Affaire n° : IT-00-39-T

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I

Composée comme suit :
M. le Juge Alphons Orie, Président
M. le Juge Joaquín Martín Canivell
M. le Juge Claude Hanoteau

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
4 mars 2005

LE PROCUREUR

c/

MOMCILO KRAJISNIK

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DECISION RELATIVE A LA DEUXIEME REQUETE AUX FINS DE SUSPENSION DU PROCES PRESENTEE PAR LA DEFENSE

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Le Bureau du Procureur :

M. Mark B. Harmon
M. Alan Tieger
M. Thomas Hannis

Les Conseils de la Défense :

M. Nicholas Stewart
Mme Chrissa Loukas

1. La Chambre est saisie d’une requête aux fins de suspension du procès que la Défense a déposée le 22 février 2005. Cette requête est présentée dans le contexte suivant . Le procès s’est ouvert le 3 février 2004. Le 28 février 2005, lorsque la Chambre, dans sa nouvelle formation, a commencé à entendre les plaidoiries reprises au point où elles en étaient restées en décembre de l’année précédente, 102 audiences au total avaient déjà été tenues. Toutes ces audiences n’ont pas été consacrées à l’audition de témoins ; six jours environ ont été consacrés aux déclarations liminaires et aux questions de procédure. Au Tribunal, une audience type dure quatre heures quarante-cinq minutes, et non une journée entière1. Au cours des 102 audiences en question, l’Accusation a présenté un peu moins de la moitié des arguments à charge.

2. Entre le 3 février 2004 et le 28 février 2005, il était possible de tenir au total 243 jours d’audience, si l’on ne compte pas les quelque sept semaines correspondant aux vacances judiciaires et aux jours fériés. Au cours de cette période, 42 % seulement du temps disponible a été consacré aux audiences, ce qui laissait au moins 141 jours pleins pour la préparation du procès (hors les week-ends, les jours fériés et les vacances judiciaires). Ce temps disponible a comporté sept semaines consécutives sans audiences, ce qui n’était pas prévu et est dû à la nécessité de procéder à une nouvelle formation du collège de juges. À un rythme de sept heures et demie par jour pour chacun des deux conseils de la Défense, le calcul est donc de 141 x 7,5 x 2 = 2 115 heures hors audiences depuis le 3 février 2004, sans compter le temps de préparation normal restant aux conseils les jours d’audience, ni le temps correspondant pour les autres membres de l’équipe de la Défense. Les deux conseils de la Défense se sont souvent partagé la tâche en ce qui concerne les témoins et n’ont pas toujours été présents ensemble aux audiences. Le nombre d’heures hors audiences utilisées depuis le 3 février 2004 dépasse donc de beaucoup les 2 115  heures. Le commis à l’affaire de la Défense, qui a rarement été absent des audiences, disposait d’au moins 141 x 7,5 = 1 057 heures hors audiences. Le même calcul s’applique à l’Accusé. En outre, plusieurs membres de l’équipe de la Défense basée à La Haye ont travaillé sur l’affaire pendant la période en question2.

3. Même si ces calculs sont approximatifs et incomplets, il est clair que l’Accusé et son équipe de la Défense ont disposé de plusieurs milliers d’heures hors audiences depuis l’ouverture du procès.

4. L’Accusé a aussi eu amplement l’occasion de préparer sa cause durant la phase préalable au procès. La comparution initiale de l’Accusé a eu lieu le 7 avril 2000, et depuis lors, il a été représenté par un conseil. La première équipe de la Défense de l’Accusé a été dissoute au cours du deuxième semestre 2003, lorsque le conseil principal a été suspendu de ses fonctions. La première équipe de la Défense a facturé un total de 26 500 heures pour la préparation de l’affaire. Le 30 juillet 2003, un nouveau conseil principal a été commis d’office pour défendre l’Accusé, et le 16 septembre 2003, un nouveau coconseil a été nommé. Comme la Chambre l’a relevé dans la décision qu’elle a rendue en septembre dernier concernant la première requête de l’Accusé aux fins de suspension3, la nouvelle équipe est composée du conseiller juridique de l’équipe précédente, ainsi que d’un autre de ses anciens membres, Mme Cmeric, qui est actuellement la personne chargée du dossier au sein de l’équipe de la Défense. Comme la Chambre le rappelle aussi dans sa décision rendue en septembre, la transmission des pièces du dossier par l’ancienne équipe à la nouvelle a posé des problèmes à cette dernière ; les documents ont été communiqués avec des retards importants et ont été reçus dans le désordre. Toutefois, personne n’a dit que l’Accusé, quant à lui, n’avait pas bénéficié du travail de sa première équipe. Il ne fait aucun doute que l’Accusé était à même de faire le lien entre l’ancienne équipe et la nouvelle, et ce, de façon importante.

5. La Chambre a toujours tenu compte des difficultés dont la nouvelle équipe de la Défense a fait état, et elle a modifié en conséquence la date d’ouverture du procès et la cadence des audiences. Ces mesures sont consignées dans la décision qu’elle a rendue en septembre.

6. Dans sa deuxième requête aux fins de suspension, la Défense demande maintenant que le procès soit immédiatement ajourné, et ce, pour une durée de six mois, à savoir jusqu’au 29 août 2005. La Défense soutient derechef qu’elle n’a disposé ni du temps ni des ressources nécessaires pour préparer la défense de l’Accusé. Le 28 février  2005, la Chambre a entendu des arguments supplémentaires que la Défense a présentés oralement. L’Accusation s’est opposée à la requête4.

7. Pour statuer sur la deuxième requête aux fins de suspension, la Chambre s’abstiendra autant que possible de répéter ce qu’elle a déjà dit dans la décision qu’elle a rendue en septembre, laquelle était relativement détaillée. Il suffit de préciser que la Chambre y avait décidé qu’à ce stade, la Défense avait disposé du temps et des ressources nécessaires pour préparer sa cause ; la Chambre a donc rejeté cette première requête, non sans cependant « assurSerC à la Défense qu’elle continuerait à suivre de près le degré de préparation de l’équipe de la Défense tout au long du procès ». Il échet désormais d’examiner ce qui a changé depuis septembre 2004 pour qu’il y ait lieu de déposer une nouvelle requête portant sur la même question . La Défense soutient que sa préparation a beaucoup de mal à progresser dans plusieurs domaines. Les arguments qu’elle a présentés en ce sens sont examinés ci-après.

8. À titre préliminaire, la Chambre complètera l’exposé de ses motifs concernant le droit applicable dans la décision rendue en septembre par une remarque sur ce qu’il faut entendre par « temps et [...] ressources nécessaires ». La Convention européenne des droits de l’homme dispose que « [t]out accusé a droit notamment à [...] disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense  » (article 6 3) b)). Le Statut du Tribunal suit de près cette formulation et dispose que « [t]oute personne contre laquelle une accusation est portée [...] a droit [...] au moins aux garanties suivantes : [...] à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense » (article 21 4) b)). Ces deux formulations mentionnent l’accusé en tant que sujet du droit en question. En pratique, lorsqu’un conseil représente l’accusé, ce sont souvent la préparation du conseil et les services fournis à son client qui sont en cause5. La deuxième requête aux fins de suspension évoque cette distinction lorsqu’elle énonce que « la question que l’on doit se poser est celle de savoir si la Défense a et aura suffisamment de temps pour se préparer pour le reste du procès, de telle sorte que M. Krajisnik soit jugé de manière équitable6  ».

9. Toutefois, la Défense énonce ici ce critère d’une façon qui n’est pas tout à fait exacte. La question de savoir si un accusé a disposé du temps et des ressources nécessaires ne revient pas toujours à celle de savoir si l’équipe le plus récemment nommée pour assurer sa défense a disposé du temps et des ressources nécessaires. Dans certains cas, ramener la première question à la seconde se justifie (par exemple lorsque l’accusé, du fait d’une incapacité mentale, dépend complètement de l’équipe qui assure sa défense). Dans d’autres cas, ces deux questions devront être analysées séparément. En tout état de cause, le critère de contrôle tel que la Cour européenne des droits de l’homme l’a énoncé est que « pour savoir si le résultat voulu par l’article 6 – un procès équitable – a été atteint, il échet de prendre en compte l’ensemble des procédures S...C dans l’affaire considérée7  ». Et cela comprend non seulement le temps et les ressources dont a disposé l’équipe le plus récemment nommée pour assurer la défense de l’accusé, mais aussi le temps et les ressources dont l’accusé lui-même a disposé depuis le début de l’affaire8. Le caractère adéquat du premier élément est un facteur à prendre en compte pour apprécier la pertinence du second, et la pertinence du second doit être prise en considération pour juger de l’équité du procès.

10. La Chambre se penchera maintenant sur les points précis qui sont soulevés dans la requête. Rien de ce qui suit ne doit être interprété comme de l’indifférence au regard de la tâche des conseils de la Défense, qui se sont engagés dans des circonstances difficiles et n’ont peut-être pas bénéficié à tout moment de la coopération totale de l’Accusé. La Chambre tient pour acquis que « [les conseils] ont assuré la défense de M. Krajisnik de façon diligente et professionnelle en toutes circonstances9  ».

a) « Rassembler, lire et analyser les documents pertinents ou potentiellement pertinents »

11. D’après la requête, les conseils de l’équipe actuels n’ont, à eux deux, « pas pu lire plus de 15 % de la totalité des documents » qu’ils ont pu recueillir. La Défense prend acte de ce que la Chambre, dans sa décision rendue en septembre dernier, observe qu’il faut être réaliste et qu’une affaire de grande envergure ne saurait être traitée de manière aussi détaillée qu’une affaire de portée plus réduite. La Défense estime toutefois qu’« on ne saurait à bon droit en conclure qu’un aspect ou un autre n’a pas lieu d’être examiné en dessous d’un seuil minimum de sécurité ou qu’il faut refuser à la Défense le temps nécessaire pour, au minimum, examiner et présenter tel ou tel aspect ». La Défense n’explique pas ce que recouvre ce «  seuil minimum de sécurité », si ce n’est pour dire qu’« elle n’adopte pas une vision irréaliste de ce qui constitue un critère minimum et qu’elle reconnaît que le mieux peut être l’ennemi du bien et du meilleur ».

12. L’argument selon lequel la Défense n’a eu le temps de lire qu’une petite partie des dizaines de milliers de pages de pièces en sa possession pour demander une suspension du procès comporte plusieurs faiblesses. D’une façon générale, il y a une différence importante entre la quantité de pièces communiquées à un accusé et la quantité de pièces versées au dossier. Lorsqu’elle va rendre sa décision, la Chambre prend seulement le deuxième élément en considération (la moindre quantité). La requête n’établit pas clairement la distinction entre, d’une part, les documents communiqués en raison de leur caractère essentiel pour les arguments de l’Accusation, et d’autre part, la communication ordinaire des « éléments de preuve à décharge et autres éléments pertinents » (article 68 du Règlement de procédure et de preuve). La requête ne renseigne pas la Chambre pour ce qui est de savoir si l’Accusé a eu l’occasion de passer en revue les documents en question ou s’il en connaît éventuellement déjà une bonne partie. L’annexe I de la requête indique que « [s]ur la totalité des documents, 60 % sont en B/C/S et 40 % en anglais ». La requête n’indique pas clairement quels sont les recoupements ou les répétitions en quantité de documents cités. D’ailleurs, si les deux conseils, qui ne lisent pas le serbo-croate, ont lu 15 % de « la totalité des documents », alors – à moins que l’argument ne soit différent de ce qu’il semble – ils ont lu environ 38 % des documents en anglais, qui comportent des traductions de documents en B/C/S. À ce stade, 38 % pour les deux conseils en l’espèce n’est peut-être pas l’idéal comme quantité, mais cela n’est pas non plus insignifiant comme progrès. En outre, les conseils ont dans leur équipe des personnes qualifiées pour les aider dans leur lecture.

13. La raison pour laquelle cet argument ne tient pas est qu’il ne convainc pas la Chambre que, pour que le procès soit équitable, le conseil de l’Accusé doit disposer du temps et des ressources nécessaires pour lire attentivement tous les documents rassemblés. La Chambre est bien consciente que la Défense aura pour stratégie de faire appel à ce que sait l’Accusé lui-même, et que dans des affaires complexes ou de grande envergure, elle usera de stratégies qui lui facilitent le travail, ainsi que de documents et de technologies qui ont pour but de trouver les pièces pertinentes pour la stratégie en question. Les pièces que l’Accusation a communiquées à l’Accusé ont été classées explicitement ou implicitement de différentes manières, et elles ont été communiquées sous diverses formes, dont certaines ne peuvent être consultées qu’à l’aide d’un ordinateur. Des procès-verbaux de réunions volumineux, qui représentent une partie considérable des documents de l’espèce, sont susceptibles d’être numérisés par rubriques de l’ordre du jour pour identifier les questions pertinentes. La progression du procès à ce jour a permis de distinguer les questions litigieuses de celles qui ne donnent pas lieu à contestation ou qui sont secondaires . L’Accusé lui-même est à l’évidence un homme intelligent et instruit qui s’intéresse vivement à la conduite de sa défense. À cet égard, il ne fait aucun doute qu’il a occupé des fonctions officielles importantes, notamment celles de Président de l’Assemblée de Bosnie-Herzégovine et de Président de l’Assemblée des Serbes de Bosnie . Même en appliquant le critère que propose la Défense, la Chambre n’est pas convaincue que, simplement parce que les conseils n’ont jusqu’à présent lu que la moitié des documents en anglais à leur disposition, cela signifie que la présentation des moyens de l’Accusé ne parvient pas à atteindre le « seuil minimum requis ».

b) « Préparation efficace du contre-interrogatoire des témoins importants »

14. La Défense affirme que, dans les cas où une préparation efficace a été possible, « elle n’a pu y parvenir qu’en sacrifiant tout ou partie de ses autres tâches pendant d’assez longues périodes. Mais hormis ce qui concerne les témoins directs de crimes commis sur les lieux dont le témoignage était clair, une telle préparation s’est souvent avérée impossible, même lorsque cet effort a été fourni ».

15. La Chambre n’accepte pas l’argument selon lequel l’Accusé et l’équipe qui assure sa défense n’auront pas eu le temps et les ressources nécessaires pour préparer le contre-interrogatoire des témoins, ou qu’ils n’ont pas disposé du temps voulu à la fin de la présentation des arguments de l’Accusation s’ils n’obtiennent pas le report demandé. Comme la Chambre l’a rappelé ci-dessus, depuis l’ouverture du procès, l’Accusé et l’équipe chargée de sa défense ont disposé d’au moins 141 jours pour préparer leurs moyens, pendant lesquels aucune audience ne s’est tenue. Avant l’ouverture de ce procès, les conseil principal et coconseil, nouvellement commis d’office, ont disposé de plusieurs mois de préparation, plus précisément de 1 045  heures rien que pour les deux conseils10. L’Accusé a lui-même préparé ses moyens, avec l’aide de ses conseils et d’autres membres de l’équipe, et ce, depuis l’an 2000. Lorsque la présentation des moyens à charge sera achevée, l’Accusé et l’équipe qui assure sa défense disposeront de temps et de ressources supplémentaires pour préparer la présentation des moyens à décharge, tant avant que pendant la présentation de ceux-ci.

c) « Une stratégie de la Défense développée de manière pertinente et qui couvre tous les points essentiels et utilise à bon escient les documents pertinents disponibles »

16. Ce point n’a pas été développé dans la requête. La Chambre estime qu’il ne soulève pas de question nouvelle qui n’aurait pas déjà été traitée dans d’autres parties de la décision.

d) « Audition de témoins en Bosnie par les conseils »

17. La Défense indique que jusqu’à présent, « elle n’a pu consacrer que huit heures  » à cette tâche. En l’occurrence, il s’agit là du temps du conseil et du coconseil . D’une façon générale, la manière dont les membres de l’équipe de la Défense se répartissent le travail ne concerne pas la Chambre. Cette dernière a été informée 11 du fait que toute l’aide juridictionnelle accordée à l’Accusé est utilisée pour rémunérer du personnel qui est basé à La Haye . Cela laisse à l’Accusé, pour les dépenses nécessaires aux tâches extérieures depuis l’ouverture du procès, 9 589 dollars des États-Unis par mois de ses propres fonds (c’est-à-dire sa contribution évaluée par le Greffe pour faire face aux frais escomptés pour assurer sa défense, s’agissant d’une affaire de niveau 3)12, soit 13 x 9 589 dollars des États-Unis = 124 657 dollars des États-Unis (équivalant à 91 872 euros). À un tarif de 15 à 25 euros de l’heure (montant versé aux enquêteurs, selon l’annexe de la Directive relative à la commission d’office de conseils), cela fait donc depuis le 3 février 2004 un minimum de 3 675 heures pour l’identification et l’audition de témoins. On peut analyser la situation d’une autre manière : l’Accusé emploierait pratiquement trois personnes supplémentaires à plein temps (3 600 dollars des États-Unis par mois par personne, au tarif fixé par le Greffe) depuis le début du procès et ce, jusqu’à la fin de celui-ci. Dans sa requête, la Défense indique que « des problèmes se sont posés concernant l’évaluation de la contribution de M. Krajisnik aux frais de sa défense. SCesC problèmes n’ont pas aggravé de façon significative les difficultés éprouvées par l’équipe de la Défense de La Haye pour boucler l’affaire aussi rapidement que possible ». La Chambre observe que si – comme la déclaration susmentionnée semble le sous-entendre – l’Accusé conserve par devers lui le montant de sa contribution telle qu’elle a été évaluée, il ne peut se plaindre à la Chambre que son équipe ne parvient pas à localiser des témoins ni à procéder à leur audition. D’une manière plus générale, si l’Accusé ne donne pas à son équipe au moins un minimum d’honoraires, il ne doit pas s’étonner de recevoir en échange des prestations inférieures à ce minimum. C’est à lui de choisir. On n’attend pas des conseils de la Défense qu’ils fassent l’impossible.

e) « Les experts de la Défense n’ont été ni identifiés ni interrogés »

18. La Défense indique qu’elle n’a pas encore pu bénéficier des commentaires d’un expert au sujet des preuves à charge, car elle n’a pas eu le temps de trouver ni d’interroger des experts. La requête précise que le coconseil a consacré environ 110 heures à examiner les déclarations d’experts.

19. La Chambre reconnaît qu’il s’agit là d’une question importante, puisqu’il est manifestement utile de consulter des experts durant la présentation des moyens à charge. Cet argument ne constitue toutefois pas un facteur pertinent pour évaluer la nécessité d’une suspension du procès. Le temps disponible pour la préparation doit être utilisé de manière réaliste, et si l’Accusé et ses conseils décident de répartir ce temps d’une façon plutôt que d’une autre, il appartient à la Défense de trouver un équilibre pendant le déroulement du procès. De plus, quand la consultation d’experts par la Défense au cours de la présentation des moyens à charge n’est pas entièrement terminée, une bonne partie du temps perdu peut être récupérée durant la présentation des moyens à décharge. Étant donné qu’on n’en est qu’à la moitié de la présentation des moyens à charge, la Défense a encore la possibilité de bénéficier de conseils sur les déclarations d’experts. La Chambre n’a pas lieu de se pencher sur une question découlant des choix faits en matière de gestion du temps par l’équipe de la Défense de l’Accusé.

f) « La mauvaise compréhension générale des documents par les conseils a empêché de recueillir des instructions adéquates de la part de M. Krajisnik »

20. Pour les raisons susmentionnées, ce point ne convainc pas la Chambre qu’il convient de suspendre le procès. En tout état de cause, l’Accusé a les connaissances et les capacités pour donner des instructions adéquates à ses conseils, et la possibilité de le faire.

g) « Enquêtes adéquates sur le terrain »

21. La Défense fait valoir que le calendrier proposé par la Chambre suppose que l’équipe de la Défense n’a pas eu et n’aura pas suffisamment de temps pour former les enquêteurs convenablement et effectuer le suivi nécessaire sur le terrain.

22. La Chambre n’est pas convaincue par cet argument pour les motifs exposés ci- dessus.

h) « Difficultés linguistiques »

23. La Défense a présenté sur ce point des arguments détaillés, mais qui ont trait, à ce qu’il semble, à des problèmes de personnel (la disponibilité de personnes parlant B/C/S dans l’équipe). Ce n’est pas un ajournement du procès qui résoudra ces questions.

24. En dernier lieu, la Chambre relève l’affirmation de la Défense selon laquelle la Chambre procède à un rythme qui doit permettre « de respecter la date butoir d’avril 2006 annoncée et désormais consignée dans le procès-verbal de la réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies du 18 janvier 2005 ». Il est vrai que la Chambre a proposé une date limite aux parties13, mais dire que cette date est désormais devenue, en quelque sorte, une date butoir fixée par le Conseil de sécurité – ou par tout autre organe – est faux. La résolution du Conseil de sécurité indique simplement qu’il « [p]rend note à ce propos du fait que le Tribunal a l’intention de mener à [son] terme ... l’affaire Krajisnik avant la fin d’avril 200614 ». Telle est bien l’intention du Tribunal, mais c’est à la Chambre qu’il appartient de décider si la procédure sera close pour cette date ou une autre date, après avoir consulté comme il se doit les parties, et sous réserve des conditions d’un procès équitable 15.

25. Pour les motifs exposés ci-dessus, la Chambre REJETTE la requête.

26. La Chambre continuera bien entendu de contrôler l’état d’avancement de la défense de l’Accusé, afin d’assurer un procès équitable. Il est demandé à l’Accusation d’aider les conseils de la Défense autant qu’elle pourra raisonnablement le faire, en s’assurant notamment que les documents sont bien fournis à la Défense, autant que possible sur un support informatique qui permette d’effectuer des recherches.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance
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Alphons Orie

Le 4 mars 2005
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1 - Cet horaire a pour but de permettre de tenir deux audiences par jour dans chacune des trois salles du Tribunal.
2 - Selon le conseil principal de la Défense, « voici ce qu’il faut entendre lorsque nous parlons d’équipe principale : il s’agit de moi-même, de Mme Loukas et de Mme Cmeric, et nous avons également Mme Pitcher en ce moment en tant qu’assistante juridique. Nous avons toujours eu au moins un assistant juridique, et pendant un certain temps, pendant plusieurs mois, nous en avons eu deux. Nous avons eu Mme Dixon, dont Messieurs les Juges peuvent se souvenir, et pendant un certain temps M. Jovanovic... De mémoire, je crois que Mme Dixon est restée avec nous quatre ou cinq mois. Depuis le début du procès et maintenant encore, nous avons toujours eu au moins un assistant juridique à temps plein, et pendant une période d’environ quatre ou cinq mois, je crois, durant l’été et jusqu’au moment où il a dû partir à Londres pour commencer sa formation, nous avons également eu M. Jovanovic ; nous en avons donc eu deux pendant une certaine période. Nous avons également connu une période durant laquelle Mme Dixon, qui était sur le point de partir, et Mme Pitcher, qui arrivait, étaient présentes en même temps » (compte rendu d’audience, p. 9594).
3 - Motifs de la décision relative à la requête de la défense aux fins de suspension du procès, 21 septembre 2004.
4 - Compte rendu d’audience, p. 9571 à 9602 (arguments présentés oralement par les parties le 28 février 2005 ; certaines questions mineures y afférentes ont été soulevées au cours des audiences des 1er et 2 mars 2005).
5 - Artico c/ Italie, 13 mai 1980 (CEDH), par. 33 (« le requérant n’a pas joui d’une assistance juridique effective » ; plus généralement, la commission d’office d’un conseil n’assure pas en soi l’efficacité de l’assistance qu’il peut apporter à l’accusé) ; Goddi c/ Italie, 9 avril 1984 (CEDH), par. 31 (« la Chambre d’appel aurait dû pour le moins [...] adopter des mesures positives destinées à permettre à l’avocat d’office de remplir sa tâche dans les meilleures conditions ») ; Ocalan c/ Turquie, 12 mars 2003 (CEDH), par. 157 (« la limitation du nombre et de la durée des entretiens du requérant avec ses avocats est l’un des éléments qui ont rendu difficile la préparation de sa défense, contrairement aux dispositions de l’article 6 de la Convention »).
6 - Par. 2 de la requête, non souligné dans l’original.
7 - Ocalan c/ Turquie, par. 153.
8 - Voir Mayzit c/ Russie, 20 janvier 2005 (CEDH), par. 78 (« l’accusé doit avoir la possibilité d’organiser sa défense de manière appropriée et sans restriction quant à la possibilité de présenter tous les arguments pertinents devant la cour, et donc d’influencer l’issue du procès. Il est enfreint à la disposition si cela n’est pas possible ») [traduction non officielle].
9 - Par. 18 de la Requête.
10 - Voir le paragraphe 6 de la Décision de la Chambre rendue en septembre.
11 - Compte rendu d’audience, p. 9594 et 9595.
12 - Voir Registrar's Decision (on legal aid allocation), 3 août 2004.
13 - Voir compte rendu d’audience, p. 7329 à 7334 et le débat qui s’en est suivi, p. 7662 à 7679.
14 - Résolution des Nations Unies S/RES/1581 (2005), par. 2.
15 - La Chambre a déjà invoqué cet argument, voir compte rendu d’audience, p. 7669 et 7670.