Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Le 15 mai 1995.)

2 (Président : Juge Karibi-Whyte) L'audience est ouverte à 10 heures.)

3 M. le Président (interprétation): Pouvez-vous m'entendre ? Je

4 demanderai à tous les intervenants de parler de façon claire, de

5 façon audible. Je demanderai au greffier de prendre la parole.

6 Le greffier (interprétation) : l'Affaire IT-95-5-D : Requête

7 déposée par le Procureur aux fins de demander officiellement le

8 dessaisissement par le gouvernement de la Bosnie-Herzégovine des ses

9 enquêtes et poursuites pénales concernant Radovan Karadžic,

10 Ratko Mladic et Mico Stanisic.

11 M. Goldstone (interprétation) : Messieurs, je me présente avec le

12 Procureur adjoint, M. Blewitt et le Substitut du Procureur,

13 M. Niemann.

14 (Problème technique de transmission de l'interprétation).

15 M. le Président (interprétation): Est-ce que le Procureur peut

16 représenter l'objet de sa requête ?

17 M. Goldstone (interprétation) : M. Blewitt présentera la requête.

18 M. Blewitt (interprétation) : La semaine dernière, l'autre Chambre de

19 première instance de ce Tribunal a accueilli une requête du Procureur

20 concernant le dessaisissement par le gouvernement de la République de

21 Bosnie-Herzégovine de ses enquêtes et poursuites pénales relatives à

22 des crimes qui auraient été commis par des forces croates bosniaques

23 contre la population civile de la vallée de la rivière Lasva en

24 Bosnie centrale. Dans la requête déposée aujourd'hui devant cette

25 Chambre de première instance, le Procureur propose au gouvernement de

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1 la République de Bosnie- Herzégovine d'autres enquêtes et poursuites

2 en faveur du Tribunal. Cette fois, le Procureur souhaite obtenir le

3 transfert en faveur du Tribunal des enquêtes menées par le

4 gouvernement bosniaque sur les activités criminelles alléguées de

5 Radovan Karadžic, Ratko Mladic et Mico Stanisic. La présente requęte

6 en dessaisissement s'inscrit dans la politique du Procureur qui

7 consiste à examiner la responsabilité pénale individuelle de

8 personnes en position d'autorité et de contrôle supérieure. Dans le

9 cadre de cette stratégie, des enquêtes sont ouvertes concernant des

10 personnes ayant donné l'ordre illégal de commettre des crimes

11 relevant de la compétence de ce Tribunal. Cette politique consiste

12 également à ouvrir des instructions concernant des comportements

13 criminels, en se fondant sur le principe de la responsabilité des

14 supérieurs hiérarchiques. Dans le contexte du présent dossier, les

15 enquêtes concernent des personnes en position d'autorité supérieure

16 qui s'abstiennent ou se sont abstenues d'empêcher leurs subordonnés

17 d'adopter un comportement criminel ou de les décourager de se

18 comporter de manière illégale. Cette responsabilité est engagée dès

19 lors que la personne en position d'autorité savait ou avait des

20 raisons de savoir que ses subordonnés s'apprêtaient à commettre ou

21 avaient commis des crimes et qu'elle n'a pas pris des mesures

22 nécessaires ou raisonnables pour empêcher que pareils crimes soient

23 commis ou pour en punir les auteurs. Je souhaiterais maintenant vous

24 parler de la portée des enquêtes du Procureur. Dès que le Bureau du

25 Procureur a commencé ses activités vers la mi 1994, il a consacré une

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1 partie significative de ses premières enquêtes aux personnes en

2 position d'autorités responsables de violations graves du droit

3 international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-

4 Yougoslavie. C'est encore le cas actuellement et il en demeurera

5 ainsi. En ce qui concerne les allégations selon lesquelles pareilles

6 violations graves auraient été commises en Bosnie-Herzégovine par des

7 Serbes bosniaques, le Bureau du Procureur a orienté ses enquêtes sur

8 la responsabilité pénale individuelle des dirigeants de

9 l'administration serbe bosniaque à Pale et notamment des personnes en

10 position d'autorité. Dans le cadre de ses enquêtes, le Procureur

11 examine une série d'allégations relatives à des infractions relevant

12 de la compétence du Tribunal, y compris le génocide, les actes

13 criminels contre des civils comme le meurtre, le viol, la torture et

14 aux actes de cruauté ainsi que la destruction de biens et monuments

15 culturels et historiques. Ces mêmes infractions font également

16 l'objet d'enquêtes conduites par les représentants du gouvernement de

17 la République de Bosnie-Herzégovine ; j'aborderai cette question plus

18 loin dans mes conclusions. La responsabilité pénale alléguée de

19 Radovan Karadžic, Ratko Mladic a d'emblée occupé une place centrale

20 dans toutes les enquêtes du Tribunal relatives à des allégations

21 contre des Serbes bosniaques ; celle de Mico Stanisic est venue s'y

22 ajouter plus récemment. Le Procureur a déjà déposé des actes

23 d'accusation chargeant d'autres personnes de génocide, meurtres,

24 viols, mauvais traitements infligés à des civils, tortures et autres

25 infractions perpétrées dans le cadre du fonctionnement des camps de

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1 détention et d'offensives lancées contre des civils non armées. A

2 partir de ces actes d'accusation, le Procureur examine en outre la

3 responsabilité pénale individuelle pour ces crimes de personnes en

4 position d'autorité, et notamment de Radovan Karadžic, Ratko Mladic

5 et Mico Stanisic. Une enquête importante du Procureur qui n'a pas

6 encore donné lieu au dépôt d'acte d'accusation concerne le siège

7 prolongé de Sarajevo où des allégations concernant des faits illégaux

8 passés et présents de pilonnage et de tirs embusqués ont provoqué

9 plusieurs milliers de morts et de blessés parmi la population civile.

10 Des bâtiments non militaires comme des hôpitaux et des monuments

11 culturels ont également été illégalement pris pour cible, le

12 Procureur enquête en particulier sur les tirs embusqués délibérés et

13 systématiques qui auraient été dirigés contre la population civile et

14 notamment des personnes âgées, des enfants en bas âge, ainsi que sur

15 la perpétration de violence sexuelle, d'autres offensives contre des

16 civils dans des tramways, par exemple, dans des files d'attente pour

17 du pain et pendant des funérailles. Le Procureur enquête également

18 sur d'autres infractions alléguées ayant trait à des offensives

19 illégales contre des membres civiles d'organisations humanitaires,

20 des forces de maintien de la paix des Nations Unies, des convois

21 d'aide humanitaire et des avions transportant du personnel sur

22 l'aéroport de Sarajevo. Dans le cadre de l'enquête sur Sarajevo, le

23 Procureur examine la responsabilité individuelle des personnes en

24 position d'autorité, et notamment de Radovan Karadžic, Ratko Mladic.

25 Selon l'annexe jointe à la requête du Procureur, il est indiqué que

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1 Radovan Karadžic est né le 19 juin 1945 dans la municipalité de

2 Savnik en République du Monténégro. Il est psychiatre de profession,

3 et a travaillé pour la clinique psychiatrique du Centre médical

4 universitaire de Sarajevo. Il a été membre fondateur et président du

5 parti démocratique serbe, de ce qui était à l'époque la République

6 socialiste de Bosnie-Herzégovine. Après les premières élections ayant

7 opposé plusieurs partis dans la République, Radovan Karadžic s'est

8 imposé à la tête du principal parti politique des Serbes de Bosnie et

9 a joué un rôle actif dans la vie politique national du pays

10 exacerbant le nationalisme serbe. Radovan Karadžic est l'un des

11 principaux architectes du programme politique de ce parti qui se

12 caractérise par un nationalisme extrême et des politiques et

13 objectifs d'ordre ethnique. Il a été le premier à assurer la

14 présidence de l'administration serbe bosniaque à Pale dont la

15 constitution prévoit que le président détient le commandement des

16 forces armées. Radovan Karadžic exerce son pouvoir et son contrôle

17 depuis Pale, une ville proche de Sarajevo. Il agit en tant que

18 président de l'administration serbe bosniaque à Pale et il est

19 considéré comme tel par la communauté internationale. En cette

20 qualité, Radovan Karadžic a notamment pris part ŕ des négociations

21 internationales et a personnellement signé des accords de cessez-le-

22 feu et d'aide humanitaire notamment qui ont été respectés. Concernant

23 le suspect Ratko Mladic, il est né en 1943 dans la municipalité de

24 Kalinovic, en République de Bosnie-Herzégovine ; il est officier

25 militaire de carrière et s'est vu confier son premier commandement en

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1 1965. Durant l'été 1991, il a été nommé à la tête du 9e Corps de

2 l'armée populaire yougoslave, connue sous les initiales JNA, cela en

3 République de Croatie. Il a ensuite pris le commandement des forces

4 armées du 2e district militaire de l'armée populaire yougoslave, la

5 JNA, qui est devenue dans les faits l'armée serbe bosniaque. En cette

6 qualité, il a négocié des accords, portant notamment sur le cessez-

7 le-feu et l'échange de prisonniers lesquels ont été respectés. Tant

8 Radovan Karadžic que Ratko Mladi} ont été prévenus ŕ maintes reprises

9 dans des rapports de la presse internationale et de gouvernements

10 ainsi que d'organisations non gouvernementales, et dans des rapports

11 et des résolutions des Nations Unies et d'autres organisations

12 internationales, de l'existence de violations du droit international

13 humanitaire qui auraient été commises par des forces sous leur

14 contrôle. Les enquêtes du Procureur examinent notamment le fait que

15 ces deux suspects n'auraient apparemment pas pris les mesures

16 nécessaires et raisonnables pour empêcher que de tels crimes soient

17 commis pour les réprimer ou pour en punir les auteurs. Le troisième

18 suspect nommément désigné dans la requête du Procureur, Mico

19 Stanisic, est né le 30 juin 1954 près de Pale, en République de

20 Bosnie- Herzégovine. Il a été le premier ministre des affaires

21 intérieures de l'administration serbe bosniaque à Pale. En cette

22 qualité, il était notamment responsable des forces de police

23 régulières et spéciales au niveau régional et local, sur le

24 territoire contrôlé par les Serbes de Bosnie. Le Procureur a

25 notamment ouvert des enquêtes portant sur des allégations selon

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1 lesquelles ces forces de police auraient activement participé à

2 l'organisation d'une campagne de terreur contre la population non

3 serbe de Bosnie-Herzégovine. Je souhaiterais maintenant vous parler

4 des enquêtes du gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine.

5 L'annexe jointe à la requête du Procureur dans ce dossier décrit la

6 nature des enquêtes menées à l'heure actuelle par le gouvernement de

7 la République de Bosnie-Herzégovine lesquelles portent sur des crimes

8 de guerre, des violations de la législation pénale de la République y

9 compris le génocide, des crimes de guerre contre la population civile

10 et la destruction de monuments culturels et historiques. Un certain

11 nombre de personnes sont nommément désignées dans ces enquêtes et

12 notamment Radovan Karadžic, président de l'administration serbe

13 bosniaque à Pale, Ratko Mladic, commandant militaire des forces

14 armées serbes bosniaques et Mico Stanisic, ancien ministre des

15 affaires intérieures de ladite administration. Des mandats d'arrêts

16 nationaux ont été émis contre ces suspects nommément désignés,

17 autorisant le placement en détention des suspects durant un mois,

18 pour permettre la poursuite des enquêtes du gouvernement bosniaque.

19 Je souhaiterais maintenant présenter à la Chambre de première

20 instance les motifs justifiant l'introduction de la requête.

21 Permettez-moi à présent d'exposer à la Chambre ces motifs. Le

22 gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine a engagé des

23 enquêtes et des poursuites au niveau national contre

24 Radovan Karadžic, Ratko Mladic et Mico Stanisic, en ce qui concerne

25 des crimes qui auraient été perpétrés sur son territoire. L'objet de

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1 ces enquêtes et poursuites pénales nationales porte sur des faits ou

2 des points de droit qui ont une incidence sur les enquêtes ou des

3 poursuites en cours devant le Tribunal. Deuxièmement, le Procureur de

4 ce Tribunal conduit actuellement des enquêtes sur des crimes relevant

5 de la compétence du Tribunal qui ont été perpétrés sur le territoire

6 de la République de Bosnie-Herzégovine, et dans le cadre desquels des

7 soupçons pèsent sur Radovan Karadžic, Ratko Mladic et Mico Stanisic

8 et ces enquêtes ont commencées à la mi 1994 comme je vous l'ai déjà

9 dit. Dans une lettre datée du 12 décembre 1994, le ministre de la

10 justice du gouvernement bosniaque a proposé que le Tribunal prenne le

11 relais de ces enquêtes sur Radovan Karadžic et Ratko Mladi} ; de

12 plus, dans sa déclaration écrite déposée auprès du Greffe de ce

13 Tribunal, le lundi 8 mai 1995, le gouvernement bosniaque a proposé

14 une nouvelle fois de se dessaisir de ces enquêtes en faveur du

15 Tribunal, précisant qu'il ne s'opposait pas à l'émission d'une

16 demande officielle de dessaisissement de toutes les enquêtes et

17 poursuites pénales concernant Radovan Karadžic, Ratko Mladic et

18 Mico Stanisic. Quatrième raison : il est affirmé au paragraphe 11 de

19 ladite déclaration écrite qu'en l'absence de demande officielle

20 émanant du Tribunal, la République entend poursuivre ses enquêtes

21 concernant Radovan Karadžic, Ratko Mladic et Mico Stanisic et

22 engagera les procès. Le Tribunal estime que cette ligne de conduite

23 n'est pas souhaitable et serait contraire aux intérêts de la justice.

24 En tout cas, il est affirmé que le présent Tribunal est l'organe

25 approprié pour juger les suspects nommément désignés dans la présente

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1 requête notamment eu égard à la gravité des crimes, faisant l'objet

2 des enquêtes du Procureur. La cinquième raison est que le Procureur

3 du présent Tribunal est mieux en mesure de prendre contact avec des

4 témoins vivants dans d'autres pays et de procéder à des interviews en

5 dehors du territoire de la Bosnie-Herzégovine, ce qui plaide d'autant

6 en faveur d'un dessaisissement dans ce dossier. Sixièmement et dans

7 le même ordre d'idée, il est affirmé qu'il convient de faire droit à

8 la présente requête parce que nombre de témoins déterminants vivent

9 en dehors de la République de Bosnie-Herzégovine et pourraient

10 hésiter à retourner et à voyager en Bosnie-Herzégovine, pour

11 témoigner dans le cadre d'un procès national ; le Procureur est donc

12 mieux en mesure de réunir des éléments de preuve, de mener à bien des

13 enquêtes et de produire lesdits de preuve devant le Tribunal. Il est

14 affirmé en outre que le dessaisissement des enquêtes du gouvernement

15 bosniaque concernant Radovan Karadžic, Ratko Mladic et Mico Stanisic

16 est susceptible d'encourager et de permettre à des gouvernements, des

17 organisations non gouvernementales et autres sources de communiquer

18 au Tribunal des éléments de preuve et des informations non encore

19 transmises à ce jour, suite à l'annonce du dépôt des deux requêtes en

20 dessaisissement, certains gouvernements et certaines organisations

21 non gouvernementales ont adopté une attitude plus positive à l'égard

22 du Tribunal. Il y a de nombreuses conséquences pour le Tribunal, de

23 la poursuite par le gouvernement bosniaque de ces enquêtes et

24 poursuites pénales ; si la poursuite par le gouvernement de la

25 République de Bosnie-Herzégovine continue à mener des enquêtes

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1 parallèles à celles menées par le Bureau du Procureur, cela

2 entraînerait plusieurs conséquences significatives pour les enquêtes

3 du Procureur et toutes poursuites ultérieures devant le Tribunal. A

4 cet égard, il est affirmé que les enquêtes du Procureur qui n'ont pas

5 encore été menées à bien pouvaient subir un préjudice sévère et

6 considérable si l'instruction et les poursuites engagées par le

7 gouvernement bosniaque se poursuivaient. En premier lieu, il est fort

8 probable qu'une confusion considérable pourrait naître dans l'esprit

9 de témoins et d'organisations ou de gouvernements disposés à coopérer

10 quant à la portée et l'autorité des enquêtes menées en parallèle par

11 le Tribunal et le gouvernement bosniaque. A cet égard, les règles et

12 mesures de confidentialité qui régissent les deux instructions sont

13 différentes. Cependant, ce qu'il y a lieu de redouter le plus est

14 qu'un fardeau excessif soit imposé à des témoins interrogés à

15 diverses reprises par des organes d'investigation différents et que

16 leur crédibilité soit compromise suite à la création involontaire de

17 dépositions divergentes. Il convient de mentionner à cet égard que la

18 quasi-totalité des dépositions reçues par le Bureau du Procureur

19 exige le recours à des interprètes et que ce facteur supplémentaire

20 pourrait donner lieu à des incohérences entre les témoignages reçus

21 par les enquêteurs du Procureur, d'une part, et les enquêteurs

22 bosniaques, d'autre part. Cette charge imposée à des témoins

23 interrogés à de multiples reprises est particulièrement lourde pour

24 des personnes ayant subi des traumatismes et celle que leur

25 coopération pourrait exposer aux dangers de voies de faits ; des

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1 témoins confrontés à ce fardeau pourraient tout simplement refuser

2 d'apporter leur concours à quelque organe d'investigation que ce

3 soit. En deuxième lieu, des enquêtes parallèles sont susceptibles de

4 créer des problèmes liés aux éléments de preuve en raison de

5 l'existence de procédures d'investigation différentes comme celle

6 ayant trait au rassemblement et à la préservation d'éléments de

7 preuve, à la prise de dépositions et à l'interrogatoire de suspects.

8 En troisième lieu, implication pour le Tribunal, si le gouvernement

9 de la République de Bosnie-Herzégovine ouvre un procès avant la fin

10 de nos enquêtes, il est vraisemblable qu'un certain nombre de points

11 de droit aient une incidence sur nos enquêtes et sur toutes

12 poursuites pénales qui pourraient en résulter devant le Tribunal.

13 D'ailleurs, ces implications ont été évoquées dans la requête déposée

14 la semaine dernière par le Procureur, et ses points de droit

15 comprennent notamment la question du principe non bis in idem qui

16 pourrait être soulevé conformément au paragraphe 2 de l'article 10 du

17 Statut du Tribunal si Radovan Karadžic, Ratko Mladic et Mico Stanisic

18 passent en jugement en République de Bosnie-Herzégovine. En quatrième

19 lieu, si les personnes qualifiées de suspectes dans la présente

20 requête sont jugées dans le cadre d'une procédure par contumace

21 devant les tribunaux de Bosnie-Herzégovine... Excusez-moi, monsieur le

22 Juge, je répète....Si ces personnes sont jugées par contumace, il

23 pourrait en résulter des implications légales pour le Tribunal du

24 fait que des témoins déterminants qui devront déposer devant le

25 Tribunal seront exposés à un danger accru, dans la mesure où leur

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1 identité et témoignage auront été divulgués une première fois lors

2 d'une audience publique devant une juridiction nationale. En

3 cinquième lieu, il en résulte que des témoins pourraient exprimer des

4 réticences, ou tout le moins être sérieusement incommodés, s'ils

5 devaient témoigner lors d'un procès ultérieur devant ce Tribunal

6 après avoir déjà déposé devant une juridiction nationale. De plus, il

7 se pourrait que des éléments de preuve déterminants, conservés en vue

8 d'un procès devant une juridiction nationale dans une région de

9 conflit armée en République de Bosnie-Herzégovine, soient endommagés

10 ou détruits avant de pouvoir être utilisés dans une procédure devant

11 ce Tribunal. Enfin, la publicité internationale qui résulterait d'un

12 procès par contumace devant une juridiction nationale pourrait faire

13 naître dans l'esprit de l'accusé ou de l'opinion publique le

14 sentiment que ce dernier a subi un préjudice, ce qui pourrait avoir

15 une incidence sur un procès équitable devant le Tribunal. Je déclare

16 au nom du Procureur que la présente requête est pleinement conforme

17 aux dispositions du Statut et du règlement du Tribunal et que les

18 enquêtes et poursuites pénales nationales dont il est question

19 portent notamment sur des faits ou des points de droit ayant une

20 incidence sur des enquêtes ou des poursuites en cours devant le

21 Tribunal. Mesdames, messieurs du Tribunal, si vous estimez qu'il est

22 opportun d'accueillir la présente requête en dessaisissement compte

23 tenu des points soulevés au nom du Procureur, nous proposons que,

24 conformément à l'article 10 du règlement de procédure et de preuves

25 du Tribunal, la Chambre de première instance adresse une demande

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1 officielle de dessaisissement au gouvernement de la République de

2 Bosnie-Herzégovine formulée comme suit : A) En ce qui concerne les

3 violations graves du droit international humanitaire relevant de la

4 compétence du présent Tribunal, ainsi qu'il est précisé aux

5 articles 2, 3, 4 et 5 du statut du Tribunal, les tribunaux de la

6 République de Bosnie-Herzégovine se dessaisissent en faveur du

7 Tribunal de leurs enquêtes et poursuites pénales concernant

8 Radovan Karadžic, Ratko Mladic et Mico Stanisic. Et B) En ce qui

9 concerne toutes les enquêtes sur Radovan Karadžic, Ratko Mladic et

10 Mico Stanisic, le Tribunal invite le gouvernement de la République de

11 Bosnie-Herzégovine à lui communiquer les éléments desdites enquêtes

12 une copie du dossier et, le cas échéant, une expédition du jugement

13 de la juridiction nationale. J'en ai terminé avec les conclusions,

14 Monsieur le Président.

15 M. le Président (interprétation): Merci, Monsieur Blewitt. Il reste

16 un point qu'il convient, à mon avis, de clarifier et qui concerne des

17 questions essentielles de votre requête. Dans votre requête, vous

18 avez dit que pour vos enquêtes, il était essentiel que les éléments

19 des enquêtes soient transmis au Tribunal. Il semblerait que dans

20 l'exercice de votre droit à la primauté, il y ait également là des

21 intérêts essentiels que vous vous appuyiez sur l'article 9, troisième

22 sous- paragraphe, pour faire valoir votre droit et pas

23 essentiellement sur les sous-paragraphes 1 et 2 de cet article 9. Il

24 ne serait peut-être pas applicable en la présente espèce. Il y a un

25 certain nombre de conséquences qui en résulteraient pour le Tribunal

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1 si ces enquêtes et poursuites pénales étaient poursuivies au niveau

2 national. C'est donc là, en fait, le motif principal de votre

3 requête.

4 M. Blewitt (interprétation) : Oui, c'est exact. Il s'agit bien du 3e

5 sous- paragraphe de l'article 9 sur lequel nous nous fondons pour

6 formuler cette requête. Aucune indication au Bureau du Procureur

7 n'est à notre disposition pour nous appuyer sur le premier ou

8 deuxième sous-paragraphe. En fait, les enquêtes et les poursuites

9 pénales menées par la République de Bosnie- Herzégovine concernent

10 des crimes de guerre et de génocide. Voilà pourquoi il nous semble

11 que l'on ne peut pas qualifier ces infractions d'infractions de droit

12 commun. Rien n'indique d'autre part que les enquêtes menées par le

13 gouvernement de Bosnie-Herzégovine soient impartiales ou manquent

14 d'impartialité. Rien n'indique cela. Votre interprétation, Monsieur

15 le Juge, est tout à fait exacte, le Procureur se fonde sur le 3e sous-

16 paragraphe de l'article 9 pour fonder sa requête.

17 M. le Président (interprétation): Je prie l'Amicus Curiae de nous

18 présenter maintenant ses conclusions et de faire sa déclaration.

19 Mme Vidovic (Interprépation) : Le Gouvernement de la République de

20 Bosnie-Herzégovine a engagé des enquêtes et des poursuites pénales au

21 niveau national contre Radovan Karadžic, Ratko Mladic et

22 Mico Stanisic.

23 M. le Président (interprétation): Veuillez m'excuser, nous avons

24 quelques problèmes techniques.

25 Mme Vidovic (Traduction en français de l'interprétation du BCS vers

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1 l'anglais): Le Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine a

2 engagé des enquêtes et des poursuites pénales au niveau national

3 contre Radovan Karadžic, Ratko Mladic et Mico Stanisic, portant sur

4 des crimes de guerre et des violations de la loi pénale de la

5 République - y compris le génocide (article 141), des crimes de

6 guerre contre la population civile (article 142) et la destruction de

7 monuments culturels et historiques (article 151) - qui auraient été

8 perpétrés sur son territoire. La République a connaissance du fait

9 que le Procureur du Tribunal pénal international procède actuellement

10 à des enquêtes concernant des crimes relevant de la compétence du

11 Tribunal qui ont été perpétrés sur le territoire de la République de

12 Bosnie-Herzégovine, enquêtes dans le cadre desquelles des soupçons

13 pèsent sur Radovan Karadžic, Ratko Mladic et Mico Stanisic. En outre,

14 la République est consciente du fait que les enquêtes et les

15 poursuites pénales au niveau national impliquent des problèmes qui

16 sont étroitement liés, ou touchent de toute autre manière à

17 d'importantes questions de fait ou de droit susceptibles d'avoir des

18 incidences sur les enquêtes ou les poursuites devant le Tribunal. La

19 République propose de se dessaisir de ses enquêtes concernant

20 Radovan Karadžic, Ratko Mladic et Mico Stanisic en faveur du

21 Tribunal. La République a connaissance de la requête présentée par le

22 Procureur du Tribunal aux fins de demander que le gouvernement se

23 dessaisisse de ses enquêtes et poursuites pénales concernant

24 Radovan Karadžic, Ratko Mladic et Mico Stanisic. La République estime

25 que les éléments de ladite requête et de l'annexe jointe, en date du

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1 21 avril 1995, sont exacts. La République ne s'oppose pas à ce que la

2 Chambre de première instance demande officiellement que le

3 gouvernement se dessaisisse de toutes les enquêtes et poursuites

4 pénales concernant Radovan Karadžic, Ratko Mladic et Mico Stanisic.

5 La République apportera son entier soutien au travail du Tribunal et,

6 dans la mesure où la loi le permet, donnera suite aux requêtes

7 présentées par le Tribunal et son Procureur dans le cadre de leur

8 compétence. Si le Tribunal adresse à la République une demande

9 officielle de " dessaisissement " des poursuites pénales actuellement

10 menées par le gouvernement contre Radovan Karadžic, Ratko Mladic et

11 Mico Stanisic - relatives à des crimes de guerre et violations de la

12 législation pénale de la République, y compris le génocide, des

13 crimes de guerre contre la population civile et la destruction de

14 monuments culturels et historiques - les autorités compétentes de la

15 République mettront à la disposition du Tribunal toutes les

16 informations qui ont été réunies au cours des enquêtes et toutes

17 celles qui pourraient être obtenues à l'avenir, ainsi que des copies

18 des archives du tribunal et des jugements, le cas échéant. Le

19 Ministère de l'intérieur de la République a, aux fins de l'enquête,

20 délivré des mandats d'arrêt nationaux contre Radovan Karadžic, Ratko

21 Mladic et Mico Stanisic. En l'absence de demande de dessaisissement

22 officielle émanant du Tribunal, la République entend poursuivre ses

23 enquêtes concernant Radovan Karadžic, Ratko Mladic et Mico Stanisic

24 et engagera les procès. Je vous remercie.

25 M. le Président (interprétation): Merci beaucoup, Amicus Curiae. Vous

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1 avez dit dans votre déclaration que vous avez déjà délivré des

2 mandats d'arrêt à la suite des enquêtes que vous avez menées contre

3 les trois suspects principaux. Est-ce que le stade des enquêtes

4 auquel vous étiez parvenu justifiait la délivrance de ces mandats ?

5 Mme Vidovic (traduction en français de l'interprétation du BCS vers

6 l'anglais) : Oui, en effet, et conformément à notre législation, qui

7 diffère quelque peu du Règlement du Tribunal, je suis en mesure, s'il

8 y a lieu, de donner quelques explications à ce sujet si vous le jugez

9 nécessaire. En effet, conformément à notre législation pénale, si,

10 suite à une enquête judiciaire, le Procureur chargé de cette

11 affaire - il s'agirait du Parquet de Sarajevo - estime qu'il existe

12 des raisons de croire qu'une personne a commis un crime, il peut

13 alors délivrer un mandat d'arrêt s'il pense que des soupçons pèsent

14 sur cette personne ou qu'il existe des motifs suffisants pour

15 décerner un mandat d'arrêt. En l'espèce, il semble que les soupçons

16 soient fondés et que par conséquent, d'après les informations

17 recueillies jusqu'ici, les suspects que nous n'avons pu traduire

18 devant nos propres tribunaux peuvent néanmoins faire l'objet de

19 mandats d'arrêt qui ont ensuite été transmis à Interpol.

20 M. le Président (interprétation): Il semblerait qu'il existe deux

21 types de requêtes en Bosnie-Herzégovine. Il semblerait qu'il y ait

22 donc une requête devant la Haute Cour, et une requête également

23 devant la juridiction militaire du district. Ces deux poursuites sont

24 dirigées en fait contre les mêmes personnes.

25 Mme Vidovic (traduction en français de l'interprétation du BCS vers

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1 l'anglais) : Non. Selon nos lois, étant donné que les crimes ont été

2 perpétrés en temps de guerre, pour ce qui concerne certains de ces

3 crimes, c'est le Tribunal militaire qui était compétent. Cela

4 signifie qu'à cette époque-là - et j'insiste, " à cette époque-là " -

5 le Tribunal militaire était compétent, alors que d'autres crimes

6 relevaient de la compétence de la Haute Cour de Sarajevo. En

7 l'espèce, les enquêtes en cours concernent ces trois suspects, mais

8 également d'autres.

9 M. le Président (interprétation) : Très bien, merci.

10 M. le Juge Jorda : Merci, monsieur le Président.

11 M. le Juge Jorda (retraduction en français de la version anglaise du

12 texte original français) : Merci, monsieur le Président. Je voudrais

13 poser quelques questions au Procureur et à l'amicus curiae. Je

14 m'adresse tout d'abord à monsieur le Procureur, puisqu'il lui

15 appartient de démontrer, conformément à l'article 9, le lien qui

16 existe entre les enquêtes engagées en République de Bosnie-

17 Herzégovine et ses propres enquêtes - et c'est ce que vous avez fait,

18 je vous en remercie. Je voudrais savoir si les enquêtes menées par

19 votre Bureau sont les mêmes que celles engagées par les autorités

20 judiciaires de Bosnie-Herzégovine. En outre, dans votre requête, vous

21 mentionnez trois enquêtes très précises : le siège prolongé de

22 Sarajevo, les infractions ou attaques contre des organisations

23 humanitaires, et celles contre des éléments de la FORPRONU. Les

24 enquêtes mentionnées sont-elles les seules enquêtes communes à celles

25 menées en République de Bosnie-Herzégovine ou en existe-t-il

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1 d'autres ?

2 M. Blewitt (Interprétation) : Monsieur le Président, les enquêtes

3 menées par le Bureau du Procureur chevauchent en grande partie les

4 enquêtes menées par le gouvernement de Bosnie-Herzégovine. En ce qui

5 concerne les infractions qui viennent d'être mentionnées, le siège de

6 Sarajevo, les attaques contre les convois d'aide humanitaire et les

7 attaques contre la FORPRONU, lorsque j'ai parlé de ces enquêtes, en

8 fait, elles portaient principalement sur les enquêtes concernant le

9 siège de Sarajevo. Les enquêtes du Bureau du Procureur, en ce qui

10 concerne les responsabilités des responsables de Bosnie-Herzégovine,

11 ces enquêtes ne sont pas du tout limitées au siège de Sarajevo. Elles

12 portent en fait sur l'ensemble des infractions qui ont été commises.

13 Vous savez certainement que des actes d'accusation ont déjà été

14 délivrés pour des infractions qui ont été commises dans la région

15 d'Ahmici (?) et de Prijedor. Comme vous le savez, nous enquêtons sur

16 des infractions qui ont été commises dans ces régions de Bosnie en

17 particulier sur Bozanski Samac. En ce qui concerne ces enquêtes,

18 celles qui sont menées par le gouvernement de Bosnie-Herzégovine,

19 elles visent principalement les personnes en position de

20 responsabilité. Dans cette mesure, monsieur le Juge, on peut dire

21 qu'il y a recouvrement de ces deux types d'enquêtes et c'est la

22 raison qui explique que nous ayons demandé le dessaisissement du

23 gouvernement de la Bosnie-Herzégovine en ce qui concerne ces

24 enquêtes.

25 M. le Juge Jorda (retraduction en français de la version anglaise du

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1 texte original français) : Monsieur le Procureur, je vous remercie.

2 Cela signifie-t-il que les autres enquêtes, y compris celles pour

3 lesquelles vous avez présenté des actes d'accusation, seront élargies

4 à ces personnes en position d'autorité ?

5 M. Blewitt (interprétation) : Oui, monsieur le Juge, c'est tout à

6 fait exact. M. le Juge Jorda.

7 M. le Juge Jorda (retraduction en français de la version anglaise du

8 texte original français) : Je voudrais poser une autre question,

9 monsieur le Procureur, avant de m'adresser à l'amicus curiae. Le

10 dessaisissement demandé est fondé sur la préservation des moyens de

11 preuve et la nécessité d'assurer la sécurité des témoins. Pouvez-vous

12 nous dire si ces mesures en vue de protéger ces témoins, qui doivent

13 être connus dans le cadre des enquêtes conduites par la

14 Bosnie-Herzégovine, ont déjà été prises en collaboration avec la

15 République de Bosnie-Herzégovine ?

16 M. Blewitt (interprétation) : Monsieur le Juge, dans la mesure où

17 cela est possible, toutes les mesures ont déjà été prises en

18 coopération avec le gouvernement bosniaque pour protéger tous les

19 témoins qui pourraient présenter des dépositions dans le cadre de

20 procès devant ce Tribunal.

21 M. le Juge Jorda (retraduction en français de la version anglaise du

22 texte original français) : Merci. Avec votre permission, monsieur le

23 Président, je voudrais poser une question à l'amicus curiae. Êtes-

24 vous d'accord avec la présentation faite par le Procureur de ce qui

25 qualifie ou caractérise l'autorité des trois suspects, ou disposez-

Page 21

1 vous d'autres informations dont vous êtes en mesure de nous faire

2 part, notamment en ce qui concerne l'administration des Serbes de

3 Bosnie ?

4 Mme Vidovic (traduction en français de l'interprétation du BCS vers

5 l'anglais) : J'adhère tout à fait à la présentation faite par

6 monsieur le Procureur. J'ajoute que tous les actes perpétrés sur le

7 territoire de la République de Bosnie-Herzégovine l'ont été selon un

8 plan qui avait été établi et approuvé par les trois suspects. M. le

9 Président (interprétation) : Je pense que nous allons pouvoir clore

10 l'audience. Le Tribunal peut se lever. Nous nous retrouverons à 10 h

11 demain matin pour le prononcé public de l'ordonnance. (La séance est

12 levée à 10 h 50.)

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