Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-98-33-T

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE

3 Vendredi 07 avril 2000

4

5 LE PROCUREUR DU TRIBUNAL

6 c/

7 Radislav KRSTIC

8

9 L'audience est ouverte à 10 heures 35.

10

11 M. le Président. - Bonjour mesdames, messieurs. Bonjour les interprètes,

12 est-ce qu’ils m'entendent ?

13 L’Interprète. - Bonjour Monsieur le Président.

14 M. le Président. - Je vois qu'ils sont là, je les salue, je salue aussi la

15 cabine technique, les sténotypistes, les assistants juridiques que souvent

16 on oublie. Je salue la défense, l'accusation, le général Krstic. Bonjour à

17 vous tous. Je dois vous donner une explication : hier, je vous avais dit

18 -même à l'intention du public- que l'audience serait en salle II, mais je

19 sais que la cabine technique a travaillé toute la nuit pour que l'on

20 puisse être ici. De toute façon, je crois que ce changement souvent amène

21 du stress additionnel tout à fait évitable, à mon avis. On doit supporter

22 le stress qu'on a déjà avec notre travail et éviter d'autre stress que

23 l'on peut éviter.

24 De toute façon, je m'excuse devant le public et devant les parties mais il

25 y a eu une bonne intention de nous donner de bonnes conditions de travail.

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1 Après cela, Maître Harmon, où en sommes-nous par rapport au témoin

2 d'aujourd'hui ?

3 M. Harmon (interprétation). – Oui, Monsieur le Président. Bonjour Monsieur

4 le Président, bonjour Madame et Messieurs les Juges, bonjour mes collègues

5 de la défense. Monsieur McCloskey va interroger le témoin qui va suivre.

6 Avant d'entendre ce témoin, il y a un point que j'aimerais éclaircir à

7 l'intention des Juges et pour le compte rendu d'audience. Hier, lors de

8 l'audition du caporal Van der Zwan, j'ai demandé le versement au dossier

9 de la pièce à conviction de l'accusation 93, qui est un emblème. Et le

10 témoin a dit qu'il l'avait reçu d'un soldat serbe de Bosnie alors qu'il

11 était au poste d'observation des Nations Unies. Le compte rendu d'audience

12 est parfaitement clair : les lettres qui figurent en haut de cet emblème

13 sont en cyrillique et signifient "Bratunac".

14 En dessous, on trouve l'inscription "Brigade", puis les lettres en

15 cyrillique "VRS". Mes collègues de la défense ont jeté un coup d'oeil à

16 cette pièce à conviction et sont d'accord avec moi sur la signification de

17 ces lettres. Je voulais que cela soit clair pour le compte rendu

18 d’audience.

19 Nous pouvons poursuivre, maintenant, si vous le voulez bien, Monsieur le

20 Président.

21 M. le Président. – Non, Monsieur Harmon, avant de poursuivre, j'aimerais

22 vous poser une autre question.

23 Concernant la pièce à conviction du Procureur 30C, la traduction française

24 n'est pas complète, il manque au moins 25 minutes de transcription. Je ne

25 sais pas si le Procureur en a une version complète ou est-ce seulement une

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1 simple... ?

2 M. Harmon (interprétation). - Malheureusement, Monsieur le Président, ce

3 n'est pas un échantillon. Il s'agit de la transcription du compte rendu

4 d’audience officielle du Tribunal, il s'agit donc bien d'une version

5 définitive du compte rendu. Je ne savais pas qu’il manquait 25 minutes de

6 transcription en français, jusqu'à que l'un des interprètes ait eu

7 l'amabilité de me le dire à l'issue de l'audience.

8 Nous avons donc demandé le versement au dossier du compte rendu officiel,

9 nous découvrons maintenant qu'il en manque 25 minutes. Nous avons

10 l'intention, évidemment, de faire traduire ces 25 minutes et de demander

11 leur versement au dossier plus tard.

12 M. le Président. - Je suis content, comme je vous ai dit Monsieur Harmon,

13 quand j'ai vu j'ai senti la joie, et en même temps la déception, parce que

14 quand il s'agit des traductions des pièces en français, nous avons

15 toujours des problèmes.

16 Monsieur Harmon, vous allez préparer une version complète, et après on la

17 versera au dossier. C'est cela Monsieur Harmon que je peux comprendre ?

18 M. Harmon (interprétation). - C'est cela Monsieur le Président.

19 M. le Président. - Merci de votre attention.

20 Monsieur McCloskey, c'est à vous maintenant ?

21 M. McCloskey (interprétation). - Bonjour Monsieur le Président, bonjour

22 madame et monsieur les Juges. Le témoin suivant est protégé. Nous avons

23 parlé de ce témoin avec la défense, c'est un témoin qui a demandé une

24 déformation des traits du visage et l’attribution d'un pseudonyme. Je vois

25 que la salle d'audience est prête sur le plan technique mais nous avons

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1 besoin de faire entrer le témoin bien sûr.

2 M. le Président. - Maître Petrusic, avez-vous des objections ?

3 M. Petrusic (interprétation). – Pour le compte rendu d’audience, je tiens

4 à dire que la défense n'a aucune objection sur le point dont vient de

5 parler M. McCloskey.

6 M. le Président. - Merci Maître Petrusic.

7 Monsieur l'huissier, pouvez-vous baisser les rideaux ?

8 A l'intention du public, je dois dire que cela va juste durer une minute,

9 le temps de faire entrer le témoin, après on va lever les rideaux.

10 (Le témoin est introduit dans le prétoire.)

11 Vous m'entendez Monsieur ?

12 Témoin I (interprétation). – Oui, je vous entends.

13 M. le Président. - Bonjour. Nous allons vous appeler Témoin I, pour votre

14 protection. Vous avez demandé des mesures de protection, nous avons

15 accordé ces mesures de protection. Nous allons donc vous appeler Témoin I.

16 Vous allez lire la déclaration solennelle que M. l'huissier va vous

17 tendre. S'il vous plaît, Monsieur ?

18 Témoin I (interprétation). - Je déclare solennellement que je dirai la

19 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

20 M. le Président. - Vous pouvez vous asseoir.

21 Témoin I (interprétation). - Je comprends.

22 M. le Président. - Maintenant, Témoin I, vous allez regarder cette pièce

23 que monsieur le Greffier va vous montrer. Vous allez voir si le nom qui

24 est écrit est le vôtre ou non, et vous allez répondre seulement oui ou

25 non.

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1 Témoin I (interprétation). - Oui.

2 M. le Président. - C'est votre nom qui est écrit ?

3 Témoin I (interprétation). - Oui.

4 M. le Président. - Vous vous sentez confortable ?

5 Témoin I (interprétation). - Oui.

6 M. le Président. – Donc maintenant, merci beaucoup d'être venu Témoin I.

7 Vous allez répondre aux questions que M. McCloskey va vous poser et que

8 vous connaissez déjà sûrement.

9 Monsieur McCloskey, c'est à vous maintenant.

10 Témoin I (interprétation). - Oui monsieur.

11 M. McCloskey (interprétation). - Merci Monsieur le Président.

12 Bonjour Témoin I, comment allez-vous ?

13 Témoin I (interprétation). - Bonjour, je vais bien.

14 M. McCloskey (interprétation). – Eh bien je vais vous poser quelques

15 questions, comme le Président vient de vous le dire. Je vous prierais de

16 faire de votre mieux pour y répondre. Vous remarquerez que je vous

17 interromprai de temps en temps, mais je suis sûr que nous finirons par

18 arriver au bout de votre récit. D'accord ?

19 Témoin I (interprétation). - Oui.

20 M. McCloskey (interprétation). - Pouvez-vous nous dire pour commencer où

21 vous êtes né ?

22 Témoin I (interprétation). - Je suis né dans la municipalité de

23 Srebrenica.

24 M. McCloskey (interprétation). - Quelle est votre date de naissance ?

25 Témoin I (interprétation). - Le 18 octobre.

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1 M. McCloskey (interprétation). - De quelle année ?

2 Témoin I (interprétation). – (expurgé).

3 M. McCloskey (interprétation). - Où avez-vous passé la plus grande partie

4 de votre vie ?

5 Témoin I (interprétation). - A Srebrenica, et il m’est arrivé d'aller un

6 peu plus loin pour le travail.

7 M. McCloskey (interprétation). - Et quel était votre travail ?

8 Témoin I (interprétation). - J'étais agriculteur, et je travaillais un peu

9 comme maçon, comme artisan, ce genre de choses.

10 M. McCloskey (interprétation). - En juillet 1995, où habitiez-vous ?

11 Témoin I (interprétation). - J'habitais à Srebrenica.

12 M. McCloskey (interprétation). - Le 11 juillet 1995, que faisiez-vous ?

13 Témoin I (interprétation). - A ce moment-là, Srebrenica est tombée, et je

14 suis allé à Potocari.

15 M. McCloskey (interprétation). - Avez-vous emmené les membres de votre

16 famille avec vous ?

17 Témoin I (interprétation). - Oui, j'ai emmené ma famille.

18 M. McCloskey (interprétation). - Pouvez-vous dire quels sont les membres

19 de votre famille qui vous ont accompagné quand vous êtes partis pour

20 Potocari ?

21 Témoin I (interprétation). - Il y avait ma femme, ma fille et j'avais

22 quatre de mes petits-enfants et ma belle-fille avec moi.

23 M. McCloskey (interprétation). – Quel âge, à peu près, avaient vos petits-

24 enfants à ce moment-là ?

25 Témoin I (interprétation). - Eh bien le plus jeune est né à ce moment-là,

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1 au moment où la guerre a commencé.

2 M. McCloskey (interprétation). - Et les autres, quel âge avaient-ils à peu

3 près ?

4 Témoin I (interprétation). - Le plus âgé va maintenant dans la septième

5 classe, donc il a 14 ans.

6 M. McCloskey (interprétation). – Aviez-vous deux fils à l'époque ?

7 Témoin I (interprétation). - Oui, ils sont partis par la forêt.

8 M. McCloskey (interprétation). - Avez-vous revu vos fils depuis le jour où

9 ils sont partis par la forêt ?

10 Témoin I (interprétation). – Non, mais pour le plus jeune des deux, je

11 sais qu'il est parti à l'hôpital, qu'il a sorti tous les blessés dans les

12 camions de la Forpronu avec tous les autres, et qu'après il est parti par

13 la forêt.

14 M. McCloskey (interprétation). - Est-ce que c’est l'un des blessés, à qui

15 il a apporté son aide, qui vous a appris cela ?

16 Témoin I (interprétation). - Oui, c'est un des blessés, qui est venu à

17 Batkovic qui m'a appris cela. Et il y en a de nombreux autres qui ne sont

18 pas arrivés mais qui étaient enregistrés.

19 M. McCloskey (interprétation). - Cette première nuit, à Potocari, l'avez-

20 vous passée dans la cour d'une des usines avec les membres de votre

21 famille ?

22 Témoin I (interprétation). – Oui, j'étais dans la cour, mais je n'avais

23 pas de place à l'intérieur de l'usine parce que les usines étaient

24 pleines. Il y avait plusieurs usines à cet endroit, mais elles étaient

25 toutes pleines. J'ai donc passé cette nuit-là à l'air libre, près de la

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1 route, autour de l'usine.

2 M. McCloskey (interprétation). - Nous parlons bien de cette première nuit,

3 celle du 11 juillet ?

4 Témoin I (interprétation). - Oui, la première nuit.

5 M. McCloskey (interprétation). - Le 12 juillet, pouvez-vous nous dire ce

6 qui se passait le 12 juillet, ce dont vous vous souvenez ?

7 Témoin I (interprétation). - Le 12 juillet, quelqu'un est arrivé avec une

8 espèce de trompette. Il nous a dit : "Il y a eu des pourparlers, n'ayez

9 pas peur, les soldats serbes vont maintenant venir parmi vous pour voir si

10 l'un d'entre vous n'a pas d'armes sur lui. Ils vont donc traverser la

11 foule et personne ne doit avoir peur".

12 M. McCloskey (interprétation). - Que s'est-il passé après cela ?

13 Témoin I (interprétation). - Après cela, ils sont arrivés, ils ont circulé

14 dans la foule, jusqu'à une certaine heure de l'après-midi. Et à ce moment-

15 là, ils ont commencé à emmener hors de la foule des gens, les uns après

16 les autres.

17 M. McCloskey (interprétation). - Vous dites "ils" mais de qui parlez-vous

18 lorsque vous dites "ils" ?

19 Témoin I (interprétation). - Je parle des soldats serbes.

20 M. McCloskey (interprétation). - Où avez-vous passé cette nuit du 12 ?

21 Témoin I (interprétation). - Je l'ai passée toujours à Potocari à la belle

22 étoile. Ce jour-là, ils ont fait venir des petites camionnettes Tam, et

23 ils ont distribué des bonbons et du pain. Ils l'ont filmé pour montrer au

24 monde combien ils sont humains. Ils ont commis un génocide mais ils n'ont

25 rien filmé à ce moment-là !

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1 M. McCloskey (interprétation). - Vous dites toujours "ils", et vous parlez

2 toujours des soldats serbes ?

3 Témoin I (interprétation). - Les soldats serbes ont filmé à ce moment-là

4 quand ils ont jeté le pain et distribué des bonbons. Il y avait un

5 journaliste qui filmait à ce moment-là.

6 M. McCloskey (interprétation). - Etiez-vous dans la foule ? Avez-vous vu

7 les soldats serbes agir de la sorte ?

8 Témoin I (interprétation). - Oui, je les ai vus et j'ai attrapé un des

9 pains puisque, à Srebrenica, je n'avais pas eu le temps d'emporter quoi

10 que ce soit. Cela m'a donc donné quelque chose à manger. J'ai vu tout cela

11 de mes yeux.

12 M. McCloskey (interprétation). - Qu'avez-vous vu d'autre ce jour-là ?

13 Témoin I (interprétation). – Eh bien j'ai vu 8 ou 9 chiens, des chiens-

14 loups, qui marchaient à travers la foule avec les soldats.

15 M. McCloskey (interprétation). - Et quoi d'autre ?

16 Témoin I (interprétation). - Ils ont rassemblé des hommes en leur disant :

17 "Venez donc bavarder". C'était peut-être des voisins qu'ils connaissaient,

18 je ne sais pas. Dans ces cas-là, ils marchaient un peu avec eux aux

19 environs et ils les emmenaient. Mais quand la nuit est tombée, ils ont

20 commencé à faire sortir les gens en plus grand nombre.

21 A un certain moment, la foule s'est levée, s'est mise à hurler, à crier.

22 Ensuite, ils nous ont dit qu'une femme avait mis au monde un enfant. Et

23 puis, quelques minutes se sont écoulées. De nouveau, après très peu de

24 temps, la même chose… Alors comment est-ce possible ? Les femmes

25 n'accouchent pas sans arrêt. Et eux, ils arrivaient et emmenaient les

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1 hommes.

2 M. McCloskey (interprétation). - Quand vous dites "ils", à qui pensez-

3 vous ? Je vous repose cette question ?

4 Témoin I (interprétation). - Je pense aux soldats serbes qui emmenaient

5 les hommes et les enfants, et à ce moment-là les cris commençaient. Plus

6 tard, peu de temps après, peut-être 15 minutes plus tard, on entendait des

7 cris, des hurlements, des plaintes, ce que vous voulez… Je ne sais pas

8 comment vous voulez l'appeler. Quelquefois on entendait des cris et

9 d'autres fois on n'entendait plus rien. On entendait le cri et tout d’un

10 coup le silence et plus rien.

11 M. McCloskey (interprétation). - Cela a duré une grande partie de la

12 nuit ?

13 Témoin I (interprétation). - Cela a duré toute la nuit. Après, il y a eu

14 des femmes qui sont devenues folles. C'est comme cela, les gens qui ont

15 les nerfs plus faibles, à cause de la peur, des gens en mauvaise santé.

16 J'ai entendu dire, je n'ai pas vu, j'ai entendu dire qu'il y a eu aussi

17 des gens qui se sont pendus eux-mêmes parce qu'ils avaient trop peur.

18 M. McCloskey (interprétation). - Qu'avez-vous fait le lendemain, le

19 13 juillet ?

20 Témoin I (interprétation). - Le 13 juillet, quand il fallait partir, il y

21 avait beaucoup de monde. J'ai eu le plus grand mal à arriver jusqu'au

22 barrage à cause de cette foule. Et là où se trouvait le barrage,

23 200 personnes ou peut-être 150 -de quoi remplir un camion- sont parties.

24 Puis, à 10 ou 15 mètres de là, il y avait un autre barrage où l'on

25 séparait les hommes des femmes et des enfants.

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1 M. McCloskey (interprétation). - Qui effectuait cette séparation entre les

2 hommes, d'une part, et les femmes et les enfants de l'autre ?

3 Témoin I (interprétation). - Les soldats serbes.

4 M. McCloskey (interprétation). - Avez-vous essayé de monter à bord d'un

5 autobus vous-même et les membres de votre famille, ce matin-là ?

6 Témoin I (interprétation). - J'ai essayé. Je marchais derrière eux parce

7 qu'il y avait ce tri qui était fait. Je portais un jerricane d'eau pour en

8 avoir à donner à mes enfants au moins ou pour pouvoir aider quelqu'un qui

9 aurait pu s'évanouir parce qu’il y avait des gens qui s'évanouissaient sur

10 la route. Et un soldat serbe m’a saisi par le bras en me disant : "Où vas-

11 tu ?". J'ai dit : "Je voudrais accompagner au moins mes enfants jusqu'au

12 camion". Il a dit : "Ce n'est pas possible". J'ai très vite donné le

13 jerricane à l'un de mes petits-enfants. Et le soldat serbe m'a attrapé par

14 l'épaule et j'ai dû aller, là-bas, dans la maison.

15 M. McCloskey (interprétation). - Pourquoi étiez-vous montés à bord de cet

16 autobus ce matin-là avec votre famille ? Pourquoi désiriez-vous partir ?

17 Témoin I (interprétation). - Je voulais partir pour Tuzla, aller jusqu'au

18 territoire libre. Je voulais partir avec mes enfants et mes petits-enfants

19 parce que ma belle-fille ne pouvait pas partir seule avec eux. Mais elle y

20 a été obligée.

21 M. McCloskey (interprétation). - Pourquoi souhaitiez-vous quitter votre

22 domicile ce jour-là ?

23 Témoin I (interprétation). - Je suis parti parce que j'étais obligé. Les

24 obus sont tombés sans arrêt pendant 6 jours, et le septième jour il a

25 fallu partir.

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1 L'armée est partie. La Forpronu s’est retirée. Personne n'a rien dit. Ils

2 se sont tous contentés de se retirer vers la ville malheureusement, et

3 c'est honteux. Il n'y a eu de soutien de nulle part, si bien que j'ai dû

4 partir.

5 M. McCloskey (interprétation). - J'aimerais montrer au témoin I, la pièce

6 à conviction 5/1.7.

7 (L'huissier s'exécute.)

8 Monsieur I, je vous ai déjà montré cette photographie. Est-ce que le

9 bâtiment que l'on voit sur cette photographie vous paraît connu ?

10 Témoin I (interprétation). - Oui, je le connais, c'est bien là que cela

11 s'est passé. La maison était pleine. Et quand elle a été archi pleine, des

12 autocars sont arrivés, au bout d'une heure peut-être. Nous sommes montés

13 dans les autobus et on nous a emmenés à Bratunac.

14 M. McCloskey (interprétation). - Avant que de passer aux autobus, je

15 voudrais que vous montriez sur cette photographie par où vous avez accédé

16 à l'intérieur de la maison ?

17 Témoin I (interprétation). - Je suis entré ici, par la route, la porte que

18 l'on voit du côté de la route. Cela doit se trouver ici, de ce côté.

19 M. McCloskey (interprétation). - Le témoin montre la partie droite de

20 cette photographie.

21 Quand vous êtes entré dans cette maison, où vous a-t-on fait aller ?

22 Témoin I (interprétation). - Nous nous trouvions au rez-de-chaussée. La

23 porte était ouverte. D'autres personnes ont été amenées, et j'ai vu qu'on

24 les avait emmenées à l'étage. Un soldat serbe est venu et a demandé :

25 "Est-ce que quelqu'un a des Marks ? Amenez-les par ici". Un homme avait de

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1 l'argent ; il a mis sa main dans la poche, et l'autre lui a dit :

2 "Dépêche-toi avant que quelqu'un d'autre n'arrive". C'est ainsi qu'il est

3 ressorti aussitôt après.

4 M. McCloskey (interprétation). - Y avait-il d'autres soldats serbes à

5 l'intérieur de la maison avec vous ?

6 Témoin I (interprétation). - Oui, il y en avait qui escortaient des gens

7 depuis le barrage, depuis la route jusqu'à la maison. Ils allaient et

8 venaient dans la maison.

9 M. McCloskey (interprétation). - Combien de temps êtes-vous restés dans

10 cette maison avant que d'être emmenés vers les autobus ?

11 Témoin I (interprétation). – Eh bien une demi-heure, une heure, en

12 attendant qu'il y ait suffisamment de gens rassemblés à l'intérieur.

13 M. McCloskey (interprétation). - Et combien de personnes y avait-il ? Dans

14 quelle mesure cette maison avait été remplie avant que vous ne soyez

15 emmenés ?

16 Témoin I (interprétation). - Là où j’étais, c'était complètement plein et

17 je ne saurais vous dire combien de gens il y avait à l'étage. Je pense

18 qu'à l'étage aussi il y avait beaucoup de monde.

19 M. McCloskey (interprétation). - Avez-vous vu arriver quelque chose de

20 désagréable à quelqu'un, exception faite de ce que vous avez décrit ?

21 Témoin I (interprétation). – Non, pas dans la maison. Je n'ai rien vu dans

22 la maison. J'ai entendu des gens emmenés derrière la maison. Mais je n'ai

23 pas vu ce qui se passait.

24 M. McCloskey (interprétation). – Bien.

25 Où avez-vous été emmenés lorsque vous êtes sortis de la maison ?

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1 Témoin I (interprétation). – Eh bien ils nous ont fait monter dans des

2 autobus pour aller à Bratunac. La vieille école abandonnée... Je ne

3 connaissais pas à l'époque le nom de cette école, mais c'est l'école qui

4 porte le nom de Vuk Karadzic, un héros d’antan.

5 M. McCloskey (interprétation). - Vous êtes-vous rendus à Bratunac en

6 autobus ou en camion ?

7 Témoin I (interprétation). - En autobus.

8 M. McCloskey (interprétation). - Est-ce que votre autobus était plein

9 d'hommes, plein de monde ?

10 Témoin I (interprétation). - Oui.

11 M. McCloskey (interprétation). - Et c'étaient bien les hommes qui étaient

12 dans la maison avec vous ?

13 Témoin I (interprétation). - Oui, ce sont les hommes qu'ils ont fait

14 sortir de la maison, fait monter dans les autobus et emmener vers l'école

15 Vuk Karadzic.

16 M. McCloskey (interprétation). - Y avait-il des soldats dans l'autobus

17 avec vous pour vous emmener vers l'école à Bratunac ?

18 Témoin I (interprétation). - Il y avait normalement deux soldats.

19 M. McCloskey (interprétation). – Etaient-ils armés ?

20 Témoin I (interprétation). - Oui, ils avaient des armes automatiques.

21 Quand nous sommes arrivés à Bratunac, et lorsque nous devions entrer dans

22 cette école, ils nous ont obligé à jeter nos sacs, les vivres, du moins

23 ceux qui avaient des vivres encore. Tout est resté à l'extérieur.

24 M. McCloskey (interprétation). - Est-ce qu'on vous a obligé à vous

25 débarrasser de vos vivres et du reste ?

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1 Témoin I (interprétation). - Oui, ils nous ont obligés. Tous ceux qui

2 avaient une montre, une bague à tabac, un canif, des rasoirs, des clous,

3 il était interdit d'avoir quoi que ce soit de ce genre. Ce qui fait que

4 j'ai jeté mon manteau et j'ai laissé mon sac.

5 M. McCloskey (interprétation). - Vous avez passé deux nuits dans cette

6 école ?

7 Témoin I (interprétation). - Oui.

8 M. McCloskey (interprétation). - Pouvez-vous nous dire ce qui vous est

9 arrivé, à vous et aux autres, dans cette école, pendant ces deux jours et

10 deux nuits ?

11 Témoin I (interprétation). - Ce qui s'est passé…

12 Tout de suite, une sorte de policier serbe est arrivé là. Il a commencé à

13 battre l'un des hommes avec son fusil, en le tapant dans la tête. Quand le

14 sang a commencé à couler le long du visage et redescendant vers la

15 chemise, cet homme-là ensanglanté est resté peut-être encore une heure

16 avec nous. Une heure après, il est revenu à cette porte. L'autre homme en

17 question lui a fait signe de la main et a crié : "Lève-toi, viens par

18 ici.". L'homme a hésité mais il a dû se lever et sortir. On a plus entendu

19 que des cris au secours, des gémissements, puis la voix s'est faite de

20 plus en plus petite, si petite que la vie venait à s'éteindre.

21 Puis, ils ont continué à faire comme cela : tout le temps, ils ont fait

22 sortir des gens, indépendamment du fait qu'il fasse jour ou nuit. On

23 n'entendait que des gémissements, des cris au secours. Je n'osais pas

24 regarder par la fenêtre ce qui se passait à l'extérieur, si quelqu'un

25 s'aventurait à jeter un regard par la fenêtre, il s'en suivait des

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1 rafales. Il fallait donc se coucher par terre et ne pas regarder par la

2 fenêtre.

3 M. McCloskey (interprétation). - Combien de gens y avait-il dans la pièce

4 où vous vous trouviez ?

5 Témoin I (interprétation). - La pièce était assez grande et nous étions

6 fort entassés, trop entassés. Je dirai que nous étions à peu près 250 plus

7 ou moins. De là à vous dire combien de personnes il y avait dans les

8 autres pièces, je ne le sais pas.

9 M. McCloskey (interprétation). - Y avait-il quoi que soit de particulier

10 pour ce qui est des effets portés par les soldats serbes pendant qu'ils

11 vous faisaient à vous, Musulmans, ce qu'ils faisaient ?

12 Témoin I (interprétation). – Eh bien tout ce que je saurais distinguer sur

13 eux, ce sont ces uniformes bariolés, bigarrés. Et celui qui a tapé l'homme

14 avec son fusil sur sa tête, lui, avait des vêtements bleus. Il avait un

15 ceinturon militaire de couleur blanche et un étui pour son revolver de

16 couleur blanche également. Alors, je ne sais pas s'il s'agissait de la

17 police militaire ou de la police civile, je ne saurais vous dire

18 exactement.

19 M. McCloskey (interprétation). - Combien de soldats serbes y avait-il à

20 peu près dans cette école et autour de l’école, pendant que vous étiez

21 détenus à l'intérieur ?

22 Témoin I (interprétation). - Ils devaient être 8 à 10 à peu près. Ils

23 faisaient sortir les gens, ils les torturaient. Quelquefois, on

24 n’entendait plus la voix de l'homme qui était torturé. Et parfois, on

25 entendait des rafales et des gémissements par la suite.

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1 M. McCloskey (interprétation). – Avez-vous eu le droit de vous rendre aux

2 toilettes de temps en temps ?

3 Témoin I (interprétation). - Il nous fallait demander l'autorisation et

4 ils se répartissaient dans le couloir pour nous surveiller, nous emmener

5 jusqu'aux toilettes si nous voulions y aller, mais le temps d’aller et de

6 revenir. Ils avaient aussi coutume de frapper les passants dans le dos

7 avec la crosse. Et certains n'osaient plus sortir pour s’y rendre à cause

8 des coups.

9 M. McCloskey (interprétation). - Et que fallait-il faire encore ?

10 Témoin I (interprétation). - Il est arrivé que des hommes viennent à

11 uriner sur eux. Certains prenaient un sac en plastique ou une bouteille et

12 urinaient à l'intérieur. D'autres couraient pour prendre la bouteille par

13 exemple, et je croyais qu’ils voulaient aussi uriner, mais non ! Certains

14 buvaient. Les gens avaient tellement soif, étaient tellement déshydratés

15 qu'ils en étaient devenus de teint très foncé. Si l'on n’avait pas connu

16 par exemple telle personne, on n'arrivait pas à la reconnaître tellement

17 son teint était devenu plus sombre ; ces gens-là, ces prisonniers qui

18 étaient avec moi.

19 M. McCloskey (interprétation). - Mais vous donnaient-ils de l'eau au cours

20 de ces deux journées-là, je pense là aux soldats ?

21 Témoin I (interprétation). - Les soldats, oui, nous donnaient de l'eau,

22 mais il n'y en avait pas assez. Mais s'ils n'en avaient pas donné au moins

23 dans une certaine quantité, des personnes seraient mortes de soif. Je ne

24 me suis jamais rendu compte dans ma vie que l'on pouvait avoir soif à un

25 tel point.

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1 M. McCloskey (interprétation). - Vous ont-ils donné à manger au cours de

2 cette période de temps que vous avez passée à Bratunac ?

3 Témoin I (interprétation). - J'ai passé là deux nuit à Bratunac. Lorsque

4 nous étions partis pour quitter cet endroit, on nous avait dit qu'on

5 allait partir à Tuzla. Ils nous ont donné à ce moment-là, un peu de pain

6 dans l'autobus et des biscuits. Ces biscuits étaient totalement secs, on

7 aurait dit de la farine et du sable, cela s'émiettait à tel point...

8 (Fin de la face A de la cassette n 1)

9 (Début de la face B de la cassette n° 1)

10 ... tant cela était sec, alors la bouche était desséchée aussi. On

11 mastiquait pendant 15 minutes, on avait du mal à humecter ces biscuits

12 pour pouvoir les avaler. Quand j'ai vu de quoi cela avait l'air, je

13 n'avais même plus envie de le manger, tellement c'était sec. Et c'est ce

14 qui s'est passé après ces deux journées et deux nuits.

15 M. McCloskey (interprétation). - Les soldats sont-ils montés dans les

16 autobus où ils vous avaient fait monter ?

17 Témoin I (interprétation). - Oui. Dans certains bus, il y en avait un ;

18 dans d'autres deux. Et ils passaient d'un autobus à l'autre, au moment des

19 arrêts.

20 Nous nous sommes dirigés par Kravica pour aller, d'après ce qu'on nous

21 avait dit, à Tuzla. Mais quand nous sommes arrivés à Konjevic Polje, nous

22 avons pris la direction opposée vers Zvornik. Pour autant que je m'en

23 souvienne, je crois que nous avons traversé la Drina à cet endroit-là,

24 pour aller en Serbie. Puis nous avons roulé en Serbie jusqu'à Loznica. On

25 nous a transférés, de là, de nouveau en Bosnie. Ce qui fait que nous avons

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1 roulé en Bosnie. Et quand nous étions vers Pilica, l'autobus s’est arrêté.

2 Il avait 7 autobus. Nous sommes restés longtemps là. Je n'ai pas compté

3 moi-même, mais l'un des nôtres avait compté et il m'a dit qu'il y avait

4 7 autobus.

5 M. McCloskey (interprétation). - Excusez-moi juste un moment. Est-ce que

6 tous ces autobus étaient remplis d'hommes ?

7 Témoin I (interprétation). - Oui, ils étaient pleins. Nous étions assis,

8 et on nous a dit de ne pas regarder à gauche et à droite. On nous a dit

9 d'être assis et de garder la tête baissée. Lorsque nous sommes arrivés à

10 proximité de Pilica, les autobus se sont arrêtés. On est restés là assez

11 longtemps, peut-être une heure, une heure et demie. Un homme était couché

12 dans l'autobus, dans cette espèce de petit couloir entre les sièges. Et

13 ils ont dit : "Relevez-le pour qu'il puisse se rafraîchir". Deux hommes

14 l'ont relevé, puis ils ont dit : "Mais il est mort !" et ils l'ont sorti

15 de l'autobus, ils l'ont laissé à côté de la route.

16 Et un homme aussi avait essayé de s'enfuir de là. Il avait donc préféré

17 être rattrapé par quelques balles plutôt que d'attendre les tortures ou le

18 génocide. Une rafale l’a coupé pratiquement en deux, et il est tombé mort.

19 Les autobus sont repartis ; ils sont arrivés à Pilica. Pour autant que je

20 le sache, il s’agissait bien de Pilica.

21 M. McCloskey (interprétation). - Qui a tué les hommes qui ont essayé de

22 fuir ?

23 Témoin I (interprétation). - Les soldats serbes qui étaient là en qualité

24 de gardiens.

25 M. McCloskey (interprétation). - S'agissait-il des hommes qui se

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1 trouvaient dans votre autobus ou dans d'autres ?

2 Témoin I (interprétation). - Dans notre autobus. Quand ils ont sorti le

3 mort, la personne décédée, les soldats sont sortis avec. Il y a une des

4 personnes qui a commencé à bouger, à se démener, puis a commencé à fuir,

5 et les gardiens avaient des armes automatiques et l'ont tuée.

6 M. McCloskey (interprétation). – Bien.

7 Et quand vous êtes arrivés à Pilica, où êtes-vous allés par la suite ?

8 Témoin I (interprétation). - Et bien nous avons pris à gauche ; pour

9 autant que je me souvienne, il y avait là une grande école, qui avait

10 deux, voire même trois étages. Je n'arrive pas à m'en souvenir exactement.

11 Nous avions très peur et nous n'osions pas regarder à gauche ou à droite.

12 On n’osait pas observer parce que nos vies étaient en question.

13 Et les soldats serbes ont commencé à faire sortir les gens des pièces. Ils

14 ont fait sortir des gens de la pièce d'où je me trouvais, des autres

15 pièces aussi, et on entendait des gémissements, des cris au secours, des

16 injures, des rafales… Parfois, on n'entendait même pas de coup de feu,

17 mais des vies venaient à s'éteindre et c'était terminé.

18 Lorsque nous entrions dans cette école, lorsque nous montions l'escalier,

19 nous, personnes âgées, nous avions tous des couvre-chefs. Quand nous

20 montions à l'étage, nous étions tous obligés d'enlever nos couvre-chefs,

21 nos chapeaux, nos bérets et les de jeter sur l'escalier. J'ai pensé qu'il

22 devait y avoir des généraux pour qu'on nous oblige à enlever nos couvre-

23 chefs.

24 M. McCloskey (interprétation). - Et vous portez aujourd’hui, vous-même, un

25 béret tel que vous avez dû enlever ?

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1 Témoin I (interprétation). – Oui, je l'ai apporté ici.

2 M. McCloskey (interprétation). - Est-ce que vous pouvez nous le montrer,

3 je vous prie, de façon à ce que tout le monde puisse le voir ?

4 Témoin I (interprétation). - C'était des bérets comme cela que nous

5 portions tous, et qu'on nous a obligé à jeter sur l’escalier, et c’est là

6 que ces bérets sont restés.

7 M. McCloskey (interprétation). - Et combien de gens y avait-il dans la

8 pièce où vous êtes entrés ?

9 Témoin I (interprétation). - Je ne saurais vous le dire. Il se peut qu'il

10 y ait eu 200, 250 personnes, et il y avait trop de gens, trop entassés. Si

11 quelqu'un se levait, nous n’avions plus où nous asseoir, tant cela était

12 plein !

13 M. McCloskey (interprétation). - Y avait-il des hommes musulmans dans

14 l'autre partie de la villa ?

15 Témoin I (interprétation). - Oui, j'ai entendu des gens parler dans

16 d'autres pièces. Les portes étaient ouvertes, je ne sais vous dire combien

17 de pièces emplies de cette sorte, il y avait au total.

18 M. McCloskey (interprétation). – Quel âge avaient ces hommes dans l’école

19 en moyenne ?

20 Témoin I (interprétation). - Eh bien laissez-moi vous dire qu'il y en

21 avait qui étaient en âge de 14 ans, d'autres avaient bien 80 ans, qui

22 étaient bien plus âgés que moi. J'ai remarqué un homme qui était sourd-

23 muet, c'est une chose que j'ai remarquée.

24 M. McCloskey (interprétation). - Est-ce que les soldats, à quelque moment

25 que ce soit, ont dit quelque chose aux gens qui étaient plus jeunes ?

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1 Témoin I (interprétation). - Oui, alors ils étaient venus pour demander

2 qui avait 15 à 16 ans, mais certains même avaient 14 ans car on voyait

3 bien qu'ils étaient encore en bas âge, qu’ils n'étaient pas encore

4 développés comme il se devait. Ils étaient dans l’école primaire. Le

5 soldat disait : "Venez voir que je puisse constater combien vous êtes".

6 Ils se rangeaient, ils étaient 12. Et le soldat a dit : "Eh bien, ce sont

7 des gens comme vous dont a besoin Abdic. On va vous préparer pour vous

8 envoyer chez Abdic". Alors je ne sais pas combien il y en avait dans cette

9 zone d'âge dans les autres pièces. Dans la mienne, il y en avait 12, ils

10 les ont fait sortir. Mais je ne sais pas ce qu'ils ont fait d’eux. Je ne

11 sais pas s'ils sont allés dans un camp, s'ils ont été abattus, s’ils ont

12 effectivement été envoyés chez Abdic… Je n'en sais rien.

13 M. McCloskey (interprétation). – Et pour autant que vous le sachiez, qui

14 était cet Abdic dont parlait les soldats serbes ?

15 Témoin I (interprétation). – Eh bien Abdic, j'ai oublié son prénom, mais

16 il a fui en Croatie. Après, il avait aidé les Croates et les Serbes et

17 s'était battu contre les Musulmans.

18 M. McCloskey (interprétation). - C'est la politique qu’il avait suivie :

19 il avait tapé sur les Musulmans, alors qu'auparavant il avait été de leur

20 côté.

21 Pourriez-vous nous dire combien de soldats il y avait dans cette école et

22 autour pour vous garder ?

23 M. Riad (interprétation). - Excusez-moi.

24 Le témoin a dit que Abdic était l'un des leurs. Est-ce qu’il pensait aux

25 Musulmans ou aux Serbes ?

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1 M. McCloskey (interprétation). – Abdic était-il Musulman, monsieur le

2 Témoin ?

3 Témoin I (interprétation). - Il était Musulman mais je ne sais pas

4 exactement. Je crois qu'il était issu d'un couple mixte, c'est du moins ce

5 que je pense savoir. Et je ne sais pas pourquoi il a changé de politique,

6 je ne sais pas comment les choses se sont passées entre eux.

7 M. McCloskey (interprétation). - Pourriez-vous dire combien de soldats

8 serbes vous gardaient là-bas, dans cette école ?

9 Témoin I (interprétation). - Eh bien ils pouvaient bien être au nombre 8

10 ou 10, c’est à peu près ce nombre-là qui s'est retrouvé à chaque endroit

11 où nous étions. Les uns étaient de garde et les autres sortaient les gens

12 pour les torturer. C'est à peu près ce qui se passait.

13 M. McCloskey (interprétation). - Quand vous dites "à chaque endroit", à

14 quel endroit pensez-vous ?

15 Témoin I (interprétation). - Je pense aux endroits aux environs de

16 Bratunac où nous avons été et puis au site de Pilica où on a fait monter

17 les gens dans les autobus, et puis en plus aux endroits où les gens ont

18 été fusillés. Ils étaient toujours au nombre de 8, à peu près.

19 M. McCloskey (interprétation). - Fort bien.

20 Je voudrais maintenant que nous nous concentrions sur Pilica. Sauriez-vous

21 nous dire combien de soldats avaient été de garde dans cette école de

22 Pilica ?

23 Témoin I (interprétation). – Entre 8 et 10 ; je ne puis vous dire

24 exactement parce qu'ils ne se trouvaient pas dans un groupe pour pouvoir

25 être comptés. Certains étaient dehors, d'autres se trouvaient dans les

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1 pièces, d'autres encore dans les couloirs. Disons qu'ils pouvaient être

2 une dizaine. S’ils avaient été rangés dans une file, bien sûr on aurait pu

3 les compter, je saurais vous dire exactement combien ils étaient

4 M. McCloskey (interprétation). – Etaient-ils armés ?

5 Témoin I (interprétation). - Oui, la plupart avaient ou disposaient

6 d'armes automatiques.

7 M. McCloskey (interprétation). – Pouvez-vous décrire comment étaient vêtus

8 ces soldats serbes dans l’école à Pilica ?

9 Témoin I (interprétation). – Eh bien ils avaient ces uniformes bigarrés.

10 Maintenant je ne fais plus la différence et je ne saurais vous dire

11 exactement. D'une part il y avait cette peur, cette grande peur, et

12 d'autre part il s'est passé 5 ans depuis. Mais je sais que c'étaient des

13 vêtements bigarrés.

14 M. McCloskey (interprétation). - Est-ce que vous vous souvenez combien de

15 nuits vous avez passées dans cette école à Pilica ?

16 Témoin I (interprétation). - Je ne sais plus si c'était une ou deux nuits.

17 Je commence à oublier déjà. Je crois que c'était une ou deux nuits.

18 M. McCloskey (interprétation). - Est-ce qu'on vous a emmené quelque part,

19 le matin… Pardon, je vais reprendre ma question. Qu'est-il arrivé à

20 l’école, le matin qui a précédé votre départ vers les autobus ?

21 Témoin I (interprétation). - Oui. Ce jour-là, l'un de nous avait demandé

22 s'il y avait quelque chose à manger. Un soldat serbe lui a dit : "Nous

23 n'avons pas à manger nous-mêmes. Et nous avons encore moins à vous donner

24 à vous". Peu de temps après, il a amené un bout de pain. Puis il a émietté

25 ce morceau de pain, en faisant à chaque fois une bouchée, et il jetait

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1 chaque morceau parmi les gens. Puis, il est reparti. Je ne sais pas s'il a

2 fait pareil, enfin la même chose dans les autres pièces. Il n’y avait rien

3 à manger. Il n’y avait que ce mauvais traitement.

4 Après cela, quand la journée a commencé, on nous a dit : "Ceux qui veulent

5 aller à Sarajevo, et qui ont de l'argent pour payer le voyage, n'ont qu'à

6 payer 20 Marks le voyage jusqu'à Sarajevo". L'un des nôtres, qui était là,

7 a dit à un collègue : "J'ai 100 Marks et je vais prendre quelques

8 collègues. Je peux payer pour nous cinq pour partir sur un territoire

9 libre". Donc ceux qui avaient de l'argent pouvaient sortir, soi-disant,

10 pour aller à Sarajevo en autocar. Et comme plus personne d'autre n'avait

11 de l'argent, on a dit que les autres pouvaient y aller aussi, même sans

12 argent. On nous a dit : "Vous autres, vous irez à Tuzla".

13 On nous a apporté deux grandes toiles ou bâches. L'une des toiles était

14 blanche, et l'autre était verte. Ils ont donné cela à deux de nos hommes

15 en leur disant de déchirer les toiles en bandeaux et de les attacher.

16 M. McCloskey (interprétation). - Excusez-moi, monsieur le Témoin, je vous

17 interromps pour un instant. Je crois, que le moment serait venu de faire

18 une pause, Monsieur le Président. Nous pourrions reprendre après la pause.

19 M. le Président. - Je suis de d'accord avec vous monsieur McCloskey.

20 Témoin, vous avez besoin aussi de vous reposer un peu. Vous nous racontez

21 des histoires très difficiles pour vous. Nous allons vous donner une pause

22 de 20 minutes, puis on va reprendre votre histoire. Donc 20 minutes.

23 L’audience, suspendue à 11 heures 14, est reprise à 11 heures 39.

24 M. le Président. - Nous reprenons donc l'audience. Témoin I, vous vous

25 êtes reposé ?

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1 Témoin I (interprétation). – Oui.

2 M. le Président. - On vous a donné un café ou une boisson chaude ?

3 Témoin I (interprétation). - Oui. J'ai bu un Cola.

4 M. le Président. - Très bien.

5 Monsieur McCloskey va continuer à poser des questions. Monsieur McCloskey,

6 c'est à vous.

7 M. McCloskey (interprétation). - Merci Monsieur le Président.

8 Avant la pause, nous parlions de quelqu'un qui avait emmené un morceau de

9 matériel ou une pièce ou une toile, et qui vous a demandé de les découper

10 en lanières ou de les déchirer. Pourriez-vous nous dire qui a emmené cette

11 toile et racontez-nous ce qui s'est passé ?

12 Témoin I (interprétation). - C'était apporté par les soldats serbes. Ils

13 ont ordonné à deux de nos détenus de déchirer ces toiles en lanières et

14 d'attacher les gens. C'est de la sorte qu'ils ont effectivement déchiré

15 ces toiles et nous ont attachés. Etant donné que c'étaient nos hommes à

16 nous, ils n'ont pas trop serré les mains. Les mains étaient attachées, en

17 arrière, au dos. Chaque fois qu'ils nous attachaient les mains, on devait

18 sortir en groupe à l'extérieur. J'ai offert mes mains pour être attaché

19 également. Et j'étais très surpris puisque je me disais : "Pourquoi est-on

20 attachés, puisqu'on devait notamment partir en liberté vers Tuzla ?". Il y

21 avait un voisin avec moi, et il y avait 6 ou 7 homme entre autres que je

22 connaissais également. Ils nous ont attachés et, par la suite, nous nous

23 sommes dirigés à l'extérieur, escortés par les soldats serbes.

24 Pendant que nous descendions les escaliers et qu'on s'est rendus au rez-

25 de-chaussée, j'ai vu un homme allongé sur le béton. Il était mort, et il y

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1 avait une mare de sang à côté de lui, sur le béton. Nous sommes sortis à

2 l'extérieur en colonne avec nos mains attachées. Et nous nous sommes

3 dirigés vers les autobus. On n’avait pas le droit de regarder ni à gauche

4 ni à droite. Il fallait que l'on garde la tête baissée avec les mains

5 attachées. Il fallait regarder devant soi. Lorsque je suis arrivé à

6 l'autobus, j'ai pu jeter un regard vers le haut, pour voir les autobus. Il

7 y avait quatre officiers. Ils ne nous adressaient pas la parole, ils ne

8 nous disaient rien. Ils parlaient tout doucement, entre eux, ils nous

9 regardaient et ils ricanaient. Et les soldats serbes nous suivaient, nous

10 pourchassaient, nous injuriaient, et de cette façon-là, nous sommes montés

11 à bord des autobus.

12 Nous avons voyagé à bord de ces autobus, pendant environ une distance de

13 2,5 kilomètres, et lorsqu'on s'est rendus sur une colline, nous avons

14 entendu, des coups de feu et des cris et du bruit. Lorsque nous nous

15 sommes rendus à l'endroit où on entendait les coups de feu, les autobus se

16 sont arrêtés. Dès qu'ils se sont arrêtés, les portes se sont ouvertes ;

17 l'armée serbe encerclait l'autobus. Ils ont dit : "Sortez pour qu'on vous

18 nique votre mère, à vous, à Alija et à Haris. Sortez, Alija ne veut pas de

19 vous". Un groupe est sorti de l'autobus et s'est placé jusqu'à environ la

20 moitié de l'autobus. Par la suite, ils ont arrêté. La moitié du groupe est

21 sorti, ils ont dit : "Assez !".

22 Je suis resté dans l'autre partie de l'autobus, je regardais la colonne

23 partir en empruntant le chemin et j'ai pu voir les morts également. Ils

24 sont arrivés et j'ai entendu les soldats serbes injurier et crier. Les

25 rafales ont attaqué les gens, et ils sont tous tombés par terre. Les

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1 soldats serbes sont retournés, et ils ont fait sortir l'autre moitié de

2 l'autobus. Ils nous ont chassés à l'extérieur. Et alors qu'on sortait de

3 l'autobus, il y avait une colonne qui se dirigeait vers l'endroit de

4 l'exécution. Pendant que j'étais dans la colonne, un soldat serbe m'a

5 dit : "Donne-moi tes Marks". Je lui ai dit que je n’en avais pas, étant

6 donné que je n'en avais vraiment pas. Il m'a donné un coup de pied au

7 ventre. Je suis tombé au sol sur les genoux. Un autre soldat serbe a dit

8 derrière mon dos : "Ne fais pas de génocide, prends ton fusil en main et

9 tue comme font les soldats". Ils m'ont forcé de me relever, je me suis

10 relevé, je suis parti en suivant la colonne. J’ai emprunté ce chemin et,

11 de temps en temps, on voyait un mort.

12 Le soldat qui m'a frappé, qui m'a donné un coup de pied, m’a demandé si

13 quelqu'un voulait s'inscrire en tant que Serbe. A ce moment-là, ces gens-

14 là seraient libérés. Deux personnes se sont déclarées, ou sont allées le

15 voir puisqu'elles voulaient rester en vie. Mais ce n'était qu'une ruse, un

16 autre homme de notre colonne a demandé un peu d'eau, il a dit : "Donnez-

17 nous un peu d'eau à boire et tuez-nous par la suite". Mais ils ne l'ont

18 pas fait.

19 Par la suite, lorsque je me suis présenté à l'endroit où ils étaient tués,

20 ils étaient tous massacrés en ligne, comme s'ils étaient alignés. Et il y

21 avait beaucoup de personnes. Quand j'ai vu, c'est à ce moment-là, que j'ai

22 remarqué que c'était des gens qui supposément s'étaient dirigés vers

23 Sarajevo et avaient payé leur billet. Soi-disant, ils avaient donné de

24 l'argent et, ensuite, il ont donné leur vie. Par la suite, lorsque nous

25 avons dépassé ces lignes de ces gens qui se trouvaient là, ils nous ont

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1 dit : "Tournez le dos et mettez-vous en ligne". Nous avons tourné le dos,

2 nous nous sommes alignés. Par la suite, le commandant a ordonné :

3 "Couchez-vous !", alors les rafales se sont fait entendre. C'est de cette

4 façon-là que je suis tombé immédiatement au sol. Les autres se sont

5 également écroulés au sol après ce coup de rafale. Lorsque les rafales se

6 sont terminées, un soldat serbe a dit : "Y a-t-il quelqu'un de vivant ?".

7 Deux personnes ont dit : "Oui, moi aussi, tues-moi". Moi, je me suis tu,

8 par contre. Je me suis dit : "S'il le faut, je vais me déclarer vivant

9 plus tard, et ils me tueront plus tard".

10 C'est de cette façon-là, qu'ils ont emmené des colonnes et des colonnes,

11 et j'étais encore couché. Il y avait six autres colonnes qu'ils ont

12 emmenées. Ils se sont alignés un peu plus bas. De l'endroit où j’étais, de

13 nouveau les rafales massacraient ces gens, et c'est alors que j'ai reçu

14 une balle au coude mais elle n’a fait que m'effleurer. La terre autour de

15 moi se relevait à cause des coups. J'entendais des balles qui atteignaient

16 les corps et je voyais le sol se relever. Il y avait de la poussière qui

17 me tombait sur le dos, les petites roches me tombaient sur le dos

18 également. Je n'avais qu'une chemise sur le dos, et j'ai tout senti.

19 Et c'est de cette façon-là, lorsqu'ils ont massacré tout le monde, qu’ils

20 ont disparu.

21 Je n'ai plus entendu ni le bruit des autobus, ni leurs pas. Ils sont

22 partis s'abriter à l'ombre, de l'endroit où ils étaient venus, et donc

23 sont allés se reposer à l'ombre.

24 M. McCloskey (interprétation). - Permettez-moi de vous interrompre juste

25 un instant.

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1 Témoin I (interprétation). - Oui, c'est possible.

2 M. McCloskey (interprétation). - Lorsqu'on vous a emmené vers l'endroit de

3 l'exécution, y avait-il des soldats serbes dans votre autobus ? De

4 l'endroit de l’école à l'endroit de l'exécution, y avait-il des soldats

5 serbes ?

6 Témoin I (interprétation). - Il y en avait au moins un. Il y avait un

7 soldat, oui, cela je le sais.

8 M. McCloskey (interprétation). - Combien de soldats environ, d'après votre

9 évaluation, faisaient cette exécution ou étaient présents à l'endroit de

10 l'exécution ?

11 Témoin I (interprétation). - Il y avait environ 7 à 8 soldats sûrement.

12 Ils se tenaient debout là et ils tuaient les gens. Ils les emmenaient et

13 les tuaient. Ils recevaient de nouveaux groupes.

14 M. McCloskey (interprétation). - Etiez-vous en mesure d'évaluer combien de

15 cadavres se trouvaient sur ce terrain ?

16 Témoin I (interprétation). - J'ai pu évaluer qu'il y avait environ 2000 à

17 1500 personnes.

18 M. McCloskey (interprétation). - Et que s'est-il passé après les coups de

19 feu et les rafales ?

20 Témoin I (interprétation). - Quand les rafales se sont arrêtées, ils

21 allaient d'une colonne à l'autre pour demander s'il y avait encore

22 quelqu'un de vivant. De temps en temps, on entendait une personne ou deux

23 dire : "Oui, moi..." ou parfois personne ne se relevait. Le soldat

24 s'approchait et, d'un coup de fusil, tuait d'une balle l'un ou l'autre et,

25 par la suite, il retournait vers la colonne. Ils ont massacré de la sorte

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1 encore 6 colonnes, et par la suite, ils sont allés se reposer à l'ombre.

2 C'est à ce moment-là que je me suis secoué un peu pour voir si j'étais

3 blessé, parce que je me suis dit qu’avec toute cette peur je ne m'étais

4 peut-être pas rendu compte que j'étais blessé. Par chance, je n'étais pas

5 du tout blessé, sauf cet effleurement par balle au coude.

6 M. McCloskey (interprétation). - Avez-vous entendu des soldats serbes

7 parler entre eux ?

8 Témoin I (interprétation). – Non, je n'ai pas entendu ce qu'ils disaient,

9 mais j'ai entendu qu'ils parlaient fort, qu'ils injuriaient. Ce qu'ils se

10 disaient entre eux, je n'avais pas compris de quoi il s'agissait puisque

11 la peur et la terreur étaient telles que je ne pouvais pas du tout suivre

12 la conversation.

13 M. McCloskey (interprétation). – Dites-nous de quelle façon vous vous êtes

14 finalement sauvé de cet endroit ? De quelle façon vous avez pu partir ?

15 Témoin I (interprétation). - Par la suite, lorsque j'ai entendu qu'il n'y

16 avait plus d'autobus, que l’on n’entendait plus rien et que n'étais pas

17 blessé, j'ai essayé de défaire les bandeaux avec lesquelles mes mains

18 étaient attachées. C'est de cette façon-là que j'ai pu finalement défaire

19 mes mains. Lorsque j'ai défait les liens qui m'attachaient, j’ai enlevé

20 les bandeaux. Je les ai remis sur mes mains de nouveau. Je me suis couché

21 sur le ventre, et j'ai réfléchi. Je me suis dit : "Ils vont sûrement

22 revenir pour patrouiller ou voir ce qu'il en est". J'étais mieux de rester

23 attaché et couché pendant que je réfléchissais à ce que je devais faire

24 plus tard.

25 Par la suite, j'ai entendu de nouveau une patrouille. D'après ce que j'ai

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1 pu entendre, il y avait cinq personnes. J’ai pu détecter cela à l’ouïe. Et

2 lorsqu'ils sont arrivés, j'entendais un qui disait : "Voilà, regarde

3 l'autre qui s'est sauvé et regarde un autre". On entendait des coups de

4 feu, on entendait des rafales qui les coupaient, les atteignaient. Tout

5 d'un coup, j'ai entendu un autre soldat qui était resté, j'ai entendu des

6 pas. Peu de temps après, deux autres soldats sont retournés de nouveau.

7 Mais le soldat qui était resté leur a posé la question : "Et alors ?". Les

8 autres ont répondu : "Eh bien, les deux autres ont essayé de le

9 pourchasser, mais il s'est caché quelque part, je ne sais pas s'ils vont

10 pouvoir le retrouver", mais cela voulait dire que l'autre personne qui

11 essayait de s'échapper avait été tuée. Un soldat disait à l'autre soldat :

12 "Nous avons fait un génocide, comme en 1941, à Jasenovac". C'est de cette

13 façon-là que pendant un certain temps, je pouvais entendre des pas. Ils

14 sont repartis de nouveau.

15 J’ai levé la tête pour voir où était le soleil, pour pouvoir évaluer,

16 d'après le soleil, l'heure de la journée ou s’il allait faire noir bientôt

17 et pour voir également où se trouvaient les bois environnants pour essayer

18 de me cacher dans cette forêt. La forêt était quand même assez éloignée,

19 il faisait encore jour. J'ai vu un champ un peu plus loin, j'ai vu un peu

20 d'herbe, un peu de buissons, peut-être de 100 à 150 mètres carrés. Je me

21 suis dit : "Bon, j'irai me cacher à cet endroit-là".

22 Tout d'un coup je me prépare à quitter, et j'ai peur parce qu'il fait

23 encore jour et le bulldozer vas sûrement arriver, donc ils vont me casser

24 vivant, et il fallait... Je pensais que c'était nécessaire de partir de ce

25 lieu, puisqu'il faisait encore jour pendant environ encore deux heures à

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1 deux heures et demie avant la tombée de la nuit. J'ai donc enlevé les

2 liens qui attachaient mes mains. J'ai regardé un peu plus bas et j'ai vu

3 que deux hommes essayaient de pénétrer dans ces buissons, dans lesquels je

4 voulais aller me cacher moi aussi.

5 J'avais très peur de passer par-dessus les morts parce que j'avais peur

6 que la patrouille arrive et qu'ils me voient. Donc j'ai pris un risque,

7 j'ai rebondi sur mes pieds, j'ai couru par-dessus ces corps immobiles,

8 par-dessus ces morts, pendant environ 15 mètres, j'ai pilé sur ces morts.

9 J'ai failli tomber sur ces corps. Et je regardais par terre, mais je

10 voulais savoir si on allait entendre quelqu'un qui dirait : "Il s'est

11 sauvé", et si quelqu'un l'avait remarqué j'aurais pu vraiment périr. Alors

12 à ce moment-là, je me suis rendu jusqu'au boisé et heureusement personne

13 ne m'a remarqué. Donc je me suis caché également dans ces buissons

14 épineux.

15 Lorsque j'ai regardé derrière moi, il y avait deux autres personnes qui

16 pénétraient dans ces buissons épineux derrière moi. Dès qu'ils ont pénétré

17 à l'intérieur de ces buissons, ils ont caché l'endroit où nous nous sommes

18 faufilés pour qu'on ne puisse plus retracer ou retrouver le point d'entrée

19 dans les buissons.

20 Et il n'y avait plus personne, tout le monde était mort.

21 M. McCloskey (interprétation). - Combien de gens étaient cachés dans ces

22 buissons épineux avec vous ?

23 Témoin I (interprétation). - Deux avant moi, ensuite moi et deux après

24 moi. Donc en tout nous étions cinq. On n'osait pas parler, j'ai simplement

25 demandé à un homme : "D'où viens-tu ? " et il m'a dit : "Je suis du

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1 village Jagonje" et je lui ai dit d'où je venais. Je me suis dit : s'il y

2 a un survivant, nous saurons au moins de qui il s'agissait. Je n'ai pas

3 demandé quel était son nom, par contre.

4 La patrouille est revenue de nouveau, je les ai vu marcher parmi les

5 morts, autour de ce boisé. Et heureusement, ils ne savaient pas qu'il y

6 avait quelqu'un de caché dans ces buissons épineux. Mais c'est de cette

7 façon-là que nous avons décidé de rester sur place.

8 J'entendais des armes, le cliquettement et le claquement des armes. Je les

9 entendais parler, je n'arrivais pas à détecter ce qu'ils disaient

10 exactement, je n'entendais pas assez bien. Mais jusqu'à la tombée de la

11 nuit, ils étaient sur place. Par la suite, lorsque la nuit est tombée, ils

12 sont repartis.

13 Par la suite, il y avait un prunier et j'ai essayé de prendre ces prunes

14 parce que ça faisait quelques jours qu'on n'avait pas mangé. Cela faisait

15 3 jours que nous n'avions pas mangés, on était à moitié mort, cela faisait

16 si longtemps que nous étions attachés.

17 Par la suite, après la tombée de la nuit, lorsque nous sommes entrés dans

18 la forêt, et d'un côté, de l'autre côté de la forêt, parce que j'ai

19 franchi de l'autre côté, je me suis rendu compte qu'il y avait d'autres

20 morts, et c'était les gens qui supposément étaient partis en direction de

21 Sarajevo. Je me suis dit : ce doit être eux.

22 C'est de là que nous nous sommes dirigés vers ces champs, il y avait une

23 certaine lueur, le clair de lune nous éclairait, et je ne sais pas la

24 direction que nous avons prise, mais nous savions où la Serbie se trouvait

25 et nous nous sommes dirigés profondément vers la Bosnie pour nous éloigner

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1 le plus possible de la Serbie. Lorsque nous avons pénétré à l'intérieur de

2 la forêt, on ne voyait plus rien, même pas "un doigt devant soit", comme

3 on dit.

4 Les quatre hommes qui étaient avec moi étaient plus jeunes que moi, ils

5 avaient de 25 à 30 ans. Je ne pouvais pas les suivre, alors je suis resté

6 derrière.

7 M. McCloskey (interprétation). - Monsieur le Témoin, j'aimerais seulement

8 vous poser quelques questions à ce moment-ci.

9 Témoin I (interprétation). - Oui.

10 M. McCloskey (interprétation). - Est-ce que vous avez revu ces quatre

11 personne à un moment donné, par la suite, ces quatre personnes que vous

12 avez perdues de vue ?

13 Témoin I (interprétation). - Non, je ne les ai plus jamais revues. J'ai

14 posé des questions, j'ai dit : "De ce village, est-ce que vous avez

15 entendu parler d'un homme qui s'était échappé d'une exécution ? Du village

16 de Jagonje ?", j'ai posé la question et tout le monde m'a répondu qu'il

17 n'y avait personne, que personne n'était revenu qui m'aurait mentionné.

18 Donc cela veut dire que les trois autres personnes n'ont pas réussi à se

19 sauver, ils ont dû être rattrapés quelque part.

20 M. McCloskey (interprétation). - Très bien.

21 Maintenant, le lendemain matin, est-ce que vous avez trouvé un petit

22 chemin ? Est-ce que vous avez trouvé un véhicule ? Pourriez-vous nous

23 parler de cet événement ?

24 Témoin I (interprétation). - Oui, certainement, je peux vous raconter ce

25 qui s'est passé.

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1 Lorsque les autres hommes, lorsque les hommes m'ont quitté, je me suis

2 retrouvé tout seul. Je me sentais léger, mais à chaque fois que je me

3 levais je ne pouvais marcher que 50 mètres, j'étais très épuisé, je devais

4 me rasseoir, je me reposais pendant cinq autres minutes. Par la suite, je

5 me sentais bien de nouveau, j'étais bon pour encore une cinquantaine de

6 mètres, mais ensuite j'étais faible de nouveau.

7 Je suis arrivé à une certaine... comme une espèce d'embuscade. Etant donné

8 qu'il y avait un massacre là, il y avait une certaine patrouille, et comme

9 cet homme s'était sauvé, j'imaginais que la patrouille était là pour

10 essayer de le rattraper.

11 Et donc j'ai vu un homme qui venait du bas de la route, il était à environ

12 30 mètres de moi, et il a dit : "Qui est-ce ? Qui es-tu ?", je n'ai pas

13 répondu, je n'ai pas dit, je me suis... j'ai couru. Et par la suite, j'ai

14 vu deux maisons, je suis arrivé à deux maisons. Il y avait un jardin, il y

15 avait beaucoup d'herbe et je me suis caché dans cette herbe. Il me parlait

16 sur un ton très fort et il commandait comme on commande à l'armée : "flanc

17 gauche, flanc droit". J'ai suivi ses ordres, mais on n'entendait personne,

18 et j'étais resté couché. J'avais l'impression que la personne attendait

19 pour voir si j'allais rejaillir, ressortir. Il savait que j'étais là,

20 quelque part, mais étant donné qu'il faisait noir, qu'il faisait nuit, il

21 ne pouvait pas voir. Après ça, une autre personne est arrivée, je les ai

22 entendu parler à peu près 5 minutes. Je l'ai entendu chanter et, ensuite,

23 il est parti dans l'autre direction. C'était une ruse pour que je pense

24 que les deux étaient partis et que je ressorte. Par contre, je ne l'ai pas

25 fait. Je savais que l'une des personnes seulement était partie parce que

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1 l'autre ne parlait plus. Par la suite, il est retourné au-dessus de moi et

2 de nouveau il a commencé à crier, et il a tiré deux coups de feu, je ne

3 sais pas dans quelle direction. Par la suite, il a disparu de nouveau.

4 J'ai vu qu'il avait essayé de me faire sortir par une ruse. Il a fait tout

5 ce qu'il a pu, mais il n'a pas réussi.

6 Par la suite, je suis retourné de nouveau vers le haut parce que je ne

7 pouvais pas, à cause des maisons, rester sur place, et de cette façon-là

8 je me suis retrouvé sur le chemin, sur la route. C'est là que j'ai passé

9 la nuit. C'était difficile, j'étais seul, je pensais que je ne sortirai

10 plus jamais de ces buissons. Ensuite, quand il a commencé à faire jour, je

11 me suis dirigé vers des champs, et c'est là que je me suis reposé un peu.

12 J'ai essayé de voir s'il y avait des prunes à manger.

13 M. McCloskey (interprétation). - Monsieur le Témoin, je m'excuse de vous

14 interrompre.

15 Témoin I (interprétation). - Oui.

16 M. McCloskey (interprétation). - Maintenant parlez-nous de ce jour

17 suivant, parlez-nous de ce véhicule que vous avez vu et essayez...

18 Je sais que vous voulez nous parler des points très importants, mais on

19 voudrait que vous puissiez terminer votre témoignage aujourd'hui. Donc

20 est-ce que vous pourriez nous relater les points les plus importants de

21 cette histoire.

22 Quand vous avez vu ce véhicule, si vous pouviez nous parler de cet

23 événement-là ?

24 Témoin I (interprétation). - C'est possible. Cette nuit-là, je l'ai passée

25 à cet endroit, le jour suivant aussi. Et puis, à un certain moment, j'ai

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1 voulu remonté un petit peu.

2 Et j'ai entendu à ce moment-là un véhicule, on aurait dit que son moteur

3 tournait sur place. Je ne pouvais donc pas remonter parce que j'entendais

4 du bruit. J'ai donc prévu de partir dans la direction opposée, mais il

5 fallait que je retrouve la route. Pour marcher sur la route une vingtaine

6 de mètres, il fallait que je franchisse ces 20 mètres sur la route avant

7 de m'enfoncer dans la forêt.

8 Quand je suis arrivé jusqu'à la route, j'ai marché sur la route, j'ai

9 regardé le sol et j'ai vu des traces de sang. J'ai vu sur un demi mètre de

10 distance le sang couler. Et tout d'un coup, j'ai repensé aux morts de la

11 veille et je me suis dit : ils ont bien été obligés de les transporter

12 aujourd'hui.

13 Je suis donc arrivé jusqu'à cette forêt et, tout d'un coup, j'ai vu, un

14 peu plus haut, un camion. Quand le camion est arrivé à côté de moi, j'ai

15 regardé ce camion. Il était plein de cadavres, à ras bord. Quand ce camion

16 s'est trouvé à côté de moi, à l'endroit où j'avais prévu de pénétrer dans

17 la forêt, je me suis dit : eh bien voilà !

18 Et j'ai entendu une voix qui disait : "Celui-là, c'est celui qui s'est

19 enfui hier". J'ai entendu ces mots et j'ai tout d'un coup changé d'avis,

20 je me suis dit : non, je ne vais plus rentrer dans la forêt parce qu'ils

21 vont me rattraper, je n'aurais aucune chance de me sauver. J'ai donc

22 continué à marcher sur la route, mais marcher sur la route c'était une

23 loterie. J'ai donc continué à marcher sur la route comme un fou, comme un

24 homme ivre, épuisé. J'ai commencé à marcher un peu plus vite, mais je n'ai

25 pas couru, je ne tournais pas la tête vers le camion, mais je me suis

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1 rendu compte que le camion s'était arrêté. Le camion était à ce moment-là

2 à 30 ou 40 mètres de moi, c'est la distance qu'il avait parcouru avant de

3 s'arrêter. Quand il sait arrêté, j'ai marché encore un peu plus, je suis

4 arrivé sur un petit pont, que j'ai traversé sans tourner la tête pour que

5 personne ne se rende compte que j'étais en train de fuir. Je voulais

6 donner l'impression que j'étais un citoyen marchant librement. Et après un

7 certain temps, j'ai simplement tourné légèrement la tête pour essayer de

8 voir ce qui passait derrière moi, c'est seulement à ce moment-là que

9 l'homme du camion a détourné les yeux de moi. Jusque-là il me regardait,

10 il se demandait ce que je faisais, il a vu que je marchais comme un

11 citoyen libre et que je n'étais pas pour lui un homme suspect. Mais quand

12 j'ai tourné la tête, lui a aussi détourné les yeux, il a fait quelques

13 pas, il s'est approché du camion, il est monté à bord du camion, le camion

14 s'est éloigné et moi, à ce moment-là, je me suis couché dans le ruisseau

15 où j'ai attendu la nuit.

16 Une fois la nuit tombée, je suis retournée sur la route, j'ai repris le

17 pont en sens inverse pour rejoindre l'endroit où j'avais prévu,

18 auparavant, de pénétrer dans la forêt. Et à cet endroit, j'ai

19 effectivement pénétré dans la forêt. J'ai marché sur cette pente jusqu'au

20 moment où je suis arrivé dans des champs. La nuit était tombée, je me suis

21 un peu arrêté, j'ai réfléchi, je n'avais pas la moindre idée de l'endroit

22 où je me trouvais, je n'avais plus aucun sens de l'orientation. J'étais

23 seul, je ne savais pas où aller.

24 Et à un moment donné, je me rends compte qu'il y a un homme devant moi qui

25 me dit : "Mais comment ça se fait que tu es là ?", moi j'ai pris peur, je

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1 ne savais plus quoi faire, lui avait les mains dans les poches, et il m'a

2 tendu une bouteille d'eau en me disant : "Allez, rafraîchis-toi un petit

3 peu. Je me suis rendu compte que c'était un fuyard lui aussi, comme moi.

4 C'était...

5 M. McCloskey (interprétation). - Excusez-moi, Témoin I, pouvez-vous me

6 donner le prénom de cet homme ?

7 Témoin I (interprétation). - Becir.

8 M. McCloskey (interprétation). - Et finalement, vous avez réussi à vous

9 enfuir avec Becir. Pouvez-vous nous dire quel jour, vous-même et Becir,

10 avaient décidé de vous rendre et nous dire comment cela s'est passé ?

11 Témoin I (interprétation). - Quand nous avons décidé de nous rendre, il y

12 avait un troisième homme avec nous, que nous avions aussi rencontré dans

13 la forêt, donc nous marchions ensemble tous les trois. L'un d'entre nous

14 est parti un peu plus loin, dans la forêt pour chercher à manger, il s'est

15 perdu. On entendait des rafales au loin et on s'est dit qu'il était peut-

16 être mort.

17 Donc cette nuit-là, nous sommes repartis, nous avons continué à marcher.

18 Nous étions déjà assez loin de cet endroit, du lieu d'exécution, mais nous

19 nous sommes rendu compte que nous ne pouvions plus continuer à marcher

20 sans manger. Nous n'avions rien à manger, il n'y avait que des prunes

21 amères. Nous avions mal à la bouche chaque fois que nous mettions une de

22 ces prunes dans la bouche. C'était tellement acide qu'on aurait dit qu'on

23 mettait de l'acide sur une plaie. Nous étions si faibles que nous pensions

24 que nous allions nous évanouir. Nous avons décidé de nous rendre, car il

25 n'y avait pas d'autre issue.

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1 Nous sommes donc sortis sur la route. Un homme habillé en civil nous a

2 rencontrés, il a pris peur tout de suite. Il a vu que nous n'appartenions

3 pas aux siens parce que nous n'étions pas rasés et nous étions dans un

4 état lamentable. Il nous a dit : "Mais qui êtes-vous ?", nous avons dit

5 que nous venions de Srebrenica, nous lui avons demandé ce qui passait à

6 Srebrenica, il a dit : "Nous sommes arrivés chez vous, le pouvoir chez

7 vous est serbe aujourd'hui et vous devez vous rendre". Et il a commencé à

8 nous demander si nous avions un fusil ou une grenade, ou s'il n'y avait

9 pas d'autres hommes dans la forêt, nous avons répondu : "Rien de tout ça".

10 Il avait à peu près 25 ans, il était habillé en civil. On lui a demandé de

11 nous accompagner, il a dit : "Non, moi je ne peux pas aller là où vous

12 devez aller, moi je dois continuer mon chemin, allez là-bas vous trouverez

13 quelqu'un".

14 Donc nous avons descendu le chemin sur la route, nous sommes arrivés à un

15 endroit où il y avait des gens, debout, qui nous ont dit qu'un autobus

16 aller arriver. Après quelques minutes, un autobus est effectivement

17 arrivé. Nous sommes montés à bord de l'autobus. Nous avons vu deux

18 policiers et un chauffeur dans l'autobus, et nous étions là éparpillés un

19 peu partout.

20 M. McCloskey (interprétation). - Ces deux policiers étaient-ils des

21 policiers civils ?

22 Témoin I (interprétation). - Oui, des policiers civils, en tout cas c'est

23 ce que je pense. Ils portaient un uniforme bleu.

24 M. McCloskey (interprétation). - Avez-vous été emmenés dans un café où une

25 personne serbe vous a aidés ?

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1 Témoin I (interprétation). - Oui, ces deux policiers, à un certain moment

2 sont allés dans un petit café, je les ai vus assis à l'extérieur en train

3 de boire un café et de fumer une cigarette. Nous, nous sommes restés dans

4 l'autobus qui se trouvait à une vingtaine de mètres du café, nous étions

5 seuls à ce moment-là.

6 Quand le garçon de café a appris qui était à l'intérieur de l'autobus, en

7 tout cas c'est ce que je suppose, il a pris un paquet de cigarettes et un

8 litre de jus de fruit, je l'ai vu faire, et il s'est approché de nous,

9 avec les policiers de l'autobus. Il nous a dit : "Ecoutez, fumez une

10 cigarette, buvez un peu de ce jus de fruit", et -nous- tout cela nous a

11 sauvés, cela nous a beaucoup aidés. Donc cet homme personne d'entre nous

12 ne l'oubliera jamais. Il a dit :"Moi, je n'ai rien contre personne, je

13 travaille en Allemagne, j'aime tout le monde". Il nous a demandé si nous

14 avions faim, nous lui avons dit oui. Je lui ai dit : "Moi, je n'ai pas vu

15 un morceau de pain depuis 15 jours", et voilà, et il a dit : "Allez, venez

16 devant le café", nous nous sommes approchés du café, et il nous a servi un

17 bon déjeuner, si je me souviens bien il y avait un peu de viande, du pain,

18 une soupe de pommes de terre, et voilà nous avons mangé cela, c'était un

19 plat tiède, pas tout à fait chaud. Mais moi j'avais tellement mal à la

20 bouche, comme si j'avais des plaies dans la bouche que je suis à peine

21 parvenu à manger ce que l'on m'a servi, alors que l'homme qui

22 m'accompagnait n'a pas pu avaler plus de deux ou trois bouchées parce

23 qu'il avait terriblement mal à l'estomac. Nous avons donc mangé et puis le

24 garçon de café nous a donné du café, nous avons bu ce café.

25 Ensuite, les policiers se sont mis à crier contre nous en disant :

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1 "Dépêchez-vous, il faut partir". Nous avons fini le café et nous sommes

2 repartis.

3 Cet homme, ce garçon de café est le seul qui avait la moindre valeur, il

4 nous a aidés et je le remercie de tout coeur. Si j'avais su, je n'ai pas

5 osé lui demander son nom et son prénom. Mais aujourd'hui j'aimerais

6 connaître son nom et son prénom car ce serait mon meilleur ami, un homme

7 qui a montré ces belles qualités d'homme !

8 Nous sommes donc repartis dans l'autobus. En cours de chemin, nous, nous

9 étions assis à l'arrière de l'autobus et, eux, ils étaient devant, j'ai

10 entendu l'un d'entre eux qui a dit : "Le mieux aurait été de les tuer tous

11 après les avoir fait descendre de l'autobus", mais je ne sais pas si c'est

12 un policier ou le chauffeur qui a dit cela. A un certain moment, un

13 policier s'est levé, il s'est approché de nous, il a attrapé par l'oreille

14 l'un d'entre nous et il a sorti un couteau, comme s'il voulait lui couper

15 l'oreille, et moi il m'a pointé son revolver sur le front en disant : "Les

16 Marks allemands !", moi je ne disais rien, je me taisais, la seule chose à

17 faire c'était de supporter ce qui passait. Il s'est remis à hurler : "Les

18 Marks allemands !", moi je me contente de hausser les épaules pour montrer

19 que je n'en n'ai pas, que je n'ai pas de Marks allemands. Et eux se

20 regardent l'un l'autre, ils se font un petit sourire et ils retournent à

21 leur place à l'avant de l'autobus. Et à moment-là, nous sommes arrivés à

22 Karakaj, nous étions arrivés.

23 M. McCloskey (interprétation). - Peu de temps après cela, vous a-t-on fait

24 monter à bord d'un camion avec d'autres prisonniers musulmans ? Et vous a-

25 t-on emmenés jusqu'à la prison de Batkovic à Bijeljina ?

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1 Témoin I (interprétation). - A ce moment-là, nous étions arrivés à Karakaj

2 et on nous a dit : "Eh bien, voilà on va vous emmener au commissariat de

3 police" ou je ne sais trop dans quel endroit. Et une fois arrivés à cet

4 endroit, on nous a dit de descendre de l'autobus.

5 Je n'avais pas fait trois pas que j'entends cet homme dire : "Ah,

6 retournez, retournez dans le camion". Moi, je fais demi-tour, je monte

7 dans le camion. Il y avait une bâche tout autour qui était fermée, la

8 seule partie ouverte était à l'arrière pour nous permettre de monter à

9 bord, et on pouvait voir ce qui passait par là. J'ai reconnu 2 hommes qui

10 étaient à bord du camion. Tout ces gens étaient partis de Srebrenica vers

11 Zvornik, et avaient été arrêtés à ce moment-là. Ils étaient au moins 47 et

12 nous nous étions 29.

13 Et c'est comme cela que, tous ensemble, nous sommes partis vers Batkovic.

14 La Croix-Rouge avait des véhicules qui nous escortaient. Nous sommes

15 arrivés à Batkovic, et là nous avons retrouvé un grand nombre de personnes

16 qui avaient été arrêtées et qui étaient enfermées dans ce camp.

17 M. McCloskey (interprétation). - Savez-vous, à peu près, quelle était la

18 date du jour où vous êtes arrivés à Batkovic ?

19 Témoin I (interprétation). - Je pense que c'était le 26, non en fait je ne

20 pense pas c'était le 26.

21 M. McCloskey (interprétation). - Quand avez-vous fini par être libérés de

22 cette prison ?

23 Témoin I (interprétation). - Nous avons été enregistrés et nous sommes

24 resté à cet endroit cinq mois, et le sixième mois, le 24 novembre, donc

25 peu de temps avant le Nouvel An, il y a eu l'échange. Et c'est à moment-là

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1 que j'ai été échangé.

2 M. McCloskey (interprétation). - J'aimerais que nous reparlions brièvement

3 du site d'exécution. Y avait-il un bâtiment particulier ou quelque chose

4 de particulier dont vous vous souvenez ? Je sais que vous ne pouviez pas

5 voir grand chose étant donné la situation, mais y a-t-il quelque chose en

6 particulier dont vous vous souviendriez ?

7 Témoin I (interprétation). - Je me souviens très bien de l'endroit où nous

8 sommes arrivés, il y avait des pommes, des pommiers, et un peu plus loin

9 quelque chose qui ressemblait à une maison. Je ne sais pas si c'était une

10 maison particulière, on n'osait pas trop regarder, on n'osait pas trop

11 lever la tête, mais il y avait aussi un verger. Et ensuite, je suis passé

12 devant l'étable, et à travers le petit bois, j'ai vu un peu plus loin deux

13 maisons. J'ai vu un homme qui faisait de grands gestes et hurlait tout

14 près de la maison, comme s'il criait sur des animaux, sur du bétail, comme

15 s'il voulait les regrouper pour les nourrir, ce genre de chose.

16 M. McCloskey (interprétation). - Merci beaucoup, Témoin I.

17 Je n'ai pas d'autres questions, Monsieur le président.

18 Témoin I (interprétation). - Je vous remercie aussi.

19 M. le Président. - De combien de temps, plus ou moins, vous avez besoin,

20 maître Visnjic, pour le contre-interrogatoire ?

21 M. Visnjic (interprétation). - Monsieur le président, je ne pense pas que

22 j'aurais besoin de plus d'une demi-heure.

23 M. le Président. - Il est préférable maintenant de faire la pause et après

24 on reprendra. Donc on va faire une pause de 20 minutes et après on

25 reprendra avec le contre-interrogatoire.

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1 L'audience, suspendue à 12 heures 34, est reprise à 12 heures 56.

2 M. le Président. - Témoin I, je vous rappelle qu'à la fin de votre

3 témoignage vous ne devez pas bouger, pour que les mesures de protection

4 soient effectives.

5 Maintenant, vous allez répondre aux questions que Me Visnjic va vous

6 poser. Je sais que Me Visnjic est une personne sensible et il va bien vous

7 traiter.

8 Donc maître Visnjic, c'est à vous maintenant.

9 M. Visnjic (interprétation). - Merci, Monsieur le président.

10 Témoin I, bonjour.

11 Témoin I (interprétation). - Bonjour.

12 M. Visnjic (interprétation). - Avant de commencer cet interrogatoire, je

13 vous prierai, puisque vous et moi parlons la même langue de bien vouloir

14 ménager une pause de quelques instants, à la fin de mes questions, avant

15 de répondre de façon à permettre aux interprètes, qui interprètent en

16 anglais et en français, d'interpréter aussi bien mes questions que vos

17 réponses. C'est un petit problème technique.

18 Témoin I (interprétation). - Oui.

19 M. Visnjic (interprétation). - Témoin I, je sais qu'il est pénible pour

20 vous de revenir sur les événements que vous avez vécus, et je vais donc

21 m'efforcer d'être aussi précis que possible. Je vous demande de répondre

22 aux questions suivantes.

23 Vous venez de présenter votre déposition et vous avez parlé de votre

24 séjour à Potocari dans la nuit du 12 au 13 juillet. Pouvez-vous vous

25 rappeler cette nuit ? Je vous pose la question maintenant.

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1 Témoin I (interprétation). - Vous parlez de la deuxième nuit ?

2 M. Visnjic (interprétation). - Oui. De la deuxième nuit.

3 Témoin I (interprétation). - ...

4 M. Visnjic (interprétation). - Vous avez dit, en réponse aux questions de

5 l'interrogatoire principal, que pendant la nuit les soldats serbes ont

6 emmené les hommes musulmans ?

7 Témoin I (interprétation). - Oui.

8 M. Visnjic (interprétation). - La question que j'ai à vous poser est très

9 courte.

10 Avez-vous vu, personnellement, des soldats serbes emmener des hommes ou

11 l'avez-vous entendu dire par d'autres qui étaient avec vous à cet

12 endroit ?

13 Témoin I (interprétation). - Ce sont d'autres qui me l'ont dit, mais cette

14 nuit-là -personnellement- j'ai entendu des gémissements, des cris, des

15 plaintes qui provenaient de l'endroit, à l'extérieur, où les gens

16 criaient, gémissaient, etc.

17 M. Visnjic (interprétation). - Merci.

18 Voici ma deuxième question. Quand vous vous trouviez dans cette maison,

19 que vous avez reconnue sur cette photographie que vous a montrée le

20 représentant du Procureur à Potocari...

21 Témoin I (interprétation). - Oui.

22 M. Visnjic (interprétation). - C'était des soldats serbes qui vous

23 gardaient dans cette maison, n'est-ce pas ?

24 Témoin I (interprétation). - Oui, dans cette maison ils ont séparé les

25 gens, ils ont emmené les gens et ils nous faisaient entrer dans la maison

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1 et nous gardaient.

2 M. Visnjic (interprétation). - Pouvez-vous décrire l'uniforme que

3 portaient ces soldats ?

4 Témoin I (interprétation). - Je peux dire simplement que c'était des

5 uniformes bigarrés. Pour le reste, je ne connais pas les détails. Sur

6 l'uniforme, il y a différentes choses. Mais moi je peux dire qu'il

7 s'agissait d'uniformes bigarrés, c'est tout.

8 M. Visnjic (interprétation). - Vous dites bigarrés, vous voulez dire des

9 uniformes de camouflage, vert olive ?

10 Témoin I (interprétation). - Oui, un peu vert, un peu bleu, enfin toutes

11 ces couleurs bigarrées.

12 M. Visnjic (interprétation). - Quand vous avez pris la direction de

13 Bratunac en autobus, après avoir été dans cette maison...

14 Témoin I (interprétation). - Oui.

15 M. Visnjic (interprétation). - Etait-ce les mêmes soldats qui vous

16 accompagnaient ?

17 Témoin I (interprétation). - Eh bien, je ne sais pas puisque je ne

18 connaissais pas ces soldats, je ne peux pas dire c'est un tel et un tel et

19 un tel qui se trouvait là, en donnant son nom. Il aurait fallu les

20 regarder de très près pour les reconnaître, et éventuellement, mais bien

21 entendu ils ne permettaient pas qu'on les regarde de près.

22 M. Visnjic (interprétation). - Les soldats qui étaient à bord des autobus

23 et qui sont arrivés jusqu'à Bratunac avec vous, ceux qui vous ont

24 installés dans l'école Vuk Karadzic...

25 Témoin I (interprétation). - Oui.

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1 M. Visnjic (interprétation). - Vous ont-ils également gardés pendant les

2 deux jours que vous avez passés à cet endroit ?

3 Témoin I (interprétation). - Oui, ils nous ont gardés pendant tout ce

4 temps. Et, en plus, ils faisaient sortir des gens et ils les tuaient

5 derrière l'école. Mais ce n'était pas les mêmes tout le temps puisque nous

6 sommes restés un jour et deux nuits. Ils n'auraient pas pu supporter, il y

7 avait sûrement des rotations d'équipes. Cela, c'est sûr, à 100 %.

8 Mais, comment les équipes arrivaient... ? Eh bien quand une équipe

9 arrivait, elle remplaçait l'équipe précédente, mais ils ne travaillaient

10 pas comme une armée, comme une armée devrait travailler.

11 M. Visnjic (interprétation). - Je vais maintenant vous poser la question

12 suivante. Quand vous avez été emmenés de l'école de Bratunac jusqu'à

13 Pilica...

14 Témoin I (interprétation). - Oui.

15 M. Visnjic (interprétation). - Etes-vous en mesure de conclure ou pouvez-

16 vous nous dire que les soldats qui vous ont accompagnés étaient les mêmes

17 soldats que ceux qui étaient avec vous à Bratunac ? Pouvez-vous le dire

18 aujourd'hui ? Est-ce que vous vous rappelez cela ?

19 Témoin I (interprétation). - Je ne peux pas répondre puisqu'il y a eu des

20 équipes, c'est pour ça que je parle de cela. Peut-être que certains sont

21 venus jusqu'à Bratunac et qu'ensuite ils ont été remplacés par d'autres

22 pour le voyage jusqu'à Tuzla.

23 Mais ils faisaient toujours le contraire de ce qu'ils disaient. Ils

24 disaient une chose et ils faisaient le contraire !

25 M. Visnjic (interprétation). - Monsieur, à Pilica, avez-vous remarqué...

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1 On va essayer comme ça.

2 A Pilici, est-ce que vous avez reconnu un soldat que vous auriez déjà vu à

3 Bratunac ou à Potocari, ou encore l'un des soldats que vous avez vu à bord

4 des autobus allant de Bratunac à Pilici, ou de Potocari jusqu'à Bratunac ?

5 Témoin I (interprétation). - Moi, je sais seulement qui étaient les

6 soldats qui sont allés avec nous de Bratunac à Pilici, qui nous ont

7 accompagnés, c'étaient d'autres soldats, ceux qui nous avaient arrêtés.

8 Maintenant qu'est-il arrivé à ceux qui nous avaient escortés, je ne sais

9 pas. Est-ce qu'ils sont restés à cet endroit, ou est-ce qu'ils sont allés

10 ailleurs, ou est-ce qu'ils sont retournés ailleurs, je ne sais pas.

11 M. Visnjic (interprétation). - Donc à Pilici, c'était de nouveaux soldats,

12 des soldats que vous n'aviez pas encore vus qui vous ont attendus ?

13 Témoin I (interprétation). - Eh bien, nous sommes sortis et là, tout de

14 suite, nous avons vu un grand nombre de soldats, un nombre plus important,

15 et ils nous ont tout de suite fait rentrer dans l'école.

16 M. Visnjic (interprétation). - Merci.

17 Voici ma question suivante. Les soldats, qui vous attendaient à Pilici,

18 étaient-ils vêtus différemment des soldats que vous aviez vus à Bratunac

19 et à Potocari ?

20 Témoin I (interprétation). - Eh bien c'était un uniforme semblable, je

21 parle des vêtements, et les armes aussi, des armes automatiques. Et de

22 temps en temps il y en avait un qui avait...

23 (Fin de la face A de la cassette n° 2.)

24 (Début de la face B de la cassette n° 2)

25 ... avec une mitraillette ou un PAP, une arme semi-automatique.

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1 M. Visnjic (interprétation). - Voici ma question suivante, Monsieur. Vous

2 nous avez dit que dans l'autobus, qui est allé de Pilici jusqu'à l'endroit

3 où a eu lieu l'exécution, il y avait dans chaque autobus au moins un

4 soldat ?

5 Témoin I (interprétation). - Oui, qui nous escortait à l'intérieur de

6 l'autobus.

7 M. Visnjic (interprétation). - Ces soldats, sont-ils sortis avec les

8 personnes transportées dans l'autobus, et se sont-ils trouvés sur le site

9 de l'exécution, ou bien sont-ils restés dans l'autobus qui est reparti ?

10 Témoin I (interprétation). - Il y en a qui sont sortis avec nous et qui

11 nous ont accompagnés jusqu'à l'école. Et puis ils retournaient pour

12 emmener un autre groupe. Et là haut, il y avait l'exécution, et les

13 soldats se contentaient de rester debout et d'être donc présents là où a

14 eu lieu l'exécution. Et dès qu'un autobus arrivait, ils prenaient la

15 relève, ils faisaient sortir les gens, ils les tabassaient. Et ils étaient

16 toujours là, ce groupe de soldats, ils ne sont pas partis.

17 M. Visnjic (interprétation). - Ce groupe de soldats qui a commis les

18 exécutions, est-ce que ces soldats-là étaient habillés différemment des

19 autres soldats ? Est-ce qu'ils portaient un emblème que vous auriez pu

20 remarquer ?

21 Témoin I (interprétation). - Je n'aurais pas pu remarquer d'autres

22 emblèmes.

23 Et puis, je vais vous dire, à ce moment-là, on craignait pour notre vie,

24 donc on ne pensait à rien d'autre. On comptait notre durée de vie en

25 secondes et en minutes à ce moment-là.

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1 M. Visnjic (interprétation). - Merci.

2 Voici ma question suivante. Vous avez dit qu'au moment où vous vous êtes

3 rendus, c'est la police civile qui vous a escortés. Quel était l'uniforme

4 porté par ces hommes ?

5 Témoin I (interprétation). - Moi, je pense que c'était la police civile

6 parce que leur uniforme était bleu, c'est à cause de cela que je dis qu'il

7 s'agit de police civile. Ce n'était pas un uniforme bigarré comme celui

8 des soldats, c'était un uniforme bleu. Et ces hommes étaient relativement

9 jeunes.

10 Je peux être content de ces policiers. C'est vrai, ils nous ont un peu

11 maltraités, ils nous ont mis le revolver sur le front, mais enfin bon, ils

12 ne voulaient que des Marks allemands. Mais les autres ils prenaient les

13 Marks allemands et ils enlevaient la vie aussi, voilà ce que c'est !

14 M. Visnjic (interprétation). - Encore une autre question et j'en aurais

15 fini, Monsieur le Président.

16 Monsieur le Témoin, dans votre déposition, vous avez dit que sur le site

17 d'exécution un des soldats a évoqué Jasenovac en 1941 ?

18 Témoin I (interprétation). - Oui, le soldat serbe, il a mentionné cela le

19 soldat serbe.

20 M. Visnjic (interprétation). - Pouvez-vous dire aux Juges de cette Chambre

21 de première instance ce qu'était Jasenovac ? C'était un camp de

22 concentration, n'est-ce pas ?

23 Témoin I (interprétation). - Je ne suis pas suffisamment instruit pour

24 savoir cela, mais j'ai entendu dire qu'à cet endroit, à une certaine

25 époque, en 1941, un massacre terrible a été commis. Mais qui est mort à

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1 cet endroit, qui a été tué, comment ils ont été tués, je ne sais pas parce

2 que je ne suis pas allé suffisamment à l'école.

3 M. Visnjic (interprétation). - Savez-vous que les victimes de ce massacre

4 étaient des Serbes, des Juifs et des Tziganes ?

5 Témoin I (interprétation). - Cela, je ne peux pas le savoir, mais j'avais

6 l'impression que c'était des Juifs et peut-être sans doute des Serbes,

7 mais je ne le sais pas avec précision.

8 M. Visnjic (interprétation). - Monsieur le Président, je n'ai pas d'autres

9 questions.

10 M. le Président. - Merci, maître Visnjic.

11 Monsieur McCloskey, avez-vous des questions supplémentaires ?

12 M. McCloskey (interprétation). - Non, Monsieur le Président.

13 M. le Président. - Monsieur le Juge Riad, s'il vous plaît ? *

14 M. Riad (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

15 Témoin I, je ne suis pas censé prononcer votre nom, je vais donc

16 m'adresser à vous en vous appelant Témoin I.

17 Vous me voyez bien, vous m'entendez bien ?

18 (Signe de dénégation du témoin.)

19 Vous ne m'entendez pas ?

20 Témoin I (interprétation). - Maintenant, je vous entends.

21 M. Riad (interprétation). - Vous m'entendez maintenant. Bonjour, Témoin I.

22 Témoin I (interprétation). - Bonjour. Je vous entends.

23 M. Riad (interprétation). - Témoin I, nous nous rendons très bien compte à

24 quel point cela doit être pénible pour vous de revenir sur ces événements

25 tragiques, de les revivre. Vous êtes un homme très courageux. Et nous

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1 sommes très heureux de savoir que vous êtes sorti de cette horreur vivant,

2 même si nous déplorons également vivement la disparition de tous ces

3 hommes.

4 M. Riad (interprétation). - Merci.

5 M. Riad (interprétation). - Donc je vous demande de bien vouloir supporter

6 encore quelques minutes de questions, si cela est possible.

7 Témoin I (interprétation). - Je peux.

8 M. Riad (interprétation). - De façon générale, vous avez dit deux fois que

9 les soldats qui vous entouraient, parlaient de génocide. Ont-ils utilisé

10 le mot génocide ? Existe-t-il en Serbo-croate un mot qui signifie

11 "génocide", ou bien était-ce mot qui voulait simplement dire "meurtre" ?

12 Car vous avez parlé deux fois de génocide, la première fois lorsque vous

13 êtes tombé au sol et qu'ils voulaient vous tuer, un autre soldat a dit :

14 "Attend, il faut commettre un génocide en bonne et due forme" ; et la

15 deuxième fois un soldat a dit, d'après votre récit : "Il a commis le même

16 génocide qu'à Jasenovac en 1941".

17 Témoin I (interprétation). - Oui, oui, c'est ce que j'ai dit.

18 Le génocide, cela signifie qu'un grand nombre de personnes, avec peut-être

19 y compris des femmes et que sais-je moi, enfin un nombre exagéré de

20 personnes a été tué, quelque chose qui n'aurait pas dû avoir lieu, qui

21 n'avait pas le droit d'être réalisé l'a été, et c'est cela que l'on

22 appelle génocide. Vous savez cela mieux que moi, mais voyez-vous moi aussi

23 je sais ce que cela veut dire.

24 Des gens qui assassinent, qui égorgent, moi je n'aurais pas voulu que cela

25 se passe. Si mon fils était là et qu'il fallait pleurer la mort de quel

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1 qu'un, moi j'aurais dit : "Ecoutez, prenez ma vie et laissez mon fils

2 tranquille", j'aurais laissé ma vie pour celle de mon fils.

3 M. Riad (interprétation). - Oui, mais parlez-moi de ce génocide à

4 Jasenovac, en 1941. Est-ce que vous avez des informations à ce sujet, ce

5 que vous avez entendu dire par le soldat ?

6 Témoin I (interprétation). - Eh bien, ce que je sais seulement c'est qu'il

7 y a eu un génocide donc en 1941, et que des gens ont été tués comme

8 maintenant à Srebrenica. Un grand nombre de ces gens, de ces habitants ont

9 été tués là-bas.

10 M. Riad (interprétation). - Un grand nombre de personnes, mais de qui

11 s'agissait-il ? Qui a commis cela, les Serbes, les Croates, les

12 Musulmans ? Qui tuait et qui a été tué, si vous le savez ? Et pourquoi ce

13 soldat en a-t-il parlé ?

14 Témoin I (interprétation). - Ce que je sais ? Eh bien, il connaissait ce

15 génocide puisqu'il parlait comme cela ! Et moi, à ce moment-là, j'étais

16 sur le sol et j'ai entendu cela personnellement, de mes oreilles. Et je

17 l'ai très bien entendu, ce n'est pas que je l'ai surpris par hasard, je

18 l'ai entendu personnellement. Et plus tard, on dit qu'à cet endroit les

19 gens ont été assassinés comme les Serbes, les Juifs, je le sais bien. Je

20 ne le sais pas exactement, mais je le sais bien, cela a eu lieu, je sais

21 que cela existe, comme dans l'histoire.

22 M. Riad (interprétation). - Très bien.

23 Vous avez parlé de plusieurs voyages dans différents véhicules et de

24 meurtres. Avez-vous le sentiment, à examiner tout cela, qu'il y a eu une

25 organisation systématique, une certaine harmonie dans l'organisation de

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1 ces exécutions ? Ou que cela a pu être le résultat d'un acte criminel,

2 commis par une bande de criminels ? Pensez-vous qu'il s'agissait d'une

3 organisation systématique, militaire, ou simplement de criminels qui vous

4 ont capturés à cet endroit ?

5 Témoin I (interprétation). - Il y a certainement eu un ordre d'en haut,

6 des hommes qui ont ordonné cela, car en dehors de leur ordre cela n'aurait

7 pas pu être réalisé. Il ne s'agit pas d'un petit génocide mais d'un grand

8 génocide. Il y a 8 000 habitants de Srebrenica qui sont portés disparus

9 aujourd'hui.

10 M. Riad (interprétation). - Puisque nous parlons chiffre, vous avez dit

11 qu'il devait y avoir entre 1000 et 1 500personnes qui se sont fait tuer au

12 moment où les soldats ont commis ces exécutions. D'où tenez-vous ces

13 chiffres ?

14 Témoin I (interprétation). - Je ne connais pas le chiffre exact, mais

15 c'est pour ça que j'ai dit entre 1 000 et 1 500, ça c'est sûr compte tenu

16 de la superficie de terrain qui était recouverte par les corps. Mais les

17 8 000 disparus de Srebrenica, nous devons savoir tous qu'au nombre de ces

18 8 000 il y avait sûrement des enfants, des pauvres gens. Entre 16 000 et

19 20 000.

20 Aujourd'hui c'est prouvé qu'il reste des pères sans fils. Moi, j'avais

21 deux fils, aujourd'hui je ne les ai plus, pourquoi ? Moi, j'ai toujours

22 vécu de mon travail, sur mes terres, comme d'ailleurs mes ancêtres. Mais

23 ils les ont emmenés, ce qu'ils ont pris ils l'ont pris. J'avais deux

24 maisons, ils ont mis le feu à l'une des maisons, elle pouvait brûler, la

25 deuxième ne pouvait pas brûler. Ils sont arrivés et ils ont mis des mines

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1 en dessous parce que c'était une maison neuve, je n'avais pas terminé la

2 construction, il fallait encore construire le toit, ce n'étaient que des

3 briques et des plaques de béton. Comment est-ce qu'elle pouvait brûler,

4 elle devait rester entière, mais ils sont arrivés, ils ont mis des mines

5 et elle s'est écroulée. Aujourd'hui, ce n'est plus que poussière. Alors

6 ça, ça a eu lieu ça a eu lieu, d'accord... Ils sont arrivés, ils ont

7 expulsé, ils ont volé. Mais pourquoi est-ce qu'ils ont tué mes fils ?

8 Et aujourd'hui je suis là comme un arbre desséché dans la forêt. Je

9 pouvais vivre sur mes terres, qui m'appartenaient, avec mes fils, et

10 aujourd'hui je n'ai plus ni l'un ni l'autre. Comment est-ce que je peux

11 vive aujourd'hui ? Je n'ai aucun retraite. Avant, je m'appuyais sur mes

12 fils, ils ne m'auraient jamais laissé mourir de faim. Et aujourd'hui je

13 n'ai plus mes fils, je n'ai plus mes terres, je n'ai plus rien. Ce n'est

14 pas triste ! Et je dois mourir de faim.

15 M. Riad (interprétation). - Vous êtes un homme très courageux, vous avez

16 survécu par miracle et ce miracle vous aidera.

17 Témoin I (interprétation). - Ce qui me surprend encore...

18 M. Riad (interprétation). - Oui ?

19 Témoin I (interprétation). - Ce qui me surprend, ce qui m'ébahit c'est

20 comment je peux encore avoir encore tous mes esprits, comment est-ce que

21 je ne suis pas devenu fou. Je me surprends moi-même à penser à quoi j'ai

22 survécu. Comment est-ce que j'ai pu sur vivre à tout cela ? Aujourd'hui je

23 m'étonne moi-même. Comment est-ce que j'ai pu sortir vivant ? Moi-même je

24 n'arrive pas à croire que j'ai pu supporter tout cela, et j'en ai

25 supporté.

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1 M. Riad (interprétation). - Si vous souhaitez faire une petite pause et

2 vous reposez un peu, nous allons la faire, mais il y avait une utilité

3 pour ce qui était de survivre c'est de relater au monde entier ce que vous

4 avez traversé.

5 Témoin I (interprétation). - Oui, cela peut être vrai.

6 M. Riad (interprétation). - Est-ce que nous pouvons continuer avec votre

7 récit ? Ce récit nous est fort précieux ?

8 Témoin I (interprétation). - Je suis désolé.

9 M. Riad (interprétation). - Soufflez un peu, vous êtes là pour nous

10 raconter des choses importantes et nous vous sommes reconnaissants.

11 Témoin I (interprétation). - Les Serbes étaient des voisins, nous vivions

12 tous ensemble, nous étions mélangés. Nous vivions véritablement en bons

13 voisins. Et je ne sais pas, je suis très étonné de voir se revirement

14 politique. Nous ne nous étions jamais disputés. Il était facile de vivre

15 pendant que Tito régnait. On peut dire que nous vivions tous bien. Et ce

16 que j'ai vécu, je l'ai vécu à cette époque-là. Maintenant je vis comme du

17 bétail, comme une bête sauvage dans la forêt. Et la vie ne m'est plus du

18 tout précieuse. Je prie les cieux, pendant que je suis encore en vie, de

19 ne plus souffrir, mais je ne redoute nullement la mort parce que ce que

20 j'ai bien vécu c'est une période révolue, c'est derrière moi.

21 M. Riad (interprétation). - Je regrette beaucoup d'avoir dû soulever tous

22 ces souvenirs, mais nous sommes heureux que vous soyez vivant et que vous

23 soyez ici. Dans les quelques minutes qui viennent, je devrais encore vous

24 rappeler certains événements tristes, tragique.

25 Vous avez mentionné quelques personnes qui ont témoigné de l'humanité,

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1 comme la personne qui a été gentille à votre égard dans le café et puis

2 les gens de l'autobus qui avaient dit qu'il fallait peut-être vous

3 achever, et l'un d'entre eux vous avez pointé un revolver vers la tête et

4 l'autre voulait couper une oreille, il faisait semblant du moins de

5 vouloir couper l'oreille à l'autre.

6 Etaient-ce des policiers, des Serbes normaux ou des soldats ?

7 Témoin I (interprétation). - C'était l'armée... non pas l'armée, mais

8 c'était une police civile, car ils avaient des vêtements bleus. De là à

9 savoir si c'était une police militaire ou civile, je ne saurais vous le

10 dire. J'avais l'impression que c'était une police civile puisqu'ils

11 étaient vêtus de bleu.

12 M. Riad (interprétation). - Et ils voulaient vous achever, vous tuer ?

13 Témoin I (interprétation). - Eh bien, l'un avait dit une chose analogue,

14 mais l'autre n'a rien dit, mais il ne l'a en fait pas laissé faire, et

15 nous sommes restés assis, en vie. Nous sommes arrivés à Karakaj, il y

16 avait la Croix-Rouge là-bas et nous avons pu continuer notre chemin.

17 M. Riad (interprétation). - Quand vous êtes tombé, après les exécutions,

18 les gens passaient entre les rangés et tiraient sur ceux qui bougeaient.

19 Et vous vous ne bougiez pas ou vous étiez dissimulé sous d'autres corps,

20 si vous vous en souvenez ? Comment se fait-il qu'ils ne vous aient pas

21 remarqué, à votre avis du moins ?

22 Témoin I (interprétation). - Ils ne m'ont pas remarqué parce que j'étais à

23 plat ventre, et j'ai relevé un peu mon ventre, j'étais comme figé, et j'ai

24 assuré donc à mon estomac, à ma poitrine, un peu de place vers le sol, ce

25 qui fait qu'en respirant je ne bougeais pas. Et eux, ils passaient quand

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1 même assez vite, ça et la, ils achevaient quelques personnes, ils allaient

2 et venaient, ils ne s'attardaient jamais trop longtemps.

3 M. Riad (interprétation). - Mais d'autres ont crié qu'ils étaient vivants,

4 mais est-ce que cela veut dire qu'ils voulaient être tués, qu'ils

5 voulaient être achevés ?

6 Témoin I (interprétation). - Oui, ils voulaient être achevés. Je ne sais

7 pas pourquoi, mais je pense qu'ils devaient probablement être grièvement

8 blessés et que c'est la raison pour la quelle ils avaient répondu qu'ils

9 étaient en vie. Je n'étais pas blessé et je n'ai pas répondu. Et, bon, si

10 je n'avais pas réussi à libérer mes mains, j'aurais peut-être crié moi

11 aussi pour qu'ils mettent fin à mes maux, mais comme j'ai réussi à me

12 libérer, à me désentraver, et bien je me suis tu.

13 M. Riad (interprétation). - Et quand vous êtes tombé, est-ce que vous êtes

14 tombé parce que vous avez été touché par balle, où vous avez réussi à

15 jouer, à faire semblant, à feindre une blessure et à tomber ?

16 Témoin I (interprétation). - Le commandement n'avait pas été de dire :

17 "Feu !", mais ils avaient donné l'ordre : "Couchez-vous !", et en même

18 temps on a pu entendre les rafales. Et je suis tout de suite tombé, les

19 rafales ont dû passer par-dessus, et comme je se suis tombé d'autres sont

20 tombés juste après moi. Le commandement, enfin l'ordre de se coucher et

21 les rafales sont arrivés en même temps.

22 Par la suite, lorsque j'étais couché, et lorsqu'ils amenaient d'autres

23 colonnes de gens un peu plus bas, alors j'ai été touché par une balle au

24 coude, mais ce n'était qu'une égratignure, une éraflure, rien d'autre.

25 M. Riad (interprétation). - Une dernière question. Vous avez dit qu'ils

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1 avaient amené des jeunes garçons de 14/15 ans, et qu'ils avaient dit que

2 Abdic en avait besoin. Et vous avez dit que Abdic était une personne que

3 vous ne connaissiez pas, mais qu'il s'était battu contre les Musulmans.

4 Est-ce que vous savez ce qu'il est arrivé à ces jeunes gens ? Est-ce

5 qu'ils ont été tués où est-ce qu'ils ont été envoyés chez Abdic ? Est-ce

6 qu'on est arrivé à savoir ce qu'il est arrivé à ces enfants ?

7 Témoin I (interprétation). - Eh bien, ils ont fait sortir de cette pièce

8 12 garçons, je ne sais pas combien il y en avait dans les autres pièces,

9 pour les rassembler, mais ils ont fait sortie ces 12, plus ceux des autres

10 pièces, et ils avaient dit que Abdic avait besoin d'eux. Ils les ont

11 emmenés, mais je ne sais pas ce qu'ils ont fait d'eux. Est-ce qu'ils les

12 ont emmenés vers un camp quelconque ou chez Abdic ? Ou est-ce qu'on les a

13 abattus ? Je ne sais rien du tout de cela. Mais je suis surpris de voir

14 que ces jeunes gens ne se sont pas remanifestés, n'ont pas réapparus pour

15 raconter qu'ils avaient été emmenés ça ou là. Nous ne savons rien de leur

16 destinée.

17 Et en plus, les 8 000 habitants de Srebrenica, dont on ne sait rien !

18 Personne ne sait ce qui leur est arrivé. Mais nous voyons des tombes qui

19 sont là. Dieu seul sait combien de tombes il y a encore que nous n'avons

20 pas découvertes !

21 M. Riad (interprétation). - Quand on vous a fait monter dans l'autobus,

22 vous avez dit que vous aviez traversé la Drina pour aller vers la Serbie.

23 L'autobus est allé en Serbie et vous vous trouviez à l'intérieur en tant

24 que prisonniers. Donc vous n'étiez pas dans la partie serbe de la Bosnie ?

25 Témoin I (interprétation). - Eh bien, nous sommes allés d'abord sur

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1 Zvornik, puis nous sommes passés en Serbie, nous avons roulé en Serbie,

2 vers Loznica. Et là il y a un nouveau pont, enfin un autre pont sur la

3 Drina, et nous sommes retournés en Bosnie, puis nous avons encore roulé en

4 Bosnie jusqu'à Pilica.

5 M. Riad (interprétation). - Et quelqu'un vous a-t-il arrêtés en Serbie ?

6 Dans cet Etat serbe, est-ce que quelqu'un vous a arrêtés, des policiers ou

7 voire d'autres personnes ?

8 Témoin I (interprétation). - Je ne me souviens pas que quiconque nous est

9 arrêtés.

10 M. Riad (interprétation). - Mais il était évident qu'il s'agissait

11 d'autobus pleins de prisonniers. Personne ne vous a arrêtés, personne ne

12 s'est mêlé à la chose ?

13 Témoin I (interprétation). - Oui, il y avait 7 autobus.

14 M. Riad (interprétation). - Pleins de détenus, de prisonniers ?

15 Témoin I (interprétation). - Il y avait 7 autobus. Et, en plus,

16 probablement d'autres qui sont arrivés ultérieurement. Peut-être certains

17 étaient-ils passés avant nous. Comme j'ai vu beaucoup de personnes tuées,

18 il se peut qu'il y en ait eu d'autres avant les nôtres. Mais, là, je suis

19 sûr qu'il y avait entre 1000 et 1500 morts.

20 M. Riad (interprétation). - Vous ne vous souvenez pas combien de temps

21 vous avez passé en Serbie ?

22 Témoin I (interprétation). - Nous, nous n'avons pas passé de temps en

23 Serbie, nous étions de passage, nous ne sommes pas sortis, nous avons

24 mieux roulé, peut-être que le goudron est de meilleure qualité, mais on

25 n'a fait que passer par là.

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1 M. Riad (interprétation). - Monsieur le Témoin I, je vous remercie. Je

2 m'excuse d'avoir rajouter à toute la douleur que vous ressentez à nouveau.

3 Témoin I (interprétation). - Je vous remercie également, et c'est

4 justement pour ceci que je remercie les cieux que Tribunal ait été créé,

5 et j'entends là que chacun doit répondre de ces actes criminels. Car si

6 l'on laissait passer et si l'on ne faisait rien, il y aurait beaucoup

7 d'autres crimes. Et maintenant qu'il y a ce Tribunal, je crois que cela

8 empêchera les gens de commettre autant d'atrocités.

9 Mais je sais que, nous, nous n'osons pas encore rentrer chez nous à

10 Srebrenica. Nous sommes tous dans les maisons d'autrui. Et mon bien, mes

11 biens sont encore là-bas et je ne peux pas retourner là-bas. Il faut

12 capturer tous ces criminels et peut-être pourrons nous revenir à

13 Srebrenica. Et tant qu'ils ne seront pas capturés, il n'y aura pas de

14 sécurité.

15 Et toutes ces armées ne sont pas capables de garder tous les civils, une

16 fois revenus chez eux.

17 M. le Président. - Merci beaucoup, monsieur le Juge Riad.

18 Ce n'est pas encore terminé. Je crois que madame le Juge Wald va vous

19 poser aussi des questions. Vous avez la parole madame le Juge Wald.

20 M. Wald (interprétation). - Témoin I, je n'ai que quatre questions brèves

21 à votre intention. Je vous suis toute aussi reconnaissante d'être venu

22 devant ce Tribunal.

23 Pendant que vous étiez dans cette maison, à Potocari, avec d'autres

24 hommes, et par la suite lorsque vous étiez à l'école à Bratunac, puis à

25 l'école de Pilici, est-ce que quelqu'un vous a interrogé, est-ce que l'un

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1 quelconque des soldats serbes vous a fait sortir pour vous poser des

2 questions quelles qu'elles soient, ou est-ce que vous n'étiez que tout

3 simplement enfermé dans ces pièces avec quelques autres personnes ?

4 Témoin I (interprétation). - Nous étions enfermés dans ces pièces avec

5 d'autres personnes. Quant aux personnes que l'on faisait sortir et qu'on

6 tuait, je ne sais pas comment on les tuait, avec des battes ou avec des

7 couteaux, mais ils avaient probablement été interrogés, non seulement

8 interrogés mais frappés, battus. Et nous autres qui étions restés dans les

9 pièces, on ne nous a pas posé de questions. Ils savaient que nous étions

10 Musulmans.

11 M. Wald (interprétation). - Fort bien.

12 Pouvez-vous dire quant aux personnes qu'on a fait sortir de l'école de

13 Bratunac et de Pilica, est-ce que vous pouvez dire que ces personnes ont

14 été battues, puis par la suite tués ? Est-ce que vous pouvez nous dire si

15 on avait interpellé les gens par leur nom ? Est-ce que quelqu'un avait une

16 liste pour faire la séparation de certains particuliers ? Ou les Serbes,

17 les soldats serbes entraient-ils et disaient-ils : celui-ci, celui-ci et

18 celui-ci doivent nous me suivre ?

19 Témoin I (interprétation). - Je n'ai pas vu de liste, et je ne pense pas

20 qu'il y ait eu des listes. Ils prenaient les gens qui avaient bonne mine.

21 M. Wald (interprétation). - Donc ils avaient choisi au hasard ?

22 Témoin I (interprétation). - Je crois qu'ils avaient surtout prélevé les

23 gens qui étaient plus jeunes, qui étaient mieux bâtis, qu'ils ont torturé

24 par la suite. Et les autres, ils les ont emmenés en autobus pour les

25 fusiller. Ils n'ont jamais demandé à quiconque s'il était coupable de

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1 quelque chose ou pas. C'est ainsi qu'on doit penser que les gens

2 emmenaient des prisonniers vers des camps de concentration. Et on ne pose

3 pas de question, on ne fait que tuer !

4 M. Wald (interprétation). - Quand vous étiez à l'école de Pilica, vous

5 avez dit que les gens avaient été entassés dans les pièces. Et vous avez

6 dit que dans celle où vous vous trouviez il y avait quelque 250 hommes et

7 qu'ils avaient été gardés par 8 à 10 soldats. Y avait-il une raison

8 quelconque, avant que de vous attacher, c'est-à-dire quand vous avez parlé

9 de la toile avec laquelle on a lié vos poignets, y a-t-il une raison pour

10 laquelle ces gens-là ont pensé qu'ils ne pouvaient pas l'emporter sur ce

11 petit nombre de soldats ?

12 Témoin I (interprétation). - Eh bien, c'est peut-être pour cela qu'ils

13 nous ont affamés pendant trois jours, si l'on excède les petits biscuits

14 qui se réduisaient en poussière. Et nous étions épuisés, nous étions à

15 moitié mort d'épuisement.

16 Et d'autre part, nous espérions que tout se passerait bien, parce que nous

17 pensions que personne n'oserait tuer autant de gens, il y avait énormément

18 de gens. Nous pensions que certainement ils devaient avoir des

19 responsabilités, se sentir responsable, mais ils n'y songeaient même pas,

20 ils ne songeaient même pas à la possibilité de pouvoir répondre de leurs

21 actes.

22 Et quand nous sortions, on disait qu'on allait à Tuzla, mais on faisait

23 tout à fait le contraire. Donc on disait une chose et on faisait autre

24 chose.

25 Et ce n'est que lorsqu'ils ont dit qu'il fallait sortir pour "niquer notre

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1 mère à nous et à Alija" que nous avons compris que nous allions être tués.

2 Nous ne savions pas, et nous nous efforcions d'être sages pour ne pas être

3 battus et être transférés là où il fallait, mais ce n'est qu'à ce moment-

4 là que nous avons compris que nous allions être tué. Nous étions à demi-

5 morts, les mains ligotées, et ça en était terminé. Les vies sont parties,

6 il ne reste plus rien.

7 M. Wald (interprétation). - Ma dernière question pour vous est la

8 suivante. Après cette torture terrible que vous avez traversée sur ce

9 champ où on a fusillé les gens, et par la suite quand vous avez essayé de

10 fuir, qu'est-ce qui vous a incité à vouloir vous rendre ? Est-ce que vous

11 avez pensé que vous aviez davantage de chances que si vous n'étiez pas

12 ramené entre les mains de ces soldats ? Ou est-ce que vous étiez si

13 épuisé ? Si vous étiez déjà allé si loin, qu'est-ce qui vous a fait

14 envisager la possibilité de vous rendre ?

15 Témoin I (interprétation). - Je m'étais dit que j'allais peut-être voyager

16 très longtemps, que j'allais probablement être une fois de plus capturé.

17 Nous étions déjà assez loin de cet endroit d'exécution. Je m'étais dit

18 qu'il n'allait pas tous nous tuer, que tous n'allaient pas avoir la

19 volonté de tuer. Et que je ne pouvais plus marcher, je commençais à

20 m'évanouir. Il n'y avait pas de pain et ces prunes vertes nous ont

21 complètement esquinté la bouche et l'estomac. Et nous n'avions aucun

22 chemin à suivre, nous ne savions pas où aller. Et il n'y avait rien à

23 manger. Et, ma foi, j'avais jugé qu'il serait préférable de se rendre, et

24 que cela nous fournissait quand même une possibilité de survivre.

25 Quand nous sommes arrivés à Batkovici, je ne disais rien, je n'ai pas

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1 raconté où j'étais ou ce que j'avais traversé, ce que j'avais vécu, parce

2 que si je l'avais fait eh bien le fait d'avoir été recensé par la Croix-

3 Rouge n'aurait servi à rien ; ils m'auraient anéanti, ils auraient dit que

4 j'avais essayé de fuir et puis ils m'auraient abattu. Pourvu donc qu'il

5 n'y ait pas de survivants ! Mais ils ne savaient pas ce que j'avais

6 traversé et d'où je venais.

7 M. Wald (interprétation). - Pourquoi pensaient-ils, enfin que leur avez-

8 vous dit, pour quelle raison vous vous rendiez, pourquoi ils vous avaient

9 mis dans une prison s'ils n'avaient pas ces informations-là ?

10 Témoin I (interprétation). - Eh bien ils m'ont mis en prison, avec

11 d'autres qui étaient venus de Srebrenica, qui ont été capturés, et je

12 disais moi-même la même chose, je n'osais pas leur dire la vérité. J'ai

13 été ainsi recensé par la Croix-Rouge. Et la Croix-Rouge est une chose tout

14 à fait utile, je n'en discute pas. Mais des gens sont allés creuser, des

15 nôtres qui avaient été incarcérés dans des camps, avaient dû aller creuser

16 des tranchées. On leur avait retiré les cartes de la Croix-Rouge, on les

17 avait déchirées et foulées au pied. Une fois arrivés à Batkovici, la

18 Croix-Rouge avait demandé après eux. Et un sergent avait dit de ne rien

19 dire à la Croix-Rouge, dites-leur que vous avez perdu ces cartons de la

20 Croix-Rouge, et de ne surtout pas dire que c'était les soldats qui avaient

21 déchiré les cartons de la Croix-Rouge. C'est ainsi que les gens ont dû

22 déclarer qu'effectivement ils avaient perdu leur carton de recensement de

23 la Croix-Rouge.

24 M. Wald (interprétation). - Je vous remercie, Monsieur I. Nous nous

25 félicitons du fait que vous ayez quand même choisi de vivre, et vous nous

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1 avez quand même rendu un fier service.

2 Témoin I (interprétation). - Je vous remercie également.

3 M. le Président. - Je vais vous poser des questions très courtes.

4 Vous avez parlé d'une trompette à Potocari, le 12 juillet. Est-ce que vous

5 vous rappelez qui utilisait cette trompette ?

6 Témoin I (interprétation). - Je ne saurais dire s'il s'agissait d'un

7 Musulman ou d'un Serbe, et à qui on avait remis cela. Je n'ai pas

8 souvenance du vêtement porté par cet homme. Il me semble que c'était un

9 vêtement civil, mais je n'en suis plus du tout certain parce que c'était

10 il y a très longtemps et je l'ai oublié.

11 M. le Président. - Témoin I, vous avez parlé d'un terrain d'exécution,

12 qu'il y avait 6 colonnes de personnes. Est-ce que vous avez une idée du

13 nombre de personnes qu'il y avait dans chaque colonne ?

14 Témoin I (interprétation). - Eh bien, il devait avoir environ... Une fois

15 un autobus était plein, cela signifiait 45 sièges, d'autres étaient

16 debout, en plus, dans le couloir, entre les sièges, et ces gens-là

17 constituaient deux colonnes. Donc il devait y avoir au moins 50 personnes

18 en moyenne dans chacun des autocars, et donc il devait y avoir entre 23 et

19 27 personnes dans chacune des colonnes.

20 M. le Président. - Est-ce que vous vous rappelez quelle heure il était

21 quand les exécutions ont commencé ?

22 Témoin I (interprétation). - Je ne saurais vous le dire exactement, mais

23 il se peut que ce soit vers 9 heures, 10 heures du matin, heure à laquelle

24 ils avaient soi-disant dit qu'on allait nous emmener à Sarajevo. Et comme

25 nous sortions au fur et à mesure, et les autocars se déplaçant quand même

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1 assez vite pour faire l'aller retour, c'était quand même curieux de

2 constater -selon les dires- qu'on allait à Sarajevo, à quel point les

3 autocars revenaient vite. Donc on n'arrivait pas à savoir ce qui allait se

4 passer !

5 L'homme est ainsi fait, il garde toujours espoir. Il vit dans l'espoir et

6 ce n'est qu'au moment où on vous injurie, en vous faisant sortir, que vous

7 comprenez qu'il n'y a plus de vie à espérer.

8 M. le Président. - Une autre question, ma dernière question, Témoin I.

9 Bratunac, Potocari, Pilici et les soldats. Maître Visnjic vous a posé la

10 question de savoir si c'étaient les mêmes soldats. Je pose la question de

11 savoir s'ils avaient le même uniforme ? Vous avez dit qu'à Potocari ils

12 avaient des uniformes bigarrés. Est-ce qu'ils avaient tous le même

13 uniforme ? Ou vous rappelez-vous qu'ils changeaient d'uniforme ?

14 Témoin I (interprétation). - Je ne me souviens que d'une chose, les

15 soldats portaient des uniformes bigarrés. Et je sais que la police, elle,

16 avait des vêtements bleus. Ce sont les deux seuls types d'éléments

17 vestimentaires que je saurais reconnaître. J'avais très peur et vous savez

18 quand on a si peur on n'arrive pas à suivre ce genre de chose.

19 M. le Président. - Oui, vous avez raison, je comprends tout à fait,

20 Témoin I.

21 Ce que vous nous avez raconté a tous les extrêmes des réactions de

22 l'humanité. D'un côté, cette histoire dépasse tous les films d'horreur que

23 l'humanité a produit jusqu'à ce jour. Mais de l'autre côté, il y a aussi

24 une histoire d'amour ; rappelez-vous le garçon de café qui a dit : "J'aime

25 tout le monde". Et vous avez dit aussi que c'était "un homme qui a montré

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1 ses belles qualités d'homme".

2 Témoin I (interprétation). - Oui.

3 M. le Président. - Je crois que vous êtes un homme sage. Votre expérience

4 de vie vous a beaucoup enseigné. J'espère donc seulement qu'en retournant

5 à vos endroits vous ne vous sentiez plus "comme un arbre desséché dans la

6 forêt", mais que cette forêt puisse être renouvelée et reprendre sa bonne

7 vie.

8 Témoin, vous avez donc terminé votre témoignage. Nous vous remercions

9 beaucoup d'être venu ici et nous admirons votre courage.

10 Vous n'allez pas bouger, Témoin I, parce qu'il faut prendre des mesures de

11 protection. Donc je demande à monsieur l'huissier de baisser les rideaux

12 pour que le témoin puisse sortir en sécurité.

13 Merci beaucoup, Témoin I.

14 Témoin I (interprétation). - Je vous remercie également.

15 (L'huissier s'exécute.)

16 (Le témoin est reconduit hors du prétoire.)

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5 M. le Président. - ...30 minutes.

6 Monsieur Cayley ?

7 M. Cayley (interprétation). - Monsieur le Président, nous avons un autre

8 témoin, c'est une autre victime, un témoin protégé, dont le témoignage

9 ressemble à celui que vous venez d'entendre ce matin.

10 Je lui ai parlé hier soir, il est très fragile. Il est très courageux,

11 mais il est très fragile. Il attend depuis quelques heures pour se

12 présenter devant vous.

13 Dans un certain sens, je pense que ce serait peut-être bien de commencer

14 le témoignage, parce qu'au moins dans ce sens-là il s'habituera un peu à

15 l'audience et au prétoire, et donc il ne passera pas la fin de semaine

16 angoissée, parce qu'il a passé la matinée à attendre. Alors ce serait

17 peut-être la meilleure chose à faire ? Je vous laisse décider, Monsieur le

18 Président.

19 M. le Président. - Mes collègues me demandent une pause de 10 minutes au

20 moins, avant de commencer. Donc on peut recommencer à 2 heures,

21 exactement.

22 L'audience, suspendue à 13 heures 53, est reprise à 14 heures 05.

23 M. le Président. - M'entendez-vous, Témoin ?

24 Témoin J (interprétation). - Oui.

25 M. le Président. - Vous allez lire la déclaration solennelle que monsieur

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1 l'huissier va vous tendre, s'il vous plaît ?

2 Témoin J (interprétation). - Je déclare solennellement que je dirai la

3 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

4 M. le Président. - Vous pouvez vous asseoir.

5 (Le témoin s'exécute.)

6 Monsieur le Greffier va vous montrer un morceau de papier sur lequel est

7 écrit votre nom. S'il s'agit vraiment de votre nom, vous allez seulement

8 répondre par oui ou par non. Vous avez compris ?

9 Témoin J (interprétation). - Oui, oui, oui.

10 M. le Président. - C'est donc bien votre nom qui est inscrit sur le

11 papier ?

12 Témoin J (interprétation). - Oui.

13 M. le Président. - Témoin, nous vous remercions beaucoup d'être venu ici.

14 Nous savons que vous avez attendu beaucoup de temps. Maintenant, nous

15 allons vraiment commencer votre témoignage avec les questions que

16 M. Cayley, qui est à votre droite, va vous poser.

17 Monsieur Cayley, vous avez la parole.

18 M. Cayley (interprétation). – Bonjour, Monsieur le Président, Madame,

19 Monsieur les Juges, éminents collègues. Merci.

20 Monsieur le Témoin, je voulais simplement vous dire que vous êtes

21 parfaitement en sûreté. Vous êtes sous la protection des Juges dans ce

22 prétoire. Votre image ne peut être vue par personne, à l'exception des

23 gens qui se trouvent, ici, dans ce prétoire.

24 J'aimerais d'abord vous poser quelques questions préliminaires. Et, par la

25 suite, après vous avoir posé ces questions préliminaires, je vais me

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1 référer à certains événements, qui ont eu lieu à certains moments donnés.

2 Ensuite, je vais vous demander de me raconter les événements que vous

3 m'avez déjà racontés, de les raconter donc aux Juges.

4 Monsieur le Témoin, si je ne m'abuse, vous êtes né en 1944, 'est-ce que

5 c'est exact ?

6 Témoin J (interprétation). - Oui.

7 M. Cayley (interprétation). - Et vous êtes Musulman de confession ?

8 M. le Président. - Oui.

9 M. Cayley (interprétation). - Je crois qu'en 1995 vous étiez membre de

10 l'armée de Bosnie ?

11 M. le Président. - Oui.

12 M. Cayley (interprétation). - J'aimerais vous ramener au 11 juillet 1995.

13 Si je ne m'abuse, vous travailliez comme agriculteur sur votre terrain,

14 votre champ ?

15 Témoin J (interprétation). - Oui.

16 M. Cayley (interprétation). - Et les champs que vous étiez en train de

17 labourer, se trouvaient dans une commune locale qui était un village qui

18 se trouvait à l'intérieur de l'enclave de Srebrenica, est-ce exact ?

19 Témoin J (interprétation). - Oui.

20 M. Cayley (interprétation). - Si je ne m'abuse, pendant que vous

21 travailliez dans ce champ, le 11 juillet, votre fille est venue vous voir,

22 et elle est venue vous dire que l'enclave était tombée ?

23 Témoin J (interprétation). - Oui, je me rappelle.

24 M. Cayley (interprétation). - Je crois qu'à ce moment-là vous êtes

25 retourné chez vous, est-ce exact ? Vous avez préparé un peu de vivres et

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1 vous avez quitté votre maison, est-ce exact ?

2 Témoin J (interprétation). - Oui.

3 M. Cayley (interprétation). - Pourriez-vous raconter aux Juges, lentement,

4 en prenant votre temps, tout ce qui vous est arrivé, à vous et à votre

5 village qui se trouvait dans la municipalité de Srebrenica ?

6 Témoin J (interprétation). - Oui.

7 M. Cayley (interprétation). - Vous pouvez commencer, monsieur le Témoin.

8 Témoin J (interprétation). - Avant de commencer, j'aimerais remercier le

9 Tribunal pénal international de La Haye, grâce auquel il ait permis

10 maintenant, il est possible de dire la vérité du génocide des Bosniens

11 dans l'enclave protégée de Srebrenica. Merci.

12 M. Cayley (interprétation). - Monsieur le Témoin, vous pouvez maintenant

13 commencer à nous raconter les événements après que vous avez quitté votre

14 village de Srebrenica.

15 Témoin J (interprétation). - Je suis parti le 11 juillet 1995, je suis

16 parti de ma maison. Entre 7 heures et 8 heures du soir, tout ce que

17 j'avais, je l'ai mis dans un sac à dos et je suis parti en direction de

18 Tuzla. Lorsque nous sommes arrivés à Spasonjir, nous a renseigné qu'il y

19 aurait une réunion à Jaglici. Lorsque nous sommes arrivés là, nous avons

20 passé la nuit à Jaglici. Le lendemain matin, le 12 juillet, à une heure

21 moins 20, je suis parti de Jaglici, en direction de Buljim.

22 Sous le village de Buljim, Nous sommes arrivés près d'un chemin en

23 macadam, et c'est là qu'il y a eu une première embuscade. On entendait des

24 coups de feu. Personne ne regardait plus personne. Nous avons commencé à

25 courir dans toutes les directions. On ne se regardait plus. J'ai quitté

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1 avec un de mes voisins, j'ai couru vers un ruisseau. Je ne connaissais pas

2 le terrain. Nous avons longé ce ruisseau. J'ai demandé à quelqu'un : "Où

3 allons-nous ?", j'ai demandé à un voisin : "Est-ce que tu sais où nous

4 nous trouvons ?", et il m'a dit que Kamenica se trouvait du côté gauche.

5 Nous nous sommes donc dirigés à gauche, à travers une forêt. C'est là que

6 nous nous sommes assis. Il y avait un petit groupe qui s'est ramassé, de 8

7 à 10 personnes. C'est là que nous nous sommes assis.

8 Nous avons entendu des gens parlaient plus loin dans la forêt. La nuit

9 commençait à tomber. On s'est dirigé vers les voix qu'on entendait dans la

10 forêt. 500 à 600 mètres plus loin, nous nous sommes rendus à l'endroit où

11 on entendait ces voix et on a entendu des coups de feu. C'était une

12 deuxième embuscade. On ne savait pas d'où les coups de feu partaient, ni

13 qui tirait. On est revenus sur nos pas. Il y avait des gens un peu plus

14 jeunes que moi. Je me suis couché près d'un arbre qui était tombé pour me

15 protéger des coups de feu. Il y avait beaucoup de coups de feu. Je croyais

16 que les autres personnes s'étaient couchées autour de moi. Quand je me

17 suis relevé, j'ai commencé à les appeler doucement, et personne n'a

18 répondu. Par la suite, j'ai entendu une voix, que les blessés devaient

19 être emmenés. Je croyais que c'était les nôtres, je me suis dirigé dans

20 cette direction.

21 On entendait encore les coups de feu, mais beaucoup moins. De temps en

22 temps, on entendait un coup de feu, on entendait des rafales. Moi, j'ai

23 crié : "Ne tire pas, c'est quelqu'un des nôtres !", je lui ai dit qui

24 j'étais et il a répondu qui il était. Je suis retourné vers le haut. J'ai

25 trouvé un homme, il m'a demandé si j'avais des vivres à lui donner, de la

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1 nourriture à lui donner, je lui ai donné ce que j'avais, il a mangé. Nous

2 nous sommes relevés.

3 Il y avait des morts. Il y avait tant de morts qu'on pouvait marcher sur

4 eux, sur ces corps. J'ai reconnu un voisin. Il faisait nuit et c'est là

5 qu'on s'est perdus, cet homme et moi, cet homme à qui j'avais donné la

6 nourriture. On sortait les blessés, on les emmenait vers un petit mont. Le

7 lendemain matin, lorsqu'il a commencé à faire jour, sur ce mont, il y

8 avait plusieurs personnes connues de ma communauté locale et de mon

9 voisinage. Et c'est là que j'ai demandé : "Y a-t-il encore des nôtres ?",

10 on est descendus vers le bas et il m'a dit : "Oui, il y en avait

11 plusieurs, il y avait encore d'autres gens qu'on connaissait en bas".

12 Nous sommes descendus et j'ai trouvé plusieurs personnes que je

13 connaissais. Un grand groupe, un groupe assez large s'est formé. Je

14 connaissais plusieurs personnes, c'est là qu'on emmenait également les

15 blessés. Il y avait également un infirmier de Srebrenica qui pansait ces

16 blessés. Nous sommes donc restés assis. On a senti des coups de feu qui

17 parvenaient de l'arrière, alors c'était près de Kamenica.

18 Nous sommes redescendus vers le bas. Il y avait de l'herbe, l'herbe était

19 très longue autour de nous. Les gens autour de moi se lançaient par terre,

20 je ne sais pas si c'est parce qu'ils étaient blessés ou si c'est parce

21 qu'ils voulaient se cacher de ces coups de feu, ou essayer de ne pas se

22 faire tuer, mais je me suis couché moi aussi. Finalement, on a entendu des

23 coups de feu qui parvenaient de l'autre côté, c'est-à-dire de cette route

24 d'asphalte. Ils ont commencé à présenter des tee-shirts, des serviettes,

25 et les gens disaient : "Ne tirez pas, nous nous rendons".

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1 C'est là que nous avons été encerclés. Ils nous ont emmenés vers

2 l'asphalte. Je ne sais pas quel était le nom de l'endroit où ils nous

3 emmenaient, je ne connais pas très bien cet endroit.

4 Et, sur ce pré, il y avait plusieurs personnes. Ils emmenaient d'autres

5 personnes. Il y avait deux de leur soldat, lorsque nous avions traversé la

6 rivière. Alors si on avait un sac à dos ou des sacs de nylon, ou quoi que

7 ce soit, ils voulaient savoir si on avait un revolver, ou un couteau, ou

8 quelque chose. Ils nous ont fouillés. J'avais 100 Marks dans ma poche,

9 j'ai sorti les 100 Marks parce qu'ils m'avaient demandé de l'argent. Je

10 lui ai dit que je n'avais plus rien. Nous avons traversé l'asphalte. Nous

11 nous sommes assis de l'autre côté de l'asphalte. Nous sommes arrivés à un

12 pré.

13 Encore une fois, ils ont emmené d'autres personnes. Il y avait une armée.

14 Leur armée était tout autour de nous. On était encerclé. Ils ne nous ont

15 pas battus. Nous étions assis.

16 M. Cayley (interprétation). - Témoin J, pourriez-vous, s'il vous plaît,

17 faire une pause parce que j'aimerais vous poser des questions concernant

18 votre déclaration, simplement pour apporter quelques éclaircissements.

19 Vous avez dit, plus tôt, que le 11 juillet 1995, à 19 heures, vous vous

20 êtes rendu à un endroit qui s'appelait Jaglici. Est-ce que vous vous

21 rappelez de ce que vous avez dit ?

22 Témoin J (interprétation). - Oui.

23 M. Cayley (interprétation). - J'aimerais vous présenter une carte

24 maintenant, nous l'avons examinée ensemble hier soir, c'est simplement

25 pour que les Juges puissent comprendre l'endroit dont on parle.

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1 J'aimerais demander à monsieur l'huissier de montrer au témoin la pièce à

2 conviction de l'accusation 8 A/1.

3 Monsieur l'huissier, pourriez-vous la placer devant le témoin, s'il vous

4 plaît.

5 (L'huissier s'exécute.)

6 Monsieur le Témoin, voyez-vous l'inscription du village Jaglici sur cette

7 carte ?

8 Témoin J (interprétation). - ...

9 M. Cayley (interprétation). - Vous rappelez-vous que nous avons examiné

10 cette carte hier soir, nous en avons parlé. Je vous ai dit hier soir que

11 j'écrirais Jaglici, l'endroit que vous m'aviez indiqué, parce que vous ne

12 pouviez pas lire, c'était écrit en tout petit, et j'ai donc écrit le nom

13 Jaglici, vous voyez ?

14 Témoin J (interprétation). - Oui.

15 M. Cayley (interprétation). - Voyez-vous l'endroit où le mot Jaglici

16 apparaît sur la carte ?

17 Témoin J (interprétation). - ...

18 M. le Président. - Témoin J, selon les indications que M. Cayley vous a

19 données, vous ne devez pas chercher les petites lettres mais les lettres

20 les plus grandes.

21 M. Cayley (interprétation). - Monsieur le Témoin, voyez-vous l'indication

22 de Jaglici sur la carte ?

23 Témoin J (interprétation). - ...

24 M. Cayley (interprétation). - Bon. D'accord, c'est très bien, Monsieur le

25 Témoin, nous n'allons pas nous servir de cette carte, ça va, merci.

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1 Monsieur le Président, madame et monsieur les Juges, je vois qu'en fait

2 c'est très difficile de s'orienter. Mais si vous jetez un coup d'oeil sur

3 la pièce à conviction 1 E, donc la pièce à conviction 8/E/1, vous pourriez

4 suivre si vous regardez la carte, parce que si vous regardez la pièce à

5 conviction 1 E/1, vous allez pouvoir suivre.

6 Monsieur le Témoin, vous rappelez-vous combien d'hommes étaient ramassés à

7 Jaglici ?

8 Non, ce n'est pas nécessaire de la donner au témoin, merci.

9 Témoin J (interprétation). - A Jaglici, il y avait beaucoup de personnes.

10 Je ne pourrais pas vous dire le nombre exact, combien de gens il y avait,

11 mais il y avait vraiment énormément de gens, et c'est de là que nous nous

12 sommes dirigés vers Buljim ?

13 M. Cayley (interprétation). - Est-ce que vous étiez armé, à l'époque ?

14 Témoin J (interprétation). - J'avais mon fusil de chasse, que j'avais reçu

15 en 1968 parce que j'étais membre d'une équipe de chasse à Srebrenica.

16 M. Cayley (interprétation). - Donc c'était un fusil de chasse que vous

17 utilisiez pour chasser des lièvres, des renards ?

18 Témoin J (interprétation). - Oui, c'est exact.

19 M. Cayley (interprétation). - Que s'est-il passé par la suite ?

20 Témoin J (interprétation). - Lorsqu'il a fallu quitter Jaglici, mon beau-

21 frère était là, nous avions la nourriture dans le sac à dos. Moi j'ai

22 dit : "J'ai apporté le fusil, et toi tu peux porter le sac à dos"... c'est

23 à dire moi j'ai pris le sac à dos et lui il a pris le fusil de chasse.

24 C'est à partir de ce moment-là que nous avons perdu toutes traces de lui

25 et du fusil.

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1 M. Cayley (interprétation). - Maintenant, vous avez dit que vous êtes

2 parti de Jaglici en direction de Buljim. Vous avez également dit qu'il

3 s'agissait d'un groupe de gens assez nombreux. Pourriez-vous nous dire où

4 vous étiez situé à l'intérieur de ce groupe de gens qui se dirigeaient

5 vers Buljim ? Est-ce que vous vous rappelez ?

6 Témoin J (interprétation). - Je me trouvais au centre du groupe. Lorsque

7 nous sommes arrivés sur cette route en macadam, tout juste au bas de

8 Buljim nous avions traversé leur ligne, si vous voulez.

9 Nous sommes descendus sur ce chemin de macadam. La première partie de la

10 colonne s'est arrêtée. Quelqu'un devant nous a dit : "Mais vous attendez

11 quoi ?". Et à 70 mètres de moi, quelqu'un avait dit : "On avait perdu la

12 trace de la colonne". La personne qui se trouvait devant, a injurié, il a

13 dit : "Je vais te dire où est donc la trace ou le chemin de la colonne !",

14 il est descendu sur le chemin du macadam, du côté gauche de ce mont il a

15 dit : "Qu'attendez-vous ?", et il a injurié la mama, la grand-mère. On a

16 commencé le pilonnage. Les gens ont commencé à courir dans tous les sens.

17 On entendait des coups de feu de partout. La plupart de ces gens ont pris

18 la direction gauche pour se diriger vers la rivière, et moi je me suis

19 dirigé au bas de la rivière avec un plus petit groupe de mes voisins.

20 Et le lendemain matin, on s'est retrouvé au-dessus de Kamenica. Par la

21 suite, ils nous ont chassés en direction de Lolici, je ne savais pas qu'il

22 s'agissait du village de Lolici jusqu'à ce que la personne qui était là,

23 de l'entrepôt, me le dise. Je lui ai demandé : "Où est-ce qu'on était ?",

24 il m'a dit : "Nous étions à Lolici".

25 Et pendant qu'on était assis, là, à Lolici...

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1 M. Cayley (interprétation). - Monsieur le Témoin, je n'ai plus que

2 quelques questions pour vous, et nous pouvons revenir sur les événements

3 de Lolici.

4 Où sont allés les femmes et les enfants à Srebrenica ? Vous rappelez-

5 vous ?

6 Témoin J (interprétation). - Nous étions tous ensemble jusqu'au champ. Les

7 civils, les personnes âgées, les enfants s'étaient dirigés vers Potocari,

8 vers la base des Nations Unies, vers la Forpronu, et nous nous sommes

9 dirigés vers Jaglici avec l'armée à travers la forêt. Et c'est là que nous

10 nous sommes séparés avec nos familles, nos soeurs, nos femmes.

11 M. Cayley (interprétation). - Maintenant, vous avez dit aux Juges qu'il y

12 a eu deux embuscades. Qui a organisé ces embuscades ? Qui s'est présenté à

13 ces embuscades ?

14 Témoin J (interprétation). - C'était des Serbes, c'était leur armée. Ils

15 ont pilonné, ils ont tiré des coups de feu.

16 M. Cayley (interprétation). - J'aimerais vous ramener maintenant à ce que

17 vous avez dit plus tôt. Vous avez mentionné que, par la suite, vous vous

18 êtes rendu à un endroit qui s'appelle Lolici. J'aimerais que vous

19 expliquiez aux Juges ce qui s'est passé par la suite ? Merci.

20 Témoin J (interprétation). - Lorsqu'on a été emmené à Lolici, j'ai dit

21 qu'il y avait deux soldats. Ils nous ont fouillés, ils ont demandé qu'on

22 leur donne de l'argent, ils nous ont attaché les mains derrière la nuque.

23 Il a fallu qu'on traverse l'asphalte. Nous nous sommes assis de l'autre

24 côté de la route asphaltée. Nous étions sur un pré.

25 Et du côté droit, il y avait un char à droite et un char à gauche. Celui

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1 qui était à gauche ne faisait rien, celui qui était à droite a tourné

2 trois fois le canon vers le groupe de gens qui étaient assis. Il y avait

3 un soldat qui portait un uniforme de civil, il n'avait aucun insigne sur

4 lui. Il a dit : "Non, remonte le canon, ne tire pas, ne fait pas le fou"

5 et il n'a donc pas tiré dans la foule. Par la suite, ils ont amené une

6 citerne qui nous a arrosés. Ensuite, il y avait des enfants âgés de 15 à

7 16 ans qui nous apportaient de l'eau potable. J'étais assis à la tête de

8 ce groupe qui était assis. Il y avait un autre homme assis juste à côté de

9 moi. Il y avait un infirmier, il y avait un professeur. Je les ai entendus

10 parler. Ils ont dit : "Il doit y avoir environ 2000 personnes", je n'ai

11 pas essayé de compter. J'ai plutôt regardé au sol parce que je

12 réfléchissais seulement à mon destin.

13 Un homme a demandé de l'eau devant moi, il se trouvait peut-être dans la

14 troisième rangée. Un garçon lui a apporté une canisse de 5 litres d'eau.

15 Il y avait des gens qui buvaient de deux à trois fois. Et un soldat l'a

16 frappé avec une chaussure à la tête, l'autre l'a frappé de l'autre côté,

17 le sang a commencé à jaillir du nez et de sa bouche. Un autre homme l’a

18 pris par le cou, l’autre par les pieds, ils l’ont emmené cinq à six mètres

19 plus loin. Ils ont commencé à lui tirer dessus. Et c’est là que j’ai vu

20 que c’était fini, que notre sort allait être semblable. L’homme était

21 manifestement mort.

22 Par la suite, ils ont appelé un policier...

23 M. Cayley (interprétation). – Monsieur le Témoin, pourrait-on s’arrêter

24 ici.

25 A ce moment-ci, Monsieur le Président, ce serait peut-être le moment

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1 opportun pour ajourner. Le témoin va maintenant aborder un autre sujet,

2 qui prendra du temps à expliquer.

3 M. le Président. – Monsieur Cayley, nous sommes d’accord.

4 Témoin J, nous allons suspendre l’audience.

5 Vous allez quand même avoir l’opportunité de passer un bon week-end, ici,

6 à La Haye.

7 Nous reprendrons lundi à 9 heures 30.

8 L’audience est levée à 14 heures 31.

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