Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Jeudi 19 juillet 2001)

2 (L'audience est ouverte à 9 heures 30.)

3 (Audience publique.)

4 M. le Président (interprétation): Veuillez annoncer l'affaire.

5 Mme Chen (interprétation): Il s'agit de l'affaire IT-97-25-T, le Procureur

6 contre Milorad Krnojelac.

7 M. le Président (interprétation): Avant de commencer l'audience, Maître

8 Bakrac, j'aimerais vous demander si vous avez reçu le message que nous

9 vous avons communiqué, à savoir que vous ne pouvez pas déposer toutes vos

10 écritures de façon confidentielle.

11 M. Bakrac (interprétation): Oui, Monsieur le Président, Madame et Monsieur

12 les Juges. Si ceci suffit pour le dossier d'audience, de façon à ne pas

13 déposer des écritures séparées, je pourrais vous suggérer d'enlever

14 simplement la mention "confidentiel".

15 M. le Président (interprétation): Vous voudriez que ceci demeure

16 confidentiel? Je n'ai vu le nom d'aucun de vos témoins qui a déposé de

17 façon confidentielle, mais est-ce que vous avez vérifié ce qu'il en est?

18 M. Bakrac (interprétation): Oui, Monsieur le Président. Nous avons

19 commencé par fournir des informations confidentielles à la première page.

20 Nous l'avons gardé sous le sceau du secret pour être plus sûrs, mais à la

21 fin nous avons manqué de temps. Puis nous avons fait des vérifications,

22 nous avons constaté qu'il n'y avait rien de véritablement confidentiel,

23 c'est la raison pour laquelle ici, à l'audience, nous proposons que soit

24 enlevée la mention "confidentiel" de notre mémoire.

25 J'espère que ceci suffira. Je m'excuse, Monsieur le Président.

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1 M. le Président (interprétation): Ceci suffit tout à fait. Je vous

2 remercie.

3 Qui allait commencer le réquisitoire? Madame Kuo?

4 (Réquisitoire de Mme Kuo.)

5 Mme Kuo (interprétation): Bonjour, Madame et Messieurs les Juges.

6 Au cours des huit mois et demi qu'a duré ce procès, vous savez qu'il a

7 porté sur beaucoup de choses, mais aujourd'hui il ne concerne qu'un seul

8 élément, à savoir l'accusé Krnojelac et les souffrances qu'il a infligées.

9 Je vais m'attacher surtout à parler du rôle de l'accusé alors que ma

10 consoeur, Mme Uertz-Retzlaff, s'attachera à parler des crimes qu'il a

11 commis et de la peine qu'il mérite pour ceci.

12 L'accusé était directeur du KP Dom de Foca au moment crucial où les forces

13 militaires et civiles serbes se sont emparées de la ville. Ceci s'est

14 passé à partir du mois d'avril 1992 et a duré jusqu'à l'été 1993.

15 Avec la participation de l'accusé, Foca est devenue une ville absolument

16 serbe et elle l'est restée, d'ailleurs, jusqu'à ce jour. Il était

17 responsable d'un des plus grands camps prisons qu'il y ait eu dans l'est

18 de la Bosnie-Herzégovine. C'est dans ce camp qu'au moins 900 Musulmans,

19 des non-Serbes surtout, mais surtout des Musulmans et des hommes en

20 premier lieu, ont dû franchir le portail de ce pénitencier pour y rester

21 un jour ou deux ans et demi.

22 Les souffrances qu'il a infligées étaient énormes. Il est incontesté que

23 l'accusé était directeur par intérim du KP Dom à partir du 18 avril 1992,

24 après la prise de pouvoir par les Serbes suite à des combats qui ont duré

25 une semaine. L'affectation était une affectation de guerre décidée par le

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1 ministère de la Défense. A ce moment-là, tout le monde recevait une telle

2 affectation pour devenir soit cuisinier, chauffeur, infirmier ou

3 enseignant.

4 C'était la guerre et même si les Serbes avaient fermement assis leur

5 pouvoir à Foca, les combats se sont poursuivis dans les villes et villages

6 environnants. Certains sont tombés, ont été libérés dans les mois qui ont

7 suivi en fonction du point de vue d'où on se place.

8 L'accusé affirme qu'il a accepté cette affectation à contre-cœur mais les

9 éléments de preuve prouvent le contraire. On l'a vu, des témoins l'ont vu

10 dans la ville de Foca avant la guerre, côtoyant les hommes politiques en

11 vue. Foca est une petite ville, de telles choses ne passent pas

12 inaperçues. Alors qu'il affirme être un humble professeur, un simple

13 enseignant, qu'il ne s'occupait que de ses affaires, l'accusé n'a pas pu

14 s'empêcher de céder à la vantardise lorsqu'on lui a posé une question ici,

15 à l'audience, à propos des membres de la cellule de crise. Il les connaît

16 tous, il les connaissait pratiquement tous, ces hommes qui ont dirigé Foca

17 pendant la guerre. Il savait où ils étaient nés, où ils habitaient, il

18 savait ce qu'ils faisaient.

19 Politiquement parlant, cet homme n'est pas aussi naïf qu'il voudrait vous

20 le faire croire. Au fond, l'accusé c'était un homme qui avait le sentiment

21 que la vie avait une dette envers lui, qu'une chance s'offrait à lui de

22 recevoir ce que la vie ne lui avait pas offert auparavant. Le directeur

23 précédent était devenu maire de Foca, le directeur avait des réunions avec

24 le ministre de la Justice, le directeur avait une situation de pouvoir par

25 rapport aux citoyens en vue de Foca qui venaient le voir, le supplier

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1 humblement pour obtenir un peu de nourriture, de la chaleur, l'occasion de

2 voir leur famille au sein du camp prison. Les rapports sociaux avait été

3 inversés, renversés. RJ, un bon ami à lui, un ancien collègue de l'accusé,

4 n'a pas pu s'empêcher de rire lorsqu'on lui a demandé si lui et l'accusé

5 étaient égaux, sur un même pied d'égalité au KP Dom. Il a répondu: "Mais

6 comment est-ce que cela aurait été possible? Lui, c'était le directeur et

7 moi j'étais prisonnier".

8 En tant que directeur, l'accusé pouvait aussi décider qui, parmi les

9 membres du personnel, allait être dépêché sur le front ou qui resterait

10 alors que lui, il a pu échapper au danger des combats réels qu'il y avait.

11 Cela, c'est symbolique du pouvoir et c'est le pouvoir, un pouvoir qu'il a

12 exercé de façon tout à fait délibérée.

13 Est-ce qu'il a souffert, est-ce qu'il a eu des remords de conscience

14 lorsqu'il a vu ses voisins musulmans incarcérés au KP Dom sans avoir

15 commis de crimes? Est-ce qu'il était vraiment désolé lorsqu'il a vu son

16 propre médecin enfermé dans des conditions incroyables, lorsqu'il a vu

17 d'anciens directeurs d'entreprise réduits à essayer de prendre des déchets

18 pour manger dans des poubelles? Il affirme que ce n'est pas le cas,

19 pourtant ses actions trahissent, dévoilent sa véritable attitude. Et s'il

20 a parfois eu des moments de pitié, ceux-ci ont été oblitérés par son

21 propre désir de pouvoir et de promotion.

22 Je vais vous donner tout de suite un exemple très parlant qui provient du

23 témoignage que vous a fait un des détenus. Il vous a parlé de façon tout à

24 fait humaine, ce détenu, sans essayer de noircir le tableau qu'il dressait

25 de l'accusé. Un jour, Muhamed Lisica travaillait, il découpait des

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1 planches. A ce moment-là, l'accusé est passé près de lui; M. Lisica a dit

2 à l'accusé: "Ecoutez, j'ai faim, nous n'avons pas assez à manger, donnez-

3 nous un peu plus de nourriture". L'accusé lui a effectivement apporté deux

4 tranches de pain. Il a dit que l'une, c'était lui qui la donnait et que

5 l'autre provenait du commandement. C'était un simple geste, un petit

6 incident banal, pourtant l'accusé a nié avoir eu ce geste de charité. Il

7 était obligé de nier parce que sinon il aurait dû admettre la souffrance

8 des détenus, qu'il était au courant. S'il admettait cela, cela revenait à

9 admettre qu'il était coupable des crimes qui lui sont reprochés. C'est une

10 honte! Il est honteux de voir que l'on sacrifie de cette façon la vérité

11 pour un mensonge.

12 Quel est ce mensonge? L'accusé affirme qu'il n'a aucunement participé aux

13 crimes qui se sont produits sous ses yeux. Il dit qu'il a essayé de faire

14 la différence, une différence précise entre ses propres actes et ceux

15 ordonnés par un commandement militaire sans visage. Mais cette attitude

16 présente bien des failles parce qu'elle ne traduit pas la réalité.

17 L'accusé affirme que ce sont les autres qui sont coupables et pas lui,

18 mais cet argument ne tient pas la route. Il est vrai que nombreux sont

19 ceux qui ont commis des crimes à Foca ou au KP Dom, mais il est tout aussi

20 vrai que l'accusé n'était pas le stratège absolu qui était à l'origine de

21 cette politique de terreur ethnique. Cependant, tout le monde a joué son

22 rôle, avait un rôle à jouer et lui, l'accusé, a joué le sien d'une façon

23 exceptionnellement correcte.

24 Avant la guerre, le KP Dom était une institution civile. Pendant la

25 guerre, beaucoup de ses détenus ont été libérés et ce sont les dirigeants

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1 du SDS à Foca qui ont décidé de transformer cet établissement en camp

2 prison.

3 L'accusé, c'était l'homme qu'il fallait pour le poste qu'il fallait au

4 moment où il fallait. Le SDS devait veiller à ce que toutes les

5 institutions se conforment à la politique nationaliste et extrémiste qui

6 était la leur et l'accusé s'y est prêté de plein gré. Les Musulmans et les

7 non-Serbes avaient déjà fait l'objet de rafles, avaient été emmenés dans

8 les entrepôts de Livade qui ne se prêtaient pas à une détention, à ce que

9 voulaient les autorités municipales. L'accusé était donc en place en tant

10 que directeur temporaire et c'est à ce moment-là que les arrestations

11 massives ont commencé, arrestations massives de Musulmans.

12 Lorsque l'accusé est arrivé au KP Dom, les militaires avaient déjà

13 commencé à détenir quelques Musulmans; l'accusé admet les avoir vus mais

14 il savait aussi qu'ils avaient été rassemblés et arrêtés uniquement parce

15 que c'étaient des Musulmans. Il essaie d'affirmer qu'il ne voulait pas

16 être là, que lui aussi était "un prisonnier". Mais c'est insensé! Il est

17 insultant de dire une telle chose pour ceux qui ont été véritablement

18 détenus à cause de lui. Il est honteux de faire une telle comparaison.

19 L'accusé aurait pu refuser ce poste, il aurait pu accepter un poste

20 inférieur comme l'a fait Slavica Prodonovic, un juge et avocat en vue qui

21 a fini par être un simple garde, se refuser à exécuter ses tâches parce

22 qu'il était bien forcé de le faire. Il aurait pu prendre la fuite aussi,

23 comme l'a fait le médecin que tout le monde a mentionné, qui en a eu assez

24 des excès et des exactions dont il a été témoin et qui ne voulait pas y

25 participer. Veselin Cancar, lui-aussi, a eu l'occasion de se voir offrir

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1 ce poste, il l'a refusé, il est devenu simple intendant sur le front.

2 Manifestement, il y avait donc une solution de rechange et ce n'était pas

3 nécessairement la poursuite, l'emprisonnement. Au pire, il aurait pu

4 refuser et s'il avait refusé, il aurait simplement été démis ou affecté à

5 un poste inférieur, ce qu'il n'aurait pas accepté.

6 Ma collègue va vous parler davantage des horreurs vécues par les détenus

7 du KP Dom. Moi, je dirai simplement que l'accusé savait parfaitement ce

8 qui se passait, a participé à toutes ces exactions; c'était son travail

9 qu'il a exécuté de façon tout à fait exceptionnelle. Son travail était

10 tellement bien fait que le ministère de la Justice lui a offert un poste

11 permanent lorsqu'il a décidé de s'organiser et de prendre des décisions à

12 propos des établissements pénitentiaires qui se tenaient dans la

13 République serbe. Ceci s'est passé le 17 juillet 92, ce n'est pas

14 contesté. Cela veut dire, comme le prouve la pièce à conviction P3, qu'il

15 a été désigné à ce poste par le ministère de la Justice et que l'accusé se

16 trouvait en fait sous les auspices du ministère de la Défense.

17 Même après que le KP Dom soit devenu en partie un institut remis aux

18 forces militaires qui pouvaient ainsi les utiliser le 10 mai 1992,

19 l'emploi qu'occupait l'accusé restait exactement le même. Les accusés, les

20 condamnés et les détenus militaires venaient de différents endroits. Mais

21 quand ils étaient au KP Dom, ils se trouvaient tous sous l'autorité de

22 l'accusé. L'accusé a dit, à propos des vêtements qu'on portait à l'époque,

23 que tout était un peu mélangé, qu'on pouvait avoir une chemise militaire

24 avec un pantalon civil ou l'inverse. C'était la guerre. C'était vrai pour

25 pratiquement toutes les institutions qui fonctionnaient à l'époque.

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1 L'élément militaire était aussi mélangé avec l'élément civil. Le

2 commandant du SDS, lui-aussi, était commandant de guerre. Le président du

3 comité exécutif de Foca était aussi membre de la cellule de crise. Les

4 militaires devaient être informés des emplois civils de façon à pouvoir

5 trouver un emploi pour quelqu'un si ceci s'avérait nécessaire.

6 Donc il fallait que tout se fasse de façon très imbriquée puisqu'on était

7 toujours en période de guerre et que les Musulmans étaient considérés

8 comme l'ennemi.

9 Au cours des premiers jours de fonctionnement du KP Dom, les locaux ont dû

10 être examinés pour voir si on pouvait y installer des détenus. Et même

11 l'accusé, lors de sa déposition, a dit que comme il n'avait pas

12 d'expérience en la matière, ce sont d'autres qui lui ont donné un coup de

13 main, et que ce sont eux qui ont fait l'essentiel du travail. Il a affirmé

14 qu'il n'avait pratiquement rien à faire quand on lui a posé des questions

15 à propos de détails: qu'est-ce qu'il avait encore à faire? Eh bien, il a

16 dit qu'il devait s'occuper du fonctionnement des parties économiques. Il y

17 avait le chef de l'atelier métallique, ce chef s'appelait Relja Goljanin;

18 il y avait le chef de la ferme, Novica Mojovic. L'accusé admet que ce sont

19 ces deux personnes qui dirigeaient ces deux sections. Lui ne s'en occupait

20 pas, il n'était même pas au courant des mesures de sécurité qui étaient

21 prises. Il ne connaissait pas les détails, a-t-il affirmé. Alors, qu'est-

22 ce qui lui restait à faire?

23 Eh bien, il devait s'occuper peut-être des prisonniers serbes. Mais

24 combien y en avait-il? Vingt-cinq. Pratiquement tous ces prisonniers serbes

25 étaient à la ferme où c'était Mojovic qui s'occupait d'eux. Par

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1 conséquent, qu'avait-il à faire pendant tout ce temps? La réponse est

2 évidente: c'est lui qui dirigeait la totalité du KP Dom dont les gardes,

3 dont les détenus musulmans. Les gardes le savaient bien, c'est une

4 information qu'ils ont relayée aux détenus.

5 Est-ce que tout ceci était un simple jeu? Est-ce que l'on faisait semblant

6 afin de semer le trouble dans l'esprit des détenus? Est-ce que l'on

7 essayait de protéger ceux qui détenaient véritablement le pouvoir? La

8 réponse est non. Ce type de spéculation n'a aucun sens, c'est une simple

9 fabrication momentanée de l'esprit de l'accusé qui a essayé ainsi de

10 minimiser ses responsabilités.

11 Voyons les éléments de preuve qui ont été soumis au cours de ce procès.

12 Chaque fois qu'un détenu voulait se plaindre des conditions de vie, c'est

13 un garde qui l'amenait voir l'accusé. Pourquoi? Parce que c'était l'accusé

14 qui était l'homme qui détenait le poste de responsabilité, tout le monde

15 le savait. A ce moment-là, souvent -et c'est vrai-, il a dit aux détenus

16 qu'il était impossible de faire quoi que ce soit pour eux. Mais est-ce que

17 c'était la vérité qu'il disait ou simplement un mensonge pour conserver

18 son poste à lui? Quelquefois, il a dit aux détenus qu'il allait voir ce

19 qu'il pouvait faire, mais jamais rien n'a été modifié dans les conditions

20 de vie qui prévalaient, il n'a jamais relayé ces plaintes au commandement

21 militaire.

22 En Amérique, aux Etats-Unis, il y a une expression qui dit: "Voilà, il

23 faut bien voir qui est responsable à un moment donné". Et c'est vrai qu'il

24 faut voir qui est responsable, notamment des conditions de vie au KP Dom.

25 Eh bien, là, le responsable, c'était l'accusé.

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1 Pour ce qui est de la libération des détenus, l'accusation n'affirme pas

2 que le directeur, l'accusé ait eu pleins pouvoirs en matière de libération

3 de ces détenus. C'est bien connu, même dans une prison normale le

4 directeur ne dispose pas de toutes les latitudes imaginables par rapport

5 aux détenus en matière de libération. Mais le directeur a pour obligation

6 de s'occuper du bien-être des prisonniers pendant qu'ils sont détenus dans

7 son établissement. Il faut qu'il veille à ce qu'ils reçoivent des soins,

8 qu'ils soient bien entretenus, que ces détenus puissent purger leur peine

9 telle qu'imposée par les tribunaux et qu'ils soient libérés, qu'ils ne

10 courent aucun risque lorsqu'ils arrivent à la fin, au terme de cette

11 peine.

12 Les détenus musulmans n'ont eu aucune de ces protections pendant que

13 l'accusé était directeur, alors que les prisonniers serbes et les Serbes

14 qui avaient violé le règlement militaire, eux, étaient protégés.

15 L'accusé savait que les détenus musulmans étaient amenés au KP Dom pour

16 des durées indéterminées et qu'on les utilisait pendant leur détention à

17 toutes sortes de fins, militaires ou civiles, selon ce que voulaient les

18 autorités. Des soldats étaient autorisés à entrer pour se livrer à des

19 actes d'agression envers les détenus, pour se venger d'anciens voisins,

20 pour régler de vieux comptes, pour se battre ou se venger des pertes

21 subies sur le champs de bataille.

22 Ceci m'amène au point suivant: les passages à tabac et les meurtres. Les

23 éléments de preuve apportés corroborent l'affirmation selon laquelle des

24 personnes extérieures au KP Dom pouvaient y entrer pour y passer à tabac

25 et tuer des détenus. Cependant, ils le faisaient avec la coopération des

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1 gardes qui étaient les seuls à avoir accès aux lieux où étaient détenus

2 les prisonniers. Comment, sinon, les étrangers au camp auraient-ils pu se

3 livrer à de tels actes sur les détenus? Les gardes ne pouvaient pas agir

4 de leur propre chef puisqu'ils travaillaient en équipe, qu'il y avait des

5 procédures en place, puisque des listes étaient amenées et données aux

6 gardes de permanence. Le commandant des gardes était responsable.

7 Et puis, si l'on passe à un cran supérieur de la chaîne hiérarchique, on a

8 le directeur lui-même, et là, c'est l'accusée. Le fait de participer à

9 tous ces crimes, que ce soit en commandant...

10 M. Bakrac (interprétation): Excusez-moi de vous interrompre, Madame Kuo,

11 mais nous n'avons pas reçu d'interprétation pendant deux minutes.

12 M. le Président (interprétation): Est-ce que la cabine peut régler ce

13 problème?

14 (L'interprète de la cabine BCS indique qu'il y a un problème avec l'un des

15 micros.)

16 Quels sont les derniers propos que vous avez entendus? J'espère que vous

17 pouvez reprendre ce qu'il y a sur l'écran. Si vous ne pouvez pas reprendre

18 le fil de l'interprétation, je vous en ferai lecture.

19 M. Bakrac (interprétation): Nous allons lire ceci. Je m'excuse d'avoir

20 interrompu Mme Kuo mais c'était indispensable. Maintenant, elle peut

21 poursuivre et reprendre là où je l'ai interrompue.

22 M. le Président (interprétation): Est-ce que vous recevez maintenant

23 l'interprétation en BCS?

24 M. Bakrac (interprétation): Oui.

25 M. le Président (interprétation): Poursuivez, Madame Kuo.

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1 Mme Kuo (interprétation): L'accusé affirme qu'il était innocent parce que

2 d'autres comme Mitar Rasevic, le commandant du camp, et Savo Todovic le

3 directeur adjoint officieux étaient, selon lui, les responsables.

4 Cependant, quand on voit l'Article 7(3) du Statut, on comprend clairement

5 ce qu'il dit, à savoir je cite: "le fait que l'un quelconque des actes

6 auxquels il est fait référence dans le Statut a été commis par un

7 subordonné, n'exonère pas son supérieur de la responsabilité pénale, si ce

8 supérieur savait ou avait des raisons de savoir que ces actes allaient

9 être commis, qu'il n'a rien fait pour en empêcher la commission ni en

10 punir les auteurs".

11 Rasevic ainsi que Todovic étaient des subordonnés de l'accusé; nous le

12 savons, étant donné la structure qui prévalait dans le KP Dom avant la

13 guerre où vous aviez le commandant des gardes qui était le subordonné du

14 directeur. Et ceci, cette structure est demeurée pendant la guerre.

15 Pour ce qui est de Todovic, l'accusé lui-même vous a donné la meilleure

16 preuve possible de ce que Todovic était son subordonné. Vers la fin de sa

17 déposition, l'accusé a essayé de se blanchir de toute responsabilité parce

18 qu'il était confronté à des documents particulièrement compromettants. Il

19 a affirmé, pour ce faire, que c'était Todovic qui les avait probablement

20 préparés. Et qu'en tout cas, c'était Todovic qui les lui avait amenés, ces

21 documents, pour qu'il les signe.

22 Alors, posez-vous cette question, Madame et Messieurs les Juges: est-ce

23 que ce n'est pas la preuve patente d'un rapport supérieur / subordonné?

24 Vous avez le subordonné qui prépare un document que lui-même n'a pas le

25 pouvoir ni l'autorisation de signer, mais qu'il doit apporter à son

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1 supérieur pour que ce dernier le signe. C'est donc ce supérieur qui a

2 l'autorité. C'est logique, c'est le bon sens qui parle, c'est la vérité et

3 la réalité.

4 L'accusé a précisé que Todovic ne s'était pas contenté de faire cela une

5 fois, mais deux fois: en juin 1990 et de nouveau en novembre 1992. Et

6 ceci, nous affirmons, est la preuve patente et concluante de la véritable

7 nature du rapport qui existait entre eux.

8 Todovic, selon l'accusé, était responsable de la partie militaire. Mais

9 ceci est tout à fait contredit par la teneur même de ces deux documents

10 dont j'ai parlé, puisqu'ils ont trait à des affaires militaires.

11 Le premier est une demande de pouvoir poser des mines antipersonnelles,

12 une autre concernant l'échange d'armes, et la liste de tous les hommes qui

13 travaillaient au KP Dom et qui étaient susceptibles de faire leur service

14 militaire.

15 Alors demandez-vous ceci: pourquoi Todovic avait-il besoin de la signature

16 de l'accusé s'il était censé lui-même être responsable de la partie

17 militaire? La réponse est claire: ce n'était pas Todovic qui était

18 responsable de la partie militaire, c'était l'accusé. Et l'accusé avait la

19 responsabilité de la totalité du KP Dom, de toutes ses parties

20 constituantes, y compris la partie militaire. C'est lui qui avait la

21 responsabilité de tout le KP Dom. Todovic n'était qu'un subordonné.

22 Alors, toutes ces choses qui pouvaient être attribuées à Todovic, en fait,

23 c'est l'accusé qui en avait la responsabilité. Il était responsable de

24 l'organisation des équipes de travail, des décisions à prendre en matière

25 de punition ou de châtiment, du fait de dresser des listes d'échanges, de

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1 permettre les passages à tabac et même les meurtres qui ont été commis sur

2 les lieux mêmes du KP Dom, des décisions prises au quotidien et qui ont

3 rendu la vie des détenus si misérable. Tout ceci pouvait être attribué à

4 l'accusé en raison de la relation du rapport supérieur / subordonné qui

5 existait, de la connaissance qu'avait l'accusé de ce qui se passait et du

6 fait qu'il n'a rien fait pour empêcher ces faits.

7 Les détenus eux-mêmes, bien sûr, n'avaient qu'une vision limitée de la

8 structure du KP Dom. Beaucoup ont vu dans Todovic l'image même et le

9 visage même de l'autorité, puisqu'ils avaient des contacts directs avec

10 lui davantage au quotidien. Mais ceci ne fait que refléter la nature

11 limitée de la situation. Ce n'est pas là une absence de volonté de

12 découvrir la vérité de leur part.

13 Toutes ces informations, toutes les informations qu'il pouvait y avoir au

14 KP Dom, elles valaient de l'or. Les détenus essayaient de les accumuler du

15 mieux qu'ils pouvaient, pour leur survie et la survie de l'espoir chez

16 eux. Il fallait qu'ils voient, qu'ils écoutent, qu'ils posent des

17 questions, qu'ils essayent. Ils ont essayé de découvrir ce qui se passait,

18 ils ont essayé de savoir quels étaient ceux qui détenaient le pouvoir au

19 KP Dom. L'accusé et les témoins à décharge appelés à la barre ont aidé la

20 Chambre de première instance à combler les vides qui existaient pour ce

21 qui est de la détermination de la structure du pouvoir au KP Dom.

22 Et c'est vrai, quand on tient compte aussi des tentatives entreprises pour

23 protéger l'accusé, l'accusé essaye de blâmer le commandement militaire. Il

24 dit que c'est le commandement militaire qui avait vraiment la

25 responsabilité. Or, rappelez-vous, les militaires eux-mêmes faisaient

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1 preuve de respect envers l'accusé. Vous avez eu le colonel de la Brigade

2 de Foca, Marko Kovac, qui est venu au KP Dom pour rencontrer les membres

3 plus âgés de la famille Cengic. Il a demandé la permission pour les voir à

4 l'accusé. Puis Mitar Sipsic, un militaire membre de la cellule de crise,

5 est venu avec le boulanger de la ville pour demander à pouvoir utiliser la

6 boulangerie du KP Dom. Il n'a pas pu donner cet ordre lui-même, il a dû

7 demander l'autorisation à l'accusé. Tout ceci montre qu'en fait, c'était

8 l'accusé qui était le responsable du KP Dom.

9 Qu'aurait-il pu faire pour aider les détenus? Manifestement, il aurait pu

10 veiller à ce qu'il y ait une distribution plus équitable de la nourriture

11 et des autres ressources au KP Dom. Il aurait pu permettre que des visites

12 soient organisées pour les détenus puisqu'il a pu le faire pour son

13 collègue RJ, mais il a décidé de ne pas le faire.

14 En ce qui concerne les gardes, l'accusé aurait pu donner l'ordre aux

15 gardes de bien se comporter, ou tout du moins aurait pu se plaindre auprès

16 des autorités à l'extérieur du KP Dom si cela n'avait pas été le cas. Il

17 aurait pu punir ces gardes. Il nous a expliqué de façon très détaillée les

18 procédures qui auraient pu être en place; il connaissait donc ces

19 procédures.

20 Par exemple, il aurait pu punir le garde Burilo lorsqu'il a vu ce dernier

21 frapper Ekrem Sekovic. D'ailleurs, touts ces choses sont devenues

22 possibles lorsqu'en août 1993 Zoran Sekulovic est devenu directeur. Tous

23 les détenus ont constaté, à ce moment-là, qu'il y a eu une amélioration

24 dans le comportement des gardes à leur égard. Donc c'était le directeur

25 qui établissait les règles et qui montrait l'exemple.

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1 De plus, l'accusé aurait pu se plaindre par écrit auprès des militaires

2 devant l'éruption des soldats qui venaient pour infliger des sévices aux

3 détenus; il aurait pu ordonner que soit fermé le KP Dom la nuit pour

4 empêcher les intrus d'y pénétrer. Rien ne montre qu'il ait fait quoi que

5 ce soit de ce genre, ce qui montre qu'il a partagé la volonté qu'avaient

6 ces autres de voir se faire exécuter toutes ces exactions.

7 En ce qui concerne la libération et l'échange des détenus, la conduite des

8 gardes avant et après l'accusé nous donne des instructions précises.

9 Par exemple, l'ancien directeur Redojica Teevic a accompagné

10 personnellement les prisonniers musulmans qui étaient restés dans le camp;

11 il est allé avec eux à Tuzla parce qu'il savait que ces prisonniers

12 risquaient certaines choses pendant le mois d'avril 1992 puisqu'il y avait

13 des combats à Foca et aux alentours. Il savait aussi qu'il avait le devoir

14 de les ammener en lieu sûr. Il a pris lui-même cet engagement pour assurer

15 leur sécurité.

16 Zoran Sekulovic, lui aussi, a accompagné personnellement le dernier groupe

17 de détenus musulmans qui a été libéré. Il les a emmenés en lieu sûr, alors

18 qu'ils étaient menacés par des soldats à Miljevina. Est-ce que l'accusé a

19 jamais pris de telles mesures pour assurer la protection des détenus

20 musulmans, des personnes vulnérables qui étaient placées sous sa garde?

21 Non. Ce sont là des mesures nécessaires et raisonnables qu'il n'a pas

22 prises alors qu'il aurait pu les prendre.

23 Cette Chambre de première instance devrait voir et penser au fait que

24 l'accusé n'a pas agi dans un geste spontané dans un moment de faiblesse.

25 Au contraire, il est resté à ce poste, jour après jour, pendant 15 mois et

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1 demi. Alors que les Musulmans étaient amenés, étaient relâchés, alors que

2 ces détenus perdaient du poids, perdaient toute vitalité, jamais l'accusé

3 n'a exprimé de remords. Il a joué un rôle essentiel dans le fait de

4 pérenniser cette structure de souffrance et de douleur. Il a joué un rôle

5 important, ce n'était pas un simple pion. L'accusé lui-même dit de sa vie

6 que c'était une série d'obligations, que jamais sa liberté, sa libre

7 volonté n'a pu se manifester alors que c'est le contraire.

8 L'accusation n'affirme pas que l'accusé soit un monstre, c'est un être

9 humain. Ce Tribunal a été créé pour juger des individus, l'accusation ne

10 cherche pas à nier à qui que ce soit cette humanité de base, pas même à un

11 accusé. Mais les êtres humains ont quand même le choix dans la vie et

12 doivent faire ces choix parce que s'ils ne les font pas, ils seront d'un

13 côté ou de l'autre de la barrière et d'une salle d'audience.

14 La conclusion tirée par les experts en psychologie est que cet accusé est

15 normal. Ceci ne fait qu'ajouter à l'énormité de ses agissements. Pour

16 reprendre les termes d'Hannah Arendt, l'accusé était "terriblement

17 normal".

18 Tout être doté d'une âme dispose des principes fondamentaux du droit

19 humanitaire et l'accusé lui-même l'a admis; il connaissait ces valeurs et

20 il les a violées, il connaissait le contexte de ses actes, leur incidence

21 et ils les a commis, ces actes, pour des raisons personnelles, pour avoir

22 une meilleure présence sociale ou par pure conviction politique. Il doit

23 donc être tenu responsable de ses actes.

24 Nous demandons à la Chambre de première instance de l'estimer coupable.

25 M. le Président (interprétation): Avant que vous ne terminiez, vous avez

Page 8257

1 dit que l'accusé estimait que son poste, son poste de directeur, il le

2 voyait comme un moyen d'arriver au pouvoir. Est-ce que c'est une question

3 qui lui a été posée dans le cadre d'un contre-interrogatoire?

4 Mme Kuo (interprétation): Non, mais l'essentiel de ce que l'on peut

5 retirer des conclusions, à savoir qu'il allait retirer certains bénéfices,

6 qu'il aurait un certain pouvoir, que c'était un pouvoir supérieur à celui

7 d'un simple professeur, un simple instituteur.

8 M. le Président (interprétation): Si vous avez la référence, est-ce que

9 vous pouvez la communiquer à un assistant?

10 Mme Kuo (interprétation): Oui, mais ce n'est pas une seule question; il y

11 a eu plusieurs questions qui traitaient de cela.

12 M. le Président (interprétation): Peu importe, du moment qu'on lui a posé

13 ce genre de question, parce qu'il se trouve que cette partie de votre

14 réquisitoire m'a frappé.

15 Merci. Je donne maintenant la parole à Mme Uertz-Retzlaff.

16 (Réquisitoire de Mme Uertz-Retzlaff.)

17 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Monsieur le Président, Madame et

18 Monsieur les Juges, d'emblée, ce que nous faisons valoir ici c'est que sur

19 la base des éléments de preuve présentés, il n'y a aucun doute quant au

20 fait que tous les chefs de l'acte d'accusation ont été prouvés au-delà de

21 tout doute raisonnable.

22 Je vais m'intéresser maintenant à seulement deux aspects de cette affaire,

23 à savoir l'évaluation des éléments de preuve et la fixation de la peine.

24 Je vais tout d'abord parler de la fiabilité et de la crédibilité des

25 témoins, aussi bien de la défense que de l'accusation.

Page 8258

1 Pendant tout le procès, la défense n'a cessé de remettre en question la

2 crédibilité des témoins de l'accusation. La défense, en particulier, a mis

3 en lumière des incohérences entre les déclarations précédentes,

4 préalables, des témoins et leur déposition dans le prétoire.

5 Quand il s'agit de mémoire… Tout le monde sait que la mémoire n'est pas

6 toujours fidèle. Il faut savoir que les événements qui nous intéressent

7 ici ont eu lieu il y a huit ans. Il est arrivé souvent que les témoins ne

8 se souviennent pas de tous les détails et parfois il leur est arrivé de ne

9 plus se souvenir du tout de certains incidents. Ceci a eu parfois des

10 conséquences néfastes sur la thèse de l'accusation. Par exemple, il est

11 arrivé que des témoins se voient poser des questions au sujet de victimes

12 répertoriées sur divers tableaux ou listes et certains ont répondu tout

13 simplement qu'ils ne se souvenaient pas de ces personnes ou des ces

14 incidents précis. Comment auraient-ils pu se souvenir de tous les

15 incidents sans exception et de toutes les personnes, toutes les victimes

16 qui ont marqué ce long cauchemar? Tout cela est tout à fait naturel et

17 nous le reconnaissons.

18 Eh bien, il y a certains faits qui figurent à l'acte d'accusation mais

19 pour lesquels aucun élément de preuve n'a pu être amené dans le cadre du

20 procès, simplement parce que les témoins sont venus ici et ont dit la

21 vérité avec toute la précaution nécessaire.

22 Cependant, les témoins se sont souvenu aussi de beaucoup de faits. Tous

23 ont été en mesure de décrire les conditions de vie qui existaient, en

24 particulier le manque de vivres et le froid qui régnait pendant cet hiver

25 1992. Tous les témoins se souvenaient de la terreur, de l'humiliation et

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1 du sentiment d'impuissance qu'ils ressentaient. Tous les témoins se sont

2 souvenu des souffrances endurées par un certain nombre de victimes comme

3 Nurko Nisic, Zulfo Veiz et Krunoslav Marinovic.

4 On a pu également constater que les différences de personnalité des

5 témoins expliquent le nombre, le niveau de détail qu'ils nous donnent.

6 Vous vous souvenez que les témoins 73 (expurgé)

7 qu'ils n'étaient pas tout à fait en mesure de décrire la chronologie des

8 événements; ils n'étaient pas très doués pour ce genre de choses donc ils

9 n'ont pas pu très bien se souvenir du moment où les choses se sont

10 produites mais ils se souvenaient parfaitement de ce qui s'était produit.

11 En revanche, vous avez le témoin FWS-71 qui arrive très bien à se souvenir

12 des noms et qui a donc été en mesure de donner des explications relatives

13 à beaucoup d'incidents. Le docteur Berberkic, lui, avait une excellente

14 mémoire et a pu être d'une très grande précision en allant jusque dans les

15 moindres détails.

16 Ces différences de personnalité, de capacité de la mémoire, sont tout à

17 fait humaines. Nous avançons que ces témoins sont crédibles. Il est arrivé

18 que des témoins parlent du même incident mais de façon un peu différente.

19 Un témoin, par exemple, a dit qu'une victime donnée avait été amenée dans

20 l'aile gauche du bâtiment administratif pour être passée à tabac alors que

21 d'autres témoins ont entendu les cris de cette victime venir de l'aile

22 droite du bâtiment. Tout d'abord, il faut savoir que les victimes ont

23 souvent été passées à tabac à plusieurs reprises et il est possible que

24 les témoins aient parlé d'incidents différents. Mais nous savons tous

25 personnellement que l'on se souvient beaucoup mieux de ce qui nous est

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1 arrivé à nous, personnellement, que de ce qui est arrivé à d'autres. Cela

2 peut expliquer les incohérences que nous avons rencontrées. Cependant,

3 très souvent, les dépositions des témoins se sont corroborées.

4 On rencontre également le problème très commun du récit. Nous savons tous

5 d'expérience que lorsque nous racontons une histoire à plusieurs reprises,

6 forcément il y a des variations dans notre récit. On ajoute un détail, on

7 en omet un autre, etc., mais cela reste toujours le même récit.

8 Il y a des témoins qui, pendant leur déposition, ont ajouté des

9 commentaires au sujet de l'accusé. Ils ont été en mesure de le faire parce

10 qu'avant de venir ici, ils savaient qu'ils allaient déposer dans cette

11 affaire contre l'accusé donc ils se sont concentrés, ils ont fouillé leur

12 mémoire pour y trouver tout ce qui le concernait. De plus, pendant leurs

13 dépositions, on leur a posé des questions précises, des questions

14 détaillées au sujet de l'accusé, de certains événements. Nous savons tous

15 que de telles questions permettent de mieux se souvenir des événements.

16 Le Témoin FWS-104 l'a dit pendant son contre-interrogatoire, je cite: "ah,

17 eh bien j'avais peut-être oublié, je ne sais vraiment pas, je ne peux pas

18 tout garder en mémoire. Même un ordinateur ne pourrait pas tout conserver.

19 Je n'en ai pas parlé mais cela ne veut pas dire que ce n'est pas la

20 vérité".

21 La défense a avancé que ces témoins avaient été préparés. La défense a

22 indiqué en particulier que l'association AID, qui a aidé l'accusation pour

23 contacter des témoins, qui a aidé à recueillir les dépositions de ces

24 témoins après leur libération du KP Dom, est intervenue à cet égard. Mais

25 l'accusation avance qu'aucun élément, même le plus infime qui soit, ne

Page 8261

1 peut indiquer que l'AID ou toute autre organisation ait préparé les

2 témoins.

3 D'autre part, la défense a avancé ou fait comprendre qu'à son avis,

4 certains témoins avaient inventé de toutes pièces leurs récits ensemble,

5 qu'ils avaient préparé leurs dépositions ensemble. Rien ne vient à l'appui

6 d'une pareille allégation. Bien entendu, les témoins ont parlé de ce qui

7 s'était passé avec d'autres détenus. Bien entendu, ils ont partagé des

8 informations au sujet des personnes disparues. Bien entendu, dans ces

9 conversations ils ont eu connaissance d'événements qu'ils n'avaient pas

10 observés eux-mêmes. Parfois, au cours de ce ce type de conversation, ils

11 ont remarqué qu'en fait ils se souvenaient mal des événements qui

12 s'étaient produits. Cependant, pendant leur témoignage, les témoins ont

13 clairement indiqué ce qui relevait de leurs souvenirs personnels et ce qui

14 leur avait été rapporté par d'autres. Les témoins ont indiqué également

15 qu'il était possible qu'ils aient fait des erreurs dans leurs déclarations

16 préalables.

17 Le témoin FWS-71, par exemple, dans une déclaration préalable, avait dit

18 qu'un passage à tabac dans la cour de la prison s'était produit en août

19 1992. Après avoir parlé avec d'ex-détenus, il s'est souvenu, il a réalisé

20 qu'il s'était trompé en ce qui concernait la date et qu'en fait cet

21 incident avait eu lieu en octobre 1992, et il a indiqué la chose pendant

22 sa déposition. Du fait de cet éclaircissement par le témoin, il est apparu

23 clairement au procès que les incidents 5.8 et 5.13 de l'Acte d'accusation

24 ne constituaient en fait qu'un seul et même incident.

25 La défense s'est plainte que pendant le procès, en répondant aux

Page 8262

1 questions, le témoin FWS-73 a utilisé des termes péjoratifs pour faire

2 référence aux Serbes. C'est vrai, c'est ce qu'a fait le témoin,

3 effectivement: ce témoin était souvent bouleversé, furieux au moment de ce

4 témoignage. Mais il faut se poser la question de savoir comment… Que

5 ressentirions-nous si on nous demandait de retourner dans le passé pour

6 essayer de revivre les souffrances que nous aurions connues? Est-ce que

7 vous ne pensez pas que nous aussi, dans ces conditions, nous serions

8 furieux, nous serions bouleversés et que nous l'exprimerions d'une manière

9 ou d'une autre?

10 Cela ne signifie pas pour autant que ce témoin n'a pas dit la vérité.

11 Rappelez-vous la précision avec laquelle il a répondu aux questions

12 relatives à des incidents extrêmement précis. Est-ce que le témoin n'a pas

13 réfléchi avec attention à toutes les questions qui lui étaient posées

14 avant d'y répondre et est-ce qu'il ne se les est pas rappelées dans tous

15 les détails?

16 Il est également vite apparu que cette fureur, cette colère qui découlait

17 de son traumatisme était dirigée contre certains hommes politiques de haut

18 rang du SDS dont il estimait qu'ils étaient responsables de ce qui lui

19 était arrivé. Sa colère, elle n'était pas dirigée contre l'accusé. Au

20 contraire, le témoin n'a jamais fait preuve d'aucun préjugé envers

21 l'accusé; il a dit très clairement que l'accusé l'avait traité

22 correctement lorsqu'il travaillait sur sa maison et qu'il lui avait même

23 offert un verre de Cognac.

24 En dépit de leurs souffrances, tous les témoins n'ont pas donné une image

25 complètement noire de tous les Serbes. Dans ces témoignages où on nous a

Page 8263

1 relaté des actes d'une extrême cruauté, on nous a également parlé de

2 moments où se sont exprimées la bonté et la gentillesse.

3 Le docteur Berberkic nous a raconté que l'infirmier Gojko Jokanovic

4 essayait en secret d'aider les détenus; il a également parlé de docteurs

5 serbes qui venaient au KP Dom et qui essayaient de leur mieux d'aider les

6 détenus dans les limites de ce qui leur était autorisé par

7 l'administration du KP Dom.

8 Le témoin FWS-69 nous a également parlé d'un chauffeur de bus serbe qui

9 est intervenu au moment où des soldats passaient à tabac des villageois de

10 Jelec. Il nous a également parlé d'un civil serbe qui a mis fin au passage

11 à tabac à Brod. Nesir Cengic nous a parlé d'une femme médecin serbe à

12 l'hôpital qu'il a soignée ainsi que deux autres patients, au moment où un

13 soldat les avait passés à tabac à l'hôpital de Foca. Beaucoup d'autres

14 détenus, dont le témoin 73, nous ont parlé de gardes qui les avaient

15 traités avec correction. Les témoins ont été hésitants à donner les noms

16 de ces personnes qui s'étaient comportées ainsi correctement car ils

17 craignaient que les personnes aient à en subir les conséquences même

18 aujourd'hui. C'est pour ces mêmes raisons que je ne souhaite pas

19 aujourd'hui donner les noms de ces personnes.

20 Les témoins n'avaient aucun préjugé, ils n'ont pas donné une image de la

21 situation qui reflète des préjugés ethniques quels qu'ils soient. Ils nous

22 ont parlé de la complexité des relations humaines, des possibilités et des

23 limites des personnes qui détenaient le pouvoir. Les témoins de

24 l'accusation n'ont fait preuve d'aucun préjugé envers l'accusé et à de

25 nombreuses reprises, les témoignages donnés sur l'accusé, sur ses actes,

Page 8264

1 ont donné une image positive de cet accusé.

2 Par exemple, on nous a raconté qu'il avait donné à manger aux détenus qui

3 travaillaient chez lui, il a permis à un certain nombre de détenus de

4 sortir du KP Dom pour aller s'occuper de leur famille, il a laissé

5 certains détenus s'entretenir avec de la famille ou des amis soit au

6 téléphone soit pendant des visites, et ils les a mêmes parfois protégés de

7 l'agression de certains soldats; c'est le cas des victimes Ekrem Zekovic

8 et FWS-120.

9 Une description aussi modérée des actes de l'accusé donne de la

10 crédibilité aux descriptions des témoins. On a pu voir dans le

11 comportement des témoins qu'ils disaient la vérité. Tout le monde aurait

12 dû comprendre, dans ce prétoire, à quel point il était difficile pour ces

13 témoins de venir déposer et la douleur que cela provoquait chez eux après

14 toutes ces années.

15 Nous nous souviendrons tous du témoin 159; c'est l'un des rares soldats

16 musulmans détenus au KP Dom. Pour lui, physiquement et psychologiquement,

17 sa déposition a été un moment extrêmement difficile. Ceux qui étaient dans

18 le prétoire ont eu du mal, ont ressenti de la douleur à le voir ainsi

19 témoigner dans ce prétoire, voir cet homme qui avait été brisé tant sur le

20 plan physique que mental.

21 Mais il n'y a qu'une raison pour laquelle les témoins ont parlé ainsi, de

22 façon positive, de l'accusé, c'est que l'accusé était responsable de ce

23 qui leur arrivait à eux et à leurs co-détenus au KO Dom.

24 La défense conteste les crimes qui figurent à l'acte d'accusation et dont

25 on affirme qu'ils se sont produits au KP Dom. Cependant, même si ces

Page 8265

1 crimes se sont produits, la défense nous dit que l'accusé n'en était pas

2 responsable parce qu'il n'était pas au courant de leur perpétration.

3 Pendant le contre-interrogatoire et pendant le témoignage de différents

4 témoins de la défense, la défense a essayé de nous dire que tout le monde

5 au KP Dom était traité de la même manière quelle que soit son appartenance

6 ethnique et que tout le monde était traité comme les détenus militaires

7 serbes. Or, rien ne vient à l'appui de cette affirmation de la défense.

8 Parmi les témoins de la défense, il y avait des amis, des membres de la

9 famille, des anciens collègues de l'accusé à l'extérieur et à l'intérieur

10 du KP Dom. Ils ont tous reconnu qu'ils avaient essayé d'aider l'accusé.

11 Ils ont tous dit que l'accusé était responsable de l'économie, de l'unité

12 économique de la Drina et non pas de la partie militaire du KP Dom en

13 dépit de son titre qui n'a été contesté par personne, à savoir qu'il a été

14 directeur temporaire du KP Dom.

15 Les témoignages des témoins à décharge présentent une image tout à fait

16 différente du rôle de l'accusé. Les témoins de la défense qui

17 travaillaient au KP Dom affirment qu'il n'y a eu aucune activité militaire

18 au KP Dom, donc nous avons une différence considérable dans ces

19 témoignages. Ceci ne peut pas s'expliquer uniquement par le temps qui

20 s'est écoulé depuis ou par le fait que ces témoins n'étaient pas en mesure

21 de voir la situation telle qu'elle était véritablement à l'époque. La

22 seule conclusion que l'on peut en tirer, c'est que certains des témoins de

23 la défense ont menti dans ce prétoire. Je pense en particulier à trois

24 témoins qui étaient gardes et qui avaient une responsabilité directe dans

25 le contrôle des détenus musulmans. Ces trois témoins n'ont pas dit la

Page 8266

1 vérité; ils ont nié tous les crimes qui s'étaient produits au KP Dom, ils

2 ont décrit les conditions de vie au KP Dom comme tout à fait correctes, et

3 ceci suffit à saper leur crédibilité.

4 Le garde Risto Ivanovic, par exemple, contrairement à ce que certains des

5 témoins de la défense ont eux-mêmes reconnu, a refusé de reconnaître que

6 les Musulmans avaient perdu beaucoup de poids; au contraire, il est allé

7 jusqu'à affirmer que certains avaient grossi au KP Dom. Il est également

8 remarquable de voir que ces trois gardes ont reconnu avoir parfois eu des

9 contacts avec des témoins. Ils ont même parfois dit qu'ils ne

10 connaissaient pas certains des détenus, et ceci va à l'encontre de

11 certaines des dépositions des témoin de la défense.

12 Miladin Matovic a reconnu seulement au moment du contre-interrogatoire

13 qu'il avait maltraité Ekrem Zekovic alors que celui-ci avait été capturée

14 après sa fuite.

15 Zoran Mijovic, qui était le garde de permanence à l'extérieur du KP Dom,

16 est même allé jusqu'à nier avoir jamais vu l'arrivée de détenus musulmans

17 au KP Dom.

18 Certains des anciens employés du KP Dom n'étaient ni des membres de la

19 famille de l'accusé ni des connaissances, ce qui amène à se demander

20 pourquoi ils n'ont pas dit la vérité quand ils sont venus ici.

21 Je souhaiterais vous rappeler ce que Risto Ivanovic a répondu lorsqu'on

22 lui a demandé s'il était venu ici pour apporter son aide à l'accusé. Il a

23 répondu: "Je suis venu pour aider le KP Dom". Ensuite, il a poursuivi: "Et

24 je suis ici également pour indiquer quels étaient les fonctions et le

25 travail de Krnoljelac". Ce qui signifie que le témoin Ivanovic était venu

Page 8267

1 uniquement pour défendre le KP Dom, son personnel, y compris lui-même. De

2 plus, il a attesté du fait qu'il avait ressenti de la compassion, qu'il

3 ressentait de la compassion pour la situation de l'accusé. Le témoin,

4 ayant été garde au KP Dom, était peut-être en mesure de craindre qu'un

5 jour lui-même se trouve dans la même position que l'accusé aujourd'hui.

6 Le témoin Ivanovic ainsi que les autres employés du KP Dom qui ont déposé

7 ici-même ont participé d'une manière ou d'une autre au fonctionnement du

8 camp. Il était de leur intérêt personnel de nier le fait qu'il y ait eu

9 mauvais traitement des détenus musulmans parce que ces témoins craignaient

10 de se voir reprocher leur responsabilité pénale.

11 Dans le cadre de la présentation de nos moyens, nous avons présenté des

12 preuves pour le meurtre de 28 Musulmans, de 28 détenus croates et

13 musulmans. Nous n'avons pas été en mesure de fournir des éléments de

14 preuve scientifiques directs.

15 Ceci permet de nous amener à une conclusion, à savoir que ces détenus ont

16 été tués au KP Dom; ceci, nous pouvons le dire sur la base des éléments de

17 preuve directs dont nous disposons. Ces victimes, les a fait sortir du KP

18 Dom entre le 12 et 28 juin 1992, en plusieurs groupes. Des témoins les ont

19 vu être sélectionnées, ont entendu qu'on les passait à tabac et ont vu,

20 pour un des groupes de détenus, qu'ils avaient été abattus après avoir été

21 passés à tabac. On a vu leurs corps emmenés dans des couvertures. Des

22 détenus ont également vu et entendu leurs corps être jetés dans la Drina.

23 Jamais aucun de ces détenus que l'on a fait sortir du KP Dom n'a été revu

24 vivant. Les membres de leurs familles continuent toujours à chercher ceux

25 qui ont ainsi disparu.

Page 8268

1 Monsieur Amor Masovic nous a donné des détails en ce qui concerne les

2 détenus portés disparus au KP Dom. En ce qui concerne Halim Konjo qui

3 figure au n°13 de la liste C, l'accusé lui-même a confirmé que la victime

4 était décédée; il l'a dit au témoin RJ immédiatement après le meurtre. Il

5 affirme qu'il s'agit d'un suicide, mais ceci n'est soutenu par aucun

6 élément de preuve.

7 Juso Dzamalija, n°6 sur la liste C, s'est suicidé pendant qu'il était en

8 cellule d'isolement. L'accusé lui-même a confirmé le décès de cette

9 personne. Juso Dzamalija, c'était un homme d'âge mûr qui a été passé à

10 tabac très violemment par des gardes et des soldats. Ensuite, il a été

11 placé en cellule d'isolement et on lui a dit qu'on continuerait à le

12 passer à tabac le lendemain. Plutôt que d'endurer de nouvelles

13 souffrances, de nouveaux passages à tabac, la victime a choisi la voie du

14 suicide. Bien que le suicide soit la cause directe du décès de M.

15 Dzamalija, nous avançons quant à nous que les agissements du personnel de

16 la prison, y compris ceux de l'accusé, constituent une cause fondamentale

17 de sa mort. S'il n'avait pas été passé à tabac de cette façon et si on ne

18 lui avait pas annoncé qu'il serait de nouveau passé à tabac par les mêmes

19 personnes, la victimes serait toujours de ce monde, elle ne se serait pas

20 suicidée. Nous avançons donc que M. Dzamalija, en fait, a été victime d'un

21 meurtre.

22 Vous vous souviendrez que pendant la déclaration liminaire que j'ai

23 prononcée le 30 octobre de l'an 2000, j'ai précisé qu'en l'espèce nous

24 avions affaire à un accusé qui se trouvait au sommet de la hiérarchie du

25 KP Dom.

Page 8269

1 M. le Président (interprétation): Je vous prie de m'excuser de vous

2 interrompre, mais en avez-vous terminé de la liste C?

3 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Je vais passer maintenant à la

4 fixation de la peine. J'en reviendrai à la liste C lorsque j'insisterai

5 sur la gravité des infractions.

6 M. le Président (interprétation): Oui, mais le moment est bien choisi pour

7 répondre aux arguments de la défense.

8 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Vous parlez de Nail Hodzic?

9 M. le Président (interprétation): Oui.

10 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Oui, j'y viendrai parce que je vais

11 parler d'un certain nombre de personnes bien précises extraites de la

12 liste C.

13 M. le Président (interprétation): Bien. Je pensais que vous souhaiteriez

14 le faire maintenant, c'est pour cela que j'évoquais la question.

15 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): J'en parlerai quand j'évoquerai les

16 personnes qui ont été tuées.

17 M. le Président (interprétation): Fort bien. Continuez.

18 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): L'accusé Milorad Krnojelac n'a pas

19 les mains ensanglantées. Il n'a jamais attaqué lui-même une victime et à

20 l'exception du passage à tabac d'Ekrem Zekovic, il n'a jamais été présent

21 lors des passages à tabac.

22 C'est le criminel bureaucrate par excellence. La justice a toujours eu des

23 difficultés à répondre aux actes de ce genre de petits gestionnaires qui

24 commettent le mal. Il est particulièrement difficile de prononcer une

25 sentence à leur égard.

Page 8270

1 Etant ce bureaucrate criminel, ce commandant qui a ainsi tiré les ficelles

2 et qui est à l'origine de toutes ces atrocités, tout cela est un concept

3 qu'il est difficile d'appréhender. De ce fait, par le passé, on a

4 considéré que ce genre de criminel, ce genre d'accusé était moins

5 responsable des crimes que ceux qui y participaient directement. En

6 conséquence on a l'impression que ces bureaucrates, ces auteurs de crimes

7 qui restent à leur bureau, reçoivent des peines inférieures à ceux qui

8 sont directement responsables des crimes.

9 Or, nous avançons qu'il ne faut surtout pas prendre ce point de vue en

10 l'espèce. Nous avançons qu'un supérieur hiérarchique n'est pas moins

11 responsable de son subordonné pour les infractions commises. La

12 responsabilité du supérieur hiérarchique n'est en rien diminuée si lui-

13 même ne participe pas directement aux passages à tabac, aux meurtres qui

14 lui sont reprochés.

15 Je vais m'intéresser à l'aspect le plus important qu'il convient de

16 prendre en compte dans le cadre du prononcé de la sentence, à savoir la

17 gravité des crimes commis en l'espèce.

18 Madame Kuo nous a déjà précisé que l'accusé avait pris part à une

19 offensive généralisée et systématique contre toute la population musulmane

20 et non-serbe de Foca et des environs.

21 Ce qui s'est passé à Foca fait partie et s'inscrit dans une attaque

22 beaucoup plus vaste contre la population non-serbe. Cela fait partie d'une

23 campagne organisée, planifiée, des autorités serbes ayant pour objectif de

24 procéder au nettoyage ethnique de toute la municipalité, de diverses

25 municipalités dans la Bosnie-Herzégovine, pour que la population ne soit

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1 alors constituée que de Serbes.

2 D'autre part, l'accusation a présenté des éléments de preuve qui montrent

3 qu'il y avait des camps de détentions tels que le KP Dom partout en

4 Bosnie-Herzégovine, et que l'accusé le savait.

5 D'ailleurs, plusieurs témoins ont attesté du fait qu'ils avaient été

6 transférés dans d'autres camps de détention de ce type, Kalinovik, Rudo et

7 Kula pour n'en citer que quelques uns.

8 L'objectif recherché, celui de créer un environnement purement serbe, a

9 été atteint à Foca puisque Foca n'est plus une municipalité mixte

10 aujourd'hui. Le nettoyage ethnique a été si efficace à Foca que la ville,

11 maintenant, a été rebaptisée "Srbinje" pour refléter la composition

12 actuelle de sa population constituée uniquement de Serbes.

13 Mais il n'y a pas que les habitants non-serbes qui ont disparu de Foca,

14 puisque la culture musulmane à Foca a été complètement effacée de la

15 carte. Pendant le procès, nous vous avons montré des photographies, des

16 vidéos de la mosquée d'Aladza, un symbole notoire de la culture musulmane

17 en Bosnie-Herzégovine.

18 Pour vous rappeler cette mosquée, j'aimerais vous montrer une image de ce

19 qu'elle était, image qui n'existe plus puisque la mosquée a été détruite

20 et qu'il n'y a plus la moindre ruine à l'endroit où elle s'érigeait

21 auparavant. Les détenus du KP Dom n'ont pas simplement été obligés

22 d'enlever des éléments précieux de ce qui restait de la mosqée d'Aladza;

23 ils devaient en plus voir les ruines de la mosquée chaque jour, chaque

24 fois qu'on les faisait sortir du KP Dom pour aller exécuter des travaux

25 forcés.

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1 L'accusé faisait partie de cette campagne de haine qui s'inspirait de la

2 division ethnique. Il a joué un rôle majeur dans cette campagne puisqu'il

3 était le directeur de ce pénitencier à Foca pendant près de seize mois, et

4 que c'était un des lieux d'où partaient les Musulmans et les autres non-

5 Serbes civils qui étaient déportés. C'est l'accusé et son personnel qui

6 ont organisé la sélection des détenus, qui ont permis leur transport.

7 Au cours de la période pour laquelle le Bureau du Procureur estime

8 l'accusé responsable, à savoir la période allant d'avril 1992 à août 1993,

9 près de mille hommes non-serbes et musulmans, originaires de Foca et des

10 environs, ont été détenus au KP Dom. La plupart d'entre eux ont été

11 détenus pour une seule raison: le fait qu'ils étaient Musulmans, Croates,

12 des Romani ou des Albanais. La plupart des détenus étaient des civils. Il

13 y avait parmi eux des handicapés mentaux, des handicapés physiques, des

14 grands malades, des vieillards; il y avait parmi ces détenus des

15 intellectuels, des journalistes, des médecins, des patients de l'hôpital

16 de Foca.

17 Un de ces détenus s'appelait Edhem Gradisic. C'était un vieillard qui

18 avait été amputé d'une jambe et d'un bras, qui souffrait d'épilepsie, et

19 dont la seule faute était d'être Musulman. Il y avait aussi Omer Kunovac,

20 un berger sourd-muet d'Ustikolina, dont la seule faute était d'être

21 Musulman et handicapé; il y avait Nezir Cengic, 78 ans, un agriculteur de

22 Miljevina, dont la seule faute était d'avoir dans sa famille un homme

23 politique musulman; il y avait le témoin 146, un vieillard qui avait une

24 maladie pulmonaire grave, dont la seule erreur était d'avoir été Musulman

25 hospitalisé à Foca au moment où la guerre a éclaté.

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1 Lorsque vous allez fixer la peine imposée à cet accusé, il faut penser aux

2 souffrances qu'il a causé aux victimes et à leur famille; souffrances tant

3 physiques que psychologiques.

4 Pendant la période couverte par l'Acte d'accusation, les détenus ont subi

5 des conditions inacceptables: ils n'ont pas eu l'espace, le logement, les

6 vêtements dont ils avaient besoin; ils ont été enfermés dans des cellules.

7 Et après mai 1992, ils n'ont plus eu aucun contact avec leur famille. Les

8 conditions d'hygiène étaient à ce point insuffisantes que tous les détenus

9 ont eu des poux. Ils ont reçu des rations de famine, aucun chauffage pour

10 eux pendant l'hiver, aucun traitement médical. Toutes les tentatives

11 destinées à soulager un peu leurs souffrances, par exemple leur donner une

12 tranche de pain supplémentaire, ou si des détenus essayaient de se

13 confectionner un pantalon ou des chaussettes avec les rideaux pour se

14 tenir un peu au chaud, tout ceci a été puni avec la plus grande sévérité.

15 De plus, il y avait des châtiments collectifs qui étaient infligés si

16 certains individus entreprenaient telle ou telle action.

17 Par exemple, vous avez Esad Hadzic qui avait une perforation, un ulcère,

18 et qu'on a laissé mourir. Omer Kunovac, c'était le berger sourd-muet qui

19 avait été passé à tabac à cause de son handicap parce que, de ce fait, il

20 n'avait pas pu répondre aux questions qui lui avaient été posées. On lui a

21 interdit tout traitement médical après ces blessures et il est mort de ses

22 blessures.

23 Les détenus non-serbes étaient enfermés dans la prison, ils étaient passés

24 à tabac, torturés, tués. Par exemple, beaucoup d'entre eux ont tout

25 simplement disparu après avoir été emmenés pour des interrogatoires ou des

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1 soi-disant échanges.

2 Les actes de passages à tabac les plus odieux se sont produits au cours de

3 l'été 1992, autour du mois de juin. On a fait sortir des détenus, surtout

4 le soir mais aussi pendant la journée. Ils étaient censé être soumis à des

5 interrogatoires dans des pièces qui se trouvaient au rez-de-chaussée de

6 l'aile gauche et aussi de l'aile droit du bâtiment administratif.

7 Quand je parle de passages à tabac, je ne parle pas de simples gifles, je

8 parle de coups infligés avec brutalité à l'aide de toutes sortes d'objets.

9 Nous avons soumis les listes A et B qui portent sur de tels passages à

10 tabac. Vous verrez, sur la liste A, onze incidents qui ont été prouvé au-

11 delà de tout doute raisonnable, et 46 incidents dans la liste B.

12 De plus, il y a 17 incidents qui sont précisés dans divers paragraphes de

13 l'Acte d'accusation pour lesquels des preuves ont été apportées également.

14 L'accusé est donc responsable de 74 incidents de passages à tabac.

15 L'accusation a également fourni la liste C qui porte sur les meurtres

16 commis au KP Dom; 28 de ces meurtres ont été prouvés au-delà de tout doute

17 raisonnable.

18 J'insiste sur le fait que l'accusation ne fait pas que mentionner des

19 chiffres, nous parlons ici d'êtres humains et de ce qu'ils ont souffert.

20 J'aimerais dès lors, maintenant, parler de ce visage humain de la

21 souffrance. Les témoins qui sont venus à la barre vous ont parlé de ces

22 souffrances, ils nous ont fourni beaucoup de noms. S'agissant de la

23 plupart des victimes, nous connaissons simplement leur nom ainsi que

24 quelques détails personnels. Nous ne pouvons vous montrer le visage de

25 très peu de victimes. Nous avons préparé quelques photos que nous ont

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1 données des parents, que nous avons trouvées dans des journaux ou

2 quelquefois, pour l'un des cas, un avis de décès. Nous avons maintenant

3 rassemblé ces photographies. Malheureusement, nous ne pouvons pas montrer

4 ce panneau ailleurs dans la salle d'audience. C'est à cet endroit

5 seulement que les caméras vidéos peuvent capter les images de ce panneau.

6 Je m'excuse auprès du public qui se trouve dans la petite galerie du

7 public de cette salle d'audience.

8 Pendant que je vais évoquer certaines de ces personnes, mon assistante va

9 vous les montrer sur ce panneau. J'espère que la caméra pourra vous les

10 montrer de plus près.

11 Il y a d'abord Salem Bico, un homme de 42 ans, marié, officier de police à

12 Foca. C'est l'un des hommes qui a été assassiné qui se trouve au n°2 de la

13 liste C. On l'a fait sortir à plusieurs reprises pour l'emmener dans le

14 bâtiment administratif. Chaque fois, les autres détenus ont entendu ses

15 cris, ses gémissements. Lorsqu'il est revenu, les témoins ont vu les

16 blessures qui lui avaient été infligées à la tête. Après le dernier

17 passage à tabac, il n'est plus jamais revenu.

18 Il y a Kemal Dzelilovic, 38 ans, un enseignant de l'école secondaire,

19 marié, père de famille. Il est le n°7 de la liste C. Lui aussi, on l'a

20 fait sortir à plusieurs reprises pour des passages à tabac. Les témoins

21 l'ont vu revenir couvert d'ecchymoses. La dernière fois, on l'a fait

22 sortir, on l'a frappé, on l'a étranglé, on l'a roué de coups de pied et on

23 l'a roué de coups de poing, également dans cette pièce que l'on appelait

24 la "pièce au téléphone". Et puis on l'a abattu.

25 Il y a Adil Granov, 35 ans, ingénieur électricien, marié, père de deux

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1 petits enfants, qui a été passé à tabac avec brutalité à plusieurs

2 reprises. On l'accusait d'être en possession d'un émetteur radio. Des

3 témoins ont entendu ses cris, ses gémissements. Après le dernier passage à

4 tabac, il n'est plus revenu. Il est le n°9 de la liste C.

5 Nous n'avons pas de photographie de Halim Konjo, le n°13 de la liste C. On

6 l'a fait sortir à plusieurs reprises, lui aussi, pour passage à tabac. Des

7 témoins l'ont entendu dire, gémir: "Maman, aide-moi!". Ils l'ont entendu

8 supplier son tortionnaire: "Ne le fais pas, Zoka!", a-t-il dit. Nous ne

9 savons pas qui est ce "Zoka". Toujours est-il qu'il a continué à infliger

10 des coups brutaux à cette victime qu'il a taquinée en disant: "On va te

11 montrer comment les Serbes s'y prennent pour passer à tabac". Après le

12 dernier passage à tabac, il a été abattu.

13 Plutôt que sa photo, nous avons la photo du jeune frère d'Halim. Il

14 s'appelait Halid, il a été détenu au KP Dom. Il avait 35 ans. Il a demandé

15 au témoin RJ de chercher à savoir de la part du directeur ce qui était

16 arrivé à son frère. L'accusé a dit à RJ ce qui était arrivé à Halim; il

17 avait été tué et il était mort. Halid lui-même a été assassiné cette

18 année-là. Apparemment, on l'a fait sortir du KP Dom pour faire la

19 cueillette des prunes. Pourtant, son corps a été retrouvé dans un charnier

20 à proximité de Previla, sur la ligne de front faisant face à Gorazde. Il a

21 été exécuté, comme ses blessures en ont attesté.

22 Il y a Fuad Mandzo, un maçon, numéro 16 de la liste C. Il avait 35 ans

23 lorsqu'il a été tué. D'abord, il y a eu une erreur quant à son nom. C'est

24 Salko Mandzo qui a été emmené plutôt que Fuad pour être interrogé. Salko a

25 été brutalement passé à tabac, coupé avec un couteau. Cependant, il a eu

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1 la vie sauve parce que le commandant des gardes a découvert l'erreur quant

2 à la personnalité et a arrêté le passage à tabac. C'est Fuad alors qui a

3 été emmené parce qu'on l'accusait d'être membre du SDA. Il a été battu à

4 plusieurs reprises, il a fini par être assassiné.

5 Il y a Nurko Nisic, le 19 de la liste C, un policier de 43 ans. Il avait

6 43 ans quand il a été emmené pour ces passages à tabac. Tous les témoins

7 ont dit à quel point il a souffert. Il semblerait que lui a subi le plus

8 de souffrances, c'est lui qu'on a fait sortir pour les passages à tabac

9 les plus brutaux à de nombreuses reprises. Le témoin 250 a vu quand cet

10 homme a été passé à tabac au rez-de-chaussée. Le témoin 250 et d'autres

11 témoins ont entendu lorsque Nurko Nisic a été passé à tabac à plusieurs

12 reprises et lorsque la victime a perdu connaissance à la suite des coups

13 infligés, les auteurs ont versé de l'eau sur lui pour le réveiller. On les

14 a entendus demander à Nurko où se trouvaient son fusil, son drapeau

15 croate. Un des tortionnaires a dit à la victime: "Redresse-toi, Nurko, ce

16 n'est pas ainsi que tu vas défendre la Bosnie". A plusieurs reprises, il a

17 été ramené dans la salle de détention. Les témoins ont vu qu'il était

18 couvert d'ecchymoses sur tout le corps, qu'il lui était impossible de

19 marcher pendant plusieurs jours. Lorsqu'on l'a fait sortir pour une

20 dernière fois, des témoins ont entendu qu'il avait été agressé à cause de

21 la blessure que le soldat "Bota" avait reçue lorsque, le 20 juin 1992, un

22 camion qui transportait des soldats serbes était passé sur une mine à

23 Tjentiste.

24 Les témoins ont entendu les appels que lançait Nurko. Ils ne l'ont pas

25 aidé, ils ne pouvaient pas aider. Ces témoins impuissants n'ont rien pu

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1 faire. Ils ont entendu ce qu'on a dit à Nurko: "Nurko, meurs, qu'attends-

2 tu pour mourir, pourquoi ne meurs-tu pas?". Finalement, il a été abattu.

3 Pourquoi a-t-il été la cible de tant de haine?

4 Apparemment, Nurko Nisic semble avoir participé au référendum qui s'est

5 organisé en vue d'une Bosnie-Herzégovine indépendante. D'après la pièce de

6 la défense D15, il faisait partie du comité électoral municipal de Foca,

7 au cours du mois de mars 1992. Le fait qu'il ait participé à ce

8 référendum, manifestement, était une raison suffisante pour s'attirer

9 toute cette haine.

10 Les frères Rikalo, que vous voyez ici sur le panneau, Zaim avait 29 ans,

11 Midhat 25 ans et Husein 35 ans, font partie des détenus qui ont été passés

12 à tabac et assassinés. Vous les retrouvez aux n°21, 22 et 23 de la liste

13 C. Des témoins les ont entendus crier, gémir. Le docteur Berberkic a

14 reconnu la voix de son ami Husein qui suppliait ses tortionnaires

15 d'arrêter de le frapper.

16 Pourtant, ces auteurs de passages à tabac ont demandé à la victime où il

17 avait enterré une arme, manifestement. Ils l'ont menacée de mort,

18 finalement Husein a été tué.

19 Il y a aussi Seval Soro, 35 ans, électricien, marié et père de famille;

20 lui aussi a été tué de la même façon. C'est le n°24 de la liste C.

21 Il y a Kemal Tulek, 34 ans, marié, policier. Il avait été garde au KP Dom.

22 Vous le retrouvez au n°25 de la liste C. Il a été détenu dans une cellule

23 d'isolement pendant très longtemps. Battu à de nombreuses reprises, des

24 témoins l'ont vu revenir du bâtiment administratif, couvert de blessures.

25 Il n'est pas revenu après le dernier passage à tabac.

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1 Il y a Dzemal Vahida, 38 ans, marié, officier de police, père de deux

2 enfants; lui aussi a été battu à plusieurs reprises. Des détenus l'ont vu

3 revenir avec une mâchoire brisée, des cicatrices partout. Après le dernier

4 passage à tabac, il n'est plus rentré. Vous le retrouvez au n°27 de la

5 liste C.

6 Zulfo Veiz, 42 ans, marié, père de famille, officier de police. C'est la

7 dernière victime qui est reprise dans la liste C. Lui aussi semble avoir

8 été l'une des victimes qui a subi le plus de souffrances. Il n'a pas

9 survécu au KP Dom. A plusieurs reprises, on l'a fait sortir, on l'a emmené

10 au bâtiment administratif; des témoins ont entendu ses gémissements et

11 l'ont vu revenir couvert de bleus, avec un oeil pratiquement fermé du fait

12 de la tuméfaction. Au cours d'un passage à tabac, il a perdu connaissance.

13 Des détenus ont entendu qu'on lui versait de l'eau sur le visage. Il n'est

14 plus revenu de son dernier passage à tabac.

15 Tous ces détenus étaient des Musulmans. Certains des détenus étaient aussi

16 des membres de groupes minoritaires non-serbes à Foca. Il y avait

17 Krunoslav Marinovic…

18 M. le Président (interprétation): Avant de poursuivre, je vois que sur le

19 panneau, on ne voyait pas le numéro des pièces à conviction.

20 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Toutes ces photos se retrouvent dans

21 le dossier consacré à la liste C. Vous retrouvez ces cotes dans ce

22 chapitre.

23 M. le Président (interprétation): Il s'agit effectivement de la pièce 55.

24 Je vous remercie.

25 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Une des victimes, au KP Dom, qui

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1 n'était pas musulmane, s'appelait Krunoslav Marinovic. C'était un

2 réparateur de télévision croate. Il a été victime de plusieurs passages à

3 tabac, même avant d'arriver au KP Dom. Il a été passé à tabac quand il a

4 été arrêté, lorsqu'il s'est trouvé à Livade et aussi lorsqu'il a été

5 détenu au KP Dom. Lui aussi a été tué. Il fait partie de la liste C.

6 J'aimerais revenir à une question qu'à soulevée la défense, au paragraphe

7 76 de son mémoire. La défense fait valoir qu'en vertu d'un certificat

8 délivré par le commandant militaire, de l'unité 5028 de l'armée de Bosnie-

9 Herzégovine, en date du 9 juillet 1998, Nail Hodzic, le n°10 de la liste C

10 n'a pas été tué au KP Dom; il aurait été abattu à Foca le 26 juin 1992,

11 alors qu'il exécutait une tâche militaire.

12 Il est vrai qu'un tel document existe, c'est d'ailleurs l'accusation qui

13 l'a soumis, mais ce certificat a été demandé par l'épouse de la victime

14 afin d'avoir une preuve de sa mort. Nous ne savons pas sur quelles

15 affirmations ce commandant militaire s'est basé pour délivrer un tel

16 certificat. Nous ne savons pas pourquoi il l'a formulé de la façon dont il

17 l'a fait. Il a peut-être pensé que ce document serait une consolation pour

18 Mme Hodzic, qu'elle pourrait ainsi voir que son mari était mort pour la

19 cause musulmane.

20 Toutefois, n'oublions pas qu'il existe aussi la décision rendue par le

21 tribunal cantonal de Sarajevo en date du 3 juin 1998. D'après cette

22 décision, Nail Hodzic a été tué le 26 juin 1992 au KP Dom. Cette décision

23 se fonde sur les récits qu'ont fourni des témoins oculaires, notamment le

24 témoin 192 qui est venu déposer devant vous.

25 D'après ce dernier témoin et beaucoup d'autres témoins, Nail Hodzic a été

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1 détenu au KP Dom. On l'a fait sortir à plusieurs reprises pour être passé

2 à tabac. Après le dernier passage à tabac, le 26 juin, il n'est pas

3 revenu. Certains témoins se sont, en particulier, souvenus de la façon

4 dont Nail s'était disputé avec le garde, mais disputé avec le garde de

5 Boban Pejic que l'on avait fait sortir de la pièce. Ils se souviennent

6 aussi qu'il avait refusé de suivre ce garde. Ils se souviennent des

7 blessures qu'il avait à son retour. Ils se sont souvenus de la dernière

8 fois où il avait dit aurevoir à ses compagnons de détention avant d'être

9 tué.

10 Lorsqu'il a été tué, Nail Hodzic avait 63 ans. Cela veut dire qu'il

11 n'était pas un conscrit militaire comme l'indique le certificat; il était

12 bien trop vieux pour cela. Il n'éxécutait aucune tâche militaire, il était

13 simplement détenu au KP Dom comme nous le savons de récits de témoins

14 oculaires. Effectivement, il a été abattu le 26 juin 1992 mais cela s'est

15 produit au KP Dom. Et s'il a été assassiné, et si vous voulez savoir

16 pourquoi il a été assassiné, il suffit d'entendre le témoignage de tous

17 ces témoins. La seule faute de M. Hodzic, c'était d'être membre du parti

18 du SDA.

19 Les souffrances subies par les victimes étaient manifestes mais il ne faut

20 pas oublier non plus les souffrances qu'ont endurées leur famille.

21 Rappelez-vous ce qu'a dit le témoin 71 lorsqu'il a parlé de Cankusic qui a

22 vu ses fils, Abdurahman et Refik, être emmenés au bâtiment administratif

23 pour y être passés à tabac. Ce père a entendu les gémissements de ses

24 enfants. Le témoin 71 nous a dit que ce père a trouvé cela insupportable

25 et a perdu conscience. Vous trouvez aussi ces deux hommes, Abdurahman et

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1 Refik à la liste C; lui aussi a été assassiné.

2 Nous avons entendu les membres de la famille de l'accusé qui nous ont dit

3 à quel point l'accusé leur manquait. Imaginez-vous, dès lors, à quel point

4 les femmes, les enfants, les parents des détenus assassinés regrettent les

5 hommes qu'ils chérissaient. Ils n'ont même pas de tombe sur laquelle ils

6 peuvent se recueillir. Ils ne savent même pas où sont leurs dépouilles.

7 Cette question tourmente les parents des personnes portées disparues, des

8 personnes assassinées. Même après huit ans, c'est une tourmente pour ceux

9 qui ont survécu au KP Dom.

10 Le Docteur Berberkic vous a dit qu'il était toujours conscient du fait que

11 plusieurs centaines de détenus sont portés manquants. Le témoin 66 vous a

12 dit ceci, je cite: "Je demanderai à la Chambre de déterminer, de

13 découvrir où sont toutes ces personnes manquantes. Il y a tellement

14 d'enfants qui sont aujourd'hui orphelins, il y a des centaines d'orphelins

15 aujourd'hui. Et jusqu'au jour d'aujourd'hui, ces orphelins ne savent

16 toujours pas où sont les restes des hommes qu'ils chérissaient. Est-ce

17 qu'il serait possible d'au moins enterrer leurs ossements?".

18 Les passages à tabac, les meurtres pouvaient être vus et entendus par les

19 autres détenus. Ces autres détenus étaient obligés de supporter le bruit

20 des passages à tabac, supporter d'entendre l'agonie, les gémissements de

21 leurs codétenus. Ils étaient terrorisés, ces détenus, ils vivaient

22 constamment dans la terreur d'être les suivants à y passer.

23 Le Docteur Berberkic nous a dit comment lui et les autres détenus avaient

24 laissé des lettres d'adieux aux codétenus, lettres que ceux-ci étaient

25 censés envoyer à leur famille s'ils ne revenaient pas.

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1 Ekrem Zekovic vous a dit que l'infirmier croate Mate Ivancic, lorsqu'on

2 l'avait fait sortir de la pièce un soir, avait laissé sa montre à un de

3 ses codétenus, montre qu'il était censé remettre à son fils s'il ne

4 survivait pas.

5 Monsieur le Président, il est 11 heures, j'ai encore une vingtaine de

6 minutes...

7 M. le Président (interprétation): Nous allons reprendre à 11 heures 30.

8 (L'audience, suspendue à 11 heures 00, est reprise à 11 heures 30.)

9 M. le Président (interprétation): Madame Uertz-Retzlaff?

10 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

11 Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges, avant la pause j'ai

12 parlé des souffrances mentales endurées par les détenus au KP Dom.

13 L'équipe des enquêteurs a pu appréhender de très près la souffrance

14 endurée par les détenus.

15 Rappelez-vous de Racine Manas, cette enquêtrice qui vous a parlé d'une

16 inscription qu'elle a trouvée dans une des cellules d'isolement. Il

17 s'agissait du dernier message envoyé par un détenu musulman qui pensait

18 qu'il allait mourir. Le simple fait de lire cette inscription plusieurs

19 années après les faits a bouleversé l'équipe des enquêteurs qui se

20 trouvait sur les lieux. Imaginez une seconde l'anxiété, la terreur

21 éprouvée par celui qui a écrit cela sur ce mur.

22 Nous avons pu constater les souffrances endurées par chacun des anciens

23 détenus qui sont venus dans ce prétoire. Ces détenus étaient des gens qui,

24 avant d'être détenus, étaient des gens en bonne santé, qui avaient réussi

25 dans leur domaine professionnel. Ils sont sortis du KP Dom brisés

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1 mentalement et physiquement. Ils le sont restés encore aujourd'hui.

2 Beaucoup de détenus ont été soumis au travail obligatoire. Et je voudrais

3 souligner le fait que le travail n'était absolument pas volontaire au KP

4 Dom.

5 "Arbeit macht frei!", "le travail libère!". C'était, pendant la Deuxième

6 Guerre mondiale, la devise des camps de concentration. Au KP Dom, on

7 aurait pu dire que la devise était que le travail garantissait la survie.

8 Ceux qui demandaient à travailler le faisaient parce qu'ils avaient besoin

9 de nourriture supplémentaire. Ceux qui demandaient à travailler savaient

10 que les personnes qui travaillaient échappaient à la torture et à la

11 disparition. Ceux qui demandaient à travailler savaient que cela leur

12 permettait de sortir des pièces fermées à clef, leur permettait d'obtenir

13 des informations et de s'éloigner un peu de leur souffrance.

14 C'est pour cela qu'ils ont demandé à travailler, pour garder leur santé

15 mentale. Mais les personnes qui travaillaient étaient forcées de

16 travailler, même les personnes blessées et malades à qui l'on recommandait

17 de se reposer demandaient à travailler. Même l'intervention du médecin de

18 la prison n'y faisait rien. Ceux qui ont refusé de travailler étaient

19 sanctionnés.

20 Certains détenus ont été contraints d'accomplir des travaux extrêmement

21 dangereux sur la ligne de front, tels que creuser des tranchées et

22 conduire un véhicule devant les soldats serbes pour détecter les mines.

23 Personne ne peut dire qu'il s'agit là d'un travail que l'on accomplit de

24 façon volontaire.

25 Il n'y a aucun doute au fait que les crimes commis ont été d'une gravité

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1 extrême. Il faut le prendre en compte dans la fixation de la peine.

2 Autre point à prendre en compte: l'importance et la participation de

3 l'accusé dans ces crimes. L'accusé affirme qu'il n'était pas en mesure de

4 modifier les conditions de vie qui prévalaient au KP Dom et qu'il n'était

5 pas en mesure d'influencer le comportement des gardes et des soldats

6 envers les détenus.

7 Cependant, les éléments de preuve nous présentent une image complètement

8 différente de l'accusé et des possibilités qu'il avait. Les détenus nous

9 ont décrit les conditions qui existaient au KP Dom pendant que l'accusé

10 était responsable. Ils ont également dit à quel point les conditions de

11 vie s'étaient modifiées de façon drastique pendant l'été 1993, lorsque

12 l'accusé a été remplacé par un nouveau directeur.

13 Les témoins ont attesté des atrocités commises alors que l'accusé était

14 commandant du camp. Ils ont étalement attesté du fait qu'aucune atrocité

15 n'a été commise après l'arrivée du nouveau directeur. Et d'ailleurs,

16 certains ex-détenus nous ont raconté que le comportement des gardes s'est

17 modifié, qu'il s'est amélioré après l'arrivée de ce nouveau directeur. Ils

18 nous ont également dit, ces témoins, que le nouveau directeur les avait

19 protégés après que les soldats de Miljevina avaient intercepté un groupe

20 destiné à un échange. Ils ont raconté comment le nouveau directeur les a

21 mis en lieu sûr.

22 Pendant l'été 1993, lorsque l'accusé a quitté le KP Dom, les autres

23 employés du KP Dom sont restés sur place. Je pense en particulier aux

24 gardes, au commandant des gardes et à M. Todovic, celui qui -d'après la

25 défense-, était responsable des mauvais traitements des détenus; lui

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1 aussi, il est resté au KP Dom.

2 Les détenus sont restés les mêmes, aussi bien pendant que M. Krnojelac

3 était à la tête du KP Dom qu'après. Et la guerre a continué pendant et

4 après que M. Krnojelac était directeur du KP Dom.

5 Cependant, les conditions qui existaient au KP Dom n'ont changé que pour

6 une seule et unique raison: c'est que le directeur Krnojelac a quitté le

7 KP Dom. Rien ne montre mieux l'importance des actes de l'accusé dans les

8 crimes commis au KP Dom entre avril 1992 et août 1993. C'est le directeur

9 de la prison qui a fait toute la différence. L'accusé a joué un rôle

10 crucial dans l'existence de conditions de vie déplorables au KP Dom et

11 dans le mauvais traitement des détenus non-serbes. Il a joué un rôle

12 crucial pour mettre en place un régime de terreur, régime de terreur qui a

13 existé pendant tout le temps qu'il a passé à la tête du KP Dom.

14 La Chambre doit également considérer comme un facteur aggravant la

15 motivation de l'accusé, ce qui l'a poussé à agir de la sorte. Nous

16 avançons qu'il a agi de la façon dont il a agi pour obtenir des bénéfices

17 personnels, aussi bien sur le plan de sa position dans la société que sur

18 le plan professionnel. On a vu que des détenus ont été envoyés pour

19 travailler sur sa maison et dans l'appartement de son fils, à l'automne et

20 à l'hiver 1992. Etant directeur du KP Dom, il a eu accès à un appartement

21 qui appartenait au KP Dom, bien qu'il n'était pas membre du fonds du

22 logement du KP Dom, ce qui est normalement nécessaire pour accéder à un

23 tel appartement.

24 Le poste de directeur lui a donné l'avantage de bénéficier des ressources

25 lui permettant de reconstruire sa maison. Cela lui a permis de ne pas

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1 aller au front, cela lui a permis d'atteindre la position sociale

2 respectée dans la société locale à laquelle il aspirait depuis tant de

3 temps.

4 Enfin, le fait d'avoir servi avec loyauté la cause serbe lui a permis

5 d'être promu du poste d'enseignant au poste de directeur de l'école en

6 1993.

7 Et cet égoïsme exacerbe encore la gravité des agissements de l'accusé,

8 puisque souvent le mal est commis plus au nom de l'égoïsme qu'à celui du

9 sadisme.

10 J'ai déjà souligné qu'il y avait eu un très grand nombre de victimes. J'ai

11 parlé des atrocités qui avaient été commises, et du fait que beaucoup de

12 ces détenus étaient âgés et étaient malades.

13 Autre facteur aggravant: c'est le fait que les personnes détenues au KP

14 Dom continuent à souffrir de ce qu'elles ont vécu. Il y a les souffrances

15 physiques au niveau du dos, au niveau des bras, au niveau des jambes. Mais

16 les témoins nous ont raconté que, huit ans après les faits, ils continuent

17 à ressentir de la peur, de la terreur, qu'ils ont des flash-back sur ce

18 qui s'est produit, qu'ils ont des cauchemars.

19 Le témoin Zekovic nous a dit, lors de son témoignage, qu'il se souvient du

20 bruit que faisait le portail métallique si tristement célèbre. Et le

21 témoin Berberkic nous a dit qu'il ressent de la peur à chaque fois qu'il

22 voit quelqu'un en uniforme ou avec un pistolet, il nous dit avoir ressenti

23 la même chose quand il vu les gardes du Tribunal.

24 Malheureusement, dans ce procès, nous n'avons pas pu découvrir grand-chose

25 en matière de circonstances atténuantes. Les seules circonstances qui

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1 puissent venir à l'esprit à cet égard sont le fait que l'accusé n'avait

2 pas de casier judiciaire, que c'était un citoyen modeste avant la guerre

3 et que, d'une certaine manière, il a coopéré avec l'accusation puisqu'il a

4 fait une déclaration dans le cadre de la mise en état de ce procès.

5 On pourrait considérer que l'existence d'ordres venant de supérieurs

6 hiérarchiques est une circonstance atténuante, mais nous avançons que

7 l'accusé aurait pu éviter d'obéir à ces ordres en quittant Foca, ou bien

8 il aurait pu demander une autre affectation, comme ma collègue l'a déjà

9 expliqué. Nous avançons que l'accusé avait le choix quand il a été

10 confronté à ces ordres. Il aurait pu atténuer les souffrances endurées par

11 les détenus en améliorant leurs conditions de vie. Et s'il avait

12 effectivement donné à tous les détenus des volumes de nourriture égaux,

13 comme il l'affirme à tort, eh bien les souffrances des détenus en auraient

14 été bien atténuées.

15 S'il avait simplement demandé aux gardes de traiter les détenus

16 humainement, s'il avait simplement limité l'accès des soldats au KP Dom

17 -comme c'était le cas avant la guerre-, eh bien toutes ces atrocité

18 n'auraient pas été commises. Il n'a fait aucune de ces choses. Ceci

19 indique qu'il acceptait ces ordres et la logique qui sous-tendait ces

20 ordres.

21 L'accusé affirme qu'il se serait constitué prisonnier auprès du Tribunal

22 s'il avait été accusé dans le cadre d'un acte d'accusation publique. La

23 défense estime qu'il s'agit-là d'une circonstance atténuante. Cependant,

24 la Chambre de première instance ne doit pas prendre les paroles de

25 l'accusé au pied de la lettre.

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1 Du fait des visites des enquêteurs au KP Dom, les gens de Foca ont bien

2 compris que l'on était en train de mener une enquête sur les crimes du KP

3 Dom qui allaient faire l'objet de poursuites. Il était clair que le

4 directeur du Kp Dom ferait l'objet de poursuites. Ceci est confirmé par le

5 fait que l'accusé s'est vu remettre une fausse carte d'identité. Le fait

6 que l'accusé portait sur lui cette carte d'identité falsifiée montre qu'il

7 n'avait absolument pas l'intention de faire face à ses responsabilités

8 mais qu'il voulait utiliser tous les moyens possibles, y compris une

9 fausse identité, pour échapper à la justice.

10 Il n'y a aucune question de nature physique ou mentale qui puisse entrer

11 en ligne de compte lorsqu'il s'agit de fixer la peine de l'accusé, puisque

12 tous les experts nous ont expliqué que l'accusé était quelqu'un de tout à

13 fait normal et moyen. Le fait que l'accusé ait une attitude conformiste

14 dans la vie ne constitue pas une circonstance atténuante, bien au

15 contraire! Les personnes conformistes qui s'accommodent de toutes sortes

16 de régimes, les plus abjects qu'ils soient, à tous les postes possibles,

17 constituent souvent le pilier de ce genre de régime. Ce sont souvent eux

18 qui sont les exécutants des pires exactions.

19 Le remord est considéré comme une circonstance atténuante. Or, l'accusé

20 n'a fait preuve d'aucun remord quel qu'il soit, bien au contraire! Il a

21 mis l'accent sur ses propres souffrances pendant la guerre, ne tenant donc

22 aucun compte des souffrances des autres.

23 Lorsque viendra le moment de déterminer la peine de l'accusé, il convient

24 de prendre en compte les précédents jugements de commandants de camps. La

25 plupart de ces jugements ont été rendus dans le cadre de procès de

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1 commandants de camps de concentration pendant la Deuxième Guerre mondiale.

2 L'accusation ne souhaite pas comparer le KP Dom de Foca avec les camps de

3 concentration comme Jasenovac, où plus de 500.000 à 600.000 personnes

4 serbes ont été assassinées. Il s'agit d'une dimension bien différente ici.

5 Cependant, il faut prendre en compte le fait que dans ces affaires

6 relatives à la Deuxième Guerre mondiale, les commandants de camps, même

7 s'ils n'avaient pas les mains sales, même s'ils n'avaient pas les mains

8 ensanglantées, ont reçu des peines très lourdes. La plupart d'entre eux

9 d'ailleurs ont été condamnés à mort.

10 La Chambre de première instance est tenue de prendre en compte la pratique

11 générale en matière de peine dans les tribunaux de l'ex-Yougoslavie.

12 D'après les Articles 141 et 142 du code pénal fédéral de l'ex-Yougoslavie,

13 les crimes tels que ceux nous avons dans la présente affaire auraient fait

14 encourir à leurs auteurs des peines lourdes allant de cinq ans

15 d'emprisonnement à la peine de mort.

16 La Chambre de première instance est dans l'obligation de tenir compte des

17 peines prononcées dans d'autres affaires dans ce Tribunal. Vous avez

18 l'affaire Zlatko Aleksovsky, commandant du camp de Kaonik en Bosnie

19 centrale, camp où des détenus ont été soumis à de mauvais traitements. Cet

20 homme a été condamné à sept ans d'emprisonnement.

21 Cependant, le camp de Kaonik n'a fonctionné que pendant une totalité de

22 dix semaines en 1993. Pendant les deux premières semaines, quelque 400

23 Musulmans y ont été détenus. Ensuite, ils n'étaient plus qu'une centaine.

24 Pendant ces deux périodes, les personnes malades, les personnes âgées ont

25 été libérées peu après leur arrestation.

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1 Dans les conclusions rendues dans cette affaire, on n'en est pas arrivé à

2 la conclusion de meurtre et il n'y a eu que quelques cas de passages à

3 tabac. Aleksovsky a été reconnu coupable d'un chef d'accusation d'outrage

4 à la dignité humaine, aux termes de l'Article 3 du Statut, pour avoir aidé

5 et encouragé à la création d'une atmosphère de terreur psychologique, et

6 pour n'avoir pas empêché l'utilisation des détenus comme boucliers

7 humains, et pour creuser des tranchées. Il n'a pas été reconnu coupable de

8 crime contre l'humanité, il n'a pas été reconnu coupable de meurtre,

9 torture, traitement cruel ou détention illégale de civils. La Chambre

10 d'appel a modifié la peine prononcée contre lui, et a prononcé une peine

11 de sept ans qui prenait en compte la circonstance atténuante de double

12 incrimination, vu le procès en l'espèce. Et d'après la Chambre d'appel,

13 s'il n'y avait pas eu ce fait, cette double incrimination, la peine

14 prononcée par la Chambre d'appel aurait été beaucoup plus longue.

15 Zdravko Music a été condamné parce qu'il était commandant du camp de prion

16 de Celebici. Il a été, en première instance, condamné à sept ans

17 d'emprisonnement. Le camp de Celebici, qui se trouvait en Bosnie centrale,

18 a fonctionné pendant environ sept mois; 320 civils serbes environ y ont

19 été détenus. Music a été condamné notamment parce qu'il était responsable

20 de 9 meurtres, de 6 tortures et de 11 incidents de traitement cruel. Bien

21 que la condamnation de Music ait été partiellement annulée pour des

22 raisons purement juridiques et renvoyée à une nouvelle Chambre de première

23 instance pour déterminer sa peine, la Chambre d'appel a néanmoins fait

24 savoir très clairement qu'elle aurait imposé une peine plus lourde

25 d'environ 10 ans. La Chambre d'appel a stipulé en l'espèce qu'elle avait

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1 considéré comme facteur de circonstances atténuantes la double

2 incrimination.

3 Ces exemples que je viens de vous citer n'indiquent pas que l'accusé

4 devrait recevoir une peine semblable. Le contraire est vrai. Il n'y a pas

5 de calcul, de formule que l'on puisse appliquer lorsqu'il s'agit d'évaluer

6 le mal. Chaque accusé doit être condamné à une peine qui correspond à sa

7 culpabilité.

8 En premier lieu, la gravité des infractions commises par cet accusé est

9 beaucoup plus importante que celle d'Aleskovsky ou de Music à bien des

10 égards, telle que la durée des crimes, le nombre de détenus, le nombre de

11 victimes, de meurtres et d'atrocités. Il faut également prendre en compte

12 la participation de l'accusé à ces crimes, aussi bien au titre de

13 l'Article 7(1), que de l'Article 7(3) en tant qu'auteur.

14 Deuxièmement, l'élément de double incrimination ne s'applique pas en

15 l'espèce. De surcroît, l'accusation souhaite attirer l'attention de la

16 Chambre de première instance sur les circonstances aggravantes et

17 atténuantes en l'espèce. En particulier, sur le fait que l'accusé

18 Krnojelac a participé à ces crimes pour y obtenir des bénéfices aussi bien

19 personnels que financiers.

20 En conclusion, l'accusation demande respectueusement à la Chambre de

21 première instance de condamner l'accusé Krnojelac à une peine

22 d'emprisonnement qui ne soit pas inférieure à 25 ans.

23 Merci.

24 M. le Président (interprétation): Avant que vous ne vous rasseyez, il y a

25 un certain nombre de questions qui se posent suite à votre réquisitoire.

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1 Nous avons besoin de votre aide. Peut-être ne pourrez-vous pas répondre

2 tout de suite si cela n'est pas possible, et à condition que vous

3 remettiez un exemplaire du document à la défense, vous pourrez répondre

4 par écrit.

5 Est-ce que je peux partir du principe qu'en ce qui concernet le travail

6 forcé, la pièce à conviction D-44, ou B-34, c'est le document dont vous

7 nous dites qu'en fait il ne s'applique pas aux détenus musulmans? Vous

8 avez dit cela très brièvement. Je ne comprends pas très bien pourquoi,

9 mais je voudrais que vous nous l'expliquiez.

10 Il s'agit de documents où on lit que le KP Dom reçoit l'autorisation

11 "d'imposer une obligation de travail aux personnes aptes à travailler, et

12 qui n'appartiennent pas à des unités de l'armée yougoslave". Je lis, ici,

13 le premier paragraphe de ce document.

14 Donc j'essaie de comprendre ce que vous voulez nous dire. Est-ce que vous

15 êtes en train de nous dire que cela ne fait référence qu'aux personnes qui

16 auraient pu appartenir à des unités de l'armée yougoslave? Est-ce la

17 raison pour cela ne s'applique pas aux détenus musulmans?

18 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Oui, Monsieur le Président. En ce qui

19 concerne cette décision, tout d'abord il faut regarder la date, date du 26

20 avril 1992. A l'époque, il n'y avait aucune discussion quant aux unités de

21 travail forcé, mais il s'agissait de déterminer qui allait travailler au

22 KP Dom. C'est à cette époque que les anciens employés du KP Dom ont

23 retrouvé leur poste. Et nous pensons, sur la base de ce document, qu'ils

24 sont revenus au KP Dom suite à l'établissement d'une liste qui est

25 mentionnée ici et qui a été fournie. Ce document fait référence aux

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1 employés, à leur retour et à leur obligation de travail.

2 M. le Président (interprétation): Je ne suis pas sûr de bien vous

3 comprendre. Pourquoi ce document, pourquoi cette décision ne s'appliquait

4 pas pendant toute la durée du mandat de l'accusé au poste de directeur de

5 la prison?

6 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Quand on lit ce document, on voit

7 qu'il ne s'applique qu'aux employés. On le voit dans la suite du document.

8 Cela ne s'applique pas uniquement au 26 avril 1992, ce document s'est

9 appliqué à toute la période. Mais cela concerne uniquement les employés,

10 et non pas les détenus.

11 M. le Président (interprétation): Mais pourquoi dites-vous cela? On ne

12 trouve ici nullement le mot "employés".

13 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): C'est exact, mais on parle ici

14 d'obligation de travail pendant la guerre; il s'agit de l'obligation de

15 travail qui s'applique à la population qui n'est pas occupée à combattre.

16 M. le Président (interprétation): Mais pourquoi est-ce que cela est

17 adressé au KP Dom? Vous nous dites que cela s'applique à tout le monde!

18 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Oui, mais certains détenus nous ont

19 expliqué qu'ils ont dû se présenter auprès de leur employeur, parce que

20 très souvent c'était l'employeur qui décidait ce que telle ou telle

21 personne devait faire. Les détenus nous ont permis également de comprendre

22 que le KP Dom et le directeur du KP Dom étaient en mesure de déterminer

23 quels employés devaient revenir.

24 M. le Président (interprétation): Je ne crois pas me souvenir de cela. Il

25 serait utile que vous puissiez nous dire à quel moment on a fait référence

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1 à cela dans le cadre de la présentation des éléments de preuve.

2 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Je ne peux pas le faire à l'instant,

3 mais je vous communiquerai cette réponse.

4 M. le Président (interprétation): Je pense qu'il faut que vous vous

5 concentriez sur ce document, parce que ce n'est pas aussi simple que vous

6 semblez vouloir nous le dire dans le cadre de votre réquisitoire.

7 Partons du principe que ce document s'applique aux détenus musulmans. Si

8 c'était le cas, comment l'accusé aurait-il pu être responsable en tant que

9 supérieur hiérarchique, puisqu'il n'aurait eu aucun pouvoir de sanctions?

10 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): L'accusé aurait toujours été, dans

11 ces conditions l'exécutant de ces ordres.

12 M. le Président (interprétation): Non, parlons de sa responsabilité en

13 tant que supérieur hiérarchique. Si quelqu'un avait agi suite à cet ordre

14 et si cet ordre était illégal, à ce moment-là il ne pourrait pas s'appuyer

15 sur cet ordre en répondant à des accusations de travail forcené.

16 Partons du principe qu'il n'est pas responsable individuellement de cela,

17 mais qu'il est responsable uniquement en tant que supérieur hiérarchique.

18 Un supérieur hiérarchique ne peut être tenu responsable que s'il a la

19 possibilité de sanctionner ou de faire part d'une sanction. Personne

20 n'aurait pu sanctionner ces gens puisque ce sont les autorités locales

21 qui, peut-être illégalement, mais quoi qu'il en soit ont donné la

22 permission que ces gens travaillent. Pouvez-vous nous répondre à ce sujet?

23 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Vous avez raison, Monsieur le

24 Président.

25 M. le Président (interprétation): Certains de nos juristes les plus

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1 perspicaces n'ont pas trouvé de liste E dans vos écritures, ils n'ont pas

2 donné les noms qui correspondent. Je ne sais pas s'il y a erreur de votre

3 part?

4 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): En premier lieu, il s'agissait d'une

5 simple omission. Parfois, nous avons utilisé une liste avec 57 noms. La

6 dernière liste déposée avec le deuxième Acte d'accusation modifié comptait

7 60 noms. C'est cette liste que nous avons utilisée pendant tout le procès.

8 Lorsque nous avons délivré cet Acte d'accusation annoté, nous nous sommes

9 trompés, nous avons utilisé la mauvaise liste mais nous avons procédé à

10 des vérifications pour voir ce qu'il en était des trois personnes qui ne

11 figuraient pas sur la liste: il s'agissait des personnes portant les

12 numéros 47, 51 et 54. Nous avons constaté que nous n'avions pas

13 suffisamment d'éléments de preuve, c'est pour cela que je n'en ai pas

14 parlé.

15 M. le Président (interprétation): Merci.

16 En ce qui concerne donc cette pièce D34, au paragraphe 2 on parle de

17 l'obligation de travail qui doit être imposée aux employés sur la base de

18 la liste soumise par le KP Dom. Avez-vous des éléments de preuve au sujet

19 de cette liste?

20 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Nous avons parlé de cette liste avec

21 l'un des témoins de la défense et nous n'avons pas été en mesure de savoir

22 qui avait fait cette lise et ce à quoi elle ressemblait.

23 M. le Président (interprétation): Mais vous n'avez pas d'informations

24 supplémentaires au sujet de cette liste?

25 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Non.

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1 M. le Président (interprétation): Elément suivant que je souhaite aborder

2 avec vous: il s'agit de la persécution. Je crois que vous avez essayé

3 d'aborder cette question, une question que nous avons évoquée par écrit

4 avant l'audience. Donc vous avez essayé d'y répondre, mais pas de façon

5 expresse, dans votre réquisitoire.

6 Je voudrais savoir si, dans le cadre de la présentation de vos moyens,

7 vous avancez qu'une fois dans le KP Dom les détenus étaient sélectionnés

8 pour être soumis à un certain nombre de traitements parce qu'ils n'étaient

9 pas Serbes ou du fait de leur appartenance religieuse ou politique, ou

10 bien simplement parce qu'ils étaient détenus au KP Dom. Peut-être

11 pourriez-vous nous donner la réponse à cette question?

12 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Nous, nous avançons qu'ils ont été

13 sélectionnés du fait de leur appartenance ethnique.

14 M. le Président (interprétation): Mais qu'en est-il des détenus qui ont

15 été sélectionnés parce qu'ils avaient certaines compétences?

16 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Ces gens n'ont été séléctionnés que

17 parmi les Musulmans, pour être forcés à travailler.

18 M. le Président (interprétation): Mais n'y avait-il pas également des

19 Serbes qui travaillaient au sein de l'unité économique de la Drina?

20 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Oui, mais ils n'étaient pas forcés à

21 travailler.

22 M. le Président (interprétation): Cela est une autre question que vous

23 avez abordée dans le cadre de votre réquisitoire et dans vos écritures, en

24 disant qu'ils recevaient des colis, ils étaient rémunérés d'une certaine

25 manière. Je comprends.

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1 Mais où y a-t-il discrimination? S'il y a des gens qui ont des

2 compétences, pourquoi est-ce qu'on ne les choisirait pas, justement on ne

3 les sélectionnerait pas parce qu'ils avaient des compétences? Il faut

4 établir au-delà de tout doute raisonnable qu'il y avait discrimination

5 dans cette sélection.

6 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Oui mais nous, nous avançons que la

7 totalité du groupe des travailleurs a été sélectionnée parce qu'il

8 s'agissait de Musulmans.

9 M. le Président (interprétation): Même si certains étaient Serbes?

10 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Oui.

11 M. le Président (interprétation): Cela ne nous avance pas beaucoup, je

12 crois.

13 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Pour les prisonniers serbes, c'était

14 différent: pour cela, il s'agissait de réinsertion sur la base du document

15 que nous avons évoqué.

16 M. le Président (interprétation): Pièce à conviction D-29, où l'on peut

17 lire que "des unités de travail peuvent être mises en place afin d'aider à

18 la réinsertion des détenus". Fin de citation. Donc je vois ce que vous

19 voulez dire. Cela peut effectivement faire référence aux personnes qui

20 avaient été condamnées.

21 Question suivante: il s'agit de l'emprisonnement illégal pendant le

22 contre-interrogatoire ou l'interrogatoire de certains témoins. On a parlé

23 des Conventions de Genève, des obligations qui en découlent.

24 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Oui.

25 M. le Président (interprétation): Et c'est à ma demande, parce que nous en

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1 avons parlé dans le cadre de l'arrêt Celebici.

2 En l'espèce, vous n'avez pas fait référence dans votre Acte d'accusation

3 aux Conventions de Genève. Donc je voudrais savoir si nous devrions

4 prendre en compte les obligations qui découlant des Conventions de Genève

5 pour la référence qui a été faite.

6 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Oui.

7 M. le Président (interprétation): Mais pourquoi? Parce que vous n'en

8 parlez pas beaucoup en détail dans vos écritures.

9 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Oui, mais nous avons présenté les

10 éléments de preuve dans ce sens.

11 M. le Président (interprétation): Je comprends bien, mais comment le

12 prendre en compte effectivement?

13 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Dans les Conventions de Genève, on

14 indique les normes, les conditions minimum dont doivent jouir les

15 personnes détenues. Ces obligations n'ont pas été respectées au KP Dom.

16 M. le Président (interprétation): C'est pour cela que je vous pose la

17 question. Il y a une disposition dans les Conventions de Genève et il n'y

18 a aucune charge qui a été présentée ici, aucun chef d'accusation,

19 d'infraction grave aux Conventions de Genève. Donc comment devons-nous

20 prendre en compte les obligations qui découlent des Conventions de Genève?

21 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Ces obligations sont intégrées dans

22 l'Article 3 commun.

23 M. le Président (interprétation): Oui, mais vous n'avez pas prononcé de

24 chefs d'accusation au titre de cet Article 3, mais dans notre Article 3,

25 dans l'Article 3 du Tribunal?

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1 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Oui, mais notre Article 3, l'Article

2 3 du Statut recouvre la totalité de l'Article 3 commun des Conventions de

3 Genève. Nous n'avons pas évoqué la question, parce que nous pensons que

4 cela ne faisait l'objet d'aucune contestation.

5 M. le Président (interprétation): Je ne sais pas si c'est le cas ou non,

6 mais je voudrais savoir si nous devons le prendre en compte dans le cadre

7 de l'évaluation des éléments de preuve. Il est possible que cela fasse

8 partie du droit coutumier. Je ne sais pas quelle est la position de... Je

9 voudrais connaître la position de l'accusation à ce sujet, savoir si nous

10 devons le prendre en compte au titre de l'Article 3 commun, et sachant que

11 l'Article 3 du Statut incorpore l'Article 3 commun -même s'il n'y a pas eu

12 de chef d'accusation à ce titre.

13 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Nous pensons qu'il s'agit ici du

14 droit coutumier international. Nous n'avons pas évoqué la question dans le

15 cadre de notre mémoire mais nous pourrions le faire, nous pourrions vous

16 fournir des écritures supplémentaires à ce sujet.

17 M. le Président (interprétation): En l'espèce, une bonne part de la cause

18 de la défense, c'est que l'accusé -même s'il était directeur de la

19 prison-, n'avait pas les pouvoirs nécessaires pour libérer les

20 prisonniers. Or, ceci est une question qui a joué un rôle très important

21 dans l'affaire Celebici.

22 Ou devons-nous le reconnaître coupable, au titre de sa responsabilité

23 individuelle, du fait qu'il n'ait pas libéré les prisonniers, alors qu'il

24 ne pouvait pas le faire?

25 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Eh bien, dans notre mémoire nous

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1 avons indiqué que même si ce n'était pas lui qui prenait cette décision,

2 il était en mesure d'avoir une influence sur les décisions... Il avait la

3 possibilité d'influencer les personnes qui prenaient les décisions.

4 M. le Président (interprétation): Cela ne nous est pas très utile après

5 Celibici, puisque l'on a stipulé que le pouvoir d'influencer quelqu'un

6 n'était pas suffisant.

7 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Il faut que j'y réfléchisse, parce

8 que nous avons convenu qu'il n'avait pas le pouvoir de libérer les

9 prisonniers de son propre chef et que cela dépendait du commandement

10 militaire. Je dois dire qu'il faut que j'y réfléchisse.

11 M. le Président (interprétation): Je le comprends, mais il faut savoir où

12 nous allons. Tous les éléments que vous pourrez nous donner seront les

13 bienvenus, à condition bien entendu que vous fournissiez un exemplaire à

14 la défense. Moi, je n'ai pas de position précise à ce sujet.

15 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Nous non plus.

16 M. le Président (interprétation): Nous vous serons très reconnaissant de

17 toute information supplémentaire que vous pourrez nous donner.

18 Maître Bakrac, c'est à vous.

19 (Plaidoirie de Me Bakrac.)

20 M. Bakrac (interprétation): Monsieur le Président, je vous remercie

21 beaucoup. Mais avant de procéder à la plaidoirie comme telle, je voudrais

22 vous aider un petit peu. Evidemment, il n'est pas dans mon intention

23 d'adresser des critiques à l'accusation, non plus qu'au Greffe, mais le

24 fait est que son mémoire, le conseil de la défense ne l'a reçu que lundi à

25 une heure. Malgré tous les avertissements qui nous été donnés lorsque nous

Page 8302

1 avons voulu respecter, ces écrits ont pour ainsi dire permis de combler

2 les lacunes; à savoir, il s'agit de 200 pages, le conseil de la défense a

3 fait un gros effort, et cela, dans un laps de temps d'un jour, un jour et

4 demi pour ne pas se répéter trop en présentant les arguments de la

5 plaidoirie. Et référence est faite au réquisitoire.

6 Je m'excuse d'entrée de jeu si le conseil de la défense s'avère un peu

7 long pour répondre à certaines allégations qui ont été présentées tout à

8 l'heure lors du réquisitoire.

9 M. le Président (interprétation): Pour ce qui est du temps qui vous est

10 imparti, vous avez du temps jusqu'à demain, jusqu'à la pause de déjeuner.

11 Vous avez donc un peu plus de temps que l'accusation. Je dis bien jusqu'à

12 demain, jusqu'à la pause déjeuner demain parce que, après ce moment-là, à

13 cette heure, cette pause pour déjeuner, nous avons une conférence de mise

14 en état.

15 M. Bakrac (interprétation): Merci, Monsieur le Président, vous êtes très

16 aimable, les conseils de la défense en sont conscients. Mais j'éprouve

17 toujours une certaine crainte par rapport à cette Chambre d'instance

18 lorsque je dois m'étendre un peu.

19 D'abord, permettez-moi de me référer à certains faits que mes estimés

20 collègues de l'accusation ont avancé dans le cadre de la présentation

21 verbale, pour ce qui est de la participation et de la condition dont

22 jouissait Milorad Krnojelac, c'est-à-dire pour parler du territoire de la

23 ville pertinent

24 pour parler de l'Acte d'accusation.

25 Un des éléments-clés mentionnés ici et que l'on peut voir également dans

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1 le mémoire fait par écrit de l'accusation est que Milorad Krnojelac,

2 lorsqu'on lui a posé la question de savoir qui étaient les membres de la

3 cellule de crise, a fait preuve de sa bonne connaissance de ces hommes.

4 D'ailleurs, l'accusation a dit dans sa présentation verbale: "Il a fait

5 preuve d'un certain degré de familiarité enviable".

6 Le conseil de la défense ne fait que s'étonner devant une telle conclusion

7 car il ne nous est pas tout à fait clair par quel moyen l'accusation a pu

8 conclure ainsi que Milorad Krnojelac se trouvait dans un certain degré de

9 familiarité dans ses rapports avec les gens en question.

10 L'accusation a répété pour apostropher le fait que Foca serait une petite

11 ville et que la majeure partie des gens de Foca se connaissent entre eux.

12 Si l'accusé est né il y a 60 ans dans le territoire de Foca, à une

13 distance de 12 kilomètres de Foca, et si au cours des 30 dernières années

14 il habite notamment la ville de Foca proprement dite, est-il logique de

15 supposer que lui ne devrait connaître personne parmi les gens qui figurent

16 sur la liste en question? Il s'est agi en fait de gens qui doivent leur

17 position au sein de la cellule de crise, au fait qu'ils étaient les

18 personnalités de proue, les personnalités éminentes de Foca. Il est donc

19 tout à fait logique de les voir se connaître entre eux, il est tout à fait

20 logique de voir les uns et les autres qui connaissent les professions et

21 métiers de tout un chacun.

22 Peut-on intituler tout cela comme étant un haut degré de familiarité avec

23 ces gens-là? Si seulement l'accusation avait tenté de demander à quelque

24 témoin que ce soit parmi les témoins de la défense, l'accusation aurait

25 reçu la même réponse, à savoir qu'il était tout à fait naturel de

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1 connaître tous ces gens-là, de même que de connaître leurs professions

2 respectives.

3 Au début même de son réquisitoire, de sa présentation verbale,

4 l'accusation a parlé de la position de Milorad Krnojelac. L'accusation en

5 a fait mention notamment pour argumenter la peine demandée, pour dire que

6 Milorad Krnojelac pouvait disposer de cette fonction pour ne pas être

7 envoyé sur le front, pour ne pas s'exposer à des risques.

8 L'accusation considère-t-elle vraiment -et croit-elle pouvoir en persuader

9 la présente Chambre d'instance?-, pour dire aussi que Milorad Krnojelac a

10 fait en sorte qu'il a poussé devant lui ses quatre fils envoyés sur le

11 front, pour pouvoir tout simplement faire de son mieux pour rester dans

12 les arrières, pour ne pas se rendre sur le front et pour ne pas qu'il lui

13 arrive quoi que ce soit. Peut-on y croire? Peut-on voir quiconque qui

14 serait capable de le croire, notamment lorsque nous connaissons le malheur

15 qui l'a frappé, à savoir la tragédie de ses deux fils? Et c'est ce qu'il a

16 voulu présenter ici en toute sincérité pour dire quels étaient ses

17 sentiments, pour dire dans quel sens ceci était un grand malheur pour lui.

18 Il ne voulait pas, par là même, diminuer, banaliser, comme l'accusation

19 essayait de le présenter, les souffrances des personnes détenues au KP

20 Dom.

21 Au cours de sa déposition, Milorad Krnojelac a dit qu'il a souffert et

22 qu'il se trouvait mal lorsqu'il a pu entendre parler les différents

23 témoins qui déposaient sur certains crimes qui, prétendument, auraient été

24 perpétrés au KP Dom. Voilà la raison pour laquelle on ne peut pas lui

25 imputer l'absence de remords. Pour la simple raison que lui, son malheur,

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1 sa maison incendiée et ses fils mutilés étaient objet de sa déposition. Si

2 nous procédons de ce postulat de l'accusation, aurait-il été mieux pour

3 lui de ne pas en parler du tout? Car voilà que ceci est retourné comme une

4 circonstance aggravante à son encontre.

5 Lorsqu'il parle de ses malheurs à lui, de ses souffrances, de ses

6 sentiments, il est certain qu'il ne diminue pas et ne banalise pas les

7 souffrances des autres.

8 Un des arguments clefs avancé ici pour dire que Milorad Krnojelac est

9 coupable du fait qu'il se trouvait à cette fonction, l'accusation finit

10 par apostropher et mettre en relief sa possibilité de quitter Foca. En

11 vérité, il est fort aisé de dire cela, surtout dans la position où l'on se

12 trouve.

13 Je prie cette Chambre, lorsqu'elle aura à évaluer cette possibilité, de

14 prendre en considération tous ces différents aspects également sous

15 l'angle de la fonction du temps qui sont pertinents pour prendre une

16 décision là-dessus.

17 L'accusation a fait mention également de M. Slavica Prodanovic, mais c'est

18 justement l'accusation qui doit savoir qu'au moment où les hostilités se

19 sont déclenchées, Slavica Prodanovic a quitté la ville de Foca, cela parce

20 qu'il était dans l'impossibilité de se retrouver dans un autre milieu pour

21 survivre. Il était de retour, et voilà qu'il était affecté dans l'armée

22 pour servir dans le personnel de sécurité du KP Dom. Or, en voici une

23 preuve supplémentaire pour dire que la sécurité du KP Dom était du ressort

24 des pouvoirs militaires et supérieurs.

25 Jamais Slavica Prodanovic n'a servi au KP Dom, mais voilà que l'armée l'a

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1 envoyé pour servir dans le personnel de sécurité. En voici une preuve pour

2 savoir et pour dire qui était compétent d'affecter les gardes et le

3 personnel, et le service de sécurité.

4 Je voudrais me référer également à cette qualification si gratuitement

5 proférée, lorsque l'on dit par exemple que Milorad Krnojelac pouvait très

6 facilement quitter la ville de Foca. Je voudrais poser une question à

7 l'accusation, à savoir: peut-elle offrir une alternative pour dire à

8 Milorad où il a pu se rendre dans la situation où sa maison a été

9 incendiée, les seuls biens dont il disposait, en situation où en tant

10 qu'enseignant, sous les crédits qui pesaient lourdement sur lui sans

11 acquisition quelconque, et lorsqu'il n'avait pas de parents, pas de

12 cousins en dehors de Foca, en territoire libre, et lorsqu'il était en

13 situation où il était obligé de prendre avec lui sa bien nombreuse

14 famille? L'accusation croit-elle vraiment que Milorad avait un choix à

15 faire?

16 Le conseil de la défense a accusé l'existence d'un document moyennant

17 lequel on peut prouver que l'obligation de travail était égale à ce que

18 l'on désigne par "affectation de guerre", et que cette obligation de

19 travail devait être remplie autrement et, dans le cas contraire...

20 Je m'excuse, Monsieur le Président, on vient de me signaler que c'était

21 mon micro qui causait pas mal de problème aux interprètes. Je crois que je

22 vais m'en occuper maintenant et que cela sera en ordre.

23 M. le Président (interprétation): Vous pourriez peut-être utiliser un

24 autre micro, Maître Bakrac?

25 M. Bakrac (interprétation): Non, Monsieur le Président. Je crois que le

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1 volume du son était très fort, encore que je n'ai pas de problème pour ce

2 qui est de mon ouïe. C'est par hasard que je l'avais arrangé ici, le

3 potentiomètre, et je m'en excuse.

4 Par conséquent, il est tout à fait clair que ce que l'on peut constater

5 dans la pièce à conviction soumise par la défense...

6 Excusez-moi, Monsieur le Président, je ne peux répondre sans avoir été

7 préparé qu'à ce que j'ai pu entendre par mes estimés collègues. Je dois

8 pouvoir vous dire, après la suspension d'audience, la cote de cette pièce

9 à conviction, D plus le numéro, pour dire que c'est par voie légale que

10 cette obligation de travail a été établie. Si nous nous en souvenons, il

11 s'agit de l'Article 2 où il a été statué entre autres qu'obligation de

12 travail égale affectation de guerre. Se soustraire à une obligation de

13 travail égalait à faire acte de désertion. Or, tout acte de désertion est

14 passible de peine.

15 Oui, Monsieur le Président, j'y suis. Il s'agit de D33/1 et D33/1-A. Il

16 s'agit bien de cette pièce à conviction.

17 Il est un autre point fort important auquel le conseil de la défense se

18 référerait, et par lequel point, dans son réquisitoire, l'accusation a

19 insisté à certains faits. Nous aimerions en parler.

20 En posant des questions lors des interrogatoires de témoins, et tout à

21 l'heure pendant ce réquisitoire, nous avons pu entendre dire qu'au moment

22 où Milorad Krnojelac a quitté Foca, prétendument, évidemment, c'est un

23 véritable bien-être qui s'est installé dans le KP Dom. Est-ce de façon

24 aléatoire ou à dessein que l'accusation ferme les yeux sur le fait

25 indubitable, à savoir notamment qu'au moment où Milorad Krnojelac quitte

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1 le KP Dom commence le travail le plus dur, travail auquel les détenus

2 étaient soumis? Il s'agit en effet du travail qu'il a fallu effectuer dans

3 la mine de Miljevina.

4 Ces travaux, donc, ont commencé en septembre 1993 lorsque, pour sûr, ni du

5 point de vue formel ni de fait, n'était plus présent. C'est à ce moment-là

6 qu'au KP Dom se trouvait en fonction Zoran Sekulovic et, à côté de lui,

7 Radojica Tesevic, en tant que directeur de cette entité économique.

8 Faut-il rappeler à l'adresse de l'accusation le fait que ces travaux dans

9 la mine ont duré pendant plus d'une année entière, et cela

10 quotidiennement, jusqu'au dernier jour du mois d'octobre 1994, lorsqu'un

11 dernier groupe de détenus a été échangé?

12 Nous avons pu entendre dire que c'est pratiquement de la mine même que ces

13 groupes de détenus ont été échangés. Je vais rappeler à l'adresse de

14 l'accusation aussi le fait, qui d'ailleurs a été mentionné dans son

15 réquisitoire, à savoir que le témoin FWS-215 a dit de façon décidée que le

16 30 avril 1993, lorsque Milorad Krnojelac n'était plus au KP Dom, Savo

17 Todovic a puni cette personne en question de façon arbitraire en

18 l'installant dans une cellule d'isolement pendant une dizaine de jours. Et

19 cela dit, en le faisant travailler au cours de la journée. Le témoin en

20 question a dit qu'il se souvenait fort bien de cette date, parce que

21 c'était également la date de naissance de son épouse, et il en est sûr.

22 Qui y a-t-il eu de changé en matière de punition lorsque ces gens-là

23 étaient forcés de travailler, sinon pour dire que maintenant les détenus

24 musulmans se voyaient obligés de faire des travaux encore plus durs? Nous

25 avons pu entendre une série de témoins qui avaient la possibilité de

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1 travailler dans la mine. Nous avons pu les entendre décrire toute la

2 gravité de ces travaux. Les témoins disaient que dans cet atelier de

3 machines et outils mécaniques, ils travaillaient jusqu'en octobre 1994,

4 jusqu'au moment où ils ont dû être échangés.

5 Des témoins ont dit également qu'ils ont été obligés de travailler dans la

6 fabrique de meubles également jusqu'au moment où ils devaient être

7 libérés, c'est-à-dire échangés. Les témoins nous parlaient ici aussi pour

8 dire qu'ils travaillaient jusqu'en octobre 1994, également dans le cadre

9 de la ferme agricole, "Ekonomija".

10 Par conséquent, tous ces détenus musulmans ont effectué ces mêmes travaux

11 et je dirais les travaux qui se sont avérés encore plus durs et

12 difficiles, dans la période où le directeur de l'entité économique a été

13 Radojica Tesevic, personne tant louée. Qu'a-t-il fait?

14 Lorsque l'accusation prétend que c'était quelqu'un qui n'a pas eu de

15 préjugés sur des bases nationales, politiques ou d'autres… Qu'a-t-il pu

16 faire, donc, si ces détenus étaient employés à faire des travaux si durs

17 sous forme de discrimination dont il a fait preuve? Par conséquent, tout

18 comme Milorad Krnojelac, cette personne en question n'a rien pu faire.

19 Le fait que Savo Todovic, fin août 1993, punissait des gens, ne fait que

20 prouver que, pour parler de la chaîne de commandement, pour parler de la

21 hiérarchisation, rien n'a changé au moment où Milorad Krnojelac a quitté

22 sa fonction.

23 Le conseil de la défense a offert des pièces à conviction pour prouver

24 qu'en 1993, vers la fin de cette année-là ou au début de 1994, c'était le

25 commandement militaire qui était toujours chargé de la direction du KP

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1 Dom. Nous en avons parlé lorsque nous avons soumis les documents portant

2 ordres et décisions du commandement militaire.

3 En fin de compte, faudra-t-il spécialement mentionner que, pendant que

4 Milorad Krnojelac était directeur ou administrateur de l'entité

5 économique, à en juger d'après les dépositions des témoins, au KP Dom il y

6 avait de 500 à 600 personne détenues? Encore à cette époque-là, et cela

7 pour le besoin de l'entité économique de la Drina, environ une trentaine –

8 je dis bien pour les besoins de l'entité économique de la Drina-, une

9 trentaine d'ouvriers étaient affectés.

10 Le conseiller de la défense ne souhaite pas non plus faire des victimes de

11 simples et banales données statistiques, mais si vous regardez la

12 proportion qui s'établit par rapport au total des personnes détenues, vous

13 conclurez qu'il s'agit à peine de 5%. Alors, la question se pose de savoir

14 s'il s'agit vraiment de travaux forcés fondés sur une discrimination

15 raciale et religieuse.

16 A cela, faudra-t-il bien entendu ajouter le fait qu'il est question

17 d'ouvriers, de professions et de métiers précis? Ce personnel faisait

18 défaut. Faut-il prendre en considération également le fait que le volume

19 de production était plus important et que l'intention générale a été de

20 voir ces travaux effectués sur des bases discriminatoires? Alors s'il en

21 est ainsi, il y aurait certainement beaucoup plus de détenus parmi les

22 Musulmans qui devaient prendre part à ces travaux. Car pour parler des

23 capacités de production, elles dépassaient, et de loin, le nombre de

24 personnes existantes.

25 Il faudra donc prêter attention à la déposition faite par l'accusé

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1 lorsqu'il dit que ces personnes ainsi affectées ne faisaient que couvrir

2 le strict minimum nécessaire pour assurer le fonctionnement de l'entité,

3 c'est-à-dire du KP Dom.

4 L'accusation a, par ailleurs, profité d'une phrase de l'accusé, que

5 l'accusé a prononcée de manière tout à fait franche et sincère de ses

6 sentiments, au cours de la première nuit qu'il a passée au KP Dom.

7 L'accusation l'a présentée de manière ironique comme s'il voulait sourire

8 et rire, se moquer des personnes qui étaient emprisonnées.

9 Moi, je vous prie de bien vouloir comprendre cette phrase qui a été

10 prononcée par l'accusé d'une seule façon possible. C'était la première

11 nuit, la première nuit entre le 18 et 19 avril, quand Milorad Krnojelac,

12 comme il nous a expliqué, ne pouvait pas se rendre chez lui pour passer la

13 nuit chez lui. Il a dit tout simplement que lui se sentait comme s'il

14 était lui-même un détenu. Il ne voulait pas dire, mettre sur un pied

15 d'égalité sa propre situation avec le statut des détenus musulmans qui s'y

16 trouvaient déjà. En aucun cas, on ne peut lui imputer un tel comportement.

17 En outre, l'accusation se réfère à cette éventualité de refuser le travail

18 comme Cancar l'avait fait. Nous considérons que la déposition faite par M.

19 Cancar à Sarajevo devant le tribunal, on ne peut pas la prendre en

20 considération car d'après les informations dont dispose la défense, cette

21 affaire n'a pas été menée à terme du point de vue juridique et M. Cancar

22 purge une peine de plus de dix ans. Même si c'était fait quelques années

23 plus tard, il a été relâché, il est en liberté, même si dans la loi il est

24 stipulé que dans le cas d'une peine qui est au-delà de 5 ans, il est

25 indispensable que la personne en question reste au moins en détention.

Page 8312

1 Par conséquent, toutes ces circonstances nous font dire que l'accusation

2 qui fait une telle comparaison ne permet pas d'en tirer une conclusion qui

3 aurait une valeur probante.

4 Eh bien, si tout ceci était vrai, on ne pourrait pas contester à qui que

5 ce soit le droit de refuser quelque chose, même s'il y avait à risquer

6 quelque chose à cause d'une telle attitude.

7 Ceci dit, la décision prise par un homme -ou bien son courage à vouloir

8 prendre une telle décision-, ne pourrait pas être considérée comme une

9 norme, comme une obligation de tout un chacun. Et donc on risque d'être

10 privé de liberté ou de subir d'autres conséquences beaucoup plus graves.

11 Par conséquent, il y a cette défense qui est la défense dans la nécessité.

12 Souvent, vous ne pouvez pas vous sauver en fuyant. Par conséquent, vous ne

13 pouvez pas demander à l'accusé non plus que, selon le principe d'une

14 activité ou action faite par quelqu'un d'autre comme Cancar, soit

15 entreprise par lui-même dans des circonstances qui ne sont pas les mêmes.

16 Ainsi, cela ne peut pas servir d'argument et prouver que Krnojelac aurait

17 pu changer essentiellement, substantiellement, le statut dans lequel il se

18 trouvait.

19 L'accusation, au cours du réquisitoire, avait bien affirmé qu'elle

20 acceptait que Savo Todovic était un adjoint officieux de Krnojelac. Mais

21 s'il était un adjoint, un suppléant officieux, quelle est sa fonction à ce

22 moment-là au KP Dom? Quelle est la raison pour laquelle l'accusation en

23 tire une telle conclusion? Sur quoi l'accusation fonde une telle

24 conclusion? Est-ce que la pièce à conviction 5-3 nous mène à tirer une

25 telle conclusion? Mais on ne voit pas du tout quelle était la fonction de

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1 Savo Todovic au KP Dom, tout au moins pas avant le mois d'août 1993.

2 N'est-ce pas une preuve qui corrobore la déposition du témoin Radomir

3 Dolac qui a dit qu'il a vu en personne -comme il a travaillé au personnel,

4 au commandement-, un papier par lequel Savo Todovic a été désigné au nom

5 du commandement, pour avoir à sa charge le KP Dom, et au nom du

6 commandement militaire?

7 Savo Todovic a également rédigé deux documents, Milorad Krnojelac les

8 avait signés. Ces deux documents ne peuvent pas prouver ce rapport de

9 supérieur et de subalterne. Ce que le commandement militaire avait pour

10 intention de faire au KP Dom, en ce qui concerne le fait que de vouloir

11 mimer l'usine des meubles concerne également les biens du KP Dom.

12 Par conséquent, il est logique de dire et de penser que la signature et

13 une autorisation qui porte sur les biens puissent également venir de

14 l'accusé. Mais cela ne peut pas être la preuve qui, au-delà de tout doute

15 raisonnable, pourrait démontrer qu'il y ait eu ce rapport de supérieur et

16 de subalterne, de responsabilité hiérarchique, d'autant plus qu'il y a des

17 preuves, et de nombreuses preuves, qui disent juste le contraire.

18 Par ailleurs, l'accusation, au cours de son réquisitoire, affirme que les

19 témoins de l'accusation qui ont séjourné au KP Dom ne pouvaient pas savoir

20 l'organisation du KP Dom. Par conséquent, leur déposition qui apostrophe

21 Savo Todovic dans certaines situations, comme quelqu'un de responsable et

22 principal au KP Dom, est justement la preuve qu'il avait le pouvoir réel.

23 La défense est d'accord pour dire que ces témoins ne pouvaient pas s'avoir

24 l'organisation, la structure, les rapports au KP Dom, mais ils pouvaient

25 savoir et sentir, et même faire la distinction entre ceux qui ont le

Page 8314

1 pouvoir réel et ceux qui ne l'ont pas. Quelques-unes de ces dépositions

2 vont être une fois de plus mentionnées par la défense au cours de l'exposé

3 de nos plaidoiries.

4 En ce qui concerne la subordination, les rapports de subordination entre

5 le commandement militaire d'un côté et Krnojelac de l'autre, nous avons

6 entendu que Marko Kovaca était commandant du groupe tactique. Nous avons

7 entendu qu'il avait demandé à l'accusé s'il pouvait terminer un travail

8 dans son bureau.

9 Eh bien, peut-on parler véritablement d'un rapport de subordination dans

10 ce cas-là, ou bien s'agissait-il simplement d'un geste normal? A partir du

11 moment où vous venez chez quelqu'un ou dans un bureau, ce n'est pas un

12 bureau qui vous appartient, alors vous posez la question et demandez si

13 vous pouvez utiliser cet espace, ce bureau. Si quelqu'un, comme

14 l'accusation veut le prouver… Dans le cas concret, c'est différemment. A

15 ce moment-là, on pourrait dire que Marko Kovac a été subalterne par

16 rapport à Milorad Krnojelac, parce que lui pose la question, et lui

17 demande s'il peut le faire.

18 Est-ce que l'accusation veut dire que Marko Kovac et les autorités

19 militaires n'ont strictement rien à faire avec les détenus de nationalité

20 musulmane?

21 Indépendamment de toutes ces preuves, et elles étaient nombreuses, je

22 considère que l'accusation a bien mis au clair qu'elle acceptait que

23 l'armée était supérieure, avait ces prérogatives sur les personnes en

24 question.

25 Si l'armée avait la compétence et les prérogatives, si nous nous fondons

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1 là-dessus, alors la manière dont Marko Kovac s'adresse à Krnojelac

2 voudrait dire qu'il lui est supérieur. Ainsi, je considère que ces

3 arguments ne prouvent pas cette thèse, elle est inconcevable. D'ailleurs,

4 même l'accusation ne pourrait pas prouver que cette thèse tient sur des

5 fondements solides. Dans ce sens-là, l'accusation a offert la preuve

6 concernant la boulangerie du KP Dom.

7 Pour ce qui est de la pièce à conviction D2 présentée par l'accusation,

8 nous avons pu conclure que ce directeur du KP Dom, dont on a vanté les

9 mérites, en place actuellement, envoie un rapport en passant par le

10 ministère de la Justice, et justement pour les besoins de l'accusation.

11 Le document en question démontre et affirme qu'une partie du KP Dom a été

12 louée aux autorités militaires, à l'armée, tout comme la cuisine et le

13 dispensaire. Plus tard, en ce qui concerne l'objection faite par le Bureau

14 du Procureur, nous allons avancer des arguments. Il est vrai que la

15 boulangerie est restée dans la propriété du KP Dom, il était normal que

16 l'armée s'adresse au KP Dom pour demander l'autorisation d'utiliser la

17 boulangerie. Si Milorad Krnojelac avait été subordonné aux autorités

18 militaires, il aurait eu simplement un ordre et personne n'aurait eu à

19 s'adresser à lui pour lui demander quoi que ce soit.

20 Enfin, quand j'ai parlé des changements qui sont parvenus au moment où

21 Krnojelac a quitté le KP Dom, comme l'accusation l'avait affirmé, même si

22 l'accusation est d'accord pour dire qu'une centaine de personnes sont

23 restées sur place, qui ont développé leurs activités, tout comme quand

24 Milorad Krnojelac était à la tête du KP Dom, et qu'il y avait entre 600 ou

25 700 personnes qui s'y trouvaient, ceci démontre ce que la nouvelle

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1 direction du KP Dom a fait ou aurait pu faire au sujet d'amélioration des

2 conditions de vie.

3 La défense attire l'attention de la Chambre sur la pièce à conviction

4 "Rapport du CICR", d'où l'on peut conclure qu'à partir du 23 juin 1993 -et

5 la défense plus tard également reviendra sur ce sujet-là, d'après

6 l'autorisation qui a été délivrée par les autorités militaires, les

7 représentants du CICR se rendent chaque mois au KP Dom.

8 Nous avons pu entendre le témoignage d'un témoin, et des témoins même, qui

9 ont dit que les conditions avaient été améliorées en résultat de la

10 présence des représentants du CICR et l'aide également de plus en plus

11 fréquente fournie par le CICR. Quand vous avez 500 détenus KP Dom, entre

12 500 et 700 pour être plus précis, et que vous n'avez aucune aide dont vous

13 pouvez bénéficier, par rapport à la situation où il y a une centaine de

14 détenus de nationalité musulmane et quand vous avez l'aide et les visites

15 mensuelles des représentants du CICR, peut-on véritablement parler

16 d'amélioration des conditions dans d'autres circonstances, et non pas les

17 circonstances évoquées par l'accusation?

18 Cependant, même si au KP Dom il y a une centaine de détenus qui restent,

19 et puis il y a cette aide du CICR qui est fournie, le fait est que le CICR

20 avance des objections en ce qui concerne la nourriture, la qualité de la

21 nourriture. La pièce à conviction du CICR prouve plein de choses en ce qui

22 concerne le traitement, les conditions qui régnaient pendant que Milorad

23 Krnojelac était au KP Dom.

24 La première mission du CICR s'est rendue au KP Dom le 23. La défense

25 examinera encore une fois cette question et on essaiera d'analyser ce que

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1 le CICR a présenté dans son rapport. Il s'agit du rapport coté D138 et

2 D138a, version, traduction du texte traduit.

3 En nous référant au mémoire en clôture de l'accusation, même s'il nous

4 semble d'avis que cette Chambre a mis au clair qu'elle n'était pas très

5 intéressée à ce contexte général, avant le déclenchement de la guerre à

6 Foca, très brièvement, nous sommes obligés d'en parler, surtout de faire

7 face à ce qui a été dit par l'accusation dans son mémoire en clôture.

8 L'accusation, dans son mémoire final, en ce qui concerne ce contexte qui a

9 précédé le déclenchement de la guerre, se réfère à P21; il extrait le

10 contexte de l'attitude de Radovan Karadzic. Il s'agit de la pièce à

11 conviction P21. Il y a une phrase qu'il a prononcée. Il est un fait que ce

12 qu'il a dit représentait un avertissement, justement un avertissement pour

13 éviter le conflit armé. Ce n'était pas la prévision, le pronostic de ce

14 qu'il avait fait, ce que la communauté serbe avait l'intention de faire.

15 Il va sans dire que le plan de répartition sur la base ethnique a été

16 accepté sous la communauté européenne, sous forme de plan de Kutiljero

17 mais que c'est Alija Izetbegovic qui l'a trahi et ne voulait pas le

18 signer.

19 Tout ceci nous mène à dire que nous sommes tout à fait contre

20 l'affirmation de l'accusation, parce qu'elle met ceci dans un autre

21 contexte. Ceci dit, tenant compte également du territoire de Foca,

22 d'autres choses n'ont pas été dites de manière exacte. On a dit, en autre,

23 que la population musulmane a essayé de s'armer. Ce n'est pas vrai parce

24 qu'elle s'est armée, nous avons donné les pièces à conviction D1, D2, D3,

25 D4, D5, D6 et D7. Nous avons fourni ces pièces à conviction, D12,

Page 8318

1 également, D13, D14, D17, D18, D19, D20 et D21.

2 On voit bien de ces pièces à conviction, et d'après la déclaration,

3 l'interview d'un des représentants de la logistique du SDA, que les

4 premières unités musulmanes armées désignées comme la ligue patriotique

5 des peuples avait déjà été mise en place le 1er août 1990. C'était bien

6 dans la municipalité de Foca que ces premières unités ont été mises en

7 place.

8 On peut conclure également que le territoire de cette municipalité était

9 le lieu principal d'où Senad Hasimbasic a distribué les armes pour

10 l'ensemble du territoire de Bosnie-Herzégovine.

11 La défense également, en présentant les éléments de preuve, a prouvé que

12 même si l'accusation se réfère au fait que le 7 avril la police a été

13 répartie entre les Serbes et l'autre partie aux Musulmans, qu'à la veille,

14 le 6 avril, la brigade musulmane de Foca a été mise en place, ceci sur la

15 base d'un document que la défense a remis à la Chambre. L'explication

16 selon laquelle il s'agit d'un document véridique mais que cette brigade a

17 été mise en place beaucoup plus tard n'a aucun fondement.

18 Enfin, la partie musulmane possédait de l'artillerie lourde, stationnée à

19 Brdo Sukovac, et pas uniquement la partie serbe. La défense a considéré

20 qu'il était indispensable également de démontrer très brièvement à ces

21 quelques parties du mémoire final de l'accusation, car bien évidemment

22 nous ne pensons pas que ces parties soient décisives en ce qui concerne la

23 détermination de certaines questions clés mais peuvent avoir de

24 l'importance pour déterminer les faits qui sont pertinent et liés à des

25 questions juridiques.

Page 8319

1 M. le Président (interprétation): Le moment est sans doute bien choisi

2 pour une pause.

3 Je souhaiterais attirer votre attention sur la chose suivante, Maître

4 Bakrac. Nous ne pouvons tenir compte de rien qui ne figure dans le mémoire

5 préalable au procès, rien qui ne soit prouvé par des éléments de preuve.

6 Si tel était le cas, nous le considérerons. Le mémoire préalable au procès

7 ne constitue pas en tant que tel un élément de preuve. Nous reprendrons

8 les débats à 14 heures 30.

9 (L'audience, suspendue à 13 heures, est reprise à 14 heures 30.)

10 M. le Président (interprétation): Maître Bakrac, avant de continuer, pour

11 ce qui concerne les requêtes portant sur les document par écrit, nous

12 n'avons pas dit quel serait le délai. Disons mardi?

13 M. Bakrac (interprétation): Oui.

14 M. le Président (interprétation): On m'a corrigé au sujet de quelque chose

15 que j'ai dû dire au sujet de cet Article commun n°3; c'est plutôt

16 conformément à l'Article 5 que se présentent vos charges. C'est pourquoi

17 il faut peut-être reconsidérer l'Article 3, l'Article commun.

18 M. Bakrac (interprétation): Il a été dit, ne serait-ce qu'à en juger le

19 transcript, avant de partir à la pause déjeuner, que l'institution

20 européenne a adopté la division de la Bosnie. Est-ce que vous vous référez

21 au plan Vance-Owen ou à d'autres plans? Ce mot, c'est-à-dire si vous avez

22 dit quelque chose, n'est pas entré dans le transcript.

23 Maître Bakrac (interprétation): Monsieur le Président, j'ai plutôt voulu

24 me référer au plan de Cutilliero.

25 M. le Président (interprétation): Bon, très bien, s'il en est ainsi, parce

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1 que ceci figure dans le transcript. En tout cas, voilà ce qui a été tiré

2 au clair, je vous remercie et je vous prie de continuer.

3 M. Bakrac (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

4 Avant la suspension d'audience pour le déjeuner, le conseil de la défense

5 a fait un aperçu d'une partie de la présentation verbale de l'accusation,

6 ainsi que de son mémoire en clôture, pour parler du contexte dans lequel

7 se sont développées les hostilités de Foca et qui nous semblait pertinent.

8 Le conseil de la défense ne se propose plus de perdre du temps là-dessus,

9 mais nous nous permettons le droit de vous présenter notre vision d'un

10 événement pour lequel nous considérons qu'il ne peut pas être pris en

11 considération en dehors de ce que l'accusation a dit.

12 Nous avons entendu un bon nombre de témoins cités à la barre par

13 l'accusation. Il est indubitable que le parti de l'Action démocratique a

14 été le premier parti à être fondé non seulement à Foca mais en Bosnie-

15 Herzégovine dans son ensemble. Nous avons entendu dire par les témoins que

16 ce parti a été le premier à organiser une réunion politique qui a

17 rassemblé plus de 100 000 personnes. Après quoi seulement ont été tenus

18 les discours et les réunions du SDS, Parti Démocratique Serbe, qui ne

19 pouvait pas réunir plus de 10 000 personnes.

20 Ensuite, nous avons dit que lorsque nous avons une municipalité qui a été

21 divisée en deux parties suivant une base nationale, 50% par rapport à 50%

22 du territoire, laquelle municipalité est l'une des plus importantes de

23 Bosnie-Herzégovine, comptant plus de 400 000 citoyens, alors il est tout

24 de même pertinent de voir que dans cette ville de Foca qui ne comptait

25 plus de 20000 citoyens, on voit venir 100000 membres adhérant à un parti

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1 national et à un programme politique national. Je crois que nous n'avons

2 guère besoin de commentaire ultérieur à faire.

3 Cela dit, il faudrait dire qu'aussitôt après cette réunion politique du

4 SDA, ont suivi les autres réunions politiques, à savoir celle du Parti

5 démocratique serbe qui n'a réuni plus de 10000 personnes.

6 Ces notions devraient être prises en considération pour reconsidérer les

7 charges alléguées par l'accusation à l'encontre de l'accusé.

8 De même, nous sommes d'avis qu'il faut parler de ce que déposaient de

9 nombreux témoins ici, et cela tant les témoins de l'accusation FW-120,

10 ainsi que le témoin de la défense Milomir Mihajlovic, pour dire les uns et

11 les autres, que de concert avec les combattants musulmans, Ustikolina,

12 Gorazde et Foca ont été quittées par un grand nombre de citoyens, de

13 civils. Par conséquent, à Foca restaient peu de citoyens musulmans qui,

14 d'après l'accusation, devaient être chassés, délogés, déplacés par les

15 autorités serbes. Le conseil de la défense ne peut pas adopter une telle

16 attitude, ne peut pas se mettre d'accord sur une telle attitude de

17 l'accusation, car il est tout à fait illogique de voir que les citoyens et

18 les personnes qui devaient être l'objet d'un nettoyage ethnique ne

19 puissent pas être autorisés à quitter la ville.

20 Si persécution et nettoyage en tant que tels sont une fin politique comme

21 telle, alors ces gens-là ne devraient pas se faire autoriser, ne devraient

22 pas demander une autorisation pareille, pour parler de ces citoyens. Or,

23 nombreux étaient les témoins qui ont déposé et qui nous ont dit qu'ils

24 devaient d'abord soumettre une demande pour être autorisés à quitter Foca.

25 Le document D40, laquelle pièce à conviction a été déposée par le conseil

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1 de la défense à titre d'élément de preuve, prouve que, pendant les tout

2 premiers mois depuis les événements qui se sont produits, les Musulmans

3 qui opiniâtrement demandaient l'autorisation à quitter Foca ne pouvaient

4 pas l'obtenir. Ce document D40 permet de voir que, étant donné le nombre

5 croissant de demandes soumises et étant donné évidemment l'influence

6 exercée sur les autorités, alors qu'il n'y avait pas de commissaire, pour

7 ainsi dire, chargé au sein de la Bosnie-Herzégovine, une décision aurait

8 été prise permettant à ces personnes de quitter la ville, avec toutes les

9 mesures de sécurité prise, tant en matière de sécurité physique, des

10 personnes en question donc, que du point de vue de sécurité de leurs biens

11 et des transports, convois.

12 Lorsque nous avons en vue ce que j'ai dit précédemment et la pièce D41,

13 laquelle pièce a été déposée par la conseil de la défense, lequel document

14 a été signé par le secrétaire du parti de l'Action démocratique Hasan

15 Cangic en personne et qui concernait l'exode de Musulmans de Trebinje,

16 alors il est tout à fait clair de voir comment se présentaient l'intention

17 et l'objectif que se proposait le SDA.

18 Ce document nous permet de voir que les instructions données au restant

19 des Musulmans consistaient à ce que ces derniers quittent la municipalité,

20 cela faisant, quitte à être forcés par les membres de leur communauté

21 nationale, qui est musulmane évidemment, s'il le faut, et cela par force.

22 Une situation pareille d'ailleurs existait à Foca. Dzevad S. Lojo, un des

23 témoins, a déposé dans le transcript. Nous lisons les pages 2643 à 2645 et

24 nous pouvons voir qu'il y avait une instruction émanant du parti de

25 l'Action démocratique, instruction selon laquelle les autres citoyens

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1 restant à Foca devaient quitter la ville.

2 Il est clair que tout ceci devait servir pour masquer le nettoyage

3 ethnique que les représentants d'un peuple perpétraient à l'encontre de

4 l'autre peuple.

5 Le conseil de la défense, quant à lui, peut se mettre se mettre d'accord

6 pour dire que les conditions qui prévalaient dans la ville de Foca, étant

7 donné les hostilités, les opérations de guerre étaient fort défavorables,

8 parce que dans Foca même et dans les environs de Foca, ne serait-ce que

9 pour parler à une distance de 12 kilomètres, les combats étaient livrés,

10 la ville de Foca se trouvait encerclée. Non seulement nous pouvons nous

11 mettre d'accord là-dessus pour faire une telle constatation, mais nous

12 considérons que l'expert économique du conseil de la défense a déposé dans

13 ce sens pour prouver combien la situation de la ville même était mauvaise.

14 Les différentes pièces à conviction nous permettent de voir que les

15 transactions de paiement n'existaient pas, qu'il y avait un mauvais

16 ravitaillement de tout magasin et de tout point de vente et que, pour des

17 raisons de sécurité, le couvre-feu était de rigueur et en vigueur.

18 Pour la présentation des pièces à conviction D143 et D144, les pièces à

19 conviction ont prouvé que, notamment pour des raisons de sécurité, la

20 liberté de circuler des citoyens a été limitée, tant pour les Serbes que

21 pour les autres. Notamment pour les Serbes, le couvre-feu était évidemment

22 de rigueur.

23 Le témoin cité par l'accusation, le témoin RJ, a déposé pour dire que son

24 directeur lui a dit qu'il n'était pas tenu de se rendre à l'école où il

25 travaillait pour des raisons de la sécurité. A la fin, un certain nombre

Page 8324

1 de témoins cités à la barre par l'accusation, disaient quant eux, à savoir

2 Taranin Juso, et l'époux de la témoin 133, qu'ils étaient remis à en

3 liberté, relâchés depuis KP Dom pour aller en ville. Donc, ils n'ont pas

4 été déportés, ils n'ont pas été délogés, envoyés quelque part pour être

5 échangés, mais ils ont été relâchés du KP Dom pour se rendre chez eux

6 notamment.

7 Le conseil de la défense, dans son mémoire en clôture, de même

8 qu'aujourd'hui au cours de la présentation verbale, orale de sa

9 plaidoirie, a dit qu'il y a eu des cas où des appartements, où des points

10 de vente, des magasins ont été pris pour apostropher, notamment par la

11 parole de Milorad Krnojelac et sous forme de mémoire signé par le fils de

12 Milorad Krnojelac pour dire que lorsque le magasin du fils de Milorad

13 Krnojelac a été pris, nous voulons dire que les allégations de

14 l'accusation sont tout à fait sans fondement. Ce témoin déposant devant ce

15 Tribunal a été décidé pour confirmer que ce magasin lui a été alloué, sous

16 forme de bail, qu'il s'était présenté à un concours ouvert par la

17 municipalité à l'intention des invalides de guerre, cela en 1994.

18 Ce témoin a offert à cette Chambre et à l'accusation, sans savoir que ceci

19 pourrait être un objet de contestation, les documents qui permettent de

20 voir que ce magasin était propriété de l'usine de chaussures de Slovenie,

21 nommée Blanika.

22 Monsieur le Président, dans le transcript, nous pouvons lire que c'est de

23 la part des autorités militaires que le concours en question a été

24 organisé. C'est ce que le conseil de la défense n'a pas dit. Il s'agit de

25 la ligne n°3, page 74. Nous lisons dans le transcript que c'était un

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1 concours ouvert par les autorités militaires alors que c'était la

2 municipalité qui l'avait ouvert.

3 M. le Président (interprétation): Je vous remercie.

4 M. Bakrac (interprétation): Il s'agit donc d'une allégation sans fondement

5 de l'accusation pour dire que ce magasin appartenait à Sahinpasic surnommé

6 Sahin. D'ailleurs, cette question a pu être tirée au clair au cours de la

7 duplique, mais on est resté là où on est et nous considérons que

8 l'accusation n'a pas pu prouver qu'au-delà de tout doute raisonnable, ce

9 magasin était propriété d'une personne, d'un citoyen de nationalité

10 musulmane.

11 Pour parler de l'appartement de Milorad Krnojelac, là aussi l'accusation a

12 faite en sorte que soient mis en corrélation la location de ce bâtiment,

13 la fonction, le rôle et l'importance que représentait la présence de

14 Mirolad Krnojelac au KP Dom.

15 Je voudrais rappeler que le témoin Bozo Drakul a témoigné également devant

16 ce tribunal. C'était un employé de bureau préposé aux comptes du KP Dom

17 qui, même avant l'arrivée de Krnojelac et avant la location de

18 l'appartement à Milorad Krnojelac, s'est vu allouer un appartement,

19 ancienne propriété de Musulmans. Est-ce que celui-ci a pu profiter de sa

20 fonction ou de sa position? Mais de quelle position s'agit-il?

21 Ici, dans un contre-interrogatoire mené avec certains témoins, le conseil

22 de la défense a pu tirer au clair le fait que ces appartements n'étaient

23 pas leur propriété mais qu'ils leurs avaient été alloués pour utilisation

24 alors que ces appartements étaient la propriété de l'organisme qui s'est

25 occupé de cette allocation.

Page 8326

1 Il est incontestable, également, que ces appartements abandonnés n'étaient

2 alloués qu'à titre temporaire à des personnes délogées, à des réfugiés ou

3 à des personnes dont les biens et propriétés ont été incendiés pour

4 qu'évidemment, ces appartements puissent être utilisés. D'ailleurs, il en

5 est ainsi.

6 Si l'accusation se proposait déjà de s'occuper avec un peu plus de sérieux

7 de ce sujet, alors l'accusation était libre de se procurer les éléments de

8 preuve auprès des autorités municipales de Foca pour voir combien de

9 milliers ou de centaines d'appartements il y avait et qui, à titre

10 temporaire, ont été alloués à des personnes sinistrées, restées sans feu

11 ni lieu, ou à des personnes délogées.

12 Par conséquent, cette thèse également alléguée par l'accusation comme quoi

13 il y a eu location d'appartements parce que certains voulaient s'assurer

14 des profits personnels est une allégation fausse.

15 Dans son mémoire en clôture, par écrit, l'accusation a dit qu'une fois que

16 les hostilités ont pris fin, on prenait à des Musulmans les armes pour

17 lesquelles ils avaient une licence de port d'armes. Il est tout à fait

18 logique et compréhensible de voir ces armes prises pour des raisons de

19 sécurité lorsque, encore, toujours, durait la guerre entre deux groupes

20 nationaux différents. Les licences de port d'armes dont ils disposaient

21 étaient délivrées dans un autre temps, dans la période d'avant-guerre, en

22 temps de paix.

23 Dans son mémoire, en clôture, l'accusation allègue, entre autres, que les

24 soldats serbes à Foca s'adressaient à des Musulmans en les traitant de

25 "balija". Mais l'accusation ne se trouve pas gênée, même si elle voulait

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1 prouver quelque chose, pour dire que parmi les témoins, dont surtout le

2 témoin n°73 qui, toutes les fois où il parlait des Serbes pour témoigner

3 ici devant cette Chambre, utilisait le terme de "Chetnik".

4 A ce sujet, les tentatives pour discréditer Zarko Vukovic, témoin cité à

5 la barre par le conseil de la défense… Si nous suivons le principe que je

6 viens d'évoquer, à savoir le principe d'extraire du contexte tel ou tel

7 terme pour présenter ce terme comme étant un signe d'appartenance ethnique

8 ou signe d'intolérance par rapport à des membres d'autres groupes

9 ethniques, cela a été mal interprété par l'accusation.

10 Le conseil de la défense veut dire et tient à dire qu'à un seul moment,

11 Zarko Vukovic a utilisé ce terme, exclusivement pour parler de personnes

12 qui ont perpétré le massacre du village serbe de Josanica où 77 femmes et

13 enfants serbes ont été tués.

14 Pour parler du sérieux de cet événement, l'accusation et son témoin ont pu

15 entendre dire par M. Lojo la même chose. C'est le seul groupe pour lequel,

16 pour parler évidemment du massacre perpétré par ces gens-là, a parlé

17 d'Oustachi. Ceci est loin de pouvoir discréditer ce qu'il a dit plus tard

18 sur l'accusé.

19 Le conseil de la défense se doit de remarquer que c'était ironique que

20 d'entendre la constatation de l'accusation, dans son mémoire en clôture

21 par écrit, qu'il est vrai, prétendument, que l'épouse de l'accusé est

22 Croate, de nationalité croate, mais que l'identité de toute sa famille est

23 à prédominance serbe. Cela dit, le conseil de la défense se pose la

24 question de savoir pour quelle raison l'accusation impose et met en relief

25 l'identité nationale d'une famille qui, de toute évidence, est une famille

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1 multinationale.

2 Ni l'accusé dans sa déposition, non plus que son fils Bozidar qui a

3 témoigné ici, n'ont fait preuve, en aucun cas, et le fait qu'on n'a jamais

4 mis en relief l'identité nationale au sein de cette famille se voit dans

5 le témoignage de l'épouse de l'accusé qui, elle, serait toujours bien

6 placée pour reprocher à son mari une attitude pareille si jamais elle

7 s'était produite, tout comme elle pourrait reprocher à cause de

8 l'attitude, par exemple si jamais une telle attitude était témoignée par

9 [expurgée]; c'étaient les témoins C et D.

10 Pour corroborer une telle allégation mal fondée, l'accusation extrait une

11 phrase de la déposition de Bozidar Krnojelac pour dire que celui-ci aurait

12 dit qu'il était rentré chez lui lorsque maman se préparait pour fêter son

13 Noël à elle. Or, ce témoin a expliqué quelque chose d'autre, c'est-à-dire

14 qu'il a été relâché de l'hôpital pour venir se mettre à table pour le

15 repas solennel, celui de Noël, que l'on fêtait comme on le fêtait

16 d'ailleurs tous les ans auparavant.

17 Pour prouver que la Milorad Krnojelac avait un préjugé national,

18 l'accusation dit que les fils Bozidar et Spomenko voulaient monter la

19 garde près du château d'eau lorsque, après les hostilités, ils étaient

20 venus à Cerezluk. Ceci devrait plutôt prouver qu'ils étaient prêts à faire

21 la guerre à une autre nation qu'eux.

22 Pourtant, ni l'un ni l'autre, non plus que les autres fils de l'accusé,

23 n'ont pris une part active au moment où le conflit et la guerre ont

24 éclaté, le 8 avril 1992. Cela est plus qu'évident.

25 Si ses fils nourrissaient un tel sentiment national, ils se seraient

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1 trouvés dans les rangs des combattants depuis le début même des conflits.

2 S'il fallait monter la garde et sécuriser le château d'eau dans un

3 quartier de la ville de Foca, cela ne signifie pas que c'était une action

4 de guerre et armée qui visait un ennemi. Tout simplement, c'était un acte

5 de protection et de défense passive. L'explication offerte par Bozidar

6 Krnojelac lors de sa déposition, pour parler évidemment de la

7 participation qui était la sienne, nous semble et me semble tout à fait

8 logique, puisque nous y sommes déjà à parler de ces réservoirs d'eau où

9 deux frères se trouvaient, Bozidar et Spomenko, pour y trouver un refuge,

10 pour monter la garde, alors, pour eux, serait-il inacceptable de se

11 trouver cachés dans une cave sans, pour autant, aller se joindre à des

12 gens qui montaient la garde, une garde passive. C'était une protection

13 passive et non pas une attaque active à l'encontre de qui que ce soit.

14 Par conséquent, cela ne peut être traduit comme sous-jacent et dire que

15 c'était autre chose que de supporter la politique active à cette époque-

16 là, et les opinions politiques en vigueur à cette époque-là. D'autant plus

17 que ses fils étaient à l'âge qui supposait une mobilisation possible au

18 cours d'une guerre qui allait suivre. Plus tard, leur mobilisation est un

19 acte qui ne peut pas leur être imputé comme étant un acte fait par eux

20 volontairement.

21 Voilà pourquoi toutes ces différentes allégations ne peuvent pas

22 corroborer l'intention de l'accusation de présenter l'accusé ainsi que ses

23 fils, ainsi que la famille de l'accusé, comme étant les gens qui

24 supportaient la politique active à cette époque-là, et une solution armée

25 qui aurait été proposée.

Page 8330

1 Pour ce qui est de la situation de Milorad Krnojelac, de l'accusé en tant

2 que chef officier, chef en Défense territoriale, l'accusation se réfère au

3 témoin FWS-71, et au témoin Abdic qui prétendument, en 1990, ont pu voir

4 l'accusé lors d'un exercice de la Défense territoriale. Le témoin FWS-71

5 citait que, même à cette époque-là, l'accusé faisait partie des structures

6 du commandement de la Défense territoriale de Foca.

7 Or, le conseil de la défense a offert la pièce D-74, un élément de preuve

8 matériel portant notamment sur la période courant depuis l'année 1989.

9 Etant donné que la composition de la Défense territoriale, pour parler de

10 sa direction, était éligible pour une période de quatre ans, alors on

11 pouvait voir d'après tout cela si jamais Milorad Krnojelac faisait partie

12 de cette structure de la Défense territoriale.

13 Ce document permet de voir la composition du quartier général de la

14 Défense territoriale de la ville Foca, à commencer par le commandant

15 jusqu'aux dactylos et secrétaires.

16 Il en ressort de cet élément de preuve que Krnojelac n'a pas participé à

17 la cellule de crise. C'est la raison pour laquelle l'accusation n'a pas de

18 raison d'affirmer que l'accusé a d'abord gardé ses positions à l'ex-JNA,

19 ensuite à l'armée de la Republika Srpska. Il n'y a aucune preuve qui irait

20 dans ce sens-là. Il n'est pas logique non plus que les témoins qui ont été

21 cités par l'accusation et qui affirment qu'ils avaient vu, en 1989,

22 l'accusé qui arborait des grades également sur l'uniforme, et qu'il avait

23 participé à ces manoeuvres qui ont été organisées, militaires, alors

24 qu'également au KP Dom, les témoins prétendent qu'il n'avait pas de grades

25 qu'il portait sur son uniforme.

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1 Si l'affirmation de l'accusation était exacte qu'il était impliqué comme

2 officier de l'ex-JNA ou de l'armée de la Republika Srpska, à ce moment-là,

3 cet uniforme dont il était vêtu -un certain nombre de témoins l'ont vu-, à

4 ce moment-là, cet uniforme aurait dû avoir des symboles, des grades, etc..

5 Par conséquent, c'est un élément de preuve qui prouve ce que Milorad

6 Krnojelac lui-même a dit lors de sa propre déposition concernant les

7 vêtements qu'il portait au KP Dom.

8 Il va sans dire que le fait que nous avons pu également corroborer par

9 d'autres éléments qu'il avait un certain nombre de vêtements, ou partie de

10 vêtements, qui représentaient une part d'uniforme, qu'il n'y avait pas de

11 grades. Ce qui appuie également la déposition de l'accusé ainsi que tout

12 ce qui a été dit par Miladin Matovic, Radomir Tomac et Bozo Drakul et

13 Dolas Radomir concernant la pièce à conviction 146. Cette pièce à

14 conviction nous fait conclure qu'il s'agit d'une liste des hommes qui ont

15 une obligation de travail et qui travaillent au KP Dom. Par conséquent, la

16 liste dans l'en-tête dit bien qu'il s'agit de la liste des hommes en âge

17 de combattre, qui ont été dans l'obligation militaire. Il s'agit de la

18 pièce à conviction 546.

19 Par conséquent, vu la situation extrêmement difficile à cause du salaire

20 qui manquait, il était indispensable de rédiger ce document qui a été

21 rédigé au mois de septembre, et se rapporte au mois d'octobre quand tous

22 les hommes ont passé 31 jours sur la ligne de front. Il s'agit d'un

23 document qui date du 23 novembre 1992. S'il n'a pas été rédigé à ce

24 moment-là, en octobre, on n'aurait pas eu qui que ce soit au KP Dom, à

25 part les détenus.

Page 8332

1 Et enfin, l'accusé, à ce moment-là, travaillait déjà au ministère de la

2 Justice, ce qui n'exclut pas son statut également d'un conscrit militaire.

3 Mais il ne peut pas être en même temps dans l'armée et au ministère de la

4 Justice.

5 Par ailleurs, l'accusation a avancé également l'idée de la participation

6 de Krnojelac au parti communiste de Yougoslavie, en soulignant que le fait

7 qu'il était membre du parti communiste, c'est tout simplement parce qu'il

8 voulait être promu dans sa carrière, parce que l'accusé était membre dans

9 ce parti justement pour pouvoir avancer. C'est une accusation qui ne se

10 fonde sur aucun élément de preuve. Et si nous tenons compte du fait que

11 Mirolad Krnojelac a été vingt ans membre de la Ligue des communistes de

12 Yougoslavie, qu'il n'a pas avancé ni sur le plan professionnel ni

13 politique, il va sans dire que l'objectif pour qu'il devienne membre de la

14 Ligue n'était certainement pas parce qu'il voulait avancer.

15 Milorad Krnojelac était enseignant, il enseignait les Maths; il était

16 membre de l'organisation de base de la Ligue des communistes, et il n'a

17 jamais avancé au niveau de ce parti.

18 S'il est devenu membre de la Ligue des communistes, la défense a donné des

19 arguments dans son mémoire en clôture et nous ne voulons pas répéter ce

20 qui a déjà été dit dans ce mémoire. Nous avons dit aujourd'hui, et ceci a

21 été dit également dans le réquisitoire de l'accusation que le fait même

22 qu'il est devenu membre de la Ligue pour pouvoir avancer dans sa carrière,

23 était en quelque sorte une conséquence de son trait de personnalité, de

24 son conformisme également qui caractérise sa personnalité.

25 Je voudrais rappeler à l'accusation que les deux témoins ont d'abord dit

Page 8333

1 que le conformisme ne doit pas être observé comme quelque chose qui est

2 isolé quand on parle d'une personnalité. Par ailleurs, le conformisme

3 suppose et signifie que quelqu'un qui a été membre pendant vingt ans d'un

4 parti ne change pas facilement ses options politiques et ne peut pas

5 facilement rejoindre les rangs d'un autre parti. L'accusation a négligé ce

6 qui a été dit par ces deux témoins, il a spéculé sur son rôle qu'il a joué

7 au sein de ce parti.

8 Même si la défense a prouvé que l'accusé n'a jamais été membre du SDS,

9 l'accusation, une fois de plus, se réfère à un certain nombre de

10 déclarations des témoins qui, eux aussi, ne savent absolument rien en ce

11 qui concerne le fait qu'il ait été ou non membre du SDS; ils ont

12 simplement avancé les hypothèses, ils ont tiré un certain nombre de

13 conclusions.

14 FV-138 et 139, les deux témoins sur lesquels l'accusation se fonde pour

15 prouver que l'accusé a été membre du SDS ne sont pas cohérents en ce qui

16 concerne l'accusé; ils parlent de rassemblements au stade de Foca.

17 FWS-138 dit avoir vu l'accusé dans le public, devant la tribune, alors que

18 le FWS-139 dit qu'il l'a vu sur la tribune et il se souvient uniquement de

19 Radovan Karadzic et de Milorad Krnojelac; il n'y a pas un autre visage

20 qu'il ait retenu.

21 Pour que l'ironie soit encore plus grande, ce dernier a vu l'accusé sur la

22 tribune en 1988 ou 1989, par conséquent avant que le SDS ait été mis en

23 place. Si on y rajoute qu'aucun des deux témoins, dans les déclarations

24 préalables qu'ils avaient données au représentant du Bureau du Procureur,

25 n'avaient pas mentionné ces faits, à ce moment-là, il nous paraît clair

Page 8334

1 que le fait que l'on avait prouvé soi-disant qu'il était membre du SDS

2 n'est certainement pas quelque chose qui a été prouvé.

3 L'explication de l'accusation selon laquelle il est logique que ces deux

4 témoins, au bout de 9 ans, ont rafraîchi leur mémoire dans le prétoire,

5 une fois quand on leur a posé la question au sujet de Milorad Krnojelac,

6 ne se fonde pas non plus sur quoi que ce soit car, dans les déclarations

7 données au Bureau du Procureur, on leur a posé la question s'ils avaient

8 vu, où ils avaient vu Mirolad Krnojelac). Enfin, on a posé des questions

9 au sujet de Krnojelac. Par conséquent, c'est un détail qui est extrêmement

10 important. Ils auraient dû parler de ce détail, car, à ce moment-là, leur

11 mémoire était beaucoup plus fraîche.

12 Ni le témoin FWS71, dans la déclaration préalable donnée au Bureau du

13 Procureur, n'a mentionné, à un moment donné ou à un autre, qu'il avait vu

14 l'accusé avec des hauts fonctionnaires du SDS devant le restaurant Rivac.

15 Ceci dit, pendant sa déposition, ce témoin n'a pas dit qu'il a vu que ces

16 personnes étaient venues ensemble, mais qu'il les a vues uniquement une

17 fois dans l'escalier du restaurant. A la question: "Pourquoi il ne l'a pas

18 dit auparavant, quand il a donné des déclarations?", le témoin en question

19 avait répondu qu'il avait vu qu'une voiture s'était arrêté dans ce

20 restaurant de poissons et qu'il a vu sortir Maksimovic, Ostojic, Stannic,

21 Ivanovic et Jokanovic et non l'accusé Milorad Krnojelac.

22 Eh bien, si ces déclarations des témoins, qui ont été avancées par

23 l'accusation, étaient exactes, alors cette rencontre éventuelle de

24 l'accusé avec Maksimovic et Ostojic devant un restaurant où sa présence

25 éventuelle dans le public lors de ce rassemblement ne pourrait pas être

Page 8335

1 interprétée comme l'appartenance à un parti, ni un appui de la politique

2 de ce parti. Par ailleurs, même ces témoins de nationalité musulmane, qui

3 ont été présents à cette réunion, à ce rassemblement, n'étaient pas

4 membres du SDS; sans aucun doute, ils n'ont certainement pas appuyé la

5 politique de ce parti.

6 Dans la tentative de vouloir corroborer la thèse en ce qui concerne

7 Milorad Krnojelac et ses rapports avec le SDS, une fois de plus on a une

8 interprétation erronée, ce qui a été dit par ZarkoVukovic, le témoin de la

9 défense, le compte rendu 6782 jusqu'à 6783. L'accusation affirme que ce

10 témoin a déclaré que Milorad Krnojelac a été de temps à autre en compagnie

11 avec Maksimovic et Ostojic.

12 Si nous revenons au compte rendu, la défense considère que cette

13 affirmation de l'accusation n'est pas exacte.

14 Le témoin en question a déclaré qu'à sa connaissance, Milorad Krnojelac

15 n'était pas avec eux, en compagnie; il ne permet même pas une telle

16 éventualité, sur le compte rendu 6783, lignes 6 jusqu'à 8. Enfin, les

17 témoins de l'accusation FWS71, 86 et 111 ont témoigné de ce rassemblement

18 du SDS, des personnes présentes à ce rassemblement, mais ils ont dit

19 qu'ils n'avaient pas vu Milorad Krnojelac dans aucune réunion ou

20 rassemblement du SDS.

21 Par ailleurs, comme l'élément de preuve date de l'appui de la politique du

22 SDS ou du fait que la famille Krnojelac a été sous l'influence de la

23 politique nationaliste, l'accusation évoque la déposition du témoin FWS86,

24 qu'au cours de la période 1991/1992 a entendu chanter les chansons

25 nationalistes le fils de l'accusé et alors que ce café se trouvait à côté

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1 de sa maison. Ce café, d'après l'accusation, a été fréquenté surtout par

2 les Serbes, d'après ce que disait l'accusation, que tout ceci n'est pas

3 vrai.

4 C'est le manque d'assurance de ce témoin qui a fait marche arrière lors du

5 contre-interrogatoire. Il a dit que c'étaient les voisins qui lui ont

6 raconté que, soi-disant, on a chanté ces chansons et qu'il est possible

7 également que ces chansons venaient du restaurant qui se trouvait juste à

8 côté du café dont le propriétaire était le fils de Krnojelac.

9 Par ailleurs, ce témoin, un petit peu avant cette constatation, a souligné

10 que Mirolad Krnojelac et sa famille étaient considérés par les Musulmans

11 de Donje Polje comme une famille calme, tranquille, pacifique et une

12 famille également correcte. C'est le compte rendu 1493. Par ailleurs, le

13 témoin déclare également que les jeunes de nationalité musulmane

14 rentraient souvent au café avant le déclenchement du conflit et qu'il ne

15 serait pas correct de vouloir le nier.

16 Par ailleurs, il y a également des témoins de la défense qui ont déclaré

17 de manière explicite que l'on n'a jamais chanté des chansons nationalistes

18 dans ce café et que, avant le déclenchement des hostilités, le café a été

19 fréquenté également par la population musulmane.

20 Enfin, de la lettre de détenu musulman qui a travaillé sur la maison de

21 Milorad Krnojelac et qui a été lue pour les besoins du compte rendu, en

22 partie, avec l'autorisation de la Chambre, c'est ce témoin qui a été

23 détenu, démontre que ce café "Gong" a été un endroit où il préférait

24 retourner. Il avait même dit qu'il aimerait bien y retourner tout de suite

25 quand il se rendra à Foca, pour boire un café ou une boisson, un verre

Page 8337

1 avec le fils de l'accusé. C'est le compte rendu page 7387.

2 Est-ce que ce témoin qui était au KP Dom aurait souhaité vouloir s'asseoir

3 avec les nationalistes, avec les personnes discriminatoires et qui sont en

4 même temps propriétaires du café? Je pense que la réponse s'impose.

5 Le Bureau du Procureur a également affirmé qu'un bon nombre de témoins

6 concluent de manière logique qu'une personne qui a des points de vue

7 nationalistes, à un très haut degré, était la seule à pouvoir être

8 désignée comme chef du KP Dom pendant la guerre.

9 Une fois de plus, je vais revenir à ce témoin RJ, qui a été étonné,

10 surpris d'avoir vu Mirolad Krnojelac occuper ce poste, le connaissant

11 comme quelqu'un qui n'a jamais été nationaliste, qui n'a jamais épousé de

12 telles idées, qui avait beaucoup d'amis parmi les Musulmans et les

13 Croates, qui n'a jamais été membre d'aucun parti exception faite de la

14 Ligue des communistes, et qui, d'après ce qu'il nous a dit, n'a jamais

15 changé son comportement, même pendant qu'il occupait ce poste de chef du

16 KP Dom. Et tout ce qu'il a dit, il a tout simplement constaté qu'il était

17 surpris parce qu'il pensait que ce poste aurait dû être occupé par

18 quelqu'un qui était proche du SDS, c'est tout, et que la situation était

19 telle, et en quelque sorte démentie par la désignation de la Radovica

20 Tesevic pour le directeur de l'entité économique de la Drina. Il confirme

21 qu'il était fort possible que des gens qui n'ont pas été des nationalistes

22 puissent occuper de tels postes, qui n'étaient même pas membres du parti

23 SDS qui était au pouvoir à cette époque-là.

24 Eh bien, si nous nous référons aux normes dans la présentation des

25 éléments de preuve à décharge, et dans le cadre au-delà de tout doute

Page 8338

1 raisonnable, nous considérons alors que la participation de Milorad

2 Krnojelac au SDS n'a pas été prouvée.

3 Zarko Vukovic, collègue et ami très proche de l'accusé, aurait dû savoir

4 sans aucun doute quelles étaient ses options politiques, ou

5 éventuellement, s'il avait participé ou non aux réunions de rassemblement.

6 Zarko Vukovic est quelqu'un avec lequel le témoin RJ, le témoin de

7 l'accusation est resté en bonnes relations. RJ le considère encore comme

8 un ami, justement parce qu'il n'a pas ces sentiments nationalistes, et

9 n'appartient à aucun parti dont les objectifs sont des objectifs

10 nationalistes. La défense doit mentionner ici même que cela lui paraît

11 fort ironique de la part de l'accusation que de vouloir affirmer que

12 l'épouse croate de Milorad Krnojelac, qu'il a choisie il y a 30 ans, avec

13 laquelle il laquelle il a quatre enfants, est tout simplement une preuve

14 qu'il s'est écarté de cette option nationaliste qui est la sienne. Pour

15 affirmer une telle chose, l'accusation n'a pas tenu compte de ce qu'avait

16 dit l'épouse de l'accusé, le fils de l'accusé. Le fils a parlé des

17 relations très harmonieuses entre les deux époux, depuis le début jusqu'à

18 nos jours. Et même les témoins C et D en ont parlé.

19 Par ailleurs, il y avait deux Musulmanes qu'il a aidées d'après

20 l'accusation, c'est tout simplement un incident, et c'est contraire à sa

21 nature nationaliste. Ce qui nous surprend et nous préoccupe à la fois,

22 c'est entendre une telle appréciation, une telle évaluation de

23 l'accusation en ce qui concerne l'aide qui a été fournie et prouvée au

24 cours de ce procès. La question qui se pose également: quelle est d'après

25 l'accusation, la motivation pour de tels écarts, pour des excès, d'une

Page 8339

1 telle bonté, si on peut dire, par rapport à une nature nationaliste? Quel

2 est le bénéfice que Krnojelac a pu obtenir quand il a aidé ces femmes?

3 En ce qui concerne les éléments de preuve concernant la compétence du

4 commandement militaire, sur les personnes qui sont de nationalité

5 musulmane et des Serbes qui ont commis des actes criminels, l'accusation,

6 pour maintenir ce qu'elle avait avancé, a affirmé que le KP Dom a

7 fonctionné comme une organisation unique, qui avait un chef à sa tête, un

8 directeur à sa tête, et qui a symbolisé l'unité des structures militaires

9 et des structures civiles. La défense souhaite souligner que la

10 répartition entre les structures militaires et structures civils existait,

11 et comment pendant la période pertinente pour cet acte d'accusation dont

12 témoignent de nombreuses déclarations et des preuves matérielles.

13 Nous voudrions attirer l'attention de la Chambre sur un certain nombre de

14 documents qui concernent l'organisation des autorités civiles de la

15 municipalité en temps de guerre ou juste avant l'époque qui a précédé la

16 guerre.

17 Dans le document 25 du 01/05/1992, signé par le Premier ministre de la

18 Republika Srpska, il est stipulé que la cellule de crise, en état de

19 guerre, se charge de toutes les prérogatives et des fonctions des

20 assemblées et des municipalités, si les assemblées ne peuvent pas se

21 réunir. La cellule de crise se compose des membres, chacun de ces membres

22 à ses missions et ses tâches tout à fait précises, ou plutôt des porte-

23 feuilles.

24 Dans le document D26 qui représente la décision concernant les présidences

25 de guerre, en date du 31 mai 1992, signé par le docteur Radovan Karadzic,

Page 8340

1 premier paragraphe, il est stipulé: "dans les municipalités de la

2 Republika Srpska, dans lesquelles il n'est pas possible que l'assemblée et

3 l'exécutif exercent le pouvoir, ce sont les présidences de guerre qui vont

4 être mises en place".

5 Eh bien, on peut conclure de ces documents qu'il y avait une continuité.

6 On peut également expliquer le document 34, du 26/O4/1992; en en-tête,

7 c'est la municipalité de Foca, c'est signé par le Président du comité

8 exécutif.

9 Ensuite, le 1er mai 1992, les prérogatives de l'assemblée municipale et

10 prises par la cellule de crise, pendant une période très brève, et le

11 30.05.92, les prérogatives de l'assemblée municipale sont transmises à la

12 présidence de guerre.

13 C'est le bon moment, peut-être, pour se référer à cette pièce à conviction

14 D34, et conclure qu'il est possible de voir que Radojica Mladjenovic était

15 celui qui arrêtait les ordres concernant le KP Dom. Il était Président du

16 comité exécutif et c'est un document qui corrobore totalement le

17 témoignage de l'accusé. En effet, dans sa déposition il dit qui il avait

18 désigné à ce poste de directeur du KP Dom.

19 Si on voit maintenant tous ces documents, il en ressort clairement, si

20 nous avons également quelle était la conception au niveau de

21 l'organisation des autorités municipales, c'est que les autorités

22 municipales ont été organisées de la même manière, et selon le même

23 principe, tout comme l'assemblée et le gouvernement au niveau de la

24 République.

25 En d'autres termes, le comité exécutif de l'assemblée municipale et le

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1 gouvernement de l'autorité municipalité, c'est un exécutif. Le

2 gouvernement dispose de ses ministères. Le comité exécutif municipal a ses

3 secrétariats, en d'autres termes ses ministères.

4 Dans tout pays organisé, au sein du gouvernement, le ministère de la

5 Défense, chargé des questions militaires, participe au gouvernement

6 également. La défense peut être d'accord pour dire que le Premier ministre

7 pourrait être responsable du travail des ministères différents. Mais nous

8 ne pouvons absolument pas être d'accord pour dire que quelqu'un qui est

9 employé au sein d'un ministère peut être tenu pour responsable des actions

10 et du comportement des employés d'un autre ministère.

11 Il est clair également qu'ils ne peuvent pas faire partie de la même

12 hiérarchie. Il est donc clair que, certainement, pendant la période des

13 faits, à Foca, en temps de guerre, au moment du conflit armé, qu'il

14 existait un rapport entre les autorités civiles et militaires. Il est

15 clair que la structure militaire, également, en partie devait participer

16 au gouvernement, dans le cadre de ses propres compétences. Ceci ne veut

17 pas dire qu'il existait l'unité des autorités civiles et militaires, et

18 qu'il n'y a absolument aucune différence entre les deux.

19 Au paragraphe 222 de son mémoire final, le Procureur affirme que Miro

20 Stanic, le 18 juin 1992, a signé le document 240, en tant que Président de

21 la présidence de guerre, même si, dans l'en-tête, il est écrit

22 "commissariat de guerre". Et au-dessus de la signature de M. Miro Stanic,

23 il est écrit: "Le Président du commissariat de guerre".

24 Lorsqu'on se penche sur la question de savoir à qui ce document est

25 adressé, on peut voir que, mis à part le comité opérationnel, il a été

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1 envoyé également au conseil exécutif de la municipalité de Foca, donc il

2 ne s'agit pas de la présidence de guerre, mais du Président d'une

3 commission, d'un commissariat de guerre, c'est donc lui qui envoie cette

4 lettre au conseil exécutif de l'assemblée municipale de Foca.

5 Lorsqu'on procède à une analyse des moyens de preuves fournis par le

6 Procureur, versés au dossier à la fois par le Procureur et par la défense,

7 concernant la session de bail du KP Dom, il est tout à fait clair qu'il

8 s'agit de deux parties différentes et indépendantes. Dans sa demande, aux

9 fins de la session de bail du KP Dom, il est écrit: "Le commandant du

10 groupe tactique de Foca", alors que dans la décision sur la session de

11 bail du KP Dom, il est clairement écrit: "La municipalité serbe de Foca".

12 Il est écrit que le commandement militaire, en tant qu'entité qui va

13 utiliser ces locaux, a l'obligation de maintenir les locaux en l'état et

14 de les rendre dans le même état que celui dans lequel ils les ont trouvés.

15 Cette distinction claire est faite également au sein des document de

16 l'accusation, P1 et P2, puisqu'à ce moment-là, le directeur parle du

17 contrat portant sur le bail des locaux. Non seulement les installations

18 dans lesquelles se trouvaient les prisonniers, mais aussi la cuisine, le

19 dispensaire étaient concernés par cela. Les objections soulevées par le

20 Procureur, dans son mémoire final, où il est indiqué qu'il n'y avait pas

21 de séparation physique entre les deux parties de la prison sont, d'après

22 la défense, insuffisantes. Environ, seulement une vingtaine de personnes

23 sont restées dans une partie de la prison.

24 La plupart faisait partie de l'unité économique, alors que peut-être 6 ou

25 7 sont restés au KP Dom, dans l'enceinte du KP Dom. Lorsque j'ai dit

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1 "unité économique", je voulais parler, en fait, de l'ekonomija, de la

2 ferme. Dans ces circonstances, était-il vraiment nécessaire de procéder à

3 la séparation physique des deux parties, à la création d'une nouvelle

4 cuisine ou d'un nouveau dispensaire? Tout ceci en temps de crise et en

5 temps de guerre.

6 Si nous adoptions une telle logique, nous pourrions conclure que le

7 personnel administratif du KP Dom était détenu aussi, puisqu'eux aussi

8 mangeaient dans le même réfectoire que celui utilisé par les détenus.

9 Ces deux parties de la prison étaient séparées sur le plan formel et

10 juridique, en ce qui concerne les compétences et la subordination et non

11 pas physiquement.

12 Justement, cette séparation de fait est sur le plan formel et juridique,

13 cette séparation des pouvoirs et des compétences doit constituer le

14 principe crucial dans la détermination de la responsabilité de l'accusé,

15 en vertu de l'article 7(3).

16 La séparation des pouvoirs civils et militaires est reflétée dans la pièce

17 à conviction de la défense D 39, où dans le dernier paragraphe l'accusé,

18 en tant que directeur du KP Dom, donne l'instruction au Corps de

19 l'Herzégovine, compte tenu des besoins de la prison militaire de Bileca,

20 qui doit être transférée, en indiquant qu'il faut d'abord obtenir

21 l'autorisation du ministère de la Justice, et conclure un contrat sur la

22 session de bail.

23 Si l'unité des autorités civiles et militaires existait, l'accusé aurait-

24 il donné les instructions au commandement militaire qui souhaitait obtenir

25 plus de place pour transférer la prison de Bileca, de s'adresser au

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1 ministère de la Justice pour obtenir l'autorisation et pour conclure un

2 contrat. Un ordre simple aurait suffit.

3 La défense souhaite profiter de cette occasion pour souligner qu'il y a eu

4 une erreur de traduction dans le document D 107, que l'accusé dans sa

5 lettre envoyée à la garnison de Foca a dit qu'il tenait au sein du KP Dom

6 des personnes d'appartenance ethnique musulmane, même si dans le texte

7 original, en BCS, il est écrit que ces personnes se trouvent au sein du KP

8 Dom.

9 M. le Président (interprétation): Je ne suis pas sûr d'avoir compris

10 quelle est la correction que vous demandez. Dans la traduction anglaise,

11 il est écrit: "hold", donc "tiens" et non pas "keeps" comme vous l'avez

12 dit. Il mentionne à la fois les détenus serbes et les détenus musulmans

13 qui sont ensemble.

14 M. Bakrac (interprétation): Oui, Monsieur le Président, je vois en BCS

15 qu'il est écrit: "Puisque sur la base du contrat portant sur la session du

16 bail des locaux du KP Dom pour l'installation des personnes détenues, dans

17 ce KP Dom se trouvent des détenus d'appartenance ethnique musulmane et

18 aussi les Serbes qui ont commis des délits au sein de l'armée de la

19 Republika Srpska, nous vous demandons pour les besoins de la nourriture

20 qui doit être fournie à ces personnes, que vous nous envoyiez les vivres

21 suivants…" C'est l'erreur commise par la défense. J'ai l'impression que,

22 dans la traduction, il était écrit que dans ce KP Dom, ils tenaient les

23 détenus. Dans l'original, il est écrit que les personnes détenues se

24 trouvent au sein de ce KP Dom.

25 La défense considère que l'accusation, mis à part l'absence de la

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1 participation et de hiérarchie dans la structure militaire qui était en

2 charge des détentions d'appartenance ethnique musulmane n'a pas prouvé au-

3 delà de tout doute raisonnable l'autorité de Krnojelac non plus dans la

4 partie du KP Dom pertinente pour l'acte d'accusation.

5 Le Procureur se réfère aux déclarations de témoin qui vont à l'encontre

6 des déclarations de témoins cités par la défense dans son mémoire final,

7 puisque justement ces déclarations-là portent sur l'absence de l'autorité

8 de Milorad Krnojelac à l'égard de ces personnes.

9 Les témoins que la défense a cités et qui, comme nous l'avons déjà dit, ne

10 pouvaient pas savoir très exactement à quoi ressemblait la structure de

11 commandement, de gestion des compétences au sein du KP Dom ont déposé en

12 parlant des choses qu'ils pouvaient observer. Tous ces témoins ont

13 remarqué justement l'autorité de Savo Todovic, par rapport au sort qui

14 leur était réservé. Personne n'a remarqué l'existence de ce genre

15 d'autorité chez l'accusé.

16 Les déclarations selon lesquelles l'accusé aurait été le directeur de Jure

17 alors que de fait c'était Savo Todovic ou bien les déclarations selon

18 lesquelles Krnojelac était le directeur seulement sur le papier, alors que

19 c'est Savo Todovic qui exerçait le pouvoir réel, et toutes les autres

20 déclarations reflètent justement l'absence de toute autorité de la part de

21 Milorad Krnojelac par rapport à ces personnes. L'absence de l'autorité et

22 du rapport de subordination et supériorité par rapport aux gardes du KP

23 Dom aussi se reflétait également dans les dépositions des témoins, à la

24 fois de l'accusation et de la défense.

25 Ici, le Procureur a souvent cité le témoin, le Dr Amir Berberkic qui, lors

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1 de son contre-interrogatoire, s'est vu poser la question justement portant

2 sur l'autorité de Milorad Krnojelac. Autrement dit, la question posée

3 était de savoir s'il était exact que, dans sa déclaration donnée au Bureau

4 du Procureur, il avait dit que c'est Mitar Rasevic, personnellement, qui

5 lui avait dit que lui, en tant que chef de garde, était responsable devant

6 le commandement militaire.

7 Là-aussi, c'était moins dans la déclaration qu'il avait fournie au Bureau

8 du Procureur, il avait dit que "c'était le commandement militaire qui

9 était en charge de...", et un certain commandant Kovac. Dans le compte

10 rendu d'audience, il est possible de voir -et la Chambre a réagi à ce

11 moment-là aussi-, que lorsque ce témoin a essayé de nier le fait qu'il

12 était au courant de l'existence du commandant Kovac, lui-même, sans que

13 qui que ce soit n'ait mentionné cela, il a dit "le colonel Kovac". Il est

14 donc clair que ce témoin était même au courant de son grade.

15 Pour finir, ce témoin, à la question de savoir s'il avait dit au Bureau du

16 Procureur qu'un autre détenu lui avait dit personnellement que la liste

17 des 12 détenus qui devaient être cachés de la Croix-Rouge internationale

18 étaient signée par Marko Kovac, le commandant du groupe tactique, et que

19 ce témoin l'a vu lui-même, le témoin Berberkic a essayé de manière très

20 peu convaincante d'éviter de répondre à cette question de la défense.

21 Puisque la défense lui a demandé si l'opérateur radioamateur, Kovac,

22 aurait pu signer cela, il a dit qu'il ne le savait pas mais qu'il avait

23 appris que c'était Marko Kovac qui avait signé cela de la part d'autres

24 détenus.

25 Par conséquent, ce fait, le fait que même un témoin qui était détenu, qui

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1 avait été détenu a reçu l'information d'une certaine source portant sur la

2 chaîne de commandement, mis à part tous les moyens de preuve matériels

3 fournis par la défense, ceci montre que Milorad Krnojelac n'était pas, ne

4 faisait pas partie des structures de pouvoir des autorités qui étaient en

5 charge de la partie militaire, de la prison, et en charge des personnes

6 d'appartenance ethnique musulmane, ni des Serbes qui ont commis des délits

7 au sein de l'armée de la Republika Srpska.

8 L'absence de l'autorité, l'absence du rapport de subordination et de

9 supériorité par rapport aux personnes en charge de cette partie militaire

10 de la prison, exclut entièrement la possibilité selon laquelle l'accusé

11 aurait pu donner des ordres ou sanctionner qui que ce soit. Il ne

12 disposait pas de ce genre de possibilité ni dans le sens hiérarchique ni

13 dans le sens d'une autorité éventuelle. Milorad Krnojelac ne détenait pas

14 de pouvoir de fait, ni par rapport aux détenus musulmans ni par rapport

15 aux gardes. Et ceci peut être clairement constaté sur la base de la pièce

16 à conviction D139, sur la base de laquelle il est possible de voir que le

17 garde Matovic a reçu la décision concernant son obligation de travail de

18 la part du ministère de la Défense, donc le commandement militaire.

19 Monsieur le Président, excusez-moi, j'ai cité le document de manière

20 erronée: il ne s'agissait pas de la pièce D139 mais de la pièce D151.

21 C'est pourquoi la défense considère que Milorad Krnojelac ne peut être

22 responsable pour un quelconque délit qui lui est reproché dans les chefs

23 d'accusation, en vertu de l'Article 7(3) du Statut du Tribunal pénal

24 international.

25 Nous affirmons cela et la défense, dans son mémoire final, a présenté de

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1 nombreux moyens de preuve: des moyens de preuve matériels et des

2 déclarations de témoins mais nous ne souhaitons pas répéter cela, ici et

3 maintenant.

4 Monsieur le Président, Madame et Monsieur les Juges, mon collègue, Me

5 Vasic, va poursuivre la plaidoirie au sujet des autres chefs d'accusation

6 mais, compte tenu du temps, peut-être qu'il vaudrait mieux qu'il commence

7 demain matin.

8 M. le Président (interprétation): C'est une bonne idée, effectivement. En

9 ce qui concerne l'égalité des armes, vous avez déjà bénéficié de plus de

10 temps que le Procureur mais nous n'allons pas vous arrêter. Avez-vous une

11 idée du temps qu'il vous faudra demain matin?

12 M. Bakrac (interprétation): Monsieur le Président, ce que j'espère -mais

13 je verrai encore avec Me Vasic-, je pense que nous terminerons avant la

14 fin de la première session du matin.

15 M. le Président (interprétation): C'est acceptable. Nous allons suspendre

16 l'audience et reprendre nos travaux demain matin, à 9 heures 30.

  1. (L'audience est levée à 16 heures.)