Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   (Mercredi 14 mai 2003.) 

  2   (Procédure d'appel.)

  3   (L'audience est ouverte à 9 heures 04, sous la présidence de M. le Juge

  4   Jorda.)

  5   (Audience publique.)

  6   M. le Président: Merci. Veuillez vous asseoir.

  7   Madame la Greffière, veuillez faire entrer l'accusé, s'il vous plaît.

  8   (L'accusé est introduit dans le prétoire.)

  9   Madame la Greffière, voulez-vous indiquer les références de l'affaire qui

 10   est inscrite au rôle de la Chambre d'appel ce jour, la Chambre d'appel du

 11   Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie? Merci.

 12   Mme Chen (interprétation): Bonjour, Messieurs les Juges. Il s'agit de

 13   l'Affaire IT-97-25-A, le Procureur contre Milorad Krnoljelac.

 14   M. le Président: Bien. Je vous remercie.

 15   Les interprètes sont en place?

 16   Interprète: Oui, Monsieur le Président.

 17   M. le Président: Nous pouvons les entendre.

 18   Bien, l'accusé est là.

 19   Alors, je voudrais d'abord que s'identifient les conseils des parties du

 20   côté du Procureur, s'il vous plaît.

 21   M. Staker (interprétation): Bonjour, Messieurs les Juges. Je m'appelle

 22   Christopher Staker et je représente le Bureau du Procureur aujourd'hui à

 23   la présente audience, avec Mme Helen Brady, Mme Norul Rashid et M.

 24   Carmona. Et c'est Mme Nicola Bonfield qui est notre assistante.

 25   M. le Président: Bien. Je vous remercie.


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   1   Du côté de la défense de M. Krnojelac, s'il vous plaît?

  2   M. Bakrac (interprétation): Bonjour, Messieurs les Juges. Je m'appelle

  3   Mihajlo Bakrac, et c'est en compagnie de Miroslav Vasic que nous défendons

  4   les intérêts de M. Krnoljelac.

  5   (Déclaration introductive de la Chambre d'appel par le Président.)

  6   M. le Président: Bien. Merci. Ecoutez, nous pouvons commencer.

  7   Je voudrais d'abord faire, au nom de mes collègues, une déclaration

  8   introductive de cette instance qui va situer comment nous allons… le débat

  9   d'abord et ensuite, comment nous allons nous organiser pour ce débat.

 10   Bientôt, nous n'aurons plus aucune place sur ce meuble.

 11   Bien. Alors, la Chambre d'appel tient aujourd'hui son audience en appel

 12   dans l'affaire "le Procureur contre Milorad Krnojelac". En effet, le 12

 13   avril 2002, Milorad Krnojelac a interjeté appel contre le Jugement rendu

 14   par la Chambre de première instance du Tribunal le 15 mars 2002.

 15   La Chambre de première instance -je le rappelle- a reconnu M. Krnojelac

 16   coupable. D'abord, en vertu de l'Article 7.1 du Statut, en raison de sa

 17   responsabilité individuelle en tant que complice des crimes suivants:

 18   -Chef 1 de l'Acte d'accusation: persécutions, un crime contre l'humanité,

 19   à raison des emprisonnements, actes inhumains liés aux conditions de vie.

 20   -Chef 15 de l'Acte d'accusation: traitement cruel, une violation des lois

 21   ou coutumes de la guerre, à raison des conditions de vie.

 22   D'autre part, en vertu de l'Article 7.3 du Statut, l'accusé a également

 23   été reconnu responsable en tant que supérieur hiérarchique des crimes

 24   suivants:

 25   -Chef 1 de l'Acte d'accusation: persécution, un crime contre l'humanité, à


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  1   raison de sévices;

  2   -Chef 5 de l'Acte d'accusation: actes inhumains, un crime contre

  3   l'humanité à raison de sévices;

  4   -Chef 7 de l'Acte d'accusation: traitement cruel, une violation des

  5   coutumes de guerre à raison de sévices.

  6   Je rappelle que la Chambre de première instance a condamné Milorad

  7   Krnojelac à une peine unique de sept ans et demi d'emprisonnement.

  8   Le 15 avril 2002, le Procureur a également fait appel contre le Jugement

  9   précité.

 10   Avant d'entendre les arguments des parties, la Chambre d'appel voudrait

 11   rappeler la liste des motifs d'appel présentés respectivement par M.

 12   Krnojelac et par le Procureur.

 13   S'agissant d'abord de M. Krnojelac, la Chambre d'appel a regroupé les

 14   motifs d'appel de la manière suivante; je vous demande d'y prêter

 15   attention.

 16   -Premier motif d'appel: la Chambre aurait commis des erreurs de fait en

 17   appréciant la fonction de directeur de prison qu'occupait Milorad

 18   Krnojelac.

 19   Je ne vais pas trop vite? Un petit peu, peut-être, pour les interprètes?

 20   Je ne vais pas trop vite? Ça va?

 21   Ce motif d'appel regroupe plusieurs moyens d'appel.

 22   -Premier moyen: la Chambre de première instance a commis une erreur en

 23   affirmant que les fonctions ou les pouvoirs de directeur de prison

 24   n'avaient guère changé après l'éclatement du conflit armé.

 25   -Deuxième moyen -nous sommes toujours dans le premier motif d'appel-: la


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  1   Chambre aurait commis une erreur en affirmant que Krnojelac avait

  2   librement accepté le poste de directeur de prison.

  3   -Troisième moyen: la Chambre aurait commis une erreur en affirmant que

  4   Krnojelac avait autorité sur l'ensemble du personnel et des détenus du KP

  5   Dom.

  6   -Quatrième moyen: la Chambre n'aurait pas apprécié à leur juste valeur les

  7   dépositions de témoins non serbes de l'accusation.

  8   Voilà pour le premier motif d'appel de M. Krnojelac.

  9   -Deuxième motif d'appel: la Chambre aurait commis une erreur de droit en

 10   affirmant que Krnojelac s'était rendu complice de persécutions, en raison

 11   de l'emprisonnement et des conditions de vie.

 12   -Troisième motif d'appel: la Chambre aurait commis une erreur de fait en

 13   concluant que Krnojelac s'était rendu complice de traitements cruels, à

 14   raison des conditions de vie.

 15   -Quatrième motif d'appel: la Chambre aurait commis une erreur de fait en

 16   jugeant que Krnojelac était, en tant que supérieur hiérarchique,

 17   responsable de persécutions au titre de sévices.

 18   -Cinquième motif d'appel: la Chambre aurait commis une erreur de fait en

 19   concluant que Krnojelac était, en tant que supérieur hiérarchique,

 20   responsable d'actes inhumains et de traitements cruels au titre de

 21   sévices.

 22   S'agissant du Procureur, à présent, il a exposé sept motifs d'appel.

 23   Enfin…

 24   L'interprète: Monsieur le Président, auriez-vous l'obligeance de ralentir?

 25   Merci


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  1   M. le Président: -La Chambre aurait commis une erreur de droit dans sa

  2   définition de la responsabilité découlant de la participation à une

  3   entreprise… -je vais trop vite?- à une entreprise criminelle commune et

  4   dans l'application de cette définition au fait de l'espèce.

  5   -Deuxième motif d'appel: la Chambre aurait commis une erreur de droit en

  6   exigeant que l'Acte d'accusation fasse état d'une forme "élargie", entre

  7   guillemets, d'une forme élargie de l'entreprise criminelle commune.

  8   -Troisième motif d'appel: la Chambre aurait commis une erreur de fait en

  9   concluant que Krnojelac ne savait pas et n'avait pas de raison de savoir

 10   que ses subordonnés torturaient les détenus, et en estimant par conséquent

 11   qu'il ne pouvait être tenu responsable au regard de l'Article 7.3 du

 12   Statut.

 13   -Quatrième motif d'appel: la Chambre aurait commis une erreur de fait en

 14   concluant qu'aux fins… dans le but de prouver, au titre de l'Article 7.3

 15   du Statut, en concluant que les informations dont disposait Krnojelac

 16   n'étaient pas suffisantes pour l'avertir que ses subordonnés étaient

 17   impliqués dans le meurtre de détenus du KP Dom.

 18   -Cinquième motif d'appel: la Chambre de première instance aurait commis

 19   une erreur de fait en concluant que les sévices constituant des actes

 20   inhumains et des traitements cruels n'ont pas été infligés pour des motifs

 21   discriminatoires et qu'en conséquence Krnojelac ne pouvait être tenu

 22   responsable de persécutions en tant que supérieur hiérarchique.

 23   Je vais encore trop vite? Pardonnez moi.

 24   -Sixième motif d'appel: la Chambre se serait fourvoyée en acquittant

 25   Krnojelac du chef de "Persécutions", au titre des travaux forcés".


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  1   -Septième motif d'appel: la Chambre aurait commis une erreur en acquittant

  2   Krnojelac du chef de "Persécutions, au titre de la déportation".

  3   Pour ce septième motif d'appel, le Procureur a développé plusieurs moyens:

  4   -Premier moyen: erreur de droit, en estimant que le déplacement par-delà

  5   les frontières nationale est un élément constitutif de la déportation.

  6   -Deuxième moyen: erreur de fait en jugeant que 35 détenus musulmans

  7   transférés vers le Monténégro sont partis de leur plein gré.

  8   -Troisième moyen: erreur de fait en jugeant que le transfert des 35

  9   détenus musulmans vers le Monténégro n'était pas inspiré par des motifs

 10   discriminatoires.

 11   -Quatrième moyen: erreur en ne déclarant pas Krnojelac coupable de

 12   "Persécutions, au titre de la déportation" pour le transfert de certains

 13   détenus vers d'autres lieux en Bosnie.

 14   -Cinquième moyen: erreur en jugeant que Krnojelac n'était pas responsable

 15   au terme de l'Article 7.1 du Statut de "Déportation et d'expulsion

 16   constitutive des persécutions".

 17   Voilà les moyens, tels que les a regroupés la Chambre d'appel.

 18   La Chambre rappelle, en outre, que les deux appelants ont interjeté appel

 19   contre la sentence.

 20   Je demande maintenant également de l'attention aux parties car, avant

 21   d'écouter vos arguments sur les erreurs alléguées, la Chambre estime qu'il

 22   convient d'apporter quelques précisions sur le critère applicable à

 23   l'examen des constatations de la Chambre de première instance.

 24   Comme la Chambre d'appel l'a fait observer à maintes reprises, l'appel

 25   n'est pas l'occasion pour les parties de plaider à nouveau leur cause, il


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  1   n'implique pas un procès de nouveau. En appel, les parties doivent

  2   circonscrire leurs arguments aux questions qui entrent dans le cadre de

  3   l'Article 25 de notre Statut.

  4   En règle générale, la Chambre d'appel ne connaît que des arguments fondés

  5   sur de prétendues erreurs de droit qui invalident le Jugement, ou sur des

  6   erreurs de fait ayant entraîné une erreur judiciaire. Il n'en va autrement

  7   que dans le cas exceptionnel où une partie soulèverait une question de

  8   droit ayant un intérêt général pour la jurisprudence du Tribunal. Dans ce

  9   cas, et dans ce cas uniquement, la Chambre d'appel peut estimer qu'il

 10   convient de faire une exception à la règle.

 11   En l'espèce, la très grande majorité des motifs soulevés par les appelants

 12   concerne de prétendues erreurs de fait. Je vous demande de prêter

 13   attention à tous ces passages-là parce que cela va circonscrire notre

 14   débat.

 15   En l'espèce, la très grande majorité des motifs soulevés par les appelants

 16   concerne de prétendues erreurs de fait. La Chambre d'appel rappelle qu'en

 17   la matière, la charge incombant à l'appelant et, selon une jurisprudence…

 18   Plus lentement encore? C'est pour les interprètes. Excusez-moi. Vous

 19   savez, je suis quelqu'un qui regarde toujours le chronomètre -vous le

 20   saurez pendant deux journées-, alors je vais continuer plus doucement.

 21   En l'espèce, la très grande majorité des motifs soulevés par les appelants

 22   concerne de prétendues erreurs de fait. La Chambre d'appel rappelle qu'en

 23   la matière, la charge incombant à l'appelant est, selon une jurisprudence

 24   bien établie, la suivante. Pour que la Chambre d'appel infirme une

 25   constatation de la Chambre de première instance, un appelant doit


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  1   démontrer que celle-ci a commis une erreur de fait et qu'il en a résulté

  2   un déni de justice. Par conséquent, l'appelant qui allègue une erreur de

  3   fait doit apporter la double preuve de la commission d'une erreur et du

  4   déni de justice qui en résulte. L'erreur est démontrée lorsque l'appelant

  5   démontre qu'aucun juge des faits raisonnable n'aurait pu rendre la

  6   décision contestée. L'appelant doit, en outre, prouver que l'erreur de

  7   fait a pesé lourd dans la décision de la Chambre de première instance et

  8   qu'il en a résulté un déni de justice. La charge de la preuve incombant

  9   aux appelants implique également d'être précis quant aux conclusions de la

 10   Chambre de première instance contestée.

 11   Aux fins de la présente audience, je demanderai aux parties d'être

 12   précises et rigoureuses lors de leur développement relatif au motif

 13   d'appel, et de faire une utilisation effective des recueils des sources.

 14   Voilà. Ces précisions doivent encadrer notre débat et, au besoin, cela

 15   vous sera rappelé.

 16   Je rappelle maintenant l'organisation de nos débats telle qu'elle résulte

 17   d'une ordonnance portant calendrier de la présente audience.

 18   Je crois qu'il y a un accord, d'après ce qu'on m'a dit, entre les parties.

 19   C'est donc le Procureur qui débutera la présentation de ses conclusions et

 20   arguments; il disposera pour cela d'une heure et 30 minutes. Nous devions

 21   commencer à 9 heures; nous commencerons donc à 9 heures et quart, et nous

 22   déduirons. Nous ferons une heure 30 d'abord, ensuite, nous ferons une

 23   pause, et le Procureur continuera pendant une heure; ce qui lui fera donc

 24   2 heures et demie. Nous adopterons l'horaire au retard que nous avons pris

 25   puisque nous commençons qu'à 9 heures 15. Nous ferons une pause de 2


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   1   heures environ au moment du déjeuner. Et ensuite, nous donnerons une heure

  2   à la défense, qui disposera elle-même de 2 heures qui seront entrecoupées

  3   de 30 minutes de pause. Et enfin, le Procureur terminera notre journée par

  4   sa réplique.

  5   Demain, jeudi 15 mai, nous commencerons également à 9 heures. Et la

  6   défense présentera ses conclusions pendant 2 heures, interrompues par une

  7   pause de 30 minutes. Nous aurons également 2 heures pour la pause du

  8   déjeuner. Après quoi, le Procureur disposera également de 2 heures,

  9   interrompues par une pause de 30 minutes. Mais tout ceci, je vous le ré-

 10   expliquerai au cours des débats. Et enfin, la réplique de la défense

 11   conclura nos travaux. Voilà.

 12   Je donne sans plus tarder -s'il n'y a pas d'observation particulière- la

 13   parole au Procureur, au Bureau du Procureur.

 14   (Présentation des arguments du Procureur concernant les motifs d'appel 1

 15   et 2, par M. Staker.)

 16   M. Staker (interprétation): Merci, Monsieur le Président, Messieurs les

 17   Juges.

 18   L'accusation a fourni à la Chambre d'appel l'ordre de comparution des

 19   intervenants. Je crois que vous en disposez en l'espèce, et c'est moi qui

 20   vais aborder le premier et le second motif d'appel. Vous en avez parlé,

 21   Monsieur le Président. C'est ensuite Mme Brady qui va aborder les motifs 3

 22   et 5, quant à Mme Norul Rashid, c'est elle qui va présenter les motifs 6

 23   et 7. Et enfin, c'est M. Carmona qui va présenter les arguments de

 24   l'accusation s'agissant des motifs 4 et 8. Le motif 8 étant l'appel de la

 25   peine prononcée.


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  1   Et sans plus tarder, Monsieur le Président, comme vous l'avez suggéré, je

  2   vais aborder le premier motif, à savoir que la Chambre de première

  3   instance aurait commis une erreur de droit pour ce qui est de la façon de

  4   se prononcer sur les éléments du but commun, de l'entreprise criminelle

  5   commune. C'est en rapport à deux décisions prises pour ce qui est de la

  6   responsabilité pénale, en application de l'Article 7.1 du Statut, pour ce

  7   qui est de l'emprisonnement et des conditions de vie dans le camp.

  8   Cependant, il a été uniquement condamné parce qu'il a aidé et encouragé.

  9   De l'avis de l'accusation, il est responsable de la commission de ces

 10   crimes en tant que participant à une entreprise criminelle commune et

 11   l'accusation demande que le Jugement soit modifié en conséquence. Ceci

 12   entraînerait une augmentation de la peine pour traduire dans les faits la

 13   responsabilité supérieure de l'appelant, de l'intimé.

 14   Il y a deux erreurs principales qui, de l'avis de l'accusation, ont été

 15   commises au niveau du Jugement en première instance. Dans l'arrêt Tadic,

 16   la Chambre d'appel a dit qu'il y avait trois éléments de l'actus reus pour

 17   ce qui est de la responsabilité dans le cadre d'une entreprise criminelle

 18   commune. Nous estimons que, vu la décision rendue par la Chambre de

 19   première instance, les premier et troisième éléments ont été remplis. Mais

 20   nous estimons que la Chambre a commis une erreur lorsqu'elle a essayé de

 21   définir et d'appliquer le deuxième élément.

 22   De surcroît, l'arrêt Tadic -au paragraphe 228- énonce la mens rea,

 23   l'intention délictueuse pour ce qui est de la responsabilité d'un

 24   participant à une entreprise criminelle commune, et l'accusation estime

 25   que la Chambre de première instance a commis une erreur pour ce qui est de


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  1   l'application et de la définition de l'intention délictueuse.

  2   Je crois qu'il sera plus commode de parler d'abord des conditions

  3   d'emprisonnement. Et puis, je reviendrai aux conditions de vie qui

  4   prévalaient dans le camp.

  5   Pour ce qui est de l'emprisonnement illégal, l'intimé a été condamné parce

  6   qu'il a aidé et encouragé s'agissant du Chef 1 de "Persécutions" en tant

  7   que crime contre l'humanité, visé à l'Article 5.h du Statut. Il était

  8   aussi considéré comme quelqu'un qui avait, par assistance ou aide,

  9   facilité un crime contre l'humanité visé par l'Article 5.e), mais il n'a

 10   pas été condamné pour le Chef 11 parce qu'il y aurait eu un effet

 11   cumulatif.

 12   Cependant, ce que dit la Chambre de première instance est important parce

 13   que ceci est à la base des conclusions tirées au regard du Chef 1

 14   d'accusation.

 15   Les conclusions de fait de la Chambre de première instance sont énoncées

 16   aux paragraphes 116 à 124 du Jugement.

 17   La Chambre de première instance estime en effet au paragraphe 124 que "les

 18   civils non serbes, civils donc, été détenus au KP Dom en raison de leur

 19   état de Musulmans.

 20   Au paragraphe 118, on dit "qu'il y a eu emprisonnement sans

 21   discrimination, de façon donc discriminatoire".

 22   Au 122, on dit "qu'ils ont été détenus de façon arbitraire et sans que

 23   ceci repose sur quelque conclusion de droit national ou international".

 24   Les conclusions se trouvent au paragraphe 438 du Jugement où on dit: "Au

 25   cours de la période au moment des faits, les non Serbes étaient


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  1   emprisonnés illégalement au KP Dom, et ceci avait pour seule vocation ou

  2   objectif principal que de faire état de discrimination en raison de

  3   l'appartenance des détenus".

  4   Au paragraphe 50, on dit que "la détention de non Serbes au KP Dom ainsi

  5   que les actes et omissions qui y furent commis étaient en rapport direct

  6   avec l'attaque systématique et généralisée contre la population non serbe

  7   de la municipalité de Foca".

  8   Ces conclusions montrent clairement que la Chambre de première instance a

  9   accepté l'argument présenté par l'accusation, à savoir que

 10   l'emprisonnement d'hommes non serbes civils était le résultat d'une

 11   entreprise criminelle commune. Ceci apparaît clairement au paragraphe 127

 12   du Jugement. La Chambre de première instance y fait référence à

 13   l'entreprise criminelle commune qui fait que des civils non serbes sont

 14   détenus illégalement.

 15   Alinéa du même paragraphe, on fait une nouvelle référence à l'entreprise

 16   criminelle commune. A cela s'ajoute une autre référence, celle de

 17   l'entreprise criminelle commune. La Chambre de première instance, dans ce

 18   paragraphe, fait également référence au fait que l'intimé est conscient de

 19   sa contribution à ce système illégal qui est le fait des principaux

 20   auteurs.

 21   Il ne fait pas l'ombre d'un doute que la Chambre de première instance

 22   était convaincue de l'existence d'une entreprise criminelle commune. Et

 23   même si la Chambre ne le dit pas de façon expresse, ne dit pas

 24   explicitement comment elle a conclu à l'existence de cette entreprise

 25   criminelle commune, ceci fait partie de la nature systématique et


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  1   généralisée de la détention. Nous sommes ici à la note de bas de page 353.

  2   Et la Chambre fait référence à la nature systématique et collective des

  3   détentions d'hommes musulmans civils.

  4   Paragraphe 41, il est dit que l'arrestation illégale et l'emprisonnement

  5   illégal de non Serbes de sexe masculin ont été effectués de façon massive

  6   et systématique. Il est manifeste qu'une campagne aussi systématique de

  7   détention n'aurait pas pu être le résultat de l'action d'un seul homme,

  8   d'une seule personne ou d'individu -singulier- ayant agi de façon

  9   indépendante; ceci pourrait être uniquement le résultat d'une conduite

 10   organisée, en d'autres termes, d'une entreprise conjointe, commune.

 11   La Chambre de première instance a estimé qu'il y avait existence d'une

 12   entreprise commune, mais, en plus, elle a estimé que l'intimé en était

 13   conscient.

 14   Au paragraphe 62, elle conclut que l'accusé savait effectivement que la

 15   population civile musulmane faisait l'objet d'abus et d'exactions

 16   systématiques et diverses, qu'il savait qu'il y avait des camps prisons en

 17   vue de détention qui étaient établis dans d'autres parties et dans

 18   d'autres municipalités de la région, et qu'il savait que les mauvais

 19   traitements infligés au KP Dom faisaient partie de l'attaque dirigée

 20   contre la population non serbe de Foca.

 21   Paragraphe 27, elle estime également que l'intimé savait que ces actes et

 22   omissions contribuaient au maintien de ce système illégal étant le fait

 23   des auteurs principaux.

 24   Avant de me pencher sur la question de sa responsabilité en vertu du droit

 25   s'appliquant à l'entreprise criminelle commune, rappelons que dans l'arrêt


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  1   Tadic, la Chambre d'appel avait estimé qu'il y avait trois catégories

  2   d'entreprises criminelles communes. Et nous estimons que cette ventilation

  3   en trois volets fait partie maintenant de la jurisprudence. Nous pensons

  4   ici à Kayishema/Ruzindana, appel, paragraphe 123, ainsi que dans le

  5   jugement Kordic/Cerkez aux paragraphes 397 et 398.

  6   Nous pouvons laisser de côté, pour le moment, la première des trois

  7   catégories aux fins de mon intervention, même si ceci intervient dans le

  8   second motif d'appel de l'accusation.

  9   Pour ce qui est des deux premières catégories d'entreprise criminelle

 10   commune et de la responsabilité, au paragraphe 78 du Jugement, on

 11   semblerait laisser entendre qu'il n'y a pas de véritable différence entre

 12   ces catégories. Et le fait que ces deux catégories soient ramenées en une

 13   est abordé aux paragraphes 217 à 221 du mémoire d'appel de l'accusation.

 14   On laisse entendre que la distinction entre les deux catégories est la

 15   suivante.

 16   Première catégorie d'ECC -entreprise criminelle commune-, là où cette

 17   entreprise existe afin de commettre un acte criminel précis. Prenons un

 18   exemple: si on estime que les quatre accusés se sont mis en route pour

 19   tuer une personne bien précise, et si chacune de ces personnes a

 20   l'intention de tuer la victime et si chacun joue un rôle dans la

 21   commission de ce crime, eh bien, chacun aura la même responsabilité pour

 22   avoir commis ce crime tel que visé à l'Article 7.1 du Statut du Tribunal,

 23   même si l'actus reus de ce meurtre a peut-être été le fait d'une seule des

 24   quatre personnes.

 25   Deuxième catégorie d'entreprise criminelle commune: à notre avis, même si


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  1   elle est décrite par la Chambre d'appel comme étant l'affaire ou le cas

  2   des camps de concentration, elle ne se limite pas nécessairement aux seuls

  3   camps de concentration. Parce que ces cas sont peut-être une référence au

  4   type de procès qui furent intentés après la Deuxième Guerre mondiale et

  5   comme relevant de cette catégorie, mais nous estimons que la quintessence

  6   même de cette catégorie, c'est qu'à l'inverse de la première catégorie qui

  7   envisage la commission d'un crime précis, dans cette deuxième catégorie,

  8   l'ECC fait partie d'un système qui se poursuit sur une période de temps

  9   qui continue et qui envisage la commission de divers crimes qui ne sont

 10   pas définis dans le cadre de cette période. Un camp de concentration est

 11   peut-être un tel exemple, mais n'est pas forcément le seul.

 12   Je l'ai déjà dit, l'élément moral de ces types de responsabilité est

 13   énoncé au paragraphe 227 de l'arrêt Tadic ainsi qu'au paragraphe 2.3 de

 14   notre mémoire.

 15   Le premier élément requis, c'est la pluralité des personnes qui ne sont

 16   pas nécessairement partie d'une structure militaire politique ou

 17   administrative; et l'élément est parfaitement rempli ici, en l'espèce.

 18   Deuxième élément requis –et je pense… nous pensons qu'ici, il s'agit de la

 19   première erreur commise par la Chambre de première instance-, le deuxième

 20   élément tel que formulé dans l'arrêt Tadic, c'est l'existence d'un plan,

 21   d'un dessein ou d'un objectif commun qui implique la commission d'un crime

 22   tel que visé par le Statut du Tribunal. La Chambre d'appel poursuit en

 23   disant qu'il n'est pas nécessaire que l'un de ces trois éléments ait été

 24   préparé, formulé au préalable, et donne davantage d'explications.

 25   S'agissant de cet élément-ci, la Chambre de première instance dit, au


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  1   paragraphe 80: "qu'une entreprise criminelle commune existe là où il y a

  2   un accord ou du moins une compréhension de la situation qui correspond à

  3   un accord passé entre deux ou plusieurs personnes en vue de la commission

  4   d'un crime".

  5   Puis, au paragraphe 170, au paragraphe 317, au paragraphe 346 et au

  6   paragraphe 417, la Chambre d'appel essaie de voir s'il y a preuve d'un

  7   accord passé entre les intimés et d'autres gardes ou autorités militaires,

  8   en vue de la commission de certains crimes au KP Dom. Nous sommes ici au

  9   paragraphe 417 qui est particulièrement significatif, puisqu'il s'agit

 10   d'un accord en vue de la commission de persécution. Et la condition

 11   s'agissant de la détention illégale, a été une condamnation pour

 12   persécution.

 13   A notre avis, cet élément requis, celui d'un accord, ne fait pas partie de

 14   cet élément-ci de la responsabilité en application de l'entreprise

 15   criminelle commune. Si nous prenons l'arrêt Tadic, nous voyons que le

 16   terme "accord", "agreement", n'est pas utilisé. La Chambre de première

 17   instance -note de bas de page 235- fait référence à deux décisions pour ce

 18   qui est d'un tel accord. Mais il est important de relever qu'aucun des

 19   passages cités n'utilise le mot même d'"accord", "agreement".

 20   De l'avis de l'accusation, lorsqu'il y a entreprise criminelle commune

 21   systémique, il est fort probable que bon nombre des participants à cette

 22   entreprise ne connaîtront pas l'identité d'autres participants. J'irai

 23   même plus loin: ils ne sont pas au courant du fait qu'éventuellement

 24   d'autres personnes s'ajoutent à cette entreprise criminelle commune ou la

 25   quittent.


Page 56

  1   Ce qui nous paraît être un des éléments requis essentiel, c'est

  2   l'existence d'un plan, d'un dessein ou d'un but commun. Ceci peut être un

  3   système. Si un accusé est au courant de l'existence d'un système, c'est

  4   que ce système implique la commission de crimes. L'accusé, en faisant, en

  5   connaissance de cause, partie de ce système, en y contribuant de façon

  6   significative dans l'intention ou dans le but de contribuer à l'existence

  7   et à la poursuite de ce système, remplit le deuxième élément exigé pour

  8   prouver l'entreprise criminelle commune.

  9   Le motif peut s'expliquer par une analogie avec un processus où il y a

 10   violence collective d'une foule: ce sont des gens qui décident de battre à

 11   mort quelqu'un, mais on ne sait peut-être pas qui a asséné les coups au

 12   cours de cet incident, on ne sait peut-être pas qui a porté le coup fatal.

 13   Ici, chacun avait l'intention commune de battre à mort la victime, chacun

 14   aurait sa même part de responsabilité dans la commission du crime.

 15   Prenons le cas d'une entreprise criminelle commune systémique. A notre

 16   avis, il n'est pas nécessaire d'identifier qui était le planificateur, qui

 17   était l'instigateur de ce plan. S'il est possible d'identifier cette

 18   personne, cette personne sera peut-être accusée d'avoir planifié, d'avoir

 19   incité.

 20   Mais s'il apparaît clairement qu'il existe un système, et s'il est clair

 21   que cette personne fait partie de ce système et contribue de façon

 22   significative à ce système dans l'intention de pérenniser ce système, à

 23   notre avis, il y a objectif, but commun. Et l'accusé, en l'espèce, a

 24   l'intention de promouvoir ce but. Et c'est ainsi que le deuxième élément

 25   requis pour prouver l'entreprise criminelle commune est rempli.


Page 57

  1   Je passe maintenant au troisième élément requis de l'actus reus pour ce

  2   qui est de la responsabilité; et ceci a été définie par la Chambre d'appel

  3   Tadic qui dit que c'est la participation de l'accusé à un dessein commun

  4   impliquant la commission de l'un des crimes visés par le Statut. La

  5   Chambre poursuit en relevant que l'accusé et sa participation ne doit pas

  6   nécessairement impliquer qu'il y ait commission des crimes précis mais

  7   peut prendre la forme d'assistance ou de contribution à l'exécution du

  8   plan commun ou du but commun.

  9   A notre avis, la Chambre d'appel le dit clairement au paragraphe 127:

 10   "L'intimé savait que ses actes ou omissions contribuaient à ce but illégal

 11   commis par les auteurs principaux".

 12   Autre élément requis, c'est celui de la mens rea, de l'intention

 13   délictueuse pour ce type de responsabilité.

 14   Paragraphe 228 de l'arrêt Tadic, la Chambre d'appel y déclare que: "La

 15   mens rea, dans cette deuxième catégorie de responsabilité, c'est la

 16   connaissance personnelle de mauvais traitements, que ce soit par

 17   témoignage direct ou que ce soit déduit de façon raisonnable vu la

 18   position officielle exercée par l'accusé, ainsi que son intention de

 19   pérenniser ce système commun de mauvais traitements".

 20   L'accusation accepte que la différence entre celui qui aide et encourage

 21   et celui qui participe à une entreprise criminelle commune, c'est que le

 22   premier n'a pas nécessairement la nécessité de partager les intentions de

 23   l'ECC. Et la question qui se pose ici, c'est de savoir si l'intimé

 24   partageait cette intention de l'entreprise criminelle commune.

 25   Je reviens aux conclusions de la Chambre de première instance.


Page 58

  1   Paragraphe 62: "L'accusé était au courant de l'existence d'une attaque

  2   dirigée contre la population non serbe de Foca et des environs".

  3   Paragraphe 124: "Il savait qu'ils étaient emprisonnés du fait qu'ils

  4   étaient musulmans".

  5   Paragraphe 127: "L'accusé savait que l'emprisonnement de détenus non

  6   serbes était quelque chose d'illégal. Il savait que ses actes et omissions

  7   contribuaient au maintien de ce système illégal qui était le fait des

  8   auteurs principaux".

  9   Pourquoi la Chambre d'appel a-t-elle estimé que l'élément requis de mens

 10   rea n'était pas rempli? Elle en parle au paragraphe 127 du Jugement

 11   également, elle y dit que: "La Chambre de première instance n'est pas

 12   convaincue que la seule déduction raisonnable susceptible d'être tirée de

 13   ces faits, c'est que l'accusé partageait l'intention de cette entreprise

 14   criminelle commune".

 15   En particulier, la Chambre de première instance ne considère pas que

 16   l'accusation a exclu la possibilité raisonnable que l'accusé se contentait

 17   d'exécuter les ordres qui lui étaient donnés par ceux qu'ils avaient

 18   nommés au poste de directeurs du KP Dom sans pour autant partager

 19   l'intention criminelle avec eux.

 20   La possibilité que l'intimé ait uniquement exécuté des ordres, à notre

 21   avis, est tout à fait sans intérêt vu l'Article 7.4 du Statut du Tribunal

 22   qui dit que: "L'ordre d'un supérieur n'est pas un moyen de défense même

 23   s'il peut intervenir au niveau du prononcé ou de l'importance de la peine

 24   infligée".

 25   La question qui se pose est, en fait, celle-ci: est-ce que l'intimé


Page 59

  1   partageait l'intention criminelle délictueuse? Nous estimons que nous

  2   avons une distinction bien établie en droit pénal entre intention et motif

  3   ou mobile.

  4   Imaginons un accusé qui participe, à plusieurs reprises, à des braquages,

  5   à des vols armés de banque, par exemple, avec d'autres auteurs, et qu'il

  6   doit simplement se tenir debout, armé d'une arme, mais silencieux, alors

  7   que les autres exigent l'argent. S'il dit qu'il ne partageait pas

  8   l'intention de ce braquage simplement parce que s'il y participe, c'est

  9   parce qu'il voulait que ses amis ne le rejette pas du groupe, par

 10   ostracisme, ou simplement qu'il se disait qu'il resterait au chômage s'il

 11   ne faisait pas partie de ce groupe, manifestement, le motif qui le pousse

 12   est sans intérêt. Dans de telles circonstances, il est clair qu'il partage

 13   l'intention délictueuse criminelle de cette entreprise criminelle commune

 14   qui consiste à dévaliser une banque.

 15   A l'appui de ceci, il suffira d'examiner l'Article 30 du Statut de la Cour

 16   pénale internationale. L'alinéa 2 évoque une situation où une personne,

 17   s'agissant de cette conduite, n'est pas autorisée à se livrer à cette

 18   conduite.

 19   Ce qui est manifestement le cas ici, s'agissant d'une conséquence que la

 20   personne a l'intention de provoquer cette conséquence ou sait qu'elle se

 21   produira si les choses se déroulent normalement.

 22   A cet égard, il est important, à nos yeux, de souligner que la preuve

 23   directe d'une attention, d'un état d'esprit est difficile à obtenir et,

 24   que quelles que soient les circonstances, une intention délictueuse se

 25   déduit généralement d'un faisceau de circonstances.


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  1   A l'appui de ceci, nous citons le jugement Celebici, paragraphes 437 et

  2   439. Ceci est un exemple de première catégorie d'une entreprise criminelle

  3   commune; c'est l'arrêt Furundza, paragraphe 120.

  4   Il avait dit que "là où l'acte d'un accusé contribue au but poursuivi par

  5   un autre, et s'il y a eu conduite simultanée des deux personnes au même

  6   endroit et au vu de l'un de l'autre, ceci sur une période prolongée de

  7   temps, l'argument selon lequel il n'y aurait pas de but commun est

  8   intenable".

  9   Si nous prenons la deuxième catégorie de l'entreprise criminelle commune,

 10   on peut citer l'exemple du jugement Kvocka, paragraphe 271. Il est dit

 11   que: "L'intention partagée peut et va souvent venir de la participation de

 12   la connaissance induite du plan et de la participation à sa promotion".

 13   Parlons maintenant du paragraphe 278, pour ce qui est du niveau, du degré

 14   de co-auteur; ceci peut se déduire de la connaissance des crimes et de la

 15   participation poursuivie qui permet le fonctionnement des camps.

 16   Maintenant, nous parlons du paragraphe 249, on dit que: "Celui qui

 17   contribue à une entreprise criminelle par aide ou assistance et dont les

 18   actes avaient au départ pour objet de faciliter donc cette entreprise

 19   criminelle, qu'une telle personne peut s'impliquer à tel point qu'elle va

 20   en fait avoir le statut de co-auteur".

 21   Paragraphe 284, il est dit que: "Ceci peut s'avérer si la participation

 22   dure pendant une période prolongée ou s'il y a participation directe de la

 23   personne concernée à l'entreprise".

 24   Paragraphes 290 à 292 du jugement Kvocka: la Chambre de première instance

 25   estime que le degré de supériorité dans la hiérarchie permet de déterminer


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  1   si l'accusé était simplement quelqu'un qui a aidé ou encouragé ou était

  2   co-auteur.

  3   Nous avons également le paragraphe 306, le paragraphe 311, et le

  4   paragraphe 312 qui sont pertinents.

  5   En d'autres termes, nous estimons que si une personne -ceci sur une

  6   période prolongée- a exécuté des actes délibérément, des actes qui

  7   devaient contribuer à cette entreprise et sait qu'il y a une entreprise,

  8   c'est que ses actes y contribuent de façon substantielle; à notre avis,

  9   ceci montre l'intention dans le sens du droit pénal.

 10   Quel serait l'effet de la cause?

 11   Paragraphe 96, la Chambre de première instance estime que l'intimé était

 12   directeur du KP Dom à partir du 18 avril 1992 jusqu'au moins fin juillet

 13   1993; 15 mois en tout.

 14   Elle estime, au paragraphe 107, que l'accusé avait des fonctions de

 15   supervision sur tout le personnel qui lui était subordonné et sur tous les

 16   détenus de la prison. La Chambre a conclu de façon tout à fait pertinente,

 17   à notre avis, au paragraphe 100, que c'est de façon tout à fait volontaire

 18   qu'il a accepté ce poste.

 19   Paragraphe 102, la Chambre dit qu'il avait les pouvoirs de mettre en place

 20   et de faire appliquer des mesures disciplinaires; paragraphe 103, qu'il

 21   avait la responsabilité de veiller à ce que les détenus ne s'évadent pas;

 22   paragraphe 103 toujours, que l'intimé a exercé un contrôle ultime sur le

 23   travail effectué par les détenus; paragraphe 126, qu'il a occupé le poste

 24   le plus élevé du KP Dom et qu'il a autorisé la détention de civils au KP

 25   Dom alors qu'il savait que la détention était illégale.


Page 62

  1   Paragraphes 171, la Chambre estime qu'il a contribué de façon

  2   substantielle au maintien des conditions de détention dans le camp en

  3   encourageant les auteurs principaux.

  4   Ce sont là des conclusions factuelles. Et, à notre avis, la seule

  5   conclusion qui puisse en découler, c'est que conformément à la définition

  6   de l'intention délictueuse dans le droit pénal international, l'accusé,

  7   l'intimé a partagé l'intention de l'ECC.

  8   L'accusation estime que le raisonnement de la Chambre de première instance

  9   était exact. Mais si c'était exact, cela voudrait dire que tous ceux

 10   notamment du régime de l'Allemagne nazie, qui auraient contribué de façon

 11   significative aux atrocités mais sans en commettre directement aucune,

 12   pourraient, en vertu du droit international actuel, échapper à cette

 13   pénibilité en tant qu'auteur principal, en disant simplement: "J'ai

 14   simplement fait mon travail". Le résultat serait que les auteurs de bas

 15   niveaux qui ont commis physiquement les crimes seraient estimés

 16   responsables en tant qu'auteurs, alors que ceux qui ont pris la décision,

 17   qui sont au-dessus d'eux, seraient simplement des gens qui auraient

 18   assisté ou aidé. Or nous estimons que ceci n'est pas possible.

 19   Maintenant, permettez-moi d'aborder le second volet de ce motif d'appel,

 20   ce second moyen qui porte sur les conditions qui prévalaient dans le camp.

 21   L'accusé a été accusé en raison des conditions de vie, à raison du Chef 1

 22   "Persécutions, crime contre l'humanité", mais aussi à raison du Chef 15

 23   "Traitement cruel s'agissant des conditions de vie". Eu égard à ces chefs,

 24   la Chambre de première instance a rejeté expressément, au paragraphe 170

 25   mais aussi au paragraphe 490, la thèse de l'accusation, à savoir que


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  1   l'intimé était responsable de ce crime en tant que participant à une

  2   entreprise criminelle commune.

  3   Je l'ai déjà dit, au paragraphe 70, il est dit qu'il fallait qu'il soit en

  4   accord,… qu'il y ait un accord entre l'intimé et les gardes ou

  5   surveillants du camp, les autorités militaires aux fins de commettre ou de

  6   mettre en place les conditions de vie inhumaines. Pour les raisons que

  7   j'ai déjà avancées, un accord n'est pas nécessaire.

  8   La question qui se pose est celle-ci: est-ce que l'entreprise criminelle

  9   commune qui -je l'ai dit- a été considérée comme existante par la Chambre

 10   de première instance en raison des conditions de vie, est-ce que cette

 11   entreprise criminelle commune s'appliquait également à l'imposition de

 12   conditions de vie inhumaines aux détenus du camp?

 13   Si je formule la question de cette façon, c'est délibérément; c'est parce

 14   que la Chambre de première instance a décidé de chercher une entreprise

 15   criminelle commune séparée au vu de chacun des crimes commis.

 16   Paragraphe 315, la Chambre de première instance a cherché à trouver un

 17   accord en vue de l'ECC afin de porter des coups.

 18   Paragraphe 346: la Chambre a cherché à trouver cet accord en vue de

 19   l'entreprise criminelle commune afin de commettre un crime.

 20   Paragraphe 427: elle a cherché à voir s'il y avait une entreprise

 21   criminelle commune destinée à réduire en esclavage les détenus non serbes.

 22   Cette démarche adoptée par la Chambre de première instance, qui a quelque

 23   peu saucissonné la notion, est reprise aux paragraphes 222 à 230 du

 24   mémoire d'appel de l'accusation. Nous estimons que c'est là une analyse

 25   tout à fait artificielle, parce que tous les crimes se sont commis au même


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  1   endroit, au même moment, contre le même groupe de victimes et dans les

  2   mêmes installations de détention dont avait la responsabilité, dont était

  3   le directeur l'intimé.

  4   La Chambre a estimé que l'emprisonnement illégal était un effet de

  5   l'entreprise criminelle commune, laquelle s'applique aussi aux conditions

  6   de vie inhumaines; et nous estimons que c'est là la seule conclusion

  7   raisonnable.

  8   Paragraphe 134: la Chambre de première instance a estimé qu'il y avait une

  9   politique délibérée d'isolement des détenus au KP Dom.

 10   Paragraphe 135: elle estime que les détenus non serbes ont été hébergés

 11   délibérément dans des conditions de surpeuplement.

 12   Paragraphe 138: elle estime être convaincue du fait que les souffrances

 13   subies par les détenus non serbes en 1992, étaient le résultat d'une

 14   politique délibérée menée par ceux qui avaient la responsabilité du KP

 15   Dom.

 16   Paragraphe 139: il est dit qu'il y a eu une politique délibérée visant à

 17   donner suffisamment de nourriture aux détenus pour qu'ils survivent.

 18   Paragraphe 140: on dit qu'il y a une politique délibérée qui consistait à

 19   ne pas donner de médicaments aux détenus non serbes.

 20   A notre avis, une telle ou de telles formes de politique délibérée ne

 21   sauraient être le résultat d'actes singuliers de personnes agissant

 22   seules, ne sauraient être le fait d'un certain nombre de personnes

 23   agissant individuellement. C'est uniquement le résultat d'une entreprise

 24   criminelle commune. Et vu le fait qu'il y a unité de temps et d'espace

 25   ainsi que de lieu, qu'il y a le même groupe de victimes; la seule


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  1   conclusion raisonnable, c'est que ceux-ci faisaient partie d'une même

  2   entreprise criminelle commune.

  3   Ceci, maintenant… Je vous ai parlé de ces deux moyens du motif d'appel. Il

  4   n'est pas nécessaire de prendre décision aux fins de ce motif d'appel,

  5   mais d'autres faits montrent que d'autres crimes faisaient partie

  6   également de l'entreprise commune.

  7   Nous parlons maintenant des mauvais traitements.

  8   Paragraphe 148: ceci, dit la Chambre de première instance, était fréquent

  9   et systématique.

 10   Paragraphes 311: on parle de la nature systématique et généralisée des

 11   coups donnés.

 12   Paragraphe 273: on parle d'un schéma systématique s'agissant des mauvais

 13   traitements infligés au camp, et cette systématicité est reprise également

 14   aux paragraphes 264 et 275.

 15   Ce même raisonnement s'applique aux assassinats. La Chambre de première

 16   instance a estimé que ceux-ci se faisaient suivant un schéma déterminé,

 17   évoqué aux paragraphes 333 à 335. De nouveau, une telle systématicité ne

 18   saurait être le résultat d'actes singuliers; c'est uniquement le résultat

 19   d'une entreprise criminelle commune.

 20   Dans la même veine, nous parlons des travaux forcés. Il est incontesté, en

 21   l'espèce, qu'il y avait un programme organisé de travaux forcés au KP Dom.

 22   Et, pour les raisons que va présenter Mme Rashid, nous faisons valoir et

 23   nous soutenons qu'il n'y avait pas de consentement qui aurait pu être

 24   donné par les détenus aux fins de faire ces travaux forcés; c'était donc

 25   une campagne systématisée et systématique de travaux forcés.


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  1   Pour ce qui est de transfert ou déportation, nous vous renvoyons au

  2   paragraphe 49 du Jugement. La Chambre de première instance estime que

  3   l'expulsion… Je m'excuse auprès des traducteurs. Paragraphe 49 du

  4   Jugement: la Chambre de première instance estime que l'expulsion, la

  5   déportation de non Serbes, y compris de détenus au KP Dom, étaient la

  6   dernière phase d'une attaque menée par les Serbes sur la population non

  7   serbe de la municipalité de Foca. Vers la fin du paragraphe, il est dit

  8   que fin 1994, les derniers détenus musulmans restant au KP Dom ont fait

  9   l'objet d'un échange, et que ceci a marqué la fin d'une attaque dirigée

 10   contre ces civils et la réalisation d'une région serbe nettoyée

 11   ethniquement des Musulmans. Fin de la guerre en 1995: Foca était une ville

 12   uniquement serbe.

 13   A notre avis, la déportation ne saurait être que le résultat d'une

 14   entreprise criminelle commune. Et vu l'unité de temps, d'espace et de

 15   lieu, la seule conclusion raisonnable, c'est que ceci faisait partie de la

 16   même entreprise criminelle commune que la détention illégale, les

 17   conditions de vie inhumaines et autres crimes commis.

 18   Je ne sais pas si je peux vous aider davantage, Messieurs les Juges, mais

 19   voilà les arguments présentés par l'accusation, s'agissant du premier

 20   motif d'appel.

 21   Avec l'autorisation de la Chambre, j'aimerais à présent passer au deuxième

 22   motif de l'appel que nous interjetons.

 23   Le deuxième motif d'appel de l'accusation concerne les conclusions qui

 24   figurent aux paragraphes 84 à 86 du Jugement de la Chambre de première

 25   instance, selon lesquelles l'accusé ne peut pas être tenu responsable de


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  1   la forme élargie de participation à l'entreprise criminelle commune, à

  2   moins que cette forme élargie n'ait été expressément mentionnée dans

  3   l'Acte d'accusation.

  4   Le contexte dans lequel s'inscrit ce motif d'appel est que, lors de la

  5   procédure, lors du procès, l'accusation a présenté un deuxième Acte

  6   d'accusation modifié dans lequel il fait état d'un objectif commun, suite

  7   à quoi l'intimé a soulevé une exception préjudicielle en application de

  8   l'Article 72, se plaignant que cet Acte d'accusation n'était pas

  9   suffisamment précis, s'agissant de certains points de détails.

 10   Dans une décision concernant l'exception préliminaire soulevée par la

 11   défense, datée du 11 mai 2000, la Chambre de première instance a rejeté

 12   cette exception préjudicielle. Mais dans sa décision, elle se réfère -au

 13   paragraphe 11- aux trois catégories d'entreprises criminelles communes qui

 14   sont précisées dans l'arrêt Tadic, suite à quoi la Chambre de première

 15   instance a ajouté -et je cite-: "Comme l'Acte d'accusation est muet à cet

 16   égard, il n'est pas nécessaire, pour l'espèce, d'examiner la dernière de

 17   ces catégories." (Fin de citation.)

 18   La position de l'équipe est qu'elle n'a pas compris que ceci signifiait

 19   qu'il était nécessaire de modifier l'Acte d'accusation si l'accusation

 20   souhaitait s'appuyer sur cette troisième catégorie. En fait, dans son

 21   mémoire préalable à l'ouverture du procès, l'accusation a fait allusion à

 22   la note de bas de page 23, que (sic) s'agissant de la décision

 23   interlocutoire, la Chambre de première instance avait reconnu la

 24   pertinence au moins des deux premières catégories de responsabilité

 25   d'entreprise criminelle conjointe et avait déclaré que l'accusation avait


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  1   affirmé que les trois catégories s'appliquaient.

  2   Par la suite, aux paragraphes 57 à 63, lors de ce mémoire préalable à

  3   l'ouverture, on a abordé la question de la troisième catégorie. De l'avis

  4   de l'accusation et si vous me permettez d'expliquer de quoi il s'agissait,

  5   l'accusé avait permis à des personnes étrangères au camp de pénétrer dans

  6   le KP Dom; et ceci était une conséquence naturelle et prévisible qui se

  7   traduisait par des sévices et d'autres actes de mauvais traitements qui

  8   allaient s'en suivre.

  9   Le même argument a été soulevé une fois de plus dans le mémoire en clôture

 10   de l'accusation daté du 13 juillet 2001, dans lequel il se fonde sur la

 11   troisième catégorie. Toutefois, dans le Jugement, la Chambre de première

 12   instance a avancé, au paragraphe 86, que, dans l'exercice de son pouvoir

 13   discrétionnaire et à la lumière de son interprétation qui est la sienne,

 14   la seule forme élémentaire d'entreprise criminelle commune avait-elle été

 15   exposée.

 16   L'accusation n'a pas été autorisée à reposer ou à invoquer la forme

 17   élargie. L'accusation fait valoir qu'il y a une erreur en décidant de la

 18   sorte. Elle a fait remarquer que l'accusation ne se repose pas sur cette

 19   troisième catégorie lorsqu'elle a interjeté appel, qu'il n'est pas

 20   nécessaire de prendre une décision au sens strict, mais que l'accusation

 21   soulève cela étant donné l'importance générale que cet élément revêt pour

 22   la jurisprudence du Tribunal.

 23   Les raisons ont été évoquées dans le mémoire en appel du Procureur. Et

 24   j'aimerais encore rajouter quelques éléments.

 25   Notre position de base est la suivante: c'est-à-dire que l'accusé, en


Page 69

  1   vertu de l'Article 18.4 du Statut, en fait il s'agit de l'Article 21.4E),

  2   doit être informé de façon détaillée dans une langue qu'il comprend de la

  3   nature et de la cause de l'accusation qui sont portées à son encontre, et

  4   que ce droit est précisé à l'Article 18.4 du Statut et à l'Article 47C) du

  5   Règlement de procédure et de preuve qui précise que l'Acte d'accusation

  6   doit contenir une déclaration précise des faits et du crime ou des crimes

  7   qui sont reprochés à l'accusé.

  8   S'agissant des crimes, à notre avis, il s'agit des crimes matériels qui

  9   relèvent de l'Article 2 ou 5 du Statut et non pas des types de

 10   responsabilité dont il est fait mention à l'Article 7.1.

 11   S'agissant de cette proposition, nous nous reposons sur l'arrêt Celebici

 12   au paragraphe 351. Dans ce cas, l'Acte d'accusation précisait que l'accusé

 13   avait participé à certains crimes. L'accusé a répondu qu'il n'avait pas

 14   été expressément accusé d'avoir aidé et encouragé certains à agir, et que,

 15   par conséquent, il ne pouvait pas être condamné à ce titre.

 16   La Chambre d'appel a précisé, au paragraphe 351, que le mot

 17   "participation" -entre guillemets- est suffisamment large pour englober

 18   toutes les formes de responsabilités visées au paragraphe 7.1, et que,

 19   bien qu'une spécificité plus grande de l'Acte d'accusation soit

 20   souhaitable, le fait de n'avoir pas identifié de façon précise le type de

 21   participation n'est pas nécessairement catastrophique. Il a également fait

 22   remarquer qu'aucune plainte, aucun grief n'a été exposé auparavant, avant

 23   le début de ce procès, et l'accusé a précisé qu'il était à présent trop

 24   tard pour soulever cette plainte à ce stade.

 25   J'aimerais également soulever trois points qui découlent de cette


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  1   décision.

  2   En premier lieu, il est clair que l'Acte d'accusation ne peut pas être

  3   entaché d'erreur simplement parce qu'il plaide l'application de l'Article

  4   7. 1 en termes généraux, sans spécifier le type de responsabilités.

  5   Lorsqu'on parle d'entreprise criminelle commune, à notre avis, il est

  6   clair que le type de responsabilité qui est engagé au titre de l'Article

  7   7.1 est inclus dans cette formulation. Dans la même veine, si un Acte

  8   d'accusation exprime clairement la responsabilité de l'entreprise

  9   criminelle commune, en l'absence d'une indication quelconque dans le sens

 10   contraire il faut comprendre cela comme incluant les trois catégories.

 11   En deuxième lieu, la question n'est pas de savoir quel est le type de

 12   responsabilité qui est en question, mais si l'accusé a reçu suffisamment

 13   d'informations quant à l'accusation qui est portée à son encontre.

 14   En troisième lieu, la décision de la Chambre d'appel, à notre avis, repose

 15   sur la proposition que toute objection doit être soulevée à un moment

 16   adéquat. La Chambre d'appel dans l'arrêt Celebici a appliqué la règle de

 17   désistement, selon laquelle une objection ne peut pas être soulevée pour

 18   la première fois au stade de l'appel. Selon nous, il s'agit d'une

 19   application d'un principe plus large selon lequel l'objection doit être

 20   soulevée à un moment adéquat. Les objections quant au vice de forme

 21   doivent être soulevées au moment antérieur à l'ouverture du procès.

 22   A notre avis, si un Acte d'accusation manifeste clairement une formulation

 23   générale d'un type particulier de responsabilité, l'accusé sait de quoi il

 24   s'agit. Il est trop tard pour soulever une objection par exemple au moment

 25   du mémoire en clôture.


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  1   Pour conclure avec un exemple pratique, l'exemple d'une affaire dans

  2   laquelle le troisième type de responsabilité d'entreprise criminelle

  3   commune a été appliqué, était l'affaire Tadic. Si l'on examine la façon

  4   dont l'Acte d'accusation a été élaboré dans l'affaire Tadic, au paragraphe

  5   12 de l'Acte d'accusation, il est précisé que le 14 juin 1992 ou vers

  6   cette date des Serbes armés, y compris Dusko Tadic, ont pénétré dans la

  7   zone de Jaskici, que des Serbes armés ont tué un certain nombre de

  8   victimes. Suite à quoi Dusko Tadic a commis un assassinat.

  9   On a précisé que ce libellé est suffisamment clair pour soutenir la thèse

 10   de l'accusation, à savoir que l'accusé avait personnellement commis ce

 11   crime, ou que le groupe armé auquel il a fait allusion était animé de

 12   l'intention commune de commettre des crimes, ou que ce groupe armé auquel

 13   il a fait référence était animé d'une intention criminelle commune, mais

 14   que les assassinats étaient les conséquences naturelles et prévisibles de

 15   cela.

 16   A notre avis, on ne peut pas savoir, jusqu'à ce que tous les éléments de

 17   preuve aient été rassemblés, quelle est la position que l'on va tenir, et

 18   la défense peut simplement apporter son concours en plaidant mécaniquement

 19   sur toutes les formes de responsabilité au titre de l'Article 7.1.

 20   L'Acte d'accusation ne doit pas énoncer les éléments de preuve. En fait,

 21   cela n'est pas requis en droit. Il faut plaider les faits, les faits qui

 22   sont avancés par la défense, suffisamment à l'avance pour que tous les

 23   critères soient respectés.

 24   A notre avis, l'Acte d'accusation est valable et toutes les accusations

 25   doivent être examinées par la Chambre de première instance.


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   1   Dans le cas, en l'espèce, à notre avis, aucune plainte n'a été faite par

  2   la défense au sujet d'un moment approprié, en dépit du fait que ce type de

  3   responsabilité a été utilisé dans le mémoire préalable à l'ouverture du

  4   procès.

  5   A moins que je puisse être d'une assistance supplémentaire, voilà les

  6   motifs que l'accusation souhaitait exposer au sujet de son deuxième moyen

  7   d'appel.

  8   Avec l'autorisation de la Chambre d'appel, je vais à présent passer la

  9   parole à mon confrère, Mme Brady, afin qu'elle continue à présenter la

 10   thèse de l'accusation.

 11   (Présentation des arguments du Procureur concernant les motifs d'appel 3

 12   et 5, par Mme Brady.)

 13   Mme Brady (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président. Bonjour,

 14   Messieurs les Juges.

 15   Ce matin, je vais parler des deux motifs suivants, à savoir le motif n°3

 16   "Les tortures", et le motif n°5 "Les persécutions" qui se fondent sur les

 17   sévices.

 18   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, les deux motifs d'appel ont

 19   trait aux sévices qui ont été infligés dans le KP Dom et plus

 20   particulièrement à la responsabilité criminelle de Krnojelac en

 21   application de l'Article 7.3 pour les sévices qui ont eu lieu au KP Dom au

 22   moment des faits, au moment où Krnojelac était directeur.

 23   Avant d'examiner chaque motif séparément, je voudrais préciser qu'il y a,

 24   en fait, une différence importante à deux niveaux s'agissant du moment où

 25   ces erreurs ont été commises.


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  1   S'agissant des actes de torture: même si 14 des sévices répondaient à tous

  2   les critères juridiques, tous les éléments juridiques constitutifs du

  3   crime de torture; et dans ce cas, la Chambre de première instance a limité

  4   la responsabilité du supérieur hiérarchique Krnojelac, à ces sévices

  5   constitutifs de traitements cruels et d'actes inhumains uniquement.

  6   Et, comme je vais vous l'indiquer, comme nous l'avons fait remarquer dans

  7   notre mémoire, je vais essayer de passer en revue les points saillants qui

  8   ont été mis en exergue dans notre mémoire et qui, en fait, n'ont pas été

  9   appliqués s'agissant du critère du mens rea qui est utilisé dans le cadre

 10   de la responsabilité au titre de l'Article 7.3.

 11   D'autre part, l'erreur s'agissant des persécutions fondées sur des

 12   sévices, a été constatée à un stade très avancé de l'analyse, et l'on peut

 13   dire qu'il s'agissait d'une analyse au moment où l'on a essayé d'établir

 14   les crimes. Plus de 50, voire 60 sévices ont été établis à l'aide de

 15   preuve. Or la Chambre de première instance n'en a constaté que deux et a

 16   qualifié ces deux sévices de persécutions, et ceci sur la base de motifs

 17   politiques.

 18   Pour les autres sévices qui ont été établis, la Chambre de première

 19   instance n'a pas reconnu ces faits. Or, à notre avis, ceci n'est pas

 20   adéquat parce que la Chambre n'a pas examiné tous les éléments à sa

 21   disposition et n'a pas conclu qu'il y avait une politique discriminatoire

 22   systématique mise en place au KP Dom où les sévices ont eu lieu.

 23   Si je parle à présent du premier motif d'appel qui concerne la torture, à

 24   notre avis, le Jugement concernant la responsabilité de Krnojelac, en

 25   application de l'Article 7.3, pour ces 14 sévices qui peuvent être


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  1   constitutifs de torture, devrait être qualifiée de "torture".

  2   Il doit être condamné au titre des Chefs 2 et 4 pour tortures et non pas

  3   au titre des Chefs 5 et 7 pour traitements cruels et actes inhumains.

  4   Et nous faisons également valoir qu'il y a lieu de revoir la peine à la

  5   hausse dans les crimes pour lesquels on a pu établir qu'il avait engagé sa

  6   responsabilité. 

  7   A présent, la question qu'il y a lieu de poser est de savoir comment la

  8   Chambre de première instance a commis une erreur. Il s'agissait, en fait,

  9   d'une erreur parce qu'elle a conclu que bien que Krnojelac ait pu savoir,

 10   et il faut se rappeler que nous parlons du fait qu'il savait qu'il y avait

 11   des sévices généralisés qui se déroulaient au KP Dom, ceci ne lui donne

 12   pas raison de savoir que certains sévices avaient été infligés à des fins

 13   interdites de torture.

 14   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je vous invite à consulter les

 15   conclusions de la Chambre de première instance dans son Jugement

 16   concernant le fait de savoir si, oui ou non, il avait connaissance des

 17   sévices, plus particulièrement en vous référant aux paragraphes 309 à 311

 18   ainsi qu'au paragraphe 316.

 19   Dans les circonstances qui prévalaient au centre de détention, comment

 20   est-ce qu'une Chambre de première instance a pu conclure qu'il n'avait pas

 21   été informé du risque de torture.

 22   Et vous devez vous rappeler que nous ne parlons pas de torture, nous

 23   parlons d'un autre type de comportement. En réalité, nous parlons ici

 24   d'une forme délibérée et aggravée de sévices. Certains de ces sévices ont

 25   répondu aux critères qui peuvent constituer la torture.


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  1   Notre position est très simple: en appliquant l'arrêt Celebici aux faits

  2   en l'espèce, on ne peut que conclure, de façon raisonnable, que l'accusé

  3   avait connaissance des sévices qui se déroulaient au sein du KP Dom, qu'il

  4   avait connaissance du risque que certains détenus pouvaient être

  5   assujettis à des actes de torture. Il savait que des sévices se

  6   déroulaient au KP Dom; et ceci aurait dû l'alerter de la nécessité de

  7   procéder à des enquêtes supplémentaires afin de vérifier si la torture,

  8   par le truchement des sévices, se déroulait et était le fait de ses

  9   subordonnés. Ceci répond, en fait, aux critères de Celebici, et nous

 10   savons que ce critère a été retenu par la Chambre dans l'arrêt Celebici.

 11   Nous savons les incidences que cela implique pour un supérieur lorsqu'il a

 12   eu des informations et qu'il ne conclut pas à l'existence de crime.

 13   Nous savons que la Chambre dans l'arrêt Celebici, au paragraphe 238, a

 14   dit: "Lorsqu'on peut prouver qu'un supérieur avait des informations

 15   suffisantes qui lui permettaient de savoir que des actes illisibles

 16   éventuels étaient commis par ses subordonnés, cela doit être suffisant

 17   pour prouver qu'en fait il avait des raisons de savoir, et en fait, ceux-

 18   ci auraient pu lui permettre de conclure que des actes avaient été commis

 19   ou étaient sur le point d'être commis." (Fin de citation.)

 20   Et en fait, ceci est exactement la position de l'accusation. Etant donné

 21   qu'il avait des raisons de savoir que des subalternes avaient commis des

 22   crimes et étaient responsables de ces crimes sur cette base, le supérieur

 23   n'a pas besoin non plus d'être en possession réelle de l'information

 24   relative aux crimes commis par ses subordonnés. Il suffit qu'il dispose de

 25   cette information, même si c'est une information qui lui est transmise par


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  1   un tiers. Si ce renseignement est objectivement alarmant, il a pour devoir

  2   de se renseigner. Et, comme je l'ai déjà dit, ce point de vue a été

  3   confirmé par la Chambre d'appel dans l'affaire Celebici et dans l'affaire

  4   Kayishema. Dans cette dernière affaire, il a même été signalé que ce

  5   critère s'appliquait particulièrement aux supérieurs militaires.

  6   Notre avis consiste à dire que lorsqu'une personne dirige une prison comme

  7   celle-ci pendant 15 mois et qu'elle a un bureau dans la prison, et qu'au

  8   moins un détenu -le témoin RJ- lui dit que les détenus entendent des

  9   bruits de passage à tabac, lorsque cette personne a personnellement vu

 10   Ekrem Zekovic, un détenu, qui est passé à tabac à titre de punition après

 11   tentative d'évasion, donc lorsque cette personne a toutes sortes de

 12   possibilités de se rendre compte des manifestations physiques du fait que

 13   des passages à tabac d'une violence extrême ont lieu dans l'institution

 14   qu'il dirige, que ceci est évident aux yeux de tous, notre position

 15   consiste à dire qu'il connaît la nature tout à fait discriminatoire de

 16   l'incarcération imposée aux détenus et des conditions inhumaines dans

 17   lesquels ces détenus vivent; et donc qu'il savait que des interrogatoires

 18   se déroulaient dans le camp, que ceux qui interrogeaient les détenus

 19   entraient et sortaient de la prison. Les interrogatoires étaient donc une

 20   réalité quotidienne de la vie au KP Dom. Et étant en possession de tous

 21   ces éléments, la seule conclusion raisonnable à tirer était que le risque

 22   de torture existait.

 23   Je n'ai pas besoin de rappeler aux membres de cette Chambre d'appel que la

 24   responsabilité du supérieur hiérarchique est l'élément central dans toute

 25   cette affaire.


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  1   Bien sûr, pour citer l'arrêt de la Chambre Celebici -je cite-:

  2   "L'important n'est pas que la connaissance soit présumée, lorsqu'une

  3   personne ne remplit pas son devoir consistant à obtenir l'information

  4   pertinente au sujet du crime, mais qu'il soit présumé que si cette

  5   personne avait les moyens d'obtenir ces connaissances, elle a délibérément

  6   refusé de les obtenir." (Fin de citation.)

  7   Voilà la situation dans laquelle nous sommes ici.

  8   En fait, l'analyse que nous pouvons faire s'applique à la Chambre de

  9   première instance et consiste à dire que Mucic lui-même aurait dû être

 10   déclaré responsable en application de l'Article 7.3 au titre de six actes

 11   de torture et de nombreux autres crimes commis à Celebici, mais notamment

 12   de ces six actes de torture.

 13   La Chambre de première instance avait des raisons de savoir que puisque

 14   Mucic savait ou avait des raisons de savoir que des violations du droit

 15   international, humanitaire avaient lieu, c'était suffisant pour le rendre

 16   responsable de tous les crimes commis dans le camp, y compris la torture.

 17   Et la Chambre d'appel a maintenu ce point de vue.

 18   J'aimerais également vous inviter, Messieurs les Juges, à vous pencher sur

 19   l'application de l'Article 7.3 sur la base du critère de la raison de

 20   savoir. Lorsque la Chambre de première instance, dans l'affaire Krnojelac,

 21   applique ce critère par rapport aux passages à tabac, nous constatons -et

 22   vous vous souviendrez- que deux passages à tabac équivalents à des

 23   persécutions ont également été établis comme ayant eu lieu dans le camp,

 24   et ceci prouve que le critère de la raison de savoir, qui est lié à la

 25   responsabilité de ces passages à tabac équivalents à des persécutions pour


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  1   deux détenus, s'applique absolument et donc que ces passages à tabac sont

  2   des tortures.

  3   J'invite les Juges de cette Chambre d'appel à se pencher en particulier

  4   sur les paragraphes 493 et 497 à 498 du Jugement.

  5   La Chambre de première instance, au paragraphe 493, estime que

  6   l'accusation devait prouver que l'accusé était en possession de

  7   renseignements suffisants quant à la commission de ces délits; et ce, sur

  8   base de discrimination. Mais regardez comment le critère s'applique et

  9   relisez notamment les paragraphes 497 et 498.

 10   Si l'accusé, d'après la Chambre de première instance, avait agi sur

 11   renseignements en sa possession relatifs aux passages à tabac, toute

 12   enquête aurait établi très clairement à ses yeux la nature discriminatoire

 13   et l'intention discriminatoire de l'auteur principal de ce délit.

 14   Messieurs les Juges, je vous inviterai également à examiner le traitement

 15   subi par deux détenus en particulier.

 16   Nous avons développé nos arguments dans notre mémoire d'appel, aux

 17   paragraphes 436 à 438, s'agissant de Dzemo Balic qui est évoqué au

 18   paragraphe 5.15 de l'Acte d'accusation, où ce qui lui est arrivé est

 19   décrit en détail dans une cellule d'isolement, immédiatement après

 20   l'incident.

 21   Mais, pour résumer brièvement cette application, erronée de l'Article 7.3)

 22   du Statut, je dirai que Dzemo Balic a été emmené hors de la queue pour la

 23   cantine et gravement passé à tabac par deux gardes du KP Dom dans le

 24   bâtiment administratif. A ce moment-là, au moment de ce passage à tabac,

 25   l'un des gardes a prononcé quelques mots -je cite-: "Oh! Vous êtes celui


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  1   qui a promis à Alija huit kilos d'yeux serbes." (Fin de citation.)

  2   Et à ce moment-là, il a été gravement passé à tabac. Après quoi, il a été

  3   mis dans une cellule d'isolement pendant 20 jours environ avant d'être

  4   questionné à nouveau. Et les questions tournaient autour de son action en

  5   tant que membre présumé du SDA; on lui demandait où se trouvaient les

  6   armes et on lui demandait d'établir des listes de noms, etc.

  7   Alors, s'agissant de la première partie de ce qui s'est passé, à savoir le

  8   passage à tabac initial, la Chambre de première instance a estimé en effet

  9   qu'il s'agissait de persécution et que la responsabilité était établie au

 10   titre de l'Article 7.3. Mais s'agissant de ce qui s'est passé plus tard,

 11   qui était en fait une continuation du premier passage à tabac, donc ce

 12   qu'il est advenu plus tard a été considéré comme de la torture, pour cet

 13   aspect particulier du passage à tabac, la responsabilité au titre de

 14   l'Article 7.3 n'a pas été engagée.

 15   Je pense donc que cet exemple vous montre bien quelle démarche assez

 16   incohérente a été suivie par la Chambre de première instance, et à quel

 17   point l'Article 7.3 a été appliqué de façon erronée en rapport avec la

 18   torture.

 19   Je ne poursuivrai pas plus longtemps, mais il y a un autre exemple tout à

 20   fait frappant qui porte sur le témoin FW-03 et deux co-victimes, Dedovic

 21   et Sabanovic, au paragraphe 523.

 22   Pour résumer, Messieurs les Juges, nous estimons que Krnojelac ne devrait

 23   pas pouvoir échapper à ce type de responsabilité, étant donné les

 24   renseignements qui étaient en sa possession qui suffisaient pour qu'il

 25   connaisse l'existence d'un risque de torture. Et en fait, les conclusions


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  1   tirées sont tout à fait contraires à la raison d'être du concept de

  2   responsabilité hiérarchique.

  3   Donc, Messieurs les Juges, voilà ce que j'avais à dire sur la torture. Si

  4   je peux vous aider plus avant, je suis à votre disposition. Sinon nous

  5   pouvons immédiatement aborder le cinquième motif d'appel: la persécution

  6   sur base de passage à tabac.

  7   M. Shahabuddeen (interprétation): Madame Brady, est-ce que je dois

  8   comprendre ce que vous venez de dire comme signifiant ce qui suit: à

  9   savoir vous déclarez que l'accusé était au courant des passages à tabac,

 10   il savait que des interrogatoires avaient lieu, et que par conséquent cela

 11   suffisait pour qu'il soit informé ou au courant du risque de voir ces

 12   passages à tabac appliqués dans le seul but d'obtenir des renseignements

 13   de la part des personnes qui interrogeaient les détenus? Est-ce que c'est

 14   ce que vous voulez dire dans votre argumentation?

 15   Mme Brady (interprétation): Oui, Monsieur le Juge, tout à fait.

 16   M. Schomburg (interprétation): Eh bien, j'aimerais vous demander pourquoi,

 17   dans ces conditions, vous faites référence à la responsabilité au titre de

 18   l'Article 7.3 du Statut en établissant un lien avec ce que nous avons

 19   entendu précédemment de la bouche de votre collègue? En appliquant la

 20   jurisprudence, ne serait-il pas permis de penser qu'il existe également

 21   une responsabilité au titre de l'Article 7.1 en tant que co-auteur

 22   puisqu'il y a connaissance de ce qui se passe, il y a connaissance des

 23   participants aux actes en question et il y a absence d'intervention? Donc,

 24   en raison de cette omission, et puisque je suppose que vous pensez dans

 25   votre thèse qu'il avait pour devoir d'intervenir, je vous demande encore


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  1   une fois: pourquoi vous n'engagez pas la responsabilité au titre de

  2   l'Article 7.1?

  3   Mme Brady (interprétation): Oui Monsieur le Juge. En fait, nous pourrions

  4   dire qu'il était également responsable au titre de l'Article 7.1

  5   s'agissant de ces crimes; et dans ce cas, notre analyse serait la même que

  6   celle de la Chambre de première instance au paragraphe 316 du Jugement, où

  7   vous trouverez l'analyse de la Chambre de première instance des passages à

  8   tabac en tant qu'actes inhumains.

  9   La Chambre de première instance est convaincue que l'accusé était au

 10   courant des passages à tabac et qu'en ne prenant pas les mesures

 11   opportunes, qu'il aurait dû prendre en tant que directeur, il a encouragé

 12   la commission de ces actes; en tout cas du point de vue de ses

 13   subordonnés. Et la Chambre est donc convaincue que ce type de

 14   responsabilité au titre de personne qui aide et soutient la commission de

 15   ces passages à tabac, en application de l'Article 7.1 du Statut est

 16   établi. Ceci s'applique effectivement.

 17   Cependant, nous admettons également que la Chambre de première instance

 18   avait une certaine marge de manœuvre, en tout cas un pouvoir

 19   discrétionnaire, quant au classement, à la qualification à utiliser pour

 20   mieux décrire la responsabilité pénale de la personne dont nous parlons.

 21   Et étant donné qu'il s'agissait de passages à tabac commis par des gardes

 22   et par des personnes étrangères qui venaient de l'extérieur, nous

 23   admettons que la Chambre a estimé que la meilleure définition de cette

 24   responsabilité consistait à appliquer l'Article 7.3; et nous limitons donc

 25   notre motif d'appel à cette conclusion que l'on trouve dans le Jugement de


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  1   la Chambre de première instance. Mais, effectivement, la condamnation

  2   aurait également pu être prononcée au titre de l'Article 7.1. Quant à

  3   nous, nous insistons sur l'Article 7.3, mais vous avez tout à fait raison.

  4   Alors, je vous remercie, Messieurs les Juges, je vais maintenant passer au

  5   cinquième motif d'appel "Persécution, sur base de passages à tabac".

  6   Nous estimons qu'il était tout à fait déraisonnable de la part de la

  7   Chambre de première instance de conclure qu'en dépit de la multitude de

  8   passages à tabac établis au KP Dom -50 à 60 à peu près-, deux seulement

  9   ont été qualifiés de "persécution". A notre avis, la Chambre de première

 10   instance n'a pas tiré la seule conclusion rationnelle et raisonnable à

 11   partir des éléments de preuve qui démontraient le caractère

 12   discriminatoire de ces passages à tabac ou de ces sévices.

 13   C'était tout simplement une erreur de la part de la Chambre de première

 14   instance de ne pas prendre en compte les éléments de preuve qui prouvent

 15   l'élément discriminatoire qui existait dans cette prison. Dans cette

 16   prison, le quotidien était marqué entièrement par l'aspect

 17   "discrimination"; tous les éléments de l'existence étaient marqués par la

 18   discrimination et les conditions inhumaines dans lesquelles vivaient les

 19   détenus, avec des règlements très stricts qui leur étaient imposés au KP

 20   Dom.

 21   En effet, Messieurs les Juges, la Chambre de première instance a établi

 22   une distinction en fait entre les éléments de preuve relatifs aux passages

 23   à tabac et les autres éléments de preuve caractérisant les conditions de

 24   vie discriminatoires et le système discriminatoire en vigueur dans ce lieu

 25   de détention. Or cette distinction est artificielle, elle établit des


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  1   compartiments dans une analyse qui devrait rester un tout.

  2   Donc, pour que tout soit clair, je dis que l'erreur dont je parle concerne

  3   donc les sévices qui ont été commis au KP Dom, mais dans un cadre tout à

  4   fait précis: à savoir le fait que ces passages à tabac équivalant à des

  5   traitements cruels et à des actes inhumains n'ont pas été pris en compte

  6   comme torture; c'est cela notre motif d'appel. Cela permet donc de laisser

  7   de côté un grand nombre de sévices -une quarantaine environ- qui ne sont

  8   pas inclus dans mon propos. Moi, je parle de "Persécutions" en application

  9   de l'Article 7.3.

 10   Nous parlons donc de l'erreur commise par la Chambre de première instance

 11   qui n'a pas estimé que les attaquants, les responsables de ces passages à

 12   tabac ont agi avec à l'esprit une intention discriminatoire. Il est très

 13   curieux de conclure à l'innocence dans ce cas précis. La Chambre de

 14   première instance a examiné de très près les aspects discriminatoires qui

 15   caractérisaient les incarcérations, sur la base du fait qu'on emprisonnait

 16   des Musulmans et pas des Serbes, le rapport discriminatoire qui existait

 17   dans les conditions inhumaines de détention.

 18   Mais je vous propose de vous pencher sur les paragraphes 438, 440 et 443

 19   du Jugement. En fait, les détenus devaient endurer des conditions

 20   inhumaines: manque de nourriture, absence de chauffage, absence de

 21   vêtements suffisants, absence de médicaments, des règlements très sévères.

 22   Et tout cela, la Chambre de première instance était prête à admettre qu'il

 23   s'agissait de l'intention de se montrer discriminatoire sur base

 24   religieuse ou politique, et qu'il s'agissait de persécutions; mais les

 25   passages à tabac, les sévices ne sont pas compris dans cette


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  1   argumentation.

  2   Pour cette raison, la Chambre de première instance a rejeté un certain

  3   nombre d'éléments de preuve qui prouvent l'aspect discriminatoire des

  4   sévices commis au KP Dom. Elle a donc omis de prendre en compte l'aspect

  5   discriminatoire de ces passages à tabac; et nous le voyons très clairement

  6   aux paragraphes 436 et 437, ainsi qu'à la note en bas de page 1435.

  7   Sur la base de cette attitude, la Chambre de première instance était en

  8   fait le dos au mur. En effet, elle a eu à examiner un certain nombre de

  9   d'éléments de preuve qui prouvaient que des sévices étaient commis; elle a

 10   notamment eu à examiner des attaques verbales et des insultes qui

 11   exprimaient tout à fait les intentions de ceux qui les prononçaient. Mais

 12   la Chambre n'a pas établi, sur la base de ces attaques, l'existence de la

 13   nature discriminatoire des sévices.

 14   Alors, nous comprenons que la Chambre de première instance a abordé avec

 15   une certaine précaution cette nature discriminatoire de l'attaque,

 16   simplement parce qu'elle faisait partie d'une attaque beaucoup plus

 17   générale. Mais nous sommes ici dans une situation où les sévices ont été

 18   commis dans le cadre d'une entreprise tout à fait particulière.

 19   Le KP Dom, je vous le rappelle, était un élément de discrimination en soi,

 20   que l'on peut examiner comme un élément particulier par rapport à

 21   l'ensemble.

 22   Nous ne parlons pas de la situation globale de Foca. Nous ne parlons pas

 23   de l'attaque générale contre Foca; nous parlons d'une ville, d'une

 24   municipalité où la discrimination était la règle. Nous parlons de

 25   déductions qui, étant donné le lieu dont il est question, le système en


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  1   place dans ce lieu, font partie intégrante de l'intention discriminatoire

  2   appliquée dans ce lieu.

  3   Donc, dans ce contexte, il était tout à fait déraisonnable de distinguer

  4   les actes constituant les sévices et le contexte dans lequel ces actes

  5   étaient commis.

  6   Les sévices faisaient partie d'un système de discrimination générale au KP

  7   Dom, auquel appartenaient également les conditions de vie inhumaine des

  8   détenus: absence de nourriture, absence de chauffage, cellules

  9   surpeuplées… tout cela fait un tout.

 10   Alors, comment les différents aspects qualifiant ces conditions de vie

 11   inhumaines et discriminatoires pourraient être séparés des passages à

 12   tabac et des sévices qui, eux, constitueraient un élément différent pour

 13   les détenus?

 14   De ce point de vue, nous suivons le Jugement Kvocka; la Chambre d'appel

 15   Tadic a d'ailleurs suivi également le Jugement Kvocka. La Chambre de

 16   première instance, dans l'affaire Jelisic, a suivi la même logique. Et

 17   cela a même été le cas dans l'affaire Kordic.

 18   Donc, en l'absence d'éléments de preuve démontrant le contraire, dans un

 19   environnement comme le KP Dom; la discrimination est considérée comme

 20   systématique et les éléments de preuve qui démontrent la commission

 21   d'actes censés appliquer ce système, et se fondant sur des sévices divers

 22   et des passages à tabac, sont destinés à perpétuer cette discrimination.

 23   Bien entendu, nous reconnaissons la possibilité qu'il puisse y avoir

 24   d'autres raisons à ces sévices. Mais dans le cas qui nous intéresse,

 25   l'accusation avait pour charge de prouver les choses. C'est donc -je le


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  1   rappelle et je l'admets-sur l'accusation que repose la charge de la

  2   preuve.

  3   Nous disons que dans cet environnement, dans un tel système, la seule

  4   conclusion naturelle et rationnelle à tirer, compte tenu de

  5   l'environnement dont il est question et des déclarations qui expriment

  6   tout à fait les intentions de ceux qui étaient responsables de ces sévices

  7   -je parle donc de cette verbalisation de l'intention à l'égard des

  8   victimes-, je dis que la discrimination est tout à fait évidente;

  9   l'intention discriminatoire, en tout cas.

 10   Et je vous renvoie aux exemples que l'on trouve dans le mémoire, à savoir

 11   les cas de Dzemo Balic, du témoin FWS-03, qui prouvent que voir les choses

 12   d'une autre façon serait totalement absurde. Mais était-ce la seule

 13   conclusion raisonnable? En effet, les sévices ont été commis en tant que

 14   discrimination, mais des aveux ont eu lieu de la part de certains et des

 15   sanctions ont été appliquées.

 16   Dans l'affaire qui nous intéresse, s'il y avait une autre intention que

 17   celle de punir les détenus, donc s'il y avait diverses intentions qui

 18   présidaient à la commission de ces divers sévices, je pense qu'il serait

 19   malhonnête de ne pas les admettre tous. En effet, les motifs, s'ils sont

 20   variés, doivent être admis comme existant côte à côte. Je parle de

 21   discrimination religieuse, de discrimination politique et de la recherche

 22   de renseignements de la part des détenus, c'est-à-dire de la volonté de

 23   les intimider pour qu'ils avouent. Comme vous le savez, l'intention

 24   discriminatoire n'a pas besoin d'être la seule intention existante ou

 25   l'intention dominante dans l'esprit des auteurs.


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  1   Je dirai rapidement, en conclusion de mon exposé, que la Chambre de

  2   première instance a imposé une exigence juridique pour démontrer

  3   l'existence de la discrimination, à savoir que les victimes doivent

  4   objectivement appartenir au groupe qui est persécuté sur le plan racial,

  5   religieux ou politique.

  6   Donc, la Chambre de première instance estime sur le fait qu'il y a

  7   discrimination, elle applique le critère de la discrimination en se

  8   fondant sur les conséquences de celle-ci, en fait; et nous pensons que

  9   ceci est une erreur.

 10   Il n'est pas strictement nécessaire, dans le cadre de cet appel, de

 11   traiter de cette question en se demandant si les victimes des sévices

 12   étaient objectivement membres du groupe discriminé, à savoir des non

 13   Serbes, et notamment s'ils étaient Musulmans, s'agissant de ces sévices.

 14   Donc l'élément supplémentaire existe bel et bien ici, mais nous pensons

 15   que cet élément juridique de la définition de la persécution dans la

 16   démonstration de l'actus reus est une façon erronée d'aborder les choses.

 17   Nous pensons que le Jugement de Kvocka, au paragraphe 195, ainsi que le

 18   Jugement "Tuta"/"Stela" au paragraphe 636, les Jugements Blaskic et Tadic

 19   sont à prendre en qualité de référence.

 20   La question de savoir si la discrimination a eu lieu et quelles étaient

 21   les intentions de l'auteur est importante, mais la discrimination existe

 22   même si elle ne remplit pas cette condition supplémentaire, cette

 23   condition juridique supplémentaire imposée.

 24   Voilà, Messieurs les Juges, ceci est la fin de mon exposé sur ce motif.

 25   Et si vous n'avez pas de questions, j'aimerais vous présenter l'autre


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   1   membre de l'équipe du Procureur, Mme Norul Rashid, qui vous parlera des

  2   deux autres motifs d'appel, les motifs 6 et 7, à savoir "Déportation et

  3   transfert forcé".

  4   M. le Président: Pour rattraper le calendrier, je vous propose d'aller

  5   jusqu'à 10 heures 50, de sorte que, comme cela, le Procureur aura pu

  6   exposer pendant une heure et demie sa thèse. Donc voilà, nous arrêterons

  7   vers 10 heures 50, dans un quart d'heure. Merci.

  8   (Présentation des arguments du Procureur concernant les motifs d'appel 7

  9   et 6, par Mme Rashid.)

 10   Mme Rashid (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

 11   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, 15 minutes me sont accordées

 12   pour représenter nos arguments, s'agissant du septième motif d'appel, et

 13   je passerai au sixième par la suite.

 14   L'intimé…

 15   M. le Président: Je m'excuse de préciser. Ce ne sont pas 15 minutes qui

 16   vous sont accordées. Nous ferons une pause dans 15 minutes, mais vous

 17   savez qu'ensuite, le Procureur a encore du temps après la pause, il aura

 18   encore une heure. Donc c'est à vous de vous organiser. Simplement, nous

 19   ferons la pause à moins 10, à peu près à moins 10. Voilà. D'accord?

 20   Mme Rashid (interprétation): Il a été accusé, mais acquitté du Chef

 21   d'accusation de "Déportation ou transfert, expulsion de Musulmans et

 22   d'autres non Serbes", du fait que des détenus ont été envoyés notamment au

 23   Monténégro. Il s'agit du Chef d'accusation de persécution, Chef 1 de

 24   l'Acte d'accusation.

 25   Dans ce motif d'appel, Messieurs les Juges, nous estimons que la Chambre


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  1   de première instance, dans ses conclusions relatives à la déportation et à

  2   l'expulsion, s'est trompée. Nous avons soulevé dans notre mémoire cinq

  3   erreurs de droit et de fait, de façon précise.

  4   Aux fins de la présente audience et vu le temps qui est imparti, je me

  5   propose de revenir sur le premier moyen de ce motif d'appel.

  6   Nous soutenons que la Chambre de première instance a commis une erreur de

  7   droit en estimant que les actes de déplacement forcé mis en application

  8   sous forme de persécution nécessitent la preuve à apporter que les

  9   victimes ont été forcées de franchir des frontières nationales, ont été

 10   ainsi déportées. Et ceci est à distinguer du transfert forcé qui peut se

 11   faire à l'intérieur de frontières nationales.

 12   La Chambre était convaincue, en fait, de la majorité des arguments

 13   présentés et des incidents présentés par l'accusation à l'Annexe 4, et a

 14   estimé que ces actes ont effectivement eu lieu. Mais je pense qu'il est

 15   possible de ventiler ces incidents en trois catégories: "transfert de

 16   détenus vers d'autres camps de prison", puis ce qu'on a appelé des

 17   "échanges", et ce qu'on a appelé aussi des "activités de travail forcé à

 18   l'extérieur du KP Dom", ce que certains détenus ont été obligés de faire.

 19   Notre argument principal, c'est que la déportation, visée par l'Article 5

 20   du Statut, et l'acte d'expulsion incluent non seulement des déplacements

 21   illégaux en franchissant des frontières nationales, mais aussi des

 22   déplacements illégaux à l'intérieur même des frontières d'un Etat.

 23   Les dispositions du droit international régissant les conflits armés

 24   internationaux ne devraient pas limiter l'interdiction de déportation en

 25   tant que crime contre l'humanité, visé par l'Article 5, à des transferts


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  1   franchissant des frontières nationales. Dans ce contexte, il faut voir la

  2   déportation comme étant un terme générique, englobant des actes de

  3   déplacement forcés, que ce soit à l'intérieur de frontières nationales ou

  4   en les franchissant.

  5   Voilà quelques points que je vais souligner à votre attention. Ils sont au

  6   nombre de trois.

  7   Tout d'abord, si l'on essaie de définir la portée et la substance de la

  8   déportation en tant que crime contre l'humanité, il faut circonscrire les

  9   intérêts ou le préjudice dont on veut protéger une personne. Le préjudice

 10   primordial entraîné par l'acte de déportation, en droit international

 11   contemporain, c'est l'immixtion injustifiée avec le droit d'un individu,

 12   le droit qu'il a de rester dans sa communauté, dans son foyer.

 13   Sans nul doute, la conséquence immédiate que pourrait avoir un déplacement

 14   illégal constitue généralement une infraction aux droits élémentaires de

 15   l'homme. Dans le contexte du droit de l'homme, cette menace est une menace

 16   à la liberté, aux droits et à la sécurité de la personne déplacée; autant

 17   de droits garantis notamment par l'article 3 de la Déclaration

 18   universelle, l'article 6 du Pacte international sur le droit civil et

 19   politique.

 20   Liberté de mouvement; celle-ci est violée de façon inhérente lorsqu'il y a

 21   déplacement, pas parce qu'il y a forcément restriction des mouvements,

 22   parce que certains se retrouvent dans des camps de détention, mais aussi

 23   parce que des gens ne sont plus autorisés à rentrer chez eux, dans leur

 24   foyer, dans leur région.

 25   Krstic, paragraphe 523 du Jugement Krstic -je m'excuse auprès des


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  1   interprètes; je vais ralentir le débit-: il est dit que "tout déplacement

  2   forcé est, par définition, une expérience traumatisante qui implique que

  3   l'on abandonne son foyer, que l'on perd ses biens, que l'on est déplacé

  4   sous contrainte et que l'on est déplacé vers un autre endroit".

  5   Remontons dans le temps. Rappelons-nous notamment que pendant la Première

  6   Guerre mondiale, il y a eu déportation par les Allemands à des fins

  7   précises, déplacement de la population pour soumettre ces populations soit

  8   à l'extermination, à la réduction en esclavage ou aux travaux forcés,

  9   comme étant la solution ultime. Indépendamment du fait de savoir si, à

 10   Nuremberg, on a mis en accusation pour travaux forcés, pour crimes de

 11   guerre, déportation ou crimes contre l'humanité.

 12   Dans le contexte de l'ex-Yougoslavie, il est utile de se rappeler

 13   rapidement du rapport définitif et présenté par la commission d'experts,

 14   page 33, qui définit de la façon suivante le nettoyage ethnique: "Vu le

 15   contexte du conflit en ex-Yougoslavie, cela veut dire qu'une région est

 16   rendue ethniquement homogène par la force ou par l'intimidation, de façon

 17   à déloger des personnes d'un groupe précis d'une région, et que cet acte

 18   est commis de diverses façons, dont le déplacement forcé, le déplacement

 19   et la déportation de populations civiles.".

 20   Ahmici, avril 1993. La Chambre de première instance Kupreskic estime, aux

 21   paragraphes 760 à 762 du Jugement, que l'attaque menée sur Ahmici faisait

 22   partie d'une campagne généralisée de la vallée de la Lasva qui avait pour

 23   intention d'entraîner le nettoyage ethnique de façon systématique par une

 24   attaque systématisée. Et la raison de l'expulsion forcée, d'après la

 25   Chambre, c'était la nécessité pour les Croates d'arriver à une zone


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  1   ethniquement pure. Et l'objectif de cette attaque était l'expulsion par la

  2   force de la population musulmane de la région de la Lasva.

  3   Nous sommes maintenant en 1995, Chambre de première instance Krstic: elle

  4   estime que le transfert de civils de l'enclave de Srebrenica était le

  5   résultat d'une politique bien organisée qui avait pour objectif d'expulser

  6   la population des Musulmans de Bosnie de l'enclave. D'après la Chambre de

  7   première instance, l'évacuation elle-même était l'objectif, et Krstic a

  8   été jugé coupable de transfert forcé en application de l'Article 5 du

  9   Statut.

 10   Foca 1992 à 1995. En l'espèce, le nettoyage ethnique de Foca s'est fait de

 11   diverses façons. L'objectif définitif, ultime, était unique: c'était

 12   l'expulsion par la force d'un groupe ethnique et l'expulsion des lieux de

 13   résidence habituels.

 14   Dans ce contexte, la Chambre de première instance estime, au paragraphe 49

 15   du Jugement évoqué à l'instant par M. Staker, que fin 1994 les derniers

 16   détenus musulmans restant au KP Dom ont fait l'objet d'un échange. Ce qui

 17   montre que cette région est à ce moment-là, fin 1994, nettoyée des

 18   Musulmans, et Foca est pratiquement une ville serbe.

 19   La Chambre de première instance a accepté l'idée selon laquelle il y a eu

 20   un échange au KP Dom, qu'il y a eu des échanges plus exactement, mais que

 21   ceci faisait partie de la politique de nettoyage ethnique pratiquée à Foca

 22   de 1992 à 1995. Ce que ceci montre, c'est simplement qu'en tant que crime

 23   contre l'humanité, le transfert forcé, c'est d'abord le fait même de

 24   déloger, d'expulser des personnes et d'entraîner des conséquences pour les

 25   victimes. Et deuxième élément: c'est que le but poursuivi par l'auteur de


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  1   ces actes, c'est d'enlever les personnes de ces lieux où ces personnes

  2   font peu d'importance.

  3   Autre élément que je tiens à soulever. Il y a des preuves tout à fait

  4   écrasantes, en fonction de l'opinio juris, que la déportation et le

  5   transfert forcé sont des termes synonymes. Lorsqu'on examine les

  6   instruments du droit international, on n'a pas beaucoup de moyens de faire

  7   la distinction entre ces crimes de déportation et ce que l'on appelle le

  8   transfert forcé ou illégal.

  9   La Chambre d'appel doit saisir l'occasion qui lui est donnée pour essayer

 10   de trancher cette difficulté, car même au niveau de la première instance,

 11   la situation reste peu claire.

 12   Le Règlement de la Cour pénale internationale et son Statut sont un virage

 13   important puisque, là, on rejette une interprétation, une grille de

 14   lecture systématique du crime de déportation. Ici, je parle des Articles 7

 15   de 1 à 2 où on définit le transfert forcé comme étant le déplacement de

 16   personnes concernées par moyen d'expulsion ou d'autres voies coercitives;

 17   déportation, expulsion d'un lieu où ces personnes ont tout à fait le droit

 18   de résider en vertu du droit international. Note de bas de page 13, on dit

 19   que "le transfert forcé ou la déportation est synonyme de déplacement

 20   forcé".

 21   89 Etats ont ratifié ce Statut; l'Australie, le Canada, Malte, la

 22   Nouvelle-Zélande, l'Afrique du Sud ont fait leur cette application et

 23   soutiennent cette définition telle que présentée à l'Article 7, s'agissant

 24   de la déportation. Le conflit au Timor Oriental par exemple, section 5.1

 25   D, réclamation 2015, déportation ou transfert forcé de population en tant


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  1   que crime contre l'humanité, le texte même de cette réglementation est

  2   l'adoption directe du Statut de la Cour pénale internationale.

  3   Permettez-moi de vous renvoyer à un jugement dans le cadre du Tribunal de

  4   guerre pour le Timor Oriental. J'ai repris ceci dans mon supplément de

  5   texte de doctrine, Messieurs les Juges. Quatre des onze accusés avaient

  6   été accusés de déportation ou transfert forcé de la population à

  7   l'intérieur du Timor Oriental, mais aussi dans le Timor Occidental. Aucune

  8   distinction n'a été faite entre les civils qui se sont retrouvés au Timor

  9   Oriental et ceux qui se sont retrouvés de l'autre côté, au Timor

 10   Occidental. Aucune distinction n'a été faite entre les termes de

 11   "déportation" ou "transfert forcé".

 12   Dans le Jugement, les Juges reconnaissent qu'il y a une absence de

 13   définition s'agissant des éléments requis pour établir les crimes de

 14   déportation ou transfert forcé, mais les Juges acceptent que ce qui était

 15   alors le projet de Statut de la Cour pénale internationale a été accepté,

 16   ainsi que le Protocole additionnel 2 des Conventions de Genève.

 17   Autre affaire que j'ai reprise dans mon supplément, c'est l'affaire

 18   Andrija Artukovic, Cour de district de Zagreb. L'accusé a notamment été

 19   accusé de l'arrestation et de la déportation d'une victime en direction

 20   d'un camp de concentration; ce camp se trouvant sur le territoire de l'ex-

 21   Yougoslavie.

 22   Nous soutenons que la Chambre de première instance Blaskic a eu raison de

 23   se fonder sur le Statut de la Cour pénale internationale au paragraphe 418

 24   du Jugement, où les Juges acceptent la définition énoncée à l'Article 7.2-

 25   D).


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  1   Troisième élément que je voudrais avancer: c'est, tout simplement, qu'il

  2   n'y a pas la moindre justification à retenir ces éléments supplémentaires

  3   dont la Chambre estime qu'ils existent pour établir le crime de

  4   déportation. Aucune justification à trouver, que ce soit en droit

  5   international coutumier ou contemporain, pour qu'une lecture de la

  6   déportation soit faite de la sorte.

  7   Il est possible de lire de façon plus large "la déportation" en tant que

  8   crime contre l'humanité en vertu de l'Article 5-d), mais il est possible

  9   aussi de la voir en tant crime contre l'humanité ainsi que le dit

 10   l'Article 5. Il n'y a pas de hiérarchie pour ce qui est de la gravité de

 11   ce crime. Que ce soit transfert à l'intérieur des frontières d'un Etat ou

 12   en les franchissant, tout ceci est proscrit par le droit international

 13   coutumier. L'article 17 du Protocole additionnel 2 en parle également; il

 14   couvre les deux éventualités.

 15   On ne dit pas que la déportation est plus grave, nécessite un élément

 16   requis supplémentaire quand les détenus doivent franchir des frontières

 17   nationales. Les définitions du Statut de Rome tiennent compte de la

 18   réalité des conflits armés contemporains, mais il sera difficile dès lors

 19   de définir de façon précise quelles sont les frontières d'un Etat en

 20   conflit. La situation prévalant au Timor Oriental en est un exemple. Nous

 21   sommes loin, nous sommes loin de Nuremberg où il y avait transfert de

 22   personnes de l'Allemagne vers d'autres endroits. Nous avons évolué et nous

 23   avons évolué vers davantage de conflits internes.

 24   La Chambre s'est donc trompée en concluant que la déportation signifie

 25   qu'il y a le fait de déplacer physiquement des gens, de placer des gens


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  1   dans des autobus, et exige de la part de l'accusation qu'elle trace le

  2   trajet effectué par ces personnes jusqu'aux frontières de l'Etat et exige

  3   qu'elle -l'accusation- apporterait la preuve que chacun des détenus a été

  4   envoyé, mais n'a été envoyé nulle part qu'au-delà des frontières

  5   nationales.

  6   Déplacement forcé, ceci peut se faire de façon moins organisée, moins

  7   directe. Ce type de déplacement peut se produire dans une région où un

  8   conflit armé se poursuit, où il y a infraction systématique des droits de

  9   l'homme. Et ce déplacement forcé peut se produire, comme le reconnaît la

 10   Chambre, sous le prétexte d'un échange. Il n'est pas intéressant de voir

 11   en vertu de quoi quelqu'un est déplacé. La responsabilité pénale

 12   intervient lorsqu'il y a expulsion, peu importe comment elle se fait et

 13   quelles sont les méthodes utilisées.

 14   La destination ultime d'une personne, que ce soit une fosse commune comme

 15   cela a été le cas en Bosnie-Herzégovine à Gorazde où vous avez ces 20

 16   hommes qui étaient censés échangés et qui ont tout simplement disparu, ces

 17   35 hommes qui ont fini par être envoyés au Monténégro… Donc je reviens à

 18   cette destination ultime, elle ne peut pas constituer un des éléments

 19   constitutifs du crime, car tous ces détenus n'ont jamais pu rentrer chez

 20   eux, dans leur lieu légal de résidence. Tous ces détenus ont été, à toutes

 21   fins utiles, déportés de Foca.

 22   Messieurs les Juges, lorsqu'il s'agira d'établir la responsabilité de

 23   l'accusé en vertu du 7.1, en tant que personne qui aide et encourage ou en

 24   tant que co-auteur, il faut montrer que l'accusé était au courant du fait

 25   qu'il y a eu déplacement forcé par les auteurs des détenus, les faits et


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  1   les circonstances peuvent établir la légalité de la déportation, et

  2   l'accusé devait savoir que ceci se faisait pour des raisons de

  3   discrimination.

  4   Je ne peux faire que ceci, c'est vous renvoyer aux faits et aux moyens de

  5   preuve repris dans le mémoire en appel. Ceci montre que l'accusé savait

  6   effectivement que les détenus musulmans du KP Dom faisaient l'objet

  7   d'échanges dans le cadre d'un programme d'échange tout à fait sophistiqué;

  8   il était au courant de cela. Il savait qu'au cours des 15 mois où il était

  9   directeur du KP Dom, sous sa supervision et son contrôle direct, ces

 10   détenus étaient apparemment l'objet d'échanges. Il savait parfaitement le

 11   sort qui leur était réservé. Et j'ai repris ces arguments de façon plus

 12   circonstanciée dans mon mémoire.

 13   Ceci termine ma présentation des arguments s'agissant du septième motif

 14   d'appel.

 15   M. le Président: Je vous remercie. Je crois que vous devez ensuite nous

 16   parler du sixième motif.

 17   Mais je propose que  l'on fasse une pause et que l'on reprenne à 11

 18   heures30. L'audience est suspendue.

 19   (L'audience, suspendue à 10 heures 55, est reprise à 11 heures 33.)

 20   M. le Président: L'audience est reprise. Faites entrer l'accusé, s'il vous

 21   plaît.

 22   (L'accusé est réintroduit dans le prétoire.)

 23   Bien. Avant de poursuivre par la présentation des arguments du Bureau du

 24   Procureur, je crois que le Juge Schomburg souhaiterait intervenir.

 25   M. Schomburg (interprétation): Merci beaucoup, Monsieur le Président.


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  1   Pour que les choses soient très claires et que la défense puisse bien

  2   suivre, s'agissant de la question de la déportation plutôt que des

  3   transferts forcés, nous nous embarquons là sur un terrain tout à fait

  4   novateur. La jurisprudence ne fait pas foi de façon catégorique; par

  5   conséquent, il nous incombe de statuer à cet égard.

  6   Par conséquent, cette question s'adresse également à la défense. Je dois

  7   vous dire que je suis convaincu et que l'accusation en fait n'a pas

  8   invoqué le transfert forcé en qualité d'acte inhumain; il faut tenir

  9   compte de cela. Il en est fait mention dans le Jugement rendu par la

 10   Chambre de première instance. Par conséquent, il y aurait un obstacle

 11   quant à l'inclusion de cet élément.

 12   Pourquoi est-ce que je précise cela? Je pense que la notion d'acte

 13   inhumain s'oppose dans une certaine mesure au principe de "nullem crimen

 14   sine lege", à savoir qu'on ne peut pas arguer d'un crime si une loi n'est

 15   pas en place au moment où le crime allégué aurait été commis. Plus

 16   particulièrement dans le cas en l'espèce, nous n'avons pas ici une

 17   description suffisamment précise du crime et de l'infraction. Par

 18   conséquent, je pense que la question qui nous incombe d'examiner est de

 19   savoir si, oui ou non, on peut parler de déportation.

 20   Vous avez précisé en premier lieu les éléments suivants: à savoir que le

 21   déplacement effectué par la force peut constituer une déportation. Dans la

 22   description que vous en avez faite, je peux suivre le raisonnement que

 23   vous avez retenu dans la mesure où vous avez précisé qu'à défaut -et ceci

 24   figure au paragraphe 817 de votre thèse- une interprétation correcte de

 25   l'expression déportation serait une expulsion effectuée par une partie


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  1   belligérante sur le territoire placé sous le contrôle de ce parti, que la

  2   frontière soit ou non reconnue comme une frontière internationale.

  3   Je pense que ceci se rapproche de l'interprétation de l'Article 5. Il faut

  4   tenir compte de la jurisprudence qui évolue et nous sommes saisis ici

  5   d'une affaire où il nous incombe de statuer au sujet d'un conflit armé

  6   interne. La question qu'il nous incombe d'examiner est de savoir si, oui

  7   ou non, il y a lieu de conclure que lorsqu'une personne est conduite

  8   depuis une région où prévaut une puissance quelconque et que cette

  9   personne est conduite vers une autre zone, qui est placée sous le contrôle

 10   d'une autre puissance, on pourrait appeler cela une "déportation".

 11   Nous faisons référence ici à la notion en langue anglaise du mot

 12   "déportation". Je ne crois pas que nous soyons confrontés à un problème

 13   linguistique parce que le mot anglais "deportation" ou français

 14   "déportation" est identique dans toutes nos langues. La racine latine de

 15   ce mot, à mon esprit, est la suivante: c'est-à-dire que l'on déplace d'une

 16   partie vers une autre, dans le sens où vous vous trouvez dans un lieu,

 17   dans une espèce de refuge, et vous n'êtes plus autorisé à y rester.

 18   La question qui se pose est de savoir à ce moment-là: par opposition à

 19   déportation, peut-on parler d'expulsion? Est-ce qu'il ne s'agit pas de

 20   deux concepts identiques lorsque l'on contraint une personne à quitter une

 21   zone où une puissance est en place?

 22   Par ailleurs, si nous épousons votre premier moyen, quelles seraient les

 23   restrictions dont il faut tenir compte? Est-ce qu'il suffit de conduire

 24   une personne d'une maison vers une autre maison; est-ce que l'on peut à ce

 25   moment-là déjà parler de "déportation"? Et qu'en est-il des transferts


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  1   forcés "internes" -entre guillemets-? Dans une zone où une puissance est

  2   au contrôle, est-ce que l'on peut réellement parler à ce moment-là de

  3   "déportation" ou est-ce qu'il s'agirait plutôt de "transfert forcé"? Il ne

  4   faut pas perdre de vue que la notion de "transfert forcé", comme je l'ai

  5   déjà dit, n'est pas couverte par les autres actes inhumains.

  6   Par ailleurs, dans notre Statut, il y a également des Articles qui

  7   traitent du transfert forcé. Par conséquent, on pourrait arguer du fait

  8   que ces transferts forcés au sein d'une zone où une puissance est au

  9   contrôle ne constituent pas une déportation. Ceci constitue la réponse à

 10   votre premier moyen.

 11   Pour revenir et s'agissant du deuxième volet, qu'en est-il de l'aspect

 12   volontaire des déportations par rapport aux personnes qui ont été

 13   conduites vers le Monténégro?

 14   Je pense qu'ici, il y a un problème supplémentaire qui vient se greffer.

 15   Vous arguez que, dans ce cas, cet échange équivaut à une déportation. Mais

 16   est-ce qu'il ne s'agit pas d'un principe de base, lorsque vous avancez

 17   qu'une personne a commis un crime, qu'il doit y avoir une alternative qui

 18   n'est pas nécessairement sanctionnée? Et est-ce que tel n'est pas le cas

 19   si vous dites que ces personnes n'auraient pas dû procéder à cet échange?

 20   Mais quelle est l'alternative? Est-ce que l'on aurait pu continuer à

 21   garder ces personnes en prison? Quel serait l'argument qui serait invoqué

 22   par l'accusation, à ce moment-là: à savoir que ces personnes continuent à

 23   priver de toute liberté des détenus et ce, pour des raisons politiques et

 24   ethniques?

 25   J'aimerais que vous communiquiez aux Juges de la Chambre d'appel vos


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  1   observations au sujet de cette double question. Merci.

  2   Mme Rashid (interprétation): Merci, Monsieur le Juge.

  3   S'agissant du premier volet de votre question concernant l'expulsion et la

  4   déportation, nous avons évoqué une accusation au titre du Chef 1

  5   "Déportation et expulsion". Nous avons parlé de transfert forcé, mais il y

  6   a une différence dans les pratiques qui ont été retenues par l'accusation.

  7   L'argument que nous avons fait au sujet de l'expulsion est qu'il s'agit

  8   d'un terme générique; il ne s'agit pas d'un terme technique. On ne peut

  9   trouver ce terme dans aucun endroit du Statut ni dans d'autres instruments

 10   internationaux. Il ne s'agit pas d'un crime spécifique, il s'agit d'un

 11   terme utilisé par l'accusation dans l'Acte d'accusation de Kupreskic. Nous

 12   avons assuré une condamnation pour un acte particulier, une expulsion. Il

 13   s'agit d'un terme qui qualifie, qui décrit un comportement de persécution

 14   lorsque ces comportements dénotent une tentative ou un acte de faire

 15   déplacer par la force des victimes d'un endroit vers un autre. Il s'agit

 16   là de l'interprétation commune que l'on peut faire du terme "expulsion"

 17   dans le contexte de la persécution.

 18   Ce terme a été utilisé pour définir comment une personne était conduite

 19   d'une zone vers une autre par des moyens coercitifs. Mais il s'agit ici

 20   d'un concept totalement différent de la déportation.

 21   La déportation a reçu une définition juridique par ce Tribunal, et le

 22   Statut de la Cour pénale internationale y fait également mention, mais le

 23   résultat final et la teneur de ces actes ont été décrits de façon

 24   principale. Ces termes ou l'utilisation de ces termes est différente, les

 25   termes utilisés sont différents. En fait, il s'agit d'un problème


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  1   linguistique parce que nous parlons du même comportement: le transfert

  2   externe et interne.

  3   Or, dans le droit international coutumier ou dans le droit international

  4   contemporain, il n'a jamais été fait question d'une quelconque distinction

  5   entre ces termes: le transfert illégal, le déplacement par la force, le

  6   transfert forcé, l'expulsion; et à présent, nous avons rajouté le terme de

  7   "déportation". Il s'agit simplement d'une question de qualification.

  8   S'agissant du deuxième volet de votre question, le transfert forcé,

  9   s'agissant de savoir s'il est possible de parler de transfert forcé d'une

 10   zone vers une autre qui est occupée par les forces belligérantes, notre

 11   réponse est affirmative. Il existe une alternative au sujet de notre

 12   principal argument, s'agissant de la déportation. Parce que l'Article 5

 13   décrit… en fait, il s'agit d'un crime contre l'humanité qui s'applique à

 14   un conflit armé, qu'il soit ou non qualifié d'international.

 15   Nous pensons, pour notre part, qu'il faut traverser une frontière pour

 16   parvenir dans un autre pays. Or, vous ne pouvez pas accuser un individu de

 17   déportation, qualifiée de crime contre l'humanité au titre de l'Article 5-

 18   d). On ne peut pas envisager une situation non plus dans la Charte de

 19   Nuremberg ou en application du Statut du TPIY. Les deux formes de

 20   transfert sont interdites par le droit international coutumier.

 21   Nous pensons, pour notre part, qu'il y a de nombreux conflits internes qui

 22   sévissent dans le monde aujourd'hui. Sur le territoire de l'ex-

 23   Yougoslavie, par exemple, où un conflit dans sa totalité concernait des

 24   différents sur les territoires. Le conflit au Timor Oriental, par exemple.

 25   Et bien évidemment, nous avons soumis une proposition qui est toujours


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  1   légale, en application du droit international coutumier, parce que la base

  2   de cette affirmation est que toutes les formes de ressort sont interdites

  3   en application du droit international. Nous ne pensons pas que ceci

  4   enfreigne le principe de "nullem crimen sine lege".

  5   S'agissant du transfert forcé, j'abonde dans votre sens, Monsieur le Juge:

  6   cela ne figure nulle part dans le Statut. Cela figure dans l'Article 4

  7   "Transfert forcé d'enfants" en tant qu'acte de génocide. Oui, cela est

  8   vrai.

  9   La Chambre de première instance, toutefois… S'agissant de deux Chambres de

 10   première instance toutefois, celle de Krstic et celle de "Tuta" et

 11   "Stela", ont statué précisant que le transfert forcé pouvait constituer un

 12   crime contre l'humanité, soit en tant que persécution, soit en tant que

 13   traitement inhumain, en application de l'Article 5-i).

 14   Et je comprends bien évidemment que dans l'affaire Stakic, la Chambre de

 15   première instance ait exprimé des réserves à cet égard. Mais le transfert

 16   forcé n'est pas une question qui est reprise dans cet appel. Le fait de

 17   savoir si le transfert forcé constitue un traitement inhumain, n'est pas

 18   une question qui doit être tranchée au niveau de l'appel. C'est la raison

 19   pour laquelle nous n'avons pas dilué ou nous n'avons pas explicité

 20   davantage cela dans notre mémoire en appel.

 21   Toutefois, si nous devons prendre une position, j'adopterai celle que nous

 22   avons adoptée dans le mémoire en clôture de Stakic, dans le mémoire qui a

 23   été présenté par l'accusation. Nous avons déjà exprimé nos préoccupations

 24   à cet égard.

 25   S'agissant de l'aspect volontaire de la déportation, vous nous avez


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  1   demandé s'il y avait une alternative au comportement que vous avez imputé

  2   à l'accusé et que vous avez qualifié de "crime", un comportement qui n'est

  3   pas sanctionnable. Il s'agit là d'une question intéressante mais

  4   difficile.

  5   Les échanges se produisent généralement dans le cadre de conflit interne,

  6   il ne s'agit pas de crimes en tant que tels; ils ne figurent pas en tant

  7   que crimes soit dans la législation de Genève soit dans les protocoles

  8   additionnels, et ils ne figurent pas comme crimes en vertu de ce Statut.

  9   Mais, compte tenu des faits en l'espèce, je pense qu'il s'agit ici d'une

 10   question qui relève des faits.

 11   Et la Chambre de première instance a constaté que ces soi-disant échanges

 12   -et que je les qualifie de "soi-disant", parce que la Chambre de première

 13   instance a accepté qu'il ne s'agissait pas réellement d'échanges-, si vous

 14   examinez tous les éléments de preuve que nous avons reproduits dans le

 15   mémoire, certains des gardes ont dit aux détenus: "Ne partez pas, ne vous

 16   proposez pas comme volontaires pour faire l'objet d'un échange!" parce

 17   qu'ils savaient que ces échanges étaient une simple tentative de

 18   déportation ou de faire partir des individus du KP Dom.

 19   L'alternative n'était pas viable. La plupart des hommes ont disparu. Deux

 20   d'entre eux ont été trouvés morts dans une fosse commune. Certains d'entre

 21   eux ont été déportés au-delà d'une frontière. Mais, compte tenu des faits

 22   en l'espèce, il est manifeste à la lumière du Jugement que la Cour a

 23   accepté que ces personnes n'ont pas fait l'objet d'un échange. S'agit-il

 24   d'une option viable? Oui, parce qu'il existait des mesures pour assurer la

 25   protection des détenus. Et pourquoi disons-nous que l'accusé est


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  1   responsable de cela? C'est parce qu'il n'a pas pris de mesures pour

  2   assurer la protection des détenus et pour veiller à ce qu'ils soient

  3   échangés dans un cadre juridique.

  4   Nous avons présenté cela dans notre thèse, et nous savons qu'il y avait

  5   des problèmes avec ces échanges.

  6   J'espère que j'ai pu répondre à votre question, Monsieur le Président.

  7   M. Staker (interprétation): Monsieur le Président, avec votre

  8   autorisation, je voudrais simplement rajouter un point, suite à la

  9   question que vous nous avez posée: il s'agit de savoir s'il existe une

 10   alternative viable quant au comportement que l'on peut qualifier de

 11   "criminel"?

 12   Nous pensons qu'il s'agit d'une proposition générale, à savoir que

 13   lorsqu'une personne se prive d'une alternative en commettant un crime, à

 14   ce moment-là, elle ne peut pas se fonder sur ce propre crime comme étant

 15   une défense pour un crime ultérieur qui les aurait privés de cette

 16   alternative. Si l'acte criminel consiste simplement à une détention

 17   illégale de civils, on ne peut pas invoquer ce crime en mesure de défense

 18   pour leur transfert en disant: "Mais quel est le choix que ces personnes

 19   avaient! Il y avait des détentions illégales, qu'allait-on faire avec ces

 20   personnes?". En tout état de cause, il y a une réponse très simple: on

 21   pouvait les libérer et les ramener chez eux dans leur maison à Foca.

 22   Mais une fois de plus, il ne s'agit pas là d'un élément de défense. Il ne

 23   s'agit pas d'une défense de dire que "Oui, nous menions une campagne de

 24   persécution à Foca parce que la situation n'était pas sûre, qu'ils ne

 25   pouvaient pas rentrer chez eux"; parce que, conformément à ce que j'ai dit


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  1   auparavant, il y avait en fait une entreprise criminelle commune et vous

  2   ne pouvez pas invoquer comme moyen de défense une partie de cette

  3   entreprise pour justifier votre comportement.

  4   Une autre question qui a été soulevée est de savoir si les échanges de

  5   prisonniers avaient un caractère juridique. A notre avis, cette question

  6   n'est pas posée en l'espèce. En fait, il faut se reporter au paragraphe 49

  7   du Jugement qui précise que "les expulsions, les échanges ou les

  8   déportations de population civile non serbe constituaient la phase finale

  9   de l'attaque serbe contre la population civile non serbe dans la

 10   municipalité de Foca". J'ai déjà fait mention de ce paragraphe auparavant

 11   lors de la présentation de ma thèse. A la fin de ce paragraphe, il est

 12   précisé que: "Vers la fin 1994, les derniers détenus musulmans au KP Dom

 13   ont fait l'objet d'un échange".

 14   Le mot "échange" a été utilisé. A notre avis, la question est de savoir si

 15   cet échange s'est déroulé dans un cadre juridique ou non.

 16   M. Shahabuddeen (interprétation): Madame Rashid, la question que vient de

 17   vous poser mon collègue M. le Juge Schomburg, m'a beaucoup intéressé. En

 18   effet, il vous a demandé -et c'était un exemple limite s'agissant de la

 19   thèse défendue par vous-: dans le cas où une famille serait déplacée d'une

 20   maison vers une autre maison, s'il s'agirait de déportation ou

 21   d'expulsion. 

 22   Alors, il est possible que nous ayons omis de tenir compte de quelque

 23   chose qui existe dans vos écritures à ce sujet, mais vous avez fait

 24   référence à l'Article 5-d) du Statut, et cela m'a un petit peu rafraîchi

 25   la mémoire.


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  1   Donc voilà ce que j'aimerais vous demander: est-ce que vous demandez aux

  2   Juges de la Chambre d'appel de tirer des conséquences particulières,

  3   déterminées de l'introduction globale que l'on trouve au début de cet

  4   Article 5? En effet, nous savons tous qu'un conflit armé aux termes du

  5   droit international coutumier ne se mène pas nécessairement dans le but de

  6   commettre un crime contre l'humanité, mais cette partie introductrice

  7   générale de l'Article 5 a été placée à cet endroit du texte par le Conseil

  8   de sécurité.

  9   Alors, quelles en sont les implications? Devrions-nous penser que cette

 10   introduction à l'Article 5 implique nécessairement que tous les aspects

 11   légaux, toutes les qualifications juridiques du crime de déportation

 12   peuvent être constituées dans le cas d'un conflit international armé, et

 13   donc que tous les aspects constitutifs juridiques de l'acte de déportation

 14   peuvent être présents lorsqu'il y a conflit armé international?

 15   Si cela devait être vrai, quelles en seraient les conséquences sur

 16   l'examen de cette question de transfert trans-frontières ou de transfert

 17   interne?

 18   En effet, dans le Statut, il est question de crimes commis dans le cadre

 19   d'un conflit armé, sans distinction entre le conflit armé international et

 20   le conflit armé interne. Alors, pouvez-vous m'aider sur ce point?

 21   Mme Rashid (interprétation): Oui, bien sûr, Monsieur le Juge. Je vais vous

 22   répondre et je peux très certainement vous aider sur ce point. En effet,

 23   vous êtes, ici, au cœur de l'argumentation de l'accusation.

 24   La déportation figure au nombre des crimes contre l'humanité; et pour

 25   qu'il y ait crime de déportation, dans le cadre de l'application de cette


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  1   partie introductive de l'Article 5, il faut qu'il y ait conflit armé, mais

  2   ce conflit armé ne doit pas nécessairement être qualifié plus précisément.

  3   Donc la seule nécessité, c'est de prouver qu'il y a eu attaque

  4   systématique ou générale contre une population civile.

  5   Bien entendu, les crimes contre l'humanité peuvent se produire dans le

  6   cadre d'un conflit interne également, aussi bien que dans le cadre d'un

  7   conflit international. C'est d'ailleurs la base de notre argumentation,

  8   Monsieur le Juge, qu'en application du Statut, les crimes contre

  9   l'humanité doivent être commis durant un conflit armé, mais que la nature

 10   de ce conflit n'a pas d'importance. Les dispositions du droit

 11   international régissant les conflits armés internationaux ne limitent pas

 12   l'interdiction de la déportation en tant que crime contre l'humanité à des

 13   transferts transfrontaliers.

 14   Ceci donc montre bien que la nature du conflit armé n'a pas d'importance

 15   -en tout cas, c'est l'interprétation qui est donnée de l'Article 5 et que

 16   l'on reprend dans le mémoire en appel de l'accusation-, à savoir que

 17   déportation est un terme générique qui s'applique aussi bien aux

 18   transferts de population à l'intérieur d'un même pays, donc interne,

 19   qu'aux transferts de populations transfrontaliers.

 20   M. Shahabuddeen (interprétation): Madame Rashid, je tiens à m'excuser

 21   auprès de vous car il y a un aspect de votre mémoire en appel que j'ai

 22   sans doute omis d'examiner.

 23   Il y est dit, en effet, que la partie introductive de l'Article 5 implique

 24   nécessairement que tous les aspects constitutifs du crime de déportation

 25   peuvent également exister dans le cadre d'un conflit interne.


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  1   Mme Rashid (interprétation): Vous parlez du paragraphe 8.7 de notre

  2   mémoire, n'est-ce pas, où l'on trouve le cœur de notre argumentation?

  3   M. le Président: J'ai un décalage avec l'interprétation. Je n'ai pas saisi

  4   si vous faisiez bien une distinction entre expulsion et déportation,

  5   Maître Rashid, au plan du droit criminel.

  6   Mme Rashid (interprétation): Non. La façon dont les expulsions et les

  7   déportations sont mises en accusation en tant que comportement

  8   particulier, montre bien qu'il s'agit d'un comportement unique. La

  9   déportation signifie un transfert forcé; et l'expulsion, pour l'essentiel,

 10   revient au même.

 11   J'ai dit, Monsieur le Président, que l'expulsion consiste en un processus

 12   dans lequel une personne est déplacée de l'endroit où elle se trouve; et

 13   ceci a été qualifié d'"acte de persécution". La persécution n'est pas

 14   définie à partir du comportement constitutif de cet acte de persécution.

 15   Donc l'expulsion devient un crime lorsqu'elle constitue un acte qui est

 16   poursuivi en justice.

 17   Voilà comment nous traitons de l'affaire dans nos écritures.

 18   M. le Président: Vous devez simplement prendre garde à une chose.

 19   Mme Rashid (interprétation): Bien sûr.

 20   M. le Président: Vous avez, bien sûr, le regard porté sur votre affaire.

 21   Je pense que l'expulsion est synonyme de déportation lorsque nous sommes

 22   dans un cadre criminogène commun de conflits armés.

 23   Je me permets de vous rappeler -et le Juge Schomburg l'a très bien dit

 24   tout à l'heure- que la déportation, qu'il s'agisse de droit interne ou de

 25   droit international, est toujours un crime… D'ailleurs, le terme est


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  1   linguistiquement anglicisé ou francisé. La déportation… On déporte des

  2   bagnards, on déporte, mais en général c'est un comportement criminogène,

  3   la déportation.

  4   L'expulsion peut être un acte de souveraineté. Je me permets de vous dire

  5   que c'est tous les jours que des gouvernements prennent des législations

  6   expulsant telles catégories de populations qui ne remplissent pas, par

  7   exemple, les conditions légales d'entrée dans un territoire; vous le

  8   savez, cela. On expulse, et on expulse parce qu'il s'agit d'un acte de

  9   souveraineté. De même, on peut aussi expulser parce qu'on se défend contre

 10   une entrée illégale dans un territoire. La déportation est tout à fait

 11   différente.

 12   Alors, je conçois que vous ne fassiez pas de distinction, mais à ce

 13   moment-là, si vous ne faites pas la distinction, c'est que vous incluez

 14   "expulsion égale déportation", parce que dans le cas par exemple de la

 15   présente affaire, nous serions dans le cadre d'une entreprise criminelle

 16   ou dans le cadre d'un conflit, d'un conflit armé. Alors là, évidemment, je

 17   comprends que la distinction soit beaucoup plus… beaucoup moins distincte.

 18   Voilà, c'était simplement cette précision que je voudrais apporter.

 19   Le Juge Schomburg voudrait, je crois, poser à nouveau une question.

 20   M. Schomburg (interprétation): En fait, c'est une question qui découle

 21   directement de celle qui vient d'être posée.

 22   Si, par exemple, nous devions adopter votre point de vue, celui qui est

 23   présenté à l'Article… au paragraphe 817, et donc que nous acceptions cette

 24   définition comme étant une interprétation valable de la notion et du terme

 25   "déportation", qu'est-ce qui serait nécessaire, en sus de l'expulsion,


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  1   pour que celle-ci devienne un acte criminel équivalent à la déportation?

  2   Mme Rashid (interprétation): S'agissant de l'expulsion -et là, je réponds

  3   à la question précédente-, l'expulsion ne figure pas sur la liste des

  4   crimes. Il n'y a pas d'élément criminogène qui s'appelle "expulsion";

  5   soyons clairs sur ce point. Nous décrivons, pour notre part, un

  6   comportement qui équivaut à un acte de persécution, donc c'est un terme

  7   technique que nous utilisons dans le sens qui vient d'être indiqué par le

  8   Président.

  9   Je suis d'accord avec vous, bien entendu, sur le fait que l'expulsion peut

 10   avoir différents sens, et notamment tous ceux que vous avez indiqués. Mais

 11   lorsque l'expulsion est poursuivie en justice en tant qu'acte de

 12   persécution, lorsque, comme dans l'Acte d'accusation, elle est décrite

 13   comme un acte de persécution, cela devient le crime de persécution. Il n'y

 14   a pas d'élément supplémentaire qui soit nécessaire en tant que tel.

 15   Le Tribunal peut prendre l'expulsion en tant qu'acte isolé, différent de

 16   la déportation à laquelle un sens technique différent peut éventuellement

 17   être donné, bien entendu. Mais nous soulignons, dans nos écritures, que

 18   l'expulsion est un terme générique, pour nous, qui signifie un

 19   comportement particulier que nous décrivons, et qu'il n'y a pas d'élément

 20   criminogène dans l'expulsion en tant que telle, mais que l'on trouve ces

 21   éléments dans les actes de persécutions auxquels équivalent expulsion et

 22   déportation, de notre point de vue.

 23   J'espère avoir été claire.

 24   M. Schomburg (interprétation): Merci beaucoup.

 25   Mme Rashid (interprétation): Merci, Monsieur le Juge.


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  1   J'en arrive maintenant à mes conclusions sur le motif d'appel n°6. Il me

  2   faudra sans doute à peu près dix minutes.

  3   Selon ce motif d'appel, nous pensons que la Chambre de première instance a

  4   fait erreur en estimant que les éléments de preuve étaient insuffisants

  5   pour conclure au fait que le travail forcé infligé à huit détenus au

  6   moins, dont les noms sont cités dans notre mémoire, était constitutif du

  7   travail forcé au sens légal du terme.

  8   En conséquence, la Chambre de première instance a, d'après nous, commis

  9   une série d'erreurs qui ont abouti à l'acquittement de l'accusé pour ce

 10   crime de travail forcé qui était poursuivi au titre d'acte de persécutions

 11   en application de l'Article 5-h).

 12   Dans notre mémoire, nous vous demandons de revenir sur des arguments qui

 13   sont liés. Le premier porte sur l'application erronée du droit par rapport

 14   aux aspects factuels de l'affaire et le deuxième porte sur le statut

 15   illégal de détention, dans le cas qui nous intéresse, s'agissant de

 16   personnes protégées et au titre de l'article 5-1 du Protocole additionnel

 17   2 aux Conventions de Genève. Je vous demanderai d'examiner le deuxième

 18   argument à partir du premier, c'est-à-dire de traiter d'abord le premier

 19   et de le développer avec le deuxième.

 20   La Chambre de première instance, au paragraphe 360 du Jugement, estime que

 21   des civils privés de liberté dans le cadre d'un conflit armé non

 22   international peuvent néanmoins être contraints à travailler dans

 23   certaines circonstances. La seule référence à l'appui se trouve à

 24   l'article 5-1 du Protocole additionnel n°2.

 25   L'accusation invite les Juges de la Chambre d'appel à considérer ceci


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  1   comme un point important sur le plan juridique, que l'on trouve au

  2   paragraphe 5-e) du Protocole additionnel n°2 qui s'applique aux conditions

  3   diverses dans lesquelles se trouvent des personnes détenues illégalement

  4   dans le cadre d'une campagne de persécutions pour motifs religieux ou

  5   politiques.

  6   L'accusation affirme, après avoir examiné le Droit de Genève et le

  7   Protocole additionnel n°2, que des personnes illégalement privées de

  8   liberté ne peuvent pas et ne doivent pas pouvoir être contraintes à

  9   travailler.

 10   La Chambre de première instance a examiné à juste titre cette question à

 11   partir du consentement demandé à ces personnes, s'agissant du travail et

 12   des conditions dans lesquelles ce travail est effectué. Mais les éléments

 13   de preuve manquaient sur ce point, nous n'avons donc pas interjeté appel

 14   sur cet aspect particulier de la chose. Nous disons simplement que les

 15   dispositions des Conventions de Genève et des protocoles supplémentaires

 16   parlent de personnes protégées lorsqu'il est question de détenus enfermés

 17   de façon illégale, et que dans ces conditions ces personnes sont protégées

 18   et qu'il est illégal de les contraindre à travailler.

 19   Pour l'essentiel, l'Article 5-1 se divise en deux parties. Il y est

 20   question de personnes dont la liberté est restreinte et nous estimons

 21   qu'il existe des formes admissibles, licites de détention, y compris en

 22   application de cet article dans le droit international.

 23   Mais le deuxième élément que nous développons se trouve à l'article

 24   5.1)e), où il est question des protections dont bénéficient les personnes

 25   en détention s'agissant du travail forcé. Et je vous invite à reprendre


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  1   l'Article 95 de la Convention de Genève n°4, les articles 40 et 41 de la

  2   Convention de Genève n°4, et les articles 79, 41 à 43, 68 et 78 de la 4e

  3   Convention de Genève également, où il n'est fait référence qu'à des

  4   détenus, des internés, des personnes en résidence surveillées qui, elles,

  5   peuvent être contraintes à travailler dans certaines conditions bien

  6   particulières. Mais leur détention est définie sur le plan juridique.

  7   Et je vous renverrai également au commentaire additionnel du Protocole

  8   n°2, où l'on parle de personnes privées de liberté en raison d'un conflit

  9   armé et de personnes qui, pour l'essentiel, ne jouissent pas de leur

 10   pleine liberté en raison de la guerre. Dans les Conventions de Genève, on

 11   trouve la même définition en plusieurs endroits.

 12   La règle générale, c'est donc qu'un civil ne peut pas être arbitrairement

 13   privé de liberté, ceci serait équivalent à un emprisonnement ou à une

 14   détention illégale.

 15   Si l'on examine les circonstances dans lesquelles un civil peut être

 16   détenu dans le cadre d'un conflit armé, il s'ensuit que c'est seulement

 17   dans des circonstances tout à fait exceptionnelles qu'un civil emprisonné

 18   de cette façon peut être contraint à travailler. Il faut donc qu'un

 19   certain nombre de conditions soient remplies. Et nous disons que ces

 20   circonstances exceptionnelles ne peuvent pas et ne doivent pas devenir la

 21   règle. Or en l'espèce, il s'agissait bien d'une règle; c'est ce que nous

 22   voyons au paragraphe 122 du Jugement.

 23   Je vous demande également, Messieurs les Juges, de regarder la logique qui

 24   prévaut s'agissant d'examiner ce problème des personnes emprisonnées

 25   contraintes de travailler. J'ai déjà parlé de l'article 8 du Pacte


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  1   international de 1966 -Pacte international des droits civils et

  2   politiques- où l'on voit les formes autorisées de travail forcé. J'ai

  3   également parlé du commentaire de l'article 5 où il est question des

  4   raisons pour lesquelles une personne privée de liberté peut être

  5   contrainte de travailler dans certaines circonstances. J'invoque à présent

  6   le jugement "Tuta"/"Stela", paragraphe 253, qui se penche également sur

  7   les raisons pour lesquelles un prisonnier de guerre peut être appelé à

  8   effectuer un certain travail. Je ne vais pas entrer dans le détail, mais

  9   la lecture du jugement vous en apprendra davantage sur ce point.

 10   Les conditions de travail normales envisagées à l'Article 5.1

 11   correspondent tout à fait à mon argumentation s'agissant de la situation

 12   dans les camps, car il est tout à fait peu probable que les protections

 13   fournies par le droit de Genève -les Conventions de Genève et le protocole

 14   additionnel- s'appliquent à des détenus enfermés au KP Dom dans les

 15   circonstances dans lesquelles ils vivaient par exemple. Des détenus

 16   emprisonnés illégalement et soumis à des conditions inhumaines ne

 17   correspondent pas au cadre dont il est question ici.

 18   Donc dans mon argumentation, je dis que les intérêts des détenus sont

 19   enfreints et que les faits évoqués dans nos écritures vous donneront des

 20   détails supplémentaires sur ce plan. Les Conventions de Genève ainsi que

 21   les protocoles à ces Conventions parlent de personnes protégées, et ces

 22   personnes protégées ne doivent pas être autorisées à travailler. La

 23   Convention 3 établit les critères applicables à ces personnes protégées

 24   pour les définir en tant que personnes protégées, et pour définir les

 25   conditions dans lesquelles elles peuvent ou ne peuvent pas travailler.


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  1   C'est sur la base du consentement donc que le travail autrement considéré

  2   comme forcé peut être considéré comme autorisé.

  3   Messieurs les Juges, s'agissant de mon deuxième argument, je vous

  4   demanderai de reprendre l'application du droit en matière de consentement

  5   par la Chambre de première instance, que l'on trouve au paragraphe 359 du

  6   Jugement sur les faits. Et j'aimerais ajouter quelques arguments à ces

  7   critères qui sont abordés dans le Jugement s'agissant du consentement.

  8   De l'avis du Procureur, même en l'absence d'éléments de preuve démontrant

  9   que les détenus ont accordé leur consentement, la Chambre de première

 10   instance aurait dû, à notre avis, prendre en compte des critères plus

 11   objectifs que ceux qu'elle a pris en compte. En effet, il faut mettre

 12   l'accent sur le fait de savoir si le détenu a véritablement le choix. En

 13   effet, entre consentement et choix, il y a une différence qui implique que

 14   lorsqu'il y a travail de la part du détenu, ce travail est volontaire ou

 15   pas. La Chambre de première instance aurait dû aller plus dans le détail

 16   et examiner de plus près les motivations du détenu pour voir si elles

 17   étaient corroborées ou non par les conditions objectives de la détention.

 18   Quel était le choix réel qu'avaient les détenus, Messieurs les Juges? En

 19   quelques mots, je vais résumer le témoignage de l'un des témoins. Au

 20   compte rendu d'audience, page 4860, ce témoin a dit -je cite-: "Eh bien,

 21   vous pouvez parler de travail volontaire, d'une certaine façon évidemment.

 22   Lorsqu'on est enfermé quelque part, on ne peut pas sortir; et si quelqu'un

 23   vous propose du travail, on pense que c'est préférable qu'à rester

 24   enfermer dans une endroit parce qu'on peut se procurer éventuellement de

 25   la nourriture, des cigarettes et avoir des contacts avec des Serbes à


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  1   l'extérieur. C'est peut-être donc préférable. D'une certaine façon, on

  2   peut parler de travail volontaire. Mais dans la réalité des faits,

  3   utiliser ce terme est tout à fait ridicule". (Fin de citation.)

  4   La conclusion de la Chambre de première instance a consisté à dire qu'il

  5   s'agissait effectivement de travail volontaire, mais c'est une erreur. Des

  6   éléments de preuves similaires ont été présentés par d'autres détenus;

  7   vous en trouverez la liste dans nos écritures, Messieurs les Juges, et

  8   tout cela prouve l'erreur systématique dans l'application du droit du

  9   consentement par la Chambre de première instance.

 10   Je ne peux que vous renvoyer à nos écritures pour le reste des motifs

 11   d'appel sur ce point. Nous disons que la conclusion de la Chambre de

 12   première instance et le verdict rendu par cette Chambre dans son

 13   acquittement sur le travail forcé étaient une erreur et une erreur

 14   judiciaire.

 15   Merci. C'est maintenant M. Carmona qui va vous parler des motifs 4 et 8, à

 16   savoir "Meurtres et peines imposées".

 17   M. le Président: Bien, Monsieur Carmona, nous vous écoutons.

 18   M. Carmona (interprétation): Messieurs les Juges, je demande votre

 19   indulgence: j'aimerais savoir combien de temps me sera donné. Nous avons

 20   une période tout à fait éprouvante, beaucoup de questions ont été posées à

 21   ma collègue, et moi j'ai deux motifs de taille à aborder. J'aimerais

 22   savoir le temps que vous me consacrez.

 23   M. le Président: Je comprends tout à fait le sens de votre question. Je

 24   vous propose que nous levions notre séance à 13 heures. Vous avez jusqu'à

 25   13 heures, y compris les questions que pourront éventuellement vous poser


Page 118

   1   mes collègues. Autrement dit, on commencera avec la défense cet après-

  2   midi.

  3   On est un peu décalés, on rattrapera en fin d'après-midi ou demain, voilà;

  4   puisque nous vous avons effectivement posé beaucoup de questions. Encore

  5   que les questions font partie évidemment du débat concernant les arguments

  6   du Procureur, mais nous n'allons pas plaider là-dessus.

  7   Maître Carmona, essayez de développer maintenant vos arguments. Et si vous

  8   terminez plus tôt, eh bien, nous verrons bien. Allez y.

  9   (Présentation des arguments du Procureur concernant les motifs d'appel 4

 10   et 8, par M. Carmona.)

 11   M. Carmona (interprétation): Merci beaucoup.

 12   Messieurs les Juges, je vais aborder le quatrième motif d'appel: meurtre,

 13   plus exactement.

 14   Nous estimons que la Chambre de première instance a commis une erreur de

 15   fait en concluant qu'aux fins de l'Article 7.3, l'intimé n'avait pas

 16   suffisamment d'informations pour savoir que ses subordonnés se livraient

 17   aux meurtres des détenus mentionnés à l'Annexe C. Ceci a poussé la Chambre

 18   à conclure qu'il n'est pas tenu pénalement responsable de ses crimes en

 19   application de l'Article 7.3.

 20   Je dirais d'emblée qu'il y a des erreurs de fait commises par la Chambre

 21   s'agissant de ces meurtres.

 22   26 des 29 noms qui figurent à l'Annexe C; s'agissant de ceux-ci, il était

 23   constaté que les crimes avaient été commis au KP Dom. La Chambre a exprimé

 24   des réserves à cet égard, à l'égard du meurtre de Hodzic, mais aussi à

 25   l'égard de Mujezinovic, mais aussi par rapport à Huso Dzamalija dont il


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  1   est dit que ce dernier s'est suicidé.

  2   Cependant, il nous faut comprendre ce que signifient ces conclusions

  3   factuelles. Les Juges étaient-ils convaincus, au-delà de tout doute

  4   raisonnable, que 26 de 29 personnes sont mortes au KP Dom du fait de la

  5   participation des gardiens du KP Dom et que ceci s'est fait en

  6   collaboration avec des militaires qui venaient de l'extérieur du camp?

  7   Il faut cependant se pencher sur cette conclusion factuelle et la voir par

  8   rapport au rôle, à la fonction exercée par l'intimé dans ce camp.

  9   La Chambre s'était d'abord prononcée sur la position d'autorité de

 10   l'accusé. C'était important, car ceci montre de façon très claire et

 11   factuelle comment les informations fonctionnaient, informations qui

 12   étaient disponibles à l'accusé.

 13   Du paragraphe 96 au paragraphe 107, les Juges ont conclu fermement, en

 14   fait, qu'il occupait un poste d'autorité et que l'accord de location

 15   n'avait aucune incidence sur la hiérarchie prévalant dans le camp, et que

 16   l'accusé avait la responsabilité en tant que supérieur sur tous les

 17   subordonnés du KP Dom.

 18   Ce faisant, vous comprendrez qu'il a fait référence au témoin FWS-138 qui

 19   indiquait que toutes ces informations et le mécanisme de fourniture

 20   d'informations -qui était en place avant la guerre- ont fonctionné pendant

 21   la guerre, que tout est resté pratiquement pareil, que par exemple le

 22   commandant des gardes, Mitar Rasevic, devait faire rapport à Krnojelac,

 23   que Todovic, qui était l'adjoint au directeur, devait rendre des comptes à

 24   Krnojelac. De surcroît, était en place un système tel que toute

 25   modification intervenant dans le camp était rapportée au ministère de la


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  1   Justice.

  2   A toutes fins utiles, lorsque nous essayons de déterminer ce que va

  3   constituer un minimum suffisant d'informations, il faut regarder ce

  4   minimum suffisant dans le contexte de ce qui est déjà établi s'agissant

  5   des chaînes de transmission d'informations sur des questions générales et

  6   particulières telles qu'elles se présentaient et fonctionnaient et dans ce

  7   camp-là précis.

  8   La Chambre de première instance a conclu que l'intimé était supérieur de

  9   jure par rapport aux gardes et qu'il a manqué à son devoir qui consistait

 10   à prendre toutes les mesures nécessaires et raisonnables pour punir les

 11   auteurs des crimes.

 12   Au paragraphe 107, les Juges de première instance indiquent qu'il a manqué

 13   à l'obligation de mener des enquêtes sur les sévices.

 14   Et ça, c'était quelque chose de connu dans le camp. On savait dans le camp

 15   que bon nombre des gardes, comme Matovic, Burilo, que tous ces individus

 16   faisaient partie du contingent des gardes du KP Dom et que ces hommes

 17   étaient responsables de beaucoup des sévices qui se produisaient.

 18   Les Juges ont également constaté que l'intimé a manqué au devoir de donner

 19   des ordres pour que soit mis fin aux sévices infligés aux détenus et qu'il

 20   n'a pas parlé à ses subordonnés des sévices commis, qu'il n'a pas puni les

 21   gardes qu'il aurait été facile d'identifier, et que l'intimé n'a pas

 22   rapporté ces exactions aux autorités qui étaient les siennes.

 23   Il est cependant important de constater que sa fonction de responsabilité

 24   en tant que directeur, que son manquement à l'obligation d'empêcher les

 25   crimes, a été réitérée par la Chambre de première instance lorsqu'elle a


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  1   parlé des modes de responsabilité s'agissant du mode de fonctionnement du

  2   KP Dom.

  3   Nous avons des conclusions générales tirées par les Juges de première

  4   instance pour ce qui est de sa responsabilité potentielle eu égard à ces

  5   meurtres. Mais il est important de noter la conclusion des Juges.

  6   Il y a une conclusion essentielle, c'est que les Juges étaient convaincus

  7   que l'intimé avait connaissance du fait qu'il y avait sévices à l'encontre

  8   des détenus et qu'il y a eu des disparitions du KP Dom au cours des

  9   soirées du mois de juin 1992. Mais la Chambre n'était pas convaincue que

 10   ces détenus, qui étaient sortis le soir et qui disparaissaient, ont été

 11   tués.

 12   Ce faisant, la Chambre a rejeté la théorie du 7.1 s'agissant du fait de

 13   prêter assistance, et cette théorie qui veut que, ce faisant, il a créé un

 14   système qui permettait la commission de ces crimes.

 15   Soyons plus précis encore, parce que ceci est pertinent face à ce motif.

 16   La Chambre de première instance a rejeté la thèse de l'accusation selon

 17   laquelle l'intimé se voit visé par la responsabilité supérieure

 18   hiérarchique, visé par l'Article 7.3, pour ce qui est de ce qui s'est

 19   passé au cours des mois de juin et juillet 1992 au KP Dom. Alors que le

 20   fait existe, alors que les Juges ont reconnu que l'intimé était au moins

 21   au courant de deux décès au camp, celui de Halim Konjo et de Huso

 22   Dzamalija. Cependant, les Juges de première instance ont constaté qu'en

 23   dépit de ce savoir, l'intimé n'avait pas suffisamment de connaissances et

 24   que ses connaissances ne correspondaient pas à l'élément requis.

 25   L'accusation soutient que cette conclusion tirée par les Juges de première


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  1   instance, selon laquelle l'intimé n'est pas responsable en tant que

  2   supérieur au sens de l'Article 7.3, nous estimons que c'est là une erreur

  3   de fait, au sens de l'Article 25.2. Nous estimons qu'aucune Chambre

  4   n'aurait pu raisonnablement conclure qu'il n'était pas responsable

  5   pénalement de ces meurtres, que la seule conclusion disponible, c'est

  6   qu'il y avait suffisamment d'informations dont disposait l'intimé pour

  7   savoir qu'il y avait un risque de commission de meurtres par ses

  8   subordonnés.

  9   Il est important de relever que, lorsqu'on voit les circonstances précises

 10   de ces sévices, de ces passages à tabac, le traitement particulièrement

 11   cruel infligé à ces personnes, la seule différence entre les passages à

 12   tabac tels que constatés et les meurtres, c'était l'effet inévitable. Dans

 13   un cas, les coups ont entraîné un handicap, une incapacité; dans l'autre

 14   cas, ces passages à tabac ont entraîné la mort. Le degré de comportement,

 15   la gravité de l'attitude est du même genre, du même type. Ce qui importe,

 16   si l'on veut définir le meurtre, c'est de se demander s'il ne s'agit pas

 17   d'un acte commis dans l'intention de causer un préjudice physique? Est-ce

 18   que c'est parce que la phase ultime n'est pas réalisée qu'on pourrait dire

 19   qu'il n'y a pas de risque de décès?

 20   Je m'excuse auprès des interprètes.

 21   Voyez la fonction exercée par l'intimé. La seule conclusion possible,

 22   puisqu'on a conclu qu'il était le supérieur hiérarchique au KP Dom, avec

 23   l'autorité d'empêcher des crimes et de les punir, et à la lumière du fait

 24   que la Chambre de première instance a conclu qu'il n'avait pas pris de

 25   mesures nécessaires pour empêcher les sévices infligés aux non Serbes,


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  1   nous soutenons qu'une fois ces conclusions tirées, une fois avoir estimé

  2   qu'il avait la connaissance nécessaire s'agissant de ces sévices, il faut

  3   estimer qu'il avait suffisamment d'informations pour être au courant des

  4   meurtres qui s'en sont suivis. Au minimum, on aurait dû l'informer ou dire

  5   qu'il avait le devoir d'investigation.

  6   Madame Brady a répondu aux questions posées par M. le Juge Shahabuddeen.

  7   Notre thèse se fonde non seulement sur la probabilité de connaissance

  8   d'informations, mais de façon plus précise, sur les informations

  9   véritables dont disposait l'intimé. Il est utile d'examiner de plus près

 10   ces meurtres.

 11   Une situation se présente où Huso Dzamalija se serait suicidé dans sa

 12   cellule à la suite de passages à tabac, du fait de sa dépression. La

 13   Chambre avait des doutes quant aux causes réelles de sa mort. Etait-il

 14   mort à la suite des coups ou à la suite de sa dépression? Mais il est

 15   quand même mort en prison!

 16   Puis, nous avons d'autres meurtres impliquant Halim Konjo. Il parle à

 17   l'intimé du comportement… à la demande de son frère, Halim Konjo. Que dit-

 18   il à l'intimé? Il dit: "Je veux en savoir plus long sur Halim Konjo. Je

 19   sais qu'il est mort", dit-il. Au moment du contre-interrogatoire, on fait

 20   pression sur lui lorsqu'il dépose, et que dit-il? Il dit: "Au fond, je

 21   savais par Jankovic que cet homme, il s'est suicidé; c'est ainsi qu'il a

 22   trouvé la mort". Miros Jankovic n'est pas bien important et ce n'est qu'un

 23   infirmier. Il dit: "Voilà, il y a eu une enquête". Et l'intimé ne va pas

 24   plus loin.

 25   Vous avez deux morts suspectes: un suicide et une autre mort tout à fait


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  1   suspecte. Dans de telles circonstances, l'intimé est considéré comme

  2   n'ayant pas été informé.

  3   Transposons ceci dans une situation normale, situation normale dans un

  4   système national. Un homme meurt en prison après suicide ou dans des

  5   circonstances suspectes, c'est le chaos complet. On dit que, vu les

  6   conditions prévalant dans le milieu pénitentiaire, il n'y a pas de

  7   mécanisme permettant de transmettre des informations à la hiérarchie; cet

  8   homme doit quand même savoir quels sont ces mécanismes.

  9   Et nous disons que, dans de telles circonstances, la Chambre de première

 10   instance a versé dans l'erreur. Car la seule conclusion raisonnable, vu

 11   ces seuls deux décès, vu la genèse des sévices, de la persécution, des

 12   passages à tabac, puisqu'il y a des liaisons constantes avec la structure

 13   militaire, avec les autorités politiques… on ne peut pas simplement

 14   saucissonner ceci et en faire des compartiments séparés. Il nous faut

 15   examiner la globalité de ceci. Il ne faut pas diviser dans de telles

 16   circonstances. Il s'agit, en l'espèce, de voir la totalité des

 17   informations disponibles pour conclure qu'il y avait suffisamment

 18   d'informations pour activer et déclencher la nécessité de diligenter

 19   d'autres enquêtes.

 20   Et qu'en est-il des indicateurs clairs et objectifs selon lesquels il

 21   s'agissait de meurtres?

 22   Reprenons les conclusions de la Chambre de première instance. Il y avait

 23   des traces de sang au KP Dom, dans le véhicule dont il a été dit qu'il

 24   avait transporté de la viande; et cette situation, elle a été rejetée par

 25   les Juges de première instance. Sans parler des différentes formes de


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  1   brutalité, résultats, les cris, les hurlements, tout ceci, sans parler des

  2   preuves manifestes de balles qui sont restés logées dans les bâtiments,

  3   dans les murs du bâtiment administratif. N'oubliez pas que le bureau de

  4   l'intimé est juste au-dessus; il a vue sur la cour de la prison où on fait

  5   quotidiennement le décompte des détenus. L'intimé sait pertinemment qu'il

  6   y a des sévices qui sont infligés, des passages à tabac. Ce n'est pas ici

  7   que l'intimé ne fait que passer dans ce camp; il en est le directeur. Rien

  8   ne prouve qu'on aurait essayé de dissimuler ces crimes; abondants étaient

  9   les signes précisant la quantité et le type de crimes commis. Ceci était

 10   clair même pour quelqu'un de profane et, a fortiori, c'était patent pour

 11   quelqu'un qui avait une position d'autorité dans le camp.

 12   La Chambre a bien délimité, et de façon expresse, le fait qu'il a été

 13   directeur pendant quelque 15 mois et qu'il avait parfaitement accès à la

 14   cantine, à la cour de la prison, au bâtiment, autant d'endroits où il

 15   aurait pu voir les signes d'exactions, exactions qui auraient justifié une

 16   enquête, exactions dons des personnes auraient pu périr ou ont

 17   effectivement péri.

 18   Et le fait que la Chambre n'a pas été raisonnable apparaît encore plus

 19   clairement lorsqu'on voit les indicateurs objectifs de la survenue ou la

 20   survenance de meurtres. Reprenons ce que disait Celebici: pourrait-il y

 21   avoir des informations plus alarmantes que celles-là? C'est bien le

 22   critère, pourtant, qui a été retenu dans Celebici. Si l'intimé avait bien

 23   suivi ces informations, il aurait pu avoir la confirmation que des crimes

 24   étaient commis, des meurtres étaient commis, comme je viens de le dire.

 25   Pourquoi ne pas examiner ou considérer que l'absence de connaissance de


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  1   l'intimé, eu égard à ces meurtres, a été oubliée par la Chambre qui avait

  2   une espèce d'obsession tacite, à savoir qu'en fait il a fait la politique

  3   de l'autruche pour éviter les responsabilités qui incombent à la fonction

  4   qu'il exerçait?

  5   Nous estimons que c'est précisément cette attitude-là qui a été reflétée

  6   dans la réplique de l'intimé aux questions posées par RJ; ceci est précisé

  7   aux paragraphes 344 et 345 du Jugement: "Il ne faut pas poser de

  8   question", a-t-il dit. Est-ce que c'est là l'attitude d'un supérieur qui

  9   ignore des événements où sont impliqués ses subordonnés? Mais en plus, et

 10   de façon encore plus claire, est-ce qu'il n'est pas prêt, il n'est pas

 11   prêt à savoir, en dépit de toutes les informations qui lui sont soumises?

 12   Ceci mis à part, Messieurs les Juges, l'intimé avait la confiance d'un

 13   détenu, RJ; et quand on voit le traitement de RJ par la Chambre de

 14   première instance, celle-ci a cru la déposition de ce témoin. La Chambre

 15   n'avait pas de doute quant à la véracité de sa déposition. Mais ce qui

 16   compte, c'est que RJ a en fait été une source permanente et récurrente

 17   d'informations s'agissant de ce qui se passait dans le camp. Je dirais

 18   même que c'est RJ qui a indiqué que Burilo était l'un des gardes les plus

 19   brutaux. On lui a posé une question à propos de ce garde et le témoin a

 20   dit aux Juges: "Il était de notoriété publique que Burilo était violent

 21   avant l'existence du camp et pendant l'existence de celui-ci". C'est là

 22   quand même suffisamment d'informations, informations qui se prêtent à

 23   savoir que c'est ce Burilo qui était responsable des passages à tabac de

 24   Ekrem Zekovic, l'homme même dont tous savent qu'il était très violent.

 25   Celebici en parle: si un supérieur hiérarchique sait que telle ou telle


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  1   personne présente telle ou telle caractéristique, cette même

  2   caractéristique permet qu'on soit informé. Pourtant Krnojelac, lui, il ne

  3   fait rien.

  4   Voyez toute la question de l'évasion de Zekovic, paragraphe 233. En

  5   présence du directeur, l'adjoint a parlé du fait qu'on allait couper les

  6   rations, qu'on allait priver de médicaments, qu'on allait mettre au

  7   cachot, qu'il y avait beaucoup de passages à tabac qui avaient lieu de ce

  8   fait. Et la Chambre de première instance, se fondant sur cet incident

  9   même, croit manifestement que toutes ces choses se sont bien produites.

 10   Il est significatif de constater que, même si l'infraction d'Ekrem Zekovic

 11   n'a pas été reprise dans l'Acte d'accusation, nous devons comprendre que

 12   les Juges n'en ont pas tenu compte pour les Chefs 2, 5 et 7.

 13   Nous sommes ici au paragraphe 230. Il s'agit de conclusions légitimement

 14   tirées par la Chambre ou susceptibles de l'être pour ce qui est d'autres

 15   questions découlant d'autres incidents mentionnés dans l'Acte

 16   d'accusation.

 17   Pourquoi bien cerner et circonscrire le critère juridique à appliquer? La

 18   Chambre dit que l'intimé doit avoir suffisamment connaissance des éléments

 19   constitutifs pour que soit établie sa responsabilité pénale en vertu du

 20   7.3. Nous estimons que cette démarche n'est pas cohérente par rapport à la

 21   jurisprudence établie pour ce qui est du degré de connaissance requis par

 22   un supérieur pour entraîner responsabilité en vertu du 7.3. Le supérieur

 23   doit simplement savoir de façon générale qu'il y a un risque de crime,

 24   mais il n'est pas nécessaire de prouver que ces informations indiquent la

 25   survenue de tels ou tels crimes précis.


Page 128

  1   Voyons les faits cumulatifs de toutes ces informations dont disposait

  2   l'intimé. Une seule conclusion s'impose, une seule conclusion raisonnable:

  3   c'est celle qu'il avait amplement d'informations pour qu'il comprenne la

  4   nécessité de mener une enquête. Et ce n'était pas simplement le critère de

  5   la probabilité de la présence d'informations; il disposait effectivement

  6   de ces informations.

  7   Mentionnons quelque chose en passant pour ce qui est de ce motif précis.

  8   Paragraphe 308: la Chambre dit que l'accusé nie avoir vu un quelconque

  9   passage à tabac, mais la Chambre est convaincu que l'accusé savait qu'il y

 10   avait passages à tabac de détenus musulmans qui, de façon générale,

 11   étaient soumis à des mauvais traitements comme le précisent les

 12   paragraphes 5.4 à 5.29 de l'Acte d'accusation.

 13   Quand on voit les traitements infligés aux détenus, tels que repris dans

 14   l'Acte d'accusation et considérés comme valables par les Juges de première

 15   instance -on utilisait des fusils, on utilisait toutes sortes

 16   d'instruments, des crosses de fusil au point où les gens perdaient

 17   conscience-, des gens disent: "Voilà, j'ai été brutalisé par des gardes,

 18   j'ai été mis au cachot". Cet homme aurait pu mourir, pourtant il n'y a pas

 19   eu d'enquête; et ceci était une information suffisante pour que l'intimé

 20   agisse. S'agissant de ce motif précis, nous estimons qu'il y avait

 21   amplement des informations disponibles à la Chambre, non pas à partir de

 22   nouvelles informations, mais à partir d'informations dont les Juges

 23   reconnaissent qu'elles existent et devaient mener à la conclusion

 24   inévitable selon laquelle l'intimé avait suffisamment d'informations pour

 25   diligenter les enquêtes.


Page 129

  1   Voilà les arguments que je voulais présenter vous présenter eu égard à ce

  2   motif.

  3   M. le Président: Juge Schomburg?

  4   M. Schomburg (interprétation): Dans une certaine mesure, il s'agit peut-

  5   être d'une répétition de questions que j'ai déjà posées dans le cadre de

  6   la torture.

  7   Je dois vous dire que je ne vois pas la logique des arguments soulevés par

  8   l'accusation d'une manière générale. D'une part, nous avons entendu la

  9   thèse présentée, tout au début de son intervention, concernant

 10   l'entreprise criminelle commune. Par la suite, nous avons reçu des

 11   instructions supplémentaires quant à ce qu'il faut considérer comme étant

 12   la définition d'une entreprise commune criminelle en application de

 13   l'Article 7.1, en se basant notamment sur la définition donnée par le Pr

 14   Roxin. Ceci nous mène dans une direction qui dit qu'il y a action.

 15   Dans votre thèse concernant les meurtres ou les assassinats en application

 16   de l'Article 5.9, vous avez dit que la thèse du Procureur était, qu'en

 17   application de l'Article 7.1, lorsqu'une personne aide ou encourage le

 18   meurtre de détenus au KP Dom, vous avez dit à présent que cette affaire

 19   relevait du champ d'application du point 7.3, à savoir qu'il fallait

 20   empêcher et punir. Par conséquent, il semble y avoir une incohérence dans

 21   votre argumentation.

 22   M. Carmona (interprétation): Une fois de plus, oui, vous avez raison.

 23   M. Staker (interprétation): J'aimerais répondre à cette question, Monsieur

 24   le Président, Messieurs les Juges.

 25   Il s'agit simplement de savoir si d'autres crimes peuvent très imputés à


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  1   la fois en application de l'Article 7.1 et de l'Article 7.3.

  2   S'agissant de l'assassinat, ce crime a été retenu contre l'accusé à la

  3   fois en application des Articles 7.1 et 7.3, mais l'appel a été interjeté

  4   uniquement au niveau de l'Article 7.3. Ceci ne signifie pas pour autant

  5   que l'on n'aurait pas pu former un recours s'agissant de l'Article 7.1.

  6   Notre thèse est la suivante: le Procureur n'interjette pas appel parce

  7   qu'elle pense que cela n'était pas nécessaire.

  8   Il s'agit de deux condamnations qui se fondent sur une personne qui aide

  9   et qui encourage, et qui découle directement de la différence qu'il y a à

 10   appliquer entre aider et encourager, et la participation à une entreprise

 11   criminelle commune, et c'est parce que ces condamnations ont été soulevées

 12   qu'en fait elles font l'objet de ce moyen d'appel. Je tiens à dire qu'en

 13   n'interjetant pas appel en application de l'Article 7.1, il s'agit des

 14   autres crimes.

 15   Or, ceci n'est pas compatible avec la théorie de l'accusation parce que

 16   l'accusation ne dit pas qu'elle n'aurait pas pu interjeter appel en

 17   application de l'Article 7.1. Il s'agit simplement d'un aspect que

 18   l'accusation n'a pas inclus dans son appel.

 19   M. Schomburg (interprétation): Je vous remercie.

 20   M. Carmona (interprétation): Bien. Je vous remercie de la patience dont

 21   vous avez fait preuve à mon égard. Nous allons poursuivre. Je vais essayer

 22   d'être aussi rapide que je le peux s'agissant du motif 8 qui traite de la

 23   peine.

 24   M. le Président: Vous terminez à 13 heures, vous n'avez pas le choix, il

 25   n'y a pas d'alternative.


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  1   M. Carmona (interprétation): Je vous remercie.

  2   Le huitième motif d'appel concerne la peine. La Chambre de première

  3   instance a condamné l'intimé à une peine unique d'emprisonnement de 7 ans

  4   et demi.

  5   Le moyen que nous invoquons est que la Chambre de première instance s'est

  6   trompée en imposant une peine qui ne reflète pas la gravité des

  7   infractions ni l'étendue de la culpabilité de l'intimé. Et la Chambre a,

  8   par ailleurs, commis une erreur en tenant compte de certains facteurs lors

  9   du prononcé de la sentence. Personne ne conteste, par exemple, le fait que

 10   la Chambre de première instance a pu exercer un large pouvoir

 11   discrétionnaire dans le domaine du prononcé de la peine.

 12   Mais, comme Goran Jelisic l'a fait remarquer au paragraphe 96, une

 13   sentence ou une peine ne peut pas excessive.

 14   En fait, la thèse de l'accusation est que lorsqu'on fait preuve de trop

 15   d'indulgence en tenant compte de circonstances atténuantes, à ce moment-là

 16   on sape la peine d'une façon générale.

 17   J'aimerais poser une question aux Juges ici présents. D'une façon

 18   générale, le critère type que l'on retient pour déterminer la légitimité

 19   ou le caractère raisonnable s'agissant de la sentence est le suivant. Il

 20   s'agit de répondre à une question toute simple: est-ce que les membres du

 21   public ayant connaissance des faits, ayant connaissance des circonstances,

 22   pensent que la sentence a été prononcée en dépit d'une administration

 23   correcte de la Justice?

 24   Notre thèse est que la sentence, la peine doit être imposée en reflétant

 25   la gravité inhérente, intrinsèque, du comportement criminel de l'accusé,


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  1   et qu'il s'agit de déterminer la gravité du crime et que, pour déterminer

  2   la gravité du crime, il faut tenir compte de la situation particulière en

  3   l'espèce, ainsi que de la forme et du degré de participation de l'accusé

  4   au crime.

  5   A cet égard, l'accusation a fait remarquer qu'elle estime que certaines

  6   erreurs ont été commises s'agissant des sentences. Cette sentence a été

  7   attribuée et évaluée par la Chambre de première instance. Nous pensons

  8   qu'il y a en fait quatre erreurs qui ont été commises.

  9   La première erreur se trouve aux paragraphes 514 à 516 du Jugement, qui

 10   parlent des facteurs qui contrebalancent les circonstances atténuantes ou

 11   aggravantes de la responsabilité du supérieur hiérarchique.

 12   La Chambre de première instance a également fait allusion au conformisme

 13   de l'accusé et a également fait remarquer qu'en fait, on ne peut pas

 14   considérer cela comme une circonstance atténuante parce qu'à ce moment-là,

 15   ça les oblige à accorder un poids inférieur à une circonstance qui, sinon,

 16   devrait être qualifiée d'aggravante. La thèse de l'accusation est que cela

 17   a conduit à imposer une peine moins lourde, si on n'avait pas tenu compte

 18   de cet argument.

 19   L'accusation fait également valoir qu'il n'incombe pas à la Chambre de

 20   première instance d'accorder un poids à ces facteurs, compte tenu des

 21   circonstances particulières en l'espèce. L'intimé a volontairement accepté

 22   ce poste, avait conscience des responsabilités qui allaient être les

 23   siennes; il a été informé qu'il y avait des prisonniers, par exemple, et

 24   que ces personnes avaient été détenues du fait qu'elles étaient

 25   musulmanes.


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  1   La Chambre de première instance a rejeté les allégations selon lesquelles

  2   les ordres de travail qui lui ont été communiqués auraient pu être

  3   réfutés, simplement parce que nous avons des preuves qu'il y avait deux

  4   autres personnes qui avaient également reçu cette offre et qui l'avaient

  5   déclinée; il s'agit de Veselin Cancar et d'un autre individu. Tous deux

  6   ont refusé; il n'y a pas eu de punition ni de sanctions ultérieures du

  7   fait que ces personnes ont refusé cette fonction.

  8   En tout état de cause, on peut tenir compte du fait que les fragilités

  9   humaines peuvent se voir accorder un certain facteur lorsqu'il s'agit de

 10   prononcer la sentence. Mais nous pensons, pour notre part, que tel ne peut

 11   pas être le cas lorsqu'il s'agit de commandants qui ont une responsabilité

 12   ultime pour veiller au respect du droit international humanitaire.

 13   Lorsque l'on examine le poste qui était occupé par l'accusé, le fait qu'il

 14   exerçait un pouvoir de contrôle, qu'il avait une responsabilité qui

 15   faisait en sorte qu'il était tenu de veiller au respect des dispositions

 16   du droit international humanitaire, à ce moment-là, en fait, nous ne

 17   pouvons que conclure au fait qu'il n'a pas exercé ces fonctions de

 18   supervision. La Chambre d'appel, dans l'arrêt Celebici, a reconnu de la

 19   même façon que Mucic occupait une fonction plus ou moins similaire, étant

 20   donné qu'il exerçait une responsabilité de supervision mais qu'en fait,

 21   elle n'était pas traduite dans les faits.

 22   La deuxième erreur qui a été commise par la Chambre de première instance

 23   est d'avoir rejeté les répercussions des crimes sur les autres personnes,

 24   hormis la victime, lorsque la Chambre a évalué la gravité du crime. En

 25   fait, la Chambre s'est livrée à un exercice trop restrictif de


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  1   l'interprétation du concept du dommage infligé et de la victime qui l'a

  2   subi.

  3   Nous pensons, pour notre part, qu'en fait, elle aurait dû se fonder sur

  4   différents instruments internationaux. Nous avons fait allusion à

  5   différentes jurisprudences nationales; nous avons également mentionné le

  6   fait que la Cour pénale internationale a également adopté une position

  7   selon laquelle le concept de victime doit aller au-delà de l'individu

  8   particulier mis en cause.

  9   Suite à cela, Monsieur le Président, nous pensons que nous devons adopter

 10   les arguments dans leur totalité, tels qu'ils ont été exposés dans notre

 11   mémoire.

 12   Abstraction faite de cela, j'aimerais signaler qu'il y a également des

 13   cas, notamment dans l'affaire Krstic, au paragraphe 720 ou à Kayishema où,

 14   en fait, il est fait mention de la définition d'une victime, et le fait

 15   que la victime comprend plus que l'individu lui-même. Dans l'arrêt

 16   Celebici, il est également fait mention de la gravité du crime qui est

 17   apprécié en tant que tel lorsque ces crimes ont des répercussions sur les

 18   victimes. L'arrêt Celebici précise que la gravité du crime est déterminée

 19   d'après l'appréciation de la gravité du crime sur les personnes qui ont

 20   subi ces crimes.

 21   Monsieur le Président, notre position, s'agissant de la troisième erreur

 22   commise par la Chambre de première instance, est la suivante. En effet,

 23   elle a conclu à tort, elle a donné à l'accusé un certain crédit, dans la

 24   mesure où le conseil de la défense a adopté un comportement diligent et

 25   coopératif. Nous avons exprimé, nous avons explicité que ceci constitue


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  1   une erreur, et nous avons précisé les raisons qui sous-tendent notre

  2   position. Et nous maintenons ces arguments.

  3   S'agissant de la quatrième zone où il y a eu un problème, en fait, la

  4   Chambre de première instance s'est livrée à des comparaisons avec d'autres

  5   individus qui avaient déjà été condamnés pour des crimes qui avaient été

  6   commis dans des situations plus ou moins analogues, des situations qui

  7   prévalaient dans des camps de détention. Et une fois de plus, nous avons

  8   exposé nos arguments de façon très large et nous maintenons et nous

  9   réitérons ce que nous avons dit.

 10   J'aimerais encore soulever un point supplémentaire qui concerne le domaine

 11   global du prononcé de la peine et qui concerne plus particulièrement les

 12   assassinats ou le meurtre.

 13   En fait, la Chambre de première instance estime qu'il y avait suffisamment

 14   d'informations concernant les assassinats et les meurtres en application

 15   des Chefs 8 et 10 et, par conséquent, nous pensons que la Chambre de

 16   première instance a commis une erreur en rejetant ces Chefs d'accusation

 17   et aurait dû confirmer ces charges et le rendre coupable en conséquence.

 18   Nous pensons qu'une circonstance aggravante doit être prise en

 19   considération par ce Tribunal. Il s'agit plus particulièrement de ce que

 20   l'on a pu apprendre suite à ce qui transparaît dans différentes

 21   jurisprudences.

 22   Aucune violation de l'Article 3 n'a été mise en accusation dans l'Acte

 23   d'accusation qui fasse mention d'un état d'esprit. La Chambre de première

 24   instance accepte par conséquent que, s'agissant de la condamnation de

 25   meurtre en application de l'Article 3 du Statut, l'état d'esprit


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  1   discriminatoire de l'accusé constitue une circonstance aggravante. Nous

  2   pensons qu'en fait il aurait dû être accusé en application de l'Article 3.

  3   Il n'est pas nécessaire d'apporter un élément matériel d'une intention

  4   discriminatoire mais, dans ces circonstances, cela peut constituer une

  5   circonstance aggravante supplémentaire.

  6   Par ailleurs, la Chambre de première instance, compte tenu de la position

  7   de mes collègues au sujet des actes de torture, a estimé que les sévices

  8   pouvaient être qualifiés de "tortures", et, en tant que tel, ceci ne doit

  9   pas avoir d'incidence sur les conclusions de la Chambre de première

 10   instance, à savoir la responsabilité de supérieur hiérarchique en

 11   application de l'Article 7.3.

 12   Voilà, pour l'essentiel, les arguments que je souhaitais soulever. Je

 13   crois qu'il me reste encore deux ou trois minutes, et j'ai cru comprendre

 14   qu'un de mes confrères souhaitait prendre la parole au sujet des arguments

 15   que j'ai évoqués.

 16   M. le Président: Je voulais simplement poser une question avant

 17   d'interrompre. Vous avez surtout développé le thème général d'une peine

 18   revue à la hausse, vous n'avez pas d'autres précisions à apporter à la

 19   Cour sur ce plan-là? Vous n'avez pas de peine précise à proposer? Vous

 20   avez demandé que ce soit revu à la hausse, si j'ai bien compris? C'est

 21   cela?

 22   M. Carmona (interprétation): Tout à fait. La Chambre de première instance

 23   d'ailleurs savait que l'accusé, au moment du procès, avait recommandé une

 24   certaine peine. Mais je me base sur la jurisprudence. Moi, je viens d'un

 25   système où ce sont les Juges qui déterminent la peine.


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  1   M. le Président: C'est toujours les Juges qui déterminent la peine -je me

  2   permets de vous le dire, Maître Carmona-, ce sont toujours les Juges. Mais

  3   il y a des systèmes -même ici d'ailleurs- où parfois l'accusation demande

  4   un minimum de peine. Cela étant, j'ai compris le sens de votre réponse.

  5   Merci.

  6   Maître Staker, vous vouliez apporter des précisions? Qui voulait apporter

  7   des décisions? C'est vous, Maître Staker?

  8   M. Carmona (interprétation): Monsieur le Président et Messieurs les Juges,

  9   en fait, vous m'avez devancé: j'avais pensé à un certain minimum. Je ne

 10   sais pas si vous voulez entendre? L'accusation pense à un nombre d'années.

 11   M. le Président: Oui, allez jusqu'au bout de votre logique.

 12   M. Carmona (interprétation): A la lumière du fait qu'il y a eu Mucic qui,

 13   lui, a écopé de 9 ans, qu'Aleksovski, lui, s'est vu imposer une peine de 7

 14   ans, nous pensions à un minimum de 12 ans.

 15   M. le Président: Parfait.

 16   Maître Staker, vous vouliez ajouter quelque chose?

 17   M. Staker (interprétation): Simplement ceci, Monsieur le Président: en

 18   guise de conclusion, je dirais qu'une question a surgi quant à la portée

 19   dans notre théorie portant sur l'entreprise criminelle commune pour cet

 20   appel. Nous nous basons sur cette entreprise criminelle commune pour la

 21   détention illégale, les conditions de vie inhumaines, les travaux forcés

 22   ainsi que la déportation.

 23   Je vous ai déjà présenté des arguments. Il en découle que, de l'avis de

 24   l'accusation, les assassinats et la torture faisaient également partie de

 25   l'entreprise criminelle commune, mais il n'y avait pas eu de conclusion


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  1   expresse au niveau du Jugement qui aurait dit que l'accusé avait

  2   connaissance de ces assassinats, avait connaissance du but proscrit de la

  3   torture.

  4   C'est la raison pour laquelle l'accusation dans sa lecture de l'Article

  5   7.3 ne se base pas sur la nécessité d'avoir la connaissance et de

  6   diligenter des enquêtes, mais disait "avait des raisons de savoir aux fins

  7   de l'Article 7.3 qu'il avait connaissance de ces faits". Sinon, je me base

  8   sur nos écritures, notamment les paragraphes 10.1 et 10.2: nous y faisons

  9   valoir que, s'il faut revoir la peine à la hausse, cette décision peut

 10   être prise par les Juges d'appel sans qu'il y ait renvoi en première

 11   instance.

 12   Je me fonde pour le reste sur les arguments présentés dans nos écritures.

 13   M. le Président: S'il n'y a pas d'autres questions, nous allons ajourner

 14   jusqu'à 14 heures 30.

 15   (L'audience, suspendue à 13 heures 01, est reprise à 14 heures 30.)

 16   M. le Président: L'audience est reprise. Vous pouvez faire entrer

 17   l'accusé, Madame la Greffière. Merci.

 18   (L'accusé est introduit dans le prétoire.)

 19   L'audience est reprise.

 20   Les interprètes sont là, m'entendent?

 21   L'interprète: Oui, Monsieur le Président.

 22   M. le Président: Bien. Alors, après avoir entendu les conclusions du

 23   Procureur, nous allons entendre maintenant la réponse de la défense. Vous

 24   avez deux heures. Nous ferons une pause à peu près au bout d'une heure et

 25   demie.


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   1   Qui intervient? Maître Bakrac, peut-être?

  2   M. Bakrac (interprétation): Oui, Monsieur le Président.

  3   M. le Président: On dit "Bakrac"?

  4   M. Bakrac (interprétation): Oui.

  5   M. le Président: Merci. Eh bien, on vous écoute.

  6   M. Bakrac (interprétation): Merci, Monsieur le Président. En français, on

  7   dit sans doute "Bakrak" mais dans ma langue, c'est Bakrac.

  8   M. le Président: Je vais essayer de m'adapter à votre langue. Bakrac,

  9   voilà. Allez-y.

 10   (Réplique de la Défense concernant les motifs d'appel du Procureur, par Me

 11   Bakrac.)

 12   M. Bakrac (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

 13   Monsieur le Président, chers collègues de l'accusation, je vais dès à

 14   présent m'efforcer d'apporter une réponse aux divers motifs d'appel et à

 15   l'ensemble du mémoire en appel de l'accusation, ainsi qu'aux arguments

 16   développés par l'accusation verbalement ici même ce matin. Bien entendu,

 17   ce que je veux dire par là, c'est que je vais m'efforcer d'apporter une

 18   réponse spécifique à chacun des motifs invoqués.

 19   Le premier motif invoqué par l'accusation dans ses écritures ainsi que

 20   dans ses arguments exposés oralement ce matin dans cette salle implique,

 21   de la part de la défense, l'idée que les arguments du Procureur ne

 22   correspondent pas à la nature réelle de la situation. C'est la raison pour

 23   laquelle la défense demande que l'ensemble du mémoire en appel soit rejeté

 24   car non fondé.

 25   Dans son exposé relatif à l'entreprise criminelle commune, l'accusation a


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  1   commencé par comparer le Jugement de la Chambre de première instance et

  2   l'arrêt de la Chambre d'appel dans l'affaire Tadic. La défense, avec le

  3   respect qu'elle doit au Tribunal, estime qu'il n'y a véritablement aucune

  4   différence de fond entre les conclusions de la Chambre de première

  5   instance et la teneur de l'arrêt Tadic.

  6   La question qui se pose, en effet, consiste à se demander si le Jugement

  7   de la Chambre de première instance reconnaît bien trois catégories

  8   s'agissant de l'entreprise criminelle commune; indépendamment du fait que

  9   les deux premières catégories entrent dans une catégorie fondamentale,

 10   alors que la troisième est qualifiée d'"élargie".

 11   Nous estimons que cette répartition en catégories, qu'il y en ait trois ou

 12   qu'il y en ait deux -s'il y en a trois, je rappelle donc que les deux

 13   premières sont considérées comme des aspects fondamentaux de l'entreprise

 14   criminelle commune et que la troisième est considérée comme une catégorie

 15   élargie-, la défense estime que ceci ne s'écarte pas de la jurisprudence

 16   du Tribunal fondée sur l'arrêt Tadic.

 17   S'agissant de confirmer la responsabilité et la participation à une

 18   entreprise criminelle commune, la défense estime qu'effectivement, l'actus

 19   reus et le mens rea sont des questions qui se posent. Autrement dit, deux

 20   aspects de la question pour lesquels il appartient à l'accusation

 21   d'apporter la preuve de leur existence.

 22   S'agissant des éléments objectifs d'actus reus et des divers aspects de la

 23   mens rea, qui appartiennent à deux catégories différentes de ces

 24   catégories de l'entreprise criminelle commune, la défense estime que le

 25   Jugement de la Chambre de première instance ne s'est pas écarté des


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  1   aspects normalement appliqués pour établir ces faits.

  2   Il est incontestable que dans l'arrêt Tadic également, auquel l'accusation

  3   a fait référence, il est clair que l'existence d'une intention,

  4   l'existence d'une conscience de l'acte est nécessaire pour établir

  5   l'existence d'une entreprise criminelle commune.

  6   Nous pensons donc que les conclusions de la Chambre de première instance

  7   correspondent tout à fait à ce qui a été établi dans l'arrêt en appel de

  8   l'affaire Tadic.

  9   La question qui se pose est une question d'interprétation. Comment sont

 10   interprétés les éléments subjectifs relatifs, donc "à l'intention"? Et de

 11   ce point de vue, nous estimons que les positions de l'accusation sont

 12   inacceptables car le mot "intention" est interprété de façon trop large,

 13   et dès lors que nous entrons dans un domaine dont la défense estime qu'il

 14   n'a rien à voir avec ce qu'il est demandé d'établir pour démontrer

 15   l'existence d'une entreprise criminelle commune.

 16   Il apparaît clairement à la défense que la Chambre de première instance

 17   établit trois catégories d'association criminelle et que, ce faisant, elle

 18   ne s'écarte pas non plus des conclusions de l'arrêt Tadic s'agissant de

 19   cet élément subjectif dont la défense souhaite débattre ici.

 20   S'agissant de la première catégorie d'association criminelle, il est

 21   nécessaire qu'existe une intention de commettre un crime et il faut qu'il

 22   y ait communauté de dessein de la part de tous les co-participants ou co-

 23   auteurs -quel que soit le mot qu'on utilise-; ce qui importe, c'est

 24   l'existence d'une intention de commettre le crime.

 25   S'agissant de la deuxième catégorie, au-delà de la connaissance d'un


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  1   système permettant de connaître un crime et en dehors du fait qu'il faut

  2   qu'il y ait une intention…

  3   Je vous prie de m'excuser, je viens d'entendre les interprètes me demander

  4   de ralentir.

  5   S'agissant donc de la troisième catégorie, la condition c'est qu'il y ait

  6   volonté de participer à une activité criminelle commune...

  7   M. le Président: Quelle est la deuxième catégorie? Vous étiez à la

  8   deuxième catégorie. Excusez-moi, il me semblait que vous étiez passé à la

  9   deuxième catégorie. Il me semble, oui. Je ne sais pas s'il y a eu la

 10   traduction?

 11   Vous pouvez reprendre la deuxième catégorie, s'il vous plaît? Merci.

 12   M. Bakrac (interprétation): Oui, en effet. Merci, Monsieur le Président.

 13   Je vais essayer de ne pas créer de confusion; je pensais que ce que

 14   j'avais dit au sujet de la deuxième catégorie avait été interprété.

 15   S'agissant de la deuxième catégorie, la condition c'est qu'au-delà de la

 16   connaissance de l'existence d'un système malfaisant et de l'intention de

 17   réaliser, de créer et d'exécuter ce système, donc le deuxième élément,

 18   c'est qu'il faut qu'il y ait volonté d'appliquer ce système.

 19   Quant à la troisième catégorie, il faut qu'existe une intention

 20   malfaisante de la part d'un groupe et également une préparation; et il

 21   faut participation à cette activité criminelle commune à l'ensemble du

 22   groupe. Mais la responsabilité du crime qui n'a pas donné lieu à un accord

 23   dans le cadre d'un plan commun… Lorsque toutes les circonstances réelles

 24   sont prises en compte, le crime peut être exécuté par un individu ou par

 25   un ensemble d'individus appartenant au groupe, mais la condition à remplir


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  1   c'est que les conséquences de cette activité criminelle soient

  2   prévisibles.

  3   Dans le Jugement de la Chambre de première instance, il apparaît

  4   clairement qu'on ne s'écarte pas de ce que le Procureur doit prouver pour

  5   qu'un accusé puisse être déclaré coupable d'appartenance à une association

  6   criminelle commune, à savoir qu'il y ait intention de sa part de commettre

  7   le crime en question.

  8   Dès lors que nous parlons d'"intention", il est possible que nous soyons

  9   confrontés au problème de l'interprétation du mot et du concept

 10   d'intention. La défense, de ce point de vue, voudrait s'efforcer de tirer

 11   au clair ce qui, du point de vue de la défense, est le sens du mot

 12   "intention" par rapport à la commission d'un tel acte. La participation de

 13   la personne est indispensable et l'aspect subjectif de cette intention est

 14   indispensable de façon à déterminer la gravité de l'acte commis.

 15   S'agissant d'intention, nous estimons qu'il est indispensable de démontrer

 16   qu'il existe la volonté que le crime ou les crimes couverts par les termes

 17   "entreprise criminelle commune" soient admis comme étant ceux de la

 18   personne concernée. Lorsqu'on parle de l'arrêt Tadic, la Chambre d'appel

 19   s'est référée au camp de concentration d'Auschwitz où l'intention était

 20   prouvée, c'est-à-dire la volonté des co-participants de commettre l'acte

 21   en question, et où il a été souligné que s'il était impossible de prouver

 22   que l'accusé s'était identifié réellement aux buts du système et du régime

 23   nazi, les Juges l'ont considéré comme un co-auteur ou un co-participant

 24   car il n'avait pas une intention spécifique de faire de l'acte criminel

 25   son acte à lui.


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  1   La défense, s'agissant des positions et de la thèse de l'accusation,

  2   affirme qu'il existe une différence fondamentale entre l'intention de

  3   participer à un groupe criminel commun et l'acceptation des actes qui sont

  4   la conséquence de l'existence de cette entreprise criminelle commune.

  5   C'est là donc que se situe la différence fondamentale entre la

  6   participation à un groupe commun et le fait d'avoir aidé ou soutenu qui

  7   constitue une forme de responsabilité au titre de l'Article 7.1 du Statut.

  8   Donc, pour démontrer qu'un accusé a participé à la deuxième catégorie qui

  9   qualifie l'entreprise criminelle commune, il est indispensable de prouver

 10   que les actes commis sont des actes qui sont acceptés par l'accusé, des

 11   actes que l'accusé souhaite faire siens.

 12   Le Procureur n'est pas parvenu à apporter la preuve de cela dans son

 13   exposé, il n'a présenté aucune preuve pertinente à cet égard. C'est la

 14   raison pour laquelle nous estimons que le fait de dire que la Chambre de

 15   première instance a fait erreur est inacceptable.

 16   Nous estimons qu'il y a également, sur le plan des éléments objectifs,

 17   absence de cohérence de la part du Procureur. Lorsque le Procureur parle

 18   des conditions qu'il est indispensable de voir remplies pour qu'un accusé

 19   puisse être accusé sur la base de participation à une entreprise

 20   criminelle commune, le Procureur doit également prouver qu'il s'agit d'un

 21   acte d'une importance grande dans le plan élaboré par l'entreprise

 22   criminelle commune parce qu'un co-auteur est quelqu'un qui participe tout

 23   de même à la commission de l'acte. Mais il faut qu'il y ait lien avec les

 24   actes des autres membres de cette entreprise commune, un lien qui réside

 25   dans un complément d'action.


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  1   Nous estimons également, en nous fondant sur l'arrêt Celebici, qu'il

  2   importe également de prouver qu'il n'y a pas seulement participation

  3   consciente à un système général, mais qu'il faut apporter des preuves

  4   allant au-delà de cela. Nous estimons, de ce point de vue, que le

  5   Procureur devait apporter des preuves complémentaires. Il faut qu'il y ait

  6   preuve de participation fondamentale à l'acte en question, de notre point

  7   de vue.

  8   M. le Président: Le Juge Güney veut poser une question.

  9   M. Güney: Maître Bakrac, j'essaie de vous suivre de très près; et vous

 10   avez parlé de trois catégories dans le cadre de l'entreprise criminelle

 11   commune. La première est l'intention de commettre le crime et la

 12   communauté de desseins. Comme deuxième, vous avez dit: la volonté

 13   d'appliquer ou de suivre cette intention.

 14   Mais je n'ai pas bien saisi quelle était la troisième. Vous avez parlé des

 15   conséquences de crimes qui doivent être prévisibles et de choses

 16   pareilles, mais je n'ai pas saisi exactement quelle était la troisième

 17   catégorie que vous vouliez soumettre à l'intention de la Chambre d'appel.

 18   M. Bakrac (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la

 19   troisième catégorie de la participation à l'entreprise criminelle commune

 20   est la conscience commune et la volonté commune de commettre le crime.

 21   Mais le crime en question est une conséquence logique et prévisible du

 22   système dans lequel on se trouve. C'est pour cette raison que nous

 23   estimons justifié de distinguer cette troisième catégorie par rapport aux

 24   deux autres en parlant de "catégorie élargie", alors que les deux

 25   premières sont, pour l'essentiel, identiques, mais leur objet est


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  1   différent. La deuxième, notamment, s'intéresse aux problèmes qui

  2   surviennent dans les camps de concentration, donc dans le cadre d'un

  3   système particulier.

  4   Dans la troisième catégorie, la conséquence de l'exécution de cette

  5   entreprise criminelle commune est prévisible, et c'est l'aspect… le

  6   deuxième aspect, alors que le premier, c'est le crime en tant que tel.

  7   Donc, sur la base des arguments présentés par elle, la défense estime que

  8   cette deuxième catégorie de participation à l'entreprise criminelle

  9   commune ne s'applique pas en l'espèce, ne s'applique pas à l'affaire qui

 10   intéresse cette Chambre d'appel, et qu'il en est notamment ainsi car le

 11   Procureur n'a pas proposé dans son exposé d'arguments susceptibles, au-

 12   delà de tout doute raisonnable, d'aboutir à la conclusion que l'accusé

 13   partageait effectivement l'intention dont il est question, c'est-à-dire

 14   qu'il a été un intervenant important au fonctionnement du KP Dom.

 15   La défense estime qu'il est indispensable de prouver, au-delà de tout

 16   doute raisonnable, le fait qui est le suivant, à savoir que les actes

 17   commis dans le cadre de cette entreprise criminelle commune étaient des

 18   actes auxquels l'accusé s'identifiait, qu'il prenait à son compte.

 19   Selon le premier motif d'appel du Procureur, il est question d'une

 20   prétendue erreur de la Chambre de première instance sur la question de la

 21   nécessité d'un accord. Et le Procureur a interprété oralement la

 22   situation, en disant que l'accusation avait pour devoir de prouver dans

 23   toutes les affaires que chacun des accusés, en même temps que l'auteur

 24   principal du crime ou en même temps que les co-auteurs, partageait cette

 25   intention, cette conscience du crime qui allait être commis.


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  1   La défense estime que les dispositions de l'arrêt Tadic auxquelles le

  2   Procureur fait référence font apparaître clairement que les trois

  3   catégories de l'entreprise criminelle commune existent, et que l'une des

  4   conditions pour prouver la responsabilité d'un accusé dans le cadre de

  5   cette entreprise criminelle commune consiste à être un auteur principal ou

  6   un co-auteur.

  7   La simple intention de participer, lorsqu'elle existe, indique bien que

  8   l'ensemble des membres de l'entreprise criminelle commune partage le même

  9   dessein. Mais le Procureur a donné un exemple dans ses écritures, et cet

 10   exemple intervertit l'ordre des facteurs. En effet, le Procureur déclare

 11   que les personnes qui ont commis le crime, qui ont planifié le crime,

 12   lorsqu'il s'agit d'un crime planifié et prévu à l'avance, sont des auteurs

 13   indirects; ce qui crée une confusion juridique et permet une

 14   interprétation erronée du terme "auteur principal".

 15   Nous disons donc que l'existence de cette intention commune, de ce dessein

 16   commun -pour qu'il y ait entreprise criminelle commune- est une réalité,

 17   mais que l'ordre des facteurs est interverti par le Procureur puisque,

 18   lorsque l'auteur principal n'est pas conscient de l'existence du dessein,

 19   il a une responsabilité inférieure.

 20   Or en l'espèce, on intervertit les facteurs puisqu'on ne parle pas ici de

 21   co-auteur, puisque les auteurs en question sont simplement des outils

 22   entre les mains de celui qui a ordonné le crime et ils ont simplement

 23   commis un acte qui ne les exonère pas de leur responsabilité mais n'est

 24   pas la même que celui de la personne qui a planifié le crime.

 25   Du point de vue du droit pénal, on admet donc que le point de départ


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  1   consiste à établir la responsabilité criminelle d'une ou plusieurs

  2   personnes, et nous estimons donc que l'exemple cité par le Procureur n'est

  3   pas un bon exemple.

  4   La défense -dans sa réponse au mémoire du Procureur- a cité un exemple

  5   susceptible de démontrer à quel point cette thèse de l'accusation est

  6   inacceptable et inapplicable, infondée. Si un enfant, qui n'a pas encore

  7   14 ans, recevait de son père l'instruction de commettre un acte criminel,

  8   alors qu'il n'est pas conscient qu'il s'agit d'un acte criminel, cela

  9   signifierait que -dans la logique du Procureur- celui qui a donné

 10   l'instruction, c'est-à-dire le père ou un quelconque autre adulte n'est

 11   pas responsable, car le degré de conscience de l'enfant et de l'adulte

 12   n'est pas égal. Nous estimons que cette position est inacceptable et

 13   qu'elle ne peut pas servir d'argument pour déclarer que le Jugement de la

 14   Chambre de première instance dans la présente affaire est erroné.

 15   Compte tenu de tout ce qui vient d'être dit, nous estimons que le Jugement

 16   de la Chambre de première instance ne comporte pas d'erreur du point de

 17   vue de la conclusion selon laquelle l'accusé ne peut pas être tenu

 18   responsable au titre de l'Article 7.1, en tant que participant à une

 19   entreprise criminelle commune, pas plus d'ailleurs qu'en vertu de la

 20   deuxième catégorie.

 21   S'agissant de cette prétendue erreur de la Chambre de première instance,

 22   nous estimons que l'accusation, en déclarant que l'intention et le motif

 23   ont été mis sur pied d'égalité, fait également erreur. Bien sûr, le motif

 24   n'est pas au même niveau que l'intention, mais il est tout de même

 25   important pour déterminer le but poursuivi par l'auteur. Le motif n'est


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  1   pas un élément constitutif du crime, mais en tout état de cause le motif

  2   est bien la voie qui permet de déterminer avec précision la véritable

  3   intention de l'auteur d'un crime.

  4   Nous estimons que l'exemple donné par l'accusation à cet égard, lorsqu'ils

  5   déclarent que la Chambre de première instance est partie du motif et que

  6   le motif recouvre l'aspect fondamental du crime, nous estimons que ceci

  7   est également inacceptable. Et nous pensons que la position du Procureur

  8   s'agissant de la participation à l'entreprise criminelle commune fondée

  9   sur cet argument est inacceptable et doit donc être rejetée.

 10   Si vous n'avez pas de question, je peux poursuivre et passer au deuxième

 11   motif d'appel.

 12   M. Shahabuddeen (interprétation): Monsieur Bakrac, je vous suis redevable

 13   de cette excellente argumentation que vous nous avez présentée. Mais je

 14   vous demande toutefois de nous dire si vous pouvez nous aider sur le point

 15   suivant: une distinction est établie entre la simple connaissance d'une

 16   intention de commettre un crime et le fait de partager cette intention.

 17   Nous parlons ici du KP Dom et d'un homme qui était le directeur de ce KP

 18   Dom. Nous partons du principe que cet homme connaissait l'existence d'une

 19   intention de commettre un crime. Je pense que votre position consiste à

 20   dire que cet homme ne partageait pas l'intention de commettre le crime en

 21   question.

 22   Estimez-vous que, dans les conditions en vigueur au KP Dom, il y aurait

 23   une quelconque difficulté à dire que le directeur connaissait l'intention

 24   de ses subordonnés de commettre un crime sur la personne des détenus du KP

 25   Dom, mais qu'il ne partageait pas leur intention? Est-ce que vous voyez


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  1   une difficulté à dire cela?

  2   M. Bakrac (interprétation): Monsieur le Juge, la défense estime que le

  3   Procureur n'a pas prouvé, au-delà du doute raisonnable, le fait que

  4   l'accusé avait pleinement conscience des intentions réelles des auteurs du

  5   crime. C'est la raison pour laquelle nous estimons qu'il ne pouvait pas,

  6   de fait, partager leur intention et en faire une intention commune.

  7   Du reste, la Chambre d'appel a à traiter des questions, des points ou des

  8   chefs de l'Acte d'accusation pour établir les modalités de la connaissance

  9   qu'avait l'accusé des circonstances objectives par rapport à ce qui avait

 10   été ses actes et ses omissions. Par conséquent, nous estimons qu'il n'a

 11   pas été déterminé, au delà de tout doute raisonnable, le fait que l'accusé

 12   savait -mis à part le contexte du conflit- quelle était l'intention de

 13   l'auteur principal. Il est clair que, dans des conditions analogues,

 14   l'accusé avait des connaissances afférentes au conflit, mais -hors du

 15   contexte du conflit qui existait dans la région- nous nous estimons qu'il

 16   n'a pas été déterminé, au-delà de tout doute raisonnable, quelles avaient

 17   été les intentions des auteurs principaux.

 18   Donc nous estimons que, mis à part cette participation à l'entreprise

 19   criminelle commune, en sus de la conscience, du moins c'est l'opinion de

 20   la défense que de dire que l'accusé devait partager cette intention, être

 21   d'accord avec ces intentions et avec ces faits pour en faire des

 22   intentions qui seraient les siennes.

 23   M. Shahabuddeen (interprétation): Voyons si j'ai bien compris ce que vous

 24   venez d'exposer. Maintenant, je comprends votre situation de la façon

 25   suivante. Parlons, si vous le voulez bien, de la défense. La défense donc


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  1   conteste aussi bien la connaissance que le partage de l'intention, c'est

  2   bien cela?

  3   M. Bakrac (interprétation): Oui Monsieur le Juge.

  4   M. Shahabuddeen (interprétation): Je vous remercie.

  5   M. Bakrac (interprétation): Puis-je continuer?

  6   M. le Président: Oui.

  7   M. Bakrac (interprétation): Je vous remercie.

  8   Messieurs les Juges, s'agissant du deuxième motif d'appel du Procureur, la

  9   défense se propose de parler de ce deuxième motif, indépendamment du fait

 10   d'avoir vu le Procureur nous avoir fait savoir clairement qu'il exigeait

 11   la suppression ou la révision du Jugement de la Chambre de première

 12   instance.

 13   Nous estimons que la Chambre de première instance a, à très juste titre,

 14   décidé lorsqu'elle a pris une décision disant que l'Acte d'accusation a

 15   déterminé que l'accusé était intervenu de concert avec d'autres, pour ce

 16   qui est des tortures, des persécutions et de la réduction en esclavage.

 17   Alors, l'accusation a identifié cette deuxième catégorie dont nous avons

 18   parlé; mais, dans ses actes, elle n'a pas défini le fait de prendre appui

 19   sur une troisième catégorie de participation à l'entreprise criminelle

 20   commune.

 21   Aussi, estimons-nous que la Chambre de première instance a décidé, à très

 22   juste titre, que l'on commettrait une injustice si on laissait le

 23   Procureur prendra appui sur une forme élargie de l'entreprise criminelle

 24   commune qui n'est pas mentionnée à l'Acte d'accusation mais que l'on a

 25   laissé entendre dans le mémoire préalable du Procureur.


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  1   Maintenant, pour ce qui est de la position prise par l'accusation, nous

  2   estimons que cette position est erronée. Nous estimons que l'accusation

  3   devrait bénéficier d'un certain degré de souplesse pour ce qui est de la

  4   formulation des Actes d'accusation, mais cela est tout à fait contraire au

  5   plaidoyer du Procureur, au plaidoyer initial pour ce qui est d'avoir un

  6   corps rationnel sur le plan du droit, pour ce qui est des actes à

  7   présenter dans la procédure devant ce Tribunal.

  8   En effet, le Procureur, dans son appel, reconnaît que la pratique

  9   habituelle impose de faire savoir à l'accusé de façon tout à fait claire

 10   quelle est la nature et quelles sont les motivations qui ont animé la

 11   rédaction d'un Acte d'accusation à son encontre.

 12   Donc il est tout à fait clair que l'obligation du Procureur consistait à

 13   faire en sorte que, dans l'Acte d'accusation, il soit précisé avec

 14   exactitude, sans ambiguïté aucune, que l'on se référait à une troisième

 15   forme d'entreprise criminelle commune, chose que le Procureur n'a pas

 16   faite.

 17   Cette position indique donc qu'il n'a pas été porté à la connaissance de

 18   l'accusé quels sont les fondements qui lui sont reprochés pour ce qui est

 19   de la réalisation d'une entreprise criminelle commune. Le fait d'accuser

 20   quelqu'un partant d'une responsabilité élargie pour ce qui est de la

 21   participation à une entreprise criminelle commune, implique la nécessité

 22   pour l'accusé de savoir quels sont les crimes qui ne font pas partie de ce

 23   plan concerté et qui sont la conséquence prévisible de ce qui est réalisé

 24   pour harmoniser ces méthodes de défense avec les moyens utilisés dans

 25   l'Acte d'accusation.


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  1   Il est clair que cette forme élargie de responsabilité à l'égard de

  2   l'entreprise criminelle commune devrait faire en sorte que l'accusé sache

  3   d'avance quelle est la nature des actes qui lui sont reprochés.

  4   Ce sont précisément les raisons pour ce qui est de la terminologie et de

  5   la logique qui doivent sous-entendre ce qui doit constituer l'Acte

  6   d'accusation rédigé à son encontre. La défense estime que cette forme

  7   élargie de responsabilité à l'égard de l'entreprise criminelle commune

  8   devait être clairement indiquée parce que cela constituait la nature, la

  9   forme et les motivations de ce qui était porté à l'encontre d'une personne

 10   qui est, en l'occurrence, l'accusé.

 11   L'Acte d'accusation -nous le soulignons également- a, à deux reprises, été

 12   renvoyé à des rédactions complémentaires. Et à l'occasion d'une décision

 13   prise à l'occasion d'une troisième objection formulée par la défense, la

 14   Chambre de première instance a fait savoir qu'en dépit du fait que l'Acte

 15   d'accusation n'avait pas été précisé à titre définitif, cela allait avoir

 16   des conséquences pour ce qui est de la décision finale de cette Chambre.

 17   Aussi estimons-nous inacceptable la position du Procureur disant que la

 18   défense a omis de réagir en temps utile, pour ce qui est de l'absence de

 19   cette forme-là de rédaction de l'Acte d'accusation.

 20   La défense se référerait à une logique qui dirait ce qui suit: s'il y a eu

 21   omission de la part du Procureur de faire figurer à l'Acte d'accusation à

 22   quelle forme exactement d'entreprise criminelle commune elle se référait

 23   et que, par la suite, cela débouche sur le fait d'avoir, dans un jugement…

 24   de porter à la connaissance de l'accusé qu'il ne pourrait être porté

 25   coupable sur un élément qui n'est pas contenu dans l'Acte d'accusation.


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  1   Nous estimons donc que la défense avait pour obligation d'attirer en temps

  2   utile l'attention du Procureur sur l'omission faite. Or la défense n'a pas

  3   pour rôle d'aggraver la position de l'accusé. Aussi estimons-nous que

  4   cette position prise par le Bureau du Procureur est tout à fait

  5   inacceptable. Nous estimons donc qu'il fallait clairement porter à la

  6   connaissance de quelle forme d'entreprise criminelle commune il

  7   s'agissait, ou de ce qui était porté à la charge de l'accusé. Dans l'Acte

  8   d'accusation, on doit indiquer la nature et les motifs des éléments à

  9   charge, et cela doit laisser entendre à l'accusé la possibilité de se

 10   préparer de façon appropriée pour sa défense.

 11   Je me propose de terminer par dire ce que j'avais à dire concernant le

 12   deuxième volet des motifs d'appel, le deuxième moyen du motif d'appel.

 13   Donc pour ce qui est du troisième motif d'appel du Procureur, pour ce qui

 14   est donc des erreurs de la Chambre de première instance pour ce qui est

 15   des chefs de mauvais traitements afférents aux mauvais traitements, la

 16   défense souhaite dire que l'accusé n'avait pas de position de supérieur,

 17   ou plutôt de responsable, à l'égard des gardes qui assuraient la garde des

 18   détenus non serbes, et qu'il n'exerçait pas de contrôle à l'égard de leurs

 19   actes et n'était pas en mesure de punir.

 20   La défense estime que si l'accusé avait exercé ce type de contrôle à

 21   l'égard des gardes et des détenus non serbes pour ce qui est des crimes

 22   commis, nous estimons que, partant des faits établis par la Chambre de

 23   première instance, il ne saurait être conclu, au-delà de tout doute

 24   raisonnable, que l'accusé devrait être jugé coupable en vertu des Articles

 25   3 et 7 du Statut et des Articles 2 et 4. Aussi estimons-nous que les


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  1   propos du Procureur sont erronés et que les constatations de la Chambre de

  2   première instance sont tout à fait justifiées.

  3   La défense a également souligné quelles sont les déficiences, les carences

  4   légales pour ce qui est des arguments présentés à la Chambre de première

  5   instance, pour ce qui est de la connaissance qu'avait l'accusé des

  6   passages à tabac au sein du KP Dom.

  7   On a avancé trois exemples de passage à tabac qui ont été constatés par la

  8   Chambre de première instance et qui, en vertu des positions du Procureur,

  9   devraient servir de preuves suffisantes illustrant pour l'accusé le fait

 10   qu'il avait connaissance d'actes perpétrés au sein du KP Dom qui

 11   constituent un crime de mauvais traitements. Nous parlons ici d'exemples

 12   qui ont été jugés par la Chambre de première instance comme étant

 13   déterminés. Et le Procureur se réfère précisément à ces trois exemples

 14   lorsqu'ils affirment que l'accusé avait une responsabilité qui ne fait pas

 15   l'ombre d'un doute raisonnable, pour ce qui est de sa connaissance des

 16   mauvais traitements exercés ou commis au sein du KP Dom.

 17   Pour ce qui est de ce premier exemple au sujet de ces allégations -il

 18   parle des conséquences de ces passages à tabac sur la condition physique

 19   des détenus-, la défense estime que le Procureur ne saurait se fonder sur

 20   ce type de motif parce qu'il a été déterminé, au-delà de tout doute

 21   raisonnable, que les Musulmans détenus au KP Dom pendant toute la période

 22   où l'accusé avait occupé les fonctions qui avaient été les siennes étaient

 23   des Musulmans que l'on faisait venir avec des traces de passage à tabac ou

 24   de participation au combat, donc ils portaient sur leur corps des traces

 25   physiquement visibles des traitements qu'ils avaient subi.


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  1   Le fait d'avoir été tabassés ou passés à tabac ne laissait pas à l'accusé

  2   la possibilité de savoir si ces passages à tabac étaient effectués au KP

  3   Dom; et nous avons estimé que l'accusé ne pouvait pas être jugé pour

  4   passages à tabac. Et nous estimons que cela pourrait encore moins servir

  5   de motif au Procureur pour affirmer que l'accusé devait et pouvait être au

  6   courant de ce délit pénal de mauvais traitements infligés aux détenus.

  7   Il est des éléments de preuve disant que des non Serbes ont été amenés au

  8   KP Dom avec des blessures physiques qui étaient visibles dès leur arrivée.

  9   Cet élément de preuve ne saurait alarmer l'accusé dans la mesure qui est

 10   exigée par la réglementation de ce Tribunal.

 11   Il est un exemple autre qui est afférent au témoin RJ, qui a été mentionné

 12   par le Procureur ce matin dans son exposé des arguments devant la Chambre.

 13   Il est précisé que l'accusé aurait été informé des passages à tabac de non

 14   Serbes, et on disait que l'on pouvait entendre les cris, les gémissements

 15   en provenance du bâtiment administratif. Si l'on ne tient compte que de

 16   cette partie-là des dires du témoin RJ, la défense est d'avis que ce même

 17   témoin a affirmé que l'accusé, lui, avait affirmé ne pas être compétent en

 18   la matière mais qu'il allait se renseigner.

 19   La défense estime qu'il serait logique de dire que ce que le témoin a dit

 20   à l'accusé n'était pas nécessairement vrai, et l'accusé n'avait pas pour

 21   obligation d'accepter, au-delà de tout doute raisonnable, cette

 22   information sans réserve. La défense estime donc qu'il n'avait pas

 23   l'obligation de vérifier ce type d'information. Et nous estimons que

 24   l'utilisation de cet exemple ne confirme pas, au-delà de tout doute

 25   raisonnable, le fait qu'il s'agissait là d'une information alarmante qui


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  1   devait nécessairement impliquer la prise de mesure au niveau de la

  2   conduite d'une enquête.

  3   Pour ce qui est de l'exemple d'Ekrem Zekovic, nous estimons que la

  4   constatation de la Chambre de première instance n'est pas propre à être

  5   considérée comme fondement ou comme justification pour estimer que

  6   l'accusé disposait d'informations suffisantes lui permettant de savoir

  7   qu'au KP Dom il était procédé à des passages à tabac. La défense voudrait

  8   également souligner que l'incident du passage à tabac d'Ekrem Zekovic et

  9   l'incident que l'on a constaté être survenu le 8 ou le 9 juillet 1993

 10   -date à laquelle l'accusé n'était plus directeur de cette prison, étant

 11   donné que la décision du ministre de la Justice avait mis un terme à ses

 12   fonctions à compter du 1er juillet 1993, mais cela fera encore l'objet

 13   d'une argumentation présentée par la défense dans son appel-, ce que nous

 14   estimons nécessaire de souligner à présent, c'est la chose suivante:

 15   quelques jours avant de voir l'accusé quitter le KP Dom, on voudrait

 16   laisser entendre que l'accusé avait, à titre rétroactif, l'obligation de

 17   conduire des enquêtes concernant des délits perpétrés. Une information

 18   isolée de ce type est donc une information qui lui est communiquée vers la

 19   fin de son séjour au KP Dom. Cela n'était pas forcément de nature à

 20   l'inciter à conduire des enquêtes sur ce qui s'est passé ultérieurement.

 21   Aussi estimons-nous qu'une telle argumentation avancée par le Bureau du

 22   Procureur ne saurait en aucun cas être admise. Cette information isolée ne

 23   saurait donc être admise à titre rétroactif et être mise à charge de

 24   l'accusé disant que, parce qu'il savait que Zekovic avait été passé à

 25   tabac le 8 ou le 9 juillet dans une intention répréhensible, cela ne


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  1   saurait être de nature à l'alarmer ou à le rendre responsable de tout ce

  2   qui a été commis comme délits auparavant dans ce KP Dom.

  3   En sus, nous estimons que l'incident survenu ne pouvait pas a priori

  4   laisser entendre à l'accusé qu'il s'agissait de passages à tabac pour des

  5   raisons répréhensibles, pour punir des fugitifs. Il s'agissait d'Ekrem

  6   Zekovic, un fugitif qui a été battu, passé à tabac par un garde, Burilo.

  7   Le Procureur n'a par conséquent pas démontré, au-delà de tout doute

  8   raisonnable, que quand bien même l'accusé aurait conduit une enquête, il

  9   lui aurait été donné de savoir que ce passage à tabac avait pour objectif

 10   un dessein répréhensible.

 11   Ce que la défense voudrait souligner ici, c'est que le Bureau du Procureur

 12   procède de façon élargie à une interprétation des normes adoptées du point

 13   de vue de la détermination de la responsabilité de l'accusé. Nous estimons

 14   que, compte tenu du fait que l'accusé avait éventuellement des

 15   connaissances, la connaissance de passages à tabac, le Bureau du Procureur

 16   ne saurait a priori conclure qu'au cas où il aurait fait une enquête, il

 17   lui aurait été possible de constater ou de déterminer que ces passages à

 18   tabac avaient des desseins répréhensibles. Ce sont là des suppositions,

 19   des hypothèses dont le Bureau du Procureur n'a pas souhaité s'occuper, et

 20   nous estimons que ce motif d'appel du Bureau du Procureur doit tout aussi

 21   bien rejeté comme les motifs précédents.

 22   M. le Président: Monsieur le Juge Güney va intervenir.

 23   M. Güney: Maître Bakrac, dans le cadre des motif 3 et 4, vous avez dit que

 24   l'accusé ne détenait pas de pouvoir sur les gardiens, ne détenait pas de

 25   pouvoir au-delà de… pour prévenir les actes qui étaient les actes


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  1   criminels qui ont été commis. Donc ses pouvoirs, ainsi que ses

  2   prérogatives, étaient très limités.

  3   Est-ce que vous pouvez aborder les pouvoirs et les prérogatives de

  4   l'accusé en tant que directeur de KP Dom, du côté positif? Quels étaient

  5   exactement, selon la défense, les pouvoirs et les prérogatives de l'accusé

  6   en tant que directeur de KPD, du KP Dom? Vous pouvez énumérer sommairement

  7   quels étaient les pouvoirs qu'il détenait en tant que directeur.

  8   M. Bakrac (interprétation): Messieurs les Juges, avec votre permission, je

  9   me proposerai d'essayer d'apporter une réponse à cette question, quoique

 10   la défense ait déjà traité de cette question-là dans son premier motif

 11   d'appel, dans son appel à elle.

 12   Il est des déclarations de témoins, tant du Bureau du Procureur que du

 13   conseil de la défense, ainsi que des éléments de preuves matériels qui

 14   indiquent qu'une partie du KP Dom avait été louée aux militaires, aux

 15   autorités militaire et où, pour les besoins de la détention de Musulmans à

 16   savoir de civils non serbes, cela a été fait. Il y a des éléments de

 17   preuve matériels que la défense a essayé de présenter à la Chambre de

 18   première instance pour indiquer que l'accusé n'avait exercé aucune

 19   attribution sur cette partie-là du KP Dom.

 20   Il y a peut-être eu un malentendu, du point de vue de dire que la défense

 21   n'a pas plaidé, n'a pas affirmé qu'il y avait un partage clair, un partage

 22   physique clair et net. Mais ce fait peut être constaté du point de vue des

 23   attributions réelles et de l'autorité qu'avait exercées l'accusé dans le

 24   cadre de cet établissement.

 25   La défense a proposé à la Chambre de première instance toute une série


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  1   d'éléments de preuve illustrant le fait que l'emprisonnement relevait des

  2   autorités militaires, que les autorités militaires avaient pour compétence

  3   l'établissement de listes des personnes et qui déterminaient quelles

  4   personnes pouvaient être relâchées et quand.

  5   Maintenant, pour ce qui est des autorisations afférentes aux visites,

  6   c'étaient encore les autorités militaires qui les fournissaient; la

  7   défense l'a montré avec bon nombre d'exemples.

  8   Donc il n'y a eu aucun élément de preuve matériel avancé par le Bureau du

  9   Procureur au terme duquel l'accusé aurait joué quelque rôle que ce soit

 10   dans l'organisation d'une partie, de la partie du KP Dom où l'on avait

 11   détenu des Musulmans, des membres de ce groupe ethnique musulman; et il

 12   n'avait exercé aucune autorité dans cette partie-là.

 13   Dans ses arguments oraux, la défense se propose d'indiquer le nombre de

 14   ces éléments de preuve qui, en tant que tels et dans l'ensemble avec les

 15   autres éléments de preuve, indiquent qu'il y a eu absence de supériorité

 16   et absence d'attributions de l'accusé sur cette partie-là du KP Dom. Et

 17   vous me permettrez de dire le fait qu'il n'avait exercé aucune autorité à

 18   l'égard des Musulmans détenus et à l'égard des autorités militaires en

 19   place.

 20   M. Schomburg (interprétation): Juste une petite question complémentaire.

 21   J'estime que nous devons toujours garder à l'esprit le fait que nous

 22   sommes une Chambre d'appel et que nous sommes tenus en principe par les

 23   faits déterminés par la Chambre de première instance.

 24   Et je dirai que vous ne perdiez pas de vue la conclusion de la Chambre de

 25   première instance au paragraphe 107 où l'on dit que l'accusé avait exercé


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  1   une autorité de supérieur à l'égard du personnel subordonné et des détenus

  2   au KP Dom.

  3   Toutefois, j'en reviendrai maintenant à la question soulevée, la question

  4   posée par mon éminent collègue le Juge Güney. Au paragraphe 98, la

  5   question posée était celle de savoir si la Chambre est arrivée à cette

  6   conclusion de la façon appropriée; et on y dit ce qui suit: la nomination

  7   par le ministère de la Défense existe, et la Chambre de première instance

  8   n'a pas nécessairement reçu tous les documents dont elle aurait eu besoin.

  9   Je cite donc le paragraphe 98: "La défense a déclaré qu'elle essaierait

 10   d'obtenir les documents sur lesquels se basait le ministère de la Défense,

 11   et qu'elle solliciterait l'admission du certificat. Ces documents n'ont

 12   jamais été produits, et la défense n'a plus jamais tenté de verser le

 13   certificat au dossier. La Chambre de première instance tient compte de ces

 14   circonstances, ainsi que d'autres faits, dans ses conclusions". (Fin de

 15   citation.)

 16   Ma question est la suivante: la défense n'est-elle pas d'avis que

 17   présenter des arguments dans un domaine aussi circonscrit fera passer la

 18   charge de la preuve des épaules du Procureur sur celles de la défense? Et

 19   la question que je vous pose par ailleurs est la suivante: est-ce que,

 20   dans les conclusions au sujet des faits, vous avez trouvé quelque chose

 21   qui étaye votre exposé juridique?

 22   M. Bakrac (interprétation): Oui, Monsieur le Juge. Je n'aimerais pas me

 23   répéter, et je pense que la défense, s'agissant de ces éléments de preuve,

 24   les a abondamment présentés dans son mémoire. Donc de très nombreux

 25   éléments de preuve existent qui permettent de contester la décision de la


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  1   Chambre de première instance. La charge de la preuve reposait sur les

  2   épaules du Procureur qui devait prouver la responsabilité de jure, mais

  3   également la responsabilité de facto de l'accusé.

  4   J'ai déjà abordé le troisième motif d'appel du Procureur lié à la forme de

  5   l'Acte d'accusation. Et la Chambre de première instance a prévenu

  6   l'accusation qu'elle ne pourrait pas s'appuyer uniquement sur ce titre de

  7   "directeur de prison", mais qu'il fallait qu'elle parvienne à apporter la

  8   preuve du pouvoir effectif exercé par l'homme en question.

  9   La défense, pour sa part, a entrepris de prouver l'innocence de l'accusé

 10   en montrant qu'en dehors de son rôle de jure, il fallait également traiter

 11   du rôle de facto exercé par cet homme, et que ce rôle de facto n'existait

 12   pas compte tenu de l'existence d'une double chaîne de commandement, parce

 13   que -et la défense a apporté des éléments de preuve pour le démontrer-

 14   l'accusé a été nommé à son poste de directeur par le ministère de la

 15   Justice. Or la partie du KP Dom où les non Serbes étaient enfermés était

 16   cette partie du bâtiment louée à l'armée et où s'exerçait donc le pouvoir

 17   d'autres personnes que des membres du ministère de la Justice.

 18   Par ailleurs, la défense, par le témoignage de gardiens qui ont témoigné

 19   devant la Chambre, a produit des éléments de preuve qui démontrent que

 20   même les gardiens chargés de la sécurité au KP Dom étaient nommés par le

 21   pouvoir militaire. C'est la raison pour laquelle la défense affirme que

 22   l'accusé n'avait pas d'autorité sur les gardiens et n'avait, en fait,

 23   aucun moyen de punir les gardiens pour une quelconque transgression ou un

 24   quelconque acte délictueux dont il aurait été informé.

 25   M. Schomburg (interprétation): Je souhaitais simplement vous alerter quant


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  1   à un fait qui pouvait être favorable à votre client, et je vous prévenais

  2   de ne pas faire passer la charge de la preuve sur vous en la reprenant au

  3   Procureur. Merci.

  4   M. le Président: Allez-y.

  5   M. Bakrac (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

  6   S'agissant du quatrième motif d'appel "le meurtre", la défense estime

  7   -comme c'était le cas pour le motif précédent- que l'accusation s'appuie

  8   sur des suppositions, sur des indices en s'efforçant d'aggraver les

  9   informations qui étaient éventuellement à la disposition de l'accusé pour

 10   en faire des informations alarmantes susceptibles de constituer un mens

 11   rea, une intention délictueuse, s'agissant de la commission d'actes

 12   relevant de l'Article 7.3 du Statut.

 13   Donc s'agissant des deux précédents motifs d'appel de l'accusation, où

 14   j'ai parlé de conception exagérément élargie et de transfert de la charge

 15   de la preuve, eh bien, nous estimons que ces arguments sont également

 16   valables pour le motif d'appel dont nous parlons en ce moment.

 17   Dans son mémoire, le Procureur cite la conclusion de la Chambre de

 18   première instance quant à la position occupée par l'accusé, considéré

 19   comme un homme exerçant une certaine autorité au KP Dom, et il a déjà été

 20   dit que la partie du KP Dom relevant de l'armée, louée à l'armée, n'avait

 21   que peu d'influence sur la hiérarchie du KP Dom.

 22   Cette expression "peu d'influence", nous estimons pour notre part que

 23   cette expression n'est pas correcte car, de notre avis, cette partie louée

 24   à l'armée du KP Dom jouait tout de même un rôle, un certain rôle du point

 25   de vue du pouvoir exercé.


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  1   Donc, il faut se demander si, s'agissant de la détermination de

  2   l'intention délictueuse vis-à-vis de la détermination de la responsabilité

  3   au terme de l'Article 7.3, il faut se demander quelle était la nature

  4   exacte de la formation reçue par l'accusé. Donc cette question a déjà été

  5   posée précédemment et elle s'applique également vis-à-vis de ce motif

  6   d'appel.

  7   Le nombre de renseignements obtenus par l'accusé, renseignements alarmants

  8   que nous avons évoqués en réponse aux troisième et quatrième motifs

  9   d'appel, nous estimons que, eu égard au cinquième motif d'appel du

 10   Procureur, les mêmes remarques s'appliquent.

 11   L'accusation s'est appuyée sur les conclusions de la Chambre de première

 12   instance en rappelant que l'accusé a été directeur du KP Dom pendant 15

 13   mois, et que les abus qui ont été commis dans l'espace et dans le temps

 14   peuvent lui être imputés puisque, d'après le Procureur, il avait des

 15   informations suffisantes en nombre pour agir sur ce qui se passait au KP

 16   Dom.

 17   La Chambre de première instance a également établi que 26 meurtres ont été

 18   commis pendant une période relativement brève, qui va de la fin juillet au

 19   début du mois d'août 1992. Bien sûr, la défense sait bien que ces crimes

 20   ont eu des conséquences concrètes sur lesquelles elle ne va pas revenir,

 21   mais elle tient à souligner que c'est pratiquement au cours de deux ou

 22   trois soirées de la fin juillet et du début août 1992 que ces crimes ont

 23   été commis.

 24   Les faits évoqués ne démontrent pas, compte tenu de l'absence d'étendue

 25   dans le temps et dans l'espace, pour pouvoir être liés par l'accusé aux


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  1   quelques renseignements alarmants qu'il avait reçus, d'autant plus que ces

  2   crimes ont été commis en soirée, donc la nuit, lorsqu'il a été confirmé

  3   que l'accusé ne séjournait pas au KP Dom.

  4   Donc, en soi, ceci ne suffit pas à parvenir à la conclusion selon laquelle

  5   l'accusé disposait d'informations suffisantes pour l'alerter au moins

  6   quant aux risques de voir ses subordonnés commettre un certain nombre de

  7   crimes.

  8   L'élément supplémentaire, quant à lui, élément invoqué par l'accusation

  9   comme une preuve éventuelle du fait que les crimes en question ont bien

 10   été commis dans la période pertinente au KP Dom, eh bien, ces éléments

 11   supplémentaires ne permettent pas non plus d'aboutir à la conclusion que

 12   l'accusé disposait d'un nombre suffisant d'informations directes et

 13   alarmantes quant à la réalité en question.

 14   Le Procureur s'appuie sur des éléments complémentaires, des indices. Il

 15   parle d'une voiture qui avait un tuyau abîmé, présentant des signes… des

 16   traces de sang. Le lendemain, il évoque les bruits que l'on entendait, des

 17   bruits de balles, le fait que des corps étaient enlevés dans le bâtiment à

 18   certains moments. Il parle d'impacts de balles dans les murs du bâtiment

 19   administratif. Eh bien, tous ces éléments sont des indices qui ne

 20   pouvaient pas constituer pour l'accusé une information suffisante et

 21   suffisamment alarmante pour penser que des crimes étaient commis au KP

 22   Dom.

 23   En particulier, le Procureur n'a pas démontré que l'accusé, même s'il

 24   avait accès à toutes les parties du KP Dom, connaissait vraiment

 25   l'existence de ces indices. Le fait que des cadavres aient été déplacés la


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  1   nuit lorsque lui-même n'était pas au KP Dom, n'a pas nécessairement été

  2   porté à son attention. Les impacts de balles sur les murs du KP Dom ne

  3   devaient pas nécessairement constituer une information suffisamment

  4   alarmante à ses yeux pour lui permettre de penser que des crimes étaient

  5   commis au KP Dom. Les bruits de revolver entendus la nuit, alors qu'il

  6   était absent, ne peuvent pas non plus constituer le fondement de la

  7   déclaration du Procureur selon laquelle tous ces indices étaient

  8   suffisants pour alerter l'accusé quant au fait que des crimes étaient

  9   commis au KP Dom.

 10   Nous estimons donc que tout ce sur quoi s'appuie le Procureur ne peut pas

 11   être interprété comme un tout, c'est-à-dire comme constituant une série

 12   d'informations suffisantes pour pousser l'accusé à diligenter une enquête.

 13   Par ailleurs, la défense estime que rien ne prouve que l'accusé était au

 14   courant de l'existence de tous ces indices.

 15   Tout ce qui, dans les écritures du Procureur, est dit à ce sujet ne

 16   pouvait pas constituer une information, en fait, car ces informations ne

 17   sont pas parvenues à l'accusé.

 18   La Chambre de première instance n'a pas disposé d'éléments de preuve

 19   démontrant que ces informations aient été portées à la connaissance de

 20   l'accusé. De plus, nous estimons qu'il ne s'agissait pas d'informations

 21   suffisamment alarmantes pour indiquer que des crimes étaient

 22   éventuellement commis par les subordonnés de l'accusé Krnojelac.

 23   Le Procureur, dans son mémoire en appel et dans son exposé oral

 24   d'aujourd'hui, a indiqué que l'accusé a eu connaissance d'un décès dans

 25   des circonstances suspectes. En effet, le Procureur a déclaré que l'accusé


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  1   avait appris de la bouche d'une infirmière qu'un détenu s'était suicidé.

  2   Nous estimons qu'en déclarant cela le Procureur, lorsqu'il parle

  3   d'informations reçues par l'accusé de la bouche d'une infirmière, ne

  4   démontre pas que l'accusé devait nécessairement considérer ce

  5   renseignement comme suffisamment alarmant pour exiger de lui qu'il

  6   diligente une enquête censée démontrer si, oui ou non, des crimes étaient

  7   commis au KP Dom.

  8   Si nous devions admettre l'interprétation faite par le Procureur selon

  9   laquelle certains indices, comme des bruits de revolver la nuit ou des

 10   impacts de balle sur les murs du KP Dom -or la Chambre de première

 11   instance a eu des éléments de preuve qui montrent que le KP Dom a été

 12   pilonné pendant les opérations de combat-, si nous devions donc admettre

 13   cette interprétation, nous ne pourrions toutefois pas accepter ce que dit

 14   le Procureur lorsqu'il affirme que l'accusé est pénalement responsable au

 15   titre de l'Article 7.1 du Statut de l'ensemble de ces meurtres.

 16   Par conséquent, nous rejetons ce motif d'appel du Procureur et nous

 17   estimons qu'il doit être rejeté comme infondé. Si les Juges de cette

 18   Chambre d'appel n'ont pas de question sur le motif d'appel que je viens de

 19   traiter, je peux poursuivre.

 20   M. Shahabuddeen (interprétation): Maître Bakrac, suis-je en droit

 21   d'interpréter vos dires de la façon suivante? Selon vous, la question de

 22   savoir s'il y avait des informations alarmantes, était-ce à votre avis un

 23   fait devant être évalué par la Chambre de première instance? Et pensez-

 24   vous que la Chambre d'appel ne peut intervenir à moins qu'elle ne soit

 25   convaincue qu'aucun Juge des faits n'aurait pu tirer une autre conclusion?


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  1   M. Bakrac (interprétation): En effet, Monsieur le Juge.

  2   M. Shahabuddeen (interprétation): Merci.

  3   M. le Président: Je prends la suite de mon éminent collègue.

  4   Soyez bien clair. Je sais que ce sont des erreurs de fait, que vous avez

  5   tendance effectivement à mettre en valeur en réponse à ce que vous dit le

  6   Procureur, mais je vous rappelle ce que nous vous avons dit dans la

  7   déclaration introductive d'instance ce matin, ce que vous a dit le Juge

  8   Schomburg et ce que vient de vous dire le Juge Shahabuddeen: essayez

  9   toujours de revenir dans les erreurs de fait sur ce qu'aurait fait un

 10   Tribunal raisonnable.

 11   Par exemple, j'aimerais savoir si un suicide dans une prison, dans un

 12   système administratif raisonnablement constitué entraîne une certaine

 13   forme d'alerte envers les autorités supérieures par exemple. Ça c'est un

 14   critère qui peut intéresser la Chambre. Quand il y a un suicide dans une

 15   prison, peut-être qu'on peut imaginer que, dans un système administratif,

 16   démocratique et organisé, il y a un système d'alerte.

 17   Ce sont des critères comme ceux-là sur lesquels nous vous ramenons. Non

 18   pas de re-plaider tout ce qui a été certainement excellemment plaidé par

 19   vous-même, comme d'ailleurs je le dis aussi pour le Procureur.

 20   Voilà. Poursuivez, si vous le voulez bien.

 21   M. Bakrac (interprétation): Merci, Monsieur le Président. Il m'a été

 22   demandé de poursuivre, de passer au motif d'appel suivant ou bien…?

 23   M. le Président: Oui, oui, poursuivez.

 24   M. Bakrac (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

 25   Le cinquième motif d'appel du Procureur concerne l'acte criminel de


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  1   passage à tabac, considéré comme "persécution".

  2   La défense estime que le Procureur, lorsqu'il a exposé ce motif d'appel,

  3   n'a proposé aucun élément de preuve relatif à des faits réels susceptibles

  4   de lui permettre de reporter la charge de la preuve sur la défense. Le

  5   Procureur s'est contenté d'exprimer un certain nombre d'hypothèses

  6   découlant de la situation générale et d'un certain nombre de faits

  7   généraux qui, eux, sont réels.

  8   Nous pensons donc que le Procureur va à l'encontre des habitudes courantes

  9   en droit international coutumier et à l'encontre d'un certain nombre de

 10   dispositions que l'on trouve y compris dans des systèmes judiciaires

 11   modernes mais également à l'encontre de l'ancien principe romain "in dubio

 12   pro reo", autrement dit "si le doute existe, le doute doit être favorable

 13   à l'accusé".

 14   Ce qui fonde le cinquième motif d'appel de l'accusation va exactement en

 15   sens inverse, à savoir s'il y a doute, eh bien, ce doute doit permettre

 16   d'incriminer l'accusé. C'est la raison pour laquelle nous estimons que le

 17   Procureur n'a pas étayé ses positions d'un exposé de faits concrets

 18   susceptibles de convaincre la Chambre d'appel de revenir sur la décision

 19   de la Chambre de première instance au sujet de ce cinquième motif. En

 20   effet, dans son cinquième motif d'appel, l'accusation fait opposition aux

 21   conclusions de la Chambre de première instance en déclarant que

 22   l'interprétation faite par celle-ci était trop étroite et qu'il convient

 23   de situer les faits dans un contexte plus vaste et plus fondamental.

 24   Même si le Procureur estime que la Chambre de première instance a situé

 25   les faits dans un contexte trop étroit et donc risquait de faire preuve de


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  1   discrimination, la défense estime que la Chambre de première instance ne

  2   pouvait adopter aucune autre démarche que celle à laquelle le Procureur

  3   fait objection précisément dans son mémoire en appel.

  4   La défense estime que l'accusation parle de discrimination pour motifs

  5   raciaux ou ethniques en disant qu'il convient d'interpréter celle-ci, de

  6   la façon la plus large qui soit, en s'appuyant sur l'hypothèse que la

  7   charge de la preuve qui incombe au Procureur doit être allégée; autrement

  8   dit que pour prouver l'existence du crime, le Procureur doit avoir une

  9   tâche moins difficile.

 10   La Chambre de première instance a établi dans son Jugement que le crime

 11   contre l'humanité de persécution était constitué par l'emprisonnement et

 12   les conditions inhumaines d'existence des détenus.

 13   Lorsque la Chambre de première instance a établi que la détention des non

 14   serbes au KP Dom a résulté de discriminations et d'actes inhumains, compte

 15   tenu des conditions de vie inhumaine dans cette prison, elle a également

 16   évoqué une politique discriminatoire.

 17   Si nous ne perdons pas de vue cette conclusion de la Chambre de première

 18   instance au sujet de la discrimination comme base du crime de détention et

 19   des conditions de vie inhumaine, il est tout à fait inacceptable de voir

 20   le Procureur conclure que tous les actes indiqués dans le Statut de ce

 21   Tribunal sont considérés en fait par le Procureur comme commis à partir

 22   d'une intention discriminatoire; et ce, uniquement en se fondant sur ces

 23   deux conclusions de la Chambre.

 24   Donc le fait que la Chambre de première instance ait démontré que l'accusé

 25   avait bien une responsabilité eu égard aux persécutions en tant que crime


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  1   contre l'humanité, compte tenu de la mise en détention et des conditions

  2   de vie inhumaines dans la prison, eh bien, nous disons que ce fait

  3   n'empêche pas qu'il faut néanmoins prouver que tous les autres actes

  4   commis au KP Dom ont bien été commis à partir d'une intention

  5   discriminatoire.

  6   Nous estimons que le Procureur, s'agissant de tous ces autres actes

  7   imputés à la responsabilité de l'accusé, n'a pas prouvé avec précision que

  8   leur motivation était la discrimination.

  9   La défense s'est efforcée à l'aide d'un exemple de s'opposer à cette

 10   argumentation du Procureur, car il est tout à fait possible que les

 11   conditions de détention au KP Dom -dans un environnement assez

 12   circonscrit, puisque nous parlons de Foca et de ses environs-; il est fort

 13   possible qu'entre un gardien serbe et un détenu musulman il y ait volonté

 14   de régler des comptes qui dataient de bien avant le début du conflit.

 15   Il est donc interdit de supposer… parce que les détenus sont des non

 16   Serbes, qu'ils sont de nationalité musulmane et qu'ils sont gardés par des

 17   Serbes, il est interdit de penser en raison de cela que tous les actes

 18   considérés comme des crimes dans le Statut de ce Tribunal sont

 19   nécessairement ou ont été nécessairement commis avec une motivation

 20   discriminatoire.

 21   La tâche du Procureur s'agissant de chaque point de l'Acte d'accusation,

 22   s'agissant de chaque incident imputé à la responsabilité de l'accusé, la

 23   tâche du Procureur consiste à prouver dûment que cet acte a bel et bien

 24   été commis et qu'il a été commis à partir d'une motivation

 25   discriminatoire.


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  1   La position du Procureur est inacceptable. En effet, en s'appuyant sur des

  2   faits tout à fait incontestés, à savoir l'existence de deux groupes qui

  3   étaient opposés, dont l'un joue le rôle de gardien par rapport à l'autre,

  4   il est inacceptable en s'appuyant sur ce fait de conclure que tous les

  5   actes criminels évoqués dans le Statut du Tribunal doivent nécessairement

  6   être, de ce fait, des actes discriminatoires. De telles suppositions ne

  7   doivent pas être élevées au rang d'éléments de preuve par le Procureur de

  8   cette façon.

  9   En effet, il est indispensable que le Procureur prouve que tous les actes

 10   imputés à l'accusé, si le Procureur souhaite leur donner comme motivation

 11   la discrimination, eh bien, il lui appartient, il est de son devoir de

 12   prouver que cette discrimination était bien le motif à la base de l'acte.

 13   Donc il est tout à fait clair que le Procureur estime qu'il n'est pas

 14   nécessaire de prouver que tous les actes ponctuels s'appuyaient sur la

 15   discrimination car pour le Procureur l'ensemble de ces actes était

 16   automatiquement discriminatoire.

 17   Nous estimons, du côté de la défense, qu'il n'est pas permis d'adopter un

 18   système de preuve aussi flou ou plutôt de transférer la charge de la

 19   preuve sur la défense qui serait, de ce fait, contrainte de prouver que

 20   les actes imputés à l'accusé n'ont pas été commis pour des motifs

 21   discriminatoires. Nous pensons que ceci est acceptable.

 22   Ce n'est pas à nous qu'il appartient de démontrer que les actes commis

 23   n'ont pas été commis dans un cadre discriminatoire. C'est le contraire qui

 24   est vrai, à savoir que c'est le Procureur qui, par la nature et la réalité

 25   des éléments de preuve présentés par lui, doit apporter la preuve


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  1   qu'éventuellement tel ou tel acte peut être imputé à la responsabilité de

  2   l'accusé dans le cadre d'une intention discriminatoire.

  3   Je considère avoir apporté une réponse au cinquième motif d'appel du

  4   Procureur.

  5   Et peut-être l'heure de la pause est-elle arrivée?

  6   M. le Président: C'est l'heure de la pause. Après la pause, nous

  7   reprendrons à 16 heures 30. Après la pause, il vous reste une heure; nous

  8   sommes d'accord.

  9   L'audience est suspendue.

 10   (L'audience, suspendue à 15 heures 59, est reprise à 16 heures 30.)

 11   M. le Président: L'audience est reprise. Veuillez faire entrer l'accusé,

 12   s'il vous plaît.

 13   (L'accusé est introduit dans le prétoire.)

 14   Monsieur le Procureur, j'avais été un peu trop généreux avec vous en vous

 15   donnant une heure de plus, mais je suis persuadé qu'avec l'esprit de

 16   synthèse qui vous caractérise, vous arriverez à terminer dans les 30

 17   minutes qui viennent. Demain vous aurez, à ce moment-là, en plaidant votre

 18   propre appel, vous aurez tout le temps qu'on a donné au Procureur ce

 19   matin. Voilà. Alors, nous vous écoutons donc jusqu'à environ 17 heures. Et

 20   ensuite, il y aura la réplique finale du Procureur. Bien. A vous.

 21   M. Bakrac (interprétation): Merci, Monsieur le Juge.

 22   Conformément à ce que vous venez de dire, je me propose, pour ce qui est

 23   des motifs suivants, de dire pour gagner du temps que j'en reste à ce que

 24   j'ai avancé dans mes écritures, en réponse à l'appel présenté par le

 25   Procureur.


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  1   Et je me propose maintenant de résumer et dire ce que la défense se

  2   proposait de dire à ce sujet.

  3   Maintenant, pour ce qui est du motif suivant, je dirais qu'il s'agirait de

  4   persécutions et de travaux forcés. L'essentiel ou le reproche principal,

  5   de l'avis de la défense, pour ce qui est de ce qui est avancé par le

  6   Procureur à l'intention de la Chambre de première instance, c'est le fait

  7   du travail effectué de plein gré. Et on a, je pense, déterminé qu'un

  8   travail a, de fait, été réalisé au sein du KP Dom.

  9   Pour appuyer ces allégations, pour dire qu'il n'y a pas eu consentement de

 10   ceux qui avaient à effectuer des tâches, nous estimons que cette forme de

 11   responsabilité imputée à l'accusé vise à placer cet acte ou ce délit en

 12   parallèle ou sur pied d'égalité avec le délit de viol; viol au sujet

 13   duquel il y a eu, dans l'affaire Kunarac, un arrêt de la Chambre d'appel.

 14   Et nous estimons que, sans émettre de réserves, placer ce type de délits

 15   pénaux sur pied d'égalité n'est pas approprié; on ne saurait s'appuyer sur

 16   une situation de ce type.

 17   Et nous estimerions dire que la détention illicite et les conditions de

 18   vie difficiles, pour ce qui est de ce type de délit, n'exonère pas le

 19   Procureur pour ce qui est de son obligation de parler d'un certain degré

 20   d'existence de plein gré, pour ce qui est de l'accomplissement de ces

 21   travaux. Donc nous n'estimons pas que le degré de responsabilité pénale

 22   soit établi de façon adéquate, pour ce qui est de ce travail forcé.

 23   Nous voudrions citer certaines erreurs au niveau de la Chambre de première

 24   instance concernant les faits à prouver au travers du témoignage d'un

 25   certain nombre de témoins. Nous estimons qu'en aucun cas, nous ne


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  1   pourrions… ou il pourrait être dit que l'accusé devrait être considéré

  2   responsable de ce qui s'est passé.

  3   Partant de tous les exemples avancés par le Procureur devant la Chambre de

  4   première instance, il apparaît clairement qu'aucun des témoins n'a refusé

  5   d'exercer tel ou tel travail. Chacun, pour un motif qui lui était propre,

  6   avait accepté de réaliser certaines tâches.

  7   Le fait est qu'au KP Dom, il y a eu des civils de détenus sans fondement

  8   juridique approprié. Le fait est que les conditions de vie étaient

  9   mauvaises. Mais cela ne saurait exempter le Procureur de son obligation de

 10   démontrer qu'il y a eu travaux forcés, qu'il y a eu contrainte à l'égard

 11   de telle ou telle personne d'exercer une tâche déterminée et que les

 12   travaux forcés n'ont été motivés que par un seul aspect, qui est celui de

 13   la discrimination.

 14   Je m'excuse une fois de plus à l'intention des interprètes; on vient de me

 15   signaler que j'allais trop vite. Je m'excuse auprès des interprètes parce

 16   que j'essaie, pour ma part de dire, en très peu de temps, le plus possible

 17   de choses.

 18   Donc le Procureur était tenu de démontrer que le travail réalisé là-bas

 19   était un travail sous la contrainte. Si l'on parle de motif tel que cela

 20   est fait dans le mémoire d'appel, il doit être fait état des circonstances

 21   qui n'indiquent pas qu'il y a eu absence de la volonté de certaines

 22   personnes de travailler ou d'accomplir certaines tâches, parce que ces

 23   personnes qui ont travaillé ont exercé des tâches pour une motivation

 24   quelconque; certains pour mieux manger, d'autres pour pouvoir se déplacer,

 25   deux tiers encore pour se procurer des informations complémentaires. Donc


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  1   il n'y a pas qu'une motivation, la motivation de l'appréhension à l'égard

  2   d'une sanction.

  3   Donc tous n'ont pas travaillé parce qu'ils avaient peur d'être punis. Les

  4   motivations ont été subjectives, telles que les convictions de ces

  5   personnes-là. Ces personnes étaient convaincues que le fait de

  6   retravailler, d'exercer une tâche leur serait profitable. Donc le fait

  7   d'être détenu et d'avoir eu à travailler ne nous illustre pas dans une

  8   mesure suffisante que le travail forcé a été prouvé au-delà du doute

  9   raisonnable.

 10   Nous estimons au contraire que le Procureur n'a présenté aucun élément de

 11   preuve pour illustrer le fait… ou son assertion disant que c'était là du

 12   travail forcé. Nous estimons que ces personnes ont travaillé de leur plein

 13   gré, et ces personnes qui ont fait certaines tâches ont confirmé qu'elles

 14   avaient voulu le faire. Donc cela ne saurait déterminer une responsabilité

 15   pénale quelconque à l'égard de l'accusé, étant donné que le motif en

 16   question -à savoir les travaux forcés en tant que persécution- sous-entend

 17   que le Procureur se devait de prouver que ces travaux forcés étaient d'une

 18   nature discriminatoire.

 19   Sans vouloir diminuer la gravité des crimes perpétrés au sein du KP Dom

 20   tels qu'établis par la Chambre de première instance, je voudrais indiquer

 21   qu'au KP Dom, il y avait entre 500 et 700 personnes du groupe ethnique

 22   musulman. Or ces travaux forcés n'ont été réalisés que par quelque 50

 23   personnes, donc à peine 10%. Cela nous indique que les raisons étaient

 24   tout à fait opposées à celles qui ont été avancées: motiver une

 25   discrimination à l'égard des civils en faisant en sorte que certains


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  1   travaillent sous la contrainte et d'autres non, (sic) nous dit qu'il

  2   apparaît clairement que chacun d'entre eux viserait à accomplir des tâches

  3   quelconques.

  4   Maintenant, pour ce qui est du fonctionnement d'un cadre organisé d'une

  5   unité économique, qui s'appelait "Drina", il nous fait apparaître avec

  6   clarté une conclusion concernant la toile de fond de ces tâches effectuées

  7   par un certain nombre de personnes.

  8   Nous estimons à cet effet que les allégations du Procureur ne s'appuient

  9   pas sur des faits établis et nous estimons que cela ne saurait servir de

 10   fondement pour ce qui est d'une modification de la décision ou du jugement

 11   de la Chambre de première instance. Et nous avancerions, une fois de plus,

 12   toute l'argumentation à avancer par la défense dans ses écritures pour le

 13   rejet de ce motif d'appel, en indiquant qu'il n'y a pas de fondement.

 14   Le motif d'appel suivant est le délit pénal de déportation, dans le cadre

 15   de ces persécutions. Nous estimons en effet que le Procureur, dans la

 16   majeure partie du débat concernant ce motif d'appel, s'est référé à des

 17   catégories terminologiques ou des conceptions terminologiques de la notion

 18   de déportation.

 19   Nous estimons que la Chambre d'appel a apporté une aide considérable pour

 20   ce qui est de la définition de la notion en question.

 21   De l'avis de la défense… Nous dirions que la défense, en répondant à

 22   l'appel présenté par le Procureur… il a été procédé à une élaboration des

 23   positions et, en somme, nous estimons que ce fondement ne saurait être

 24   admis. Et le Procureur n'a pas démontré de façon valable que le Jugement

 25   de la Chambre de première instance devrait être rectifié, modifié en


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  1   conséquence.

  2   La finalité des positions avancées par le Procureur, pour ce qui est de ce

  3   délit pénal de déportation, a été placée en corrélation avec les

  4   frontières internationales et les lieux d'acheminement de certaines

  5   personnes. Et il est apparu sans importance le fait de savoir si l'on est

  6   passé de l'autre côté de la frontière pour déterminer s'il y a eu délit

  7   pénal de ce type.

  8   Je pense que nous aurions évité de gros problèmes, pour ce qui est de la

  9   responsabilité des accusés, si l'on avait appliqué la position du

 10   Procureur sur les cas concrets. Donc si on considère que le fait de

 11   déplacer une personne est une déportation, indépendamment de la

 12   destination affectée, nous serions à même de constater ce qui suit:

 13   emmener des personnes du groupe ethnique musulman pour les emmener vers le

 14   KP Dom, est une forme de déportation, d'ores et déjà, de ce point de vue-

 15   là. Et nous avons là un segment où il n'y a pas responsabilité de

 16   l'accusé. Or il y a, selon cette façon de comprendre la notion, une

 17   déportation; de leurs maisons, ils sont transférés vers des conditions de

 18   détention illicites. Et si l'on se réfère aux positions avancées par le

 19   Procureur, il y a eu déjà déportation.

 20   Puis, le fait d'avoir libéré des personnes du KP Dom, de cette prison,

 21   constituerait une déportation, une fois de plus. Or cela est contraire

 22   avec le fait selon lequel ces personnes ont été emmenées de chez elles

 23   vers un établissement pour une détention illicite dans des conditions

 24   inhumaines. Donc le fait de les libérer ne saurait constituer également

 25   une forme de responsabilité pénale du point de vue des échanges qui se


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  1   sont opérés, parce que l'alternative à ces échanges consistait à garder

  2   ces personnes dans ces conditions, dans ces circonstances inhumaines de

  3   détention de cette nature. Et cela impliquerait que toute entrave au

  4   transfert de ces personnes devrait impliquer une responsabilité pénale de

  5   l'accusé pour le fait d'avoir entravé ces déplacements.

  6   Or, si l'on voyait la notion de déportation -comme le fait le Procureur-,

  7   il y aurait un signe d'égalité entre déportation et détention illicite;

  8   parce que le fait d'avoir transféré des personnes de chez elles vers le KP

  9   Dom, pour une détention illicite, cela constituerait déjà une déportation.

 10   Donc nous estimons que ce motif d'appel du Procureur afférent aux délits

 11   pénaux de "Persécutions et de déportation" devrait également être rejeté

 12   comme infondé.

 13   Au cas où il n'y aurait pas de questions soulevées à ce sujet là, je me

 14   proposerai de passer au dernier point des motifs d'appel, pour ce qui est

 15   de la décision portant sentence.

 16   M. Shahabuddeen (interprétation): Une seule question, Maître Bakrac.

 17   J'ai trouvé intéressant de vous entendre dire ceci: si l'accusation avait

 18   raison, il y aurait un acte de déportation dès qu'un détenu est transféré

 19   au KP Dom". Est-ce qu'il existe une difficulté dans ce sens suivant?

 20   Pourrait-on considérer que l'acte de déportation est le fait de déplacer

 21   par la force une personne d'un milieu de vie vers un autre milieu de vie,

 22   milieu dans lequel cette personne devrait vivre? Il ne devrait pas vivre

 23   au KP Dom, je suppose?

 24   M. Bakrac (interprétation): Oui, Monsieur le Juge, cela est exact.

 25   Toutefois la substance de ce que la défense voulait apporter en réponse au


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  1   Procureur, c'est de dire tout d'abord ce qui suit. Le transfert… -je crois

  2   que la défense a avancé plus de détails dans sa réponse écrite au

  3   Procureur-, nous avons indiqué que ce déplacement pourrait être admissible

  4   si cela s'est fait pour des raisons de sécurité ou si cela s'est fait en

  5   fonction de certains besoins militaires.

  6   A ce sujet et par analogie à ce qui a été dit, j'estime que le Procureur

  7   était tenu de déterminer, de prouver que ces transferts depuis le KP Dom

  8   vers ailleurs, sous forme d'échanges, n'avaient pas été de nature à être

  9   considérés comme des déplacements complets et durables pour être

 10   caractérisés de déportation. Au contraire, ces échanges où des personnes

 11   du KP Dom étaient transférées vers des territoires, à l'extérieur du

 12   territoire où se trouvaient des personnes qui gardaient des personnes en

 13   détention, ne constituent pas un élément suffisant pour parler de

 14   déportation aux termes de ce qui constitue jurisprudence dans ce Tribunal.

 15   M. Shahabuddeen (interprétation): Merci.

 16   M. Bakrac (interprétation): Pour ce qui concerne le dernier des motifs

 17   d'appel du Procureur qui parle de quatre entorses de la Chambre de

 18   première instance à l'égard de son droit discrétionnaire, et en réponse à

 19   son appel, il est apporté une explication disant que l'accusé avait assumé

 20   des fonctions de directeur et qu'en sa qualité de supérieur, il était

 21   responsable de tout le personnel et de tous les détenus. Il est avancé

 22   qu'on ne saurait admettre d'élément à décharge de nature personnelle.

 23   Nous estimons que c'est là une violation de ce qui devrait constituer le

 24   droit discrétionnaire. Et l'objection formulée par l'accusation n'a pas de

 25   fondement parce que la position de l'accusé, celle du directeur, nous dit


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  1   qu'en sa qualité de supérieur l'accusé est proclamé ou déclaré coupable,

  2   et à cet effet on détermine qu'il y a responsabilité de sa part et cela

  3   constitue substance, ce qui constitue sa responsabilité en vertu de

  4   l'Article 7.3. Et il n'est pas permis d'expliquer l'accomplissement de ses

  5   fonctions par des raisons personnelles.

  6   Maintenant, pour ce qui est du plaidoyer aux termes duquel la Chambre de

  7   première instance aurait commis une deuxième erreur pour ce qui est du

  8   recours à son droit discrétionnaire; pour ce qui est de prononcer un

  9   jugement en disant que la pertinence des conséquences des délits pénaux,

 10   du point de vue du droit pénal international, nous estimons qu'il y a eu

 11   incorporation de ce qui constitue délit pénal. Donc une violation

 12   quelconque du droit international qui serait qualifiée de "crime de

 13   guerre" incorpore ou porte en soi tout ce que tel crime sous-entend, à

 14   savoir les souffrances des victimes, les souffrances des familles

 15   respectives. En sus donc du fait d'avoir cela d'incorporé dans la nature

 16   d'un délit pénal, cela ne saurait être considéré comme élément aggravant,

 17   à charge.

 18   Pour ce qui est de la troisième erreur quant au droit discrétionnaire de

 19   la Chambre de première instance, c'est ce qui est afférent au comportement

 20   de l'accusé pour ce qui est de l'atténuation de la peine prononcée à son

 21   égard. Et l'opinion aux termes de laquelle cela va au-delà du droit

 22   discrétionnaire de la Chambre de première instance, nous estimons que les

 23   choses sont suffisamment documentées.

 24   En effet, il est clair que les avocats de la défense sont tenus de se

 25   comporter devant la Chambre conformément au code de la profession qui est


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  1   la leur. Il est sous-entendu de ce point de vue-là une attitude

  2   coopérative et un comportement susceptible d'abonder dans le sens de

  3   l'efficacité des travaux de la Chambre de première instance.

  4   Nous avons donc estimé que la défense est là pour articuler, sur le plan

  5   juridique, les efforts de l'accusé. Et c'est l'accusé qui pouvait demander

  6   à la défense ou exiger de la part de ses conseils de la défense

  7   d'examiner, d'étudier ou d'insister sur des faits incontestables pour

  8   rendre le travail du Procureur et de la Chambre plus pénible, plus ardu.

  9   Donc l'esprit de coopération dont a fait preuve l'accusé est évident, et

 10   il n'y a point lieu de contester son esprit de collaboration. Et dans la

 11   législation qui est celle de mon pays, du pays d'où je viens, cela est

 12   toujours un élément à décharge pour ce qui est de l'évaluation d'une

 13   sentence. Donc son comportement devant la Chambre de première instance et

 14   son assistance à la Chambre devraient être pris en compte pour avoir

 15   facilité la procédure, et je crois que la Chambre de première instance n'a

 16   en rien enfreint son droit discrétionnaire, pour ce qui est de la

 17   détermination de la peine prononcée.

 18   De l'avis de la défense, il devrait être rejeté la position de

 19   l'accusation au terme de laquelle la Chambre de première instance aurait

 20   fait une dernière erreur pour ce qui est de ces droits discrétionnaires, à

 21   savoir du fait de ne pas avoir suffisamment insisté sur la gravité des

 22   crimes commis par l'accusé dans le prononcé de la peine.

 23   Nous estimons que la gravité de la peine et le degré de responsabilité

 24   pénale de l'accusé, le degré de sa participation ont certainement été

 25   évalués pour ce qui est de la décision prise par la Chambre de première


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  1   instance. Et la Chambre de première instance a dû déterminer et peser le

  2   degré de gravité des actes et de responsabilité de l'accusé.

  3   Je crois pouvoir parler d'un certain degré de participation de l'accusé à

  4   des délits qui sont considérés comme répréhensibles par le Statut de ce

  5   Tribunal. Et pour ce qui est du prononcé de sentence à l'intention de

  6   Zlatko Aleksovski, on en a fait état en parlant d'une période de neuf mois

  7   de mise en liberté de l'intéressé, puis d'un prononcé de peine plus élevé.

  8   Donc en tout état de cause, chaque Chambre de première instance a un droit

  9   discrétionnaire qui est celui d'évaluer une peine en prenant en

 10   considération les spécificités de toute affaire.

 11   Nous pourrions dire que ces deux affaires se ressemblent, mais l'une et

 12   l'autre comportent des circonstances particulières qui sont à même

 13   d'influer sur le niveau ou la longueur de la peine.

 14   S'il y a des éléments à charge pour Aleksovski, il doit être pris en

 15   considération la présence d'éléments à décharge qui n'étaient pas présents

 16   chez Aleksovski et qui le sont dans cette affaire-ci. Dans l'affaire

 17   Aleksovski, il a été établi qu'Aleksovski avait été personnellement

 18   présent lors de la perpétration de certains crimes, et cela devrait être

 19   mis en parallèle avec le cas présent où la Chambre de première instance a

 20   déterminé que l'accusé Krnojelac n'a pas été présent et n'a pas pris

 21   physiquement part à la perpétration de quelque délit pénal que ce soit qui

 22   lui soit reproché.

 23   Le Procureur a nié la possibilité d'établir un parallèle avec la sentence

 24   dans l'affaire Kvocka, parce que l'affaire n'est pas encore terminée. Mais

 25   l'accusé Kvocka a fait l'objet d'une peine de sept ans et il n'y a pas eu


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   1   d'appel.

  2   Du point de vue du Procureur, nous pourrions dire qu'aux yeux du

  3   Procureur, l'affaire est terminée. Nous estimons donc que l'argument au

  4   terme duquel la Chambre de première instance se serait trompée pour ce qui

  5   est du recours à ses droits discrétionnaires, en comparant les différentes

  6   affaires en question, nous estimons qu'il y a eu étude de cas spécifiques

  7   à chacune de ces affaires et nous estimons qu'il n'y a pas eu erreur;

  8   aussi faudrait-il rejeter la demande formulée par le Procureur.

  9   Et je crois que la requête présentée par le Procureur demandant une peine

 10   de 12 ans, devrait également être rejetée. Mais la Chambre d'appel est là

 11   pour décider de ce qu'il en sera de la peine à prononcer. Merci.

 12   M. le Président: Je vous remercie, Maître.

 13   Je me tourne à nouveau vers le Bureau du Procureur pour savoir si vous

 14   voulez exercer votre droit de réplique dans un temps qui est à peu près de

 15   30 minutes. Peut-être n'aurez-vous pas besoin de tout ce temps, Monsieur

 16   Staker?

 17   (Réplique du Procureur à la Défense, relative aux motifs d'appel 1 et 2,

 18   par M. Staker.)

 19   M. Staker (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Président. Nous

 20   avons effectivement l'intention d'exercer notre droit de réplique; ce sera

 21   bref. Mais, avec votre permission, nous allons nous pencher sur chacun des

 22   motifs de l'appel, dans l'ordre que nous avons suivi pour nos premiers

 23   arguments. Je vais donc évoquer les motifs 1 et 2.

 24   S'agissant du motif premier, si j'ai bien compris, le conseil de la

 25   défense accepte l'existence en droit des trois catégories de l'entreprise


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  1   criminelle commune telles qu'identifiées dans l'arrêt Tadic. La question

  2   qui se pose en l'espèce, c'est l'interprétation à donner aux éléments

  3   constitutifs et leur application aux faits de la cause.

  4   Apparemment, la défense n'est pas d'accord avec un des éléments de l'actus

  5   reus. Mon collègue de la défense a dit que la participation à une

  6   entreprise criminelle commune doit être telle que les participants jouent

  7   un rôle complémentaire les uns envers les autres de façon significative,

  8   et que la contribution doit être soit décisive soit fondamentale.

  9   En guise de réponse, je vous renvoie au fait que, dans mes arguments

 10   initiaux, j'ai cité le paragraphe 127 ainsi que le paragraphe 171 du

 11   Jugement; paragraphes dans lesquels la Chambre a estimé qu'il y avait

 12   contribution à l'entreprise criminelle commune. Et même au paragraphe 171,

 13   elle a dit que c'était une contribution substantielle.

 14   Je ne vais pas répéter les arguments que j'ai déjà présentés, je vous ai

 15   renvoyé aux paragraphes du Jugement qui montraient que l'intimé a été

 16   directeur pendant 15 mois, qu'il était la personnalité la plus importante

 17   dans cette structure: il a donc joué un rôle substantiel, un rôle qui a

 18   permis le fonctionnement de toute cette entreprise.

 19   A notre avis, la contribution ne doit pas nécessairement être une

 20   condition sine qua non de l'entreprise criminelle commune.

 21   Reprenons l'analogie du meurtre commis par un groupe d'auteurs. Le sine

 22   qua non, l'auteur principal, c'est celui qui a commis l'actus reus. Mais

 23   cela ne veut pas dire forcément que les autres, qui ont participé à

 24   l'entreprise criminelle commune, ne soient pas responsables eux aussi.

 25   Pour ce qui est de l'élément de mens rea: en réponse à une question posée


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  1   par le Juge Shahabuddeen, Me Bakrac a dit que l'accusation n'avait pas

  2   prouvé, au-delà de tout doute raisonnable, que l'intimé avait connaissance

  3   de l'intention des auteurs de ces crimes. Je vous renvoie une fois de plus

  4   à mes arguments de ce matin, j'ai cité le paragraphe 127 -une fois de

  5   plus- du Jugement Krnojelac, dans lequel la Chambre de première instance,

  6   s'agissant de l'emprisonnement, a estimé que l'intimé connaissait sa

  7   contribution au maintien d'un système illicite de la part des auteurs

  8   principaux. Nous avons donc une conclusion factuelle de la Chambre.

  9   Et puis, au paragraphe 171, s'agissant des conditions de vie inhumaines,

 10   la Chambre a dit qu'elle était convaincue que l'intimé avait connaissance

 11   des intentions qui étaient celles des principaux auteurs des infractions.

 12   Nous avons donc là des conclusions factuelles. Si Me Bakrac allègue

 13   qu'aucun juge des faits raisonnable n'aurait pu tirer ces conclusions,

 14   c'est à notre avis un critère qui n'a pas été respecté.

 15   Dernière question: celle de savoir si l'intimé, à partir du moment où il

 16   avait connaissance de l'intention, l'aurait partagée. La défense dit, une

 17   fois de plus, que l'accusation n'a pas administré la preuve de cela. Nous

 18   estimons que l'erreur commise par la Chambre de première instance, c'est

 19   qu'elle a essayé de trouver dans chacun des cas un accord express,

 20   explicite.

 21   La démarche retenue par la Chambre de première instance, à cet égard,

 22   ressemblait beaucoup à la recherche d'une déclaration explicite, expresse

 23   chaque fois qu'il y avait passage à tabac. On aurait demandé à ceux qui en

 24   étaient les auteurs de demander si c'était motivé par des intentions

 25   discriminatoires. Il aurait fallu chercher des preuves directes qui se


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  1   déroulaient dans l'état subjectif de chacun des auteurs au moment des

  2   faits.

  3   Je dirais qu'en règle générale, c'est rare, dans le genre d'affaires dont

  4   connaît ce Tribunal, qu'on aurait des preuves directes de l'élément moral,

  5   de l'état d'esprit, et qu'en général l'intention, elle, est déduite des

  6   circonstances environnantes.

  7   Je ne vais pas répéter la quintessence de mes arguments, mais nous avons

  8   des conclusions factuelles de la part de la Chambre de première instance,

  9   selon lesquelles l'intimé avait la fonction de directeur -fonction qu'il

 10   avait acceptée de son plein gré-, qu'il était la figure de proue, qu'il a

 11   été directeur 15 mois et qu'il connaissait les crimes qui étaient

 12   systématiquement commis dans son établissement.

 13   L'intention est différente de la motivation. Et la seule motivation

 14   raisonnable à partir des faits établis, c'est qu'il y avait existence

 15   d'une intention.

 16   Je vous ai présenté les arguments de l'accusation s'agissant des critères

 17   à retenir pour l'intention. Je vous renvoie à cet égard à l'article 30 du

 18   Statut de la CPI. Maître Bakrac a adopté un critère quelque peu différent

 19   dans ses arguments; il s'est servi d'expressions telles que celles-ci "la

 20   volonté d'exécuter" ou "le fait d'être préparé à retenir comme sien" ou

 21   "la volonté allant dans ce sens" ou "revenant à cet effet".

 22   Le critère à retenir pour l'intention n'est peut-être pas toujours le même

 23   en fonction de l'état juridique, mais c'est précisément pour cela que

 24   l'arrêt Tadic dit -au paragraphe 225- que "les solutions au problème

 25   juridique de ce type qui se posent, ne se trouvent pas dans des systèmes


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  1   nationaux".

  2   Je me contenterai de relever ceci: les termes utilisés par le conseil de

  3   la défense nous rappellent le critère de l'intention qui permet de faire

  4   la distinction entre un auteur principal et quelqu'un qui encourage ou

  5   aide en vertu du droit allemand. Ceci a été pris comme référence dans

  6   l'affaire Stakic, dans une décision, suite à une demande en application du

  7   98bis pour acquittement, en date du 31 octobre 2002, paragraphe 38.

  8   Permettez-moi de le citer brièvement. "En vertu du droit allemand,

  9   l'auteur doit avoir l'animus auctoris, "l'intention initiale d'agir en

 10   tant qu'auteur". L'animus auctoris reflétant la volonté de l'auteur direct

 11   nécessite une volonté active de commettre l'infraction; l'animus socii,

 12   par contraste, reflète l'intention de quelqu'un qui aide et assiste à la

 13   commission de l'infraction."

 14   Je le dis… Je ne suis pas expert en droit allemand mais, si j'ai bien

 15   compris, même en Allemagne dans les années 50 et 60, je pense que les

 16   tribunaux allemands essayaient de trouver des preuves d'un élément

 17   subjectif d'un état d'esprit. Mais plus récemment, dans les années 70,

 18   même dans le droit allemand, ce "animus auctoris" est déterminé par les

 19   tribunaux en se référant aux circonstances environnantes, par des preuves

 20   indirectes donc. Et nous estimons que c'est le bon sens… que c'est marquer

 21   du coin le bon sens parce que, dans le type de crimes dont connaît le

 22   Tribunal, les preuves directes de l'état d'esprit d'un auteur se trouvent

 23   rarement. Presque inévitablement, ceci se déduit des circonstances

 24   environnantes.

 25   S'il y avait d'autres démarches retenues, quiconque aurait participé à des


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  1   crimes, à des crimes contre le droit humanitaire international, serait

  2   simplement quelqu'un qui aide et encourage et non pas un auteur.

  3   J'en viens maintenant au deuxième motif d'appel présenté par le Procureur.

  4   Il a été fait mention du principe de la souplesse dont fait preuve

  5   l'accusation dans la rédaction de l'Acte d'accusation.

  6   Vous le savez, notre système au Tribunal n'est pas à ce point développé

  7   qu'il y a inscrit dans le marbre la façon d'écrire un Acte d'accusation.

  8   Nous ne nions pas qu'il y ait un élément évolutif. Il y a eu un degré de

  9   souplesse et de flexibilité, mais ceci a été reconnu et accepté dans la

 10   jurisprudence comme étant un élément inévitable.

 11   L'obligation d'informer la défense de la nature des charges retenues

 12   contre l'accusé est reconnue. Ce que nous avons fait valoir, c'est que

 13   l'Acte d'accusation n'a pas nécessairement à présenter des termes de droit

 14   ni les moyens de preuve en tant que tels.

 15   Si l'on nommait telle ou telle référence spécifique à une théorie de droit

 16   dans l'Acte d'accusation, ça ne veut pas dire qu'on ne peut pas se baser

 17   sur cette théorie du droit. Il a aussi été suggéré que la forme élargie

 18   d'entreprise criminelle commune n'est pas mentionnée expressément dans

 19   l'Acte d'accusation, et que ceci a pour conséquence qu'un accusé peut être

 20   condamné pour quelque chose dont il n'a pas été accusé dans l'Acte

 21   d'accusation. Ce n'est sans doute pas ce que nous affirmons.

 22   Notre point de départ, c'est la prémisse selon laquelle il y a, dans un

 23   Acte d'accusation, des termes généraux, dont notamment -et c'est certain-

 24   la forme élargie d'entreprise criminelle commune.

 25   Si vous prenez l'Article 7.1 et si nous plaidons les termes de cet Article


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  1   dans un Acte d'accusation, c'est logique, toutes formes de participations

  2   visées par le 7.1 sont incluses, y compris la forme de responsabilité pour

  3   entreprise criminelle commune, et la forme élargie également.

  4   On ne peut pas affirmer que ceci n'a pas été plaidé. Au contraire, si on

  5   exclut la forme élargie de cette entreprise criminelle commune, ce serait

  6   ignorer quelque chose qui se trouve effectivement dans l'Acte

  7   d'accusation.

  8   A notre avis, la Chambre de première instance doit examiner toutes les

  9   formes de responsabilités plaidées dans l'Acte d'accusation.

 10   La question se posant n'est pas de savoir si ceci se trouve dans l'Acte

 11   d'accusation, c'est plutôt de savoir s'il faut communiquer davantage de

 12   détails à la défense. Et nous les avons donnés dans toutes les

 13   circonstances; c'est une question de faits. Et si la défense éprouve la

 14   moindre difficulté à cet égard -comme je l'ai dit ce matin-, il faut que

 15   ceci soit dit par la défense, mais au moment qui s'y prête.

 16   J'en ai ainsi terminé de ma réplique pour ce qui est du deuxième motif.

 17   M. Shahabuddeen (interprétation): Est-ce que la défense demanderait

 18   davantage de détails?

 19   M. Staker (interprétation): Oui. Il y a toute une série de recours

 20   possibles, par exemple des mémoires préalables au procès, mais ceci ne

 21   découle pas du tout de la phase préalable au procès.

 22   Je me permets de vous demander d'écouter maintenant ma collègue, Mme

 23   Brady.

 24   (Réplique du Procureur à la défense, relative aux motifs d'appel 3 et 5,

 25   par Mme Brady.)


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   1   Mme Brady (interprétation): Messieurs les Juges, ma réplique sera très

  2   brève. Je voudrais réagir à deux éléments en ce qui concerne la torture,

  3   et un point s'agissant de la persécution.

  4   Parlons de la torture.

  5   Maître Bakrac a soutenu que, au fond, l'information ne suffisait pas pour

  6   être alarmante et pour informer l'intimé, pour lui donner des raisons

  7   d'être au courant de l'existence des tortures. Au fond, qu'a-t-il fait? Il

  8   a ventilé, il a morcelé les moyens de preuve les plus essentiels sur

  9   lesquels nous nous sommes fondés pour expliquer que l'accusé devait

 10   forcément être au courant.

 11   A notre avis, ce n'est pas là la bonne façon de procéder. Nous nous

 12   fondons sur tout un ensemble de connaissances, de savoir. Dans cet

 13   ensemble, se trouve ce que le témoin RJ lui a dit, se trouve également ce

 14   que l'intimé sait et ce qu'il sait être arrivé à Ekrem Zekovic; il y a

 15   aussi les signes visibles et généralisés qui se trouvaient sur le corps

 16   des détenus qui déambulaient ou qui ne déambulaient pas parce qu'ils

 17   étaient à ce point blessés qu'ils devaient se traîner dans la cour. Et il

 18   faut voir toutes ces informations à la lumière de la nature

 19   discriminatoire, des conditions de vie inhumaines et de l'emprisonnement,

 20   de l'état d'emprisonnement des détenus.

 21   A notre avis, si ceci ne suffit pas pour déclencher le droit ou devoir

 22   -plus exactement- de diligenter une enquête, qu'est-ce qui le sera? Je ne

 23   vais pas parcourir chacun de ces indices qui auraient dû l'alerter à

 24   l'existence de torture. Cependant, je dirai en guise de réplique, qu'il

 25   semble présenter comme principe juridique que le supérieur doit être au


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  1   courant de la nature exacte des crimes commis. Mais, quant aux

  2   informations, elles doivent contenir tout ceci. Et ceci, à notre avis,

  3   n'est pas exact en droit.

  4   Dans l'affaire Celebici, il a été estimé que les informations à la

  5   disposition du supérieur ne doivent pas nécessairement préciser la nature

  6   exacte du crime. Il suffit qu'il soit informé. Il ne faut pas

  7   nécessairement dire: "Voilà, c'est telle et telle torture qui se produit

  8   dans ces pièces". Non, il faut simplement qu'il soit avisé de la situation

  9   pour qu'il agisse davantage.

 10   Permettez-moi également de répondre au deuxième point concernant la

 11   torture. Là où il a été dit qu'il n'y avait aucune certitude qu'une

 12   enquête aurait dévoilé le fait que des tortures se produisaient, comme

 13   étant un facteur concluant.

 14   Je pense que la défense n'a pas compris la responsabilité telle que visée

 15   à l'Article 7.3. C'est pour l'omission du devoir, c'est l'abandon du

 16   devoir. La prémisse, ce n'est pas tellement ce qui aurait pu être le

 17   résultat final, ce qui aurait pu être découvert si l'enquête avait été

 18   menée. Il ne doit même pas terminer cette enquête, il doit simplement

 19   prendre des mesures pour la déclencher, pour envoyer les rapports

 20   nécessaires à qui de droit. C'est plutôt l'abandon de son devoir

 21   d'enquête, alors qu'il avait été avisé de certaines choses. Il était

 22   avisé, il savait qu'il y avait des crimes qui se produisaient. C'est tout

 23   ce que je dirai pour ce qui est de la torture.

 24   Parlons maintenant de la persécution, à raison de passages à tabac ou

 25   sévices.


Page 193

  1   L'essentiel de son argument, c'est ceci: il dit que l'accusation voulait

  2   une démarche contextuelle pour établir l'intention discriminatoire; que

  3   l'accusation, quelque part, essaie de se délester du fardeau de la preuve

  4   qui pèse sur ses épaules.

  5   L'accusation n'essaie pas du tout, Messieurs les Juges, de déplacer ce

  6   fardeau de la preuve qui reste fermement sur les épaules de l'accusation;

  7   ce n'est pas ce que nous faisons. En réalité, dans la plupart des cas, la

  8   seule façon de prouver l'intention dans un crime -et c'est vrai pour les

  9   affaires que connaît le Tribunal, mais c'est vrai aussi dans les système

 10   nationaux-, la seule façon d'administrer la preuve, c'est de la déduire de

 11   toutes les circonstances environnantes.

 12   Rares… enfin, pas très courants, sont les cas où il y a l'expression

 13   directe de l'intention de la part de l'auteur. Il ne va pas crier son

 14   intention au moment où il commet l'acte! Il n'est pas donné qu'une

 15   personne va passer aux aveux, aveux qui vont révéler son intention, au

 16   moment même des faits.

 17   La Chambre de première instance doit pouvoir déduire l'intention des

 18   circonstances environnantes. Et ici, les circonstances sont précisément la

 19   nature systémique du comportement discriminatoire au KP Dom, la nature

 20   systémique et systématique des sévices qui étaient infligés dans cet

 21   établissement.

 22   Ce contexte s'établit par un schéma fréquent, par la fréquence de ces

 23   passages à tabac, à tel point qu'il est fort improbable que ceci aurait pu

 24   être motivé par des facteurs inopinés.

 25   A notre avis, si les moyens de preuve dévoilent un schéma généralisé


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  1   d'actes qui auront eu lieu dans un environnement dont la caractéristique

  2   essentielle est la discrimination pour une des raisons énumérées, raisons

  3   religieuses, raciales ou politiques, la seule déduction ou inférence

  4   logique -sauf preuve du contraire- c'est que ces actes, de façon

  5   significative, ont été exécutés avec l'intention discriminatoire requise.

  6   En d'autres termes, nous estimons qu'on est forcé à la déduction lorsque

  7   l'environnement est tel qu'il est marqué, surtout par la discrimination.

  8   En particulier, nous renvoyons à la proximité très grande qui existe entre

  9   ces sévices et les autres crimes dont il est certain qu'ils ont une

 10   motivation discriminatoire. Or ces actes ont été commis par les mêmes

 11   personnes, les gardiens.

 12   Ceci ne renverse pas la charge de la preuve. La charge de la preuve

 13   demeure sur les épaules de l'accusation; c'est elle qui doit présenter

 14   toutes les preuves nécessaires permettant de déclencher cette présomption.

 15   Que disons-nous, en résumé? Si la Chambre de première instance est en

 16   mesure de conclure que ces actes ont effectivement eu lieu et

 17   qu'effectivement, c'est un environnement surtout caractérisé par des

 18   pratiques systématiquement discriminatoires, on a du mal à se demander… on

 19   peut se demander cette question rhétorique en prenant un exemple tout à

 20   fait hypothétique: on peut se demander si l'accusé peut dissimuler ce

 21   genre de présomption.

 22   Nous avons mentionné des exemples venant du droit romano-germanique, de la

 23   common law, mais aussi de décisions prises notamment par la Commission

 24   interaméricaine sur les Droits de l'homme. Ce sont là des sources des plus

 25   précieuses; vous le constaterez, j'en suis sûr. Ce Tribunal a reconnu


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   1   aussi qu'il était possible, qu'il était légitime de tirer certaines

  2   présomptions dans des circonstances précises. Je ne vais pas donner trop

  3   de détails pour laisser le temps à mes collègues d'intervenir sur leurs

  4   motifs.

  5   Mais rappelez-vous l'affaire Aleksovski en appel, paragraphe 42; et même,

  6   effectivement, la décision que vous avez prise dans l'arrêt Kunarac

  7   s'agissant du viol. Là où il y a preuve de la présence de forces ou de

  8   contrainte, de coercition, en l'absence d'autres moyens de preuve, il n'y

  9   a pas d'autre choix, il ne peut pas y avoir consentement. Et ici, nous

 10   reprenons par analogie ce type de raisonnement.

 11   Voilà ce que je voulais dire. Je ne sais pas si je peux vous aider

 12   davantage? Si ce n'est pas le cas, je vais donner la parole à Mme Rashid

 13   qui va évoquer les sixième et septième motifs.

 14   (Réplique du Procureur à la défense, relatives aux motifs d'appel 6 et 7,

 15   par Mme Rashid.)

 16   Mme Rashid (interprétation): Merci, Messieurs les Juges.

 17   Permettez-moi de répondre à deux points évoqués par Me Bakrac. Ils ont

 18   tous deux trait à la déportation, septième motif.

 19   Mon confrère a soulevé la question de la déportation, ou plutôt du

 20   transfert. Il donne l'exemple d'un transfert de Musulmans depuis leur

 21   domicile jusqu'au KP Dom.

 22   Ceci ressemble à la question que deux d'entre vous, Messieurs les Juges

 23   -M. le Juge Shahabuddeen et M. le Juge Schomburg-, avez posée.

 24   Malheureusement, je n'ai pas eu le temps de répondre à ce moment-là et je

 25   vais saisir l'occasion qui m'est donnée pour répondre maintenant.


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  1   Transfert de maison à maison; c'était le cas. Ou trajet de faible

  2   distance.

  3   L'acte de déportation, tel que défini notamment dans le Jugement Blaskic

  4   ou vertu de l'Article 7.1)d) du Statut de la CPI ne pose pas de limite; la

  5   distance n'est pas en cause.

  6   Je l'ai dit dans mes présentations précédentes: il faut mettre l'accent

  7   sur les intérêts que la déportation cherche à protéger et par rapport au

  8   préjudice qu'on essaie d'éviter.

  9   L'acte de déportation est, en quintessence, le déplacement par la force,

 10   le déplacement illicite d'une personne du lieu de résidence. Pour répondre

 11   rapidement à la question soulevée par Me Bakrac, ce sera oui. Tout est

 12   fonction de la raison pour laquelle une victime est transférée.

 13   Effectivement, l'accusation estime qu'elle a le devoir et la

 14   responsabilité de prouver que, en vertu du droit international, la

 15   déportation était un acte illicite.

 16   Tout est fonction des éléments constitutifs de la déportation, de voir si

 17   ces éléments sont réunis ou pas en l'espèce. Si la victime a été

 18   transférée par la force, délogée d'une maison pour être déplacée dans une

 19   autre pour des raisons de sécurité ou des raisons militaires -c'est

 20   selon-, comme le droit de Genève, à ce moment-là ce n'est pas

 21   nécessairement de la déportation.

 22   Mais prenons l'effet de cette cause-ci. Aucune exception de ce genre n'a

 23   surgi. Jamais il n'a été allégué et il n'y a pas eu de moyens de preuve

 24   selon lesquels les détenus auraient été transférés pour des raisons de

 25   sécurité ou pour des raisons militaires. Des détenus ont été emmenés de


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  1   chez eux, ont été placés au KP Dom. En théorie, c'est de la déportation,

  2   ils ont été déplacés de chez eux par la force, mais ce n'est pas du tout

  3   l'allégation que nous avions. Ici, je réponds uniquement à l'hypothèse

  4   évoquée par mon confrère. La plupart des détenus qui ont quitté le KP Dom,

  5   qui ont été soi-disant échangés ou ont simplement disparu, ce n'est pas là

  6   quelque chose de rare dans un conflit.

  7   Prenons Srebrenica: ici, nous parlons de 25.000 femmes et enfants qui ont

  8   été déportés d'un endroit à l'autre. Si les forces serbes entrant dans

  9   Ahmici décidaient d'en expulser tous les habitants musulmans, les

 10   expulsaient sans trop se préoccuper de la destination ultime de ces

 11   personnes, mais avaient pour seul objectif de veiller à ce que ces

 12   personnes partent d'Ahmici, l'accusation se trouve dans l'impossibilité de

 13   prouver le lieu où se sont retrouvées toutes ces personnes. Certains sont

 14   devenus des réfugiés, vivent toujours dans la région, d'autres sont en

 15   Allemagne aujourd'hui ou aux Pays-Bas; nous ne le savons pas. C'est la

 16   raison pour laquelle, à notre avis, il faut dans l'acte de déportation se

 17   concentrer sur l'acte de délogement d'une personne, de faire sortir une

 18   personne de son lieu de résidence. Ce n'est pas la destination qui compte.

 19   Autre point soulevé par Me Bakrac, il concerne les échanges. Permettez-moi

 20   d'apporter un éclaircissement sur ce que j'avais dit précédemment à propos

 21   de l'échange; le droit international n'est pas clair. L'échange en tant

 22   que tel est-il un crime? Ce n'est pas clair et nous n'avons pas dans notre

 23   acte d'appel évoqué cette question. Tout simplement, cette question ne

 24   découlait pas des faits de la cause. La question de la légalité d'un

 25   échange reste toujours peu claire.


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   1   La Chambre de première instance a catégorisé les incidents de déportation

  2   d'échanges, de soi-disant échanges à partir des faits; car, nous l'avons

  3   dit dans l'Acte d'accusation, c'étaient des actes de transfert. La défense

  4   au moment du procès n'a pas allégué que les soi-disant échanges qui se

  5   sont produits auraient été légaux, licites. Au moment du procès, les

  6   avocats de Krnojelac ont dit que ce n'était pas Krnojelac qui était

  7   responsable de ce programme d'échanges, que c'était un certain Kovac,

  8   Marko Kovac, que c'était lui, ce militaire.

  9   La question de la légalité des échanges n'a jamais été un moyen de défense

 10   au moment du procès. Si la Chambre d'appel veut un complément

 11   d'informations et d'arguments à ce propos, nous sommes tout à fait prêts à

 12   déposer de nouvelles écritures sur ce point. Mais à partir des faits de la

 13   cause et aux fins du présent appel, c'est sans intérêt.

 14   J'en ai ainsi terminé de ma réplique. Je pense que c'est maintenant Me

 15   Carmona qui va vous parler des deux derniers motifs: les motifs 4 et 8.

 16   Merci Monsieur le Président et Messieurs les Juges.

 17   M. le Président: Merci Maître Rashid.

 18   Maître Carmona? Vous n'avez pas de chance, vous êtes toujours le dernier!

 19   (Réplique du Procureur à la défense, relative aux motifs d'appel 4 et 8,

 20   par M. Carmona.)

 21   M. Carmona (interprétation): Effectivement, Monsieur le Président!

 22   Messieurs les Juges, au départ j'aimerais revenir sur un point soulevé par

 23   l'un d'entre vous à propos du paragraphe 98. Des préoccupations ont été

 24   manifestées quant à la question de savoir si, par exemple, un certificat

 25   présenté aux Juges en date du 11 janvier 2000… de savoir si la défense


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  1   était autorisée à présenter pour appréciation ce document à la Chambre. Il

  2   faut voir la genèse de cette procédure.

  3   Que s'est-il passé dans les faits? Il existait un autre document qui, lui,

  4   portait la date… Il provenait de Momcilo Mandzic, le Président, qui avait

  5   désigné Krnojelac en tant que directeur permanent, et ceci prenait effet à

  6   partir du 17 mai 1992.

  7   Voici ce qui s'était passé. Ce document venait bien sûr du ministère de la

  8   Justice. La défense demandait le versement d'un document qui venait du

  9   département de la Défense, où on résumait des données quant au

 10   fonctionnement, aux réglementations et aux responsabilités de Krnojelac.

 11   Et ce document disait au fond que sa responsabilité se limitait à

 12   maintenir le bien culturel que représentait l'établissement pénitentiaire.

 13   Par excès de prudence, la Chambre de première instance a reconnu qu'il y

 14   avait deux documents controversés. Et c'est un résumé qui est contemporain

 15   et qui aura une influence sur le poids donné à ce document. Nous avons

 16   laissé l'option qui consistait à avoir un supplément de documents et à

 17   demander le versement s'ils le voulaient. Or ils ne l'ont pas fait, les

 18   avocats de la défense; ils n'ont pas demandé le versement de ce document.

 19   Apparemment, il y avait une espèce de dispense ou d'exemption. Mais même

 20   ceci étant donné, l'accusation essayait de contre-interroger à propos de

 21   ce document et ceci a fait l'objet d'une objection de la part de la

 22   défense. La démarche n'était pas constante, si vous voulez.

 23   La possibilité de verser le document a été donnée à la défense, or elle

 24   n'en a pas tiré partie. Mais je ne veux pas ici polémiquer parce que je

 25   suppose que, demain, Me Bakrac va soulever cette question des documents et


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  1   je devrai y répondre au moyen de faits.

  2   Mais ceci mis à part, Me Bakrac a dit que, pour ce qui est des moyens de

  3   preuve, il a dit qu'il n'était pas possible d'en conclure au crime, au

  4   meurtre.

  5   Madame Brady l'a dit, il n'est pas nécessaire d'avoir une connaissance

  6   spécifique. Mais j'ajouterai qu'il n'est pas nécessaire de connaître tous

  7   les éléments constitutifs de l'infraction. C'est bien ce que dit Celebici,

  8   au fond.

  9   Pour ce qui est du témoin RJ, je suis un peu perplexe face à la réponse

 10   donnée par Me Bakrac à propos de RJ. Lorsqu'il dit que ce que la défense

 11   estime… ou ce qu'a dit le témoin à l'accusé n'est pas nécessairement vrai.

 12   Mais vous savez que c'était l'homme de confiance de Krnojelac, ce témoin;

 13   (expurgé). Et il a dit: "Mais non, 'Mico'

 14   n'aurait pas pu être arrêté". Or, il l'a été.

 15   La déposition que fait RJ à propos de la conversation qu'il a eue avec

 16   Krnojelac a été crue par la Chambre de première instance. Et si l'on pense

 17   aux informations relayées au directeur, s'agissant de ce qui se passait,

 18   vous avez ici, à l'endroit du compte rendu d'audience où il dit à

 19   Krnojelac qu'il y a beaucoup de personnes portées disparues, Krnojelac

 20   répond en disant: "(expurgé), ne me pose pas cette question, je ne veux pas

 21   savoir ou je ne sais pas".

 22   Autre question soulevée par l'avocat de la défense: il a demandé s'il

 23   était nécessaire d'agir par rétroactivité pour diligenter une enquête.

 24   Ceci concernait Ekrem Zekovic. Rappelez-vous, ce tabassage-là, il a eu

 25   lieu vers le 8 ou le 9 juillet, quelque trois semaines avant que Krnojelac


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  1   n'abandonne ses fonctions. Et Me Bakrac a dit qu'on n'aurait pas dû

  2   utiliser cet incident pour dire qu'inévitablement, forcément, à notre

  3   avis, Krnojelac était avisé.

  4   Or ceci concerne un individu dont tous reconnaissent que c'était un homme

  5   au tempérament très violent, très brutal, avant le conflit et pendant; que

  6   c'était là un homme qui, objectivement, n'aurait jamais dû être gardien

  7   d'un camp, vu son comportement général.

  8   Ceci est intervenu à un moment tardif de ses fonctions, mais ceci ne

  9   l'empêchait pas de réagir, d'assumer ses responsabilités. Rien ne prouve

 10   qu'il n'était pas au courant de cet incident.

 11   Et aussi pour l'incident avec Burilo; effectivement, là, il s'en est un

 12   peu lavé les mains. Or il a reçu des informations tout à fait étonnantes

 13   et il était présent au moment où le passage à tabac se faisait.

 14   Pour ce qui est maintenant de l'absence du camp, je pense que nous avons

 15   très adéquatement réagi à ceci dans notre mémoire. En note de bas de page

 16   184, nous faisons référence au commentaire du CICR, à un protocole

 17   additionnel: le fait que l'intimé ait été absent pendant une période

 18   donnée ne suffit pas en tant que tel. On ne peut pas être exonéré de ses

 19   responsabilités de supérieur en invoquant l'ignorance de rapports étant

 20   adressés à cette personne ou en invoquant une absence temporaire.

 21   Rappelez-vous Mucic, à Celebici, qui était un grief similaire. Seulement,

 22   la Chambre d'appel ne l'a pas retenu. Il s'est absenté lui-même du camp.

 23   Certes, il n'y a passé que sept mois alors que Krnojelac, lui, il a été

 24   directeur pendant 15 mois.

 25   J'ai parlé de la fonction de directeur. Maître Bakrac s'en inquiétait; il


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  1   estimait que ceci, c'était dans le contexte de sa personnalité de

  2   conformiste. Et le fait que la Chambre de première instance s'en serait

  3   servi pour donner moins de poids à sa position de supérieur hiérarchique.

  4   Mais nous estimons que ce n'est pas correct. Quelqu'un qui est un

  5   commandant ne peut pas simplement dire: "Voilà, je suis directeur, mais il

  6   ne faut pas en tenir compte".

  7   Pour ce qui est de la question des victimes, une fois de plus, dans notre

  8   mémoire, nous avons répondu de façon adéquate en parlant du rôle de plus

  9   en plus important joué par les victimes au plan international. Et le

 10   témoin FWS-183 avait effectivement fait une référence; il a indiqué le

 11   type de souffrances subies par les familles qui n'avaient pas le droit de

 12   visite, qui savaient que leur père avait été passé à tabac, ce genre de

 13   choses. Je crois que nous avons répondu à ce genre d'argument dans nos

 14   écritures.

 15   Est évoquée maintenant la question de la coopération. Nous ne pensons pas

 16   que la souplesse affichée par un conseil de la défense doit nécessairement

 17   être prise en compte au moment de formuler la peine. Tout est question de

 18   comportement, en fin de compte. Nous l'avons dit dans nos écritures, dans

 19   notre réplique à la réponse. Pourquoi sommes-nous de cet avis? Pourquoi

 20   pensons-nous qu'un conseil plaidant ici a une responsabilité et qu'il ne

 21   doit pas simplement tomber sous ce principe de l'unité entre conseil et

 22   client? Parce que le conseil est là pour accélérer le déroulement d'une

 23   procédure et n'a rien à voir avec la conduite même de l'appelant, de

 24   l'intimé ou de l'accusé.

 25   Quatrième chose: toute cette question de la comparaison entre des


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  1   personnes qui sont du même acabit dans le contexte de poste occupé dans un

  2   camp. On a cité Aleksovski, on a cité Kupreskic. Mais dans ces deux

  3   affaires, on s'est servi du précédent de la peine. Mais ceci doit se faire

  4   en fonction de la similitude substantielle, pas d'une similitude générale.

  5   Prenez Aleksovski: en fait, il aurait pu écoper d'une peine beaucoup plus

  6   lourde s'il n'y avait pas eu cette question de "non bis in idem". Mais au

  7   fond –et nous l'avons déjà dit-, la Chambre d'appel a reconnu notre

  8   argument. Si on pense à la peine, aux meurtres, aux tortures –nous parlons

  9   ici de tortures perpétrées sur 26, ou plutôt 23 individus-, c'est un

 10   facteur qui devrait avoir un poids conséquent lorsqu'on se demande si la

 11   peine à prononcer correspond aux critères appropriés. Et je le dis

 12   d'autant, si l'on voit ce que la Chambre de première instance a dit au

 13   paragraphe 514: "La sentence doit montrer à d'autres qui se trouvaient,

 14   comme l'accusé, dans une position, dans un poste de responsabilité, dans

 15   l'exercice de ses fonctions, qu'ils doivent être prêts à être punis pour

 16   tout manquement".

 17   Nous avons une peine ici de sept ans et demi qui renvoie à ce qui étaient,

 18   en fait, les objectifs assez creux de la Chambre de première instance.

 19   Voilà. Sans en dire davantage, je pense que j'ai ainsi terminé ma

 20   présentation.

 21   M. le Président: Est-ce qu'il y a des questions? Je ne pense pas. Qui a

 22   des questions? Il n'y a pas de questions.

 23   Je vais donc lever l'audience et puis, vous donner rendez-vous demain

 24   matin à 9 heures pour entendre l'appel de la défense. En essayant de ne

 25   pas trop vous répéter, si vous pouvez. Merci.


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  1   (L'audience est levée à 17 heures 39.) 

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