Affaire n° : IT-03-66-R77

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I

Composée comme suit :
M. le Juge Amin El Mahdi, Président
M. le Juge Liu Daqun
M. le Juge György Szénási

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
25 avril 2005

LE PROCUREUR

c/

BEQA BEQAJ

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE LA DÉFENSE AUX FINS DE RECONSIDÉRER L’ORDONNANCE METTANT FIN À LA LIBERTÉ PROVISOIRE DE L’ACCUSÉ

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Le Bureau du Procureur :

M. David Akerson 
M. Jason Dominguez

Le Conseil de l’Accusé :

M. Tjarda Eduard van der Spoel

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I (la « Chambre ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),

VU l’Ordonnance aux fins de mise en liberté provisoire, déposée le 4 mars 2005, par laquelle la Chambre a ordonné la mise en liberté provisoire de Beqa Beqaj (l’« Accusé »), et l’Ordonnance mettant fin à la liberté provisoire de Beqa Beqaj, en date du 7 avril 2005,

VU la requête aux fins de reconsidérer l’Ordonnance mettant fin à la liberté provisoire de Beqa Beqaj (Motion to Re-examine the Order Terminating the Provisional Release of Beqa Beqaj), déposée le 11 avril 2005, par laquelle la Défense prie la Chambre 1) de révoquer l’Ordonnance mettant fin à la liberté provisoire de Beqa Beqaj au motif que l’arrestation et le placement en détention préventive d’une personne accusée d’outrage au Tribunal international sont illégaux, et 2) de demander aux autorités néerlandaises de permettre à l’Accusé de rester en liberté provisoire sur le territoire des Pays-Bas durant son procès (la « Requête »),

VU la réponse à la Requête (Prosecutor’s Response to Defence’s Motion to Re-examine the Order Terminating the Provisional Release of Beqa Beqaj), déposée le 18 avril 2005, dans laquelle l’Accusation fait observer que la Défense n’avance aucun argument de fait ou de droit lui permettant d’affirmer que le Tribunal international ne pouvait pas ordonner l’arrestation et le placement en détention préventive de l’Accusé (la « Réponse »),

ATTENDU que la Défense fait valoir à l’appui de la Requête que le mandat d’arrêt portant ordre de transfèrement a été délivré contre l’Accusé en application, entre autres, de l’article 29 du Statut qui dispose que les États collaborent avec le Tribunal international au jugement des personnes accusées d’avoir commis des violations graves du droit international humanitaire et non un délit relevant de l’article 77 du Règlement de procédure et de preuve (outrage au Tribunal),

ATTENDU que l’Accusation répond en substance a) que la Requête ne précise pas si l’Accusé a été arrêté avec la coopération d’un État1, b) que l’article 29 2) du Statut dispose que les États répondent à toute ordonnance émanant d’une Chambre de première instance et concernant « le transfert ou la traduction de l’accusé devant le Tribunal »2, c) qu’il résulte de l’article 29 1) du Statut que les États peuvent choisir de coopérer avec le Tribunal international dans un but autre que celui de poursuivre des personnes accusées de violations graves du droit international humanitaire et d’enquêter sur elles3, et d) que l’article 29 1) du Statut peut s’interpréter comme imposant aux États de coopérer au règlement de questions incidentes découlant des affaires principales – par exemple dans des affaires d’outrage – et que toute autre interprétation mettrait en cause le pouvoir inhérent qu’a le Tribunal selon l’article 77 du Règlement de préserver l’intégrité de ses procédures et de protéger les témoins4,

ATTENDU que l’article 22 du Statut dispose notamment que le « Tribunal international prévoit dans ses règles de procédure et de preuve des mesures de protection des victimes et des témoins », et que la protection des témoins est une condition sine qua non pour que le Tribunal puisse pleinement exercer sa compétence,

ATTENDU qu’il est établi qu’un tribunal international a le pouvoir inhérent de préserver l’intégrité de ses procédures, et qu’il est également compétent pour statuer sur les recours et procédures qui viennent se greffer sur les affaires dont il est régulièrement saisi,

ATTENDU que l’article 77 du Règlement dispose que « [d]ans l’exercice de son pouvoir inhérent, le Tribunal peut déclarer coupable d’outrage les personnes qui entravent délibérément et sciemment le cours de la justice, y compris notamment toute personne qui […] iv) menace, intimide, lèse, essaie de corrompre un témoin, ou un témoin potentiel, qui dépose, a déposé ou est sur le point de déposer devant une Chambre de première instance ou de toute autre manière fait pression sur lui ; ou v) menace, intimide, essaie de corrompre ou de toute autre manière cherche à contraindre toute autre personne, dans le but de l’empêcher de s’acquitter d’une obligation découlant d’une ordonnance rendue par un Juge ou une Chambre »,

ATTENDU que le libellé sans ambiguïté de l’article 77 du Règlement confirme le pouvoir inhérent du Tribunal international et organise son exercice,

ATTENDU que la Défense n’affirme pas que l’arrestation ou la détention de l’Accusé constituaient une violation des droits de celui-ci qui était à ce point flagrante qu’elle portait atteinte à l’intégrité du Tribunal international (et donc à son droit de juger l’Accusé), mais que pareilles arrestation et détention allaient à l’encontre de l’article 29 1) du Statut et demande, en conséquence, que l’Accusé ne soit pas placé sous la garde du Tribunal durant son procès,

ATTENDU que l’article 29 1) du Statut dispose que les « États collaborent avec le Tribunal au jugement des personnes accusées d’avoir commis des violations graves du droit international humanitaire », et que l’article 29 2) du Statut dispose que les « États répondent sans retard à toute demande d’assistance ou à toute ordonnance émanant d’une Chambre de première instance et concernant, sans s’y limiter : […] d) l’arrestation ou la détention des personnes ; e) le transfert ou la traduction de l’accusé devant le Tribunal »,

ATTENDU que le libellé de l’article 29 2) du Statut accrédite clairement l’idée que le Tribunal international est nécessairement compétent pour trancher les questions incidentes qui découlent des affaires principales dont il a à connaître,

ATTENDU en conclusion que l’arrestation de l’Accusé et la détention préventive qui a suivi ne vont pas à l’encontre de l’article 29 du Statut,

ATTENDU que l’article 64 du Règlement dispose qu’« [a]près son transfert au siège du Tribunal, l’accusé est détenu dans les locaux mis à disposition par le pays hôte ou par un autre pays. Dans des circonstances exceptionnelles, l’accusé peut être détenu dans des locaux situés hors du pays hôte. Le Président peut, à la demande d’une des parties, faire modifier les conditions de la détention de l’accusé »,

ATTENDU qu’il eût été possible de soumettre au Président du Tribunal une demande de modification des conditions de détention de l’Accusé afin que ce dernier ne soit pas maintenu en détention préventive pendant son procès, mais qu’aucune demande de ce genre n’a été faite5,

EN APPLICATION des articles 22 et 29 du Statut et des articles 54, 65 et 77 du Règlement de procédure et de preuve,

REJETTE la Requête.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 25 avril 2005
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
______________
Amin El Mahdi

[Sceau du Tribunal]


1. Réponse, par. 3.
2. Réponse, par. 4.
3. Réponse, par. 6.
4. Réponse, par. 7.
5. Durant la réunion tenue le 6 avril 2005 en application de l’article 65 ter du Règlement, la Défense a été informée que les autorités néerlandaises n’autorisent pas les personnes déférées devant le Tribunal international à séjourner aux Pays-Bas sans y être en détention.