LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE
Composée comme suit :
M. le Juge Richard May, Président
M. le Juge Mohamed Bennouna
M. le Juge Patrick Robinson
Assistée de :
Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier
Décision rendue le :
6 avril 2000
LE PROCUREUR
C/
DARIO KORDIC
MARIO CERKEZ
____________________________________________________________________
DÉCISION RELATIVE AUX DEMANDES DACQUITTEMENT DE LA DÉFENSE
_____________________________________________________________________
Le Bureau du Procureur :
M. Geoffrey Nice
Mme Susan Somers
M. Patrick Lopez-Terres
M. Kenneth Scott
M. Fabricio Guarglia
Le Conseil de la Défense :
M. Mitko Naumovski, M. Turner Smith Jr., M. Robert A. Stein, M. Stephen M. Sayers et
M. Christopher G. Browning Jr., pour Dario Kordic
M. Bozidar Kovacic et M. Goran Mikulicic, pour Mario Cerkez
I. INTRODUCTION
1. La Chambre de première instance du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de lex-Yougoslavie depuis 1991 (le «Tribunal international») est saisie de la Requête de Dario Kordic aux fins dobtenir un acquittement, déposée par le Conseil de Kordic le 17 mars 2000 et accompagnée des annexes A-D ; de la Requete de laccusé Mario Cerkez aux fins dobtenir un acquittement, déposée par le Conseil de Cerkez le 17 mars 2000 ; et de la «Réponse [confidentielle] du Procureur à la requête de la Défense aux fins dobtenir un acquittement» (la «Réponse»), accompagnée des annexes 1-3 et déposée par le Bureau du Procureur (l«Accusation») le 24 mars 2000.
LA CHAMBRE DE PREMIERE INSTANCE, VU les conclusions écrites des parties et ouï leurs exposés le 30 mars 2000,
REND LA PRESENTE DECISION ECRITE.
II. ARGUMENTATION
A. Arguments des parties
2. Le Conseil de Dario Kordic soutient que la norme applicable pour établir, en vertu de larticle 98 bis B) du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international (le «Règlement»), si les éléments de preuve présentés ne suffisent pas à justifier une condamnation, est la preuve au-delà de tout doute raisonnable, arguant que lAccusation doit «établir hors de tout doute raisonnable la culpabilité pour chaque élément de chaque infraction retenue»1. La Défense soutient également que si «des éléments de preuve crédibles peuvent conduire à deux conclusions, lune de culpabilité et lautre dinnocence, cest la dernière qui doit être choisie»2.
3. La Défense de Dario Kordic fait valoir que lAccusation na pas présenté déléments de preuve suffisants ou crédibles pour établir la responsabilité de Kordic en vertu des paragraphes 1 et 3 de larticle 7 du Statut du Tribunal international (le «Statut»). En conséquence, elle demande à la Chambre de première instance dacquitter laccusé de toutes les charges retenues contre lui. La Défense fait également valoir quen raison du manque de preuves, le Chambre de première instance devrait acquitter Kordic des accusations dattaques contre diverses localités et de crimes connexes qui lui sont imputés aux chefs 1 (Persécutions) ; 3-4 (Attaques illicites contre des populations civiles et des objectifs civils) ; 7-13 (Homicide intentionnel, meurtre, atteintes graves, actes inhumains et traitements inhumains) ; 21-28 (Emprisonnement, traitements inhumains, prise dotages et utilisation de boucliers humains) ; 37-39 (Destruction et pillage de biens) et 43 (Destruction dédifices consacrés à la religion et à lenseignement).
4. La Défense de Mario Cerkez se joint aux conclusions de laccusé Dario Kordic. Elle fait notamment valoir que laccusé Cerkez devrait, en raison du manque ou de linsuffisance de preuves, être acquitté des différents chefs retenus contre lui : chef 2 (Persécutions) ; chefs 5-6 (Attaques illicites contre des populations et des objectifs civils) ; chefs 14-20 (Homicide intentionnel, meurtre, atteintes graves, actes inhumains, traitements inhumains) ; chefs 29-36 (Emprisonnements, traitements inhumains, prises dotages et utilisation de boucliers humains) ; chefs 40-42 (Destruction et pillage de biens) et chef 44 (Destruction dédifices consacrés à la religion et à lenseignement). À défaut, la Défense demande à la Chambre de première instance dacquitter laccusé de toutes les charges du chef 2 relatives aux zones de Novi Travnik et de Busovaca, et des charges liées aux autres localités visées dans lacte daccusation pour la période allant davril 1992 au 16 avril 1993.
5. De son côté, lAccusation argue que «la Chambre doit seulement établir si, de plein droit, il existe des éléments de preuve pour chaque chef visé dans lacte daccusation sur lesquels, sils devaient être acceptés par la Chambre de première instance, une Chambre rationnelle pourrait se fonder pour prononcer un jugement de culpabilité»3.
6. LAccusation fait valoir quil existe des éléments de preuve suffisants et crédibles pour toutes les accusations retenues contre les deux accusés et demande à la Chambre de première instance de rejeter ces requêtes. Dans les annexes 1-3 de sa réponse, LAccusation fournit la liste des témoins ayant, selon elle, apporté des éléments de preuve relatifs aux différents chefs de lacte daccusation4.
B. Analyse
1) Norme applicable pour établir si les éléments de preuve présentés ne suffisent pas à justifier une condamnation en vertu de larticle 98 bis B) du Règlement
7. Compte tenu des positions largement divergentes de lAccusation et de la Défense sur la signification de larticle 98 bis du Règlement, il est nécessaire que la Chambre clarifie les règles à appliquer lors dune demande dacquittement en vertu dudit article, pour établir si les éléments de preuve présentés sont insuffisants pour justifier une condamnation. La Chambre considère que cette question demande à être traitée en détail.
8. Larticle 98 bis dispose comme suit :
Demande dacquittement
A) Un accusé peut déposer une requête aux fins dacquittement pour une ou plusieurs des infractions figurant dans lacte daccusation dans les sept jours suivant la fin de la présentation des moyens à charge et, dans tous les cas, avant la présentation des moyens à décharge en application de larticle 85 A) ii).
B) Si la Chambre de première instance estime que les éléments de preuve présentés ne suffisent pas à justifier une condamnation pour cette ou ces accusations, elle prononce lacquittement, à la demande de laccusé ou doffice.
9. LAccusation a qualifié la procédure régie par cet article de cas de no case to answer (acquittement pour insuffisance des moyens à charge, la Défense nayant pas lieu de répondre), se référant à une notion en usage dans de nombreuses juridictions de common law. Cependant, la Chambre considère quil est préférable de ne pas définir larticle 98 bis de cette façon, de crainte que, ce faisant, on soit amené à penser quil doive nécessairement être appliqué selon les procédures dacquittement pour insuffisance des moyens à charge en usage dans ces juridictions. Il est vrai que les procédures fondées sur larticle 98 bis, du fait quelles interviennent après la présentation des moyens à charge, ressemblent fortement aux requêtes dites de no case to answer des pays de common law. Pour autant, cela ne signifie pas nécessairement que les procédures régies par larticle 98 bis doivent être calquées sur celles des juridictions de ces pays. En tout état de cause, les procédures de larticle 98 bis doivent être déterminées sur la base du Statut et du Règlement, linterprétation de cet article devant notamment se faire à la lumière du contexte juridique du Statut et du but quil est censé poursuivre. Cette détermination peut être influencée par les règles en vigueur dans des juridictions internes dotées de procédures similaires, mais elle ne peut leur être soumise. Une interprétation correcte de cet article peut appeler la modification de certaines de ces règles dès lors quelles ne ressortissent plus à leur contexte interne.
10. Des demandes dacquittement faisant suite à la présentation des moyens de preuve de lAccusation ont été déposées à plusieurs reprises devant le Tribunal international, soit en vertu de larticle 54 du Règlement, soit en vertu de larticle 98 bis adopté par la 17ème session plénière en mars 1998.
11. Une analyse de la jurisprudence du Tribunal international montre quil existe un modèle récurrent dans lappréciation des demandes dacquittement déposées à lissue de la présentation des moyens à charge. Ce modèle nest pas fondé sur une conviction au-delà de tout doute raisonnable de la Chambre quant à la culpabilité de laccusé, mais sur une norme différente et moins exigeante. Avant dexaminer la jurisprudence du Tribunal concernant cette question, il est important didentifier lobjectif de larticle 98 bis. Au sens large, cet objectif consiste à déterminer si les moyens à charge présentés par lAccusation sont suffisants pour justifier que la Défense soit invitée à y répondre. De manière implicite, la procédure de larticle 98 bis instaure la distinction entre, dune part, une décision prise en milieu dinstance et, dautre part, le jugement final sur la culpabilité de laccusé, adopté à la fin du procès sur la base de preuves établies au-delà de tout doute raisonnable.
12. Dans laffaire Le Procureur c/ Tadic, la Chambre de première instance a décidé que le critère était de savoir sil existait des éléments de preuve qui, pour autant quils soient acceptés par la Chambre, pourraient légalement justifier une condamnation de laccusé5.
13. Dans laffaire Le Procureur c/ Delalic et consorts, la Chambre de première instance a conclu quelle était «convaincue que sur le plan du droit, elle a(vait) reçu pour chaque composante des infractions en question, des moyens de preuve contre lesquels les accusés d(evaient) être invités à se défendre»6.
14. Dans laffaire Le Procureur c/ Blaskic, la Chambre de première instance a estimé quelle rejetterait certains chefs daccusation uniquement «sil lui apparaissait ( ) que lAccusation a(vait) manqué à ce point à ses obligations de partie poursuivante à lencontre de laccusé, quil n(était) même plus nécessaire, dès ce stade du procès, dexaminer les moyens de preuve de la Défense sur les chefs concernés par la requête»7.
15. Dans laffaire Le Procureur c/ Kupreskic et consorts, la Chambre de première instance a rejeté une requête aux fins de retrait de lacte daccusation au simple motif quelle jugeait inopportun dappliquer larticle 98 bis dans les circonstances de lespèce8.
16. Ces décisions sont clairement révélatrices dune norme moins exigeante que la preuve au-delà de tout doute raisonnable. Lunique décision du Tribunal international pouvant être considérée comme conforme à la norme de la preuve au-delà de tout doute raisonnable a été prise dans laffaire Le Procureur c/ Jelisic9. En lespèce, laccusé ayant plaidé coupable pour douze chefs de crimes contre lhumanité, linstance portait uniquement sur laccusation de génocide, que la Chambre na pas jugée établie par les moyens de preuve présentés par lAccusation. En rejetant cette accusation de génocide, la Chambre a formulé les conclusions suivantes :
En lespèce, les juges considèrent que le Procureur na pas apporté les éléments de preuve suffisants permettant détablir au-delà de tout doute raisonnable que Jelisic a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière participé, en conscience, à la destruction, même partielle, de la population musulmane bosniaque en tant que groupe national, ethnique ou religieux. Ce doute doit bénéficier à laccusé. Dès lors, Goran Jelisic ne peut être déclaré coupable de génocide10.
17. La Chambre considère que laffaire Jelisic, qui fait dailleurs lobjet dun appel, doit être considérée comme une décision prise au vu de faits spécifiques, survenus dans des conditions inhabituelles propres à ladite affaire. Si cette décision prétendait établir une norme dadministration de la preuve, la Chambre de première instance refuserait pour lheure de sy conformer.
18. Un examen des pratiques des juridictions nationales montre que là également, le critère appliqué aux demandes dacquittement déposées à lissue de la présentation des moyens à charge nest pas la norme rigoureuse de la preuve au-delà de tout doute raisonnable.
19. Au Royaume-Uni, les tribunaux ont traditionnellement statué sur les requêtes dites de no case to answer, soumises après la présentation des moyens à charge, en examinant si lAccusation avait communiqué des preuves qui, si elles devaient être acceptées, permettraient à un tribunal raisonnable de prononcer une condamnation. Les questions de fiabilité et de crédibilité dun témoin ne sont généralement pas prises en compte dans lexamen des demandes dacquittement pour insuffisance des moyens à charge11.
20. Au Canada, les tribunaux statuent sur les demandes dacquittement faisant suite à la présentation des moyens à charge en utilisant le critère de lexistence, ou non, «déléments de preuve sur la base desquelles larbitre des faits, correctement informé, quil sagisse dun juge ou dun jury, pourrait condamner laccusé»12.
21. En Nouvelle-Galles du Sud (Australie), la procédure est la suivante :
lorsquil est saisi dune demande dacquittement pour insuffisance des moyens à charge, le juge se préoccupe uniquement de savoir sil existe des éléments de preuve légalement susceptibles dentraîner une condamnation, et non pas de savoir si les éléments de preuve présentés sont de si peu de poids quune condamnation fondée sur eux serait risquée ou discutable, sauf si les éléments de preuve sont si fondamentalement peu crédibles quaucune personne raisonnable ne les accepterait pour véridiques. Le critère à appliquer par le juge pour établir si des éléments de preuve pouvant fonder en droit une condamnation ont été fournis demeure le même, que laffaire dépende de preuves directes ou indirectes : il est de savoir sil existe, pour chaque élément du crime reproché, des éléments de preuve qui, sils sont acceptés, pourraient établir ledit élément au-delà de tout doute raisonnable.13
22. Aux États-Unis, larticle 29 des règles fédérales de procédure pénale traite des demandes dacquittement dans les termes suivants :
Après la présentation des moyens de preuve par les deux parties, le tribunal prononce, à la demande dun défendeur ou doffice, un jugement dacquittement pour une ou plusieurs infractions retenues dans lacte daccusation ou dans linculpation, si les éléments de preuve ne suffisent pas à justifier une condamnation pour cette ou ces infractions.
23. Laffaire United States v. Mariani établit clairement que le critère est de savoir si un tribunal rationnel pourrait prononcer une condamnation en se fondant sur les éléments de preuve présentés :
Lorsquun défendeur dépose une demande dacquittement, le tribunal doit déterminer si, sur la base des éléments de preuve, et le jury exerçant pleinement ses droits à déterminer la crédibilité, à peser les éléments de preuve et à procéder à des déductions légitimes, un esprit raisonnable pourrait équitablement conclure à la culpabilité au-delà de tout doute raisonnable14.
24. Dans les juridictions de droit civil, il nexiste généralement pas de procédure équivalente à celle de larticle 98 bis, sauf dans le système espagnol, qui autorise le juge à renvoyer le jury après la présentation des moyens à charge, lorsquil nexiste pas déléments de preuve qui pourraient justifier une condamnation de laccusé15.
25. La Chambre considère que le régime applicable aux procédures nationales où il existe un juge chargé dexaminer le droit et un jury chargé dexaminer les faits, est valable pour le fonctionnement du Tribunal international, bien que les Chambres de première instance soient constituées de juges statuant à la fois sur le droit et sur les faits. Les juges du Tribunal international doivent en effet faire la distinction entre leurs fonctions de juges du droit et de juges des faits, et doivent donc réserver les questions de fiabilité et de crédibilité pour la fin du procès, de la même façon que ces questions seraient laissées à lappréciation dun jury dans des systèmes nationaux.
26. La Chambre conclut que le véritable critère à appliquer lors dune demande dacquittement en vertu de larticle 98 bis nest pas lexistence déléments de preuve convaincant la Chambre au-delà de tout doute raisonnable de la culpabilité de laccusé, mais plutôt celle déléments de preuve sur la base desquels une Chambre de première instance raisonnable pourrait prononcer une condamnation. Cette conclusion est corroborée par une distinction implicite dans larticle 98 bis, également clairement présente au niveau des juridictions nationales dotées de procédures similaires. Il sagit de la distinction entre, dune part, une décision prise en cours de procès, après présentation des moyens à charge, sur la question de savoir sil y a lieu pour la Défense de répondre et, dautre part, une décision prise en fin de procès quant à linnocence ou à la culpabilité de laccusé. Il nest pas nécessaire de définir ce que lon entend par «éléments de preuves sur la base desquels une Chambre de première instance raisonnable pourrait prononcer une condamnation» ; il suffit de constater que ce critère nest pas rempli par nimporte quel élément de preuve ; il faut donc quil y ait des éléments de preuve susceptibles dentraîner logiquement une condamnation.
27. La Chambre considère que lutilisation de la norme de la preuve au-delà de tout doute raisonnable à ce stade du procès entraînerait certains problèmes. Si la Chambre déclarait, par exemple, être convaincue au-delà de tout doute raisonnable de la culpabilité de laccusé, lacquittement de celui-ci en fin dinstance, quoique possible, en deviendrait certainement plus difficile. De plus, une telle prise de position de la Chambre en milieu de procès obligerait laccusé à citer des témoins, dans une procédure où pourtant rien ne ly oblige. Cette éventualité poserait certainement un problème de respect des droits accordés à laccusé par le Statut. Par ailleurs, conclure à lexistence de preuves de culpabilité au-delà de tout doute raisonnable rendrait impossible lacquittement de laccusé en fin de procès, si celui-ci ne cite pas de témoins. Par contre, si lon utilise le critère, moins exigeant, de lexistence de preuves suffisantes pour permettre denvisager une condamnation, il serait parfaitement concevable de faire le constat de lexistence de ces preuves et néanmoins dacquitter laccusé à la fin du procès, même sil ne cite pas de témoins, au motif que la Chambre de première instance nest pas convaincue de sa culpabilité au-delà de tout doute raisonnable.
28. Le critère énoncé par la Chambre à savoir lexistence de preuves susceptibles de justifier une condamnation par une Chambre raisonnable est fondé sur le fait que la Chambre, lorsquelle statue sur une requête fondée sur larticle 98 bis, nétudie généralement pas les questions de crédibilité et de fiabilité, quelle réserve pour la fin du procès. Toutefois, il existe une situation dans laquelle la Chambre est obligée dexaminer ces questions : lorsque la cause de lAccusation sest totalement effondrée, soit lorsquelle interrogeait ses propres témoins, soit à lissue dun contre-interrogatoire ayant soulevé des questions si fondamentales sur la fiabilité et la crédibilité des témoins que lAccusation se retrouve privée darguments.
2) Application du critère par la Chambre de première instance
29. LAccusation a demandé à la Chambre de première instance de se reporter à lannexe 1 de sa Réponse pour le détail des éléments de preuve spécifiques aux lieux et aux chefs de lacte daccusation. LAccusation a admis quelle navait pas produit déléments de preuve pour quelques rares lieux visés dans lacte daccusation et a accepté de modifier ce dernier16. Selon lannexe 1, il sagit des lieux suivants :
Chef 43 : Divjak and Stupni Do
Chef 44 : Divjak.
30. Lacte daccusation déclare au paragraphe 5 que la Communauté croate de Herceg-Bosna (la «HZ H-B») et ultérieurement la République croate de Herceg-Bosna (la «HR H-B») comprenaient 31 municipalités. La Défense de Kordic allègue que les éléments de preuve présentés concernent uniquement neuf municipalités, à savoir : Busovaca, Fojnica, Kiseljak, Kresevo, Novi Travnik, Travnik, Vares, Vitez et Zepce17. Cest pourquoi la Défense de Kordic affirme que les allégations de persécutions (chef 1) relatives aux 22 municipalités restantes devraient être rejetées18.
31. LAccusation soutient quil existe suffisamment de preuves des activités de laccusé dans la zone de HZ H-B/ HR H-B prise dans son ensemble, ces activités étant partie dun projet densemble, et que de ce point de vue il nest pas nécessaire de modifier lacte daccusation19. Les activités de laccusé sont de nature telle que son implication aux niveaux les plus élevés de la HZ H-B/ HR H-B affecte toutes les municipalités.
32. La Chambre de première instance estime quil existe des éléments de preuve substantiels sur le rôle de laccusé Dario Kordic dans le gouvernement et le contrôle densemble de la HZ H-B/ HR H-B. Comme on la vu dans la section relative au critère applicable, la Chambre nest pas tenue, à ce stade de linstance, dexaminer les questions de crédibilité et de fiabilité, sauf en de très rares circonstances qui ne sont pas celles de lespèce. La Chambre note que le paragraphe 36 de lacte daccusation impute à laccusé des persécutions commises «dans toute la HZ H-B/ HR H-B et la municipalité de Zenica». Ceci ne veut pas dire que lAccusation doit produire des éléments de preuve pour chacune des municipalités constituant la HZ H-B/ HR H-B. Les moyens à charge se rapportent à limplication de laccusé dans les plus hautes sphères gouvernementales, et la Défense devrait préparer ses arguments en conséquence. Il ne sera notamment pas nécessaire quelle cite des témoins au sujet de municipalités pour lesquelles aucun élément de preuve na été fourni.
33. La Défense de Kordic avance que le Procureur na pas démontré que laccusé avait une intention discriminatoire, et que ce dernier devrait être acquitté des persécutions visées au chef 1, pour défaut de mens rea. La Chambre rejette cette demande et conclut que le rang supérieur que laccusé est présumé avoir occupé dans la HZ H-B/ HR H-B pourrait permettre de tirer des conclusions sur son état desprit, à partir de sa conduite et de ses crimes supposés.
34. La Défense de Mario Cerkez demande à la Chambre de première instance de rejeter toutes les accusations portées contre laccusé pour la période antérieure au 16 avril 1993. La Chambre estime quun tel rejet partiel ne se justifie pas. En effet, à ce stade, la Chambre nest pas obligée de statuer sur des questions telles que la date exacte à laquelle laccusé a assumé ses fonctions de commandant. Il suffit quil existe des éléments prouvant que les crimes allégués ont été commis durant la période indiquée dans lacte daccusation, cest-à-dire «davril 1992 à août 1993 approximativement»20.
35. Sur la base du critère ci-dessus, la Chambre de première instance estime quil nexiste pas ou pas suffisamment déléments de preuve pour le chef 39 (pillage) sagissant des endroits suivants :
Merdani
Putis
Ocenici
Kazagici
Behrici
Gromiljak
Visnjica
Nadioci
Pirici
Gacice, et
pour le chef 42 (pillage) :
Nadioci
Pirici
Par conséquent, les accusés sont acquittés, pour insuffisance des moyens à charge, des chefs se rapportant à ces lieux.
36. À lexception des points mentionnés ci-dessus, la Chambre de première instance rejette les différents arguments sur linsuffisance des moyens à charge soumis par les Défenses de Kordic et de Cerkez dans leurs conclusions écrites et orales. La Chambre note que toutes les parties ont présenté des conclusions écrites et orales détaillées, non seulement sur les moyens de preuve, mais également sur le droit applicable. Elle estime toutefois que ces questions devront être tranchées par le jugement final dans ce procès.
III. DISPOSITIF
Par ces motifs,
EN APPLICATION de larticle 98 bis du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international,
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE
1) PRONONCE linsuffisance des moyens à charge pour les chefs 39, 42, 43 et 44 pour les lieux spécifiés ci-dessus ; et
2) REJETTE les demandes dacquittement de la Défense.
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
________(signé)________
Richard May
Président de la Chambre de première instance
Fait le six avril 2000
à La Haye (Pays-Bas)
[Sceau du Tribunal]