Affaire n° : IT-03-66-PT

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

Devant :
M. le Juge Theodor Meron, Président

Assisté de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
21 octobre 2003

LE PROCUREUR

c/

ISAK MUSLIU

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DÉCISION RELATIVE À LA COMMISSION D’OFFICE D’UN CONSEIL DE LA DÉFENSE

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L’Accusé :

Isak Musliu

Autres parties :

M. Klaus W. Kirchner

 

1. M. Klaus W. Kirchner interjette appel de la décision du Greffier portant radiation de son nom de la liste des conseils tenue en application de l’article 45 B) du Règlement de procédure et de preuve, (le « Règlement »), et du refus du Greffier de le commettre d’office en tant que conseil principal à la défense de l’Accusé, Isak Musliu. Le Greffier a pris la décision de radier le nom de M. Kirchner de la liste des conseils tenue en application de l’article 45 B) du Règlement au motif que celui-ci ne remplissait pas les conditions linguistiques requises énoncées à l’article 14 A) de la Directive relative à la commission d’office de conseils de la Défense, (la « Directive »), et à l’article 44 A) du Règlement.

2. Selon l’article 44 A) du Règlement, un conseil doit parler l’une des deux langues de travail du Tribunal pour être inscrit sur la liste des conseils tenue en application de l’article 45 B) du même Règlement. Cette condition se retrouve également à l’article 14 A) de la Directive, qui énumère les qualifications qu’un conseil doit posséder pour être inscrit sur la liste tenue en application de l’article 44 B) du Règlement. L’article 14 de la Directive et l’article 44 B) du Règlement précisent les cas où il est fait exception à cette condition. L’article 14 A) iii) de la Directive en prévoit une si l’intérêt de la justice l’exige. De façon similaire, l’article 44 B) du Règlement autorise le Greffier, lorsque l’intérêt de la justice l’exige, à admettre un conseil ne parlant aucune des deux langues de travail du Tribunal mais parlant la langue maternelle du suspect ou de l’accusé. Les Directives pratiques doivent être interprétées conformément au Règlement; ainsi, la condition relative à l’intérêt de la justice qui est posée à l’article 14 A) de la Directive ne peut être remplie lorsque le conseil ne parle pas la langue maternelle de l’accusé.

3. M. Kirchner avait été inscrit sur la liste des conseils tenue en application de l’article 45 B) du Règlement sur la base des déclarations qu’il avait faites auprès du Greffe et selon lesquelles il remplissait les conditions linguistiques requises. Cependant, d’après les communications ultérieures de M. Kirchner avec le personnel du Greffe, le Greffier a constaté que M. Kirchner n’avait pas une maîtrise suffisante d’une des deux langues de travail du Tribunal et a radié son nom de la liste, en application de l’article 14 C) de la Directive qui le lui prescrit.

4. L’article 14 de la Directive n’accorde pas à un conseil le droit d’interjeter appel auprès du Président du Tribunal d’une décision du Greffier qui a radié son nom de la liste lorsque le motif de la radiation réside dans le fait que ledit conseil ne remplit pas les conditions posées à l’article 14 A) de la Directive. Il existe un droit d’appel auprès du Président du Tribunal selon l’article 44 B) du Règlement, mais cet article exige qu’un conseil qui n’est compétent dans aucune des deux langues de travail du Tribunal, parle la langue de l’accusé, s’il doit être commis d’office dans l’intérêt de la justice. En l’espèce, le conseil ne parle pas la langue de l’Accusé. Dans la mesure où l’appelant interjette appel en application de l’article 44 B) du Règlement, son appel doit être rejeté puisqu’il ne remplit pas la condition requise par cette disposition au lieu des exigences linguistiques habituelles.

5. M. Kirchner conteste également le refus du Greffier de reconnaître le mandat que lui aurait donné l’Accusé, Isak Musliu, de le représenter en tant que conseil. Le Greffier a fondé son refus sur le fait qu’il n’était pas convaincu que la demande, en vue de la commission d’office de M. Kirchner en tant que conseil principal, rédigée en anglais par Isak Musliu, avait été expliquée à ce dernier dans une langue qu’il comprenait. À la suite de ce refus, et après le dépôt de l’appel en question, Isak Musliu a, le 6 octobre, avisé le Greffe qu’il souhaitait la nomination, comme conseil principal, de M. Kirchner. Le Greffe a répondu à cette demande le 13 octobre, informant Isak Musliu que le nom de M. Kirchner avait été radié de la liste des conseils, et que l’appel interjeté par M. Kirchner de cette décision était pendant devant le Président du Tribunal. Dès lors, le refus du Greffier de reconnaître le mandat déposé par le conseil est maintenant sans objet. Par ailleurs, le nom de M. Kirchner ayant été radié de la liste tenue en application de l’article 45 B) du Règlement au motif que celui-ci n’avait pas les compétences linguistiques requises, le refus du Greffier de commettre d’office M. Kirchner en application de l’article 45 C) du Règlement, à la demande d’Isak Musliu, était justifié puisque le Greffier avait déjà constaté que le conseil ne remplissait pas les conditions énoncées à l’article 44 du Règlement.

6. Ayant établi que le conseil ne peut former de recours auprès du Président en vertu de l’article 14 de la Directive contre la décision du Greffier de radier son nom de la liste tenue en application de l’article 45 B) du Règlement faute de satisfaire aux conditions linguistiques requises, et qu’un recours en application de l’article 44 B) du Règlement ne peut aboutir puisque le conseil ne parle pas la langue de l’Accusé, l’appel est rejeté.

7. Bien qu’ayant conclu au rejet de l’appel interjeté par le conseil, je crains, d’après les éléments qui m’ont été présentés par ce dernier et par le Greffe, que la décision du Greffier de radier le nom du conseil de la liste tenue en application de l’article 45 B) du Règlement ait été prise sans qu’auparavant le conseil se soit vu accorder la possibilité d’être entendu. Après la décision dont appel, le Greffe a reçu de la part du coconseil commis à la défense de l’Accusé, M. Powles, qui est anglophone, l’assurance que le conseil était en fait compétent en anglais. Ce dernier a également envoyé des lettres au Greffe quant à la preuve de sa maîtrise de cette langue. Si le conseil peut effectivement convaincre le Greffier qu’il remplit bien les conditions linguistiques requises pour être inscrit sur la liste des conseils tenue en application de l’article 45 B) du Règlement, il lui faut en fournir les preuves voulues au Greffier et solliciter de ce dernier l’examen de sa demande au vu des éléments justificatifs qu’il présente.

 

Le 21 octobre 2003
La Haye (Pays-Bas)

Le Président du Tribunal
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Theodor Meron

[Sceau du Tribunal]