Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Mardi 7 novembre 2000.)

2 (Audience publique avec mesures de protection.)

3 (L'audience est ouverte à 9 heures 35.)

4 (Le Témoin 54 est introduit dans le prétoire.)

5 M. le Président (interprétation): Veuillez citer l'affaire?

6 Mme Chen (interprétation): Affaire IT-97-25-T, le Procureur contre

7 Milorad Krnojelac.

8 M. le Président (interprétation): Témoin, voulez-vous faire votre

9 déclaration solennelle?

10 Témoin 554 (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

11 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

12 M. le Président (interprétation): Vous pouvez vous asseoir, Monsieur.

13 Madame Uertz-Retzlaff, je pense que vous allez interroger le témoin?

14 (Interrogatoire principal du Témoin 54 par Mme Uertz-Retzlaff.)

15 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Avant de commencer, je voudrais juste

16 présenter Mlle ou Mme Diane Dicklic qui va dorénavant travailler comme

17 assistante juridique pour le Bureau du Procureur.

18 Bonjour, Monsieur le témoin.

19 Témoin 54 (interprétation): Bonjour.

20 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Monsieur le Témoin, vous avez sous

21 vos yeux un morceau de papier sur lequel est inscrit le n°54. C'est le

22 numéro qui vous a été attribué pour cette affaire.

23 Est-ce que le nom qui figure sous ce chiffre est bien votre nom?

24 R: Oui.

25 Q: Et la date qui y figure, est-ce bien la date de votre naissance?

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1 R: Oui.

2 Q: Et les deux autres noms qui sont inscrits sous la date de votre

3 naissance? Si vous devez parler de ces personnes, Monsieur le témoin, je

4 vais vous demander de vous référer à ces personnes uniquement par les

5 numéros. Nous demandons le versement au dossier de cette pièce.

6 M. le Président (interprétation): Des objections de la part des conseils

7 de la défense?

8 M. Bakrac (interprétation): Non.

9 M. le Président (interprétation): Ceci sera donc la pièce P398 et elle est

10 confidentielle.

11 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Témoin, où êtes-vous né?

12 Témoin 54 (interprétation): Je suis né dans un village près de Foca.

13 Q: Quelle est votre appartenance ethnique?

14 R: Musulman.

15 Q: Etes-vous marié?

16 R: Oui.

17 Q: Avez-vous des enfants?

18 R: Oui, j'ai deux enfants.

19 Q: Où habitiez-vous avant la guerre?

20 R: A Foca.

21 Q: Dans quel quartier de Foca habitiez-vous?

22 R: Dans le quartier de Donje Polje.

23 Q: Etait-ce un quartier musulman?

24 R: Oui, il y avait principalement des Musulmans qui habitaient dans ces

25 quartiers, mais ce n'était pas un quartier éthniquement pur.

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1 Q: Que faisiez-vous avant la guerre?

2 R: Eh bien, je suis un ouvrier qualifié et donc j'ai été chef d'équipe

3 dans une usine.

4 Q: A quel moment la guerre a-t-elle commencé à Foca?

5 R: Eh bien la date, on pourrait discuter assez longuement du début de la

6 guerre à Foca. En tout cas, moi j'ai entendu les premiers obus tomber tôt

7 dans la matinée du 6 avril, en réalité vers 10 ou 11 heures.

8 Q: Où étiez-vous au moment où cela cela s'est produit?

9 R: J'étais dans mon appartement.

10 Q: Est-ce que c'était un immeuble là où vous habitiez ou bien une maison?

11 R: C'était un immeuble avec 29 appartements à peu près.

12 Q: Et est-ce que les personnes, les habitants de ces immeubles étaient de

13 différentes appartenances ethniques?

14 R: Oui.

15 Q: Qu'avez-vous fait au moment où les combats ont commencé? Où êtes-vous

16 allé?

17 R: Je suis allé au sous-sol avec tous les autres voisins.

18 Q: De quelle appartenance ethnique étaient ces personnes qui sont

19 descendues au sous-sol?

20 R: On était de nationalité mixte, différente, mais pour la plupart on

21 était des Musulmans.

22 Q: Combien de Serbes y avait-il parmi les personnes qui s'abritaient au

23 sous-sol?

24 R: Trois ou quatre personnes.

25 Q: Pourquoi si peu de Serbes?

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1 R: Je ne sais pas pourquoi. Je ne saurais pas vous dire pourquoi, mais je

2 suppose qu'ils étaient au courant de ce qui allait se passer et qu'ils

3 sont allés se cacher au cours du week-end chez des cousins ailleurs dans

4 leurs familles.

5 Q: Cela veut-il dire qu'il y avait plus de Serbes qui habitaient dans

6 l'immeuble, mais qu'ils sont partis au moment où la guerre a commencé?

7 R: Eh bien, oui. Avant, on faisait attention pour ne pas créer des

8 immeubles ethniquement purs.

9 Q: Que voulez-vous dire par là?

10 R: Eh bien, comme en ex-Yougoslavie, on est passés par l'expérience de la

11 Deuxième Guerre mondiale et donc des animosités entre les peuples; les

12 gouvernements de l'ex-Yougoslavie faisaient attention pour que toutes les

13 nationalités soient représentées à tous les niveaux.

14 Q: Merci. Quelle était la partie de la ville qui avait été pilonnée? Est-

15 ce que toute la ville a été pilonnée ou bien juste certains quartiers?

16 R: Je sais qu'on a pilonné Donje Polje en totalité mais je ne saurais pas

17 vous dire ce qui s'est passé dans la ville même.

18 Q: Est-ce qu'il y a eu des maisons détruites au cours de ces premiers

19 pilonnages, des premiers combats?

20 R: Oui, il y a eu des maisons détruites.

21 Q: Est-ce que les maisons des Serbes étaient également détruites?

22 R: Moi, je ne l'ai pas vu, mais dans ces quartiers il n'y avait pas de

23 maison serbe de particuliers, de maison de famille. Donc, je parle du

24 quartier où j'ai habité. Il y en avait peut-être une dizaine, c'est tout.

25 Q: Savez-vous si la maison de l'accusé Krnojelac a été détruite à cette

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1 occasion?

2 R: Je ne le sais pas, mais en tout cas je sais qu'un certain nombre de

3 détenus dans les camps se sont rendus au chantier de la maison de cette

4 personne pour effectuer des travaux et des réparations.

5 Q: Pendant combien de temps ont duré les combats?

6 R: Eh bien, 7 à 8 jours. Je ne sais pas exactement entre le 6 et le 14 ou

7 15 avril 1992 évidemment.

8 Q: Est-ce que les Musulmans se sont à un moment donné retirés de Foca ou

9 bien est-ce qu'ils ont fuit Foca?

10 R: Eh bien une grande partie d'entre eux l'a fait au cours de la nuit, une

11 partie, une grande partie de la population est partie vers Gorazde. Il y

12 en avait qui sont restés et j'ai été là, je suis resté.

13 Q: Après la fuite des Musulmans, est-ce que les pilonnages se sont arrêtés

14 ou bien ont continué?

15 R: Non, non les pilonnages ne se sont pas arrêtés. Au contraire les

16 pilonnages ont continué en utilisant même des obus inflammables

17 incendiaires, les combats ont continué, et tout ce qui n'a pas été détruit

18 au cours du premier pilonnage a été brûlé lors de ce deuxième pilonnage.

19 Q: A quel moment cela s'est produit?

20 R: Les 14, 15 et 16 avril 1992.

21 Q: Pourriez-vous nous dire ce qui est arrivé aux maisons du quartier Donje

22 Polje au mois de janvier?

23 R: Au mois de janvier, je ne sais pas.

24 Q: Janvier, il y a probablement une erreur dans l'interprétation, j'ai

25 voulu dire en général, je veux dire à toutes les maisons appartenant aux

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1 Musulmans.

2 R: Eh bien, ce qui n'a pas été détruit au cours du pilonnage a été brûlé

3 par la suite.

4 Q: Et comment le savez-vous?

5 R: Eh bien, je l'ai vu parce que je pouvais le voir de mon balcon, enfin

6 moi je vous parle d'un quartier où j'ai habité.

7 Q: Et que s'est-il passé avec les autres quartiers où habitaient des

8 Musulmans ? Avez-vous vu ce qui s'est passé là-bas?

9 R: Eh bien moi, je n'allais pas là-bas.

10 Q: Est-ce que vous savez ce qui s'est passé avec les mosquées?

11 R: Pour deux mosquées, j'ai bien vu qu'elles avaient disparu. Il y a une

12 mosquée qui était à côté d'un jardin d'enfant et une autre qui était à

13 côté de la gare routière. Je ne sais pas si elle est toujours là, la gare

14 routière je veux dire.

15 Q: A quel moment avez-vous vu que ces mosquées ont été détruites?

16 R: Je n'ai pas vu, je n'étais pas présent au moment où les mosquées ont

17 été détruites parce qu'entre temps je séjournais au KP Dom. Mais, en bus

18 quand nous sommes passés par là le 30 août 1992, j'ai remarqué que ces

19 deux mosquées n'existaient plus. Il y avait juste un vide à leur place.

20 Q: Vous avez dit que beaucoup de Musulmans se sont enfuis vers Gorazde,

21 mais vous vous avez décidé de rester. Est-ce que vous êtes resté à Donje

22 Polje ou bien êtes-vous allé quelque part à l'intérieur à Foca?

23 R: Je suis encore resté une nuit à Donje Polje après cela, et après avec

24 un voisin serbe -je ne sais pas si je dois mentionner son nom- je me suis

25 rendu dans une autre partie de la ville de Foca, dans un autre quartier.

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1 Q: Dans quel quartier?

2 R: Cohodor Mahala.

3 Q: S'agit-il d'un quartier mixte ou d'un quartier musulman?

4 R: Il s'agit d'un quartier mixte.

5 Q: Et pourquoi êtes-vous allé là-bas?

6 R: Parce que ma fille habitait là-bas. Nous nous sommes parlés au

7 téléphone, elle m'a dit que je serais plus en sécurité là-bas. Elle

8 habitait là-bas parce (expurgé)

9 (expurgé). Nous sommes donc allés vivre là-bas.

10 Q: Vous avez dit que vous avez séjourné au KP Dom. A quel moment avez-vous

11 été arrêté?

12 R: Le 16 avril à Cohodor Mahala dans ce quartier où je suis allé.

13 Q: A quel moment de la journée avez-vous été arrêté, vous en souvenez-

14 vous?

15 R: Eh bien juste après minuit.

16 Q: Donc vous dites que vous avez été arrêté à Cohodor Mahala, est-ce que

17 vous avez été arrêté dans l'appartement, dans la maison de votre fille ou

18 bien ailleurs?

19 R: Oui, dans la maison. On m'a fait sortir de la maison, moi, son époux,

20 l'époux de ma fille et son oncle.

21 Q: Qui vous a arrêté?

22 R: Des personnes que je ne connaissais pas.

23 Q: Etaient-ils membres de la police ou des soldats, des civils?

24 R: Eh bien, ils avaient des uniformes de l'armée de couleur vert-olive,

25 les mêmes uniformes que j'ai portés quand j'étais à l'armée moi aussi. Il

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1 y en avait qui portaient des uniformes de police et d'autres qui avaient

2 des uniformes bariolés.

3 Q: Vous venez de dire que vous ne les connaissiez pas, est-ce que cela

4 veut dire qu'ils n'étaient pas originaires de Foca?

5 R: Ces personnes qui nous ont arrêtés n'étaient certainement pas de Foca,

6 mais bon je ne peux pas être vraiment catégorique parce que moi je ne peux

7 pas connaître toutes les personnes originaires de Foca, car c'était une

8 grande ville, il y avait beaucoup de gens qui habitaient dans la

9 municipalité de Foca.

10 Q: Est-ce que les soldats vous ont dit quelle était la raison de votre

11 arrestation et ce qui allait vous arriver?

12 R: Quand ils ont entendu les cris de mon épouse et de ma fille et quand

13 elles leur ont demandé quelle était... ce qui allait nous arriver, ils ont

14 répondu que nous allions juste faire une déclaration et que nous allions

15 retourner. Mais ensuite ils nous ont emmenés dans une cour où il y avait

16 déjà à 150 mètres de là une cinquantaine de personnes, dans cette cour, et

17 il y avait d'autres personnes qui arrivaient sans arrêt. J'en ai reconnu

18 deux, deux hommes Ranko Pijano et Mitrasinovic, Puko, Goran Mitrasinovic,

19 appelé Puko.

20 Q: Qui était ces personnes?

21 R: Goran Mitrasinovic était ouvrier, pour autant que je le sache, peut-

22 être après il est allé travailler ailleurs. Mais en tout cas, pour autant

23 que je le sache, il travaillait à Scepan Maglic, alors que Ranko Pijano

24 était juriste dans l'ex-Focatrans, et ensuite dans une autre société qui

25 s'appelait Viner, et il a travaillé dans... je pense qu'il était

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1 secrétaire général ou quelque chose comme cela.

2 Q: Et quand vous les avez vus, est-ce qu'ils portaient aussi un uniforme?

3 Et si oui, quel genre d'uniformes?

4 R: Oui, oui, oui ils portaient des uniformes vert olive, des uniformes

5 militaires.

6 Q: Est-ce que vous avez jamais appris de quoi vous avez été accusé et

7 pourquoi vous avez été arrêté?

8 R: Non, non, je ne l'ai jamais appris. D'ailleurs, je n'ai pas été accusé

9 et je n'ai jamais eu de procès.

10 Q: Vous avez dit que dans cette cour il y avait déjà d'autres personnes

11 rassemblées dans cette cour, combien étaient-elles?

12 R: Quand je suis arrivé, il y avait 50 ou plus, mais au moment où ils nous

13 ont amenés au KP Dom, eh bien, on était presque 200 ou peut-être plus que

14 cela, peut-être moins. Mais vous devez comprendre que nous n'étions pas en

15 train de compter les gens présents.

16 Q: Est-ce qu'il n'y avait que des hommes là-bas?

17 R: Oui, les hommes.

18 Q: Et savez-vous quelle était l'appartenance ethnique de ces personnes?

19 R: Musulmans, ils étaient Musulmans.

20 Q: Ils étaient tous Musulmans?

21 R: Oui, tous.

22 Q: Et ils avaient quel âge entre les plus jeunes et les plus âgés?

23 R: Entre 16-17 ans jusqu'à 80 ans. Par exemple, l'oncle de mon beau-fils

24 avait 75 ans.

25 Q: Est-ce que vous aviez une arme avant ou après ou pendant la guerre?

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1 R: Non, je n'ai jamais eu des armes.

2 Q: Est-ce que vous avez participé au combat de quelque façon que ce soit?

3 R: Non, jamais.

4 Q: Et parmi les personnes que vous connaissiez, parmi les personnes

5 rassemblées dans cette cour, est-ce que vous pouvez dire que ce n'étaient

6 que des civils ou bien est-ce qu'il y avait des combattants parmi eux?

7 R: Ce n'étaient que des civils, il n'y avait que des civils.

8 Q: Est-ce qu'il y avait quelque chose de particulier, une caractéristique

9 que vous partagiez entre les autres hommes se trouvant dans cette cour et

10 qui aurait pu être la raison de votre arrestation?

11 R: Eh bien, sans doute parce qu'on était tous des Musulmans, je ne vois

12 pas quelle autre raison il pouvait y avoir.

13 Q: Le jour où on vous a arrêtés, est-ce que vous avez subi des mauvais

14 traitements par des soldats présents?

15 R: Non, là-bas, cet endroit où nous attendions pour être transférés en

16 bus, non. Mais en revanche dès que nous sommes arrivés dans le camp, dès

17 qu'on nous a fait sortir du bus, juste devant l'entrée, en sortant du bus,

18 eh bien on a déjà reçu des coups.

19 Q: Donc on vous a amenés là-bas dans un seul bus ou dans plusieurs

20 autobus?

21 R: Il y a eu deux autobus, un qui appartenait à Sutjeska et l'autre à

22 Focatrans; le premier c'était le parc national de Sutjeska.

23 Q: Est-ce que les bus vous ont amenés jusqu'à l'intérieur du KP Dom ou

24 bien est-ce qu'ils vous ont fait sortir juste avant?

25 R: Non, ils sont entrés à l'intérieur du KP Dom. Il y avait une porte, une

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1 très grande porte coulissante, je pense qu'on utilisait ce porche pour

2 faire sortir les meubles qu'ils fabriquaient là-bas.

3 Q: Vous avez dit qu'on vous a passés à tabac à la sortie du bus, qui a

4 fait cela?

5 R: Eh bien, pour l'essentiel, c'étaient, je pense, des Serbes, je dis cela

6 à cause de leur façon de parler, donc des gens de Serbie. Moi, je ne

7 connaissais personne d'entre eux.

8 Q: Ceux qui vous ont passé à tabac, étaient-ce des soldats ou bien avez-

9 vous vu des gardiens?

10 R: Non, je n'ai pas vu de gardien, je n'en ai pas vu un seul, il n'y avait

11 que des soldats, et je connaissais la plupart des gardes.

12 Q: Où vous a-t-on amené à l'intérieur du complexe du KP Dom?

13 R: La salle n°11.

14 Q: Avec l'aide de l'huissier, je souhaiterais montrer au témoin la

15 photographie 18 et la photographie 7512, c'est une photographie.

16 Pourriez-vous regarder cette photographie, nous dire si vous voyez la

17 salle 11 sur cette photographie, et nous dire également si cette salle se

18 trouve dans l'immeuble 1 ou 2

19 R: Dans l'immeuble marqué par le chiffre 1, mais on le voit assez mal sur

20 la photographie, et les fenêtres de cette salle se trouvent ici tournées

21 vers les jardins, et il y a aussi des fenêtres de l'autre côté qui

22 regardent l'immeuble administratif.

23 Q: Le témoin montre l'immeuble marqué par le chiffre 1, il s'agit de

24 l'immeuble du bâtiment, de la partie du bâtiment que nous appelons le

25 bâtiment A

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1 Témoin, pendant le reste de votre témoignage, pourriez-vous appeler ceci

2 le bâtiment A?

3 Le témoin montre le rez-de-chaussée de ce bâtiment.

4 Est-ce que vous êtes resté pendant tout votre séjour dans la salle 11 ou

5 bien est-ce que vous avez été transféré dans une autre salle?

6 R: J'ai été aussi dans la salle n°20, mais pendant très peu de temps, et

7 ensuite j'ai passé trois ou quatre jours au cachot.

8 Q: Pourriez-vous nous montrer la salle 20 sur cette photographie?

9 (Le témoin montre le deuxième étage à partir du haut)

10 Témoin, pendant que vous étiez dans la salle n° 20, est-ce que vous

11 pouviez voir la rivière de la Drina et le pont sur la Drina à partir de

12 votre fenêtre?

13 R: Je crois bien qu'on pouvait le voir, mais moi je travaillais ; j'avais

14 l'obligation de travailler, et comme j'étais assez fatigué, je ne

15 regardais pas par la fenêtre. En tout cas, je n'ai passé que 3 jours dans

16 cette salle ; je n'ai pas regardé.

17 Q: Merci. Avec l'aide de l'huissier, j'aimerais présenter au témoin la

18 photographie 7476. En regardant cette photographie, vous pouvez voir des

19 flèches. Que montrent ces flèches?

20 R: Est-ce que je peux commencer à parler.

21 Q: Oui, bien sûr.

22 R: Ces flèches montrent 4 fenêtres: 2 flèches à droite appartiennent à une

23 salle et les 2 autres flèches une autre salle -la salle n° 11- et juste au

24 dessous de ces fenêtres se trouvait un dépôt.

25 Q: Et cet espace réservé au dépôt était-il vide ou plein?

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1 R: Pendant que j'étais au camp?

2 Q: Oui.

3 R: Eh bien, non, non, je ne pouvais même pas y y aller.

4 Q: Maintenant, je voudrais vous montrer une autre photographie. Il s'agit

5 de la photographie 7483. Vous allez voir une porte. C'est un peu difficile

6 à voir, mais normalement, il devrait y avoir le chiffre 11 sur la porte.

7 R: Je pense que ces portes étaient exactement les mêmes sur toutes les

8 salles. Moi, je ne peux pas voir d'après la photographie si c'est la porte

9 de la pièce 11 ou une autre. Je pense que la porte de la salle 12 était la

10 même, mais toute les portes étaient pareilles et elles se ressemblaient

11 toutes.

12 Q: Très bien merci. Je souhaite également vous montrer le plan qui a déjà

13 été montré au témoin, qui a été dessiné par le témoin qui est venu déposer

14 avant vous. Il s'agit du plan 6/2. Veuillez examiner le bâtiment où

15 étaient détenus les prisonniers et dites-nous, s'il vous plaît, où se

16 trouve la pièce 11 sur ce plan et si ceci est conforme à la réalité.

17 R: Je pense que c'est dans ces pièces-là.

18 Q: De quoi parlez vous en disant ces 2 pièces-là?

19 R: Eh bien les deux pièces qui sont de ce côté-là constituent 2 dortoirs.

20 M. le Président (interprétation): Madame Uertz-Retzlaff, ceci n'a pas été

21 contesté. Personne n'a contesté que c'était la pièce 11. Ceci a été montré

22 à un nombre de témoins, et les pièces que le témoin décrit en tant que

23 dortoirs font clairement partie de la salle 11.

24 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Oui, mais je souhaitais demander au

25 témoin de nous dire dans quelles pièces il se trouvait.

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1 M. le Président: Oui, mais vous pouviez le faire de manière plus rapide en

2 disant par exemple: "Ca, c'était la pièce 11. Est-ce que vous pouvez nous

3 dire dans quelle pièce vous trouviez?"

4 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

5 Témoin, vous avez dit deux-pièces ; peut-être y avait-il même 4 pièces.

6 Témoin 54 (interprétation): Ecoutez, de ce côté-là, vers la partie

7 administrative du KP Dom, il y avait deux pièces, et de l'autre côté, il y

8 avait deux pièces. Par exemple, moi je dormais ici, mais le tout ici était

9 la partie qui était disponible, des personnes qui étaient détenues dans la

10 salle 11 en journée, parce que là, dans cette pièce, les détenus pouvaient

11 s'occuper de leurs propres occupations en journée. Donc ici, nous pouvons

12 voir l'entrée, nous pouvons voir que les toilettes se trouvent ici.

13 Q: Oui merci.

14 M. Bakrac (interprétation): Monsieur le Président, je m'excuse. Le témoin

15 a expliqué dans quel dortoir il a dormi, mais ceci ne peut pas être

16 reflété dans le compte rendu à moins qu'on l'explique.

17 M. le Président (interprétation): Vous avez tout à fait raison. Je suppose

18 que vous pouvez comprendre cela mieux que nous puisque vous avez entendu

19 cela dans l'original, en BCS. puisque le témoin était en train de déplacer

20 le pointeur au moment de l'interprétation. Donc, pouvez-vous lui demander

21 de montrer cela de nouveau et de ne pas déplacer le pointeur?

22 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Oui. Témoin, dites-nous, s'il vous

23 plaît, dans quelle pièce vous avez dormi?

24 (Le témoin montre la pièce qui va vers la partie derrière).

25 M. le Président (interprétation): Dans le coin du bâtiment.

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1 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Tout à fait, mais vous êtes allé dans

2 deux autres dortoirs qui étaient tournés vers le bâtiment administratif,

3 c'est ce que vous avez dit?

4 Témoin 54 (interprétation): Oui, j'y suis resté, j'y allais tous les

5 jours.

6 Q: Merci. Je souhaite vous montrer deux photographies, dont l'une est 7495

7 et l'autre 7503, et je souhaite que l'on montre les deux photographies au

8 témoin en les plaçant l'une à côté de l'autre, juste les photographies

9 d'en bas.

10 Si vous examinez les photographies d'en bas par rapport aux fenêtres, est-

11 ce que vous pourriez nous dire quelle est la pièce par rapport aux

12 fenêtres?

13 R: Sur la base de la position des fenêtres, nous ne pouvons rien conclure

14 puisque les fenêtres sont identiques vu de l'intérieur, parce que

15 visiblement ces photographies ont été prises de l'intérieur. J'aurais pu

16 vous répondre si j'avais vu quelque chose derrière les fenêtres.

17 Mais sinon c'est vraiment identique, je ne peux vraiment pas vous le dire,

18 les fenêtres existent dans les deux pièces, même si je pense que la pièce

19 à gauche était celle qui était tournée plus vers la cour alors que celle

20 sur

21 ma droite était plutôt celle qui se trouvait dans l'angle du bâtiment.

22 A partir de l'intérieur, de toute façon, il n'est pas possible

23 d'identifier les pièces, je les trouve identiques. Mais quant à la

24 disposition des lits, cela peut changer à tout moment, partout.

25 M. le Président (interprétation): Un moment s'il vous plaît, si nous

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1 examinons la photographie à droite, un peu plus attentivement, nous

2 pouvons voir qu'il y a une fenêtre sur le mur à droite.

3 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Oui, c'est justement ce que j'allais

4 indiquer moi-même. Veuillez tout d'abord examiner la photographie 7495,

5 s'il vous plaît. Peut-être que c'est mieux effectivement, veuillez

6 examiner l'endroit où se trouvent les fenêtres.

7 Dans la photographie d'en bas, est-ce que vous savez qu'il y a des

8 fenêtres à droite?

9 Témoin 54 (interprétation): Oui, je vois. Je pense que c'est le côté droit

10 si l'on regarde depuis la pièce, mais par rapport au bâtiment

11 administratif ce serait à gauche.

12 M. le Président (interprétation): Madame Uertz-Retzlaff, un photographe

13 pourrait nous expliquer tout cela. Pourquoi est-il nécessaire de constater

14 cela ainsi?

15 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Je souhaitais que l'on établisse où

16 se tenait le témoin au moment où de certains incidents, mais nous pouvons

17 passer à autre chose.

18 Témoin 54 (interprétation): En ce qui concerne cette pièce, cette pièce

19 qui est en bas, ce n'est certainement pas la pièce où moi, j'ai été

20 puisque cette pièce-là n'a pas de fenêtre à côté. Elle a des fenêtres du

21 côté gauche qui donnaient sur la cour, le parc, -je ne sais pas comment

22 l'expliquer- alors que les autres fenêtres étaient tournées vers le

23 bâtiment administratif. Puis il y a deux autres fenêtres qui sont tournées

24 vers la cour.

25 Q: Merci. Nous pouvons passer à autre chose. Je souhaite vous montrer la

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1 photographie 7499 à présent, est-ce que cette vue vous semble connue?

2 R: Oui, c'est le rez-de-chaussée et puis l'étage aussi. Cela se trouvait

3 juste au-dessous d'un des dortoirs. A vol d'oiseau, c'était une distance

4 de 10 mètres au maximum. Ici, à gauche, ceci n'est pas montré sur la

5 photographie, il y a la porte d'entrée à partir de la cour. Cela devrait

6 être à peu près ici mais ceci ne figure pas sur cette photographie, donc

7 l'entrée depuis la cour du camp, l'entrée dans le bâtiment.

8 Q: Oui, mais est-ce que ceci correspondrait à la vue depuis l'un de vos

9 dortoirs qui faisaient partie de la salle 11?

10 R: Cette partie-là est visible tout à fait depuis ce dortoir. Mais encore

11 une fois je peux vous dire que par rapport au bâtiment administratif,

12 j'étais du côté droit au moment de l'incident concernant lequel je suppose

13 que vous souhaiterez me poser des questions.

14 Q: Je souhaite vous montrer une autre photographie, il s'agit de la

15 photographie 7479.

16 Pourriez-vous nous dire d'où est prise cette vue? Est-ce que ceci

17 correspondait à votre vue depuis la salle 11?

18 R: Oui, je pouvais voir cela depuis l'un des dortoirs de la salle 11,

19 depuis l'un des dortoirs que l'on a vu tout à l'heure. C'est la vue vers

20 la cour, vous pouvez voir l'escalier qui mène en bas, vous voyez c'est

21 l'escalier. Ca, c'est le parc aménagé avec un sentier, c'est par ici que

22 nous passions afin d'entrer dans la salle.

23 Puis nous pouvons voir que le restaurant se trouve un peu plus loin, une

24 partie de l'usine, ensuite le restaurant, et ici c'est le bâtiment

25 administratif. Ici c'est le réfectoire et puis il y a le reste des

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1 bâtiments.

2 Q: Très bien, vous venez de mentionner une porte que vous avez pu voir

3 depuis la salle 11, je souhaite vous montrer une dernière photographie,

4 c'est la photographie 7473. C'est la photographie en bas, la porte qui se

5 trouve à côté du n°1, est-ce bien la porte dont vous avez parlé?

6 R: Oui.

7 Q: Merci. Lorsque vous êtes arrivé dans la salle 11, est-ce que des

8 détenus s'y trouvaient déjà?

9 R: Oui.

10 Q: Combien?

11 R: Peut-être 30 à 40 personnes. Nous aussi, on a été nombreux à y être

12 amenés donc, un moment on était plus de 100, beaucoup plus que cela.

13 Q: Et quel a été le nombre maximum des détenus qui se trouvaient dans la

14 pièce 11, à un certain moment?

15 R: Je pense que c'était le premier jour, dès le lendemain on a réparti les

16 gens dans d'autres pièces. Moi je suis resté à l'intérieur ce jour et

17 peut-être le lendemain aussi, on était même peut-être au nombre de 150.

18 Donc il y avait très très peu de place mais peu de temps après ils ont

19 réparti les gens dans d'autres pièces et je crois qu'environ 60, 70

20 personnes sont restées.

21 Q: Avez-vous pu comprendre pourquoi vous êtes resté dans la salle 11? Est-

22 ce que vous avez pu remarquer un caractère systématique selon lequel les

23 gens étaient repartis dans les pièces différentes?

24 R: Je ne sais pas pourquoi je suis resté dans la salle 11, je n'étais pas

25 la seule personne. Je suppose que la raison était que c'était trop bondé

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1 et qu'il a fallu amener les gens ailleurs.

2 Q: Les personnes qui se trouvaient dans la salle 11 et qui y sont restées

3 pendant un peu plus longtemps avec vous, est-ce qu'elles étaient tous

4 Musulmans ou bien est-ce qu'elles appartenaient à d'autres groupes

5 ethniques également?

6 R: Dans ma pièce, il y avait un Croate, un catholique donc, Kruno

7 Marinovi.

8 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): C'est la personne dans la liste C

9 n°17, Monsieur le Président.

10 Est-ce que vous pouvez nous dire quelque chose sur l'état de santé de M.

11 Marinovi au moment où vous l'avez vu?

12 Témoin 54 (interprétation): Il était en piteux état, il avait été passé à

13 tabac, il avait beaucoup d'ecchymoses sur le corps. Sa pommette était

14 cassée.

15 Q: Et quel était l'âge des personnes détenues dans cette pièce?

16 R: Toutes les tranches d'âges étaient représentées, il y avait... les

17 personnes les plus âgées étaient de 70-75 ans et puis la personne la plus

18 jeune avait, je crois, 16 ans. Il y avait un garçon, Soro, âgé de 14 ans.

19 Q: Et quel était l'état de santé des autres personnes, est-ce qu'il y

20 avait des personnes malades, handicapées?

21 R: A ce moment-là, il n'y a pas eu de personne malade, je n'ai pas vu de

22 personne malade en train d'être allongée au lit sans arrêt. Mais par la

23 suite, les gens ont perdu beaucoup de poids, ils étaient épuisés et puis

24 beaucoup de personnes avaient été passées à tabac à plusieurs reprises.

25 Q: Vous avez mentionné M. Marinovic, quel était son âge?

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1 R: Eh bien, peut-être quelques années de moins que moi, je ne sais pas,

2 peut-être quatre à cinq années de moins, ça c'est une estimation libre,

3 peut-être quatre à cinq ans peut-être même plus mais je ne crois pas.

4 Mais il est plus jeune que moi.

5 Q: Et quel était son métier? Est-ce que vous le savez?

6 R: Je sais ce qu'il faisait ces derniers temps, il était le mécanicien qui

7 réparait les télévisions, les magnétoscopes. Soi-disant avant il

8 travaillait dans la radio de Zenica et la télévision. A Sarajevo, il était

9 chargé des lumières pendant le tournage, je ne connais pas le mot exact

10 professionnel mais donc c'est la personne qui assurait la lumière afin que

11 l'on puisse tourner quelque chose. Et puis je pense qu'il faisait autre

12 chose aussi. Je pense qu'il était aussi journaliste mais en fait je ne

13 connaissais pas vraiment bien cette personne. Mais à un moment, un homme,

14 je pense, l'avait menacé à cause d'un article qu'il avait écrit et publié

15 à Zaghreb, quelque chose comme ça mais je ne sais pas s'il était un

16 journaliste professionnel ou pas.

17 Q: Et vous dites qu'il avait été blessé, est-ce qu'il a reçu l'aide

18 médicale pour ses blessures?

19 R: Non.

20 Q: Est-ce que vous pouvez voir combien d'autres détenus se trouvaient dans

21 d'autres pièces? Est-ce que vous avez pu faire une évaluation de la

22 totalité des détenus qui s'y trouvaient?

23 R: Pas à ce moment-là, les gens n'arrêtaient pas d'être amenés et ramenés;

24 à un moment, peut-être au bout de 15, 20 jours, peut-être au bout d'un

25 mois, -puisque sans arrêt on faisait venir et partir les gens- nous avons

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1 essayé de les compter et ceci nous était permis à cause de la position de

2 la pièce 11. A un moment, nous avons pu constater que le nombre de détenus

3 était autour de 700, peut-être 708, 705 mais je ne peux pas dire le

4 chiffre exact.

5 Q: Pour autant que vous le sachiez, en ce qui concerne ces personnes que

6 vous avez vues, est-ce qu'elles venaient toutes de Foca et des villages

7 aux alentours ou bien est-ce qu'elles venaient d'ailleurs?

8 R: Pour autant que je le sache, il y a des gens de Foca et des villages

9 aux alentours, mais je n'exclue pas la possibilité...

10 En fait, je m'excuse, un autocar est venu avec les gens de la côte

11 monténégrine. Il y avait des gens de Gorazde, Cajnici, Srebrenica,

12 Trebinje, si je me souviens bien. Je ne peux pas énumérer tout le monde.

13 Ces gens-là s'étaient réfugiés, ils ont contacté la Croix Rouge et puis

14 après ils ont été ramassés et ramenés, une cinquantaine d'entre eux, mais

15 je sais qu'il y en avait un de Trebinje, il y en avait quatre à cinq

16 personnes de Srebrenica, quatre à cinq personnes pour autant que je le

17 sache de Gorazde et deux à trois personnes de Cajnici.

18 Q: A quel moment ces détenus sont-ils arrivés au KP Dom? Est-ce que vous

19 vous en souvenez peut-être le mois?

20 R: Peut-être que c'était vers la fin du mois de mai, début juin. Je ne

21 sais pas, vous savez, je ne m'intéressais pas à la statistique.

22 Q: Est-ce que les femmes n'ont jamais été détenues au sein du KP Dom?

23 R: Je sais simplement qu'elles ont passé une fois une nuit. Un autocar est

24 venu avec des femmes et des enfants, tard dans la soirée, et ils ont passé

25 la nuit dans l'enceinte de la prison. Mais après ils sont repartis.

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1 Q: Vous avez dit qu'au début il y avait des soldats là-bas. Pendant que

2 ces soldats s'y trouvaient, est-ce qu'il y a eu des passages à tabac?

3 R: Tous les jours, en passant. Oui, cela se produisait. Cependant ils ne

4 sont pas restés pendant longtemps, je ne peux pas vous le dire, c'était

5 une dizaine de jours, peut-être deux jours de plus ou de moins. Ensuite ce

6 sont les policiers qui ont pris le contrôle du camp, les policiers qui

7 avaient travaillé auparavant au KP Dom.

8 Il y avait un petit nombre d'autres personnes qui s'y trouvaient mais

9 c'étaient surtout les policiers qui avaient travaillé auparavant.

10 Q: Et quand est-ce qu'ils ont pris le contrôle de la prison?

11 R: Eh bien, c'étaient peut-être 7 à 8 jours après. Le camp a été

12 constitué, je pense que le camp a commencé à être créé; c'étaient des gens

13 de Serbie, ils parlaient en dialecte ekavien, donc je pouvais le

14 reconnaître puisque ce dialecte n'est pas répandu à Foca, donc je suppose

15 qu'ils étaient de Serbie.

16 Q: Je vais vous interrompre, je vous ai posé la question concernant les

17 gardes qui ont pris le contrôle de la prison, les gardes qui y avaient

18 travaillé auparavant, comme vous le saviez.

19 Quels étaient les uniformes qu'ils portaient? Est-ce qu'il s'agissait des

20 anciens uniformes des gardes de prison ou des uniformes militaires?

21 R: Oui, ils portaient des uniformes sauf une ou deux personnes peut-être

22 qui portaient des uniformes de camouflage, sinon ils étaient des gardes.

23 Q: C'étaient des uniformes de police?

24 R: Oui, les uniformes bleus de police.

25 Q: Et quelles armes avaient-ils, s'ils en avaient?

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1 R: Je ne sais pas, il y avait des couteaux, des pistolets, des

2 kalachnikovs.

3 Q: Dites-nous simplement ce que vous avez vu? Quelles étaient les armes

4 que portaient les gardes?

5 R: Je ne sais pas si une manche de hache peut-être considérée comme une

6 arme, puis ils avaient des couteaux, également des pistolets, des fusils

7 automatiques.

8 Q: Est-ce qu'il y a eu des détenus serbes au KP Dom pendant votre séjour

9 là-bas?

10 R: Oui, une partie des personnes étaient séparées, elles ne se mêlaient

11 pas avec nous. Puis il y avait une autre partie, enfin il y avait deux ou

12 trois personnes que je connaissais. L'un d'eux a crié lorsqu'il m'a vu,

13 lorsque je sortais du réfectoire, il a dit: "Regarde-moi! Il m'a

14 emprisonné ici parce que j'ai refusé de porter l'arme".

15 Q: Ces détenus serbes, où se trouvaient-ils, dans quelle partie du KP Dom?

16 Est-ce que vous connaissez le numéro de la pièce ou dans quelle aile?

17 R: Je ne sais pas dans quelle pièce, mais je sais que c'était dans l'aile

18 où il n'y avait que des cellules d'isolement.

19 Q: En ce qui concerne les cellules d'isolement, elles se trouvaient dans

20 quel le bâtiment, le bâtiment A où se trouvait la pièce 11 ou bien dans

21 l'autre bâtiment?

22 R: Ni dans le bâtiment A où se trouvait la pièce 11, ni dans l'autre aile,

23 mais c'était dans l'aile perpendiculaire.

24 Q: Est-ce que vous-même vous n'avez jamais séjourné dans ces cellules

25 d'isolement?

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1 R: Malheureusement, oui.

2 Q: Je demanderais à l'huissier de m'aider pour montrer au témoin le plan

3 6/2.

4 Veuillez examiner ce plan et veuillez nous dire si vous pourriez nous

5 montrer... Monsieur l'huissier, il va falloir que vous déplaciez cela un

6 peu à gauche, de l'autre côté.

7 Est-ce que vous vous souvenez dans quelle cellule d'isolement vous vous

8 trouviez?

9 R: Je pense que c'était la dernière qui porte le n°5.

10 Q: Oui. Merci. Et maintenant, je souhaite vous montrer deux photographies;

11 7525 et 7526. Veuillez examiner les photographies et nous dire si la

12 cellule d'isolement dans laquelle vous vous trouviez ressemblait à cela?

13 R: C'est l'intérieur de la cellule d'isolement, je n'ai été que dans une

14 seule mais je suppose qu'elles sont toutes identiques.

15 Comme vous pouvez le voir, il y a des toilettes turques. On ne voit pas

16 très bien, normalement ici il y avait un robinet où il y avait de l'eau,

17 mais je ne sais pas, on ne peut pas voir cela vraiment ici. Et puis ici se

18 sont les toilettes turques.

19 Au moins c'est ce à quoi ressemblait ma cellule.

20 Q: Oui, merci Monsieur l'huissier.

21 Pourquoi vous a-t-on amené là-bas?

22 R: Pourquoi? Eh bien, je devais travailler dans la cuisine. J'ai distribué

23 la nourriture pendant trois jours et par pitié j'ai donné à la personne

24 portant le n°115 une tranche de pain supplémentaire puisque la tranche

25 d'origine était extrêmement petite.

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1 Q: Et que s'est-il passé? Est-ce que quelqu'un a vu cela?

2 R: Oui, on a vu que c'était entre ses mains, on lui a demandé et puis il a

3 dit que la personne qui distribuait le pain ce jour-là lui a donné cela.

4 C'était le garde Pilica Blagojevic, il était surnommé Pilica je ne me

5 souviens plus de son prénom. Il est entré dans la partie où l'on

6 distribuait la nourriture et il a demandé: "Qui a distribué le pain?".

7 Moi, j'ai dit: "C'est moi". Je ne savais même pas pourquoi on me posait

8 cette question-là. Il m'a dit d'enlever mon blouson, ma blouse blanche et

9 le pantalon blanc et il m'a dit de contacter Maric, et j'ai demandé où, et

10 il m'a montré la partie où se trouvait la cellule d'isolement.

11 Je ne savais pas pourquoi du tout. Moi, j'ai contacté Maric et il m'a dit:

12 "Qu'as-tu fait?", j'ai dit: "Rien", et il m'a dit: "Mais qu'as-tu fait?",

13 et j'ai dit: "Mais je n'ai rien fait." Entre temps Pilica est arrivé, il a

14 dit que j'ai donné du pain et ils m'ont placé là-bas. Maric est parti et

15 Pilica m'a frappé plusieurs fois et il m'a frappé de façon assez violente,

16 des dents me sont sorties de la bouche, j'avais des bleus.

17 Q: Qui était Maric? Est-ce un autre gardien? Est-ce qu'il s'occupait des

18 cellules, de la distribution de cellule?

19 R: Je ne sais pas s'il s'occupait des cellules. Je pense qu'il s'appelait

20 Milomir Maric, on l'appelait Mara, mais en tout cas au moment où on m'a

21 placé dans une cellule, il était là.

22 Q: Il était gardien?

23 R: Oui, même avant il était gardien au KP Dom, et pendant que j'étais au

24 camp il était là.

25 Q: A quel moment cet incident s'est produit? Je pense à l'incident de la

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1 cellule d'isolement.

2 R: Je pense que cela s'est produit autour du 10 août. J'avais commencé à

3 travailler dans la cantine, dans la cuisine le 5, et j'y ai travaillé

4 pendant trois jours. Donc c'était probablement le 8 août 1992 bien sûr

5 parce que moi, je parle de toute façon de la période entre les 16 et 17

6 avril et le 30 août 1992. Donc si je ne mentionne pas l'année, il faut

7 savoir que je me réfère toujours à l'année 1992, c'est la période que j'ai

8 passée dans le camp.

9 Q: Qui vous a donné ce travail dans la cuisine?

10 R: Savo Todovic. Je ne sais pas pour les autres, je sais que même avant la

11 guerre il avait cette fonction au sein du KP Dom et c'est lui qui nous

12 donnait du travail aux détenus du camp.

13 Q: Est-ce que vous lui avez demandé à avoir un travail dans les cuisines

14 ou bien est-ce qu'il vous a juste donné ce job?

15 R: Je ne sais pas exactement. Il y avait un gardien, il a envoyé un

16 gardien -je ne sais plus lequel- et il a dit que je devais le suivre pour

17 aller voir Savo Todovic. J'y suis arrivé, Maric était là aussi, il avait

18 un bureau mais ces bureaux n'étaient pas dans le bâtiment administratif ni

19 dans notre partie du bâtiment. Alors il m'a dit que je devais distribuer

20 la nourriture mais malheureusement ceci n'a duré que pendant trois jours.

21 Q: Au moment où il vous a donné cette fonction, est-ce qu'il vous a

22 prévenu? Est-ce qu'il vous a donné des instructions?

23 R: Oui, il m'a dit que je ne devais pas faire ce que je fais, il m'a dit

24 que je pouvais perdre ma tête si jamais je donnais un morceau de pain de

25 plus ou plus de nourriture. Mais voilà je n'ai pas retenu la leçon et

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1 c'est pour cela qu'il m'est arrivé ce qui m'est arrivé.

2 Q: Vous avez dit qu'on vous a battu, que vous avez perdu des dents et que

3 vous avez eu des bleus. Etait-ce la seule fois où vous avez été passé à

4 tabac ou bien est-ce que vous avez été battu à plusieurs reprises pendant

5 votre séjour dans la cellule d'isolement?

6 R: Je n'ai été battu que cette fois-ci par Blagojevic et je n'ai jamais

7 été battu depuis, car de toute façon je n'ai pas passé longtemps dans la

8 cellule d'isolement, trois ou quatre jours, c'est tout.

9 Q: Et pendant que vous étiez dans cette cellule d'isolement, est-ce qu'il

10 y avait d'autres détenus placés dans la cellule d'isolement adjacente?.

11 R: Il y avait cinq ou six cellules là-bas, mais on dit que de l'autre côté

12 il y avait aussi des cellules. En tout cas souvent on entendait des coups

13 mais on entendait aussi des bribes de conversation. Des gens se parlaient

14 entre eux, des gens de différentes cellules, même si on ne pouvait pas se

15 voir.

16 Q: Est-ce que vous avez vu si au cours de ces quelques jours on a passé à

17 tabac quelqu'un d'autre à part vous, ou bien est-ce que vous ne pouviez

18 que l'entendre?

19 R: Je ne pouvais que l'entendre, je ne pouvais pas le voir car ce sont les

20 cellules sans fenêtre, il y a juste un tout petit peu de vitres au-dessus

21 de la porte. Et si mes souvenirs sont exacts, à l'époque il n'y avait même

22 pas de vitre mais il y avait juste les barreaux, des barreaux en fer très

23 denses d'ailleurs.

24 Q: Qui vous a fait sortir de la cellule d'isolement?

25 R: Mitar Rasevic, il était chef d'équipe des gardiens, il s'occupait de la

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1 sécurité, il était chef commandant de la police des gardiens.

2 Q: Est-ce qu'il vous a dit quoi que ce soit au moment où il vous a fait

3 sortir de la cellule?

4 R: Il m'a dit: "Bon écoute, je vais te laisser sortir alors que

5 normalement tu étais prévu pour être tué!", quelque chose de ce sens-là il

6 m'a dit.

7 Q: Est-ce qu'il vous a donné plus de détails à ce sujet, est-ce qu'il vous

8 a dit qui lui avait dit que vous deviez être tué?

9 R: Non.

10 Q: Nous avons déjà entendu les autres témoins qui ont parlé des conditions

11 au KP Dom, donc nous n'avons pas besoin de répéter tout cela.

12 Est-ce que vous pouvez nous dire si vous avez perdu du poids pendant que

13 vous étiez au KP Dom?

14 R: Pour être précis, j'ai perdu 37 kilos au cours des 136 jours que j'ai

15 passés au KP Dom.

16 Q: Pourquoi?

17 R: A cause de la nourriture, de la mauvaise qualité de la nourriture.

18 Q: Est-ce qu'il n'y avait pas de nourriture à cause de la guerre ou bien

19 est-ce qu'on a fait exprès pour donner des rations de nourriture si

20 pauvres?

21 R: Je ne sais pas s'ils ont fait exprès ou non mais en tout cas nous

22 n'avions, nous recevions très peu de nourriture. Moi, je ne peux pas dire

23 aujourd'hui que par exemple ils ont fait exprès mais en tout cas nous

24 n'avions que très peu de nourriture, c'est un fait.

25 Alors est-ce que c'était à cause de la guerre ou bien est-ce qu'ils ont

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1 fait exprès pour nous affamer? Je ne sais pas.

2 Q: Savez-vous s'il y a eu des gens qui sont morts au KP Dom à cause des

3 conditions de détention, je ne parle pas de mort violente?.

4 R: Eh bien pas dans ma salle, dans la salle où j'ai été, mais je sais, il

5 est connu qu'une personne, Eso Hodzic, était chauffeur de taxi avant; eh

6 bien il est mort à cause de son ulcère, une hémorragie interne à cause de

7 l'ulcère, et on ne lui a pas fourni les soins médicaux adéquats. Pour les

8 autres, je ne sais pas.

9 Q: Est-ce que vous étiez enfermé à clef dans la salle 11 pendant toute

10 cette période, ou bien de temps en temps pendant votre séjour vous aviez

11 le droit de faire une promenade par exemple dans la cour?

12 R: Non, nous avions juste le droit de nous rendre à la cantine pour manger

13 et puis je suis sorti à plusieurs reprises quand je suis allé déchargé la

14 farine. Je suis allé une seule fois. C'est à ce moment-là que je suis

15 sorti.

16 Q: Est-ce qu'à un moment donné des membres de la famille vous ont visité?

17 R: Une fois, je ne sais plus quand mais je pense que ceci s'est produit

18 autour du 9 mai, je ne suis pas sur au sujet de cette date mais je pense

19 que c'était le 9 mai que mon épouse m'a visité, m'a rendu visite pour la

20 première et la dernière fois. Après les visites ont été défendues,

21 interdites.

22 Q: Est-ce que c'est vous qui avez demandé cette visite ou bien est-ce que

23 c'est votre épouse qui a demandé à vous voir?

24 R: Sans doute qu'elle ne l'a pas demandé, c'était une visite spontanée.

25 Moi je ne l'ai pas demandée non plus. Ceci a duré très peu de temps,

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1 c'était une visite qui s'est produite dans le bâtiment administratif, le

2 gardien était présent, la visite était vraiment très courte.

3 Q: Pendant que vous étiez au KP Dom, est-ce que l'on ne vous a jamais

4 interrogé?

5 R: Oui une fois.

6 Q: Où et quand cela s'est-il produit?

7 R: Eh bien, c'était au début en avril, fin avril-début mai, dans le

8 bâtiment administratif.

9 Q: Et qui vous a interrogé?

10 R: Miso Koprivica, il est inspecteur au SUP.

11 Q: Quand vous dites SUP, vous pensez à la police, à la police de Foca?

12 R : Oui, le secrétariat des affaires intérieures, c'est la police, oui.

13 Q:: Et que voulait-il savoir, que voulait-il apprendre de vous?

14 R: Je peux vous dire qu'il se comportait de façon très correcte. Il avait

15 pour mission de me poser des questions, de savoir qui j'étais, si je

16 faisais partie d'une organisation, etc. Il m'a même offert un café et il

17 m'a donné une cigarette. Il était vraiment très très correct, il s'est

18 vraiment très bien comporté. Cependant j'ai appris plus tard, ce sont les

19 autres détenus qui me l'ont dit, je ne sais pas si l'on peut les croire ou

20 non, qu'il les a battus, qu'il les a passés à tabac. Mais moi, je ne l'ai

21 pas vu et il ne s'est pas comporté de la sorte avec moi.

22 Q: Vous avez dit qu'il a battu d'autres prisonniers ou bien qu'ils vous

23 ont dit qu'il les a passés à tabac. Est-ce que vous vous souvenez qui

24 étaient ces personnes, ces détenus?

25 R: Eh bien, il y avait Soro et Cedic Elvedin, trois frères, et Dzemal

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1 Vahida, ce sont les gens qui viennent d'un même quartier de Cohodor

2 Mahala. Alors, est-ce qu'il les a vraiment battus? Non, je ne sais pas.

3 Mais il m'a dit qu'ils ont trouvé un poste de radio chez ce vieil homme et

4 moi j'ai répondu: "Ecoute, ce n'est pas possible, il ne sait pas mettre en

5 marche un poste-radio pour écouter un journal, enfin je ne vois pas

6 comment il aurait pu servir d'un poste-radio!". Il m'a dit: "Si, si, il

7 sait s'en servir". Ils ont dit qu'ils ont trouvé 11 kilos d'explosifs chez

8 quelqu'un, je ne sais pas si c'était vrai ou non, mais je pense que cet

9 homme qui m'a décrit cela ne sait même pas mettre en marche une radio.

10 Q: Vous souvenez-vous de la personne qui vous a dit cela?

11 R: Mitar Koprivica.

12 Q: Est-ce que je peux vous demander une question? A quel moment vous a-t-

13 il dit cela et est-ce qu'il vous a dit cela quand il vous a interrogé?

14 R: Oui.

15 Q: Et de quel vieil homme vous parlez? Est-ce que vous pouvez nous donner

16 le nom de cet homme qui possédait soi-disant une radio émetteur?

17 R: Non, non, je ne saurais pas vous répondre, je le connaissais à peine,

18 cet homme.

19 Q: Avez-vous vu que l'on passait à tabac les détenus dans les salles des

20 prisonniers?

21 R: Non, pas dans les salles ; dans la salle 11, personne n'a été passé à

22 tabac. Mais dans la partie administrative, ils l'ont été.

23 Q: Pourriez-vous nous dire quelles sont les personnes que l'on a fait

24 sortir de votre pièce et qu'on a amenées au bâtiment administratif?

25 R: A plusieurs reprises, Dzemal Vahida, Cedic Elvedin, Aziz Sahinovic.

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1 Q: Et Dzemal Vahida, c'est le n°C27?

2 R: Dzemal Vahida, quand il a été amené au passage à tabac, eh bien je ne

3 me souviens pas de la date, mais c'était certainement au mois de mai.

4 Q: Et vous avez dit que ces personnes, on les a fait sortir à plusieurs

5 reprises?

6 R: Oui.

7 Q: Les avez-vous vues lorsqu'elles sont rentrées?

8 R: Lui, Dzemal Vahida, Edin et Cedic ; l'un d'eux rentrait, l'autre

9 repartait, etc., c'était sans arrêt comme cela.

10 Q: Ekinda Cedic, est-ce qu'il a un autre nom ou prénom parce que j'ai

11 l'impression que Ekinda est un surnom?

12 R: Oui, Ekinda c'est son surnom, il est Elvedin Cedic.

13 Q: Il s'agit de la personne C5. Est-ce que vous pourriez voir quelles

14 étaient les blessures qui leur avaient été infligées suite à leur retour?

15 R: C'était catastrophique, Cedic avait des ecchymoses sur la tête. Il est

16 déjà plutôt chauve même s'il est jeune, il avait des ecchymoses sur la

17 tête et partout sur son corps. Ekinda avait aussi des ecchymoses partout.

18 Et en ce qui concerne la partie autour de la bouche, il a perdu ses dents,

19 ses dents ont percé la partie supérieure de la bouche, elles étaient

20 cassées et pendant plusieurs jours il devait utiliser une paille pour

21 manger la soupe et pour boire du thé.

22 Q: Est-ce que vous pouvez nous dire exactement où ils ont été passés à

23 tabac et qui l'a fait?

24 R: C'étaient dans des locaux, dans l'un des bureaux de la partie

25 administrative du KP Dom. Il y avait Enes, fils de Gavro, surnommé Mento.

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1 Je ne connais pas d'autres noms, mais je suis sûr pour Mento puisqu'il dit

2 que Mento l'a frappé avec son pied, avec beaucoup de force, au moment où

3 il lui a cassé les dents.

4 Q: Mais vous parlez de qui, d'Ekinda Cedic?

5 R: Non, de Dzemal Vahida lorsqu'on lui a cassé les dents et une partie de

6 ses dents ont percé la partie supérieure de sa bouche.

7 Q: Ce Mento, c'était un garde?

8 R: Non.

9 Q: C'était qui alors?

10 R: Je ne sais pas exactement, je pense qu'il travaillait comme menuisier

11 avant la guerre, mais il est venu afin de s'occuper de la justice à sa

12 manière, je suppose. Je ne sais pas.

13 Q: Et vous dites que ceci s'est produit au mois de mai. Est-ce que cela

14 s'est produit pendant la journée ou pendant la nuit?

15 R: Pendant la journée, mais ceci s'est passé plusieurs fois en une seule

16 journée. Il faisait sortir l'un d'eux et puis ramenait celui-ci et prenait

17 un autre. Ensuite, il ramenait l'autre et parfois reprenait la même

18 personne. Ceci se passait donc plusieurs fois par jour.

19 Q: Et quelle est la personne qui les faisait sortir des pièces et les

20 amenait au bâtiment administratif? Qui était cette personne?

21 R: Dans la plupart des cas, c'était le petit Slobodan Pejic, Boban Pejic

22 était son surnom; il venait avec une liste des personnes et je pense que

23 dans 90% des situations en ce qui concerne la salle 11, c'est Boban,

24 Slobodan Pejic, qui faisait sortir les gens de cette pièce, peut-être

25 puisque c'était le garde le plus jeune.

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1 Q: Est-ce que vous avez vu que d'autres détenus étaient également emmenés

2 de cette manière et ramenés ensuite?

3 R: Eh bien, on faisait sortir souvent les gens. Par exemple j'ai vu Aziz

4 Sahinovic, puis un certain Uzunovic le petit, je ne me souviens plus de

5 son prénom peut-être que ça me reviendra, c'est un infirmier qui lui aussi

6 a été passé à tabac.

7 Q: C'est la personne C26 et le témoin parle en fait de l'incident 5.29 qui

8 figure dans l'Acte d'accusation. Est-ce que vous avez vu lorsque M.

9 Uzunovic est rentré? Est-ce que vous avez pu observer s'il avait des

10 blessures et lesquelles?

11 R: Eh bien, il y avait surtout des ecchymoses partout sur son corps.

12 Q: Et M. Azinovic que vous avez mentionné, quelles sont les blessures que

13 vous avez pu remarquer sur lui?

14 R: Monsieur Azinovic, je pense que c'est un lapsus. Je n'ai pas mentionné

15 M. Azinovic, je suppose qu'il s'agissait d'une erreur interprétation.

16 C'était M. Aziz Sahinovic, Aziz Sahinovic.

17 Q: Excusez-moi, c'est moi qui est mal prononcé le nom. Qu'avez-vous vu sur

18 lui?

19 R: Il a été passé à tabac vraiment violemment et il avait beaucoup

20 d'ecchymoses et il se plaignait surtout de la partie autour des reins.

21 Q: Est-ce qu'il vous a dit qui l'avait passé à tabac?

22 R: Oui, il a dit que c'était le garde Burilo.

23 Q: Est-ce qu'il vous a dit où ceci s'est produit?

24 R: Eh bien, au rez-de-chaussée du bâtiment administratif, quelque part à

25 un endroit où moi, je n'allais jamais. Il y avait des chaînes qu'ils

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1 utilisaient auparavant afin de ligoter les prisonniers. Avant que les

2 prisonniers qui étaient saoulés ne deviennent sobres de nouveau, ils les

3 ligotaient là-bas.

4 Q: Est-ce que vous avez vu d'autres personnes rentrer suite aux passages à

5 tabac?

6 R: Je ne me souviens pas, mais certainement ce genre de chose se

7 produisait.

8 Q: Oui, parlons maintenant d'un autre incident. N'avez-vous jamais entendu

9 des coups de feu dans le KP Dom en ce qui concerne les passages à tabac?

10 R: Je ne sais pas quelle est l'idée que vous avez dans la tête. Il y avait

11 beaucoup de coups de feu, souvent on tirait en l'air par exemple, dans la

12 soirée lorsqu'ils étaient assis, les gardes, je veux dire, devant le

13 réfectoire.

14 Mais je ne sais pas où vous vous voulez en venir, j'ai entendu des coups

15 de feu, mais il y a eu également des coups de feu lorsque les meurtres ont

16 eu lieu.

17 Q: Oui, effectivement c'est ce dont je souhaitais parler. Est-ce que vous

18 pourriez nous dire si vous n'avez jamais vu que l'on a tiré sur certaines

19 personnes?

20 R: Oui, le 25 juin, je l'ai vu, vers 9 heures et demi, 10 heures et demi,

21 donc c'était peut-être vers 10 heures, peut-être un peu plus tard, on a

22 fait sortir de ma salle trois ou quatre personnes, et puis une personne on

23 l'a amenée d'une autre pièce. Je les connaissais tous, on les a amenées

24 dans le bâtiment administratif, à l'endroit où on a vu tout à l'heure une

25 fenêtre brisée -c'est ce que j'ai montré tout à l'heure-.

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1 Tout d'abord, on les a tabassées là-bas, on les suffoquait avec les mains,

2 on les tabassait, ensuite on les a placées devant un mur avec les mains

3 devant la tête et on a tiré sur eux et on les a tuées. Je souligne qu'à ce

4 moment-là, il pleuvait, la pluie était extrêmement forte à l'extérieur.

5 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Monsieur le Président, avant d'entrer

6 dans les détails de cet incident, je vois qu'il est 11 heures.

7 M. le Président (interprétation): Oui, nous pouvons voir cela sur

8 l'horloge de la pièce même si ce n'est pas l'heure exacte. Nous allons

9 donc procéder à une pause maintenant et nous allons reprendre la séance à

10 11 heures 30.

11 (Le témoin est reconduit hors du prétoire.)

12 (L'audience, suspendue à 11 heures, est reprise à 11 heures 30.)

13 M. le Président (interprétation): Madame Uertz-Retzlaff, vous avez la

14 parole.

15 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Je vous remercie.

16 Nous parlions de cet incident qui s'est produit le 25 juin 1992, qui a-t-

17 on fait sortir de votre salle? Est-ce que vous vous en souvenez?

18 Témoin 54 (interprétation): Ils ont fait sortir Munib Veiz, Mustafa

19 Kuloglija, le professeur qui était aussi ingénieur qui s'appelait Kemal

20 Calilovic, ainsi que le petit Uzunovic, je ne me souviens plus de son

21 prénom, mais il était infirmier. Excusez-moi, je me souviens maintenant

22 Enad Uzunovic.

23 Q: Vous parliez de Munib Veiz, qui était-il? Que faisait-il? Quel était

24 son métier?

25 R: Il était commerçant.

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1 Q: Et s'agissant de M. Calilovic, vous avez dit qu'il était professeur?

2 R: Oui, c'est exact, professeur en sciences mécaniques.

3 Q: Pour ce qui est de Kuloglija?

4 R: Il était enseignant de métier, et je pense qu'il était responsable de

5 l'enseignement primaire au sein de l'administration de la mairie de Foca.

6 Pour ce qui est du petit Uzunovic, il était infirmier et il travaillait à

7 l'hôpital. Mais il y avait un autre homme Hamid Ramovic qui a été emmené

8 en même temps qu'eux. Je le connaissais personnellement même s'il n'était

9 pas de notre salle.

10 Q: Est-ce que vous avez vu lorsqu'il a été emmené au bâtiment

11 administratif?

12 R: Oui.

13 Q: Que faisait-il? Quel était son métier?

14 R: Lui je crois qu'il était mineur, c'était un travailleur manuel.

15 Q: Qui les a fait sortir, qui est venu les chercher de votre salle?

16 R: Une fois de plus, c'était Slobodan Pejic, Boban. Je ne sais pas qui a

17 fait sortir Ramovic mais je sais que c'est Slobodan Pejic, surnommé

18 Boban, qui a fait sortir deux des quatre qui se trouvaient dans ma salle.

19 Q: Est-ce que vous avez vu à quel endroit on les a emmenés?

20 R: Eh bien, ils ont été emmenés dans la partie réservée à

21 l'administration, dans le bâtiment à ce rez-de-chaussée que nous avons vu

22 il y a un instant sur la photographie. On voyait un fenêtre au rez-de-

23 chaussée.

24 Q: J'aimerais remontrer au témoin la photographie qui porte la cote 7499,

25 c'est la photographie du bas sur cette page.

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1 Témoin, pourriez-vous nous montrer l'endroit où ces personnes ont été

2 emmenées?

3 R: Ici.

4 Q: Vous indiquez la deuxième fenêtre au rez-de-chaussée à partir de la

5 gauche. Comment se fait-il que vous ayez pu voir tout cela? Est-ce que

6 vous les avez vus, ces hommes dans cette salle, dans cette pièce?

7 R: Oui, je les ai vus dans cette pièce, mais ils sont entrés par là, vous

8 ne voyez pas cette porte sur la photographie qui se trouve derrière le

9 mur. Il y a donc un couloir qui mène à cette partie-ci du bâtiment, qui

10 amène aussi les gens de l'extérieur sur le périmètre, et c'est dans cette

11 pièce que ces hommes ont été liquidés.

12 Q: Est-ce que vous les avez effectivement vus et de quelle façon les avez-

13 vous vus?

14 R: Je les ai vus, je les ai bien vus.

15 Q: Est-ce qu'il y avait de l'éclairage, de la lumière dans cette pièce?

16 R: Oui.

17 Q: Est-ce que vous avez pu voir d'autres choses qui vous ont semblé

18 étranges dans cette pièce?

19 R: Je ne sais pas ce que vous entendez par là, Madame. Mais la nuit

20 lorsqu'il y a de la lumière dans cette pièce, on peut le voir parce qu'il

21 y a une veilleuse, si vous voulez, qui produit une lumière rouge, mais qui

22 n'est pas bien puissante. C'est un peu la même chose que lorsque vous

23 allumez votre téléviseur, par exemple il y a un petit témoin, une lampe-

24 témoin qui vous montre cette petite lumière rouge.

25 Q: Est-ce que vous avez vu qui les a frappés et qui les a passés à tabac

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1 dans cette pièce?

2 R: Oui, mais malheureusement je ne pourrais pas vous donner de noms parce

3 que tout cela s'est passé il y a 8 ans et demi. Il y avait Dragomir

4 Obrenovic qu'on surnommait Obran, qui était un garde, Matovic Zoran qui

5 était aussi un garde, Radan Vukovic, qui était aussi un garde, il y avait

6 également Predrag Stefanovic, surnommé Predo.

7 Je ne me souviens pas du nom des autres.

8 Q: Est-ce que vous avez pu les voir distinctement, ces gardes?

9 R: Oui, parfaitement et très distinctement, parce qu'ils faisaient partie

10 de l'équipe de nuit. C'étaient eux qui étaient de service et je les voyais

11 parfaitement bien en contraste avec cet éclairage qu'il y avait à

12 l'intérieur. Je les ai regardés et vus par la fenêtre que l'on voit à

13 gauche, par la fenêtre de la salle 11. Je ne sais pas s'il y a à peine 8

14 ou 10 mètres à vol d'oiseau entre ces deux endroits.

15 Q: Vous avez cité des noms de détenus, est-ce qu'ils se sont trouvés dans

16 cette salle tous en même temps, ou est-ce qu'ils ont été passés à tabac

17 consécutivement, l'un après l'autre?

18 R: Ils étaient tous ensemble, ils ont été passés à tabac tous en même

19 temps. D'abord, il y a eu des mauvais traitements et puis cela a été suivi

20 parce que ce que je vous ai décrit.

21 Q: De quoi se sont-ils servis pour les frapper, d'objets ou de leurs

22 poings?

23 R: Ils se sont servis de leurs poings et de leurs pieds, ils les

24 saisissaient par la gorge. Et puis lorsque les coups de feu ont commencé,

25 j'ai vu Zoran Matovic qui a en fait frappé la victime de son pied pour lui

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1 faire tourner la tête pour voir s'il était toujours en vie.

2 Q: Vous parlez de la tête de qui?

3 R: De Kemal Dzelilovic.

4 Q: Et pendant combien de temps a duré ce passage à tabac à peu près?

5 R: Un dizaine de minutes, tout cela a été réglé en dix minutes.

6 Q: Mais est-ce qu'il vous a été possible d'entendre la voix des détenus ou

7 des gardes? Est-ce que vous avez pu entendre ce qu'ils se disaient?

8 R: Personne n'a rien dit, en tout cas on ne pouvait rien entendre. On

9 entendait des bruits mais rien que l'on puisse distinguer clairement. On

10 entendait des cris de douleur uniquement, des sanglots.

11 Q: Vous dites qu'ils ont été abattus, est-ce que c'est un des gardes qui

12 les a abattus ou est-ce que plusieurs gardes s'y sont mis?

13 R: On entendait plusieurs coups en même temps.

14 Q: Est-ce que vous avez vu les détenus s'effondrer par terre après ces

15 coups de feu?

16 R: Oui, je les ai vu s'affaler. Il n'y avait plus personne qui était

17 adossé au mur, ils étaient tous à même le sol.

18 Q: Et lorsque cela s'est passé, est-ce que vous avez vu la totalité des

19 corps de ces détenus ou est-ce que vous avez vu les gardes ou est-ce que

20 vous avez saisi seulement une partie de la situation?

21 R: Alors que ces personnes étaient allongées sur le sol, je suppose

22 qu'elles étaient mortes. A ce moment-là, on a pu voir la tête de ceux qui

23 étaient les plus éloignés par rapport à nous. C'est ainsi que j'ai vu Zoka

24 Matovic qui a simplement donné, fait bouger la tête de Dzelilovic du pied

25 pour voir si Dzelilovic était toujours en vie. Puis Zoka est parti parce

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1 qu'il y a des escaliers qui mènent à l'étage et il avait beaucoup de

2 couvertures sur le bras, des espèces de couvertures de l'armée.

3 Et on pouvait voir tout cela très clairement. On a vu comment ils ont

4 transporté les corps à l'extérieur quelque part. Et puis, j'ai entendu le

5 bruit d'un véhicule qui arrivait et qui est reparti peu de temps après.

6 Donc nous nous sommes dit qu'ils avaient emmené ces corps quelque part.

7 Dix ou quinze minutes plus tard, deux hommes sont revenus équipés d'un

8 seau, d'un balai ou quelque chose pour nettoyer, ils étaient en uniforme

9 vert-de-gris et ils ont nettoyé la pièce.

10 Q: Vous nous avez montré la fenêtre par laquelle vous avez pu voir tout ce

11 qui se passait. J'aimerais vous représenter de nouveau le plan de masse,

12 le plan de cette partie du bâtiment. Il s'agit de la pièce 6/1. Je vais

13 vous demander d'examiner ce plan, et pour ce qui est du bâtiment

14 administratif, pourriez-vous nous indiquer la pièce dont nous avons parlé?

15 R: Je ne vois pas grand chose franchement.

16 Q: Peu importe, je vous remercie. Merci Monsieur l'huissier.

17 Est-ce que vous voulez bien regarder le plan même, plutôt que l'écran?

18 R: Oui, je crois que c'est ici, oui. Je regardais plutôt de l'autre côté

19 mais je me trompais. Non, ça c'était la cantine, le réfectoire. Je crois

20 que c'est ici.

21 Q: Est-ce que vous pourriez indiquer une fois de plus, est-ce que vous

22 pourriez préciser?

23 R: Maintenant je ne le vois plus! Excusez-moi, c'est ici, excusez-moi mais

24 je ne le trouve vraiment pas.

25 (Le témoin indique sur le plan.)

Page 764

1 R: Je crois que c'est ici. Oui oui oui oui oui, maintenant qu'on a un peu

2 agrandi l'image, je vois mieux.

3 Q: Donc vous parlez de la deuxième pièce à partir de la gauche et ça donne

4 aussi sur la troisième, une petite pièce où l'on voit inscrit les lettres

5 "Tel".

6 R: Par la fenêtre, sur cette photographie, on voit ceci parfaitement mais

7 sur ce plan je ne vois pas de pièce à proprement parler. Vous savez, je

8 n'ai pas l'habitude de déchiffrer des plans. Pourtant sur la photographie,

9 je pourrais vous montrer sans aucune difficulté, mais sur ce plan j'ai du

10 mal à m'y retrouver, à m'orienter.

11 M. Le Président (interprétation): Vous avez une photographie du bâtiment

12 administratif qui vient, qui montre selon l'avis des détenus davantage que

13 ce qu'on voit à partir de la fenêtre. Or, c'est cette dernière

14 photographie qui vous avez servi. Peut-être qu'on pourrait revenir à

15 l'autre pour mieux reconnaître cette pièce?

16 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): J'ai ici une photographie, Monsieur

17 le Président. C'est la photographie qui porte la cote 7474, il y en a une

18 autre, la 7475. Peut-être que ceci va aider le témoin davantage?

19 Examinons d'abord la photographie du haut.

20 M. Le Président (interprétation): Quelle est par exemple la fenêtre où la

21 vitre était brisée?

22 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): C'est la troisième fenêtre à partir

23 de la gauche au rez-de-chaussée. C'est là qu'on voit en fait la gouttière,

24 l'écoulement d'eau.

25 Q: Est-ce bien cette fenêtre-là?

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1 R: Oui.

2 Q: Veuillez examiner la photographie du bas. Voyez, ici cette fenêtre est

3 un peu plus grande, est-ce que c'est bien la fenêtre à gauche de cette

4 descente d'eau?

5 R: A gauche, oui, je crois, c'est bien celle-là. C'est juste en face de la

6 fenêtre par laquelle j'ai regardé.

7 Q: Merci, Monsieur Le témoin, merci Monsieur L'Huissier. Nous n'avons plus

8 besoin de ces photographies. Monsieur Le Témoin, vous avez dit que ceci

9 s'est passé le 25 juin.

10 R: Oui.

11 Q: Et comment pouvez-vous être si sûr de la date? Est-ce que vous associez

12 quelque chose de particulier à cette date?

13 R: Eh bien, il y a une très bonne raison à cela. C'est que Munib Veiz

14 (expurgé), c'est une des raisons principales pour lesquelles je

15 me souviens bien de cette date.

16 Q: Est-ce que vous avez revu ces personnes? Est-ce que vous avez de

17 nouveau entendu parler d'elles?

18 R: A qui pensez-vous, Madame?

19 Q: Je parle de ces cinq personnes dont vous venez de parler.

20 Est-ce que vous avez de nouveau entendu parler d'elles par la suite?

21 R: Je ne sais pas. C'est une question qui me semble un peu déplacée.

22 Comment voulez-vous que je revoie des hommes que j'ai vus alors qu'on

23 était en train de les tuer?

24 Q: Et les corps n'ont jamais été retrouvés?

25 R: Il se peut qu'on ne les retrouve jamais comme des centaines d'autres

Page 766

1 corps.

2 M. le Président (interprétation): Je pense qu'il serait peut-être possible

3 de poser la question un peu différemment pour mieux expliquer au témoin

4 que même si lui est convaincu qu'ils sont morts, vous vous devez d'en

5 apporter la preuve, et vous voulez savoir si le témoin les a revus sous

6 une forme ou une autre par la suite.

7 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Vous avez entendu les propos de M. le

8 Président.

9 Témoin 54 (interprétation): Oui, malheureusement je dois vous répondre par

10 la négative. Je n'ai plus jamais entendu parler d'eux. Je voudrais les

11 revoir en vie, vous pensez bien.

12 Q: Est-ce que vous vous souvenez si d'autres détenus qui se trouvaient

13 dans votre salle avaient été emmenés avant ces cinq personnes dont nous

14 avons parlé? Et est-ce que ces personnes aussi auraient disparu?

15 R: C'était la veille de ce jour-là, le 24, c'était pratiquement la

16 première personne qu'on venait chercher, des personnes qui se trouvaient

17 dans ma salle, comme je l'ai déjà dit.

18 Le 24, Kruno Marinovic, Elvedin Cedic, Ekinda, Refik Cankusic surnommé

19 Pepi et un jeune homme qui s'appelait Alija Altoka, je sais que son père

20 était électricien.

21 Q: Vous parlez de Elvedin, Ekinda Cedic, est-ce qu'on le surnommait aussi

22 Enko?

23 R: Oui, Ekinda, c'est comme ça qu'il s'appelait. Cedic, c'est son nom de

24 famille, Elvedin c'est son prénom, Ekinda c'est son surnom.

25 Q: Madame et Messieurs les Juges, cette personne figure dans la liste

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1 comme étant le n°5, mais ici on a Cedic Enko, nous pensons qu'il y a sans

2 doute erreur.

3 Monsieur le Témoin, qui est venu chercher ces quatre hommes?

4 R: C'est Boban Pejic, Slobodan Pejic, Boban comme on le surnommait.

5 Q: Après qu'on les eut fait sortir de la salle, est-ce que vous avez de

6 nouveau entendu le bruit causé par les passages à tabac?

7 R: Non, ils ont été emmenés dans la partie administrative du bâtiment et

8 je ne les ai plus jamais revus. Ils ne sont plus rentrés au camp.

9 Q: Est-ce que vous avez eu l'occasion de revoir l'un quelconque d'entre

10 eux ou d'entendre parler de ce qui leur est arrivé?

11 R: Non, malheureusement.

12 Q: Est-ce qu'après cet incident où il y avait votre parent, est-ce que

13 d'autres personnes ont été amenées de votre salle?

14 R: Il y avait Hodzic, Nail Hodzic, le 26, lui aussi, cela s'est passé dans

15 la soirée. Et vous allez sans doute me demander si je l'ai revu par la

16 suite. Non, je ne l'ai plus revu et il n'est plus jamais rentré, revenu au

17 camp.

18 Q: Est-ce qu'on l'a fait sortir avec d'autres personnes dans un groupe ou

19 est-ce…?

20 R: Non, non, il était parti seul dans la partie administrative du

21 bâtiment. Il devait passer par là, je ne sais pas où il est allé

22 exactement, mais c'est dans cette partie réservée à l'administration qu'il

23 est allé et ça s'est passé le soir une fois, vers les 10 heures.

24 Q: Est-ce qu'après qu'il eut quitté la salle 11, vous avez entendu le

25 bruit du passage à tabac?

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1 R: Non.

2 Q: Qui était M. Hodzic?

3 R: Je pense qu'il a été chauffeur pendant toute sa vie. Je ne sais pas

4 s'il avait une autre profession, je pense qu'il était chauffeur de métier.

5 Q: Savez-vous si d'autres personnes ont été amenées par la suite? Vous

6 souvenez-vous d'un incident particulier?

7 R: Oui, le 28 juin, un groupe important de personnes a été emmené. Je

8 crois que si je ne me trompe pas, il y en avait 37, et je connaissais

9 certains de ces hommes. On les a fait sortir du pénitencier et aucun

10 d'entre eux n'est jamais revenu. Il y avait Nurko Nisic, un ancien

11 policier, Mate Ivanic, un infirmier, un catholique croate. Il y avait

12 Zulfo Veiz, Fuad Mandzo, deux frères Soro. Je ne peux pas poursuivre, je

13 pourrais peut-être me souvenir d'autres noms, mais cela prendrait beaucoup

14 de temps. Vous devez savoir que tout ceci s'est passé il y a 7 ans et

15 demi.

16 Q: Et le 28 juin?

17 R: Ce que je viens de vous relater s'est passé ce jour-là, le 28 juin.

18 Q: Avez-vous entendu le bruit de passage à tabac lorsque ces 37 personnes

19 ont été emmenées?

20 R: Non. Elles ne sont pas restées sur place, on les a emmenées quelque

21 part, Dieu sait où. Elles n'ont pas été gardées là parce que c'était un

22 groupe important, c'étaient beaucoup de personnes, 37. C'est du moins le

23 décompte que j'ai pu faire, je crois qu'il y en avait 37 à l'un ou l'autre

24 près, mais c'était à peu près ce chiffre-là.

25 Q: Est-ce qu'on les a amenées en un seul groupe ou sont-ils venus les

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1 chercher par petit groupe?

2 R: Non, non ensemble. Ils sont tous partis ensemble. C'est ensemble qu'ils

3 ont franchi ce passage, ce couloir que je vous ai montré de l'autre côté

4 du bâtiment administratif.

5 Q: Est-ce que M. l'huissier peut montrer la liste C? Il s'agit de la pièce

6 55.

7 M. le Président (interprétation): Monsieur le Témoin, pouvez-vous vous

8 rapprocher du micro parce que les interprètes ont quelque fois des

9 difficultés à vous entendre. Je vais vous demander de déplacer un peu

10 votre chaise afin que vous soyez plus près du micro. Je vous en remercie

11 d'avance.

12 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Vous avez déjà cité beaucoup de

13 personnes qui sont reprises dans cette liste. Inutile de répéter leur nom,

14 mais je veux vous poser des questions concernant certaines personnes que

15 vous n'avez pas encore citées. Par exemple le n°2, Salem Bico,

16 connaissez-vous cet homme? Savez-vous ce qui lui est arrivé?

17 Témoin 54 (interprétation): Oui, oui, je le connais. C'était aussi un

18 agent de police. Je ne sais pas s'il était déjà à la retraite ou pas, mais

19 il était policier à Foca. Que lui est-il arrivé? Oh! il y a beaucoup de

20 choses qui lui sont arrivées.

21 Vous savez, pendant très longtemps il se trouvait quelque part dans une

22 cellule d'isolement au rez-de-chaussée, ainsi qu'un autre qui se

23 surnommait Spona, je crois qu'il s'appelait Salimovic. Ils ont passé

24 beaucoup de temps en isolement, et puis on ne les a plus revus au camp

25 après cela.

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1 Q: Est-ce que vous avez vu le moment où on l'a emmené au bâtiment

2 administratif?

3 R: Oui, mais il a passé beaucoup de temps là, et il n'est jamais revenu.

4 Q: Vous souvenez-vous le moment où vous l'avez vu pour la dernière fois?

5 R: Non.

6 Q: Le n°3, Abdurahman Cankusic?

7 R: Le n°3, Abdurahman Cankusic, c'est le frère de Refik Cankusic. Je pense

8 que le 13 juillet, en même temps qu'Adil Krajcin et un des frères Soro,

9 c'était un homme assez corpulent, un électricien, et je crois que tous ces

10 hommes ont été emmenés dans l'après-midi du 13 juillet pour ne plus jamais

11 revenir.

12 Q: Et le n°6?

13 R: Oui, et le 24, vous avez Seval Soro, c'est de lui que je parlais. Au

14 n°24, Seval Soro.

15 Q: Et le n°6, Juso Dzamalija, que savez-vous à son propos?

16 R: Je le connais personnellement. C'était un homme âgé qui travaillait

17 dans un magasin, un petit commerce. Je ne l'ai pas vu dans le camp. Mais

18 un des gardes m'a dit qu'il s'était pendu dans une des salles voisines de

19 la nôtre, qui était là pour les corrections. Je ne sais pas si c'était une

20 cellule d'isolement ou de cachot mais on m'a dit qu'on l'avait trouvé un

21 matin, il s'était pendu. Un des gardes me l'a dit, je ne vais pas vous

22 citer son nom. Je citerais son nom avec fierté, mais je ne voudrais pas

23 que cet homme ait des problèmes, des difficultés.

24 Q: Vous parlez d'un garde qui s'est montré correct envers vous, qui vous a

25 aidé? C'est de cela que vous parlez?

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1 R: Je pense que cet homme était très honnête, très intègre. C'était

2 vraiment un rayon d'espoir dans tout ce temps que j'ai passé là. C'était

3 un être humain digne.

4 Q: Passons au n°8, Ramo Dzendusic. Que pouvez-vous dire à propos de lui

5 R: J'ai vu Ramo Dzendusic dans le camp même s'il n'était pas dans ma

6 salle. Je l'ai vu pendant un certain temps, puis on l'a emmené, je ne sais

7 pas qui l'a emmené, ni où ni quand exactement on l'a emmené. Par la suite,

8 on ne l'a plus revu nulle part dans le camp. Qui l'a emmené, où on l'a

9 emmené? Je ne le sais pas.

10 Q: Le n°9, Adil Granov?

11 R: Oui, Adil Granov était un ingénieur qui travaillait à Dzica. Pendant

12 tout un temps, il se trouvait dans ma salle. Je ne sais plus qui l'a

13 emmené ni où on l'a amené. Mais je pense qu'il a été emmené en même temps

14 qu'un certain nombre d'autres personnes. Il a passé tout un temps dans

15 notre salle. C'était un homme tranquille, calme.

16 Q: Merci. Et pour ce qui est du n°12, Esad Kiselica?

17 R: Esad Kiselica était électricien. Je le sais, je connais son père aussi.

18 Il n'était pas dans ma salle même s'il m'arrivait de le voir par la

19 fenêtre ou en pensant lorsqu'on allait au réfectoire. Il n'était pas dans

20 ma salle.

21 Q: Est-ce qu'il a disparu du KP Dom?

22 R: Il a disparu du KP Dom, il y a passé un certain temps et puis on ne l'a

23 plus vu.

24 Q: Le n°13, Halim Konjo.

25 R: Le n°13, Halim Konjo était un propriétaire de restaurant, fils d'Ahmet

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1 Konjo et de Nusa. Je ne sais pas beaucoup de choses sur lui avant son

2 séjour dans le camp, mais j'ai appris, -je ne sais pas si je dois donner

3 le nom de la personne qui me l'a dit- c'est un homme, Milorad Krnojelac,

4 qui a dit qu'un jour il l'a trouvé mort dans son bureau et qu'il a

5 succombé aux suites d'un passage à tabac. Mais je ne sais pas si je dois

6 donner le nom de cette personne ou pas.

7 Q: Oui, vous pouvez donner le nom de la personne qui vous l'a dit.

8 R: C'était Rasim Jusufovic, c'est un ancien collègue de Milorad Krnojelac.

9 Ils avaient travaillé à l'école ensemble auparavant. Pardon qu'est-ce que

10 j'ai dit? J'ai Rasim Kiselica, peut-être? J'ai dit Jusufovic, Rasim

11 Jusufovic.

12 Q: Oui, c'est bien ce que vous avez dit, vous avez dit Jusufovic.

13 R: Ca va alors.

14 Q: Monsieur Jusufovic, quand est-ce qu'il vous l'a dit?

15 R: Le 31 août 1992 puisque dans nos groupes il a été déporté avec moi

16 jusqu'à Rozaje au Monténégro. On était au nombre de 35 détenus.

17 Q: Jusufovic, qu'est-ce qu'il vous a dit concernant cet entretien qu'il a

18 eu avec M. Krnojelac?

19 R: Il m'a dit entre autres choses ce que je viens de dire en ce qui

20 concerne Konje, et puis il m'a dit que M. Krnojelac lui avait dit: "Si

21 j'avais su hier que ceci allait se produire, en fait si j'avais su ce qui

22 allait se produire, j'aurais aimé mourir hier." Ce qu'il voulait donc

23 dire, c'est qu'il aurait plutôt voulu mourir que de devenir ce qu'il est

24 devenu.

25 Q: Nous allons passer plus loin dans la liste. Vous avez déjà mentionné

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1 Adil Krajcin. Nous passons maintenant au n°18, Omer Mujezinovic.

2 Que pouvez-vous dire concernant cette personne?

3 R: Je ne connais pas le nom, Omer Mujezinovic. Je connaissais un certain

4 Omer Mujezinovic mais bien avant la guerre, je pense qu'il est mort dans

5 un accident de la route. Mais vraiment cet Omer Mujezinovic là ne m'est

6 pas connu.

7 Q: Lorsque vous examinez les n°21 à 23, vous pouvez voir Rikalo, que

8 pouvez-vous dire à leur sujet?

9 R: Il s'agit de trois frères. Je ne sais pas lequel était exactement le

10 frère cadet. Je sais que le 21 est le frère aîné. Le 22 et 23 sont plus

11 jeunes, mais je ne sais pas lequel est le cadet.

12 L'un d'eux est parti le 28 juin, donc il est parti avec le grand groupe de

13 personnes, et puis l'autre est resté. Mais je ne sais pas quel est le

14 frère cadet et lequel est le plus âgé des deux. Je sais simplement qu'ils

15 étaient tous les trois, les frères Rikalo.

16 Q: Ils sont portés disparus tous les trois?

17 R: Je ne sais pas. En ce qui concerne celui du milieu, l'un deux est resté

18 mais je ne sais pas lequel, je ne sais pas ce qui lui est arrivé. Le n°28

19 faisait partie de ce groupe.

20 Q: Vous n'avez toujours pas mentionné le n°25, Kemal Tulek.

21 R: Je sais qui c'est, je sais qu'il était dans le camp mais il n'était pas

22 dans la même salle que moi.

23 Q: Vous avez déjà mentionné M. Dzemal Vahida, et vous nous avez qu'il

24 avait été passé à tabac à plusieurs. A quel moment l'avez-vous vu au KP

25 Dom pour la dernière fois?

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1 R: Malheureusement, je l'ai vu le 28 juin, c'était la dernière fois. Lui

2 aussi faisait partie de ce groupe de Vahida Dzemal. Il était policier lui

3 aussi, il est parti avec ce même groupe.

4 Q: Témoin, vous nous avez décrit et montré la pièce dans laquelle vous

5 avez vu le passage à tabac. Pouviez-vous entendre les sons de passage à

6 tabac et les cris venant d'autres parties du bâtiment administratif

7 pendant votre détention?

8 R: Dans cette partie qui est devant nous, pendant que ce petit Enes

9 Uzunovic gémissait et criait, nous pouvions l'entendre. Je ne sais pas

10 comment l'expliquer, c'était comme des sons d'animaux, des gémissements

11 d'animaux.

12 Q: Je voulais savoir si vous pouviez entendre les bruits de passage à

13 tabac et des gémissements venant d'autres parties du bâtiment

14 administratif mise à part la partie que vous nous avez montrée?

15 R: Non, je ne pouvais pas entendre ce qui se passait ailleurs, je pouvais

16 entendre seulement ce qui se passait autour de l'entrée, près de l'entrée.

17 Mais ceux qui étaient plus loin, je ne pouvais pas entendre puisque les

18 fenêtres étaient fermées. Ma réponse est donc non.

19 Q: Merci. Ces passages à tabac et ces cris, quel était leur effet sur vous

20 personnellement?

21 R: Cela créait une sorte de nervosité. C'était difficile

22 psychologiquement, vous savez. Chaque personne normale a peur pour sa

23 propre vie. Si vous voyez que quelqu'un à côté de vous, on l'a fait

24 sortir, on l'a emmené, on l'a passé à tabac, vous vous attendez à être le

25 suivant, donc vous pouvez imaginer ce à quoi ça ressemblait. C'était

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1 vraiment horrible, c'était l'horreur totale, c'était vraiment grave.

2 Q: Mis à part ces passages à tabac que vous avez mentionnés, avez-vous

3 jamais vu que des détenus étaient passés à tabac dans la cour ou dans le

4 réfectoire ou sur le chemin du réfectoire?

5 R: Parfois on donnait des gifles, parfois on donnait des coups de pied ou

6 des coups de poing par ci par là. En ce qui concerne les véritables

7 passages à tabac, parfois si on passait, la personne nous donnait un coup

8 de main ou un coup de poing.

9 Q: Lorsque vous dites la "personne", vous parlez de qui? Quelqu'un de

10 concret?

11 R: Je parle des gardes, n'importe lesquels peut-être à une exception près.

12 Q: Est-ce qu'on faisait sortir les détenus afin de les échanger pendant

13 votre séjour avant que vous-même vous ne soyez emmené?

14 R: Eh bien, en fait, tout le monde était emmené sous prétexte de l'échange

15 mais souvent ils n'étaient pas échangés, et jamais on ne disait que la

16 personne allait être emmenée afin d'être liquidée. Chaque fois on leur

17 disait qu'on les amenait pour les échanger. De toute façon, ces personnes

18 avaient l'air tout à fait satisfaites parce qu'elles croyaient qu'elles

19 allaient être échangées. Malheureusement cela n'était pas le cas.

20 Q: Combien de personnes a-t-on fait sortir pour les échanger avant vous?

21 Vous souvenez-vous du nombre approximatif?

22 R: Je ne me souviens pas, un grand nombre de personnes certainement. Je

23 pense qu'au mois d'août un grand nombre de personnes ont été emmenées,

24 parfois par groupe de 10, parfois par groupe de 15. Je ne sais pas, je ne

25 m'occupais pas de les statistiques. Vous savez même dans des conditions

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1 normales, je ne suis pas très intéressé par les statistiques et surtout

2 pas à un moment pareil.

3 Q: Et avez-vous vu ces détenus par la suite ou est-ce qu'un certain nombre

4 d'entre eux sont portés disparus?

5 R: Je n'ai jamais vu une quelconque de ces personnes qui a été emmenée

6 avant moi.

7 Q: La Croix Rouge, est-ce qu'elle venue au KP Dom pendant que vous y

8 étiez?

9 R: Oui, une fois je ne me souviens pas de la date exacte. Une femme de la

10 Croix Rouge internationale est venue avec un interprète, je pense que

11 c'était une jeune fille de Foca, je ne la connaissais pas, mais les

12 personnes jeunes la connaissaient. C'était une jeune fille.

13 Mais dès que cette femme est entrée, Slavko Koroman est entré lui aussi et

14 il a dit: "Tu ne peux pas poser de questions, tu ne peux pas parler! Ici

15 ce sont les autorités serbes, c'est nous qui autorisons les entretiens et

16 décidons de ce dont on va parler ou pas".

17 Dehors, il y avait un groupe de journalistes, mais on ne leur a pas permis

18 d'entrer. Ils étaient devant, dans une sorte de parc, ils donnaient des

19 cigarettes par la fenêtre aux détenus qui s'y étaient regroupés. Mais de

20 toute façon, ils n'ont pas pu terminer ce qu'ils souhaitaient faire et, de

21 toute façon, jusqu'au dernier jour de mon séjour dans le camp, le 13 août,

22 ils ne sont plus revenus. Je n'ai pas été enregistré par eux.

23 Q: Monsieur Koroman, quelle était sa fonction? C'était qui?.

24 R: Eh bien, je ne sais pas. Ce n'est pas moi qui donnais des ordres à

25 Koroman. Je n'étais pas son employeur non plus, mais de toute façon il

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1 était présent sans arrêt. C'était un ancien garde du KP Dom. Je pense

2 qu'il était une personne retraitée. Il habitait près de chez moi. Je ne

3 sais pas très exactement s'il était vraiment retraité ou pas, mais de

4 toute façon, il était dans le camp sans arrêt.

5 Mais, une fois nous avons pu nous parler un peu. Ce jour-là on m'a fait

6 sortir afin d'effectuer une prise de sang dans le centre de transfusion

7 sanguine puisqu'une personne avait besoin de sang et mon groupe sanguin

8 était rare au moins à Foca. J'étais groupe négatif, et j'ai donné, j'ai

9 fait un don de sang. En rentrant je l'ai vu dans la cour, j'ai vu donc

10 Koroman et il amenait Sacir Smajkan, il le soutenait par le bras.

11 Je pense que ce, Smajkan était un juge. Son tee-shirt était couvert de

12 sang autour de son cou, il ne portait pas de chaussures, il était sale;

13 c'était vraiment quelque chose à voir. Il avait l'air horrible. Donc

14 lorsqu'il l'a mis là-bas, moi j'étais devant le réfectoire et il a dit:

15 "Qu'est-ce que tu as?". Et moi j'ai dit: "Eh bien, j'ai fait un don du

16 sang et maintenant j'attends que l'on vienne, que les gens de ma salle

17 viennent pour qu'on puisse aller prendre le déjeuner au réfectoire et je

18 veux profiter du soleil". Et puis il m'a dit "Va un peu à l'ombre parce

19 que tu vas te sentir mal". Et moi j'ai dit: "Mais qu'est-ce qui est arrivé

20 à Sacir?" Il a dit "Laisse cela tranquille! Il était saoul et c'est pour

21 cela qu'il a l'air de cela".

22 Et puis après j'ai entendu une histoire complètement différente c'est-à-

23 dire que Sacir avait été tabassé et ensuite amené et que c'est Koroman qui

24 a pris soin de lui dans le camp par la suite.

25 C'est ce que je sais mais je ne sais pas d'autres détails.

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1 Q: Est-ce que vous vous êtes porté volontaire pour donner du sang?

2 R: Oui, mais vous savez c'est difficile de dire… Je ne l'ai pas refusé

3 donc je me suis porté volontaire, mais il est facile à imaginer ce qui me

4 serait arrivé si j'avais refusé. Je veux dire que je ne sais pas même moi

5 ce qui me serait arrivé. Mais, de toute façon, pour éviter cela, par

6 précaution, j'ai accepté de faire le don de sang.

7 Q: Est-ce que vous voulez dire que l'on vous a demandé concrètement si

8 vous souhaitiez faire un don de sang ou bien si vous aviez un groupe

9 sanguin rare?

10 R: Oui, c'était quelque chose comme cela. Je ne sais pas très exactement

11 qui est venu à la porte, mais on a demandé qui avait le groupe sanguin B

12 négatif, et moi j'avais l'impression, je ne sais pas, -peut-être était-ce

13 aussi à cause de la peur?- mais j'avais l'impression que la personne me

14 regardait directement. Donc, je ne sais pas ce que j'aurais dû faire mais

15 j'ai dit que c'était mon cas, et cette personne m'a amené à l'hôpital. Et

16 Rade Baravic était un autre détenu qui s'y trouvait. Il était Serbe, je

17 pense qu'il était de Banja Luka et lui aussi a fait aussi un don de sang

18 avec moi.

19 Q: Merci. Nous allons maintenant parler du commandant du camp. Qui était

20 le directeur du camp pendant la guerre?

21 R: Je répète que je ne parle que de la période pendant laquelle j'étais

22 dans le camp. En ce qui concerne ce qui s'est passé avant ou après, je ne

23 peux pas en parler et je ne vais pas le faire. Pendant que j'étais dans le

24 camp, c'est Milorad Krnojelac qui était le directeur du camp.

25 Q: Comment le savez-vous? Comment avez-vous obtenu cette information que

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1 c'était lui le directeur?

2 R: Eh bien, les informations, je les ai obtenues.. comment dire? J'ai vu

3 la personne plusieurs fois, cinq à six fois, lorsqu'elle passait en

4 sortant du bâtiment administratif. Il était entouré des personnes qui

5 assuraient sa sécurité. Il avait un uniforme d'officier. Je le savais, ce

6 n'était pas un secret. Ces gardes qui lui étaient subordonnés savaient qui

7 était le directeur. Ce n'était pas un secret.

8 Q: Oui, mais qui vous l'a dit? Est-ce que ce sont les gardes qui vous

9 l'ont dit?

10 R: Moi, c'est un garde qui me l'a dit.

11 M. Bakrac (interprétation): Objection! Monsieur le Président, je pense

12 qu'il faut d'abord demander: "Est-ce que quelqu'un vous l'a dit?" Et

13 ensuite: "Qui vous l'a dit?", et non pas demander tout de suite si ce sont

14 les gardes qui ont dit cela au témoin. Il s'agit d'une question

15 directrice. A mon avis, il faut d'abord demander: "est-ce que quelqu'un

16 vous a dit cela? Qui vous a dit cela, etc.?".

17 La réponse est contenue dans la question.

18 M. le Président (interprétation): Je pense que vous avez raison, Monsieur

19 Bakrac, mais je veux vous rappeler encore une fois que si vous répétez

20 deux fois la même chose, cela ne sera pas forcément utile. Effectivement,

21 le témoin n'a pas dit que ce sont les gardes qui lui ont dit cela. Il a

22 dit: "J'ai obtenu cette information", et ensuite, il n'a pas expliqué

23 comment. Plus tard il a dit que: "Ses gardes qui lui étaient subordonnés,

24 le savaient".

25 C'est vous qui avez tiré la conclusion que ce sont les gardes qui lui ont

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1 dit cela. Mais je pense qu'il faut aussi donner l'occasion au témoin de

2 s'exprimer lui-même.

3 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Très bien. Comment avez-vous obtenu

4 l'information selon laquelle c'était lui le directeur du camp?

5 Témoin 54 (interprétation): Il n'y avait pas que moi. Tout le monde avait

6 cette information. Il y avait certains gardes, mais encore une fois je ne

7 mentionnerai pas de noms. Certains gardes étaient assez gentils avec nous.

8 Je ne dirai pas qu'ils étaient nombreux mais il y en avait. Parfois, ils

9 nous donnaient des cigarettes, parfois quelqu'un avait un ami parmi les

10 gardes etc., mais je pense que la vraie information est celle que nous

11 avons obtenue au moment de la création du camp et c'est justement les

12 gardes qui disaient cela. Après, au fur et à mesure que la situation se

13 développait, c'était clair que c'était le cas.

14 Q: Avez-vous entendu cela de la part des détenus que M. Krnojelac était le

15 directeur?

16 R: Absolument. Tout le monde, j'affirme qu'aucun des détenus qui a passé

17 un certain moment, un peu plus long peut-être, ne pouvait pas ne pas

18 savoir qui était le directeur du camp. C'est absolument sûr et certain.

19 Mais c'est le rôle de ce Tribunal d'établir la vérité. Il ne me revient

20 pas d'exprimer des opinions et des jugements mais simplement de dire ce

21 que je sais.

22 Q: Exactement. Connaissiez-vous M. Krnojelac avant la guerre?

23 R: Oui, je le connaissais.

24 Q: Est-ce que vous savez qui l'a nommé au poste de gardien?

25 R: Je ne sais pas, mais je suppose que c'était le parti au pouvoir. Je ne

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1 sais pas qui, mais je suppose que c'était le SDS. Qui d'autre? Je ne sais

2 pas.

3 Q: Pourquoi le croyez-vous?

4 R: Je sais que même en situation normale le parti au pouvoir nomme des

5 personnes aux postes importants, et d'habitude les hommes qui ne sont pas

6 membres d'un parti politique important ne sont pas nommés. Mais là, il

7 s'agit de mon opinion personnelle, c'est ce que je suppose.

8 Q: Saviez-vous si M. Krnojelac avait une fonction au sein du SDS? S'il

9 était membre de ce parti?

10 R: Cela, je ne le sais pas moi-même, je n'ai été membre ni du SDS ni du

11 SDA. Je ne sais pas combien de partis il y avait. Je n'étais membre

12 d'aucun parti, donc je ne peux pas vous le dire. Tout ce que je pourrais

13 dire, ce seraient des suppositions. Mais ce que je suppose, c'est que

14 peut-être il était le sympathisant de ce parti politique, mais encore une

15 fois, même cela je ne peux pas l'affirmer.

16 Q: Merci. Merci, Monsieur le témoin. Vous dites que vous l'avez vu

17 plusieurs fois. Quand l'avez-vous vu? A quel moment de la journée?

18 R: C'était de jour, en journée et donc ce n'était pas pendant la nuit. Au

19 cours de la journée, je l'ai vu dans l'enceinte vers le réfectoire, par

20 exemple lorsqu'il passait en longeant le bâtiment administratif. Il était

21 toujours entouré de quelqu'un, je suppose que c'étaient des subordonnés ou

22 des gens qui assuraient sa sécurité.

23 Q: Que portait-il lorsque vous l'avez vu?

24 R: Il portait un uniforme d'officier vert-olive.

25 Q: Pouviez-vous voir s'il portait une arme?

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1 R: Peut-être un pistolet, mais pas d'arme importante. Il n'avait pas par

2 exemple de fusil automatique, ce genre de choses. Je ne parle que des

3 situations lorsque moi-même je l'ai vu, et pendant mon séjour.

4 Q: Parlons de M. Krnojelac, est-ce que c'est l'accusé qui est assis ici

5 dans le prétoire?

6 R: Oui.

7 Q: Je vais vous dire ce que l'accusé a dit lui-même concernant sa

8 situation. Il a dit que: "Le KP Dom pendant la guerre avait deux sections

9 séparées, la partie militaire et la partie civile. Les détenus musulmans

10 étaient dans la partie militaire et les prisonniers normaux étaient dans

11 la partie civile", et que lui, "il n'avait rien à voir avec la partie

12 militaire". Que dites-vous à ce sujet?

13 R: Si j'ai bien compris, les Musulmans, les détenus musulmans étaient tous

14 dans la partie militaire de la prison?

15 Q: Oui, c'est ce que M. Krnojelac affirme?

16 R: Mon Dieu, moi aussi je suis Musulman, j'étais là, moi aussi mais où ai-

17 je été capturé? Quelle sorte de soldats étais-je? Quel soldat était un

18 jeune homme de 14 ans, un garçon de 14 ans ou un homme de 80 ans?

19 Je pense que ce n'est pas vrai du tout.

20 Q: Monsieur le Témoin, M. Krnojelac ne dit pas que vous étiez un

21 prisonnier de guerre, mais il dit simplement que les Musulmans étaient

22 détenus dans la partie militaire de la prison, et qu'il n'était donc pas

23 chargé de vous.

24 Je souhaite que vous me disiez si effectivement il y avait une répartition

25 en partie civile et militaire au sein du camp?

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1 R: Non. J'affirme et j'en assume toute la responsabilité, j'affirme qu'il

2 n'y a pas eu de militaires du tout dans le camp pendant mon séjour. Toutes

3 les personnes détenues étaient des citoyens, des civils.

4 Q: Vous avez déjà mentionné M. Todovic, lorsque vous l'avez de vu dans la

5 prison, que portait-il?

6 R: Vous parlez de ces vêtements?

7 Q: Oui.

8 R: Eh bien, il portait un uniforme militaire vert-olive.

9 Q: Avait-il une arme?

10 R: Moi, vraiment je n'ai pas vu d'armes. Je ne me souviens pas avoir vu

11 les armes.

12 Q: Monsieur Todovic, comment se comportait-il vis-à-vis des détenus?

13 R: Eh bien, comme je l'ai déjà dit, il m'a demandé de travailler. Par la

14 suite, je n'ai plus eu de contact avec lui, il s'est passé ce qui s'est

15 passé, au bout de trois jours de travail dans la cuisine, j'ai été

16 transféré à la cellule d'isolement et ils m'ont ensuite transféré dans la

17 salle 11. Je pense que c'est lui qui désignait quelles personnes devaient

18 s'acquitter de tel ou tel travail. Je parle des détenus, quand je parle

19 des personnes qui devaient s'acquitter de certaines tâches.

20 Q: Très bien. Monsieur le Témoin, à quel moment avez-vous été relâché?

21 R: Le 30 août 1992.

22 Q: Et combien de détenus ont été relâchés avec vous?

23 R: Lors de la première tentative, il y a eu 55 personnes dans notre bus.

24 Cependant, cet autobus est arrivé à peu près juste avant Niksic, sur la

25 route entre Foca et Niksic. Et ensuite une voiture de marque Golf de

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1 couleur blanche a arrêté le bus. Le bus s'est arrêté, Pero Elez est entré

2 dans le bus. Il a observé, il nous a observés tous et il a dit au

3 chauffeur de faire demi-tour.

4 Q: Je vais vous interrompre un instant. Qui était Pero Elez?

5 R: Eh bien Pero Elez, avant il était aussi gardien au KP Dom mais il a été

6 retraité. Il souffrait de nervosité, il avait des problèmes

7 psychologiques. Je ne l'ai vu ni pendant la guerre ni juste avant. Je ne

8 l'ai vu que ce jour-là. On a dit qu'il était en Vojvoda Chetnik. Il avait

9 une fonction quelconque. En tout cas, c'est sûr qu'il avait une certaine

10 autorité dès lors qu'il était capable d'entrer dans le bus, d'ordonner au

11 chauffeur de faire demi-tour.

12 Q: Ceci s'est passé au Monténégro?

13 R: Oui, au Monténégro. C'est exact.

14 Q: Pourriez-vous continuer votre récit? Que s'est-il passé ensuite?

15 R: Donc nous avons fait demi-tour. Le bus est retourné, il s'est arrêté

16 juste devant le KP Dom. Lui, il nous précédait avec sa voiture. Entre-

17 temps il a disparu quelque part et nous sommes entrés au KP Dom, nous

18 étions donc 55. Nous étions dans cette salle n°11, cette maudite salle. Et

19 il n'y avait plus personne là-bas. Elle était vide. Peut-être qu'ils

20 avaient transféré les détenus ailleurs dans d'autres salles?

21 Donc une dizaine de minutes plus tard, Boban Pejic est venu et il a lu sur

22 la liste 20 hommes entre ces 55 hommes, il leur a dit: "Ecoutez, préparez-

23 vous vite, vous allez être échangés!". Et donc il les a emmenés quelque

24 part alors que nous, les 35 autres, nous sommes restés. Ensuite à nouveau,

25 15 ou 20 minutes plus tard, peut-être un peu plus peut-être un peu moins,

Page 785

1 on nous a à nouveau demandé de nous préparer, de partir. Nous sommes

2 sortis. L'autobus était garé, l'autobus s'est garé. Savo Todovic est

3 arrivé à nouveau. Il nous a appelés, il a appelé nos noms. Nous sommes

4 montés dans le bus et il nous a bien montré qu'il y avait des rideaux sur

5 les fenêtres du bus et qu'il ne il ne fallait pas regarder à travers les

6 fenêtres de l'autobus, sinon quelque chose de mauvais allait nous arriver.

7 Donc, nous sommes partis, nous avons pris la même route et nous sommes

8 arrivés dans la soirée. Il faisait déjà nuit à Scepan Polje. Il s'agit de

9 la frontière entre le Monténégro et La Bosnie-Herzégovine.

10 Les chauffeurs du bus sont allés dans une sorte de cabine où se trouvaient

11 les douanes et quelques hommes portant des uniformes militaires sont

12 entrés dans le bus et ils nous ont battus, ils nous ont battus avec des

13 bâtons, des manchettes, des crosses de fusils. Je pense que nous allons

14 avoir des séquelles de ces passages à tabac pendant toute notre vie. Une

15 dizaine de minutes plus tard, ils sont sortis, une demi-heure plus tard,

16 ils sont sortis du bus et les chauffeurs sont retournés avec une liste.

17 Ils avaient une liste sur un morceau de papier.

18 Q: Témoin, je vais vous interrompre. Vous avez dit qu'une vingtaine de

19 personnes sont sorties, ces personnes ont été sélectionnées et on les a

20 fait sortir de la salle où vous étiez. Est-ce qu'il y avait quelque chose

21 de commun, une caractéristique commune entre toutes ces personnes?

22 R: Non, non, je ne pourrais pas, je ne vois rien de particulier. Il y

23 avait même deux vieillards de 74-75 ans et puis il y avait d'autres

24 personnes qui étaient vraiment des jeunes hommes de 15-16 ans. Donc, je ne

25 peux pas dire qu'on les a sélectionnés pour une raison particulière. Je

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1 pense qu'ils ont tout simplement pris les noms comme ça sur la liste. Je

2 ne sais pas s'il y avait un ordre ou une logique dans cette sélection.

3 Q: Pourriez-vous nous dire ce qui est arrivé à ces personnes? Est-ce que

4 vous ne les avez jamais revues à nouveau?

5 R: Non, malheureusement plus jamais.

6 Q: A quel moment avez-vous retrouvé votre famille à nouveau et où?

7 R: Voyez-vous, cet autobus nous a amenés dans la matinée pratiquement à

8 l'aube, avant 7 heures du matin en tout cas, 6 heures 30, en passant par

9 Niksic, Titograd, Ivangrad, nous sommes arrivés à Rozaje. Juste avant

10 Rozaje, nous avons pris la route comme si nous nous dirigions vers la

11 Macédoine. Et entre Berani, Vinograd et Rozaje, Rajo Kunarac le chauffeur

12 du bus m'a dit de m'approcher parce que je le connaissais, c'est ce que

13 j'ai fait. Je me suis approché de lui et il m'a dit: "Ecoute, il ne va pas

14 vous laisser entrer en Macédoine. Alors, le mieux à faire peut-être c'est

15 de vous laisser à Rozaje parce qu'il y a une population à majorité

16 musulmane là-bas". Alors moi, je lui ai répondu, je lui ai dit: "Ecoute

17 fais-nous sortir où tu veux, enfin, tu fais ce que tu veux!". Et donc nous

18 sommes sortis à Rozaje.

19 Q: Témoin, nous n'avons peut-être pas besoin d'entendre tous ces détails.

20 R: Oui, pour terminer juste cela, j'ai trouvé mon épouse qui 14 jours

21 auparavant, avait quitté Foca par un convoi d'autobus.

22 Q: Merci. Vous nous avez déjà dit que vous avez perdu du poids. Vous nous

23 avez parlé des blessures suite aux coups que vous avez reçus. Est-ce que

24 vous avez des séquelles permanentes physiques, résultant de ces passages à

25 tabac au KP Dom?

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1 R: Eh bien, psychiquement il m'arrive souvent par exemple maintenant je

2 sais comment s'appelle mon frère et puis je l'oublie un instant plus tard.

3 J'ai gardé des séquelles. Mais la vie doit continuer, que voulez-vous!

4 Q: Mais quelle est la nature de ces conséquences? Quelle est la nature de

5 ces conséquences psychologiques que vous venez de mentionner?

6 R: Je n'arrive pas à dormir, je souffre d'insomnies, il m'arrive très

7 rarement de dormir toute une nuit. Je tremble, mes mains tremblent. Je

8 transpire. Je présente des signes de nervosité.

9 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Merci, Monsieur Le témoin.

10 Monsieur Le Président, Le Procureur n'a plus de question pour ce témoin.

11 M. le Président (interprétation): Monsieur Bakrac?

12 (Contre-interrogatoire du Témoin 54 par M. Bakrac.)

13 M. Bakrac (interprétation) : Merci, Monsieur Le Président, Madame,

14 Monsieur les Juges. Tout d'abord je souhaite me présenter au témoin, lui

15 dire bonjour. Je suis avocat, je m'appelle Mihajlo Bakrac et je présente

16 les intérêts de l'accusé Milorad Krnojelac devant ce Tribunal.

17 Au début de votre déposition, Monsieur, vous avez répondu à une question

18 du Procureur en disant que dans votre immeuble il restait quatre ou cinq

19 personnes de nationalité serbe?

20 R: Oui, je l'ai dit.

21 Q: Puisque vous avez aussi dit qu'à Donje Ponle il y avait principalement

22 des habitants de nationalité musulmane, pourriez-vous nous dire compte

23 tenu de cela combien il y avait de Serbes, quel était le pourcentage des

24 différentes nationalités représentées dans votre bâtiment?

25 R: Je pense que c'était 50/50. Il y avait une vingtaine d'appartements, 29

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1 appartements. Quinze appartements, je dirais, appartenaient à un côté et

2 quatorze à l'autre. Je ne sais pas quel côté avait 15 et lequel en avait

3 14.

4 M. le Président (interprétation): Est-ce que je peux vous prévenir du fait

5 que vous parlez tous les deux la même langue et d'observer donc une pause

6 entre les questions et les réponses pour que les interprètes puissent vous

7 suivre?

8 M. Bakrac (interprétation): Merci, merci Monsieur Le Président. Je

9 m'excuse auprès des interprètes. Pouviez-vous me dire si vous vous

10 souvenez d'un rassemblement du parti SDA à Foca?

11 Témoin 54 (interprétation): Oui, je me souviens de ce rassemblement à

12 Foca, (expurgé)

13 Q: Vous souvenez-vous du nombre de personnes présentes à la réunion?.

14 R: Ecoutez, je n'ai pas terminé ma réponse. Moi, je n'ai pas participé à

15 cette réunion, à ces rassemblements. A l'époque, j'étais dans ma maison de

16 campagne à une dizaine de kilomètres de là et si vous me demandez à quel

17 parti j'ai appartenu et vers quel parti allaient mes sympathies? Je peux

18 vous dire que je n'ai jamais été membre de quelque parti que ce soit et

19 que je suis un pacifiste. Donc?

20 Soyez convaincu que je n'ai pas participé à cette réunion, que j'ai

21 entendu dire en effet que beaucoup de personnes y étaient présentes, mais

22 moi? Je n'y suis pas allé, ni moi ni les autres membres de ma famille.

23 Q: Monsieur, je voudrais que cela soit clair. Je n'essaye pas d'insinuer

24 par ma question que vous étiez éventuellement membre, ce n'était pas le

25 but de ma question. Voilà ce que j'ai voulu savoir, vous avez

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1 partiellement répondu, c'est-à-dire vous m'avez dit que vous avez entendu

2 dire qu'il y avait beaucoup de personnes présentes.

3 Seriez-vous d'accord avec moi pour dire qu'il y avait entre 100 et

4 100.000/150. 000 personnes présentes à cette réunion? Est-ce que c'était

5 dit dans la presse? Seriez-vous d'accord avec moi, alors?

6 R: Oui, j'en sais autant que vous. C'est vrai que dans la presse on

7 parlait de 100.000 personnes présentes, mais moi, je ne les ai pas vues.

8 Je veux dire que je n'étais pas là.

9 Q: Vous souvenez-vous que dans votre déclaration préalable que vous a

10 donnée au Bureau du Procureur en 1995, vous avez parlé d'un rassemblement

11 du SDS, du parti SDS, où il y avait 10.000 personnes présentes?

12 R: Ecoutez, je ne sais pas combien de personnes. Je peux vous dire que je

13 n'étais pas là, cela s'est produit dans les stades de football, vous savez

14 les stades du club de Sutjeska. Mais encore une fois je répète, je n'étais

15 pas là, moi, j'étais encore cette fois-ci dans ma maison de vacances.

16 Q: Mais est-ce qu'il est exact que vous avez dit que vous avez entendu

17 dire qu'à peu près 10.000 des personnes étaient présentes?

18 R: Oui, mais je ne me souviens pas des chiffres. Vous devez comprendre ma

19 situation, moi, je suis un homme âgé et je ne me souviens pas. Cela s'est

20 produit il y a longtemps, mais si je dis qu'il y avait 10.000 personnes,

21 il y avait certainement, c'est certainement ce que j'ai entendu dire. Mais

22 moi, je ne l'ai pas vu, ce n'est pas possible qu'il a écrit que moi,

23 j'étais là, que j'étais présent à une réunion, à un rassemblement

24 populaire et que je comptais les personnes présentes. J'ai juste dit ce

25 que j'ai entendu.

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1 Q: C'est ce que j'ai dit, Monsieur. Je n'ai pas dit que vous étiez

2 présent, j'ai juste dit que vous avez dit que vous aviez entendu dire.

3 R: Oui. Alors on s'est compris.

4 Q: Est-il exact aussi que vous avez déclaré dans votre déclaration

5 préalable que tous les malheurs venaient de cette ambition qu'avaient les

6 Serbes de réunir tous les Serbes au sein d'un même Etat, y compris ce

7 rassemblement?

8 R: Je ne peux pas parler du rassemblement, mais moi, je peux raconter ce

9 que j'ai entendu dire à mon travail, ce que m'ont dit mes amis quand on

10 discutait. Mais le parti SDS avait cette ambition, c'était leur devise, il

11 voulait rassembler tous les Serbes dans un même Etat. C'était leur devise,

12 la devise du SDS. Il proclamait cela et d'ailleurs d'autres partis avaient

13 d'autres devises.

14 M. Bakrac (interprétation): Merci. Monsieur le Président, je souhaiterais

15 juste aller aussi vite que possible. Je ne sais pas si la Chambre est

16 intéressée par les questions que je suis en train de poser. Je ne souhaite

17 pas intervenir, mais en réalité je voulais juste raccourcir un peu, gagner

18 du temps et raccourcir un peu et arrêter les propos du témoin. J'ai encore

19 deux ou trois questions à poser à ce sujet, c'est tout.

20 M. le Président (interprétation): Je pense que les réponses seraient plus

21 brèves si vos questions étaient un peu différentes, mais cette toutes ces

22 questions concernant les rassemblements politiques ne sont pas très

23 importantes. Ce n'est pas vraiment important de prouver s'il s'agissait

24 d'une attaque ou de plusieurs attaques sur la population civile.

25 Le Procureur doit prouver une seule attaque, au moins une attaque et c'est

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1 tout, et le fait est qu'il y a eu des attaques… le fait qu'il y ait eu des

2 attaques de la population serbe sur la population musulmane ne change rien

3 à tout cela. Je pense que nous allons peut-être procéder, continuer sur un

4 autre sujet.

5 M. Bakrac (interprétation): Monsieur le Président, je vous ai compris. Je

6 vais juste poser encore deux questions à ce sujet.

7 N'est-il pas vrai que les Serbes habitaient, partageaient et vivaient tous

8 dans un même Etat dans le cadre de l'ex-Yougoslavie?

9 Témoin 54 (interprétation): Oui.

10 Q: Alors s'ils vivaient tous dans un même Etat, pourquoi avaient-ils

11 besoin d'un autre Etat?

12 R: Ecoutez, je ne faisais partie d'aucune organisation politique, donc ne

13 me posez pas cette question, s'il vous plaît.

14 Q: Et je vais vous poser ma dernière question. De votre point de vue, dans

15 une région où il y avait la population qui était partagée 50/50, c'est-à-

16 dire deux groupes ethniques, et quand, dans un rassemblement politique,

17 vous avez d'un côté 100.000 ou 150.000 personnes présentes qui

18 appartiennent à une même nationalité et de l'autre côté vous n'avez que

19 10.000 personnes qui appartiennent à l'autre nationalité, n'est-ce pas

20 inquiétant?

21 R: Ecoutez, c'est encore une question politique et moi, je ne m'intéresse

22 pas à la politique. Pouvez-vous me poser des questions plus correctes,

23 s'il vous plaît? N'essayez pas de m'embrouiller avec des questions

24 politiques!

25 Q: Merci. Je vais passer à un autre sujet. Je vais parler de votre

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1 déclaration préalable. N'est-il pas exact que les 4 et 5 septembre 1995,

2 vous avez fourni une déclaration aux enquêteurs au Tribunal de La Haye?

3 R: Oui, c'est vrai.

4 Q: L'avez-vous fait de votre plein gré?

5 R: Oui.

6 Q: Est-il exact que vous avez donné une autre déclaration aux enquêteurs

7 du Tribunal de La Haye le 14 novembre 1991?

8 M. le Président (interprétation): J'ai une chose à vous dire, ce n'est pas

9 sans importance. Il ne s'agit pas des enquêteurs du Tribunal de La Haye,

10 mais des enquêteurs du Bureau du Procureur et ce Bureau du Procureur est

11 complètement indépendant du Tribunal. La situation est peut-être

12 différente dans d'autres pays, mais en ce qui concerne le Tribunal de La

13 Haye, le Bureau du Procureur est parfaitement indépendant du Tribunal.

14 M. Bakrac (interprétation): Excusez-moi, Monsieur le Président. Dans le

15 système d'où je viens ces deux instances sont séparées du point de vue

16 formel, mais ce qui est des faits je ne saurais pas vous dire.

17 Vous avez donc donné ces deux déclarations préalables de votre plein gré?

18 Témoin 54 (interprétation): Oui.

19 Q: Est-ce que vous pouvez me dire si vos souvenirs étaient meilleurs en

20 1995 qu'en 1998?

21 R: Bien sûr, bien sûr. Il est évident qu'aujourd'hui je ne me

22 souviens pas de tout ce dont je me souvenais en 1998. Malheureusement,

23 c'est un processus qui va continuer. Je pense que vous avez raison.

24 Q: Comment expliquez-vous le fait que, en parlant de cet incident qui vous

25 a été désagréable -pour utiliser un euphémisme- nous parlons de l'incident

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1 du 26 juin.

2 R: 25 je pense.

3 Q: Oui, le 25 juin dans la nuit, vers 22 heures, 22 heures 30. Comment

4 est-il possible qu'en 1995 -et vous dites que vos souvenirs, votre mémoire

5 étaient les plus frais à l'époque- comment se fait-il que vous ayiez dit

6 que cet incident s'est produit dans les couloirs du bâtiment

7 administratif?

8 R: Monsieur, pour moi, le bâtiments administratif, tout le rez-de-chaussée

9 du bâtiment administratif n'est qu'un couloir, y compris les fenêtres. Je

10 suis passé à plusieurs reprises, 4 à 5 fois. J'avais la visite de mon

11 épouse qui se déroulait là-bas. Il y avait un gardien juste à côté et cela

12 ne ressemblait pas du tout à un bureau quelconque. Je suis allé une autre

13 fois quand je suis allé chercher de la farine et à 2 autres reprises quand

14 je suis revenu d'une tentative d'échange. Pour moi, cet espace me fait

15 penser à un couloir. Je pense qu'il y a un malentendu sur les termes que

16 j'ai utilisés.

17 Q: Les enquêteurs du Bureau du Procureur vous ont-ils montré les

18 photographies au moment où vous avez donné votre deuxième déclaration

19 préalable les 4 et 5 septembre?

20 R: Non.

21 Q: Est-il correct de dire que dans votre deuxième déclaration préalable,

22 vous avez dit: "Quand j'ai dit dans ma déclaration précédente que ce

23 meurtre est survenu dans les couloirs, c'était une erreur, parce que ces

24 couloirs avaient une porte. Il aurait été impossible de voir ce qui se

25 passait à l'intérieur si cette porte avait été fermée."

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1 R: Ecoutez, c'est un malentendu, parce que moi, de toute façon, je n'étais

2 pas placé de sorte à pouvoir regarder par la fenêtre. Moi, j'ai regardé à

3 travers la fenêtre à partir de la salle 11. Donc, il est évident que je ne

4 pouvais pas regarder à travers la porte.

5 Q: Oui, maintenant cela paraît tout à fait clair, mais en 1995; vous avez

6 dit autre chose.

7 R: Il s'agit peut-être d'un malentendu, d'une erreur de traduction, ou je

8 ne sais quoi. Je ne sais pas, mais en tout cas, je vous ai dit ce que j'ai

9 vu à travers la fenêtre. J'ai regardé par la fenêtre. Je ne pouvais pas

10 regarder de l'autre côté à travers la porte. Vous avez bien vu la

11 photographie. Je me souviens bien de cette porte: elle se trouve dans

12 l'aile avancée du bâtiment, c'est-à-dire plutôt du côté. Même si j'avais

13 voulu, je n'aurais pas pu voir quoi que ce soit à travers la porte.

14 Q: Oui, je comprends que c'est impossible, mais je ne vois pas pourquoi

15 vous avez dit en 1994 que vous avez vu cela dans le couloir et ensuite en

16 1998, vous vous êtes corrigé parce que vous avez compris que ce n'était

17 pas possible.

18 R: Ce n'est pas ça, je vous ai déjà parlé de ces couloirs. Ca ressemble

19 comme une même pièce. C'est comme cela que je le vois, c'est comme ça que

20 je le perçois.

21 Q:Est-ce que je vous ai bien compris, est-ce que vous voulez dire que

22 cette pièce, cet espace que vous avez identifié aujourd'hui, pour vous

23 c'est un couloir?

24 R: Oui, c'est comme cela que je le vois. Je ne suis pas entré dans cet

25 espace, mais il y avait, je pouvais voir à travers la fenêtre qu'il y

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1 avait une vitre brisée. Et puisqu'il y avait des lumières, pour moi

2 c'était comme un couloir. Il n'y avait rien d'autre, il n'y avait pas de

3 table, il n'y avait rien d'autre. Et ces gens ont été battus et tués là-

4 bas. Je ne sais pas si vous essayez de me provoquer.

5 M. le Président (interprétation): Les interprètes vous demandent de

6 ralentir. Il est très difficile pour nous de vous interrompre tout le

7 temps. Vous avez commencé à poser votre question avant que le témoin n'ait

8 répondu à la question. Alors peut-être que cela vous aiderait d'écouter

9 l'interprétation dans vos écouteurs pour vérifier si les interprètes vous

10 suivent avant de poser vos questions.

11 M. Bakrac (interprétation): Monsieur le Président, Madame, Monsieur les

12 Juges, je suis vraiment désolé, je vous présente mes excuses. Il est vrai

13 qu'on perd un peu de l'efficacité du contre-interrogatoire par

14 l'interprétation, mais ce n'est de la faute à personne. Je suis vraiment

15 désolé. Je vais essayer de m'efforcer.

16 M. le Président (interprétation): Si vous voulez savoir, si vous voulez

17 que les Juges entendent ce qui se passe, eh bien, vous êtes obligé de vous

18 faire à l'interprétation. Mais je vous assure que le contre-interrogatoire

19 pourrait s'arrêter si…, nous pourrions comprendre très bien le contre-

20 interrogatoire si vous observiez une pause entre vos questions et vos

21 réponses. Et nous suivrons mieux les interprètes.

22 M. Bakrac (interprétation): Merci, Monsieur le Président. Si je vous ai

23 bien compris, Monsieur le témoin, vous avez dit qu'il n'y avait rien,

24 qu'il n'y avait pas de meuble dans cette pièce?

25 Témoin 54 (interprétation): Oui, il y avait peut-être quelques bricoles,

Page 796

1 mais il n'y avait pas de meubles, c'était vide à part tout à fait dans les

2 coins à droite il y avait une espèce d'appareil. Je répète, je ne sais pas

3 ce que c'était, une espèce d'engin pour l'électricité. En tout cas il y

4 avait des lampes témoins qui s'allumaient la nuit quand cela ne

5 fonctionnait pas. Je ne sais pas ce que c'était.

6 Q: Vous n'avez pas parlé de cet instrument, ni dans votre première

7 déclaration préalable, ni dans la deuxième déclaration préalable?

8 R: Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas. Ce n'était peut-être pas

9 important.

10 Mais juste pour votre information, puisque vous m'avez demandé si la pièce

11 était vide, eh bien, c'est pour cela que je vous ai dit qu'il y avait un

12 truc, quelque chose dans le coin, mais rien de particulier. En tout cas,

13 on ne voyait pas de table, de chaise, pas de meuble.

14 Q: Etiez-vous en mesure d'apprécier de quel type d'instruments il

15 s'agissait?

16 R: Sans doute un banc de contrôle, peut-être une console de contrôle pour

17 l'électricité. Vraiment je ne sais pas.

18 Q: Est-il possible qu'il s'agisse d'une console de centrale téléphonique?

19 Q: Oui, oui justement je n'y ai pas pensé au début, mais c'est vrai, il y

20 avait ces lumières qui clignotaient.

21 Q: Monsieur le Président, il est 13 heures et j'ai encore quelques

22 questions à poser à ce témoin. Que fait-on?

23 M. le Président (interprétation): Je pense que nous allons procéder à une

24 pause. Vous avez vraiment malmené les interprètes, nous reprenons à 14

25 heures 30.

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1 (L'audience, suspendue à 13 heures, est reprise à 14 heures 30.)

2 M. le Président (interprétation): Maître Bakrac.

3 M. Bakrac (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

4 Monsieur, juste avant la pause, nous avons discuté de la pièce où un

5 incident désagréable s'est produit. Vous avez dit qu'il est possible que

6 l'appareil que vous aviez vu était une centrale téléphonique?

7 Témoin 54 (interprétation): Je n'en suis pas certain, mais en tout cas, il

8 y avait des veilleuses, des lumières, des lampes-témoin rouges. Cela

9 clignotait.

10 M. le Président (interprétation): Monsieur le témoin, pourriez-vous vous

11 approcher du micro? On a du mal à vous entendre!

12 M. Bakrac (interprétation): Vous avez donc dit que sur cette console il y

13 avait des lumières, qu'il existait des lumières.

14 Est-ce que ces lumières étaient allumées au moment où vous avez regardé?

15 R: Je ne me souviens pas. En tout cas, la lumière était allumée dans cette

16 pièce, et par exemple, s'il n'y avait pas eu de lumière, cela aurait pu

17 être un petit peu plus clair pour moi.

18 Q: Est-ce que cela veut dire que vous pouviez voir ces lampes, si vous

19 vouliez voir si ces petites lumières étaient allumées ou non à partir de

20 la pièce où vous étiez?

21 R: Eh bien, ces lampes étaient aussi grosses, de la même taille que celles

22 qui sont sur mon ordinateur.

23 Q: Vous pouviez donc les voir depuis la chambre, depuis la pièce où vous

24 étiez?

25 R: Uniquement si ces lumières étaient allumées.

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1 Q: Cela veut-il donc dire que la nuit en question, ces lumières n'étaient

2 pas allumées?

3 R: Non, pendant cette nuit-là, si vous pensez à la nuit de l'incident, la

4 nuit du 25, eh bien ces lumières étaient, la lumière était allumée dans la

5 chambre.

6 Q: Malgré cela, vous dites que les petites lampes étaient allumées?

7 R: Non, je pense que ces petites lampes n'ont rien à voir. Je les ai juste

8 remarquées comme cela en passant, cela n'a rien à voir avec l'incident qui

9 s'est produit. Moi, je l'ai dit juste comme cela parce que je l'ai observé

10 en passant.

11 Q: Donc, avez-vous parlé de ces petites lampes uniquement pour les besoins

12 d'identification de la pièce en question?

13 R: Oui.

14 Q: Vous pouviez voir quelle portion de la pièce dont nous discutons?

15 R: Depuis la fenêtre, je pouvais voir plus de la moitié de la pièce. Par

16 exemple, si je regarde devant moi, je pouvais voir plus que la table qui

17 se trouve en face de moi.

18 Q: Vous pouviez donc voir plus de la moitié de la pièce?

19 R: Oui, plus de la moitiè de la pièce, puisque la pièce où j'étais était

20 plus élevée que la pièce que je regardais.

21 Q: Est-il exact que vous avez dit aux enquêteurs du Procureur que les

22 personnes étaient placées vers le mur qui était en face de la fenêtre?

23 R: Oui, face au mur et elles étaient tournées de dos.

24 Q: Comment est-ce possible puisque vous venez de nous dire que vous ne

25 voyiez que la moitié de la pièce?

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1 R: Je pense que vous essayez de me provoquer là par cette question.

2 Evidemment que je parle de la partie de la pièce qu'on pouvait voir. Ils

3 étaient exactement dans la partie de la pièce que nous pouvions voir et

4 qui nous était accessible. Ces personnes étaient tournées de dos par

5 rapport à nous.

6 Q: Monsieur, vous avez dit dans votre déclaration, et vous venez de le

7 confirmer, qu'on les alignait le long du mur qui se trouvait en face de

8 votre fenêtre, alors même que vous venez de dire que vous pouviez voir un

9 peu plus de la moitié de la pièce à partir de la fenêtre jusqu'à

10 l'intérieur de la pièce.

11 Comment pouviez-vous voir ce mur qui se trouvait en face?

12 R: Je pense que c'est très clair. Si vous voyez la moitié, c'est-à-dire la

13 deuxième moitié de la pièce, vous êtes aussi en mesure de voir aussi les

14 gens alignés le long du mur. Je pense que c'est clair comme le jour, et je

15 ne vois pas où est le problème!

16 M. le Président (interprétation): Monsieur Bakrac, je ne dis pas que vous

17 devez accepter tout ce qu'il dit, mais il vient de dire ce qu'il a vu, il

18 a vu la deuxième moitié de la pièce. Ce n'est pas la peine de lui répéter

19 toujours la même question. Vous pouvez évidemment avoir un doute quant à

20 ce qu'il a dit, mais il l'a dit très clairement et vous devez l'accepter.

21 M. Bakrac (interprétation): Je ne sais pas s'il s'agit d'une erreur

22 d'interprétation parce que vous vous avez compris qu'il a vu la deuxième

23 moitié de la pièce, alors que moi, j'ai compris qu'il a vu la première

24 moitié de la pièce. C'est-à-dire que vous dites qu'il a vu la pièce à

25 partir de la moitié jusqu'au mur.

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1 M. le Président (interprétation): C'est exact, et il a dit qu'ils étaient

2 alignés le long de ce mur. Mais comme je dis, vous n'êtes pas obligé

3 d'accepter ce qu'il dit. Ce que j'ai voulu vous dire, c'est qu'il l'a dit

4 et que ce n'est pas la peine de reposer cette question à nouveau. Vous

5 allez aboutir au même résultat.

6 M. Bakrac (interprétation): Est-ce que vous avez pu voir où se trouvaient

7 les gardiens par rapport aux hommes alignés?

8 Témoin 54 (interprétation): Ils étaient tournés de dos par rapport à la

9 fenêtre, à côté de ces personnes alignées. En tout cas, juste avant cela,

10 ils leur ont fait subir des sévices corporels. En tout cas, moi, je

11 maintiens ce que j'ai dit.

12 Q: En tout cas, les gardiens avaient donc le dos tourné à la fenêtre?

13 R: Je pense que vous êtes en train de compliquer les choses. Est-ce que

14 quelqu'un est tourné plutôt à droite ou plutôt à gauche? Ce n'est pas

15 tellement important, il est suffisant de dire que quelqu'un est présent et

16 se trouvait dans la pièce. Alors, de là à savoir si cette personne est

17 tournée plutôt à droite ou plutôt à gauche, je pense que cela n'a aucune

18 importance.

19 Q: Vous avez dit qu'il y avait cinq détenus dans la pièce, est-ce exact?

20 R: Oui bien sûr.

21 Q: Et combien y a-t-il eu de gardiens?

22 R: Ceux que j'ai mentionnés, plus peut-être quelques autres gardiens dont

23 je ne me souviens pas. En tout cas, je n'étais pas très fort en

24 statistiques.

25 Q: Je n'ai pas besoin d'avoir le nom des gardiens. Pourriez-vous me donner

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1 leur nombre? C'est tout, je n'ai pas besoin de nom.

2 R: Ecoutez, je ne peux pas vous donner le nombre exact, cinq à six.

3 Q: A peu près?

4 R: Cinq à six personnes, mais évidemment c'est une évaluation. J'ai dit à

5 peu près. Je n'étais pas un statisticien, j'ai remarqué ce détail, cet

6 incident et c'est parfaitement compréhensible.

7 Q: Monsieur, je suis vraiment désolé pour ce que vous avez vécu. Ma tâche

8 consiste à vous poser des questions et je m'efforce de le faire de la

9 manière la plus polie possible.

10 R: C'est très bien comme cela.

11 Q: Avez-vous vu des armes entre les mains des gardiens?

12 R: Je pense qu'ils avaient des pistolets. Je pense qu'ils n'avaient pas

13 d'armes longues.

14 Q: Quand vous dites "je pense", vous voulez dire que vous n'êtes pas sûr

15 de cela?

16 R: Si j'en suis sûr.

17 Q: Vous avez dit que vous avez observé cet incident à partir de la salle

18 11, est-ce exact?

19 R: Oui, c'est exact.

20 Q: A partir de cette salle qui se trouve à gauche du bâtiment

21 administratif?

22 R: Si vous regardez à partir du bâtiment administratif, c'est à droite,

23 mais sinon par rapport à l'immeuble, le bâtiment où se trouve la salle 11,

24 eh bien, c'est à gauche.

25 Q: Y avait-il des lits dans cette pièce?

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1 R: Non.

2 Q: Où dormaient les détenus? Dans la pièce où vous étiez, je veux dire?

3 R: Oui, oui dans la pièce. Oui, il y en avait. Je pensais que vous me

4 posiez des questions au sujet de la pièce où l'incident s'est produit.

5 Q: Donc dans la pièce où vous étiez, dans le dortoir où vous étiez il y

6 avait des lits?

7 R: Oui, il y avait des lits.

8 Q: S'agissait-il de lits superposés comme ceux qu'on a vus sur la

9 photographie?

10 R: Oui, de lits métalliques, en fer comme ceux qu'on a à l'armée.

11 Q: Est-ce que ces fenêtres étaient placées le long de la fenêtre?

12 R: Eh bien, on les plaçait comme on voulait. Il n'y avait pas de règle.

13 Q: Qui d'autre a observé cet incident?

14 R: Je pourrais vous énumérer 20 personnes là tout de suite. Entre autres,

15 il y avait un Lisica et deux frères Soro Esad et son frère cadet qui a

16 14-15 ans. Ensuite Rasim, Merkez Rasim, Muharem Merhabovic. Il y avait

17 plus de 30 personnes mais en tout cas à côté de moi, il y a sûrement eu

18 Muhamed, Lisica et Rasim Merkez de Osenica. Muharem Bacvic et beaucoup

19 d'autres personnes.

20 Q: Est-ce que je vous ai bien compris, vous étiez 20 à regarder par la

21 fenêtre?

22 R: Bien sûr que non. Il n'était pas possible qu'on regarde tous les 20 à

23 travers la fenêtre. Moi, j'ai regardé Muhamed Lisica regarder. Rasim a

24 regardé également, sur le côté. Nous avions donc nos visages placés contre

25 la vitre et nos corps étaient plutôt à côté.

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1 Q: Vous avez dit qu'il pleuvait très fort?

2 R: Oui, oui il pleuvait très fort cette nuit-là, surtout à ce moment-là.

3 La pluie a commencé peut-être une demi-heure plutôt C'est vrai que c'était

4 vraiment une averse.

5 Q: Est-ce que les fenêtres étaient fermées?

6 R: Non, les vitres étaient brisées. Je ne sais pas pourquoi. Je n'en ai

7 aucune idée, mais si tel n'avait pas été le cas, on n'aurait peut-être pas

8 bien vu.

9 Q: Est-ce que les autres vitres à ce niveau-là du bâtiment étaient peintes

10 avec de la peinture blanche?

11 R: Non, pas à cette époque-là.

12 Q: Monsieur, vous souvenez-vous avoir dit avant la pause que vous avez vu

13 un gardien en train de monter l'escalier en portant des couvertures?

14 R: Oui, Zoran Matovic.

15 Q: Vous l'avez vu dans l'escalier?

16 R: A partir de cette pièce, on voit l'escalier qui monte vers l'étage

17 supérieur en biais. Moi, je n'étais pas présent, je ne saurais pas vous

18 dire comment est le plafond, etc. Mais en en tout cas on voit un escalier

19 qui mène à l'étage supérieur et on l'a vu en train de monter l'escalier

20 avec des couvertures dans ses bras, couleur vert-olive appartenant à

21 l'armée.

22 Q: Est-ce que ces fenêtres à partir de laquelle vous avez pu voir

23 l'escalier, est-ce que cette fenêtre se trouve juste à côté de la fenêtre

24 à travers laquelle vous étiez en train de regarder?

25 R: Je ne vais pas vous décrire toutes les fenêtres, mais on pouvait voir à

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1 travers la fenêtre qui monte l'escalier en portant des couvertures. Je ne

2 suis pas un expert pour vous dire à travers quelle fenêtre on pouvait

3 exactement voir quoi. En tout cas, on a vu un homme en train de porter des

4 couvertures.

5 Q: Tout ce que je voulais vous demander, c'est de m'indiquer de quelle

6 fenêtre il s'agit sans regarder la photographie par rapport à la fenêtre

7 que vous avez identifiée comme étant la fenêtre à travers laquelle vous

8 avez observé cet incident?

9 R: Je ne saurais pas vous dire. Mais en tout cas on l'a vu quand il est

10 sorti, quand il est passé aussi bien quand il a monté l'escalier que quand

11 il l'a descendu. C'est la vérité vrai, on l'a vu, on a vu l'escalier.

12 Alors est-ce que c'est la même fenêtre? Je n'en sais rien. En tout cas

13 c'était un escalier qui montait en biais à partir de cette pièce vers là-

14 haut.

15 M. le Président (interprétation): Monsieur le Témoin, je vous prie

16 d'observer une pause dans vos réponses. Je sais que vous êtes

17 émotionnellement très chargé par rapport à ce que vous racontez, mais vous

18 devez faire attention aux interprètes.

19 Témoin 54 (interprétation): Je vous présente mes excuses.

20 M. Bakrac (interprétation): Monsieur, dans votre déclaration préalable que

21 vous avez donnée aux enquêteurs du Bureau du Procureur, avez-vous dit que

22 chaque bâtiment où étaient enfermés les détenus avait un certain nombre de

23 cellules d'isolement?

24 Témoin 54 (interprétation): En ce qui concerne la partie où j'ai été, il y

25 avait deux bâtiments, deux ailes qui étaient reliées par un autre bâtiment

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1 et sous l'escalier, il y avait des cellules d'isolement. C'est là où un

2 homme s'est pendu, c'est lui que j'ai mentionné. Il y a eu des passages à

3 tabac à cet endroit. Et puis de l'autre côté, il y avait d'autres cellules

4 d'isolement. Je pense dans ce complexe auquel était attaché d'autres

5 bâtiments.

6 Q: Vous venez de dire que dans votre partie, dans la partie du bâtiment où

7 vous étiez, on va l'appeler le bâtiment A, qui ressemble à la lettre F

8 renversée.

9 R: Tous ces immeubles ressemblent à la lettre F renversée.

10 Q: Est-ce que donc dans cette partie il y avait des cellules d'isolement?

11 R: Non pas dans nos pièces.

12 Q: Je vous ai pas posé la question par rapport à votre pièce. Je vous ai

13 posé la question par rapport à l'immeuble, au bâtiment où vous étiez?

14 Repensez bien.

15 R: Dans le bâtiment où j'étais, eh bien, à la droite il y avait ces

16 escaliers et sous les escaliers il y avait des cellules d'isolement. Et je

17 sais qu'il y avait des gens là-bas.

18 Q: En répondant aux questions du Procureur vous avez dit que, il y avait

19 des cellules d'isolement dans le bâtiment B, à droite.

20 R: Oui, oui, c'est là où j'étais moi. Mais, il y en avait d'autres, je ne

21 sais pas combien il y en avait. Par exemple, Rasim Savic il a passé cinq

22 ou six jours là-bas après avoir subi des sévices corporels. Et donc, on

23 l'a mis là-bas pour qu'il récupère un peu. Ensuite, il y avait ces petits,

24 ces jeunes, Sabovaz, moi je ne le connais pas très bien mais toute la

25 ville le connaît, tout Foca le connaît. Eh bien, il hurlait là-bas, il

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1 criait comme s'il avait été attaqué par des loups. Et puis, il y avait ces

2 commerçants, ces commerçants que j'ai mentionnés il y a quelques instants.

3 Celui qui est entré une fois dans ces endroits, eh bien, il savait, il

4 savait ceux qui se trouvaient là-bas, ceux qu'il y avait là-bas. Moi, je

5 n'ai pas vu à quoi cela ressemblait de l'intérieur.

6 Q: Dans votre déclaration préalable, celle que j'ai déjà mentionnée. Vous

7 avez dit que si vous n'aviez pas fait cette erreur concernant le pain, ce

8 morceau de pain, que vous aussi vous seriez allé dans la pièce de travail.

9 Est-ce que cela veut dire que c'était un privilège que de travailler?

10 R: Eh bien, probablement qu'on m'aurait laissé travailler là-bas. C'est

11 probablement qu'ils considéraient que j'ai fait une erreur. C'est sans

12 doute pour cela que je suis allé dans la cellule d'isolement et que j'ai

13 été passé à tabac. Alors est-ce que je serais resté ? Je n'en sais rien.

14 Peut-être que je serais resté.

15 Q: Est-ce qu'au KP Dom pendant votre séjour, est-ce qu'il y avait des

16 Serbes, des Serbes qui purgeaient leur peine à cet endroit-là?

17 R: Oui, mais ils n'étaient pas là, il travaillait à Brioni, à la ferme.

18 C'est très connu. Moi, j'étais déjà dans les camps quand ils sont arrivés.

19 Mais ils étaient en train de distribuer de la nourriture. Ils n'étaient

20 pas vraiment des détenus. Il y en a un qui est allé donner du sang avec

21 moi. Puis, il y en avait un autre mais, je ne me souviens ni de leur nom

22 ni de leur prénom. Ils étaient, c'étaient des jeunes hommes.

23 Q: N'est-il pas exact que vous avez dit dans votre déclaration préalable

24 qu'il y avait entre 10 et 15 personnes qu'on pourrait mettre dans cette

25 catégorie?

Page 807

1 R:: Oui, oui. Il y avait peut-être même, je ne sais pas si j'ai mentionné

2 cela mais je sais qu'il y en avait un qui était malade, il avait la

3 tuberculose et on lui donnait à manger dans un récipient particulier. Et

4 il était très vieux et il était là depuis longtemps, d'avant, évidemment.

5 Q: Je vais vous poser une question qu'on vous a déjà posée, mais

6 apparemment cette question a été apparemment mal comprise. On a cité la

7 défense de l'accusé où l'on dit que KP Dom a été séparé en partie civile,

8 et partie réservée aux civils et partie réservée aux militaires. Et vous

9 avez répondu qu'il n'y avait pas de militaires mais uniquement des civils

10 ?

11 R: Oui, c'est ce que j'ai dit, il n'y avait pas de militaires. Moi, je

12 n'ai pas vu de militaires; je n'ai pas vu un seul.

13 Q: Puisque j'ai déjà dit que probablement votre question était mal

14 comprise, car l'accusé n'a pas dit qu'il y avait des militaires qui

15 avaient été enfermés; il a dit que les Musulmans qui avaient été détenus

16 étaient des militaires, dans la zone de responsabilité des militaires.

17 R: Eh bien, moi je connais pas de telles personnes. J'en connais pas.

18 Q: Non, vous m'avez apparemment pas bien compris. Donc, les détenus

19 étaient des civils, ce n'étaient pas des militaires. Mais, ces civils, ces

20 détenus civils étaient dans la zone de responsabilité du commandement

21 militaire.

22 R: Je ne sais pas de quelle, de la responsabilité de qui ils dépendaient.

23 Moi, je ne connais pas la chaîne de commandement. Je sais où nous étions,

24 je ne sais pas qui était leur responsable. Moi, je ne connaissais pas

25 cette organisation. Je ne pouvais pas vous dire qui a ordonné à qui ce

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1 qu'il devait faire. Pour moi cette question ne veut rien dire. Elle ne me

2 dit rien.

3 Q: Est-ce que le nom Nedzib Lojo et Hasan Lojo vous disent quelque chose?

4 R: Hasan Lojo, oui. Il est sorti avec moi. C'est un homme plutôt âgé. Il

5 était avec moi dans le bus.

6 Q: . Et Nedzib Lojo?

7 R: Je pense, écoutez, on n'a pas parlé de cela dans le cadre de cette

8 affaire. Mais je pense que le 16 août, je pense que c'était le 16 août, on

9 l'a fait sortir de la pièce où j'étais, ainsi que deux frères Rustan, deux

10 jeunes hommes. Je pense qu'ils viennent d'un village à côté de Foca; on

11 les a amenés quelque part, je ne sais pas où. Et si vous me posez des

12 questions au sujet de cet homme plutôt âgé, je pense qu'il est sorti avec

13 moi. Si vous me posez des questions au sujet de cet homme que je connais

14 qui s'appelle Hasan Lojo.

15 Q: Est-ce que le nom de Dzevad Lojo vous dit quelque chose?

16 R: Oui.

17 Q: Etait-il au KP Dom en même temps que vous?

18 R: Oui. Il était au KP Dom.

19 Q: Savez-vous dans quelle salle il était?

20 R: Dans la salle qui était juste en face de la mienne. En tout cas il

21 n'était pas avec moi dans la salle 20. Je ne sais pas quel était le nombre

22 de cette pièce. Je pense que c'étaient des numéros pairs, 20, 22, 18. Je

23 ne m'en souviens pas.

24 M. le Président (interprétation): Juste un instant, si mes souvenirs sont

25 bons, je pense que le témoin a dit qu'il ne voulait pas que son frère soit

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1 mentionné. Et vous venez de mentionner le nom de son frère.

2 Témoin 54 (interprétation):On n'a pas mentionné le nom de mon frère, M.

3 Bakrac (interprétation): Non, il n'a pas mentionné le nom de son frère.

4 M. le Président (interprétation): Merci, alors tout va bien.

5 M. Bakrac (interprétation): Je vais vous lire la déclaration d'un témoin

6 qui a déposé ici et vous allez me donner votre commentaire par rapport à

7 cela.

8 Je cite: "Je me souviens très bien que le 13 juin 1992, car les

9 interrogatoires ont duré toute la journée, beaucoup de prisonniers venant

10 de différente salles avaient été amenés pour les interroger. Trois ou

11 quatre prisonniers ont été emmenés de ma salle. Zulfo Veiz faisait partie

12 de ces hommes, il était policier à Foca avant son arrestation, il n'est

13 pas revenu, ainsi que Mustafa Kuloglija, il était parmi les prisonniers

14 que l'on a emmenés pour un interrogatoire ce jour-là".

15 R: Pour Zulfo Veiz, je ne sais pas. Nous sommes nés pratiquement dans le

16 même village, je le connais. Mais pour Mustafa Kuloglija, eh bien je vous

17 ai déjà dit quel était son sort, comment il a fini.

18 Je ne vois pas pourquoi je dois continuer à parler de cela. J'affirme en

19 toute responsabilité que Mustafa Kuloglija, le 25 juin 1992, a fini comme

20 Veiz. Mais cela n'a rien à voir avec Zulfo Veiz.

21 Q: Ce que je viens de dire n'est donc pas correct?

22 R: Je ne sais pas comment cet homme a vu cela, mais je sais, je suis sûr

23 -c'est clair- que ce qui est arrivé à Mustafa Kuloglija le 25 juin, c'est

24 ce que j'ai raconté moi. Et c'est clair. Je ne sais pas ce qui est arrivé

25 aux autres personnes.

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1 Q: Merci, Monsieur. Dans votre déposition, au cours de votre déposition

2 avant la pause, vous avez dit que juste avant que vous ne soyez échangé,

3 on a fait sortir 20 personnes, et que ces personnes ne sont pas revenues,

4 et que vous, on vous a emmené pour vous échanger juste après.

5 R: Juste après, non. Mais écoutez, je pense que là vous n'êtes pas clair.

6 Comment voulez-vous que je les voie revenir alors qu'on est partis juste

7 après eux? Comment je le saurais, moi, s'ils sont revenus ou non? Peut-

8 être que la traduction n'était pas bonne, parce que moi je suis parti

9 juste 10 minutes après eux. Nous ne nous sommes donc pas revus. C'est

10 tout.

11 Je pense que la question qu'on m'a posée, était: "Est-ce que vous les avez

12 revus depuis?". Eh bien, je ne les ai pas revus. Je ne pouvais pas vous

13 affirmer s'il sont revenus ou non puisque moi j'étais parti moi-même.

14 Q: J'ai encore une question pour vous. Vous avez dit dans votre

15 déclaration préalable et vous l'avez répété presque dans les mêmes termes

16 aujourd'hui, que Savo Todovic vous a fait un petit discours juste avant

17 que vous ne partiez.

18 R: Oui, c'était assez bref. Je ne peux pas vous citer ce discours, en tout

19 cas, il nous a donné des instructions, il nous a dit: "Ne regardez pas à

20 travers la fenêtre en partant parce que quelque chose pourrait vous

21 arriver". Moi, je ne sais pas ce qu'il voulait dire par cela, je n'étais

22 pas interessé et je n'ai pas regardé à travers la fenêtre. Et tout ce que

23 j'ai pu voir, c'étaient des maisons brûlées, les deux mosquées détruites.

24 C'est tout. Tout ce que j'ai vu, ce sont des bâtiments brûlés. Ce n'est

25 pas important. De toute façon, pour répéter encore une fois, je ne faisais

Page 811

1 partie d'aucune organisation, d'aucun clan.

2 Q: Et ma dernière question porte là-dessus. Dans votre déclaration

3 préalable que vous avez donnée, comme vous le dites, aux enquêteurs du

4 Bureau du Procureur, vous avez dit en ce qui concerne Savo Todovic que:

5 "Il prenait les décisions tout seul, en toute responsabilité". Est-ce

6 exact?

7 R: C'est ce que je pense, c'est mon opinion personnelle, c'est ma

8 position.

9 Q: Merci beaucoup. Je n'ai plus de questions à poser.

10 M. le Président (interprétation): Y a-t-il des questions supplémentaires?

11 (Questions supplémentaires au Témoin 54 par Mme Uertz-Retzlaff.)

12 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Oui, une seule.

13 Vous nous avez raconté ce qui est arrivé à M. Kuloglija le 25 juin 1992.

14 Est-ce qu'on a fait sortir M. Kuloglija une seule fois le 25, ou bien est-

15 ce qu'on l'a fait sortir plusieurs fois?

16 Témoin 54 (interprétation): A plusieurs reprises auparavant, on l'avait

17 fait sortir, passé à tabac; il avait des blessures sur la tête et le cou.

18 Je ne peux pas vous donner la date exacte de ces événements-là. Vous

19 savez, moi, je n'avais pas de registre concernant cela. Je ne sais donc

20 pas très exactement quand cela s'est produit, mais cela lui est arrivé à

21 plusieurs reprises à Kuloglija, qu'on l'amène, qu'on lui donne un

22 traitement physique spécial.

23 En ce qui concerne le 25, je dois dire qu'il ne faut pas du tout dire que

24 le 13, il est parti et qu'il n'est plus jamais revenu puisqu'il est parti

25 et qu'il est revenu après. Après le 25, il est parti et il n'est plus

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1 jamais retourné. En tout cas, moi je vous dis ce que j'ai vu. J'ai vu ce

2 que j'ai vu!

3 Q: Monsieur Kuloglija, est-ce qu'il vous a dit ce qui lui est arrivé? Est-

4 ce qu'il vous a raconté cela suite à son retour?

5 R: Ce n'était pas la peine qu'il dise quoi que ce soit. Beaucoup d'hommes

6 étaient silencieux et ne disaient rien. Ce n'était pas nécessaire, on

7 pouvait voir d'après son aspect physique ce qui lui était arrivé.

8 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Je n'ai plus de questions, Monsieur

9 le Président.

10 M. le Président (interprétation): Maître Bakrac?

11 M. Bakrac (interprétation): Monsieur le Président, puis-je poser une

12 question supplémentaire?

13 M. le Président (interprétation): Que voulez-vous?

14 M. Bakrac (interprétation): Une question supplémentaire.

15 M. le Président (interprétation): Ah non! Vous avez eu l'occasion de le

16 faire. Si c'est un nouveau domaine sur la base des questions

17 supplémentaires, c'est autre chose, mais sinon vous n'avez pas le droit de

18 poser d'autres questions.

19 S'il s'agit là d'une question que vous avez omis de poser dans le contre-

20 interrogatoire et qui n'est pas liée aux questions supplémentaires, dans

21 ce cas-là vous pouvez poser effectivement une nouvelle question. Mais dans

22 ce cas-là, le Procureur pourra poser des questions supplémentaires

23 également.

24 M. Bakrac (interprétation): J'ai simplement omis de lire la phrase jusqu'à

25 la fin, et ceci est lié à la question posée par le Procureur.

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1 M. le Président (interprétation): C'est justement le genre de choses que

2 vous ne pouvez pas faire. Vous ne pouvez pas maintenant corriger ce qui a

3 été fait dans le cadre du contre-interrogatoire et compléter les réponses

4 données dans le cadre du contre-interrogatoire.

5 M. Bakrac (interprétation): J'ai compris cela, mais j'avais compris que

6 vous me permettiez de faire quelque chose que j'avais omis de faire dans

7 le cadre du contre-interrogatoire. Moi, j'ai omis de lire la phrase

8 jusqu'à la fin parce que justement je voulais que l'on procède plus

9 rapidement. C'était la seule raison mais dans la phrase suivante!

10 Bien sûr si vous ne me l'autorisez pas, je ne vais pas le dire.

11 M. le Président (interprétation): Je souhaite clarifier les choses. Est-ce

12 qu'il s'agit là de la déclaration que vous avez lue au témoin? La partie

13 où la date différait par rapport au moment où l'on faisait sortir un

14 certain nombre de personnes, et lorsque vous lui avez posé la question de

15 savoir ce qu'il dirait face à l'affirmation de quelqu'un d'autre que ceci

16 s'est produit un autre jour. Ceci a fait partie de votre contre-

17 interrogatoire, n'est-ce pas?

18 Mais je ne vois pas comment on peut demander au témoin de s'exprimer sur

19 la question de savoir si quelqu'un d'autre disait la vérité ou pas. Est-ce

20 que votre question porte sur la date seulement à laquelle, d'après cet

21 autre témoin, ces événements se sont produits?

22 M. Bakrac (interprétation): Non, il ne s'agit pas de la date. La date est

23 la même. Je ne sais pas si je dois expliquer plus parce que dans ce cas-là

24 ce sera clair quel est mon but, si je pose cette question.

25 M. le Président (interprétation): Il n'est pas nécessaire de s'abstenir de

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1 cela. Dites-nous simplement la fin de cette phrase maintenant et si c'est

2 inacceptable, nous vous le dirons. Je me souviens que vous avez lu que

3 Mustafa Kuloglija était parmi les prisonniers que l'on a fait sortir ce

4 jour-là. C'est là que vous avez arrêté votre lecture, mais ce n'était pas

5 la fin de la phrase. Vous dites?

6 M. Bakrac (interprétation): Mustafa Kuloglija était parmi les prisonniers

7 qui ont été emmenés ce jour-là à l'interrogatoire et il n'est pas

8 retourné.

9 M. le Président (interprétation): Moi, personnellement c'est ce que

10 j'avais compris la première fois que vous avez donné lecture d'une partie

11 de la déclaration. Je ne vois pas que ceci aboutira à quoi que ce soit de

12 nouveau.

13 Merci, Monsieur le Témoin, vous pouvez disposer. Mais veuillez attendre

14 que les rideaux soient baissés dans notre partie du prétoire afin de

15 protéger votre identité.

16 (Le Témoin 54 est reconduit hors du prétoire.)

17 (Questions relatives à la procédure.)

18 Madame Uertz-Retzlaff, le témoin suivant est 215, et ce témoin n'a pas

19 demandé de mesures de protection, est-ce exact?

20 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Oui, c'est vrai qu'auparavant nous ne

21 l'avons pas demandé, mais maintenant le témoin souhaite disposer des

22 mesures de protection. Donc nous faisons cette demande devant la Chambre

23 de première instance. Il demande la distorsion des traits du visage et un

24 pseudonyme.

25 M. le Président (interprétation): Pourquoi?

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1 Mme Kuo (interprétation): C'est parce que le témoin a toujours des biens à

2 Foca et il a peur des représailles si jamais il devait y retourner un

3 jour.

4 M. le Président (interprétation): D'accord, c'est accordé.

5 M. Bakrac (interprétation): Monsieur le Président?

6 M. le Président (interprétation): Oui.

7 M. Bakrac (interprétation): Je ne sais pas mais j'ai l'impression que

8 peut-être j'aurais le droit de m'exprimer par rapport à cette demande du

9 Procureur. Nous avons accepté les mesures de protection jusqu'à

10 maintenant. Nous n'avons jamais posé de problème dans ce cadre-là. Mais en

11 ce qui concerne ces biens-là, ce témoin n'a pas reçu ses biens dans ces

12 derniers mois après la deuxième conférence de mise en état. Donc sa

13 situation n'a pas changé. Je ne vois pas pourquoi le témoin n'a pas

14 demandé les mesures de protection à ce moment-là. Il s'agit peut-être

15 d'une autre raison.

16 M. le Président (interprétation): C'est moi qui vais vous dire de quelles

17 raisons il s'agit, Maître Bakrac. Lorsqu'il a parlé avec les représentants

18 du Procureur ici, il s'est rendu compte du fait que c'est possible peut-

19 être, on ne l'avait même pas encouragé de le demander, mais apparemment

20 souvent lorsque certaines personnes viennent ici, c'est seulement à partir

21 de ce moment-là qu'ils réalisent qu'ils doivent témoigner publiquement et

22 que ceci est retransmis par télévision partout en ex-Yougoslavie.

23 Donc je suppose qu'à partir de ce moment-là ils peuvent changer d'avis.

24 Est-ce que vous avez une quelconque raison qui vous pousse à penser que

25 les craintes par rapport à ce qui risque de lui arriver à son retour en

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1 ex-Yougoslavie ne sont pas des raisons réelles?

2 M. Bakrac (interprétation): Je ne vois vraiment aucune raison d'avoir de

3 telles craintes, mais si nous permettons cela, cela ouvre le schéma à tous

4 les autres témoins qui pourront demander les mesures de protection juste

5 avant leur déposition.

6 M. le Président (interprétation): Probablement, ils l'ont déjà fait. Mais

7 vous savez dans la pratique de ce Tribunal, souvent on accordait les

8 mesures de protection demandées soit par l'accusation soit par la défense.

9 Pour le moment, je peux vous dire que dans une autre affaire je dois

10 accorder également beaucoup d'autres mesures de protection et j'ai lu des

11 rapports tout à fait détaillés du HCR qui traitent en détail des problèmes

12 des personnes qui entrent dans l'une ou l'autre entité, qui fait partie de

13 la Bosnie-Herzégovine. Bien sûr ceci n'est pas lieu seulement à une seule

14 entité, et donc il est possible de comprendre les inquiétudes de ces

15 personnes-là, les craintes qu'elles risquent de se faire maltraiter.

16 Si vous avez des raisons afin d'affirmer que ceci risque de vous porter

17 préjudice, je veux bien vous écouter, mais je ne suis pas sûr que vous

18 serez à même de nous montrer quoi que ce soit de très concret.

19 De toute façon, ici les mesures de protection que nous accordons ne

20 concernent pas un huis clos total. Donc, simplement les gens assis dans la

21 galerie du public ne pourront pas voir une partie de ce qui se passe dans

22 le prétoire, mais ils pourront tout entendre, seulement ils ne pourront

23 pas voir le visage du témoin qui dépose.

24 Alors dites-nous, s'il vous plaît, concrètement quels sont les préjudices

25 qui risquent d'être subis par votre client à cause de cela?

Page 817

1 M. Bakrac (interprétation): Monsieur le Président, il s'agissait plutôt

2 d'une objection de principe. Je ne dirai pas que j'ai une raison concrète

3 afin d'exprimer des doutes. Il existe une raison générale en ce qui

4 concerne les dépositions. Nous considérons que les témoins vont être

5 beaucoup plus sincères si tout le monde connaît leur identité. Et puis

6 deuxièmement, dans ce cas-là, la défense serait à même par rapport à

7 l'identité de ces témoins de recueillir un certain nombre d'autres moyens

8 de preuve.

9 Mais puisque nous non plus nous ne pouvons pas divulguer les noms de ces

10 personnes-là, ceci porte préjudice à la défense parce que peut-être si

11 quelqu'un savait qu'une telle personne venait déposer ici, il pourrait

12 donner une donnée favorable à la défense, une donnée qui serait à même de

13 discréditer les dires du témoin, discréditer le témoin.

14 M. le Président (interprétation): Si j'ai bien compris, ce témoin avait

15 déjà un pseudonyme. Tout simplement, il demande en plus les distorsions

16 des traits de son visage. En ce qui concerne donc le témoin, de toute

17 façon, il fallait s'adresser au témoin en employant le pseudonyme 215.

18 D'après le Règlement et le Statut, vous ne pouviez pas divulguer cette

19 identité à qui que ce soit d'autre. Donc, tout simplement, le seul

20 changement est que le visage de ce témoin ne pourra pas être vu par le

21 biais des retransmissions télévisées, et puis qu'il ne sera pas possible

22 de voir un tiers de ce Tribunal depuis la galerie du public.

23 M. Bakrac (interprétation): Monsieur le Président, dans la région d'où je

24 viens, les gens se connaissent plutôt de vue qu'en fonction de leur nom,

25 mais je ne souhaite pas vous faire perdre votre temps. Je vous ai expliqué

Page 818

1 quelles sont les raisons pour lesquelles nous soulevons cette objection.

2 J'ai expliqué également que la défense est dans une situation défavorable

3 à cause de cela. Je ne souhaite pas répéter ce que j'ai déjà dit, et bien

4 sûr les Juges prendront leur décision.

5 M. le Président (interprétation): Mais bien sûr vous pouvez contre-

6 interroger ce témoin sur la question de savoir pourquoi il a demandé la

7 distorsion des traits de son visage. Puis, par la suite, vous pourrez vous

8 exprimer devant la Chambre en disant pour quelles raisons éventuellement

9 nous ne devrions pas accepter sa déposition, parce que le courage a manqué

10 au témoin de témoigner publiquement. De toute façon, c'est toujours le

11 risque lié aux mesures de protection.

12 Si j'ai bien compris, votre objection est une objection de principe,

13 simplement parce que la demande a été faite tardivement. Mais il s'agit là

14 d'un argument que nous ne sommes pas prêts à accepter du point de vue de

15 cette Chambre de première instance.

16 Souhaitez-vous ajouter quelque chose?

17 M. Bakrac (interprétation): Non.

18 (Le Témoin 215 est introduit dans le prétoire.)

19 M. le Président (interprétation): Oui, vous pouvez commencer, Madame Kuo.

20 (Interrogatoire principal du Témoin 215 par Mme Kuo.)

21 Mme Kuo (interprétation): Merci.

22 En ce qui concerne une copie de la lettre que le Procureur a donnée au

23 conseil de la défense, le but de cette lettre est double. Tout d'abord, en

24 ce qui concerne les pièces à conviction dans le cadre de cette affaire qui

25 porte la cote 332, il s'agit en fait d'une série de documents traduits en

Page 819

1 anglais, et peut-être que le témoin parlera de ces documents au cours de

2 sa déposition.

3 M. le Président (interprétation): Attendez, s'il vous plaît. Monsieur,

4 veuillez vous asseoir pour le moment parce que nous sommes en train de

5 traiter des questions procédurales.

6 Monsieur l'huissier, vous pouvez lever le reste des rideaux en attendant.

7 Vous disiez donc Madame Kuo?

8 Mme Kuo (interprétation): Afin de nous faciliter la tâche au cours de la

9 procédure, nous avons pris la liberté de les numéroter. En outre, il y a

10 une erreur de traduction en ce qui concerne 332/5A, liste des personnes

11 portées disparues, et nous avons annexé en tant que pièce jointe la

12 traduction corrigée.

13 M. le Président (interprétation): Merci beaucoup.

14 Témoin,, veuillez lire la déclaration solennelle. Tout d'abord, veuillez

15 vous lever.

16 Témoin 215 (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

17 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

18 M. le Président (interprétation): Apparemment, l'un des micros n'est pas

19 branché. Les interprètes n'ont pas pu entendre. Veuillez vous asseoir,

20 Monsieur. Je peux assurer les interprètes que la déclaration solennelle a

21 été lue, effectivement. Oui, Madame Kuo.

22 Mme Kuo (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

23 Bonjour Monsieur.

24 Témoin 215 (interprétation): Bonjour.

25 Mme Kuo (interprétation): Avec l'aide de l'huissier, je demanderai que

Page 820

1 l'on montre à ce témoin-là un bout de papier que le Procureur souhaite

2 verser au dossier avec la cote de la pièce à conviction suivante. Je ne

3 suis pas sûre de la cote suivante.

4 M. le Président (interprétation): 399.

5 Mme Kuo (interprétation): Nous demandons le versement au dossier de cela

6 de manière confidentielle.

7 M. le Président (interprétation): Avez-vous des objections, Maître Bakrac?

8 M. Bakrac (interprétation): Non, Monsieur le Président.

9 M. le Président (interprétation): Merci. Il s'agira de la pièce à

10 conviction P399 versée de manière confidentielle.

11 Mme Kuo (interprétation):Témoin, est-ce que vous voyez votre nom sur ce

12 papier?

13 Témoin 215 (interprétation): Oui.

14 Q: Et directement au-dessus, c'est marqué: "témoin" et puis la lettre FWS

15 et ensuite le numéro 215. Est-ce que vous voyez cela?

16 R: Oui.

17 Q: Il faut savoir, Monsieur le Témoin, que compte tenu des mesures de

18 protection que vous avez demandées et que la Chambre vous a accordées nous

19 nous adresserons à vous au cours de cette procédure en employant votre

20 pseudonyme, Témoin FWS-215. Est-ce que vous comprenez cela?

21 R: Oui.

22 Q: En ce qui concerne le numéro qui figure au dessous de votre nom, c'est

23 votre date de naissance?

24 R: Oui.

25 Q: Et puis je souhaite ajouter que sur ce même papier, il y a deux autres

Page 821

1 noms avec des chiffres à côté. Si vous souhaitez mentionner ces deux

2 autres personnes, veuillez les mentionner en employant les numéros et non

3 pas leur nom et leur prénom. Est-ce que vous avez compris cela?

4 R: Oui.

5 Q: Quelle est votre appartenance ethnique, Monsieur?

6 R: Je suis Musulman.

7 Q; Où êtes-vous né?

8 R: A Foca.

9 Q: En 1992 en avril, où avez-vous vécu?

10 R: A Foca.

11 Q: Dans quelle partie de Foca concrètement avez-vous vécu?

12 R: Dans le centre-ville.

13 Q: Est-ce qu'il s'agissait là d'une région à prédominance Serbe ou

14 Musulmane ou mixte?

15 R: D'après le dernier recensement de la population, le centre-ville était

16 à majorité Serbe.

17 Q: Etiez-vous marié, Monsieur?

18 R: Oui.

19 Q: Avez-vous des enfants?

20 R: Oui.

21 Q: Combien d'enfants avez-vous?

22 R: Deux.

23 Q: En avril 1992, ils avaient quel âge?

24 R: Mon fils est né en 1971 et ma fille en 1973.

25 Q: Avant le début de la guerre à Foca, quel était votre métier?

Page 822

1 R: (expurgé).

2 Q: A quelle date a éclaté la guerre à Foca?

3 R: Le 8 avril 1992.

4 Q: Avant le 8 avril 1992, les gens de votre quartier ont-ils commencé à

5 prendre des mesures de protection en anticipant une sorte de conflit?

6 R: Il y a eu un certain nombre d'indices allant dans ce sens et en tant

7 que citoyen, j'ai entendu dire que l'on montait des gardes dans certaines

8 parties de la ville.

9 Q: Est-ce qu'il y avait une garde organisée au sein de votre immeuble

10 avant le 8 avril, une garde conjointe?

11 R: Avant le 8 avril, les gardes, les tours de garde n'étaient pas

12 organisés.

13 Q: Et quand est-ce que ces tours de gardes ont été organisés? C'était un

14 moment après le 8 avril?

15 R: Oui.

16 Q: Est-ce que vous vous souvenez de la date?

17 R: De toute façon c'était avant, de toute façon avant le 8. C'est-à-dire à

18 partir du 8 le conflit a éclaté et c'était donc entre le 8 et le 14 avril.

19 Q: Je souhaite vous poser une question concernant le jour où la guerre a

20 éclaté à Foca. Est-ce que vous êtes allé au travail ce jour-là, ce 8

21 avril?

22 R: Oui, comme d'habitude, je me suis rendu au travail, j'allais vers mon

23 poste de travail.

24 Q: (expurgé)

25 (expurgée)

Page 823

1 R: (expurgé)

2 (expurgée).

3 Q: (expurgé)

4 R: (expurgé)

5 (expurgée)

6 Q: (expurgé)

7 R: (expurgé)

8 Q: (expurgé)

9 (expurgée)

10 R: (expurgé)

11 Q: Le 8 avril 1992, combien de personnes sont venues travailler?

12 R: Seulement moi et Okica Simovic.

13 Q: Quelle est l'appartenance ethnique de votre collègue qui est venu

14 travailler ce jour-là?

15 R: Serbe.

16 Q: Est-ce que vous savez pourquoi les autres personnes n'y étaient pas?

17 R: A ce moment-là, je ne le savais pas.

18 Q: Est-ce qu'il s'est passé quoi que ce soit d'inhabituel à un moment

19 donné ce matin-là?

20 R: Eh bien, je peux dire qu'en allant au travail, j'ai remarqué quelque

21 chose d'étrange devant le bâtiment du tribunal, c'est juste devant mon

22 immeuble. Et puis en allant un peu plus loin, il s'agit de l'immeuble du

23 ministère de l'Intérieur et de la Municipalité. C'était l'heure à laquelle

24 les gens se rendaient au travail d'habitude, et j'ai remarqué un va-et-

25 vient.

Page 824

1 Q: (expurgé), est-ce qu'il s'est

2 passé quelque chose?

3 R: A ce moment-là rien ne s'était passé encore. Moi, je suis entré dans le

4 bâtiment normalement puisque j'avais la clef de la porte d'entrée. Nous

5 sommes entrés normalement à l'intérieur de l'immeuble et je n'ai rien

6 remarqué de particulier.

7 Q: Est-ce qu'à un certain moment de la matinée ce jour-là les coups de feu

8 ont éclaté?

9 R: Oui, ça a commencé vers 9 heures 30 ce matin-là. Il y a eu des tirs

10 puissants d'infanterie. Je ne suis pas moi-même militaire mais je pense

11 que ce sont des tirs d'infanterie qui ont commencé à éclater partout dans

12 la ville.

13 Q: Est-ce que vous avez été en mesure de voir ce qui se passait?

14 R: Malheureusement pas parce que dans ce quartier de la ville, devant la

15 place, on ne pouvait voir que des gens qui fuyaient, pris de panique.

16 Q: Et qu'est-ce que vous avez fait?

17 R: Eh bien, avec ce collègue avec qui j'étais parti travailler, nous avons

18 décidé qu'il n'était pas sage de rester sur place seuls. Nous avons décidé

19 de rentrer chez nous.

20 Q: Et comment êtes-vous rentrés chez vous?

21 R: A proximité de la caserne, il y a en fait la poste et puis derrière la

22 poste, il y avait nos habitations, nos immeubles d'habitation. Nous sommes

23 entrés dans l'un de ces immeubles et nous y avons trouvé 15 ou 20

24 personnes tout à fait prises de panique, dont certains policiers en

25 uniforme qui, je suppose, étaient de faction, de service.

Page 825

1 Q: Que faisaient-ils, ces policiers?

2 R: Ils pensaient simplement avoir pu trouver un refuge, là, dans cette

3 cage d'escalier dans l'entrée de cet immeuble.

4 Q: Et est-ce que vous êtes restés en compagnie de ces personnes dans cette

5 entrée d'immeuble?

6 R: Mais, peu de temps. En effet, nous voulions regagner nos foyers le plus

7 vite possible. Donc nous nous sommes décidés de courir, de prendre en

8 courant certaines rues latérales pour pouvoir rentrer chez nous le plus

9 vite possible.

10 Q: Et est-ce que vous avez réussi à le faire?

11 R: Oui, peut-être 10 ou 15 minutes plus tard parce que nous n'étions pas

12 très distants de ces immeubles mais nous étions vraiment très effrayés du

13 fait des coups de feu.

14 Q: Lorsque vous êtes rentré chez vous, est-ce que votre famille s'y

15 trouvait?

16 R: A ce moment-là, il n'y avait que mes enfants qui étaient présents à la

17 maison. Ma femme, elle, était aussi partie au travail en même temps que

18 moi.

19 Q: Et votre femme, elle est rentrée à un moment donné?

20 R: Elle est rentrée, je dirais, une heure après moi parce que son lieu de

21 travail était un peu plus éloigné que mon lieu de travail à moi.

22 Q: Et est-ce que les tirs se sont poursuivis?

23 R: Oui, les tirs continuaient. Elle est rentrée à la maison en voiture.

24 C'était une ou un collègue à elle qui l'avait ramenée à la maison en

25 voiture.

Page 826

1 Q: Et vous, à partir de ce moment-là, êtes-vous resté avec les membres de

2 votre famille?

3 R: Nous sommes surtout restés à la maison dans cet immeuble où nous

4 habitions.

5 Q: Et vous êtes cachés à un endroit particulier de cet immeuble?

6 R: Tous ensemble, nous avons essayé de trouver une cachette, un endroit où

7 nous pouvions nous cacher dans le sous-sol de l'immeuble.

8 Q: Et est-ce que parfois vous êtes remontés dans votre appartement?

9 R: Oui.

10 Q: Les habitants, les résidents de l'immeuble, de quelle appartenance

11 ethnique étaient-ils?

12 R: A ce moment-là, lorsque je suis revenu, il n'y avait que ma famille et

13 moi-même qui étions Musulmans. Le reste, les autres voisins étaient des

14 Serbes.

15 Q: Lorsque vous êtes remontés dans votre appartement, est-ce que vous avez

16 pu voir ce qui se passait à l'extérieur?

17 R: Mais bien sûr, nous avons bien sûr utilisé tous les moyens et tous les

18 moments possibles pour regarder et pour voir ce qui se passait à

19 l'extérieur, derrière les rideaux.

20 Q: Pouvez-vous nous dire ce que vous avez vu depuis ces fenêtres?

21 R: Rien d'autre que des personnes qui traversaient la rue en courant, des

22 personnes effrayées, des gens qui allaient d'un endroit à l'autre, des

23 parents, sans doute des proches qui pensaient que s'ils se rassemblaient,

24 ils seraient davantage en sécurité.

25 Q: Y avait-il déjà à ce moment-là des maisons en proie aux flammes?

Page 827

1 R: A ce moment-là, bien sûr, de tous les côtés on pouvoir voir que des

2 maisons étaient incendiées.

3 Q: Avez-vous reconnu des personnes qui auraient été les propriétaires de

4 ces maisons en flamme?

5 R: Je dois reconnaître que je ne connaissais pas toutes les personnes qui

6 habitaient dans mon quartier. Non, je ne pourrais pas vous donner le nom

7 de propriétaires de telles maisons.

8 Q: Et vous êtes restés cachés de la sorte pendant combien de jours, vous

9 et les membres de votre famille?

10 R: Cela a duré jusqu'au 23 avril 1992 parce que c'est alors que j'ai été

11 emmené, que j'ai dû quitter la maison.

12 Q: Avant le 23 avril, y a-t-il eu cessation des combats à Foca?

13 R: Les combats ont cessé de façon intermittente. Chaque fois qu'il n'y

14 avait pas de fortes détonations ou beaucoup de tirs, nous avons essayé de

15 sortir des immeubles pour nous retrouver devant ces immeubles et parler un

16 peu ensemble de ce qui se passait.

17 Q: N'avez-vous pas eu à un moment donné un cessez-le-feu un peu plus long?

18 R: Il y a eu des périodes où les hostilités duraient plus longtemps que

19 d'autres. On pourrait dire que pendant la journée, le cessez-le-feu était

20 plus long mais que c'est surtout la nuit qu'il y avait des tirs, des coups

21 de feu.

22 Q: Quelque chose s'est-il passé le 14 ou 15 avril 1992? Je parle des

23 combats.

24 R: Le 14 ainsi que 15 avril, concernant les combats, je n'ai rien de

25 particulier à dire.

Page 828

1 Q: Savez-vous à quel moment Foca est tombée?

2 R: C'est précisément à ce moment-là. Tout s'est passé très rapidement. En

3 l'espace de sept ou huit jours, du 8 au 14 ou 15 avril.

4 Q: Les 14 ou 15 avril, qui a pris le contrôle de la ville de Foca, quelle

5 est l'entité qui s'est emparée de la ville de Foca?

6 R: Je ne suis pas sûr. Je ne puis pas dire avec certitude si la totalité

7 de la ville avait déjà été prise ou occupée à ce moment-là, mais il est

8 certain que certains quartiers l'étaient déjà.

9 Q: Y a-t-il eu des annonces publiques? A-t-on dit aux habitants de la

10 ville ce qu'ils devaient faire à ce moment-là?

11 R: Lorsque l'on avait du courant électrique, on pouvait écouter la radio

12 de Foca. Il y avait des messages, des appels lancés aux citoyens pour

13 qu'ils aillent exécuter leurs activités de travail.

14 Q: Saviez-vous qui contrôlait radio Foca à l'époque?

15 R: Tout comme d'autres citoyens de la ville, j'ai mis à profit les moments

16 où il y avait des accalmies pour sortir. C'était peut-être faire la preuve

17 de trop de naïveté ou de bravoure, mais en tout cas, je suis allé au

18 centre-ville où se trouvait un bâtiment militaire qui abritait radio Foca.

19 Q: Lorsque vous vous êtes rendu à cet immeuble, qui selon vous et d'après

20 ce que vous avez pu constater, avait maintenant le contrôle de radio Foca?

21 R: Lorsque je me suis trouvé devant ce bâtiment, il y avait quelques

22 personnes en uniforme. A parler avec d'autres habitants, je me suis rendu

23 compte que ces hommes étaient des personne originaires d'ailleurs.

24 C'étaient des Serbes en fait.

25 Q: Radio Foca a-t-elle fait des commentaires s'agissant des rapports

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1 existant entre Musulmans et Serbes?

2 R: J'écoutais Radio Foca. A un moment donné, j'ai entendu parler celui qui

3 était alors ministre du gouvernement de Bosnie-Herzégovine, Vélibor

4 Ostojic qui a fait un discours d'environ 50 minutes. C'était en fait une

5 discours inspiré de la propagande; discours qui disait qu'il était

6 impossible pour les Serbes et les Musulmans de coexister, de cohabiter

7 davantage; qui disait qu'il n'y aurait plus d'amitié, de rapports de bon

8 voisinage, de bonnes relations. C'est resté gravé dans ma mémoire, et j'ai

9 trouvé ce discours des plus alarmants. Il l'aurait été pour toute personne

10 honnête.

11 Q: Quelles sont les institutions publiques de Foca qui se sont retrouvées

12 sous la coupe des Serbes à ce moment-là?

13 R: Je peux vous parler du Tribunal, je peux citer le bâtiment de la

14 mairie, le bâtiment du secrétariat des affaires intérieures, du SUP, et

15 aussi le bâtiment de la caserne des pompiers (expurgé), sans

16 oublier le bâtiment de l'ex-JNA où se trouvait la station radio.

17 Q: Vous dites qu'on a lancé des appels à la population pour que celle-ci

18 reprenne le travail. Vous êtes-vous retourné travailler, Monsieur?

19 R: J'ai essayé à deux ou trois reprises. J'ai essayé de regagner ce

20 bâtiment où je travaillais parce que j'avais le sentiment que je

21 travaillais dans une institution à vocation humaine. Vous savez il y avait

22 beaucoup d'incendies en ville et j'avais le sentiment que je devais être à

23 mon lieu de travail.

24 Q: La première fois que vous avez essayé de vous rendre à votre poste de

25 travail, que s'est-il passé?

Page 830

1 R: La première fois, j'y ai trouvé certaines personnes. Il y avait déjà eu

2 effraction dans cet immeuble. On avait cassé la vitre de la porte d'entrée

3 et cette même porte était elle-même abîmée. Un des anciens employés s'y

4 trouvait en compagnie de deux ou trois autres hommes. C'est ensemble que

5 nous sommes allés à l'étage supérieur de ce bâtiment. Nous nous sommes

6 rendus compte que la partie de l'immeuble qui avait été louée à quelqu'un

7 avait été en partie pillée et qu'il y avait eu aussi un cambriolage.

8 Q: Qui était cette personne locataire de cette partie-là de l'immeuble?

9 R: Il s'agissait de Nebojsa Krnojelac.

10 Q: Avez-vous constaté d'autres dégâts?

11 R: Sans doute je suis allé dans mon bureau et aussitôt j'ai réalisé qu'on

12 avait aussi pénétré par effraction par la porte d'entrée. On avait tiré

13 tout simplement pour ouvrir la porte. La serrure avait sauté et il y avait

14 des trous de balle dans le plafond. Le plafond était criblé de balles. On

15 avait aussi tiré sur le tableau représentant Tito, on avait beaucoup tiré

16 dans la pièce et les choses avaient été vraiment jetées de tous les côtés.

17 Q: Etes-vous resté sur votre lieu de travail ce jour-là?

18 R: Non, je me suis contenté d'examiner mon bureau qui était verrouillé et

19 rien n'avait disparu de mon bureau à ce moment-là. Après avoir fait le

20 point de la situation, je suis rentré chez moi.

21 Q: Est-ce que vous êtes retourné plus tard dans votre bureau?

22 R: Oui, un ou deux jours plus tard, j'ai essayé de retourner à mon bureau,

23 et un homme m'en a empêché à l'entrée même. C'était un Serbe, un homme

24 d'origine ethnique serbe. Il m'a dit que je n'avais pas le droit d'y

25 pénétrer.

Page 831

1 Q: Et est-ce que vous avez expliqué qui vous étiez et pourquoi vous

2 vouliez entrer dans ce bâtiment?

3 R: Cet homme me connaissait bien et j'ai essayé de discuter avec lui alors

4 que nous marchions, et nous avons d'ailleurs continué notre route jusqu'au

5 bâtiment et je lui ai dit: "Mais tu sais que je travaille ici depuis de

6 nombreuses années. Je veux simplement entrer dans le bâtiment." Il a

7 refusé.

8 Q: Etait-il habillé en civil ou en uniforme?

9 R: Il était en vêtements civils, mais l'autre qui se trouvait à

10 l'intérieur... En fait là, il y en avait deux ou trois que je connaissais

11 assez bien. Il y en avait un qui sans nul doute était en uniforme

12 militaire. Devant le bâtiment, il y avait aussi un véhicule militaire

13 qu'on appelle Pitskava.

14 Q: Est-ce qu'on vous a expliqué pourquoi il était impossible pour vous de

15 pénétrer dans ce bâtiment?

16 R: L'un d'entre eux s'appelait Milic Milos et il essayait de demander si

17 je pouvais faire quoi que ce soit pour donner un coup de main, mais il m'a

18 écarté avec brutalité et m'a dit: "Fous le camp, sinon j'appelle la police

19 militaire pour qu'on te mette en prison."

20 Q: Et ceux qui étaient habillés en uniforme, est-ce que c'étaient des

21 Serbes ou des Musulmans?

22 R: A ce moment-là, tous ceux qui se trouvaient sur place étaient des

23 Serbes.

24 Q: Est-ce que votre femme a essayé de se rendre au travail?

25 R: Oui, oui elle a essayé de se présenter au travail. Elle a été

Page 832

1 persévérante, elle est retournée sur les lieux, elle a téléphoné, mais

2 chaque fois on lui a dit d'attendre encore un peu.

3 Q: Et est-ce que vous ou votre épouse vous avez réussi à retourner au

4 travail à un moment donné?

5 Q: Non, cela n'a pas été le cas de ma femme. Moi, j'ai été encore naïf,

6 j'ai essayé une troisième fois. J'ai longé le bâtiment et je suis allé

7 vers la vieille ville.

8 Q: Et que s'est-il passé cette troisième fois?

9 R: Dans la partie que l'on appelle Sat Kula un homme est venu vers moi. Il

10 était en uniforme, il avait une arme, un fusil. Il m'a arrêté et m'a dit

11 que je devais le suivre. Je suis reparti vers la place. J'étais effrayé,

12 et là son supérieur m'attendait. Ce supérieur était en uniforme de

13 camouflage, il était barbu et il avait une mitraillette. Excusez-moi,

14 Madame, je dois préciser qu'à ce moment-là, ma femme m'accompagnait.

15 Q: Cet homme que vous a-t-il dit?

16 R: Cet homme m'a dit, dès qu'il m'a vu: "Je dois vous arrêter".

17 Q: Et est-ce qu'il vous a arrêté?

18 R: "Est-ce que je peux savoir pourquoi vous voulez m'arrêter?", ai-je

19 demandé. Il a attendu quelques instants, m'a regardé et m'a dit: "Tu peux

20 rentrer chez toi."

21 Q: Vous souvenez-vous de la date?

22 R: Le 22 avril 1992.

23 Q: En fait, avez-vous été arrêté plus tard?

24 R: Non, non je suis rentré chez moi et j'ai passé cette journée dans un

25 état de fébrilité, de peur. Mais le lendemain, le 23 avril, vers 9 heures

Page 833

1 30 du matin, en présence de mon fils et de ma fille, ma femme étant

2 absente parce qu'elle était allée en ville pour chercher un peu de

3 marchandises, c'est à ce moment-là que j'ai été arrêté.

4 Q: Je vais vous poser quelques questions concernant votre arrestation dans

5 un instant. Mais auparavant dites-moi ceci. Lorsque vous pouviez encore

6 vous déplacer dans Foca, avez-vous pu constater les dégâts causés aux

7 alentours et avez-vous pu voir ce qui était en train de se passer?

8 R: Je n'ai réussi à franchir la vieille ville qu'une fois, alors que tout

9 avait déjà été incendié, détruit. Je me déplaçais dans la peur, et sans

10 m'en rendre compte, je suis descendu jusqu'à la place du marché, puis je

11 suis arrivé à ce bâtiment militaire et je suis rentré chez moi. Tout était

12 dans un état terrible.

13 Q: Quand vous parlez de la vieille ville, comment appelle-t-on ce

14 quartier?

15 R: Stara Carsija.

16 Q: Etaient-ce surtout des Serbes ou des Musulmans qui habitaient ce

17 quartier?

18 R: Je pense que là où il y avait des artisans, c'étaient surtout des

19 Musulmans, mais il y avait aussi des commerces où travaillaient des

20 Serbes.

21 Q: Avez-vous vu des gens en train d'incendier des maisons?

22 R: Au moment où il y avait des coups de feu, on voyait que l'on ciblait

23 plus particulièrement les maisons de certaines personnes. Par exemple, à

24 Prijeka Carsija, à Stara Carsija,, dans ces quartiers, il y avait une

25 personne, un artisan et on a vu que l'on visait sa maison avec des balles

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1 incendiaires, et finalement la maison a pris feu. Comme tous ces

2 bâtiments, toutes ces maisons étaient adjacentes, le feu a pris dans les

3 autres maisons.

4 Q: Vous avez dit que la maison de cet artisan avait été tout

5 particulièrement ciblée. Etait-il Serbe ou Musulman?

6 R: Musulman.

7 Q: Avez-vous vu si des gens essayaient d'éteindre ces incendies?

8 R: Moi, (expurgé), mais je n'y avais pas accès et

9 donc personne d'autre ne pouvait le faire non plus.

10 Q: Avez-vous vu la maison de Sukovac en feu?

11 R: Oui.

12 Q: Et savez-vous comment le feu a été mis à cette maison?

13 R: On voyait bien qu'il y avait des personnes qui déambulaient, qui se

14 déplaçaient, qui s'approchaient de certaines maisons. Puis tout à coup, il

15 y avait des flammes quelque part et ces flammes s'étendaient à la totalité

16 de la maison.

17 Q: Vous parlez de "certaines personnes". Ces "certaines personnes"

18 portaient-elles des signes distinctifs ou en auriez-vous reconnu l'une ou

19 l'autre?

20 R: Non, parce que j'étais trop loin des lieux. Je n'ai pas pu reconnaître

21 ces gens mais ces gens portaient quelque chose sur le dos. Sans doute

22 transportaient-ils du matériel liquide incendiaire qui permettait de

23 mettre le feu aux maisons.

24 Q: Est-ce que vous avez pu déterminer si c'étaient des maisons où

25 habitaient des Musulmans ou des Serbes?

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1 R: Dans les immeubles résidentiels, vous aviez une population mixte,

2 Musulmans, Serbes et autres.

3 Q: Vous parliez de Sukovac. Est-ce surtout un quartier musulman, un

4 quartier plutôt serbe ou mixte?

5 R: On peut dire que c'était un quartier surtout musulman.

6 Q: Au cours de cette même période, avez-vous vu des personnes qui étaient

7 placées en état d'arrestation, par exemple vos voisins?

8 R: A Ribarsko, dans ce quartier, on l'a vu. C'était juste à côté de

9 l'immeuble où j'habitais. On voyait des personnes en uniforme qui se

10 déplaçaient. Surtout là où se trouve l'immeuble Ribarsko où il y avait une

11 forte concentration de personnes.

12 Q: Avez-vous vu de quelle façon on avait procédé à l'arrestation de ces

13 personnes?

14 R: Oui.

15 Q: Qui procédait à ces arrestations?

16 R: Des hommes en uniforme de camouflage. Mais il y avait aussi des civils

17 parmi eux.

18 Q: Qui arrêtait-on?

19 R: Vous me demandez quelle était l'appartenance ethnique des personnes que

20 l'on arrêtait?

21 Q: Oui, commençons par là. De quelle appartenance ethnique étaient les

22 personnes que l'on arrêtait?

23 R: C'étaient surtout des Musulmans.

24 Q: Les Ppersonnes que l'on arrêtait étaient-elles des civils ou des

25 personnes en vêtements militaires?

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1 R: En gros, des civils.

2 Q: Vous dites en gros principalement. Vous voulez dire que l'on arrêtait

3 aussi des gens qui portaient l'uniforme ou vous voulez dire que tous ceux

4 que l'on a arrêtés et que vous avez vus étaient des civils?

5 R: Il vaut mieux formuler les choses en disant que c'étaient tous des

6 civils. C'est plus clair.

7 Q: Arrêtait-on des femmes ou des hommes?

8 R: Uniquement des hommes.

9 Q: Pouviez-vous avoir une idée de l'âge de ces hommes, qui aurait pu être

10 le plus jeune et quel âge avait le plus âgé?

11 R: Il y avait des deux.

12 Q: Madame et Messieurs les juges, nous arrivons aux termes de la journée.

13 Je crois que nous pourrions poursuivre l'interrogatoire demain.

14 M. le Président (interprétation): Que pouvez-vous nous dire à propos des

15 documents qui nous ont été remis qui concernent le témoin 66? Apparemment,

16 il s'agit d'un journal intime. Ceci sera-t-il versé au dossier ou cela

17 fait-il office de déclaration dont nous avons parlé?

18 Mme Kuo (interprétation): C'est Bill Smith qui s'occupe du Témoin 66. Je

19 pense que ce sont des documents qui ont été préparés par le témoin lui-

20 même, mais je ne suis pas tout à fait sûr.

21 M. le Président (interprétation): En ce qui me concerne, je ne lis jamais

22 les déclarations du Bureau du Procureur parce qu'elles ne sont pas encore

23 versées au dossier. Je ne les lis qu'après versement au dossier. Je ne

24 veux pas lire ceci si ceci ne va pas être versé au dossier. Ce n'est pas

25 pour le compte rendu d'audience du procès Krnojelac?

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1 Mme Kuo (interprétation): Ce sont plutôt des documents que nous vous

2 soumettons pour vous aider à mieux saisir le contexte.

3 M. le Président (interprétation): C'est très bien. L'audience est levée.

4 Elle reprendra demain à 9 heures 30.

5 (L'audience est levée à 16 heures.)

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