LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Almiro Rodrigues, Président
M. le Juge Fouad Riad
Mme le Juge Patricia Wald

Assistée de :
Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Décision rendue le :
5 décembre 2000

LE PROCUREUR

C/

MIROSLAV KVOCKA
MILOJICA KOS
MLADO RADIC
ZORAN ZIGIC
DRAGOLJUB PRCAC

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DÉCISION RELATIVE À LA «REQUÊTE DE LA DÉFENSE RELATIVE À LA CONCURRENCE DE PROCÉDURES PORTANT SUR LES MÊMES QUESTIONS, DEVANT LE TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR L'EX-YOUGOSLAVIE ET LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE»

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Le Bureau du Procureur :

Mme Brenda Hollis
M. Michael Keegan
M. Kapila Waidyaratne

Les Conseils de la Défense :

M. Krstan Simic pour Miroslav Kvocka
M. Zarko Nikolic pour Milojica Kos
M. Toma Fila pour Mlado Radic
M. Slobodan Stojanovic pour Zoran Zigic

M. Jovan Simic pour Dragoljub Prcac

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I (la «Chambre») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le «Tribunal»),

VU la «Requête relative à la concurrence de procédures portant sur les mêmes questions, devant le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et la Cour internationale de Justice» (la «Requête») déposée le 24 octobre 2000 par la Défense de Zoran Žigic («l'Accusé»), par laquelle il demande à la Chambre de suspendre l’examen des questions pendantes devant la Cour internationale de Justice (la «CIJ»), ou de décider de ne pas statuer sur ces questions et de demander à la CIJ de rendre un avis consultatif en la matière,

VU la «Réponse du Procureur à la "Requête relative à la concurrence de procédures portant sur les mêmes questions, devant le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et la Cour internationale de Justice"» déposée le 16 novembre 2000, par laquelle le Procureur s'oppose à la Requête, et le corrigendum déposé le 27 novembre 2000,

VU l'annexe à la Requête1,

VU la requête au Greffe de la CIJ2 déposée le 20 mars 1993 par la Bosnie-Herzégovine, où sont alléguées à l'encontre de la République fédérale de Yougoslavie des violations de la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide (la «Convention sur le génocide») et d'autres obligations du droit international (la «Requête de la Bosnie-Herzégovine») et l'Arrêt du 11 juillet 1996 par lequel la CIJ s'est déclarée compétente en la matière en vertu de l'Article IX de la Convention sur le génocide3,

ATTENDU que l'Accusé avance que le Tribunal en l'espèce et la CIJ dans l'affaire Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie connaissent de plusieurs questions identiques relatives à la nature du conflit armé en Bosnie-Herzégovine, à l'identité des parties au conflit et à la question de savoir si des crimes ont été commis pendant ce conflit,

ATTENDU que l'Accusé estime que la CIJ et le Tribunal ne devraient pas rendre de décisions contradictoires relatives aux mêmes questions de droit et de fait, que le Tribunal devrait se conformer aux décisions rendues par la CIJ, cette dernière étant l'organe judiciaire principal des Nations Unies et le Tribunal étant quant à lui un organe subsidiaire,

ATTENDU que le Procureur soutient que la Requête est en réalité une exception préjudicielle contestant la compétence du Tribunal et qu'en conséquence, elle devrait être rejetée faute d'avoir été présentée dans les délais fixés par l'article 72 A) du Règlement, et qu'en outre, si elles étaient accordées, les mesures sollicitées par l'Accusé priveraient le Tribunal de son indépendance,

ATTENDU que la CIJ, en tant qu'organe judiciaire principal des Nations Unies, statues sur des questions relatives à la responsabilité des États tandis que le Tribunal, créé par le Conseil de sécurité en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, statue sur la responsabilité pénale des individus,

ATTENDU que «?lga portée et l'objet de la décision que le Conseil de sécurité a prise dans sa résolution 808 (1993) à l'effet de créer un tribunal international sont bien délimités : le tribunal est créé pour juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991»4,

ATTENDU que la plupart des questions identifiées par l'Accusé comme étant portées devant ces deux organes judiciaires, ont déjà été tranchées par le Tribunal,

ATTENDU qu'il n'a pas encore été statué sur la Requête de la Bosnie-Herzégovine et qu'en conséquence, la CIJ n'a rendu, en la matière, aucune décision sur les faits ou sur le droit,

ATTENDU, en conséquence, qu'à ce stade, il est purement hypothétique de prétendre que le Tribunal et la CIJ rendraient des décisions contradictoires,

ATTENDU, par ailleurs, que la suspension du procès en l'espèce jusqu'à ce que la CIJ statue définitivement sur la Requête de la Bosnie-Herzégovine serait contraire à l'objectif qui a présidé à la création du Tribunal et priverait l'Accusé de son droit à être jugé rapidement et équitablement,

PAR CES MOTIFS,

REJETTE la Requête.

 

Fait en français et en anglais.

Le Président de la Chambre de première instance
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Almiro Rodrigues

Fait le 5 décembre 2000
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1. La Requête décrit l'annexe comme une «photocopie de la Requête introductive d’instance publiée par l’Agent de la République de Bosnie-Herzégovine devant la CIJ, extraite du livre The Bosnian People Charge Genocide par F.A. Boyle, Alethia press, Amherst, Massachusetts, 1996».
2. Requête introductive d'instance déposée au Greffe de la Cour le 20 mars 1993, demandant l'application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide [Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie (Serbie-Monténégro)].
3. Affaire relative à l'application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), Exceptions préliminaires, 11 juillet 1996.
4. Comme l'a souligné le Secrétaire général dans son rapport établi conformément au paragraphe 2 de la résolution 808 (1993) du Conseil de sécurité (S/25704), p. 12.