Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-98-33-T

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE

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4 Mercredi 22 mars 2000

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6 L'audience est ouverte à 09 heures 35.

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8 (L'accusé est introduit dans le prétoire.)

9 M. le Président. - Bonjour, mesdames, messieurs. Est-ce que les

10 interprètes m'entendent ?

11 Les interprètes. - Bonjour, Monsieur le Président.

12 M. le Président. – Bonjour, je vous salue. Je salue le banc de

13 l'accusation, la défense, le général Krstic.

14 Nous sommes les mêmes aujourd'hui pour le compte rendu, nous

15 sommes dans l'affaire Krstic. Nous allons continuer le témoignage commencé

16 hier. Je donne donc la parole à M. Cayley, s'il vous plaît.

17 M. Cayley (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président.

18 Bonjour, Monsieur et Madame les Juges. Nous en arrivons à la fin du

19 témoignage de M. Mandzic. Je demanderai qu'on le fasse pénétrer dans le

20 prétoire.

21 (Le témoin est introduit dans le prétoire.)

22 M. le Président. - Bonjour, monsieur. Vous m'entendez ?

23 M. Mandzic (interprétation). – Oui, je vous entends. Je souhaite

24 le bonjour à tout le monde.

25 M. le Président. - Avez-vous la traduction correcte ? Oui, je le

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1 pense.

2 M. Mandzic (interprétation). – Oui.

3 M. le Président. - Je vous rappelle que vous continuez, vous

4 êtes sous serment. Vous allez continuer à répondre aux questions que

5 Me Cayley va vous poser. Merci d'être venu aujourd'hui aussi.

6 M. Cayley(interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

7 Bonjour, monsieur.

8 M. Mandzic (interprétation). – Bonjour, monsieur Cayley.

9 M. Cayley (interprétation). - Nous en sommes restés hier au

10 point de votre déposition où vous évoquiez le 11 juillet 1995, lorsque

11 vous êtes retourné depuis Bratunac à la base de l'ONU à Potocari.

12 J'aimerais maintenant avancer quelque peu dans le temps, pour en venir au

13 12 juillet 1995, le matin du 12 juillet, vous vous trouvez donc à

14 l'intérieur de la base de l'ONU. Pouvez-vous décrire pour le Tribunal la

15 scène telle qu’elle se présentait tant à l'intérieur de la base qu'aux

16 alentours, dans la matinée du 12 juillet 1995 ?

17 M. Mandzic (interprétation). – Oui, dans la base du Bataillon

18 néerlandais de Potocari se trouvaient logés temporairement 5 000 réfugiés,

19 à peu près. C'étaient pour la plupart des personnes âgées ayant du mal à

20 marcher et quelques dizaines de blessés souffrant de blessures dues au

21 pilonnage de la ville et des villages environnants par l'armée de la

22 Republika Srpska. Toutes ces personnes étaient logées dans des conditions

23 tout à fait inadéquates, elles devaient coucher à même le sol. Or,

24 c'étaient des personnes âgées. Elles étaient regroupées à l'air libre,

25 dans la rue, et les usines qui entouraient la base de Potocari. Il y avait

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1 encore 25 000 réfugiés à peu près qui avaient exactement les mêmes

2 problèmes que les personnes regroupées à l'intérieur du camp.

3 M. Cayley (interprétation). - Quelle chaleur faisait-il ce jour-

4 là, Monsieur ?

5 M. Mandzic (interprétation). – La température dépassait

6 30 degrés. Donc, la chaleur était déjà très difficile à supporter, sans

7 parler de la peur, de l'insuffisance en eau, en vivres, en moyens

8 sanitaires, etc.

9 M. Cayley (interprétation). - Les enfants et les bébés, dans

10 quel état se trouvaient-ils, quelle était leur condition à cette époque ?

11 M. Mandzic (interprétation). – Les enfants se trouvaient dans

12 une situation très difficile que j'ai déjà décrite. Il n'y avait pas de

13 nourriture, et donc leurs mères ne pouvaient pas les nourrir. Les mères

14 étaient épuisées, les enfants aussi, ils pleuraient, ils criaient.

15 Il n'y avait aucun produit d'hygiène pour laver ces enfants, les

16 changer, donc c'était un spectacle lamentable, qui a provoqué un

17 traumatisme en chacun d'entre nous lorsque nous y repensions plus tard.

18 M. Cayley (interprétation). - A 10 heures, ce matin-là, le

19 colonel Karremans vous a une fois de plus appelé. Pouvez-vous dire aux

20 Juges pourquoi il vous a appelé et ce que vous avez fait après votre

21 entretien avec lui ?

22 M. Mandzic (interprétation). – Eh bien, si nous repensons à la

23 nuit précédente, c'est-à-dire la nuit du 11 au 12 juillet et à cette

24 première rencontre à Bratunac avec les représentants du pouvoir militaire

25 de la Republika Srpska, le général Mladic a lancé en fait un ultimatum en

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1 exigeant du Bataillon néerlandais et de nous-mêmes que le lendemain, le

2 12 juillet, nous arrivions à Bratunac à 10 heures accompagnés d'une

3 délégation bosnienne qui devait s'occuper de tous ces réfugiés. Nous nous

4 sommes donc organisés et le 12 juillet, à 10 heures, nous nous sommes

5 trouvés à Bratunac avec les représentants du Bataillon néerlandais.

6 M. Cayley (interprétation). - Où êtes-vous allé exactement à

7 Bratunac, ce matin-là ?

8 M. Mandzic (interprétation). – La réunion s’est déroulée encore

9 une fois à l'hôtel Fontana de Bratunac, comme la veille, comme le soir du

10 jour précédent.

11 M. Cayley (interprétation). - Vous évoquez une délégation

12 bosnienne autre que vous-même. Qui étaient les membres de cette

13 délégation ?

14 M. Mandzic (interprétation). – Moi-même, Monsieur

15 Ibro Nuhanovic, qui n'a pas survécu aux événements de Srebrenica, puisque

16 le 13 juillet dans la matinée les unités de la Republika Srpska l'ont

17 séparé de sa famille, et encore aujourd'hui, nous n'avons aucune nouvelle

18 de lui. Et Mme Kamila Osmanovic composait la délégation bosnienne qui donc

19 se composait de trois représentants.

20 M. Cayley(interprétation). - Si vous pouvez vous en souvenir,

21 qui étaient les officiers néerlandais qui vous ont accompagné à cette

22 réunion ?

23 M. Mandzic (interprétation). – Le commandant du Bataillon

24 néerlandais était à ce moment-là le lieutenant-colonel Karremans. Il y

25 avait un commandant de l'armée néerlandaise, le commandant Boering et,

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1 dans mon souvenir, le troisième officier représentant les militaires

2 néerlandais était un autre membre du commandement. Je ne me rappelle pas

3 son nom. Cela dit, je peux le reconnaître, je l'ai reconnu hier sur les

4 images de la cassette vidéo que vous avez diffusée.

5 M. Cayley(interprétation). - Je vous ai montré des séquences

6 vidéo de cette réunion, je ne vais pas les faire visionner ici même au

7 prétoire, mais est-ce que vous pourriez brièvement nous décrire vos

8 souvenirs de cette réunion ?

9 M. Mandzic (interprétation). – Vous parlez de la deuxième

10 réunion, celle qui a commencé à 10 heures du matin le 12 juillet ?

11 M. Cayley (interprétation) - Exactement, monsieur Mandzic.

12 M. Mandzic (interprétation). – Oui, eh bien, cette deuxième

13 réunion était très comparable à celle qui avait eu lieu le soir du jour

14 précédent. A savoir que, pendant que nous discutions, et de façon tout à

15 fait intentionnelle, quelqu'un est arrivé de l'extérieur, s'est adressé au

16 général Mladic en lui disant : "Les Bosniens sont en train d'arriver sur

17 le stade de Bratunac". Ce stade était le terrain de football de Bratunac.

18 Nous avons entendu cette nouvelle qui nous a beaucoup troublés.

19 Mais j'ai jeté un coup d'oeil à ma montre, et puisqu'il est impossible en

20 une demi-heure que des milliers de réfugiés arrivent à Bratunac depuis

21 Potocari, il m'est apparu clairement qu'il s'agissait d'une provocation

22 montée de toutes pièces et destinée à terroriser les représentants

23 bosniens pour qu'ils se trouvent plus vulnérables dans la présentation de

24 leurs exigences.

25 Autrement dit, ce qu'ils souhaitaient, c'était de nous

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1 démoraliser et de nous réduire sur le plan physique également, de façon à

2 nous rendre incapables d'agir. Et j'indique que l'un des membres de notre

3 délégation a subi ce jour-là un choc psychique important.

4 M. Cayley (interprétation) - Est-ce que vous vous souvenez

5 d'autres aspects qui ont été discutés lors de cette réunion ?

6 M. Mandzic (interprétation). – Lors de cette réunion, il a été

7 question également des modalités de l'évacuation de la population, mais

8 aucune mesure concrète n'a été discutée.

9 M. Cayley (interprétation) - Est-ce que vous vous souvenez qui

10 assistait à cette réunion ?

11 M. Mandzic (interprétation). – En dehors des officiers

12 représentant le commandement de l'armée de la Republika Srpska, étaient

13 présents, selon mon souvenir, deux civils représentant la municipalité de

14 Bratunac : Miroslav Deronjic qui, à ce moment-là était président du parti

15 démocratique serbe au sein de la municipalité de Bratunac, et Milisav

16 Simic, si je ne m'abuse, qui à ce moment-là était le président de la

17 municipalité de Bratunac.

18 M. Cayley (interprétation) - Pouvez-vous nommer les personnes

19 représentant le commandement de l'armée de la Republika Srpska qui étaient

20 présentes ce matin-là à cette réunion dans la matinée du 12 juillet ?

21 M. Mandzic (interprétation). – Oui, je me rappelle parfaitement

22 qu'à côté du général Mladic était assis le général Krstic qui subit ce

23 procès aujourd'hui, ainsi que plusieurs autres officiers dont je me

24 rappelle le visage, mais je ne saurais dire leur nom ici aujourd'hui.

25 M. Cayley (interprétation) - Vous souvenez-vous si M. Miroslav

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1 Deronjic a prononcé des paroles pendant cette réunion, a dit quelque

2 chose ?

3 M. Mandzic (interprétation). – Je ne me rappelle pas, mais il me

4 semble que Simic a parlé.

5 M. Cayley (interprétation) - Pouvez-vous dire exactement ce que

6 M. Simic a dit à cette réunion ?

7 M. Mandzic (interprétation). – Oui, Simic s'est adressé au

8 général Mladic en lui disant qu'ils étaient dans la nécessité de réaliser

9 des entretiens informatifs avec certains Bosniaques qu'ils suspectaient

10 d'être membres des forces armées.

11 M. Cayley (interprétation) - Vous souvenez-vous à quelle heure

12 la réunion a pris fin ?

13 M. Mandzic (interprétation). – Oui, entre 11 heures et 11 heures

14 et demie.

15 M. Cayley (interprétation) - Après la réunion, qu'avez-vous

16 fait ?

17 M. Mandzic (interprétation). – Après la réunion, nous sommes

18 retournés avec les officiers néerlandais dans le camp du Bataillon

19 néerlandais. Dans cette situation très difficile, nous réfléchissions à ce

20 qu'il convenait de faire car, manifestement, nous n'avions reçu aucune

21 garantie ferme quant au fait qu'une solution positive serait trouvée pour

22 régler la situation de tous ces réfugiés.

23 Donc, moi-même et M. Ibro Nuhanovic étions très inquiets et nous

24 avons pensé à établir une liste des réfugiés présents, ce qui était une

25 tâche très difficile dans ces conditions.

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1 Et il me semble que je devrais indiquer également que, durant la

2 première et la deuxième réunion, le général Mladic avait promis que toutes

3 ces personnes, quel que soit leur âge, leur sexe, etc., seraient

4 autorisées, si elles le souhaitaient, à partir. Et nous constaterons que,

5 par la suite, il ne s'est pas agi d'une évacuation, mais bel et bien d'une

6 déportation sous la contrainte.

7 Mladic a répété à plusieurs reprises qu'il autoriserait

8 l'évacuation de toutes ces personnes si elles souhaitaient partir.

9 M. Cayley (interprétation) - Vous avez évoqué le général Mladic.

10 Etait-il là, ce jour-là, à Potocari ?

11 M. Mandzic (interprétation). – Oui, oui, oui. Il est arrivé à

12 Potocari entre midi et 13 heures, si je me souviens bien, ce jour-là.

13 M. Cayley (interprétation) - A midi ou à 1 heure, lorsqu'il est

14 arrivé, l'expulsion, la déportation, le déplacement de la population

15 avait-il commencé ?

16 M. Mandzic (interprétation). – Dans mon souvenir, le général

17 Mladic est arrivée à Potocari, comme je viens de le dire. Il a pénétré

18 dans cette masse de réfugiés entre midi et 13 heures, selon moi. Et il me

19 semble que la déportation a commencé après 13 heures ce jour-là, le

20 12 juillet, après le départ de Mladic de Potocari.

21 M. Cayley (interprétation) - Est-ce que vous pouvez situer de

22 manière approximative le moment auquel le déplacement de la population a

23 commencé ?

24 M. Mandzic (interprétation). – Après 13 heures, le 12 juillet.

25 M. Cayley (interprétation) - Pouvez-vous décrire au Tribunal

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1 exactement ce que vous avez vu ? Ce qui s'est passé dans le contexte de

2 cette expulsion ?

3 M. Mandzic (interprétation). – Ce jour-là, le 12 juillet 1995,

4 dans l'après-midi, je me trouvais dans le camp des soldats néerlandais et

5 j'ai vu, comme toutes les autres personnes présentes dans le camp, que

6 l'on faisait monter à bord de plusieurs autobus des femmes et des enfants.

7 Nous avons vu ainsi se remplir les autobus les uns après les autres. Il y

8 avait une dizaine d'autobus qui attendaient sur place que la population

9 monte à bord.

10 Et voyant cela, nous nous sommes rendus compte tout d'un coup

11 que ce à quoi nous assistions était la séparation de la population,

12 puisque ne montaient à bord que les femmes et les enfants. Donc où étaient

13 les hommes de 15-16 ans et jusqu'à 60 ans et plus ? Cela a provoqué chez

14 nous un trouble supplémentaire, mais nous étions impuissants à faire quoi

15 que ce soit.

16 M. Cayley (interprétation). – Avançons maintenant, passons au

17 début de la soirée du 12 juillet. Je pense que le commandant Karremans, le

18 commandant néerlandais, est encore venu vous parler. Pouvez-vous dire au

19 Tribunal ce qui s'est passé après cet entretien ?

20 M. Mandzic (interprétation). - Dans l'après-midi, entre 17 et

21 18 heures, ce jour-là, le commandant Franken de l'armée néerlandaise s'est

22 adressé à moi et à M. Nuhanovic en nous disant qu'il nous fallait sortir

23 du camp néerlandais de Potocari, et que des officiers membres de l'armée

24 de la Republika Srpska nous attendaient à l'extérieur du camp.

25 Donc, moi-même et M. Nuhanovic -qui malheureusement n'est plus

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1 vivant aujourd'hui, nous pouvons donc mentionner son nom-, nous nous

2 sommes dirigés vers la porte de sortie, et alors que nous nous dirigions

3 vers cette sortie du camp qui était ouverte, un soldat serbe complètement

4 armé et équipé s’est mis à courir dans notre direction et s'est adressé à

5 M. Ibro Nuhanovic. Il parlait d'une façon très agressive, et lui a dit :

6 "Es-tu un Turc ?". Nuhanovic est resté très calme, moi aussi. Mais cela

7 n'a pas arrêté ce soldat serbe qui a frappé d'un coup très violent

8 Nuhanovic. Ce soldat était assez corpulent. Ayant reçu ce coup, Nuhanovic

9 est tombé.

10 Un officier se trouvait non loin, il a vu la scène, un officier

11 néerlandais, et il a à ce moment-là réagi, en disant en anglais : "Non,

12 non, ce n'est pas correct". Le soldat serbe s'est alors éloigné, nous

13 avons avancé encore de 10 à 15 mètres, et nous avons vu à ce moment-là

14 sortir d'une voiture le général Mladic qui nous a donné l'ordre de

15 l'accompagner au milieu de cette masse de personnes regroupées à Potocari.

16 A ce moment-là, le général Mladic m’a donné à moi-même et à

17 M. Nuhanovic l'ordre de nous adresser à cette population, bien que nous

18 n’ayons eu rien de particulier à leur dire, car nous vivions le même sort

19 que ces 30 000 personnes. Mais je me rappelle bien que le général Mladic

20 s'est de nouveau adressé à cette population expulsée en leur disant : "Pas

21 de panique, vous serez tous évacués en toute sécurité jusqu'aux

22 territoires contrôlés par l'armée de Bosnie-Herzégovine, d'abord les

23 personnes âgées et les handicapés, les mères accompagnées d'enfants, et

24 ensuite le reste, les autres".

25 Mais ce qui a accru la panique ce jour-là, c'est que, dès la

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1 matinée de cette journée, les soldats de l'armée de la Republika Srpska

2 avaient encerclé le camp, cet encerclement avait commencé dans la nuit du

3 11 ou 12 juillet. Et dans les premières heures de la matinée, ils ont

4 enfoncé le corridor qui existait et se sont mêlés à la population expulsée

5 en commençant à rechercher de façon très sélective certaines des personnes

6 regroupées à cet endroit qu'ils faisaient sortir de la foule sans aucun

7 motif, et ces personnes n'ont pas encore été retrouvées encore

8 aujourd'hui.

9 Toute la journée, on a pu voir brûler les maisons des environs,

10 et ces maisons, ils les incendiaient également de façon sélective,

11 toujours dans le but de semer la terreur, d'empêcher toute possibilité de

12 retour, d'envoyer un signal très clair indiquant que les Bosniens

13 n'auraient plus la possibilité de vivre à Srebrenica.

14 M. Cayley (interprétation). – Après que Mladic se soit adressé à

15 la foule et que vous soyez à l’extérieur de la base, êtes-vous retourné à

16 l'intérieur de la base néerlandais ?

17 M. Mandzic (interprétation). – Oui, moi-même et Ibro Nuhanovic,

18 nous sommes retournés dans le camp du Bataillon néerlandais où nous avons

19 passé la nuit du 12.

20 M. Cayley (interprétation). – Avez-vous entendu quelque chose au

21 cours de cette nuit-là ?

22 M. Mandzic (interprétation). - Oui, c'est ce qui, encore

23 aujourd'hui, me bouleverse lorsque j'y repense. Il s'agissait de voix

24 prononçant des mots incompréhensibles et des bruits de coups, dont nous ne

25 pouvions déterminer la provenance dans cette nuit, pendant cette nuit du

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1 12 au 13 juillet, puisque nous nous trouvions -comme je l'ai dit- à

2 l'intérieur du camp du Bataillon néerlandais à Potocari, dans le bâtiment

3 qui abritait le commandement.

4 Ce bâtiment avait été fortifié par les officiers néerlandais à

5 l'aide de blocs de béton, de façon à mieux garantir leur sécurité en cas

6 d'attaque contre le Bataillon néerlandais. Je répète donc qu'au cours de

7 cette nuit-là j'ai entendu des coups de feu, des cris, des hurlements,

8 mais sans pouvoir déterminer l'origine de ces bruits, puisque le bâtiment

9 était fortifié par des blocs de béton.

10 M. Cayley (interprétation). - Est-ce que l'on pourrait soumettre

11 la pièce à conviction 5/2 au témoin, et la pièce 5/6 également si

12 possible ?

13 (L'huissier s'exécute.)

14 Monsieur, vous avez déclaré au Tribunal que vous étiez à

15 l'intérieur de la base, cette nuit-là, dans un bâtiment qui avait été

16 consolidé, protégé contre des tirs d'artillerie par du béton. Pouvez-vous

17 indiquer avec le pointeur sur cette photo exactement où vous avez logé

18 cette nuit-là du 12 juillet ?

19 M. Mandzic (interprétation). – Le 12 juillet, j'étais à

20 l'intérieur de la base du Bataillon néerlandais, plus précisément dans le

21 bâtiment qui abritait les officiers. Sur cette photo, le bâtiment se

22 trouve ici.

23 M. Cayley (interprétation). - Qu'il soit inscrit au procès-

24 verbal que le témoin indique l'immeuble en haut, à gauche, dans la case

25 jaune qui délimite la base de l'ONU.

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1 Veuillez maintenant soumettre au témoin la pièce à conviction

2 5/6.

3 Monsieur, reconnaissez-vous cet immeuble ?

4 M. Mandzic (interprétation). – Oui, je le reconnais. Il s'agit

5 d'un complexe industriel. L'usine du 11 Mars, qui faisait partie de la

6 société Energo Invest. Dans ce bâtiment, plus précisément devant le

7 bâtiment passe la route qui relie Bratunac, de Potocari à Srebrenica. Dans

8 la nuit du 12 au 13 juillet, des dizaines de milliers de personnes se

9 trouvaient regroupées dans ce secteur.

10 J'ajoute d'ailleurs que le 11 juillet je suis resté à

11 l'intérieur de ce bâtiment jusqu'à 9 heures, lorsque j'ai été appelé par

12 le commandement du Bataillon néerlandais.

13 M. Cayley (interprétation). - Merci, monsieur. Nous en avons

14 terminé avec ces pièces à conviction.

15 Avançons encore dans le temps. Passons donc au 13 juillet.

16 Pouvez-vous dire au Tribunal quelles étaient les rumeurs que vous avez

17 commencé à entendre le matin de ce jour-là, concernant les hommes

18 bosniaques présents à Potocari et dans les environs ?

19 M. Mandzic (interprétation). – Oui. Ce matin-là, le matin du

20 13 juillet 1995, plusieurs personnes que je ne connaissais pas, qui ne

21 sont plus vivantes aujourd'hui car elles n'ont pas survécu à ces atrocités

22 de Srebrenica, se sont approchées de moi pour me dire : "La nuit dernière,

23 des personnes ont été tuées par des soldats de l'armée de la Republika

24 Srpska qui ont emmené les hommes jusqu'aux premières maisons pour les tuer

25 à l'extérieur du camp, où se trouvaient regroupés 25 000 réfugiés à peu

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1 près. Personne ne pouvait dormir, on a entendu des cris toute la nuit".

2 Cet homme a continué son récit en me disant : "Untel, originaire

3 de Skalana, un village avoisinant, a passé toute la nuit à essayer de se

4 suicider pour que les représentants de l'armée de la Republika Srpska ne

5 le retrouvent pas et ne se défoulent pas sur lui".

6 Et le même genre de choses m'ont été dites par d'autres

7 personnes, qui ont réussi à sauter par-dessus la clôture qui les séparait

8 de l'intérieur du camp du Bataillon néerlandais, de sorte que j'ai été

9 gagné par la peur, comme tous les autres !

10 Après cela, je suis allé voir l'adjoint du commandant du

11 Bataillon néerlandais pour lui demander s'il était possible de mettre un

12 terme à cette soi-disant évacuation qui, en fait, n'en était pas une, mais

13 était une véritable déportation.

14 Je me rappelle que le commandant Franken qui remplaçait le

15 commandant Karremans à ce moment-là m'a dit -et je me rappelle très bien

16 les mots qu'il a utilisés en anglais- : "Ce n'est pas possible, mais je

17 fais de mon mieux".

18 M. Cayley (interprétation). - Veuillez continuer, je ne veux pas

19 vous interrompre.

20 M. Mandzic (interprétation). – Oui. J'ai alors demandé au

21 commandant Franken ce qu'il était possible de faire, quelle était la

22 solution, quelle était l'issue. Je lui ai dit que tous les hommes seraient

23 séparés des autres habitants.

24 Je lui ai demandé si les hommes survivraient, s'il serait

25 possible de prouver par la suite qu'ils avaient vécu à cet endroit. A ce

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1 moment-là, le commandant m'a dit : "Faisons quelque chose, établissons une

2 liste des personnes présentes à l'intérieur du camp, même si ce n'est pas

3 possible d'établir cette liste pour les personnes à l'extérieur du camp".

4 Je me suis immédiatement attelé à cette tâche. J'ai pénétré dans ces

5 ateliers abandonnés de l'usine et avec l'aide de quelques jeunes gens,

6 j'ai commencé à établir la liste des hommes présents âgés de 16 à 17 ans

7 et plus.

8 Je dois dire que l'établissement de cette liste m'a posé

9 quelques problèmes, notamment parce que certains de mes concitoyens

10 avaient très peur de voir leur nom figurer sur cette liste. Je me rappelle

11 que certains disaient : "Eh bien, nous avons confiance en toi, nous te

12 connaissons, mais qu'arrivera-t-il si notre nom figure sur cette liste et

13 que cette liste tombe entre les mains des soldats de la Republika

14 Srpska ?".

15 C'est donc dans ces conditions que nous sommes tout de même

16 parvenus à dresser une liste indiquant quels étaient les homme présents

17 dans le camp et âgés d'au moins 16, 17 ans. Nous avons dénombré ainsi

18 239 hommes. Bien sûr, le nombre des hommes présents était beaucoup,

19 beaucoup plus important mais, pour les raisons que je viens d'indiquer,

20 parce qu'ils avaient peur pour certains que cette liste ne tombe entre les

21 mains des soldats de la Republika Srpska, ils n'ont pas tous donné leur

22 nom.

23 J'ai remis cette liste au commandant Franken. Et moi aussi,

24 d'ailleurs, j'hésitais énormément, je me demandais ce qu'il allait advenir

25 si cette liste comportant 239 noms tombe entre les mains des soldats de

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1 l'armée de la Republika Srpska. J'ai posé la question au commandant

2 Franken quui m'a dit : "Ne t'inquiète pas trop, s'il le faut, je mettrai

3 cette liste dans mon slip et j'interdirai à quiconque de me fouiller".

4 Effectivement, cette liste existe toujours aujourd'hui, mais les

5 hommes dont les noms figurent sur la liste ne sont pas vivants. Et il faut

6 penser aux familles qui pleurent tous ces disparus et pour qui cette liste

7 n'est d'aucune aide.

8 M. Cayley (interprétation) - Monsieur Mandzic, l'évacuation des

9 personnes qui se trouvaient à l'intérieur de la base de l'ONU, à quelle

10 heure cette évacuation a-t-elle pris fin le 13 juillet ?

11 M. Mandzic (interprétation). – Dans la soirée, si je me souviens

12 bien, aux alentours de 19 heures.

13 M. Cayley (interprétation) - Les bus, les camions qui évacuaient

14 ces personnes, avez-vous pu voir ces camions et ces bus de près ?

15 M. Mandzic (interprétation). – Oui, oui. J'ai pu les voir à une

16 distance de 200 mètres à peu près. D'ailleurs, à d'autres moments, je

17 circulais à l'intérieur du camp, et j'ai même pu voir à une cinquantaine

18 de mètres les inscriptions lisibles sur les autobus.

19 J'affirme que cette déportation a été planifiée. C'est ce que

20 montre le grand nombre d'autobus et de camions qui sont arrivés de

21 l'extérieur de villages comme Bijelina, ou de la ville de Banja Luka,

22 Bratunac, etc.

23 Je me rappelle très bien un autobus Semberija Transport de

24 Bijelina, le nom de l'entreprise était inscrit sur l'autobus. Avant la

25 guerre, c'était une entreprise de transport. Il y avait aussi des autobus

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1 de Drina Transport, autre entreprise de transport de Zvornik. Et puis, il

2 me semble aussi qu'il y avait des autobus de l'entreprise de transport

3 AutoTransport, de Banja Luka.

4 M. Cayley (interprétation) - Avez-vous pu constater quel était

5 l'état de la population civile dans ces bus ?

6 M. Mandzic (interprétation). – Oui, oui, oui. J'ai vu à une

7 distance de 50 à 100 mètres ces malheureuses mères de famille, épouses,

8 soeurs de quelqu'un, qui pleuraient, hurlaient, s'arrachaient les cheveux.

9 Ces personnes ont pu monter à bord des autobus pour partir, mais leurs

10 pères, leurs frères, leur époux n'étaient pas avec elles. Alors que dans

11 les journées des 11 et 12 juillet les familles étaient réunies, et elles

12 avaient vécu ensemble de nombreuses années. C'est un fait qui est

13 terrible.

14 Vous devriez voir ces femmes et les conditions dans lesquelles

15 elles vivent encore aujourd'hui. Tout cela vous apparaîtrait de la façon

16 la plus claire.

17 M. Cayley (interprétation) - Vous avez évoqué tout à l'heure

18 qu'il y avait eu des blessés et qu'ils se trouvaient à l'intérieur de la

19 base de Potocari. Qu'est-il advenu de ces blessés le 13 juillet ?

20 M. Mandzic (interprétation). – Un groupe de blessés a été évacué

21 ce jour-là, mais un autre groupe composé, il me semble, de blessés plus

22 graves, en attente d'intervention chirurgicale et qu'il était impossible

23 de transporter, sont restés à Potocari.

24 M. Cayley (interprétation) - Et ce jour-là, vous avez dit plus

25 tôt dans votre déposition qu'il y avait un grand nombre de personnels de

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1 la VRS à l'intérieur même de la base et dans les environs. Vous souvenez-

2 vous si des soldats ou des officiers de la VRS sont entrés dans la base de

3 Potocari ?

4 M. Mandzic (interprétation). – Oui, je me rappelle. Je l'ai déjà

5 dit, mais je tiens à indiquer une nouvelle fois que, dès les premières

6 heures de la matinée du 12 juillet, l'armée de la Republika Srpska a

7 pénétré à l'intérieur de Potocari pour terroriser la population civile,

8 l'intimider et séparer les hommes des femmes et des enfants de façon à

9 indiquer que l'évacuation allait se faire selon ces modalités sélectives.

10 Et le 13 juillet, je me rappelle qu'un officier de l'armée de la

11 Republika Srpska a pénétré également dans le camp, son nom est

12 Momir Nikolic. Avant la guerre, il était enseignant à Bratunac.

13 Momir Nikolic a annoncé qu'il avait été chargé de vérifier l'identité des

14 blessés, leur âge et la façon dont, les circonstances dans lesquelles ils

15 avaient été blessés. Je me trouvais tout près de là, au moment où cet

16 officier, Momir Nikolic, a interrogé un Bosnien, gravement blessé, qui

17 attendait de se faire opérer dans le camp, en lui disant : "Dans quelles

18 circonstances as-tu été blessé ?". Le blessé a commencé par garder le

19 silence et M. Nikolic a ajouté : "Ces blessures, tu les as eues sur le

20 champ de bataille, donc tu ne pourras pas être évacué vers un centre

21 médical pour te faire soigner".

22 Ensuite, il s'est approché d'autres blessés encore, en leur

23 posant le même genre de questions destinées à déterminer à quel endroit

24 ils se trouvaient pendant la guerre, dans quelles circonstances ils ont

25 été blessés et en quel lieu.

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1 Durant cette même journée, j'ai vu un autre officier de la

2 Republika Srpska qui portait des lunettes, et avait une quarantaine

3 d'années, et que l'on voyait hier sur les images de la cassette vidéo. Je

4 ne me rappelle pas son nom ou son prénom, mais je pourrais le reconnaître.

5 M. Cayley (interprétation). – Veuillez soumettre au témoin la

6 pièce à conviction n° 43, s'il vous plaît.

7 (L'huissier s'exécute.)

8 Il serait donc exact de dire que M. Nikolic a joué un rôle actif

9 dans la décision concernant les blessés, lesquels seraient évacués de la

10 base militaire et ceux qui devraient y rester ?

11 M. Mandzic (interprétation). - Oui, c'est tout à fait cela. Il a

12 procédé à un tri sélectif pour déterminer quelle catégorie de blessés

13 serait évacuée et bénéficierait de soins médicaux, et quels blessés

14 devraient rester à Potocari.

15 Oui, c'est ici la photographie de cet officier de l'armée de la

16 Republika Srpska qui a pénétré dans le camp militaire le 13 juillet, et

17 qui avait participé les 11 et 12 juillet aux réunions de Bratinac.

18 M. Cayley (interprétation). – Qu'il soit inscrit au procès-

19 verbal que le témoin se réfère à une photo d'un individu qui portent des

20 lunettes. Pièce à conviction n° 43.

21 Monsieur Mandzic, saviez-vous quel était le rang de M. Nikolic

22 dans la VRS ? Le savez-vous ?

23 M. Mandzic (interprétation). - Certains l'ont présenté en tant

24 que colonel, mais je ne sais pas si c'est exact, un colonel de l'unité

25 dont la zone de responsabilité couvrait Bratunac.

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1 M. Cayley (interprétation). – Et c'est tout ce que vous savez

2 sur le rang de M. Nikolic ?

3 M. Mandzic (interprétation). - Oui, on lui donnait du colonel,

4 et sa zone de responsabilité couvrait le territoire de Bratunac.

5 M. Cayley (interprétation). – Maintenant, ce mouvement, ce

6 déplacement de la population, vous souvenez-vous à quelle heure

7 l'évacuation de la population qui restait dans la base de l’ONU a pris fin

8 ce 13 juillet ?

9 M. Mandzic (interprétation). - Aux alentours de 19 heures, le

10 13 juillet, le camp militaire néerlandais dans lequel étaient regroupées

11 5 000 personnes à peu près, a été pratiquement vidé car les officiers de

12 l'armée de la Republika Srpska ont donné l'ordre à tous les réfugiés de

13 quitter le camp.

14 Donc, après 19 heures, il n'est resté dans le camp que

15 27 Bosniens qui, pour la plupart travaillaient pour la Forpronu ou le MSF

16 en tant qu'employés locaux et un petit groupe de blessés. Ce sont donc les

17 seules personnes qui se trouvaient à l'intérieur du camp.

18 M. Cayley (interprétation). – Puisque ces personnes s'étaient

19 trouvées dans la base plutôt qu'à l'extérieur, avez-vous pu les observer

20 de plus près, et observer de plus près ce qui s'est passé avec ces

21 personnes qui ont été expulsées ?

22 M. Mandzic (interprétation). - Oui.

23 M. Cayley (interprétation). – Pourriez-vous dire exactement ce

24 que vous avez vu au Tribunal, exactement ce qui s'est passé ?

25 M. Mandzic (interprétation). - Oui, le 12 juillet, et le

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1 13 juillet également, j'observais la situation et j'ai vu des femmes

2 accompagnées d'enfants en bas âge monter à bord des autobus, des camions.

3 J'ai déjà dit que les enfants pleuraient, que les femmes

4 hurlaient, qu'elles s'arrachaient les cheveux parce que les êtres qu'elles

5 chérissaient le plus avaient été séparés d'elles. Donc ce que j'ai vu le

6 plus c'était l'évacuation ou plutôt la déportation des femmes et des

7 enfants.

8 Et l'évacuation ou plutôt la déportation des personnes qui se

9 trouvaient auparavant à l'intérieur de l'enceinte du camp, ayant été

10 forcées de sortir du camp, ont été réalisées dans les mêmes conditions.

11 Chaque fois, un ou deux soldat arrivait et disait : "Ce groupe

12 doit sortir par ici, celui-là par là". Et, chaque fois, une vingtaine de

13 personnes sortaient en réponse à ces ordres.

14 M. Cayley (interprétation). – Vous dites avoir vu des hommes

15 déportés. Il paraîtrait que vous suggériez par là que les hommes étaient

16 séparés ?

17 M. Mandzic (interprétation). - Oui, moi, j'observais la scène à

18 une distance de 50 à 100 mètres, et j'ai pu voir que seules les femmes

19 accompagnées d'enfants en bas âge, c’est-à-dire âgés de 1 an à 12 ou

20 13 ans, montaient à bord des autobus et des camions. J'ai pu voir les

21 femmes hurler, s'arracher les cheveux. Ce jour-là, le 13 juillet, comme

22 cela avait été le cas le 12 juillet, la scène se répétait inlassablement.

23 Il était clair que les hommes et les jeunes gens âgés d'au moins 12 ou

24 13 ans avaient été séparés par la force du reste de leur famille.

25 M. Cayley (interprétation). - Qui procédait à la séparation de

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1 ces hommes de leur famille ?

2 M. Mandzic (interprétation). – Les soldats de l'armée de la

3 Republika Srpska.

4 M. Cayley (interprétation). - Evoquons donc ces soldats de la

5 Republika Srpska. Avez-vous observé quels étaient leurs uniformes, leurs

6 insignes ?

7 M. Mandzic (interprétation). – Oui, oui. Le premier jour, le

8 11 juillet, puis le lendemain, le 12 juillet, alors que je rentrais de

9 Bratunac vers Potocari, j'ai pu voir des centaines de soldats le long de

10 la route, des soldats qui portaient des uniformes. D'ailleurs, leurs

11 uniformes étaient tout neufs. Certains d'entre eux portaient l'emblème de

12 l'armée de la Republika Srpska, d'autres ne portaient aucun emblème, mais

13 ils portaient un uniforme de l'armée tout neuf. J'ai pu entendre ces

14 soldats parler et leur accent n'avait rien à voir avec le dialecte utilisé

15 par les Serbes et les Bosniens dans le nord de la Bosnie, puisqu'ils

16 mettent des "j" dans les mots.

17 M. Cayley (interprétation). – Avançons dans le temps. La base

18 est maintenant vide, tous les réfugiés sont partis. Vous y restez avec

19 quelques membres du Bataillon néerlandais. Le 17 juillet, vous avez signé

20 une déclaration avec le commandant Franken. Est-ce que l'on pourrait

21 soumettre la pièce à conviction n°°47, la dernière pièce pour ce témoin ?

22 Il y a en fait quatre pièces 47 : 47 A, B et C pour la

23 traduction en français, et 47 D, la traduction en BCS.

24 Monsieur le Président, si je puis vous expliquer ces pièces à

25 conviction, il y a en fait deux traductions anglaises. Pourquoi ? Parce

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1 que l'une de ces traductions que je vous montrerai sur le rétroprojecteur

2 a été faite sur le terrain même le 17 juillet, pour faciliter la signature

3 du représentant du Bataillon néerlandais. Cette première traduction

4 comportait des inexactitudes. Nous avons la version originale en BCS. Nous

5 avons procédé à une autre traduction anglaise qui est donc la traduction

6 officielle. Nous vous présentons ainsi tous les documents, et, comme je

7 l'ai dit, il y a, pour cette raison, deux versions anglaises.

8 (Précision de l'interprète : mettre des "j" dans les mots, c'est

9 parler Jekavien.)

10 Monsieur Mandzic, avant de vous poser les questions, pouvez-vous

11 placer sur le rétroprojecteur la pièce à conviction 47 B ? Pouvez-vous

12 l'ajuster ? Très bien.

13 Monsieur Mandzic, est-ce que cela représente la version anglaise

14 de la déclaration que vous avez signée le 17 juillet ?

15 M. Mandzic (interprétation). – Oui, c'est bien cela.

16 M. Cayley (interprétation). - Pourriez-vous, s'il vous plaît,

17 mettre le document sur le rétroprojecteur, je crois que c'est le 47 D, et

18 c'est dans la langue du témoin. Pourriez-vous également tourner la page ?

19 Monsieur, cela c'est bien un document portant votre signature,

20 que vous avez signé dans votre propre langue, et comportant également les

21 signatures des représentants des Serbes de Bosnie civils, des autorités

22 serbes de Bosnie, est-ce exact ? Et c'est le major Franken, c'est sa

23 signature qui apparaît au bas de la page ?

24 M. Mandzic (interprétation). – Oui, c'est exact.

25 M. Cayley (interprétation). - Les traductions en français et en

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1 anglais sont les traductions que j'aimerais que vous suiviez. Ce sont les

2 pièces à conviction 47 A et 47 B. Monsieur Mandzic, maintenant j'ai

3 quelques questions pour vous concernant ce document.

4 Dans le deuxième paragraphe, le document stipule que le

5 12 juillet 1995, à l'hôtel Fontana, à Bratunac, à notre demande, les

6 négociations ont été faites entre les représentants de nos autorités

7 civiles et les représentants de l'armée Republika Srpska, donc des

8 autorités serbes de la Republika Srpska et de l'armée concernant

9 l'évacuation de notre population civile de l'enclave de Srebrenica.

10 Monsieur Mandzic, est-ce que c'est exact de dire que cette

11 réunion avait été convoquée, à votre demande, le 12 juillet 1995 ?

12 M. Mandzic (interprétation). - Non, ce n'est pas exact. Si vous

13 vous rappelez, je l'ai dit hier, et même on peut très bien le voir sur

14 l'enregistrement, qu'aucun des représentants du côté bosnien n'a demandé

15 de faire cet accord, ni le 11 ni le 12. C'est la Forpronu qui a organisé

16 la première réunion à Bratunac le 11 juillet. Et je répète, ces

17 négociations n'ont pas été faites à la demande des Bosniens.

18 M. Cayley (interprétation). - Si nous pouvons maintenant nous

19 référer à la partie du document qui dit : "A la fin des négociations entre

20 les deux parties, il a été convenu que notre population civile pouvait

21 rester dans l'enclave ou quitter dépendamment des désirs des individus".

22 Maintenant, monsieur Mandzic, est-ce que c'est bel et bien ce

23 qui s'est passé le 12, et le 13 juillet ?

24 M. Mandzic (interprétation). – Non. Vraiment, aucun des mots qui

25 se trouvent sur ce document ne correspond à la réalité telle qu'elle était

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1 le 12 et le 13 juillet, ni les journées qui ont suivi. Et le comité

2 international de la Croix-Rouge a enregistré par milliers des personnes

3 disparues dont on ne connaît pas le sort même aujourd'hui. J'aimerais dire

4 à vous, Monsieur le Président, et à l'honorable Tribunal, j'aimerais que

5 dans ces déclarations, les représentants bosniens n'ont pas participé à

6 cette déclaration, et les représentants du Bataillon néerlandais n'ont pas

7 participé non plus, mais c'étaient bien les représentants du pouvoir de la

8 Republika Srpska et l'ont donné aux officiers hollandais, néerlandais et

9 aux officiers des représentants bosniens.

10 M. Cayley (interprétation) - Au troisième paragraphe, donc après

11 ce paragraphe dont on a parlé, il stipule que c'était arrangé, que

12 l'évacuation serait faite par l'armée et la police de la Republika Srpska

13 et que la Forpronu donnerait, ferait la supervision et donnerait une

14 escorte à l'évacuation.

15 Est-ce que cette déclaration reflète la vérité telle qu'elle

16 s'est déroulée au sol le 12 et le 13 juillet ?

17 M. Mandzic (interprétation). – Non, cela ne reflète pas du tout

18 la vérité telle qu'elle s'est déroulée à Potocari et sur la route de

19 Potocari, menant de Potocari à Kladanj, Kladanj étant une petite ville au

20 nord-ouest en Bosnie. C'était le premier territoire tenu par les soldats

21 de l'armée de la Bosnie-Herzégovine, qui était sous leur contrôle à partir

22 de l'année 95, à partir de 1992.

23 Le major Franken, durant cette nuit, entre le 12 et 13 juillet,

24 s'est déjà plaint que les soldats de la Republika Srpska avaient presque,

25 avaient pris toutes les voitures qui faisaient l'escorte des Bosniens qui

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1 étaient déportés vers Srebrenica et que, finalement, il ne pouvait même

2 plus envoyer des soldats, puisqu'il n'avait plus de véhicule, et qu'il ne

3 pouvait pas les soumettre au risque que l'armée de la Republika Srpska les

4 attaquerait.

5 M. Cayley (interprétation) - Donc, vous nous dites qu'en réalité

6 il y avait peu de convois qui étaient finalement vraiment escortés par la

7 Forpronu.

8 M. Mandzic (interprétation). – C'était seulement la première

9 journée, le 12 juillet. Lorsque vraiment les officiers du Bataillon

10 néerlandais ont envoyé les soldats et les véhicules pour suivre des

11 autobus dans lesquels se trouvaient des Bosniens que les soldats de la

12 Republika Srpska voulaient déporter vers Kladanj. Mais sur le chemin,

13 entre Potocari et Kladanj, d'après les dires du commandant Franken, ces

14 soldats ont été arrêtés par les soldats de la Republika Srpska, ils ont

15 été maltraités, on leur a enlevé les véhicules de la Forpronu. C'est donc

16 la raison pour laquelle ils n'ont pas pu faire leur devoir. Donc déjà le

17 13 juillet, la déportation avait été faite sans l'escorte et sans la

18 présence des forces de la Forpronu.

19 M. Cayley (interprétation) - Au tout dernier paragraphe, et

20 c'est peut-être une déclaration que vous ne pouvez pas vraiment commenter,

21 mais le dernier paragraphe dit qu'aucun incident n'a été provoqué des deux

22 côtés pendant l'évacuation, et que le côté serbe a suivi tous les

23 réglements des conventions de Genève. Et il y a une phrase qui est écrite

24 concernant les convois escortés par les forces de la Forpronu. Qu'est-ce

25 que vous avez à dire sur cela ?

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1 M. Mandzic (interprétation). – Oui. Comme j'ai déjà mentionné au

2 Tribunal, le représentant civil serbe, le représentant Deronjic, est venu

3 déjà avec cette déclaration, elle était déjà préparée. C'était un

4 ultimatum, et il demandait, il exigeait que cette déclaration soit signée.

5 Mais il savait également, il connaissait la situation. Il savait qu'à

6 Bratunac, du 13 au 17 juillet, on avait gardé un groupe de quelques

7 dizaines de blessés, dont je parlais, qui étaient évacués le 13 juillet.

8 Dans le camp, il y avait également 27 Bosniens.

9 Il savait exactement, pertinemment, qu'à l'intérieur du camp il

10 y avait des dizaines de personnes gravement blessées. Il jouait sur cette

11 carte, avec cette carte-là. Il pensait que nous devions signer puisqu'on

12 parlait de vies des gens, il s'agissait de vies. Et donc c'était la

13 condition que toutes ces personnes que j'ai mentionnées pour pouvoir les

14 sauver, que c'était bien cela. Il a donc bien fallu prendre en

15 considération la situation d'environ 400 à 450, la position de 400 à

16 450 soldats néerlandais qui étaient en Bosnie.

17 J'ai relu ces déclarations plusieurs fois. J'ai regardé le

18 commandant Franken dans les yeux, et le commandant Franken savait très

19 bien que cette déclaration ne convenait pas du tout à la tragédie qui se

20 déroulait, qu'il s'agissait de parler de la convention de Genève, des

21 droits de l'homme d'une façon cynique. On parlait de la loi internationale

22 de guerre, etc., mais c'était très cynique.

23 Encore une fois, j'aimerais souligner, pendant ces jours-là, au

24 mois de juillet de l'année 1995, nous étions complètement seuls, nous

25 étions sans aide, le monde se taisait et ne savait pas ce qui se passait à

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1 Srebrenica, c'est-à-dire à Potocari. La communauté internationale n'était

2 pas en mesure d'envoyer à Srebrenica et à Potocari des représentants de la

3 Croix-Rouge, ni les représentants de la Croix-Rouge, ni les représentants

4 du HCR, ou des Nations Unies. Nous avons seulement eu des contacts avec

5 les officiers du Bataillon néerlandais de la Forpronu, et eux qui étaient

6 en contact avec leur commandement en Hollande. Ils avaient en fait très

7 peur pour le sort de leurs soldats, et j'aimerais être très honnête, moi

8 je m'inquiétais du sort de mes concitoyens. Il était clair que bien sûr,

9 nous voulions tous arrêter cette hécatombe. Je pense que la préoccupation

10 principale du commandant néerlandais était que ces soldats retournent

11 sains et saufs à la maison.

12 C'est à ce moment-là que le commandant Franken a suggéré que

13 cette déclaration qui nous avait été faite ou offerte par Deronjic,

14 représentant civil, et c'est pour cela qu'il a ajouté cette phrase, donc

15 la phrase manuscrite : "seulement si on prend en considération les convois

16 qui sont escortés par les forces de l'ONU".

17 Cela change le sens. Cela veut dire que cette déclaration

18 pourrait se rapporter seulement, si l'évacuation pouvait seulement se

19 rapporter aux personnes qui seraient évacuées par les personnes qui

20 étaient escortées par les officiers néerlandais.

21 Déjà, le 12 et le 13 juillet, les soldats néerlandais ont

22 déclaré que seulement deux ou trois autobus avaient pu être escortés

23 jusqu’à Kladanj, mais pas plus loin ou pas plus. Pour les autres autobus,

24 et il y en avait des centaines, ils n'ont pas été en mesure de les

25 escorter puisque les soldats serbes leur avaient enlevé leurs véhicules et

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1 l’équipement. Et c'est pour cela, c'est en suivant la suggestion du

2 commandant Franken que j'ai signé cette déclaration.

3 Monsieur le Président, j'aimerais que vous compreniez que

4 c'était un ultimatum de la part des représentants civils militaires

5 serbes, telle que la situation se présentait cette journée-là, le 12 et

6 13 juillet 1995. Il y avait des dizaines de milliers de personnes qui

7 étaient déportées, et nous ne savions même pas si ces personnes étaient

8 arrivées à destination, c’est-à-dire dans des abris temporaires. Il était

9 absolument impossible pour nous de savoir ce qui se passait exactement.

10 En signant cette déclaration, nous voulions faire en sorte que

11 les blessés qui se trouvaient à Potocari et à Bratunac et que les

12 27 Bosniens qui travaillaient à la Forpronu, comme représentants civils de

13 la Forpronu, nous voulions prendre en considération la vie des soldats

14 néerlandais. Ce qui est tragique et triste, c’est que cette déclaration

15 fait appel au respect de toutes les déclarations des conventions de Genève

16 et de la loi de guerre. Mais nous pensions et nous étions forcés à la

17 signer, puisque, d'après nous, c'est de notre signature que dépendait le

18 sort des centaines de personnes, même si nous n'étions pas convaincus que

19 ces quelques centaines de personnes civiles et de soldats, représentants

20 du Bataillon néerlandais, seraient donc sauvés par cette signature.

21 M. Cayley (interprétation). – Monsieur le Président, à ce

22 moment-ci, nous pourrions peut-être prendre une pause. J'ai environ

23 5 minutes de mon examen principal encore.

24 M. le Président. - Je crois que c'est quand même un bon moment

25 pour faire la pause, le témoin doit être fatigué, les interprètes, nous-

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1 mêmes. Nous allons donc faire une pause de 20 minutes. Et nous allons

2 reprendre après la pause.

3 (L'audience, suspendue à 10 heures 53, est reprise à 11 heures

4 20.)

5 M. le Président. - Vous vous êtes réconfortés avec une petite

6 pause, un petit café ou autre chose. On peut continuer, et pour cela vous

7 avez la parole, Maître Cayley.

8 M. Cayley (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

9 Monsieur Mandzic, à partir du 17 juillet et jusqu'au 21 juillet, où étiez-

10 vous ?

11 M. Mandzic (interprétation). - J'étais au sein du commandement

12 du Bataillon néerlandais. Dans le cadre de cette base, il y avait quelques

13 centaines de soldats néerlandais et 27 Bosniens que j'ai mentionnés plus

14 tôt. C'étaient des personnes qui travaillaient pour la Forpronu comme

15 interprètes et traducteurs et d'autres personnes qui travaillaient pour

16 Médecins sans frontières. C'est un organisme qu'on appelle MSF, donc

17 Médecins sans frontières.

18 Nous étions donc à Potocari du 11 au 21 juillet jusqu'à midi ou

19 12 heures. C'est à ce moment-là que nous avons quitté Potocari et

20 Srebrenica et nous nous sommes donc rendus au territoire de la République

21 fédérale de la Yougoslavie, à Sabac. Et nous nous sommes dirigés vers le

22 nord, vers la Croatie et, le 22, très tôt le matin, nous nous sommes

23 trouvés à Zagreb.

24 M. Cayley (interprétation). - Vous avez mentionné que les gens

25 qui étaient à l'intérieur de la base étaient des membres du Bataillon

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1 néerlandais. Il y avait également d'autres personnes, c'était des

2 Bosniens. Et plus tôt, vous avez mentionné que l'homme qui vous avait

3 accompagné à la réunion, le 12 juillet, le matin, s'appelait Ibro

4 Nuhanovic. Vous avez également dit dans votre témoignage qu'Ibro a disparu

5 par la suite.

6 Pouvez-vous dire au Tribunal ce que vous savez de ce qui est

7 arrivé à Ibro Nuhanovic et à sa famille ?

8 M. Mandzic (interprétation). – Oui. Ibro Nuhanovic, avant la

9 guerre, était directeur d'une entreprise qui faisait…, donc une entreprise

10 de bois. Il avait deux fils, ils étudiaient à l'époque et il était marié.

11 Il avait donc une épouse. Le 12 et le 13 juillet, il était avec la

12 délégation bosnienne.

13 Comme vous le savez, et comme je l'ai mentionné plus tôt, le

14 12 et le 13 juillet, une déportation massive de Bosniens a eu lieu et une

15 séparation des sexes, la séparation des hommes, et c'est pour cela qu'il y

16 a eu une demande de la part du côté serbe que le fils et la femme d'Ibro

17 soient déportés. Ibro était au courant de cette demande mais, en tant que

18 parent et en tant que père et en tant que mari, d'après lui, il n'a pas

19 été en mesure de voir cette séparation parce que c'était pour la première

20 fois de leur vie qu'ils allaient se séparer. Ils n'avaient aucune façon

21 d'avoir des nouvelles les uns des autres.

22 Alors, il est allé avec son fils et sa femme, son épouse, et ils

23 sont allés ensemble pour... C'est quelques jours plus tard, lorsque nous

24 sommes arrivés à Zagreb, qu'on nous a informés que ni lui ni son fils, ni

25 son épouse étaient sur le territoire contrôlé à l'époque par l'armée de la

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1 Bosnie-Herzégovine ; ni même son fils, qui aujourd'hui est en vie et qui

2 vraiment est tout seul, esseulé, il est terriblement triste parce que ses

3 deux parents et son frère ne sont plus en vie.

4 Il a même essayé d'appeler des gens qu'il connaissait avant la

5 guerre, il a essayé d'entrer en contact avec des gens, des connaissances

6 pour savoir si quelqu'un aurait un détail concernant ses parents et son

7 frère. Mais personne ne pouvait lui donner aucun renseignement.

8 J'ai été en mesure, ou j'ai pu parler avec le fils d'Ibro, qui

9 est encore en vie, qui se trouvait dans cette colonne, qui était parmi ces

10 27 Bosniens. J'ai pu lui parler. Je dois vous dire que le fils d'Ibro est

11 un intellectuel, il travaille pour les forces des Nations Unies à l'IPTF,

12 sur le territoire de Tuzla, mais c'est une personne qui est complètement

13 psychologiquement brisée puisqu'il ne peut plus vivre de la même façon. Il

14 ne peut plus vivre de la même façon, il a eu d'énormes pertes.

15 M. Cayley (interprétation) - Monsieur le Président, je n'ai plus

16 d'autres questions pour le témoin, donc je propose le contre-

17 interrogatoire.

18 M. le Président. - Merci beaucoup, monsieur Cayley. Maintenant,

19 monsieur Mandzic, vous allez répondre aux questions que la défense,

20 Me Petrusic ou M. Visnjic, c'est Me Petrusic qui va vous les poser, s'il

21 vous plaît.

22 M. Petrusic (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président,

23 bonjour, monsieur Mandzic.

24 [(Il a dit "M. Nuhanovic" reprend l'avocat de l'accusation, dit

25 M. Mandzic, dit l'interprète.)]

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1 Ma première question serait la suivante, monsieur Mandzic.

2 Pourriez-vous nous dire et nous expliquer de quelle façon les Serbes et

3 les Musulmans vivaient sur le territoire de la municipalité de Srebrenica

4 avant cette crise, avant la guerre ?

5 M. Mandzic (interprétation). – Oui, je peux. C'est tout un

6 plaisir de vous parler de cela. Je suis très heureux que vous m'ayez posé

7 cette question. La Bosnie-Herzégovine avant la guerre était une union

8 multiethnique dans laquelle vivaient trois peuples constitutionnels : les

9 Bosniens, les Serbes et les Croates et les autres, les autres. La vie dans

10 un secteur multiculturel, multiethnique, était très harmonisée. C'était

11 une telle harmonie, on respectait les traditions, les confessions des

12 différents peuples.

13 Il n'y avait pas, et je le répète, il n'y a jamais eu ni de

14 problèmes ethniques, ni de problème national pour que les gens ne parlent

15 pas. Tout le monde s'entraidait, les gens vivaient ensemble et la

16 situation était la même à Srebrenica. C'est un très bon exemple de la

17 multiethnicité qui régnait sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine et

18 sur le territoire de l'ex-Yougoslavie.

19 M. Petrusic (interprétation). - En automne 1991, sur le

20 territoire de la Bosnie-Herzégovine, il y a eu des élections et, avant

21 cela, des partis politiques ont été formés. Après cela, donc ce processus

22 d'élection qui a eu lieu à l'époque, il a fallu créer des organes

23 politiques dans la municipalité de Srebrenica.

24 Comme vous étiez à l'époque résident de Srebrenica, si je me

25 souviens bien de votre déclaration, lorsque vous avez donné le détail, vos

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1 détails personnels, ma question est la suivante : pourriez-vous nous dire

2 de quelle façon est-ce que ces organes ont été constitués, ces organes de

3 pouvoir avant, donc pendant les élections ?

4 M. Mandzic (interprétation). – Oui, merci, j'ai compris votre

5 question. Les premières élections qui ont eu lieu en Bosnie-Herzégovine et

6 pour la municipalité de Srebrenica ont eu lieu en 1990, à l'automne, et

7 non pas en 1991. Et après ces résultats des élections municipales à

8 Srebrenica, nous avons eu des élections multipartites. Et les élections,

9 les résultats étaient tels, il faut le mentionner, que les partis

10 politiques bosniens avaient donc la majorité au sein du gouvernement et de

11 l'assemblée municipale de Srebrenica.

12 M. Petrusic (interprétation). - Vous étiez président de

13 l'assemblée municipale ?

14 M. Mandzic (interprétation). – Non, je ne l'étais pas, vous

15 pouvez même le vérifier. Vous pouvez vérifier, je n'ai pas été membre à ce

16 moment-là, après les élections municipales en 1997. Je suis maintenant

17 représentant de la municipalité.

18 M. Petrusic (interprétation). - Donc vous parlez aujourd'hui,

19 vous êtes membre du conseil municipal ?

20 M. Mandzic (interprétation). – Oui, je le suis maintenant.

21 M. Petrusic (interprétation). - Mais les Serbes étaient en

22 minorité dans la municipalité de Srebrenica d'après quelques données. Il y

23 avait environ de 25 % à 30 % de Serbes ?

24 M. Mandzic (interprétation). – Oui, c'est exact.

25 M. Petrusic (interprétation). - A l'époque, ils ne participaient

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1 pas, ils n'avaient pas, ils n'étaient pas membres, ils ne participaient

2 pas au sein du conseil municipal ?

3 M. Mandzic (interprétation). – Non, pas du tout, ils faisaient

4 partie. Pour vous donner une idée un peu plus claire, après les élections

5 multipartites, même avant ces élections, il y avait de la multiethnicité,

6 mais toutes les entreprises qui étaient multiethniques fonctionnaient très

7 bien, ainsi que les autres, ainsi que tous les établissements, ainsi que

8 toutes les entreprises.

9 M. Petrusic (interprétation). - Les représentants musulmans,

10 est-ce qu'on a posé la question au représentant musulman et au

11 représentant de l'assemblée municipale ? Ont-ils demandé au représentant

12 de l'assemblée municipale, est-ce que ce représentant devait être, est-ce

13 que le maire devait être M. Zekic ?

14 M. Mandzic (interprétation). – Je voudrais souligner qu'à

15 l'époque je n'étais pas membre du conseil municipal, donc je n'avais pas

16 de mandat à l'époque. Mais, d'après mon souvenir, le président de

17 l'assemblée municipale était issu du peuple bosnien, puisque le président

18 devient, l'emporte avec la majorité.

19 M. Petrusic (interprétation). - Donc, même à l'époque, en 1991,

20 est-ce qu'on pourrait dire qu'il y a eu des changements au niveau

21 politique et que cela s'est reflété sur la population ?

22 M. Mandzic (interprétation). – Non. Au sein de ce système

23 multipartite, il y aurait peut-être eu de petites différences, mais cela

24 n'a pas été, cela ne se reflétait pas : la population vivait d'une façon

25 très harmonieuse, s'entraidait. Et je vais vous donner des exemples plus

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1 tard de ma ville natale, de ce qu'elle a, nous étions tous ensemble, nous

2 allions à l’école ensemble, les Bosniens et les Serbes, nous nous

3 visitions, nous nous rendions visite jusqu'au mois d'avril 1992.

4 M. Petrusic (interprétation). - Monsieur Mandzic, pourriez-vous

5 nous expliquer les raisons pour lesquelles la population serbe a quitté

6 Srebrenica en 1992, a donc dû quitter Srebrenica, quitter Srebrenica

7 en 1992 ?

8 M. Mandzic (interprétation). - Oui, déjà au printemps et même

9 avant le printemps, au mois de février, il y a eu des politiciens locaux

10 issus du peuple serbe qui ont demandé la mise en place d'une assemblée

11 nationale serbe au sein de l'assemblée municipale de Skelani et d'autres

12 municipalités mono-nationales qui se trouvaient au sein de la municipalité

13 de Srebrenica.

14 Je ne sais pas si M. le Président m'a compris. Je voulais dire

15 que sur un territoire de 529 km2 que représentait donc Srebrenica -c'est

16 donc le territoire de Srebrenica- il y avait environ 38 000 personnes, des

17 politiciens locaux serbes de la municipalité de Srebrenica qui voulaient

18 une division de la municipalité, qui voulaient une division nationale, ce

19 qu’il n'était pas possible de faire puisque les gens vivaient tous

20 ensemble et les maisons étaient collées les unes aux autres. Dans un même

21 immeuble, vous aviez des Serbes, des Bosniens et d’autres ethnies.

22 Donc, d'après moi, même comme membre du conseil municipal et les

23 gens qui habitaient, les habitants… C'était une demande qui ne faisait que

24 renforcer les différences et qui ne menait à rien.

25 M. Petrusic (interprétation). - Donc les Serbes ont quitté

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1 Srebrenica ?

2 M. Mandzic (interprétation). – Si je me souviens bien, un petit

3 nombre, c'est-à-dire… Oui, une plus grande partie ont dû quitter le

4 centre-ville où il y avait environ 5 000 habitants, ils ont quitté la

5 ville en essayant d'aller à Ljuboja, à Bojno, dans les environs. Ils se

6 sont réfugiés dans les environs et je disais : "Pourquoi voulez-vous

7 déménager ?". Les gens disaient : "On dirait que les temps ne sont pas

8 très sûrs, on dirait que la guerre va éclater", etc.

9 M. Petrusic (interprétation). – Est-ce que les autorités

10 municipales et les structures politiques qui étaient en place à l'époque

11 ont pu faire quelque chose pour que cette population ne quitte pas la

12 ville ?

13 M. Mandzic (interprétation). - Oui. Ils ont essayé. D'abord,

14 avec leur autorité personnelle et beaucoup d'enthousiasme, l'ancien

15 président de la municipalité, le président Visnjivic s'est engagé lui-même

16 directement. Il se rendait d'un village à l'autre, il allait d'une

17 municipalité à l'autre et il demandait, il suppliait les gens de ne pas

18 paniquer. Il disait aux gens : "Nous vivons ici sur ce territoire depuis

19 des centaines d'années, nous serons en mesure d'outrepasser cette crise,

20 mais il faut travailler ensemble".

21 Je dois dire qu'à l'époque, puisque les Serbes quittaient, mais

22 il y avait encore beaucoup plus de Bosniens qui avaient quitté, c’est

23 d'abord les Bosniens qui ont quitté la ville à la fin du mois de mars ou

24 d'avril 1992. Srebrenica, au mois d’avril. C'étaient d'abord les Bosniens

25 qui ont quitté la ville. Une partie des Serbes également a quitté la ville

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1 mais, par la suite, ils sont retournés dans la ville. La plupart des

2 Bosniens qui vivaient dans cette ville a quitté la ville et n'est toujours

3 pas de retour dans la ville.

4 M. Petrusic (interprétation). - A l'époque, monsieur Mandzic, il

5 y a eu des formations armées, d'abord à Potocari, dans les villages de

6 Suceski et les autres villages environnants, qui étaient sous Naser Oric,

7 Zulfo Tursunovic et les autres. Avez-vous des renseignements là-dessus ?

8 M. Mandzic (interprétation). - Il faut revenir en arrière, il

9 faut trouver la raison pour cela. Il y a eu des gardes de village de

10 formés.

11 M. Petrusic (interprétation). - Monsieur, permettez-moi, je vais

12 vous reposer la question de nouveau, si vous croyez que c'est nécessaire

13 j'aimerais que vous répondiez d'abord à ma question.

14 M. Mandzic (interprétation). - A Bratunac déjà, en avril, déjà

15 au début d'avril, les unités paramilitaires venaient d'arriver, les unités

16 d’Arkan, et d'autres qui s'appelaient Bijeli Labudovi. Ils ont forcé la

17 population bosnienne à quitter la ville et les villages environnants. La

18 même chose est arrivée à Srebrenica où les unités de Cecelj et d’Arkan,

19 avec le support de quelques dirigeants locaux, ces mêmes unités ont

20 pénétré dans Srebrenica et ils ont causé… Ils ont fait en sorte que le

21 peuple bosnien se retire vers des villages isolés. Ces unités

22 paramilitaires qui étaient arrivées de Serbie, c'est-à-dire de la

23 Yougoslavie, ont attaqué ces villages bosniens, de sorte que la population

24 a dû se défendre. Nous pourrions dire qu'il y avait, dans ces villages,

25 des gardes de villages, non pas tellement organisées, mais leur devoir

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1 était d'arrêter l'exode de la population.

2 M. Petrusic (interprétation). – Il y a également eu la formation

3 de la zone protégée, l'accord sur la démilitarisation.

4 M. Riad (interprétation). - J'aimerais demander à l'interprète

5 de dire question-réponse, car c'est toujours la même voix, on ne sait pas

6 quand la question et quand la réponse s’arrêtent.

7 M. Petrusic (interprétation). - Nous parlons maintenant de

8 l'année 1993, de la Résolution des Nations Unies, qui donc établit une

9 zone de protection et un accord de démilitarisation de la zone entre

10 M. Sefer Alilovic et le général de l'armée de la Bosnie-Herzégovine et le

11 général Mladic.

12 Est-ce que cette zone, monsieur Mandzic, donc l'enclave la zone

13 protégée de Srebrenica, était effectivement vraiment démilitarisée ?

14 M. Mandzic (interprétation). - Généralement parlant, oui.

15 D'abord et avant tout, toute l'artillerie lourde avait été donnée ou

16 remise aux forces de protection de la paix avec l'aide, d'après ce que je

17 me souviens, d'après ce que l'on entendait dire et d'après les listes que

18 les représentants de la Republika Srpska faisaient, que le matériel lourd

19 avait été remis, le matériel léger également.

20 J'ai pu le voir, j'ai pu le constater moi-même et tous les gens

21 qui vivaient dans l'enclave. On pouvait voir des piles à côté de

22 l'immeuble des PTT, de la poste. Nous pouvions voir des armes plus légères

23 et des armes lourdes qui étaient remises et qui formaient une pile à côté

24 des PTT. Je ne sais pas ce qu'ils faisaient avec ces armes, mais ils les

25 détruisaient probablement.

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1 M. Petrusic (interprétation). - A Srebrenica, est-ce qu'il y

2 avait le commandement de la 28ème Division dont le commandant était

3 M. Oric ?

4 M. Mandzic (interprétation). - Je pourrais vous dire qu'elle

5 n'existait pas vraiment ou réellement. Nous, dans l'enclave, en fait, il

6 n'y avait pas d'unité militaire armée. J'ai pu constater, au mois de

7 septembre 1995, aux alentours de Tuzla, j'ai vu la formation, j'ai assisté

8 à la formation de la 28ème Division que le colonel Hazim Delic a formée,

9 mais cela c'était quelques mois après que l'enclave avait été prise par

10 l’armée de la Republika Srpska.

11 M. Petrusic (interprétation). - En 1995 ?

12 M. Mandzic (interprétation). – Oui, en 1995, autour de la

13 Division de Tuzla, le commandant de l'armée, Hazim Delic, a donc fait

14 cette formation.

15 Et, simplement, je voulais vous dire ou vous mentionner que déjà

16 depuis le mois de janvier 1993 je ne fais pas partie des forces armées et

17 je travaille dans l'éducation des enfants.

18 M. Petrusic (interprétation). – Monsieur Mandzic, puisque je

19 suppose que vous connaissez parfaitement bien toute la situation qui

20 régnait en juillet 1995 et dans la période suivant juillet 1995, ainsi que

21 la situation précédente dans la région, pouvez-vous nous expliquer la

22 chose suivante : dans la colonne qui s'est créée, dans la nuit du 10 au

23 11 juillet, dans le village de Susnjari, comment il a pu se trouver au

24 sein de cette colonne au moins 5 000 hommes armés, si véritablement la

25 démilitarisation avait eu lieu ?

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1 M. Mandzic (interprétation). - Les choses se sont passées

2 ainsi : moi je ne me suis pas trouvé dans ce village dont vous venez de

3 donner le nom, Susnjari. Mais j'ai déjà dit que la démilitarisation avait

4 pour l'essentiel été réalisée à savoir, toutefois, que certaines personnes

5 qui avaient un permis de port d'armes, et je parle d'armes légères, par

6 exemple un fusil de chasse ou une autre arme personnelle, ces personnes

7 avaient conservé cette arme en souvenir la plupart du temps, et c'est la

8 raison pour laquelle on pouvait voir à Srebrenica des civils qui avaient

9 conservé une arme de ce type. Mais j'ajoute que le nombre de ces personnes

10 ne peut pas dépasser quelques centaines.

11 Si l'on cherche aujourd'hui des preuves des documents auprès du

12 poste de police de Srebrenica, on se rendra compte que s'agissant de ceux

13 qui portaient une arme de ce type avant la guerre, on ne peut en trouver

14 que quelques centaines, au maximum 500. Donc voilà les personnes qui

15 détenaient une arme personnelle. Pour le reste, je ne suis pas au courant.

16 Et ces personnes qui avaient conservé une arme l'avaient fait

17 pour être capables de se défendre en cas d'attaque soudaine. Et si elles

18 se constituaient en groupes, il s'agissait de gardes villageoises qui

19 n'avaient rien à voir avec une unité sous contrôle de l'armée.

20 M. Petrusic (interprétation). – Donc si je vous ai bien compris,

21 dans les circonstances de l'époque dans notre pays, il s’agissait d’armes

22 qu'il était tout à fait possible d'acheter chez un armurier, à condition

23 bien sûr d'être détenteur d'un permis de port d'arme ?

24 M. Mandzic (interprétation). - Avant la guerre, vous voulez

25 dire ?

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1 M. Petrusic (interprétation). – Oui, en effet, je parlais des

2 armes de chasse.

3 M. Mandzic (interprétation). – Mais tous les habitants ne

4 pouvaient pas se procurer une arme. Je me rappelle que des dizaines de

5 demandes ont été présentées pour obtenir un permis de port d'arme dans une

6 communauté locale à laquelle je pense en particulier et que dix personnes

7 seulement l'ont obtenu.

8 M. Petrusic (interprétation). - Quand était-il des armes

9 automatiques, par exemple des armes légères d'infanterie ? Ces armes ne

10 donnaient pas lieu à la délivrance d'un permis ?

11 M. Mandzic (interprétation). – Non, non.

12 M. Petrusic (interprétation). - Dans le village de Slapovici, et

13 je parle du 8 juillet, y avait-il des formations armées le 8 juillet à

14 Slapovici ?

15 M. Mandzic (interprétation). - Je ne sais pas. La seule chose

16 que je sais, c’est que le 6 juillet déjà des unités de l'armée de la

17 Republika Srpska ont enfoncé le barrage de Zeleni Jadar qui était tenu par

18 les forces de la Forpronu et a poursuivi son avance dans la direction du

19 village de Slapovici où se trouvaient plusieurs milliers de réfugiés qui

20 avaient été déplacés déjà en 1992, 1993, des villages entourant Bratunac,

21 par exemple.

22 M. Petrusic (interprétation). – Monsieur Mandzic, le projet de

23 relogement des Suédois portait sur plusieurs centaines d'appartements ?

24 M. Mandzic (interprétation). – Oui, tout à fait.

25 M. Petrusic (interprétation). - Il a permis de reloger combien

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1 d'habitants ?

2 M. Mandzic (interprétation). - Selon moi, entre 2 et 3 000. Les

3 représentants du pouvoir municipal de Srebrenica de l'époque ont sans

4 doute des éléments plus précis à leur disposition.

5 M. Petrusic (interprétation). – Mais un point d'éclaircissement,

6 vous avez parlé hier de ces personnes qui ont quitté Slapovici pour se

7 rendre à Srebrenica. Il s'agit de ces personnes ?

8 M. Mandzic (interprétation). – Oui, mais il y a aussi les

9 villages de Bajramovici et d'autres villages avoisinant immédiatement

10 Slapovici, et ce sont ces habitants qui ont créé une colonne.

11 M. Petrusic (interprétation). – Donc vous parliez de tous les

12 villages ?

13 M. Mandzic (interprétation). – Oui, je parlais de Slapovici et

14 des villages voisins, de l’autre côté d'une toute petite colonne,

15 Pusmulici, Bajramovici, etc., de sorte que si on fait le total du nombre

16 de ces personnes qui ont quitté leur foyer, on arrive à plus de 5 000

17 personnes.

18 M. Petrusic (interprétation). - Monsieur Mandzic, s'agissant de

19 la première et de la deuxième réunions tenues à Bratunac, les 10 et

20 11 juillet, pourriez-vous nous donner quelques informations

21 supplémentaires par rapport à ce que vous avez dit hier et aujourd'hui, eu

22 égard notamment à l'éventuelle participation du général Krstic à ces

23 réunions.

24 M. Mandzic (interprétation). – Tout ce que je peux dire, c'est

25 que le général Krstic, qui est assis dans ce prétoire et l'était également

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1 hier, était présent à côté de Mladic, mais qu'il n'a pas dit un mot des

2 modalités de règlement des problèmes de la population ou des modalités

3 d'une évacuation éventuelle qui, en fait, s’est soldée par une

4 déportation. Le général Krstic a gardé le silence.

5 Est-ce qu’en gardant le silence il entérinait ce que disait le

6 général Mladic, c'est aux Juges de cette Chambre qu'il appartiendra d'en

7 décider.

8 M. Petrusic (interprétation). - Donc, vous avez participé à la

9 réunion du 12 juillet également, avec deux autres représentants de la

10 population musulmane. Pouvez-vous me dire qui menait les pourparlers, les

11 négociations ? Etait-ce la Forpronu ? Je vous rappelle le compte rendu

12 d'audience de l'audience d’hier. Etait-ce les représentants de la Forpronu

13 ou vous-même qui dirigiez ces négociations ?

14 M. Mandzic (interprétation). – Ces négociations nous ont été

15 imposées par l'armée de Republika Srpska et elle les a imposées, tout

16 d'abord et avant tout, à la Forpronu. Donc, d'un point de vue juridique,

17 ces négociations se menaient entre l'armée de la Republika Srpska et la

18 Forpronu.

19 Quant à nous, nous étions les représentants d'une délégation qui

20 avaient besoin et souhaitaient pouvoir exprimer ses préoccupations par

21 rapport à la situation, et par rapport au sort que vivaient plus de

22 30 000 personnes. Nous souhaitions parler de leurs besoins sur le plan

23 humanitaire, etc..

24 Même si, au cours de cette réunion, je vous le rappelle au cas

25 où vous l'auriez oublié, j'ai dit au général Mladic, et ce n'était pas

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1 facile, il fallait beaucoup de courage pour le faire, je lui ai dit :

2 "Général, dans la situation qui vient de naître sur le territoire de la

3 municipalité de Srebrenica" -et je pensais à Potocari plus précisément, et

4 compte tenu de la situation de ces 30 000 réfugiés qui se sont regroupés-,

5 j'ai demandé au général Mladic si la communauté internationale et ses

6 organisations, le HCR, le CICR, etc., en étaient informés.

7 M. Petrusic (interprétation). - S'agissant de la situation à

8 l'intérieur de la base, et du fait que les hommes ont été séparés du reste

9 de la population, pouvez-vous nous dire si des critères particuliers ont

10 été appliqués, si les hommes qui étaient séparés du reste de la

11 population, l’étaient parce qu'ils étaient en âge de porter les armes par

12 exemple, ou si cela s'est fait en l'absence de quelque critère que ce

13 soit ?

14 M. Mandzic (interprétation). - Comme je l'ai déjà dit, j'ai vu

15 que l'on faisait monter à bord des autobus les femmes, les enfants en bas

16 âge, âgés de un à 12 ans, et je n'ai pas vu ce qui se passait avec les

17 autres personnes.

18 J'en ai conclu que les soldats de l'armée de la Republika Srpska

19 séparaient les hommes et les jeunes gens âgés de 12 ans à 60 ans et plus

20 du reste de la population, parce que, pour l'essentiel, ce que l'on voyait

21 à Potocari c'était surtout des vieillards et des hommes handicapés, des

22 hommes qui avaient au moins 65 sinon 70 ans et qui, bien entendu,

23 n'étaient pas en âge de porter les armes.

24 Je vais vous donner un exemple, Madame et Messieurs les Juges,

25 le village de Tokurac, un village du voisinage. J'habitais dans une rue de

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1 ce village, et il y avait un vieillard de 85 ans qui y habitait également.

2 Il a été amené dans une charrette parce qu'il ne pouvait pas marcher. Cet

3 homme, qui avait pour seule occupation de garder des moutons, et qui

4 n'avait jamais rien fait d'autre, n'est plus vivant aujourd'hui. Il a été

5 tué.

6 M. Petrusic (interprétation). - Vous avez parlé de l'officier,

7 du colonel Nikolic. Avez-vous des informations plus précises ? Pouvez-vous

8 dire s'il s'agissait d'un officier de la troupe ?

9 M. Mandzic (interprétation). - Je ne comprends pas ce que vous

10 voulez dire par le mot "troupe".

11 M. Petrusic (interprétation). – Etait-ce un officier de

12 l'infanterie ou avait-il des fonctions plus particulières s'agissant du

13 maintien de la sécurité ? Est-ce que c'était un officier de

14 renseignements ? Je dis cela parce qu'il a été question du fait qu'il

15 avait interrogé des personnes.

16 M. Mandzic (interprétation). - Je ne sais pas à quel service

17 appartenait cet officier. Je ne saurais pas le confirmer.

18 M. Petrusic (interprétation). – Eh bien, ce fameux 12 juillet,

19 lorsque selon ce que vous avez dit, l'armée de la Republika Srpska est

20 arrivée, c'est-à-dire le jour où vous avez pu voir des soldats et des

21 officiers de l'armée de la Republika Srpska, pouvez-vous nous dire s'ils

22 portaient des insignes sur leur uniforme, des insignes divers, autrement

23 dit des emblèmes particuliers ?

24 M. Mandzic (interprétation). – Je l'ai déjà dit aux Juges de

25 cette Chambre, j'ai vu des centaines de soldats. Certains de ces soldats

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1 portaient des emblèmes, d'autres non.

2 Mais ce qui m'a le plus surpris, c'est de constater qu'il

3 s'agissait de plusieurs centaines de jeunes hommes en uniforme, que je

4 n'avais jamais vus jusque-là dans la région. Je crois pouvoir dire que je

5 connais bien la région où je suis né. D'ailleurs, si l'un d'entre eux

6 avait été originaire de ma région, il m'aurait aussi reconnu.

7 Mais je répète qu'il y avait des soldats en grand nombre qui ne

8 portaient pas d'insignes non plus. Je veux parler de ces sodas de l'armée

9 de la Republika Srpska.

10 M. Petrusic (interprétation). - Mais y avait-il des policiers

11 parmi eux ? Pouviez-vous, à l'époque, distinguer un policier d'un soldat ?

12 M. Mandzic (interprétation). – Non, non, d'ailleurs, je n'ai vu

13 aucun insigne de la police qu'il s'agisse de la police civile ou de la

14 police militaire.

15 M. Petrusic (interprétation). – Monsieur Mandzic, la déclaration

16 qui vous a été soumise à la fin de l'interrogatoire principal de mon

17 collègue de l'accusation, pouvez-vous me dire si le commandant Franken,

18 qui a signé cette déclaration, ou éventuellement vous-même, auriez eu la

19 possibilité de demander la rédaction d'une nouvelle déclaration, d'une

20 autre déclaration ? Vous m'avez compris ?

21 M. Mandzic (interprétation). – Oui, oui, je vous ai compris.

22 Votre question est très intéressante. Avec le recul du temps, la question

23 peut être posée de cette façon.

24 Mais si l'on prend en compte la situation de ces 30 000 réfugiés

25 à l'époque, et le fait qu'il s'agissait de les déporter vers un lieu

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1 inconnu, si l'on tient compte du fait que les unités de l'armée de la

2 Republika Srpska ont les 12 et 13 juillet arrêté le convoi transportant

3 les blessés à Bratunac, et que dans ce convoi il y avait des blessés

4 graves, si l'on tient compte également du fait qu’à Potocari, le

5 17 juillet, se trouvait regroupé un autre groupe de blessés graves dont

6 certains saignaient -je me souviens bien avoir vu le médecin du contingent

7 néerlandais effectuer des interventions chirurgicales, malgré le fait que

8 les conditions étaient très difficiles- tous les jours, des soldats de

9 l'armée de la Republika Srpska faisaient irruption à Potocari pour

10 procéder à des vérifications et nous terroriser. Ils montaient la garde à

11 l'extérieur du camp pendant la nuit.

12 Je rappelle que le commandant Nikolic, ou plutôt je me trompe,

13 c'est par le terme de colonel qu'on s'adressait à lui, donc le

14 colonel Nikolic venait en personne interroger les gens, leur poser des

15 questions, leur demander où ils étaient en 1992, en 1993, s’ils

16 connaissaient Naser Oric, s’ils connaissaient Zulfo Tusoric, etc.

17 Donc les pressions étaient quotidiennes, je dirais même

18 constantes, des pressions qui s'exerçaient sur les Bosniens et sur moi-

19 même. Il n'y avait donc aucune issue, il n’y avait pas de solution, parce

20 que si le désir d'une autre déclaration avait été exprimé j'aurais

21 beaucoup aimé m'asseoir à table et me mettre à écrire. Mais ils auraient

22 dû nous le proposer.

23 M. Petrusic (interprétation). – Monsieur Mandzic, le 17, la

24 délégation serbe ne se composait que de Miroslav Deronjic, n’est-ce pas ?

25 M. Mandzic (interprétation). - Oui.

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1 M. Petrusic (interprétation). - Je lis la fin de la

2 déclaration : "S'agissant du convoi, il sera escorté par les forces des

3 Nations Unies", ce qui est un sens assez différent.

4 Donc je n'ai aucun doute sur la peur qui régnait, mais si l'on

5 ajoute cette phrase qui, je le répète, change considérablement le sens de

6 la déclaration, pensez-vous qu'il aurait été possible de rédiger une autre

7 déclaration, si l'on tient compte du fait qu'il n'y a aucun soldat, aucun

8 policier à cette réunion destinée à aboutir à la signature de cette

9 déclaration. Il n'y a que des civils représentant la municipalité de

10 Srebrenica ? Donc pouvez-vous répondre à la question que je viens de poser

11 par oui ou par non ?

12 M. Mandzic (interprétation). - Dans la déclaration, il est fait

13 mention également d'autres représentants du pouvoir civil, à savoir des

14 Serbes. Regardez bien, mais c'est Deronjic qui a signé en leur nom à tous.

15 Et ce jour-là, il est vrai que j'ai vu Deronjic dans la base du Bataillon

16 néerlandais. Mais, toute cette journée, quand Deronjic était aux côtés du

17 commandant Franken, quand on m'a appelé moi aussi, il y avait aussi des

18 soldats et des officiers de l'armée de la Republika Srpska qui étaient

19 présents.

20 A l'endroit où nous nous sommes assis pour signer le document,

21 on pouvait voir à 5 mètres à peine des sentinelles de l'armée de la

22 Republika Srpska. Donc, nous ne pouvions pas influer pour obtenir une

23 modification de ce document, à part l’ajout de cette dernière phrase dans

24 le document, à savoir que le convoi serait escorté par les forces de la

25 Forpronu.

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1 M. Petrusic (interprétation). - Savez-vous enfin que sous la

2 supervision du CICR, les Musulmans blessés ont été évacués de l'hôpital de

3 Bratunac pour être transportés jusqu'au territoire de la Bosnie-

4 Herzégovine sous escorte du comité international de la Croix-Rouge ?

5 M. Mandzic (interprétation). - Je ne dispose pas de tous les

6 détails. Je ne sais pas si tous ces blessés ont réussi à rester en vie. La

7 plupart d'entre eux sont encore vivants, effectivement. Je parle des

8 blessés.

9 Le 17 juillet, compte tenu des pressions exercées par les

10 représentants du Comité international de la Croix-Rouge, ils ont été

11 transportés effectivement mais, Monsieur le Président, Madame et Monsieur

12 les Juges, le nombre des blessés ou des handicapées dont on n'a aucune

13 nouvelle jusqu'au jour d'aujourd'hui est beaucoup plus nombreux.

14 M. Petrusic (interprétation). – Monsieur Mandzic, je vous

15 remercie. Monsieur le Président, je n'ai plus de questions à poser au

16 témoin.

17 M. Mandzic (interprétation). - Merci à vous également, Maître.

18 M. le. Président. - Monsieur Cayley ?

19 M. Cayley (interprétation). – Merci, Monsieur le Président. Je

20 n'ai pas de questions supplémentaires à poser au témoin, M. Mandzic.

21 Je demanderai simplement le versement au dossier d'un certain

22 nombre de pièces à conviction. Il s'agit des pièces suivantes : la

23 pièce 40, la vidéo qui montre la deuxième rencontre à Bratunac ; la

24 pièce 40 a, b, c, il s'agit des traductions en anglais, en français et en

25 BCS du procès-verbal de cette réunion ; la pièce 41 qui est un cliché

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1 montrant le colonel Karremans qui est tiré de ce film vidéo ; la pièce 42

2 qui est un cliché montrant Petar, l'interprète et puis la pièce 43, qui

3 est le cliché sur lequel on voit un officier de l'armée de la VRS que le

4 témoin n'a pas pu identifier mais qu'il a reconnu comme étant l'un des

5 participants à la réunion ; la pièce 44, un cliché montrant le général

6 Mladic ; la pièce 45, un cliché montrant le général Krstic ; la pièce 46,

7 un cliché montrant une plaque brisée qui a été utilisée lors de la

8 réunion ; la pièce 47 accompagnée de ces traductions, 47 a traduction en

9 anglais ; 47 b, traduction en anglais faite sur le terrain ; 47 c,

10 traduction en français ; 47 d, traduction en BCS -de la pièce 47-. Et

11 enfin, la pièce 48 qui est le cliché où l'on voit le commandant

12 néerlandais, le commandant Boering.

13 Je demande donc le versement au dossier de l'ensemble de ces

14 pièces, Monsieur le Président.

15 M. le Président. – Oui, Monsieur Cayley, peut-être que nous

16 allons continuer avec la présence de M. Mandzic. Après, à la fin, on va

17 considérer cela en demandant à la défense ou peut-être on peut le faire

18 déjà ?

19 Maître Petrusic, avez-vous quelque objection au versement de ces

20 pièces ?

21 M. Petrusic (interprétation). – Non, Monsieur le Président.

22 M. le Président. – Donc les pièces sont versées.

23 Maintenant, je vais donner la parole à mes collègues pour savoir

24 s'ils ont des questions. Monsieur le Juge Riad, vous avez la parole, s'il

25 vous plaît.

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1 M. Riad (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

2 Bonjour, monsieur Mandzic.

3 M. Mandzic (interprétation). - Bonjour.

4 M. Riad (interprétation). - Je vous prierai de bien vouloir me

5 donner des précisions supplémentaires par rapport à ce que vous nous avez

6 déjà dit.

7 D'abord au sujet de la réunion qui s'est tenue à l'hôtel

8 Fontana, et dont vous avez parlé avec les représentants du Procureur et

9 des avocats de la défense, cette réunion du 12 juillet qui a commencé à

10 10 heures, vous avez dit que le général Krstic étaient assis à côté du

11 général Mladic et qu'il avait gardé le silence.

12 Y a-t-il eu une quelconque autre manifestation au cours de cette

13 réunion de la part du général Krstic ou de quelque autre personne, une

14 manifestation d'assentiment, ou de désapprobation, ou une expression

15 menaçante, ou a-t-il simplement gardé le silence ? A votre avis, est-ce

16 qu’il aurait pu exprimer un sentiment quelconque en présence de Mladic ?

17 M. Mandzic (interprétation). - Monsieur le Juge, nous parlons

18 ici de la deuxième réunion ; celle du 12 juillet 1995, à l'hôtel Fontana.

19 Effectivement, aux côtés du général Mladic, se trouvait ce jour-

20 là le général Krstic. Et le général Krstic, comme tous les autres

21 officiers du commandement de l'armée de la Republika Srpska, n'a rien

22 ajouté à ce qu’avait dit le général Mladic. Lorsque le général Mladic a

23 fait la déclaration qu'il a faite à mon adresse, en disant : "Nesib, tout

24 est entre vos mains, vous pouvez rester sur place ou disparaître".

25 En tant qu'être humain, vivant sur cette planète, en tant

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1 qu'être humain qui a reçu la vie de Dieu, nous avons bénéficié du droit de

2 vivre en paix. Et il est logique que la survie d'une population, d'une

3 communauté soit déterminée par le Seigneur, par le Créateur.

4 Or, le général Mladic déclare : "Vous pouvez disparaître". Aucun

5 des représentants militaires de l'armée de la Republika Srpska, aucun des

6 représentants civils serbes ne réagit en entendant ces mots. Ils sont donc

7 d'accord avec la pensée exprimée par le général, à savoir que la

8 disparition d'une partie de la population locale est une éventualité

9 réalisable, possible. Et c'est cela qui a semé la terreur parmi nous, les

10 représentants de la population bosnienne.

11 Pendant toutes ces journées, nous étions constamment soumis à

12 des pressions émanant, en premier lieu, des soldats de l'armée de la

13 Republika Srpska, mais également à des pressions psychologiques liées à

14 l'encerclement et à la création de ce ghetto dans un espace extrêmement

15 restreint à Potocari, en juillet 1995.

16 M. Riad (interprétation). - Je viens de vous entendre répéter à

17 plusieurs reprises le terme "disparaître", "vanis" en anglais. Vous êtes

18 sûr d'avoir bien compris ce que le général Mladic voulait dire ? Avez-vous

19 compris ce mot comme signifiant que vous deviez disparaître de la planète,

20 du globe terrestre ou de Srebrenica et de la Bosnie ? S'agissait-il très

21 clairement à votre avis d'extermination ?

22 M. Mandzic (interprétation). - Ce terme, ce mot, le mot

23 disparaître, je l'ai entendu comme signifiant la disparition des personnes

24 dont il était question, c'est-à-dire la mort. A mes yeux, quelqu'un leur

25 enlevait le droit à l'existence, à la vie. Et les forces qui avaient le

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1 contrôle à ce moment-là, étaient les forces de l'armée de la Republika

2 Srpska. C'est tout à fait explicitement que le général Mladic a exprimé

3 cette opinion.

4 M. Riad (interprétation). - Quels étaient le nombre des

5 officiers qui accompagnaient le général Mladic, qui se trouvait aux côtés

6 du général Mladic ? Et quel était le grade, si vous le connaissez du

7 général Krstic ou quelle était l'importance du général Krstic dans ce

8 groupe d'officiers entourant le général Mladic ?

9 M. Mandzic (interprétation). - Je me rappelle que le premier

10 soir -je parle de la réunion du 11 juillet- aux alentours de 11 heures du

11 soir, le général Mladic a présenté les officiers de l'armée de la

12 Republika Srpska qui étaient présents ; et notamment le général Krstic. Il

13 l'a présenté comme étant le commandant du corps d'armée, ce qui d'ailleurs

14 m'a surpris à l'époque.

15 J'étais surpris d'entendre que le commandant du corps d'armée

16 était le général Krstic parce qu'ayant écouté de temps en temps la radio

17 -or, il était très difficile de capter les émissions de radio à Srebrenica

18 à cette époque-là, parce que les émetteurs radio des environs avaient été

19 détruits, donc le signal était très difficile à capter- mais j'avais tout

20 de même entendu qu'en 1993 et en 1994 c'était le général Zivanovic qui

21 était le commandant du corps d'armée de la région. La plupart des Serbes

22 de Bratunac et de la région de la municipalité de Srebrenica le

23 connaissaient. Et tout d'un coup, il nous est annoncé que c'est le

24 général Krstic qui commande le corps d'armée qui se trouvait stationné sur

25 le territoire de la municipalité de Srebrenica et de Bratunac.

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1 Je répète que le général Krstic, au moment de cette réunion, n'a

2 pas dit un mot de plus, n'a rien ajouté aux propos du général Mladic.

3 M. Riad (interprétation). - D'après ce que vous venez de dire,

4 je crois comprendre que le général Krstic a remplacé le général Zivanovic

5 que vous connaissiez comme étant le commandement du corps d'armée. Et ce

6 remplacement était-il à vos yeux lié aux événements du moment ?

7 M. Mandzic (interprétation). – Non, l'identité du commandant du

8 corps d'armée n'a eu aucune influence sur les événements. Mais je

9 m'attendais à ce que le commandant soit le général Zivanovic parce qu'il

10 est originaire de Srebrenica. Et je ne savais pas qu'il était remplacé par

11 le, je ne me souvenais pas avoir entendu dire qu'il avait été remplacé par

12 le général Krstic. Mais si l'on repense au plan élaboré pour s'emparer de

13 l'enclave, si l'on repense à l'opération de séparation des hommes, si l'on

14 repense à toutes les pressions physiques et psychologiques exercées sur la

15 population de ces réfugiés, un contexte se crée.

16 M. Riad (interprétation). - Commandant du corps d'armée, cela

17 veut dire qu'on donne les ordres ?

18 M. Mandzic (interprétation). – Dans la République, dans

19 l'ancienne République fédérale yougoslave, dans l'ancienne République

20 fédérative socialiste de Yougoslavie, un commandant du corps d'armée était

21 membre de l'état-major, si je ne m'abuse, c'est-à-dire le commandant en

22 second du commandant des forces armées. Dans sa zone de responsabilité,

23 donc il était la personne qui avait le contrôle intégral et la

24 responsabilité intégrale de toute opération menée. Bien évidemment, il en

25 informait l'état-major.

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1 M. Riad (interprétation). - Vous avez évoqué les soldats de la

2 VRS que vous ne connaissiez pas à l'époque et qui étaient jeunes, qui

3 n'avaient pas d'emblème, qui avaient un accent différent. Etant donné que

4 vous êtes, il me semble que vous êtes un homme cultivé, vous connaissez

5 donc les différents accents de la région, quel accent avaient-ils à votre

6 avis ? De quelle partie venaient-ils, pensez-vous ?

7 M. Mandzic (interprétation). – Moi, j'ai terminé mes études

8 secondaires à Belgrade. J'y ai travaillé un an et demi, après la fin de

9 mes études secondaires. Donc je connais bien l'ékavien qui est parlé par

10 exemple ici aujourd'hui par l'avocat qui vient de m'interroger. En Serbie,

11 on utilise en général le dialecte ékavien ; et en Bosnie-Herzégovine et

12 plus précisément dans la partie nord-est de la Bosnie-Herzégovine, c'est

13 le dialecte jékavien qui est utilisé.

14 Or, durant ces journées, comme je l'ai déjà dit, j'ai vu des

15 soldats jeunes, très soignés dans leur apparence physique, rasés de près,

16 bien habillés, portant un uniforme neuf, qui mettaient le feu de façon

17 sélective aux maisons de Potocari, et je suppose qu'ils le faisaient sur

18 ordre. Et le dialecte que parlaient ces soldats était tout à fait

19 manifestement l'ékavien, donc un dialecte différent du jékavien. On

20 entendait l'ékavien et le jékavien dans la région, pendant ces journées.

21 Et d'ailleurs, dans mon souvenir, cette forme d'ékavien que l'on

22 entendait n'avait rien à voir avec l'ékavien qui est parlé également par

23 les habitants de l'ouest de la Serbie. Moi, j'ai plutôt l'impression que

24 c'était l'ékavien que l'on parle en Voïvodine et en Slavonie.

25 M. Riad (interprétation). - Vous avez terminé ? Très bien. Une

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1 autre précision concernant la liste donnée au commandant Franken,

2 239 hommes sur cette liste, qui apparemment ont disparu, si j'ai bien

3 compris. Il vous a dit qu'il mettrait cette liste dans son slip et que

4 personne ne pourrait la confisquer. Avez-vous une idée de ce qui est

5 advenu de cette liste par la suite ?

6 M. Mandzic (interprétation). – J'ai fait des efforts pendant des

7 mois et des mois pour retrouver cette liste, pour retrouver la trace de

8 cette liste sur laquelle figuraient 239 noms d'hommes. Le fils d'Ibro

9 Nuhanovic dont j'ai parlé, celui qui avait été un des représentants de la

10 délégation bosnienne et dont on est sans nouvelle depuis cette date, a

11 également fait des efforts pour trouver la trace de cette liste.

12 Finalement, grâce aux efforts de représentant de l'Union

13 européenne qui sont venus en Bosnie, Hasan Nusanovic a reçu cette liste et

14 j'ai pu la voir. Cette liste est écrite de ma main, mais c'est seulement

15 quatre ou cinq mois plus tard que j'ai revu cette liste.

16 M. Riad (interprétation). - Mais pendant ces mois, avant que

17 vous ne l'ayez, vous ne savez pas qui détenait cette liste ?

18 M. Mandzic (interprétation). – Je ne sais pas qui détenait cette

19 liste. Des suppositions ont été exprimées selon lesquelles c'est le

20 commandant du Bataillon néerlandais ou plutôt son adjoint, le commandant

21 Franken, qui aurait donné cette liste au commandant de la Forpronu en ex-

22 Yougoslavie dont le siège, si je ne m'abuse, était à Zagreb. Mais nous, en

23 tant que particuliers, nous ne pouvions pas obtenir cette liste.

24 Il nous a été répondu, lorsque nous avons demandé cette liste,

25 qu'une copie de cette liste de 239 noms ne pouvait être fournie qu'à des

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1 représentants officiels et non à des particuliers. Mais moi, ce que je

2 craignais, comme pas mal d'autres personnes d'ailleurs, c'était que cette

3 liste soit détruite et que la preuve de l'existence de ces personnes

4 disparaisse en même temps.

5 Monsieur le Président, Monsieur, Madame les Juges, j'ai relu

6 cette liste il y a quelques jours, juste avant mon voyage à destination

7 des Pays-Bas pour participer à cette audience du Tribunal, j'ai donc relu

8 cette liste, et mon coeur s'est serré, car ces hommes ne sont plus en vie.

9 Le monde entier a observé ces événements.

10 M. Riad (interprétation). - Certaines personnes n'ont pas voulu

11 figurer sur cette liste, que leur nom figure sur cette liste. Ont-ils

12 également disparu ? Sont-ils toujours en vie peut-être ?

13 M. Mandzic (interprétation). - J'aurais besoin d'une pause,

14 Monsieur le Président. J'ai besoin de reprendre mes esprits.

15 M. Riad (interprétation). - Je vous prie de m'excuser. Je peux

16 très bien en finir ici avec mes questions.

17 M. Mandzic (interprétation). - Vous pouvez continuer, mais ce

18 sont mes concitoyens, vous comprenez.

19 Je peux continuer, je peux continuer...

20 Monsieur le Président, en effet, il y a eu des hommes d'âge très

21 divers, y compris des hommes âgés de 80 ans et plus qui, en raison des

22 circonstances, n'ont pas accepté que leur nom soit inscrit sur la liste,

23 car ils craignaient que cette liste ne tombe entre les mains des soldats

24 de l'armée de la Republika Srpska. Et ils considéraient que si leur nom

25 n'était pas connu de ces soldats, il leur serait plus facile de franchir

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1 les barrages routiers érigés par l'armée de la Republika Srpska.

2 Malheureusement, cela n'a pas été le cas.

3 Vous pouvez continuer, Monsieur le Juge.

4 M. Riad (interprétation). - Vous avez également évoqué, vous

5 avez répondu au conseil de la défense que les Serbes ont commencé à

6 quitter Srebrenica en 1992.

7 Déjà vous avez évoqué, je crois, 5 000 environ. Et ils ont dit

8 qu'il y avait simplement une incertitude dans l'air, c'est pour cela

9 qu'ils ont quitté. Il y avait, selon vous, pas de menaces, pas de réel

10 danger.

11 A votre connaissance, y avait-il des rumeurs ou peut-être

12 quelques informations qu'ils auraient pu recevoir avec du recul ? Ils

13 auraient peut-être pu avoir une idée de ce qui allait se produire et qu'il

14 était plus sûr d'évacuer, de quitter tout de suite ? Pourquoi sont-ils

15 partis s'il n'y avait aucune menace ni mauvais traitement ?

16 M. Mandzic (interprétation). - Monsieur le Président, Monsieur

17 le Juge, Madame la Juge, j'ai mentionné -je ne sais pas si la traduction a

18 été claire- avant la guerre, avant 1992, sur le territoire de la

19 municipalité de Srebrenica, il y avait environ 38 000 personnes.

20 Dans la ville en tant que telle il y avait environ

21 5 000 personnes, et plus de 32 000 personnes se trouvaient à l'extérieur

22 du centre-ville en tant que tel, et étaient éparpillées aux alentours. A

23 l'intérieur de ce centre-ville dans lequel vivaient donc 5 000 habitants,

24 il y avait environ 2 000 à 2 500 Serbes, parce qu'à l'intérieur du centre-

25 ville il y avait plus de Bosniens.

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1 Au printemps, au mois d'avril 1992, lorsque la frontière de la

2 Bosnie-Herzégovine et les autres villes environnantes qui faisaient partie

3 de la République de Yougoslavie, telles que sont les villes de Banja

4 Basta, Ljubovica, des unités armées étaient posées aux frontières, une

5 concentration très forte de l'armée de la République fédérative de

6 Yougoslavie, qui déjà à l'époque, et déjà quelques mois auparavant, ne

7 permettait plus l'importation des vivres pour nourrir la population de la

8 Bosnie. Puisque les Bosniens et les Serbes devaient aller dans les villes

9 bosniennes et serbes avant cette guerre, ils pouvaient apercevoir les

10 unités armées.

11 Ces gens qui traversaient la frontière disaient qu'ils allaient

12 entrer en Bosnie pour défendre les Serbes, comme ils disaient -je le

13 répète, donc malgré le fait que je dise la vérité et toute la vérité-

14 jusqu'au mois d'avril sur le territoire de la municipalité de Srebrenica

15 et Bratunac il n'y avait pas de regroupement armé de Bosniens et de

16 Serbes.

17 Jusqu'à la mi-avril, ils vivaient tous ensemble et travaillaient

18 dans les entreprises. Les enfants allaient ensemble à l'école. Mais,

19 l'entrée des unités paramilitaires en Yougoslavie, je parle des unités

20 d’Arkan, de Cecelj, qui ont pénétré donc Bratunac, ont causé la panique et

21 ont semé la terreur chez les gens.

22 C’est à ce moment-là que Srebrenica, donc la ville de

23 Srebrenica, a été… Les Bosniens et les Serbes ont quitté la ville. Les

24 Serbes ont essayé de mettre leur famille dans les environs de la Serbie et

25 les Bosniens se sont dirigés vers un centre, dans de plus grandes villes,

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1 telles que Tuzla et les villes environnantes, les villes aux environs de

2 Tuzla.

3 C'était assez reflété ( ?) très rapidement sur le territoire de

4 la municipalité de Srebrenica. De sorte que déjà, le 17 avril, les unités

5 paramilitaires, de concert avec, pour ainsi dire, des politiciens serbes

6 qui avaient des intentions militaires, ils ont donc pénétré Srebrenica.

7 Srebrenica était à ce moment-là une ville déserte. Les Bosniens avaient

8 déjà quitté, il avait quitté parce qu'ils avaient eu peur. Quelques

9 personnes âgées d'origine bosnienne étaient restées à l'entrée de ces

10 unités paramilitaires, mais, malheureusement, environ 80 personnes qui

11 étaient plus âgées, à la fin d'avril ou au début du mois de mai, ces

12 personnes âgées étaient tuées par ces unités paramilitaires. On parle de

13 personnes épuisés, de vieillards bosniens.

14 Et pour qu'il n'y ait pas de confusion, donc au mois d'avril,

15 pendant quelques jours, nous n'avions que quelques jours pour que les

16 citoyens, les uns et les autres quittent Srebrenica. Mais les gens qui

17 avaient les familles serbes...

18 M. Riad (interprétation). - Je crois que j'ai compris.

19 M. le. Président. – Merci, Monsieur le Juge M. Riad.

20 Madame le Juge Wald ?

21 Mme Wald (interprétation). – Monsieur Mandzic, vous avez parlé

22 dans votre déposition du fait qu'il y avait approximativement 5 000

23 personnes dans la base de l'ONU avant l'évacuation, et peut-être de 15 à

24 20 000 dans les alentours, dans les rues autour de la base. J'aurais deux

25 questions à ce propos.

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1 Premièrement, vous avez également déclaré sous serment, et je

2 pense que nous avons vu une séquence vidéo concernant le colonel

3 Karremans, qui disait que la grande majorité des évacués étaient des

4 femmes, des enfants ou des personnes âgées, ou encore des personnes

5 malades. Est-ce que cela concernait aussi les personnes en dehors de la

6 base, les 15 à 20 000 comme ceux dans la base, ou est-ce qu'il y avait

7 beaucoup plus d’hommes à l'extérieur de la base ?

8 M. Mandzic (interprétation). - Merci, Madame le Juge. Dans la

9 base, dans ce camp, environ 5 000 personnes ont trouvé un abri temporaire.

10 Mais, à l'extérieur de ce camp, il n'y avait pas 15 à 20 000 personnes,

11 mais plutôt plus de 25 000 personnes s'y trouvaient.

12 Ils vivaient dans des conditions encore pires que les gens qui

13 avaient séjourné deux ou trois jours dans le camp. Il n'y avait pas d'eau,

14 il n'y avait pas de moyens hygiéniques, ni de nourriture, et ils étaient

15 attaqués par les unités de la Republika Srpska.

16 Mme Wald (interprétation). – Oui, j’ai bien compris sur la base

17 de votre déposition préalable. Mais ce que je voudrais surtout savoir

18 c'est, parmi ces 25 000 personnes, à l'extérieur de la base, est-ce qu’il

19 s'agissait aussi en grande majorité de femmes et d'enfants, ou est-ce

20 qu'il y avait également des hommes ? Les photos, les images semblent

21 montrer qu'il y avait aussi un grand nombre d’hommes, mais est-ce qu'il y

22 avait plus d'hommes à l'extérieur qu'à l'intérieur ? C’est là ma question.

23 M. Mandzic (interprétation). – Oui, parmi ces 25 000 personnes,

24 pour la plupart il y avait des femmes et des enfants. Mais si vous me

25 demandez précisément de vous parler des hommes âgés de 18 ans et plus, il

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1 y en avait certainement plus à l'extérieur du camp qu'à l'intérieur.

2 Beaucoup plus, puisqu'il y avait 5 % de plus de personnes qui se

3 trouvaient à l'extérieur qu'à l'intérieur du camp.

4 Mme Wald (interprétation). – Merci. Ma deuxième question, un peu

5 dans la même direction, lorsque l'évacuation a commencé, est-ce que les

6 gens qui se trouvaient à l'extérieur de la base, c'est-à-dire les 25 000

7 que nous avons évoqués, ont-ils été forcés, ont-ils dû monter dans des

8 bus, que sont-ils devenus, ces personnes à l'extérieur de la base, une

9 fois l'évacuation commencée ?

10 M. Mandzic (interprétation). - L'évacuation, telle que je l'ai

11 mentionnée, la déportation, j'appelle ça la déportation, car je l'ai

12 sentie sur ma propre peau, a débuté le 12, en fait a débuté le 12 juillet,

13 dans l'après-midi, c'étaient d'abord les personnes qui se trouvaient à

14 l'extérieur du camp, et par la suite, dans les heures qui ont suivi, plus

15 tard dans l'après-midi du 13 juillet, c'était le tour… On a déporté les

16 personnes de l'intérieur du camp.

17 Mme Wald (interprétation). – Merci, monsieur. La nuit du 11, à

18 l’hôtel Fontana, première réunion à laquelle vous avez assistée, dont nous

19 avons vu une séquence vidéo, le général Mladic a dit à plusieurs

20 reprises : "Obtenez de vos gens qu'ils déposent les armes, leur survie

21 dépend de vous, si vous arrivez à les convaincre de déposer leurs armes,

22 vous pourrez assurer leur survie, sauver cette population".

23 A ce moment-là, comme vous l'avez déclaré, ainsi que d'autres

24 l'ont fait, les personnes dans la base et à l'extérieur également étaient

25 en grande majorité des femmes et des enfants. La colonne qui se dirigeait

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1 vers Tuzla était déjà partie, si je ne m'abuse. La colonne était déjà

2 partie depuis un village voisin.

3 Comment avez-vous compris, interprété l'ultimatum émis par le

4 général Mladic ? Si vous aviez voulu vous plier à son ultimatum,

5 qu'auriez-vous fait de ces personnes qui étaient déjà parties de leur

6 propre initiative vers Tuzla ? Et puis, il y avait, encore une fois,

7 essentiellement des femmes et des enfants dans la base.

8 Donc, lorsque le général Mladic a parlé de survie, de

9 disparition, de reddition d'armes, à votre avis, que voulait-il vous

10 inciter à faire ?

11 M. Mandzic (interprétation). – Je me rappelle très bien des

12 menaces, des déclarations du général Mladic : "Rendez vos armes et vous

13 allez pouvoir survivre ou disparaître". Cette demande était complètement

14 incompréhensible puisqu'il n'y avait pas de représentants armés parmi ces

15 gens, mais le général Mladic et ses hommes n'arrêtaient pas de dire

16 "Rendez vos armes", et les gens n'avaient même pas une croûte de pain pour

17 manger, et surtout pas des armes !

18 Alors, j'ai vu que c'était un moyen de pression d'abord de

19 nature psychologique et j'avais peur, je craignais que le pire pouvait

20 arriver pour cette population.

21 Mme Wald (interprétation). - Quand vous vous êtes réunis une

22 deuxième fois, le lendemain matin, avec une délégation de trois personnes,

23 est-ce que le général Mladic a de nouveau soulevé cette même question ?

24 Vous n'avez pas dit grand-chose sur ce qui s'est passé ce matin-là, le

25 matin du 12. A-t-il encore dit, devant votre délégation : "Dites-moi que

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1 vous êtes prêts à rendre les armes", ou a-t-il laissé tomber cette

2 question, donc le matin du 12 ?

3 M. Mandzic (interprétation). – Madame la Juge, le général

4 Mladic, le 12 juillet, a répété cette même demande envers notre

5 délégation : "Rendez vos armes". D'après ce que je me souviens, il a dit :

6 "Tous ceux qui rendront leurs armes, en tant que général et en tant

7 qu'homme, je garantis à tous ceux qui rendront leur arme qu'il n'y aura

8 pas de problème. Notre but n'est pas de faire du mal au peuple musulman.

9 Nous allons permettre à toute personne, indépendamment de l'âge, du sexe,

10 de choisir leur lieu d'habitation".

11 Mme Wald (interprétation). - Est-ce que l'un des membres de

12 votre délégation a proposé au général Mladic ou lui a laissé entendre que

13 vous n'aviez pas de population armée, qu'il n'y avait personne d'armé

14 parmi vous ; vous n'aviez que des blessés, des femmes, des enfants, des

15 personnes déplacées, qu'il n'y avait, qu'on ne pouvait pas leur demander

16 de rendre des armes alors qu'ils n'en avaient pas ?

17 M. Mandzic (interprétation). – Madame le Juge, d'abord, c'est ce

18 qu'a fait Mme Camila Omanovic comme membre de notre délégation. Elle a

19 dit : "Mais monsieur le général, nous n'avons rien à voir avec les gens

20 qui se trouvent dans les bois, dans les montagnes, qui sont peut-être

21 armés. Vous devez comprendre qu'il s'agit de personnes déplacées, sans

22 nourriture, sans médicament, ni vêtements, ni chaussures, ni vivres."

23 Mme Wald (interprétation). - Est-ce que j'ai bien compris, tant

24 le 11 au soir et le 12 au matin, il y avait une équipe qui filmait ces

25 réunions ou bien est-ce que c'était seulement la nuit du 11 ? Est-ce que

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1 le général Mladic avait une équipe de télévision qui enregistrait le

2 tout ? Est-ce que c'était seulement le 11, ou bien le 12 également ?

3 M. Mandzic (interprétation). – Le 11, le 12 juillet également.

4 Cette équipe de tournage venait également à Potocari le 13 juillet. Elle

5 est venue à Potocari le 13 juillet.

6 Mme Wald (interprétation). - J'en viens maintenant à ma dernière

7 question qui porte sur le document signé le 17, dont nous avons, que nous

8 avons évoqué. Avec M. Cayley, vous avez passé en revue certaines

9 déclarations qui, selon vous, étaient inexactes, erronées. Est-ce que je

10 peux attirer votre attention sur une des déclarations que vous n'avez pas

11 évoquée ? J'aimerais simplement que vous me disiez, il est dit : "Il était

12 convenu que nous pouvions choisir où nous pourrions aller. La population

13 civile toute entière pourrait quitter l'enclave et serait évacuée du

14 territoire vers Kladanj."

15 Dites-moi, est-ce que cette déclaration était exacte ? Est-ce

16 que quelqu'un a pris la décision d'évacuer toute la population civile ?

17 M. Mandzic (interprétation). – Non, ce n'est pas exact. Monsieur

18 le Président, Madame, Monsieur le Juge, les unités de l'armée de la

19 Republika Srpska, du 6 au 11 juillet, ils ont, la population entière

20 bosnienne qui se trouvait à l'intérieur de l'enclave -et il y avait

21 environ 40 000 personnes-, ces gens-là étaient forcés de quitter leur

22 maison, leur demeure, de laisser leurs biens derrière et leurs terres

23 derrière eux.

24 La majorité s'est trouvée à Potocari, c'est-à-dire ils s'étaient

25 dirigés vers Potocari de la part des unités de l'armée de la VRS à cause

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1 des actions du pilonnage. Donc ils étaient poussés, la population était

2 poussée de la part de l'armée de la Republika Srpska.

3 Le 11, le 12 et le 13 juillet, les unités de la Republika Srpska

4 ont encerclé la zone, ils ont pénétré, ils ont commencé à séparer la

5 population d'après le sexe et d'après l'âge. Ils ont commencé à diriger

6 les gens dans les autobus.

7 Nous n'acceptons pas facilement de quitter nos demeures, c'est

8 la mentalité du peuple de la Bosnie-Herzégovine et du peuple dans les

9 Balkans. De changer une ville, pour nous, représente un changement énorme,

10 de changer notre lieu de travail également représente un changement énorme

11 auquel nous avons de la difficulté à nous habituer. Et donc c'est pour

12 cela que cette déclaration n'est pas exacte et ne reflète pas la vérité.

13 Si les unités de la VRS, et que s'il y avait eu de la

14 compréhension, s'ils s'étaient retirés au moins là, ici, au début, à la

15 frontière de la zone, aux frontières des zones de la zone démilitarisée,

16 la population serait revenue.

17 Excusez-moi de vous interrompre, mais nous vivons depuis des

18 années en exil et nous voulons revenir et c'est très difficile pour nous

19 parce que nous sommes, même avant la guerre, quand je dis "nous", je parle

20 de nous les Bosniens et les Serbes, nous vivions bien, nous avions des

21 terres, des maisons à Srebrenica avant la guerre, il n'y avait pas de

22 sans-abris. Nous avions plus de maisons que de famille ! Nous avons des

23 données statistiques là-dessus et nous pourrions vous les démontrer.

24 Mme Wald (interprétation). - A l'époque de cette déclaration, le

25 17 juillet 1995, est-ce qu’il y avait encore des civils serbes vivant à

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1 Srebrenica ? Je sais que vous avez beaucoup parlé des Bosniens et du fait

2 que les Bosniens et les Serbes avaient commencé à partir dès avril. Est-ce

3 qu’il y avait encore des Serbes qui restaient à Srebrenica en juillet ?

4 M. Mandzic (interprétation). – Est-ce que vous parlez jusqu'à la

5 prise de l'enclave ? Vous voulez dire le moment qui a précédé ?

6 Mme Wald (interprétation). - Après la prise, au moment de

7 l'évacuation de Potocari, est-ce qu'il y avait encore des civils serbes

8 vivant à Srebrenica ?

9 M. Mandzic (interprétation). – Depuis mai 1992 jusqu'en,

10 depuis 92 jusqu'en mai 92, il y avait une petite, donc depuis 92 à 95

11 jusqu'au 11 juillet, lorsqu'il y a eu cette déportation massive de la

12 population d'origine bosnienne de la ville et des villages environnants,

13 ce petit groupe est resté d'habitants d'origine serbe, de nationalité

14 serbe, et je peux vous donner votre certitude aujourd'hui puisque je

15 travaille à Srebrenica. Ils vivent encore là et j'espère que nous allons

16 tous revenir, bien sûr.

17 Mme Wald (interprétation). - Merci.

18 M. le Président. - Je vois que nous travaillons depuis une

19 heure 35. Cela veut dire que c'est presque un supplice pour les

20 interprètes. Je suis dans une situation de conflit. Moi-même, j'ai des

21 questions et il ne fait pas de sens de faire revenir le témoin au

22 prétoire. Est-ce que vous me donnez 10 minutes ? Jje parlerai lentement

23 pour ne pas échouer le petit reste d'énergie que vous avez.

24 Les interprètes. - Bien sûr, Monsieur le Président.

25 M. le Président. - Moi-même, j'ai trois questions, monsieur. Je

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1 vais être le plus synthétique possible et je vous demanderai de répondre

2 aussi de la même manière. Raisons qui vous ont été présentées pour signer

3 le document du 17 juillet, y en a-t-il quelques-unes ?

4 M. Mandzic (interprétation). - Ce qui est mentionné dans ces

5 déclarations est inexact.

6 M. le Président. - Excusez-moi de vous interrompre. Je vous

7 demande si les personnes qui vous ont présenté les documents vous ont

8 dit : "Vous allez signer ce document parce que…, afin de..." ?

9 M. Mandzic (interprétation). - Nous étions tous tout à fait au

10 courant du fait qu'à Bratunac, ville qui était donc sous le contrôle de

11 l'armée de la Republika Srpska, qu'il y avait environ quelques dizaines de

12 blessés. Qu’à Potocari, du 13 au 17 juillet, il y avait également dans

13 cette période-là, entre le 13 et le 17, une dizaine de personnes plus

14 gravement blessées. Il y avait des femmes, des enfants parmi ces blessés

15 et qu'il y avait également 27 personnes en santé qui également voulaient

16 survivre.

17 M. le Président. - Mais ce que vous êtes en train de dire sont

18 vos raisons, les raisons que vous avez perçues, que vous aviez. Ce que je

19 vous demande, c'est ce monsieur qui a été là, M. Deronjic, il vous a donné

20 des raisons pour signer ce document ?

21 M. Mandzic (interprétation). – Non.

22 M. le Président. - En sachant toute cette situation qui arrivait

23 en dehors, vous avez senti que vous deviez signer ce document. C'est

24 cela ?

25 M. Mandzic (interprétation). - Oui, la vie d'à peu près 80 ou

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1 100 Bosniens dépendait de la signature et également le sort des

2 Néerlandais.

3 M. le Président. - Excusez-moi de vous interrompre, mais vous

4 avez compris que nous sommes un peu sous la pression du temps. Sur le même

5 document, j'ai une autre question : vous avez signé une déclaration de

6 votre langue, et une déclaration en anglais. C'est vrai ?

7 M. Mandzic (interprétation). - Oui.

8 M. le Président. - Est-ce que vous compreniez à l'époque

9 l'anglais ?

10 M. Mandzic (interprétation). - Quelque peu.

11 M. le Président. - Merci. L'autre question sur le même de

12 document est la suivante : plus ou moins, le document parle au pluriel,

13 utilise "notre demande, nous étions représentés, notre population", etc.,

14 et il y a un moment où il est dit : "Après la conclusion de cet accord,

15 j'ai exigé que l'évacuation de la population civile de l'enclave de

16 Srebrenica soit menée de façon absolument correcte". Ensuite, "J'ai

17 exigé". Qui a dit cela, qui a dit cette expression : "J'ai exigé" ?

18 M. Mandzic (interprétation). - La délégation bosnienne

19 n'existait plus à partir du 13 juillet. Monsieur Nuhanovic avec sa famille

20 avait quitté, donc on ne sait pas en fait ce qui leur est arrivé.

21 Madame Zemila Humanovic avait eu une crise de nerfs à cause de l'entrée de

22 l'armée de la Republika Srpska. Ils ont suivi très bien, ils savaient très

23 bien dans quel état psychologique les négociateurs se trouvaient. J'étais

24 le seul négociateur qui pouvait suivre la situation. Je prenais des notes

25 dans ma tête de tout ce qui se passait.

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1 Il y a quelques événements que je n'ai même pas pu noter,

2 puisque je ne voulais pas que le carnet de notes tombe entre les mains des

3 membres de la Republika Srpska et ils le savaient très bien. Donc la seule

4 personne sur laquelle ils pouvaient faire des pressions, c'était moi. Et

5 il s'agissait de ma compréhension, et c'était de ma signature que la vie

6 de toutes ces personnes dépendait.

7 M. le Président. - Donc je peux comprendre que l'expression

8 "J'ai exigé" à la première personne du singulier, se réfère à vous ?

9 M. Mandzic (interprétation). – Non, mais ce n'est pas moi,

10 puisque ce n'est pas moi qui ai écrit ce texte. Ce n'est pas fondé

11 légalement. Ce n'est pas non plus fait…, ce n'est pas un document légal

12 puisque ce document a été préparé bien à l'avant et cela représentait un

13 ultimatum.

14 M. le Président. – Monsieur Mandzic, vous avez lu ce document

15 plusieurs fois, certainement plus de fois que moi-même. Et si vous

16 regardez le document, il y a toujours la première personne du pluriel,

17 nous, et nous et nous, et ainsi de suite, mais il y a un paragraphe et

18 seulement un paragraphe où le texte dit "J'ai exigé". Ce que je voudrais

19 comprendre, c’est qui a dit nous et qui a dit moi ? Est-ce que vous pouvez

20 m'expliquer ?

21 M. Mandzic (interprétation). – Nous et moi, c'était écrit

22 probablement par le représentant civil de l'armée de la Republika Srpska.

23 Dans ce document dans lequel il est stipulé "je n'exige pas", "je

24 n'affirme pas", ce n'est pas moi qui ai rédigé ce document.

25 M. le Président. - On peut donc d'une certaine façon dire qu'il

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1 y a eu une certaine, si je peux utiliser le mot, une certaine

2 "schizophrénie" dans le même document. Il y a deux personnalités qui

3 parlent en même temps. Mais de toute façon, on va voir comment on peut

4 dépasser cette question.

5 Une autre question.

6 M. Mandzic (interprétation). – Puis-je, Monsieur le Président,

7 ajouter quelque chose ? Le rédacteur de cette déclaration a sciemment

8 écrit "je" ; les deux autres membres de la délégation étaient… Peut-être

9 Nuhanovic, cette journée-là, séparément, mais il était peut-être séparé et

10 peut-être même tué. Zemila Humanovic avait eu une crise ce jour-là. Donc,

11 par la suite, on parle de nous au pluriel. Pour le nous, il est important

12 d'avoir plusieurs signatures, mais la seule personne qui était en mesure,

13 qui était encore en vie, c'était moi. Donc, la personne qui a rédigé cette

14 déclaration connaissait très bien quel est l'état, quelle était la

15 situation.

16 M. le Président. - Donc, une autre question que j'ai maintenant,

17 c'est par rapport à la présence du général Krstic. Nous savons qu'il a été

18 présent à deux réunions à Bratunac, le 10 et le 11. L'avez-vous vu, après

19 ces réunions, d'autres fois ?

20 M. Mandzic (interprétation). – Non, le général Krstic, avant le

21 11 juillet, je ne l'ai pas revu. Je l'ai vu le 11 et le 12 juillet, donc

22 deux fois.

23 M. le Président. - Autre question. Monsieur, sur le document, la

24 pièce à conviction 40 A, sur la transcription en vidéo, je vais vous lire,

25 le général Mladic vous a demandé : "Etes-vous enseignant ?" . Vous avez

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1 répondu : "Oui, je l'étais ce matin, mais je ne sais pas pour combien de

2 temps encore". Qu'avez-vous voulu dire avec cette expression ?

3 M. Mandzic (interprétation). – Le général Mladic m'a posé la

4 question : quelle était mon occupation et qu'est-ce je faisais avant la

5 guerre ainsi que pendant ma vie dans l'enclave ? Je lui ai répondu

6 qu'avant la guerre, j'étais professeur, j'étais enseignant également

7 lorsque j'étais dans l'enclave, de 1994 à 1995, j'étais enseignant et

8 directeur d'école.

9 M. le Président. – Monsieur, excusez-moi de vous interrompre,

10 allez directement à ma question. Le général Mladic vous a demandé : "Etes-

11 vous enseignant ?" Vous avez répondu : "Oui, je l'étais ce matin, mais je

12 ne sais pas pour combien de temps encore." Et Mladic continue : "Vous

13 sortez de quelle école ?". Vous dites : "De l'école électrotechnique".

14 Ce que je vous demande, c'est que voulez-vous dire : "Je l'étais

15 ce matin, mais je ne sais pas pour combien de temps encore". C'est cela ma

16 question.

17 Allez-y directement, s'il vous plaît.

18 M. Mandzic (interprétation). – Je ne savais pas si j'allais

19 rester en vie ou non. L'enclave était prise, la population était chassée.

20 Je vois que l'armée de la Republika Srpska n'a aucune pitié envers la

21 population. J'étais conscient que je pouvais m'attendre au pire.

22 M. le Président. - D'accord. Maintenant, j'ai terminé mes

23 questions pour l'instant. Vous avez répondu aux questions de Monsieur le

24 Procureur, de la défense, des Juges. Est-ce qu’il y a d'autres choses que

25 vous aimeriez bien dire mais qui n'ont pas encore été demandées ? S'il y

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1 en a, vous pouvez les dire maintenant.

2 M. Mandzic (interprétation). – Monsieur le Président, Madame,

3 Monsieur les Juges, la vie dans Srebrenica entre 1992 et 1995, le sort qui

4 était réservé à la population et l'exil de la population, on pourrait en

5 parler longuement.

6 Mais, ce que j'aimerais dire, ce que j'aimerais souligner -et

7 qui n'est pas le sujet de cette institution- c'est comment passer outre ce

8 qui est arrivé. Je pense aux dizaines de milliers d'exilés qui vivent à

9 Sarajevo, à Tuzla et dans les villes environnantes et qui aimeraient

10 revenir dans leur foyer, mais qui, à cause des raisons politiques et

11 d'autres, ne retournent pas chez eux. Ils vivent comme des citoyens de

12 deuxième ordre, ils souffrent énormément.

13 Je sais que ce n'est pas le sujet de ce Tribunal. Ce n'est pas

14 la préoccupation principale de ce Tribunal, mais votre recommandation

15 serait certainement bien accueillie par toutes les institutions

16 internationales afin de pouvoir régler cette question et donc le résultat

17 de cet exil, pour que l'on puisse résoudre la situation et qu'on puisse

18 permettre aux citoyens de revenir chez eux pour vivre d'une façon normale.

19 M. le Président. – Monsieur, nous allons terminer. Vous avez

20 manifesté votre souffrance, beaucoup de courage de venir ici témoigner.

21 Vous avez aussi, je crois, je l'ai senti, manifesté votre tolérance.

22 Je crois pouvoir parler au nom de mes collègues, nous vous

23 souhaitons un bon retour à ces endroits qui ont témoigné de la souffrance,

24 mais qui doivent aussi être témoins de la tolérance et de la paix.

25 Je rappelle un peu qu'une injustice, quelque part, sera toujours

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1 une menace partout.

2 Maintenant, je crois que je dois faire une compensation à toutes

3 les personnes et notamment aux interprètes. Nous allons faire une pause

4 d'une demi-heure. Et nous continuerons après la pause avec un autre

5 témoin. Une demi-heure.

6 Merci et bon retour.

7 (L'audience, suspendue à 13 heures 10, est reprise à

8 13 heures 50.)

9 M. le Président. - Maintenant que nous avons eu l'opportunité de

10 profiter aussi du printemps, je vois que les interprètes ont bien profité,

11 nous allons reprendre. Monsieur Cayley, c'est à vous.

12 M. Cayley (interprétation). – Monsieur le Président, simplement

13 une question finale qui a trait au document sur lequel vous vous étiez

14 penché, la pièce à conviction 47.

15 Il nous a été signifié par l'unité de traduction et

16 d'interprétation qu'en fait il y a une erreur dans la traduction française

17 du document. Au dernier paragraphe, page 1 du document de la traduction

18 anglaise, après que l'accord a été passé, en anglais il est dit : "I

19 claim", alors qu’en français ce terme a été traduit de manière erronée. En

20 effet, il ne s'agit pas de "j’exige", "j’exige" ce n'est pas une

21 traduction exacte de la version originale.

22 C'est donc le mot, "j'ai exigé" qui est faux par rapport à la

23 version BCS et à la version anglaise. Une version correcte sera produite

24 qui sera soumise à la Cour demain.

25 M. le Président. - Si on suit la version française "j'ai exigé",

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1 on devrait dire dans la version anglaise "I claimed". Ma question n'est

2 pas de savoir si le temps est le passé ou le présent, c'était la personne.

3 On va donc attendre la version corrigée pour voir quel est le

4 résultat, Monsieur Cayley.

5 M. Cayley (interprétation). – Il me semble que le temps est en

6 fait correct, vous avez parlé du temps du verbe, que ce soit "je" ou

7 "nous", ce n'est pas le problème. Mais, d'après mon interprétation, si on

8 se fie au deuxième paragraphe il est dit :"Les représentants de notre côté

9 étaient Kamila Bohonic, moi-même, Mandzic donc, Kamila Perkovic, et

10 Nuhanovic".

11 Donc, en ce moment, je ne suis pas vraiment apte à donner plus

12 de précision, mais je crois qu'il ressort du document que M. Mandzic a

13 bien signé au nom de deux autres personnes qui n'étaient pas présentes,

14 raison pour laquelle ce document a été ainsi rédigé.

15 M. le Président. - De toute façon, normalement, je n'ai pas la

16 traduction française, je vois que, quand on a la traduction française, on

17 a des problèmes, mais je veux continuer à avoir la traduction française,

18 Monsieur Cayley.

19 M. Riad (interprétation). – Je crois que le mot "claim" en

20 anglais, ne correspond pas à "exiger" en français. "Exiger" est un terme

21 bien plus fort que "claim". Evidemment, je ne suis pas une autorité en la

22 matière, mais il me semble que "claim" pourrait plutôt correspondent à "ce

23 que je souhaiterais", donc "exiger" me paraîtrait beaucoup trop fort.

24 M. Cayley (interprétation). – Moi-même, je suis encore moins une

25 autorité en la matière. Mais, effectivement, c’est ce que j'ai compris,

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1 c’est que le terme"exiger" est inexact, je crois que "exiger" correspond à

2 "request", c’est-à-dire "a demandé", alors qu’en fait il faudrait que cela

3 corresponde à une affirmation, une affirmation, "j’affirme", "je déclare"

4 plutôt que "j'exige".

5 M. le Président. - Nous ne sommes pas quand même un conseil de

6 révision des traductions, seulement on profite de cela pour dire que nous

7 travaillons dans des conditions difficiles. Les cas et les affaires sont

8 difficiles, on travaille dans des conditions difficiles, c'est pourquoi on

9 doit maintenir une bonne communication.

10 J’en profite pour faire mes excuses aux interprètes, mais moi-

11 même je suis sensibilisé au fait que nous avons une capacité de

12 résistance, une capacité de concentration qui, après avoir dépassé

13 quelques limites, fait tomber l'efficacité du travail, mais souvent il y a

14 convenance de faire des blocus de communication.

15 J’en profite pour dire maintenant, soit au Procureur, soit à la

16 défense, que nous savons que pour les enfants 50 minutes c'est une bonne

17 période de travail, pour les adultes on dit que cela monte un peu,

18 1 heure 10 à 1 heure 20.

19 Comme règle, je donnerai l’opportunité soit à la défense soit à

20 l'accusation, après 1 heure 10, 1 heure 20, de faire la pause, dans le

21 moment que les parties considèrent comme convenable. Je crois que c'est

22 préjudicielle à la communication de faire une interruption quand quelqu'un

23 est en train de finir.

24 Entre 1 heure 10 et 1 heure 20, les parties peuvent prendre une

25 l’initiative. Ou comme je l’ai fait à M. Cayley, on fait ce signe, c’est

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1 un signe international que tout le monde comprend, c'est-à-dire : "On

2 passe à une pause ? D'accord ?"

3 Je crois que nous sommes prêts pour l'autre témoignage. Je vois

4 que c'est M. Harmon qui va nous dire ce qu'on va faire, vous, le

5 Procureur, qui êtes omniscient. Vous pouvez nous le dire, Monsieur

6 Harmon ?

7

8 (Témion : Mme Camila Omanovic)

9 M. Harmon (interprétation). – J'aimerais appeler à la barre

10 Camila Omanovic.

11 (Le témoin est introduit dans le prétoire.)

12 M. le Président. – Bonjour, Madame Camila Omanovic. Vous

13 m'entendez bien ? Vous pouvez rester debout, s'il vous plaît, un petit

14 instant. Madame, vous allez lire la déclaration solennelle que

15 M. l'huissier va vous tendre.

16 Mme Omanovic (interprétation). - Je déclare solennellement que

17 je dirai la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

18 M. le Président. - Vous pouvez maintenant vous asseoir et

19 prendre la position la plus confortable pour vous.

20 Merci d'être venue, Madame Camila Omanovic, témoigner ici au

21 Tribunal pénal international. Pour l'instant, vous allez répondre aux

22 questions que le Procureur, Monsieur Harmon, va vous poser.

23 M. Harmon (interprétation). – Bonjour, Madame Omanovic.

24 Pouvez-vous m'entendre ?

25 Mme Omanovic (interprétation). - Je vous entends.

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1 M. Harmon (interprétation). – Veuillez épeler votre nom de

2 famille, s'il vous plaît, pour le procès-verbal ?

3 Mme Omanovic (interprétation). – O-M-A-N-O-V-I-C.

4 M. Harmon (interprétation). – Veuillez épeler également votre

5 prénom pour le procès-verbal, s'il vous plaît ?

6 Mme Omanovic (interprétation). – C-A-M-I-L-A.

7 M. Harmon (interprétation). – Quelle est votre date de

8 naissance, s'il vous plaît ?

9 Mme Omanovic (interprétation). - Je suis née le 15 avril 1953 à

10 Srebrenica.

11 M. Harmon (interprétation). – Je n'entends pas l'interprétation,

12 Monsieur le Président.

13 Nous allons procéder : Madame Omanovic. Pouvez-vous nous dire

14 quelque chose sur votre éducation, votre instruction ?

15 Mme Omanovic (interprétation). - J'ai terminé mes études

16 primaires et secondaires à Srebrenica. Après quoi, je suis allée à

17 l'université de Tuzla, et j'ai obtenu un diplôme de premier cycle à

18 l'université de Srebrenica.

19 M. Harmon (interprétation). – Etes-vous née à Srebrenica ?

20 M. le Président. – Excusez-moi de vous interrompre, mais je ne

21 vois pas sur le transcript la date de naissance de Mme Camila Omanovic.

22 Peut-être qu'il faut le lui demander, non ? Merci.

23 M. Harmon (interprétation). – Madame Omanovic, veuillez répéter

24 votre date de naissance, s'il vous plaît ?

25 Mme Omanovic (interprétation). - Je suis née à Srebrenica, le

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1 15 avril 1953.

2 M. Harmon (interprétation). – Pouvez-vous nous dire à quelle

3 date vous vous êtes mariée ?

4 Mme Omanovic (interprétation). - Je me suis mariée le 10 février

5 1977, avec Ahmet Omanovic.

6 M. Harmon (interprétation). – Avez-vous des enfants ?

7 Mme Omanovic (interprétation). – J'ai deux enfants, Jamina

8 Omanovic née le 25 décembre 1981, et une fille qui est née en octobre

9 1977. Ma fille est mariée à Srebrenica, elle a donné naissance à un enfant

10 en 1985.

11 M. Harmon (interprétation). – 1985 ou 1995 ?

12 Mme Omanovic (interprétation). - 1995.

13 M. Harmon (interprétation). – Pouvez-vous dire aux Juges si vous

14 avez eu un petit-fils ou une petite-fille ?

15 Mme Omanovic (interprétation). – Oui, né le 10 mars 1995.

16 M. Harmon (interprétation). – Avez-vous continué à travailler

17 dans la région de Srebrenica et Potocari après votre mariage ?

18 Mme Omanovic (interprétation). - Oui. J'ai travaillé à

19 Srebrenica et à Potocari. Pendant tout le temps où j'ai habité dans la

20 région, je travaillais et mon mari aussi.

21 M. Harmon (interprétation). – Serait-il juste de dire que vous

22 connaissez bien la région de Potocari ?

23 Mme Omanovic (interprétation). - Je connais assez bien la région

24 de Potocari, et mon mari y a travaillé depuis 1996, donc dans ces

25 conditions je connais bien Potocari.

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1 M. Harmon (interprétation). – Permettez-moi de vous poser encore

2 une question sur votre passé. Etes-vous de croyance musulmane ?

3 Mme Omanovic (interprétation). - Je suis de confession

4 musulmane.

5 M. Harmon (interprétation). – Votre mari, Ahmet, était-il

6 également de confession musulmane ?

7 Mme Omanovic (interprétation). - Oui, mon mari, Ahmet, était

8 aussi musulman.

9 M. Harmon (interprétation). – J'aimerais porter votre attention

10 sur le 10 juillet 1995. J'aimerais que vous disiez aux Juges où vous vous

11 trouviez ce jour-là ?

12 Mme Omanovic (interprétation). - Ce jour-là, j'étais dans la

13 maison de mon frère, Blaho Purkovic, sa maison se trouve à la sortie de

14 Srebrenica.

15 M. Harmon (interprétation). – Pouvez-vous voir la carte, à votre

16 droite, et veuillez indiquer, avec le pointeur, à peu près le lieu où la

17 maison de votre frère était située ?

18 (Le témoin s'exécute.)

19 Mme Omanovic (interprétation). - Elle se trouvait à peu près

20 ici, cette maison.

21 M. Harmon (interprétation). – Pour le compte rendu d'audience,

22 il est clair que le témoin l’indique au sud de la ville de Srebrenica,

23 près du virage en épingle, au sud de Srebrenica.

24 Veuillez vous rasseoir.

25 (Le témoin s’exécute.)

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1 Qui se trouvait avec vous dans la maison de votre frère ce

2 10 juillet ?

3 Mme Omanovic (interprétation). - Le 10 juillet, il y avait mon

4 mari et mon frère, dans la maison de mon frère.

5 M. Harmon (interprétation). – Et ce jour-là, quelque chose

6 d'inhabituel s'est-il produit ? Pouvez-vous décrire ce qui s'est passé et

7 comment vous avez réagi à cet événement ?

8 Mme Omanovic (interprétation). - Ce jour-là, on a entendu de

9 nombreux coups de feu autour de la maison de mon frère. Je suis sortie sur

10 la terrasse à un certain moment. Je m'acquittais de mes tâches

11 quotidiennes. J'ai vu de très nombreuses personnes qui circulaient aux

12 alentours. Je n'y ai pas accordé une attention particulière parce que

13 j'avais envoyé mes enfants dans la maison de ma fille. Je suis restée avec

14 mon frère dans sa maison à lui. Nous avions du bétail que nous avions

15 acheté pour survivre.

16 A ce moment-là, il y avait donc de nombreux coups de feu qui

17 venaient d'assez loin. Nous n'étions par particulièrement effrayés parce

18 que nous avions déjà l'habitude des coups de feu. Mais, à un certain

19 moment, j'ai jeté un coup d'œil par la fenêtre pour regarder la maison

20 d'en face, de l'autre côté de la rivière, et j'ai vu un groupe de

21 personnes qui portaient leurs objets personnels qui m'ont fait des signes

22 sur la terrasse où je me trouvais en m'indiquant un danger qui provenait

23 d'en face. J'ai jeté un coup d'oeil dans cette direction et j'ai vu des

24 milliers de balles qui avaient déjà frappé la façade de la maison de mon

25 frère. Mon frère est sorti de la maison, il est passé d'une maison à une

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1 autre pour s'en aller.

2 Quant à moi-même et à mon mari, nous ne sommes pas sortis tout

3 de suite, mais un peu plus tard nous sommes allés jusqu'à la maison

4 voisinne, et c'est ainsi que nous nous sommes trouvés réunis avec de très

5 nombreuses personnes provenant des maisons avoisinantes, et c'est en

6 groupe que nous sommes allés vers la ville.

7 Les coups de feu étaient de plus en plus nourris, ils

8 provenaient de toutes sortes d'armes très diverses, des balles et des obus

9 tombaient un peu partout, et c'est donc complètement hors de nous que nous

10 sommes arrivés en ville. Le soir, les tirs ont cessé, se sont arrêtés.

11 D'ailleurs, en ville, ils étaient moins nourris que dans les environs de

12 la ville d'où je venais. J'ai donc passé la nuit en ville avec ma fille et

13 un groupe de personnes très important qui s'était concentré dans la ville.

14 M. Harmon.(interprétation) - L'interprète me demande de vous

15 demander de parler un tout petit peu plus lentement, s'il vous plaît.

16 Maintenant, est-ce que vous voudriez vous pencher sur le

17 11 juillet et dire au Tribunal ce que vous avez fait ce jour-là ?

18 Mme Omanovic (interprétation) - Le 11 juillet, je suis retournée

19 dans la maison de mon frère, rue Petric, parce que j'avais laissé le

20 bétail sans nourriture. Et puis, il y avait le bébé, mon petit-fils, dont

21 les langes étaient restés à sécher à l'étage. Il était impossible de laver

22 tout ce qu'il fallait laver en ville, et donc mon mari et moi-même avons

23 décidé dans les premières heures de la matinée de retourner jusqu'à la

24 maison de notre frère, ce que nous avons fait. Nous avons longé la

25 rivière, et nous sommes arrivés dans la maison de mon frère sans avoir

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1 entendu de coups de feu.

2 Srebrenica se trouve dans un vallon, et donc quelques-uns de nos

3 voisins nous ont parlé de coups de feu sporadiques tirés par des tireurs

4 embusqués. Mais le feu n'était pas très nourri. Nous sommes arrivés

5 jusqu'à la maison, les langes étaient tombés du fil sur lesquels ils

6 séchaient. Nous avons ramassé tous ces objets et nous sommes retournés

7 jusqu'à ma fille. Il y a eu une accalmie dans l'après-midi, et ensuite

8 l'enfer a commencé.

9 Les coups de feu provenaient de partout et de toutes sortes

10 d'armes. Les gens accouraient avec leurs bagages à la main. Ils se

11 dirigeaient tous vers Potocari : à Potocari se trouvaient une station

12 d'essence et, tout près, la base des Nations Unies. Donc les gens venaient

13 d'un peu partout : de Bratunac ou d'ailleurs, ils couraient dans tous les

14 sens, les obus tombaient un peu partout, les balles également, et nous

15 nous sommes regroupés. Mais la route était si étroite qu'elle était

16 insuffisante pour accueillir cette foule gigantesque de femmes et

17 d'enfants en bas âge. Il y avait des camions à cet endroit qui ont

18 transporté certaines personnes vers Potocari.

19 M. Harmon.(interprétation) - Permettez-moi de vous interrompre

20 un instant. Etiez-vous accompagnée de votre mari vers midi ce 11 juillet ?

21 Mme Omanovic (interprétation) - Oui, j'étais avec mon mari,

22 toute la famille était ensemble, regroupée. Donc, à la station d'essence,

23 nous nous sommes séparés : lui est allé avec tous les hommes, tous les

24 hommes âgés de plus de 13 ans ont été sélectionnés, alors que nous, nous

25 allions en direction de Potocari, eux sont allés vers la caserne.

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1 M. Harmon.(interprétation) - Quel est le jour de naissance de

2 votre mari ?

3 Mme Omanovic (interprétation) - Mon mari est né à Mostar le

4 10 juillet 1948.

5 M. Harmon.(interprétation) - A cette station d'essence, y avait-

6 il de nombreuses personnes qui se sont dispersées dans différentes

7 directions autres que vers Potocari ?

8 Mme Omanovic (interprétation) - Oui, un grand nombre de

9 personnes sont allées ailleurs, et pas à Potocari.

10 M. Harmon.(interprétation) - Les gens qui se sont dirigés

11 ailleurs que vers Potocari, s'agissait-il, en grande majorité, d'hommes et

12 de jeunes hommes ou y avait-il aussi des femmes dans ce groupe-là ?

13 Mme Omanovic (interprétation) - C'étaient surtout des hommes et

14 des jeunes gens, mais il y avait également quelques femmes.

15 M. Harmon.(interprétation) - Est-ce que certains des hommes

16 dans ce groupe avaient des armes ?

17 Mme Omanovic (interprétation) - Oui, certains des hommes avaient

18 des armes.

19 M. Harmon.(interprétation) - Votre mari avait-il une arme ?

20 Mme Omanovic (interprétation) - Mon mari n'en avait pas. Il

21 avait été opéré un mois avant, il se sentait très mal, mais il a tout de

22 même pris le chemin de la forêt parce qu'on racontait que, si l'on tombait

23 entre les mains des Serbes, on risquait d'être maltraité. Donc il ne

24 voulait pas subir ce sort et il a pris le chemin de la forêt avec les

25 autres hommes.

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1 M. Harmon.(interprétation) - Est-ce que le 11 juillet 1995, est-

2 ce que c'est le jour où vous avez vu votre mari pour la toute dernière

3 fois en vie ?

4 Mme Omanovic (interprétation) - Oui, c'est le dernier jour, la

5 dernière fois que je l'ai vu, je ne l'ai plus jamais revu...

6 M. Harmon.(interprétation) - Madame, il y a des Kleenex sur

7 votre gauche.

8 Dans quelle direction êtes-vous allée et qui vous accompagnait ?

9 Mme Omanovic (interprétation) - Je suis partie dans la direction

10 de Potocari accompagnée de mon fils, de ma fille et de mon petit-fils.

11 M. Harmon.(interprétation) - Quel âge avait votre fils à

12 l'époque, et quel âge avaient votre fille et votre petit-fils ?

13 Mme Omanovic (interprétation) - Mon petit-fils avait 4 mois, ma

14 fille 17 ans, et mon fils 13 ans.

15 M. Harmon.(interprétation) - Pouvez-vous décrire pour le

16 Tribunal l'ambiance qui régnait lors de cette fuite vers Potocari ?

17 Combien de gens y avait-il à peu près ? Quelles étaient les conditions ?

18 Quel était l'état d'esprit des personnes qui fuyaient de Srebrenica dans

19 la direction de Potocari ?

20 Mme Omanovic (interprétation) - Le groupe était très nombreux,

21 plusieurs milliers de personnes, des femmes, des enfants, des bébés qui

22 étaient tous animés d'un seul but : fuir dans la direction de la base des

23 Nations Unies à Potocari parce que nous pensions que, si nous arrivions

24 jusque-là, nous pourrions être sauvés. Tout le monde courait, les gens

25 portaient leurs effets personnels dans les mains. Ils couraient un peu

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1 partout, c'était une foule gigantesque de personnes qui étaient

2 complètement hors d'elles, qui ne pensaient qu'à une chose, arriver à

3 Potocari, parce que nous pensions que le salut se trouvait à Potocari.

4 Dans ces moments-là, des milliers et des milliers de balles nous

5 passaient au-dessus de la tête et tombaient un peu partout. On entendait

6 sans cesse le bruit des obus. Il y avait des femmes qui avaient un morceau

7 de pain à la main, le morceau de pain tombait par terre ; une vieille

8 femme a fini par tomber elle-même au sol. C'est dans ces conditions que

9 les véhicules de transport sont arrivés.

10 On a donc vu des blindés transports de troupes qui parfois,

11 lorsque que quelqu'un se trouvait allongé au sol, à côté, ramassaient le

12 corps et le mettaient sur le transport de troupes.

13 Ma fille marchait vers Potocari et la route était tellement

14 jonchée d'éléments personnels, de bagages que, puisque nous avions le

15 landau dans lequel se trouvait mon petit-fils, nous avons eu leplus grand

16 du mal à circulier, à avancer. Et c’est dans ces conditions que nous

17 sommes arrivés à Potocari, c’était terrible.

18 M. Harmon (interprétation). - Est-ce que toutes les personnes

19 qui ont fui de Srebrenica vers Potocari ont fui à pied, ou certains ont-

20 ils été transportés par des véhicules de l'ONU ?

21 Mme Omanovic (interprétation). - Certaines personnes ont été

22 transportées par des blindés des Nations Unies. Mais il n'a pas été

23 possible de transporter tout le monde. Les gens qui étaient le plus proche

24 de la base des Nations Unies ont été entassés à bord de camion, mais

25 c'était un tel désordre, une telle masse de gens qui se pressaient les uns

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1 contre les autres pour essayer de s’accrocher à l'arrière du camion et

2 monter dans le camion dans l'idée que cela les aiderait à arriver plus

3 vite au salut, que bien sûr les gens se sont entassés contre les camions,

4 et il y avait tellement de monde de tous les côtés qu’on voyait des gens

5 qui s'accrochaient à n’importe quel élément de la carrosserie, de tous les

6 côtés. Et le camion démarrait avec cette grappe de gens accrochés à tous

7 les éléments de sa carrosserie. Si quelqu'un tombait, ma foi il tombait et

8 le camion continuait.

9 M. Harmon (interprétation). – Monsieur le Président, nous

10 aimerions montrer la séquence d'un film, pièce à conviction de

11 l'accusation n° 50.

12 Pourrait-on baisser les lumières pour que nous puissions

13 visionner cette séquence ?

14 (Diffusion d'un film.)

15 M. Harmon (interprétation). – Madame Omanovic, est-ce que ces

16 images que nous avons vues donnent une image correcte des événements tels

17 que vous vous en souvenez ? Une image fidèle ?

18 Mme Omanovic (interprétation). – C'est exactement comme cela que

19 les choses se sont passées. Mais ce que nous venons de voir n'est qu'un

20 extrait. Imaginez des milliers et des milliers de personnes dans cette

21 situation, un nombre beaucoup plus important. Vous venez d'entendre des

22 cris, des voix. Multipliez ces bruits, parce que dans un camion il ne peut

23 monter que 100 personnes. Imaginez la situation avec plusieurs milliers de

24 personnes. Le volume des voix est beaucoup plus important et, en plus,

25 s'ajoute au bruit de ces voix le bruit des balles et des obus.

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1 M. Harmon (interprétation). – Quel temps faisait-il, le

2 11 juillet à Potocari ?

3 Mme Omanovic (interprétation). - Il faisait très chaud ce jour-

4 là.

5 M. Harmon (interprétation). – Lorsque vous êtes arrivée à

6 Potocari, où vous êtes-vous rendue précisément ?

7 Mme Omanovic (interprétation). - Avec ma famille, je suis allée

8 dans la cour de l'usine.

9 M. Harmon (interprétation). – Est-ce que l'huissier voudrait

10 bien soumettre la pièce à conviction 5/2 et placer cette pièce sur le

11 rétroprojecteur, s'il vous plaît ?

12 Madame Omanovic, je vous ai déjà montré cette pièce, je vous

13 demanderai simplement d'indiquer sur la pièce à conviction 5/2

14 l'emplacement exact de l'usine de zinc, pour que les Juges puissent se

15 faire une idée de l'emplacement d'autres lieux qui seront pertinents, que

16 vous allez évoquer dans votre déposition.

17 Mme Omanovic (interprétation). - Le jour de mon arrivée dans la

18 cour de l'usine de zinc, en provenance de Srebrenica, j'étais avec mes

19 enfants ici, à l'extrémité de la cour, et le lendemain, je suis allée dans

20 l'enceinte de la gare routière, le centre des transports publics de la

21 ville, et je me suis installée ici, juste à côté sur l'esplanade que l'on

22 trouve devant la station d'essence. C'est là que j'ai passé la nuit.

23 M. Harmon (interprétation). – Comme nous avons devant nous cette

24 pièce à conviction, avez-vous travaillé un jour dans l'immeuble que l'on

25 appelait l'immeuble Feros ?

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1 Mme Omanovic (interprétation). - Oui, les trois dernières années

2 qui ont précédé la guerre, j'ai travaillé en qualité de chef-comptable

3 dans la société Feros qui se trouve ici.

4 M. Harmon (interprétation). – Nous allons évoquer plus tard,

5 dans votre déposition, une maison blanche située près de cette maison

6 Feros. Pouvez-vous indiquer l'emplacement de cette maison blanche ?

7 Mme Omanovic (interprétation). - La maison blanche est située en

8 face de la société Feros, donc par la fenêtre de mon bureau, je voyais

9 très bien la maison blanche.

10 M. Harmon (interprétation). – Est-ce que vous voudriez bien

11 regarder une fois de plus cette photo, juste pour voir si votre pointeur

12 est bien sur l'immeuble que vous voulez désigner ? Est-ce que vous voyez

13 cette route qui va du haut en bas, vous avez dit que la maison blanche se

14 trouvait juste en face de l'immeuble Feros, est-ce exact ?

15 Mme Omanovic (interprétation). – Oui, oui, ici, c'est notre

16 entrepôt. Si c'est la route de Bratunac, alors la maison blanche se trouve

17 ici.

18 M. Harmon (interprétation). – Merci beaucoup madame Omanovic.

19 Simplement, en tant qu'éclaircissement, vous avez dit avoir

20 travaillé pendant trois ans dans cette région, dans cette zone, est-ce

21 juste ?

22 Mme Omanovic (interprétation). - Non j'ai dit trois ans, j'ai

23 travaillé trois ans pour la société Feros.

24 M. Harmon (interprétation). – Monsieur le Président, il est

25 2 heures 29, peut-être conviendrait-il de faire une pause avant d'entrer

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1 dans les détails plus matériels, sur le fond ?

2 M. le Président. – Oui, Monsieur Harmon, vous avez raison. C'est

3 mieux de faire la pause maintenant que de risquer d'aller plus loin. Donc,

4 nous allons en rester aujourd'hui ici.

5 Demain, on va continuer, demain à 9 heures 30.

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7 L'audience est levée à 14 heures 30.

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