DEVANT UN COLLÈGE DE LA CHAMBRE D’APPEL

Devant :
M. le Juge Lal Chand Vohrah, Président
M. le Juge Rafael Nieto-Navia
M. le Juge Fausto Pocar

Assisté de :
Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Décision rendue le :
22 septembre 2000

LE PROCUREUR

c/

Dario KORDIC
Mario CERKEZ

___________________________________________________

DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE AUX FINS D’AUTORISATION D’INTERJETER APPEL

___________________________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Geoffrey Nice
M. Kenneth Scott
Mme Susan Somers
M. Patrick Lopez-Terres

Le Conseil de Dario Kordic :

M. Mitko Naumovski
M. Turner T. Smith, Jr.
M. Robert A. Stein
M. Stephen M. Sayers

Le Conseil de Mario Cerkez :

M. Bozidar Kovacic
M. Goran Mikulicic

 

LE COLLÈGE de la Chambre d'appel du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 («le Collège» et «le Tribunal international»),

VU la «Requête de l'accusé Dario Kordic aux fins d'obtenir l'autorisation d'interjeter appel interlocutoire de la Décision rendue le 2 juin 2000 par la Chambre de première instance III admettant au dossier, sans base légale, des déclarations indirectes contenues dans un document anonyme d'origine inconnue», déposée le 9 juin 2000 («la Requête aux fins d’autorisation d’interjeter appel»),

VU la décision orale rendue par la Chambre de première instance III le 2 juin 2000 («la Décision contestée»), faisant droit à une requête déposée par le Bureau du Procureur (l’«Accusation») visant le versement au dossier d’un rapport prétendument produit par le Service de renseignement croate («le HIS») et remis au président de la République de Croatie en février 1994 («le Rapport»),

VU la «Réponse du Procureur à la Requête de l'accusé Dario Kordic aux fins d'obtenir l'autorisation d'interjeter appel interlocutoire de la Décision rendue le 2 juin 2000 par la Chambre de première instance III admettant au dossier, sans base légale, des déclarations indirectes contenues dans un document anonyme d'origine inconnue», déposée confidentiellement le 19 juin 2000 («la Réponse»),

VU la «Réplique à la Réponse du Procureur à la Requête de l'accusé Dario Kordic aux fins d'obtenir l'autorisation d'interjeter appel interlocutoire de la Décision rendue le 2 juin 2000 par la Chambre de première instance III admettant au dossier, sans base légale, des déclarations indirectes contenues dans un document anonyme d'origine inconnue», déposée le 23 juin 2000 («la Réplique»),

ATTENDU que la Requête aux fins d’autorisation d’interjeter appel a été déposée en application de l’article 73 du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international («le Règlement») lequel stipule, entre autres, que «les requêtes aux fins d’autorisation d’interjeter appel doivent être enregistrées dans les sept jours suivant le dépôt de la décision contestée» et que l’on peut interjeter un appel interlocutoire :

i) si la décision contestée est susceptible d’infliger à la partie souhaitant interjeter appel un préjudice tel qu’il ne pourrait pas être réparé à l’issue du procès, y compris par un éventuel appel postérieur au jugement ; ou

ii) si la question en jeu dans l’appel envisagé est une question d’intérêt général pour le Tribunal ou pour le droit international en général,

ATTENDU que la Requête aux fins d’autorisation d’interjeter appel a été déposée dans les délais prescrits,

ATTENDU que la Requête aux fins d’autorisation d’interjeter appel soutient que la Décision contestée causerait un préjudice irréparable et qu’elle revêt un intérêt général pour les procédures engagées devant le Tribunal de céans ou pour le droit international en général, entre autres, car i) la décision de verser au dossier le Rapport porte atteinte au droit de l’accusé à la confrontation, ii) il se peut que le Rapport soit un faux, iii) l’admission de ce Rapport est sans fondement légal, et iv) la Chambre de première instance a mal interprété les articles 89 C) et D) et l’article 95 du Règlement,

ATTENDU que «le Demandeur doit établir, pour obtenir satisfaction, que la Décision contestée lui porte un préjudice tel qu’il ne pourrait être réparé ni par la Chambre de première instance dans son jugement, ni par la Chambre d’appel saisie après le prononcé du jugement1»,

ATTENDU que la Requête aux fins d’autorisation d’interjeter appel n’a pas prouvé que la Décision contestée causerait un éventuel préjudice qui ne pourrait être réparé à l’issue du procès, y compris par un appel postérieur au jugement,

ATTENDU que la Chambre d’appel a récemment tranché la question générale de recevabilité des moyens de preuve en se fondant sur l’article 89 C) du Règlement et expliquant que «[...] la fiabilité d’une déclaration est pertinente dans le cadre de son admissibilité et pas seulement de sa valeur probante. Les indices de fiabilité d’un élément de preuve peuvent faire défaut au point que celui-ci n’a pas de "valeur probante" et ne saurait par conséquent être admis2»,

ATTENDU, EN OUTRE, que la Décision contestée est conforme à la règle en vigueur au sein du Tribunal international, à savoir que «[l]’argument du Demandeur selon lequel la preuve de l’authenticité est une condition d’admission distincte est dénué de fondement juridique3»,

ATTENDU que la Requête aux fins d’autorisation d’interjeter appel n’a pas démontré que les points soulevés dans l’appel envisagé présentent un intérêt général pour les procédures engagées devant le Tribunal ou pour le droit international en général,

PAR CES MOTIFS,

REJETTE la Requête aux fins d’autorisation d’interjeter appel.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

(signature)
M. le Juge Lal Chand Vohrah
Président du Collège de la Chambre d'appel

Fait le 22 septembre 2000
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1. Le Procureur c/ Delalic et consorts, Arrêt relatif à la Requête de l'accusé Zejnil Delalic aux fins d'autorisation d'interjeter appel de la Décision de la Chambre de première instance en date du 19 janvier 1998 concernant la recevabilité d'éléments de preuve, Ch. d’appel, affaire n° IT-96-21-AR-73.2, 4 mars 1998, par. 9.
2. Le Procureur c/ Dario Kordic et Mario Cerkez, Décision relative à l’appel concernant la déclaration d’un témoin décédé, affaire n° IT-95-14/2-AR73.5, 21 juillet 2000, par. 24.
3. Le Procureur c/ Delalic et consorts, Arrêt relatif à la Requête de l'accusé Zejnil Delalic aux fins d'autorisation d'interjeter appel de la Décision de la Chambre de première instance en date du 19 janvier 1998 concernant la recevabilité d'éléments de preuve, Ch. d’appel, affaire n° IT-96-21-AR-73.2, 4 mars 1998, par. 25.