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1 Le vendredi 19 août 2005
2 [Jugement]
3 [Audience publique]
4 --- L'audience est ouverte à 14 heures 09.
5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur le Greffier, veuillez, je vous
6 prie, donner le numéro de l'affaire inscrite au rôle.
7 M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs
8 les Juges. Affaire IT-00-39-T, le Procureur contre Momcilo Krajisnik.
9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Monsieur le Greffier.
10 Je vois, et je le signale pour le compte rendu d'audience, que l'Accusation
11 est représentée par M. Margetts et M. Tieger.
12 Du côté de la Défense, nous avons Me Josse. C'est vous qui êtes le conseil
13 de la Défense de M. Krajisnik.
14 M. JOSSE : [interprétation] Je fais de mon mieux.
15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] M. Krajisnik est là aussi, bien sûr.
16 La Chambre souhaite rendre son jugement relatif à la requête présentée par
17 la Défense aux fins d'acquittement en application de l'Article 98 bis du
18 règlement.
19 Il s'agit du jugement relatif à la requête de la Défense déposée en vertu
20 de l'Article 98 bis. Cette requête a été faite dans le prétoire le 16 août
21 2005. Ce jour la Chambre a entendu des arguments aussi bien de la part de
22 la Défense que de l'Accusation.
23 La requête présentée par la Défense a eu un caractère à la fois général et
24 spécifique. Un caractère général parce que la Défense a avancé - et il
25 convient de souligner qu'il s'agissait d'une simple affirmation de la part
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1 de la Défense - la Défense a affirmé qu'il convenait d'acquitter M.
2 Krajisnik pour insuffisance absolue des moyens à charge.
3 S'agissant des arguments spécifiques de la Défense, la Défense a fait
4 valoir, en soulevant une question de procédure à titre préliminaire, que la
5 modification de l'Article 98 bis, qui est intervenue le 8 décembre 2004, et
6 qui a modifié cet article si bien que la procédure, est maintenant orale.
7 Elle a fait valoir que cette modification portait préjudice aux droits de
8 M. Krajisnik car même si le critère d'examen applicable restait identique,
9 l'article modifié ne permettait plus un examen approfondi de tous les
10 éléments figurant dans l'acte d'accusation. La Défense fait valoir qu'étant
11 donné que cet amendement de l'article a eu lieu pendant que l'affaire était
12 en instance, l'Article 6(D) du règlement fait que l'article modifié en
13 l'espèce ne s'applique pas.
14 L'autre argument spécifique de la Défense consiste à dire qu'il n'y a pas
15 eu suffisamment d'éléments de preuve présentés pour permettre à une Chambre
16 de première instance d'être satisfaite au-delà de tout doute raisonnable de
17 la culpabilité de M. Krajisnik dans le cadre du génocide des Croates de
18 Bosnie sur le territoire couvert par l'acte d'accusation. La Défense a fait
19 valoir que, selon elle, si effectivement il y avait eu des éléments de
20 preuve présentés et montrant des actes répréhensibles et même des atrocités
21 commis contre les Croates de Bosnie, de tels crimes ne constituent pas un
22 génocide visant ce groupe de la population.
23 L'Accusation s'est opposée à la requête de la Défense dans sa totalité.
24 S'agissant de l'argument présenté par la Défense au sujet de la procédure,
25 la Chambre fait valoir que si l'on accepte le fait que les arguments
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1 présentés le sont oralement, ni l'ancienne mouture de l'Article 98 bis, ni
2 la version actuelle de ce même article, ne dispose de la manière exacte
3 dont les arguments doivent être présentés. Au terme de l'ancienne mouture
4 de l'Article 98 bis, la pratique variait ou voyait de nouveau de détails
5 différents suivant les affaires. La pratique au terme de l'article modifié
6 doit encore évoluer, mais il est indéniable qu'elle variera suivant les
7 nécessités se présentant dans chaque affaire.
8 Dans l'affaire Oric, qui a vu la première décision rendue en application de
9 l'article modifié, les arguments des parties ont été détaillés. On a passé
10 en revue de manière détaillée l'acte d'accusation. Il est vrai que c'est
11 une affaire qui avait une portée moindre que la nôtre. Ce qui est
12 pertinent, cependant, est que l'article modifié n'a pas empêché un examen
13 approfondi dans l'affaire Oric.
14 Nous estimons que ces quelques remarques suffisent pour démontrer que le
15 présupposé de la Défense selon lequel la modification de l'Article 98 bis
16 empêche toutes argumentations véritablement détaillées est sans fondement.
17 L'article modifié va indéniablement dans le sens de la rapidité et de
18 l'efficacité de la procédure, mais il ne s'en suit pas pour autant que
19 cette modification de l'article porte préjudice à tout droit M. Krajisnik
20 aurait pu bénéficier au titre de l'Article 98 bis.
21 Nous avons, quant à nous, imposé très peu de contraintes à l'équipe de la
22 Défense. Le 17 mai 2005, lorsque nous avons donné à la Défense des
23 indications s'agissant de sa requête 98 bis, nous n'avons fixé aucune
24 restriction quant au contenu de cette requête. Nous n'avons reçu aucune
25 demande préliminaire de la part de la Défense s'agissant de la nature de
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1 ces arguments. Il était loisible à la Défense de demander à la Chambre des
2 recours pour toutes contraintes inéquitables dont elle se sentirait la
3 cible, mais la Défense n'a nullement fait valoir qu'elle faisait l'objet
4 d'un traitement inéquitable. Nous estimons qu'il convient de rejeter
5 l'argument préliminaire présenté par la Défense.
6 Nous passons maintenant à l'affirmation générale faite par la Défense selon
7 laquelle il convient d'acquitter pour insuffisance de moyens à charge. Dans
8 le cadre de l'examen de cette affirmation, nous allons reprendre l'argument
9 spécifique de la Défense au sujet du maintien ou non des charges de
10 génocide à l'encontre des Croates de Bosnie. Notre décision va toucher au
11 cœur du problème sans introductions ou développements superflus.
12 Afin de trancher une requête aux fins d'acquittement, le critère qui
13 s'applique - et ici je cite la Chambre d'appel - c'est "de savoir s'il y a
14 des moyens à décharge, s'ils sont admis, peuvent justifier une condamnation
15 au-delà de tout doute raisonnable par un juge du fait raisonnable."
16 Il est important d'insister sur le fait, comme l'a fait la Chambre d'appel,
17 et ici encore, je cite : "Il se peut qu'à l'issu de la présentation des
18 moyens de l'Accusation, la Chambre considère que les preuves à charge sont
19 suffisantes pour justifier une condition au-delà de tout doute raisonnable,
20 et qu'elle prononce néanmoins l'acquittement à la fin du procès, même si la
21 Défense n'a pas présenté d'élément par la suite, dès lors que sa propre
22 analyse des éléments de preuve l'amène à conclure que l'Accusation n'a pas
23 réussi à prouver la culpabilité au-delà de tout doute raisonnable."
24 L'acte d'accusation établi à l'encontre de M. Krajisnik concerne la période
25 allant de la fin 1991 à la fin 1992, période au cours de laquelle il était
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1 président de l'assemblée des Serbes de Bosnie. M. Krajisnik se voit
2 reprocher huit chefs en rapport avec le traitement de Musulmans de Bosnie
3 et des Croates de Bosnie dans 37 municipalités de Bosnie-Herzégovine. Les
4 deux premiers chefs d'accusation sont des chefs de génocide et de
5 complicité de génocide. Il y a également cinq chefs de crimes contre
6 l'humanité, à savoir, persécution, extermination, assassinat, expulsion, et
7 transfert forcé, un acte inhumain. Enfin, il faut mentionner un chef de
8 meurtre en tant de violation des lois ou coutumes de la guerre. Les modes
9 de responsabilité invoqués sont essentiellement ceux de l'entreprise
10 criminelle commune et de la responsabilité du supérieur hiérarchique.
11 Pris dans toute leur ampleur, les éléments de preuve présentés par
12 l'Accusation brosse le tableau suivant des événements qui se sont déroulés
13 dans les municipalités figurant à l'acte d'accusation au cours de l'année
14 1992.
15 Je souhaite une fois encore insister sur le fait que lorsque nous parlons
16 de "ce que nous montrent les éléments de preuve," ce que nous entendons par
17 là c'est qu'il existe des éléments que, s'ils sont acceptés, pourraient
18 permettre à un juge du fait d'arriver raisonnablement au-delà de tout doute
19 raisonnable à telle ou telle conclusion.
20 J'en arrive maintenant au tableau général de la situation.
21 Il existe des éléments indiquant qu'au début du mois de mars 1992, et
22 ensuite pendant tout l'automne 1992, les forces serbes de Bosnie ont peu à
23 peu pris les pouvoirs dans les municipalités figurant à l'acte
24 d'accusation. Les modalités précises ainsi que le moment où ont eu lieu ces
25 prises de contrôle ont évolué suivant les municipalités, mais suivant un
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1 format identique général. D'abord, on voyait les autorités serbes de Bosnie
2 au niveau municipal mettre en œuvre la division des forces de police
3 locales le long de principe ethnique en mettant souvent à pied les
4 policiers non-serbes. Avec la montée des tensions ethniques, les Serbes
5 aussi bien que les non-Serbes ont mis en place des points de contrôle et
6 des barrages autour des villes et des villages afin de contrôler le
7 mouvement des populations et des armes.
8 Il existe des éléments de preuve montrant que dans les mois qui ont suivi -
9 et je parle maintenant d'avril 1992 - les forces armées des Serbes de
10 Bosnie, agissant en coopération avec les cellules de Crise serbes, mis en
11 œuvre une application de ce qu'on a appelé les instructions du 19 décembre,
12 ont pris le contrôle des municipalités figurant à l'acte d'accusation en
13 lançant fréquemment des attaques d'artillerie et des attaques d'infanterie
14 contre certaines villes et certains villages. Ces forces étaient
15 constituées des groupes suivant, notamment : l'armée populaire yougoslave,
16 ou la JNA; la Défense territoriale, connue également sous le terme de TO;
17 les unités paramilitaires locales ainsi que des unités paramilitaires
18 venant de Serbie; la police locale; et ultérieurement, l'armée de la
19 Republika Srpska, appelée également VRS. Ce sont les zones et les villages
20 habités par les Musulmans de Bosnie et les Croates de Bosnie qui ont été
21 plus particulièrement visés. Toute résistance de la part des non-Serbes
22 s'est avérée faible et mal organisée.
23 Il existe des éléments de preuve montrant que pendant ces attaques et après
24 ces attaques, de très nombreux civils musulmans et croates de Bosnie, en
25 particulier les hommes, ont été tués, passés à tabac, ou victimes d'autres
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1 brutalités de la part des forces serbes. Les civils ont été
2 systématiquement emprisonnés pendant des périodes qui pouvaient aller de
3 quelques jours seulement à plusieurs mois emprisonnés dans ce qui était
4 souvent des lieux de détention improvisés. Généralement, les prisonniers
5 étaient détenus dans des locaux surpeuplés, avec des conditions sanitaires
6 inexistantes, et très peu d'eau ou de vivres à leur disposition. Beaucoup
7 ont été tués ou soumis à des violences physiques ou psychologiques
8 extrêmement graves, notamment des passages à tabac, des tortures, ou des
9 viols. Certains détenus ont été contraints d'accomplir des travaux forcés
10 sur les lignes de front, ou de servir de boucliers humains dans les
11 situations de combat. Des éléments de preuve montrent que plusieurs ou de
12 nombreuses personnes qui ont subi ce sort ont été tuées.
13 De surcroît, il existe des éléments de preuve montrant que dans de
14 nombreuses municipalités les Croates et les Musulmans de Bosnie qui
15 restaient ont fui suite à une campagne d'intimidation et de harcèlement.
16 Parallèlement aux meurtres et aux autres types de violence, cette campagne
17 s'est également traduite par la destruction des édifices religieux croates
18 et musulmans ainsi que par l'incendie des maisons des Croates et des
19 Musulmans. Dans certaines des municipalités, les autorités municipales ou
20 régionales serbes ont elles-mêmes dirigé le transfert forcé des Musulmans
21 et des Croates de Bosnie à grande échelle, transfert vers des territoires
22 qui n'étaient plus des territoires contrôlés par les Serbes. Dans certains
23 cas, ceux qui sont partis ont été contraints de déclarer qu'ils partaient
24 de manière volontaire. Ils ont été contraints de payer une taxe ou de
25 transférer leurs biens à la municipalité.
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1 Nous avons entendu 157 témoins au moins, ce qui recouvre aussi bien les
2 témoins qui ont été entendus dans le prétoire que les témoins entendus en
3 vertu de l'Article 92 bis, qui nous ont parlé de tous ces éléments. De
4 surcroît, des centaines de faits admis dans d'autres affaires et d'éléments
5 de preuve documentaires y afférant, couvrant cette période, contribuent à
6 étayer encore ces affirmations.
7 Afin de qualifier de manière appropriée un incident quel qu'il soit,
8 la Chambre adopte et applique la jurisprudence qui est celle du Tribunal
9 s'agissant de la définition des éléments constitutifs des crimes reprochés
10 en l'espèce, à savoir le génocide, la complicité dans le génocide, la
11 persécution, l'extermination, l'assassinat, l'expulsion et les actes
12 inhumains constitués par le transfert forcé en tant que crimes contre
13 l'humanité, ainsi que ceux du meurtre en tant que crime de guerre. La
14 Chambre ne va pas maintenant entrer dans un examen du droit, sauf pour
15 répondre aux arguments spécifiques présentés par la Défense.
16 S'agissant du génocide, dans ses arguments, la Défense s'est
17 concentrée sur les éléments de l'intention génocidaire et a fait valoir
18 qu'aucun de ces éléments n'avait été établi s'agissant des Croates de
19 Bosnie, sauf à montrer que les Croates de Bosnie constituaient un groupe
20 protégé relevant de la définition du génocide.
21 Il convient d'insister sur le fait que la Chambre ne suit pas la
22 Défense et ses arguments selon lesquels pour prouver qu'il y a génocide "en
23 partie," l'Accusation doit prouver que la destruction d'une partie du
24 groupe, si elle était mise en œuvre, aurait un impact sur la survie du
25 groupe dans sa totalité. La jurisprudence des tribunaux internationaux ne
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1 nécessite pas que l'on prouve un tel élément.
2 A ce sujet, ce qu'il faut au contraire prouver, c'est que l'intention
3 de l'auteur de ce crime c'était de détruire une partie de ce groupe en tant
4 que tel. Une partie du groupe, cela représente une partie substantielle du
5 groupe. En l'espèce, ce qui est mis en question, c'est que cette partie du
6 groupe des Croates de Bosnie est concernée qui vivait dans les
7 municipalités figurant dans l'acte d'accusation. Au cours de la période
8 concernée, il y avait plus de 100 000 Croates de Bosnie qui vivaient dans
9 ces municipalités. Il y avait beaucoup de Croates de Bosnie qui vivaient à
10 Banja Luka, Brcko, Prijedor, Kotor Varos, des municipalités où on a assisté
11 à des actes de violence très nombreux contre les non-Serbes. Les éléments
12 de preuve présentés à la Chambre nous permettent de conclure que cette
13 partie du groupe des Croates de Bosnie qui a été ciblée constituait une
14 partie substantielle, une partie importante du groupe protégé.
15 S'agissant du tableau général des événements qui se sont déroulés
16 dans les municipalités figurant à l'acte d'accusation, il existe des
17 éléments de preuve qui permettent d'étayer la conclusion selon laquelle les
18 crimes énumérés pour chacun des huit chefs d'accusation ont été
19 effectivement commis. De surcroît, la Chambre conclut qu'il existe des
20 éléments de preuve permettant de justifier la conclusion selon laquelle des
21 crimes ont été commis, dans certains cas tout du moins, avec l'intention de
22 détruire, en partie, non seulement les Musulmans de Bosnie, mais également
23 les Croates de Bosnie en tant que tel. Etant donné que les éléments de
24 preuve relatifs aux Croates de Bosnie ont été mis en question
25 spécifiquement par la Défense, la Chambre va maintenant se concentrer sur
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1 le caractère suffisant de ces éléments de preuve, les éléments de preuve
2 concernant ce groupe de la population.
3 Il existe des éléments de preuve permettant de conclure qu'un nombre
4 considérable de Croates et de Bosniens vivant dans les municipalités
5 figurant dans l'acte d'accusation ont été tués par les forces serbes de
6 Bosnie au cours des attaques armées, ainsi que dans les lieux de détention.
7 Ainsi, par exemple, la Chambre souhaite rappeler un incident qui a été
8 relaté par le témoin Ivo Atilja, incident au cours duquel près de 70
9 habitants d'un village, le village de Brisevo, un village à majorité croate
10 dans la municipalité de Prijedor, ont été tués pendant une attaque lancée
11 par les forces serbes.
12 Il existe, d'autre part, des éléments de preuve permettant de
13 justifier la conclusion selon laquelle des milliers de Croates de Bosnie
14 ont été détenus dans des conditions extrêmement dures et soumis à des
15 violences très graves, violences aussi bien physiques que psychologiques.
16 La Chambre a reçu des éléments de preuve selon lesquels des Croates de
17 Bosnie ont été détenus dans au moins 23 lieux de détention, dans 13
18 municipalités au minimum. Ainsi, par exemple, entre mai et août 1992, 125
19 Croates de Bosnie ont été détenus au camp d'Omarska à Prijedor. D'autre
20 part, des éléments de preuve ont été produits pour montrer qu'au début du
21 mois de mai 1992, on trouvait 117 Croates de Bosnie dans des lieux de
22 détention, et notamment au camp de Krings dans la municipalité de Sanski
23 Most.
24 Afin de déterminer l'existence d'une intention génocidaire, une
25 Chambre de première instance est en droit d'examiner des crimes qui vont
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1 au-delà de ce qui constitue l'élément matériel même du génocide. Etant
2 donné que l'intention de détruire un groupe en tant que tel, ou en l'espèce,
3 l'intention de détruire une partie d'un groupe en tant que telle, cette
4 intention peut également se traduire dans des discours - c'est un sujet sur
5 lequel nous reviendrons un peu plus tard - mais cette intention peut
6 également se traduire dans des faits dont l'effet est de démanteler le
7 groupe ciblé, de le disperser, et de supprimer toute trace de ce groupe
8 d'un territoire donné. La destruction physique des membres du groupe est un
9 composant nécessaire pour établir le crime de génocide, mais ce n'est pas
10 la seule manière, et ce n'est d'ailleurs peut-être pas la principale
11 manière ou façon par laquelle se manifeste cette intention de détruire un
12 groupe ou une partie de ce groupe.
13 A ce sujet, des éléments de preuve existent qui démontrent
14 l'expulsion massive ou le transfert forcé des Croates de Bosnie hors des
15 territoires contrôlés par les Serbes de Bosnie. Ainsi par exemple, un grand
16 nombre de Musulmans et de Croates qui avaient été emprisonnés à Prijedor
17 ont été plus tard expulsés. À Kotor Varos, on comptait quelque 8 000
18 Croates en 1992 [comme interprété], et ils représentaient 28 % de la
19 population. Un rapport établi par les autorités de police serbe de Banja
20 Luka stipule que peu après la fin de la période couverte par l'acte
21 d'accusation, le pourcentage des Croates dans la population était inférieur
22 à 5 %. Je cite : "Il s'agissait essentiellement de personnes âgées qui ne
23 constituaient pas de menace véritable."
24 D'autre part, des éléments de preuve existent qui établissent que la
25 confiscation et la destruction des biens des Croates de Bosnie à grande
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1 échelle, y compris la destruction des églises catholiques sur tout le
2 territoire concerné. Ivo Atlija, le témoin que nous avons mentionné il y a
3 quelques instants, a expliqué qu'au cours de l'attaque menée contre le
4 village à majorité croate de Brisevo dans la municipalité de Prijedor, 68
5 maisons et une église catholique ont été détruites.
6 Ces actes, ainsi que d'autres actes semblables commis par les forces serbes
7 de Bosnie, ont contribué à créer une atmosphère de terreur qui a mené à un
8 départ involontaire d'un grand nombre de Croates de Bosnie des
9 municipalités figurant à l'acte d'accusation. C'est exactement le même
10 effet qui a été obtenu contre les Musulmans de Bosnie. Mais étant donné
11 qu'ils étaient beaucoup plus nombreux dans les municipalités figurant à
12 l'acte d'accusation, le nombre de victimes appartenant à leur groupe était
13 beaucoup plus nombreux également.
14 Nous allons à présent passer en revue les éléments de preuve relatifs à la
15 responsabilité de M. Krajisnik dans les crimes reprochés. Nous donnerons
16 tout d'abord un aperçu général des éléments qui ressortent de la preuve, là
17 encore dans le cadre des dispositions de l'Article 98 bis, s'agissant de la
18 position de M. Krajisnik dans les cercles dirigeants des Serbes de Bosnie.
19 Nous passerons ensuite aux éléments de preuve qui établissent un lien
20 spécifique entre M. Krajisnik, ses collaborateurs et les crimes reprochés.
21 Il existe des éléments de preuve selon lesquels, au milieu de l'année 1991,
22 M. Krajisnik était une personnalité éminente au sein de la direction
23 politique du SDS. En compagnie d'autres personnalités-clés au sein du SDS,
24 y compris Radovan Karadzic, Biljana Plavsic, et Nikola Koljevic, M.
25 Krajisnik a joué un rôle crucial dans la formulation des programmes
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1 politiques du SDS.
2 De surcroît, il existe des éléments de preuve selon lesquels, à partir du
3 moment où la Republika Srpska a été proclamée en janvier 1992 et jusqu'à la
4 fin de la période couverte par l'acte d'accusation, l'autorité formelle et
5 effective de la République serbe de Bosnie se concentrait dans les mains de
6 quatre personnes, les quatre personnes que nous avons mentionnées plus tôt
7 et que nous appellerons par la suite les dirigeants serbes de Bosnie.
8 Officiellement, M. Krajisnik occupait le poste de président de l'assemblée
9 des Serbes de Bosnie à partir du 24 octobre 1991 et jusqu'au mois de
10 novembre 1995. En mars 1992, il est devenu un membre d'office du conseil de
11 Sécurité nationale. Ce conseil était un organe exécutif de transition au
12 sein de la Republika Srpska qui donnait des instructions aux cellules de
13 Crise dont il recevait également des rapports. Ce conseil rencontrait
14 également les autorités serbes de Bosnie afin de rendre des décisions
15 d'ordre politique, militaire ou administratif. Les autres membres des
16 cercles dirigeants serbes de Bosnie étaient également membres de ce
17 conseil.
18 La présidence serbe de Bosnie, qui se trouvait au sommet des institutions
19 politiques serbes de Bosnie, était à l'origine constituée de Biljana
20 Plavsic et de Nikola Koljevic. Par la suite, cette présidence a été élargie
21 pour inclure Radovan Karadzic et M. Krajisnik, ainsi que le premier
22 ministre, M. Branko Djeric. M. Krajisnik était le seul des cinq membres de
23 la présidence a assisté aux 36 séances de la présidence au sujet desquelles
24 il existe des documents pour ce qui est de la période comprise entre le 12
25 mai et le 30 novembre 1992.
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1 Outre les fonctions exercées par M. Krajisnik au sein des diverses
2 instances de la Republika Srpska, de nombreux témoins qui étaient en
3 contact fréquent avec les dirigeants serbes de Bosnie pendant la période
4 couverte par l'acte d'accusation ont témoigné en précisant que M. Krajisnik
5 exerçait une autorité très importante du point de vue officieux. Momcilo
6 Mandic, Dragan Djokanovic, Milan Babic, ainsi que les Témoins 528 et 680
7 ont tous déclaré que M. Krajisnik était la deuxième personnalité la plus
8 importante du point de vue des pouvoirs qu'elle exerçait au sein des
9 cercles dirigeants. Seul Radovan Karadzic avait davantage d'autorité. Il
10 existe également des éléments de preuve selon lesquels M. Krajisnik et
11 Radovan Karadzic coopéraient de façon étroite sur toute question tout au
12 long de l'année 1992.
13 S'agissant des liens existant entre les crimes commis d'une part et M.
14 Krajisnik et ses collaborateurs d'autre part, il existe des éléments de
15 preuve selon lesquels le programme politique du SDS mettait l'accent sur la
16 protection des intérêts du peuple serbe de Bosnie, ainsi que sur la
17 garantie de leur survie physique en Bosnie-Herzégovine, ainsi que sur le
18 maintien d'une Yougoslavie fédérale. Des preuves montrent que dans le
19 courant de l'été 1991, les dirigeants serbes de Bosnie ont commencé à
20 parler ouvertement de la création d'un territoire serbe distinct en Bosnie-
21 Herzégovine ayant pour but de permettre aux Serbes de Bosnie de demeurer au
22 sein de la Yougoslavie si la Bosnie-Herzégovine choisissait de proclamer
23 son indépendance.
24 Il existe des éléments de preuve permettant d'étayer la conclusion selon
25 laquelle les dirigeants ont entrepris de mettre en œuvre cet objectif. Un
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1 programme de régionalisation a été appliqué dans le cadre duquel des
2 municipalités à majorité serbe ont été organisées de manière à former des
3 associations de municipalités ou des régions autonomes. Le 24 octobre 1991,
4 une assemblée des Serbes de Bosnie dominée par le SDS a été créée. Les
5 éléments de preuve produits permettent à un juge du fait raisonnable de
6 conclure que M. Krajisnik a mis à profit son rôle de président de
7 l'assemblée pour assurer le soutien des politiques menées par le SDS et
8 leur mise en œuvre.
9 Il existe des éléments de preuve selon lesquels, à la fin de 1991, les
10 politiques menées par les dirigeants serbes de Bosnie visaient à faire les
11 préparatifs nécessaires en vue de la prise de contrôle du territoire par la
12 force. Fin 1991 et début 1992, Radovan Karadzic a déclaré à plusieurs
13 reprises que dans l'éventualité où la Bosnie-Herzégovine déclarait son
14 indépendance, les Serbes de Bosnie créeraient coûte que coûte leur propre
15 entité politique et territoriale qui couvrirait environ 70 % du territoire
16 de la Bosnie-Herzégovine. Il existe des éléments de preuve permettant
17 d'étayer la conclusion selon laquelle les dirigeants serbes de Bosnie
18 envisageaient la création d'un Etat ethniquement pur dominé par les Serbes.
19 Les moyens envisagés en vue de la création d'un Etat serbe de Bosnie
20 comprenaient l'utilisation d'une force extrême. Il existe des éléments de
21 preuve selon lesquels les membres du SDS, au niveau des municipalités et de
22 la république, de concert avec des membres de la JNA, ont coordonné des
23 activités à armer en secret la population serbe de Bosnie avec des armes
24 récupérées dans les entrepôts de la JNA et de la Défense territoriale.
25 Au niveau municipal, les mesures visant à la création d'un état dominé par
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1 les Serbes se sont traduites par le fait notamment que les dirigeants
2 serbes de Bosnie ont favorisé la création de structure administrative serbe
3 distincte, notamment dans les régions où les Serbes constituaient une
4 minorité. Des éléments de preuve indiquent que le 19 décembre 1991, les
5 dirigeants serbes de Bosnie ont donné des instructions aux conseils
6 municipaux du SDS en vue de la prise du pouvoir et de la création d'une
7 cellule de Crise dans les municipalités qui devaient faire partie de l'Etat
8 serbe de Bosnie distinct envisagé. Entre autres, les cellules de Crise
9 devaient mettre en place des structures de défense municipale et préparer
10 la création d'organe d'état serbe de Bosnie au sein d'une municipalité.
11 Des éléments de preuve indiquent que les instructions en question ont été
12 mises en œuvre par la suite, en tout ou en partie, par les dirigeants
13 serbes dans la plupart des municipalités visées par l'acte d'accusation. Au
14 niveau central, l'assemblée des Serbes de Bosnie a proclamé la création de
15 la République du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine, connue par la suite
16 sous le nom de Republika Srpska, et a commencé à donner une assise légale à
17 cette entité politique naissante.
18 Comme nous l'avons déjà mentionné, à partir du mois de mars 1992 et jusqu'à
19 l'automne 1992, les forces serbes de Bosnie ont progressivement pris le
20 pouvoir dans les municipalités visées par l'acte d'accusation. Dans
21 quasiment tous les cas, cette prise de pouvoir a donné lieu à la commission
22 des crimes que nous avons décrits. Citons deux structures importantes par
23 le biais desquelles les Serbes de Bosnie ont pris le contrôle et maintenu
24 le contrôle des territoires. Il s'agit des cellules de Crise, puis de la
25 VRS. Il existe des éléments de preuve selon lesquels les cellules de Crise
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1 et la VRS ont tous deux reçu des instructions de la part des dirigeants
2 serbes de Bosnie, et leur faisaient rapport.
3 Les cellules de Crise, mises en place conformément aux instructions
4 du 19 décembre, ont entrepris de prendre le pouvoir au niveau municipal, en
5 coordonnant les activités des autorités municipales serbes de Bosnie, de
6 l'armée, de la police et d'autres forces armées sur le terrain. En mai 1992,
7 la VRS a entrepris de prendre le contrôle de ces forces. Les éléments de
8 preuve produits permettraient de conclure que les dirigeants serbes de
9 Bosnie, de façon générale, notamment M. Krajisnik, exerçaient un contrôle
10 effectif sur la VRS. Il existe des éléments de preuve selon lesquels la
11 présidence a donné son aval à des opérations militaires majeures, a
12 consulté l'état-major principal de la VRS sur des questions militaires, a
13 reçu ou participé à des réunions d'information régulières, conformes à la
14 situation militaire, et a donné des ordres en rapport avec des questions
15 militaires concernant la situation sur le terrain. Ces ordres ont été
16 exécutés.
17 Le 12 mai 1992, l'assemblée des Serbes de Bosnie a adopté six
18 objectifs stratégiques. Le plus important de ces objectifs était le suivant,
19 je cite : "établir des frontières séparant le peuple serbe des deux autres
20 communautés ethniques." Il existe des éléments de preuve selon lesquels ces
21 six objectifs constituaient le fondement des directives émanant de l'état-
22 major principal de la VRS et adressées aux forces armées sur le terrain.
23 Certaines déclarations faites à l'occasion de la session de
24 l'assemblée des Serbes de Bosnie du 12 mai 1992 par Radovan Karadzic et M.
25 Krajisnik permettent de conclure que les groupes ethniques visés par les
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1 politiques des dirigeants serbes de Bosnie étaient les Croates de Bosnie et
2 les Musulmans de Bosnie. A titre d'exemple, lors de la séance mentionnée, M.
3 Krajisnik a déclaré, je cite : "Nous sommes en guerre. Il ne sera possible
4 de régler cette affaire avec les Musulmans et les Croates que par la
5 guerre."
6 Nous pouvons citer, également à titre d'exemple, les propos du Témoin
7 623, qui a déclaré que M. Krajisnik était, je cite encore, "obsédé," par le
8 projet visant à séparer les Serbes des Musulmans et des Croates. Selon ce
9 même témoin, M. Krajisnik a déclaré que le moment était venu de séparer les
10 territoires croates, serbes et musulmans, car un état commun n'était plus
11 envisageable.
12 Il existe, en outre, des éléments de preuve selon lesquels les
13 dirigeants serbes de Bosnie étaient pleinement informés de la situation en
14 matière de prise de pouvoir dans les municipalités et des conséquences que
15 cela supposait pour les populations musulmanes et croates de Bosnie. Le 10
16 mai 1992, lors d'une réunion tenue à Pale, présidée par Radovan Karadzic et
17 Ratko Mladic, Miroslav Deronjic, le dirigeant du SDS, représentant de
18 Bratunac, a été applaudi et félicité lorsqu'il a fait état de la poursuite
19 des opérations visant à expulser les Musulmans de sa municipalité. En juin
20 1992, les dirigeants serbes de Bosnie ne se sont aucunement opposés à la
21 proposition soulevée par Ratko Mladic visant à bombarder Sarajevo, malgré
22 les arguments présentés par un autre officier de la VRS selon lesquels ceci
23 menaçait manifestement les civils.
24 De même, il existe des éléments de preuve selon lesquels les dirigeants
25 serbes de Bosnie ont reçu des informations détaillées provenant de sources
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1 diverses concernant l'existence de centres de détention à l'intention des
2 Musulmans et des Croates de Bosnie, dans les municipalités visées par
3 l'acte d'accusation. Les traitements infligés dans ces lieux ont également
4 été décrits. Par exemple, en juin 1992, Biljana Plavsic a déclaré qu'elle
5 savait que 3 000 non-Serbes étaient détenus au camp d'Omarska à Prijedor.
6 Enfin, il existe des éléments de preuve selon lesquels les dirigeants
7 serbes de Bosnie savaient que les forces serbes de Bosnie participaient à
8 l'expulsion par la force des Musulmans et Croates de Bosnie hors des
9 territoires contrôlés par les Serbes. Predrag Radic a décrit la visite de
10 Radovan Karadzic à Banja Luka et le fait que ce dernier s'était plaint que
11 des mesures insuffisantes avaient été prises pour chasser la population
12 musulmane et croate qui résidait encore en ce lieu. Il existe des éléments
13 de preuve selon lesquels lorsque la question du nettoyage ethnique a été
14 soulevée auprès des dirigeants serbes de Bosnie, lors de pourparlers
15 impliquant la communauté internationale, ces dirigeants n'ont pas nié que
16 ce nettoyage ethnique ait eu lieu. Ils répondaient, en réponse à cet
17 argument, que les Musulmans et Croates commettaient des crimes à l'encontre
18 des Serbes.
19 S'agissant de donner une qualification juridique à la responsabilité de M.
20 Krajisnik dans les crimes qui se sont déroulés dans la municipalité en
21 question, la Chambre adopte et applique la jurisprudence constante du
22 Tribunal s'agissant de la définition des éléments requis pour les diverses
23 formes de responsabilité pénale individuelle visée par l'Article 7 du
24 Statut.
25 Il existe des éléments de preuve selon lesquels M. Krajisnik a agi de
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1 concert avec nombre d'autres personnes, y compris d'autres dirigeants
2 politique serbes de Bosnie, tels que Radovan Karadzic, Biljana Plavsic, et
3 Nikola Koljevic, ainsi que des dirigeants militaires, comme Ratko Mladic,
4 en vue de prendre le contrôle des territoires majoritairement peuplés par
5 les Serbes et d'autres territoires où les Serbes étaient en minorité afin
6 de les regrouper au sein d'une entité indépendante dominée par les Serbes.
7 Il existe des preuves directes et indirectes selon lesquelles ces
8 dirigeants serbes ainsi que leurs subordonnés politiques et militaires
9 avaient l'intention de créer un territoire dominé par les Serbes coûte que
10 coûte, notamment par le biais de meurtre, détention illicite, mauvais
11 traitement physique et psychologique, expulsion des civils croates et
12 musulmans, et destruction de leurs édifices culturels.
13 Il existe suffisamment d'éléments de preuve permettant de conclure que les
14 dirigeants au plus haut niveau possédaient l'intention de détruire non
15 seulement les Musulmans de Bosnie qui habitaient sur le territoire qui
16 venait devenir par la suite la Republika Srpska, mais également les Croates
17 de Bosnie qui habitaient sur ce territoire. En d'autres termes, il existe
18 suffisamment d'éléments de preuve permettant de conclure à l'intention
19 génocidaire pour ce qui est des Musulmans de Bosnie mais également des
20 Croates de Bosnie.
21 Il existe des éléments de preuve selon lesquels M. Krajisnik était animé de
22 cette intention et il a partagé avec d'autres personnes. Il a proposé à ces
23 personnes de les aider de façon substantielle à réaliser leurs objectifs.
24 Il existe des éléments de preuve permettant de conclure que M. Krajisnik,
25 en mars 1992, ou vers cette date, voire avant cela, a accepté que les
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1 événements se déroulant dans les municipalités contrôlées par les
2 dirigeants serbes de Bosnie pourraient se détériorer au point où un
3 génocide pourrait être commis, et ce, pendant la période couverte par
4 l'acte d'accusation. Il existe des éléments de preuve permettant de
5 conclure que M. Krajisnik était informé des actes de génocide commis sur le
6 terrain.
7 Il existe, par conséquent, suffisamment d'éléments de preuve à disposition
8 aux fins de l'Article 98 bis pour conclure que
9 M. Krajisnik est responsable ou coupable de génocide pour les différents
10 éléments de l'Article 7(1) du Statut du Tribunal, y compris l'entreprise
11 criminelle commune de catégorie 1, l'entreprise criminelle commune de
12 catégorie 3, et la complicité.
13 Etant donné qu'il existe également des éléments de preuve permettant de
14 conclure que M. Krajisnik, de part les fonctions qu'il exerçait, avait un
15 contrôle effectif des auteurs des actes de génocide. Il existe des éléments
16 étayant la conclusion selon laquelle aux fins de l'Article 98 bis, il
17 exerçait une responsabilité de supérieur hiérarchique dans le cadre d'actes
18 de génocide aux termes de l'Article 7(3) du Statut.
19 Il existe enfin des éléments de preuve permettant de conclure que M.
20 Krajisnik possédait l'élément moral requis pour être déclaré coupable des
21 chefs d'accusation concernant des crimes outre que le génocide. Là, encore,
22 il existe des éléments de preuve permettant d'établir les éléments des
23 diverses formes de responsabilité prévues par l'Article 7 du Statut.
24 En conclusion, la requête présentée par la Défense est rejetée dans son
25 intégralité. M. Krajisnik, il existe donc suffisamment de preuves à charge
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1 à l'encontre de M. Krajisnik pour ce qui est des huit chefs de l'acte
2 d'accusation.
3 Enfin, la Chambre observe certaines précisions qui ont été réalisées suite
4 à un accord conclu entre les parties.
5 La première précision concerne le paragraphe 17 de l'acte d'accusation, où
6 il est question "de la destruction de ces groupes". Je cite, ceci doit être
7 interprété comme "la destruction en partie de ces groupes."
8 Deuxième précision, au paragraphe 18 de l'acte d'accusation en l'espèce,
9 l'expression, "autres populations non-serbes," ne va pas retenir aux fins
10 de l'espèce.
11 Troisième précision, paragraphe 28 de l'acte d'accusation, l'expression,
12 "en tout," était insérée à tort.
13 La Chambre accepte les précisions faites par les parties et interprétera
14 l'acte d'accusation en l'espèce en conséquence.
15 La Défense et l'Accusation ont indiqué en outre que l'Accusation ne se
16 fonderait désormais plus sur les municipalités de Rudo et de Sipovo,
17 mentionnées jusqu'à lors dans l'acte d'accusation en raison d'une
18 insuffisance d'éléments de preuve y afférent. La Chambre note que des
19 preuves pertinentes ont été reçues en rapport avec les centres de détention
20 destinés aux non-Serbes qui existaient dans ces municipalités. Il s'agit
21 d'une importance moindre, mais la Chambre note cependant que les parties
22 conviennent que les municipalités de Rudo et de Sipovo ne seront plus
23 retenues aux fins de l'espèce.
24 Ceci conclut la déclaration de la Chambre en relation avec la requête 98
25 bis.
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1 Oui, Monsieur Josse.
2 M. JOSSE : [interprétation] Puis-je intervenir brièvement s'agissant de
3 votre décision ?
4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, Monsieur Josse.
5 M. JOSSE : [interprétation] A la fin de votre intervention vous avez parlé
6 "d'autres non-Serbes". Vous avez mentionné un paragraphe précis. Or, moi,
7 d'après ce que j'ai compris, ce que nous avons conclu c'est que cela se
8 valait pour la totalité de l'acte d'accusation. Chaque fois que l'on trouve
9 dans un texte d'accusation "autres non-Serbes", il faut appliquer la même
10 précision que celle que vous venez de mentionner.
11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Tieger.
12 M. TIEGER : [interprétation] Oui, je crois qu'en substance c'est tout à
13 fait exact. Je sais que c'est vrai pour toute la partie de l'acte
14 d'accusation qui suit la première mention des non-Serbes dont nous avons
15 parlé. Il faudrait que je vois l'autre partie de l'acte d'accusation dont
16 nous allons peut-être pas discuter nous pouvons certainement vous
17 l'indiquer. Je crois que de manière générale il y a consensus sur ce point
18 entre la Défense et l'Accusation. Nous pouvons passer en revue la totalité
19 de ces mentions pour la Chambre.
20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Monsieur Tieger, peut-être
21 pourriez-vous dans les plus brefs délais procéder à une vérification pour
22 voir si ces mots de "autres populations non-serbes," ne doivent pas être
23 pris en compte quel que soit leur place dans l'acte d'accusation, quel que
24 soit l'endroit on les trouve dans l'acte d'accusation, et en informer Me
25 Josse. S'il y a quelque réserve que ce soit, quelque hésitation que ce soit
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1 dans ce sens, veuillez informer la Chambre et la Chambre s'en tiendra à
2 l'interprétation faite par les parties et de l'acte d'accusation.
3 M. TIEGER : [interprétation] Oui.
4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Autre question de procédure ?
5 M. JOSSE : [interprétation] Oui, une seule chose.
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.
7 M. JOSSE : [interprétation] Je crois que des dispositions ont été prises
8 pour permettre à M. Krajisnik de bénéficier et de recevoir la décision qui
9 a été reçue par ses avocats hier s'agissant de sa demande de se défendre
10 lui-même. Donc, on a fait en sorte de lui assurer une première traduction.
11 Les juristes de la Chambre et le représentant du Greffe ont été très
12 coopératifs. Ils nous ont dit qu'il faudrait au moins cinq jours pour que
13 ce document très important pour nous soit traduit. Je souhaitais ardemment
14 que M. Krajisnik sache en détail quelle était la nature de la décision.
15 D'après ce que l'on m'a dit, au niveau du centre de Détention, on est prêt
16 à accepter qu'il reste encore au moins une heure dans le bâtiment. M.
17 Karganovic est à mes côtés et c'est lui qui va faire en sorte de traduire
18 le document pour M. Krajisnik. Mais je voudrais être sûr, être sûr qu'on va
19 permettre à M. Krajisnik de rester dans le bâtiment jusqu'à 16 heures.
20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Si cela n'avait pas été le cas, si
21 cela n'avait pas été prévu, la Chambre aurait appelé au Greffe pour que
22 l'on fasse en sorte que M. Krajisnik puisse rester aussi longtemps que
23 possible dans le bâtiment afin que l'on fournisse toutes les explications
24 nécessaires, que ces explications lui soient fournies par quelqu'un qui est
25 capable à la fois de comprendre l'anglais et de lui traduire en B/C/S la
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1 teneur et les motifs de la décision, décision aux termes de laquelle M.
2 Krajisnik ne reçoit pas la possibilité, l'autorisation de se défendre lui-
3 même.
4 M. JOSSE : [interprétation] Merci. C'est le seul élément que je souhaitais
5 porter à votre attention.
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] S'il arrive quelque difficulté que ce
7 soit, mais je ne pense pas que cela va être le cas, adressez-vous aux
8 juristes de la Chambre. Mais je crois qu'il n'y aura pas de problèmes. Le
9 représentant du Greffe me le signale à l'instant.
10 M. JOSSE : [interprétation] Oui. Je souhaite insister sur l'aide qui nous a
11 été apportée dans ce sens. Je vous en remercie.
12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci.
13 Monsieur Tieger, souhaitez-vous intervenir ?
14 M. TIEGER : [interprétation] Non.
15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Aux termes de l'ordonnance portant
16 calendrier qui a été délivrée par la Chambre, la Défense devrait commencer
17 à présenter ses moyens le 12 septembre. Bien entendu, la Chambre ne fait
18 pas la sourde oreille. Nous savons qu'on envisageait une requête aux fins
19 de report de cette date. Mais étant donné que nous n'avons pas reçu de
20 requête, nous allons suspendre l'audience jusqu'au 12 septembre pour
21 l'instant. La Chambre donnera rapidement des instructions au sujet des
22 obligations de la Défense en vertu de l'Article 65 ter.
23 M. JOSSE : [interprétation] Excusez-moi, je ne comprends pas très bien ce
24 que vous venez de dire, "la Chambre, court terme, fournira des instructions
25 supplémentaires."
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1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je crois qu'il s'agit d'une liste de
2 témoins, et cetera, qui doit être fournie.
3 M. JOSSE : [interprétation] Oui, je comprends tout à fait le règlement,
4 mais vous avez dit "à court terme" ?
5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] C'est que nous donnerons des
6 instructions supplémentaires s'agissant du moment où tout cela devra se
7 produire. Nous avons eu quelques réticences à le faire immédiatement étant
8 donné qu'il y avait cette requête qui allait peut-être être déposée.
9 M. JOSSE : [interprétation] Au cas peu probable où la Défense ne se
10 manifeste pas, j'imagine que vous nous signalerez la chose à court terme
11 par écrit. C'est cela que je n'avais pas très bien compris. En fait, c'est
12 sans doute moi qui n'arrive pas à bien comprendre.
13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Il ne sera pas nécessaire pour nous
14 de nous réunir dans le prétoire pour entendre la décision de la Chambre
15 s'agissant du moment où vous devez fournir les listes de témoin, et cetera.
16 Non. Il est possible qu'on vous le signale oralement, avant même que vous
17 ne receviez la notification écrite. Vous savez que par écrit, cela peut
18 être aussi bien une télécopie qu'un courriel, et cetera.
19 M. JOSSE : [interprétation] Permettez-moi d'insister dans la mesure
20 suivante : pourriez-vous nous donner quelque communication sur le moment où
21 cela pourrait se produire ou est-ce que vraiment vous attendez, Monsieur le
22 Président --
23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Non --
24 M. JOSSE : [interprétation] -- que la Défense se manifeste au sujet de
25 cette requête ? Est-ce que c'est là la situation ?
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1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Non, non. En fait, nous ne savons
2 absolument pas quand la requête aux fins de report de la procédure sera ou
3 non déposée. Donc, pour moi, après avoir rendu cette décision 98 bis, ce
4 qui figure à mon ordre du jour personnel avec mes collaborateurs, c'est le
5 calendrier de toutes les questions relatives à la phase préparatoire à la
6 présentation des moyens à décharge.
7 M. JOSSE : [interprétation] Je comprends. Je souhaiterais simplement redire
8 ce que j'ai dit lors de l'audience de mardi dernier. Notre position reste à
9 l'identique. Mais nous allons y réfléchir très activement, je vous l'assure,
10 à partir de demain.
11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, mais nous, nous allons en parler
12 cet après-midi, et vous dès demain.
13 Donc, l'audience est levée, comme je l'ai expliqué, jusqu'au 12 septembre.
14 --- L'audience du Jugement est levée à 15 heures 11 et reprendra le lundi,
15 12 septembre 2005.
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