Affaire no.: IT-98-30/1-A

LA CHAMBRE D’APPEL

Devant :
M. le Juge David Hunt, Juge de la mise en état en appel

Assisté de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
6 juin 2003

LE PROCUREUR

c/

Miroslav KVOCKA
Mlado RADIC
Zoran ZIGIC
Dragoljub PRCAC

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DÉCISION RELATIVE À LA DEMANDE D’AUTORISATION DE L’ACCUSATION AUX FINS DE DÉPOSER UNE DUPLIQUE

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Le Bureau du Procureur :

M. Christopher Staker

Les conseils de la Défense :

M. Krstan Simic, pour Miroslav Kvocka
M. Toma Fila, pour Mlado Radic
M. Slobodan Stojanovic, pour Zoran Zigic
M. Jovan Simic, pour Dragoljub Prcac

 

1. Dans l’Ordonnance du 8 mai 2003, nous avons déclaré que si, en application de l’article 115 du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement ») — dans le cadre de sa deuxième requête fondée sur cette disposition et présentée à l’appui de l’appel contre sa déclaration de culpabilité1 — Zoran Zigic (« Zigic ») cherchait à faire admettre en tant que moyen de preuve supplémentaire un document qui venait de lui être communiqué par l’Accusation, cette dernière aurait la possibilité de lui répondre2. Zigic a ensuite présenté ce document dans le cadre du Supplément à sa Deuxième Requête en application de l’article 1153, et a déposé simultanément sa Réplique à la Réponse de l’Accusation à ladite requête 4. L’Accusation a ensuite déposé une réponse au Supplément5, ainsi que nous l’y avons autorisée dans l’Ordonnance précitée.

2. Dans la Réponse au Supplément, l’Accusation demande également l’autorisation de répondre à « plusieurs points soulevés » dans la Réplique de Zigic à la Réponse de l’Accusation à la Deuxième Requête en application de l’article 1156. Sont ensuite énumérés quatre paragraphes de la Réplique dont elle estime qu’ils soulèvent « des points [...] qui appellent une réponse ». Ni le Règlement ni la pratique du Tribunal ne confèrent à une partie le droit de déposer une duplique7, bien qu’elle puisse y être autorisée8. Ainsi, la duplique est généralement autorisée si de nouvelles questions sont soulevées dans la réplique9. Cependant, il ne suffit pas simplement d’avancer qu’une question soulevée dans la réplique « appelle  » une réponse (ou, en l’occurrence, une duplique). Une partie qui répond à une requête doit répondre exhaustivement à tous les points soulevés et, sauf si l’intérêt de la justice l’exige, elle ne sera pas autorisée à donner un complément de réponse ni à revenir sur une question à laquelle elle a déjà répondu. Nous l’avons dit, la duplique ne sera autorisée que si la réplique soulève une nouvelle question à laquelle il n’a pas encore été répondu.

3. Zigic a déclaré qu’il ne s’opposait pas à la demande d’autorisation et a précisé que s’il y était fait droit, il ne chercherait pas à y répondre10. Il est déjà arrivé, bien entendu, que les parties s’accordent à propos d’une demande de dérogation à la procédure pour des motifs autres que la nécessité de résoudre rapidement une question précise liée à cette demande, et l’existence d’un tel accord entre les parties ne dispense pas la Chambre d’examiner le bien-fondé de la demande avant de l’accueillir.

4. En l’espèce, l’Accusation n’a pas pris la peine de démontrer en quoi l’un ou l’autre des quatre paragraphes qu’elle a repérés dans la Réplique soulève une nouvelle question11. Elle n’aurait pas dû laisser à la Chambre le soin de faire elle-même cette recherche. Cependant, et dans le but d’accélérer la résolution des questions soulevées par la requête en application de l’article 115, nous avons examiné les quatre paragraphes repérés par l’Accusation dans la Réplique afin de déterminer s’ils soulèvent effectivement de nouvelles questions  :

i) Paragraphe 5 : En réplique à l’argument de l’Accusation (exposé au paragraphe  7 de la Réponse) selon lequel pour établir « la non-disponibilité au procès12  » des moyens de preuve présentés en application de l’article 115, il faut démontrer que le conseil n’aurait pu en découvrir l’existence même s’il avait usé de toute la diligence voulue13, Zigic fait valoir que la diligence ne peut être « appréciée qu’au vu des circonstances les plus extrêmes » et que la charge de travail qui pesait sur son conseil pendant le procès explique qu’il ait pu manquer de diligence. S’agissant de la duplique qu’elle compte présenter, l’Accusation souligne qu’il incombe à l’appelant de démontrer qu’il a agi avec toute la diligence voulue pendant le procès, et soutient que pour satisfaire aux conditions posées par l’article 115, Zigic ne saurait se contenter d’affirmer de manière générale que son conseil était trop occupé pendant le procès pour découvrir ces moyens de preuve supplémentaires14. Ces arguments ne sont qu’une répétition de ceux déjà exposés dans la Réponse15. L’Accusation tente seulement d’avoir le dernier mot. Cependant, il ne suffit pas d’annoncer la même argumentation pour être autorisé à déposer une duplique.

ii) Paragraphe 6 : En réplique au même argument, Zigic soutient que, si l’on exclut la question de la diligence de son propre conseil, le fait que l’Accusation n’a pas agi avec toute la diligence voulue « a déjà été établi » puisqu’elle ne s’est pas acquittée de ses obligations de communication prévues à l’article 68 du Règlement, et qu’en conséquence, ses propres droits ont été bafoués. S’agissant de la duplique qu’elle compte présenter, l’Accusation précise que certains documents étaient à la disposition de la Défense dès le procès tandis que d’autres n’ont été découverts qu’après le prononcé du Jugement de première instance16. Dans sa Deuxième Requête en application de l’article 115, Zigic n’a pas avancé que la communication de ces éléments après le prononcé du Jugement de première instance constituait un manquement de l’Accusation aux obligations prescrites par l’article  6817. Il s’agit donc là d’une question nouvelle, et l’Accusation est en droit de s’expliquer sur les circonstances de la communication des éléments en question.

iii) Paragraphe 9 : En réplique aux arguments de l’Accusation (exposés au paragraphe 15 de la Réponse) selon lesquels trois des documents dont l’admission est demandée, démontrant qu’un certain témoin a fait des déclarations antérieures recoupant sa déposition au procès a) n’auraient pu « influer sur la décision de la Chambre de première instance » et b) n’auraient pu « changer l’issue » du procès18, Zigic soutient que ces déclarations renforcent la crédibilité du témoin en démontrant que son témoignage était solide et fiable. Dans sa Deuxième Requête en application de l’article 115, Zigic avait avancé que les trois déclarations faites par ce témoin révélaient qu’il (Zigic) n’était pas impliqué dans les faits relatés, contrairement à ce qu’avait conclu la Chambre de première instance19. Zigic a présenté le déclarant comme une personne « très bien informée, crédible et pleinement capable20 », mais il n’a pas clairement fait valoir à titre d’argument distinct que les déclarations antérieures recoupant la déposition du témoin renforçaient la crédibilité de ce dernier. Dans sa Réponse, l’Accusation a soutenu que la déposition du témoin au procès « ne constituait pas un élément de preuve apporté par un nouveau témoin présentant une version contradictoire des faits », et que la question était de savoir si les déclarations antérieures sont en contradiction avec cette déposition, c’est-à-dire l’inverse de ce que Zigic cherche à démontrer21. S’agissant de la duplique qu’elle compte présenter, l’Accusation : a) réaffirme que les déclarations en question ne sont pas admissibles devant la Chambre d’appel en tant que moyens de preuve supplémentaires, et b) soutient qu’en tout état de cause, l’existence de déclarations antérieures recoupant sa déposition au procès ne vient pas renforcer la crédibilité d’un témoin22. Si le premier de ces arguments n’est qu’une énième tentative de la part de l’Accusation d’avoir le dernier mot, le deuxième se rapporte effectivement à une question soulevée pour la première fois dans la Réplique.

iv) Paragraphe 10 : En réplique à l’argument de l’Accusation (exposé au paragraphe  18 de la Réponse) concernant ces trois documents, selon lequel le témoin en question avait déclaré qu’il croyait que la victime avait été tuée par une certaine personne, Zigic conteste l’interprétation de ce témoignage sur laquelle l’Accusation est supposée s’être fondée. On ne voit pas au juste en quoi l’argument avancé par l’Accusation dans sa Réponse est pertinent, mais comme elle n’a pas précisé, dans le document déposé23, l’argumentation qu’elle souhaitait présenter en duplique, il n’est pas nécessaire d’accéder à sa demande concernant le paragraphe 10.

5. L’Accusation est donc autorisée à déposer une duplique pour répondre aux deux questions nouvelles soulevées dans la Réplique, à savoir a) le point exposé au paragraphe  6 de la Réplique selon lequel l’Accusation a manqué à ses obligations de communication prescrites à l’article 68 du Règlement et b) le point exposé au paragraphe 9 de la Réplique selon lequel les trois déclarations antérieures du témoin sont admissibles aux fins de renforcer la crédibilité de ce dernier. Étant donné que l’argumentation proposée en duplique concernant le deuxième de ces points, telle qu’exposée dans la Réponse au Supplément, n’envisage pas la possibilité que la conduite du procès en première instance aurait rendu admissibles les déclarations antérieures recoupant la déposition du témoin au procès, et la Chambre d’appel demandant des éclaircissements sur ce point de la part de l’Accusation, cette dernière est priée de déposer séparément une Duplique à la Réplique dans laquelle elle exposera de manière distincte (et de préférence, en détail) ses arguments sur ces deux points. En dépit de son intention déclarée de ne pas répondre à la Duplique, il se peut que Zigic souhaite néanmoins le faire après avoir pris connaissance de ce document, et il y sera autorisé. Il devra cependant prendre garde de ne répondre qu’aux arguments avancés par l’Accusation, et doit comprendre qu’il n’est pas en droit de soulever d’autres nouvelles questions dans cette réplique.

Dispositif

6. Nous ordonnons, en conséquence, ce qui suit :

1) Dans un délai de sept jours à compter de la date de la présente Décision, l’Accusation peut déposer séparément une Duplique à la Réplique en se limitant aux deux nouvelles questions qui y sont soulevées, à savoir a) le point exposé au paragraphe 6 de la Réplique selon lequel l’Accusation a manqué à ses obligations de communication prescrites à l’article 68 du Règlement, et b) le point exposé au paragraphe 9 selon lequel les trois déclarations antérieures du témoin sont admissibles aux fins de renforcer la crédibilité de celui-ci.

2) Zoran Zigic peut déposer une réponse à la Duplique dans un délai de sept jours à compter de la date du dépôt de celle-ci.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 6 juin 2003
La Haye (Pays-Bas)

Le Juge de la mise en état en appel
___________
Juge Hunt

[Sceau du Tribunal]


1 - (Confidential) Zoran Zigic’s Second Motion to Present Additional Evidence, 11 avril 2003 (la « Deuxième Requête en application de l’article 115 »).
2 - Order on Extension of Time, 8 mai 2003, p. 2.
3 - (Confidential) Supplement to Zoran Zigic’s Second Motion to Present Additional Evidence, 19 mai 2003, (le « Supplément »).
4 - (Confidential) Prosecution’s Response to Zoran Zigic’s Second Motion to Present Additional Evidence, 9 mai 2003, (la « Réponse ») ; (Confidentielle) Zoran Zigic’s Reply to Prosecution’s Response to Zoran Zigic’s Second Motion to Present Additional Evidence, 19 mai 2003 (la « Réplique »).
5 - (Confidential) Prosecution’s Response to the “Supplement to Zoran Zigic’s Second Motion to Present Additional Evidence” and Prosecution Motion To File a Further Pleading, 29 mai 2003 (la « Réponse au Supplément »).
6 - Réponse au Supplément, par. 4.
7 - Le Procureur c/ Sainovic & Ojdanic, affaire n° IT-99-37-AR65, Décision relative à la mise en liberté provisoire, 30 octobre 2002 (la « Décision Sainovic »), par. 5.
8 - Directive pratique relative à la procédure de dépôt des écritures en appel devant le Tribunal international, 7 mars 2002 (IT/155 Rev 1), par. 16
9 - Décision Sainovic, par. 5. Tous les juges étaient d’accord sur ce point : voir également Opinion dissidente du Juge Hunt sur la mise en liberté provisoire, par. 5. Voir aussi Le Procureur c/ Strugar et consorts, affaire n° IT-01-42-AR72, Décision relative à la « Requête de l'Accusation aux fins d'autorisation de déposer une duplique à la réplique de la Défense à la réponse de l'Accusation au mémoire de la Défense sur l'appel interlocutoire relatif à la compétence », 12 septembre 2002, p. 2.
10 - (Confidential) Zoran Zigic’s Response to the Prosecution’s Motion to File a Further Pleading Filed on 29 May 2003, 2 juin 2003, par. 3.
11 - L’Accusation n’a pas avancé, même de façon générale, que ces paragraphes soulevaient de nouvelles questions (voir Réponse au Supplément, par. 19).
12 - Article 115 B) du Règlement.
13 - Le Procureur c/ Tadic, affaire n° IT-94-1-A, Décision relative à la Requête de l’Appelant aux fins de prorogation de délai et d’admission de moyens de preuve supplémentaires, 15 octobre 1998, par. 35 à 45 ; Le Procureur c/ Kupreskic et consorts, affaire n° IT-95-16-A, Arrêt, 23 octobre 2001 (« Arrêt Kupreskic »), par. 50 ; Le Procureur c/ Delic, affaire n° IT-96-21-R-R119, Décision relative à la requête en révision, 25 avril 2002, par. 10.
14 - Réponse au Supplément, par. 19.
15 - Réponse, par. 6 à 8, et arguments exposés dans les écritures précédentes, inclus en référence.
16 - Réponse au Supplément, par. 20.
17 - Même si l’un des moyens d’appel soulevés par Zigic (plus exactement, le trente-neuvième) renvoie en termes généraux aux « obligations de communication non remplies », nous n’avons relevé, dans les écritures dont nous sommes saisis, aucune référence à ce point.
18 - Bien que dans sa Réponse à la Requête en application de l’article 115, l’Accusation ne précise pas les sources faisant autorité dont elles tirent ces citations, il semble que la première soit extraite du paragraphe 76 de l’Arrêt Kupreskic et que la deuxième reprenne les termes de l’article 115 B).
19 - Deuxième Requête en application de l’article 115, par. 6.1.
20 - Ibid., par. 6.1.
21 - Réponse, par. 15.
22 - Réponse au Supplément, par. 21.
23 - L’Accusation indique qu’elle examinera l’argument de Zigic au paragraphe 21 de la Réponse au Supplément, mais elle n’en fait pas mention à ce paragraphe.