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1 Le mercredi 17 avril 2013
2 [Audience d'appel]
3 [L'accusé est introduit dans le prétoire]
4 --- L'audience est ouverte à 9 heures 01.
5 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Bonjour à toutes et à tous.
6 Monsieur le Greffier d'audience, veuillez citer l'affaire, je vous prie.
7 M. LE GREFFIER : [interprétation] Monsieur le Président, bonjour. Il s'agit
8 de l'affaire IT-95-5/18-AR98bis.1, le Procureur contre Radovan Karadzic.
9 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je vous remercie. Monsieur Karadzic,
10 êtes-vous en mesure de suivre l'audience dans une langue que vous comprenez
11 ?
12 L'ACCUSÉ : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.
13 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je vous remercie, et je souhaiterais
14 que les parties se présentent, dans un premier temps pour M. Karadzic.
15 M. ROBINSON : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Madame,
16 Messieurs les Juges de la Chambre d'appel. Je suis Me Peter Robinson, le
17 conseil juridique de M. Karadzic, et je suis accompagné aujourd'hui de M.
18 Marko Sladojevic, assistant juridique de M. Karadzic.
19 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je vous remercie.
20 Qu'en est-il de l'Accusation ?
21 M. TIEGER : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges. Alan
22 Tieger, Michelle Jarvis, Mathias Marcussen, Katrina Gustafson, Nema
23 Mihajlovic [phon] [comme interprété] pour l'Accusation.
24 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je vous remercie. L'Accusation a
25 interjeté appel contre le jugement d'acquittement prononcé à propos du chef
26 1 de l'acte d'accusation, jugement rendu en l'espèce le 28 [comme
27 interprété] juin 2012 par la Chambre de première instance numéro III. En
28 application de l'ordonnance portant calendrier rendu le 22 mars 2013, la
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1 Chambre d'appel va maintenant entendre l'appel en l'espèce. Avant que nous
2 ne demandions à l'Accusation de présenter ses arguments, je remarque que M.
3 Karadzic a déposé la requête aux fins de rejet de l'appel et aux fins de
4 nomination d'un Procureur amicus curiae le 18 mars 2013, et a demandé par
5 cette requête, premièrement, que soit renvoyé et rejeté l'appel présent
6 interjeté par l'Accusation comme une sanction pour avoir violé ses
7 obligations en matière de communication; et deuxièmement, il a été demandé
8 que soit nommé un Procureur amicus curiae afin d'enquêter un éventuel
9 outrage de la part de l'Accusation. L'Accusation a présenté sa réponse à
10 cette requête le 28 mars 2013, et M. Karadzic a présenté sa réplique le 2
11 avril 2013. La Chambre d'appel, toutefois, n'entendra pas les arguments
12 oraux eu égard à cette requête lors de cette audience en appel.
13 Je vais maintenant résumer la façon dont nous allons procéder aujourd'hui.
14 Cet appel porte sur la responsabilité de M. Karadzic pour des crimes commis
15 dans certaines municipalités de Bosnie-Herzégovine, ci-après les
16 municipalités, entre le 31 mars et le 31 décembre 1992. L'acte d'accusation
17 allègue que durant cette période, M. Karadzic, le plus haut représentant
18 civil et militaire en Republika Srpska, a participé à une entreprise
19 criminelle commune visant à chasser de façon définitive les Musulmans et
20 les Croates de Bosnie des municipalités, et cela dans le cadre d'une
21 campagne de persécutions, notamment de par son comportement qui a manifesté
22 une intention de détruire en partie les groupes nationaux, ethniques ou
23 religieux des Musulmans de Bosnie ou des Croates de Bosnie.
24 Conformément au chef 1 de l'acte d'accusation, l'Accusation accuse M.
25 Karadzic de génocide dans les municipalités en application des articles
26 4(3)(a), 7(1) et 7(3) du Statut du Tribunal et allègue que M. Karadzic
27 était responsable en tant que supérieur et a commis de concert avec
28 d'autres, a planifié, a incité, a donné l'ordre, ou a aidé et encouragé le
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1 génocide.
2 A la fin de la présentation des moyens à charge, M. Karadzic a demandé que
3 soit prononcé un acquittement en application de l'article 98 bis du
4 Règlement de procédure et de preuve. Lors de l'audience relative à
5 l'article 98 bis, la Chambre de première instance a conclu que les éléments
6 de preuve, même appréciés à leur valeur maximale, ne pouvaient pas
7 justifier une condamnation pour génocide dans les municipalités. En
8 conséquence, la Chambre de première instance a prononcé un acquittement eu
9 égard au chef 1 de l'acte d'accusation. L'Accusation présente quatre moyens
10 d'appel interjetés contre le jugement d'acquittement, et demande que la
11 Chambre d'appel annule l'acquittement et rétablisse les accusations portées
12 contre M. Karadzic au chef 1 de l'acte d'accusation.
13 Par le premier moyen de son appel, l'Accusation conteste l'évaluation de la
14 Chambre d'appel eu égard à l'actus reus du génocide. Par ces moyens 2, 3 et
15 4, l'Accusation récuse et conteste les conclusions de la Chambre de
16 première instance eu égard à l'intention génocidaire. M. Karadzic répond
17 que le jugement d'acquittement devrait être confirmé.
18 Tel que cela a été indiqué dans l'ordonnance portant calendrier, voilà
19 comment nous allons procéder pour cette audience en appel : dans un premier
20 temps, nous allons entendre les arguments présentés par l'Accusation
21 pendant une heure. Après une pause de 20 minutes, M. Karadzic aura une
22 heure pour présenter sa réplique. A la suite d'une autre pause de 20
23 minutes, l'Accusation aura 30 minutes pour présenter sa duplique. Et en
24 dernier lieu, M. Karadzic disposera de 10 minutes s'il souhaite intervenir
25 personnellement.
26 Pendant cette audience en appel, les parties peuvent présenter les moyens
27 d'appel dans l'ordre qu'ils considèrent le plus opportun. Les parties
28 devront présenter leurs arguments de façon claire et concise, devront
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1 également présenter des références précises pour tous les documents qui
2 étaieront leurs arguments oraux. Les Juges, bien entendu, pourront
3 interrompre les parties à tout moment s'ils ont des questions à poser, ou
4 ils pourront encore poser des questions à la fin de la présentation des
5 arguments de chacune des parties, ou à la fin de l'audience. J'aimerais
6 rappeler aux parties d'être particulièrement circonspects et de ne pas
7 divulguer d'information confidentielle ou d'information qui pourrait
8 identifier un témoin protégé. Je rappelle également aux parties que ce
9 procès en appel et cette audience en appel ne constituent pas un nouveau
10 procès et qu'ils doivent s'abstenir de réitérer les arguments déjà
11 présentés en première instance. Les arguments doivent se limiter à des
12 erreurs alléguées de droit qui rendent le jugement nul et non avenu ou à
13 des erreurs de faits alléguées qui entraînent une erreur judiciaire, un
14 déni de justice. J'exhorte, qui plus est, les parties à ne pas répéter
15 verbatim ou à ne pas résumer de façon plus longue les arguments présentés
16 dans leurs mémoires, car la Chambre d'appel connaît ces arguments.
17 Je vous ai indiqué comment nous allons procéder, et j'aimerais maintenant
18 inviter l'Accusation à présenter son appel.
19 Monsieur Tieger, je vous en prie.
20 M. TIEGER : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.
21 Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, aujourd'hui nous allons
22 scinder en deux grands volets nos arguments. Dans un premier temps, je vais
23 faire référence à certaines questions juridiques, mais j'ai surtout
24 l'intention de mettre en exergue les éléments de preuve qui démontrent que
25 les éléments requis pour le génocide ont été satisfaits. Mme Jarvis vous
26 expliquera le raisonnement suivi par la Chambre pour apparemment aboutir à
27 la conclusion erronée suivant laquelle les éléments n'étaient pas
28 satisfaits.
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1 Comme nous l'avons indiqué, la Chambre de première instance a eu tort de
2 conclure qu'il n'y avait pas d'éléments de preuve susceptibles de justifier
3 la conclusion suivant laquelle M. Karadzic était responsable des actes
4 génocidaires et était animé d'intentions génocidaires.
5 M. Karadzic est accusé de génocide au chef numéro 1, et ce, en application
6 de plusieurs formes de responsabilité, mais la Chambre de première instance
7 s'est essentiellement concentrée sur la première catégorie de l'entreprise
8 criminelle commune, et vous considérerez cela; parce que utiliser les
9 éléments de la première catégorie de l'entreprise criminelle commune et les
10 éléments du crime de génocide en application du critère de l'article 98 bis
11 aurait dû permettre à la Chambre de première instance de retenir les
12 éléments de preuve de l'Accusation.
13 Aux fins de cette audience 98 bis et au vu de sa nature et de son objectif
14 limités, cela signifie qu'il faut considérer et apprécier les éléments de
15 preuve à charge à leur valeur maximum; ne pas mettre en balance un élément
16 de preuve contre l'autre; ne pas déterminer la crédibilité à moins qu'il
17 n'y ait qu'un seul élément de preuve et que l'on ne puisse attribuer aucune
18 foi à ces éléments de preuve; et cela signifie également ne pas tenir
19 compte des contradictions de la présentation des moyens à charge de
20 l'Accusation.
21 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais sur quoi vous fondez-vous pour
22 avancer ceci ? Car je regarde ce que vous venez de dire. Vous dites, "…à
23 moins que le seul élément de preuve présenté ou à moins que l'on ne puisse
24 attribuer aucune foi au seul élément de preuve".
25 M. TIEGER : [interprétation] Oui, à moins que l'on ne puise attribuer
26 aucune foi à cet élément de preuve.
27 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je suis d'accord avec cela, mais je
28 souhaiterais que vous développiez cela un peu.
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1 M. TIEGER : [interprétation] En fait, je pense qu'il est indiqué qu'il n'y
2 a pas un seul critère pur et dur, absolu, que la Chambre de première
3 instance devrait utiliser, et la Chambre de première instance doit pouvoir
4 conserver cette capacité à déterminer dans des circonstances extrêmes, et
5 je pense à certaines circonstances extrêmes hypothétiques, certes, lorsque
6 nous avons, par exemple, la déposition d'un témoin qui est telle que le
7 témoin puisse être considéré de telle façon que l'on ne puisse attribuer
8 aucune foi à ce que le témoin a dit, mais la jurisprudence reconnaît de
9 façon très claire, et vous l'avez d'ailleurs suggéré, qu'il s'agit de
10 circonstances absolument exceptionnelles et que nous n'en trouvons aucune
11 en l'espèce. Et cela d'ailleurs se retrouve dans la jurisprudence, c'est
12 une sauvegarde en quelque sorte.
13 Cela se trouve dans l'arrêt Jelisic, au paragraphe 55 pour être plus
14 précis, et je pense que cela reflète en quelque sorte une approche teintée
15 de bon sens pour ce qui est donc des éléments de preuve que l'on doit
16 considérer comme cela dans des circonstances exceptionnelles. Et à titre
17 général, comme vous l'avez remarqué, Monsieur le Juge, cela n'est pas le
18 cas, et en matière de crédibilité cela ne joue pas un rôle pour l'article
19 98 bis.
20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, je rebondis sur ce que vous
21 dites, mais est-ce qu'il y a un exemple de désintégration totale des moyens
22 à charge ?
23 M. TIEGER : [interprétation] Oui. Je pourrais imaginer une situation où un
24 témoin reconnaît directement que l'on ne devrait attribuer aucune foi à son
25 témoignage. Mais j'insiste sur la nature absolument exceptionnelle de ce
26 type de circonstances et sur le fait que nous n'en trouvons absolument
27 aucun, même pas le moindre soupçon d'exemple en l'affaire.
28 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie.
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1 M. TIEGER : [interprétation] Donc, je dirais en fait que pour conclure au
2 fait que le critère de l'article 98 bis n'a pas été respecté, il ne doit y
3 avoir aucun élément de preuve qui étaye le chef en question. Donc, la
4 question qui vient de se poser au vu de ces grands principes en matière
5 d'éléments de preuve est la suivante : est-ce qu'un Juge du fait
6 raisonnable aurait pu considérer qu'il fallait retenir le chef numéro 1 ?
7 La Chambre de première instance n'a pas été autorisée à déterminer si elle
8 avait accepté au-delà de tout doute raisonnable que M. Karadzic était
9 responsable de génocide dans les municipalités de Bosnie-Herzégovine en
10 1992. Et ces principes, que je viens d'évoquer, se retrouvent au paragraphe
11 9 de notre mémoire en appel.
12 Il faut savoir que de façon encore plus générale, il y a trois
13 grandes questions en jeu dans cet appel. Premièrement, est-ce qu'il y a eu
14 des éléments de preuve ou ne serait-ce qu'un élément de preuve suivant
15 lequel M. Karadzic est responsable d'actes constitutifs de l'actus reus du
16 génocide; deuxièmement, est-ce qu'il y a des éléments de preuve indiquant
17 qu'il était animé d'intentions génocidaires; et troisièmement, est-ce qu'il
18 y a des éléments de preuve indiquant qu'il avait agi de concert avec
19 d'autres, qui partageaient son intention génocidaire, et ce, pour
20 déterminer sa responsabilité au titre de la première catégorie de
21 l'entreprise criminelle commune.
22 Alors, pour ce qui est de la première question posée dans cet appel, il
23 s'agit de savoir si des actes génocidaires sont attribuables à M. Karadzic;
24 en d'autres termes, est-il responsable pour des actes de meurtre ou
25 assassinat, a-t-il provoqué ou entraîné une atteinte grave à l'intégrité
26 physique et mentale des Musulmans et des Croates, et les a-t-il soumis de
27 façon intentionnelle à des conditions d'existence devant entraîner la
28 destruction physique des communautés musulmane et croates dans les
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1 municipalités suivantes : Zvornik, Bratunac, Vlasenica, Foca, Sanski Most,
2 Kljuc et Prijedor, à savoir les sept municipalités où le génocide a été
3 précisément allégué.
4 A priori, la réponse semble manifeste, en retenant les autres chefs
5 d'accusation, la Chambre a conclu que M. Karadzic devait répondre des
6 crimes, notamment des crimes d'extermination, meurtre, assassinat, actes
7 inhumains commis contre les Musulmans de Bosnie et les Croates en tant que
8 membre de l'entreprise criminelle commune. Il a été indiqué qu'il y avait
9 suffisamment d'éléments de preuve suivant lesquels les Musulmans et/ou
10 Croates de Bosnie, les Musulmans de Bosnie donc, ont été tués par les
11 forces serbes de Bosnie dans les municipalités, et ce, sur une grande
12 échelle dans les centres de détention, ont été tués pendant et après la
13 prise de ces municipalités. Il est également fait référence au fait qu'il y
14 a suffisamment d'éléments de preuve suivant lesquels les forces serbes de
15 Bosnie ont provoqué des atteintes graves à l'intégrité physique et mentale
16 de nombreux Musulmans et/ou Croates de Bosnie durant leur détention, et il
17 est fait référence de façon expresse à des conditions absolument
18 épouvantables de détention, notamment traitement cruel, torture, sévices
19 physiques, sévices psychologiques, viols et agressions sexuelles, violence
20 sexuelle, ainsi que des conditions de vie inhumaines, des conditions qui
21 ont entraîné la mort de ces personnes, conditions qui sont toutes
22 attribuables à l'accusé. Je vous renvoie aux pages suivantes du compte
23 rendu d'audience; 27 860 à 27 862, 28 766, 28 767 et 28 774.
24 Et, en fait, cela aurait dû permettre de déterminer et de répondre à la
25 première question, parce que les mêmes conclusions déterminent l'actus reus
26 du crime de génocide reproché dans les sept municipalités. Mais
27 contrairement à la jurisprudence, la Chambre de première instance semble
28 avoir opté pour une autre solution, une solution supplémentaire qui empêche
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1 de façon tout à fait erronée d'appliquer de façon logique ces conclusions
2 au chef 1. Comme Mme Jarvis va vous l'expliquer de façon plus détaillée, la
3 Chambre de première instance a adopté deux façons erronées, une composante
4 intitulée impact pour le groupe, et a conclu de ce fait que les actes sous-
5 jacents et constitutifs du génocide n'étaient pas satisfaits. Ce qui est
6 une erreur, car les conclusions de la Chambre de première instance, tout
7 comme les éléments de preuve sous-jacents, démontrent que les actes
8 constitutifs du génocide en application de l'article 4(2)(a) à (c) ont été
9 satisfaits et que ces actes sont attribuables à M. Karadzic. Je vous
10 renvoie aux paragraphes 15 à 53 de notre mémoire en appel et aux notes de
11 bas de page qui y correspondent.
12 Alors, j'aimerais maintenant aborder la question de l'intention. En un mot
13 comme en cent, il s'agit de savoir s'il existe des éléments de preuve
14 appréciés à leur valeur maximale qui permettraient à une Chambre de
15 première instance de conclure que l'accusé avait l'intention de détruire
16 une partie d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux.
17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur Tieger.
18 M. TIEGER : [interprétation] Oui.
19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Pour ce qui est de ce critère,
20 l'impact sur le groupe, je suppose que la Chambre de première instance a
21 raison lorsqu'elle indique que l'impact pour le groupe est un critère, un
22 critère en bonne et due forme à cet égard, et est-ce que si la Chambre de
23 première instance avançait cela, est-ce que nous-même, on continuerait à
24 maintenir qu'ils ont tort ?
25 M. TIEGER : [aucune interprétation]
26 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Si l'on suppose qu'il s'agit d'un
27 critère idoine, est-ce que vous continueriez à avancer que la Chambre de
28 première instance a commis une erreur ?
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1 M. TIEGER : [interprétation] Monsieur le Président, je vous remercie
2 d'avoir posé cette question et vous indiquez qu'aux fins de la question
3 posée, nous allons supposer que la Chambre de première instance avait
4 raison en imposant cette composante impact sur le groupe, mais nous
5 avançons qu'en application des critères de l'article 98 bis, cette question
6 n'est pas posée. Mais de toute façon, la Chambre de première instance a
7 commis une erreur en appliquant les faits à ce critère dont le seuil est
8 extrêmement élevé de façon erronée. Et comme je l'ai déjà indiqué, Mme
9 Jarvis va revenir de façon détailler sur cette question et sur le
10 raisonnement suivi par la Chambre de première instance.
11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous ai posé la question parce
12 que si le critère impact sur le groupe est valable, l'interprétation exacte
13 de l'article 98 bis est quelque chose qu'il faudra laisser, qu'il faudra
14 apprécier à la fin de l'affaire.
15 M. TIEGER : [interprétation] C'est bien ce que pense l'Accusation
16 également.
17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] C'est le point de vue de
18 l'Accusation.
19 M. TIEGER : [interprétation] Oui, tout à fait.
20 Et j'étais sur le point de mentionner la façon dont l'intention peut
21 être démontrée par les éléments de preuve. Je sais que la Chambre d'appel
22 connaît cela, mais il s'agit en fait des éléments de preuve indirects ou
23 d'expression manifeste d'intentions, écrite ou orale, de la part de
24 l'accusé.
25 Les éléments de preuve indirects, comme le sait pertinemment la
26 Chambre, incluent non seulement le comportement qui s'inscrit dans le cadre
27 de l'actus reus, mais également d'autres circonstances d'après lesquelles
28 l'on peut comprendre l'intention. Par exemple, comme nous l'avons vu dans
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1 l'affaire Krstic, l'intention de meurtre peut être mise en lumière par des
2 expulsions ou, un autre exemple, par la destruction de bâtiments religieux.
3 J'en veux pour preuve le paragraphe 34 dans l'affaire Krstic.
4 En l'espèce, nous avons à la fois des éléments de preuve indirects et
5 directs de l'intention, car chaque élément de preuve suffit pour satisfaire
6 au seuil établi par l'article 98 bis. Mais pris dans leur globalité, ils
7 démontrent de façon très claire que les éléments de preuve appréciés à leur
8 valeur maximale établissent l'intention requise. Et je vais vous expliquer
9 le contexte en prenant juste une municipalité.
10 Imaginez, par exemple, un boulanger, un boulanger qui a la
11 quarantaine, un boulanger musulman qui a vécu toute sa vie dans la
12 municipalité de Prijedor. En 1991 et au début de l'année 1992, il se trouve
13 exposé à des signes de plus en plus importants d'animosité antimusulmane,
14 il voit que les Serbes s'arment et il y a des revendications hostiles de
15 plus en plus importantes à propos des Musulmans et des Croates, notamment
16 les affirmations suivant lesquelles les grands coupables de la Deuxième
17 Guerre mondiale, qui avait fait des Serbes des victimes, les Oustachi et
18 les Musulmans qui avaient apparemment collaboré, étaient revenus et il
19 s'agit de revendications qui sont avancées par la direction des Serbes de
20 Bosnie, ce qui fait que cela leur accorde une grande crédibilité.
21 Paragraphe 82 du jugement dans l'affaire Brdjanin.
22 Le 24 mai 1992, l'armée serbe de Bosnie et la police attaquent la région
23 musulmane la plus prospère et la plus peuplée, à savoir Kozarac. Huit cent
24 personnes ont été tuées lors de cette attaque, même si notre boulanger a
25 survécu, il est rassemblé et emmené avec la plupart des autres hommes, soit
26 au camp d'Omarska, soit au camp de Keraterm. A Omarska, lui, ainsi que
27 d'autres prisonniers sont frappés lors de leur arrivée, et pendant l'été
28 jusqu'à ce que des journalistes entreprenant exposent le camp au reste du
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1 monde, il est détenu dans des conditions épouvantables. Des centaines et
2 des milliers de prisonniers sont entassés dans des cellules de fortune qui
3 sont beaucoup trop petites pour eux. Les conditions d'hygiène sont quasi
4 inexistantes. Les prisonniers sont couchés parfois dans leurs propres
5 excréments. Il y avait des problèmes des maladies de peau, de la dysenterie
6 qui règne. L'eau destinée à un usage industriel est fournie en tant qu'eau
7 potable. Il y a des rations qui sont dignes d'une famine et qui provoquent
8 une perte très importante de poids et de force physique, confer paragraphes
9 36, 45, 47 de notre mémoire en appel et des notes en bas de page, ainsi que
10 du fait jugé 1046 concernant ces citations.
11 Les dirigeants des communautés musulmanes et croates sont triés sur le
12 volet pour être traités de façon épouvantable et emmenés dans un bâtiment
13 précis du camp à cette fin. Très peu d'entre eux survivent. Confer
14 paragraphe 79 de notre mémoire en appel. Mais les passages à tabac pour
15 tous sont routiniers. Tel que l'a remarqué un prisonnier, il était rare de
16 tomber sur quelqu'un qui n'était ni blessé et qui n'avait pas d'ecchymose.
17 Il y avait toujours quelqu'un qui mourrait suite à ces passages à tabac.
18 Confer P2089, T1883. Tous les soirs les hommes ont été emmenés de leurs
19 cellules sordides pour être tués. Tous les jours, il y avait des piles de
20 corps qui étaient à l'extérieur en attendant d'être transportés comme des
21 ordures. Il y a eu la famine, et les morts quotidiennes ont été capturées
22 dans ce dilemme auquel a été confronté un prisonnier qui agonisait parce
23 qu'il ne savait pas quoi faire à propos d'un morceau de pain qui lui avait
24 été remis pour qu'il le remette à son fils, mais son fils est mort, et ce
25 dilemme a été résolu au moment où le père s'est tué peu de temps après.
26 Mais Madame, Messieurs les Juges, pièce P2089, page du compte rendu
27 d'audience 1 887 à 1 888 et 1 905, P3691, paragraphes 81 à 84.
28 Comme un autre témoin l'explique, c'était une machine inhumaine et sans
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1 pitié qui ne pouvait faire preuve d'humanité à l'égard de personne. C'était
2 un mécanisme ou un système qui s'était retourné contre lui-même. Ça,
3 c'était Omarska. Page du compte rendu d'audience 20 495.
4 Dans l'intervalle à l'extérieur, les rassemblements et les massacres se
5 sont poursuivis. En juillet, la dernière zone importante où continuait à
6 vivre des Musulmans était attaquée par la VRS et la police. A l'instar des
7 attaques antérieures à Kozarac, de nombreuses personnes ont été tuées au
8 cours de cette attaque. Au moins 300 à 350 corps ont été ramassés par un
9 homme, un autre a vu des dizaines de camions transportant 70 corps et qui
10 transportaient des morts. Pièce P706, page du compte rendu d'audience 5
11 934, 5 935, 5 966, et page 21 088.
12 Et pour ce qui est de ceux qui ont survécu à l'attaque et qui ont été
13 rassemblés et emmenés au camp, peu de temps après leur arrivée à Omarska,
14 150 hommes de cette région ont été tués. A l'instar de Keraterm, encore
15 150, et après l'arrivée des prisonniers de la région qui avait été nettoyée
16 ont été exclus [comme interprété] peu de temps après leur arrivée. Il y
17 avait en général 5 000 corps de Musulmans qui ont été jetés dans le puits
18 d'une mine abandonnée suite au début des attaques et des détentions, ce qui
19 a suscité une préoccupation en 1993 d'un représentant officiel de la
20 Republika Srpska. Il ne savait pas quoi faire de ces corps, les incinérer,
21 les broyer, ou faire autre chose. Confer, Messieurs les Juges, faits jugés
22 1185, 1191, 1215 à 1219, pièce P1483, pages 154, 155, ainsi que la
23 déposition des témoins KDZ048, KDZ092, KDZ093, et KDZ367.
24 Outre les horreurs infligées sur la plupart des détenus hommes des camps
25 d'Omarska et Keraterm, le camp de Trnopolje agissait en tant que station de
26 pesage pour les femmes et les enfants qui devaient être chassés. Dans
27 l'intervalle, les mosquées de Prijedor et les églises catholiques étaient
28 détruites.
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1 A supposer que notre boulanger ait survécu à Omarska, il vivrait
2 actuellement certainement ailleurs que dans la maison de ses ancêtres.
3 Comme cela est indiqué à la pièce P4994, avant 1991, 42,6 % de Prijedor
4 comprenait des Musulmans de Bosnie. A 1997, ce chiffre représentait 1 % de
5 la municipalité, une diminution de 97,6 %. Ce chiffre, ainsi que le
6 scénario général des attaques, les installations, les détentions, les
7 meurtres, les atteintes à l'intégrité physique, les conditions hostiles de
8 vie, la destruction des biens sacrés étaient illustrés ou ont eu lieu dans
9 ces municipalités où a été commis le génocide.
10 Personne qui a vécu ceci ne pourrait comprendre autre chose comme étant le
11 résultant d'une intention de détruire les Musulmans de Bosnie de Prijedor,
12 et effectivement la portée et la férocité de tels actes sont des éléments
13 de preuve suffisants pour permette d'appliquer le critère de l'article 98
14 bis, à savoir que l'intention génocidaire peut être déduite.
15 Mais en appréciant cette intention, il est inutile de regarder simplement
16 la nature et la portée des actes génocidaires, lorsque le commandant
17 Suprême de ceux qui ont commis ces actes, à la fois menaçaient
18 "d'extension" le peuple musulman, et reconnu la disparition des groupes de
19 Musulmans de Bosnie au cours du conflit. C'est ce que l'accusé a expliqué
20 en octobre 1991 lors d'une séance de l'assemblée de Bosnie à propos de ce
21 qu'attendait les Musulmans et les Croates s'ils continuaient à se diriger
22 vers leur indépendance. Il s'agit de la pièce D267. Ceci est sous-titré,
23 donc il est inutile que les interprètes fournissent une traduction vers
24 l'anglais.
25 [Diffusion de la cassette vidéo]
26 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
27 "Quelques jours plus tard, le 15 octobre 1991, devant la 8e Session
28 de l'assemblée de la République socialiste de Bosnie, Karadzic a menacé
Page 15
1 d'extinction éventuelle le peuple musulman, comme on peut le voir dans
2 cette vidéo.
3 Je ne menace pas, mais je demande que vous prenez l'interprétation de la
4 volonté politique du peuple serbe au sérieux, ce qui est représenté ici par
5 le Parti démocratique serbe, le Mouvement du renouveau serbe et de
6 plusieurs Serbes d'autres partis. S'il vous plaît, prenez ceci au sérieux.
7 Ce n'est pas bien ce que vous faites. C'est le chemin que souhaite
8 emprunter la Bosnie-Herzégovine, emprunter l'autoroute de l'enfer et de la
9 souffrance. La Slovénie et la Croatie, ne pensez pas que vous pourriez
10 prendre la Bosnie-Herzégovine et l'emmener vers l'enfer, le peuple musulman
11 menacé d'extinction éventuelle, parce que le peuple musulman ne pourra pas
12 se défendre s'il y a la guerre ici."
13 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
14 M. LE JUGE MERON : [aucune interprétation]
15 M. TIEGER : [interprétation]
16 [Diffusion de la cassette vidéo]
17 M. TIEGER : [interprétation] Comme Karadzic l'a rappelé à son interlocuteur
18 quelques jours plus tard, ce qui attendait les Musulmans et les Croates en
19 Bosnie serait "un véritable bain de sang." Sarajevo serait un chaudron où
20 "300 000 Musulmans perdraient la vie" aux mains des Serbes armés. Les
21 Musulmans seraient "jusqu'au cou dans le sang, et disparaîtraient." Il
22 s'agit de la pièce D279, pages 3, 7 et 8. L'insistance pour dire que les
23 Musulmans seraient "annihilés et disparaîtraient" se trouve également
24 illustré par la pièce P3200, page 2, et la pièce P5846, page 3.
25 Comme M. Karadzic a dit à son confident le plus croche, Krajisnik :
26 "Maintenant lui," Izetbegovic, "parle ouvertement d'une Bosnie souveraine
27 et indépendante. Est-ce qu'il souhaite détruire Sarajevo ? Nous relâcherons
28 nos Tigres, et nous leur laisserons faire leur travail."
Page 16
1 Pièce P5779, page 5.
2 Et une fois que le conflit avait éclaté, une fois que les Tigres avaient
3 été lâchés, une fois que les personnes d'Omarska dont j'ai parlé il y a
4 quelques instants mourraient petit à petit de famine, de maladie, ou plus
5 rapidement de passages à tabac, Karadzic a reconnu l'exactitude des
6 remarques d'un représentant de l'assemblée de la Republika Srpska qui a
7 dit, en sa présence, que les Musulmans avaient été présentés aux Serbes
8 comme un peuple dont les bourreaux seraient des Serbes.
9 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Tieger, les déclarations
10 que nous venons d'entendre suffiraient-elles à répondre aux critères du 98
11 bis, à savoir de l'intention génocidaire ?
12 M. TIEGER : [interprétation] Je fais valoir, Monsieur le Président, que
13 pris individuellement, et si nous prenons ce critère du 98, ce serait
14 certainement le cas. Mais s'il s'agit évidemment d'éléments agrégés et pris
15 ensemble, je crois qu'il s'agit d'une expression tout à fait adéquate de
16 l'intention au sens de l'article 4. Donc, la raison pour laquelle j'ai
17 donné quelques exemples, c'est pour éviter qu'il y ait une quelconque
18 ambiguïté au niveau du contexte ou des nuances. L'insistance sur le fait
19 d'annihiler, de détruire, d'avoir le sang jusqu'aux genoux, je crois que ce
20 sont des éléments qui doivent être pris à la lettre et on doit retenir ici
21 le seuil le plus élevé, et à mon sens, il s'agit d'éléments de preuve qui
22 indiquent directement qu'il existe l'intention requise.
23 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais vous vous fondez, bien sûr, sur
24 d'autres éléments de preuve.
25 M. TIEGER : [interprétation] Comme je l'ai indiqué précédemment, tout à
26 fait.
27 Et par rapport à des remarques faites par M. Karadzic à propos du
28 commentaire pour dire que les Musulmans était là pour que les Serbes
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1 puissent les tuer et en être les bourreaux, Karadzic a indiqué :
2 "…ce conflit a été activé afin d'éliminer les Musulmans, et les Musulmans
3 pensent qu'on les établit sur un plan national, mais en réalité, ils sont
4 en train de disparaître."
5 Pièce D92, pages 41 à 86, et mémoire en appel de l'Accusation, note en bas
6 de page numéro 206.
7 En outre, l'Accusation a personnellement choisi Ratko Mladic pour
8 diriger son armée, un homme qui partageait sa vision sur ce qui devait
9 arriver aux Musulmans et aux Croates. Et vous trouverez cette référence à
10 la sélection personnelle faite par Karadzic à la pièce P970, page 317. Il
11 s'agit là simplement d'un exemple de la vision de Mladic. En 1994, Mladic a
12 déclaré que le conflit constituait une occasion historique pour créer un
13 Etat entièrement serbe, en expliquant qu'en parlant des Musulmans de Bosnie
14 et des Croates de Bosnie, "ma préoccupation est de faire en sorte qu'ils
15 disparaissent complètement." Pièce P1385, pages 47 à 49.
16 Et les éléments que je viens de citer, Madame, Messieurs les Juges,
17 révèlent également qu'il y a eu la réalisation ou, en tout cas,
18 l'application de la dernière question au niveau des éléments de preuve, à
19 savoir que l'accusé a agi avec d'autres qui partageaient la même intention
20 que lui. En outre, on peut également se tourner, à titre d'exemple, vers
21 son compatriote le plus proche, Krajisnik, dont l'opinion, d'après Slobodan
22 Milosevic, "était de tuer et de se débarrasser de tous les Musulmans et de
23 tous les Croates." P1487, page 17.
24 Malgré les éléments de preuve que je viens de rappeler, la Chambre de
25 première instance a constaté qu'il n'y avait aucun élément de preuve qui
26 permettrait à un Juge de fait raisonnable de constater que l'élément
27 matériel a été perpétré avec l'intention requise. Comme nous l'avons
28 expliqué dans nos écritures, et Mme Jarvis va l'aborder plus avant, ceci
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1 illustre soit l'assistance erronée de la Chambre de première instance, à
2 savoir que les auteurs physiques doivent partager la même intention
3 requise, ou est l'illustration d'avoir accordé un poids inadmissible à
4 d'autres éléments de preuve à l'encontre des éléments de preuve portant sur
5 l'intention même.
6 L'accusé reconnaît à la page 53 de son mémoire qu'il s'agit là
7 d'expressions qui sont les siennes, celles que je viens d'évoquer qui font
8 l'objet de la question posée par vous, Madame, Messieurs les Juges, qu'il
9 s'agissait "d'expressions génocidaires", mais il affirme que ces
10 expressions doivent être mesurées contre l'ensemble des circonstances.
11 Alors, ceci peut effectivement illustrer une appréciation qui peut être
12 faite à la fin du procès, ceci est une approche tout à fait inadmissible
13 sans le cadre du 98 bis. Et de la même façon, de nombreux arguments de la
14 Défense illustrent une attitude tout à fait inadéquate, à savoir que la
15 Chambre d'appel doit peser et apprécier les éléments de preuve que
16 l'Accusation dit réfuter et minimise les éléments de preuve de
17 l'Accusation. Et bien sûr, lorsque la Défense invite la Chambre d'appel à
18 faire cela, même si cela est inapproprié, cela illustre une reconnaissance
19 implicite de l'absence de soi-disant preuves contradictoires, que si nous
20 retenons le critère le plus élevé ou le seuil le plus élevé, les éléments
21 de preuve de l'Accusation démontrent qu'il y a intention requise.
22 La Défense demande aux Juges de la Chambre d'ignorer tout simplement
23 les critères, de passer à la fin du procès, et de reprendre ce qu'ont déjà
24 constaté d'autres Chambres, à savoir qu'il n'y a pas eu génocide. Outre le
25 fait de demander à ce qu'on tourne le dos à la responsabilité et qu'on
26 tourne le dos à toutes les règles, hormis le fait de priver les victimes
27 d'une décision motivée, hormis le fait d'encourager et d'intégrer une
28 jurisprudence inexacte sur les crimes, sans doute les plus importants, ce
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1 que laisse entendre la Défense ici, c'est d'ignorer un fait qui est encore
2 plus pertinent, à savoir que les Chambres de première instance antérieures,
3 dans ce cadre, ont conclu qu'un Juge de fait raisonnable, qu'une
4 personnalité et un dirigeant, tels que Milosevic et Krajisnik, pouvaient
5 être tenus responsables sur la base des mêmes éléments de preuve, et en
6 général à propos des mêmes crimes, contrairement à l'argument de
7 l'Accusation qu'une victime, aucun observateur objectif ne peut comprendre
8 comment des accusés peuvent être tenus responsables si on se fonde sur des
9 déclarations d'intention de Karadzic, mais qui n'émanent pas de Karadzic
10 lui-même. Je vous renvoie, Madame, Messieurs les Juges, à l'article 98 bis,
11 décision du 16 juin 2004 rendue par la Chambre d'appel aux paragraphes 238
12 à 245 dans l'affaire Milosevic.
13 En bref, les éléments de preuve établissent clairement qu'il y a
14 convergence de l'élément matériel aux termes de l'article 4(2) avec
15 l'intention spécifique de détruire en tout ou en partie un groupe national,
16 ethnique, racial ou religieux en tant que tel. Et en me fondant sur les
17 éléments de preuve que j'ai indiqués, ainsi que les autres éléments de
18 preuve disponibles pour les Juges de la Chambre, la Chambre de première
19 instance doit condamner Karadzic pour génocide au titre du chef 1.
20 Ma collègue, Mme Jarvis, va maintenant présenter la deuxième partie
21 des arguments de l'Accusation.
22 Mme JARVIS : interprétation] Bonjour, Madame et Messieurs les Juges.
23 Les éléments mis en évidence par M. Tieger représentent un ensemble
24 d'arguments particulièrement convaincants indiquant que M. Karadzic, en
25 tant que dirigeant suprême des Serbes de Bosnie, n'a pas seulement exprimé
26 son intention de détruire les Bosno-Musulmans et les Bosno-Croates dans
27 leurs communautés sur les territoires qu'il revendiquait pour un Etat
28 serbe, mais qu'il a déclanché une campagne massive de destruction qui
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1 comprenait également des destructions physiques de grande échelle dans le
2 but d'atteindre son objectif.
3 Cependant, la Chambre de première instance n'a pas considéré ceci comme
4 étant suffisant pour maintenir l'accusation de génocide lors de l'audience
5 à l'étape du l'article 98 bis. Dans mes arguments, je vais examiner quatre
6 conceptions erronées concernant le crime de génocide qui contribue à
7 expliquer comment nous en sommes venus là où nous en sommes, à savoir au
8 mauvais résultat concernant le chef d'accusation numéro 1. Certaines de ces
9 conceptions erronées apparaissent clairement dans le jugement de la Chambre
10 de première instance en tant qu'erreurs distinctes, d'autres se retrouvent
11 dans les arguments invoqués par la Défense au sujet du génocide en
12 l'espèce. En identifiant ces conceptions erronées dans mes arguments
13 d'aujourd'hui, j'essaierai d'expliquer comment en l'espèce on a fini par se
14 détourner de la double orientation fournie par les éléments du génocide au
15 titre de l'article 4 du Statut et par la norme applicable au titre de
16 l'article 98 bis, et c'est pourquoi l'intervention de Madame et Messieurs
17 les Juges aujourd'hui est nécessaire. Nous maintenons évidemment nos autres
18 arguments tels qu'ils figurent dans le mémoire en appel et le mémoire en
19 réplique, je ne les répéterai pas.
20 Premièrement, la conception erronée du génocide objectif. Cette première
21 conception erronée du génocide objectif consiste à dire que pour démontrer
22 l'existence d'un génocide, nous devons examiner objectivement un scénario
23 précis sur le terrain et le caractériser comme "génocide" de façon tout à
24 fait indépendante de la personne accusée à qui ce crime est reproché. C'est
25 un piège, parce que ceci rend la question de l'intention génocidaire
26 entièrement et uniquement dépendante de ce qui peut être déduit des
27 événements sur le terrain à l'exclusion d'autres facteurs démontrant que
28 l'accusé était animé d'une intention génocidaire. Et ceci contrarie les
Page 21
1 éléments juridiques du génocide.
2 Karadzic tombe dans le piège de ce génocide objectif dans son mémoire de
3 l'intimé. Il s'y trouve un chapitre entier intitulé "Une rhétorique
4 génocidaire mais pas de génocide", à partir du paragraphe 223. Il dit au
5 paragraphe 250 :
6 "Dans ses arguments, l'Accusation n'a pas réussi à prendre en considération
7 le fait que le Dr Karadzic pouvait être animé d'une intention génocidaire
8 et en même temps être acquitté parce qu'aucun génocide ne s'est réellement
9 produit."
10 Voir également le mémoire de l'intimé, paragraphe 228. De plus, il semble
11 accepter que les éléments de preuve découlant de ses propres déclarations,
12 lorsqu'on leur accorde leur valeur maximale, pourraient étayer la
13 conclusion d'une intention génocidaire et que ce n'est qu'en mettant en
14 balance ces éléments de preuve au regard d'autres éléments de preuve que
15 l'intention génocidaire se trouve non étayée. Note en bas de page 336 du
16 mémoire de l'intimé.
17 La décision de la Chambre de première instance reflète cette même
18 conception erronée. La Chambre a commencé par examiner les événements sur
19 le terrain et s'est demandée si ces événements pris isolément pouvaient
20 être caractérisés comme un génocide. N'ayant pas été convaincue qu'il
21 s'agissait là d'un génocide objectif, elle a balayé d'un revers de main les
22 éléments de preuve directs découlant des déclarations de Karadzic qui, pris
23 à leur valeur maximale, démontrent qu'il agissait en étant animé d'une
24 intention génocidaire. Notamment, la Chambre a affirmé qu'elle considérait
25 les déclarations explicites de Karadzic, ses déclarations d'intention, "au
26 vu de l'échelle et du contexte des crimes reprochés dans les municipalités
27 en 1992, et de l'incapacité de déduire une intention génocidaire d'autres
28 facteurs".
Page 22
1 La Chambre a conclu que :
2 "Nonobstant les déclarations de l'accusé, il n'y a pas d'éléments de preuve
3 sur la base desquels, si on les acceptait, un Juge raisonnable du fait
4 pourrait conclure que les actes de meurtre et d'atteinte grave portée à
5 l'intégrité physique et corporelle, de conditions de vie devant entraîner
6 la destruction des Bosno-Musulmans et des Bosno-Croates ont été commis avec
7 l'intention spécifique requise pour le génocide". Page 28 769 du compte
8 rendu, lignes 12 à 21.
9 C'était une erreur. Le crime de génocide ne requiert qu'une chose, à savoir
10 que l'accusé, agissant avec l'intention de détruire un groupe protégé en
11 tout ou partie, commette un acte sous-jacent au génocide. Et ces conditions
12 sont ici remplies pour les raisons fournies par M. Tieger. La Chambre de
13 première instance a eu tort d'exiger quoi que ce soit de plus.
14 L'affaire Jelisic met ceci particulièrement en lumière. La Chambre d'appel
15 a considéré qu'une Chambre de première instance raisonnable pouvait être
16 convaincue au stade de l'article 98 bis que Jelisic était animé d'une
17 intention génocidaire, et ce, à partir des déclarations qu'il a faites et
18 des Musulmans tués et maltraités par lui. Arrêt Jelisic, paragraphe 68.
19 Examinés de façon objective et isolément de Jelisic, les crimes concernés
20 n'auraient pas nécessairement été qualifiés de génocide. En effet, la
21 Chambre de première instance avait précédemment conclu qu'il n'y avait pas
22 suffisamment d'éléments de preuve indiquant l'existence d'un projet plus
23 large visant à commettre le génocide à Brcko, Jelisic mis à part. Jugement
24 Jelisic, paragraphes 98, 108.
25 La conception erronée du génocide objectif est un piège difficile à éviter.
26 Notamment lorsque nous avons à faire à des personnalités imminentes,
27 souvent notre approche consiste à examiner d'abord si un crime s'est
28 produit sur le terrain et ensuite à chercher à établir un lien entre ces
Page 23
1 crimes et la personne accusée en question. La Chambre de première instance
2 a appliqué cette approche dans sa décision en application de l'article 98
3 bis de bout en bout, et ce, pour chaque crime reproché dans l'acte
4 d'accusation. Il n'y a rien de problématique dans cette approche en soi, et
5 c'est certainement une méthode possible pour déduire une intention
6 génocidaire que d'examiner les événements sur le terrain. Mais le fait de
7 ne pas réussir à déduire l'intention génocidaire des événements qui se sont
8 produits sur le terrain ne peut être utilisé pour exclure les éléments de
9 preuve directs indiquant que Karadzic agissait avec une intention
10 génocidaire. C'est le problème que nous trouvons dans l'analyse de la
11 Chambre de première instance ici. Elle a laissé de côté des éléments de
12 preuve directs de l'intention de l'accusé dans sa recherche d'un génocide
13 objectif. Ceci contrarie tant les éléments juridiques du crime de génocide
14 que la norme applicable au titre de l'article 98 bis qui interdit de mettre
15 en balance les éléments de preuve et exige qu'on tienne compte de tous les
16 éléments de preuve pertinents.
17 Deuxièmement, la conception erronée d'un seuil pour les actes de génocide.
18 Cette deuxième conception erronée a conduit la Chambre de première instance
19 à imposer à tort un seuil ou une condition d'impact de groupe à l'élément
20 matériel du génocide, ce qui l'a finalement conduite à considérer que les
21 meurtres et les atteintes graves à l'intégrité physique ou mentale en
22 l'espèce n'atteignaient pas le seuil requis.
23 Afin de satisfaire le critère de l'élément matériel du génocide, l'article
24 4(2) du Statut ne demande que soit démontré que l'un des actes énumérés en
25 l'espèce : le meurtre, les atteintes graves à l'intégrité physique et
26 mentale et/ou le fait d'imposer délibérément des conditions d'existence
27 devant entraîner la destruction de tout ou partie du groupe. Donc à partir
28 du moment où les éléments de preuve démontrent qu'un ou plusieurs de ces
Page 24
1 actes ont été commis, les conditions de l'élément matériel sont remplies.
2 Et comme il a été souvent affirmé, même un seul meurtre ou un seul acte
3 d'atteinte grave à l'intégrité physique ou morale peut constituer un
4 génocide à partir du moment où il a été commis avec l'intention requise;
5 voir jugement Akayesu, paragraphe 497.
6 Malgré les éléments de preuve particulièrement abondants décrits par M.
7 Tieger, la Chambre de première instance n'a pas considéré que l'élément
8 matériel du génocide avait été démontré. Lorsqu'il a été question des
9 meurtres, la Chambre de première instance a affirmé qu'elle ne pouvait
10 conclure que :
11 "Un fragment significatif des groupes bosno-musulmans et bosno-croates et
12 un nombre important des membres de ces groupes avaient été pris pour cible
13 pour être détruits de telle façon que cela a eu un impact sur l'existence
14 des groupes bosno-musulmans et bosno-croates en tant que tel."
15 Compte rendu, page 28 765, lignes 10 à 13.
16 Mais, il n'y a rien dans la formulation tout à fait claire de
17 l'élément matériel du meurtre qui puisse étayer cette exigence, cette
18 condition d'un seuil. Et la Chambre de première instance a imposé à tort
19 ceci comme précondition [phon] du génocide. La condition de l'élément
20 matériel du meurtre avait été remplie et Karadzic l'a reconnu, en fait,
21 dans son mémoire de l'intimé, paragraphe 28.
22 De façon similaire, lorsqu'il a été question des atteintes graves à
23 l'intégrité physique et mentale, la Chambre de première instance a
24 considéré que :
25 "Elle n'avait pas été saisie d'éléments de preuve qui, pris à leur
26 valeur maximale, auraient pu étayer la conclusion par un Juge raisonnable
27 des faits que les atteintes portées avaient atteint un degré tel qu'elles
28 contribuaient ou tentaient à contribuer à la destruction de tout ou partie
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1 des groupes bosno-musulmans et bosno-croates."
2 Page 28 766 du compte rendu, lignes 6 à 11.
3 Encore une fois, Madame, Messieurs les Juges, rien dans la
4 formulation tout à fait claire des travaux préparatoires de la convention
5 sur le crime de génocide ne justifie que l'on impose cette condition d'un
6 seuil aux atteintes graves à l'intégrité physique et mentale. Les mêmes
7 types d'actes dont il est question en l'espèce, y compris les actes de
8 torture, les actes inhumaines, les violences sexuelles et des sévices
9 corporels ont été considérés comme suffisants dans d'autres affaires. Voir
10 notre mémoire en appel, paragraphe 27.
11 Et il est tout à fait certain qu'en matière d'atteinte grave à
12 l'intégrité physique et mentale, la Chambre d'appel dans l'affaire Seromba
13 a affirmé que pour étayer une déclaration de culpabilité pour génocide :
14 "Les atteintes graves à l'intégrité physique et mentale infligées aux
15 membres du groupe doivent présenter un caractère de gravité telle qu'il
16 menace de destruction tout ou partie du groupe."
17 Arrêt Seromba, paragraphe 46.
18 Mais ceci ne devrait pas être interprété comme une précondition consistant
19 à dire que les atteintes portées doivent détruire le groupe jusqu'à un
20 certain degré. La Chambre d'appel dans l'affaire Seromba a manifestement
21 accepté, par exemple, que le viol et la torture constitueraient
22 manifestement "des atteintes graves à l'intégrité physique et psychologique
23 au sens du génocide". Ceci cadre avec une longue jurisprudence, tant du
24 TPIY que du TPIR, qui n'ont pas imposé de conditions d'impact sur le groupe
25 pour l'élément matériel du génocide. Nous exposons ceci au paragraphe 27 de
26 notre mémoire en appel.
27 Encore une fois, la conception de ce seuil pour les actes de génocide
28 est un piège difficile à éviter. Le génocide comprend souvent des actes de
Page 26
1 destruction à une échelle massive, comme les éléments de preuve en l'espèce
2 l'on montré. Très souvent, les actes sous-jacents de génocide auront un
3 impact sur le groupe ou une partie du groupe, mais cela n'est pas une
4 condition juridique et la Chambre de première instance a eu tort de ne pas
5 conclure que les conditions de l'élément matériel du crime de génocide
6 avaient été remplies en l'espèce.
7 La troisième conception erronée que je souhaitais mettre en avant est
8 la conception du meurtre de tous les membres d'un groupe.
9 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Veuillez poursuivre.
10 Mme JARVIS : [interprétation] Je vous remercie. La troisième conception
11 consiste à dire qu'il faut tuer tous les membres d'un groupe, conception
12 erronée. Le piège consiste à considérer que l'intention génocidaire
13 équivaut nécessairement à l'intention de tuer tous les membres d'un groupe.
14 Et nous trouvons l'expression particulièrement flagrante de cette
15 conception erronée dans le mémoire de l'intimé aux paragraphes 212 à 216,
16 où il met en avant le très grand nombre de meurtres qui se sont produits
17 dans le cadre d'autres génocides, notamment dans l'Holocauste et au Rwanda.
18 Karadzic va tellement loin qu'il affirme qu'il n'y a pas lieu de maintenir
19 les accusations de génocide en l'espèce parce que la structure des crimes
20 commis en Bosnie-Herzégovine en 1992 ne cadrait pas avec celle de
21 l'Holocauste et du génocide rwandais.
22 Encore une fois, c'est un piège difficile à éviter. L'Holocauste était un
23 génocide prenant pour cible un groupe et où le crime le plus fréquemment
24 commis était le meurtre, ce qui a d'ailleurs été à la source de la
25 rédaction de la convention sur la prévention du crime de génocide.
26 Cependant, si nous nous arrêtons quelques instants, nous verrons que cet
27 exemple historique ne définit pas les paramètres dans le cadre desquels la
28 définition juridique du crime de génocide a fini par être adoptée et tel
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1 qu'elle se reflète dans l'article 4 de notre Statut. Pour commencer, la
2 définition comprend l'intention de détruire non seulement la totalité d'un
3 groupe, mais également une partie de ce groupe. Et par définition, le
4 génocide comprend également les situations où de grandes parties d'un
5 groupe ne sont pas prises pour cible des meurtres ou ne sont pas du tout
6 prises pour cible.
7 Deuxièmement, le génocide, de façon indiscutable, peut être constitué
8 par d'autres actes que le meurtre, tels qu'ils sont énumérés à l'article
9 4(2)(b) à (e) du Statut. Ces actes, y compris les atteintes graves à
10 l'intégrité physique et mentale, ne résultent pas nécessairement en la mort
11 des individus qui font partie du groupe.
12 En se concentrant excessivement sur des exemples de génocides tels
13 que l'Holocauste ou le génocide rwandais en 1994, où l'intention a couvert
14 l'intégralité du groupe - pris pour cible des meurtres avant tout - on
15 tombe dans un piège et ceci ne nous vient absolument pas en aide en
16 l'espèce.
17 En l'espèce, le chef d'accusation numéro 1 concernait le génocide
18 dans les municipalités en 1992 et c'est une question différente qui a été
19 posée devant ce Tribunal : Karadzic a-t-il commis le génocide à l'encontre
20 d'une partie des groupes bosno-musulmans et bosno-croates par
21 l'intermédiaire d'actes qui comprenaient mais ne se limitaient pas aux
22 meurtres de membres du groupe ? La réponse à cette question est oui. Et le
23 précédent le plus pertinent en l'espèce est celui de Srebrenica, qui
24 comprenait également le génocide commis à l'encontre d'une partie du groupe
25 bosno-musulman au travers d'actes qui ne se limitaient pas aux meurtres.
26 La Chambre d'appel dans l'affaire Krstic a confirmé que l'intention
27 devait être de détruire physiquement une partie du groupe. Cependant, la
28 Chambre d'appel a accepté que l'intention de détruire une communauté au
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1 moyen de tout un ensemble d'actes ne se limitant pas au meurtre de membres
2 du groupe était suffisante. Dans le cas de Srebrenica, ce qui a été le
3 déclencheur, l'élément-clé, était l'association des meurtres et des
4 expulsions qui ont conduit à l'incapacité de la communauté à se
5 reconstituer, et ainsi que le Juge Shahabuddeen l'a déclaré, son incapacité
6 à se reconstituer après que ces structures familiales aient été laminées.
7 Arrêt Krstic, paragraphes 28 et 31, opinion partiellement dissidente du
8 Juge Shahabuddeen, paragraphe 47.
9 La Chambre d'appel a accepté que l'association de ces actes était
10 suffisante pour être convaincue que le déclin physique de la communauté
11 bosno-musulmane de Srebrenica était bien réel, ce qui satisfaisait la
12 condition de l'intention de détruire. Arrêt Krstic, paragraphe 37 [comme
13 interprété].
14 Le jugement dans l'affaire Tolimir renforce cet élément dans son
15 paragraphe 764 en réaffirmant que "la destruction physique ou biologique
16 d'un groupe ne se limite pas nécessairement à la mort des membres du
17 groupe," en citant d'ailleurs le jugement Blagojevic et Jokic, paragraphe
18 666.
19 Il est donc tout à fait clair, à partir des précédents dans le cas de
20 Srebrenica devant ce même Tribunal, que l'intention de détruire n'équivaut
21 pas à l'intention de détruire chaque membre individuel du groupe ou une
22 partie du groupe. D'un point de vue juridique, la question de savoir si ce
23 qui s'est produit en Bosnie-Herzégovine en 1992 cadrait du point de vue de
24 sa structure avec l'Holocauste ou le génocide rwandais est totalement dénué
25 de pertinence quant à la responsabilité pénale individuelle de Karadzic.
26 Ce qui m'amène à évoquer la quatrième opinion ou conception erronée que je
27 souhaitais mentionner : cette dichotomie entre le déplacement par rapport
28 au génocide. Il s'agit de l'idée suivant laquelle la campagne de nettoyage
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1 ethnique dans les municipalités en 1992 ne visait seulement qu'à déplacer
2 les Musulmans et Croates de Bosnie et, par conséquent, est tout à fait
3 incompatible avec la définition juridique du génocide.
4 M. LE JUGE MERON : [interprétation] J'attire votre attention sur le fait
5 qu'il ne vous reste que cinq minutes.
6 Mme JARVIS : [interprétation] D'ailleurs, nous retrouvons cela dans le
7 mémoire de l'intimé aux paragraphes 217 et 244. Et il s'agit d'un piège,
8 parce que la suggestion est que le génocide et le déplacement sont des
9 crimes qui s'excluent mutuellement, ce qui n'est absolument exact. Nous
10 acceptons tout à fait que le déplacement, à proprement parler, n'équivaut
11 pas nécessairement à une intention de détruire aux fins de génocide, mais
12 les précédents de Srebrenica confirment que l'intention de détruire n'est
13 pas annulée parce qu'un nombre important de la communauté a fait l'objet de
14 déplacement. Bien au contraire, l'association entre les actes de
15 destruction physique et les déplacements peut véritablement aboutir à la
16 disparition physique d'une communauté telle que cela fut le cas à
17 Srebrenica ainsi que dans les municipalités en 1992. Pour voir s'il y a une
18 intention de destruction physique d'une communauté, encore faut-il prendre
19 en considération les conséquences totales des actes que l'accusé a eu
20 l'intention d'infliger sur cette communauté. Il s'agit d'une erreur que de
21 les considérer comme des événements isolés et qui n'ont rien à voir les uns
22 avec les autres. Comme l'a indiqué M. le Juge Shahabuddeen dans son opinion
23 dans l'arrêt Krstic au paragraphe 35, seul le transfert forcé n'est pas
24 assimilable à un génocide :
25 "…toutefois, en l'espèce, il n'a pas été commis seul. Il faisait partie
26 intégrante d'un projet d'un génocide… impliquant des meurtres, des
27 transferts forcés et des destructions d'habitations."
28 De même, la Chambre d'appel dans l'affaire Tolimir a pris en considération
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1 l'effet conjugué de tous ces actes, à savoir : l'incendie des maisons, la
2 destruction des mosquées, le transfert forcé, les meurtres, et a conclu
3 qu'il y avait une intention de destruction physique de la communauté
4 musulmane de Srebrenica. Paragraphe 766 du jugement dans l'affaire Tolimir.
5 Et nous avons des éléments de preuve portant sur une formule assez
6 semblable pour les actes de destruction en l'espèce.
7 Pour conclure, Madame, Messieurs les Juges, Karadzic devrait répondre du
8 chef de génocide, du chef 1, concernant les municipalités en 1992, car le
9 critère assez bas indiqué par l'article 98 bis a été respecté.
10 Mais cet appel n'est pas tout simplement un appel portant sur une question
11 technique, parce que les intérêts de la justice sont tels que la
12 responsabilité de M. Karadzic pour le génocide devrait être prise en
13 considération de façon complète, car rejeter ce chef lors de la phase 98
14 bis n'est approprié que dans un cas très rare, à savoir lorsque la thèse de
15 l'Accusation s'est effondrée et lorsqu'il n'y a pas d'élément de preuve,
16 soit pour ce qui est de l'actus reus, soit pour ce qui est de la mens rea
17 du crime. Décision, article 98 bis dans l'affaire Dragomir Milosevic du 3
18 mai 2007.
19 Il s'agit tout simplement de déterminer à la fin de ce procès si M.
20 Karadzic, dirigeant Suprême militaire et politique des Serbes de Bosnie,
21 qui avait exprimé son intention d'éliminer les Musulmans et les Croates, et
22 a déchaîné, déclenché une campagne de destruction violente dans laquelle
23 s'est engouffrée la Bosnie-Herzégovine en 1992, est coupable de génocide.
24 Au cours des 20 dernières années de ce Tribunal, nous sommes devenus si
25 habitués à entendre parler de destruction haineuse qui sous-tend les crimes
26 en Bosnie-Herzégovine que nous courons peut-être le risque d'être devenus
27 complètement insensibles, car il serait judicieux de se souvenir pendant un
28 moment de la façon dont les choses étaient perçues de façon différente en
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1 1996.
2 Lorsqu'une Chambre de première instance de ce Tribunal a rendu sa
3 décision en application de l'article 61 contre Karadzic et Mladic à cette
4 époque, voilà ce qui avait été conclu par cette Chambre :
5 "Dans cette phase, la Chambre de première instance considère que
6 certains actes présentés pour examen auraient pu être planifiés ou ordonnés
7 avec une intention génocidaire. Cette intention dérive de l'effet conjugué
8 de discours ou de projets, qui jette la base des actes et qui les justifie,
9 de la portée massive de leurs effets de destruction et de leur nature
10 précise, dont le but était de laminer et de saper ce qui était considéré
11 comme le fondement même de ce groupe."
12 Quelque 15 années plus tard, nous avons présenté ces éléments de
13 preuve contre M. Karadzic à propos du chef de génocide. Ces éléments de
14 preuve, comme l'a indiqué M. Tieger, font plus que satisfaire le critère 98
15 bis. Et comme vous le savez pertinemment, il est important pour ce Tribunal
16 de répondre à cette question et d'y répondre de façon adéquate, car cela
17 est important pour le développement cohérent du droit, cela est extrêmement
18 important pour les Musulmans de Bosnie et les Croates de Bosnie qui se
19 trouvaient dans les municipalités visées en 1990 [comme interprété]. Ils
20 ont entendu M. Karadzic les menacer de génocide, ils ont vu, ils ont eu
21 l'expérience des actes de destruction déchaînés autour d'eux et ils
22 méritent d'entendre Radovan Karadzic répondre de ce chef, et le droit
23 l'exige également.
24 Je vous remercie.
25 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je vous remercie. J'aimerais
26 juste vous demander une précision. Vous faites référence aux effets
27 conjugués, aux effets conjugués sur le terrain. Qu'en est-il ?
28 Mme JARVIS : [interprétation] Ce que nous disons, c'est que de façon
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1 technique, il y a les éléments de preuve directs de l'intention de M.
2 Karadzic qui se conjuguent à l'actus reus du génocide, qui est tout à fait
3 satisfait en application du critère 98 bis. Et ce que nous disons, en fait,
4 c'est qu'il faut envisager la globalité des éléments de preuve, car il y a
5 des éléments de preuve directs qui sont renforcés par ce qui s'est passé
6 sur le terrain, et nous avançons que la conjugaison de ces différents
7 paramètres est suffisante pour déterminer que le critère 98 bis a été
8 rempli et pour justifier que soit rétabli le chef 1 de l'acte d'accusation.
9 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je vous remercie. Nous allons
10 faire une pause de 20 minutes, et nous reprendrons à 10 heures 32.
11 --- L'audience est suspendue à 10 heures 12.
12 --- L'audience est reprise à 10 heures 31.
13 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Réponse de la part de M. Karadzic.
14 Maître Robinson, vous avez la parole.
15 M. ROBINSON : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
16 Monsieur le Président, bonjour, Messieurs les Juges et membres de la
17 Chambre d'appel. Les arguments de l'Accusation, tout éloquent qu'il fut,
18 n'ont absolument pas mentionné le critère d'examen appliqué dans la
19 décision de la Chambre de première instance, et nous devons le faire ici.
20 Je dois dire que le Dr Karadzic et moi-même, nous sommes ravis d'avoir ce
21 rôle d'intimé devant la Chambre d'appel, car nous avons été appelant 14
22 fois déjà dans cette affaire, et nous avons perdu à chaque fois. On nous a
23 dit que les Chambres de première instance jouissent de pouvoirs
24 extraordinaires très importants lorsqu'il s'agit d'apprécier les éléments
25 de preuve, et que les Chambres de première instance sont les mieux placées
26 pour entendre, apprécier et soupeser les éléments de preuve présentés au
27 procès. On nous a dit que les décisions des Chambres de première instance
28 sont marquées par ces pouvoirs discrétionnaires de la Chambre de première
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1 instance, et sont en droit de recueillir un respect important et ne peuvent
2 être annulées que lorsqu'on déclare qu'elles sont manifestement incorrectes
3 ou déraisonnables. Le Dr Karadzic, par conséquent, fait valoir que le
4 critère d'examen en appel est de savoir si un Juge de fait raisonnable
5 aurait pu parvenir à la décision à laquelle il est parvenu, et non pas de
6 dire si l'Accusation a sous-entendu que la décision était correcte ou non.
7 L'Accusation dans son mémoire a cité l'affaire Jelisic, a fait valoir qu'un
8 critère d'examen moins important, moins élevé dans le cadre de l'article 98
9 bis, lorsque la décision a été prise, c'était le cas, et donc, la situation
10 était complètement différente, et nous aimerions vous expliquer pourquoi.
11 Dans l'affaire Jelisic, la Chambre s'est écartée de ce qui était passé dans
12 l'affaire Tadic dans le cadre de l'article 98 bis, en constatant que la
13 Chambre de première instance avait rendu sa décision sans permettre à
14 l'Accusation d'être entendue. La Chambre d'appel a également constaté que
15 la Chambre avait commis une erreur lorsqu'elle avait acquitté Jelesic, en
16 choisissant certains faits et non d'autres à la fin de la thèse de
17 l'Accusation, plutôt que de considérer qu'il fallait appliquer le seuil le
18 plus élevé.
19 La Chambre d'appel a dit que les principes dans l'affaire Tadic ne peuvent
20 être appliqués que dans le cas où la décision est une que le Juge du fait
21 raisonnable aurait dû prendre. Ceci n'a aucune incidence ici sur la
22 question de savoir si oui ou non la Chambre de première instance à
23 apprécier les éléments de preuve pertinents, et plutôt que de considérer le
24 seuil le plus élevé, la Chambre de première instance avait choisi
25 simplement certains éléments de preuve, comme la personnalité non
26 équilibrée de l'accusé, ou le caractère aléatoire de ses agissements, tout
27 en ignorant son intention expresse de tuer la majorité des Musulmans à
28 Brcko, qui se sont produits à la même époque où les meurtres qu'il a commis
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1 lui-même personnellement.
2 Ceci est un contraste flagrant avec l'approche de la Chambre de
3 première instance en l'espèce. Tout d'abord, la Chambre de première
4 instance a permis à l'Accusation d'être entendue de façon juste et
5 équitable, et a entendu les mêmes choses que ce que M. Tieger a dit
6 aujourd'hui.
7 Deuxièmement, la Chambre d'appel a expressément considéré et abordé
8 les éléments de preuve portant sur le génocide présenté par l'Accusation à
9 ce moment-là et n'a pas choisi parmi les éléments de preuve. Troisièmement,
10 la Chambre de première instance a utilisé la même méthodologie que la Cour
11 de justice internationale dans l'affaire la Bosnie contre la Serbie. La
12 Chambre de première instance, comme l'a fait la Chambre de première
13 instance dans l'affaire Brdjanin, en examinant les éléments de preuve qui
14 constituent l'élément matériel du génocide, des meurtres, et le fait
15 d'infliger des souffrances importantes et des conditions de vie calculées
16 pour entraîner la destruction d'un groupe, ainsi que des éléments de preuve
17 qui portent sur l'intention génocidaire, qui peuvent être déduites.
18 La Chambre de première instance a énuméré différentes catégories
19 d'éléments de preuve à partir desquels cette intention peut être déduite.
20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je cite la décision de la CIJ, et
21 ils ne se sont pas penchés sur quelque chose qui était l'équivalent de 98
22 bis.
23 M. ROBINSON : [interprétation] Bien, écoutez, je dois dire que le critère
24 retenu par la CIJ dans sa décision a appliqué en fait un seuil moins
25 important que celui qui est appliqué dans l'article 98 bis. C'était un
26 critère civil qui a été retenu essentiellement, et les éléments
27 convaincants qui ont été présentés indiquaient expressément qu'il y avait
28 un critère qui avait été utilisé, alors que dans le 98 bis on parle
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1 toujours d'éléments de preuve qui doivent être susceptibles de convaincre
2 qu'il y a eu un fait au-delà de tout doute raisonnable. Donc d'après nos
3 arguments, la CIJ en réalité a appliqué un critère plus bas que celui que
4 nous employons dans une affaire pénale, mais la Chambre de première
5 instance s'est penchée minutieusement sur ces éléments, et a reconnu
6 qu'elle avait le droit de considérer des catégories d'éléments de preuve à
7 partir desquelles elle pouvait déduire cette intention. Le contexte général
8 --
9 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Est-ce que vous avez terminé votre
10 réponse ?
11 M. ROBINSON : [interprétation] J'ai terminé la réponse que je souhaitais
12 faire à M. le Juge Robinson.
13 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je souhaitais simplement développer les
14 critères retenus dans le cadre de l'article 98 bis, ainsi que les
15 condamnations définitives à la fin du procès.
16 M. ROBINSON : [interprétation] Oui, et en fait j'ai l'intention de
17 présenter un argument eu égard à l'article 98 bis, et je crois que c'est un
18 élément essentiel en l'espèce, à savoir si cela réunie les conditions des
19 critères par opposition aux critères dans sa globalité à la fin de cette
20 affaire. Si vous me le permettez, en tout cas, je vais analyser ce critère
21 d'examen qui est extrêmement important afin d'établir les critères retenus
22 dans le cadre de l'article 98 bis. Donc, je regarde la Chambre de première
23 instance.
24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Pardonnez-moi. Je ne m'étais pas
25 rendu compte du fait que vous aviez terminé la réponse à ma question, parce
26 que je n'estime pas que la comparaison avec la CIJ soit particulièrement
27 heureuse, parce qu'il y a des différences importantes bien sûr, et on ne
28 parle pas d'une affaire pénale dans ce cas-là. Donc, je trouve que la
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1 comparaison n'est pas très utile.
2 M. ROBINSON : [interprétation] Néanmoins, si nous nous penchons sur des
3 affaires analogues, par exemple, lorsqu'il y a violation des questions de
4 la sécurité, une affaire civile ou une affaire pénale au cours de laquelle
5 quelqu'un est condamné pour avoir fait l'objet de fraude, on reconnaît que
6 les critères retenus dans une affaire civile, je ne sais pas en fait si
7 c'est un critère moins élevé qui est retenu que dans une affaire pénale au-
8 delà de tout doute raisonnable. Donc, en fait, même si les critères ne sont
9 pas identiques, il y a certainement des différences entre deux procès. Je
10 crois que c'est normal. Mais en cas de procédures pénales au cours de
11 laquelle la vie d'une personne est en jeu, cela fait toujours l'objet d'une
12 charge importante de la preuve plus importante que dans une affaire civile
13 lorsque la responsabilité des Etats est débattue.
14 Alors, si nous revenons sur la question de la Chambre de première instance
15 dans le cadre de l'article 98 bis, ils ont tenu compte de tous les facteurs
16 présentés par l'Accusation, à savoir si le génocide avait été commis, et
17 des différents éléments de preuve qui permettaient de déduire l'intention
18 génocidaire dont j'ai remis la liste ici. En conclusion, qu'il n'y avait
19 pas d'élément de preuve susceptible de justifier une condamnation, l'autre
20 Chambre de première instance n'a pas choisi parmi les éléments de preuve,
21 mais a abordé les éléments de preuve dans leur intégralité et a établi le
22 seuil le plus élevé. Après deux ans et demi de procès, après avoir entendu
23 196 témoins à charge, entendu la déposition de 148 témoins en vertu de
24 l'article 92 bis et 92 quater, versé au dossier plus de 7 000 pièces à
25 conviction, et a fait un constat judiciaire à la demande de l'Accusation
26 sur plus de 2 300 faits jugés. Dans l'affaire Jelisic, il s'agit d'un de
27 ces rares cas où la Chambre préalable au procès avait adopté une procédure
28 erronée, et s'est écartée du critère communément accepté d'examen, mais il
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1 n'y a pas eu de procédure erronée en l'espèce, et par conséquent, aucune
2 raison pour remplacer votre jugement par celui de la Chambre de première
3 instance.
4 Je souhaite maintenant aborder la question du critère retenu dans le cadre
5 du 98 bis, et qu'il s'agit là de l'élément essentiel de l'appel, le critère
6 juridique qui doit être appliqué à une requête aux fins d'un jugement
7 d'acquittement à la fin de la présentation des moyens à charge.
8 L'Accusation s'est plainte en fait parce que la Chambre de première
9 instance a acquitté le Dr Karadzic, mais pas parce qu'ils l'ont acquitté,
10 mais parce qu'ils l'ont acquitté trop tôt.
11 Alors, regardons cet article. A la fin de la présentation des moyens à
12 charge, la Chambre de première instance doit par décision orale, après
13 avoir entendu les arguments oraux des parties, prononcer l'acquittement de
14 tout chef d'accusation pour lequel il n'y a pas d'élément de preuve
15 susceptible de justifier une condamnation. On ne dit pas qu'il n'y a pas
16 d'élément de preuve relatif à un crime reproché, c'est ainsi que
17 l'interprète l'Accusation.
18 M. Tieger aujourd'hui à la page du compte rendu d'audience, page 7, ligne
19 1, a dit qu'il n'y avait pas d'élément de preuve susceptible d'étayer ce
20 chef d'accusation. Cela n'est pas exact. Il n'y a pas un élément de preuve.
21 Les éléments de preuve doivent atteindre ce niveau et être susceptibles
22 d'étayer une condamnation qu'une Chambre peut appliquer au-delà de tout
23 doute raisonnable, à savoir que le crime de génocide a été commis dans les
24 municipalités en 1992, et c'est exactement le critère qui a été retenu par
25 la Chambre de première instance en l'espèce.
26 Alors, regardons de plus près.
27 L'article a été cité correctement. Ils ont cité la jurisprudence du
28 Tribunal en vertu de l'article 98 bis et ont clairement exprimé quel
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1 critère est retenu, à savoir que les éléments de preuve sur lesquels se
2 repose un Juge de fait raisonnable et qui doit être satisfait des faits au-
3 delà de tout doute raisonnable de la culpabilité d'un accusé particulier
4 concernant le chef en question.
5 L'Accusation a dit à plusieurs reprises que le critère ne porte pas sur le
6 fait que la Chambre de première instance pourrait condamner, mais de savoir
7 si la Chambre de première instance condamnerait, et de surcroît, il a dit
8 qu'il doit exister des éléments de preuve susceptibles d'étayer un chef,
9 mais que les seuls éléments de preuve ne peuvent pas être crédibles. Un
10 acquittement serait à ce moment-là prononcé. C'est cela, le critère exact.
11 Il a indiqué également qu'il n'allait pas apprécier la crédibilité
12 des témoins, ni les forces et les faiblesses des éléments contradictoires.
13 Cela représentait également le critère correct. Et pour finir, la Chambre
14 de première instance est convaincue que même après avoir apprécié
15 l'ensemble des éléments de preuve présentés par l'Accusation, même si on
16 retient le niveau le plus élevé, aucun élément de preuve qui ne permettrait
17 de condamner l'accusé pour génocide au titre du chef 1. La Chambre de
18 première instance doit prononcer un jugement d'acquittement au titre du
19 chef 1 à ce stade, et c'est ce que la Chambre a fait effectivement. Ils ont
20 appliqué le critère adéquat, ils l'ont appliqué en l'espèce.
21 L'article 98 avait l'habitude de dire que la Chambre de première instance
22 doit prononcer une ordonnance portant sur le prononcé d'un acquittement ou
23 une requête de l'Accusation proprio motu, s'il estime que les éléments de
24 preuve suffisent pour étayer une condamnation ou à propos d'un chef ou de
25 ces chefs. Je souhaite aborder la question de savoir si ce changement dans
26 la formulation de l'article est insuffisant ou pas, et puisque la condition
27 a été modifiée. Si on regarde la charge au-delà de tout doute raisonnable
28 dans Jelisic, la Chambre d'appel a, de manière explicite, considéré que les
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1 notions de preuve au-delà de tout doute raisonnable devaient être
2 appliquées en vertu de l'article 98 bis.
3 Dans les affaires décidées après la modification de 98 bis en 2004,
4 au vu des contestations par l'accusé, dont les procès ont commencé après ou
5 avant que l'article ait été modifié, l'article ne devrait pas être
6 appliqué. Les Chambres de première instance ont dit aux accusés que le
7 critère relatif à cet article n'avait pas été modifié. Dans l'affaire Oric
8 en juin 2005, la Chambre de première instance a indiqué, la Chambre met en
9 exergue le fait qu'il y a entre les parties un accord sur la dernière
10 modification du 98 bis et que ce ceci ne modifie en rien le critère
11 d'examen qui doit être appliqué par la Chambre de première instance dans
12 l'exercice ou l'application du 98 bis. Dans l'affaire Krajisnik en août
13 2005, la Chambre de première instance a rejeté l'argument d'un préjudice à
14 l'accusé en raison de la modification de l'article en déclarant que le
15 critère d'examen restait inchangé. Dans l'affaire Dragomir Milosevic, la
16 Chambre de première instance a, de manière explicite, abordé les effets de
17 la modification en 2004. La Chambre de première instance a dit que la
18 nouvelle formulation précise qu'un acquittement doit être prononcé s'il n'y
19 a pas d'élément de preuve susceptible de justifier une condamnation, et la
20 Chambre a poursuivi en disant que cela avait toujours été le critère retenu
21 et cela a été cité par la Chambre d'appel dans l'affaire Jelisic. L'article
22 98 bis et le critère retenu ont été examinés en détail par la Chambre de
23 première instance dans l'affaire Slobodan Milosevic et une partie de sa
24 décision découlait de la jurisprudence du Royaume-Uni et cela est
25 particulièrement applicable en l'espèce. La Chambre a indiqué qu'il y avait
26 trois situations qui pouvaient découler de cet article. La première
27 situation était qu'aucun élément de preuve ne permettait de justifier une
28 condamnation ou qu'il y ait une requête aux fins d'un jugement
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1 d'acquittement. C'était les seules deux conditions possibles.
2 La troisième situation, à savoir s'il y a des éléments de preuve mais
3 qu'ils ne sont pas suffisamment forts ou faibles, cela dépend du point de
4 vue que l'on donne ou de la crédibilité ou de la fiabilité que l'on accorde
5 à un témoin, et donc le point de vue qui consiste à dire que ces faits
6 permettraient à une Chambre de première instance de condamner l'accusé, que
7 dans ces circonstances, la requête aux fins d'un acquittement doit être
8 rejetée. Dans la deuxième situation, il s'agit de quelque chose qui
9 s'applique ici, où il existe des éléments de preuve, mais ces éléments de
10 preuve sont tels que si l'on retient le critère le plus élevé, une Chambre
11 d'appel ne pourrait pas condamner l'accusé et la requête de l'accusé doit
12 être retenue. Cette formulation des trois situations a été reprise dans
13 l'article 98 bis, la décision rendue dans l'affaire Milutinovic en 2000
14 [comme interprété] et dans le cadre d'une audience 98 bis qui a été
15 modifiée, cela s'appliquait également. Et maintenant, il s'agit de réfuter
16 les arguments de l'Accusation en l'espèce, parce qu'il existe des éléments
17 de preuve, mais ils doivent être rejetés.
18 Si nous pouvons passer quelques instants à parler de la fonction de
19 l'article 98 bis dans un système qui ne dispose pas de jurés, quelque chose
20 qui a été considéré par M. le Juge Robinson, opinion concomitante dans
21 l'affaire Slobodan Milosevic.
22 Donc, un objet important consiste à dire qu'il n'y a pas suffisamment
23 de moyens de preuve pour qu'il y ait procès, ceci existe pour empêcher
24 qu'une condamnation injuste soit rendue par un néophyte qui fait partie des
25 jurés et qui peut être convaincu dans un sens ou dans un autres lorsqu'il
26 n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve. Mais comme M. le Juge Robinson
27 l'a indiqué, les requêtes aux fins du prononcé d'un acquittement à la fin
28 de la présentation des moyens à charge permettent également de favoriser
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1 une académie judiciaire, une fonction qui s'applique particulièrement étant
2 donné que les procès sont chers et que nous dépensons l'argent des Nations
3 Unies, qui pourrait par ailleurs être utilisé pour nourrir les personnes
4 qui ont faim et on pourrait traiter les malades et fournir un abri aux
5 sans-abri --
6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] S'agit-il de la déclaration du Juge
7 Robinson ?
8 M. ROBINSON : [interprétation] Non, en fait il s'agit d'un extrait du Juge
9 Robinson et de sa déclaration. J'espère que le compte rendu illustre cela
10 correctement. Une fois que les éléments de preuve ont été présentés, cela
11 fait sonner une cloche et un jugement d'acquittement ne correspond pas à la
12 formulation expresse de l'article 98 bis. Il faut qu'il y ait
13 interprétation par les Juges de la Chambre à la fois avant et après la
14 modification, parce que l'objectif de cet article existe toujours.
15 Après avoir établi que la Chambre de première instance a appliqué le
16 critère exact en vertu de l'article 98 bis et que sa décision ne peut pas
17 être modifiée, à moins qu'il s'agisse d'une décision qu'aucun Juge de fait
18 raisonnable n'aurait pu prendre. Alors, regardons maintenant le bien-fondé
19 de tout ceci.
20 L'Accusation dit que l'élément matériel et l'élément moral doivent
21 être constitués pour le génocide. En fait, il s'agit d'une interprétation
22 erronée, parce que le génocide est à la confluence de ces deux éléments
23 déterminants, il ne constitue pas seulement la simple existence de deux
24 éléments distincts. Des atrocités abominables ont été commises, et les
25 termes utilisés pour décrire l'actus reus -- l'actus reus vient en réalité
26 du latin et il s'agit d'un acte condamnable qui n'est pas le résultat ou
27 émanant d'un esprit coupable, et le résultat d'un esprit coupable n'est pas
28 un crime. Tout simplement parce qu'il y a des éléments de preuve attestant
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1 de l'élément matériel et de l'élément moral, cela ne signifie pas pour
2 autant qu'il y a génocide. Il doit y avoir un résultat. L'acte a des
3 conséquences en terme d'élément moral, et donc d'intention. Je peux avoir
4 une miche de pain, je peux avoir du jambon, cela ne signifie pas pour
5 autant que j'ai un sandwich au jambon. Il doit y avoir confluence des deux
6 pour qu'il y ait génocide.
7 Alors, regardons maintenant ce qui s'est passé dans la municipalité
8 en 1992 en regardant les éléments de preuve fournis par l'Accusation et en
9 prenant le seuil le plus élevé. Alors, si nous regardons les forces bosno-
10 serbes qui ont entouré et attaqué le village, ils sont entrés dans le
11 village, ils ont rassemblé la population musulmane, d'aucuns ont été tués,
12 d'aucuns ont été capturés, et un nombre très important a été transporté en
13 sécurité vers le territoire contrôlé par les Musulmans de Bosnie. Ceux qui
14 ont été fait prisonniers ont été emmenés dans des centres de détention où
15 ils ont souvent fait l'objet de mauvais traitements. Certains sont morts
16 sur les lieux, mais une grande majorité a été échangée contre des
17 prisonniers serbes ou relâchés. A maintes reprises, village après village,
18 ville après ville, dans ces centres de détention, les forces bosno-serbes
19 retenaient des dizaines et des milliers de Bosno-Musulmans sous leur garde
20 et leur contrôle. Ils avaient l'occasion et les moyens de les détruire, ils
21 auraient pu -- et en réalité, ils ont laissé partir une très grande
22 majorité de ces personnes. C'est la raison pour laquelle il n'y a pas eu
23 génocide dans ces municipalités. Nonobstant le fait, comme l'a dit la
24 Chambre de première instance, ces déclarations, même prises à leur plus
25 haut niveau, à partir duquel une intention génocidaire pouvait être déduite
26 de la part du Dr Karadzic, le général Mladic, Momcilo Krajisnik, Radoslav
27 Brdjanin, et d'autres membres de l'entreprise criminelle commune. Il n'y
28 avait simplement pas d'éléments de preuve qui auraient permis de dire que
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1 quelqu'un avait agi ainsi et commis des crimes aux fins de détruire les
2 Musulmans de Bosnie. Si effectivement Radovan Karadzic et le commandement
3 Suprême, ou le général Mladic, avaient eu l'intention de détruire les
4 Musulmans en tant que groupe, comment se fait-il que 98 % d'entre eux ont
5 permis d'échapper aux filets des forces bosno-serbes ? Ces forces
6 contrôlaient 70 % du territoire de Bosnie et la population bosno-musulmane
7 est décédée -- la population musulmane est décédée. A maintes reprises, les
8 forces de Radovan Karadzic et de Ratko Mladic leur ont non seulement permis
9 de partir mais les ont rassemblés pour les transporter. Et vous n'êtes pas
10 obligés de me croire, mais c'est la Chambre de première instance qui dit
11 cela également. La Cour de justice internationale a abordé ces mêmes faits,
12 ces mêmes déclarations, dans les mêmes municipalités après 14 ans de
13 procès, et ils sont parvenus à la même conclusion.
14 Et donc cette Chambre, et l'argument présenté par l'intimé ne permet pas en
15 fait de concilier le fait qu'il y a un mobile essentiel et que les
16 dirigeants serbes de Bosnie voulaient créer un grand état serbe en
17 provoquant la guerre et pour conquérir, si cela était nécessaire, et
18 détruire les Bosno-Musulmans et leurs communautés et les chasser.
19 D'après la Cour internationale de justice, ce qui a existé dans les
20 municipalités de Bosnie en 1992, c'est qu'il y avait déplacement et non pas
21 destruction.
22 La décision prise par la Cour de justice internationale consistait à dire
23 qu'il n'y a pas eu génocide dans les municipalités de Bosnie en 1992, et
24 cela est clair et sans équivoque. Et en se fondant sur --
25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] L'argument de l'Accusation consiste
26 à dire qu'il n'y a pas simplement eu déplacement, qu'il y a déplacement et
27 d'autres facteurs. C'est la raison pour laquelle je ne pense pas que vos
28 références au jugement rendu par la CIJ sont utiles. Je crois que cela va à
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1 l'encontre que de ce que vous pensez ils devraient -- car le jugement se
2 rapproche plus d'une situation qui est celle à la fin du procès, et j'ai
3 l'impression que les positions que vous présentez se fondent sur une
4 décision prise par la Chambre de première instance à la fin du procès. Dans
5 Jelisic, la Chambre d'appel a établi une distinction, en fait, et a dit que
6 le critère retenu n'est pas de savoir si un Juge de fait raisonnable
7 arriverait à une condamnation au-delà de tout doute raisonnable. Bien sûr,
8 l'élément de doute raisonnable est important ici, c'est un critère qui doit
9 être utilisé en réalité pour prononcer une condamnation au-delà de tout
10 doute raisonnable sur la base des éléments de preuve présentés par
11 l'Accusation. Donc si vous regardez tous les éléments de preuve qui
12 évoquent une éventuelle condamnation, les éléments de preuve indiquent
13 qu'il y a une éventuelle culpabilité, non pas une certitude, et non pas
14 certitude de la culpabilité. Et c'est la raison pour laquelle je crois
15 qu'il y a une ligne de démarcation très fine entre la situation à la fin
16 d'un procès et la situation au milieu du procès.
17 Encore une fois, je ne comprends pas que l'Accusation soit en train de dire
18 que s'il y a des éléments de preuve il faut qu'on aille jusqu'à la fin du
19 procès. Je parle de votre commentaire à propos des éléments de preuve. Il
20 existe des éléments de preuve qui soulèvent cette question du caractère
21 raisonnable d'une condamnation éventuelle.
22 M. ROBINSON : [interprétation] Je suis d'accord. C'est la raison pour
23 laquelle l'article précise que cela doit être susceptible de justifier une
24 condamnation. Donc là-dessus, je suis d'accord. Ensuite, la question est de
25 savoir si les éléments de preuve sont susceptibles de justifier une
26 condamnation ? La Chambre de première instance a regardé ceci dans le
27 détail. Ils ont entendu tous les éléments de preuve que vous avez entendus
28 et décidé qu'il y avait des éléments de preuve qui n'étaient pas
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1 susceptibles d'étayer une condamnation.
2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais écoutez, vous dites en fait que
3 ce que dit l'Accusation ne peut être assimilable à rien, la seule situation
4 dans laquelle, d'après vous, les arguments qu'ils présentent pourraient
5 prévaloir c'est si -- et vous dites en fait que la thèse de l'Accusation
6 s'est complètement effondrée. Une fois que la Chambre de première instance
7 a soupesé les éléments de preuve pour parvenir à une décision, ensuite
8 l'article 98 bis exige que le procès doit aller jusqu'à la fin, parce qu'il
9 doit soupeser les éléments de preuve, et dans ce cas il n'agit pas
10 correctement. Cela signifie qu'il existe des éléments de preuve. Le fait
11 que vous ayez des éléments de preuve à soupeser signifie forcément qu'il
12 existe des éléments de preuve sur la base desquels un Juge de fait
13 raisonnable pourrait condamner, et donc le procès doit aller jusqu'à la
14 fin.
15 M. ROBINSON : [interprétation] Exactement, et je crois que la Chambre de
16 première instance pense exactement la même chose. Et nous n'avons pas de
17 problème avec ça.
18 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous dites que la thèse de
19 l'Accusation s'est complètement effondrée concernant ces questions-là ?
20 M. ROBINSON : [interprétation] Non, je pense qu'en fait cela s'est effondré
21 et il s'agit d'un concept différent. Lorsqu'ils présentent des éléments de
22 preuve et que cela porte sur le crédit à accorder aux éléments de preuve,
23 ils présentent des témoins et des témoins sont détruits, entre guillemets,
24 par le contre-interrogatoire et la thèse s'effondre. Donc, c'est un aspect,
25 et en fait, c'est pour ça que la thèse de l'Accusation s'effondre et que le
26 critère de 98 bis ici ne peut pas être retenu. Il n'y a pas d'éléments de
27 preuve qui permettent d'étayer un génocide. De toute façon, il n'y a pas
28 d'éléments de preuve qui permettent de montrer qu'il y a eu des faits,
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1 qu'il y a eu des faits commis dans les municipalités et qu'il y a eu
2 intention de détruire, il n'y a pas d'éléments de preuve qui sont
3 crédibles, et c'est la raison pour laquelle la thèse s'effondre, il n'y a
4 pas d'éléments de preuve, de toute façon. C'est ce que dit en fait la Cour
5 internationale de justice.
6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Bon, laissons la Cour internationale
7 de justice de côté.
8 La question est de savoir s'ils avaient capacité de commettre avec
9 l'intention, et c'est, à mon humble avis, s'il n'y a pas eu intention.
10 M. ROBINSON : [interprétation] Ecoutez, à ce moment-là vous changez le
11 critère. Le critère est de savoir si on peut constater qu'il y a intention
12 au-delà de tout doute raisonnable, non pas de savoir si l'Accusation ou la
13 Défense ont la charge de démontrer qu'il y a eu au-delà de tout doute
14 raisonnable pas d'éléments de preuve permettant de l'étayer. Donc je ne
15 pense pas qu'il y ait une formulation au-delà de tout doute raisonnable qui
16 peut être appliquée à l'article 98 bis.
17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Une question raisonnable est de
18 savoir si les éléments de preuve permettent de donner lieu à cette
19 intention génocidaire. Et cela ne peut être décidé qu'à la fin de
20 l'affaire.
21 M. ROBINSON : [interprétation] S'il existe des éléments de preuve que l'on
22 considère en prenant le critère le plus élevé capable de démontrer qu'il y
23 a eu intention génocidaire, cela doit être traité à la fin du procès. C'est
24 la question de savoir si la Chambre de première instance a été présentée
25 avec suffisamment d'éléments, c'est la question qui se pose, et la Chambre
26 de première instance a décidé que cela n'était pas le cas, qu'il n'y a
27 rien. Ce n'est pas la même question que vous posez. La question que vous
28 soulevez est de savoir si la décision prise par la Chambre de première
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1 instance était déraisonnable et qu'aucune personne censée n'aurait pu
2 prendre cette décision-là.
3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ecoutez, je souhaite vous dire que
4 je ne suis pas d'accord, et sans doute que la Chambre d'appel aura à
5 traiter de cette question. A mon sens, la question essentielle qui est
6 posée par cette décision rendue dans le cadre de 98 bis est en termes de la
7 formulation de l'article 98 bis en tant que telle, à savoir si dans le
8 dossier il y a suffisamment d'éléments de preuve qui permettent de façon
9 raisonnable d'évoquer la question d'une condamnation éventuelle. Donc, il
10 faut, à mon sens, qu'il y ait examen des éléments de preuve, et ça c'est
11 l'exercice essentiel qui doit être fait. Nous devons analyser les éléments
12 de preuve. Et bien sûr, si nous arrivons au moment où votre argument peut
13 être retenu parce que la Chambre d'appel a commis des erreurs en appréciant
14 les éléments de preuve. Je ne dis pas que mon analyse est celle qui
15 consiste à dire que ce qu'a dit la Chambre de première instance n'est pas
16 pertinent, mais si vous constatez au moment où vous analysez les éléments
17 de preuve qu'il n'existe pas d'éléments de preuve susceptibles de façon
18 raisonnable de justifier une condamnation, les éléments de preuve qui
19 permettent raisonnablement de penser qu'il peut y avoir culpabilité, à mon
20 sens c'est quelque chose qui doit être abordé à la fin du procès et ne peut
21 pas être décidé au milieu du gué.
22 Non, bien sûr, la Chambre de première instance est intervenue, et il y a de
23 nombreux moyens d'appel qui ont été présentés, mais à mon sens tous ces
24 moyens d'appel montrent que cela porte sur la question de savoir si oui ou
25 non les éléments du dossier permettent de soulever cette éventualité, à
26 savoir une condamnation, parce que si vous constatez qu'il n'y a rien dans
27 le dossier qui peut être étayé aux moyens des éléments de preuve, dans ce
28 cas on indique que la Chambre de première instance a commis une erreur.
Page 48
1 Cela signifie que la Chambre de première instance a commis une erreur.
2 M. ROBINSON : [interprétation] Je crois que nous ne sommes pas en désaccord
3 pour ce qui est du rôle de l'article 98 bis. Il y a des éléments de preuve
4 qui ont été identifiés soit au niveau de la Chambre de première instance,
5 voire même aujourd'hui, qui montrent que les actes qui ont été commis dans
6 les municipalités ont été commis avec l'intention de détruire. La Chambre
7 de première instance s'est penchée minutieusement sur le critère approprié,
8 et tout ce qu'elle était censée faire, et est parvenue à la conclusion de
9 façon unanime qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve. Donc
10 ils n'ont pas commis d'erreur dans leur approche. Ils n'ont pas commis
11 d'erreur au niveau de leur méthodologie. Si vous n'êtes pas d'accord avec
12 leurs conclusions, je ne pense pas que c'est à vous de remplacer leur
13 jugement, mais si vous constatez qu'ils ont commis une erreur, à ce moment-
14 là il serait déraisonnable, car aucun Juge de fait raisonnable n'aurait pu
15 parvenir à cette conclusion, parce qu'ils sont libres de s'écarter des
16 conclusions et d'aborder les éléments de preuve lorsqu'il y a eu confluence
17 entre une intention active dans les municipalités de Bosnie et qui rendent
18 la décision de la Chambre de première instance incorrecte, et donc moins
19 raisonnable.
20 Mais étant donné que la Cour de justice internationale -- alors attendez,
21 je vais vous présenter d'autres affaires.
22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je ne suis pas contre la Cour
23 internationale de justice, je vais préciser, avec référence à l'affaire qui
24 soit utile, s'il vous plaît.
25 M. ROBINSON : [interprétation] Si vous regardez les décisions qui ont été
26 prises et sur quel fondement ils ont pris leurs décisions, et cela devrait
27 être le cas --
28 M. LE JUGE ROBINSON : [aucune interprétation]
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1 M. ROBINSON : [interprétation] Regardons, en fait, le TPIY. Si nous
2 regardons les conclusions qui ont été rendues, il est très difficile de
3 comprendre comment deux cours de La Haye, à 1 kilomètre l'une de l'autre,
4 sont parvenues à des conclusions tout à fait différentes au vu des mêmes
5 éléments de preuve, c'est exactement le cas si les mêmes éléments de preuve
6 sont présentés. Parlons, en fait, de ce qui se passe dans ce bâtiment-ci,
7 dans ce Tribunal. Si nous commençons simplement par l'affaire Momcilo
8 Krajisnik, le président de l'assemblée de la Republika Srpska, décrit par
9 l'Accusation comme étant le bras droit du Dr Karadzic qui a été accusé de
10 ces mêmes actes, dans ces mêmes municipalités, mêmes déclarations qui ont
11 été appréciées par la Chambre de première instance, et la Chambre de
12 première instance a sans équivoque constaté qu'il n'y avait pas eu génocide
13 dans ces municipalités. Nous avons eu le même résultat dans l'affaire
14 Brdjanin qui est intervenu le président de la Région autonome de Krajina,
15 cette affaire où il y a eu participation de la municipalité de Prijedor; et
16 l'affaire Sikirica où il y a eu participation du commandant des camps de
17 prison tristement célèbres bosno-serbes.
18 L'Accusation maintenant s'est penchée sur le poids à accorder et l'autorité
19 dont ils ont fait preuve et ils ont fourni quelque chose de nouveau dans le
20 cadre de ce procès, mais dans leur mémoire en appel et leur mémoire en
21 réplique, ils n'ont pas indiqué un seul élément de preuve qui est nouveau
22 dans l'affaire Karadzic. Ils ont recyclé leurs anciens discours ou
23 déclarations utilisés dans les affaires Stakic, Brdjanin et Krajisnik, et
24 ils sont parvenus au même résultat.
25 Alors, je souhaite maintenant parler de l'argument présenté par
26 l'Accusation, à savoir que les Chambres de première instance ont rejeté les
27 requêtes dans le cadre de l'article 98 bis pour un prononcé de
28 l'acquittement pour des charges de génocide dans les municipalités et, par
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1 conséquent, la Chambre de première instance doit rejeter notre requête à ce
2 stade. Et effectivement, cela s'applique dans l'affaire Stakic, Brdjanin,
3 Slobodan Milosevic, et les affaires Krajisnik. La Chambre de première
4 instance a rejeté de telles requêtes pendant les années 2003 à 2005, et
5 ensuite je vais vous poser cette question-ci : à supposer que vous avez un
6 fils ou une fille qui souhaite se rendre à Harvard et que ses notes ne sont
7 pas extraordinaires, mais comme nous aimons tous nos enfants nous pensons
8 qu'ils sont brillants, et donc nous souhaitons que notre enfant y aille, et
9 vous pensez que cet enfant peut tout à fait être admis à Harvard, et
10 certainement vous allez les encourager et leur demander de présenter leur
11 candidature, et à savoir -- bon, si leur application est rejetée, c'est
12 rejeté. Dans ce même cas, la demande de l'Accusation pour qu'il y ait
13 condamnation pour génocide a été rejetée dans l'affaire Stakic en 2003. La
14 deuxième année, ils reviennent et, en prenant l'exemple de l'enfant : Je
15 peux entrer à Harvard, et il faut essayer. Et donc ils essaient, même si ça
16 a été rejeté. L'Accusation, dans le cadre de l'affaire, ça a été rejeté
17 dans Brdjanin en 2004. Les éléments de preuve ne permettaient pas de
18 prouver qu'il y avait eu génocide. Et la troisième année, ils reviennent,
19 et encore une fois vous répétez la même chose et vous réessayez, et
20 l'enfant est rejeté, comme les éléments de preuve dans l'Accusation ont été
21 rejetés dans l'affaire Krajisnik en 2006.
22 Le même organe international revient et dit à vos fils et filles que leurs
23 notes ne sont pas suffisantes et ne leur permettent pas d'entrer à Harvard,
24 comme la Cour internationale de justice a dit que ce qui s'est passé dans
25 les municipalités ne permet pas d'être qualifié de génocide. Et c'est votre
26 fils ou votre fille qui revient après tout, et dit : Je peux entrer à
27 Harvard. Et je crois que vous aimez beaucoup votre enfant, donc il serait
28 raisonnable d'être prudent, de lui dire non et de lui dire : Tu ne peux pas
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1 entrer à Harvard. C'est ce qu'a fait la Chambre de première instance ici.
2 Ils ont dit à l'Accusation en 2012 après que toutes ces décisions aient été
3 prises, et ces événements examinés de près tant de fois que les éléments de
4 preuve ne permettent pas d'étayer le génocide.
5 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Monsieur Robinson, vous avez terminé ?
6 Puisque nous sommes en avance, nous allons maintenant nous tourner vers
7 l'Accusation pour qu'il y ait réplique de la part de l'Accusation. Ou, en
8 réalité, oui, je crois que nous pourrions utiliser les 20 prochaines
9 minutes et avoir une pause. Inutile d'avoir une pause maintenant. Donc,
10 vous pourrez commencer et nous pourrons avoir une pause après, à 11 heures
11 30.
12 M. TIEGER : [interprétation] Je voulais suggérer, en fait, de faire une
13 pause, en partie parce que le système d'affichage du compte rendu sur mon
14 écran ne fonctionne pas. En fait, je n'ai pas pu suivre et revenir en
15 arrière pour consulter les arguments qui ont été présentés. De mon point de
16 vue, je pense qu'il serait plus efficace de faire la pause maintenant pour
17 reprendre ensuite. Alors, manifestement, je ne rejette pas la suggestion de
18 la Chambre mais j'exprime ma préférence.
19 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Très bien. Un instant.
20 [La Chambre de première instance et le juriste se concertent]
21 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Nous allons maintenant faire une pause
22 de 20 minutes, ce qui signifie que nous reprendrons à 11 heures 30.
23 --- L'audience est suspendue à 11 heures 10.
24 --- L'audience est reprise à 11 heures 33.
25 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Avant que nous ne redonnions la parole
26 à l'Accusation, je pense que M. le Juge Robinson avait une question à
27 poser.
28 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Robinson, une petite
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1 précision, car vous avez fait référence à une règle ou un article très
2 connu en matière d'appel. Il s'agit donc de la Chambre d'appel qui accorde
3 une certaine déférence aux conclusions de la Chambre de première instance,
4 mais cela, bien entendu, a trait aux constatations. Alors, ce qui est
5 indiqué ici, c'est que la Chambre de première instance a commis une erreur
6 de droit lorsqu'elle a interprété et appliqué l'article 98 bis, mais bien
7 entendu, ce principe consistant à accorder la déférence n'est pas valable
8 lorsqu'il s'agit d'erreurs de droit.
9 M. ROBINSON : [interprétation] Je pense que lorsqu'il s'agit de questions
10 de droit, il ne s'agit pas de savoir s'ils ont utilisé à bon escient
11 l'article 98 bis, mais il s'agit de prendre en considération d'autres
12 questions, telle que par exemple les atteintes graves à l'intégrité
13 physique pour l'actus reus. La question qui est au cœur du débat est de
14 voir s'il y avait des éléments de preuve susceptibles d'étayer ou de
15 justifier une conviction. C'est cela que conteste l'Accusation. Ils nous
16 disent qu'il existe des éléments de preuve susceptibles de justifier une
17 condamnation, et nous, nous avançons que tel n'est pas le cas. Pour moi, il
18 s'agit d'une question de faits, une question d'évaluation des éléments de
19 preuve. Bien entendu, lorsque vous prendrez vos décisions, il s'agit
20 d'évaluer les éléments de preuve dans le cadre d'un arrêt, et là, vous
21 utiliserez la norme relative à la déférence. Je pense que l'on pourrait
22 déterminer cette situation, par exemple un appelant qui a été condamné
23 après un procès, ils utilisent donc le critère du au-delà de tout doute
24 raisonnable, ils l'ont mal utilisé, parce que les éléments de preuve
25 montrent qu'il existe un doute raisonnable. L'Accusation nous indique que
26 éléments de preuve démontrent qu'ils sont capables de prouver ce qu'ils
27 avancent, et --
28 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Là, je pense que -- si nous
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1 constatons qu'ils n'ont pas bien compris ou bien interprété le sens de
2 l'article 98 bis, en ce qui me concerne il s'agit d'une question de droit.
3 M. ROBINSON : [interprétation] Si vous concluez qu'ils ont mal utilisé le
4 critère de l'article 98 bis, tout comme dans l'affaire Jelisic, vous
5 pourriez en fait annuler, sur cette base, cela, parce qu'il s'agit d'une
6 question de droit. La question est comment est-ce que l'on peut interpréter
7 la décision de la Chambre de première instance et l'approche qu'elle a
8 suivie pour y arriver à cette décision et déterminer s'il y a eu une erreur
9 dans le cadre de la méthodologie 98 bis. Vous n'êtes peut-être pas d'accord
10 avec leur conclusion --
11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Non. En fait, ce n'est pas une
12 question de raisonnement. Le raisonnement ne pose pas de problème, mais là
13 où j'ai des problèmes, c'est lorsqu'il s'agit de l'application de ces
14 principes.
15 M. ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie.
16 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Avant de donner la parole, j'ai une
17 question à poser à M. Tieger.
18 Je pense qu'un peu plus tôt, aux pages 30 et 31, vous avez cité une
19 déclaration de M. Karadzic, pièce D92, et vous avancez qu'il a dit ce qui
20 suit : "Ce conflit a été suscité ou exacerbé afin d'éliminer les
21 Musulmans."
22 J'ai regardé et consulté ladite pièce, et je crois comprendre que M.
23 Karadzic avait déclaré qu'il y avait une certaine vérité dans la
24 déclaration suivant laquelle l'Europe avait réveillé ce conflit afin
25 d'éliminer "les Musulmans". Si ce que j'avance est exact dans ce contexte,
26 est-ce que vous continuez à avancer que la déclaration de M. Karadzic,
27 appréciée à sa valeur maximale, correspond ou constitue un élément de
28 preuve selon lequel M. Karadzic était animé d'une intention génocidaire ?
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1 Je ne fais référence à aucune autre déclaration. Je parle de cette
2 déclaration bien précise.
3 M. TIEGER : [interprétation] Je ne réfute pas le contexte factuel de
4 la discussion au sein de l'assemblée et le contexte général que vous avez
5 rappelé même si je n'ai pas la déclaration devant moi en ce moment, mais
6 j'insiste toutefois sur cette chose : en attribuant la responsabilité du
7 début du conflit aux Européens ou à la Communauté européenne, cela
8 n'élimine pas en quelque sorte le caractère destructif des actes qui se
9 sont déroulés par la suite. En d'autres termes, il ne s'agit pas de
10 suggérer que d'une façon ou d'une autre, ce sont les Européens dont les
11 forces sont engagées à éliminer les Musulmans, mais plutôt, ce dont il
12 s'agit c'est de réitérer des déclarations qui ont déjà été avancées dans
13 d'autres contextes par M. Karadzic, à savoir les circonstances sont telles
14 qu'elles nous contraignent à faire ce que nous faisons en l'espèce,
15 éliminer les Musulmans qui sont en train de disparaître. Ils disparaissent,
16 comme le contexte de cette assemblée l'indique de façon très, très claire,
17 comme je l'ai décrit un peu plus tôt, ils disparaissent parce qu'ils sont
18 placés dans des centres de détention où les conditions d'existence sont
19 absolument atroces. Ils sont en train de disparaître à la suite des
20 attaques lancées contre leur communauté, à la suite des tueries massives,
21 et ils disparaissent à la suite de différents actes qui ont déjà été
22 décrits.
23 Excusez-moi, j'ai été un peu long en vous fournissant cette réponse,
24 mais une fois de plus, se concentrer sur la responsabilité alléguée des
25 Européens ne signifie pas pour autant que l'on minimise l'intention
26 relative aux actes commis par les forces de M. Karadzic.
27 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Oui, mais je continue néanmoins à
28 penser - et nous sommes tous d'accord à le penser - à savoir qu'il aurait
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1 été beaucoup plus judicieux de citer exactement les propos de M. Karadzic
2 plutôt que de nous donner une citation approximative. Ceci étant dit, je
3 comprends fort bien votre explication.
4 Monsieur le Juge Liu.
5 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Monsieur Tieger, je pense que la réponse
6 de Me Robinson à ma question ne m'a pas été extrêmement utile, donc
7 j'aimerais que vous nous présentiez votre réponse et que vous nous
8 indiquiez comment vous comprenez la procédure d'examen et de révision dans
9 le cadre de l'article 98 bis. Est-ce qu'il s'agit du caractère raisonnable
10 ou plutôt de ce qui est au-delà de tout doute raisonnable ? Merci.
11 M. TIEGER : [interprétation] Dans un premier temps, je vais vous indiquer
12 que c'est justement un élément auquel allait répondre Mme Jarvis et auquel
13 elle va répondre de façon plus détaillée, mais je peux y répondre
14 immédiatement puisque vous m'avez posé cette question. Je vous dirais que
15 vous avez justement mis le doigt sur la distinction qui existe, à savoir
16 que la différence entre le 98 bis et ce qui est prononcé à la fin d'un
17 procès englobe la différence à laquelle a fait référence à plusieurs
18 reprises M. le Juge Robinson lors de son dialogue avec Me Robinson, à
19 savoir la différence qui consiste à évaluer tous les éléments de preuve à
20 la fin du procès afin de déterminer si cela constitue une preuve des
21 allégations au-delà de tout doute raisonnable. Cela est extrêmement
22 différent de la norme ou du critère de l'article 98 bis, pour de très
23 bonnes raisons, d'ailleurs, car là, il y a donc des arguments qui sont
24 présentés de façon orale sans avoir l'explication complète donnée par les
25 mémoires écrits et sans avoir évalué de façon totale la globalité des
26 éléments de preuve. Le critère consiste à voir si les éléments de preuve
27 sont susceptibles d'étayer une condamnation.
28 Comme je vous l'ai déjà dit, Mme Jarvis va s'intéresser à cette question de
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1 façon beaucoup plus détaillée, mais je pense que vous avez su identifier
2 une distinction extrêmement importante que les arguments de la Défense
3 essaient de flouter.
4 M. LE JUGE MERON : [interprétation] J'ai encore une question à vous poser,
5 Maître Robinson.
6 Car je regarde la pièce P3405, paragraphe 95, dont je vais vous
7 donner lecture : Il s'agit d'une déclaration de témoin. Le témoin indique
8 qu'il a rencontré Sveto Veselinovic, un dirigeant municipal, qui a relaté
9 au témoin qu'il avait eu des réunions avec M. Karadzic où :
10 "Il avait été décidé qu'un tiers des Musulmans devrait être tués, un tiers
11 devrait être converti à la religion orthodoxe, et un tiers partirait de son
12 propre gré et, par conséquent, de ce fait, les Musulmans disparaîtraient du
13 territoire."
14 La réunion était avec M. Sveto Veselinovic. Est-ce que ce type de
15 déclaration ne nous fournit pas une preuve directe de l'intention
16 génocidaire ?
17 M. ROBINSON : [interprétation] Oui. Mais la question qu'il convient de se
18 poser consiste à voir s'il y a eu acte après cela, ou si le génocide a bel
19 et bien eu lieu, et si les éléments de preuve appréciés à leur valeur
20 maximale pourraient être considérés comme des éléments de preuve
21 d'intention génocidaire.
22 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je vous remercie, Maître Robinson.
23 Fort bien. Nous allons maintenant entendre la réplique de
24 l'Accusation.
25 Mme JARVIS : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président,
26 Madame, Messieurs les Juges. Nous pouvons être très brefs. Nous avons juste
27 quelques éléments que nous souhaiterions mettre en exergue à la suite de la
28 réponse apportée par l'intimé aujourd'hui, et nous allons également
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1 rebondir sur certaines questions que vous nous avez posées pendant le début
2 de l'audience. Dans un premier temps, j'aimerais en fait parler de la
3 question du critère d'examen pour un appel dans le cadre de l'article 98
4 bis, car Me Robinson a suggéré que nous ne nous étions pas intéressés à la
5 question aujourd'hui, mais je dois vous dire que nous avons abondamment
6 abordé cette question dans notre mémoire en appel, et notamment au
7 paragraphe 20 de notre mémoire en réplique. La raison pour laquelle nous
8 n'avons pas mis l'accent sur cela aujourd'hui, c'est qu'en fait, le droit
9 établit particulièrement bien ce qu'il en est. Ce n'est pas la peine de
10 revenir là-dessus. Vous avez l'arrêt de l'affaire Jelisic, c'est la
11 première fois que la Chambre avait été saisie d'un appel au titre de
12 l'article 98 bis, qui indique de façon très, très claire ce qui en est,
13 nous avons décrit, en fait, la conclusion pertinente émanant de l'arrêt
14 Jelisic à la fin du paragraphe 20 de notre mémoire. Et nous indiquons donc
15 que la Chambre peut annuler la décision de la Chambre s'il est déterminé
16 qu'il y a des éléments de preuve qui auraient pu fournir une base à partir
17 de laquelle toute Chambre raisonnable pourrait conclure que l'accusé est
18 coupable.
19 Et, bien entendu, lorsque nous appliquons cela, nous prenons également en
20 considération les interdictions en matière de mise en balance des éléments
21 de preuve et de trier sur le volet les éléments de preuve. Ce que nous
22 avançons est très clair. Nous ne voyons aucune base de limiter l'arrêt
23 Jelisic. Il n'y a rien, en fait, qui suggère que cela ne serait pas
24 également applicable aujourd'hui pour cet appel.
25 Alors, bien entendu, vous avez les réponses eu égard au critère de
26 l'article 98 bis, et cela est lié à la notion qu'il n'y a pas d'erreur
27 juridique faite par la Chambre de première instance lorsqu'elle a évalué le
28 chef 1. Pour nous, il est important de ne pas oublier que non seulement il
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1 y a des erreurs d'interprétation et d'application de l'article 98 bis,
2 comme cela est indiqué dans les formules qu'ils ont retenues, mais il y a
3 également des erreurs juridiques pour ce qui est de l'approche et du
4 raisonnement à propos du génocide, et ces deux choses qui nous ont fait
5 comprendre qu'il y avait ce problème à propos du chef 1.
6 Alors, j'hésite maintenant à aborder la décision de la CIJ, mais je ne vais
7 pas passer beaucoup de temps à en parler.
8 Alors, bien entendu, nous sommes entièrement d'accord avec les observations
9 de M. le Juge Robinson qui a indiqué pourquoi cette affaire n'est pas très
10 utile en l'espèce. Alors, bien entendu, il ne s'agit pas d'une affaire
11 pénale. Il ne s'agissait pas de la responsabilité pénale individuelle d'une
12 seule personne accusée, le Dr Radovan Karadzic, en l'occurrence, et c'est
13 ce qui nous occupe ici dans ce Tribunal.
14 La CIJ ne disposait pas des mêmes éléments de preuve, des déclarations
15 directes prononcées par M. Karadzic, donc on ne peut pas comparer ces deux
16 affaires, de ce fait.
17 Pour ce qui est de la norme, comme M. le Juge Robinson l'a si brillamment
18 décrit, la CIJ a utilisé une norme différente, dans un premier temps, et
19 puis une norme beaucoup plus élevée, en quelque sorte, que celle que l'on
20 retient dans le cadre de l'article 98 bis. Parce qu'en fait, ils se sont
21 demandés s'ils pouvaient être absolument convaincus du point de vue avancé
22 par le requérant. En fait, force est de constater qu'il faut mettre en
23 balance les éléments de preuve, qu'il faut évaluer cela à la fin du procès
24 et non pas lors de la phase 98 bis.
25 Et comme l'a indiqué et reconnu M. le Juge Robinson également, la décision
26 de la CIJ a été prise de façon un peu tributaire ou en fonction de ce que
27 ce Tribunal avait dit à propos de la question de génocide, non pas dans
28 l'étape 98 bis, mais à la fin, en fait, du procès dans d'autres affaires.
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1 Donc, c'est pour cela que nous avons avancé ce que nous avons avancé à
2 propos du chef de génocide pour M. Radovan Karadzic. Donc, pour toutes ces
3 raisons, toutes ces raisons militent en faveur de ce que nous avons avancé,
4 à savoir le jugement de la CIJ nous est très peu utile.
5 Troisièmement, je voulais mentionner les arguments avancés par l'intimé, à
6 savoir il faudrait -- nous pouvons avoir l'actus reus qui est indépendant
7 de la mens rea, mais nous n'avons pas de convergence entre les deux.
8 Eh bien, nous avançons justement le contraire. Parce que ce que nous
9 disons, c'est que vous devez avoir convergence entre l'actus reus et la
10 mens rea par rapport à la personne accusée, et c'est exactement ce que
11 démontrent les éléments de preuve. La seule façon de parvenir à la
12 conclusion préconisée par Me Robinson est de tomber dans le piège de la
13 conception du génocide objectif. Si vous faites abstraction de la question
14 relative à l'intention de M. Karadzic et si vous prenez en considération
15 les éléments de preuve relatifs à un génocide vu de façon objective sur le
16 terrain. Et, bien entendu, on ne se fonde sur rien lorsqu'on avance qu'il
17 faut qu'il y ait convergence entre l'actus reus et la mens rea pour
18 déterminer la responsabilité pénale.
19 Et puis, quatrièmement, ce que j'aimerais dire, et cela se trouve déjà dans
20 notre mémoire, l'intimé insiste lourdement sur le fait que l'Accusation au
21 sein de ce Tribunal n'a jamais connu le succès lorsqu'il s'agissait de
22 prouver le génocide dans les municipalités. Alors, bien entendu, cela est
23 exact, mais il n'est pas exact de dire que l'Accusation n'était pas tout
24 près du but à un moment donné, et j'aimerais revenir sur la décision dans
25 l'arrêt Stakic où la Chambre d'appel a accepté, en fait, que pour la
26 municipalité de Prijedor, les constatations de la Chambre de première
27 instance pouvaient être considérées comme suffisantes pour justifier une
28 condamnation pour génocide mais qu'elle n'était pas préparée ou disposée à
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1 le dire au vu de la norme de déférence vis-à-vis des conclusions de la
2 Chambre de première instance, elle ne souhaitait pas dire que la Chambre de
3 première instance avait fait une erreur. Donc, ne soyons pas un peu trop
4 rapides en besogne lorsque l'on pense que pour 1992 tous les chefs de
5 génocide de l'Accusation ont toujours été très facilement réfutés; cela
6 n'est pas le cas. Bien entendu, ce qui est beaucoup plus important, et
7 c'est ce qui s'est passé à l'étape 98 bis, la façon dont le critère a été
8 utilisé. Et là, à chaque fois, les efforts de l'Accusation ont été
9 couronnés de succès. Si vous suivez le même scénario, si vous utilisez à
10 bon escient le critère, vous ne pouvez pas parvenir à une conclusion
11 différente. D'ailleurs, M. Tieger a posé une question : comment est-ce que
12 nous pourrions expliquer aux victimes que d'autre accusés, tels que
13 Slobodan Milosevic, auraient pu être considérés comme coupables de génocide
14 à l'étape 98 bis au vu et compte tenu des décisions faites par M. Karadzic,
15 au moins en partie, et pourtant, nous ne demandons même pas à M. Karadzic
16 de répondre de ces chefs d'accusation.
17 Et puis, finalement, l'intimé a suggéré, pour ce qui est du critère du 98
18 bis, que tout dépendait de la façon dont les éléments de preuve seraient
19 pondérés. Alors, pour répondre à la question que M. le Juge Meron vient de
20 poser, à savoir la question qui visait les décisions précises de M.
21 Karadzic que vous avez mentionnées, il a répondu par l'affirmative. Et je
22 pense qu'il vient d'accepter quelque chose d'assez extraordinaire dans le
23 contexte du critère de l'article 98 bis, puisqu'il a répondu oui. Alors, ce
24 n'est qu'en utilisant à mauvais escient la norme qui nous pouvons parvenir
25 à la conclusion qui a été celle de la Chambre de première instance.
26 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je pense que Me Robinson ne s'est
27 pas contenté de dire oui, il a ajouté quelque chose.
28 Mme JARVIS : [interprétation] Je pense à nouveau que Me Robinson, ce qu'il
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1 a ajouté, en fait, c'est que tout dépendait de la façon dont les éléments
2 de preuve allaient être mis en balance. Ce qu'il suggère, en d'autres
3 termes, c'est qu'il faut tout simplement voir quels sont les différents
4 paramètres ou facteurs pris en considération et voir s'ils suffisent pour
5 étayer un chef de génocide. Et nous disons que c'est là où réside le
6 problème fondamental, car c'est une question qu'il faut se poser à la fin
7 du procès, comme l'a indiqué M. le Juge Robinson à maintes reprises.
8 Il serait extrêmement problématique que ce Tribunal, de façon prématurée,
9 règle la question du chef 1 à cette étape de la procédure, car c'est une
10 question fondamentale, une question qui émane de la campagne criminelle
11 menée à bien en Bosnie en 1992, et c'est une question qu'il faut
12 véritablement prendre en considération, que ce Tribunal doit faire au vu de
13 tout le dossier de tous les éléments de preuve et de tous les arguments
14 présentés par les parties.
15 Je vous remercie.
16 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je vous remercie, et j'aimerais
17 remercier véritablement les parties qui ont été très brèves, qui ont parlé
18 de façon très brève, et qui se sont concentrées sur leurs arguments afin de
19 faciliter la tâche de la Chambre d'appel.
20 Monsieur Karadzic.
21 L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Excellences. J'apprécie grandement cette
22 occasion qui m'est donnée de m'adresser à vous.
23 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Juste un instant. Nous devons nous
24 brancher sur le bon canal pour entendre l'interprétation. Reprenez, s'il
25 vous plaît.
26 L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Excellences. Je vous exprime mes
27 remerciements pour cette occasion de m'adresser à vous. Avec votre
28 permission, cependant, je souhaite dire que mon conseil de la Défense, Me
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1 Robinson, n'a pas utilisé la totalité de son temps pour me laisser
2 davantage de temps, si bien que j'ose espérer que vous m'accorderez un peu
3 plus de dix minutes à la lumière de ce qui n'a pas été utilisé par Me
4 Robinson.
5 Je crois qu'aujourd'hui nous ne débattons pas de la valeur ou du poids des
6 éléments de preuve. Par ailleurs, je ne suis pas juriste, et en la matière
7 je m'appuie intégralement sur les capacités exceptionnelles de mon conseil,
8 Me Robinson, ainsi que sur ses collaborateurs. Ni la présente Chambre ni la
9 Chambre de première instance ne fonctionnent dans un système de jury, ce
10 qui m'épargne la nécessité de me présenter sous un jour le plus convaincant
11 et le plus favorable possible. C'est pourquoi je vais m'efforcer de
12 m'adresser à des personnes honorables avant toute chose.
13 Bien que je ne sois pas juriste, je sais mieux que quiconque en ce monde
14 quelle est la réalité factuelle de la guerre en Bosnie, et je sais si je
15 suis ou non responsable de quelque chose. Comment le sais-je ? Parce que je
16 sais non seulement ce que j'ai fait, mais également ce que je pensais et ce
17 que je ressentais, ce qui me causait du chagrin, ce que je voulais moi-même
18 et quels étaient ceux de mes collaborateurs que je prenais en considération
19 et dont les opinions étaient importantes pour moi.
20 L'acte d'accusation dans son chef numéro 1 me reproche le génocide. Je ne
21 vais pas maintenant dire que je n'en suis pas coupable, mais je dirais que
22 personne n'en est coupable parce qu'il n'y a pas eu de génocide. Ce crime
23 n'aurait pas été possible et aucun crime de guerre n'aurait été possible
24 sans la guerre; or, la Chambre de première instance dispose d'une abondance
25 d'éléments de preuve indiquant que la partie serbe, avec moi-même à sa
26 tête, et moi-même en particulier, avons fait tout notre possible pour
27 éviter la guerre. Lorsque celle-ci a éclaté, elle est apparue là où la
28 partie adverse voulait qu'il y ait une guerre. Dans la majorité des
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1 municipalités où a éclaté la guerre, celle-ci a éclaté quatre à six
2 semaines après le début de la guerre à Sarajevo; donc pendant quatre à six
3 semaines ils ont réussi à sauvegarder la paix, et ce, dans les parties du
4 territoire contrôlé par les Serbes.
5 Dans la majorité des municipalités, il n'y a eu absolument aucune guerre et
6 aucun crime. Des agglomérations entièrement musulmanes ont subsisté pendant
7 toute la durée de la guerre et jusqu'à aujourd'hui. Même dans les
8 municipalités où il y avait eu conflits, affrontements, guerre et crimes,
9 tels qu'ils accompagnent une guerre civile, il y avait des villages
10 purement croates ou musulmans qui n'ont subi aucune perte et aucun dommage.
11 Il n'y avait donc aucun fondement ethnique ou religieux à ces événements.
12 Le fondement, c'était le comportement des personnes, là où il y avait des
13 combats il y avait également des crimes, et nous conviendrons que la partie
14 serbe n'avait absolument aucun intérêt à provoquer des conflits armés dans
15 la profondeur du territoire qu'elle contrôlait. Cela aurait été stupide et,
16 dans ce cas-là, il n'y aurait pas non plus de responsabilité pénale parce
17 que quelqu'un qui n'est pas responsable au point de prendre une décision
18 aussi stupide ne peut être considéré comme responsable.
19 Les villages donc qui se trouvaient en profondeur du territoire serbe sont
20 restés intacts. Il y en a de tels villages. Les affirmations de
21 l'Accusation selon lesquelles nous aurions agi contre les Musulmans ne
22 tiennent pas la route parce que nous passions des accords avec les
23 dirigeants musulmans qui avaient une orientation européenne, nous avions
24 des accords pour sauvegarder autant que possible la paix. Nous avons
25 renoncé à nos propres projets dans l'intérêt de la préservation de la
26 Bosnie-Herzégovine en tant qu'entité dans son intégralité au sein de la
27 Yougoslavie et au bénéfice d'une vie aux côtés des Musulmans dans un Etat
28 où il y aurait eu pratiquement autant de Musulmans qu'il y avait de Serbes.
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1 Quand j'étais en politique, je suis par ailleurs médecin et écrivain, j'ai
2 donné des centaines d'entretiens et fait des centaines de déclarations.
3 J'ai émis des centaines de documents, des ordres, des décisions, mais
4 l'Accusation n'est en mesure de retrouver aucun passage cohérent, pas le
5 moindre passage qui fournirait suffisamment d'éléments de contexte pour
6 identifier une intention génocidaire de ma part ou la moins intention
7 criminelle d'ailleurs.
8 Le Président Meron a bien remarqué ce qui était manquant dans la façon dont
9 ma décision a été citée. Ce que vous avez entendu, c'est une partie de mon
10 discours du 15 octobre 1991 devant l'assemblée, un discours qui
11 s'inscrivait avec une très grande force contre la guerre, où je n'encourage
12 pas les Musulmans à faire la guerre, mais j'essaie de les en dissuader. Et
13 même ce qui a été présenté de ce discours est en fait contre la guerre.
14 Moi, j'essaie de dissuader ces communautés de s'engager dans la guerre, et
15 je propose des solutions pour que l'on puisse sauvegarder la paix ou, en
16 tout cas, renoncer à la guerre, je propose des concessions.
17 Et les documents dont nous disposons, qui émanaient des plus hauts
18 représentants de la communauté internationale, comme c'était le cas de feu
19 Cyrus Vance, eh bien, parmi eux nous avons le document du 8 mars 1992, où
20 il indique que Karadzic est prêt à tout faire pour éviter la guerre, à tous
21 prix. Parmi ce qui n'a pas été présenté aux Juges des différents passages
22 de ce discours du 15 octobre 1991, il y a la pièce D1270, pages 122 à 124
23 en serbe et page 116 à 118 en anglais, j'y déclare la chose suivante :
24 "Je dois apporter des précisions sur un point qui découle de
25 l'interprétation de ce qui est dit à cette tribune. Ceci concerne la
26 question de la guerre et de la paix. Je dois pour la centième fois répéter
27 que les Serbes ne profèrent aucune menace de guerre", et cetera, et cetera.
28 "Les Serbes n'ont jamais attaqué les Musulmans, ni ne les attaqueront
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1 jamais, pas plus qu'il n'existe un tel état d'esprit à l'encontre des
2 Musulmans."
3 Je souhaite vous dire que les Serbes considéraient les Croates comme leur
4 principal ennemi, et ils considéraient les Musulmans comme étant des Serbes
5 de confession musulmane ou, en tout cas, des personnes ayant les mêmes
6 racines ethniques.
7 Je poursuis la citation :
8 "Mais le chaos qui pourrait résulter de décisions illégales revenant à
9 mettre une partie de la population en minorité, le chaos qui pourrait
10 s'ensuivre, le chaos dont personne en particulier ne sera responsable mais
11 qui a sa logique propre et dont nous avons tout parlé, ce chaos n'est pas
12 entre nos mains. Ce qui est entre nos mains, c'est l'ordre. En revanche, ce
13 chaos pourrait conduire à des situations que personne ne sera en mesure de
14 diriger."
15 A la page suivante, je milite pour que :
16 "…dans le monde entier on publie le soir même que les Serbes, les Croates
17 et les Musulmans ne se feront pas la guerre. C'est la façon dont nous
18 pouvons envoyer un message selon lequel il n'y aura pas de guerre, qu'il
19 n'y aura pas de chaos, parce que si l'ordre est entre nos mains, le chaos
20 n'est plus entre les mains de personne."
21 Je vous recommande, Excellences, également ce qui a été à l'esprit des
22 Juges de la Chambre de première instance, à savoir mon discours du 15
23 janvier 1991 lorsque j'ai accepté les propositions de la partie musulmane,
24 à savoir que l'on reporte le référendum et que l'on organise celui-ci, le
25 nôtre, le référendum, uniquement à partir de la mise en place de la
26 régionalisation. Aujourd'hui, il a été dit dans le cadre de la réplique par
27 Mme le Procureur que vous n'auriez pas eu à votre disposition toutes les
28 déclarations. Cependant, ce que vous avez vu ne confirme pas les dires de
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1 l'Accusation. Or, la Chambre de première instance, lorsqu'elle a pris sa
2 décision, a bien disposé de ce que vous n'avez pas eu entre les mains et
3 sous vos yeux.
4 Or, ce que l'Accusation a présenté ne montre pas et ne confirme pas ce que
5 l'Accusation affirme. De la même façon, on a fait des citations de
6 déclarations brèves, et notamment ce qu'a remarqué son Excellence, M. le
7 Juge Meron. Je ne me réjouis pas de la guerre. Je la regrette profondément.
8 Je ne me réjouis pas de la disparition des Musulmans, mais je regrette on
9 ne peut plus profondément que cela se soit passé ainsi, je critique la
10 direction des Musulmans qui les emmène dans cette direction qui nous porte
11 atteinte à tous et, avant tout, leur porte atteinte à eux. Donc, quand on
12 parle d'élément moral, la mens rea, c'est dans des milliers de documents,
13 qu'il s'agisse d'entretiens ou de déclarations faites par moi, l'Accusation
14 n'a été en mesure de retrouver aucune trace d'une intention génocidaire.
15 Dans les documents que j'ai émis pendant la guerre, il faut dire que près
16 de 80 % d'entre eux sont des documents qui concernent l'arrêt des
17 activités, le passage des convois humanitaires, l'aide à apporter à chacune
18 des trois communautés, et notamment aux civils. Il s'agit de documents qui
19 concernent la nécessité de faire preuve de modération. Donc, il n'y a pas
20 la moindre trace d'intention génocidaire. Dans les documents que
21 l'assemblée a adoptés, il n'y a pas le moindre texte de loi, pas la moindre
22 décision qui reviendrait à une discrimination contre les Croates ou les
23 Musulmans. Mais même si cela n'était pas le cas, et même si on laissait
24 tout cela de côté, il n'y a pas de génocide sur le terrain, Excellences,
25 parce que la guerre a eu lieu là où l'autre partie souhaitait la guerre, là
26 où des combats ont été provoqués. Et la Chambre de première instance a
27 disposé de tous ces éléments, à savoir que là où on a provoqué des
28 conflits, il y a eu des combats. Or, l'Etat a toujours été contre les
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1 crimes.
2 La Chambre de première instance a pu se convaincre que lorsqu'un auteur
3 commettait un crime, dès ce moment, il craignait les mesures dont il
4 pouvait faire l'objet de la part de son supérieur direct. Par exemple, un
5 gardien avait immédiatement peur des mesures qui pouvaient être prises par
6 le chef qui organisait les relèves. Donc, très, très loin hiérarchiquement
7 du niveau où je me trouvais. Or, entre ces deux niveaux extrêmes, il y
8 avait de très nombreuses instances qui existaient, des instances
9 intermédiaires, et nous avons pu voir dans d'innombrables documents que
10 l'auteur matériel d'un tel crime craignait déjà les mesures qui pouvaient
11 être prises par le supérieur qui se trouvait immédiatement au-dessus de lui
12 dans la hiérarchie.
13 M. LE JUGE MERON : [interprétation] J'apprécierais grandement que vous
14 concluiez. Je vous ai déjà donné du temps supplémentaire.
15 L'ACCUSÉ : [interprétation] Excusez-moi. Je ne m'en serais peut-être pas
16 rendu compte. Je pensais bénéficier encore de temps supplémentaire grâce à
17 Me Robinson.
18 Me Robinson a dit qu'un expert de l'Accusation a fait état du nombre de
19 victimes côté musulman en trois ans de guerre, en pourcentages, et côté
20 serbe, il y a eu plus de victimes, 2,8 %, bien que les Musulmans aient fait
21 la guerre avec les Serbes, avec les Croates et avec M. Fikret Abdic.
22 Il n'y a pas eu de génocide, Excellences. Il n'y a eu de génocide nulle
23 part. Il y a eu des crimes, en revanche, mais l'Etat travaillait à prévenir
24 et à punir ces crimes, la Chambre de première instance a eu l'occasion de
25 s'en convaincre, et je crois que le temps ne fera que confirmer et
26 renforcer ce que je viens d'affirmer et ne fera que confirmer que la thèse
27 de l'Accusation est erronée.
28 Je vous remercie, Excellences. Je n'ai rien d'autre à ajouter.
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1 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Merci, Monsieur Karadzic.
2 Je voudrais remercier encore une fois les parties pour les arguments
3 qu'elles ont présentés aujourd'hui. Je souhaite remercier mes confrères de
4 la Chambre d'appel, je remercie également les interprètes pour l'excellence
5 dont ils ont fait preuve.
6 L'audience d'aujourd'hui est donc close. L'arrêt de la Chambre d'appel sera
7 rendu en temps voulu.
8 --- L'audience de l'audience d'appel est levée à 12 heures 10.
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