DEVANT UN JUGE D'UNE CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Devant : Mme le Juge Patricia Wald

Assisté de : Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Ordonnance rendue le : 7 avril 2000

LE PROCUREUR

C/

BILJANA PLAVSIC

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EX PARTE - SOUS SCELLÉS

ORDONNANCE RELATIVE À L'EXAMEN DE L'ACTE D'ACCUSATION
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 19 DU STATUT
ET ORDONNANCE AUX FINS DE NON DIVULGATION

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I. Introduction

1. Le 5 avril 2000, en application de l'article 19 du Statut du Tribunal international et de l'article 47 de son Règlement de procédure et de preuve (le «Règlement»), le Bureau du Procureur (le «Procureur») a présenté pour confirmation un acte d'accusation contre BILJANA PLAVSIC, l'inculpant des crimes suivants : génocide et complicité de génocide ; crimes contre l'humanité au nombre desquels l'extermination, l'assassinat, la persécution, l'expulsion et des actes inhumains ; homicide intentionnel, une infraction grave aux Conventions de Genève de 1949 ; et meurtre, une violation des lois ou coutumes de la guerre. Ledit acte était soumis conjointement avec des éléments justificatifs et une requête intitulée «Présentation d'un acte d'accusation aux fins d'examen, requête aux fins de délivrance de mandats d'arrêt, d'ordonnances y relatives et d'une décision relative à une ordonnance de non divulgation».

2. En application des articles 47 et 53 du Règlement, Nous avons entendu le Procureur en notre cabinet le 7 avril 2000.

3. L’article 19 du Statut et l’article 47 du Règlement demandent qu'avant de confirmer l'acte d'accusation, Nous soyons convaincus qu’au vu de l’exposé des faits matériels dans ledit acte, il existe des présomptions suffisantes pour engager des poursuites ainsi que des éléments de preuve à l’appui de ces faits matériels1.

 

II. Examen de l'acte d'accusation et des éléments justificatifs

4. L'acte d'accusation allègue que BILJANA PLAVSIC était l'un des membres éminents du Parti démocratique serbe de Bosnie-Herzégovine (le «SDS») dès sa création et qu'elle a occupé divers hauts postes de responsabilité, y compris à la Présidence, au Gouvernement de l'entité dénommée République serbe de Bosnie-Herzégovine. Il est allégué, en outre, qu'à ces postes, BILJANA PLAVSIC dirigeait et commandait des forces serbes de Bosnie (notamment des unités militaires, paramilitaires et unités de police) comme l'ensemble des autorités administratives et du SDS (notamment les cellules de crise, les présidences de guerre et les commissions de guerre) qui ont pris part aux crimes allégués dans l'acte d'accusation. Les éléments justificatifs contiennent des informations relatives à la structure des diverses organisations des Serbes de Bosnie et à la place occupée par BILJANA PLAVSIC dans celles-ci.

5. L'acte d'accusation allègue qu'entre le 1er juillet 1991 et le 30 décembre 1992, BILJANA PLAVSIC, agissant seule ou de concert avec Radovan Karadžic, Momcilo Krajisnik et d'autres représentants officiels des Serbes de Bosnie, a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé à mettre en œuvre une ligne de conduite caractérisée notamment par des persécutions et des tactiques de terreur, dans le but de contraindre les non-Serbes à quitter les régions de Bosnie-Herzégovine destinées à être inclues dans la République serbe de Bosnie-Herzégovine. Il est allégué dans l'acte d'accusation que bon nombre de ces non-Serbes qui n'ont pas répondu par la fuite à ces tactiques, ont été expulsés ou tués.

6. L'acte d'accusation énumère plus d'une dizaine de cas où un grand nombre de civils ont été tués pendant et après l'attaque des régions prises pour cibles et les éléments justificatifs présentent les déclarations de nombreux témoins de ces meurtres.

7. L'acte d'accusation énumère onze camps de détention où ont été conduits des non-Serbes et les éléments justificatifs présentent de nombreuses déclarations recueillies auprès de personnes qui y ont été détenues, faisant état de tortures, de meurtres de détenus et de conditions de vie inhumaines à propos de ces camps.

8. L'acte d'accusation allègue que des milliers de non-Serbes ont été transférés de force ou expulsés des régions prises pour cibles et les éléments justificatifs présentent de nombreuses déclarations de personnes décrivant la manière dont les habitants de leurs villes et villages ont été expulsés par les forces serbes de Bosnie.

9. L'acte d'accusation allègue que dans les régions prises pour cibles, les non-Serbes se sont vus priver de leurs droits fondamentaux tels que le droit au travail, à la liberté de circulation, à être jugé par un tribunal et à l'égalité devant les soins médicaux. De nombreuses déclarations de témoin décrivent ces faits.

10. L'acte d'accusation allègue la destruction sans motif des biens des non-Serbes, notamment des édifices religieux. De nombreuses déclarations de témoin décrivent ces destructions.

11. S'agissant des actes décrits aux six paragraphes précédents, les éléments justificatifs font état de conduites similaires dans de nombreuses villes distinctes.

12. L'acte d'accusation allègue que BILJANA PLAVSIC, compte tenu de sa position et de son autorité ainsi que du caractère généralisé de ces événements, savait ou avait des raisons de savoir que les forces serbes de Bosnie placées sous sa direction et son commandement commettaient ces crimes. Au vu des éléments justificatifs présentés, il existe des présomptions suffisantes pour engager des poursuites fondées sur ces allégations.

13. L'acte d'accusation allègue que ces crimes ont été perpétrés au cours d'un conflit armé et qu'à l'appui des chefs d'accusation visant des infractions sanctionnées par l'article 2 du Statut, il s'agissait d'un conflit armé de caractère international ; que les actes ou omissions qualifiés de crimes contre l'humanité faisaient partie d'une offensive généralisée ou systématique contre la population civile non serbe ; que les actes et omissions qualifiés de génocide ont été commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, les groupes ethniques musulman et croate de Bosnie. Au vu des éléments justificatifs présentés, il existe des présomptions suffisantes pour engager des poursuites fondées sur ces allégations.

 

III. Conclusions et Dispositif

14. Nous sommes convaincus que le Procureur a établi qu'au vu des présomptions, il y avait lieu d'engager des poursuites pour tous les chefs visés à l'acte d'accusation. En application de l'article 19 du Statut et de l'article 47 du Règlement, Nous CONFIRMONS chacun des dits chefs.

15. En outre, le Procureur nous ayant convaincu de la nécessité de maintenir la confidentialité à ce stade de la procédure et en application des articles 53, 53 bis, 54, 55 et 59 bis du Règlement, Nous ORDONNONS comme suit :

a. Le mandat d'arrêt relatif à l'accusée ne sera pas transmis aux autorités de Bosnie-Herzégovine ou de Republika Srpska jusqu'à ordonnance du contraire.

b. Les copies dudit mandat d'arrêt seront délivrées au Procureur qui, s'il le souhaite, les transmettra à la Force de stabilisation internationale (la «SFOR»).

c. À l'exception de la SFOR, l'acte d'accusation, la présente ordonnance ou le mandat d'arrêt ne seront pas divulgués jusqu'à signification dudit mandat à l'accusée ou jusqu'à ordonnance du contraire.

d. Les éléments justificatifs ne seront pas divulgués au public jusqu'à ordonnance du contraire.

e. Outre les représentants du Bureau du Procureur, la divulgation sera limitée aux services internes du Tribunal et ne concernera que les personnes qui sont tenues, dans le cadre de leur travail, d'avoir connaissance de l'acte d'accusation ou des éléments justificatifs, ou d'y avoir accès.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

(signé)
Patricia Wald
Juge du Tribunal international

Fait le 7 avril 2000,
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1. Le Procureur c/ Miloševic, affaire n° IT-99-37-I, Décision relative à l'examen de l'acte d'accusation et ordonnance y relatives, 24 mai 1999, par. 3.