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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-95-16-T
2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE
3 Vendredi 18 Septembre 1998
4 L'audience est ouverte à 9 heures 35.
5 Mme le Greffier (interprétation). – L'affaire n° IT-95-16-T, le
6 Procureur du Tribunal contre Zoran Kupreskic, Mirijan Kupreskic, Vlatko
7 Kupreskic, Drago Josipovic, Dragan Papic et Vladimir Santic, alias Vlado.
8 M. le Président (interprétation). – Merci. Bonjour, Mesdames et
9 Messieurs.
10 Je propose que nous commencions par entendre les arguments de la
11 défense. Madame Slokovic-Glumac, souhaitez-vous prendre la parole ?
12 Souhaitez-vous ajouter quoi que ce soit à ce que vous avez déjà pu dire
13 sur ce sujet particulier, sujet que nous avions prévu de placer au centre
14 de nos travaux d'aujourd'hui ?
15 Mme Glumac (interprétation). – Monsieur le Président, pour
16 l'essentiel, j'ai déjà fait connaître mon point de vue, à savoir que nous
17 avons besoin d'une décision de votre part et ce pour diverses raisons.
18 Nous aimerions également que l'accusation fasse connaître son point de
19 vue.
20 Après quoi, nous pourrions présenter nos remarques, notamment
21 nos remarques eu égard à ce que le Procureur va dire.
22 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie. Très bien.
23 Maître Terrier, vous avez la parole.
24 M. Terrier. - Bonjour, Monsieur le Président. Bonjour, Madame le
25 Juge. Bonjour, Monsieur le Juge. Je vais m'efforcer de donner dans ce
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1 débat le point de vue du Bureau du Procureur.
2 Je tiens d'abord à dire que le Bureau du Procureur, dans ce
3 débat et dans cette salle, souhaite être absolument constructif. Nous
4 souhaitons donner tout notre appui aux efforts que le Tribunal entreprend
5 pour améliorer le dispositif procédural qui est le nôtre, de manière à ce
6 que ce Tribunal et les Chambres de ce Tribunal puissent remplir au mieux
7 le mandat qu'ils tiennent de la communauté des Etats.
8 Nous souhaitons aussi soutenir les efforts du Tribunal pour
9 définir et approfondir une voie nouvelle ; nous sommes très attachés à
10 cette notion de voie nouvelle. Nous considérons, en effet, que les
11 expériences nationales, les législations nationales sont toutes, bien
12 entendu, des références, mais aucune d'entre elles ne peut être considérée
13 comme un modèle, aucune d'entre elles ne peut s'imposer.
14 A cet égard, je voudrais faire cette remarque : que tous les
15 systèmes de procédure criminelle au monde sont des systèmes d'équilibre et
16 des systèmes d'équilibre fragile, des systèmes d'équilibre entre des
17 intérêts souvent contradictoires : les intérêts de la répression des
18 crimes, les intérêts de la défense, les intérêts de la société, les
19 intérêts de l'individu. Il est toujours très délicat, difficile et
20 quelquefois dangereux de considérer un aspect de ces systèmes de procédure
21 en négligeant l'ensemble.
22 Dans beaucoup de pays d'Europe continentale -et je pense à la
23 France, bien entendu, comme référence, dans l'esprit que j'évoquais il y a
24 un instant, il est effectivement interdit au Procureur de prendre contact
25 avec un témoin. Mais, préalablement au procès public, s'est déroulée toute
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1 une procédure au cours de laquelle les preuves ont été recherchées,
2 rassemblées, accumulées et évaluées ; et cela conformément à des règles
3 extrêmement précises et toujours dans le cadre contradictoire. Si bien
4 que, dans ces pays d'Europe continentale, le procès public est seulement
5 un moment où l'on valide ou invalide les preuves qui ont été préalablement
6 rassemblées.
7 Dans le droit continental auquel je me réfère, dans certains des
8 droits continentaux, bien entendu ce n'est pas la généralité, le témoin
9 qui est cité à l'audience a toujours été –auparavant- entendu selon des
10 règles précises qui sont prévues par la loi, selon des formes bien
11 définies, soit par un juge sous serment, soit par un officier de police
12 judiciaire. Et à l'audience, ce même témoin n'est pas le témoin d'une
13 partie ; il est le témoin du Tribunal ; il est interrogé d'abord par le
14 Tribunal et, ensuite seulement, par les parties au procès.
15 Par conséquent dans nos travaux, dans nos efforts de comparaison
16 ou de confrontation des systèmes de procédure, la plus extrême prudence
17 s'impose. Il reste que, dans ce Tribunal, nous avons tous des expériences
18 évidemment différentes, que ces expériences différentes doivent cohabiter,
19 qu'elles doivent s'enrichir et réciproquement, mais nous avons aussi la
20 nécessité de les confronter.
21 Dans ce débat, je ne cache pas au Tribunal que bien entendu,
22 hier, un débat au sein du Bureau du Procureur s'est noué sur cette
23 question soulevée par votre Tribunal. Nous avons très clairement vu se
24 définir une ligne de partage entre ceux qui, d'une part, considèrent que
25 la préparation d'un témoin est une étrangeté, une bizarrerie -et peut-être
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1 même une bizarrerie inquiétante ou dangereuse dans certaines
2 circonstances-, et ceux pour qui c'est un moyen normal de concourir à la
3 justice. Malgré cette confrontation, un certain nombre de convergences
4 sont apparues que je voudrais dire à votre Tribunal.
5 Avant d'aborder le fond, je ferai deux remarques préalables.
6 La première remarque, c'est que jusqu'à présent, dans ce
7 Tribunal et devant les différentes Chambres de ce Tribunal, aucune
8 restriction générale n'a été imposée dans l'accès par une partie au témoin
9 qu'elle a cité. Aucune restriction n'a été imposée et aucun incident
10 majeur n'en est résulté. Je ne veux pas dire par là qu'aucune modification
11 ne puisse s'imposer. Bien entendu, l'effort d'améliorer la procédure doit
12 être continu, mais cet effort n'est pas suscité par un incident
13 particulier.
14 Il n'a jamais été établi, il n'a jamais même été allégué qu'une
15 partie, et l'accusation par exemple, ait abusé de sa position pour
16 conduire un témoin à faire une déclaration qui ne serait pas conforme à la
17 vérité. Je le dis -et je me permets respectueusement d'insister sur ce
18 point- parce que, dans les circonstances où nous sommes, à cet instant du
19 procès où nous nous trouvons, après les déclarations qui ont été faites
20 par Me Glumac, je souhaite qu'une modification des règles, quand bien même
21 elles seraient parfaitement justifiées dans leur principe, ne soit pas
22 considérée comme une réprobation dirigée contre les représentants de
23 l'accusation dans cette affaire.
24 L'incident qui s'est produit avant-hier avec le capitaine
25 Stevens a suscité, s'il s'agit d'un incident bien entendu, quelques
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1 réactions de la défense.
2 J'ai vu dans ces réactions de la défense un effet d'audience, si
3 je puis dire, la volonté peut-être de discréditer le témoin, certainement
4 un signe d'embarras, de surprise et d'embarras, ;mais le capitaine Stevens
5 a très clairement expliqué dans quelles circonstances il en était venu à
6 faire cette identification contestée par la défense.
7 Je souhaite donc qu'il soit donné acte aux représentants de
8 l'accusation dans cette salle qu'ils n'ont commis aucune faute ou aucun
9 fait qui justifie une quelconque réprobation du Tribunal et que, si une
10 réforme s'impose, elle n'est bien entendu en aucune manière liée à cet
11 incident particulier.
12 Monsieur le Président, vous avez avant-hier eu des propos tout à
13 fait rassurants à cet égard. Je me permets de suggérer que la
14 collégialité, votre collégialité, réitère ces propos dans la décision
15 qu'elle sera sans doute conduite à prendre.
16 Ma deuxième remarque préalable est la suivante. Ce qui est
17 envisagé, ce qui est en discussion aujourd'hui, est une réforme
18 importante, significative en tout cas, d'une évolution des règles de notre
19 procédure, à la fois sur le plan pratique et sur le plan théorique.
20 Vous avez évoqué, Monsieur le Président, l'article 90 (G) du
21 Règlement de procédure. Cette disposition donne en effet à votre Tribunal
22 tout pouvoir pour réguler les modalités de déposition des témoins et les
23 modalités de présentation des éléments de preuve. De plus, comme vous
24 l'avez souligné, il introduit cette notion, dont à mon sens la portée est
25 considérable en effet, que le but du Tribunal est l'établissement de la
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1 vérité.
2 Par conséquent, sur cette base juridique, votre Tribunal est
3 parfaitement en droit de limiter ou d'interdire, soit de manière générale
4 dans le cadre de cette affaire, soit au cas par cas, des contacts entre un
5 témoin et la partie qui l'a cité.
6 Mais ce sur quoi je me permets d'insister, ce que je me permets
7 de plaider à cet instant, c'est qu'il nous semble qu'une évolution aussi
8 importante des règles devraient intéresser tous les procès qui sont en
9 cours devant ce Tribunal et toutes les Chambres de ce Tribunal.
10 Je me permets simplement d'exprimer le souhait que, si votre
11 Tribunal prend une décision en ce sens, les Juges de ce Tribunal, dans
12 leur assemblée générale, puissent en débattre ; et que nous nous
13 orientions, à ce moment-là, vers une modification du Règlement de
14 procédure compte tenu de l'importance de cette question.
15 J'en viens maintenant au fond de la question soulevée par votre
16 Tribunal.
17 Je constate tout d'abord qu'il n'a pas été question, et il ne
18 m'a pas semblé que l'esprit dans lequel votre Tribunal abordait cette
19 question était celui-ci, d'interdire la préparation d'un témoin par la
20 partie qui l'a cité. Votre Tribunal, et je crois que nous tous ici, sommes
21 parfaitement conscients que, dans le cadre procédural où nous sommes,
22 c'est une absolue nécessité. Si nous n'y procédions pas, les témoins qui
23 comparaissent devant votre Tribunal seraient, pour beaucoup d'entre eux,
24 pas pour la totalité bien entendu, mais pour beaucoup d'entre eux, plus de
25 cinq ans après les faits sur lesquels ils témoignent, incapables de
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1 présenter un témoignage cohérent ou simplement utile.
2 Les conséquences, le plus souvent, seraient celles-ci. Première
3 conséquence : votre Tribunal devrait consacrer un temps beaucoup plus long
4 à l'audition de chaque témoin et les délais de jugement s'allongeraient
5 jusqu'à devenir parfaitement insupportables. Deuxième conséquence :
6 l'audition de chaque témoin consisterait probablement à rappeler au témoin
7 les déclarations écrites antérieures qu'il a faites et à recueillir des
8 souvenirs épars, fragmentaires, à tenter de les assembler de manière
9 cohérente.
10 Le profit n'est donc pas contesté dans le cadre de cette
11 procédure et j'insiste sur un aspect qui me paraît très important, c'est
12 que tout tribunal, votre Tribunal comme tout tribunal criminel, est à mon
13 sens menacé de deux dangers. D'abord tout tribunal est menacé de devoir
14 écouter un témoin qui ne dit pas la vérité. Mais aussi tout tribunal est
15 menacé d'un autre danger, aussi grave et sérieux que le premier, qui est
16 celui de ne pas entendre un témoin qui dit la vérité et de ne pas
17 l'entendre parce qu'il dit mal la vérité, qu'il la dit de manière fragile,
18 avec des hésitations, avec faiblesse. Et c'est un fait que devant toutes
19 les juridictions criminelles, de quelque pays qu'elles soient, les
20 souvenirs doivent s'exprimer autant que possible. Même s'ils sont vieux de
21 cinq ou six ans, ils doivent s'exprimer autant que possible de manière
22 claire, précise est cohérente.
23 La préparation du témoin et un moyen d'éviter ou de réduire ces
24 dangers. Elle n'est pas toujours un moyen suffisant, mais en tout cas
25 c'est ce qui, à mon sens, la justifie.
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1 Mais je suis aussi conscient, en particulier peut-être par mon
2 expérience professionnelle, je veux dire mon origine nationale, que la
3 préparation d'un témoin et les contacts d'une partie avec un témoin
4 peuvent conduire à des abus et comportent des dangers. Ils peuvent
5 conduire une partie, même involontairement, à altérer la sincérité d'un
6 témoin. Je parle bien entendu d'une manière générale même si, depuis le
7 début de ce procès, et avec tous les témoins que nous avons cités et qui
8 ont comparu devant ce Tribunal, j'ai constaté que tous ces témoins avaient
9 une claire conscience des obligations nées du serment. Et je tiens à
10 insister sur ce point, que j'ai noté chez tous les témoins, tous ces
11 témoins ont une claire conscience qu'ils déposent sous serment, qu'ils
12 sont tenus à dire la vérité, même si cette vérité est décevante pour la
13 partie qui les cite. J'insiste sur ce point même : même si cette vérité
14 est décevante. Nous rappelons à chaque témoin, bien entendu, les
15 obligations qui sont nées de leur serment. Mais, d'une manière générale,
16 l'abus est possible, l'abus peut être soupçonné.
17 Pour prévenir ces abus, pour prévenir ces soupçons, nous avons
18 un premier moyen qui est les obligations de la déontologie. Nous avons des
19 règles de déontologie. Je suis, pour ma part, magistrat. Dans mon pays,
20 j'ai été Juge, j'ai jugé, j'ai été Procureur, j'ai des obligations de
21 déontologie. Je n'ai jamais souhaité la condamnation d'un accusé si je ne
22 pensais pas qu'il était coupable. Il m'est arrivé, devant les juridictions
23 de mon pays, de requérir l'acquittement d'un accusé : je ne pensais pas
24 être en mesure de démontrer sa culpabilité. J'ai donc des obligations de
25 déontologie.
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1 Mais, et je me réfère à une jurisprudence de la Cour européenne
2 des Droits de l'Homme, la Cour européenne des Droits de l'Homme nous dit
3 que l'impartialité d'une juridiction ne doit pas seulement être réelle ;
4 elle doit en plus être apparente. C'est-à-dire que le soupçon lui-même,
5 même s'il n'est pas fondé, est interdit ; il doit être empêché. Les règles
6 applicables doivent avoir pour objet d'empêcher le soupçon.
7 De la même manière, je pense que la loyauté du Procureur dans ce
8 débat, la loyauté du Procureur à l'égard du Tribunal et à l'égard de la
9 justice ne doit pas seulement être réelle -elle l'est, je le soutiens-,
10 mais elle doit aussi être apparente. Elle ne doit pas pouvoir être
11 soupçonnée.
12 Les règles de fonctionnement de ce Tribunal doivent être
13 définies de manière à ce que les bonnes intentions, les consciences
14 parfaitement nettes, soient bien entendu protégées, mais ces règles
15 doivent aussi empêcher que tout soupçon puisse être levé contre l'action
16 d'une partie, qu'il s'agisse bien entendu de l'accusation ou de la
17 défense. C'est pour cette raison, à mon sens, qu'une évolution peut être,
18 ou même, doit être envisagée sur le point de procédure particulier que
19 votre Tribunal a soulevé.
20 Quelle peut être cette évolution ? Si la préparation du témoin
21 n'est pas en elle-même discutée, si son utilité est reconnue, je pense que
22 cette évolution pourrait être l'une des deux suivantes.
23 Première hypothèse, on peut envisager qu'à l'instant où le
24 témoin prête serment devant le Tribunal, il ne peut plus y avoir de
25 contacts entre ce témoin et la partie qui l'a cité.
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1 Deuxième hypothèse, cette prohibition des contacts entre un
2 témoin et la partie qui l'a cité intervient après le terme de
3 l'interrogatoire principal. Pendant toute la durée de cet interrogatoire
4 principal, ces contacts demeurent possibles entre le témoin et la partie
5 qui l'a cité.
6 Bien entendu, lorsque l'interrogatoire principal est
7 suffisamment long pour s'étendre au-delà des suspensions ou même des
8 interruptions d'audience, en pratique il peut y avoir des conséquences
9 importantes à cette distinction.
10 Notre préférence va à la deuxième solution, c'est-à-dire à
11 l'interdiction des contacts ou la restriction des contacts entre la partie
12 et le témoin à partir du moment où l'interrogatoire principal est achevé.
13 Je pense, tout d'abord, que nous ne sommes pas dans un système
14 et que nous ne pouvons pas nous considérer dans un système où un témoin
15 est le témoin du Tribunal. Le serment est une garantie dans notre
16 procédure ; il ne modifie pas le statut de ce témoin. Même sous serment,
17 ce témoin reste le témoin de la partie qui l'a cité et cela pendant toute
18 la durée de l'interrogatoire principal.
19 Deuxième considération à l'appui de cette position du Bureau du
20 Procureur : toutes les raisons qui justifient la préparation du témoin me
21 paraissent demeurer pleinement valables pendant toute la durée de
22 l'interrogatoire principal. Nous ne voyons, par conséquent, aucun avantage
23 ni aucune raison théorique ou pratique pour justifier la prohibition à
24 compter du serment.
25 En revanche, on peut comprendre en effet qu'après
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1 l'interrogatoire principal la situation du témoin se trouve modifiée,
2 substantiellement modifiée, car sa déposition est soumise à la critique,
3 elle est soumise à l'interrogatoire contradictoire, elle est soumise aussi
4 à l'examen des Juges.
5 Nous sommes donc d'avis que, si votre Tribunal décide de
6 restreindre les contacts entre une partie et son témoin, cette restriction
7 ne doit intervenir qu'aux termes de l'interrogatoire principal et ne doit
8 se maintenir que jusqu'à ce que le témoin soit renvoyé bien entendu par
9 votre Tribunal.
10 Une deuxième question est de savoir si cette prohibition doit
11 être absolue ou si des contacts doivent être permis, et -dans cette
12 deuxième hypothèse bien entendu- avec quelles garanties. Qu'est-ce qui
13 justifie qu'une partie puisse vouloir maintenir ou reprendre des contacts
14 avec son témoin après l'interrogatoire principal ?
15 A mon sens, il y a deux ordres de considérations différents.
16 Tout d'abord, il peut arriver que la partie qui a cité un témoin, après
17 l'interrogatoire principal, ressente le besoin de clarifier certains
18 points de la déposition, et cela dans l'intérêt de la justice, dans
19 l'intérêt de la vérité recherchée par le Tribunal, dans l'intérêt des
20 missions qui sont confiées au Tribunal.
21 La deuxième justification de la poursuite de ces contacts, c'est
22 la nécessité d'assurer à certains témoins, et non pas bien entendu à tous
23 les témoins, un support au moins psychologique qui apparaît quelquefois
24 tout à fait nécessaire.
25 Ce sont deux ordres de considérations tout à fait différents.
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1 S'agissant de la première justification, il me paraît qu'une
2 partie doit pouvoir, dans certains cas, reprendre des contacts avec son
3 témoin après le terme de l'interrogatoire principal. Je pense que les
4 mêmes raisons qui justifient la préparation du témoin -clarifier, rendre
5 cohérent, améliorer l'information du Tribunal, mieux concourir à
6 l'établissement de la vérité-, justifient la poursuite de ces contacts.
7 Mais puisque le témoin n'est plus seulement à cet instant le
8 témoin de la partie, de l'accusation ou de la défense, qu'il est aussi
9 d'une certaine manière le témoin du Tribunal, des garanties doivent être
10 imposées. On peut en imaginer de plusieurs sortes. On pourrait imaginer
11 par exemple que ces contacts soient enregistrés. On pourrait imaginer que
12 le représentant de l'autre partie, accusation ou défense, soit invité à
13 assister à ces échanges. Vous avez évoqué, Monsieur le Président, l'autre
14 jour, la possibilité que le Tribunal soit invité à donner son
15 autorisation, dans certaines circonstances, à ces contacts.
16 Je m'interroge sur ces garanties, et en particulier la question
17 de l'autorisation. Je me demande si l'autorisation n'implique pas des
18 justifications à présenter à l'appui de la demande, n'implique pas des
19 délais, n'implique pas la possibilité ou l'éventualité que la décision,
20 quelle qu'elle soit, soit contestée et, surtout, elle ne me paraît pas
21 devoir écarter de manière certaine l'éventualité que la nature de ces
22 contacts, ce qui se passe dans la salle des témoins, puisse être, malgré
23 l'autorisation accordée, contestée ou mise en doute.
24 Il me semble donc que, si c'est le principe d'une autorisation
25 du Tribunal qui est défini, il puisse se produire des complications ou des
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1 incidents.
2 Je me permets de suggérer une autre modalité, une autre garantie
3 qui serait que le Tribunal, si un contact doit se produire, mandaterait
4 une personne pour y assister. Et cette personne pourrait, si un incident
5 se produit, mais aussi dès lors que le Tribunal l'estime utile, faire
6 rapport sur ce qu'elle a vu ou entendu, dans cette salle des témoins, des
7 échanges entre le témoin et la partie qui l'a cité. Ce qui m'a conduit à
8 cette idée, c'est ce qu'a dit avant-hier Mme le Juge Mumba sur son
9 expérience professionnelle ; c'est-à-dire qu'il me semble qu'en effet
10 l'intervention d'un tiers peut être parfaitement utile et présenter des
11 garanties.
12 La deuxième considération qui justifie la poursuite des contacts
13 entre une partie et un témoin, c'est la question de l'appui que nous
14 devons assurer et garantir à ces témoins.
15 Devant ce Tribunal international qui siège à La Haye et qui est
16 chargé de juger les crimes commis dans les territoires de l'ex-
17 Yougoslavie, beaucoup des témoins qui sont cités se trouvent être dans une
18 situation extrêmement particulière. Je ne parle pas des témoins autres que
19 ceux qui viennent de Bosnie. Tous ces témoins de Bosnie-Herzégovine,
20 pratiquement tous ces témoins, sont aussi des victimes des faits sur
21 lesquels ils témoignent : ils ont tous perdu soit un membre de leur
22 famille ou plusieurs membres de leur famille, soit des biens.
23 Dans certains systèmes de procédure -et c'est là seulement une
24 référence-, les victimes ont des droits très étendus, équivalents à ceux
25 de l'accusé. Ici, ce n'est pas possible, ce n'est pas le choix qui a été
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1 fait. Mais, du moins, le Statut et les Règles de procédure donnent à ces
2 témoins un certain nombre de droits, de garanties et certainement -au
3 moins- l'assurance d'un secours et d'un appui. Je me réfère, bien entendu,
4 aux articles 22 du Statut et 75 du Règlement de procédure.
5 De plus, devant ce Tribunal -je sais bien que les Juges que vous
6 êtes en sont parfaitement conscients-, les témoins de Bosnie-Herzégovine
7 sont dans une situation psychologique extrêmement difficile. Comme je l'ai
8 dit, ils ont tous été victimes des faits sur lesquels ils témoignent. Mais
9 s'ajoute à cette difficulté, au drame qu'ils ont vécu, le fait de se
10 trouver à 1500 kilomètres de leur domicile, le fait d'être séparés de leur
11 famille, l'obstacle de la langue, la méconnaissance souvent de
12 l'institution à laquelle ils ont collaborés et, bien entendu, la
13 perspective d'un retour, de devoir peut-être rendre compte de ce qui s'est
14 passé, dans des conditions difficiles, et la situation précaire qui est
15 toujours la situation de la plupart d'entre eux. Ils ont donc bien besoin
16 d'un soutien moral, affectif prolongé lors de leur présence ici, dans
17 l'enceinte de ce Tribunal et, plus généralement, à La Haye.
18 Et je prie le Tribunal de croire que, lorsque nous avons ces
19 contacts, nous assurons aussi cet appui. Mais -et le Tribunal me fera
20 immédiatement cette objection que j'accepte bien volontiers- nous ne
21 sommes pas les seuls à pouvoir assurer cet appui. L'Unité des témoins,
22 dont le rôle est essentiel dans le cadre de ce Tribunal, est aussi à même
23 d'y pourvoir. En l'état, cependant, si la présence des membres de l'Unité
24 des témoins est effective auprès des témoins, elle n'est pas permanente ;
25 en tout cas, elle n'est pas permanente et systématique dans l'enceinte de
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1 ce Tribunal.
2 Ce dont un témoin a besoin au premier chef, pendant une
3 interruption d'audience ou une suspension d'audience, après
4 l'interrogatoire principal, c'est d'un écho de ce qui s'est passé dans le
5 cadre de cette salle. Ils veulent soit une critique, soit un
6 encouragement ; mais toujours un appui.
7 Pour l'assurer, pour donner cette critique, cet encouragement ou
8 cet appui, il faut avoir été présent au cours de l'audience, il faut avoir
9 assisté à la déposition. Et les membres de l'Unité des témoins, qui sont
10 quelquefois présents aux audiences, ne le sont pas de manière
11 systématique.
12 Je souhaite donc que, si le Tribunal s'oriente vers des
13 restrictions ou une prohibition des contacts entre une partie et un
14 témoin, il se reconnaisse le droit -et même le devoir- de quelquefois
15 inviter l'Unité des témoins a être présente tout au long de la déposition
16 de ce témoin, pour ensuite pouvoir lui assurer cet appui psychologique
17 absolument nécessaire.
18 Enfin, je voudrais, pour terminer, m'interroger sur le respect
19 des règles nouvelles que votre Tribunal envisage d'édicter. A cet égard,
20 je parle en termes généraux, je ne parle pas des six accusés présents dans
21 cette salle, je ne parle pas de cette affaire particulière où nous nous
22 trouvons engagés. Mais, dans tous les procès du monde, dans tous les pays
23 du monde, l'accusation et la défense se trouvent dans une position
24 différente à l'égard de la règle de droit, non pas dans une position
25 différente juridiquement, mais pratiquement dans toutes les circonstances.
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1 La première et la principale raison de ces situations, que l'on
2 ne considère pas souvent, c'est que l'enjeu du procès pour l'accusation et
3 pour l'accusé n'est évidemment pas le même. Nous n'avons aucun intérêt
4 personnel dans ce procès, nous ne souhaitons pas la condamnation des
5 accusés si la preuve de leur culpabilité n'est pas établie. Si le Tribunal
6 ne suit pas notre demande, nous n'en concevrons aucun dépit ou aucun
7 regret ; nous soutiendrons l'accusation dans un autre dossier. En
8 revanche, pour l'accusé, la situation est tout à fait différente : ce qui
9 se joue ici pour lui, c'est évidemment son sort, sa réputation et sa
10 liberté.
11 Il arrive donc -et, encore une fois, je n'évoque aucun des
12 accusés ici présents ni aucune des circonstances de ce procès-, que les
13 accusés n'adoptent pas la même position que l'accusation à l'égard de la
14 règle commune. Par conséquent, peut se poser, dans certaines
15 circonstances, la question de l'application de la règle de droit.
16 D'un point de vue juridique, la réponse à cette question réside,
17 dans le contexte où nous sommes, dans l'article 77 du Règlement de
18 procédure qui prévoit que toute personne qui intervient auprès d'un témoin
19 ou qui l'intimide alors qu'il dépose, qu'il a déposé ou qu'il est sur le
20 point de déposer, se rend coupable d'outrage au Tribunal. C'est évidemment
21 la réponse en droit. En pratique, la réponse peut être plus difficile et
22 votre Tribunal est bien conscient de ce que, pour l'application de cet
23 article 77, certaines difficultés peuvent surgir, et en particulier des
24 questions de preuve.
25 Je n'ai donc pas de solution à apporter à cette question à
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1 soumettre au Tribunal. Simplement c'est une préoccupation réelle que je
2 souhaitais évoquer brièvement, en terminant cet exposé du point de vue du
3 Bureau du Procureur, sur la réforme de nos règles de procédure qu'envisage
4 votre Tribunal.
5 Je vous remercie.
6 M. le Président. - Merci beaucoup.
7 (Les Juges se consultent sur le siège).
8 Merci beaucoup, Monsieur l'Avocat général, pour votre exposé
9 très approfondi et très clair. Vous avez ramené ce débat à un très haut
10 niveau et je vous en suis très reconnaissant.
11 Je crois qu'on va vous poser des questions. Avant de passer la
12 parole à la défense, on aimerait bien vous demander d'éclaircir certains
13 points. Tout d'abord, Madame le Juge Mumba.
14 Mme Mumba (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.
15 Dans une autre affaire, le Procureur contre Anto Furunzija
16 devant ce Tribunal, la même question s'est posée.
17 Dans cette situation très précise, les deux conseils de la
18 défense, qui sont issus du système juridique américain, ont fait valoir
19 devant la Chambre de première instance le fait qu'ils n'étaient pas
20 heureux de savoir que l'accusation entrait en contact avec ces témoins
21 après le début du procès. Ils ont demandé qu'une ordonnance soit délivrée,
22 ordonnance dite de séquestration. La Chambre de première instance a
23 effectivement délivré cette ordonnance qui interdisait tout contact entre
24 les avocats et les témoins à l'affaire pendant toute la durée du procès.
25 Et j'ai bien cela à l'esprit, Maître. La Chambre de première
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1 instance a déjà eu à se pencher sur ce type de questions auparavant.
2 M. May (interprétation). - Je ne crois pas que la question se
3 pose dès lors que l'on parle du moment où le témoin n'a pas encore
4 commencé à déposer. C'est au moment où cette déposition commence que la
5 question se pose.
6 J'ai très bien compris, Maître, les arguments que vous avez mis
7 en avant, et j'ai très bien compris notamment quelles sont les
8 particularités très spéciales de ce Tribunal et de ces procès. Les témoins
9 viennent de fort loin, ils ont souffert de la façon que nous savons.
10 Mais toutefois je me demande s'il est normal, pour un conseil de
11 la défense ou pour un avocat de l'accusation, d'apporter le soutien, dont
12 vous avez parlé, au témoin pendant sa déposition. Je me demande s'il est
13 bien normal que l'avocat qui pose les questions au témoin fasse des
14 commentaires auprès de ce témoin sur le déroulement de sa déposition.
15 Je suis d'avis que les seules circonstances qui pourraient
16 justifier ce type d'intervention auprès du témoin seraient qu'il y ait un
17 incident tout particulier qui se produise. Je pense, par exemple, à une
18 situation semblable à celle qui s'est produite l'autre jour, au cas du
19 Capitaine Stevens, appelons-le ainsi. Très manifestement, le témoin avait
20 besoin de faire part d'un certain nombre d'informations à l'avocat qui
21 l'interrogeait. Il était conscient du fait que l'avocat devait être au
22 courant de ce qu'il souhaitait lui dire. C'est dans ce cas assez
23 particulier, il me semble, que se pose réellement la question de
24 l'autorisation de la Chambre quant à des contacts entre la partie qui cite
25 le témoin à comparaître et le témoin.
Page 2317
1 Mais comment mettre en place les mécanismes qui permettraient ce
2 type de communication ? C'est là pour moi toute la question. Comment ce
3 type d'information peut être transmis au témoin et inversement. D'autre
4 part, comment peut-on aider le témoin, lui apporter un soutien, une fois
5 que la déposition a commencé, que l'interrogatoire a commencé ?
6 C'est en ce sens que j'aimerais obtenir quelques clarifications.
7 Je parle en mon nom propre, bien sûr.
8 M. le Président. - Peut-être serait-il utile tout d'abord
9 d'entendre les commentaires, les observations. Je vous donne la parole. Je
10 peux ajouter quelques remarques à ce que mes collègues viennent de dire.
11 Tout d'abord, ce sont des questions.
12 Vous avez dit, et c'est votre deuxième remarque, à titre général
13 ou introductif, que, bien sûr si on change un peu les règles pour ainsi
14 dire, pour ce qui est de ce procès, il faudrait quand même amender notre
15 Règlement de procédure et de preuve. Donc vous souhaitez que tous les
16 Juges en séance plénière puissent procéder à un amendement de notre
17 Règlement.
18 Oui, c'est vrai. Mais, et c'est ma première question,
19 considérez-vous que cet amendement est nécessaire ou bien que, dans le
20 cadre du Règlement actuel, nous avons le pouvoir quand même de demander
21 aux deux parties de n'avoir pas de rapports avec les témoins pendant
22 l'audition des témoins ?
23 Deuxième question. Vous avez dit, à propos de la deuxième
24 solution que vous avez avancée, que soit interdit au témoin d'avoir des
25 contacts avec la partie qui l'a cité seulement après la fin de
Page 2318
1 l'interrogatoire principal. Pour justifier votre proposition, si j'ai bien
2 compris -c'est la solution que vous considérez comme la moins mauvaise
3 pour ainsi dire, du point de vue de l'accusation-, vous dites : parce que
4 finalement, après le serment, la déclaration solennelle prévue à
5 l'article 90 (B), le témoin reste le témoin de la partie, je cite : "de la
6 partie qui l'a cité". Je me demande : est-il vrai ? Oui, c'est vrai bien
7 sûr qu'il reste toujours le témoin de la partie qui l'a cité, mais le
8 serment signifie qu'il y a un cap, un tournant.
9 Après le serment, le témoin doit dire la vérité. En effet, on a
10 des règles spécifiques pour le cas où il ne dirait pas la vérité. Donc, je
11 me demande si votre suggestion et votre considération sont tout à fait
12 appropriées et, en tout cas, j'aimerais bien avoir vos réflexions sur ce
13 point, c'est-à-dire approfondir un peu la justification que vous avez
14 donnée.
15 Troisième et dernier point à propos de la possibilité que la
16 prohibition ne soit pas absolue. Oui, en effet, le Juge May déjà avait
17 hier évoqué la possibilité d'une autorisation de la part de la Chambre à
18 la partie qui a cité le témoin d'avoir des contacts avec les témoins.
19 Vous, vous avez dit : "Mais tout d'abord cela pourrait comporter des
20 délais. Il faudrait donner les raisons lorsqu'on demande l'autorisation."
21 Et pourquoi pas ? Je me demande pourquoi pas, si on donne des raisons un
22 peu générales, mais de manière à permettre à la Chambre de comprendre
23 quelles sont les raisons spécifiques qui pourraient justifier à titre
24 exceptionnel ce contact. Pour ce qui est des délais, je suis sûr que la
25 Chambre peut décider le jour même ou même sur-le-champ.
Page 2319
1 Alors je voudrais vous demander une solution à l'issue de
2 laquelle, par exemple, la Chambre pourrait autoriser les contacts suite à
3 une demande motivée de la partie qui a cité le témoin et accueillant en
4 même temps votre solution, c'est-à-dire que le Tribunal pourrait mandater
5 quelqu'un pour assister à l'entretien. Je trouve cette suggestion
6 excellente, personnellement. Je pense bien sûr qu'un membre de l'Unité des
7 témoins, qui est tout à fait neutre, pourrait assister à l'entretien pour
8 garantir qu'il porte sur les sujets auxquels la demande d'autorisation a
9 fait référence.
10 Si on pouvait combiner les différents éléments -c'est-à-dire la
11 demande d'autorisation motivée avec l'énoncé des raisons qui pourraient
12 justifier cette autorisation, l'autorisation de la part de la Chambre,
13 mais avec cette garantie de la présence d'une personne indépendante et
14 neutre- quelle serait votre suggestion si on pouvait combiner tout cela ?
15 Ce serait basé sur la plupart des éléments que vous avez évoqués parce que
16 je crois que, finalement, il serait très utile, dans l'intérêt de la
17 justice, de procéder de la manière dont on a parlé et qui a été celle
18 évoquée par la défense.
19 Voilà trois questions. Maintenant, Maître Terrier, vous pourriez
20 peut-être répondre à mes collègues et à moi-même. Merci.
21 M. Terrier. - Monsieur le Président, tout d'abord sur la
22 question que vous avez posée de la perspective, enfin le souhait que j'ai
23 exprimé de la perspective d'une modification du Règlement de procédure,
24 j'ai dit que cette modification des règles de procédure me paraissait
25 souhaitable, qu'elle ne me paraissait pas juridiquement nécessaire.
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1 Je le concède bien volontiers, il me paraît indiscutable que
2 votre Tribunal a parfaitement le droit, comme Mme le Juge Mumba vient de
3 le rappeler, et cela a déjà été fait, d'imposer cette modification des
4 règles de procédure, soit de manière générale, soit au cas par cas ou pour
5 un procès particulier.
6 Donc, la question n'est pas celle du fondement juridique de
7 cette décision qui est indiscutable. La question me paraît être davantage
8 celle de la cohérence de l'ensemble des pratiques qui ont cours devant ce
9 Tribunal, devant les Chambres de ce Tribunal. Il me paraît souhaitable que
10 ces pratiques soient les plus proches possible les unes des autres pour
11 une question de certitude de la règle de droit. C'est un principe auquel
12 je suis attaché et je pense que tout le monde peut le comprendre. Mais,
13 bien entendu je ne conteste absolument pas à la Chambre la capacité et la
14 légitimité d'imposer la règle qu'elle envisage d'imposer.
15 Deuxième observation. A quel moment -question que M. le Juge May
16 a posée et que vous avez posée Monsieur le Président-, cette prohibition
17 des contacts ou du moins cette restriction des contacts doit intervenir ?
18 S'agit-il du serment ? S'agit-il du terme de l'interrogatoire principal ?
19 C'est l'alternative qui me paraît être posée, puisque nous avons, par
20 exemple, à la fois, les expériences de la Grande-Bretagne et du Canada qui
21 vont dans le même sens mais qui sont un peu différentes s'agissant du
22 début de cette prohibition des contacts.
23 Le droit n'est pas, bien entendu, une science exacte et je ne
24 peux pas démontrer, comme par une expérience de chimie, que j'ai raison ou
25 que quelqu'un d'autre a tort. Mais il me semble tout de même que le
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1 serment qui est prêté est une garantie de procédure, une garantie pour que
2 la vérité puisse se faire jour devant le Tribunal. Il ne s'agit pas d'un
3 procédé avec lequel le statut d'une personne se trouverait modifié.
4 C'est presque un acte de foi que je formule devant votre
5 Tribunal et je conçois très bien qu'on puisse avoir un point de vue tout à
6 fait différent. Par conséquent, je vais faire valoir davantage l'aspect
7 pratique de la question.
8 Il me semble que, pendant toute la durée de l'interrogatoire
9 principal, qui peut d'ailleurs être relativement courte, pendant toute la
10 durée de cet interrogatoire principal, les motifs qui ont justifié la
11 préparation de ce témoin demeurent pleinement valables. Ce témoin, pendant
12 la durée de l'interrogatoire principal, vient répondre aux questions que
13 la partie qui l'a cité estime nécessaire de lui poser. Ce témoin n'est pas
14 interrogé de manière contradictoire. Il n'est pas interrogé par le
15 Tribunal. Sauf quelques cas particuliers, il n'est pas interrogé par le
16 Tribunal. Il reste donc, à mon sens, très clairement, jusqu'au terme de
17 l'interrogatoire principal, le témoin de la partie qui l'a cité.
18 Encore une fois, on peut avoir un point de vue différent. Des
19 traditions juridiques très anciennes, très solides et très bien établies
20 vont dans un sens différent. Je me permets simplement d'exprimer un point
21 de vue.
22 Troisième observation. Nous n'estimons pas, je n'estime pas,
23 qu'il soit de ma fonction ici, dans ce Tribunal, d'apporter un soutien
24 psychologique à tous les témoins. Ce n'est pas ma formation, ce n'est pas
25 mon métier. Il se trouve que je le fais, que je m'efforce de le faire
Page 2322
1 lorsqu'il me paraît nécessaire d'apporter ce soutien psychologique. C'est
2 pour cette raison que j'ai dit que, si cet effort, ce soutien, cet appui
3 peut être accordé au témoin d'autre manière, je n'y vois aucune sorte
4 d'inconvénient dès lors que cet appui et ce soutien sont parfaitement
5 réels et utiles.
6 Quatrième point. S'agissant des modalités selon lesquelles ces
7 contacts pourraient être repris ou maintenus entre un témoin et une
8 partie, vous avez évoqué deux garanties de nature différente, deux ordres
9 de garantie : l'autorisation du Tribunal et la présence d'un tiers.
10 Dans mon esprit, la présence d'un tiers est la première des
11 garanties, car ce qui peut parfois poser problème ce n'est pas le fait
12 qu'il y ait un contact, mais c'est ce qui se passe pendant ce contact.
13 Donc c'est là que nous avons besoin d'un témoin extérieur, d'un tiers qui
14 peut ensuite rapporter au Tribunal, publiquement, à la demande de ce
15 Tribunal, ce qui s'est passé, ce qu'il a entendu, ce qu'il a vu. La
16 première des garanties, c'est cet œil tiers.
17 Pour moi, la différence avec le système évoqué par vous-même,
18 Monsieur le Président, tient à ce que ces contacts, dans ces
19 circonstances, dans ces conditions, avec ces garanties, ne doivent pas
20 être considérés nécessairement comme exceptionnels ; mais toujours avec
21 l'autorisation du Tribunal, bien entendu, puisque c'est au Tribunal que la
22 partie devra s'adresser pour obtenir la désignation de ce tiers. E, dans
23 ces circonstances, sur le fondement de l'article 90, le Tribunal peut
24 parfaitement dire : "Non, pas question. Je ne désigne pas le tiers : il
25 n'y a pas lieu à contact".
Page 2323
1 Donc l'autorisation me paraît aller de soi dès lors que doit
2 intervenir un tiers mandaté par le Tribunal. La question, à mon sens,
3 c'est le caractère exceptionnel ou non exceptionnel. Je crois que la
4 pratique nous permettra de le définir. Ce qui s'est passé à l'audience
5 peut-être aussi le commandera.
6 Il est clair que, dans certaines dépositions principales,
7 certains aspects, certaines déclarations du témoin posent problème. La
8 transcription est quelquefois difficile à établir, difficile à comprendre
9 et une clarification s'impose naturellement. Dans cette circonstance, si
10 une clarification s'impose, je ne vois pas de raison pour le Tribunal de
11 s'opposer à ce que la partie puisse solliciter son témoin, avec la
12 garantie d'une présence de tiers bien entendu, et présenter ensuite cette
13 clarification au Tribunal.
14 Par conséquent, pour moi, que le Tribunal autorise ou, en tout
15 cas, puisse interdire ce contact, me paraît ne poser aucun problème. Je
16 pense que c'est tout à fait naturel et c'est la logique du système que je
17 proposais, tenant à la présence d'un tiers mandaté par le Tribunal. Ce
18 n'est pas le Procureur ou la partie qui irait chercher un tiers ou irait
19 solliciter directement l'unité des témoins. Il me semble que ce doit être
20 le Tribunal qui, avisé de l'intention d'une partie de contacter son
21 témoin, va désigner et mandater personnellement un tiers. Ce tiers serait
22 le représentant du Tribunal, et à ce moment-là, le Tribunal pourrait
23 s'opposer à ces contacts.
24 Voilà les quelques observations que je souhaitais formuler sur
25 le fondement de votre question. J'ai peut-être été incomplet mais
Page 2324
1 M. Moskowitz à mes côtés souhaite ajouter quelques mots, je lui cède donc
2 la parole.
3 M. Moskowitz (interprétation). - Monsieur le Président, avec
4 votre permission merci, et merci Maître Terrier.
5 Très brièvement, j'aimerais répondre à la question soulevée par
6 le Juge May relative au mécanisme à mettre en œuvre et qui permettrait
7 qu'il n'y ait pas perte d'informations et perte de transmission de ces
8 informations entre le témoin et la partie dès lors que le témoin souhaite
9 transmettre une information à la partie qui le cite.
10 L'incident du Capitaine Stevens est très révélateur du fait
11 qu'il peut y avoir parfois un risque réel de perte d'une information d'une
12 importance considérable. Il me semble que s'il n'y a pas de contact
13 physique entre la partie et le témoin, il y a un risque réel que cette
14 information ne soit pas transmise à l'accusation dans ce cas particulier
15 tout simplement parce que l'accusation ne se trouve pas là et le témoin ne
16 transmettra pas l'information parce qu'il n'y a pas présence physique d'un
17 membre de l'accusation.
18 Lors de nos rencontres avec nos témoins, nous leur faisons part
19 de nos préoccupations, nous leur disons ce qu'ils pourraient faire qui
20 pourrait nous aider dans notre procédure. Nous avons discuté de ce
21 problème avec la Section d'aide aux victimes et aux témoins hier pour leur
22 faire part de nos préoccupations justement et pour essayer de voir ce
23 qu'ils pourraient faire pour nous aider dans ce processus. Ils ont été
24 tout à fait francs avec nous. Ils ont dit quelles étaient leurs missions,
25 quelles étaient leurs obligations dans le cadre de l'aide qu'ils pouvaient
Page 2325
1 apporter au témoin, mais ils ne sont pas à même de fournir ou de
2 transmettre les informations qui sont données par les témoins, de les
3 transmettre à l'accusation.
4 Par conséquent, s'il n'y a pas de règle qui permet un contact
5 entre le témoin, par exemple le Capitaine Stevens, et l'accusation, dans
6 ce cas particulier, il se pourrait bien, et dans ce cas précis il aurait
7 fort bien pu arriver que nous ne recevions pas l'information qui nous
8 était destinée, qui avait surgi dans le cadre de l'interrogatoire
9 principal.
10 Puis j'aimerais aussi souligner ce que Me Terrier a dit quant à
11 la possibilité de voir surgir des malentendus, des petits problèmes de
12 compréhension. C'est un problème qui est peut-être très spécifique à ce
13 Tribunal par opposition à ce qui peut se faire dans les juridictions
14 nationales et dans les systèmes nationaux auxquels nous sommes habitués
15 les uns et les autres. Je pense notamment à un incident qui s'est produit
16 précédemment, pas un incident d'une grande importance mais c'est un témoin
17 qui, je crois dans le cadre du contre-interrogatoire, a décrit une moto
18 qui portait un petit drapeau. Eh bien moi, la description qui a été faite
19 m'a paru assez bizarre et ce n'est que par la suite, lors d'une pause au
20 cours de laquelle j'ai pu demander au témoin ce qu'il avait dit, que j'ai
21 pu comprendre ce dont il parlait, qu'en fait le petit drapeau n'avait rien
22 à voir avec la moto proprement dite.
23 Alors je crois qu'il peut vraiment y avoir un risque de
24 malentendu, de mauvaise compréhension de ce qui est dit. Il faut
25 absolument qu'il y ait contact avec le témoin dès lors que l'on veut
Page 2326
1 s'assurer que le Tribunal bénéficie d'informations claires et précises.
2 Voilà ma préoccupation quant à la question soulevée par le Juge May. Il y
3 a ce risque de perte d'informations dans le processus de transmission.
4 Comment faire pour que ce risque disparaisse, pour qu'il soit
5 limité dans la mesure du possible ? Comment en même temps s'assurer qu'il
6 n'y a rien de difficilement acceptable qui se produise, qu'il n'y a pas
7 d'intervention de nature impropre auprès du témoin ? Est-ce qu’il faudrait
8 effectivement qu'une personne représentant la Section d'aide aux victimes
9 et aux témoins soit présente ? Est-ce qu'elle pourrait ainsi garantir que
10 tout ce qui est dit est parfaitement correct et respecte le cadre de la
11 procédure ? Il faut absolument toutefois que l'information nous soit
12 transmise dans les meilleurs conditions et il faut également que cette
13 information soit transmise au Tribunal.
14 M. le Président (interprétation). – Maître Moskowitz, vous venez
15 de parler de cet incident du petit drapeau et de la moto. Nous avons tous
16 été frappés à ce moment-là par ce qu'a dit le témoin, mais vous auriez pu
17 poser la question qui vous préoccupait au témoin dans le prétoire.
18 Pourquoi avoir ressenti le besoin de s'entretenir avec lui en privé au
19 lieu d'attendre de le voir en privé ? Vous auriez pu dire : mais
20 qu'entendez-vous par cet incident du drapeau ? Je ne sais pas s'il y a
21 d'autres exemples qui vaudraient la peine d'être cités, mais très
22 humblement, dans le cas de cet exemple précis, l'exemple n'est pas
23 pertinent.
24 M. Moskowitz (interprétation). - Je crois qu'il existe des
25 différences culturelles entre les systèmes judiciaires appliqués dans
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1 l'endroit d'où je suis originaire et les systèmes judiciaires continentaux
2 et ce qui m'intéresse d'ailleurs, c'est la comparaison entre ces systèmes.
3 Pour l'instant, dans mon système, j'ai eu l'habitude de ne pas poser de
4 questions au témoin lorsque je connais la réponse. C'est comme cela que
5 j'ai été formé, c'est ce que nous faisons beaucoup dans mon pays et donc,
6 vous voyez, voilà, c'est l'effet de ma culture.
7 M. le Président (interprétation). – Merci. Merci.
8 Mme Mumba (interprétation). - J'aimerais que le Procureur me
9 dise une chose si c'est possible. Lorsque ces affaires sont préparées,
10 c'est-à-dire lorsque les contacts sont pris avec les témoins, lorsque les
11 déclarations préalables sont recueillies, n'y a-t-il pas un responsable,
12 un représentant qui a pris contact avec les témoins, qui a parfois
13 recueilli les déclarations et qui met en ordre les éléments de preuve qui
14 seront présentés au procès ? N'existe-t-il pas un représentant de ce
15 genre ? Je pense que normalement un tel représentant s'appellerait
16 "représentant d'instruction" et que c'est lui qui pourrait aider le
17 représentant de l'accusation au cours du procès. Je me demandais
18 simplement... Je voulais simplement vous demander si une telle personne,
19 un tel poste existe dans la préparation de vos procès.
20 M. Moskowitz (interprétation). - Oui, bien sûr, Madame le Juge,
21 il existe des enquêteurs qui deviennent des enquêteurs sur l'affaire, sur
22 une affaire déterminée et qui parfois travaillent à cette affaire pendant
23 plusieurs années. Mais il arrive qu'ils soient au Tribunal pendant quelque
24 temps et ensuite quittent le Tribunal, lorsqu'un enquêteur en chef, qui
25 connaît bien l'affaire depuis le début de l'enquête, est devenu de ce fait
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1 un enquêteur en chef. Il est difficile -en tout cas dans le procès qui
2 nous intéresse- de dire que nous disposons d'un enquêteur en chef de ce
3 genre parce que notre premier enquêteur en chef est arrivé à La Haye il y
4 a quelques mois à peine. En fait, il a passé le plus clair de son temps en
5 Bosnie, comme nous l'avons dit précédemment, pour effectuer certaines
6 mesures et certaines recherches.
7 En tout cas, nous pensons qu'il est absolument nécessaire qu'il
8 y ait par la suite, et depuis le début du procès, certains contacts entre
9 le témoin et les représentants de l'accusation. Comme M. Terrier l'a dit,
10 cela fait appel bien entendu aux expériences que nous avons dans nos
11 systèmes nationaux également.
12 (Les Juges se consultent sur le siège.)
13 M. le Président (interprétation). - Très bien. Je me tourne
14 maintenant vers les conseils de la défense. Qui souhaite prendre la
15 parole ? Maître Pavkovic ?
16 M. Pavkovic (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président.
17 Eh bien, je dois souligner avant tout que lorsque Me Slokovic a soulevé
18 cette question, je ne pense pas qu'elle ait eu à l'esprit à ce moment-là,
19 à cet instant précis, toute l'étendue du problème qu'elle a soulevé et je
20 me permets aujourd'hui d'ailleurs d'interpréter son point de vue. Mais je
21 me rappelle bien le jour où la question a été évoquée dans ce prétoire et
22 je me rappelle que les conseils de la défense ont échangé leurs points de
23 vue sur le sujet.
24 L'importance du problème que Me Slokovic souhaitait mettre en
25 exergue était avant tout de nature pragmatique. Mais, aujourd'hui, on nous
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1 expose des points de vue qui vont bien au-delà de ce que nous avions à
2 l'esprit ce jour-là. Je ne suis pas en train de dire que c'est dommageable
3 d'ailleurs. Cependant, il me paraît que le Procureur, à très juste titre,
4 et nous le félicitons tous pour cela, a soulevé un très grand nombre
5 d'éléments qui imposent, je pense, une réflexion doctrinale sur ces
6 éléments.
7 Il me semble que, si nous acceptons cet exposé, la défense à
8 l'instant actuel, compte tenu du nombre très important d'éléments qu'elle
9 a à traiter, n'aura pas la possibilité de débattre au même niveau que le
10 Procureur parce que le Procureur a tout de même disposé de quelques jours
11 pour ce faire.
12 Donc, Monsieur le Président, je proposerais, bien entendu si
13 vous-même estimez qu'une discussion plus approfondie est nécessaire et
14 qu'il s'impose d'exposer un nombre d'arguments plus important que les
15 arguments déjà présentés par Me Slokovic lorsqu'elle a pris la parole, je
16 vous proposerais dans ces conditions, Monsieur le Président, de permettre
17 à la défense de faire connaître son point de vue lors d'une audience
18 ultérieure, au moins lundi, car il me semble que les éléments qui viennent
19 d'être exposés permettent à la défense d'exposer son point de vue soit de
20 façon individuelle - c'est-à-dire que chacun des conseils de la défense
21 prendrait la parole pour s'exprimer tour à tour-, soit, et je pense que ce
22 serait plus utile, de façon collective, car je peux vous assurer que nous
23 allons nous efforcer de conclure à un point de vue collectif qui se
24 situerait au même niveau que celui qui vient d'être présenté par le
25 Procureur, mais nous resterons dans notre ligne de pensée qui était une
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1 ligne de pensée pragmatique.
2 Nous ne pensons pas qu'il faille modifier le Règlement de
3 procédure et de preuve car ce Règlement existe dans l'intérêt du témoin
4 notamment. Il est également destiné à assurer sa protection. Il y a
5 également le serment du témoin qui affirme qu'il dira la vérité et donc
6 nous pensons que ces éléments suffisent pour permettre l'établissement de
7 la vérité.
8 Mais ce que nous craignons de notre côté de ce prétoire vient
9 notamment des occasions où les interrogatoires durent longtemps, par
10 exemple plus d'une journée. Nous craignons donc que, non
11 intentionnellement, lors d'un contact avec un témoin, quelqu'un puisse, au
12 cours des pauses par exemple, dire quelque chose qui permettrait ou qui
13 conduirait le témoin à corriger par exemple un point de vue qu'il a
14 exprimé précédemment. Nous craignons également qu'il puisse de cette façon
15 s'exercer des influences qui pourraient modifier la suite de la déposition
16 du témoin, donc une modification qui ensuite irait à l'encontre de la
17 thèse initiale de ce témoin.
18 Voilà donc les bases qui justifient les craintes de la défense
19 car, dans certaines affaires, nous avons appris qu'il y avait eu de telles
20 interventions, notamment lors de l'audition du témoin Stevens dont nous
21 avons déjà parlé ici aujourd'hui.
22 Pour conclure, Monsieur le Président, ce que je vous demanderais
23 de bien vouloir faire, au cas où vous estimeriez qu'il conviendrait de
24 poursuivre la discussion sur ce point, c'est de bien vouloir accorder à la
25 défense un certain temps de préparation qui nous permettra, à nous
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1 également, de faire connaître de la façon la plus précise les positions
2 qui sont les nôtres à cet égard, de façon à ce que le problème soit traité
3 dans son intégralité. Je vous remercie.
4 M. le Président (interprétation). - Merci.
5 (Les Juges se consultent sur le siège.)
6 M. le Président (interprétation). - Nous estimons que la requête
7 formulée par le conseil de la défense est tout à fait appropriée et
8 justifiée. La défense a évidemment besoin d'un certain temps pour se
9 rassembler et établir un point de vue commun, un point de vue conjoint.
10 Nous reviendrons sur ce point lundi.
11 Compte tenu du fait que treize témoins sont prévus la semaine
12 prochaine, nous aimerions également nous concentrer sur l'audition de ces
13 témoins ; nous proposons de discuter de cette question lundi et que la
14 défense le fasse, peut-être pas à 9 heures et demie, au début de
15 l'audience, mais à un certain moment dans l'après-midi. Le cas échéant,
16 nous pourrons être amenés à prolonger notre audience l'après-midi d'une
17 demi-heure ; c'c'est-à-dire qu'au lieu de poursuivre jusqu'à 17 heures,
18 nous pourrions, le cas échéant, en cas de nécessité, poursuivre jusqu'à
19 17 heures 30. J'espère que les conseils de la défense n'auront pas besoin
20 de plus d'une demi-heure pour faire connaître leur point de vue.
21 Nous connaissons le point de vue du Procureur. Bien entendu,
22 après l'audition du point de vue de la défense, le Procureur peut
23 souhaiter répondre. Nous verrons si le temps le permet.
24 En tout cas, je propose tout de même que nous concluions la
25 discussion de ce point lundi, ce qui permettra aux membres de la Chambre
Page 2332
1 de rendre une décision mardi. Je suis tout à fait sûr que les membres de
2 la défense souhaitent, si des changements sont nécessaires et s'ils
3 doivent intervenir, intervenirt le plus rapidement possible. Très bien.
4 Y a-t-il d'autres points à évoquer ? Je vois que nous allons
5 entendre treize témoins la semaine prochaine. Nous espérons qu'ils seront
6 tous entendus avant la fin de la semaine prochaine, mais je suppose que si
7 certains d'entre eux n'ont pas le temps d'être entendus ils pourront
8 rester à La Haye après le week-end.
9 (Monsieur Terrier acquiesce.)
10 Cela étant, je remercie de tout cœur l'accusation d'avoir bien
11 voulu appeler et inviter à venir à La Haye un nombre plus important de
12 témoins, ce qui nous permettra de travailler plus rapidement.
13 Oui, Maître Krajina, vous voulez la parole ?
14 M. Krajina (interprétation). – Monsieur le Président,
15 j'aimerais, si vous me le permettez, poser une question de procédure qui
16 porte sur la présentation des éléments de preuve de la défense. J'aimerais
17 vous prier de me faire connaître votre point de vue quant à la façon qui
18 nous permettra le mieux, du côté de la défense, de préparer la
19 présentation de nos éléments de preuve de la façon la plus efficace.
20 Je commencerai par le contre-interrogatoire auquel procède la
21 défense après l'interrogatoire principal mené par le Procureur. Au cours
22 de ces contre-interrogatoires des témoins de l'accusation, je vous
23 demande, Monsieur le Président, si la défense peut présenter au témoin les
24 cassettes vidéo déjà présentées par l'accusation et demander au témoin de
25 parler du contenu de cette cassette ; je parle plus précisément de la
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1 cassette vidéo sur laquelle est filmé le lieu auquel a fait référence la
2 déposition du témoin de l'accusation, et en particulier de la cassette
3 vidéo qui présente une déclaration provenant d'un deuxième témoin oculaire
4 que le témoin de l'accusation a évoqué. Cette cassette vidéo a été filmée
5 par la défense.
6 Nous aimerions donc pouvoir demander au témoin si l'endroit qui
7 y est présenté est bien l'endroit évoqué ou pas, si les lieux qui sont
8 filmés sont bien la scène de l'incident ou pas, et si les événements ont
9 été correctement évoqués par le témoin ou pas.
10 La défense est tout à fait prête, avant d'interroger le témoin
11 sur cette cassette, à la remettre aux Juges et à l'accusation. Et il est
12 tout à fait normal que l'accusation puisse également utiliser cette
13 cassette au cours de l'interrogatoire de son témoin.
14 Donc, ma question est la suivante : est-ce que la Chambre de
15 première instance nous permettra de diffuser ces vidéo-cassettes de la
16 façon que je viens d'évoquer et de décrire, au cours de notre contre-
17 interrogatoire ?
18 Les témoins oculaires des événements qui sont montrés dans cette
19 vidéo vont être cités à comparaître par la défense devant le Tribunal ; en
20 tout cas, c'est l'intention de la défense. Mais nous aimerions, de cette
21 façon, présenter cet élément de preuve immédiatement, y compris aux autres
22 témoins qui témoignent sur les mêmes événements, de façon à pouvoir
23 ensuite comparer les différentes déclarations des différents témoins sur
24 les mêmes faits.
25 Merci, Monsieur le Président.
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1 (Les Juges se consultent sur le siège.)
2 M. Terrier. - Peut-être que la décision est-elle déjà...
3 M. le Président (interprétation). - Non.
4 M. Terrier. - Je souhaitais dire très rapidement, sur la demande
5 de Me Krajina, que nous ne voyons pas d'obstacle, bien entendu, à ce que
6 des vidéos soient soumises au Tribunal dans le cadre d'un contre-
7 interrogatoire conduit par la défense. Ce que nous souhaitons, c'est que
8 ces vidéos nous soient soumises un temps suffisant à l'avance de manière
9 que nous puissions les regarder et faire valoir ensuite notre point de
10 vue.
11 On se trouve dans un domaine un peu délicat qui est celui de
12 l'état des lieux autour de la maison de l'accusé, Vlatko Kupreskic. Nous
13 savons que cet état des lieux a été modifié profondément et dans
14 d'importantes proportions au cours de ces dernières années postérieures à
15 1993. De cette manière, il est tout à fait nécessaire que nous puissions
16 examiner cette vidéo.
17 M. le Président. - Merci.
18 (L'orateur poursuit en anglais.)
19 Oui. Notre décision est donc la suivante. Oui, il est tout à
20 fait acceptable que la défense produise une cassette vidéo et l'utilise au
21 cours du contre-interrogatoire. Mais, comme Me Krajina l'a laissé entendre
22 à juste titre, cette cassette vidéo devrait être remise à l'avance à
23 l'accusation. Donc, si vous entendez utiliser cette cassette vidéo la
24 semaine prochaine, nous vous demanderions d'avoir l'amabilité de bien
25 vouloir la remettre au Procureur aujourd'hui, ce qui laissera au Procureur
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1 un temps suffisant pour l'examiner.
2 Puis, peut-être souhaitez-vous également nous fournir quelques
3 détails au sujet de cette cassette vidéo ? Quand est-ce qu'elle a été
4 filmée ? S'agit-il d'un original ou d'une copie ? Je crois que
5 l'accusation a besoin de tous ces détails. Mais, sur le principe, bien
6 entendu, c'est votre droit le plus strict d'utiliser des cassettes vidéos
7 au cours de votre contre-interrogatoire d'un témoin.
8 Y a-t-il d'autres questions à discuter ? Maître Krajina ?
9 M. Krajina (interprétation). – Merci, Monsieur le Président.
10 Nous allons remettre lundi au Procureur la cassette et tous les éléments
11 nécessaires associés à cette cassette.
12 M. le Président (interprétation). - Très bien. Lundi ? Mais
13 quand est-ce que vous allez commencer à l'utiliser dans le prétoire ? Car
14 il convient que vous accordiez un ou deux jours au moins au Procureur.
15 M. Krajina (interprétation). – Nous avons l'intention de
16 l'utiliser trois jours après. Nous pensons que trois jours est un délai
17 suffisant pour le Procureur.
18 M. le Président (interprétation). - Oui, tout à fait. Et je
19 suppose que vous utiliserez cette cassette en rapport avec l'un des
20 témoins dont le nom figure sur cette liste ? Sur la liste fournie par
21 l'accusation ?
22 M. Krajina (interprétation). – Monsieur le Président, cette
23 cassette concernera les témoins qui commencent au n 6.
24 M. le Président (interprétation). – Maître Moskowitz ?
25 M. Moskowitz (interprétation). – Eh bien, mon seul souci, à ce
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1 stade, c'est qu'il arrive parfois que l'ordre de comparution des témoins
2 change et cela se fait parfois sans que nous puissions intervenir. Donc,
3 si un témoin doit comparaître avant un autre témoin et que Me Krajina
4 veuille utiliser la cassette avec ce témoin, il se peut qu'il arrive que
5 nous n'ayons pas eu suffisamment de temps pour l'examiner. Etant donné ce
6 risque, je pense qu'il serait préférable que nous recevions la cassette
7 aujourd'hui.
8 M. le Président (interprétation). – Maître Krajina, vous serait-
9 il possible de remettre votre cassette au Procureur aujourd'hui, car je
10 crois que l'argument évoqué par le Procureur à l'instant est tout à fait
11 justifiable et est un très bon argument. C'est-à-dire que, parfois,
12 l'ordre des témoins change et il est possible que le Procureur n'ait pas
13 suffisamment de temps pour visionner la cassette dans ces conditions.
14 Donc, si vous l'avez en votre possession, je me demande pourquoi vous ne
15 pourriez pas la remettre au Procureur aujourd'hui même ?
16 M. Krajina (interprétation). – Eh bien, Monsieur le Président,
17 nous allons faire tout ce que nous pouvons pour la remettre aujourd'hui ;
18 je crois que ce sera possible : je crois que nous le pouvons.
19 M. le Président (interprétation). - Merci, merci beaucoup. Je
20 vous remercie. Maître Slokovic-Gluma, vous avez la parole.
21 Mme Glumac (interprétation). – Une question, si vous me le
22 permettez. Lors d'une des auditions survenues il y a deux semaines, il a
23 été décidé d'entendre une femme en qualité de témoin, sur décision de la
24 Chambre de première instance. Mais, d'après les informations reçues
25 depuis, ce témoin est retourné en Bosnie. Donc je demanderais à la Chambre
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1 de première instance si elle peut s'adresser au Procureur pour lui
2 demander dans quel état de santé est ce médecin ? Eventuellement, nous
3 aimerions voir les documents médicaux qui nous permettront de juger de
4 l'éventualité que ce témoin, en cas de problème médical important, ne
5 puisse pas comparaître et ce qu'il convient de faire dans ces conditions.
6 M. le Président (interprétation). - Merci. Merci. Bien entendu,
7 nous n'avons pas oublié votre requête au sujet de ce témoin particulier.
8 J'ai pris contact immédiatement avec la section chargée de la protection
9 et de l'aide aux témoins et aux victimes qui m'a fait savoir, et je vous
10 montre le mémorandum que j'ai reçu, qui m'a fait savoir que, pour obtenir
11 les documents médicaux de ce témoin, il leur fallait l'autorisation du
12 témoin, à savoir une signature. Donc ils enverront un représentant en
13 Bosnie cette semaine, je pense, pour tenter d'obtenir cette signature qui
14 constitue en fait l'autorisation accordée par le témoin pour que son
15 dossier médical soit rendu public devant le Tribunal. Je suppose donc que,
16 la semaine prochaine, nous disposerons de ce dossier médical.
17 Et puis, nous avons réfléchi à plusieurs options qui s'ouvrent à
18 nous. D'abord, nous aimerions savoir si le Procureur a l'intention de
19 citer ce témoin ou, si tel ne devait pas être le cas, si la défense est
20 prête à la citer, ou si la Chambre de première instance, agissant sur le
21 fondement de l'article pertinent du Règlement de procédure et de preuve,
22 ne pourrait pas citer ce témoin.
23 Mais la section de protection et de défense des victimes et des
24 témoins aimerait beaucoup savoir quel est notre point de vue sur ce point,
25 car un certain nombre d'éléments se modifient selon que ce témoin est
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1 témoin de l'accusation, témoin de la défense ou autre. Il y a un certain
2 nombre de mesures que la section doit prendre dans ce cadre, selon le
3 statut du témoin.
4 Puis, comme je l'ai déjà dit, au cas où le témoin refuserait de
5 se rendre à La Haye, nous avons le sentiment qu'il ne serait pas
6 convenable que nous allions au point de la contraindre à venir. Autrement
7 dit, nous n'allons pas émettre d'injonction à comparaître à son adresse.
8 Donc, discutons de cela si vous le voulez bien.
9 Ensuite, je vous donnerai les autres options auxquelles nous
10 avons réfléchi, mais j'aimerais commencer à demander à Me Terrier s'il a
11 décidé de la marche à suivre en la matière.
12 M. Terrier. - Monsieur le Président, à dire vrai, nous ne nous
13 sommes plus posé cette question dans la mesure où nous pensons que le
14 Tribunal a décidé le principe que ce témoin devait venir, comme il en a
15 bien entendu le droit et que, par conséquent, il n'y avait plus
16 d'initiative à prendre de notre part. Et nous pensons que c'est simplement
17 un problème pratique, le problème de sa situation de santé qui avait
18 retardé l'exécution de cette décision prise mais qui ne faisait pas
19 obstacle au principe lui-même. Donc, nous ne pensions pas devoir citer ce
20 témoin. Si le Tribunal souhaite que nous le fassions, nous le ferons bien
21 entendu.
22 M. le Président (interprétation). - Eh bien, dans ce cas, je
23 pense qu'il serait préférable que le témoin soit cité par la Chambre de
24 première instance, cité à comparaître. Ce serait préférable parce que cela
25 pourrait également apparaître aux yeux du témoin en tant que mesure de
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1 protection et cela pourrait psychologiquement l'inciter à venir ici
2 témoigner suite à la demande qui lui aura été présentée par le Tribunal,
3 donc.
4 Donc, les étapes suivantes sont les suivantes. D'abord nous
5 recevons le dossier médical. J'espère que ce dossier médical ne sera pas
6 trop mauvais. Nous demandons à ce moment-là au témoin de venir devant le
7 Tribunal. Si cette femme refuse, nous n'allons pas émettre à son encontre
8 une injonction contraignante pour des raisons tout à fait évidentes. Mais
9 nous pourrions recueillir sa déposition, c'est-à-dire que, lorsqu'un
10 représentant du Tribunal sera en Bosnie-Herzégovine, je crois qu'il existe
11 cet article 70 du Règlement qui permet de recueillir une déclaration du
12 témoin en présence d'un représentant de la défense et de la Chambre dans
13 son intégralité, ce qui pourrait faire en sorte que le témoin se sente
14 plus à son aise.
15 Autre possibilité encore, nous pourrions admettre ses
16 déclarations préalables en tant qu'éléments de preuve, qui pourraient donc
17 être versés au dossier.
18 Moi, je préférerais qu'il vienne ici ou que sa déposition soit
19 recueillie en Bosnie. Nous préférons avoir le témoin sous les yeux. Mais,
20 en tant que mesure de retrait, en tant que dernier recours, si je puis
21 m'exprimer ainsi, nous pourrions envisager également de verser au dossier
22 ses déclarations préalables. Je comprends bien que la défense estime tous
23 ces points très importants. Voilà donc les différentes possibilités qui
24 sont ouvertes.
25 Puis, je vous ferai savoir ce qu'il en est. Si le témoin déclare
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1 qu'il viendra à La Haye, il faut bien sûr que vous en soyez informés de
2 façon à pouvoir le placer sur la liste des témoins à entendre.
3 Bien, maintenant je crois que le moment de suspendre l'audience
4 est arrivé. Il n'y a pas d'autres points évoqués. Je vous remercie pour
5 cette discussion extrêmement importante et nous suspendons donc l'audience
6 jusqu'à lundi 9 heures 30.
7 L'audience est levée à 11 heures.
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