LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE
Composée comme suit :
M. le Juge Almiro Rodrigues, Président
M. le Juge Fouad Riad
Mme le Juge Patricia Wald
Assistée de :
Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier
Décision rendue le :
30 octobre 2000
LE PROCUREUR
C/
MIROSLAV KVOCKA
MILOJICA KOS
MLADO RADIC
ZORAN ZIGIC
DRAGOLJUB PRCAC
PARTIELLEMENT CONFIDENTIEL
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DÉCISION RELATIVE À L'AVIS DU PROCUREUR
SUR LES DÉCLARATIONS SOUS SERMENT
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Le Bureau du Procureur :
Mme Brenda Hollis
M. Michael Keegan
M. Kapila Waidyaratne
Les Conseils de la défense :
M. Krstan Simic, pour Miroslav Kvocka
M. Zarko Nikolic, pour Milojica Kos
M. Toma Fila, pour Mlado Radic
M. Slobodan Stojanovic, pour Zoran Zigic
M. Jovan Simic, pour Dragoljub Prcac
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I (la «Chambre») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de lex-Yougoslavie depuis 1991 (le «Tribunal»),
ATTENDU que le 15 septembre 2000, l'Accusation a déposé un avis concernant dix déclarations sous serment («l'Avis du Procureur»), accompagné de plusieurs annexes ; que l'Annexe A dudit avis contient les déclarations certifiées des Témoins 1 à 6 cités à l'Annexe confidentielle jointe à la présente décision («l'Annexe jointe») et que lesdites déclarations ont été signées dans un lieu inconnu, sa référence ayant été expurgée ; que l'Annexe A de l'Avis du Procureur contient les comptes rendus des propos tenus à l'audience par les Témoins 7 et 8 cités à l'Annexe jointe ; que le compte rendu relatif au Témoin 7 est accompagné d'une annexe, qu'il est signé mais que son annexe ne l'est pas ; que l'Annexe A de l'Avis du Procureur contient les déclarations certifiées de deux autres témoins, les Témoins 9 et 10 cités à l'Annexe jointe, déclarations qui sont signées et certifiées ; que l'Annexe C de l'Avis du Procureur contient une liste des points de corroboration entre les déclarations sous serment proposés et les témoignages oraux déjà présentés ou devant l'être,
ATTENDU que la Défense1 s'est opposée au dépôt des déclarations sous serment au motif que le lien existant entre ces dernières et les témoignages présentés à l'audience n'apparaissait pas clairement dans l'Avis du Procureur ; que ledit avis aurait dû être déposé avant la présentation des témoignages à l'audience ; que l'Avis du Procureur n'indiquait pas dans quel État lesdites déclarations avaient été recueillies et que par cet avis, l'Accusation tentait de verser le compte rendu d'un témoignage (celui du Témoin 8 cité à l'Annexe jointe) entendu dans l'affaire Le Procureur c/ Duan Tadic, nº IT-94-1, ce qui est contraire à la lettre de l'article 94 ter du Règlement de procédure et de preuve (le «Règlement»),
ATTENDU que par sa Décision du 25 septembre 20002, la Chambre a conclu que l'Accusation «avait suffisamment bien identifié ou fait ressortir» les faits en litige ; qu'elle a enjoint à l'Accusation de soumettre une nouvelle liste des témoins qu'elle citerait à comparaître au cours des deux dernières semaines consacrées à la présentation de ses moyens, ainsi qu'un document indiquant quelles déclarations sous serment ou officielles corroboreraient ces témoignages et aux Conseils de la Défense de déposer, le cas échéant, une seule et même requête, indiquant s'ils envisageaient ou non de procéder au contre-interrogatoire des auteurs des déclarations sous serment,
ATTENDU que les 21 et 26 septembre 2000, l'Accusation a déposé les listes des témoins qu'elle citerait à comparaître du 25 septembre au 6 octobre 2000 ; que le 4 octobre 2000, l'Accusation a déposé une «Notification des listes de points de corroboration modifiées relatives aux déclarations sous serment déposées en vertu de l'article 94 ter du Règlement (la «Notification des listes modifiées») aux fins de corroborer les propos de témoins entendus par la Chambre depuis le dépôt desdites déclarations le 15 septembre 2000 ainsi que les propos de témoins figurant sur la seconde liste et susceptibles de comparaître si l'un des témoins qui restent à être cités venait à faire défaut,
VU l'Opposition de l'accusé Miroslav Kvocka datée du 10 octobre 2000, «l'Opposition de l'accusé Milojica Kos relative aux déclarations sous serment déposées par l'Accusation en vertu de l'article 94 ter du Règlement» datée du 13 octobre 2000, la «Nouvelle Notification de la Défense relative aux déclarations sous serment déposées par l'Accusation» présentée le 16 octobre 2000 par les accusés Mlado Radic et Dragoljub Prcac, l'opposition de Milojica Kos datée du 23 octobre 2000 et celle de Miroslav Kvocka datée du 25 octobre 2000, par lesquelles les Conseils de la Défense soutiennent dans l'ensemble que l'Accusation n'a pas respecté les dispositions de l'article 94 ter ni l'ordonnance de la Chambre datée du 25 septembre 2000, lors du dépôt des déclarations sous serment à charge,
ATTENDU que les Conseils des accusés Radic, Prcac, Kvocka et Kos affirment qu'ils ont reçu la Notification des listes modifiées r la mi-octobre 2000 ; qu'ils soutiennent dans l'ensemble que ce document présente certaines contradictions, font valoir que les déclarations certifiées sont expurgées et qu'en conséquence, ils n'ont pas pu préparer le contre-interrogatoire des témoins entendus à l'audience,
ATTENDU que dans sa Réplique du 20 octobre 2000, l'Accusation affirme qu'elle a respecté l'ordonnance de la Chambre ; que les déclarations sous serment sont présumées avoir été dûment certifiées ; qu'un compte rendu de témoignage peut être soumis à titre de déclaration sous serment sans que cela soit contraire à la lettre et à l'esprit de l'article 94 ter ; qu'il revient à la Chambre d'apprécier le poids qu'il convient d'accorder aux éléments de preuve en cas de contradiction entre la déclaration sous serment et le témoignage oral et qu'il incombe à la partie adverse demandant à procéder au contre-interrogatoire des auteurs de déclarations de démontrer la nécessité de ce dernier, ce qui n'a pas été fait en l'espèce,
ATTENDU que l'article 94 ter autorise les exceptions à la règle du témoignage en personne au procès mais prévoit certaines garanties qui encadrent strictement cette procédure3, à savoir que les déclarations sous serment soient recueillies conformément au droit de l'État dans lequel elles sont signées, qu'elles soient admises uniquement si elles ont été déposées avant la présentation à l'audience du témoignage auquel elles se rapportent et qu'elles corroborent un fait en litige ; attendu que l'écart par rapport au libellé précis de l'article 94 ter est autorisé à condition qu'il soit «simplement de nature technique»4,
ATTENDU que les conclusions et la lettre de l'arrêt rendu le 18 septembre 20005 par la Chambre d'appel s'imposent à la Chambre quant à l'interprétation et à l'application de l'article 94 ter ; que la Chambre dappel a décidé que la condition dantériorité prévue à larticle 94 ter nest pas une simple «condition technique »6, que «les sauvegardes prévues par larticle du Règlement suffisent à écarter tout souci dans le cas où le déclarant ne serait pas cité pour contre-interrogatoire, en garantissant que les éléments de preuve peuvent être contestés»7, et que « lexistence dun lien clair entre le témoignage et la déclaration sous serment soumise [doit être établie], les éléments de preuve introduits pour corroborer le témoignage devant porter essentiellement sur les faits évoqués dans celui-ci, et non sur les circonstances de laffaire en général»,8
ATTENDU qu'à titre préliminaire, il convient de noter que plusieurs faits devant être corroborés ne sont pas des faits en litige puisqu'ils font déjà l'objet d'un accord9 ; que plusieurs autres faits10 ont été suffisamment corroborés par des preuves produites devant la Chambre de première instance, si bien qu'admettre de telles preuves redondantes irait à l'encontre de l'exigence de rapidité du procès visée par l'article 94 ter,
ATTENDU, toutefois, que compte tenu de l'éventuelle pertinence de certains faits devant être corroborés par les déclarations sous serment visées à l'Avis du Procureur11, la Chambre doit se pencher sur la thèse de la Défense selon laquelle lesdites déclarations ne respecteraient pas les conditions visées à l'article 94 ter,
ATTENDU que la certification des déclarations sous serment est une formalité substantielle, élément nécessaire d'une procédure qui permet à la partie adverse d'apprécier la véracité d'une déclaration de témoin ; que le défaut de certification pourrait nuire «à lintégrité de la procédure ou aux droits de laccusé»12 ; qu'en l'espèce, sur les dix déclarations sous serment présentées, huit sont certifiées13 mais six d'entre elles ont été expurgées des parties prouvant leur certification14 ; que ni la Défense ni la Chambre ne sont en mesure de vérifier si les six déclarations sous serment ont été certifiées dans les formes prévues à l'article 94 ter ; que si l'Accusation estime nécessaire d'expurger des déclarations sous serment, il lui incombe de demander l'autorisation de la Chambre avant le dépôt desdites déclarations ; que n'ayant pas reçu la preuve de la certification des déclarations avant la présentation des témoignages oraux, la Chambre estime que les déclarations des Témoins 1 à 6 ne respectent pas les conditions visées à l'article 94 ter,
ATTENDU que la Défense de l'accusé Kvocka a relevé que les déclarations sous serment des Témoins 9 et 10 ont été signées en Bosnie-Herzégovine et certifiées par un juge dans cet État, mais que la certification n'a pas été faite en conformité avec le droit de la Bosnie-Herzégovine ; qu'un juge, et non un enquêteur du Bureau du Procureur, aurait dû recueillir la déclaration ; que la Chambre estime par conséquent que les déclarations des Témoins 9 et 10 ne respectent pas les conditions visées à l'article 94 ter,
ATTENDU que l'Accusation a introduit, à titre de déclarations sous serment, les comptes rendus des propos tenus à l'audience par les Témoins 7 et 8 dans une autre affaire ; que le compte rendu relatif au Témoin 7 est signé, mais que son annexe ne l'est pas, à l'instar du compte rendu relatif au Témoin 8 ; que le Règlement ne dit pas s'il est possible de soumettre un compte rendu de témoignage sous forme de déclaration sous serment ; que, cependant, en vertu de l'arrêt de la Chambre d'appel daté du 18 septembre 200015, il convient d'interpréter strictement l'article 94 ter ; qu'un compte rendu de témoignage n'étant pas une déclaration certifiée recueillie conformément au droit de l'État dans lequel elle a été signée, il n'entre pas dans le cadre fixé par l'article 94 ter ; que dès lors, les comptes rendus des propos tenus à l'audience par les Témoins 7 et 8 ne respectent pas les conditions prescrites audit article,
ATTENDU que les déclaration sous serment proposées ne respectant pas les conditions fixées à l'article 94 ter du Règlement, elles ne sont pas admissibles en tant que telles,
EN APPLICATION des articles 54, 89 et 94 ter du Règlement,
PAR CES MOTIFS,
REJETTE l'Avis du Procureur sur les déclarations sous serment déposées en vertu de l'article 94 ter.
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
Le Président de la Chambre de première instance
M. le Juge Almiro Rodrigues
Fait le 30 octobre 2000
La Haye (Pays-Bas)
[Sceau du Tribunal]