Affaire n° : IT-98-30/1-A

LA CHAMBRE D’APPEL

Composée comme suit :
M. le Juge Mohamed Shahabuddeen, Président
M. le Juge Fausto Pocar
M. le Juge Mehmet Güney
M. le Juge Wolfgang Schomburg
Mme le Juge Inés Mónica Weinberg De Roca

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
24 novembre 2003

LE PROCUREUR

c/

MIROSLAV KVOCKA
MLADJO RADIC
ZORAN ZIGIC
DRAGOLJUB PRCAC

___________________________________________

DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE AUX FINS DE DISJONCTION DE L’APPEL INTERJETÉ PAR MIROSLAV KVOCKA ET À LA REQUÊTE DE KVOCKA AUX FINS DE MISE EN LIBERTÉ PROVISOIRE JUSQU’À L’OUVERTURE DES DÉBATS EN APPEL

___________________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Norman Farrell

Les Conseils des Appelants :

M. Krstan Simic pour Miroslav Kvocka
M. Toma Fila pour Mlado Radic
M. Slobodan Stojanovic pour Zoran Zigic
M. Jovan Simic pour Dragoljub Prcac

 

LA CHAMBRE D’APPEL du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),

VU la requête aux fins de disjonction de l’appel interjeté par Miroslav Kvocka (Request for Separation of Miroslav Kvocka’s Appeal Procedure), déposée le 17 octobre 2003 (la « Requête »), par laquelle Miroslav Kvocka (l’« Appelant ») demande que son appel soit examiné séparément de ceux de ses coappelants et ce, pour les raisons suivantes :

1) Le Jugement a été rendu il y a presque deux ans1,

2) La communication des pièces est un processus continu dont la fin est incertaine2,

3) Contrairement à ses coappelants, l’Appelant n’a pas déposé de requête relevant de l’article 115 du Règlement3,

4) La cause de l’Appelant peut être examinée séparément en raison de sa position et du temps qu’il a passé au camp d’Omarska4,

5) L’Appelant a droit à un procès rapide5, et

6) Le 9 décembre 2002, l’Appelant a purgé les deux tiers de sa peine d’emprisonnement 6,

VU la réponse de l’Accusation à la Requête (Prosecution’s Response to Miroslav Kvocka’s Request for Separation of Miroslav Kvocka’s Appeal Procedure ), déposée le 27 octobre 2003 (la « Réponse »), dans laquelle l’Accusation soutient que la Requête devrait être rejetée pour les raisons suivantes :

1) Dans la requête aux fins de disjonction de l’appel interjeté par Zigic (Motion for Separation of Appellant Zigic’s Appeal Procedure), présentée précédemment par l’Appelant, ce dernier ne demandait que la disjonction de l’appel formé par son coappelant Zigic7,

2) La Requête contient des paragraphes dans lesquels l’Appelant réexamine des points de droit et de fait admis par l’Accusation ou par la Chambre de première instance dans son Jugement, lesquels font, entre autres, l’objet du présent recours et l’Appelant n’a pas démontré en quoi le renvoi à ses points précis justifie la Requête8,

3) Les coappelants ont fait l’objet du même acte d’accusation et l’Appelant n’a pas invoqué de motif ou de raison valable justifiant que l’on examine son appel séparément, dans le cadre d’une procédure différente et accélérée, et que la Chambre se prononce sur son cas avant de considérer les autres appels9,

4) À supposer que la disjonction puisse être ordonnée en appel en vertu de l’article  107 du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »), elle ne peut l’être qu’en application de l’article 82 B) du Règlement pour « éviter tout conflit d’intérêts de nature à causer un préjudice grave […] ou pour sauvegarder l’intérêt de la justice 10 »,

5) Les appels interjetés par les appelants, qui ont été déclarés coupables d’infractions résultant d’un comportement similaire dans le cadre d’une entreprise criminelle commune, devraient être examinés ensemble11,

VU la réplique à la Réponse et la requête de Kvocka aux fins de mise en liberté jusqu’à l’ouverture des débats en appel (Reply to Prosecution’s Response to Kvocka’s « Request for Separation of Miroslav Kvocka’s Appeal Procedure » and Kvocka’s Request for Provisional Release Pending Hearing of the Appeal), déposées le 5 novembre  2003 (la « Réplique » et la « Requête aux fins de mise en liberté provisoire12  »), dans lesquelles l’Appelant :

1) soutient que les allégations de l’Accusation selon lesquelles l’Appelant ne devrait pas avoir droit à ce que son appel soit examiné séparément ne sont pas juridiquement fondées,

2) affirme qu’il est dans l’intérêt de la justice que l’Appelant soit sur un pied d’égalité avec ceux qui se trouvent dans une position similaire à la sienne,

3) et demande également à être mis en liberté provisoire jusqu’à l’ouverture des débats en appel,

ATTENDU que la Réplique a été déposée 5 jours après l’expiration du délai prévu au paragraphe 12 de la Directive pratique relative à la procédure de dépôt des écritures en appel devant le Tribunal international (IT/155/Rev.1), mais qu’en application de l’article 127 A) ii) du Règlement, une Chambre « peut, lorsqu’une requête présente des motifs convaincants, reconnaître la validité de tout acte accompli après l’expiration des délais fixés en posant, le cas échéant, des conditions qu’elle considère comme justes et ce, que le délai soit ou non expiré »,

ATTENDU que le dépôt tardif de la Réplique n’a pas perturbé la procédure d’appel en l’espèce,

ATTENDU qu’il existe des motifs convaincants au sens de l’article 127 du Règlement,

ATTENDU qu’au vu des circonstances de l’espèce, la Chambre reconnaît donc la validité du dépôt de la Réplique,

ATTENDU qu’en application de l’article 48 du Règlement, le Tribunal a pour pratique de juger ensemble des personnes accusées conjointement d’une même infraction ou d’infractions différentes commises à l’occasion de la même opération,

ATTENDU que l’article 82 B) du Règlement dispose que « [l]a Chambre de première instance peut ordonner un procès séparé pour des accusés dont les instances avaient été jointes en application de l’article 48, pour éviter tout conflit d’intérêts de nature à causer un préjudice grave à un accusé ou pour sauvegarder l’intérêt de la justice »,

ATTENDU que l’article 82 B) du Règlement laisse à la Chambre le pouvoir de décider si des accusés dont les instances ont été jointes en application de l’article  48 du Règlement devraient être jugés séparément13,

ATTENDU que l’Appelant Kvocka a été jugé conjointement avec plusieurs coaccusés , que la Chambre de première instance a conclu qu’ils avaient participé à une entreprise criminelle commune dans le camp d’Omarska, que tous les coacccusés à l’exception de l’un d’eux ont interjeté appel pour ce qui est de la question de l’entreprise criminelle commune14, et qu’un examen conjoint des appels irait dans le sens de l’économie judiciaire,

ATTENDU qu’il n’y a aucun conflit d’intérêts de nature à causer un préjudice grave à l’Appelant et qu’il n’est pas non plus nécessaire d’examiner les appels séparément pour sauvegarder l’intérêt de la justice,

ATTENDU qu’en application de l’article 68 du Règlement et de la jurisprudence du Tribunal international, l’Accusation est en permanence tenue de communiquer à la Défense, y compris en appel, tout élément de nature à disculper les accusés et que les mesures prises en application dudit article ne militent donc pas en faveur d’une disjonction d’instance dans la mesure où tout élément divulgué en vertu de cet article risque également d’avoir une incidence sur la cause de l’Appelant,

ATTENDU que, s’agissant du fait que l’Appelant a depuis le 9 décembre 2002 purgé les deux tiers de sa peine, en application de l’article 102 A) du Règlement , il est sursis à l’exécution de la sentence pendant la procédure d’appel, et qu’il a été fait observer dans l’« Ordonnance du Président en réponse à la demande de grâce présentée par Miroslav Kvocka », rendue le 7 août 2003, que « pour être examinées selon qu’il convient, les demandes de mise en liberté provisoire doivent être déposées devant la Chambre d’appel15 »,

ATTENDU qu’en vertu de l’article 65 I) du Règlement, la Chambre d’appel doit avoir la certitude que :

i) s’il est libéré, le demandeur « comparaîtra à l’audience en appel ou, le cas échéant , qu’il se présentera aux fins de détention à l’expiration de la période donnée  » ;

ii) s’il est libéré, le demandeur « ne mettra pas en danger une victime, un témoin ou toute autre personne et »

iii) « des circonstances particulières justifient cette mise en liberté »,

ATTENDU, en outre, que les conditions requises par l’article 65 I) du Règlement ne sont pas examinées dans la Requête aux fins de mise en liberté provisoire contenue dans la Réplique, mais que, compte tenu des circonstances particulières de l’espèce , l’Appelant devrait avoir la possibilité de le faire,

PAR CES MOTIFS

REJETTE la Requête,

ACCORDE à l’Appelant 20 jours à compter de la date de la présente Décision pour traiter, dans une requête, les conditions requises par l’article 65 I) du Règlement , et

ORDONNE, à défaut, le rejet de la Requête aux fins de mise en liberté provisoire à l’expiration de ce délai.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre d’appel
_________
Mohamed Shahabuddeen

Le 24 novembre 2003
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1 - Requête, p. 4.
2 - Ibid.
3 - Ibid. Confidential, Motion of Mlado Radic to Admit Additional Evidence Pursuant to Rule 115, 25 février 2003 (la « Requête de Radic ») ; Confidential, Motion to Present Additional Evidence – Défense de l’accusé Zoran Zigic, 22 août 2002 (la « Demande ») ; Confidential, Zoran Zigic’s Second Motion to Present Additional Evidence, 11 avril 2003 (la « Deuxième Demande ») ; Confidential Motion of Dragoljub Prcac to Admit Additional Evidence Pursuant to Rule 115, 25 février 2003 (la « Requête de Prcac »).
4 - Requête, p. 4.
5 - Requête, p. 5.
6 - Ibid.
7 - Réponse, par. 2.
8 - Réponse, par. 3.
9 - Réponse, par. 5.
10 - Réponse, par. 6.
11 - Réponse, par. 17.
12 - Il manquait des paragraphes dans la Réplique déposée le 3 novembre et l’Appelant en a déposé une version complète le 5 novembre 2003.
13 - Le Procureur c/ Radoslav Brdanin et Momir Talic, n° IT-99-36-AR72.2, Décision relative à la demande d’interjeter appel, 16 mai 2000, p. 4.
14 - L’appelant Kos s’est désisté de son appel le 21 mai 2002.
15 - Ordonnance du Président en réponse à la demande de grâce présentée par Miroslav Kvocka, p. 3.