Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le jeudi 2 décembre 2004

  2   [Audience publique]

  3   [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

  4   --- L'audience est ouverte à 14 heures 18.

  5   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Vous pouvez faire entrer le témoin.

  6   [Le témoin est introduit dans le prétoire]

  7   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Bonjour. Veuillez vous asseoir.

  8   Je vous rappelle que vous avez prêté serment au début de votre déposition,

  9   et ce serment reste valable.

 10   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

 11   LE TÉMOIN: VOJKO BAKRAC : [Reprise]

 12   [Le témoin répond par l'interprète]

 13   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Black.

 14   M. BLACK : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 15   Interrogatoire principal par M. Black : [Suite]

 16   Q. [interprétation] Monsieur Bakrac, me comprenez-vous ?

 17   R.  Oui, je vous comprends.

 18   Q.  Je crois que je vous ai déjà dit cela hier. Je vais le répéter. Une

 19   fois de plus, si jamais vous avez du mal à comprendre ma question,

 20   n'hésitez pas à me le dire. Je tâcherai de la reformuler de manière plus

 21   claire. Comprenez-vous cela ?

 22   R.  Oui, je comprends.

 23   Q.  Merci.

 24   Je souhaiterais commencer par revoir un certain nombre de choses que vous

 25   avez dites hier de manière à être certain des faits.

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  1   M. BLACK : [interprétation] Monsieur le Président, peut-on passer en huis

  2   clos partiel pour un certain nombre de ces points, s'il vous plaît ?

  3   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Huis clos partiel.

  4   [Audience à huis clos partiel]

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 21   [Audience publique]

 22   M. BLACK : [interprétation]

 23   Q.  Monsieur Bakrac, je vous ai posé des questions hier à propos du moment

 24   où l'on vous a fait descendre du bus, et vous nous avez dit, je

 25   m'interromps, vous souvenez-vous de ces questions ?

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  1   R.  Si l'on pouvait me le rappeler, je m'en souviendrais.

  2   Q.  Je vais essayer de vous aider en vous en souvenir. Vous nous avez dit

  3   qu'il y avait quelques autres Serbes à bord du car à part vous et votre

  4   famille. Vous avez dit que vous-même et votre fils, et des hommes du nom de

  5   Genov et de Cuk ont été invités à quitter le car par des soldats. Les

  6   soldats les ont fais descendre du car. Vous souvenez-vous de cela ?

  7   R.  Oui, je m'en souviens.

  8   Q.  J'ai simplement oublié de vous poser une question, c'est la suivante :

  9   y avait-il à bord du car des Serbes que l'on n'a pas fait descendre du

 10   car ?

 11   R.  Plus tard, lorsque j'ai retrouvé mon épouse, j'en ai entendu parler.

 12   J'ai entendu dire qu'il y avait eu  des problèmes avec ma femme, et que

 13   l'homme qui demandait à vérifier les documents n'est pas allé tout au fond

 14   du car. En fait, il s'est arrêté à l'endroit où se trouvait ma femme, en

 15   raison de toute cette agitation.

 16  

 17   Q.  Merci. Je passe à présent à une autre question.

 18   Vous souvenez-vous qu'hier, je vous ai posé un certain nombre de

 19   questions à propos du moment où vous êtes arrivé pour la première fois à

 20   cet endroit ? Je n'entends pas par là le bâtiment de l'école, mais

 21   l'endroit que vous avez décrit comme étant une maison ou une ferme. Vous

 22   souvenez-vous de cela, de manière générale ?

 23   R.  Oui.

 24   Q.  Je vais vous lire le passage spécifique sur lequel je souhaiterais

 25   concentrer nos efforts. Ma question était la suivante : "Que s'est-il passé

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  1   lorsque vous êtes arrivé à destination ?"

  2   M. BLACK : [interprétation] Monsieur le Président, Madame, Monsieur les

  3   Juges, il s'agit de la page 1 305 du compte rendu corrigé. Je crois que

  4   c'est la page 68 de l'autre version.

  5   Q.  Permettez-moi de répéter cela. La question que je vous ai posée était

  6   la suivante : "Que vous êtes-il arrivé lorsque vous êtes arrivé à la

  7   destination ?"

  8   Vous avez répondu : "Nous sommes entrés dans la cour. Il y avait un grand

  9   portail. Nous étions en position debout devant la maison, et ils nous ont

 10   pris tous les deux, et ils nous ont fait entrer. Par tous les deux,

 11   j'entends Ivan et moi-même."

 12   Et je vous ai demandé : "Est-ce qu'on a retiré le bandeau qui vous bandait

 13   les yeux ?"

 14   Et vous avez répond : "Oui, il faisait nuit. On ne voyait rien dans

 15   la cour."

 16   M. BLACK : [interprétation] Je souhaiterais que M. Younis me porte

 17   assistance à présent. Monsieur le Président et Madame, Monsieur les Juges,

 18   pourrait-on remettre au témoin un exemplaire d'un document qui a été marqué

 19   aux fins d'identification, P77, hier ?

 20   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Pourquoi le témoin devrait-il être

 21   invité à examiner ce document à ce stade-ci ?

 22   M. BLACK : [interprétation] Je souhaitais simplement indiquer quelles

 23   étaient les incohérences entre ce qu'il a dit hier, et ce qui figurait dans

 24   la déclaration, et essayer de voir s'il se souvient exactement de ce qui

 25   s'est passé.

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  1   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] La déclaration n'est pas un moyen de

  2   preuve, et à moins qu'il soit examiné dans le cadre du contre-

  3   interrogatoire, c'est une question que nous ne pouvons pas explorer.

  4   M. BLACK : [interprétation] Très bien.

  5   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Désolé, mais il ne s'agit pas de

  6   savoir si ces dépositions, son témoignage est cohérent ou pas. Vous le

  7   comprenez bien.

  8   M. BLACK : [interprétation] Oui, je le comprends. J'essayais simplement de

  9   préciser les choses autant que possible.

 10   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous suis très reconnaissant, parce

 11   que j'ai bien peur que sinon, nous risquons d'avoir des sérieux retards

 12   liés au témoignage --

 13   M. BLACK : [interprétation] Très bien, Monsieur le Président. Merci.

 14   Q.  Excusez-moi, Monsieur Bakrac. Je vais passer à une autre question. Vous

 15   nous avez dit également hier qu'à un moment donné, on vous avez fait

 16   descendre dans un sous-sol. Vous souvenez-vous de cela ?

 17   R.  Oui. Après ce bâtiment-là, on nous a fait descendre au sous-sol.

 18   Q.  Permettez-moi de faire référence à ce passage-là, qui m'intéresse tout

 19   particulièrement à ce stade-ci. La question que je vous ai posée est la

 20   suivante : "Vous dites que l'on vous a fait passer dans une autre salle.

 21   Pourriez-vous décrire comment cela s'est-il produit ?"

 22   Et vous avez répondu : "Je ne peux pas vous donner des détails précis, mais

 23   quoi qu'il en soit, après les incidents, le problème avec le couteau, et

 24   très peu après cela, nous sommes tous allés au sous-sol. Tout d'abord eux

 25   deux, et ensuite on s'est demandé ce qu'on allait faire de nous. Et eux,

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  1   ils ont dit que nous allions également devoir aller au sous-sol."

  2   Puis je vous ai demandé : "Vous souvenez-vous de la personne qui vous a dit

  3   qu'il allait falloir vous faire descendre au sous-sol aussi ?"

  4   Votre réponse a été : "Je ne sais pas qui l'a dit, mais quoi qu'il en soit,

  5   ce que je sais très bien, c'est que cela a été dit."

  6   Monsieur Bakrac, cela rafraîchirait-il votre mémoire de pouvoir examiner la

  7   déclaration que vous avez faite le 2 août 1998 ?

  8   M. GUY-SMITH : [interprétation] On peut difficilement rafraîchir la mémoire

  9   du témoin.

 10   M. KHAN : [interprétation] Monsieur le Président, je fais une remarque

 11   d'ordre quelque peu différent. Au début de la déposition du témoin d'hier,

 12   on lui a demandé, c'est mon éminent collègue qui lui a posé la question, de

 13   savoir s'il allait pouvoir faire des déclarations en plus de la déclaration

 14   écrite, et en plus du système de vérification dans ns lequel s'engage

 15   l'Accusation. On lui a demandé de lire une déclaration à laquelle fait

 16   référence mon éminent collègue. En fait, je crois que l'on peut

 17   difficilement et c'est même inapproprié de lui demander de voir s'il se

 18   souvient de cela.

 19   M. BLACK : [interprétation] Monsieur le Président, si vous me permettez --

 20   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] J'en serais reconnaissant.

 21   M. BLACK : [interprétation] -- je lui ai demandé s'il savait qui l'avait

 22   emmené au sous-sol [comme interprété] et il a répondu, "Je ne sais pas qui

 23   l'a dit." Alors, peut-être puis-je lui demander s'il s'en souvient ou s'il

 24   ne s'en souvient pas ? Et s'il ne s'en souvient pas, il me semble que je

 25   devrais pouvoir être autorisé à lui rafraîchir la mémoire.

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  1   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je crois que là nous avons une

  2   divergence d'opinion, Monsieur Black.

  3   M. BLACK : [interprétation] Je comprends.

  4   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Vous pouvez poser la première

  5   question, mais je ne vois pas l'intérêt de passer à la deuxième.

  6   M. BLACK : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Je ne sais pas si

  7   je suis parvenu à préciser les choses par rapport à hier, mais quoi qu'il

  8   en soit, je vais poursuivre.

  9   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Sur d'autres questions, peut-être.

 10   M. BLACK : [interprétation]

 11   Q.  Monsieur Bakrac, je souhaiterais revenir au point où nous nous étions

 12   arrêtés, hier. Vous nous aviez décrit hier comment vous étiez disposé dans

 13   le sous-sol, vous et les autres détenus. Vous en souvenez-vous ?

 14   R.  Oui, je m'en souviens.

 15   Q.  Je demanderais à M. Younis de bien vouloir m'aider, et j'aurais recours

 16   au logiciel Sanction pour montrer une partie de la pièce à conviction de

 17   l'Accusation portant la cote P5.

 18   Monsieur Bakrac, reconnaissez-vous l'endroit que vous voyez apparaître à

 19   l'écran devant vous ?

 20   R.  Oui, je reconnais cet endroit.

 21   Q.  Est-ce qu'il s'agit là du sous-sol où l'on vous a fait descendre ?

 22   R.  Oui.

 23   M. BLACK : [interprétation] Je demanderais à M. Younis de bien vouloir, au

 24   moyen du logiciel, nous faire pénétrer dans cette pièce.

 25   Q.  Monsieur Bakrac, reconnaissez-vous ce qui apparaît à présent à

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  1   l'écran ?

  2   R.  Pas avec ces choses, mais c'est effectivement le sous-sol. L'aspect

  3   était différent lorsque la pièce était vide et qu'il n'y avait que des

  4   gens. Il y avait de étagères attachées aux mûrs. Et je me souviens que

  5   lorsque je dormais, ma tête était en dessous de ces étagères.

  6   M. BLACK : [interprétation] Je demanderais à M. Younis de nous présenter

  7   une autre prise de vue.

  8   Q.  Monsieur Bakrac, reconnaissez-vous cet endroit ?

  9   R.  Oui. Oui, c'est à cela que cela ressemblait. Mais comme je vous l'ai

 10   dit, ces choses-là n'y étaient pas à l'époque.

 11   Q.  Vous nous avez dit qu'une nuit, vous aviez dormi en dessous d'une

 12   étagère, que votre tête était en dessous d'une étagère. Pourriez-vous nous

 13   dire, en vous fondant sur votre souvenir et sur ce que vous voyez

 14   apparaître à l'écran, de quelle étagère il s'agissait ?

 15   R.  Je ne comprends pas votre question. Pourriez-vous la répéter, s'il vous

 16   plaît ?

 17   Q.  C'est vrai qu'elle n'était pas une très bonne question. Elle manquait

 18   de clarté.

 19   Je vous demanderais de bien vouloir regarder l'image qui apparaît à

 20   l'écran. Je vous demanderais de bien vouloir décrire quelle est l'étagère

 21   sous laquelle vous avez dormi ?

 22   R.  D'abord, sous l'étagère qui est à droite et une nuit, sur l'étagère

 23   elle-même.

 24   Q.  Merci. Je crois que nous n'avons plus besoin du logiciel Sanction pour

 25   l'instant.

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  1   M. BLACK : [interprétation] Monsieur le Président, simplement aux fins du

  2   compte rendu, la dernière image, que j'ai montrée à M. Bakrac et que M.

  3   Younis nous a permis de balayer, porte la cote ERN U0083678, simplement aux

  4   fins des référence à venir.

  5   Q.  Monsieur Bakrac, combien de temps avez-vous passé, vous et votre fils,

  6   dans ce sous-sol ?

  7   R.  Je crois y avoir passé deux ou trois jours et deux ou trois nuits, pas

  8   plus que cela.

  9   Q.  Je souhaiterais que vous nous décriviez ce sous-sol, et je vous poserai

 10   cette première question. De quoi était fait le sol si vous vous en

 11   souvenez ?

 12   R.  C'était d'abord couvert de pailles et de foin. Je ne pourrais pas dire

 13   avec précision s'il y avait aussi du béton. Il y en avait sans doute. Oui.

 14   Q.  Est-ce qu'il y avait suffisamment de places dans ce sous-sol pour que

 15   vous puissiez étendre vos jambes ?

 16   R.  Non. Il n'y avait pas assez de places pour que nous puissions nous

 17   étendre.

 18   Q.  Y avait-il une toilette, des toilettes dans ce sous-sol ?

 19   R.  Non.

 20   Q.  Comment faisiez-vous vos besoins ?

 21   R.  Il y avait un sceau. Il y avait une boîte en fer près de la porte.

 22   Q.  Est-ce que l'on vous autorisait à quitter le sous-sol, Monsieur ?

 23   R.  Non.

 24   Q.  Y avait-il un garde à la porte ?

 25   R.  Il y avait quelqu'un qui était posté là en permanence. Des gens comme

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  1   des gardes, mais il n'y avait pas tout le temps quelqu'un qui était posté

  2   là.

  3   Q.  Vous souvenez-vous de l'un quelconque de ces gardes plus précisément ?

  4   R.  Je me souviens du moment où un matin un homme est venu. Il est entré et

  5   il a apporté un paquet de cigarettes à chacun d'entre nous qui fumions, et

  6   un petit déjeuner. Non, à vrai dire, non. Il n'y avait pas de petit

  7   déjeuner. C'est la première fois que j'ai rencontré le garde.

  8   Q.  Qui vous a apporté à manger et des cigarettes ?

  9   R.  Des hommes qui étaient là. Il l'appelait Shala. Je m'en souviens. J'ai,

 10   par la suite, eu de nombreux contacts avec lui.

 11   Q.  Quel est âge avait Shala ?

 12   R.  Je ne sais pas, 45, 50 ans. Je ne suis sûr de rien. C'était quelqu'un

 13   d'un certain âge. Quelque chose comme cela.

 14   Q.  Vous souvenez-vous de sa taille ?

 15   R.  Je ne sais pas. A peu près de la même taille que moi. Peut-être un plus

 16   petit un plus grand, je ne sais pas. Quelque chose comme cela à peu près.

 17   Q.  Pourriez-vous décrire les traits de son visage ?

 18   R.  Il portait un couvre-chef. Il avait une moustache noire.

 19   Q.  De quelle couleur étaient ses cheveux ?

 20   R.  Je pense qu'ils étaient de couleur foncée. Des cheveux de couleur

 21   foncée.

 22   Q.  Outre le couvre-chef, vous souvenez-vous de la tenue qu'il portait ?

 23   R.  Non.

 24   Q.  Quel rôle Shala jouait-il dans le camp ?

 25   M. GUY-SMITH : [interprétation] Monsieur le Président, je crois qu'il

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  1   serait souhaitable que l'on reformule la question. On la formule

  2   différemment. Cela semble être allé dans un sens donné. Je vais peut-être

  3   un peu vite en besogne.

  4   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, effectivement. Je crois que vous

  5   allez peut-être un peu vite en besogne.

  6   M. GUY-SMITH : [interprétation] Je vais me rasseoir, à ce moment-là.

  7   M. BLACK : [interprétation]

  8   Q.  Veuillez répondre à la question, si vous pouvez, Monsieur Bakrac ?

  9   R.  Son rôle était probablement d'être là en tant que garde. Il

 10   communiquait avec nous qui étions détenus là. Il nous apportait à manger,

 11   des cigarettes, et c'est tout.

 12   Q.  Comment Shala vous traitait-il vous et votre fils ?

 13   R.  Bien. Nous n'avions pas de contact particulier dans ce sous-sol.

 14   Q.  Vous dites que vous n'aviez pas de contact particulier. Pourriez-vous

 15   nous expliquer ce que vous entendez par là ?

 16   R.  Nous étions au sous-sol, et personne ne vous posait quelques questions

 17   que ce soit. On ne nous demandait rien. On a fait que nous retirer les

 18   chaînes en or que nous avions autour du cou. C'était une nuit. Je ne me

 19   souviens plus qui l'a fait.

 20   Q.  Est-ce que vous avez eu après votre départ du sous-sol des contacts

 21   avec Shala ?

 22   R.  Oui. Nous nous sommes parlés de façon formelle. Rien de particulier.

 23   Lorsqu'il venait nous voir. C'est tout.

 24   Q.  Peut-être puis-je vous poser une question plus précise ? Quelle était

 25   la fréquence de vos rencontres avec Shala approximativement ?

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  1   R.  Nous le voyions à chaque fois qu'il était là.

  2   Q.  C'était à quelle fréquence ?

  3   R.  Il changeait les gens qui étaient là comme des sortes de garde. Il y

  4   avait deux autres hommes à par lui.

  5   M. BLACK : [interprétation] Je vais essayer de vous poser une question que

  6   je vais essayer de formuler d'une manière non tendancieuse. Peut-être

  7   pourriez-vous nous guider, Monsieur le Président, si je m'égarde ?

  8   Q.  Monsieur Bakrac, voyez-vous M. Shala une fois par semaine, une fois par

  9   jour ? Pourriez-vous nous donner une indication de la fréquence de vos

 10   rencontres ?

 11   R.  Pendant que nous étions au sous-sol, nous ne l'avons pas vu du tout.

 12   Lorsqu'ils nous ont transférés dans la pièce qui se trouvait dans le

 13   bâtiment principal, là, nous le voyons. Parfois, quelques fois par jour.

 14   Bien entendu, lorsqu'il était là.

 15   Q.  Merci. Vous avez dit que vous n'avez eu que des échanges formels avec

 16   Shala. Est-ce que, lorsque vous lui parliez, vous le regardiez dans les

 17   yeux ?

 18   R.  Oui.

 19   Q.  A quelle distance étiez-vous de lui lorsque vous lui parliez ?

 20   R.  Comme lorsque l'on parle normalement à quelqu'un, pas très loin. Nous

 21   étions dans la même pièce.

 22   Q.  Merci. Je souhaiterais à présent vous demander ceci. Pendant que vous

 23   étiez dans le sous-sol, est-ce que l'un quelconque des détenus vous a dit

 24   qu'il avait été frappé ?

 25   R.  Ils ont dit qu'ils n'avaient pas été frappés.

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  1   Q.  L'un quelconque de ces hommes a-t-il été frappé, alors que vous vous

  2   trouviez dans le sous-sol ?

  3   R.  Oui. Genov a été emmené à l'extérieur, puis ramené, une demie heure

  4   plus tard ou une heure plus tard, et on le frappait.

  5   Q.  A combien de reprises cela s'est-il produit ?

  6   R.  Tous les jours. Je crois que c'était une fois, et je me souviens d'une

  7   nuit, d'un soir où ils l'ont emmené à deux reprises.

  8   Q.  A quelle heure emmenait-il Genov pour le frapper ?

  9   R.  Une fois, c'était au cours de la journée. Puis, le reste du temps, cela

 10   se produisait la nuit.

 11   Q.  N'avez-vous jamais vu les personnes qui venaient chercher Genov ?

 12   R.  Non. Il faisait nuit. Je me souviens qu'ils portaient des capuchons sur

 13   la tête, et même sans cela, nous n'aurions pas été à même de voir leurs

 14   visages.

 15   Q.  Dans quel état était Genov lorsqu'il revenait dans le sous-sol après

 16   ces passages à tabac ?

 17   R.  A de nombreuses reprises, il était seulement à demi conscient. Il avait

 18   été roué de coups. A un moment donné, il est même revenu totalement

 19   inconscient.

 20   Q.  Avez-vous tenté d'aider Genov ?

 21   R.  Oui, j'avais un mouchoir. Je l'avais humecté d'eau. Ivan et moi-même

 22   placions ce mouchoir sur ses reins et sur sa poitrine, comme une sorte de

 23   cataplasme.

 24   Q.  Genov, pouvait-il utiliser le sceau pour se soulager, faire ses

 25   besoins ?

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  1   R.  Non. Il lui était impossible de se soulager. Je me souviens qu'une

  2   fois, nous avons approché le sceau de lui afin qu'il puisse faire ses

  3   besoins, mais il était incapable de se déplacer lui-même jusqu'au sceau.

  4   Q.  Genov ne vous a-t-il jamais parlé de l'état dans lequel il se trouvait

  5   ou ne vous a-t-il jamais demandé de l'aide ?

  6   R.  Une nuit, il m'a demandé, à moi ou à Ivan en premier, je ne sais plus

  7   très bien, il m'a demandé de l'étrangler parce qu'il ne pouvait plus

  8   continuer comme cela. Ni moi, ni Ivan n'avons pu le faire.

  9   Q.  Lorsque vous étiez dans le sous-sol, à l'exception des personnes qui

 10   s'y trouvaient avec vous, avez-vous vu d'autres individus qui semblaient

 11   être également des détenus ?

 12   R.  Nous n'avons vu personne du sous-sol. Nous avons juste aperçu des gens

 13   passés, mais nous n'avons pas osé nous approcher de la fenêtre. On voyait

 14   juste des gens passés.

 15   Q.  Lorsque vous nous parlez de ces gens qui passaient, est-ce que vous

 16   savez d'où ils venaient, où ils allaient ?

 17   R.  Nous ne les voyions pas en fait, nous entendions leurs pas. Puis, une

 18   demi-heure plus tard, nous entendions d'autres bruits de pas, de personnes

 19   qui revenaient.

 20   Q.  Monsieur Bakrac, au cours de votre détention dans le sous-sol, ne vous

 21   a-t-on jamais dit pourquoi vous y trouviez, pourquoi on vous y avait

 22   placé ?

 23   R.  Non. Personne ne nous a donné la raison de notre présence. Un jour, les

 24   frères Krstic nous ont dit que nous allions être libérés et qu'il n'y avait

 25   aucune raison pour nous d'avoir peur, qu'Ivan et moi-même allions être

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  1   libérés.

  2   Q.  Mais l'un ou l'autre des soldats vous ont-ils dit que vous étiez accusé

  3   d'un crime ou d'un délit particulier ?

  4   R.  Non.

  5   Q.  Monsieur Bakrac, vous avez dit être resté dans le sous-sol pendant

  6   environ deux ou trois jours ou deux jours et deux nuits. Avez-vous fini par

  7   quitter ce sous-sol ?

  8   R.  Oui, à un moment donné. Je crois que c'était le troisième jour.

  9   Q.  Vous-même et Ivan, avez-vous quitté le sous-sol en même temps ?

 10   R.  Non. Un homme est d'abord venu chercher Ivan et a dit qu'il devait

 11   sortir. Il est sorti, la porte s'est refermée. J'étais bouleversé, j'ai

 12   commencé à pleurer. Les autres ont essayé de me consoler, de me calmer en

 13   me disant que rien de mal n'allait arriver, mais je suis père.

 14   Q.  Pouvez-vous nous donner une description de la personne qui est venue

 15   chercher Ivan et qui lui a dit de sortir ?

 16   R.  C'était un homme plus grand que moi. Il portait un uniforme de

 17   camouflage. Un uniforme tout à fait propre. Il avait une petite barbe, et

 18   il portait un sac d'officier, une sacoche d'officier.

 19   Q.  Vous souvenez-vous de son âge ?

 20   R.  Il avait 30, 35 ans. Il était plus jeune que moi si ma mémoire est

 21   bonne.

 22   Q.  Ce commandant vous a-t-il dit quoi que ce soit concernant son niveau

 23   d'éducation ou concernant le milieu dont il venait ?

 24   M. KHAN : [interprétation] Excusez-moi. Bien entendu, mon confrère devait

 25   s'attendre à l'objection que je m'apprête à faire. Je crois qu'il peut dire

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  1   : Est-ce que cette personne vous a dit quoi que ce soit ? Mais je ne crois

  2   pas qu'il soit absolument nécessaire de suggérer un thème de conversation,

  3   en particulier, qui n'a même pas été abordé par le témoin dans le cadre de

  4   sa déposition.

  5   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je ne suis pas tout à fait sûr d'être

  6   d'accord avec vous, Maître Khan. Je crois que Me Black essaie simplement de

  7   concentrer l'attention du témoin sur un thème particulier et lui demande

  8   simplement ce qui a été dit sur ce thème. Cela étant, il n'est pas en train

  9   de lui suggérer le contenu même d'une quelconque conversation.

 10   M. KHAN : [interprétation] Je vous remercie.

 11   M. GUY-SMITH : [interprétation] J'aurais une observation quelque peu

 12   différente à faire, Monsieur le Président. Je crois qu'il guide d'une

 13   certaine manière le témoin. Il essaie de l'amener à identifier un individu

 14   particulier, et de lui faire dire que cette personne a joué un rôle

 15   particulier, qu'elle occupait un poste, un statut particulier. Or, ce

 16   témoin n'a rien dit lui-même sur ce point. Bien sûr, en lui mentionnant ce

 17   genre d'information --

 18   M. BLACK : [interprétation] Je vais essayer de résoudre le problème. C'est

 19   peut-être une erreur de ma part. Je vais essayer de reformuler la question.

 20   M. GUY-SMITH : [interprétation] Merci beaucoup.

 21   M. BLACK : [interprétation]

 22   Q.  Monsieur Bakrac, cette personne, dont vous venez de nous donner une

 23   description, vous a-t-elle dit quoi que ce soit concernant le milieu dont

 24   elle venait, concernant la scolarité, les études qu'elle a suivies ?

 25   R.  Il me semble qu'il n'a rien dit dans le sous-sol, mais je l'ai

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  1   rencontré une autre fois par la suite.

  2   Q.  Lors de cette autre rencontre, vous a-t-il dit quoi que ce soit

  3   concernant sa personne, concernant son parcours, concernant ses études, et

  4   cetera ?

  5   R.  Non. Il s'est contenté de dire qu'il était juriste.

  6   Q.  Monsieur Bakrac, quel poste occupait cette personne à l'intérieur du

  7   camp ?

  8   R.  Je ne saurais vous le dire. Je ne sais quelles fonctions il exerçait,

  9   mais je sais que les Albanais sont extrêmement obéissants et que les autres

 10   lui obéissait. J'en ai déduit qu'il occupait un poste supérieur parce que,

 11   vous savez, ils respectent les ordres émanant de leurs supérieurs. J'étais

 12   directeur, à une époque, et je sais quelle était l'attitude des Albanais à

 13   mon égard. C'est la raison pour laquelle j'ai tiré la conclusion suivante,

 14   et je me suis dit qu'il occupait un poste hiérarchique élevé.

 15   Q.  Merci. Vous dites que les autres lui obéissait. Lorsque vous parlez des

 16   autres, de qui s'agit-il exactement ?

 17   R.  Je parle des personnes qui étaient sur place.

 18   Q.  C'est-à-dire, les Albanais qui étaient présents avec vous dans le sous-

 19   sol, ou d'autres personnes ?

 20   R.  Non. je parle des gens qui étaient sur place. Je parle des soldats, des

 21   gardes.

 22   Q.  Merci.

 23   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Avant de poursuivre, je dois m'excuser

 24   auprès de Me Khan. Je n'avais pas entendu les deux premiers mots de la

 25   question qui vous vous posiez problème, et la référence au terme de

Page 1338

  1   "commandant". Je m'en excuse.

  2   M. KHAN : [interprétation] Je vous en prie.

  3   M. BLACK : [interprétation]

  4   Q.  Maître Bakrac, vous nous disiez qu'Ivan avait été invité à sortir du

  5   sous-sol. Quelle avait été votre réaction ? Que s'est-il passé par la

  6   suite ?

  7   R.  Peu de temps après, l'un des soldats est venu. Je ne sais plus qui. Il

  8   est venu me chercher, et je suis allé dans le bâtiment principal, au rez-

  9   de-chaussée, dans la pièce ou Ivan et ce monsieur étaient assis. Ivan

 10   buvait du thé. Ils conversaient. Je suis entré, et il m'a dit qu'Ivan

 11   n'aurait plus à rester dans le sous-sol dans la puanteur qui régnait, que

 12   ce n'était pas un lieu pour lui. Je ne sais plus très bien les autres

 13   choses qu'il a dites, mais cela, je m'en souviens. Ensuite, peu de temps

 14   après, je suis reparti dans le sous-sol, et j'ai eu du mal à gérer la

 15   situation. Je suis une personne très émotive, et ce n'était très facile

 16   pour moi de laisser mon fils derrière moi.

 17   Je suis retourné dans le sous-sol, et peut-être qu'une heure après, disons,

 18   une demi-heure, la porte s'est ouverte à nouveau, et M. Shala m'a demandé

 19   de sortir. Je suis sorti, et j'ai vu Ivan, qui était assis dans l'herbe

 20   dans la cour un petit plus haut que l'endroit où se trouvait le puits,

 21   qu'il y avait un puits dans la cour. Je les ai rejoint, et je me suis

 22   également assis, et je me suis senti beaucoup mieux.

 23   Nous ne sommes pas restés assis très longtemps. J'ai entendu le bruit d'un

 24   moteur de voiture. M. Shala nous a fait monter au premier étage du bâtiment

 25   principal et, jusqu'à notre libération, nous y sommes restés.

Page 1339

  1   Q.  Puis-je vous interrompre un instant ? J'aimerais demander à M. Younis

  2   une fois de plus d'utiliser le logiciel Sanction pour ouvrir la pièce P5 de

  3   l'Accusation. Il s'agit de la présentation 360.

  4   Monsieur Bakrac, vous allez voir apparaître une image sur votre écran.

  5   Reconnaissez-vous cet endroit ?

  6   R.  Oui, c'est la cour.

  7   Q.  Lorsque vous parlez du "premier étage dans le bâtiment principal," de

  8   quel bâtiment parlez-vous ?

  9   M. BLACK : [interprétation] Peut-être que M. Younis peut balayer l'image,

 10   de manière à nous montrer l'ensemble de ces bâtiments ?

 11   LE TÉMOIN : [interprétation] C'est ce bâtiment-ci. Pouvez-vous revenir un

 12   petit peu un arrière ?

 13   M. BLACK : [interprétation] Maître Younis, pourriez-vous revenir un petit

 14   peu vers la gauche ?

 15   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Oui, c'est cela.

 16   M. BLACK : [interprétation] Pourrez-vous revenir un tout petit peu en

 17   arrière encore, Monsieur Younis ?

 18   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, voilà. C'est cela, c'est le bâtiment.

 19   M. BLACK : [interprétation] A des fins de référence, il s'agit du bâtiment

 20   qui est indiqué par le numéro ERN U0083669, par présentation à 360 degrés.

 21   Peut-être que M. Younis peut nous faire visiter le premier étage de ce

 22   bâtiment, balayer l'endroit ? Veuillez suivre cette visite de M. Bakrac

 23   pendant un instant, s'il vous plaît.

 24   Q.  Reconnaissez-vous cet endroit, Monsieur Bakrac ?

 25   R.  Oui. C'est la pièce dans laquelle Ivan et moi-même avons été.

Page 1340

  1   Q.  Cette pièce, était-elle différente à l'époque que celle que vous voyez

  2   sur ces images ?

  3   R.  En gros, c'est la même installation. Il y avait les étagères avec la

  4   télé, l'antenne, et les matelas en mousse étaient parterres. C'était un

  5   genre de pièce pour --

  6   Q.  Excusez-moi, je vous ai interrompu. Veuillez poursuivre.

  7   R.  Oui. Il y avait des matelas en mousse qui étaient alignés parterre.

  8   C'était une salle de repos, quelque chose comme cela. Nous n'étions pas les

  9   seuls détenus. Il y avait d'autres personnes.

 10   Q.  J'allais arriver à cette question. Y avait-il d'autres personnes

 11   lorsque vous êtes arrivés dans la pièce ?

 12   R.  Oui. Je suis sûr qu'il y en avait deux, peut-être un troisième. Mais

 13   pour deux, en tout cas, je suis certain qu'ils étaient déjà lorsque nous

 14   sommes arrivés.

 15   M. BLACK : [interprétation] Monsieur Younis, merci de bien vouloir éteindre

 16   Sanction. Nous n'en avons plus besoin pour l'instant.

 17   Q.  Monsieur Bakrac, que pouvez-vous nous dire de ces deux hommes qui

 18   étaient déjà là lorsque vous êtes arrivé ? Que pouvez-vous nous en dire ?

 19   R.  C'était deux jeunes hommes albanais. Ils y étaient détenus aussi. Nous

 20   leur avons parlé. Je connaissais bien leur situation. Ils nous ont

 21   également dit de ne pas avoir des craintes, que nous allions être libérés.

 22   Ils étaient là pour une espèce d'examen de vérification. Je ne sais pas

 23   s'ils avaient des contacts particuliers, ou des relations avec la partie

 24   serbe. En fait, ils voulaient rejoindre l'armée du Kosovo. C'est sans doute

 25   pour cela qu'ils étaient là, en train de subir un examen.

Page 1341

  1   L'un d'entre eux s'appelait Gzim. Cela, j'en suis certain. Je ne sais pas

  2   lequel des deux s'appelait Gzim. L'un d'entre eux avait travaillé en

  3   Suisse. Il m'a dit qu'il y avait travaillé pendant des années, et qu'il

  4   envoyait de l'argent pour la défense de la cause, et que maintenant il se

  5   trouvait là, en détention, à attendre.

  6   L'autre avait été là depuis un petit peu plus longtemps que le premier. On

  7   était en train de vérifier son C.V. en quelques sortes, parce qu'il y avait

  8   un certain nombre de soupçons à cause de -- sur lui, comme quoi il aurait

  9   collaboré avec les Serbes. C'est en tout cas ce qu'ils m'ont dit.

 10   Q.  Combien de temps avez-vous été détenu dans cette pièce ? Vous en

 11   souvenez-vous ?

 12   R.  Nous y sommes restés cinq jours, jusqu'au jour de notre libération.

 13   Q.  N'êtes-vous jamais revenus dans la pièce qui se trouvait au rez-de-

 14   chaussée, la première dans laquelle vous avez été placés lorsque vous êtes

 15   arrivés dans la ferme ?

 16   R.  Oui, une fois. On nous a dit de descendre. Nous avons bu du thé. Nous y

 17   sommes restés assis.

 18   Q.  A part le thé, y a-t-il eu autre chose ? S'est-il passé autre chose ?

 19   R.  Oui. Mon fils et moi-même nous nous sommes retrouvés dans une situation

 20   désagréable. Nous avons dû regarder le passage à tabac d'autres hommes.

 21   Q.  Je sais que c'est une chose désagréable, mais je vous demanderais de

 22   bien vouloir décrire cet événement à la Chambre. D'abord, vous souvenez-

 23   vous du nombre d'hommes que l'on frappait à cet endroit ?

 24   R.  Ils en ont amené quatre ou cinq. Je ne sais plus très bien, mais pas

 25   plus que cinq. Il les ont mis en rond, et ils ont commencé à les frapper.

Page 1342

  1   Ils frappaient chacun d'entre eux pendant cinq à dix minutes. Ils leur

  2   donnaient des gifles, des coups de pied. Ils les frappaient aux jambes.

  3   L'un d'entre eux ne pouvait plus tenir debout. En tout cas, ils ont été

  4   roués de coups.

  5   Q.  Avez-vous reconnu l'un des quelconques des soldats qui a participé à

  6   l'un de ces passages à tabac ?

  7   R.  Oui, le même homme qui avait frappé Genov a frappé ces personnes. Je

  8   vous renvoie au premier jour de notre arrivée dans ces lieux.

  9   Q.  Lors de l'événement que vous venez de décrire, cette personne était-

 10   elle armée ?

 11   R.  Il avait un pistolet.

 12   Q.  S'est-il servi d'une quelconque manière de ce pistolet ?  

 13   R.  Oui, je m'en souviens. Lorsqu'ils ont arrêté de frapper les hommes, il

 14   a donné à l'un d'entre eux le pistolet. Il lui a dit de tuer les autres.

 15   L'homme a soulevé le pistolet, l'a placé près du front de l'un des hommes.

 16   Il implorait, il pleurait. Puis, le premier homme a pris le pistolet, il

 17   l'a placé sur le front d'un autre homme et il a tiré. En fait, le pistolet

 18   n'était pas chargé. Je pense que c'était simplement une torture

 19   psychologique.

 20   Q.  Lorsque votre fils et vous-même regardiez la scène, étiez-vous assis

 21   seuls ?

 22   R.  Il y a avait Ivan, moi-même et l'homme qui était venu faire sortir Ivan

 23   du sous-sol, l'homme que j'ai appelé le supérieur hiérarchique ou le

 24   commandant. A un moment donné, il m'a dit que ces hommes étaient des

 25   traîtres à leur peuple. Il m'a demandé : Vous, comment traitez-vous vos

Page 1343

  1   traîtres ? J'ai répondu : La trahison, c'est la trahison. C'est ce que j'ai

  2   dit.

  3   Q.  Est-ce que ce supérieur vous a dit quoi que ce soit au cours de cet

  4   événement ?

  5   R.  Non. Mais avant cela, il avait dit qu'il était juriste. Donc, il a dit

  6   quelque chose. Je ne me souviens pas des mots employés exactement, à

  7   l'exception de la question qu'il m'a posé : Que faites-vous de vos

  8   traîtres, vous ?

  9   Q.  Pendant combien de temps a duré cet incident ?

 10   R.  Pas longtemps. Une demi-heure, 45 minutes, une heure ou plus.

 11   Q.  Que s'est-il passé lorsque la scène a pris fin ? Où vous a-t-on amené ?

 12   R.  On nous a ramenés dans la pièce à l'étage.

 13   Q.  Monsieur Bakrac, n'avez-vous jamais revu Stamen Genov une fois que l'on

 14   vous a transférés à l'étage ?

 15   R.  Non. Je n'ai jamais revu ni Genov, ni Cuk, ni toutes autres personnes

 16   de là-bas.

 17   Q.  Je ne vous demande pas si vous lui avez parlé, mais je voudrais savoir

 18   si vous avez entendu parler de Genov alors que vous vous trouviez alors

 19   dans la ferme ?

 20   R.  Un jour, nous avons appris --

 21   LE TÉMOIN : [interprétation]  Monsieur le Président, je suis désolé, je me

 22   souviens de l'événement, mais je ne me souviens pas de l'ordre

 23   chronologique dans lequel les événements se sont produits. En tout cas, je

 24   me souviens de l'événement à proprement parler. Je vous demande de bien

 25   vouloir tenir compte de cela.

Page 1344

  1   M. BLACK : [interprétation]

  2   Q.  Veuillez nous décrire les circonstances dans lesquelles vous avez

  3   entendues certaines informations supplémentaires à propos de Genov.

  4   R.  Nous étions dans la pièce à l'étage. Nous utilisions les toilettes que

  5   nous partagions avec les autres. Un jour, ils nous ont dit de ne pas

  6   utiliser les toilettes, de ne plus utiliser les toilettes, mais d'utiliser

  7   celle qui était au fond, en bas de la cours, parce que les propriétaires de

  8   la maison étaient présents, et que c'est à eux qu'il revenait d'utiliser

  9   ces toilettes. Un jour, Ivan est allé aux toilettes, et il a demandé :

 10   Qu'est-il advenu du sergent ? Les gens qui se trouvaient debout près de la

 11   fenêtre, dans le sous-sol, lui ont dit qu'il avait été libéré. C'est la

 12   seule chose que nous avons entendu dire à propos de Genov.

 13   Q.  Alors que vous vous trouviez à la pièce, dans l'étage, ne vous a-t-on

 14   jamais demandé de faire une déclaration ?

 15   R.  Oui. On nous a dit qu'il nous faudrait faire une déclaration avant

 16   notre libération sur les conditions de vie dans le camp, sur le traitement

 17   qui nous avait été réservé. Nous devions écrire tout ce que nous savions

 18   sur ce thème en particulier.

 19   Q.  Qui vous a dit cela ? Qui vous a dit que vous devriez faire une

 20   déclaration ?

 21   R.  C'est cet homme, le commandant, qui nous l'a dit. C'est comme cela que

 22   je l'appelle, je ne sais pas s'il l'était vraiment ou pas.

 23   Q.  C'est la même personne qui était venu chercher Ivan dans le sous-sol,

 24   n'est-ce pas ?

 25   R.  Oui, c'était lui. J'avais eu une petite conversation avec lui. Je me

Page 1345

  1   sentais un peu plus libéré. Je lui ai posé des questions sur leur armée,

  2   s'ils étaient reconnus internationalement, tout ce qui m'est venu à

  3   l'esprit. Il m'a répondu que non, ils n'étaient pas reconnus

  4   internationalement, mais qu'ils y travaillaient. C'est la première fois que

  5   je lui avais cette question directe. Je lui ai demandé si nous allions être

  6   libérés ou pas. Il m'a répondu que oui, qu'il fallait simplement trouver un

  7   moyen de nous transférer et de trouver un endroit vers lequel nous envoyer.

  8   Après cela, je me suis senti beaucoup mieux.

  9   Q.  Est-ce qu'on vous a demandé de faire une déclaration écrite ou une

 10   déclaration orale ? Vous deviez faire quel genre de déclaration ?

 11   R.  On nous a dit qu'il nous fallait faire une déclaration écrite

 12   concernant tous les événements qui se sont déroulés pour ce qui nous

 13   concerne Ivan et moi-même, que nous allions devoir le répéter devant les

 14   caméras, que nous devions également écrire, rendre cette déclaration par

 15   écrit, et raconter comment nous avons vécu les événements.

 16   Q.  Effectivement, est-ce qu'ils ont relu la déclaration que vous aviez

 17   écrite ?

 18   R.  Le lendemain, on m'a apporté un crayon et un papier. Après que j'ai

 19   terminé de l'écrire, ils l'ont lue. Ils étaient satisfaits de ma

 20   déclaration. Ils m'ont dit que j'allais devoir répéter la même chose devant

 21   les caméras, qu'on allait m'enregistrer moi et Ivan.

 22   Q.  Est-ce que cela a eu lieu effectivement ?

 23   R.  Oui. C'était un peu avant la tombée de la nuit, dans la soirée. Nous

 24   étions assis dans la pièce. J'ai entendu deux coups de feu. Ivan et moi,

 25   nous l'avons entendu. Ensuite, ces personnes sont arrivées, le commandant

Page 1346

  1   Shala. Il y avait sûrement sept à huit personnes. Pour la plupart d'entre

  2   eux, je les voyais pour la première fois. Outre ceux que j'ai déjà décrits,

  3   il y avait un homme parmi eux qui était assez costaud. Il avait un pistolet

  4   dans la main. Il nous a d'abord reparlé de la grande Albanie. Il nous a dit

  5   que cela leur appartenait. Il nous a demandé ce que l'on faisait là. Il

  6   nous a dit qu'on volait les emplois aux Albanais, que nos enfants se

  7   trouvent dans leurs écoles, que leurs enfants sont dans nos écoles, et

  8   qu'ils prennent nos places. Ensuite, il l'a dit : Tu sais, je peux tuer ton

  9   fils. Ce qui m'a terriblement fait peur. J'ai commencé à trembler. J'ai

 10   sûrement eu une crise de nerfs. Il a dit : Voilà, toi, tu trembles. Nos

 11   hommes à nous n'ont même pas la chance de trembler. Il parlait en serbe,

 12   mais il ne parlait pas assez bien quand même le serbe. Ensuite, il s'est

 13   retourné vers Shala et lui a demandé de nettoyer son pistolet. Nous avions

 14   compris que Genov venait de se faire tuer. C'est ce que nous avions cru.

 15   Q.  Pourquoi est-ce que vous croyez que Genov avait été tué ?

 16   R.  Parce que j'ai simplement mis les pièces du puzzle ensemble. J'ai

 17   compris, puisqu'on avait dit à Ivan qu'il avait été libéré, et que j'ai

 18   entendu les coups de feu, je me suis dis, il a dû se faire tuer.

 19   Q.  Est-ce que vous avez effectivement parlé devant les caméras puisqu'ils

 20   vous ont dit que vous alliez devoir parler devant les caméras ?

 21   R.  Oui. J'étais assis. Ils étaient autour de nous. Tous ces hommes se

 22   trouvaient autour de nous. L'un deux a placé une caméra vidéo sur un

 23   trépied. Il portait un uniforme. En fait, ils portaient tous des uniformes.

 24   Celui-là, il avait une barbe noire. C'était une personne assez âgée, un peu

 25   petit de taille. On pouvait voir qu'il s'agissait d'une personne bien

Page 1347

  1   soignée. J'ai commencé à raconter mon histoire. J'ai dit qu'ils ne nous ont

  2   pas fait subir de mauvais traitements, ils ne nous ont pas passés à tabac,

  3   qu'il s'agissait d'une armée régulière, qu'ils avaient leur travail à

  4   faire. J'étais un peu nerveux. Je tremblais un peu. Ils m'ont demandé de

  5   répéter le tout, mais avec un air plus décontracté. J'ai répété le tout

  6   devant les caméras. Ils étaient satisfaits de ma déclaration. Je n'avais

  7   pas le droit de parler du sous-sol. Je devais simplement dire ce qui nous

  8   est arrivé. Je devais dire comment nous avons été traités, ce qu'ils nous

  9   ont fait. J'ai dit qu'ils ne nous ont pas touché, qu'ils nous donnaient des

 10   cigarettes, de l'eau et de la nourriture. A ce moment-là, j'étais disposé

 11   et prêt à dire tout ce qu'ils me demandaient de dire seulement pour sauver

 12   nos vies.

 13   Q.  Qu'en est-il de votre fils, Ivan ? A-t-il également fait une

 14   déclaration ?

 15   R.  Oui, il a fait une déclaration aussi.

 16   Q.  Vous souvenez-vous ce qu'il a dit ?

 17   R.  Il a répété ce que j'ai dit, grosso modo. Nous étions assis l'un à côté

 18   de l'autre. Il a entendu ce que j'avais dit, donc il a répété mes propos.

 19   Il a même dit qu'il avait joué aux échecs avec Shala, ce qui était la

 20   vérité d'ailleurs.

 21   Q.  Ces soldats vous ont-ils pourquoi vous étiez détenus, ou pendant

 22   combien de temps vous alliez être détenus ?

 23   R.  Non. Ils nous ont simplement dit que dès qu'ils auront trouvé, comment

 24   dire, le moment opportun, et lorsqu'ils auront établi le contact avec le

 25   HCR des Nations Unies et la Croix Rouge internationale, Ils s'occuperaient

Page 1348

  1   de nous.

  2   Q.  Après avoir fait cette déclaration ou après avoir donné ces deux

  3   déclarations, est-ce que vous êtes restés à l'étage ?

  4   R.  Oui.

  5   Q.  Que s'est-il passé d'autre pendant les derniers jours de votre séjour à

  6   cet endroit ? Est-ce que vous vous souvenez d'avoir parlé à quelqu'un ?

  7   R.  J'ai parlé avec le commandant. Oui. Quand je lui ai demandé si nous

  8   allions être libérés, je lui ai demandé s'il lui était possible d'appeler

  9   ma femme pour lui dire que nous étions en vie et que nous étions sains et

 10   saufs. Il avait un téléphone portable. Il nous a dit qu'il ne pouvait pas

 11   appeler de son téléphone portable, mais il m'a dit, qu'il pouvait appeler

 12   d'un téléphone régulier. Je lui ai donné le numéro de téléphone de la mère

 13   de mon épouse. Je croyais qu'il allait sûrement appeler. Je ne voyais pas

 14   de raison pour qu'il ne me rende pas ce service. Il a dit de toute façon,

 15   qu'il allait pouvoir appeler. Effectivement, il l'a placé cet appel. Il a

 16   appelé la mère de ma femme. Il lui a dit que nous étions sains et saufs, et

 17   que nous serions libérés. Effectivement, le lendemain, il m'a dit qu'il

 18   avait appelé.

 19   Q.  Veuillez, je vous prie, dire aux Juges de la Chambre ce qui s'est passé

 20   le dernier jour de votre détention à la ferme.

 21   R.  Le dernier jour, ils sont arrivés nous chercher, si vous pensez à cela.

 22   A un moment donné, on a entendu une porte s'ouvrir. J'ai regardé par la

 23   fenêtre. J'ai vu une jeep. J'ai vu qu'il y avait plusieurs soldats en

 24   uniforme tout autour. Ils sont venus à l'étage  et cet homme bien soigné,

 25   que je vous ai décrit il y a quelques instants, cet homme un peu plus âgé,

Page 1349

  1   de taille moyenne, m'avait dit un jour avant, que nous serions libéré. Il

  2   m'a donné sa parole d'honneur. Il s'agissait d'une parole d'honneur

  3   albanaise, et je l'ai cru. Effectivement, il s'est avéré que c'était le

  4   jour où nous allions être libéré. Il m'a dit que voilà, vous serez libéré.

  5   J'ai demandé à ce qu'on me donne ma bague, mon anneau, et une chaîne que ma

  6   femme m'avait offerte, et ils les avaient oubliés. Ils avaient oublié de me

  7   l'apporter. Donc, ils me les ont emportés. Ensuite, ils avaient oublié de

  8   m'apporter ma carte d'identité. Ils ne pouvaient plus la retrouver. Comme

  9   ils ne pouvaient plus la retrouver, je leur ai dit qu'ils avaient mis ces

 10   papiers dans le portefeuille de Genov lorsque nous étions encore à l'école.

 11   Je leur ai rappelé qu'ils avaient mis tous les documents dans le

 12   portefeuille de Genov. Par la suite, il est revenu pour nous dire, oui,

 13   vous aviez raison. Il nous apportait nos choses. Nous avons mis nos

 14   chaussures, qui se trouvaient sur ces escaliers, et c'est ainsi que nous

 15   sommes montés à bord de cette jeep. Nous avons fait nos adieux à Shala, et

 16   nous sommes partis.

 17   Q.  Le fait que vos documents se trouvaient dans le portefeuille de Genov,

 18   à l'endroit où vous avez dit que les documents se trouvaient, est-ce que

 19   cela vous disait quelque chose sur le sort qui a été réservé à Genov ?

 20   R.  Oui, puisque je me suis souvenu qu'ils nous avaient dit que tout ceux

 21   qui seraient libérés qu'ils leur remettraient leurs effets personnels.

 22   Q.  Pourriez-vous expliquer cela un petit peu plus clairement ?

 23   R.  De quoi parlez-vous exactement ?

 24   Q.  Vous avez dit que "les personnes qui étaient libérées recevraient leurs

 25   effets personnels." Mais quel est le lien que vous avez fait avec Genov ?

Page 1350

  1   Veuillez, je vous prie, expliquer ce que vous voulez dire.

  2   R.  J'en ai déduit que puisque le portefeuille de Genov se trouvait encore

  3   là, cela  voulait dire qu'on ne lui a pas remis son portefeuille. Cela n'a

  4   fait qu'étoffer le doute que j'avais quant à son sort. J'ai cru qu'il s'est

  5   fait tuer.

  6   Q.  Vous dites avoir fait vos adieux à Shala, et que vous êtes par la suite

  7   partis. Veuillez, je vous prie, nous expliquer ce qui est arrivé par la

  8   suite.

  9   R.  Nous sommes montés dans cette jeep. Devant, il y avait deux personnes.

 10   Je ne sais pas s'il y avait d'autres personnes derrière nous. Je ne me

 11   souviens pas précisément. On nous a bandé les yeux, et ensuite la voiture a

 12   démarré. Il faisait encore jour, et nous avons pris cette route en macadam.

 13   J'imagine que nous avons dû prendre un itinéraire un peu plus long. La

 14   route n'était pas goudronnée. Et 15 à 20 minutes plus tard, nous avons

 15   tourné, nous avons fait un virage de 90 degrés pour nous retrouver sur une

 16   route asphaltée. C'est là qu'on nous a enlevé les bandeaux des yeux, et je

 17   ne sais plus combien de temps nous avons roulé sur cette route asphaltée,

 18   mais nous sommes arrivés vers un petit hameau. Il y avait beaucoup de

 19   personnes, et j'ai vu qu'il s'agissait de Malisevo. J'ai vu que c'était

 20   indiqué magasin de Malisevo ainsi que station d'essence de Malisevo. J'en

 21   ai déduit que nous étions à Malisevo.

 22   Lorsque nous sommes arrêtés, j'avais remarqué qu'il y avait deux jeeps

 23   appartenant à la Croix Rouge, et que ces deux véhicules se trouvaient à 200

 24   mètres de nous. Il y avait un homme qui était debout là. Je me souviens

 25   qu'il avait une cicatrice au visage, mais je ne me souviens plus de quel

Page 1351

  1   côté du visage. Il nous a dit de nous arrêter là, d'attendre. Ils sont

  2   partis chercher les personnes de la Croix Rouge. Il y avait deux femmes qui

  3   conduisaient ces deux jeeps. J'ai vu ces personnes se diriger vers nous et

  4   entrer dans un café. Ils sont restés dans ce café de 15 à 20 minutes

  5   environ, et ensuite ils sont revenus vers leurs jeeps. Ensuite, ils sont

  6   repartis. Il y avait une voiture devant. Ensuite, il y avait deux jeeps, il

  7   y avait nous et encore quelqu'un derrière nous.

  8   C'est ainsi que nous nous sommes dirigés pour sortir de ce hameau, de

  9   ce petit village. Nous nous sommes dirigés vers l'extérieur du village. Peu

 10   de temps après, je ne pourrais pas vous dire combien de temps exactement,

 11   nous nous sommes tous immobilisés. Tous les véhicules se sont immobilisés.

 12   Nous sommes sortis de la jeep. Ensuite, il y avait les deux jeunes femmes

 13   qui sont sorties des véhicules appartenant à la Croix Rouge. Elles ne

 14   parlaient ni le serbe, ni l'albanais. Il y avait un homme avec eux qui

 15   interprétait de l'albanais au serbe et probablement vers l'anglais, puisque

 16   ces deux femmes étaient anglaises, en réalité. C'est ainsi que nous sommes

 17   sortis, nous sommes descendus de la jeep. Nous devions enlever nos

 18   chemises. Ils voulaient s'assurer que nous n'avons pas été passés à tabac,

 19   que nous n'avions pas des cicatrices, que nous n'étions pas blessés. C'est

 20   ce que nous avons montré en enlevant nos chemises, et c'est ainsi que nous

 21   sommes montés à bord de la jeep appartenant à la Croix Rouge

 22   internationale. Ivan et moi étions à l'intérieur. Nous tremblions encore,

 23   complètement sous le choc, ne croyant toujours pas ce qui nous était

 24   arrivé.

 25   La voiture a démarré. Quelque temps après, nous nous sommes

Page 1352

  1   immobilisés de nouveau. Il y avait une sorte de point de contrôle. Il y

  2   avait des barricades, il y avait des soldats. Et l'homme avec la cicatrice

  3   a dit que ces deux jeeps devaient passer. Les hommes qui se trouvaient sur

  4   ce point de contrôle n'étaient pas tout à fait d'accord. Je n'ai pas

  5   entendu la conversation, mais j'ai vu en fait un homme au point de contrôle

  6   qui n'était pas tout à fait content. Il ne voulait pas vraiment nous

  7   laisser passer. Il y a eu une discussion entre l'homme avec la cicatrice et

  8   l'autre. Nous avions peur un peu, nous craignons un peu que l'on nous

  9   laisserait plus passer, mais nous sommes passés.

 10   Nous nous sommes dirigés en direction de Pristina. Ces deux femmes

 11   nous ont escortés vers Pristina. Nous étions dans la jeep de devant. Il y

 12   avait une autre jeep derrière nous, appartenant à la Croix Rouge. Ensuite,

 13   nous sommes arrivés là. La Croix Rouge était sur place. Ils nous ont

 14   accueillis. Cet organisme international était là, et ils nous ont

 15   accueillis. Il y avait une femme qui s'appelle Ruzica Simic. C'est une

 16   femme qui était le secrétaire chargé des réfugiés pour le Kosovo. C'est

 17   elle qui nous a envoyés à Djakovica, d'ailleurs. Nous avons passé un jour

 18   ou deux dans sa maison. Elle nous a donné des vêtements afin que nous

 19   puissions nous changer. Nous nous sommes reposés là. Nous nous sommes

 20   lavés.

 21   Et c'est ainsi que Ivan et moi avons été libérés de ce camp.

 22   Q.  Monsieur Bakrac, quelle était votre réaction lorsque vous aviez compris

 23   que vous étiez libre ?

 24   R.  Je ne pouvais pas m'arrêter de pleurer. Personne ne pouvait m'arrêter

 25   de pleurer. Mes larmes coulaient sur mon visage et pendant toute une

Page 1353

  1   période qui a suivi, pendant un mois et demi, je n'ai pas pu cesser de

  2   pleurer. Chaque fois que je rencontrais quelqu'un que je connaissais, je me

  3   mettais à pleurer. J'avais décidé de voir un psychiatre à l'hôpital des

  4   réfugiés. C'est là que je me rendais tous les jours pendant deux ou trois

  5   semaines. Et même aujourd'hui, même à ce jour, il m'arrive de commencer à

  6   pleurer. Au téléphone, par exemple quand parle à des amis ou quand je parle

  7   à d'autres personnes.

  8   Q.  Pourquoi pensez-vous que vous et votre fils avez été enlevés ?

  9   R.  Je crois parce que nous n'étions pas de nationalité albanaise car dans

 10   le document, ni moi et ni mon fils, nous n'avions l'indication que nous

 11   étions nés en Serbie. Dans mes documents à moi,  dans mes papiers à moi, on

 12   peut lire que je suis né à Brezice, et pour mon fils, il est indiqué qu'il

 13   est né à Zagreb. Il y avait également nos noms et nos prénoms.

 14   Q.  Pourquoi croyez-vous que vous avez été libérés ?

 15   R.  Je crois que c'est par erreur que l'on nous a fait sortir de cet

 16   autocar. Lorsque je regarde en arrière, je crois que c'est cela. Je crois

 17   que mon épouse a été remarquable aussi dans toute cette histoire. Après que

 18   l'on nous ait fait descendre de l'autocar, elle a arrêté le premier autocar

 19   qui est arrivé. Ensuite, elle a raconté à tout le monde ce qui est arrivé.

 20   Elle ne dormait plus. Elle ne mangeait plus. Elle est allée d'une maison à

 21   l'autre. Elle s'est présentée à la télévision. On a entendu sa voix à

 22   l'émission "La voix de l'Amérique." Elle a raconté au médias ce qui s'était

 23   passé, non pas seulement, ce qui nous est arrivé à nous, mais également, ce

 24   qui est arrivé aux deux autres personnes, que l'on s'est fait enlevé, et

 25   cetera. Je me souviens un jour, lorsque nous étions dans la pièce à

Page 1354

  1   l'étage, il y a un homme qui est venu nous dire : "Ta femme parlait à la

  2   télé hier." Mon fils, Ivan, m'a dit : "Mon Dieu, papa qu'est-ce qui vous

  3   nous arriver ?" Il nous a dit : "Non, non, n'ayez pas peur. Elle a parlé

  4   dans une émission qui s'appelle 'La voix de l'Amérique.' C'est une émission

  5   qui a été transmise via satellite." Cet homme nous a dit : "Et bien, n'ayez

  6   pas peur. Elle a bien parlé." Si je mets tous les éléments ensemble, je

  7   crois que c'est par erreur qu'on nous a faits sortir de cet autocar.

  8   Q.  Je vous remercie.

  9   M. BLACK : [interprétation] Monsieur le Président, je n'ai plus de

 10   questions pour ce témoin. Je remets le témoin entre les mains de mes

 11   éminents confrères enfin qu'il puisse subir son contre-interrogatoire.

 12   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien. Nous allons prendre une

 13   pause qui sera peut-être un peu plus longue que notre pause habituelle.

 14   Nous reprendrons nos travaux à 16 heures 10.

 15   M. BLACK : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 16   --- L'audience est suspendue à 15 heures 39.

 17   --- L'audience est reprise à 16 heures 12.

 18   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Topolski. Je vois que vous vous

 19   êtes déjà levé.

 20   M. TOPOLSKI : [interprétation] Mes confrères m'ont demandé de me porter

 21   volontaire pour être le premier.

 22   M. GUY-SMITH : [interprétation] Non. Personne ne l'a fait.

 23   M. TOPOLSKI : [interprétation] Non. C'est moi qui ai demandé de passer en

 24   premier.

 25   M. GUY-SMITH : [interprétation] Oui. Effectivement.

Page 1355

  1   M. TOPOLSKI : [interprétation] C'est exact.

  2   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Bien. Est-ce que cela vous convient,

  3   Maître Guy-Smith ? Puisque si cela ne vous convient pas --

  4   M. GUY-SMITH : [interprétation] Oui. Oui, cela me convient tout à fait. Je

  5   croyais qu'il était important de consigner l'exactitude de cette affaire au

  6   compte rendu d'audience.

  7   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien. Maître Topolski, nous vous

  8   écoutons.

  9   M. TOPOLSKI : [interprétation] Je vous remercie.

 10   Contre-interrogatoire par M. Topolski :

 11   Q.  [interprétation] Monsieur Bakrac, je représente les intérêts de Isak

 12   Musliu. J'aurais quelques questions à votre endroit. Vous avez fait une

 13   déclaration à une organisation qui s'occupe du droit international

 14   humanitaire, le 2 août 1998. Est-ce que vous vous souvenez de cela ?

 15   R.  Oui.

 16   Q.  Tel que l'a établi, M. Black, hier, vous avez également fait une

 17   déclaration aux enquêteurs du Tribunal, en janvier 2003 ?

 18   R.  Oui. C'est exact.

 19   Q.  Je souhaiterais alors à ce moment-ci vous parler d'un entretien que

 20   vous avez eu un peu auparavant, c'est-à-dire cet entretien, vous l'avez

 21   décrit comme étant un entretien qui a eu lieu entre vous et les autorités

 22   serbes. Est-ce que vous vous souvenez de cela ? C'est ce que vous avez dit

 23   hier.

 24   R.  Oui, tout à fait. Je me souviens.

 25   Q.  La date de cet entretien aurait pu avoir lieu le 7 juillet 1998. Je ne

Page 1356

  1   sais pas si vous avez gardé gravées dans votre mémoire ces dates, mais est-

  2   ce que vous pourriez nous dire si effectivement vous vous souvenez ? Est-ce

  3   que c'était bien à ce moment-là que cette première rencontre avec les

  4   autorités serbes ont eu lieu ?

  5   R.  Je ne me souviens pas de la date. C'était après ma libération.

  6   Q.  Bien. Revenons maintenant un peu en arrière. Vous avez été enlevé de

  7   l'autocar, c'était vers la fin du mois de juin, n'est-ce pas ?

  8   R.  Oui. C'était le 29 juin.

  9   Q.  Très bien. Du meilleur de votre souvenir concernant votre détention,

 10   quand on parle d'une durée de sept à huit jours, c'est ce que vous avez

 11   décrit dans votre déclaration fournie aux enquêteurs du Tribunal, vous

 12   souvenez-vous de cela ?

 13   R.  Oui. Effectivement, jusqu'à dix jours. Mais je ne crois pas avoir été

 14   détenu plus de dix jours.

 15   Q.  Si vous avez vu les autorités serbes le jour de votre libération, cela

 16   nous ramène, si l'on consulte le calendrier, tout du moins, à la date du 6

 17   juillet ou 6 ou 7 juillet, n'est-ce pas ?

 18   R.  Je ne me souviens réellement pas de la date. Je suis vraiment désolé.

 19   Q.  Vous êtes bien aimable de vous en excuser, mais il n'est pas nécessaire

 20   de ce faire, puisque nous avons une note qui nous a été communiquée par

 21   l'Accusation. Il s'agit d'une note relative à l'entretien officiel qui a eu

 22   lieu entre vous et les enquêteurs du Tribunal. Maintenant, cette note a été

 23   signée par le caporal Stankovic. Est-ce que vous vous souvenez des noms de

 24   personnes que vous avez vues après votre libération à Pristina?

 25   R.  Non. Je ne connais absolument personne à Pristina, à l'exception de Mme

Page 1357

  1   Ruzica Simic. Je ne me souviens pas d'autres noms.

  2   Q.  Est-ce que c'était votre propre initiative ou suivant la demande de

  3   quelqu'un d'autre que vous vous êtes rendu au bureau chargé de la sécurité

  4   d'état à Pristina un jour après votre libération ?

  5   R.  Non. Nous avons été convoqués de nous rendre au service de Sécurité

  6   d'état par l'armée. L'armée était censée venir nous chercher. C'est eux qui

  7   nous ont emmenés vers ce bureau chargé de la sécurité d'état, c'est-à-dire,

  8   au bureau de police.

  9   Q.  Bien. Le coordinateur de ce centre s'appelait-il David Gazic ?

 10   R.  Je ne me souviens pas de son nom.

 11   Q.  Est-ce que vous avez reçu une convocation qui vous a été remise en

 12   personne, ou est-ce que vous avez reçu un quelconque document par écrit de

 13   vous rendre au centre de sécurité d'état, à Pristina ?

 14   R.   Si je me souviens bien, c'était un appel téléphonique que j'ai reçu,

 15   mais rien par écrit. Nous avons reçu cet appel soit alors que nous nous

 16   trouvions encore dans la maison de Mme Ruzica Simic ou bien alors que nous

 17   étions au bureau de la Croix Rouge, mais je ne me souviens plus exactement.

 18   Q.  Très bien. Lorsque vous êtes rendu au bureau du service de la sécurité

 19   d'état, qui était avec vous ?

 20   R.  Mon fils Ivan était avec moi.

 21   Q.  C'est là que vous avez été interrogés par des membres de la police

 22   serbe ?  

 23   R.  Oui.

 24   Q.  Essayez de ne pas répéter mes questions, mais vous ai-je compris il y a

 25   quelques instants que vous nous aviez dit que vous vous ne vous souveniez

Page 1358

  1   pas des noms des personnes que vous avez vues du côté serbe ? Est-ce que

  2   c'est ce que vous avez dit ?

  3   R.  Oui, c'est exact.

  4   Q.  Permettez-moi de vous citer deux noms. Nous allons voir si ces deux

  5   noms vous rappellent quelque chose, ou l'un des deux vous rappelle quelque

  6   chose. Je vous signale simplement que j'ai sous les yeux, à présent, un

  7   document serbe.

  8   M. BLACK : [interprétation] Pourrait-on avoir la cote ERN, s'il vous

  9   plaît ?

 10   M. TOPOLSKI : [interprétation] Bien entendu. Est-ce qu'il s'agit bien de ce

 11   numéro-là ?

 12   J'ai un numéro EDT, Monsieur Black, si cela vous aide. Il s'agit du numéro

 13   0188-5938 jusqu'à 0188-5939.

 14   M. BLACK : [interprétation] Merci beaucoup.

 15   M. TOPOLSKI : [interprétation]

 16   Q.  Monsieur Bakrac, il s'agit là d'un numéro de référence qui se situe en

 17   haut du document. On appelle cela un rapport criminel qui a trait en partie

 18   au fait que vous ayez été enlevé du car. C'est ce que j'ai sous les yeux.

 19   Me comprenez-vous ?

 20   Ce rapport est signé par Dragan Jasevic et Momcilo Sparalevo. Est-ce que

 21   l'un quelconque de ces deux noms vous rappelle quelque chose ?

 22   R.  Non.

 23   Q.  J'ai déjà cité le nom Stankovic, ce nom apparaît au bas d'une note

 24   portant la date du 7 juillet, le caporal Stankovic. Il n'y a qu'un seul

 25   autre nom sur cet autre document, qui a, pour M. black, la cote suivante

Page 1359

  1   0188-5957. Ce nom est le commandant Petar, P-e-t-a-r. Cela vous rappelle-t-

  2   il quelque chose ?

  3   R.  Non, cela ne me rappelle rien.

  4   Q.  Vous souvenez-vous, Monsieur, du nombre de policiers serbes qui étaient

  5   présents le moment où vous et votre fils Ivan leur avez parlé à Pristina ?

  6   R.  Ils étaient au nombre de deux.

  7   Q.  Avaient-ils le même grade selon vous, ou est-ce que l'un semblait-il

  8   plus gradé que l'autre ?

  9   R.  Je ne pourrais pas répondre à cette question.

 10   Q.  Est-ce que l'un ou les deux de ces hommes étaient en uniforme ?

 11   R.  Si je m'en souviens correctement, ils ne portaient pas d'uniforme.

 12   Q.  Seul un avocat peut poser une question aussi absurde que celle que je

 13   suis sur le point de vous poser. Comme je suis un avocat, je peux me

 14   permettre de vous la poser. Est-ce que l'un ou l'autre de ces deux hommes

 15   prenait des notes, pour autant que vous vous en souveniez ?

 16   R.  Oui. Ils prenaient des notes. Ils avaient un crayon, un papier, une

 17   espèce de bloc-notes.

 18   Q.  Vous a-t-on demandé de lire ces notes ou de les signer à la fin de

 19   l'entretien ?

 20   R.  Non. Je ne les ai pas lues et je ne me souviens pas si je les ai

 21   signées ou pas.

 22   Q.  Lorsque vous leur parliez, est-ce qu'ils vous ont dit qu'ils savaient

 23   que Genov avait été enlevé du même car que vous ? Avez-vous eu l'impression

 24   qu'ils le savaient ?

 25   R.  Je ne peux pas vous le dire.

Page 1360

  1   Q.  Semblaient-ils savoir que votre femme avait pris la parole dans

  2   l'émission Voice of America sur CNN, et que par conséquent, votre

  3   enlèvement était connu du grand public ? Semblaient-ils être au courant de

  4   cela ?

  5   R.  Le public le savait. J'ai encore les coupures de presse. Je les ai

  6   gardées encore jusqu'à ce jour.

  7   Q.  C'est sûrement ma faute, Monsieur Bakrac, toutes mes excuses. Ce n'est

  8   pas tout à fait la question que je vous ai posée. Je voulais savoir si ces

  9   enquêteurs, ces policiers serbes, qui qu'ils aient été, savaient ou ne

 10   savaient pas, étaient au courant ou n'étaient pas au courant du fait que

 11   votre épouse avait pris la parole à la télévision pour parler de votre

 12   enlèvement.

 13   R.  Non, il me semble qu'ils ne le savaient pas.

 14   Q.  Comme nous le savons, août 1998, c'est-à-dire, un mois après cet

 15   entretien et puis quelques années plus tard, autre Tribunal pénal pour

 16   l'ancienne Yougoslavie, en 2003, vous avez pu donner l'information

 17   détaillée portant sur votre séjour dans cet endroit Lapusnik. Nous avons eu

 18   de nombreux exemples de témoignages très détaillés que vous avez faits.

 19   Etes-vous d'accord, vous avez pu donner des détails de ce qui vous était

 20   arrivé ?

 21   R.  Pourriez-vous répéter la première partie de votre question que je n'ai

 22   pas tout à fait comprise ?

 23   Q.  Oui. Comme d'habitude, avec les mauvaises questions, j'ai posé une

 24   question beaucoup plus longue.

 25   A terme, vous avez été à même de fournir des informations détaillées

Page 1361

  1   portant sur ce qui vous était arrivé; est-ce exact ?

  2   R.  A ce moment-là, oui.

  3   Q.  Avez-vous fourni des informations détaillées nombreuses à ces deux

  4   officiers de police ou policiers serbes, le 7 juillet 1998 probablement ?

  5   Vous en souvenez-vous ?

  6   R.  Oui, je leur ai dit ce qui nous était arrivé.

  7   Q.  Y avait-il des cartes ou des plans qui vous ont été montrés au cours de

  8   cet entretien, Monsieur Bakrac ? Vous ont-ils montré des cartes, des

  9   plans ?

 10   R.  Non.

 11   Q.  Vous a-t-on demandé de faire un croquis, de tracer une carte à propos

 12   de l'endroit où vous étiez à ce moment-là ?

 13   R.  Non, parce que je ne savais où on m'avait emmené.

 14   Q.  Parmi les choses qu'ont dit ces policiers, l'un ou l'autre de ces

 15   policiers, est-ce que sur base de ce qu'ils disaient, vous aviez le

 16   sentiment qu'ils savaient où était cet endroit Lapusnik ? Est-ce qu'ils

 17   semblaient connaître cet endroit, Monsieur Bakrac ?

 18   R.  Je ne connaissais pas cet endroit. C'est après ma libération que j'ai

 19   entendu parler de Crnoljevo. Je ne savais rien de ces autres endroits.

 20   Q.  Non. Monsieur Bakrac, désolé d'avoir posé la question de manière trop

 21   peu précise. Je ne vous demandais pas si vous, vous connaissiez cet

 22   endroit. Je vous demandais si l'un ou l'autre de ces policiers avec

 23   lesquels vous avez eu l'occasion de parler le

 24   7 juillet, si l'un ou l'autre de ces policiers, sur base de ce qu'ils vous

 25   ont dit, semblait connaître cet endroit dans lequel vous aviez été

Page 1362

  1   détenus ?

  2   R.  Non.

  3   Q.  Est-ce qu'ils ont mentionné les noms de soldats de l'UCK opérant dans

  4   la zone dans laquelle vous aviez été ? Est-ce qu'ils vous ont indiqué

  5   quelque nom que ce soit ?

  6   R.  Non.

  7   Q.  Combien de temps à peu près cet entretien au centre de la sécurité

  8   d'état à Pristina a-t-il duré ?

  9   R.  Si je m'en souviens bien, c'était une heure. Cela a duré une heure, une

 10   heure et demie, pas plus.

 11   Q.  Vous a-t-on traité de façon satisfaisante ? Vous ont-ils bien traité ?

 12   R.  Ils n'ont fait que nous poser des questions auxquelles nous avons

 13   répondu.

 14   Q.  Vous ont-ils traité correctement ? Vous ont-ils menacé ou quoi que ce

 15   soit de ce genre ?

 16   R.  Non. Ils ne m'ont pas menacé.

 17   Q.  Exception faite de cet entretien, ce jour-là, qui a duré environ une

 18   heure. Avez-vous eu d'autres entretiens avec des responsables de la police,

 19   de l'armée ou de la sécurité d'état serbe pour autant que vous puissiez

 20   vous en souvenir ?

 21   R.  Non, nous n'en avons pas eu.

 22   Q.  Très bien. Je souhaite simplement vous poser deux questions à propos

 23   des événements qui se sont produits au cours de cette période de sept à

 24   huit jours de détention.

 25   Tout d'abord, Monsieur Bakrac, pourriez-vous nous indiquer

Page 1363

  1   approximativement le nombre de soldats, gardes, quel que soit le nom que

  2   vous souhaitiez leur donner, qui étaient présents à cet endroit lorsque

  3   vous y étiez détenu ? Pourriez-vous nous donner une indication fut-elle

  4   approximative de leur nombre ?

  5   R.  Si on considère qu'ils étaient tous soldats. Je suis certain qu'il

  6   devait y avoir sept ou six que je connais, que j'ai rencontrés. Je ne peux

  7   rien dire de ceux que je n'ai pas rencontrés.

  8   Q.  Bien entendu. Vous ne le pouvez pas. Une des raisons pour lesquelles je

  9   vous pose la question, c'est parce que nous allons entendre la déposition

 10   de votre fils. Dans sa déclaration au TPIY, il estime --

 11   M. BLACK : [interprétation] Monsieur le Président, si nous allons

 12   l'entendre, désolé, de prendre la parole. Je ne suis pas sûr que l'on

 13   s'engage sur une voix adéquate.

 14   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Il s'agit d'un contre-interrogatoire,

 15   Monsieur Black. On peut lui poser la question s'il a dit quelque chose de

 16   différent.

 17   M. BLACK : [interprétation] Très bien. Merci. Toutes mes excuses.

 18   M. TOPOLSKI : [interprétation]

 19   Q.  Votre fils, dans l'estimation qu'il l'a faite, arrive aux chiffres de

 20   quelques 50 soldats à cet endroit. Evidemment, vous ne pouvez vous baser

 21   que sur ce que vous avez vécu, Monsieur Bakrac, mais que pensez-vous de

 22   cette estimation-là, à savoir, environ 50 ?

 23   R.  Je pense que ce serait sans doute un peu exagéré parler d'une

 24   cinquantaine, parce qu'il a probablement inclus tous les soldats. Moi, je

 25   n'ai fait référence qu'à ceux que je connaissais. Je ne peux rien dire de

Page 1364

  1   ceux que je ne connaissais pas et que je n'ai pas vus. Je peux parler des

  2   six ou sept qui traînaient dans les parages en permanence. Pour les autres,

  3   je n'en sais rien.

  4   Q.  Est-ce qu'un des problèmes était peut-être lié au fait que certains de

  5   ces soldats portaient des masques ? Certains portaient-ils des masques ?

  6   R.  Oui, ils portaient des masques.

  7   Q.  Monsieur le Témoin, je souhaiterais vous montrer une photographie à

  8   présent. Je souhaiterais que vous soyez clair. Je ne suis pas en train de

  9   vous dire que sur cette photographie il y a quelqu'un qui est ou qui aurait

 10   pu être à cet endroit. Ce n'est pas mon objectif. Je vous le montre pour

 11   d'autres raisons. Il s'agit de la même photographie que celle que j'ai

 12   montrée précédemment. Il s'agit de la pièce à conviction numéro P18, pièce

 13   à conviction du Procureur. Je me demande si l'on pourrait éventuellement la

 14   placer sur le logiciel Sanction de manière à ce que nous puissions tous la

 15   voir.

 16   L'INTERPRÈTE : L'interprète signale que la photographie est placée sous le

 17   rétroprojecteur et non le logiciel.

 18   M. TOPOLSKI : [interprétation]

 19   Q.  Monsieur Bakrac, il s'agit là d'un groupe d'hommes et de femmes. Je

 20   souhaiterais vous poser deux questions à propos de cette photographie si

 21   vous le permettez.

 22   La première question est la suivante : regardez ces uniformes. Avez-vous vu

 23   qui que ce soit portant des uniformes semblables aux uniformes noirs portés

 24   par certaines des personnes sur ce cliché au moment où vous étiez détenu ?

 25   R.  Oui. Oui, j'en ai vu. Une nuit, lorsqu'ils sont venus regarder la

Page 1365

  1   télévision, certains d'entre eux que je voyais pour la première fois.

  2   Q.  L'homme qui est assis, qui porte la main droite au menton et qui est

  3   assis à côté d'une femme porte un uniforme différent. Je le décrirais

  4   personnellement comme étant un uniforme de camouflage. Est-ce là un

  5   uniforme que vous avez vu lorsque vous étiez là-bas ?

  6   R.  Oui. J'ai vu des uniformes de camouflage aussi.

  7   Q.  Au bras de la femme à l'extrême droite de la photographie, on voit un

  8   brassard. On ne le voit pas dans son intégralité, mais je pense que l'on

  9   peut dire sans peur de se tromper que ce brassard porte les initiales "PU"

 10   inscrites. Avez-vous jamais vu ce type de brassard au bras de qui que ce

 11   soit par le passé ?

 12   R.  Non.

 13   Q.  Voilà pour les questions générales, maintenant une question plus

 14   précise. Avez-vous jamais vu, à l'endroit où vous étiez détenu pendant une

 15   durée de sept jours, quiconque porter un brassard portant les lettres "PU"

 16   inscrites sur le brassard ?

 17   R.  Non.

 18   Q.  Pour être certain que les choses soient complètes, et la Chambre

 19   comprendra pourquoi je pose la question, avez-vous jamais vu qui que ce

 20   soit portant un badge sur couvre-chef, portant les inscriptions "PU" au

 21   cours de votre détention, qui a durée sept à huit jours à cet endroit ?

 22   R.  Non. Mais je n'ai jamais regardé directement ces personnes. J'avais

 23   peur.

 24   Q.  Nous le comprenons parfaitement, Monsieur Bakrac, bien entendu. Une

 25   dernière question à propos de la photographie, à

Page 1366

  1   présent.

  2   Est-il juste de dire qu'il est difficile de voir quelqu'un sans remarquer

  3   qu'il porte un masque, en tout cas un masque de ce type ? Si vous examinez

  4   attentivement cette photographie, Monsieur, vous verrez cinq personnes.

  5   Trois sont en position debout, trois en position assise [comme interprété],

  6   qui semblent porter des masques. Etes-vous d'accord pour dire qu'ils sont

  7   au nombre de cinq ?

  8   R.  J'en vois trois, et j'en vois un là en bas.

  9   Q.  Juste à côté de la femme --

 10   R.  Pas cinq.

 11   Q.  Peut-être la qualité de votre écran est-elle en cause ? Peut-être que

 12   cela n'a pas beaucoup d'importance.

 13   Je vous demanderais de concentrer votre attention, si vous le voulez bien,

 14   sur les trois personnes qui se tiennent debout. Ces masques, les masques

 15   qu'ils portent, vous serez d'accord avec moi pour dire que deux de ces

 16   masques semblent être de même style, et le troisième d'un style quelque peu

 17   différent. Etes-vous d'accord pour dire cela ?

 18   R.  Oui.

 19   Q.  Maintenant, si vous regardez les personnes qui se tiennent debout. Tout

 20   d'abord, avez-vous jamais vu, à l'endroit où vous étiez détenu, quiconque

 21   portant un masque tel que cela ?

 22   R.  Oui. Une nuit, lorsqu'ils sont venus au sous-sol pour venir chercher

 23   Genov.

 24   Q.  Est-ce là la seule fois ? Y en a-t-il eu d'autres ?

 25   R.  Non. Il n'y a pas eu d'autres fois.

Page 1367

  1   Q.  Maintenant, je vous invite à examiner la personne qui se trouve au

  2   milieu, et qui porte un masque d'un style quelque peu différent des deux

  3   autres. Je pense que vous serez d'accord, M. Bakrac, vous serez d'accord

  4   pour dire que dans ce troisième masque, on voit beaucoup mieux les yeux que

  5   dans les deux autres. Est-ce que vous avez jamais vu quiconque porter ce

  6   type de masque là à l'endroit où vous étiez détenu ?

  7   R.  Non.

  8   Q.  Merci. Je n'ai pas d'autres questions à propos de cette photographie.

  9   Monsieur Bakrac, vous souvenez-vous avoir rencontré un M. Vasil Dimitrov

 10   après votre libération ?

 11   R.  Je ne sais pas. Là tout de suite, ce nom ne me dit rien.

 12   Q.  Merci. Au bureau de la Croix Rouge yougoslave de Pristina, nous

 13   entendrons Vasil Dimitrov qui, j'imagine, nous dira qu'il vous a rencontré

 14   et qu'il a rencontré Ivan.

 15   M. BLACK : [interprétation] Monsieur le Président, désolé de vous

 16   interrompre une fois de plus, mais s'il va demander à un témoin de faire

 17   des remarques à propos de la déposition d'un autre témoin, cela ne me

 18   parait pas approprié.

 19   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Veuillez argumenter votre objection,

 20   Monsieur Black.

 21   M. BLACK : [interprétation] Il peut présenter ses faits, mais il n'a pas

 22   besoin de mentionner les noms de ces témoins spécifiques. Voilà la façon

 23   dont j'argumenterai les choses.

 24   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Topolski, comment-vous,

 25   présentez-vous vos arguments ?

Page 1368

  1   M. TOPOLSKI : [interprétation] J'essaye simplement de faciliter la vie aux

  2   propres témoins de M. Black. C'est tout. Je ne peux tout de même pas ne pas

  3   respecter les règles. Je crois que je suis tout à fait autorisé à lui poser

  4   des questions. J'essaye simplement de l'aider.

  5   M. BLACK : [interprétation] Monsieur le Président, je comprends bien, mais

  6   on mentionne le nom d'une personne, mais il n'est pas obligé de citer les

  7   faits qui apparaissent dans la déclaration d'un autre témoin parce que

  8   sinon, cela peut intervenir plus tard dans la déposition. On peut fournir

  9   ces faits mais il n'est pas indispensable de préciser d'où vient le témoin.

 10   Ce sera un témoignage. C'est tout, Monsieur le Président.

 11   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je ne vois pas en quoi fournir cette

 12   information pose problème pour autant que je sache. Il n'y a pas de

 13   pratique, il n'y a certainement pas de règles qui s'opposent à cela. Le

 14   fait qu'il y aurait un témoin, c'est peut-être superflu, mais autrement --

 15   M. TOPOLSKI : [interprétation] Vous avez probablement raison.

 16   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci.

 17   M. TOPOLSKI : [interprétation] Cela n'ajoute pas de poids à ce qui figure

 18   dans la déclaration. Cela permet simplement d'aider à expliquer qui est

 19   cette personne, c'est tout.

 20   Q.  Monsieur Bakrac, désolé. Toutes mes excuses. Vous souvenez-vous

 21   de lui maintenant, cet homme que vous avez rencontré au bureau de la Croix

 22   Rouge, M. Dimitrov ? Vous souvenez-vous de lui ?

 23   R.  Puis-je expliquer quelque chose ?

 24   Q.  Bien entendu.

 25   R.  J'ai rencontré pas mal de monde à la Croix Rouge, mais je ne connais

Page 1369

  1   pas leurs noms. Je ne sais pas de quoi je leur ai parlé. Je ne sais pas à

  2   qui j'ai parlé. Je ne me souviens de rien de tout cela. Je sais que j'ai

  3   parlé.

  4   Q.  Cela me parait une réponse tout à fait adéquate, Monsieur.  Permettez-

  5   moi de vous poser la question suivante : il semblerait qu'au cours de ces

  6   premiers jours qui ont suivi votre libération, comme vous l'avez dit vous-

  7   même, vous avez parlé à un certain nombre de personnes, dans des endroits

  8   différents. Je souhaiterais comprendre un peu mieux les choses, et

  9   comprendre dans quel ordre ont eu lieu ces conversations, ces entretiens,

 10   ces rencontres. Je vous dis, et je pense que vous pouvez me croire, que

 11   vous avez rencontré cet homme à Pristina, ce M. Dimitrov. Cet homme

 12   travaille pour la Croix Rouge. Pensez-vous que cette rencontre a eu lieu

 13   avant votre entretien à la sécurité d'état ou après ? Ou est-ce que vous ne

 14   vous en souvenez vraiment pas ?

 15   R.  Je crois que je suis d'abord allé à la police, ce jour là, puis à la

 16   Croix Rouge.

 17   Q.  Voilà qui est très utile comme information, merci. Une fois de plus, je

 18   ne vais pas vous demander des informations détaillées quant à cette

 19   rencontre que vous avez eue avec M. Dimitrov dont vous ne vous souvenez pas

 20   de son nom. Mais vous vous souvenez qu'à la Croix Rouge, vous avez fourni

 21   des informations assez détaillées portant sur ce qui vous était arrivé,

 22   ainsi que sur ce qui était arrivé à votre fils. Vous vous souvenez au moins

 23   de cela ?

 24   R.  Oui, nous en avons parlé.

 25   Q.  Une fois de plus, la personne à qui vous avez parlé à la Croix Rouge

Page 1370

  1   semblait-elle savoir quoi que ce soit de l'endroit dont vous lui parliez ?

  2   Vous a-t-il donné quelque indication que ce soit vous amenant à penser

  3   qu'il avait déjà entendu parler de cet endroit ?

  4   R.  Je ne m'en souviens pas. Je ne pense pas qu'il m'ait donné quelque

  5   indication que ce soit allant dans ce sens.

  6   Q.  Vous aviez un entretien avec lui. Vous aviez déjà eu des entretiens

  7   avec la police, Monsieur Bakrac, et à ce moment-là, vous étiez intiment

  8   convaincu que Stamen Genov était mort.

  9   R.  Oui. C'est ce que je pensais.

 10   Q.  Après cet entretien à la Croix Rouge, les avez-vous jamais revus ?

 11   Avez-vous jamais revu cet homme-là ? Ou ne lui avez-vous jamais reparlé

 12   après cet entretien au cours des semaines ou mois qui ont suivi ?

 13   R.  Je ne me souviens pas de leur avoir parlé.

 14   Q.  Vous a-t-on jamais dit qu'il y avait quelques indications qui

 15   permettaient de penser que Genov n'était pas mort, que Genov était encore

 16   en vie ? Est-ce que vous avez jamais entendu cela de quelque part que ce

 17   soit, Monsieur Bakrac ?

 18   R.  Non.

 19   Q.  Ce que vous êtes en train de nous dire, Monsieur Bakrac, c'est que la

 20   première fois que vous entendez dire cela, c'est maintenant, parce que je

 21   viens de vous le dire ?

 22   R.  Je crois que ce serait exact de dire cela.

 23   M. TOPOLSKI : [interprétation] Je n'ai pas d'autres questions. Merci de

 24   votre patience, Monsieur.

 25   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Khan.

Page 1371

  1   M. KHAN : [interprétation] Je n'ai pas d'autres questions. Je remercie le

  2   témoin d'être venu déposer.

  3   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci.

  4   Maître Guy-Smith.

  5   M. GUY-SMITH : [interprétation] Monsieur le Président, j'ai un certain

  6   nombre de questions. Ceci dit, avant de commencer à poser des questions au

  7   témoin, je me demandais si l'on pourrait régler une ou deux choses si la

  8   cour n'y voit pas d'objection, et si le bureau du Procureur est d'accord

  9   également.

 10   Hier, un événement est intervenu qui avait trait au Témoin L-04. J'ai donné

 11   un point d'accord à tout le monde, y compris vous, Monsieur le Président,

 12   Madame, Monsieur les Juges, et je vous demanderais de bien vouloir en faire

 13   lecture et de le verser au dossier. J'espérais que peut-être nous allions

 14   pouvoir régler cette question avant que je pose mes questions à M. Bakrac.

 15   Puis, il y a une deuxième question que je souhaiterais aborder et qui a

 16   trait directement au témoignage de M. Bakrac. C'est un point d'accord qui

 17   pourrait amener la déposition du témoin à être beaucoup plus courte. Si la

 18   cour n'y voit pas d'inconvénients, je souhaiterais, qu'à ce moment-là, vous

 19   autorisiez ceci.

 20   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Est-ce que cela pose un problème ?

 21   M. BLACK : [interprétation] Non, aucun problème. M. Guy-Smith, nous a déjà

 22   parlé de ce point.

 23   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous en prie, Maître Guy-Smith.

 24   M. GUY-SMITH : [interprétation] Très bien.

 25   "S'agissant du témoin d'hier, le Procureur est d'accord pour dire que

Page 1372

  1   l'on a montré au témoin L-04 une planche de six photographies qui lui

  2   avaient été montrées par les enquêteurs de la CCIU et de la MINUK, à un

  3   certain moment, entre janvier et mars 2002. Dans cette planche de

  4   photographies, il y avait six photographies. Il y en avait une qui était de

  5   Haradin Bala, un accusé dans cette affaire. Le témoin L-04 n'a pas pu

  6   reconnaître quelque personne que ce soit sur ces six photographies."

  7   Voilà, le premier point d'accord.

  8   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci. Simplement, pour que les choses

  9   soient parfaitement claires, Monsieur Bakrac, ceci n'a strictement rien à

 10   voir avec votre déposition. Je tenais à le préciser. C'est une question qui

 11   n'a strictement rien à voir avec vous au cas où cela vous poserait

 12   problème.

 13   M. GUY-SMITH : [interprétation] Je souhaiterais vous donner lecture d'un

 14   point, d'un consensus qui a trait directement au témoignage de M. Bakrac.

 15   C'est la chose suivante : "Les 8 et 9 janvier 2003, on a montré à M. Bakrac

 16   une série de photos contenues dans la planche photographique. Concernant la

 17   planche photographique A1, ses remarques ont été les suivantes : 'Le numéro

 18   2, me dit quelque chose, mais je ne sais pas d'où je le connais, et je ne

 19   peux pas établir un lien entre cette personne et cette affaire. En ce qui

 20   concerne la série de photographies A2, personne ne me dit rien. En ce qui

 21   concerne la planche photographique A3, là encore, aucun de ces hommes me

 22   dit quoi que ce soit.'"

 23   J'avais déjà proposé un certain nombre de pièces qui incluaient A4 et A5.

 24   Toutefois, aux fins du contre-interrogatoire que je vais effectuer auprès

 25   de Me Bakrac, après avoir obtenu l'accord du bureau du Procureur, je ne

Page 1373

  1   pense pas que nous ayons besoin de pousser les choses plus avant.

  2   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci.

  3   M. GUY-SMITH : [interprétation] Je pense, Monsieur le Président, Madame,

  4   Monsieur les Juges, vous avez un exemplaire de ces séries de photographies.

  5   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] J'ai la première.

  6   M. GUY-SMITH : [interprétation] A1, A2.

  7   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je ne suis pas sûr d'avoir reçu la

  8   seconde.

  9    [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]

 10   M. GUY-SMITH : [interprétation] Vous avez les photos, n'est-ce pas ?

 11   L'accord a été conclu quelques secondes avant que vous n'entriez dans le

 12   prétoire, Madame, Monsieur les Juges.

 13   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je comprends maintenant. Merci

 14   beaucoup.

 15   Contre-interrogatoire par M. Guy-Smith : 

 16   Q.  [interprétation] Bonjour, Monsieur Bakrac.

 17   R.  Bonjour.

 18   Q.  Je m'appelle Gregor Guy-Smith et je représente Haradin Bala. J'aimerais

 19   que vous me consacriez un petit peu de votre temps afin de répondre à un

 20   certain nombre de questions que je souhaite vous poser. Cela vous convient-

 21   il ?

 22   R.  Oui, tout à fait. Je vous en prie.

 23   Q.  Au cas, où je vous poserais une question qui est incompréhensible, que

 24   vous ne comprenez pas pour une raison ou pour une autre, je vous

 25   demanderais de bien vouloir m'en informer. Je la reformulerai.

Page 1374

  1   R.  [Le témoin opine]

  2   Q.  Si je comprends bien votre témoignage, Monsieur, vous avez été à cet

  3   endroit pendant un certain nombre de jours ?

  4   R.  Oui.

  5   Q.  Vous avez dit qu'à un moment donné, vous avez vu un individu dont vous

  6   avez appris qu'il s'appelait "Shala", et qui portait un couvre-chef noir,

  7   n'est-ce pas ?

  8   R.  Oui.

  9   Q.  Vous souvenez-vous de la photo que mon collègue Me Topolski vous a

 10   montrée il y a quelques instants, et sur laquelle plusieurs individus

 11   portaient un couvre-chef noir ?

 12   R.  Oui.

 13   Q.  Est-ce bien le chapeau ou le type de couvre-chef auquel vous faisiez

 14   référence lorsque vous avez vu cette personne appelée Shala avec son

 15   couvre-chef noir ?

 16   R.  Je ne pourrais le dire avec certitude. Je ne sais pas si c'était le

 17   même, mais il me semble qu'il figurait des insignes sur ce couvre-chef.

 18   Q.  Vous dites qu'il avait des insignes. Pourriez-vous, peut-être, nous

 19   aider et nous les décrire d'une manière ou d'une autre ?

 20   R.  C'était un insigne de l'armée de la libération du Kosovo.

 21   Q.  Aujourd'hui, ici, pouvez-vous nous dire de quoi était composé cet

 22   insigne ? Y avait-il des lettres ? Y avait-il des chiffres ?

 23   R.  Je sais qu'il était rouge et noire. Quelles ont été les lettres qui

 24   figuraient dessus, je ne sais pas. Je n'y ai pas fait attention.

 25   Q.  Vous nous avez dit également que lorsque vous étiez dans le

Page 1375

  1   sous-sol, je crois, vous avez eu la possibilité de parler avec au moins un

  2   certain nombre des hommes qui s'y trouvaient; est-ce exact ?

  3   R.  C'est exact.

  4   Q.  Vous avez appris qu'un certain nombre d'entre eux étaient des Serbes,

  5   n'est-ce pas ?

  6   R.  Je ne comprends pas totalement la question. Oui, ils étaient Serbes.

  7   Q.  Vous avez appris que certains d'entre eux, trois, étaient Albanais ?

  8   R.  Oui, c'est exact.

  9   Q.  Ils dormaient la plupart du temps ?

 10   R.  Oui, la plupart du temps.

 11   Q.  Vous n'avez pas parlé avec eux ?

 12   R.  Non.

 13   Q.  Aucun de ces hommes se trouvant dans cette pièce n'avait été battu,

 14   n'est-ce pas ?

 15   R.  A l'exception de Genov et de Cuk, avant. Pour les gens qui se

 16   trouvaient à ce moment-là dans la pièce, seul Genov se faisait frappé.

 17   Q.  Cette information selon laquelle aucun des hommes de cette pièce à part

 18   ceux dont vous venez juste de parler, Monsieur -- cette information donc --

 19   qu'aucun des hommes de cette pièce n'avait été frappé. Cette information,

 20   vous l'avez reçue, vous l'avez entendue des gens avec qui vous parliez dans

 21   la pièce, n'est-ce pas ?

 22   R.  Pouvez-vous répéter la question, s'il vous plaît ?

 23   Q.  Tout à fait. Vous avez appris que les hommes qui se trouvaient dans la

 24   pièce, à l'exception des deux hommes dont vous venez de parler, n'avaient

 25   pas été frappés, n'est-ce pas ?

Page 1376

  1   R.  Non, personne n'avait été frappé.

  2   Q.  Ce sont les hommes qui se trouvaient dans cette même pièce qui vous ont

  3   dit depuis combien de temps ils y étaient, n'est-ce

  4   pas ?

  5   R.  Oui.

  6   Q.  Les hommes serbes et les hommes albanais étaient dans cette pièce

  7   depuis très longtemps, n'est-ce pas ? C'est ce qu'on vous a dit ?

  8   R.  Oui. Les Serbes s'y trouvaient depuis 7 jours, et les Albanais un petit

  9   peu plus. Je le savais, je savais depuis combien de temps ils y étaient,

 10   mais là je ne m'en souviens plus.

 11   Q.  Avant d'être venu ici afin de témoigner, vous avez abordé avec votre

 12   fils ces événements que vous avez vécus, n'est-ce pas ?

 13   R.  Non, nous n'en avons jamais parlé.

 14   Q.  La raison pour laquelle je vous pose cette question, c'est la suivante

 15   : dans votre déposition aujourd'hui, vous avez utilisé un vocabulaire assez

 16   particulier. M. Black vous avait posé une question qui se trouve à la page

 17   23, ligne 19, à 15 heures 17 et 42 secondes. Il vous a posé la question

 18   suivante : "Et ceci a-t-il fini par se produire ?"  Votre réponse a été :

 19   "Oui, c'était avant la tombée de la nuit. Nous étions assis dans la pièce.

 20   Deux coups de feu se sont faits entendre. Ivan et moi-même, nous nous en

 21   souvenons."

 22   Lorsque je vous ai entendu dire cela, "Ivan et moi-même, nous en

 23   souvenons," ceci m'a donné à penser qu'alors que vous déposiez ici

 24   concernant cet événement, vous pensiez aussi à une conversation que vous

 25   aviez eue avec votre fils. C'est la raison pour laquelle je vous ai posé la

Page 1377

  1   question, et que je vous la repose : Avant de venir ici pour témoigner,

  2   avez-vous eu la possibilité, ou avez-vous parlé avec votre fils Ivan de ce

  3   que vous avez vu ?

  4   R.  Non, nous n'en avons pas parlé. Ce que j'ai dit, c'est qu'Ivan et moi-

  5   même avions entendu ces coups de feu parce que nous étions tous les deux

  6   présents. Est-ce qu'il s'en souvient à ce stade, je ne sais pas. Parce qu'à

  7   partir du moment de notre libération, et jusqu'au jour d'aujourd'hui,

  8   personne n'a pu parler à Ivan de ces événements. Moi non plus. Hier,

  9   lorsque je suis sorti du prétoire, aujourd'hui, nous ne nous sommes pas

 10   échangés un seul mot là-dessus. La seule chose qu'il m'a demandé, c'est :

 11   As-tu terminé ? Je lui ai répondu : Non, pas encore. Voilà la conversation

 12   intégrale que j'ai eue avec mon fils sur ce point.

 13   Q.  Vous savez que votre fils a parlé aux enquêteurs de ceci, n'est-ce pas

 14   ?

 15   R.  Oui, c'est exact.

 16   Q.  Vous savez aussi que votre fils a communiqué aux enquêteurs des

 17   informations qu'il a recueillies sur ce point, n'est-ce pas ?

 18   R.  Je ne comprends pas très bien de quoi vous parlez. Ivan aurait

 19   recueilli quoi ?

 20   Q.  Vous savez qu'Ivan a consulté un certain nombre de sites Internet sur

 21   la question ?

 22   R.  Non, je ne le sais pas. Je n'en sais rien.

 23   Q.  Bien. Cet homme, Shala, vous l'avez vu assez fréquemment d'après ce que

 24   vous nous avez dit dans votre témoignage, n'est-ce

 25   pas ?

Page 1378

  1   R.  Oui.

  2   Q.  C'est un homme avec lequel vous avez parlé plus d'une fois, n'est-ce

  3   pas ?

  4   R.  Oui.

  5   Q.  C'est un homme qui vous amenait de la nourriture, n'est-ce pas ?

  6   R.  Oui.

  7   Q.  C'est un homme qui vous amenait des cigarettes parce que vous fumiez,

  8   n'est-ce pas ?

  9   R.  Oui.

 10   Q.  C'est un homme que vous regardiez droit dans les yeux lorsque vous

 11   aviez une conversation avec lui, n'est-ce pas ?

 12   R.  Oui.

 13   Q.  Lorsque vous parlez avec lui, vous étiez plus proche de lui que nous ne

 14   le sommes aujourd'hui, n'est-ce pas ?

 15   R.  Oui.

 16   Q.  Monsieur Bakrac, merci beaucoup du temps que vous nous avez consacré et

 17   de votre sincérité.

 18   M. GUY-SMITH : [interprétation] Je n'ai plus de questions.

 19   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci.

 20   Maître Black.

 21   M. BLACK : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Une ou deux

 22   questions seulement.

 23   Nouvel interrogatoire par M. Black :

 24   Q. [interprétation] Un peu plus tôt, Monsieur Bakrac, je crois que vous

 25   avez dit à l'un des conseils de la Défense que vous n'aviez pas regardé ces

Page 1379

  1   gens parce que vous aviez peur. Je crois que vous faisiez référence aux

  2   soldats de la ferme, n'est-ce pas ?

  3   R.  C'est exact.

  4   Q.  Je voudrais que les choses soient bien claires. Lorsque vous parliez

  5   avec Shala, le regardiez-vous dans les yeux ?

  6   R.  Je regarde toujours en face les gens avec lesquels je parle. Donc, lui

  7   aussi.

  8   Q.  Qu'en est-il de la personne qui est venue chercher Ivan dans le sous-

  9   sol, la personne dont vous avez jugé que ce devait être un supérieur ? Le

 10   regardiez-vous également en face lorsque vous lui parliez ?

 11   R.  Je lui parlais de la même manière que je le fais en général.

 12   Q.  Merci.

 13   M. BLACK : [interprétation] Monsieur le Président, je n'ai plus de

 14   questions.

 15   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Bakrac, je peux vous annoncer

 16   que c'est la fin de votre déposition. La Chambre souhaite vous remercier

 17   d'être venu à La Haye et de l'aide que vous nous avez apportée. Vous êtes

 18   maintenant libre de rentrer chez-vous. Merci.

 19   LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous en prie. Au revoir.

 20   [Le témoin se retire]

 21   M. TOPOLSKI : [interprétation] Monsieur le Président, puis-je soulever une

 22   petite question brièvement avant l'arrivée du témoin suivant ?

 23   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui.

 24   M. TOPOLSKI : [interprétation] J'ai déjà soulevé la question avec Me Black

 25   à la fin de notre séance d'hier, la dernière séance d'hier. Je pensais

Page 1380

  1   qu'il aborderait la question aujourd'hui. Peut-être que c'est une omission

  2   de sa part, peut-être que c'est une omission intentionnelle, je n'en sais

  3   rien. Je ne sais pas si vous disposez du compte-rendu d'audience d'hier,

  4   page 71 de la version non corrigée. Je dispose de ce compte rendu, que j'ai

  5   sous les yeux. Je soulève la question en espérant qu'elle puisse être

  6   résolue sans devoir citer à nouveau à comparaître le témoin qui vient de

  7   nous quitter. Je suis bien convaincu qu'il ne quittera pas La Haye sans son

  8   fils de toute façon. A la page 71, ligne 2, Me Black, lors de son

  9   interrogatoire principal, dit la chose suivante : "Au début de votre

 10   déposition, je vous ai posé la question concernant les déclarations que

 11   vous avez faites plus tôt au TPIY et à une autre organisation, le centre du

 12   droit humanitaire. Vous souvenez-vous de ces questions ? "R.  Oui.

 13   "Q.  Vous souvenez-vous si dans ces déclarations, vous décrivez également

 14   cette personne, personne dont vous venez de nous dire qu'elle battait,

 15   qu'elle frappait Ginov ?

 16   "R.  Je crois.

 17   "Q.  Pensez-vous l'avoir décrit en gros, de la même manière que celle que

 18   vous venez d'utiliser pour le décrire maintenant.

 19   "R.  Oui."

 20   J'ai, bien sûr, un avantage par rapport à la Chambre. Je ne pense pas

 21   que la Chambre dispose de cette déclaration donnée au centre du droit

 22   humanitaire autre que celle qui a été produite. Par conséquent, vous ne

 23   l'avez pas lue. Je crois que, -- ce que je tiens à dire, c'est que la

 24   nature de la description qui est faite dans cette déclaration donnée au

 25   centre pour le droit humanitaire, que cette description ou la nature de

Page 1381

  1   celle-ci est beaucoup, -- est bien différente et beaucoup plus brève que la

  2   description qui a été donnée dans la déclaration du TPIY.

  3   J'aurais aimé que l'on corrige les choses, à savoir, notamment

  4   l'impression qui pourrait naître des questions qui ont été posées par M.

  5   Black hier, et des réponses qui ont été obtenues. Ce n'a pas été fait. Je

  6   serais tout à fait heureux de laisser les choses en l'état. Le témoin a

  7   déposé, a fait une description. Mais lorsque l'on revient sur le compte

  8   rendu, peut-être pas maintenant, mais lorsque vous le ferez, peut-être un

  9   peu plus tard, et bien, il y a là une impression qui demeure, et qui ne

 10   peut pas naître de l'observation ou de la lecture qui est faite des

 11   documents. Bien entendu, c'est une simple observation que je tenais à

 12   faire. Je ne sais pas si la Chambre souhaitera prendre une décision.

 13   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Vous ne vouliez pas aborder la

 14   question au contre-interrogatoire.

 15   M. TOPOLSKI : [interprétation] Non. Non, je ne l'ai pas fait, car

 16   finalement j'étais relativement satisfait des réponses données par le

 17   témoin. Peut-être aurais-je dû le faire, peut-être aurais-je dû,

 18   effectivement, lui soumettre la ligne unique, finalement, qui porte

 19   directement sur la description qui est donnée dans cette déclaration, cette

 20   déclaration antérieure. Maintenant, si vous pensez qu'il serait bon de

 21   faire revenir M. Bakrac pour que les choses soient éclaircies, et bien, je

 22   pourrais le faire. Toutefois, comme je le disais, si tel n'est pas le cas,

 23   il me semble qu'une impression va demeurer qui n'est pas exacte. Je pensais

 24   que M. Black allait dire quelque chose dans ce domaine, mais clairement, il

 25   a pensé faire autrement ou peut-être qu'il a oublié, je ne le sais pas.

Page 1382

  1   Voilà où nous en sommes.

  2   M. KHAN : [interprétation] En ce qui concerne ceci, et pour être tout à

  3   fait honnête avec Me Black, il se souviendra sans doute que la raison pour

  4   laquelle ce document ne vous a pas été soumis, ce n'est pas parce qu'il y a

  5   eu un manque d'efforts de sa part ou de la partie adverse. C'est parce

  6   qu'il y a eu objection de la part de deux conseils de ce côté de la table.

  7   Bien entendu, ces affaires sont relativement complexes, et je pense

  8   qu'il est bon d'opérer selon une structure particulière. Par conséquent, je

  9   m'opposerais à l'instauration d'une tendance qui consisterait à reciter à

 10   comparaître des témoins lorsqu'une partie a eu la possibilité de poser des

 11   questions pertinentes. Ce témoin a déposé hier. On nous a donné le compte

 12   rendu LiveNote. Hier soir, nous avons eu la possibilité, hier soir, de

 13   parcourir ce compte rendu. Bien entendu, l'objectif du contre-

 14   interrogatoire, c'est de vérifier la validité du témoignage qui a été

 15   donné.

 16   Par conséquent, la raison pour laquelle je fais objection, Monsieur

 17   le Président, c'est la même raison qui m'a poussé à faire objection à ce

 18   document, au versement de ce document. C'est une question de principe.

 19   Parce que l'on si on commence à appliquer les règles de manière tout à fait

 20   lâche, si je puis dire, et bien, nous allons faire face à un certain nombre

 21   de difficultés en aval. Je pense que je me verrais contraint de faire

 22   objection si Me Black demandait à faire revenir l'un de ses témoins, pour

 23   éventuellement, pallier à une lacune, une omission, une omission apparente.

 24   Je pense que je dois être ferme. C'est une question de principe, même si

 25   j'ai, effectivement, la même position que mon collègue qui se trouve du

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  1   même côté de la table.

  2   M. BLACK : [interprétation] Merci. D'abord, je m'excuse auprès de M.

  3   Topolski. En fait, j'ai peur de n'avoir pas très bien compris ce qu'il

  4   essayait de me dire hier soir. Ce n'était pas une omission intentionnelle

  5   de ma part, même si je pense que les choses pourraient demeurer en l'état.

  6   Si M. Bakrac doit revenir, et si tel est le cas, je demanderais à ce que

  7   cela soit fait maintenant. Je demanderais  que ceci n'arrive pas à un stade

  8   ultérieur.

  9   M. TOPOLSKI : [interprétation] Je retire cette demande consistant à faire

 10   revenir le témoin, même si effectivement, j'ai fait cette demande. Je pense

 11   que je pourrais régler la question par le biais d'un consensus au moment où

 12   ceci s'avérera nécessaire. Je vois quelles sont les difficultés posées, je

 13   vois que ce sont des questions sensibles. Par conséquent, Monsieur le

 14   Président, je renonce à ma demande. Je suis désolé d'avoir utilisé le temps

 15   de cette cour. C'est une préoccupation qui demeure, mais je suis sûr que Me

 16   Black et moi-même pourrons résoudre la question sans nécessairement devoir

 17   faire revenir le témoin. Maître Khan

 18   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Nous allons étudier le fond de votre

 19   requête. Vous savez, parfois, il est besoin de rappeler un témoin lorsque

 20   cela s'avère nécessaire.

 21   M. KHAN : [interprétation] Oui. Tout a fait. Bien sûr, bien sûr. Mais je

 22   faisais cette remarque dans ce contexte précis. C'est une question de

 23   principe simplement.

 24   M. BLACK : [interprétation] Une question administrative, Monsieur le

 25   Président, purement administrative. En ce qui concerne la pièce 77

Page 1384

  1   enregistrée aux fins d'identification seulement, elle n'a pas été versée au

  2   dossier. Quel que soit son statut, j'aimerais que cette pièce soit placée

  3   sous pli scellé. Je ne sais pas ce qui se passe lorsque une pièce est

  4   enregistrée aux fins d'identification, si elle est placée sur Internet ou

  5   pas.

  6   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Ce n'est pas une pièce. C'est un

  7   document qui a été enregistré aux fins d'identification qui est placé sous

  8   la garde de la cour. Si ce document devient pertinent, si le document

  9   antérieurement identifié peut être produit, et bien, dans ce cas-là, et si

 10   le document peut-être authentifié, il deviendra une pièce.

 11   M. BLACK : [interprétation] Oui. Merci. Je comprends.

 12   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Mais pour l'instant, ce n'en est pas

 13   une.

 14   M. BLACK : [interprétation] Oui, je comprends. Je ne suis pas en train de

 15   contester la chose. Je voudrais simplement informer le Greffier. Peut-être

 16   n'en est-il pas tout à fait conscient que ce document ne doive pas tomber

 17   dans le domaine public parce qu'il contient des informations

 18   confidentielles. Il y a une référence particulière qui y figure.

 19   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je crois que le Greffier comprend les

 20   termes sous scellé ou sous pli scellé.

 21   M. BLACK : [interprétation] Oui, pour l'identification.

 22   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je crois que vous pourrez dormir sur

 23   vos deux oreilles ce soir.

 24   M. BLACK : [interprétation] Oui, merci Monsieur le Président. C'est Me

 25   Nicholls qui se chargera du témoin suivant.

Page 1385

  1   Puis-je quitter la pièce quelques instants, s'il vous plaît. Je dois

  2   régler une question à l'extérieur de ce prétoire.

  3   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous en prie.

  4   M. BLACK : [interprétation] Merci.

  5   M. NICHOLLS : [interprétation] Excusez-moi, je ne sais plus très bien où

  6   nous en sommes. Quand prendrons-nous la prochaine pause ?

  7   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Donc, dans 20 minutes.

  8   [Le témoin est introduit dans le prétoire]

  9   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Bonjour, Monsieur Bakrac.

 10   LE TÉMOIN : [interprétation] Bonjour.

 11   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Veuillez, je vous prie prendre le

 12   texte qui se trouve devant vos yeux, et nous lire l'affirmation solennelle.

 13   LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

 14   vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

 15   LE TÉMOIN: IVAN BAKRAC : [Assermenté]

 16   [Le témoin répond par l'interprète]

 17   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Bakrac.

 18   Veuillez vous asseoir.

 19   LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

 20   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] C'est au tour de M. Nicholls de vous

 21   poser un certain nombre de questions.

 22   Interrogatoire principal par M. Nicholls : 

 23   Q.  [interprétation] Bonjour, Monsieur. Est-ce que vous pouvez m'entendre ?

 24   R.  Oui.

 25   Q.  Comme je vous ai dit un peu plus tôt, nous parlons en langue

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  1   différente. Tout ce que l'on dit est interprété dans plusieurs langues. Il

  2   est important si vous pouvez le faire, de parler un peu plus lentement que

  3   vous le feriez normalement et un peu plus clairement, afin que tous nos

  4   propos soient interprétés correctement.

  5   Q.  Est-ce que cela vous va ?

  6   R.  Oui.

  7   Q.  Pourriez-vous, je vous prie, décliner votre identité ?

  8   R.  Je m'appelle Ivan Bakrac.

  9   Q.  Vous êtes né en 1979, n'est-ce pas ?

 10   R.  Oui.

 11   Q.  Où êtes-vous né, je vous prie ?

 12   R.  A Zagreb, en Croatie.

 13   Q.  Quelle est votre appartenance ethnique, Monsieur ?

 14   R.  Je suis Serbe.

 15   Q.  Avant de poursuivre, je souhaiterais que l'on aborde la question

 16   suivante : vous avez donné une déclaration écrite aux enquêteurs du TPIY,

 17   n'est-ce pas ?

 18   R.  Oui.

 19   Q.  C'était bien au mois de janvier 2003, n'est-ce pas ?

 20   R.  Oui.

 21   Q.  Lorsque vous êtes arrivé à La Haye, il n'y a pas très longtemps, et

 22   lorsque vous m'avez rencontré, vous avez d'abord eu un entretien avec

 23   l'enquêteur Lehtinen ainsi qu'avec M. Andrew Cayley; est-ce exact ?

 24   R.  Oui.

 25   Q.  Ensuite, vous m'avez rencontré, mardi dernier, assez brièvement, et

Page 1387

  1   nous nous sommes également rencontrés mercredi; est-ce exact ?

  2   R.  Oui.

  3   Q.  Avez-vous eu l'occasion de regarder à la télévision ce procès ou de le

  4   suivre à la télévision à quel que moment que ce soit ?

  5   R.  Non.

  6   Q.  Est-ce que vous avez suivi ce procès sur Internet ? Est-ce que vous

  7   avez suivi les procédures sur Internet ?

  8   R.  Non.

  9   Q.  Est-ce que vous avez pu suivre le déroulement de ce procès dans les

 10   médias, je parle des journaux, des magazines ?

 11   R.  Assez rarement.

 12   Q.  Etes-vous marié ?

 13   R.  Non.

 14   Q.  Est-ce que vous avez des enfants ?

 15   R.  Non.

 16   Q.  Parlez-moi de votre famille, je vous prie ? Avec qui habitez-vous ?

 17   R.  Je vis avec mes parents ainsi qu'avec mon frère aîné.

 18   Q.  Est-ce que vous travaillez, et je ne voudrais pas vous demander de nous

 19   dire où vous travaillez ou quelle est votre profession, mais j'aimerais

 20   savoir si vous travaillez quelque part ?

 21   R.  Oui.

 22   Q.  Pourriez-vous brièvement expliquer aux Juges de la Chambre ainsi qu'aux

 23   conseils, de part et d'autre, quel est votre parcours scolaire ? Et de

 24   nouveau, je ne voudrais pas vous demander de nous donner des noms d'école

 25   où vous êtes allé, mais jusqu'où vous êtes-vous rendu quant à votre

Page 1388

  1   scolarité ? Dites-nous simplement si vous avez obtenu des diplômes ou des

  2   licences ?

  3   R.  Après l'école secondaire, j'ai obtenu un diplôme collégial. J'ai étudié

  4   les affaires. J'ai terminé l'université. Cela correspond à un diplôme

  5   universitaire d'une durée de quatre ans.

  6   Q.  Est-ce que vous avez fait votre service militaire ?

  7   R.  Non.

  8   Q.  Je souhaiterais maintenant vous poser des questions quant au moment où

  9   vous avez vécu à Zagreb en Croatie.

 10   R.  Oui, d'accord.

 11   Q.  Pourriez-vous nous dire en quelle année est-ce que votre famille a

 12   quitté la Croatie ?

 13   R.  En 1992.

 14   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Veuillez, je vous prie, répéter ce que

 15   vous venez de dire. Les interprètes n'ont pas tout à fait saisi votre

 16   réponse.

 17   LE TÉMOIN : [interprétation]  En 1992.

 18   M. NICHOLLS : [interprétation]

 19   Q.  Très brièvement, pourriez-vous nous dire quelle est la raison pour

 20   laquelle votre famille a quitté la Croatie cette année-là ?

 21   R.  A cause de leur nationalité. Un très grand nombre de familles serbes

 22   ont quitté, en cette année-là, la Croatie.

 23   Q.  Est-ce que votre famille est partie ensemble ? Est-ce que vous êtes

 24   tous partis ensemble, ou bien, est-ce que vous vous êtes séparés des uns

 25   des autres ?

Page 1389

  1   R.  Nous avons quitté la Croatie séparément. D'abord, c'était moi-même et

  2   mon frère aîné. Ensuite, ce sont nos parents qui ont suivi.

  3   Q.  Où êtes-vous allé après Zagreb et la Croatie ?

  4   R.  A Belgrade.

  5   Q.  Combien de temps, est-ce que vous êtes resté à Belgrade avec votre

  6   famille ?

  7   R.  Un an.

  8   Q.  Monsieur, tout ce que vous dites est enregistré, et un compte rendu

  9   d'audience est également transcrit de vos propos. Je vous demanderais de

 10   répéter votre réponse, si vous le pouvez.

 11   Ma question était la suivante : combien de temps, est-ce que votre famille

 12   est restée à Belgrade ?

 13   R.  Un an.

 14   Q.  Pourriez-vous nous décrire brièvement comment s'est déroulée cette

 15   année ? Quel genre de travail faisait votre père ? Si vous pouviez nous

 16   dire ce que faisait votre famille pendant cette année-là.

 17   R.  Nous habitions chez les parents de ma mère donc chez mes grands-

 18   parents maternels. Mon père travaillait en tant que serveur. Ma mère

 19   travaillait en tant que coiffeuse.

 20   Q.  Après cette période passée à Belgrade, où est-ce que votre famille est

 21   déménagée ?

 22   R.  A Djakovica au Kosovo.

 23   Q.  Pourquoi avez-vous déménagé ? Pourquoi est-ce que votre famille s'est

 24   établie là-bas ?

 25   R.  Mon père a eu un emploi à l'hôtel, et puisque la vie était difficile à

Page 1390

  1   Belgrade, nous avons déménagé à Djakovica.

  2   Q.  A l'époque des événements, vous étiez un adolescent. Pourriez-vous nous

  3   décrire brièvement à quoi ressemblait votre vie à Djakovica ? Après votre

  4   déménagement à Djakovica, est-ce vous êtes allé à l'école ? Quels étaient

  5   vos intérêts ?

  6   R.  Après notre déménagement à Djakovica, j'étais très jeune. J'allais à

  7   l'école primaire et secondaire. J'ai été plutôt occupé par les mêmes

  8   préoccupations qu'ont les adolescents de nos jours. J'avais des intérêts

  9   dans le sport, j'aimais bien le basket-ball et la pêche. Ce genre de

 10   choses-là.

 11   Q.  Est-ce que vous étiez intéressé par la politique ?

 12   R.  Non.

 13   Q.  Je vais maintenant passer rapidement à l'année 1998. Pourriez-vous nous

 14   décrire quel était l'atmosphère -- ou ce n'est peut-être pas la bonne façon

 15   de présenter les choses. A quoi ressemblait la vie de votre famille à

 16   Djakovica au Kosovo ?

 17   R.  C'était bien difficile, puisqu'il y avait déjà quelques disputes entre

 18   les Albanais et les Serbes du Kosovo. Nous avions remarqué que la vie était

 19   assez difficile.

 20   Q.  Pourriez-vous me parler de vos amis personnels alors que vous alliez à

 21   l'école à Djakovica ? Quelle était l'appartenance ethnique de vos amis les

 22   plus proches ?

 23   R.  Il y avait des Croates. Il y avait des Musulmans, des Serbes.

 24   Q.  Etiez-vous amis avec les Serbes tout comme vous étiez amis avec les

 25   Croates et Musulmans ?

Page 1391

  1   R.  Oui.

  2   Q.  Après que votre famille est déménagée à Djakovica, votre père a eu cet

  3   emploi dans un hôtel. Est-ce que vous étiez censé rester à Djakovica de

  4   façon permanente, ou bien votre famille avait-elle d'autres projets pour

  5   l'avenir ?

  6   R.  Au début, l'idée c'était de rester à Djakovica. Mais après, seuls mes

  7   parents savent ce qu'ils voulaient faire --

  8   Q.  Je ne sais pas si vous avez terminé votre réponse, Monsieur. Vous dites

  9   que seuls, votre père et votre mère savaient quoi ?

 10   R.  Eux seuls savaient si nous allions rester à Djakovica, ou si nous

 11   allions revenir en Croatie ou à Belgrade.

 12   Q.  Très bien. Merci.

 13   A la fin du mois de juin 1998, si vous vous souvenez, votre

 14   famille avait-elle des projets pour ce mois-là ? Y avait-il des démarches

 15   que votre famille voulait entreprendre ?

 16   R.  Oui. Le plan était de quitter Djakovica.

 17   Q.  Sans nous dire l'endroit où vous alliez déménager, puisque cela n'est

 18   pas pertinent pour ce qui concerne ce procès en l'espèce,  est-ce que le

 19   plan était de rester au Kosovo, ou non ?

 20   R.  Non.

 21   Q.  Est-ce que, vers la fin du mois de juin 1998, votre famille a-t-elle

 22   commencé son déménagement ?

 23   R.  Oui.

 24   Q.  Bien. Pourriez-vous nous décrire de quelle façon ce déménagement devait

 25   se dérouler, quels étaient les préparatifs pour ce déménagement ?

Page 1392

  1   R.  Je ne comprends pas votre question. Que voulez-vous dire par

  2   préparatifs ? Nos démarches initiales ?

  3   Q.  Je vais reformuler ma question. Elle n'était pas particulièrement

  4   précise. Je ne voulais pas que vous nous racontiez quelle était censée être

  5   votre destination finale, mais est-ce que votre famille avait commencé des

  6   préparatifs pour partir de Djakovica afin de déménager ailleurs ?

  7    R.  Oui.

  8   Q.  Pourriez-vous nous décrire cela, je vous prie ?

  9   R.  Puisqu'il y avait d'énormes problèmes déjà entre les Albanais et

 10   d'autres groupes ethniques qui ne sont pas nécessairement albanais, nous

 11   avions décidé de revenir en Serbie.

 12   Q.  De quelle façon deviez-vous voyager en Serbie ? Quel était l'itinéraire

 13   que vous deviez emprunter ?

 14   R.  Nous devions voyager par autocar.

 15   M. NICHOLLS : [interprétation] Monsieur le Président, je vois que l'heure

 16   approche. C'est quelques minutes avant la pause prévue.  Nous pourrions

 17   peut-être prendre une pause à ce moment-ci ? Si cela vous convient.

 18   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien. Nous pouvons prendre une

 19   pause à ce moment-ci. Nous reprendrons à 17 heures 55.

 20   M. NICHOLLS : [interprétation] Merci.

 21   --- L'audience est suspendue à 17 heures 33.

 22   --- L'audience est reprise à 17 heures 57.

 23   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous écoute, Monsieur Nicholls.

 24   M. NICHOLLS : [interprétation] Merci Monsieur le Président.

 25   Q.  Je vais maintenant poursuivre, Monsieur Ivan. Encore une fois, je

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  1   voudrais vous assurer que vous pouvez nous faire part d'une nervosité si

  2   vous en avez une, et encore une fois, si vous n'avez pas compris ma

  3   question, je répéterai volontiers.

  4   Tout juste avant la pause, vous nous disiez que votre famille allait

  5   entreprendre un voyage par autocar pour aller de Djakovica pour se rendre

  6   en Serbie vers la fin du mois de juin.

  7   R.  Oui.

  8   Q.  Dites-nous, qui se trouvait à bord de cet autocar au début de ce voyage

  9   lorsque vous avez commencé. Le voyage ?

 10   R.  Mon père, ma mère et moi-même.

 11   Q.  Pourriez-vous nous dire si vous vous rappelez où étiez-vous assis dans

 12   l'autocar lorsque l'autocar est parti à Djakovica, lorsque vous êtes

 13   embarqué dans cet autocar ?

 14   R.  Mon père et ma mère étaient assis devant, derrière le chauffeur, et

 15   j'étais assis dans la deuxième rangée derrière le chauffeur.

 16   Q.  Si vous vous en souvenez, pourriez-vous nous dire quel itinéraire est-

 17   ce que l'autocar devait suivre ? Est-ce que vous savez par quelle ville

 18   vous deviez passer ?

 19   R.  Je ne suis pas tout à fait certain, mais l'autocar devait passer par

 20   Brezvice.

 21   Q.  Nous parlons du mois de juin 1998, où pour être plus précis, à la fin

 22   du mois de juin 1998. Est-ce qu'il y avait un problème quelconque quant au

 23   déplacement ? Est-ce qu'il était difficile, en d'autres mots, d'aller d'un

 24   endroit à l'autre en empruntant les routes ?

 25   R.  Je ne comprends pas tout à fait bien votre question.

Page 1394

  1   Q.  Fort bien. Y avait-il, ou plutôt parlons de l'itinéraire. Lorsque

  2   l'itinéraire a commencé, lorsque vous avez commencé votre voyage, est-ce

  3   que l'autobus s'est arrêté quelque part ? Y avait-il un arrêt qui n'était

  4   pas prévu ?

  5   R.  Oui. Le chauffeur s'est arrêté sur une route pour aller voir un

  6   mécanicien puisqu'il y avait un problème avec les freins.

  7   Q.  Vous souvenez-vous de quelle ville il s'agissait ?

  8   R.  Je ne suis pas tout à fait certain, mais il s'agissait d'une ville qui

  9   se trouve tout juste avant l'entrée dans la ville de Prizren.

 10   Q.  J'ai oublié de vous demander quelque chose : combien de monde y avait-

 11   il à l'intérieur de l'autocar ?

 12   R.  L'autocar était plutôt bondé. Je ne sais pas s'il était complètement

 13   plein, mais il y avait beaucoup de passagers.

 14   Q.  Qu'ont fait les passagers pendant cet arrêt non prévu lors duquel des

 15   réparations ont été faites à l'autocar près de Prizren ? Est-ce que les

 16   passagers sont restés à bord de l'autocar, ou bien est-ce que les passagers

 17   sont-ils sortis ?

 18   R.  Plusieurs personnes sont descendues pour fumer une cigarette et pour se

 19   dégourdir les jambes.

 20   Q.  Combien de temps a duré cet arrêt ?

 21   R.  Entre 45 minutes et une heure, peut-être une heure.

 22   Q.  Est-ce que vous êtes descendu du car ?

 23   R.  Oui.

 24   Q.  Lorsque le car a redémarré, que s'est-il passé d'autre ? Y a-t-il

 25   quelque chose d'imprévu qui s'est déroulé ?

Page 1395

  1   R.  Oui. Nous nous sommes arrêtés à un certain moment donné, et le

  2   chauffeur s'est arrêté pour poser une question à un policier serbe. Il lui

  3   a demandé si c'était prudent de passer par Prizren.

  4   Q.  Pourquoi lui a-t-il posé cette question ?

  5   R.  Je ne le sais vraiment pas.

  6   Q.  Que lui a répondu le policier ? Est-ce que vous avez pu entendre ce

  7   qu'il lui a dit ?

  8   R.  Le policier lui a dit qu'il était plus prudent de passer par Brezovica

  9   même si c'est un peu plus long que de passer par Prizren.

 10   Q.  A-t-il dit pourquoi c'était plus prudent, ou pourquoi il avait

 11   recommandé de prendre cet itinéraire-là, ou a-t-il simplement dit que

 12   c'était plus prudent ?

 13   R.  C'est tout ce qu'il a dit, mais nous savions tous pourquoi il avait dit

 14   cela, surtout les Serbes.

 15   Q.  Pourriez-vous expliquer un peu plus votre réponse, pourquoi est-ce

 16   qu'il a dit cela ?

 17   R.  Il a dit qu'il y avait beaucoup de soldats albanais et que ce n'était

 18   pas sûr pour le peuple serbe de passer par ces routes-là.

 19   Q.  Quel itinéraire a entrepris le chauffeur après que le car soit

 20   reparti ? Est-ce qu'il a pris effectivement l'itinéraire recommandé par le

 21   policer serbe ou a-t-il décidé de prendre une autre route ?

 22   R.  Il a pris une autre route en passant par Prizren et en passant par des

 23   municipalités très petites.

 24   Q.  Vous avez dit il y a quelques instants que la raison pour ceci, c'était

 25   qu'il a expliqué qu'il y avait beaucoup de soldats albanais, que ce n'était

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  1   pas sécuritaire. Est-ce que vous avez vu, au cours de l'itinéraire, des

  2   soldats ?

  3   R.  Oui, derrière des buissons.

  4   Q.  Combien de soldats avez-vous vus environ ?

  5   R.  Le long de la route, juste avant que l'on ne nous arrête, je n'en ai vu

  6   qu'un.

  7   Q.  Nous arriverons à l'arrêt dans quelques instants. Dites-nous comment

  8   saviez-vous cette personne, -- comment saviez-vous que la personne qui vous

  9   a arrêté, le long de la route, était un soldat ?

 10   R.  Il portait un uniforme, il portait un couvre-chef, il était très mal

 11   rasé, et il portait un fusil.

 12   Q.  C'est très clair. Pourriez-vous nous décrire l'uniforme si vous vous en

 13   souvenez ? Quel genre d'uniforme portait-il ?

 14   R.  Il portait un uniforme de camouflage.

 15   Q.  Lorsque les gens dans le car ont vu ce soldat, ont-ils fait des

 16   commentaires ? Ont-ils réagi de quelque façon ?

 17   R.  Je ne sais vraiment pas.

 18   Q.  Est-ce que vous savez, ou plutôt -- non, je vais passer à autre chose.

 19   Vous avez parlé d'un arrêt. Qui a arrêté l'autobus ?

 20   R.  Il s'agissait de six soldats.

 21   Q.  Pourriez-vous nous décrire dans vos propres termes, et prenez tout le

 22   temps nécessaire, que vous souvenez-vous, que s'est-il passé lorsque cet

 23   arrêt a eu lieu ? Où étaient les soldats, qu'est-ce qui s'est passé,

 24   qu'est-ce qu'ils ont fait.

 25   R.  Après avoir vu ce soldat derrière un mont, six soldats ont accouru

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  1   devant l'autobus, et ils l'ont arrêté.

  2   Q.  Très brièvement, pourriez-vous nous décrire de quelle façon ces

  3   soldats-là étaient vêtus, et s'ils étaient armés ?

  4   R.  Il y avait deux ou trois soldats qui portaient des uniformes de

  5   camouflage alors que les autres ressemblaient plus à des civils. Deux

  6   d'entre eux portaient des bazookas alors que les autres portaient des

  7   fusils automatiques.

  8   Q.  Qu'a fait le chauffeur lorsque ces soldats sont sortis derrière les

  9   buissons, et lorsqu'ils se sont précipités devant l'autobus ?

 10   R. Il a dit avant d'ouvrir la porte, de ne pas avoir peur, qu'il s'agissait

 11   des soldats albanais, et que les soldats albanais n'étaient pas des

 12   meurtriers comme les soldats serbes.

 13   Q.  De quelle façon les gens qui se trouvaient à bord de l'autocar ont-ils

 14   réagi ?

 15   R.  Les gens étaient quelque peu nerveux. Il y avait toutes sortes de

 16   réactions que l'on pouvait voir dans l'autocar.

 17   Q.  Que s'est-il passé après que le chauffeur ait ouvert la porte du car ?

 18   R.  Trois hommes sont entrés dans l'autobus. L'un d'entre eux nous a dit de

 19   sortir nos papiers d'identification.

 20   Q.  Est-ce qu'ils s'étaient adressés à vous personnellement, ou bien a-t-il

 21   fait une demande générale à l'endroit de toutes les personnes qui se

 22   trouvaient à bord de l'autocar ? Décrivez-nous ce qui s'est passé

 23   exactement.

 24   R.  Ils sont entrés dans l'autobus. Ils ont dit à voix très haute de sortir

 25   les papiers et de les tenir dans la main, que l'un d'eux allait vérifier

Page 1398

  1   nos papiers.

  2   Q.  Est-ce que vous avez sorti vos papiers ?

  3   R.  Oui.

  4   Q.  Qu'en est-il de votre père ?

  5   R.  Oui, lui aussi.

  6   Q.  Que s'est-il passé ensuite lorsqu'on a vérifié vos papiers et les

  7   papiers de votre père ? Est-ce que ce soldat les a vérifiés ?

  8   R.  On a d'abord vérifié les papiers de ma mère et de mon père puisqu'ils

  9   étaient assis immédiatement derrière le chauffeur. Le soldat a dit à mon

 10   père de sortir de l'autobus.

 11   Q.  Est-ce qu'il lui a dit pourquoi ? Est-ce qu'il lui a donné une raison

 12   pour laquelle il lui demandait de descendre du car ?

 13   R.  Non.

 14   Q.  Est-ce qu'il vous a dit quelque chose après qu'il avait examiné vos

 15   papiers ?

 16   R.  Non. Il a simplement examiné mes papiers. Il m'a dit de descendre du

 17   car.

 18   Q.  Qu'en est-il de votre mère ?

 19   R.  Elle pleurait. Elle suppliait pour qu'ils nous laissent partir.

 20   Q.  Ces soldats, qu'ont-ils fait après que votre père [comme interprété]

 21   leur ait demandé de vous laisser partir, après qu'il [comme interprété] les

 22   ait supplié en criant ainsi ?

 23   R.  Ils l'ont poussée, et ils ont pointé le fusil sur elle, et ils lui ont

 24   dit de se taire.

 25   Q.  Est-ce qu'effectivement vous et votre père êtes sortis du car ?

Page 1399

  1   R.  Oui.

  2   Q.  Est-ce qu'il y avait d'autres personnes qui ont été intimées de

  3   descendre de l'autobus également ?

  4   R.  Oui, il y avait encore deux autres personnes.

  5   Q.  Nous allons parler de ces personnes sous peu. Est-ce que vous savez de

  6   quelle appartenance ethnique ils étaient ?

  7   R.  L'un d'eux, je le connaissais depuis la ville, et je pouvais entendre

  8   de part la façon dont il parlait qu'il s'agissait d'un Serbe alors que pour

  9   l'autre, je ne sais pas, puisqu'il ne parlait pas.

 10   Q.  Lorsqu'on vous a fait descendre de l'autobus, quel genre de vêtements

 11   portiez-vous ?

 12   R.  J'avais un T-shirt. J'avais un jeans et des baskets.

 13   Q.  Qu'en est-il de votre père ? Comment était-il vêtu ?

 14   R.  Il portait un T-shirt, un jeans. Je crois qu'il avait des chaussures

 15   aux pieds.

 16   Q.  Est-ce que de la façon dont vous étiez vêtus vous et votre père, est-ce

 17   qu'on aurait pu confondre votre façon de vous habiller pour un uniforme ?

 18   R.  Non, pas du tout. C'étaient des vêtements des civils tout à fait

 19   ordinaires.

 20   Q.  Vous avez dit un peu plus tôt lorsque j'ai commencé à m'entretenir avec

 21   vous, que vous n'avez jamais fait de service militaire. Est-ce vous portiez

 22   une arme quelconque ce jour-là lorsque l'on vous a fait descendre de cette

 23   autocar ?

 24   R.  Non.

 25   Q.  Qu'en est-il de votre père, est-ce qu'il était armé ?

Page 1400

  1   R.  Non.

  2   Q.  S'agissant de vous-même ou de votre père, étiez-vous membre d'une

  3   armée, d'un groupe paramilitaire ou d'une organisation armée quelconque ?

  4   Etiez-vous membre de la police ?

  5   R.  Non.

  6   Q.  Les deux autres personnes que l'on a fait descendre du bus -- et nous

  7   allons commencer par la première que vous avez dit avoir déjà vue en ville,

  8   est-ce que vous vous souvenez de son nom ?

  9   R.  Oui, Genov.

 10   Q.  Vous souvenez-vous de son prénom ?

 11   R.  Non. Non, je ne sais vraiment pas quel était son prénom.

 12   Q.  Pour que les choses soient parfaitement claires, quelle relation

 13   entreteniez-vous avec lui avant cet événement ? Est-ce que vous étiez

 14   amis ? Est-ce que c'était quelqu'un que vous voyiez de temps en temps ?

 15   Est-ce que vous pourriez nous décrire la nature de vos relations avec cette

 16   personne ?

 17   R.  Djakovica, vous savez, c'est une petite ville, et le nombre de

 18   personnes non-albanaises est faible. Nous nous connaissions tous. Nous ne

 19   représentions que 2 % de la population. Seul 2 % de la population n'était

 20   pas albanaise.

 21   Q.  Après que l'on vous a fait descendre du bus, vous quatre, qu'est-il

 22   arrivé au bus ?

 23   R.  Le chauffeur est descendu. En fait, il est retourné au car parce qu'il

 24   était descendu au même moment que nous. Puis, on lui a dit de continuer, de

 25   poursuivre sa route.

Page 1401

  1   Q.  A ce stade, à ce moment-là, est-ce que qui que ce soit vous a dit

  2   pourquoi cela était en train de vous arriver à vous et à votre père ?

  3   R.  Non, nous ne savions pas pourquoi.

  4   Q.  Les soldats, qu'ont-ils fait de vous après le départ du car ?

  5   R.  Ils nous ont mis en rang contre mur et ils ont pointé leurs fusils sur

  6   nous, sur nos dos.

  7   Q.  Est-ce qu'à quel moment que ce soit vous avez parlé avec votre père, à

  8   ce moment-là ?

  9   R.  J'avais peur. Je pensais qu'ils allaient nous tuer, je lui ai

 10   simplement que je l'aimais.

 11   Q.  Les soldats que vous y aviez vus, vous souvenez-vous s'ils portaient

 12   des badges, des insignes, des écussons, quoi que ce soit sur leurs

 13   uniformes ?

 14   R.  Oui, sur leurs bérets et certains sur les épaules, d'autres sur la

 15   poitrine portaient l'insigne de leur armée.

 16   Q.  Comment s'appelait cette armée si vous vous en souvenez ?

 17   R.  Armée de libération du Kosovo.

 18   Q.  Puis, que s'est-il passé ? Votre père ou vous-même avez-vous parlé à

 19   l'un quelconque de ces soldats ?

 20   R.  Après qu'ils eurent enlevé les deux autres hommes dans une direction

 21   inconnue, un des soldats nous a demandé qui nous étions et ce que nous

 22   faisions là. Mon père a dit que nous vivions à Djakovica et que nous étions

 23   sur le point de quitter Djakovica parce que ce n'était pas un bon endroit

 24   pour vivre.

 25   Q.  Cet échange, dans quelle langue a-t-il eu lieu ?

Page 1402

  1   R.  D'abord en serbe. Après qu'il eût demandé à mon père d'où nous étions,

  2   lorsque mon père a répondu qu'il était en Slovénie, et que moi, j'étais né

  3   à Zagreb, alors la conversation s'est poursuivie mais en slovène.

  4   Q.  Je vous propose de revenir un petit peu en arrière. Vous nous avez dit

  5   que les deux autres hommes ont été emmenés dans une direction inconnue. Aux

  6   fins du compte rendu, dites-nous exactement de qui vous parlez lorsque vous

  7   dites ces deux hommes ?

  8   R.  M. Genov et un autre Serbe.

  9   Q.  Comment les a-t-on emmenés ? Dans quel type de véhicule ?

 10   R.  Dans une Golf, une Volskswagen Golf, de couleur bleu foncé.

 11   Q.  Vous souvenez-vous du numéro d'immatriculation de ce véhicule ou du

 12   moins il s'agissait de plaque d'immatriculation de quel pays ?

 13   R.  Je ne me souviens pas du numéro d'immatriculation mais il s'agissait de

 14   plaque d'immatriculation suisse.

 15  

 16   Q.  Merci. Nous allons passer en revue les différentes étapes.Vous avez

 17   parlez à ce soldat, et ensuite, que s'est-il passé ?

 18   R.  Bien, nous étions assis là, et puis après, au bout d'une demi-heure ou

 19   d'une heure peut-être, je ne sais pas très bien, nous étions assis et nous

 20   avions la tête penchée jusqu'à ce que la Golf revienne pour nous prendre.

 21   Q.  Ensuite que s'est-il passé lorsque la Golf est revenue pour venir vous

 22   prendre, que s'est-il passé ?

 23   R.  Ils nous ont mis dans la voiture, à l'arrière de la voiture. Ils ont

 24   mis des foulards noirs et ils nous ont bandé les yeux avec ces foulards

 25   noirs. Ensuite, ils nous ont emmenés quelque part dans la forêt.

Page 1403

  1   Q.  Combien de temps êtes-vous resté dans la voiture ?

  2   R.  Franchement, je ne le sais pas. Une heure peut-être. J'étais terrifié.

  3   Je ne pourrais pas vous le dire.

  4   Q.  Savez-vous dans quelle ville vous étiez au moment où

  5   vous avez arrêté ? Vous souvenez-vous ? Savez-vous à quelle heure ?

  6   R.  Non. Je ne savais vraiment pas.

  7   Q.  Très bien. Veuillez me dire ce qui s'est passé une fois que la voiture

  8   se fût arrêtée et une fois qu'on vous a fait descendre de la voiture ? Où

  9   vous a-t-on emmenés ? Que s'est-il passé ?

 10   R.  La voiture était garée dans un village à l'extérieur d'un bâtiment qui

 11   ressemblait à une école. On nous a emmenés dans une des salles de classe.

 12   Sur les murs latéraux, j'ai vu un troisième homme qui se frappait la tête

 13   contre le mur. Sa tête était couverte de sang. Je pense qu'on lui avait

 14   intimé l'ordre de le faire.

 15   Q.  Vous souvenez-vous du moment où vous avez fait votre déclaration à

 16   l'enquêteur du TPIY en 2003 ? Il vous a montré des photographies et vous

 17   avez sélectionné des personnes dont vous vous souveniez.

 18   R.  Vous voulez dire ceux qui étaient à la prison et qui étaient détenus ou

 19   vous voulez dire les membres de l'armée ?

 20   Q.  Je vous demande si l'on vous a montré les photos de personnes qui

 21   étaient détenues et si vous vous êtes souvenu de certaines d'entre elles ?

 22   Vous souvenez-vous que l'on vous a montré ces photos ?

 23   R.  Oui.

 24   Q.  Depuis que je me suis entretenu avec vous, vous vous souvenez que je

 25   vous ai montré ces mêmes photos, n'est-ce pas ?

Page 1404

  1   R.  Oui.

  2   M. NICHOLLS : [interprétation] J'aimerais montrer une photo au témoin.

  3   Q.  Monsieur le Témoin, vous devriez voir apparaître cela à l'écran. Du

  4   moins, je l'espère. Si vous avez du mal à voir cela à l'écran, n'hésitez

  5   pas à me le dire. Je pourrais vous fournir une copie papier.

  6   M. NICHOLLS : [interprétation] Aux fins de compte rendu, il s'agit de la

  7   pièce P54 U003-2165.

  8   Q.  Reconnaissez-vous l'homme qui apparaît à l'écran sur cette photo ?

  9   R.  Oui.

 10   Q.  Qui est-il ?

 11   R.  Genov.

 12   Q.  Merci. Je souhaiterais vous montrer une photo --

 13   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Est-ce que ce n'est pas sous pli

 14   scellé ?

 15   M. NICHOLLS : [interprétation] Non. Celle-ci, non. Elle n'est pas sous pli

 16   scellé. Je montrerai en revanche plus tard des photos qui sont sous pli

 17   scellé. Les photos de cette pièce, mais pas celle-ci. Les photos que je

 18   suis en train de montrer ne sont pas sous pli scellé.

 19   Q.  Monsieur le Témoin, je souhaiterais vous demander si vous reconnaissez

 20   cette personne ? Encore une fois, il s'agit de la pièce 54, U003-2164. Je

 21   vous demande, Monsieur, si vous reconnaissez cet homme ?

 22   R.  Oui.

 23   Q.  Vous souvenez-vous de son nom ?

 24   R.  Oui. On m'a dit quel était son nom plus tard. En fait, je ne connais

 25   que son nom de famille Cuk. Son prénom, je ne le connais pas.

Page 1405

  1   Q.  Avez-vous vu Cuk à l'école dont vous venez de nous parler ? Où vous

  2   veniez d'arriver ?

  3   R.  Oui.

  4   Q.  Vous aviez commencé à nous raconter, mais que faisait-il au moment où

  5   vous l'avez vu dans cette école ?

  6   R.  Il était assis par terre et il se frappait la tête contre le mur.

  7   Q.  Pendant combien de temps s'est-il frappé la tête contre le mur ?

  8   R.  Longtemps. Peut-être une heure, presque une heure, je pense.

  9   Q.  Y avait-il des gardes qui étaient dans cette école ou autour de cette

 10   école, dans cette salle de classe ? Pouvez-vous nous dire où ils étaient ?

 11   R.  Je ne sais vraiment pas combien ils étaient. Il y avait un ou deux

 12   soldats dans l'école, et en dehors de l'école, il y en avait plus encore.

 13   Je ne sais pas, peut-être dix.

 14   Q.  Votre père et vous, qu'avez-vous fait lorsque vous avez pénétré dans

 15   l'école ?

 16   R.  Nous nous sommes assis à la dernière rangée de la classe, et nous

 17   sommes restés silencieux.

 18   Q.  Qui d'autre était assis dans cette salle de classe, dans cette pièce ?

 19   R.  M. Genov.

 20   Q.  Que faisait-il à ce stade-là ?

 21   R.  Lui aussi, il était assis à l'arrière de la salle.

 22   Q.  A ce moment-là, au moment où l'on vous fait pénétrer dans l'école, est-

 23   ce que ces gardes vous ont dit combien de temps vous alliez rester dans

 24   cette école, et pourquoi on vous y avait emmenés ?

 25   R.  Non. Ils nous ont rien dit. Ils nous ont simplement de rester assis et

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  1   de ne rien dire.

  2   Q.  J'aurais dû vous poser la question tout à l'heure. Quelle heure est-il

  3   à peu près au moment où vous êtes dans l'école ?

  4   R.  Je ne suis pas sûr. Je ne sais pas exactement quelle heure il était,

  5   mais il était tôt, tôt dans la journée.

  6   Q.  Combien de temps avez-vous passé dans cette école ? Combien de temps

  7   avez-vous été détenu là, vous et votre père et les autres hommes ?

  8   R.  Et bien, quatre ou cinq heures environ. C'était déjà la nuit, tard

  9   quand on nous en a fait sortir.

 10   Q.  Vous a-t-on posé des questions à vous et à votre père ? Les soldats

 11   vous ont-ils posé des questions dans l'école ?

 12   R.  Des questions de base. Qui nous étions ? Ce que nous faisions au

 13   Kosovo ?

 14   Q.  Est-ce que vous avez parlé également à ces soldats ou est-ce que c'est

 15   votre père qui a parlé en votre nom à vous deux ? Pourriez-vous nous

 16   l'expliquer ?

 17   R.  C'est essentiellement mon père qui leur a parlé parce que les soldats

 18   qui nous gardaient leur ont dit que mon père était slovène et que nous

 19   étions Croates. Puis, ils nous ont demandé ce que nous faisions au Kosovo,

 20   et nous allions à bord de ce car.

 21   Q.  Et qu'a dit votre père à propos de l'endroit où vous alliez et de ce

 22   que vous alliez faire ?

 23   R.  Il a dit que nous déménagions, que nous quittions le Kosovo et que nous

 24   retournions à Belgrade afin de déménager vers un pays tiers.

 25   Q.  Qu'est-il arrivé à Genov ? Est-ce que vous avez vu ce qui lui est

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  1   arrivé dans cette salle de classe, et si oui, quoi ?

  2   R.  Et bien, ils ont commencé à le maltraiter au bout d'une heure peut-

  3   être. A chaque fois que quelqu'un passait à côté de lui, ils le frappaient.

  4   Parfois, ils le sortaient de la salle de classe, et ils le frappaient dans

  5   le couloir de l'école.

  6   Q.   Est-ce que vous avez vu Genov être frappé dans le hall ? Pourriez-vous

  7   nous décrire comment vous le savez qu'on le frappait dans le hall, dans le

  8   couloir ?

  9   R.  Nous avons entendu les coups qu'on lui assénait, et nous l'avons

 10   entendu crier de douleur et les supplier pour qu'ils arrêtent.

 11   Q.  Combien de temps cela a-t-il duré ?

 12   R.  Ils l'ont frappé à partir du moment où ils nous ont emmenés à l'école

 13   et jusqu'à qu'ils nous emmènent ailleurs, mais ce n'était pas en

 14   permanence.

 15   Q.  Genov a-t-il parlé à votre père à quel que moment que ce soit lorsqu'il

 16   était à l'école ?

 17   R.  Oui. Il lui a demandé à un moment donné où mon père cachait-il ses

 18   livrets militaires parce qu'il avait peur qu'on les trouve.

 19   Q.  Qu'a répondu votre père ?

 20   R.  Il a dit qu'il n'osait pas le faire, qu'il était avec son fils mais que

 21   s'il voulait, il allait pouvoir aller à l'avant de la maison, aux

 22   toilettes, et les jeter dans les toilettes.

 23   Q.  Lorsque vous dites, s'il le voulait, il pouvait aller à l'avant de la

 24   maison et jeter ce livret. Quand vous dites "il" vous voulez dire Genov

 25   lui-même, ou vous voulez dire que votre père pourrait le faire pour lui,

Page 1408

  1   pour que les choses soient parfaitement claires ?

  2   R.  Il voulait dire Genov, parce qu'ils nous ont laissés sortir pour aller

  3   aux toilettes et mon père a conseillé cela à Genov. Il a dit à Genov qu'il

  4   serait bon qu'il aille aux toilettes et qu'il jette son livret dans les

  5   toilettes.

  6   Q.  Savez-vous si ces soldats ont fini par trouver le livret de Genov ou

  7   pas ?

  8   R.  Oui. Après plusieurs heures de passage à tabac, je crois qu'à cause des

  9   coups, le livret est tombé de sa poche ou ils l'ont trouvé dans sa poche.

 10   Q.  Ensuite, que s'est-il passé ?

 11   R.  Ils ont cessé de le frapper. Ils ont dit quelque chose en albanais.

 12   Ensuite, un soldat est venu voir mon père et un soldat un peu plus âgé est

 13   allé voir mon père, et il lui a dit : est-ce que c'est un document

 14   d'identification de policier ?

 15   Q.  Et qu'a dit votre père ?

 16   R.  Et bien, mon père n'avait pas ses lunettes et la photo était en noir et

 17   blanc. Mon père a dit : cela ressemble à cela.

 18   Q.  Ensuite que s'est-il passé ? Qu'est-il arrivé à Genov après cela ?

 19   R.  Ils ont continué à le frapper avec des fusils automatiques, avec des

 20   objets contondants et cela a fini comment, tout cela ? Quand ont-ils cessé

 21   de le frapper ?

 22   R.  Au moment où il a perdu connaissance. Lorsqu'on l'avait impression que

 23   les coups avaient fini par le tuer.

 24   Q.  En voyant les coups qu'on assénait à Genov, comment vous sentiez-vous ?

 25   R.  J'avais peur. J'avais 18 ans. Je ne savais pas ce qui allait m'arriver,

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  1   ce qui allait arriver à mon père.

  2   Q.  Merci. Je vais maintenant vous demander de nous raconter qu'est ce qui

  3   s'est passé ensuite, et de nous dire comment vous avez quitté cette école,

  4   et vous êtes allé ensuite ?

  5   Permettez-moi de vous dire que si vous avez besoin d'une petite pause, je

  6   suis sur que vous pouvez demander l'autorisation, et que le cour

  7   comprendra. Dites-le-moi, simplement.

  8   R.  Non, cela n'est pas nécessaire.

  9   Q.  Pourriez-vous dire dans quelle condition vous avez quitté cette salle

 10   d'école, vous et votre père ?

 11   R.  La nuit était déjà tombée, et une fourgonnette était garée là. Ils ont

 12   dit qu'on allait nous conduire ailleurs, vers un autre endroit.

 13   Q.  Excusez-moi, j'aurais dû vous poser une autre question.

 14   Vous nous avez dit ce que vous avez vu, ce que vous avez entendu dans cette

 15   salle de classe. Vous ou votre père, avez-vous été victime des mauvais

 16   traitements ?

 17   R.  Non.

 18   Q.  Merci. Désolé de vous avoir interrompu. La fourgonnette est arrivée.

 19   Est-ce que vous êtes montés à bord de cette fourgonnette ?

 20   R.  Ils nous ont d'abord dit de nous lever, puis ils nous ont amené au

 21   camion. Ils ont mis des sacs sur nos têtes, et ils ont attaché au niveau de

 22   la taille.

 23   Q.  Lorsque vous dites "nous", vous voulez dire les quatre personnes qu'on

 24   a fait descendre du bus, c'est bien cela ? Le même groupe ?

 25   R.  Oui. Nous trois. Ils ont porté Genov pour le mettre dans la

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  1   fourgonnette.

  2   Q.  Vous a-t-on dit où l'on vous emmenait ?

  3   R.  Non.

  4   Q.  Vous a-t-on dit quelle allait être la durée du trajet avant -- ou

  5   plutôt, au bout de combien de temps vous alliez pouvoir revoir votre mère ?

  6   Ou de combien de temps vous alliez être libéré ?

  7   R.  Non.

  8   Q.  Pour vous, combien de temps a duré ce voyage dans la fourgonnette ?

  9   R.  Je ne sais pas. Entre 45 minutes et une heure, peut-être.

 10   Q.  Si vous vous en souvenez, pourriez-vous indiquer le type de route sur

 11   laquelle vous voyagiez ? S'agissait-il d'une route goudronnée, d'un chemin

 12   de terre ? S'agissait-il d'une route ?

 13   R.  Je n'en sais rien. Je sais qu'il y avait des nids-de-poule dans cette

 14   route. On aura dit une route de village qui aurait traversé des bois.

 15   Q.  Pendant ce trajet, et ce jusqu'à votre destination finale, y a-t-il eu

 16   des arrêts ?

 17   R.  Nous nous arrêtions régulièrement, à quelques minutes d'intervalles,

 18   parce qu'il y avait des vérifications ou des contrôles.

 19   Q.  Que se passait-il, en tout cas, si vous pouvez nous le dire, chaque

 20   fois que le véhicule s'arrêtait ? Je sais que vous aviez un sac sur la

 21   tête, mais quelle impression en avez-vous dégagé ?

 22   R.  Je ne sais pas très bien ce qu'ils disaient, mais on aura dit qu'ils se

 23   saluaient, et qu'il y avait des contrôles ou des vérifications.

 24   Q.  Excusez-moi, j'ai omis de vous poser une question. Je reviens sur ce

 25   qui a passé à Genov dans l'école, pendant qu'il se faisait frappé par ces

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  1   soldats. Vous souvenez-vous s'ils lui ont dit quoi que ce soit, ou s'ils

  2   lui ont posé des questions ?

  3   R.  Non, je n'en suis pas sûr. Je n'en souviens plus.

  4   Q.  Bien. A la fin de ce trajet en voiture, qu'est-il arrivé lorsque ce sac

  5   vous a été retiré de la tête, et que vous avez été en mesure de voir à

  6   nouveau ?

  7   R.  Après ce trajet, ils ont arrêté le véhicule. Ils ont retiré le sac de

  8   ma tête, et j'ai vu un portail et une grande palissade marron.

  9   Q.  A ce moment-là, aviez-vous la moindre idée de l'endroit où vous vous

 10   trouviez ?

 11   R.  Non.

 12   M. NICHOLLS : [interprétation] J'aimerais maintenant montrer au témoin --

 13   je pense qu'il s'agit d'une partie de la pièce P6, U0083680. Il porte

 14   l'indication A8.

 15   Q.  Veuillez observer cette photo un instant. Je vais vous donner une copie

 16   papier de cette même photo, puisque sur l'écran, les choses n'apparaissent

 17   pas très clairement. Pouvez-vous me dire ce que vous voyez sur cette photo,

 18   ce qu'elle représente ?

 19   R.  L'intérieur -- ou plutôt, ce qu'il y avait de l'autre côté du portail.

 20   Il s'agit d'une maison typique de village.

 21   Q.  Je vous ai montré cette photo lorsque nous nous sommes vus il y a deux

 22   jours à peu près, n'est-ce pas ?

 23   R.  Oui.

 24   Q.  Que s'est-il passé une fois que la fourgonnette a franchi ce portail ?

 25   R.  La fourgonnette a été garée devant la porte. La porte du camion a été

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  1   ouverte, et ils nous ont fait descendre.

  2   Q.  Qui ? Qui a descendu ?

  3   R.  Tout ceux qui étaient à l'intérieur. Il y avait des soldats, mon père,

  4   moi. Ils portaient Genov. Il y avait un quatrième homme, le quatrième

  5   homme.

  6   Q.  Le quatrième homme, c'est celui que vous avez identifié comme étant

  7   Cuk, n'est-ce pas ?

  8   R.  Oui.

  9   Q.  Ensuite, que s'est-il passé ?

 10   R.  Ils nous ont fait entrer dans cette maison, au rez-de-chaussée, et ils

 11   nous ont placé dans une pièce qui s'y trouvait.

 12   M. NICHOLLS : [interprétation] Monsieur le Président, pouvons-nous passé à

 13   huis clos partiel, s'il vous plaît.

 14   M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Qu'il en soit ainsi.

 15   [Audience à huis clos partiel]

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25  (expurgée)

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11  Pages 1413-1417 expurgées. Audience à huis clos partiel.

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10  (expurgée)

11  (expurgée)

12  (expurgée)

13  (expurgée)

 14   --- L'audience est levée à 19 heures 00 et reprendra le vendredi 3 décembre

 15   2004, à 9 heures.

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