Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Vendredi 19 décembre 1997

2 Début de l’audience : 15 h 30

3 M. le Juge CASSESE : Puis-je demander au Greffe d’annoncer l’affaire qui

4 nous est présentée ?

5 Le Greffier : C’est l’affaire IT-95-16-PT, le Procureur contre Zoran

6 Kupreškic, Mirjan Kupreškic, Vlatko Kupreškic, Vladimir Šantic,

7 « Vlado », Stipo Alilovic « Brako », Drago Josipovic, Marinko Katava

8 et Dragan Papic.

9 M. le Juge CASSESE : Merci. Les parties peuvent-elles se présenter, s’il

10 vous plaît ?

11 M. HARMON : Bonjour, Monsieur le Président, je m’appelle Mark Harmon, je

12 représente le Bureau du Procureur dans cette affaire.

13 M. NOBILO : Bonjour, Monsieur le Président, je m’appelle Anto Nobilo, je

14 représente, aujourd’hui, M. Marinko Katava.

15 M. le Juge CASSESE : Je vous remercie. Nous avons été saisis d’une requête

16 déposée par le Bureau du Procureur demandant l’autorisation de

17 retirer l’acte d’accusation délivré contre l’accusé Marinko Katava.

18 Nous nous sommes penchés sur cette requête, nous l’avons examinée

19 avec soin et, au nom de mes collègues, je vais demander au

20 Représentant du Procureur de nous expliquer les raisons qui motivent

21 son dépôt de cette requête. Pourquoi demandez-vous à obtenir

22 l’autorisation de retirer l’acte d’accusation délivré contre

23 l’accusé ?

24 M. HARMON : Oui, Monsieur le Président. Tout d’abord, il y a eu mise en

25 accusation au titre de l’article 47 du Règlement et lorsque le

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1 Procureur a présenté les éléments de preuve au Juge de confirmation,

2 le Procureur pensait qu’au vu de l’enquête menée jusqu’à ce moment-

3 là, il y avait des raisons suffisantes pour penser qu’effectivement,

4 M. Katava était coupable de crimes relevant de la compétence de ce

5 Tribunal.

6 Depuis, les choses ont évolué. La première évolution, Monsieur le

7 Président, c’est qu’au cours de l’affaire Blaškic, un témoin de

8 l’accusation, dénommé Dr Muhamed Mujezinovic, a attesté du fait qu’au

9 lieu de se trouver au lieu décrit dans l’acte d’accusation, M. Katava

10 se trouvait à un autre endroit.

11 De surcroît, Monsieur le Président, Madame et Monsieur les Juges, le

12 Procureur attache beaucoup d’importance et de confiance au témoignage

13 du Dr Mujezinovic déposé lors de l’affaire Blaškic.

14 En fait, ce témoin a reçu plusieurs témoins alibis au nom de l’accusé

15 et ceux-ci ont été évoqués au Procureur et l’équipe qui analyse cette

16 affaire est convaincue de la véracité de ces alibis et des témoins

17 qui les présentent. Ceci étant, et au vu de la déposition du

18 Dr Mujezinovic, le Procureur estime qu’il n’est pas possible

19 d’apporter une preuve au-delà de tout doute raisonnable. Le Procureur

20 en est arrivé à cette conclusion et a alors déposé une requête aux

21 fins de retrait de l’acte d’accusation.

22 M. le Juge CASSESE : Je vous remercie. Mes Collègues ont-ils des questions

23 à poser ?

24 Non, bien, je vais demander maintenant au Conseil de la Défense ses

25 commentaires sur la question.

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1 M. NOBILO : Monsieur le Président, nous avons reçu une note du Bureau du

2 Procureur s’agissant du retrait de l’acte d’accusation, le Bureau du

3 Procureur en a été informé par écrit ; nous n’avons pas de

4 commentaires relatifs à la procédure en cette espèce, mais nous

5 prenons acte des faits et nous prenons acte de la notification reçue

6 du Bureau du Procureur.

7 M. le Juge CASSESE : Je vous remercie. Nous allons en venir à une deuxième

8 question que nous souhaitions soumettre au Procureur.

9 A la lecture de l’acte d’accusation, on s’aperçoit que les chefs

10 retenus contre M. Katava étaient des chefs d’accusation

11 particulièrement graves. En outre, vous vous rappellerez sans doute

12 que le 27 novembre 1997, M. Katava a lui aussi déposé, ou s’est joint

13 à la requête aux fins de mise en liberté provisoire qui avait été

14 déposée par d’autres accusés. Au début du mois de décembre, le Bureau

15 du Procureur a déposé une réponse s’opposant à ce qu’il soit fait

16 droit à cette requête aux fins de mise en liberté provisoire. Bien

17 sûr, il répondait également à la requête de Marinko Katava.

18 Nous sommes un peu surpris par ce brusque retournement de situation

19 et par ce changement d’attitude de la part du Bureau du Procureur et

20 nous nous demandons pourquoi il vous a fallu tant de temps pour en

21 arriver à la conclusion à laquelle vous en êtes arrivé, à savoir

22 qu’il fallait que l’acte d’accusation soit retiré. Pouvez-vous nous

23 donner des raisons particulières qui motiveraient ce délai ? Je vous

24 rappelle que l’accusé a été placé en détention pendant deux mois et

25 que vous avez eu tout le temps nécessaire pour regarder l’acte

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1 d’accusation, pour soupeser les éléments de preuve dont vous

2 disposiez. Le 3 décembre dernier, votre conclusion était la

3 suivante : l’acte d’accusation ne devait pas être retiré, et vous

4 vous éleviez contre le fait que Marinko Katava puisse être mis en

5 liberté provisoire.

6 M. HARMON : Je peux apporter un commentaire. Tout d’abord, Marinko Katava

7 était fugitif depuis plusieurs mois avant d’être détenu pendant deux

8 mois, il ne faut pas ignorer et mésestimer ce fait. Je pense que

9 lorsqu’il s’est trouvé sous la garde du Tribunal, le Bureau du

10 Procureur – et avant même qu’il ne soit détenu – il a réexaminé cette

11 affaire à fond, avec beaucoup de diligence et avec beaucoup de bonne

12 foi, le Bureau du Procureur a examiné les témoins alibis et même si

13 je n’ai pas participé au dépôt de l’opposition formulée par le

14 Procureur à la demande de mise en liberté provisoire, vous savez,

15 Monsieur le Président, qu’il faut un certain temps pour examiner des

16 témoignages de témoins par alibi. Il y a de nouvelles enquêtes qui

17 commencent, qui ont trait à une défense ou un élément de défense

18 soumis au Bureau du Procureur et, ce que je peux dire, Monsieur le

19 Président, c’est qu’au moment où nous nous sommes opposés à l’idée de

20 la mise en liberté provisoire, le Bureau du Procureur n’en était pas

21 pour autant arrivé à la conclusion que l’alibi était un moyen de

22 défense valable. C’est après qu’il y a eu objection à la proposition

23 de mise en liberté provisoire et c’est dans le temps ultérieur qui

24 s’est écoulé depuis, période pendant laquelle le Bureau du Procureur

25 a continué à examiner les mérites que pouvaient présenter les témoins

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1 par alibi ; et on a conclu que ce témoin était valable. C’est alors

2 que le Procureur a déposé sa requête visant au retrait de l’acte

3 d’accusation

4 Si la Chambre s’inquiète du fait que le Procureur pensait peut-être

5 que c’était un moyen de défense valable que celui par alibi, alors

6 qu’elle demande plus tard le retrait de l’acte d’accusation, ce n’est

7 pas quelque chose qui devrait inquiéter la Chambre, je suis convaincu

8 qu’à l’époque, ce jour-là, au moment où elle a déposé son opposition

9 à la requête aux fins de mise en liberté provisoire, le Procureur

10 n’était pas encore convaincu de la validité de l’alibi. Cette

11 conviction s’est établie par la suite, après l’opposition qui avait

12 été déposée à la requête de mise en liberté provisoire.

13 M. le Juge CASSESE : Je vous remercie. Est-ce que mes collègues ont des

14 commentaires à formuler ?

15 M. le Juge MAY : Simplement ceci, Monsieur Harmon, quand le Docteur a-t-il

16 témoigné dans le cadre de l’affaire Blaskic ?

17 M. HARMON : Je sais, en tout cas, qu’il a déposé avant le 1er décembre,

18 mais il y a eu un complément d’enquête qui s’est avéré nécessaire, il

19 y a eu aussi la présentation de nouveaux témoins par alibi, ce qui a

20 nécessité des consultations avec les membres juridiques de l’équipe

21 mais aussi l’équipe d’enquête qui s’occupait de cette affaire. Le

22 témoignage du Docteur s’est déroulé avant le 1er décembre.

23 M. le Juge MAY : On vient de me communiquer la date, Monsieur Harmon, on

24 me dit que c’était en août.

25 M. HARMON : C’est bien possible, Monsieur le Juge.

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1 M. le Juge CASSESE : D’autres questions ?

2 Bien, voyons maintenant si nous pouvons en arriver à une décision, si

3 les Juges peuvent se prononcer immédiatement.

4 M. HARMON : Monsieur le Président, permettez-moi d’apporter un autre

5 commentaire portant sur les faits. Vous n’avez peut-être pas une

6 idée complète de la situation. Après la déposition du Dr Mujezinovic,

7 ce que nous avons constaté, c’est que les personnes qui résident dans

8 la Bosnie centrale portent souvent le même nom, il se peut qu’il y

9 ait plus d’un Marinko Katava, nous l’avons constaté dans l’affaire

10 Blaškic, il y a plusieurs Cazim Ahmic, Me Nobilo se souviendra des

11 témoignages qu’il a entendus lorsqu’il s’agissait d’Ahmici et des

12 témoignages y afférent, après la déposition du Dr Mujezinovic, le

13 Bureau du Procureur a dû se rendre en Bosnie centrale, a dû contacter

14 le Dr Mujezinovic, lui montrer une photographie de Marinko Katava, ce

15 qui a permis au Dr Mujezinovic de confirmer qu’effectivement, ce

16 monsieur était bien le Marinko Katava dont il avait parlé dans sa

17 déposition, c’était une mesure supplémentaire que le Bureau du

18 Procureur a prise et pour s’assurer bien que l’alibi qui avait été

19 fourni dans le témoignage du Dr Mujezinovic avait trait à l’individu,

20 à la personne qui était déférée à La Haye.

21 M. le Juge CASSESE : Vous aimeriez intervenir, Maître Nobilo, je crois.

22 M. NOBILO : Non, pas vraiment à ce stade, Monsieur le Président, je pense

23 que mon client voudrait que ceci soit réglé le plus vite possible et

24 soit en mesure de partir.

25 M. le Juge CASSESE : La Chambre est maintenant à même de rendre sa

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1 décision. Nous remarquons que Marinko Katava était accusé par le

2 Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie, le 10 novembre 1995, cet acte

3 d’accusation a été confirmé en ce même jour par le Juge Gabrielle

4 Kirk MacDonald. Nous remarquons que Marinko Katava a été placé en

5 détention dès le jour de sa reddition volontaire, le 6 octobre 1997.

6 Le 27 novembre 1997, il a demandé à être libéré dans le cadre d’une

7 requête déposée par ses coaccusés, requête qui a été déposée le

8 14 novembre 1997.

9 Nous observons d’autre part que le 1er décembre 1997, le Bureau du

10 Procureur a déposé sa réponse à cette requête s’opposant à ce qu’il

11 soit fait droit à la requête déposée par Marinko Katava et ses

12 coaccusés, requête relative à leur mise en liberté. La Chambre de

13 première instance a été tout à fait convaincue par les arguments

14 avancés par l’accusation à cette époque et a émis une décision

15 rejetant la requête. Cette décision a été rendue le 15 décembre 1997.

16 Notons également que le Procureur a déposé une requête, le

17 18 décembre, demandant l’autorisation de pouvoir retirer l’acte

18 d’accusation délivré contre Marinko Katava sur la base du fait que

19 les éléments de preuve ne sont pas suffisants pour permettre au

20 Bureau du Procureur d’engager des poursuites supplémentaires contre

21 l’accusé concernant les charges dont celui-ci est accusé.

22 Nous remarquons, d’autre part, que la lettre communiquée par les

23 conseils de la Défense de Marinko Katava, le 19 décembre 1997,

24 déclare qu’il est tout à fait en accord avec cette requête, et nous

25 venons aujourd’hui d’apprendre que le conseil de la Défense de M.

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1 Katava, Me Nobilo, soutient lui aussi cette requête. Nous avons

2 examiné ces requêtes qui ont été rendues publiques aujourd’hui, au

3 cours de cette audience, et nous avons décidé de prendre la décision

4 immédiatement vu l’urgence de la situation. Par conséquent, la

5 décision est la suivante : nous espérons qu’à l’avenir, le Bureau du

6 Procureur agira rapidement dans de telles situations qui touchent à

7 un problème fondamental, celui de la liberté de l’accusé. Nous

8 pensons qu’il y va de l’intérêt de la justice de donner à Marinko

9 Katava le droit d’être mis en liberté sans plus de délai.

10 Au titre de l’article 51 du Règlement de preuve et de procédure du

11 Tribunal, nous faisons droit à la requête de Marinko Katava, nous

12 donnons l’autorisation à ce que cet acte d’accusation soit rejeté et

13 nous décidons que Marinko Katava doit immédiatement être libéré de

14 l’Unité de détention du Tribunal, sous réserve des mesures pratiques

15 à prendre pour que cette décision puisse prendre effet. Vous savez ce

16 que cela implique. Il faut notamment contacter les autorités

17 néerlandaises. Alors, nous ne savons pas si M. Katava pourra être

18 libéré immédiatement ou s’il devra attendre peut-être demain matin

19 puisqu’il faudra prendre certaines dispositions avec les autorités

20 néerlandaises, nous avons essayé de les contacter et je vous promets

21 de vous faire part de l’évolution de la situation dans les heures à

22 venir. Voici notre décision. Je ne crois pas que nous ayons à nous

23 prononcer sur quoi que ce soit d’autre, la séance est donc levée.

24 - La séance est levée à 15 heures 55. -

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