LA CHAMBRE D’APPEL

Composée comme suit :
Mme le Juge Patricia Wald, Président
M. le Juge Lal Chand Vohrah
M. le Juge Rafael Nieto-Navia
M. le Juge Fausto Pocar
M. le Juge Liu Daqun

Assistée de :
Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Décision rendue le :
21 juillet 2000

LE PROCUREUR

C/

DARIO KORDIC
MARIO CERKEZ

_____________________________________________________________

DÉCISION RELATIVE À L’APPEL CONCERNANT LA DÉCLARATION D’UN TÉMOIN DÉCÉDÉ

_____________________________________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Geoffrey Nice
M. Kenneth Scott
Mme Susan Somers
M. Patrick Lopez-Terres

Le Conseil de Cerkez :

M. Bozidar Kovacic
M. Goran Mikulicic

Le Conseil de Kordic :

M. Mitko Naumovski
M. Turner T. Smith, Jr.
M. Robert A. Stein
M. Stephen M. Sayers

 

1. La Chambre d’appel du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le «Tribunal») est saisie d’un appel interjeté par le Conseil de Dario Kordic («Appelant» ou la «Défense») le 28  février 2000contre une décision rendue oralement par la Chambre de première instance  III le 21 février 20001.

2. Le 28 mars 2000, la Chambre d’appel a accordé l’autorisation d’interjeter cet appel interlocutoire2.

3. Après examen de l’ensemble des conclusions écrites présentées par l’Appelant et le Bureau du Procureur (l’«Accusation» ou le «Bureau du Procureur»), la Chambre d’appel rend la présente décision en application du Statut et du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal (respectivement le «Statut» et le «Règlement»).

I. Procédure devant la Chambre de première instance

4. L’Appelant, Dario Kordic, est actuellement jugé pour infractions graves aux Conventions de Genève de 1949, violations des lois ou coutumes de la guerre et crimes contre l’humanité dans le cadre d’une campagne de persécution qui aurait été perpétrée par les forces des Croates de Bosnie dans la vallée de la Lasva.

5. L’Accusation a d’abord indiqué qu’elle essaierait de produire la déclaration de M. Midhat Haskic le 20 mai 1999. Cette déclaration avait été recueillie par un enquêteur du Bureau du Procureur en 1995. M. Haskic est décédé depuis et selon l’Accusation , l’intérêt de la justice commandait que cette déclaration soit versée au dossier . M. Haskic y déclarait avoir vu Kordic au village de Donja Vecerska, le soir précédant l’attaque du village par le HVO, en compagnie de soldats du Conseil de défense croate (le «HVO») parmi lesquels des membres des «Jokers», l’une des unités qui sont associées de près aux crimes qui auraient été commis dans la région. Après avoir entendu les parties, la Chambre de première instance a rejeté la déclaration, le 16 juin 1999 , tout en se gardant la possibilité de l’admettre ultérieurement après des débats supplémentaires.

6. Le 21 février 2000, après avoir entendu les conclusions supplémentaires des parties , la Chambre de première instance III a conclu de verser la déclaration au dossier . Dans sa décision orale, cette Chambre a décidé que l’article 89 C) lui conférait le pouvoir discrétionnaire d’admettre la déclaration et que le défaut de contre- interrogatoire et de prestation de serment influait sur la valeur à accorder à la déclaration et non sur son admissibilité3. La Chambre de première instance a cependant fait remarquer qu’en application de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme citée par les parties , «il ne serait pas possible de condamner l’accusé sur le fondement de cette seule déclaration si elle n’est pas corroborée» [Traduction non officielle] sans porter atteinte à ses droits fondamentaux4.

II. L’appel

A. Les arguments de l’Appelant

7. En appel, Kordic soutient que la décision de la Chambre de première instance d’admettre la déclaration de Haskic est erronée à plusieurs égards5.

8. D’abord, il fait valoir que la déclaration hors prétoire de ce témoin décédé ne peut être versée au dossier sans enfreindre son droit à «interroger ou faire interroger les témoins à charge» garanti par l’article 21 4) du Statut.

9. En outre, il soutient que ni la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ni celle de divers systèmes internes de common law et de droit romano-germanique n’autorisent l’admission d’une déclaration qui n’a pas fait l’objet d’un contre-interrogatoire. Par exemple, il cite des décisions interprétant l’article  6 3) d) de la Convention européenne des droits de l’homme6, qui confère également à l’accusé le droit d’«interroger ou faire interroger les témoins à charge». Selon Kordic, la Cour européenne des droits de l’homme a généralement considéré que des déclarations hors prétoire ne peuvent être utilisées comme élément de preuve que si l’accusé a eu la possibilité d’interroger le témoin. Il soutient que lorsque des circonstances exceptionnelles ont imposé le recours à de telles déclarations en l’absence de contre-interrogatoire, la Cour européenne a jugé qu’elles ne peuvent à elles seules, sans éléments de preuve corroborants, justifier une condamnation 7. Il ajoute qu’une déclaration qui n’a pas été faite sous serment, dont l’auteur n’a pas été contre-interrogé et qui a été recueillie par un enquêteur sur le terrain°et non par un juge d’«instruction ») serait inadmissible dans les pays de droit civiliste et de common law, comme le montrent les systèmes américain, allemand et néerlandais8.

10. Plus généralement, Kordic fait valoir que la Chambre de première instance a donné une interprétation si large de l’article 89 C) que tout élément de preuve peut être admis, du moment que la Chambre apprécie correctement sa «valeur» dans le jugement9. Selon lui, cette interprétation est contraire à la lettre sans ambiguïté et à l’esprit général du Règlement. À cet égard, il mentionne l’article 90 A) qui prévoit que «[s]ous réserve des article  71 et 71 bis, les Chambres entendent en principe les témoins en personne». Les articles 71 et 71 bis exposent les circonstances et conditions dans lesquelles les témoignages peuvent être recueillis par voie de déposition ou de vidéo conférence , le contre-interrogatoire étant prévu dans les deux cas.

B. Les arguments de l’Accusation

11. L’Accusation soutient que «l’accusé ne peut exercer ses droits de manière absolue dans aucune affaire : il les exerce sous le contrôle de la Chambre de première instance , qui veille à assurer un procès équitable et rapide dans l’intérêt de la justice »10. Le droit de l’accusé d’interroger les témoins à charge doit, selon l’Accusation, céder du terrain dans des circonstances appropriées afin que le maximum d’éléments de preuve pertinents soit pris en compte .

12. Par conséquent, selon l’Accusation, l’article 89 confère des pouvoirs très larges aux Chambres de première instance pour admettre tout élément de preuve pertinent , à deux exceptions près : 1) lorsque «la valeur probante est largement inférieure à l’exigence d’un procès équitable»11 ou 2) lorsque l’élément de preuve a été obtenu par des moyens qui entament fortement sa fiabilité 12. L’Accusation estime que la déclaration de Haskic ne relève d’aucune de ces catégories.

13. Selon l’Accusation, le fait que le témoin n’ait pas été contre-interrogé devrait donc affecter la valeur du témoignage et non son admissibilité.

14. L’Accusation note que la déclaration préalable de ce témoin a été admise dans l’affaire Blaskic à la demande de l’accusé. Dans cette affaire, la Chambre de première instance a tenu compte de «la nécessité d’une bonne administration de la justice et [de] l’impératif d’un procès équitable» et des exceptions au principe du caractère oral des témoignages et du contre-interrogatoire admises «aussi bien dans les systèmes juridiques nationaux que dans des précédents de juridictions internationales , et notamment celles relatives à l’admission des déclarations de témoins décédés »13.

15. L’Accusation se fonde également sur l’arrêt Aleksovski confirmant l’admission de comptes rendus d’audience provenant de l’affaire Blaskic. Dans l’affaire Aleksovski, l’accusé a produit un compte rendu de témoignage qui a été admis en dépit de l’opposition de l’Accusation. La Chambre d’appel a confirmé cette décision 14. Celle-ci a également ordonné à la Chambre Aleksovski d’admettre un autre compte rendu de témoignage provenant de l’affaire Blaskic, à la demande de l’Accusation et en dépit de l’opposition de l’accusé, afin de réfuter le témoignage contenu dans le premier compte rendu15. Selon l’Accusation, l’Arrêt Aleksovski établit qu’il est légitime d’admettre des déclarations préalables sans citer le témoin pour contre-interrogatoire dans la procédure en cours.

16. S’agissant de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme, l’Accusation fait valoir que la Cour n’a pas décidé qu’il est contraire à l’article  6 3) d) de verser au dossier des déclarations faites sans que le témoin ait été contre-interrogé. Plutôt, la Cour a conclu qu’il n’y a violation que lorsque les éléments de preuve qui n’ont pas fait l’objet d’un examen contradictoire constituent le seul ou le principal fondement de la condamnation et a confirmé des condamnations fondées partiellement sur de telles déclarations lorsque d’autres éléments de preuve corroboraient la culpabilité16.

17. Enfin, tout en faisant remarquer que le Tribunal n’est pas lié par la jurisprudence interne, l’Accusation soutient que la déclaration Haskic cadre avec des exceptions au principe du témoignage direct dans plusieurs systèmes de common law et de droit romano-germanique, dont le Royaume Uni, l’Australie, les États-Unis, le Japon, l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne, le Portugal et les Pays-Bas17.

III. Motifs

18. La question soulevée à présent est de savoir si une déclaration hors prétoire d’un témoin décédé, qui n’a pas été faite sous serment et dont l’auteur n’a pas été contre-interrogé, aurait due être versée au dossier comme seul élément de preuve de la présence de l’accusé dans un lieu particulier à un moment précis.

19. Le Règlement du Tribunal exprime une préférence pour les témoignages directs en audience : l’article 90 énonce que «[s]ous réserve des articles 71 et 71 bis , les Chambres entendent en principe les témoins en personne». Comme la Chambre d’appel l’a expliqué dans l’affaire Kupreskic, «[l]e Règlement prévoit . . . quatre exceptions à la règle du témoignage en personne : 1) les dépositions recueillies en vue du procès (article 71) ; 2) les témoignages par vidéoconférence [article 90 A)] ; 3) les rapports de témoins experts (article 94 bis) ; 4 ) les déclarations sous serment visant à corroborer un témoignage (article 94  ter18. La déclaration litigieuse ne correspond à aucune des exceptions susmentionnées. Par conséquent, elle ne peut être admise qu’en vertu du pouvoir d’appréciation de la Chambre de première instance aux termes de l’article 89 C) de recevoir «tout élément de preuve pertinent qu’elle estime avoir valeur probante».

20. L’article 89 C) confère un large pouvoir discrétionnaire aux Chambres de première instance. Cependant, le paragraphe B) dudit article semble encadrer ce pouvoir discrétionnaire , en disposant que «[d]ans les cas où le Règlement est muet, la Chambre applique les règles d’administration de la preuve propres à parvenir, dans l’esprit du Statut et des principes généraux du droit, à un règlement équitable de la cause». L’exercice par une Chambre de première instance de son pouvoir d’appréciation prévu à l’article  89 C) devrait, selon le paragraphe B) du même article, respecter autant que possible le Statut et les autres règles.

21. Les autres règles relatives aux exceptions à la règle du témoignage en personne au procès prévoient certaines garanties. Par exemple, les dispositions relatives aux dépositions (article 71), au témoignage par vidéoconférence (article 71 bis )19 et aux rapports d’experts (article 94 bis) envisagent toutes le contre-interrogatoire. De même, l’article  94 ter, qui régit l’utilisation des déclarations sous serment ou déclarations certifiées pour corroborer les témoignages en personne encadre strictement cette procédure. Premièrement, les déclarations de l’article 94 ter sont utilisées pour corroborer un fait en litige qu’un autre témoin a évoqué en audience. Deuxièmement , ces déclarations doivent être faites «conformément au droit de l’État dans lequel elles sont signées». Troisièmement, l’article dispose que «si la partie adverse s’y oppose et que la Chambre accueille cette objection, ou si la Chambre l’ordonne , les témoins sont cités à comparaître devant la Chambre pour contre-interrogatoire ».

22. De la même manière, il convient d’interpréter l’article 89 C) de manière à garantir que la Chambre est convaincue de la fiabilité des éléments de preuve. On peut pour commencer faire appel aux conditions posées par les autres articles qui autorisent expressément que l’on s’écarte du principe du témoignage en personne. Si l’article  89 C) permet bien de fait un certain assouplissement de ces conditions, il n’en serait pas moins curieux de conclure qu’une déclaration qui ne remplit aucune de ces conditions est néanmoins admissible aux termes de l’article 89 C) sans qu’aucun élément de preuve ne vienne en corroborer la fiabilité. Cette déclaration ne satisfait pas aux conditions posées par ces autres règles et, par conséquent, d’autres éléments prouvant sa fiabilité doivent être présentés.

23. Le versement au dossier de cette déclaration est en conflit manifeste avec la garantie prévue à l’article 21 4) selon laquelle l’accusé a le droit de contre-interroger les témoins à charge20. Bien entendu , il est bien établi que cette disposition ne crée pas une interdiction générale de preuve par ouï-dire et, comme la Chambre d’appel l’a expliqué dans l’affaire Aleksovski, «il ressort de l’article 89 C) du Règlement qu’est recevable toute déclaration hors audience pertinente qu’une Chambre de première instance juge probante»21. Mais, comme a poursuivi la Chambre d’appel dans Aleksovski :

Puisque cette preuve est admise pour prouver la véracité de ce qui y est dit, une Chambre de première instance doit être convaincue que, envisagée dans cette perspective , elle est crédible en ce sens qu’elle est volontaire, véridique et digne de foi et elle peut à cette fin prendre en compte à la fois le contenu de la déclaration et les circonstances dans lesquelles elle a été faite; ou comme l’a dit le juge Stephen, la valeur probante d’une telle déclaration dépend du contexte et du caractère du moyen de preuve en question. L’impossibilité de contre-interroger la personne qui a fait les déclarations et le fait qu’il s’agit ou non d’un témoignage de première main sont aussi à prendre en compte dans l’appréciation de la force probante de l’élément de preuve.22

24. Ce passage de l’arrêt Aleksovski vient étayer la proposition selon laquelle la fiabilité d’une déclaration est pertinente dans le cadre de son admissibilité et pas seulement de sa valeur probante. Les indices de fiabilité d’un élément de preuve peuvent faire défaut au point que celui-ci n’a pas de «valeur probante» et ne saurait par conséquent être admis.

25. Selon la Chambre d’appel, plusieurs facteurs différencient la déclaration de l’espèce des déclarations admises dans l’arrêt Aleksovski.

26. Les deux déclarations admises dans Aleksovski étaient des comptes rendus de témoignages faits en audience dans l’affaire Blaskic. Ces déclarations ont été faites sous serment au Tribunal. De plus, leurs auteurs ont été contre-interrogés lorsqu’ils ont déposé. La première déclaration a été produite à décharge, l’Accusation ayant contre-interrogé le témoin dans l’affaire Blaskic et n’ayant «pas tenté de démontrer l’existence d’une technique de contre-interrogatoire qui serait judicieuse et importante dans l’affaire Aleksovski et ne le serait pas dans l’affaire Blaskic»23. S’agissant de la deuxième déclaration, produite à charge pour réfuter la première, «le témoin a été longuement contre-interrogé dans le cadre de l’affaire Blaskic et les conseils de la Défense ont dans les deux affaires un intérêt commun»24.

27. Par contraste, la déclaration en l’espèce ne présente aucun de ces indices de fiabilité. Tous les facteurs présents dans Aleksovski font défaut. Elle n’a pas été faite sous serment. Son auteur n’a jamais été contre-interrogé25. S’agissant de la véracité de son contenu, à savoir la présence de l’accusé un certain soir dans un lieu déterminé, aucun autre élément de preuve ne semble le corroborer 26. S’agissant de savoir si elle est «de première main ou non»27, cette déclaration n’est pas de première main. Bien que les déclarations puissent être faites par l’intermédiaire d’interprètes, celle-ci a été recueillie dans des conditions plus inhabituelles. En l’espèce, l’enquêteur a admis qu’il ne parlait pas le croate , la langue de M. Haskic, et s’en est remis à la version de l’interprète. La déclaration de M. Haskic a ensuite été rédigée en anglais par l’enquêteur, dont la langue maternelle est le néerlandais, puis retraduite en croate pour être signée par le témoin. Ces multiples traductions dans un cadre informel créent une plus forte probabilité d’inexactitude que lorsque la personne qui recueille la déclaration et le témoin parlent la même langue ou que la déclaration initiale est faite en audience et traduite simultanément , professionnellement avec double contrôle. Les facteurs supplémentaires mentionnés par l’Accusation dans son mémoire28 ne renforcent pas non plus la fiabilité. La déclaration n’a pas été faite à l’époque où les événements concernés se produisaient, mais quelques années plus tard29. Elle n’a pas non plus été faite dans le respect de certaines formalités qui pourraient la rendre plus fiable, comme par exemple lors d’une audition par un juge d’instruction . Par conséquent, la Chambre de première instance ne saurait accorder une quelconque valeur à cette déclaration dans son jugement sans abuser de son pouvoir d’appréciation .

28. Tenant compte de tous ces facteurs, la Chambre d’appel conclut que la déclaration manque tellement de fiabilité qu’elle aurait due être exclue pour défaut de valeur probante aux termes de l’article 89 C).

IV. Dispositif

29. Par ces motifs, la Chambre d’appel ACCUEILLE l’appel et ENJOINT la Chambre de première instance d’exclure la déclaration.

Fait en français et en anglais, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre d’appel
(signé)
Mme le Juge Patricia Wald

Fait le 21 juillet 2000
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1- Requête de l’accusé Dario Kordic aux fins d’obtenir l’autorisation d’interjeter appel interlocutoire de la Décision rendue le 21 février 2000 par la Chambre de première instance admettant à titre de moyen de preuve la déclaration antérieure non corroborée et qui n’a pas été faite sous serment d’un témoin que Kordic n’a pu ni confronter ni contre-interroger, 28 février 2000.
2- Décision relative à la requête aux fins d’obtenir l’autorisation d’interjeter appel et ordonnance portant calendrier, 28 mars 2000. Mario Cerkez, co-accusé, a demandé à se joindre à l’appel interjeté par Dario Kordic dans sa Notification par laquelle l’accusé Mario Cerkez se joint à la Requête de l’accusé Dario Kordic aux fins d’obtenir l’autorisation d’interjeter appel interlocutoire de la décision rendue le 21 février 2000 par la Chambre de première instance admettant à titre d’élément de preuve la déclaration antérieure non corroborée et qui n’a pas été faite sous serment d’un témoin que Kordic n’a pu ni confronter ni contre-interroger, du 29 février 2000. Bien que Cerkez ait déposé sa Notification hors délai, la Chambre d’appel y a fait droit dans son ordonnance du 28 mars 2000. Il n’a cependant pas déposé de mémoire supplémentaire sur le fond de l’appel.
3- Compte rendu d’audience, version en anglais, p. 14 701.
4- Ibid., p. 14 702.
5- Mémoire de l’accusé Dario Kordic aux fins d’annuler la décision, rendue le 21 février 2000 par la Chambre de première instance III, de verser au dossier une déclaration préalable de témoin qui n’a pas été faite sous serment ni corroborée et dont l’auteur n’a pas été confronté avec M. Kordic ni contre-interrogé (le «Mémoire de l’Appelant»), 6 avril 2000 ; Mémoire en réplique de l’accusé Dario Kordic aux fins d’annuler la décision, rendue le 21 février 2000 par la Chambre de première instance III, de verser au dossier une déclaration préalable de témoin qui n’a pas été faite sous serment ni corroborée et dont l’auteur n’a pas été confronté avec M. Kordic ni contre-interrogé, (le «Mémoire en réplique»), 25 avril 2000.
6- Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ouverte à la signature le 4 novembre 1950, 213, Recueil des traités des Nations Unies, 222 (Conseil de l’Europe) (entrée en vigueur le 3 septembre 1953).
7- Cf. Mémoire de l’Appelant, p. 12 [citant, p. ex., Unterpertinger c. Autriche, 24 novembre 1986, Série A, n° 110, par. 33 (condamnation infirmée) ; Saidi c. France, 20 septembre 1993, série A, n° 261-C, par. 44 (condamnation infirmée)].
8- Cf. Mémoire de l’Appelant, p. 13 à 17.
9- L’article 89 C) dispose que «[l]a Chambre peut recevoir tout élément de preuve pertinent qu’elle estime avoir valeur probante».
10- Réponse du Procureur au mémoire de l’accusé Dario Kordic aux fins d’annuler la décision, rendue le 21 février 2000 par la Chambre de première instance III, de verser au dossier une déclaration préalable de témoin qui n’a pas été faite sous serment ni corroborée et dont l’auteur n’a pas été confronté avec M. Kordic ni contre-interrogé («Mémoire de l’Accusation»), 17 avril 2000, p. 8, citant Le Procureur c/ Delalic et consorts, Décision on the alternative Request for Renewed Consideration of Delalic’s Motion for an Adjournment until 22 June or request for Issue Subpoenas to Individuals and Requests for Assistance to the Government of Bosnia and Herzegovina, 22 juin 1998, affaire n° IT-96-21-T, Chambre de première instance I, par. 44 et 45. Les mémoires de l’Accusation dans cette affaire ont été initialement déposés à titre confidentiel et les écritures de l’Appelant ont été classés comme documents confidentiels par le Greffe. La Chambre d’appel ayant été informée que rien ne justifie que ces documents demeurent confidentiels, tous les mémoires sont rendus publics par la présente décision.
11- Article 89 C).
12- Article 95.
13- Mémoire de l’Accusation, p. 9, citant Le Procureur c/ Bla{kic, Décision relative à la requête de la Défense aux fins d’admettre au dossier des éléments de preuve la déclaration préalable du témoin Midhat Haskic, 29 avril 1998, affaire n° IT-95-14-T, Chambre de première instance I.
14- Le Procureur c/ Aleksovski, Arrêt relatif à l’appel du Procureur concernant l’admissibilité d’éléments de preuve, («Aleksovski»), 16 février 1999, affaire n° IT-95-14/1-AR73, Chambre d’appel, p. 9 et 10.
15- Id., p. 12 et 13.
16- Mémoire de l’Accusation, p. 11 (citant Ferrantelli et Santangelo c. Italie, 7 août 1996, R.J.D., 1996-III, n° 12).
17- Mémoire de l’Accusation, p. 15 à 24.
18- Le Procureur c/ Kupre{kic, Décision relative à l’appel interjeté par Dragan Papic contre la décision de procéder par voie de déposition, 15 juillet 1999, affaire n° IT-95-16-AR73.3, Chambre d’appel, par. 18 et 19.
19- Il a été décidé que la vidéoconférence ne prive pas l’accusé du droit de confronter le témoin. Le Procureur c/ Delalic et consorts, Décision relative à la requête aux fins de permettre aux témoins K, L et M de témoigner par voie de vidéoconférence, 28 mai 1997, affaire n° IT-96-21-T, Chambre de première instance I.
20- Bien que la déclaration du même témoin décédé ait été admise dans l’affaire Bla{kic, c’est Bla{kic qui l’avait demandée et son droit à contre-interroger n’était donc pas en cause. Le Procureur c/ Bla{kic, Décision relative à la requête de la Défense aux fins d’admettre au dossier des éléments de preuve de la déclaration préalable du témoin Midhat Haskic (décédé), 29 avril 1998, affaire n° IT-95-14-T, Chambre de première instance I.
21- Aleksovski, par. 15. Cette décision n’est pas contraire au principe général qui veut que la preuve par ouï-dire soit admissible au Tribunal. La question de la preuve par ouï-dire se pose généralement dans le cadre d’un témoignage en personne où le témoin, au cours de sa déposition, évoque quelque chose qu’il ou elle a entendu d’une autre personne : «Et quand j’étais au camp, j’ai entendu les gardiens dire que quelqu’un avait été tué». Il s’agit là d’une question tout à fait distincte, s’agissant de la préférence pour le témoignage en personne et le droit de l’accusé à contre-interroger les témoins à charge, de l’admission de déclarations complètes de témoins directs au lieu de les citer en audience.
22- Id.
23- Id., par. 20
24- Id., par. 27.
25- Les procès qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale étaient conduits selon des règles de preuve souples et permettaient en général l’utilisation de déclarations certifiées. Cependant, celles-ci étaient maniées avec précaution, voire retirées du dossier des preuves si le témoin ne pouvait être interrogé : «[u]ne pratique s’est formée selon laquelle si le témoin n’était pas disponible pour être contre-interrogé ou interrogé, soit au moment de la production de la déclaration certifiée soit ultérieurement, ladite déclaration était retirée du dossier». [Traduction non officielle]. Richard May et Marieke Wierda, Trends in International Criminal Evidence : Nuremberg, Tokyo, The Hague, and Arusha, 37 Columbia Journal of Transnational Law 725, 751 (1999). Dans une affaire au moins, la déclaration certifiée d’un témoin décédé a été exclue, bien que d’autres déclarations semblables aient été admises trop largement. Id., 751.
26- La corroboration est également un facteur pris en compte dans les arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme sur la question de savoir si le fait de se fonder sur des déclarations hors prétoire a pour effet de priver l’accusé d’un procès équitable. Cf., p.ex., Farrantelli et Santangelo, ci-dessus. Les parties en l’espèce s’opposent sur la question de savoir si la déclaration est corroborée par d’autres éléments de preuve, ce qui revient à se demander à quel degré de généralité il convient d’examiner la corroboration : faut-il que les faits figurant dans la déclaration soient démontrés par ailleurs, ou suffit-il qu’il existe d’autres preuves de la culpabilité de l’accusé en général ? La Chambre de première instance n’a pas explicitement tranché cette question, bien qu’ayant déclaré avoir traité d’«une importante question s’agissant de Dario Kordic, sa présence à Donja Veceriska le soir du 15 avril 1993, alors qu’il était accompagné de membres de l’armée». Compte rendu d’audience, version en anglais, p. 14 700. La Défense fait valoir qu’il n’y a pas d’autre preuve de la présence de Kordic dans ce village ce jour là. Le fait que la Chambre de première instance ait accordé une importance au témoignage pourrait être interprété dans les deux sens (à la fois pour et contre l’admissibilité), mais nous estimons qu’il contribue principalement à aggraver le préjudice éventuel porté à la Défense.
27- Aleksovski, par. 15.
28- Cf., p.ex., Mémoire de l’Accusation par. 46 (citant le droit américain qui tient compte, entre autres, du temps écoulé entre l’événement et la déclaration et si la déclaration a été faite dans le respect de certaines formalités) ; cf. aussi le Mémoire de l’Appelant, p. 16 (évoquant les conditions prévues par le droit de la preuve en Allemagne et aux Pays-Bas, où les déclarations doivent avoir été faites sous serment auprès d’un juge pour être admises.
29- Les déclarations utilisées au Tribunal sont souvent faites plusieurs années après les événements concernés. Si cela ne nuit pas forcément à la fiabilité, cela ne la renforce pas non plus.