d'ailleurs, la directive numéro 7 ne constitue pas un acte exécutif. Donc
24 on la retrouve dans le 7.1, qui ne comporte aucun élément démontrant qu'il
25 s'agirait d'un acte criminel. Ce sont les preuves et la cause de
26 l'Accusation qui nous ont permis de démontrer que la directive 7.1 n'a eu
27 aucune conséquence qu'ils lui attribuaient. L'aide humanitaire n'a pas été
28 diminuée. Nous avons eu un témoin de l'Accusation qui est venu démontrer
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1 ici que c'était l'état des enfants justement qui, fin juin, lui a permis de
2 voir que les enfants jouaient dans les rues de Srebrenica et que cela
3 signifiait qu'il n'y avait pas de bombardement, que les enfants étaient
4 correctement nourris et que, donc, il y avait de la nourriture et aussi des
5 médicaments, parce que leur état de santé semblait être correct.
6 Et les convois, d'après ce que nous avons vu, n'ont jamais cessé de
7 circuler. Il y a eu même des convois qui ont été autorisés pour le 11
8 juillet, ceux qui sont arrivés le 13. Nous avons à cet effet le témoignage
9 du général Obradovic qui lui affirme que ces convois étaient destinés à la
10 population civile, indépendamment de l'issue des combats. Or, le Procureur
11 ne semble pas tenir compte du fait qu'en 1993, j'ai arrêté notre armée aux
12 frontières de l'enclave et que j'ai interdit les enquêtes. Le général
13 Milovanovic en a parlé. J'ai interdit qu'il y ait une instruction parce que
14 je ne voulais pas qu'il y ait des cas de vengeance personnelle, que
15 l'animosité personnelle s'exprime dans le cadre de ce processus, parce
16 qu'il y a eu des meurtres de part et d'autre depuis des siècles. Et
17 d'ailleurs, tout au long de l'année 1992, il y a eu des victimes serbes, et
18 jusqu'en avril 1993. C'est en avril 1993 que j'ai interdit à notre armée
19 d'entrer dans Srebrenica, et j'ai interdit qu'il y ait des enquêtes qui
20 risquaient de causer des incidents.
21 S'agissant maintenant des meurtres, avant tout, le Procureur n'a
22 montré aucun document qui permettrait de voir l'intention de la part de qui
23 que ce soit de se livrer à des meurtres illégaux, que qui que ce soit
24 cherche à tuer les prisonniers de guerre. Le Procureur n'a nullement
25 démontré qu'il y a eu des meurtres de civils ou que cette intention
26 existait. Mais pour ce qui est du meurtre de prisonniers de guerre, le
27 Procureur n'a pas démontré que quoi que ce soit se soit produit avant
28 l'incident de Kravica. Quant à celui-là, nous avons vu qu'il s'est produit
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1 pour la raison suivante : l'un des prisonniers dans une situation de
2 détente, où les gardes ne pointaient pas leurs armes, s'est emparé d'une
3 arme, a tiré des coups de feu et a causé la panique et le chaos. Nous avons
4 vu également qu'un certain nombre de soldats musulmans prétendaient se
5 rendre en activant des armes et en tuant par là ceux à qui ils prétendaient
6 se livrer. Ce qui constitue une violation du droit de la guerre et
7 contribue également à créer le chaos.
8 Les auteurs et les repentis, ceux qui auraient reconnu d'avoir tué
9 des prisonniers de guerre, ont confirmé, eux, que jamais il ne leur est
10 venu à l'esprit que l'intention était d'éradiquer les Musulmans en tant que
11 groupe. Ils ont confirmé, en revanche, qu'un certain colonel non identifié
12 se serait plaint, disant qu'ils étaient dangereux, imprévisibles et que
13 personne ne pouvait les contrôler. Erdemovic, par exemple, a déclaré ici
14 même que jamais il n'a parlé de cela avec qui que ce soit, c'est uniquement
15 lorsqu'il est passé en Serbie qu'il en a parlé avec l'ex-adjoint du
16 commandant, Kremenovic, et qu'il n'aurait jamais pu parler de cela avec
17 quelqu'un qui en aurait parlé à son supérieur direct. Donc le premier
18 supérieur hiérarchique suivant, donc le "next level" comme je l'appelle,
19 n'était pas au courant d'un certain nombre de choses. Donc nous allons voir
20 que Pelemis, lui-même, ne le savait pas parce qu'Erdemovic n'a pas osé en
21 parler avec quelqu'un qui en aurait parlé au commandant. Nous avons
22 également vu que c'était la loi du silence qui régnait, le silence total
23 sur ces événements. A partir de la matinée du 14, donc la question que l'on
24 se posera est de savoir : comment est-ce possible, comment pourrait-on
25 s'attendre à ce que le président de la république, qui est très pris,
26 comment pourrait-il savoir des choses qui sont ignorées de ceux qui sont
27 directement concernés dans la chaîne du commandement et qui se trouvent
28 physiquement dans les environs des événements ?
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1 Excellences, le moment de la pause est-il arrivé ?
2 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.
3 [La Chambre de première instance se concerte]
4 M. LE JUGE MORRISON : [interprétation] Nous allons effectivement faire une
5 pause maintenant, mais il m'a été demandé de vous rappeler deux choses.
6 Dans un premier temps, je vous exhorte à vous en tenir ou à respecter, en
7 fait, ce qui vous a été demandé pour cette procédure. Il ne s'agit pas
8 d'une plaidoirie. Vous ne devez pas faire d'observation; vous devez vous
9 contenter de présenter ce que vous êtes en mesure de considérer comme une
10 preuve. Et c'est une différence qui est extrêmement importante à ce stade
11 de la procédure. Il ne s'agit pas de savoir si ce que vous présentez
12 équivaut à une preuve.
13 Donc il va falloir, en fait, que vous fassiez bien la part des choses parce
14 que, en fait, vous voyez la différence entre des observations et une
15 présentation. Regardez comment Me Robinson s'est exprimé à propos des
16 sujets sur lesquels il a attiré notre attention. Il n'a pas fait
17 d'observation; il s'est contenté de présenter des éléments sans faire
18 d'observation. Il vous serait extrêmement utile et judicieux, et cela est
19 vrai pour nous également, si vous pouviez suivre son exemple extrêmement
20 professionnel.
21 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bien. Nous allons faire une pause d'une
22 demi-heure et reprendrons à 11 heures.
23 --- L'audience est suspendue à 10 heures 29.
24 --- L'audience est reprise à 11 heures 02.
25 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Karadzic, vous pouvez
26 poursuivre, je vous prie.
27 L'ACCUSE : [interprétation] La question, maintenant, des événements de
28 Srebrenica visés au chef 2, comme génocide, mais aussi visés dans d'autres
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1 paragraphes de l'acte d'accusation lorsqu'il est question de municipalités,
2 je tiens à rappeler que l'on n'a pas démontré ici l'existence d'intentions,
3 l'existence de plans et encore moins l'existence d'une connaissance de ma
4 part, quelle qu'elle soit. Voyons maintenant ce que les témoins ont dit.
5 Donc nous avons ici l'ensemble des conversations interceptées, l'ensemble
6 des documents, l'ensemble de témoignages de ceux qui ont passé les journées
7 décisives des événements de Srebrenica en ma compagnie, et aucune preuve
8 parmi tout cela ne prouve que j'aie été informé, et encore moins que
9 j'aurais été informé de meurtres. Puisque nous parlons du chef 2, aucun
10 plan, aucune connaissance, aucun rapport là-dessus, et le Procureur,
11 d'ailleurs, n'aurait pu rien présenter. Puisque nous voyons, à l'opposé,
12 que les témoins internationaux ont démontré que ces preuves n'existent pas.
13 Et l'on a également démontré qu'il y a eu des meurtres opportunistes
14 motivés par vengeance personnelle, et également, à l'acte d'accusation,
15 l'on retrouve constamment mention d'actions légitimes militaires comme
16 faisant partie de l'entreprise criminelle commune principale. Et l'on ne
17 peut pas répondre à cela sans arrêt, mais c'est quelque chose qui revient
18 sans arrêt à l'acte d'accusation.
19 Donc, aucune responsabilité de ma part n'a été démontrée pour ce qui est
20 des événements de Srebrenica. J'affirme que l'on n'a pas démontré non plus
21 l'existence d'un génocide, et il revient au Procureur de démontrer ce qui
22 s'est effectivement passé. Qui a tué les prisonniers de guerre, pour
23 quelles raisons ? Et aussi, il est intéressant de constater que le
24 Procureur n'a pas pu faire établir un des faits de base, à savoir le nombre
25 de victimes. Cela fait partie de ce jeu auquel on se livre pour susciter
26 des souffrances des populations qui résident et pour générer des hostilités
27 à venir. Et ce nombre de victimes n'est pas fondé. Il n'y a pas d'élément
28 parmi les éléments présentés qui permettrait à la Chambre de me déclarer
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1 coupable, et je pense qu'il n'y a pas d'élément parmi les éléments
2 présentés qui permettrait à la Chambre de constater qu'un génocide a été
3 commis.
4 Alors, s'agissant maintenant du chef 3, à savoir les persécutions, le
5 Procureur n'a pas opté entre responsabilité objective et, d'autre part, la
6 responsabilité par association. Le Procureur, à partir du paragraphe 14,
7 pour les points 3 à 6, affirme que j'ai pris part à la création d'organes
8 administratifs et politiques, ainsi que de groupes paramilitaires et
9 d'unités de volontaires. Et ce sont dans sa formulation les "forces des
10 Serbes de Bosnie". Mais c'est un terme qui sème la confusion et qui n'a pas
11 été démontré. Les forces des Serbes de Bosnie, qu'est-ce que cela signifie
12 ? Ce ne sont pas les renégats et les unités paramilitaires qui sont, au
13 contraire, arrêtés par les forces des Serbes de Bosnie. Un exemple : les
14 unités paramilitaires de Bijeljina, de Brcko, de Zvornik. J'ai engagé notre
15 unité spéciale de la police pour démanteler ces forces-là et des policiers
16 aussi que j'ai demandé à la Yougoslavie. Alors le Procureur affirme que ces
17 forces que nous avons arrêtées constituent des forces serbes de Bosnie,
18 alors que c'est tout le contraire qui est vrai, à savoir que nous, les
19 forces serbes de Bosnie, les avons arrêtées.
20 Et puis, le Procureur n'a pas démontré que l'on aurait créé des instances
21 de pouvoir dans l'intention que nous impute le Procureur. Si nous avons
22 formé ces instances, c'est parce que nous avons agi de droit conformément
23 aux traités sur les droits de l'homme et des peuples. Tout peuple a le
24 droit de cultiver ses ressources. Et dans les conditions de dislocation de
25 la Yougoslavie, les Serbes de Bosnie ont pris un minimum de mesures, et le
26 Procureur n'a pas pu démontrer que ces organes, qui sont d'ailleurs
27 toujours en place, que ces organes ont été créés dans l'intention qui nous
28 est imputée.
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1 Le Procureur, en outre, n'a pas démontré pour ce qui est des
2 municipalités, pour ce qui est des persécutions, ce qui est prévu aux chefs
3 3 à 6, n'a pas démontré l'existence d'un modèle de comportement dans les
4 municipalités serbes. Il n'y a pas eu de mode opératoire allégué, parce que
5 rien ne s'est produit dans les municipalités serbes, premièrement; et puis,
6 deuxièmement, parce que les événements qui se sont produits dans les
7 différentes municipalités se situent à des moments différents. Pour
8 certaines d'entre elles, ils ne se sont produits que deux mois après le
9 début de la guerre, et cela ne dépendait pas de la partie serbe. Les deux
10 parties, le plus souvent, donc les Serbes et les Musulmans, ont pu
11 maintenir la paix pendant assez longtemps jusqu'à ce qu'il y ait une
12 intervention venue du pouvoir central de Sarajevo pour déclencher des
13 combats.
14 Et puis, le Procureur n'a pas démontré quel intérêt aurait eu la
15 partie moins nombreuse de Bosnie, donc la communauté serbe, qui a fini par
16 devoir défendre 2 000 kilomètres de ligne de front. Quel intérêt l'aurait
17 poussée à engager de nouveaux combats derrière son dos ? Mais cela serait
18 insensé. On ne peut pas défendre cela en disant qu'une intention, qu'une
19 raison ou qu'une motivation a existé. J'ai dit 2 000 kilomètres, près de 2
20 000 kilomètres de ligne de front.
21 Donc, pourquoi - puisque dans nos arrières nous n'avons pas de
22 combattants - pourquoi est-ce qu'on livrerait combat à nos citoyens
23 d'appartenance ethnique musulmane ? Donc j'estime que le Procureur n'a pas
24 démontré que tel ou tel événement dans les différentes municipalités se
25 soit produit sur notre initiative et en l'absence de combats. A l'opposé,
26 les témoins que nous avons entendus ici ont confirmé que dans différentes
27 municipalités, telle Sanski Most, on a procédé à l'évacuation de la
28 population des zones de combat, par exemple, Hrustovo, où un témoin est
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1 venu démontrer qu'il y a eu des combats et que les Musulmans ont bel et
2 bien ouvert le feu. Eh bien, donc, on a évacué la population dans une
3 municipalité vers un village mixte, serbe et musulman, où il n'y avait pas
4 de combats, où la paix régnait à ce moment-là, où la mosquée était intacte.
5 Donc, tout simplement, cela ne s'est pas produit. Donc, que voyons-nous à
6 l'écran ? C'est une partie du témoignage. Une partie du témoignage. Une
7 partie du témoignage du Dr Mujadzic qui confirme que là où les Musulmans
8 étaient moins nombreux, qu'ils n'ont pas rencontré de problèmes. Et l'on
9 voit ici toute une série de municipalités, ne serait-ce que parmi les 17 de
10 la Krajina, comme étant des municipalités qui n'ont pas connu de problèmes.
11 Donc, si cela avait été l'intention, le projet, eh bien, le Procureur
12 devrait démontrer pourquoi cette désobéissance d'un certain nombre de
13 municipalités où des mesures discriminatoires n'ont pas été mises en place.
14 Alors, premièrement, ce qui aurait déclenché cette série de crimes
15 qui me sont imputés à moi, à la partie serbe et aux membres de l'entreprise
16 criminelle commune, le Procureur affirme que c'étaient les prises de
17 pouvoir, les "take-overs", donc la prise de pouvoir dans les différentes
18 municipalités. Et, bien sûr, au paragraphe 105 de son mémoire préalable au
19 procès, le Procureur précise que cela se situe peu de temps après la prise
20 de pouvoir. En fait, il dit que c'est dès la prise de pouvoir que les
21 licenciements commencent, et cetera. Mais le discours que j'ai prononcé le
22 25 janvier 1992 devant l'assemblée commune, il ressort clairement que nous
23 sommes détenteurs du pouvoir légitime, légal sur 60 % du territoire, et que
24 si vous voulez mettre sur pied de nouvelles autorités d'une Bosnie
25 indépendante, eh bien, vous ne pourrez pas faire cela sur ce territoire-là.
26 Et le Procureur n'a pas démontré qu'il y aurait eu des prises de pouvoir.
27 Il y a eu l'entrée en fonction, parce qu'après les élections nous avons
28 laissé en place de nombreux fonctionnaires communistes. Et, en fait, la
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1 nécessité faisait qu'il fallait simplement entrer en fonction après les
2 élections. Donc je ne vois pas où est-ce qu'il y a eu cette prise de
3 pouvoir dans les municipalités. Les autorités qui restent en place sont les
4 mêmes de 1990 à 1996. Il n'y a pas eu de changement.
5 Rappelons-nous, on a proposé la constitution de communautés isolées,
6 donc chaque communauté aurait pu se doter d'organes de pouvoir séparés.
7 Donc, si ces propositions étaient faites, il est tout à fait clair qu'il ne
8 s'agit pas là de licenciements. A partir des élections de 1990, j'ai bien
9 dit. Donc les autorités sont les mêmes dans la période qui va de 1990 à
10 1996. Et dans ces conditions, tout un chacun pouvait se doter de sa propre
11 municipalité, et c'est tout à fait naturel que les policiers musulmans
12 dépendent du poste musulman, ils étaient tout à fait invités à rester s'ils
13 acceptaient le pouvoir serbe.
14 Ensuite, il y a le discours de Stojan Zupljanin du 13 mai à Banja
15 Luka dans lequel il dit, puisque Banja Luka n'avait pas constitué de
16 municipalités sur une base ethnique, il dit donc que presque tous les
17 Musulmans et tous les Croates sont restés travailler au sein du service de
18 police du centre de Banja Luka, et la réaction qu'il reçoit, ce sont les
19 applaudissements de 50 000 habitants de Banja Luka. Où trouve-t-on ici la
20 moindre intention de licencier les Musulmans là où il y a une municipalité
21 unique ? Il n'a pas été prouvé qu'ils aient été licenciés. Ce qu'on a
22 démontré, c'est que certains d'entre eux n'ont pas accepté l'autorité de la
23 Republika Srpska, ils ont refusé de prêter serment, ils n'ont même pas
24 accepté de partir pour rejoindre les rangs du poste de police musulman,
25 mais on n'a pas démontré qu'ils auraient été licenciés pour des raisons
26 d'ordre ethnique.
27 Concernant les persécutions et les chefs d'accusation numéro 3 à 6,
28 il est également question de la mise en détention provisoire. Mais
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1 l'Accusation n'a pas démontré que cela avait été fait sur la base de
2 l'appartenance ethnique. Au contraire, on voit que ces mesures étaient
3 prévues pour être prises au sein des centres d'enquête ou d'instruction au
4 sein desquels, afin de travailler plus vite et de procéder à une sélection
5 plus rapide, on faisait un tri entre ceux qui s'étaient trouvés au mauvais
6 endroit au mauvais moment et avaient été arrêtés par erreur et ceux, par
7 contre, qui étaient des suspects réels, qui étaient suspectés d'avoir pris
8 part à une rébellion armée. La première catégorie de personnes a été
9 relâchée rapidement. Les centres d'enquêtes ont été qualifiés de camps, et
10 je parle d'Omarska, de Keraterm.
11 Et 59 % des personnes qui ont été ainsi arrêtées ont été relâchées
12 parce qu'elles sont tout simplement sorties dans la rue en dépit du couvre-
13 feu. En revanche, il a été établi que les 41 % restant avaient participé
14 aux combats, et eux sont restés en prison. Alors, bien entendu, dans les
15 conditions chaotiques qui prévalaient et en l'absence des communications de
16 la base avec les organes centraux, il y a eu également des cas
17 d'emprisonnement qui ont eu lieu sans que le gouvernement soit informé.
18 Là, on a eu l'occasion d'entendre le première ministre Djeric, qui a
19 expliqué à quel point lui-même et son gouvernement avaient des difficultés
20 pour avoir la moindre influence sur les événements qui se déroulaient dans
21 les régions avec lesquelles ils n'avaient aucun moyen de communiquer et
22 auxquelles ils n'avaient aucun accès. Cependant, même dans ces centres-là -
23 - nous avons pu voir à l'occasion du témoignage de certains témoins que ce
24 n'était pas le système mais des individus qui étaient à l'origine de
25 certaines exactions. Et cela n'a été fait que lorsque les supérieurs
26 hiérarchiques étaient absents, les supérieurs directs de ces hommes. Par
27 exemple, à Vogosca, Branko Vlaco a indiqué que personne -- enfin, personne
28 ne pouvait rien dire à Branko Vlaco. Personne ne pouvait rien lui
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1 reprocher.
2 A Hadzici, le Témoin Music a déposé en indiquant ce qui suit : Dès
3 que les voyous ou les vilains sont partis, les gardes, en fait, les ont
4 emmenés dans une autre pièce, pas celle où ils avaient été soumis à
5 l'action de ce gaz de couleur jaune.
6 Ensuite, à Omarska, des témoins musulmans ont indiqué ce qui suit :
7 Il y a des psychopathes parmi les gardes et ils ont infligé de mauvais
8 traitements aux détenus dès que les enquêteurs s'en allaient. De même, en
9 page 19 859 du compte rendu d'audience, le témoin a déposé en indiquant
10 qu'ils n'étaient pas soumis à des mauvais traitements et on ne les battait
11 pas devant les supérieurs hiérarchiques lorsque ceux-là étaient présents.
12 Donc, ce qui se produit au cours d'une guerre civile, c'est la même
13 chose que ce qui se passe dans des luttes fratricides parce que les Serbes
14 considèrent les Musulmans comme étant leurs frères. Il faut prouver que
15 ceci faisait partie d'un système. On me reproche d'avoir manqué, d'avoir
16 omis d'informer les organes du gouvernement des exactions qui étaient
17 commises sur le terrain. Or, il a été prouvé que le président n'avait pas
18 d'organes d'enquête, qu'il n'avait aucune possibilité de procéder à des
19 enquêtes, et que les informations circulaient en sens inverse, vers le
20 président et non pas à partir du président. Comment le président saurait-il
21 ce qui se passait sur le terrain ? Lorsque les organes des autorités font
22 leur travail, le président n'a pas à s'en mêler. Et il a été prouvé ici que
23 moi j'intervenais uniquement lorsqu'il était nécessaire que j'intervienne,
24 afin que l'on ne relâche pas des personnes qui étaient en détention et que
25 l'on accélère les procédures. De nombreux témoins, ici, ont indiqué que je
26 ne me mêlais pas des affaires judiciaires sauf pour ce qui était de
27 demander une accélération des procédures et que les personnes ayant commis
28 des infractions graves ne soient pas relâchées. Nulle part on ne trouve la
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1 moindre trace, la moindre empreinte de mes propres mains dans la commission
2 d'infractions de ce type. A chaque fois que je suis intervenu, c'était dans
3 l'intérêt des civils qui souffraient, afin de soulager leurs souffrances,
4 indépendamment du groupe ethnique auquel ils appartenaient. C'était dans
5 une intention purement humaine.
6 L'Accusation, donc, n'a pas fourni de preuves sur la base desquelles
7 la Chambre de première instance pourrait rendre un jugement portant
8 condamnation en ce qui concerne ces chefs d'accusation numéros 3 à 6.
9 Concernant la détention, l'Accusation a allégué qu'il y avait travail
10 forcé. Or, en page 19 744, un témoin a confirmé que, non seulement à
11 Manjaca mais à ailleurs, les travaux étaient tout à fait volontaires. A
12 Batkovic, par exemple, les détenus demandaient eux-mêmes qu'on leur donne
13 l'occasion de travailler. Pendant trois mois, ils pouvaient ainsi avoir
14 davantage de vivres, être mieux nourris; par conséquent, il n'a pas été
15 prouvé que le travail soit sorti du cadre de ce qui était prévu par la loi.
16 Il n'y avait même pas assez de place pour tous ceux qui se présentaient
17 tout à fait volontairement afin de pouvoir travailler.
18 Concernant les persécutions, un témoin, en page 19 121 du compte
19 rendu, a indiqué qu'il y avait davantage d'obstacles pour parvenir sur
20 cette liste de personnes qui pourraient travailler que l'inverse. Il
21 fallait remettre ses armes, et d'autres témoins ont indiqué qu'il fallait
22 fournir jusqu'à 15 attestations. Ils ont également indiqué qu'il fallait
23 donner des pots-de-vin à certaines personnes pour pouvoir figurer sur cette
24 liste. Ensuite, il fallait également payer son propre acheminement et
25 attendre la venue de l'autobus en question.
26 Non seulement ils étaient nombreux les Serbes, les Croates et les
27 Musulmans qui étaient partis avant la guerre, dès la première année de la
28 guerre, mais ils étaient nombreux également à avoir changé leur lieu de
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1 domicile. Nous avons ici les éléments présentés par Ewa Tabeau, à savoir
2 qu'entre 1995 et 1997, il y a eu un changement très significatif de la
3 composition ethnique parce que les gens, lorsqu'ils ont vu quelles étaient
4 les solutions mises en place, eh bien, ils ont décidé de se rendre et de
5 s'enregistrer dans l'entité qui avait échu à leur communauté ethnique. Il
6 n'y avait pas une seule localité où il n'y ait eu de Croates et de
7 Musulmans en Republika Srpska. Nous avons vu ces chiffres ici même. Et
8 l'Accusation n'a pas démontré quelle aurait été cette différence entre les
9 Croates et les Musulmans qui sont restés vivre en bonne intelligence
10 pendant toute cette période et en paix d'une part, et l'autre part, les
11 Musulmans et les Croates qui ont quitté de différentes façons la Republika
12 Srpska. Il n'y a pas eu un seul cas de transfert forcé pour lequel
13 l'Accusation en aurait apporté la preuve.
14 Et dans l'intérêt de la vérité, je dois dire que, comme dans de
15 nombreuses autres affaires, les questions linguistiques contribuent à la
16 confusion. Lorsque quelqu'un dit qu'il a été forcé de partir et lorsqu'on
17 essaie de déterminer qui l'y a contraint, eh bien, on se rend compte qu'il
18 n'y a pas de sujet, et que c'est la situation, ce sont les événements qui
19 l'ont contraint, qui l'ont emmené à partir. Donc, quand quelqu'un dit, J'ai
20 été forcé à partir, en utilisant le mot "prisiljen [phon]", eh bien, on ne
21 peut pas déterminer qui l'y aurait contraint. Il s'agit en fait des
22 événements qui l'y ont contraint.
23 Pour rester sur le sujet des centres de détention et des
24 persécutions, nous nous rappelons la déposition de Muracevic qui a confirmé
25 que parmi 400 Musulmans dont on a vérifié qu'il s'agissait bien de
26 Musulmans, seulement neuf se sont retrouvé emprisonnés, dont lui, alors
27 qu'il avait reconnu s'être livré à des activités de contrebande et
28 d'armement de sa propre communauté en se préparant à combattre. Alors,
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1 comment peut-on faire entrer ceci dans la catégorie des persécutions tout
2 en laissant complètement de côté le simple fait qu'il n'y a absolument
3 aucune preuve du moindre lien entre ces événements et moi-même, aucune
4 preuve non plus indiquant que le président avait la moindre possibilité et
5 encore moins la moindre obligation de se mêler de ce type d'affaire ? On
6 n'a pas non plus présenté la moindre preuve d'une intervention de ma part
7 au bénéfice des personnes qui se seraient livrées à des persécutions ou en
8 faveur des persécutions. L'Accusation dit également que j'ai manqué à une
9 obligation d'intervenir. Mais la présidence n'a pas d'organes qui lui
10 seraient propres, en dehors des organes existants des services de police et
11 du système judiciaire. Il a été prouvé que je n'ai jamais omis de réagir à
12 la moindre information portant sur des exactions qui auraient été
13 vérifiées. J'ai, à chaque fois, agi. Le 19 août, j'ai émis un ordre dès mon
14 retour à Pale, lorsque je suis rentré donc, en tant que réaction à ce que
15 j'ai appris le 16 août 1992. La propagande musulmane également faisait
16 croire toute une série de choses à la communauté internationale. Et c'est
17 la raison pour laquelle je suis entré en conflit avec l'armée et la police,
18 j'ai exercé des pressions sur elle, afin qu'elle ne réagisse pas par
19 rapport à quelque chose qui n'avait pas été commis.
20 L'Accusation n'a donc prouvé aucune forme de dissimulation, ni de ma
21 part ni de la police. Chaque infraction au pénale a fait l'objet d'une
22 documentation. Et de ce simple fait, il n'y a aucune possibilité de
23 dissimulation. Puisque tôt ou tard, l'auteur, s'il est connu et accessible,
24 devait être traduit en justice pendant la guerre, et tôt ou tard, de telles
25 affaires faisaient l'objet d'enquête. Nous avons entendu des témoins qui
26 ont confirmé le fait qu'il n'y avait eu aucune intervention de ma part en
27 faveur des auteurs de telles infractions, mais que c'était l'inverse qui
28 s'était produit.
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1 Concernant les chefs d'accusation numéro 4, 5 et 6, l'extermination
2 et le meurtre, même si l'Accusation allègue cela, elle n'a pas démontré que
3 j'aurais, avec d'autres, planifié le meurtre et l'extermination des
4 Musulmans et des Croates dans les municipalités ainsi qu'à Srebrenica et
5 Sarajevo. L'Accusation, à défaut de preuves suffisantes, essaie de passer
6 outre l'inexistence de telles preuves en m'imputant ce qui s'est produit
7 dans une situation de guerre civile et en affirmant qu'il y a bien dû y
8 avoir dans ces événements une intervention ou une intention de ma part. Or,
9 il n'y a pas de preuve, aucune preuve de l'état d'esprit qui aurait été le
10 mien d'où aurait découlé le fait de planifier, d'inciter à commettre,
11 d'aider et d'encourager ou de commettre des meurtres. Alors on dit toujours
12 que j'avais connaissance ou que j'avais des raisons de savoir que des
13 meurtres ou l'extermination se produiraient ou qu'ils avaient déjà été
14 commis, et que j'avais volontairement pris ce risque, volontairement et
15 sciemment, indépendamment de son existence réelle.
16 Alors, nous avons vu ici même que la guerre n'était en rien
17 nécessaire à la partie serbe. Que la partie serbe ne souhaitait pas avoir
18 un gouvernement qu'elle n'acceptait pas. Et qu'il était tout à fait inutile
19 de recourir à quelque forme de violence que ce soit pour parvenir aux
20 objectifs stratégiques des Serbes. Et enfin, que les Serbes n'ont pas
21 déclaré la guerre aux Musulmans, mais que c'était l'inverse, ce sont les
22 Musulmans qui ont déclaré la guerre aux Serbes. Le 20 juin, et de façon
23 effective à partir du 22 juin, la Serbie et le Monténégro ont été cités
24 comme ennemis, ainsi que les Serbes dans les régions autonomes.
25 Il y a des preuves indiquant que j'ai passé toute l'année 1992 à
26 demander à Izetbegovic de retirer cela afin que nous puissions conclure la
27 paix et parvenir à une solution politique. Or, l'Accusation affirme
28 maintenant que c'était moi qui aurais dû dire aux Serbes, Très bien, tout
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1 ce qui vous arrive, eh bien, que cela continue à se produire, et ne vous
2 défendez pas, parce qu'il pourrait se produire que pendant que vous vous
3 défendez quelqu'un commette une infraction au pénal. Alors, non seulement
4 moi je n'aurais jamais donné cette consigne, mais ils ne m'auraient pas
5 écouté. Il n'y a absolument aucune façon d'empêcher le peuple de se
6 défendre, surtout lorsqu'il s'agit d'un peuple qui a déjà l'expérience de
7 la guerre qui s'est produite 50 ans auparavant. Cela n'empêche pas
8 l'Accusation d'affirmer dans l'acte d'accusation que moi j'aurais répandu
9 la peur parmi les Serbes. Or, il s'agit de blessures qui n'ont jamais été
10 refermées qui sont celles des personnes qui ont été blessées, dont les
11 proches ont été tués pendant la Seconde Guerre mondiale, et il est
12 absolument superflu que quiconque leur fasse peur.
13 L'Accusation n'a pas davantage démontré que nous avons essayé
14 d'imposer notre autorité à quelque communauté musulmane que ce soit dans
15 les municipalités, que ce soit dans nos propres municipalités ou celles des
16 Musulmans. Ce qui est tout à fait clair, en revanche, c'est que les
17 Musulmans, eux, souhaitaient imposer leur autorité aux Serbes. Et de quels
18 Musulmans s'agissait-il ? Il s'agissait de fondamentalistes. Il y a des
19 preuves indiquant que nous avons invité les Musulmans à rester au sein de
20 la Yougoslavie et à vivre au sein de la Yougoslavie. Une bonne coopération
21 avec Fikret Abdic et avec Zulfikarpasic est tout à fait démontrée. Or, il
22 s'agissait de Musulmans qui n'appartenaient pas à ce courant
23 fondamentaliste.
24 Concernant la mise en place de municipalités partout où des
25 conditions pour cela étaient réunies, cela bat complètement en brèche les
26 affirmations selon lesquelles nous aurions voulu expulser les Croates et
27 les Musulmans des territoires de la Republika Srpska. Il y a une erreur au
28 compte rendu, puisqu'on a omis la qualification de fondamentaliste.
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1 Comment aurait-il été possible d'expulser qui que ce soit alors qu'il
2 y avait une municipalité serbe [comme interprété] et une municipalité serbe
3 à Bratunac ? Le simple fait que les Serbes aient déclaré que chacun devait
4 s'organiser sur son lieu de résidence disqualifie entièrement toute
5 allégation de la moindre intention de créer une Republika Srpska
6 ethniquement pure.
7 Concernant les chefs d'accusation 4, 5 et 6, ils n'ont donc en rien
8 été démontrés. L'Accusation n'a pas démontré l'existence d'une approche
9 systématique à la question des minorités en Republika Srpska, approche d'où
10 auraient découlé les crimes allégués. Chaque municipalité présentait des
11 spécificités propres, un moment précis auquel la paix a été remplacée par
12 le chaos, ses propres facteurs spécifiques. Il ne s'agissait en rien d'une
13 décision centralisée ou d'un organe de l'Etat, encore moins d'un ordre. Ce
14 sont les circonstances prévalant dans chaque municipalité qui déterminaient
15 le cours des événements.
16 L'Accusation n'a pas démontré qu'il ait existé une entreprise
17 criminelle commune visant à chasser les Musulmans et les Croates par le
18 meurtre. Des témoins de l'Accusation ont, en revanche, démontré qu'il était
19 possible de vivre en Republika Srpska et que cela était possible pour tous
20 ceux qui y vivaient du début à la fin de la guerre. Ils ont également
21 indiqué que ceci ne dépendait pas des autorités serbes.
22 Il a été démontré de façon tout à fait claire que les citoyens
23 appartenant au groupe croate ou musulman ont pu être effrayés et que leur
24 vie a pu être perturbée, mais que cela ne pouvait être le fait que des
25 autorités qui étaient présentes sur place. En fait, que cela aurait pu
26 venir de n'importe qui. Des témoins ont également confirmés l'influence
27 cruciale que pouvait avoir sur le cours des événements dans une
28 municipalité donnée la question de savoir s'il y avait ou non des combats.
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1 Dans cette municipalité, là où il n'y en avait pas, les citoyens étaient en
2 sécurité. L'Accusation n'a pas démontré le contraire.
3 Concernant les expulsions et les actes inhumains, chefs d'accusation 7 et
4 8, ces chefs d'accusation, eux non plus, n'ont pas été démontrés. Il n'a
5 pas été démontré que de tels actes ont été commis sur l'initiative des
6 organes de l'Etat, ni même avec la connaissance ou l'approbation des
7 organes de l'Etat. Au contraire, partout où existaient des organes de
8 l'autorité, on a empêché de tels actes, on a enquêté sur de tels actes, et
9 on les a sanctionnés ou on a rassemblé des informations et documentation
10 sur de tels actes afin de pouvoir les sanctionner ultérieurement. La
11 question fondamentale lorsqu'il s'agit de l'infraction de meurtre est
12 encore une fois une question de chiffres et la question des victimes. Mais
13 l'Accusation n'a pas apporté la preuve de qui il s'agissait et de
14 l'identité des auteurs. Le président et les organes de l'Etat n'auraient
15 pas accepté comme responsabilité des organes de l'Etat ou des
16 fonctionnaires de l'Etat le simple fait que les Serbes auraient tué des
17 Musulmans. Cela est certainement arrivé, mais ce n'est pas sur une telle
18 base que l'on peut engager la responsabilité des organes de l'Etat ou de la
19 présidence.
20 Nous avons vu également qu'à Sanki Most la police a légué à l'armée
21 musulmane 30 cas, 30 incidents, sur lesquels des enquêtes complètes ont été
22 menées. Et tout a été documenté. Il n'y a eu aucune dissimulation
23 concernant les crimes commis à l'encontre de Croates et de Musulmans. Comme
24 dit le juge Draganovic, Sur la base de ce que les juges serbes ont
25 déterminé à l'époque des faits, rien n'a été laissé de côté et des
26 poursuites ont été possibles.
27 Je voudrais maintenant passer aux chefs 9 et 10. L'Accusation, elle-même, a
28 compris ce qu'il en était, si bien qu'elle a renoncé à cette allégation
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1 selon laquelle les motifs de notre conduite à Sarajevo auraient été les
2 mêmes que partout ailleurs, à savoir le fait de chasser les Croates et les
3 Musulmans des territoires que nous revendiquions. L'Accusation est donc
4 tout à fait consciente de cela, elle est consciente du fait que nous ne
5 revendiquions pas cela et que nous n'avions pas l'intention de conquérir
6 des territoires se trouvant dans le secteur de Sarajevo, territoire très
7 important, qui était majoritairement musulman. Au contraire, il a été
8 démontré lors de la présentation des moyens à charge que nous n'avons
9 absolument pas revendiqué ni lancé des opérations visant des parties de
10 Sarajevo, à l'exception d'un cas, les attaques venant d'Otes, qui étaient
11 intolérables.
12 Et d'ailleurs, la ligne de front est restée inchangée pendant pratiquement
13 toute cette période. La ligne de démarcation intérieure mesurait 42
14 kilomètres au début de la guerre et 64 kilomètres à la fin de la guerre, ce
15 qui signifie que la partie musulmane a libéré, ou plutôt, pris ou conquis
16 une partie de la ville et a élargi ce secteur. Parce que, par la nature
17 même de ce ring intérieur, si nous, nous avions lancé l'attaque, la ligne
18 de confrontation se serait rétrécie. Cet anneau, ce ring se serait rétréci
19 et la longueur de la ligne de démarcation se serait raccourcie. Alors que
20 les Musulmans, au contraire, ont réussi à allonger cette ligne de
21 confrontation de 22 kilomètres. Il n'a pas été démontré que nous aurions eu
22 le moindre intérêt à mener des combats à Sarajevo. Il n'a pas été démontré
23 que nous avons entamé ces combats et que nous aurions été à l'initiative de
24 ces combats. Même à l'époque où la JNA était tout à fait inerte, les gens
25 se sont mis à défendre le seuil de leurs maisons. Ils ont mis en place des
26 lignes de séparation le long des communautés. Et donc, la ligne en
27 question, si l'on laisse de côté les progrès accomplis par les forces
28 musulmanes, est restée pratiquement inchangée jusqu'à la fin de la guerre.
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1 Nous avons entendu ici des témoins de l'Accusation, des représentants les
2 Nations Unies et des soldats des forces des Nations Unies, et nous les
3 avons entendus dire que ma politique à Sarajevo était une politique de
4 maintien des 17 000 soldats serbes, qui étaient des soldats locaux, du 1er
5 Corps de l'ABiH, et qu'il fallait fixer les soldats musulmans qui se
6 trouvaient là-bas afin qu'ils n'investissent pas Sarajevo et qu'ils ne
7 puissent pas aller se battre dans d'autres parties de la Bosnie-
8 Herzégovine. Il n'y a pas eu de siège, et bien que siège -- le siège en cas
9 de guerre, c'est légitime. Mais ça n'a pas été un siège. Chacun était
10 assiégé. Chacun assiégeait l'autre. Les gens serbes du cru étaient devenus
11 une armée locale qui avait pour objectif la défense de leur chez-soi.
12 Si maintenant nous n'avons pas demandé, nous n'avons pas eu
13 l'intention d'expulser des Croates et des Musulmans de Sarajevo - comme on
14 nous le reproche pour le reste de la Bosnie-Herzégovine – quel aurait été
15 le motif que nous aurions eu pour ce qui est de terroriser Sarajevo ? A
16 l'époque, il y a quand même 50 à 70 000 Serbes qui y vivent et qui ont eu
17 l'interdiction de s'en aller, et du point de vue racial, on ne peut pas
18 faire la différence entre les Serbes ou les Musulmans d'origine serbe ou
19 les Musulmans qui se disent Musulmans. Alors on a avancé une thèse qui est
20 celle d'affirmer que nous avons terrorisé les gens en utilisant des fusils
21 à lunette. Or, on n'a prouvé aucun incident au-delà de tout doute
22 raisonnable pour affirmer que c'étaient des Serbes qui l'avaient fait. Il y
23 a eu des tireurs d'élite qui avaient tiré par rafales --
24 M. LE JUGE BAIRD : [interprétation] Nous ne nous intéressons pas
25 véritablement pour le moment au concept de la preuve au-delà de tout doute
26 raisonnable, pas pour le moment en tout cas.
27 L'ACCUSE : [interprétation] Merci. Mais ça n'a pas été prouvé du
28 tout. Aucun incident n'a été prouvé pour dire qu'un tireur isolé avait tiré
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1 des rafales. Et il y a eu une balle qui a tué ou qui a touché une femme
2 dans un tramway, mais qui n'a pas été reconnaissable, on ne pouvait pas la
3 distinguer. On a entendu de véritables perles pour dire qu'on a pu voir des
4 côtés du monde tourner à l'envers pour démontrer que les choses avaient été
5 l'œuvre des Serbes. Mais aucun incident n'a été véritablement prouvé pour
6 dire que c'est un incident généré par les Serbes.
7 Dans les conditions qui étaient celles de Sarajevo, tout à fait
8 militarisées, militarisées à l'extrême, chose qui a d'ailleurs été prouvée
9 ici, et il y a les structures militaires et les structures civiles qui
10 étaient mêlées les unes aux autres, le général Dzambasovic avait prouvé la
11 chose et avait démontré la chose, parce qu'il n'y avait pas assez de place
12 pour prendre des distances vis-à-vis des installations civiles. Dans des
13 conditions où la dépense des munitions de gros calibres étaient égales de
14 part et d'autre, et cette consommation était peut-être même plus grande du
15 côté des Musulmans, l'Accusation, elle, maintient ses allégations, qu'elle
16 n'a pas pu prouver, pour dire que les Serbes ont tiré plus que les
17 Musulmans ou que les Serbes ont tiré les premiers sans qu'il y ait de
18 raison véritable, sans qu'il y ait un contexte de défense en place. Le
19 Procureur n'a pas réussi à démontrer que cela avait été des tirs
20 unilatéraux. Et l'Accusation n'a pas pu prouver que la partie serbe avait
21 tiré au hasard. Le Procureur n'a pas avancé de preuve pour illustrer ou
22 démontrer que les tirs du côté serbe n'avaient pas été discriminés et tirés
23 en riposte.
24 Non seulement parce que l'infrastructure musulmane se trouvait
25 partout, mais parce que, aussi, il y avait des mortiers mobiles qui se
26 déplaçaient, et il n'y a pas eu de preuve qui dirait que la partie serbe
27 avait tiré de façon indiscriminée, au hasard et sans raison militaire
28 aucune. Bien sûr, la question des munitions utilisées et dépensées a montré
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1 que les forces musulmanes ont tiré un grand nombre d'obus qui sont tombés
2 en partie seulement sur des territoires serbes. Mais le Procureur n'a pas
3 pu démontrer où ces autres obus étaient tombés pour faire la distinction
4 entre ce qui avait été des tirs et ce qui avait été des tirs musulmans.
5 Nous avons pu voir ici des tentatives couronnées d'insuccès, je dirais même
6 des résultats grotesques d'enquêtes où l'on n'a pu déterminer ni la
7 trajectoire horizontale ni la trajectoire verticale, mais on sortait à la
8 fenêtre et on disait, Voilà, où se trouvent les positions serbes, là-bas,
9 eh bien, c'est de là-bas qu'on a tiré. Alors, ça, c'est resté tout à fait
10 non démontré et ça n'a même pas été une tentative de démonstration au sens
11 propre du terme.
12 Le Procureur n'a pas essayé de faire la distinction entre l'identité
13 de ceux qui avaient commis des crimes, et même quand il s'agissait de
14 Serbes. On n'a pas pu préciser quels sont les Serbes qui avaient
15 éventuellement tiré. Le Procureur parle des forces de Sarajevo ou des
16 effectifs de Sarajevo comme étant l'auteur de crimes. Mais quelles forces
17 de Sarajevo ? A Sarajevo, face à la ville, il y a 5 ou 6 000 soldats serbes
18 et 10 000 qui sont tournés vers la Bosnie centrale. Il y a là-bas 200
19 kilomètres de front et il y a 40 kilomètres de front vers la ville. Dans la
20 ville même, il y a 40 à
21 60 000 soldats musulmans à tout moment. Et ça aussi, ce sont des effectifs
22 de Sarajevo ou des forces de Sarajevo.
23 Le Procureur n'a pas prouvé que les Serbes dans la zone de Sarajevo
24 avaient conduit des actions militaires injustifiées, elle n'a pas non plus
25 démontré que Sarajevo avait constitué une zone civile, elle n'a pas non
26 plus démontré que les civils avaient été ciblés par l'une quelconque des
27 actions militaires déployées par les Serbes. Au contraire, il s'est avéré
28 que la ville était bourrée de tranchées, parce que 40 kilomètres de ligne
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1 de délimitation du côté serbe étaient aussi 40 kilomètres du côté des
2 Musulmans. Des fois c'était à 10 ou 15 mètres de distance seulement. Donc
3 on a démontré le contraire de ce que dit l'acte d'accusation, à savoir que
4 oui, il y a eu des nids de tireurs isolés musulmans, et des impressions qui
5 sont tout à fait convaincantes de la part ou du côté des représentants
6 internationaux nous disent que les Musulmans avaient même tiré sur les
7 leurs. Dans des conditions où il y a des mortiers mobiles ou des pièces
8 d'artillerie lourdes mobiles, où il y a aussi des indices tout à fait
9 fondés qui disent qu'ils avaient tiré sur leur propre peuple, eh bien, dans
10 ce cas de figure, l'Accusation se doit de prouver avec moult précision
11 qu'il y a eu des tirs qui ont été tirés du côté des Serbes dans l'intention
12 qui est celle qui figure à l'acte d'accusation. Or, des éléments de preuve
13 de ce genre, il n'y en a pas eu.
14 Des représentants internationaux sont venus ici, des témoins de
15 l'Accusation qui ont confirmé que la tactique musulmane dans la zone de
16 Sarajevo, c'était de faire aller les choses au pis, et que cela allait à
17 leur avantage. La partie musulmane a tout fait pour donner lieu à une
18 intervention militaire internationale. Et dans ces conditions de tactiques
19 qui étaient -- enfin, pour eux, c'était le mieux que de faire aller les
20 choses au pis. Eh bien, il fallait déterminer qui a fait quoi avec quelle
21 motivation. Or, l'Accusation n'a même pas essayé de le faire, elle n'a pas
22 essayé d'isoler les cas de figure où c'est la partie serbe qui a commis des
23 choses. Et les choses qu'on a vues à Sarajevo, c'était de part et d'autre.
24 Et dire que les Serbes ont tiré au hasard sur la ville, les dégâts auraient
25 été pires qu'à Dresden ou à Mostar. On a vu de quoi avait l'air Mostar. Or,
26 Sarajevo, ça n'a même pas été égratigné, si l'on compare avec les
27 destructions dans ces deux autres localités.
28 Je vous demande un peu de patience.
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1 Excellences, lorsque nous sommes en train de parler de l'attitude à l'égard
2 des questions humanitaires, le Procureur n'a pas réussi à démontrer que
3 j'avais eu une attitude négative à l'égard des questions liées aux civils
4 ou au bien-être des civils, quelle que soit leur appartenance ethnique. Je
5 ne me suis pas mêlé de ce type de tâches à moins qu'on ne soit venu me le
6 demander. Et quand on est venu me le demander, on a montré des éléments de
7 preuve ici qui indiquent que mes interventions se sont toujours faites au
8 profit de l'arrivée de l'aide humanitaire pour soulager la situation des
9 civils. Et à chaque fois, mes interventions ont été de cette nature.
10 Non seulement ai-je donné bon nombre de documents de nature générale sans
11 motivation particulière afin de prévenir toute souffrance, non seulement
12 suis-je intervenu de façon injustifiée très souvent auprès de mes soldats
13 pour les gronder et pour les critiquer, de façon injustifiée très souvent,
14 mais à chaque fois qu'on m'a fait savoir ou lorsque l'élément international
15 m'a fait savoir qu'on avait remarqué des choses négatives ou que l'on
16 entravait des choses pour ce qui est de l'acheminement de l'aide, je suis
17 intervenu. Et à chaque fois qu'il y a des traces liées à moi, ces traces
18 sont à l'avantage de l'aspect humain et à l'avantage des civils.
19 Madame et Messieurs, nous avons vu Sarajevo. Et chaque goutte d'eau qui
20 arrivait à Sarajevo, exception faite d'une toute petite source, venait du
21 côté serbe. Quand nous avions de l'eau, ils avaient de l'eau aussi. Le
22 Procureur n'a pas démontré que nous avions saboté la vie civile dans
23 Sarajevo. Le Procureur n'a pas démontré que nous avions intérêt à ce qu'il
24 y ait des combats dans Sarajevo. Au contraire, on a vu des preuves qui
25 montrent que nous avons souvent proposé la démilitarisation de Sarajevo et
26 la nécessité de placer Sarajevo sous l'administration des Nations Unies --
27 c'est la partie adverse qui ne l'a pas acceptée. Et nous avons des éléments
28 de preuve tout à fait convaincants qui sont confirmés par les facteurs
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1 internationaux et qui disent que cela avait été la position adoptée par
2 nous.
3 Pour ce qui est des civils, tout ce qui arrivait à ces civils venait via
4 les territoires serbes. Ici, un membre d'une organisation humanitaire
5 internationale a confirmé qu'il y avait en moyenne 700 transporteurs ou
6 moyens de transport sur les routes de Sarajevo. Et exception faite d'une
7 petite ceinture du littoral, je dirais que le reste des transports passait
8 par les territoires tenus par les Serbes.
9 Donc le nombre de convois qui ont rencontré des obstacles sont en
10 proportion négligeable du fait de certaines irrégularités si l'on compare
11 cela avec le total des convois qui sont passés. On a montré que j'ai été
12 d'avis qu'il ne fallait pas faire la guerre avec des vivres, avec de
13 l'électricité, de l'eau ou du gaz. Et il s'est avéré que la partie serbe
14 avait été avenante à l'égard de ses ex-concitoyens dans la partie musulmane
15 de Sarajevo, et ce, sans faire de distinction aucune pour les aider. Vous
16 avez pu entendre le témoignage du général Milovanovic. Il a utilisé mon nom
17 à moi pour faire en sorte que les autorisations soient mises en œuvre
18 s'agissant du passage des convois. Et si problème il y a eu avec des
19 populations et l'armée, pourquoi nourrit-on les Musulmans alors que nous,
20 on n'a pas assez à manger ? Lui, il avançait mon nom, et ça marchait pour
21 faire passer les convois. Il y a eu des milliers de vols en direction de
22 l'aéroport de Sarajevo, qui était contrôlé par nous, qui était sur le
23 territoire contrôlé par les Serbes, et nous l'avons confié à qui de droit
24 pour que Sarajevo puisse être approvisionnée en matière de produits d'aide
25 humanitaire, et ce, nonobstant le fait que via le tunnel, ils ont pu faire
26 entrer des unités entières et du matériel de guerre. Il arrivait aussi que
27 les convois humanitaires aient été utilisés à ces fins-là aussi.
28 Mais le fait est que tout, exception faite des voies aériennes, tout
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1 ce qui arrivait à Sarajevo passait par les territoires serbes, et on parle
2 de 1 200 ou 1 300 journées entières. Donc le Procureur n'a pas démontré que
3 la partie serbe, et en particulier moi-même, avions fait obstacle ou avions
4 contribué à des souffrances. Au contraire, là où on peut voir qu'il y a eu
5 intervention de ma part, on peut voir que cette intervention s'est faite au
6 profit des civils.
7 Et il convient de mettre de côté aussi le fait que contrôler était
8 difficile, et commander était difficile dans ce type de circonstances
9 s'agissant d'une armée populaire qui était composée de gens du cru. Voilà
10 ce que Richard Philips a confirmé : il n'a vu aucune directive, aucun
11 document qui serait généré par moi en direction du Corps Sarajevo-Romanija.
12 Le général Razek a confirmé, quant à lui, qu'il y avait eu des
13 difficultés pour ce qui était de contrôler et de commander des hommes, et
14 il n'a pas été facile de coordonner les choses sur le terrain. Le général
15 Razek a confirmé ici, Ca avait été une guerre civile où il n'y avait pas
16 que les soldats qui tiraient seulement, il y avait des civils qui
17 s'entretuaient, des voisins, des villageois qui tiraient les uns sur les
18 autres. Et maintenant on peut voir que les événements en Syrie sont très
19 similaires à ce qui s'est passé en Bosnie. Les représentants les plus haut
20 gradés de l'Amérique le disent. Ils disent que les villages se battent les
21 uns contre les autres.
22 Et comment voulez-vous que le Procureur ait pu démontrer la
23 responsabilité des instances centrales ou du président de la république
24 dans des circonstances ou des conditions où il n'y a pas d'armée
25 professionnelle, où chacun a des armes, et chacun a sa petite armée ? On a
26 prouvé, au contraire, que là où l'Etat était présent, là où il y avait
27 véritablement eu des effectifs serbes, là il y a eu le moins de crimes de
28 commis.
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1 Je vous demande un petit instant.
2 [Le conseil de la Défense se concerte]
3 L'ACCUSE : [interprétation] Je crois que, techniquement, j'ai omis de vous
4 montrer tout ce que j'avais voulu vous montrer. Nous sommes,= toutefois
5 convaincus qu'en votre qualité de Chambre composée de professionnels, et
6 non pas de Chambre constituée par un jury, vous avez pu voir qu'il y a eu
7 bien des éléments qui ont été prouvés à l'opposé de ce qu'on a voulu
8 démontrer, et on est passé outre.
9 Alors, dans mes propos liminaires, j'ai dit qu'il y avait un tout petit
10 pont qui est utilisé par l'Accusation pour établir une corrélation entre
11 moi-même et la situation chaotique d'une guerre civile, pour indiquer que
12 ça avait été le produit de mes intentions à moi, pour dire que c'était
13 quelque chose de voulu, toutes ces choses illicites et illégales, que nous
14 avions donc voulu créer une Republika Srpska ethniquement homogène et
15 purifiée. Ca n'a pas été démontré. Donc, à partir du moment où ça n'a pas
16 été démontré, l'acte d'accusation devrait s'écrouler. On n'a pas démontré
17 que nos objectifs étaient illégitimes, on n'a pas démontré que nos
18 objectifs n'avaient pus être réalisés que par la violence et la guerre.
19 Nos objectifs n'ont été réalisables que par des moyens politiques, et
20 ça a été reconnu par les représentants de la communauté internationale. On
21 a sanctionné les choses qui se sont codifiées par la totalité des accords,
22 et ça s'est trouvé sanctionné par Dayton, et ça va rester tel quel pour
23 toujours. Ca se fonde sur des droits qui sont les nôtres. S'il y a
24 quelqu'un qui n'avait vraiment pas besoin de la guerre, c'est la partie
25 serbe. Il y a suffisamment d'éléments de preuve à cet effet. Et le
26 Procureur n'a pas fait l'effort de démontrer la chose suivante, à savoir
27 que le petit pont qu'il avait voulu utiliser existait véritablement. La
28 Défense ne saurait donc admettre que l'on oublie le fondement même de
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1 l'acte d'accusation, et sans cela, il ne saurait y avoir d'acte
2 d'accusation. On n'a même pas essayé de le démontrer. C'est resté, donc,
3 non démontré.
4 Je ne veux plus dépenser votre temps précieux. Je vais demander à M.
5 Robinson d'exposer les positions qui sont les nôtres pour ce qui est du
6 chef numéro 11.
7 M. ROBINSON : [interprétation] Monsieur le Président, j'aurais besoin d'une
8 vingtaine de minutes, donc je pense que nous pourrons terminer avant le
9 déjeuner. Mais en tout cas, j'ai des exemplaires des diapositives que je
10 vais utiliser dans cette partie de mon exposé. A destination des
11 interprètes, je n'ai pas pu leur distribuer avant, donc je demande que ces
12 documents soient distribués. Je vous remercie.
13 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.
14 M. ROBINSON : [interprétation] Alors, pour le chef numéro 1, qui s'appuyait
15 sur une jurisprudence très importante du Tribunal, nous passons maintenant
16 au chef numéro 11, qui n'est lié à pratiquement aucune jurisprudence
17 s'agissant de la prise d'otages de personnel des Nations Unies et de leur
18 mise en détention.
19 Donc nous nous penchons sur ce chef numéro 11 qui reproche au Dr Karadzic
20 la prise d'otages qui constitue une violation de l'article 3 du Statut du
21 Tribunal. L'article 3 du Statut du TPIY englobe les comportements qui sont
22 également prohibés par l'article 3 commun des conventions de Genève.
23 Enfin, nous voyons donc plus en détail que l'article commun 3 stipule que :
24 "Toute partie à un conflit est dans l'obligation d'appliquer au minimum les
25 dispositions suivantes : premièrement, ces personnes ne doivent pas
26 participer activement aux hostilités, ce qui inclut les membres des forces
27 armées ayant abandonné leurs armes et ceux qui sont placés hors de combat
28 en raison de maladie et de blessures, d'incarcération ou d'autres causes,
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1 et que toutes les personnes couvertes par ces dispositions doivent être
2 traitées humainement."
3 Et au nombre des actes qui sont prohibés par l'article 3 commun
4 figure la prise d'otages. Les éléments constitutifs de la prise d'otages se
5 retrouve dans les éléments constitutifs des crimes définis par la Cour
6 pénale internationale car ils n'ont jamais été énumérés de façon très
7 définie dans la jurisprudence du TPIY, et nous pensons que ces éléments
8 seront sans doute les mêmes en ce qui nous concerne.
9 Les trois premiers éléments constitutifs sont que l'auteur a capturé
10 et placé en détention ou maintenu en otage d'une autre façon une ou
11 plusieurs personnes; deuxième élément, que l'auteur a menacé de tuer, de
12 blesser ou de poursuivre l'incarcération d'une ou plusieurs personnes;
13 troisième élément constitutif, que l'auteur avait l'intention de
14 contraindre une tierce partie à s'empêcher d'agir dans des conditions
15 explicites en vue d'obtenir la sécurité ou la libération d'une ou plusieurs
16 personnes. Ces trois éléments constitutifs ne sont d'ailleurs pas au cœur
17 de mon exposé. Ce sont les quatrième et cinquième éléments constitutifs
18 dont nous pensons qu'ils ont une importance particulière en l'espèce.
19 L'élément numéro 4, c'est qu'au moment des faits, la personne ou les
20 personnes intéressées étaient protégées par une ou plusieurs conventions de
21 Genève; et l'élément numéro 5, c'est que l'auteur était conscient des
22 circonstances factuelles qui garantissaient à la personne intéressée ce
23 statut de protection.
24 Donc la question qui se pose dans notre cas, comme nous le voyons,
25 est la suivante : est-ce que le personnel des Nations Unies, est-ce que ces
26 personnes qui ont été détenues prenaient une part active aux hostilités ou
27 pas, et est-ce qu'elles le faisaient au point de faire d'elles des
28 personnes protégées en vertu de l'article 3 commun des conventions de
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1 Genève ? La réponse à cette question dépend du fait de savoir si les
2 Nations Unies étaient engagées en tant que combattants à l'époque des faits
3 dans les actions qui se menaient, et est-ce que ces membres du personnel
4 des Nations Unies qui ont été incarcérés pouvaient être assimilés à des
5 combattants. Vous vous rappelez les faits relatifs à cet incident de prise
6 d'otages, à savoir que le général Rupert Smith avait averti les Serbes de
7 Bosnie qu'à moins qu'ils ne restituent certaines armes lourdes qui se
8 trouvaient dans la zone d'exclusion environnant Sarajevo, il autoriserait
9 l'OTAN à lancer des frappes aériennes. Et lorsque les Serbes de Bosnie ont
10 refusé de restituer toutes les armes lourdes qui se trouvaient dans la zone
11 d'exclusion, il a autorisé les frappes aériennes sur une cible
12 particulière, qui était l'entrepôt de munitions et Pale. L'entrepôt de
13 munitions a été touché par des frappes aériennes de l'OTAN dans l'après-
14 midi du 25 mai 1995, et le matin du 26 mai 1995 et les jours suivants, les
15 frappes aériennes ont touché des secteurs où les personnels des Nations
16 Unies ont été incarcérés.
17 Donc, voilà les faits. Et la question qui se pose est la suivante :
18 est-ce que le statut de ces personnes était à l'époque un statut de détenu
19 ?
20 Nous estimons que la réponse vient d'une convention sur la sécurité
21 des Nations Unies relative au personnel associé, convention qui est entrée
22 en vigueur et a été promulguée grâce aux Nations Unies au début de l'année
23 1995 avec une entrée en vigueur ultérieure, après la date de l'incident.
24 Il est stipulé dans ce texte que pour protéger les personnels des
25 Nations Unies dans les zones de combat et dans les zones où ces personnes
26 servent en tant que garants du maintien de la paix, la convention dispose
27 d'un certain nombre de faits, mais il est également indiqué que cette
28 convention ne s'applique pas à une opération des Nations Unies autorisée
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1 par le Conseil de sécurité en tant qu'action de mise en œuvre de la paix au
2 titre du chapitre VII de la Chartre des Nations Unies, et il ne fait aucun
3 doute que c'est une action de mise en vigueur qui a été autorisée et mise
4 en œuvre en Bosnie au titre du chapitre VII. L'ensemble des résolutions des
5 Nations Unies fournit des références au chapitre VII. Je cite :
6 "Dans lequel un quelconque membre du personnel est engagé en tant
7 combattant contre des forces armées organisées et auquel s'applique la loi
8 internationale relative au conflit armé."
9 Alors, à la Cour pénale internationale, on s'est occupé d'une
10 situation où un accusé était accusé d'avoir attaqué des garants du maintien
11 de la paix, il ne s'agit donc pas de prise d'otages, mais d'une infraction
12 différente. Cela s'est passé au Darfour, et en l'espèce il s'agit de
13 l'affaire Abu Garda, la Chambre d'examen préalable qui siégeait pour
14 confirmer les accusations a décidé qu'il y avait distinction entre des
15 opérations de maintien de la paix qui ne font recours qu'à de l'autodéfense
16 et ce qu'il est convenu d'appeler des missions d'application de la paix
17 habilitées, autorisées au titre du chapitre VII de la Chartre, donc où il
18 existe un mandat ou une autorisation de recours à la force, c'est-à-dire
19 d'aller au-delà de la défense légitime pour réaliser tel ou tel objectif.
20 C'est la situation qui prévalait en Bosnie, où le colonel Rupert Smith, ou
21 plutôt, le général Rupert Smith a été autorisé à mettre en œuvre des
22 frappes aériennes, non pas en tant que défense légitime, mais pour "mettre
23 en œuvre le mandat des Nations Unies."
24 L'ACCUSE : [interprétation] Un instant, je n'entends pas l'interprète
25 serbe.
26 M. ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie.
27 La Chambre de la Cour pénale internationale a déclaré que le personnel
28 participant à des opérations de maintien de la paix jouissait d'une
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1 protection par rapport aux attaques tant que durait leur participation
2 directe aux hostilités ou à des actions liées aux combats. Et la majorité a
3 conclu que la protection ne cessait pas si ces personnes n'utilisaient la
4 force armée que dans l'exercice de leur droit à la défense légitime, ce qui
5 est exactement ce qui s'est passé au Soudan.
6 Mais dans l'affaire qui nous intéresse, le général Rupert Smith a reconnu
7 que le bombardement du dépôt de munitions de Pale allait au-delà de la
8 défense légitime. Vous trouverez cela en page 11 873 du compte rendu
9 d'audience. Il a donc convenu que le personnel qui a mis en œuvre les
10 frappes aériennes était composé de combattants. Page
11 11 880 du compte rendu d'audience. Nous avons également des éléments de
12 preuve sur l'incidence positive que les frappes aériennes ont eue sur les
13 efforts de guerre menés par les Musulmans, et les Nations Unies ont rendu
14 compte de cela dans la pièce D1176 --
15 L'ACCUSE : [aucune interprétation]
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bien. Je crois que le problème technique
17 a été réparé.
18 L'ACCUSE : [interprétation] Vous parliez des avantages pour les Musulmans
19 lorsque vous vous êtes interrompu.
20 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, veuillez poursuivre, Maître
21 Robinson.
22 M. ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie.
23 Le général Smith a donc fait une distinction entre l'OTAN considéré comme
24 combattant et les Nations Unies considérées comme non-combattant, ce qui
25 est juridiquement une erreur.
26 Le juge Christopher Greenwood, dans un article dont il est l'auteur, avant
27 d'être devenu juge à la Cour internationale de justice, a déclaré que :
28 "Il pouvait être argumenté que les frappes aériennes de l'OTAN, et
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1 pas les opérations sur le terrain de la FORPRONU, avaient atteint le niveau
2 d'un conflit armé, mais que cela ne suffirait pas pour empêcher
3 l'application de l'article 2(2)," et il parle de la convention sur la
4 sécurité du personnel des Nations Unies dont je viens de parler, donc il
5 parle "du retrait de la protection assurée par cette convention de la
6 sécurité au personnel de la FORPRONU, puisque l'article 2(2) s'applique à
7 l'ensemble des opérations des Nations Unies si l'un quelconque des membres
8 du personnel opère en tant que combattant contre une force armée organisée
9 dans des circonstances dans lesquelles s'applique la loi sur les conflits
10 armés internationaux."
11 La Commission chargée du droit international a en sa position un document
12 qui regroupe les articles relatifs à la responsabilité des organisations
13 internationales, et dans l'article 16(2) de ce document, nous lisons qu'une
14 organisation est responsable si elle autorise ou recommande à une autre
15 organisation internationale de commettre un acte.
16 En l'espèce, le général Smith a témoigné ici que l'OTAN - ceci se trouve en
17 page 11 194 [comme interprété] du compte rendu d'audience - était à
18 l'origine de la requête. Et on trouve également cela dans le livre des
19 éléments de preuve, pièce D1009, page 354, où il déclare que les Nations
20 Unies sont à l'origine de l'affrontement avec les Serbes de Bosnie qui a
21 résulté dans les frappes aériennes. Il est également bien établi que tous
22 les membres d'active d'une force armée sont considérés comme des
23 combattants, nonobstant les missions qui leur sont effectivement confiées.
24 Le général Smith a déclaré dans sa déposition que l'ensemble du personnel
25 des Nations Unies qui avait été placé en détention était du personnel
26 d'active. Et vous voyez ici la référence à la Croix-Rouge internationale,
27 dans laquelle il est indiqué que tous les personnels d'active sont
28 considérés comme des personnes participant activement aux hostilités.
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1 Alors, qu'en est-il de la question de savoir si le personnel des Nations
2 Unies pouvait être considéré comme des hommes placés hors de combat et que
3 leur mise en détention en ait découlé ? Prenons l'exemple des faits évoqués
4 par le capitaine Patrick Rechner qui a témoigné ici en disant que lui-même
5 et d'autres membres de la Mission d'observation militaire des Nations
6 Unies, qu'ils se trouvent chez eux ou à leur bureau à Pale, étaient membres
7 des forces des Nations Unies et que des forces serbes sont venues les
8 arrêter et les menacer d'être tués si les frappes aériennes ne cessaient
9 pas.
10 La question à laquelle il convient de répondre, c'est le fait de savoir si,
11 oui ou non, c'est en raison de ce placement en détention que ces
12 combattants ont pu acquérir le statut de personnes protégées. La réponse, à
13 notre avis, est négative. Parce que, sinon, le crime n'aurait pas pu être
14 commis, ce crime de prise d'otages, il n'aurait tout simplement pas pu être
15 commis contre une autre personne qu'une personne protégée. Si
16 automatiquement le fait d'être placé en détention pouvait transformer le
17 statut d'une personne en la faisant passer d'un statut de combattant à un
18 statut de hors de combat, alors cette personne serait une personne
19 protégée, et l'accusé ou l'auteur de l'acte aurait dû être tout à fait au
20 courant de cette disposition qui aurait été totalement redondante dans le
21 Statut du Tribunal.
22 Le crime de prise d'otages, selon une partie de la jurisprudence du TPIY,
23 s'est produit à un moment où les personnes intéressées étaient en
24 détention. Dans l'affaire Blaskic et l'affaire Kordic, la Chambre de
25 première instance a conclu que l'Accusation devait établir qu'à l'époque de
26 cette détention supposée, l'acte allégué a été perpétré dans le but
27 d'obtenir une concession de la part des preneurs d'otages ou d'obtenir un
28 avantage.
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1 Ces affaires se situent dans des circonstances différentes de celles que
2 nous avons à examiner en espèce. En l'espèce, il y avait déjà 2 000
3 prisonniers qui étaient sous le contrôle croate. Il s'agissait soit de
4 civils, soit de combattants qui étaient détenus depuis déjà pas mal de
5 temps. Donc les combattants étaient, dans les faits, hors de combat au
6 moment où la menace a été faite.
7 Mais en l'espèce, les éléments de preuve montrent que la détention était
8 directement liée à la menace, et que la menace a été proférée et la
9 détention réalisée dans le but d'obtenir un arrêt des frappes aériennes.
10 Par conséquent, il est impossible de dire que ce personnel des Nations
11 Unies, lorsqu'ils ont été incarcérés, étaient hors de combat à ce moment-
12 là.
13 Par conséquent, les éléments selon lesquels est exigé que la victime d'une
14 prise d'otages soit une personne protégée en vertu des conventions de
15 Genève n'ont pas été établis.
16 Par ailleurs, l'élément constitutif selon lequel l'auteur doit être au
17 courant des circonstances factuelles, à savoir du statut de protection dont
18 jouit la personne concernée, cet élément n'est pas respecté non plus. Le
19 dossier fourmille de déclarations pertinentes faites par le Dr Karadzic qui
20 montrent que le personnel des Nations Unies a été placé en détention en
21 qualité de prisonniers de guerre avant, pendant et après la crise des
22 otages. Alors que l'utilisation ultérieure de ces prisonniers en tant que
23 boucliers humains aurait pu constituer un crime, ce crime ne figure dans
24 l'acte d'accusation. Par conséquent, en l'absence d'éléments de preuve sur
25 lesquels pourrait s'appuyer la Chambre pour conclure que ces éléments
26 essentiels du chef 11 ont été établis, c'est un jugement d'acquittement qui
27 doit être prononcé par rapport à l'accusation de prise d'otages.
28 Monsieur le Président, membres de la Chambre de première instance, nous
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1 vous remercions de votre attention. Et je remercie également les stagiaires
2 dont les recherches ont contribué à me permettre de faire cet exposé. J'en
3 ai terminé, et je vous remercie.
4 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie, Maître Robinson. Et
5 merci, Monsieur Karadzic.
6 Nous allons entendre la réponse de l'Accusation mercredi à 9 heures. Avant
7 de suspendre l'audience d'aujourd'hui, il y a un certain nombre de
8 questions dont j'aimerais traiter en quelques instants.
9 Le 26 avril 2012, la Chambre a ordonné que l'accusé serve à l'Accusation et
10 aux Juges de la Chambre des exemplaires des rapports des témoins experts
11 qu'il a l'intention de faire comparaître, et ce, au plus tard le 27 août
12 2012. Le 29 mai 2012, l'accusé a déposé une requête demandant une
13 prorogation des délais concernant le rapport d'expert du Pr Kosta Cavoski.
14 Dans cette requête, l'accusé demande un délai supplémentaire jusqu'au 31
15 décembre 2012 pour le dépôt du rapport d'expert du Pr Cavoski. Le 30 mai
16 2012, l'Accusation a fait savoir à la Chambre et à l'accusé par courriel
17 qu'elle ne déposerait pas de réponse et ne prendrait pas position au sujet
18 de cette demande de prorogation de délai. La Chambre a décidé de faire
19 droit à la requête et ordonne que l'accusé dépose son rapport d'expert, le
20 rapport du Pr Cavoski, au plus tard le 31 décembre 2012.
21 Et pour la question suivante, je demanderais que nous passions à huis clos
22 partiel.
23 [Audience à huis clos partiel]
24 (expurgé)
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26 (expurgé)
27 (expurgé)
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1 (expurgé)
2 (expurgé)
3 [Audience publique]
4 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Si vous n'avez pas d'autres questions à
5 soulever, nous allons lever l'audience pour aujourd'hui.
6 --- L'audience est levée à 12 heures 27 et reprendra le mercredi 13 juin
7 2012, à 9 heures 00.
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