Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le mardi 17 mai 2005

2 [Audience publique]

3 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

4 --- L'audience est ouverte à 14 heures 23.

5 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Bonjour. Bienvenue. Ravi de voir que

6 vous soyez de retour après cette pause très active.

7 Avant de passer de façon formelle la parole à M. Mansfield, y a-t-il encore

8 des questions en suspens, de quelque nature qu'elles soient, qui soient

9 survenues au cours de la pause et qui auraient trait à la présentation des

10 moyens à décharge au titre des articles du règlement, et ce, avant que la

11 Défense ne présente ses arguments ?

12 M. WHITING : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Il y a deux

13 toutes petites questions qui ont trait toutes deux à la Défense de M.

14 Musliu. Tout d'abord, on nous avait promis une synthèse 65 ter de la

15 déclaration 92 bis, il y a de cela quelque temps. Or, nous venons à peine

16 de recevoir le procès-verbal juste avant que nous ne soyons en audience.

17 Donc, je n'ai pas eu l'occasion de me pencher sur ce document, mais

18 j'imagine que le document est complet et que, par conséquent, la question

19 n'est plus en suspens.

20 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Avez-vous reçu ces déclarations ?

21 M. WHITING : [interprétation] Non, et c'était le point suivant que j'allais

22 aborder.

23 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] J'imagine que si vous aviez eu les

24 déclarations vous n'auriez pas eu absolument besoin de ces synthèses ou

25 résumés.

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1 M. WHITING : [interprétation] Non, c'est tout à fait exact, Monsieur le

2 Président, nous n'aurions pas exigé des résumés si nous avions eu les

3 déclarations écrites. Bien entendu, nous souhaiterions pouvoir marquer

4 notre accord avec le 92 bis, mais nous ne pouvons pas le faire tant que

5 nous n'aurons pas vu les déclarations écrites, et ceci a également un

6 impact négatif sur notre préparation suite à la présentation des moyens à

7 décharge de la Défense.

8 Celles des synthèses que j'ai pu voir m'amènent à penser qu'il y a

9 peu de chance que nous puissions marquer notre plein accord s'agissant du

10 92 bis. Il ne semble pas qu'elles respectent les articles du règlement.

11 Donc, je propose que l'on fournisse au bureau du Procureur ces déclarations

12 écrites le plus tôt possible de manière à ce que nous puissions nous mettre

13 d'accord, à ce que l'on puisse procéder aux expurgations ou à ce qu'on

14 puisse contester certains points, ou même à ce que l'on fasse comparaître

15 certains témoins de vive voix si cela relève du domaine du possible.

16 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Ceci ne vaut que pour les témoins

17 Article 92 bis ?

18 M. WHITING : [interprétation] Oui, c'est exact. Malheureusement, il n'y a

19 pas encore de règle qui exige que la Défense fournisse des déclarations

20 écrites de la part d'autres témoins qui entendent déposer de vive voix. Si

21 un tel article existait --

22 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Vous dites "pas encore". S'il n'y

23 avait pas ce "encore," les choses auraient-elle changé ?

24 M. WHITING : [interprétation] A vrai dire, cela fait sujet de discussions.

25 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Effectivement, de discussions, et je

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1 siège moi-même au comité.

2 M. WHITING : [interprétation] Je ne vais pas vous demander d'anticiper sur

3 les délibérations de votre comité, mais je crois qu'il est parfaitement

4 clair que telles que les règles existent à l'heure actuelle, il est vrai

5 que nous serions heureux de disposer des déclarations écrites des témoins.

6 Ceci étant dit, je ne crois pas qu'il y ait de base juridique qui nous

7 permette d'exiger qu'on nous les remette.

8 Voilà pour ce qui est des déclarations au titre du 92 bis. Bien entendu,

9 nous aurons besoin de voir les déclarations écrites avant de pouvoir nous

10 prononcer sur ces déclarations écrites.

11 Puis, je souhaitais ajouter ceci : comme je vous l'ai dit au début, pour ce

12 qui est de M. Musliu et pour les déclarations écrites 92 bis, il s'agit en

13 fait -- je me trompe peut-être, mais en tout cas pour la Défense de M.

14 Limaj, je crois qu'il y avait quelques propositions de déclarations au

15 titre du 92 bis. Je ne crois pas que M. Bala envisage qu'il y ait

16 dépositions au titre du 92 bis, mais il se peut que je me trompe.

17 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Avant de vous rasseoir, Monsieur

18 Whiting, je souhaiterais que vous nous disiez quelle est votre position par

19 rapport aux pièces à conviction et copies de pièces à conviction ?

20 M. WHITING : [interprétation] Bien, c'était l'autre sujet que j'allais

21 soulever. Pour ce qui est de la Défense de M. Bala et Limaj, nous avons

22 reçu les listes de pièces à conviction ainsi que les copies de pièces à

23 conviction au cours de ces derniers jours.

24 S'agissant de M. Musliu, nous n'avons reçu ni une liste de pièces à

25 conviction, ni les copies de pièces à conviction, donc je souhaiterais

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1 encore une fois rappeler à la Défense qu'il serait souhaitable qu'on nous

2 les remette, ou en tout cas, que cela figure au compte rendu s'il n'y en a

3 pas.

4 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Qu'en est-il des dépositions d'experts

5 et rapports d'experts témoins ?

6 M. WHITING : [interprétation] Nous avons reçu un rapport de témoin expert

7 et nous en avons discuté avec la Défense. Nous sommes convenu qu'il

8 déposera la semaine prochaine; il sera le deuxième témoin.

9 On envisage qu'il y ait un autre témoin expert au titre du 65 ter, mais

10 nous n'avons pas encore reçu les rapports y afférant, et j'inviterais la

11 Défense à ce qu'elle fournisse ces rapports le plus tôt possible.

12 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] L'autre question que vous souhaitiez

13 soulever ?

14 M. WHITING : [interprétation] Non, pas d'autre questions.

15 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Peut-être le mieux serait que nous

16 commencions par Me Topolski.

17 M. TOPOLSKI : [interprétation] Monsieur le Président, Monsieur et Madame

18 les Juges, je commencerai par présenter des excuses parce qu'il est vrai

19 que les résumés 65 ter, dans leur version plus complète, ont été présentés

20 en date d'aujourd'hui.

21 Je souhaiterais que, pour ce qui est du 92 bis, nous ayons la possibilité

22 d'en discuter avec M. Whiting de manière à ce que nous puissions nous

23 mettre d'accord sur un calendrier qu'il considère comme approprié. Les

24 déclarations dans leur forme actuelle ne sont pas signées. Ceci est en

25 cours de réalisation au moment même où je vous parle, et bien entendu, cela

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1 signifie qu'elles soient envoyées physiquement ou par voie électronique au

2 Kosovo, de manière à ce qu'on puisse les vérifier, les observer, les signer

3 et les renvoyer, et c'est un processus, comme je vous le disais, qui est en

4 cours au moment même où je vous parle cet après-midi.

5 S'agissant des pièces à conviction à présent, il faut éventuellement, et

6 j'insiste, éventuellement, exclure une vidéo ou l'autre, mais autrement

7 nous ne prévoyons pas d'avoir des pièces à conviction, c'est en tout cas le

8 cas pour M. Musliu en l'état actuel de mes connaissances. Je crois qu'une

9 pièce à conviction a déjà été déposée par le bureau du Procureur.

10 Evidemment, visionner au UNDU des vidéos, cela a présenté des difficultés

11 au cours de la pause, mais ces difficultés ont été éliminées. Il devrait y

12 avoir un contact qui sera pris avec M. Whiting et son équipe sur ce point,

13 de manière à ce que les difficultés puissent être éliminées. A priori, il

14 ne devrait pas y en avoir prochainement, pour ce qui est de M. Musliu, et

15 là, je me fonde sur les connaissances dont je dispose. J'aurais tendance à

16 dire que nous sommes à, à peu près, un mois. Ceci dit, cela n'est

17 certainement pas une justification; je ne cherche pas à excuser les retards

18 que nous avons accusés sur l'ensemble de ces points. Je peux vous assurer

19 que nous n'avons certainement pas été oisifs au cours de la pause, mais il

20 y a eu certaines difficultés en raison du fait que plusieurs membres de

21 l'équipe sont dans des Etats différents, dans des situations géographiques

22 différentes. M. Musliu est ici. Donc, cela pose des problèmes. Je pense que

23 le Tribunal comprendra que de telles difficultés peuvent conduire à

24 quelques retards. Toutes nos excuses encore une fois pour les petits

25 problèmes que cela a occasionnés. Sachez que, s'agissant du reste des

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1 règles, je veillerais à ce que les choses se passent le plus rapidement et

2 le plus efficacement possible.

3 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, Maître Topolski.

4 Maître Guy-Smith, je n'ai pas besoin de vous donner la parole. Maître

5 Mansfield.

6 M. MANSFIELD : [interprétation] Bonjour, tout d'abord. Pour ce qui est des

7 déclarations 92 bis, le bureau du Procureur dispose de nos résumés. Je

8 crois qu'ils ne sont pas sujets à controverse. Il s'agit de trois témoins

9 qui traitent des apparitions répétées de Fatmir Limaj à la télévision, donc

10 cela ne devrait pas poser de problème, mais nous n'avons pas encore leurs

11 déclarations écrites. Dès que nous les aurons, je veillerai à ce que le

12 bureau du Procureur puisse les avoir. Voilà pour ce qui est de la teneur de

13 ces déclarations.

14 Maintenant, pour ce qui est des dépositions d'experts témoins,

15 manifestement, nous avons remis une liste de témoins. Merci pour l'accord

16 qui a déjà été marqué. M. Churcher ne pourra pas venir la semaine

17 prochaine. Il va falloir que nous nous mettions d'accord sur une date

18 précise.

19 Pour ce qui est de l'autre expert, je vais en parler maintenant. Il

20 s'agit du témoin numéro 16 sur la liste, Pr Wagenaar. Son nom, vous le

21 connaissez peut-être, puisqu'il a déposé dans d'autres affaires. Il s'agit

22 des processus d'identification. C'est là son domaine d'expertise, processus

23 d'identification de manière générale, et plus spécifiquement dans cette

24 affaire-ci. Nous avons un projet de rapport et nous attendons une

25 conférence conjointe qui aura lieu avec lui pour les trois affaires. Pour

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1 l'instant, ce qui est prévu de faire, enfin c'est encore provisoire,

2 puisqu'il ne sera pas possible de l'amener à déposer dans la présentation

3 de mes moyens à décharge, mais nous espérons que tout cela sera réglé assez

4 rapidement de manière à ce que Me Topolski, qui sera le dernier à présenter

5 ses moyens à décharge, il devrait s'écouler un mois avant que Me Topolski

6 ne présente ses moyens à décharge, donc d'ici là, les choses auront changé,

7 et nous espérons que la situation pourra être corrigée. Désolé que nous

8 n'ayons pas pu préciser les choses et les figer un peu plus en marbre

9 plutôt. Voilà pour ce que j'avais à vous dire.

10 Je ne pense pas que M. Whiting doit s'inquiéter particulièrement de

11 sa comparution dans le cadre de l'affaire Limaj, parce que cela ne sera

12 probablement le cas.

13 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, pour l'instant.

14 Maître Topolski, désolé, mais les experts, exception faite du Pr Wagenaar ?

15 M. TOPOLSKI : [interprétation] Monsieur le Président, éventuellement, il y

16 aurait un autre expert, mais un seul. Il s'agit d'un psychologue qui a vu

17 M. Musliu à une occasion au début du procès. Il s'agit là encore, et M.

18 Powles et moi-même et d'autres membres de mon équipe allons voir ce

19 psychologue la semaine prochaine, je l'espère. Nous discuterons d'une

20 consultation à venir éventuellement, et je saurai si cela sera nécessaire

21 et j'en aviserai M. Whiting. Je lui dirais si nous envisageons de déployer

22 ceci dans le cadre du procès de M. Musliu ou pas. C'est une catégorie de

23 moyens de preuve et il se peut que cela revête une importance double. Il se

24 peut qu'on ait recours à d'autres experts par la suite pour s'opposer à ces

25 arguments.

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1 Mais là encore, je ne pense pas qu'il y aura de difficultés. Comme je

2 vous le disais, c'est le seul domaine d'expertise qui éventuellement

3 pourrait être abordé dans le cadre de la Défense de M. Musliu.

4 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Guy-Smith, envisagiez-vous ou

5 envisagez-vous de faire comparaître un témoin expert du point de vue de

6 votre client ?

7 M. GUY-SMITH : [interprétation] Nous envisageons de faire comparaître un

8 expert. Il y a des consultations à l'heure actuelle. Il a déjà eu

9 l'occasion de travailler avec ce Tribunal. Il s'agit de M. Bala, et il

10 s'agit, bien entendu, de son état physique. Maintenant, quant à savoir si

11 les conclusions seront liées aux éléments que nous abordons dans le cadre

12 du procès, c'est quelque chose qu'on ne peut pas savoir pour l'heure, mais

13 nous devrions le savoir assez rapidement.

14 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Whiting, Me Topolski vient de

15 nous indiquer qu'éventuellement des discussions auraient lieu à propos des

16 résumés 92 bis et des déclarations 92 bis, et des copies de pièces à

17 conviction. Cela vous paraît-il opportun pour l'instant ?

18 M. WHITING : [interprétation] Tout à fait, Monsieur le Président,

19 s'agissant certainement des pièces à conviction et des déclarations 92 bis.

20 Cela nous parait tout à fait opportun et satisfaisant, et je ne vais

21 certainement pas créer de difficultés supplémentaires.

22 Ceci étant dit, je souhaitais soulever deux points. Le premier a trait aux

23 pièces à conviction. J'ai entendu parler de la vidéo qui éventuellement

24 serait présentée par la Défense de Musliu. J'en ai entendu parler il y a de

25 cela une quinzaine de jours. Je crois que c'est M. Powles qui m'en a parlé.

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1 Je tenais simplement à vous dire ceci : il y a une question de

2 communication des moyens de la part de la Défense vers le bureau du

3 Procureur, et je crois que ces choses ne devraient pas être communiquées à

4 la dernière minute. Si vous envisagez de faire passer cette vidéo, que les

5 éléments d'information soient communiqués aussi rapidement que possible.

6 Deuxième point, à propos des dépositions de témoins experts, et là, je

7 rejoins ce qui a été dit par Me Topolski à propos des rapports d'experts

8 qui doivent être communiqués le plus rapidement possible. Bien entendu, il

9 y a un délai de 30 jours pour les rapports d'experts. La partie adverse a

10 30 jours pour réagir à un rapport d'expert, dire s'ils souhaitent qu'il y

11 ait contre-interrogatoire ou s'il y ait utilisation de ce rapport. Je ne

12 crois pas que ce délai de 30 jours doit être interprété de la manière

13 suivante : à savoir, qu'il s'agit là du temps minimum qui s'écoule pour la

14 communication des pièces. Cela ne revient pas au même que de dire, nous

15 pouvons communiquer un rapport, puis appeler à comparaître, dans les 30

16 jours, un témoin. Lorsqu'il s'agit d'expert, généralement, il faut moins de

17 temps pour digérer un rapport, pour consulter d'autres experts, pour se

18 préparer de manière à ce que le témoin expert puisse venir déposer, et

19 éventuellement, pour organiser les consultations pour l'Accusation.

20 Pour ce qui est du rapport Churcher, le témoin viendra comparaître

21 exactement 30 jours après que le rapport nous ait été présenté. Par

22 conséquent, il a été difficile de se préparer de manière très efficace,

23 mais c'est possible en grande partie parce qu'il est un expert, donc c'est

24 un expert qui répond dans une certaine mesure à notre expert.

25 Maintenant, pour ce qui est du rapport Wagenaar, je dois dire qu'il y a un

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1 petit souci. N'avoir que 30 jours pour préparer la réponse au rapport

2 Wagenaar, cela me parait un peu léger. Le temps court. La Défense nous

3 indique qu'ils envisagent une période de sept semaines pour leur

4 présentation. Nous risquons donc de disposer de trop peu de temps pour

5 réagir, notamment, en sachant que ce rapport a trait aux trois accusés.

6 Peut-être serait-il préférable, si c'est possible, de fixer une date

7 à laquelle on nous présenterait le rapport, d'autant qu'on vient de nous

8 dire qu'il y avait un projet de rapport. Peut-être qu'au début de la

9 semaine prochaine on pourrait nous fournir ce rapport, ou peut-être même à

10 la fin de cette semaine-ci; je n'en sais rien. Mais je les invite

11 instamment à nous remettre le rapport, et ce le plus rapidement possible.

12 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Puis-je me tourner vers Maître

13 Mansfield à présent ? Dans quel délai vous semble-t-il possible de

14 remettre, ne fusse qu'un projet de rapport, mais dans un format opportun,

15 de le remettre à M. Whiting, je parle, bien entendu, du rapport d'expert ?

16 M. MANSFIELD : [interprétation] Oui. Un des problèmes, c'est la conférence

17 conjointe, qu'il est difficile d'organiser, mais elle est en cours

18 d'organisation. Nous la présenterons dans les 14 jours à compter

19 d'aujourd'hui. Je comprends bien que M. Whiting trouve cela un peu long,

20 mais je vais certainement essayer de veiller à ce que cela se fasse parce

21 qu'il s'agit également de l'arrivée de M. Churcher, qui arrive ici la

22 semaine prochaine, et nous essayons de faire coïncider les deux dans la

23 mesure du possible.

24 Puis, ce que doit savoir a priori le bureau du Procureur aussi, c'est

25 que ce témoin, donc le Pr Wagenaar, a déjà déposé dans d'autres procès,

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1 donc, ce qu'il dit, c'est quelque chose que l'on peut lire dans les comptes

2 rendus de l'affaire Tadic. Nous en avons un compte rendu écrit et nous

3 pouvons remettre même le compte rendu d'audience de l'affaire Tadic. M.

4 Whiting nous dit, nous avons besoin de savoir ce qu'il dit dans cette

5 affaire-ci à propos des trois accusés. Je le comprends bien. Je crois que

6 nous demander de les remettre dès lundi prochain, c'est un peu juste. Il

7 faut encore qu'on organise la conférence conjointe avec lui et ce, bien

8 entendu, avant la date à laquelle nous remettrons le rapport. Je vous

9 demanderais de nous donner un petit peu de marge de manœuvre.

10 Je ferai tous les efforts nécessaires pour que ce soit remis dans la

11 quinzaine. Ceci dit, si vous trouvez que c'est encore trop long 15 jours,

12 j'essayerai, peut-être, dix jours, je ne sais pas.

13 M. GUY-SMITH : [interprétation] Oui, je suis tout à fait du même avis que

14 mon éminent confrère. Nous n'avons pas encore pu organiser la conférence

15 conjointe mais dès que cette conférence aura été organisée, nous remettrons

16 à M. Whiting ainsi qu'aux autres membres de l'équipe du bureau du Procureur

17 et certainement que nous remettrons ces rapports dans les 14 jours

18 prescrits. Bien entendu, s'ils ont besoin de plus de temps, si cela

19 présente des difficultés, je tiens à dire que je ne voudrais pas lui donner

20 trop d'avance sur les dates de dépositions.

21 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Topolski, avez-vous quelque

22 chose à ajouter ?

23 M. TOPOLSKI : [interprétation] Non.

24 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui.

25 [La Chambre de première instance se concerte]

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1 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] La remise de ce rapport doit avoir

2 lieu jeudi prochain, au plus tard en milieu de journée. Me Mansfield avait

3 espéré davantage de temps mais cela devrait suffire.

4 Si d'autres rapports d'expert seront présentés, les préoccupations

5 exprimées par M. Whiting seront d'application également et nous espérons

6 que dans l'éventualité ou la Défense souhaite citer à comparaître un

7 expert, elle en avisera dès que possible M. Whiting. Tout rapport, même

8 projet de rapport devra être communiqué dans les plus brefs délais de façon

9 à ce que cela puisse éviter que des problèmes d'ordre pratique se posent et

10 afin d'éviter des pressions inutiles.

11 Pour ce qui est des autres questions à traiter, la Chambre accepte la

12 suggestion faite par Me Topolski, à savoir que les conseils se concerteront

13 entre eux pour résoudre d'éventuels problèmes.

14 Il reste une question, à savoir, la question de savoir si la durée de la

15 présentation des moyens à décharge telle qu'anticipée avant la suspension

16 est toujours d'actualité.

17 Maître Mansfield.

18 M. MANSFIELD : [interprétation] Dans l'ensemble, oui. En ce qui concerne la

19 présentation des moyens de la Défense de M. Limaj, oui, nous ne savions pas

20 qu'il y aurait deux journées d'audience en moins cette semaine. Je pense

21 que cette estimation de trois semaines n'est plus tout à fait d'actualité

22 pour des raisons manifestes. C'est la seule modification, mais nous pensons

23 que nous pourrons respecter les délais fixés. Donc, la position est la

24 même. Je ne veux pas parler au nom des autres conseils de la Défense mais

25 j'espère, pour ma part, que je pourrai respecter le délai.

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1 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Votre liste de témoins semble indiquer

2 le contraire a priori.

3 M. MANSFIELD : [interprétation] Oui, j'en ai peur. Nous avons dit à M.

4 Whiting que ce soir, nous allons décider si nous avons véritablement besoin

5 de tout cela. Nous avons accepté la suggestion de M. Whiting, à savoir que

6 nous allons communiquer les documents dans la mesure du possible. Nous

7 avons finalement dit à M. Whiting que nous n'entendions finalement pas

8 citer tous les témoins que nous avons présentés dans notre liste car

9 certains témoignages sont redondants. A moins que cela ne soit

10 véritablement nécessaire, nous allons éviter d'appeler tous les témoins.

11 Donc, il y aura moins de témoins que prévu. La déposition de certains

12 d'entre eux sera très brève. Nous allons commencer par ceux dont la

13 déposition est la plus longue, cette semaine et la semaine prochaine. Après

14 cela, les dépositions devraient être assez brèves.

15 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Est-ce qu'il y a d'autres

16 modifications dans le calendrier ? Maître Guy-Smith, non.

17 Maître Topolski, je vous donne la parole.

18 M. TOPOLSKI : [interprétation] Me Powles avait parlé de deux ou trois

19 semaines pour la présentation des moyens de M. Musliu. Je suis d'accord

20 avec cette estimation, mais je souhaite apporter un bémol par rapport à

21 cela, à propos des témoins 92 bis. Personnellement, je n'anticipe aucune

22 difficulté quant à la durée prévue de deux à trois semaines pour la

23 présentation de M. Musliu. Nous en avons parlé avec Me Powles, il s'agit

24 d'une possibilité réalisable. A priori, pas de modifications de notre part

25 et compte tenu de l'évolution de la situation, je pense que notre position

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1 est très semblable à celle de Me Mansfield, c'est-à-dire que nous

2 n'envisageons pas nécessairement de citer à comparaître tous les témoins

3 qui figurent actuellement sur notre liste.

4 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, Maître Topolski. Manifestement,

5 en ce qui vous concerne et en ce qui concerne Me Mansfield, nous vous

6 rappelons que l'Accusation attend une analyse complète si vous avez

7 l'intention de supprimer un certain nombre de témoins. De façon à ce que

8 les choses se déroulent plus facilement, nous serions satisfaits d'avoir

9 cette nouvelle liste aussi rapidement que possible.

10 M. TOPOLSKI : [interprétation] Je pense parler au nom de tous les conseils

11 de la Défense. J'étais satisfait lorsque M. Whiting pouvait nous dire de

12 façon régulière quels témoins il entendait citer à comparaître dans le

13 cadre de la présentation de ses moyens et quels témoins ne seraient pas

14 appelés à la barre. Nous allons essayer de faire de même. Nous avons fait

15 preuve de beaucoup de coopération jusqu'à présent et je ne vois par

16 pourquoi cela ne continuerait pas.

17 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] La Chambre vous est reconnaissante de

18 vos efforts et nous espérons que vous allez poursuivre cette coopération.

19 Maître Mansfield, nous en arrivons à la présentation de vos moyens.

20 M. MANSFIELD : [interprétation] Je souhaite appeler à la barre, Fatmir

21 Limaj.

22 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] J'appelle Monsieur Limaj et je

23 l'invite à s'installer à la barre des témoins.

24 M. MANSFIELD : [interprétation] Ce faisant, je souhaiterais qu'il y ait une

25 liste de pièces à conviction sur laquelle figure des cartes. Il s'agit d'un

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1 DVD, peut-être, nous n'évoquerons pas cela aujourd'hui. Je ne sais pas.

2 Toujours est-il que ces cartes figurent sur des DVD, nous n'avons pas

3 encore de version papier, nous les aurons peut-être demain.

4 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie.

5 Monsieur Limaj, veuillez lire le texte sur la carte qui vous est remise.

6 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

7 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

8 LE TÉMOIN: FATMIR LIMAJ [Assermenté]

9 [Le témoin répond par l'interprète]

10 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, veuillez vous asseoir.

11 Maître Mansfield, vous avez la parole.

12 Interrogatoire principal par M. Mansfield :

13 Q. [interprétation] Monsieur Limaj, je voudrais m'assurer que vous

14 m'entendez bien. Est-ce que vous êtes à l'aise ?

15 R. Oui. Tout va bien maintenant.

16 Q. Je pense qu'un seul microphone est allumé. Il conviendrait

17 peut-être d'allumer les deux. Il y en a deux devant vous. Voilà, c'est très

18 bien, merci.

19 Monsieur Limaj, je vais vous poser des questions de façon chronologique, en

20 effet ce sera plus facile pour vous et pour toutes les autres personnes

21 présentes de suivre vos propos. Pour que les choses soient bien claires

22 pour vous et pour les autres, la plupart de votre déposition concernera des

23 questions de contexte, mais nous en arriverons peut-être à la période

24 cruciale de 1998.

25 Nous allons commencer par les questions générales. Je vais vous

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1 guider à travers ces questions. Est-il exact de dire que vous êtes né le 4

2 février 1971 ?

3 R. Oui, c'est exact.

4 Q. Où êtes-vous né ?

5 R. Je suis né à Banje qui faisait partie auparavant de la commune de

6 Suva Reka. Puis en 1986, c'est devenu une partie de la municipalité de

7 Malisheve.

8 Q. Nous allons commencer la présentation des pièces à conviction. La

9 première carte que je vais utiliser indique votre lieu de résidence, votre

10 lieu de naissance et d'autres endroits, il s'agit de la carte numéro 1 qui

11 se trouve à votre gauche sur le tableau. M. MANSFIELD : [interprétation]

12 Elle existe également sous forme de CD. Votre lieu de naissance, le village

13 où vous êtes né est indiqué très clairement sur cette carte. Si la Chambre

14 souhaite savoir où se trouve cet endroit, il s'agit de Banje votre lieu de

15 naissance, le lieu figure sur la carte numéro 6, pièce à conviction de

16 l'Accusation numéro 1.

17 Q. Je ne sais pas si vous pouvez y avoir accès depuis l'endroit où

18 vous êtes assis, mais est-ce que vous pourriez indiquer à l'aide du

19 pointeur où se trouve votre lieu de naissance ?

20 R. C'est là que se trouve Banje.

21 Q. Très bien, je vous demanderais par la suite d'indiquer un

22 certains nombres d'endroits pertinents. Peut-être que vous pourriez tracer

23 un cercle autour de certains de ces endroits. Dans cette éventualité, je

24 souhaiterais m'assurer que vous disposez d'un feutre. Veuillez vous lever

25 et indiquer l'endroit en question de façon à ce que nous puissions voir cet

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1 endroit, par la suite lorsque nous en demanderons le versement au dossier.

2 Veuillez tracer un cercle autour de Banje, je vous prie.

3 R. [Le témoin s'exécute]

4 Q. Merci. S'agissant de votre lieu de naissance, quelle est

5 l'importance de ce village, quelle en est la population ?

6 R. Si nous parlons d'aujourd'hui, ce village doit compter

7 3 000 habitants, mais je souhaite vous dire que Banje est un endroit

8 touristique magnifique contrairement à d'autres villages de la municipalité

9 de Malisheve, c'est un village assez développé. Pour cette raison, il y a

10 souvent des personnes qui viennent visiter ce village et qui s'y

11 installent. Mais de façon générale, j'évaluerais le nombre d'habitants à 3

12 000 environ.

13 Q. Je souhaiterais vous parler de vos parents et de votre famille,

14 et vous poser quelques questions à leur sujet. En premier lieu, combien

15 avez-vous de frères et de soeurs ?

16 R. Comme je l'ai déjà dit lors de ma déclaration liminaire, notre

17 famille compte trois frères et trois sœurs.

18 Q. Pour ce qui est de vos parents, est-ce que l'un ou l'autre de vos

19 parents travaillaient au cours de la période qui nous intéresse, c'est-à-

20 dire à partir de 1971 ?

21 R. Oui. Mon père travaille depuis l'âge de 14 ou 15 ans. Il a

22 commencé à travailler de façon permanente à Sarajevo, si je ne m'abuse,

23 c'était au début des années 1960. Il a travaillé jusqu'en 1982 ou 1983,

24 date à laquelle il est rentré à Pristina.

25 Q. Quel travail exerçait-il à Pristina à partir de 1982 ou 1983

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1 lorsqu'il est rentré là ?

2 R. Après son retour à Pristina, il avait un appartement à Sarajevo

3 qui lui a été fourni par l'entreprise pour laquelle il travaillait, car à

4 l'époque, il était habituel qu'une entreprise fournisse à ses employés un

5 logement. Après cela, mon père a pu échanger cet appartement avec quelqu'un

6 d'autre et la personne en question l'a aidé à trouver un travail à

7 Pristina. Il travaillait dans une entreprise électrique à Obilic [phon]. Il

8 était très difficile à l'époque de trouver un travail. Il a refusé de

9 renter au Kosovo avant de savoir qu'un travail l'attendait. Ce qui l'a

10 convaincu de rentrer, c'est lorsqu'il a su qu'il aurait une maison ou un

11 appartement.

12 Q. Parlons un peu de vous-même dans votre jeunesse. Où avez-vous

13 suivi vos études à l'école primaire ?

14 R. J'ai étudié à l'école primaire de mon village d'origine, car

15 comme je l'ai dit, mon père habitait à Sarajevo. C'est mon oncle qui

16 s'occupait de nous, nous habitions avec sa famille, c'est lui qui

17 s'occupait de nous pendant que mon père était à Sarajevo. J'ai suivi mes

18 études à l'école primaire de Banje, dans la municipalité de Malisheve.

19 Après avoir terminé mes études à l'école primaire de Banje, j'ai

20 étudié pendant deux années au lycée. Il s'agissait d'un cours préliminaire

21 en quelque sorte. Au bout de ces deux années, on décidait de ce qu'on

22 voulait étudier par la suite.

23 Q. Vous parlez un peu trop vite pour les interprètes. Est-ce que

24 vous pourriez parler plus lentement, je vous prie. Nous allons poursuivre

25 pas à pas. A quel âge avez-vous terminé l'école primaire ?

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1 R. J'ai commencé mes études à l'école primaire à l'âge de six ans,

2 et j'ai terminé en 1984, 1985.

3 Q. Voilà ce qui en est pour l'école primaire. S'agissant du lycée où

4 vous avez commencé ce cours préliminaire, en quelle année était-ce et où se

5 trouvait cet endroit ?

6 R. J'ai commencé mes études au lycée en 1984 ou 1985, plutôt 1985.

7 J'ai étudié pendant deux années à Banje dans la municipalité de Malisheve.

8 Il s'agissait d'une école semblable à celle de Suva Reka qui s'appelle

9 Nouvelle vie.

10 Q. Qu'avez-vous fait après ces deux années ?

11 R. Après cela, j'ai poursuivi mes études au lycée de Pristina.

12 Q. Lorsque vous avez déménagé à Pristina pour y faire vos études,

13 quel âge aviez-vous ?

14 R. J'avais 16 ans, j'avais presque 17 ans.

15 Q. S'agissant de ces 16 premières années de votre vie, où avez-vous

16 passé la plus grande partie de votre temps ?

17 R. Dans mon village natal.

18 Q. Qu'en est-il de vos amis ? Est-ce qu'ils habitaient également dans leur

19 ville natale, ou ailleurs ?

20 R. Ce n'est pas vraiment des villes. Ce sont plutôt des villages. Il

21 s'agissait essentiellement d'amis originaires de cette région. D'autres

22 venaient de plus loin.

23 Vous savez, Banje était un ensemble qui comprenait trois ou quatre

24 villages, tous les enfants de ces villages suivaient leurs études au lycée

25 de Banje.

Page 5856

1 Q. Au cours de ces 16 premières années de votre vie, avez-vous eu

2 l'occasion de rendre visite à vos amis ou à des parents dans d'autres

3 villages que Banje; le cas échéant, dans quel village ?

4 R. Les liens de parentés au Kosovo sont très importants, j'allais souvent

5 rendre visite à ma famille élargie, c'est-à-dire, mes oncles, mes tantes du

6 côté paternel ou du côté maternel, et d'autres membres de ma famille. Il

7 s'agit d'une famille assez importante. Il était fréquent d'aller rendre

8 visite aux membres de notre famille qui habitaient dans d'autres villages.

9 J'allais également rendre visite à mes amis. J'avais des amis qui

10 habitaient dans divers villages, si bien que nous avons maintenu des liens.

11 Parfois, nous rendions visite à nos camarades de classe, à l'occasion

12 d'anniversaires ou à d'autres occasions.

13 Hormis cela, il y avait d'autres occasions où nous nous rendions visite,

14 dans le cadre des activités quotidiennes, car tous ces villages étaient

15 proches les uns des autres.

16 Q. Il y a une raison pour laquelle je vous pose toutes ces questions.

17 Veuillez revenir à la carte sur laquelle sont représentés ces villages.

18 Vous avez parlé de villages où habitaient des membres de votre famille, où

19 habitaient des amis.

20 Est-ce que vous pourriez indiquer ces villages sur cette carte ? Si vous

21 vous êtes rendu dans d'autres villages au cours des 16 premières années de

22 votre vie, veuillez nous les indiquer sur la carte qui se trouve à votre

23 gauche sur le tableau.

24 R. Si vous me posez des questions au sujet des villages où habitaient les

25 membres de ma famille, veuillez me le préciser, ou est-ce que vous voulez

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1 parler des villages où je suis allé ?

2 Q. Parlons d'abord des villages où habitaient des membres de votre

3 famille. Veuillez vous lever et nous indiquer où se trouvaient ces

4 villages; je peux parler toujours de 16 premières années de votre vie.

5 Veuillez en mentionner le nom au fur et à mesure.

6 L'INTERPRÈTE : Les interprètes n'entendent pas le témoin.

7 M. MANSFIELD : [interprétation]

8 Q. Il va falloir rapprocher l'un des microphones. Je crois que vous avez

9 parlé de Bellanice.

10 R. Bellanice, c'est le village où est née ma mère. J'y allais souvent

11 lorsque j'étais enfant, en compagnie de ma mère ou tout seul; je le

12 connaissais aussi bien que Banje quasiment.

13 Ensuite, il y a un village qui se trouve ici.

14 Q. Son nom, s'il vous plaît ?

15 R. Il s'appelle Carralluke, c'est là que ma tante paternelle vivait. Puis,

16 se trouve le village de Kravoseri. Nous y allions souvent car mon oncle y

17 avait des membres de sa famille. Il y a ensuite le village de Lladrovic.

18 Les tantes de mon père y habitaient. Puis Blac. Des parents éloignés y

19 habitaient, mais nous avions l'habitude d'aller rendre visite aux membres

20 de notre famille éloignée également, car cela se faisait à l'occasion de

21 mariages ou d'enterrements. Nous allions leur rendre visite aussi. Klecka;

22 c'est là qu'habitait la sœur de mon père, c'est-à-dire ma tante. J'allais

23 fréquemment lui rendre visite.

24 Voilà certains des villages où je me rendais. Il y en a d'autres, mais ils

25 font partie de la municipalité de Suhareke, et ne sont pas représentés sur

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1 cette carte. Cependant, je peux vous dire que Suhareke était une

2 municipalité avoisinante. Nous avions l'occasion de nous rendre dans tous

3 ces villages, même si aucun membre de notre famille n'y habitait.

4 Q. Merci. Pourriez-vous rapprocher votre microphone ? Merci.

5 Je vais vous poser une question précise : au cours de ces 16 premières

6 années de votre vie, avez-vous eu l'occasion de vous rendre à Lapusnik ?

7 R. Les villages sont situés le long de la route qui relie Pristina à

8 Malisheve, qui à l'époque n'était pas une municipalité, mais une grande

9 commune. Je me suis rendu dans ces villages situés le long de la route

10 principale, mais je ne m'y suis pas arrêté, car je n'y avais rien à faire.

11 Je n'ai fait que les traverser.

12 Q. Je souhaiterais que l'on parle de la période suivante, soit votre vie à

13 partir de l'âge de 16 ans, lorsque vous terminez vos études et que vous

14 allez vous installer à Pristina. Où habitiez-vous à Pristina, alors que

15 vous avez poursuivi vos études là-bas ?

16 R. Comme je l'ai dit plus tôt, mon père avait trouvé un appartement à

17 Pristina, et c'est l'une des raisons qui nous a permis d'apprendre notre

18 langue maternelle au Kosovo. A l'école primaire, je prenais des cours

19 d'albanais pendant le week-end; je voulais aller à Pristina, mais à

20 l'époque, il était difficile d'être transféré dans une nouvelle école. Si

21 bien qu'après avoir terminé mes deux années d'études au lycée, je suis allé

22 à Pristina, où j'y habitais avec mes parents dans la maison de mon père.

23 Q. A l'âge de 16-17 ans, aviez-vous conscience de l'évolution de la

24 situation politique au Kosovo, est-ce que vous vous y intéressiez ?

25 R. Pas à l'époque, nous étions des enfants, des adolescents. Nous ne nous

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1 intéressions pas à ce genre de chose. Cependant, l'évolution de la

2 situation en 1981 a eu une incidence sur nous tous, mais vous pouvez vous

3 imaginer ce qu'un adolescent de 15 ou 16 ans peut savoir sur ce qui se

4 passe mais, ces événements, certes, ont eu un impact sur nos questions.

5 Q. Arrêtons un instant sur l'année 1981. Comment avez-vous appris ce qui

6 se passait en 1981 ? Mais tout d'abord, de quels événements survenus en

7 1981 voulez-vous parler ?

8 R. En 1981, j'avais dix ans. J'avais entendu ce que disaient les autres,

9 car dans ma ville natale, il était difficile de savoir ce qui se passait.

10 Lorsqu'on habitait dans un village, il était difficile de savoir ce qui se

11 passait, car la censure régnait. Les adultes en parlaient; certains de mes

12 camarades de classe ont commencé à dire que leurs pères étaient

13 emprisonnés, ce genre de chose. Le mouvement qui s'est développé en 1981

14 était un mouvement étudiant, appelé "Le printemps de 1981." Ce mouvement

15 voulait améliorer la vie des Albanais au Kosovo; on demandait plus de

16 droits pour les Kosovars, et le Kosovo devait être reconnu comme la

17 septième République de Yougoslavie.

18 Après que ces demandes aient été exprimées, que des manifestations dans les

19 rues ont eu lieu, les forces de la Yougoslavie de l'époque ont exercé des

20 pressions, et ont fait régné la terreur pour que soit démantelé ces

21 mouvements, que les manifestations cessent, et des centaines de personnes

22 ont été emprisonnées. Des milliers d'étudiants ont été expulsés des écoles;

23 certains ont été tués.

24 J'en ai entendu parler beaucoup plus tard, car vous pouvez imaginer que

25 dans le cadre d'un régime communiste, il était très difficile d'obtenir des

Page 5860

1 informations. Donc, la censure était très stricte. J'ai appris cela plus

2 tard, en 1989-1990, lorsque j'ai pu rencontrer certains participants de ce

3 mouvement.

4 Q. Nous reviendrons en 1989, puisque c'est évidemment un moment important

5 pour d'autres raisons, bien entendu. En 1989 et 1990, à ce moment-là en

6 particulier, où étudiez-vous ?

7 R. En 1989, j'ai entamé mes études à la faculté de droit de Pristina.

8 Q. Quel était votre domaine d'études ?

9 R. J'étudiais le droit.

10 Q. Un sujet particulier, une matière particulière ?

11 R. A l'époque, il n'y avait pas de distinctions particulières dans

12 l'enseignement qui était proposé. Il s'agissait d'un enseignement général

13 du droit au sein de la faculté. Il n'y avait pas de spécialisation

14 particulière.

15 Q. Vous nous avez dit que c'était plus tard que vous aviez appris que les

16 gens avaient témoigné et s'étaient exprimés, sur ce qui c'était passé au

17 1981 et par la suite. Vous souvenez-vous avoir rencontré qui que ce soit,

18 en particulier, au cours de cette période, à l'université ou à la faculté

19 avec qui vous avez établi des relations amicales ?

20 R. En ce qui concerne les personnes qui auraient pu participer aux

21 événements, non, mais j'ai rencontré des gens qui avaient participé aux

22 manifestations. Toutefois, ils n'avaient pas joué de rôle particulier au

23 cours de ces mêmes manifestations. Si vous parlez des chefs de file, des

24 chefs qui ont mené ces manifestations, je n'en ai pas rencontré. J'ai

25 simplement rencontré des manifestants.

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1 Ceux qui ont été emprisonnés ont dû poursuivre leurs études plus

2 tard. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes retrouvés à

3 l'université ensemble, et ce sont des gens qui sont devenus nos camarades

4 d'études, même s'ils étaient plus âgés que nous. Toutefois, j'ai eu la

5 possibilité de rencontrer les membres des familles des gens qui ont passé

6 un certain temps en prison.

7 En 1989 et en 1990, les informations ont commencé à être diffusées et à

8 circuler dans un certain nombre d'endroits concernant la situation et les

9 conditions de détention de ces prisonniers politiques.

10 J'ai également eu la possibilité d'entendre un certain nombre

11 d'entretiens donnés par ces personnes, Adem Demaqi, entre autres, qui a

12 donné une interview à un journal croate. Voilà le type de conversations qui

13 avaient lieu, en général, entre les étudiants.

14 Q. Au cours de la période que vous avez passée à l'Université, je crois

15 que vous avez obtenu votre diplôme en 1995. Il s'agit d'une période de

16 quatre à cinq ans. Au cours de cette période, êtes-vous devenu militant

17 vous-même ? Avez-vous commencé à jouer un rôle politique ?

18 R. J'ai obtenu mon diplôme en 1994. Au Kosovo, à partir de 1987 ou 1988,

19 les choses se sont mises à évoluer rapidement. Le Kosovo est entré dans une

20 phase totalement neuve.

21 En 1988, au mois de novembre, l'histoire du Kosovo a été marquée par ce que

22 l'on appelle "Le mouvement populaire." Ce mouvement populaire est ainsi

23 nommé parce que la population a demandé que des amendements soient apportés

24 à la constitution. Le régime serbe, à l'époque, a examiné un certain nombre

25 d'amendements constitutionnels en Yougoslavie, et à ce moment-là, ces

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1 amendements devaient porter également sur la constitution du Kosovo, et

2 envisager d'atténuer les compétences relevant du peuple kosovar ou les

3 prérogatives du peuple kosovar. Par conséquent, grâce à un certain nombre

4 de débats publics, la population s'est exprimée contre ces amendements à la

5 constitution. Au terme de ces débats, des protestations ont été organisées,

6 des manifestations au cours desquelles des membres de la population, des

7 citoyens de l'ensemble du Kosovo, se sont rendus à Pristina afin d'y

8 exprimer publiquement leur désaccord, leur opposition aux propositions de

9 modification de la constitution. Ils se sont également déplacés pour

10 exprimer leur appui aux dirigeants d'alors du Kosovo qui, à l'époque,

11 faisait l'objet d'attaques permanentes du Parti communiste serbe de

12 Belgrade.

13 Après ces évènements de 1988, certains dirigeants kosovars ont été

14 démis de leurs fonctions. Le gouvernement fédéral, sous la pression exercée

15 par les Serbes, a condamné les manifestations publiques des citoyens du

16 Kosovo en accusant les dirigeants kosovars, en les désignant comme l'un des

17 organisateurs de ce mouvement de l'ensemble de la population du Kosovo. Ce

18 faisant, un certain nombre de dirigeants du Kosovo ont été emprisonnés,

19 d'autres ont été isolés. Ce qui a ouvert la porte aux amendements

20 constitutionnels adoptés par la Serbie en 1989.

21 J'aimerais dire qu'en toile de fond, ou plutôt à l'origine de ces

22 évènements se trouvaient les jeunes du Kosovo et les ouvriers, je parle

23 notamment des mineurs kosovars qui travaillaient à l'époque.

24 Après l'adoption de ces mesures de répression par le gouvernement

25 fédéral sous pression serbe en 1988 et après l'arrestation de certains

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1 dirigeants, dirigeants du Kosovo et dans la mesure où la Serbie progressait

2 sur la voie qui devait l'amener à priver le Kosovo de son autonomie. Le

3 mode de protestation a changé en février 1989, des ouvriers ont fait une

4 grève de la faim, grève de la faim qui s'est poursuivie jusqu'au moment où

5 le gouvernement fédéral a cessé l'application des ses méthodes

6 anti-constitutionnelles, méthodes appliquées par le régime serbe.

7 Q. Je vais vous interrompre, car votre réponse était extrêmement

8 longue. Je vous repose la question qui était en réalité la suivante : dans

9 quelle mesure, vous-même, avez-vous pris part à des discussions politiques,

10 à ce mouvement politique, au processus politique ? Là, je parle des années

11 1988, 1989 et 1990.

12 R. J'ai peut-être été long, mais c'est quelque chose qui a été vécu par

13 tous les citoyens du Kosovo, moi y compris, j'ai vécu la même chose que les

14 autres citoyens du Kosovo qui s'intéressaient au sort de leur pays.

15 Q. Peut-être serait-il bon que vous décriviez, je m'excuse de rentrer dans

16 les détails, que vous nous disiez comment ces changements ont eu une

17 incidence sur vous au quotidien et sur les autres étudiants. J'aimerais

18 savoir comment ces changements se sont traduits à l'université, par

19 exemple ?

20 R. Le ressenti de chacun était différent. En tant qu'étudiants, en tant

21 que jeunes, nous voulions participer à tout ceci. Nous voulions être à la

22 tête de ces protestations de manière à protéger, défendre notre autonomie.

23 Nous étions convaincus que nous étions en train de défendre nos droits, de

24 nous défendre contre ces mesures qui étaient clairement

25 anticonstitutionnelles. En bref, nous voulions appliquer et adopter des

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1 mesures préventives qui permettraient d'éviter qu'ils nous privent des

2 droits, des petits droits qui étaient les nôtres.

3 Q. De quoi s'agit-il ? Quelles sont ces mesures préventives auxquelles

4 vous pensiez à l'époque ?

5 R. Pour nous une mesure préventive, c'était de faire comprendre au

6 gouvernement que les citoyens n'étaient pas satisfaits des changements

7 envisagés, et qu'à l'époque, le seul moyen d'exprimer clairement les choses

8 au gouvernement, c'était de participer à des manifestations publiques, à

9 des mouvements de protestations. Nous agissions de la sorte afin d'attirer

10 l'attention du gouvernement fédéral sur la situation, gouvernement fédéral

11 qui souhaitait amender la constitution.

12 Q. Est-ce que les choses se sont améliorées au sein de l'université ou, au

13 contraire, ont-elle empirées ?

14 R. Non. Au contraire. La situation a mal tourné comme le craignait la

15 population. Comme je l'ai dit plus tôt, les protestations faisaient l'objet

16 d'actes de répression. Ils nous ont taxés d'ennemis de la Yougoslavie.

17 C'était l'une des expressions qu'ils utilisaient constamment,

18 particulièrement après 1981.

19 J'aimerais ajouter que plus d'un million de personnes a participé à ces

20 rassemblements.

21 Q. Nous progressons dans notre examen des années 1990, 1991, 1992, 1993,

22 pouvez-vous nous donner davantage d'information concernant l'occupation

23 serbe du Kosovo au cours de ces années-là ? Pouvez-vous nous décrire la vie

24 que l'on menait au Kosovo, la vie que menait un jeune homme tel que vous ?

25 R. Peut-être qu'il est important de signaler qu'en 1989, la Serbie en

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1 exerçant des pressions et en encerclant l'assemblée du Kosovo avec des

2 chars afin de mettre en application les amendements constitutionnels, la

3 situation a empiré à tel point que l'état d'urgence a été déclaré au

4 Kosovo.

5 En 1990, ou à la fin de 1989, une nouvelle ère démocratique a débuté et un

6 système pluraliste a été établi. Quelques efforts ont été consentis au

7 Kosovo afin de proposer de nouvelles options, de nouvelles voies

8 politiques, des groupes politiques ont été formés, qui sont devenus ensuite

9 ce mouvement populaire.

10 En 1990 [comme interprété], le parlement légitime du Kosovo a décidé de

11 délivrer une déclaration, la déclaration du 2 juillet, c'est ainsi qu'on

12 l'appelle au Kosovo, n'ayant pas été en mesure de le faire au sein des

13 locaux ou du siège du parlement parce qu'à l'époque - le dirigeant du

14 parlement du Kosovo était à l'époque un homme de Milosevic - ils ont donc

15 fait cette déclaration. Cette déclaration du 2 juillet qui déclarait

16 illégal ce qui s'était produit en 1989, à savoir la décision de priver le

17 Kosovo de son autonomie était jugée illégale. Il était également dit dans

18 cette déclaration qu'il faudrait attendre de voir comment la Fédération

19 yougoslave allait être reformée. Parce qu'à l'époque des mouvements au sein

20 de différentes républiques demandaient une modification de la constitution.

21 Il était demandé que le Kosovo obtienne un statut identique à celui

22 d'autres républiques. Toutefois, il était dit que le Kosovo ne

23 participerait si les autres républiques n'allaient pas elles-mêmes

24 participer. Cette déclaration, au Kosovo, est connue, sous le nom de

25 déclaration d'indépendance.

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1 Par la suite, certains députés ont été emprisonnés, d'autres poursuivis.

2 Ceci a servi de prétextes au régime de Belgrade, au régime de Milosevic

3 pour dissoudre le parlement et fermer les portes de différents organes de

4 presse, de la seule d'ailleurs station de télévision et du journal Koha

5 Ditore. La violence s'est intensifiée dans tout le Kosovo et, à partir de

6 ce moment-là, des personnes ont commencé à être renvoyées, personnes

7 occupant des postes dans un certain nombre de secteurs particulièrement

8 sensibles, notamment, la police, l'administration publique ainsi que

9 d'autres secteurs ayant trait davantage à la vie économique des

10 entreprises, d'autres étudiants ont été expulsés des établissements qu'ils

11 fréquentaient.

12 Q. Bien. Vous allez très vite. Nous allons nous interrompre un instant.

13 J'aimerais revenir sur ce que vous avez dit concernant le parlement,

14 concernant la fermeture de certains organes de presse, la télévision, des

15 étudiants expulsés, et cetera. La question sur laquelle j'aimerais que vous

16 vous attardiez un instant, c'est la suivante : comment ceci a-t-il affecté

17 votre vie quotidienne ? A quelle situation avez-vous assisté, vous-même, au

18 cours de cette période qui a suivi 1990 ?

19 R. Les citoyens du Kosovo étaient politisés en quelque sorte, il n'y avait

20 personne qui ne suivait pas cette évolution politique très attentivement.

21 Parce qu'après tout, tout ceci, toute cette évolution politique avait un

22 impact direct sur la vie de tout le monde, sur la mienne, aussi. Par

23 conséquent, moi aussi, je suivais l'évolution de la vie politique et ce, de

24 manière très attentive, particulièrement, la décision prise par le

25 parlement du Kosovo, une décision qui a été particulièrement bien

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1 accueillie, une décision qu'attendaient tous les citoyens du Kosovo. Par

2 conséquent, il y avait différents sentiments qui prévalaient. Il y avait

3 une certaine euphorie qui régnait à ce moment-là, au Kosovo tout comme dans

4 l'Europe orientale dans son ensemble.

5 Q. Veuillez ralentir, s'il vous plaît. Je sais que vous parlez, en

6 général, très rapidement, mais les interprètes ont beaucoup de mal à vous

7 suivre.

8 Vous disiez qu'il y avait un sentiment d'euphorie. Ce que j'aimerais

9 que vous nous disiez maintenant, c'est ce qui s'est passé au moment où le

10 parlement a été dissout, au moment où l'on a fermé, un certain nombre

11 d'organes de presse, au moment où des étudiants ont été renvoyés, qu'avez-

12 vous vu ? Que s'est-il passé dans les rues de Pristina et ailleurs ?

13 R. Nous ne savions pas très bien ce qui se passait ou ce qui allait se

14 passer. Les choses n'étaient pas très claires. La réponse serbe a été très

15 violente, mais nous pensions que le gouvernement fédéral ne permettrait pas

16 que la situation perdure, et que l'on atteigne une situation extrême, et

17 que les choses allaient s'améliorer.

18 Quelques institutions, quelques organismes fédéraux étaient encore en

19 état de fonctionner, nous espérions qu'une solution allait être trouvée,

20 que les amendements à la constitution allaient cesser, que la situation

21 allait changer, notamment, après les événements démocratiques.

22 Par conséquent, en tant que jeune homme, j'accueillais assez

23 favorablement ce qui se passait au sein du parlement. Bien entendu, après

24 ce qui s'était passé, nous savions que les choses n'allaient pas pouvoir se

25 poursuivre, mais nous espérions néanmoins que les choses allaient changer.

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1 Nous avons donc continué à vaquer à nos occupations quotidiennes en tant

2 que citoyens, en tant qu'étudiants.

3 Une nouvelle ère a commencé en 1990. Tout le monde était affairé.

4 Comme je l'ai dit, il y avait une espèce de sentiment d'euphorie. Les gens

5 ont commencé à s'exprimer librement, à exprimer librement leurs opinions.

6 Ils commençaient à voir des possibilités leur permettant de faire les

7 choses dans un meilleur cadre, dans un meilleur environnement.

8 Il y avait des vendettas. Vous le savez, c'est quelque chose qui

9 existait au Kosovo et nous pensions que les choses allaient pouvoir

10 s'améliorer dans ce nouvel environnement. D'ailleurs, une initiative a été

11 lancée par un groupe d'étudiants dans ce domaine ainsi que par des anciens

12 prisonniers politiques qui ont commencé à essayer d'aplanir ces vendettas.

13 A ce moment-là, un certain nombre de prisonniers politiques ont été

14 libérés. Ils avaient été condamnés pour avoir exprimé leurs opinions

15 publiquement. A ce moment-là, personne ne souhaitait plus les voir

16 emprisonnés, des gens qui avaient participé activement aux grands

17 événements de 1981. Ils ont été libérés et ils sont rentrés chez eux. Eux

18 aussi ont commencé à participer activement à ce processus de

19 réconciliation. Toute l'élite pratiquement a participé ou a apporté son

20 soutien à ce mouvement du Kosovo, sous l'égide d'un professeur bien connu,

21 Anton Ceta et ce mouvement a pris de l'ampleur. En 1991, toute notre

22 activité se concentrait sur la réconciliation, sur l'aplanissement de ces

23 vendettas, et nous avons réussi à réconcilier 1 600 familles. Peut-être que

24 le chiffre n'est pas tout à fait exact, mais c'est plus ou moins ce que

25 nous avons réussi à faire et nous avons un peu libéré ces familles de

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1 l'isolement dans lequel elles se trouvaient, dans la peur qui était la

2 leur, peur de vendettas.

3 En tant qu'étudiants, ce que nous étions à l'époque, nous avons commencé à

4 œuvrer dans nos municipalités respectives afin de faire quelque chose. Moi

5 aussi, j'ai travaillé à un certain nombre de réconciliations dans la

6 municipalité de Malisheve ainsi qu'en d'autres endroits. Nous avons créé un

7 certain nombre de conseils en vue de l'aplanissement, de la résolution de

8 ces vendettas.

9 Les gens du Kosovo avaient un respect particulier pour les étudiants

10 et pour ce qu'ils faisaient. Donc, voilà plus ou moins ce à quoi nous nous

11 occupions. En tant que jeunes, nous ne prenions pas véritablement

12 sérieusement ce qui se passait, ce que faisait la Serbie, en espérant que

13 le gouvernement fédéral mettrait un terme à la situation, s'il souhaitait

14 véritablement améliorer la situation politique.

15 Q. Avant la pause, si toutefois la Chambre souhaite l'aménager à présent,

16 j'aimerais vous poser cette question et revenir un petit peu à Pristina.

17 Viviez-vous seul ou avec d'autres personnes, d'autres étudiants ?

18 R. Avec mes parents, surtout jusqu'à 1991, 1992, je crois, date à laquelle

19 le gouvernement serbe a expulsé les étudiants des dortoirs ou des lieux

20 publics. Comme tous les autres citoyens de Pristina, moi aussi, par

21 solidarité, j'ai invité un étudiant à vivre avec moi pour répondre à la

22 pression exercée par le gouvernement serbe, vous allez peut-être fermer les

23 dortoirs, mais vous ne fermerez pas nos maisons, nos appartements. Pendant

24 six mois, en fait, il y a eu 20 étudiants qui ont vécu dans la maison de

25 mon père, des étudiants qui ne pouvaient plus être logés dans les dortoirs.

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1 C'est la même chose pour tous les gens de Pristina qui ont accepté

2 d'accueillir des étudiants afin qu'ils puissent continuer leurs études.

3 Q. Y a-t-il quelqu'un en particulier dont vous avez un souvenir vif et que

4 vous avez accueilli chez vous ?

5 R. Oui. Il y en a beaucoup dont je me souviens au cours de cette période.

6 Q. L'un ou l'autre allait-il prendre une importance particulière dans les

7 années à venir, 1997, 1998 ?

8 R. Pas en particulier, non. Pas à cette époque.

9 M. MANSFIELD : [interprétation] Monsieur le Président, je ne sais pas si

10 vous prévoyez de faire une pause --

11 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, effectivement. Etant donné le

12 changement de cassette nécessaire, nous devons nous séparer une heure et

13 demie.

14 Nous reprendrons à 16 heures 05.

15 --- L'audience est suspendue à 15 heures 44.

16 --- L'audience est reprise à 16 heures 09.

17 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, Maître Mansfield.

18 M. MANSFIELD : [interprétation]

19 Q. Monsieur Limaj, nous parlions de la période où vous fréquentiez

20 l'université en tant qu'étudiant, mais je souhaiterais si cela est possible

21 ajouter une dimension supplémentaire à ce tableau que nous brossons,

22 quelque chose de plus personnel. Est-il exact de dire qu'en 1989, tout au

23 début de cette période-là, vous vous êtes marié ?

24 R. Oui.

25 Q. Une fois de plus, auriez-vous l'obligeance de bien vouloir marquer au

Page 5871

1 moyen du stylo sur la carte qui est à votre gauche, le village dont est

2 originaire votre épouse, et également dire à voix haute le nom de ce

3 village, s'il vous plaît.

4 R. Le nom du village Marali.

5 Q. Pourriez-vous diriger le microphone que vous venez d'utiliser vers vous

6 à nouveau, s'il vous plaît ?

7 Ces enfants ne sont pas tous nés à l'époque où vous étiez à l'université,

8 cela je le comprends bien, mais certains d'entre eux sont nés à cette

9 époque-là. Vous avez quatre, n'est-ce pas, des enfants ?

10 R. Oui.

11 Q. Pour éviter toute controverse, vous avez eu un fils en 1990, et trois

12 filles dont l'une est née en 1993, la deuxième en 1995 et la troisième en

13 1999. Ces dates sont-elles exactes ?

14 R. Oui.

15 Q. Où vivait votre famille à l'époque où vous étiez à l'université ? Est-

16 ce que votre famille vivait avec vous à Pristina ou votre famille vivait-

17 elle dans un des villages avec leurs familles ?

18 R. La plupart du temps, ils vivaient au village.

19 Q. Désolé d'être un peu pointilleux, mais pourriez-vous nous dire de quel

20 village il s'agit exactement, s'il vous plaît ?

21 R. A mon lieu de naissance, à Banje.

22 Q. Au cours de cette période - je vous rappelle qu'il s'agit de la période

23 1989 à 1990, 1991, 1992 - à quelle fréquence voyiez-vous votre famille ?

24 Est-ce que vous retourniez les voir le week-end, par exemple ? Veuillez

25 nous décrire un petit peu les contacts que vous entreteniez avec votre

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1 famille à cette époque-là.

2 R. Au cours de mes études, j'allais généralement les voir pendant le week-

3 end et pendant les vacances universitaires.

4 Q. Est-ce qu'ils ne sont jamais venus vous rendre visite à Pristina ?

5 R. Bien entendu que oui.

6 Q. Vous avez dit avant la pause que vous avez obtenu votre diplôme en

7 1994. Avant d'en arriver à l'année 1994, je souhaiterais que nous parlions

8 de la situation et de l'évolution de la situation à l'université. Est-il

9 arrivé un moment auquel une forme de ségrégation fut imposée au sein même

10 de l'université ?

11 R. Ceci est survenu à l'époque où j'étais encore à l'école secondaire

12 avant de commencer mes études à l'université. A mon époque, les Serbes et

13 les Albanais fréquentaient tous deux l'école. En 1989, après la propagande

14 lancée par le régime de Belgrade, et une fois que Milosevic eut créé un

15 programme nationaliste, les Serbes commencèrent à dire qu'ils se

16 considéraient comme étant menacés par des étudiants, et des policiers ont

17 commencé à se rendre dans les écoles.

18 Dans l'école secondaire que je fréquentais, la ségrégation fut mise en

19 place; je parle du nouveau bâtiment. Les Serbes étaient dans le nouveau

20 bâtiment, où les conditions étaient meilleures, mais la grande majorité des

21 écoliers étaient en fait des Albanais.

22 L'entrée de l'école était séparée; il y avait deux entrées. L'une était ce

23 qu'on appelait l'entrée officielle, qui était réservée, si vous voulez, aux

24 professeurs et au personnel administratif; quant à l'autre entrée, elle

25 était réservée aux étudiants. Je ne sais pas qui a pris ces décisions, mais

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1 à partir de ce moment-là, l'entrée officielle devint réservée aux élèves

2 serbes, tandis que l'entrée habituelle, qui était réservée par le passé à

3 tous les élèves, n'était plus utilisée à partir de ce moment-là que par les

4 élèves albanais.

5 Par ailleurs, la police fédérale ou le MUP serbe, parce que c'était

6 essentiellement le MUP qui agissait sous l'égide de la police fédérale, le

7 MUP était présent pendant toute la période dans les cours d'école, et ceci

8 s'est poursuivi jusqu'à l'époque où je suis allé à l'université.

9 Q. Qu'en est-il de l'enseignement et des programmes scolaires, de l'usage

10 de la langue albanaise dans les écoles et universités à cette époque ?

11 R. Pourriez-vous répéter la question, s'il vous plaît ?

12 Q. Oui. Outre cette ségrégation des Serbes séparés des Albanais, et je

13 vais aborder les éléments l'un après l'autre; tout d'abord, la langue

14 albanaise était-elle une langue d'enseignement autorisée ?

15 R. A l'époque où j'étais au lycée, à l'école secondaire, oui. Cela ne

16 posait pas problèmes. Il n'y avait pas de problèmes d'ordre linguistique,

17 puisque nous suivions le programme scolaire du gouvernement du Kosovo.

18 Cependant, les changements sont intervenus après la dissolution du

19 parlement du Kosovo, et le programme scolaire fut modifié, et cela fut

20 refusé par les Albanais.

21 Q. Une fois que vous aviez obtenu votre diplôme en 1994, qu'aviez-vous

22 l'intention de faire vous-même ?

23 R. Une fois que j'ai obtenu mon diplôme en 1994, j'avais l'intention de

24 faire des études post-universitaires. Par voie de conséquence, je me suis

25 inscrit pour des études post-universitaires, à l'université de Pristina,

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1 dans le département administration et politique. A l'époque, il n'y avait

2 que trois ou quatre départements pour ces études de troisième cycle. C'est

3 ce que j'entends par poste universitaire. J'ai participé à des cours.

4 Q. J'imagine que cela signifie que vous avez continué de vivre à

5 Pristina ?

6 R. Oui.

7 Q. Maintenant, je souhaiterais faire référence à la période consécutive à

8 1994 au cours de laquelle vous faisiez vos études de troisième cycle, pour

9 autant que vous la compreniez, ou comment viviez-vous, quelle expérience

10 avez-vous fait de la situation politique au cours de cette époque, donc à

11 partir de 1994 et les années ultérieures ?

12 R. A partir de 1994, des changements ont commencé à intervenir au Kosovo,

13 des changements qui étaient importants pour l'avenir du pays. Tout d'abord,

14 la majorité du Kosovo avait choisi un leadership politique qui défendrait

15 les intérêts du Kosovo. Les uns et les autres prirent leurs fonctions.

16 Puis un autre changement est intervenu au cours de cette période; je fais

17 référence à la constitution du Kosovo qui proclama le Kosovo comme étant un

18 pays, et cette constitution, je l'ai appris en tant qu'étudiant. J'ai

19 d'ailleurs eu un examen sur la constitution en 1990. La classe politique au

20 Kosovo avait organisé un référendum pour l'indépendance du Kosovo. La

21 majorité des Albanais et les autres nationalités, exception faite des

22 Serbes, participèrent à ce référendum. 99 % des citoyens déclarèrent qu'ils

23 étaient en faveur de l'indépendance du Kosovo. Je tiens à préciser ceci :

24 ce référendum fut tenu de façon clandestine ou illégale pourrait-on dire,

25 puisqu'il ne bénéficiait pas de l'aval des autorités.

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1 Suite à la proclamation des résultats du référendum, et c'est logique, la

2 classe politique du Kosovo disposait à présent d'un mandat visant à faire

3 de l'indépendance du Kosovo une réalité, l'étape suivante devant être

4 l'organisation d'élections. Les élections législatives avaient pour

5 objectif de conférer la classe politique une légitimité, qui lui serait

6 conférée par les citoyens du Kosovo.

7 La réponse des citoyens du Kosovo fut massive. La participation à ces

8 élections législatives fut massive, et vous imaginez quelles étaient les

9 circonstances dans lesquelles se tenaient et étaient organisées ces

10 élections.

11 Suite à ces élections, une équipe dirigeante fut élue, parlement,

12 président. C'était là la première étape qui devait conduire à la mise en

13 place d'institutions au Kosovo.

14 En tant que citoyen du Kosovo, j'ai participé à tous ces événements, et j'y

15 voyais là le moyen d'accomplir mon devoir à l'égard de mon pays. La

16 situation était alors plus stable. Nous avions alors nos propres

17 institutions. Nous avions des élus, élus par les citoyens du Kosovo; élus

18 qui devaient défendre nos intérêts --

19 L'INTERPRÈTE : L'interprète demande au témoin de bien vouloir ralentir son

20 débit.

21 M. MANSFIELD : [interprétation]

22 Q. Absolument. Je souhaite vous rappeler, comme je l'ai fait avant juste

23 avant la pause. Je sais qu'il est très difficile de le faire lorsque l'on

24 est en plein cours de réflexion, mais je vous demanderais de ralentir un

25 petit peu votre débit, de manière à ce que les interprètes puissent vous

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1 suivre.

2 Je vous demanderais, à nouveau, à propos de ces événements,

3 l'élection, les institutions. Je souhaiterais que vous nous disiez à quelle

4 date ont eu lieu les élections ?

5 R. Les élections libres étaient en mai 1992, et le référendum fut organisé

6 en septembre 1991.

7 Q. Qui est le dirigeant qui fut élu suite à ces élections de 1992 ?

8 R. On ne peut pas dire qu'il y avait une façon de vivre démocratique qui

9 existait à cette époque. L'équipe dirigeante qui émergea à cette époque

10 était connue de la population. Puis, il n'y avait pas d'alternatives; nous

11 n'avions pas besoin d'une solution de rechange à cette époque-là. Les

12 citoyens votèrent pour l'Alliance démocratique du Kosovo et son dirigeant,

13 Ibrahim Rugova.

14 Q. Ceci étant dit, dites-nous ce qui s'est passé au cours de son mandat,

15 au cours des années qui ont suivi 1992. Comment l'avez-vous vécu, ce

16 leadership ?

17 R. Suite à cela, une fois que la vague d'euphorie s'était tarie,

18 maintenant que le Kosovo avait son équipe dirigeante, la population

19 espérait que la question du Kosovo serait résolue très rapidement, et qu'il

20 y aurait une équipe dirigeante qui prendrait la défense des intérêts des

21 citoyens, avec la coopération des institutions, et que la fédération

22 réglerait tout cela. Nous avions espéré avoir l'assemblée du Kosovo qui

23 serait constituée; c'était tout à fait normal. C'est la raison pour

24 laquelle les élections avaient été organisées. Mais malheureusement, cela

25 n'a pas été le cas.

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1 Q. Toutes mes excuses. Je ne voulais pas vous manquer de respect, mais

2 vous savez, il est très difficile de vous suivre. Je vous demanderais,

3 encore une fois, de bien vouloir parler un peu plus lentement. Cela est

4 dans l'intérêt de tout le monde. Toutes mes excuses de vous avoir

5 interrompu.

6 Vous étiez en train de nous parler de l'assemblée du Kosovo, et vous nous

7 disiez que c'était un des espoirs et une des aspirations consécutives aux

8 élections. Pourriez-vous reprendre le fil de vos pensées et nous parler de

9 cet espoir ?

10 R. Tout d'abord, permettez-moi de vous présentez mes excuses. Désolé de

11 parler si vite. Je tâcherai d'être un peu plus prudent à présent.

12 Comme je vous le disais tout à l'heure, la classe politique au Kosovo avait

13 demandé à deux reprises à la population de lui conférer un mandat. Il

14 s'agissait du statut du Kosovo, une tâche à laquelle ils devaient

15 s'atteler, selon la volonté de la population. Deuxièmement, il s'agissait

16 qu'on leur confère un mandat leur permettant d'acquérir une vraie

17 légitimité en tant que dirigeants, et leur permettant de mettre en œuvre

18 les résultats du référendum.

19 Q. La question que je souhaitais vous poser est la suivante : à ce moment-

20 là, que vouliez-vous personnellement, qu'espériez-vous personnellement pour

21 le Kosovo ?

22 R. Nous souhaitions que les résultats soient mis en œuvre, et cela dans la

23 pratique. Nous souhaitions qu'un nouveau parlement soit construit. Nous

24 avions voté en faveur de cette construction. Nous souhaitions que la classe

25 politique puisse trouver des moyens qui permettraient de résoudre les

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1 problèmes du Kosovo, ainsi que les problèmes auxquels était confrontée la

2 population du Kosovo au quotidien, de manière à rétablir une véritable vie

3 institutionnelle politique au Kosovo.

4 Q. A cet égard - et je vais vous soumettre plusieurs options - vous

5 pourrez me dire si vous aviez à l'esprit à l'époque l'une de ces options :

6 est-ce que vous vouliez un Kosovo indépendant ou un Kosovo réuni avec un

7 autre pays, et le cas échéant, lequel ? Qu'aviez-vous à l'esprit ?

8 Qu'attendiez-vous ?

9 R. Je pense qu'à l'époque, la classe politique du Kosovo a proposé

10 plusieurs alternatives pour résoudre la question du Kosovo, après le

11 référendum sur l'indépendance. Je le sais, car j'ai lu des rapports qui ont

12 été publiés dans les médias. Il y avait trois possibilités pour résoudre la

13 question du Kosovo, et la question des Albanais au sein de la Yougoslavie

14 de l'époque.

15 Il y avait, comme je le disais, trois possibilités avant le référendum et

16 les élections, d'après ce dont je me souviens. Car à l'époque, la

17 Yougoslavie était encore unie. L'une des possibilités était l'indépendance

18 du Kosovo. La deuxième possibilité était d'avoir une sorte de république,

19 qui regrouperait la plupart des Albanais éparpillés dans les trois

20 différentes républiques de Yougoslavie de l'époque; c'est-à-dire d'avoir

21 une république dont la majorité de la population serait albanaise. La

22 troisième possibilité était la suivante : si le Kosovo était détruit, il

23 s'agissait de mettre en place une réunification, un regroupement avec

24 l'Albanie.

25 Voilà les trois possibilités, les trois solutions proposées par la

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1 classe politique au Kosovo à l'époque. Lorsque je parle de la classe

2 politique, je veux parler du fait qu'en 1990, un comité politique de

3 coordination a été créé, et comprenait tous les partis politiques existants

4 à l'époque au Kosovo, en Macédoine, au Monténégro, ainsi que les Albanais

5 d'autres régions. Ce comité ou ce conseil de coordination, d'après ce que

6 j'ai pu lire des rapports qui ont été publiés à ce sujet dans les médias,

7 avait pour mission de coordonner les activités politiques, et de regrouper

8 les Albanais du Kosovo à l'époque; je veux parler de l'année 1990. C'est M.

9 Rugova qui se trouvait à la tête de ce conseil de coordination.

10 Q. De ces différentes possibilités que vous avez évoquées, laquelle

11 avait votre préférence ou n'aviez-vous pas de préférence ?

12 R. J'ai un petit problème avec le microphone.

13 Q. Est-ce que vous m'entendez lorsque je vous pose des questions? Est-ce

14 que le son est bon ? Je peux répéter la dernière question si vous le

15 souhaitez. Laquelle de ces trois options préférez-vous ? Vous m'entendez,

16 très bien.

17 Pour enchaîner sur votre réponse, vous avez parlé de trois solutions

18 proposées à la population du Kosovo à l'époque. Est-ce que vous-même, vous

19 aviez une préférence pour l'une de ces trois options ?

20 R. Très franchement, je ne m'intéressais pas beaucoup à cela à l'époque.

21 Pour moi, il était important que le Kosovo dispose enfin de ses dirigeants

22 politiques, à mon sens, j'estimais qu'ils savaient mieux ce qu'il y avait à

23 faire.

24 Q. Nous savons qu'en 1996, vous aviez rejoint les rangs de l'UCK. Ce qu'il

25 est important de savoir, c'est ce qui s'est passé entre 1994 et 1996. Que

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1 s'est-il passé qui vous avez amené à faire cette démarche ?

2 R. Les développements que j'ai mentionnés plus tôt ont eu un impact direct

3 sur tous les habitants du Kosovo, y compris moi-même. En effet, entre 1990

4 et 1994, les dirigeants politiques étaient confiants, leurs engagements

5 n'étaient pas remis en cause. Certains développements survenus à l'époque

6 ont donné lieu à des conflits, à des divergences au sein de la classe

7 politique, notamment en 1993 et 1994. Pour la première fois, nous avons

8 commencé à entendre des voix émergentes au sein de l'opposition qui

9 critiquaient les dirigeants politiques.

10 Au sein de la Ligue démocratique, des divergences se sont faites

11 sentir. Un certain nombre de personnes qui avaient participé à la création

12 de ce mouvement ont commencé à s'en éloigner, car ils étaient mécontents.

13 L'une des raisons de ce mécontentement était que le parlement du Kosovo

14 n'avait pas rempli ses engagements, ce qui mécontentait beaucoup de

15 personnes. Ceci était dû au régime serbe disaient-ils. D'autre part, ces

16 dirigeants avaient demandé à deux millions de personnes de se rendre aux

17 urnes. Les gens avaient peur de voter sans que la Serbie ait donné son

18 aval. Ces dirigeants avaient demandé à la population de leur conférer un

19 mandat. C'est eux qui avaient pris le risque, personne ne les avait

20 contraints à cela. Il était difficile de comprendre pourquoi ce parlement

21 n'avait pas commencé son travail. La situation politique était bloquée. La

22 situation générale était de plus en plus difficile. Selon moi, tout cela

23 s'est terminé avec les élections libres de 1992.

24 Q. Une fois encore, je vous demanderais de bien vouloir ralentir

25 votre cadence. Respirez fort, et reprenez votre propos.

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1 Vous parliez des élections libres de 1992 et de la situation qui

2 était bloquée. Vous nous avez parlé de ce que ressentaient d'autres

3 personnes. Est-ce que vous-même, vous avez eu le sentiment que la situation

4 politique telle qu'elle s'est développée après les élections libres, et la

5 situation au sein du parlement étaient bloquées ?

6 R. Personnellement, j'étais impatient de voir la création de ce

7 parlement, et au départ, nous croyions les raisons qui étaient invoquées

8 pour la formation ou la non formation de ce parlement. Là, pour la première

9 fois, nous avons commencé à entendre ces voix de l'opposition qui

10 émergeaient. Les médias ont publié des rapports sur les raisons pour

11 lesquelles le parlement ne fonctionnait pas.

12 Personnellement, à l'époque, je n'avais pas d'opinion bien établie

13 sur la question. Je voyais la situation du point de vue d'un simple

14 citoyen.

15 Q. Nous allons parler à présent de l'année 1996. Est-ce bien l'année

16 au cours de laquelle vous avez rejoint les rangs de l'UCK ?

17 R. Oui.

18 Q. Pourquoi êtes-vous devenu membre de l'UCK en 1996 ?

19 R. Tous les évènements qui survenaient au Kosovo étaient liés. Un

20 évènement conduisait à un autre. La vie devenait de plus en plus difficile

21 pour tous. Les citoyens avaient connu une évolution de la vie politique

22 puis une stagnation. La vie était extrêmement difficile.

23 La classe politique du Kosovo ne faisait rien concrètement pour que

24 la vie des citoyens s'améliore. Les gens étaient livrés à eux-mêmes. Ceux

25 qui ne pouvaient pas se résoudre à une vie d'esclave ont émigré. Beaucoup

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1 de jeunes ont quitté le pays. D'autres sont restés sur place en espérant

2 que les choses s'amélioreraient. D'autres ont cherché des alternatives. Les

3 évènements survenus notamment après la signature des accords de Dayton et

4 les instructions qui nous étaient données par la communauté internationale

5 ne nous ont pas permis d'espérer que les choses s'amélioreraient rapidement

6 pour notre pays. Il y avait des rumeurs qui circulaient dans les cercles de

7 la diplomatie internationale selon lesquelles la situation au Kosovo était

8 calme et qu'il ne fallait pas rechercher trop rapidement une solution.

9 Certains disaient qu'à Dayton, il n'y avait que ceux qui avaient combattu,

10 et qu'au Kosovo la situation évoluait de façon favorable.

11 On considérait le Kosovo comme un pays où des violations des droits

12 de l'homme avaient lieu, rien de plus.

13 Q. Je vous interromps un instant afin que nous replacions les choses

14 dans leur contexte. L'accord de Dayton a été signé en décembre 1995. Est-ce

15 que des représentants du Kosovo étaient présents lors des pourparlers qui

16 ont abouti à la signature de cet accord, pour autant que vous vous en

17 souveniez ?

18 R. Non.

19 Q. Est-ce que cela préoccupait les gens du Kosovo, je veux parler du

20 fait que vous avez été exclus de ces pourparlers ?

21 R. Bien entendu. Il s'agissait d'un moment déterminant dans la

22 manière dont les gens pensaient au Kosovo. Dayton était un événement

23 important. Selon nous, il s'agissait d'une défaite, il s'agissait d'un

24 accord qui ignorait tout ce que nous avions fait jusque-là à propos de la

25 mise en place des institutions politiques dans notre pays. Ceci a été perçu

Page 5883

1 comme une nouvelle manipulation des dirigeants politiques. En réalité, les

2 gens avaient véritablement confiance en ces dirigeants politiques, ils ne

3 cherchaient pas autre chose. Ils croyaient tous ce que les dirigeants leur

4 disaient. Après cela, les gens ont commencé à se rendre compte que la

5 réalité est bien différente, et ont commencé à chercher d'autres

6 alternatives.

7 Q. Je souhaiterais vous poser quelques questions d'ordre pratique. Où

8 avez-vous rejoint les rangs de l'UCK ? Y avait-il une antenne à Pristina,

9 ou vous êtes-vous rendu au domicile de quelqu'un pour ce faire ?

10 R. Je connaissais des collègues, des étudiants dont j'avais fait la

11 connaissance dans les années 1990. Vers la fin de l'année 1992, j'ai

12 rencontré Rexhep Selimi. Il habitait dans l'appartement d'un ami de mes

13 parents, il est ensuite venu s'installer chez moi. Plus tard, si je ne

14 m'abuse, nous avons vécu deux années dans cet appartement ensemble, en août

15 1996, lors d'une conversation, nous avons parlé de l'évolution de la

16 situation, car à l'époque l'UCK a publié des communiqués et s'est révélé au

17 grand jour, bien entendu, nous faisions partie de cette portion de la

18 population qui ne savait pas ce qui était vrai et ce qui n'était pas vrai,

19 car nous n'avions pas suffisamment d'informations.

20 Dans le cadre de ces conversations, Rexhep Selimi m'a dit que l'UCK

21 existait en tant qu'organisation, que lui-même en était membre, et que si

22 je le souhaitais, je pouvais également rejoindre les rangs de l'UCK,

23 apporter mon aide. Je lui ai répondu qu'il pouvait compter sur mon aide,

24 c'est-à-dire que je pouvais fournir des logements ou autres notamment dans

25 ma ville natale.

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1 Voilà les premiers contacts que j'ai eus avec l'UCK. Je connaissais

2 Rexhep Selimi avant cela, mais je ne savais pas avant ce moment-là qu'il

3 était membre de l'UCK.

4 A partir de ce moment-là, j'ai considéré que je faisais partie de

5 l'UCK dès le mois d'août 1996.

6 Q. J'ai une série de questions à vous poser à ce sujet. Quand avez-vous

7 compris quels étaient les objectifs de l'UCK en août 1996 ?

8 R. L'objectif principal de l'UCK était de préparer une guerre de

9 libération au Kosovo afin de mettre en œuvre les souhaits de la population

10 et ce pourquoi ils avaient voté lors des élections, il s'agissait de faire

11 en sorte que les obligations constitutionnelles conférées au parlement

12 soient remplies.

13 Q. D'après ce que vous avez compris à l'époque, est-ce que la date de

14 lancement de cette guerre avait été fixée ?

15 R. Qu'entendez-vous par là ?

16 Q. Vous avez dit dans votre réponse que l'objectif était de préparer une

17 guerre de libération au Kosovo. Est-ce que quelqu'un savait quand ce

18 processus serait entamé, à savoir quand les gens prendraient les armes pour

19 cette guerre de libération ?

20 R. Non. A l'époque, aucune date précise n'a été mentionnée. Il s'agissait

21 d'un processus. D'un mouvement en vue de l'engagement. Il y avait déjà eu

22 une certaine évolution de la situation dans ce sens. L'UCK avait entrepris

23 des actions. Quand je parle des préparatifs en vue de cette guerre, je veux

24 parler de la mobilisation de la population, à l'époque, les circonstances

25 étaient différentes. A l'époque, je ne posais pas de questions à ce sujet

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1 car j'estimais que les institutions du Kosovo connaissaient bien ces

2 questions, et parce que je pensais que quelqu'un devait s'occuper de cela.

3 Comme tous les autres citoyens, mon obligation était de faire ce que

4 j'avais à faire en tant que citoyen du Kosovo.

5 Q. Vous avez déclaré que vous étiez prêt à porter votre aide. Vous avez

6 cité à titre d'exemple l'hébergement. En 1996, d'après vos souvenirs, avez-

7 vous fourni une aide pratique de ce type ?

8 R. A l'époque, sur la base de mes conversations avec Rexhe, je me souviens

9 qu'ils demandaient cela. J'ai appris qu'ils avaient besoin d'hébergement,

10 de logements, nous avons parlé de différentes personnes, de diverses

11 activités, de la propagande liée à la recherche de nouvelles alternatives,

12 sans parler de l'UCK. Concrètement, il est arrivé que Rexhep et un autre

13 ami restent avec moi à Banje. Je les ai hébergés. Je suis resté avec eux.

14 Je savais qu'il y avait un membre de l'UCK qui était installé dans mon

15 appartement. Voilà pour résumer mes activités de l'époque.

16 Q. Vous avez également déclaré que l'UCK avait entrepris certaines

17 actions, comme vous les avez appelées. Ces actions ont-elles été lancées en

18 1996, et le cas échéant, vous souvenez-vous de quel type d'actions il

19 s'agissait ?

20 R. Je crois que le communiqué venait d'être publié, dans ce communiqué, on

21 décrivait certaines actions, notamment, une attaque de guérilla menée par

22 l'UCK, à l'encontre de postes de police serbes à l'époque. On en parlait

23 dans les quotidiens à travers les communiqués publiés par l'UCK.

24 Q. Avez-vous personnellement aidé à ces actions de guérilla à partir du

25 mois d'août 1996 ?

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1 R. Non, je n'ai pas eu l'occasion de le faire à l'époque.

2 Q. Nous en arrivons au début de 1997; un événement très important est

3 survenu au mois de janvier 1997. Pourriez-vous nous décrire cela, je vous

4 prie.

5 R. Je souhaiterais dire qu'avant le mois de janvier, vers le mois de

6 septembre ou d'octobre 1996, si je ne m'abuse, Rexhep Selimi a commencé à

7 participer à des activités clandestines. Son identité a été découverte par

8 la police serbe. Il a été contraint de quitter Pristina.

9 En 1997, vers la fin du mois de janvier, les forces de sécurité

10 serbes ont lancé une campagne massive d'arrestations. Plus de 100 personnes

11 ont été arrêtées; trois personnes ont été tuées, et il s'agissait de

12 membres de l'UCK.

13 Mon nom figurait sur la liste des personnes persécutées.

14 Heureusement, je n'étais pas chez moi ce soir-là. Je me trouvais dans la

15 maison d'un ami. Lorsqu'un nombre important de soldats a encerclé mon

16 domicile, a mené une perquisition, ils me cherchaient. Comme je n'étais pas

17 chez moi, ils ont arrêté mes parents. Le lendemain, ils ont également

18 arrêté mon frère alors qu'il rentrait de Pristina, et revenait à Malisheve.

19 Q. De quel frère voulez-vous parler ?

20 R. J'ai eu de la chance de ne pas être arrêté à ce moment-là, car je

21 n'étais pas chez moi ce soir-là. Demir.

22 Q. Demir, c'est votre frère. Lequel de vos parents a été arrêté et placé

23 en détention ?

24 R. Mon père.

25 Q. Je souhaiterais que nous parlions de ces deux personnes, avant de

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1 poursuivre votre récit. Pendant combien de temps votre père a-t-il été

2 détenu ? Vous en souvenez-vous ?

3 R. Six mois environ.

4 Q. Pour autant que vous le sachiez, a-t-il subi des mauvais traitements au

5 cours de cette période d'emprisonnement de six mois ?

6 R. Oui. Il souffre toujours des conséquences de ces mauvais traitements.

7 Q. Pour autant que vous le sachiez encore une fois, avait-il fait quoi que

8 ce soit pour que son arrestation soit justifiée ?

9 R. Il n'avait absolument rien à voir avec quelque action que ce soit. Il a

10 simplement été arrêté car c'était mon père et que j'habitais chez lui.

11 Q. Parlons à présent de votre frère Demir. L'a-t-on accusé de quoi que ce

12 soit ? Les autorités serbes, ont-elles porté des accusations précises à son

13 encontre ?

14 R. On l'a accusé d'être membre de l'UCK. Il a été condamné à huit années

15 d'emprisonnement.

16 Q. Continuons à parler de Demir. Quand a-t-il a été libéré, après avoir

17 été condamné à huit ans d'emprisonnement ?

18 R. Demir a été libéré en 2001, après la guerre.

19 Q. Après la guerre donc. En ce qui le concerne, pour autant que vous le

20 sachiez, a-t-il fait l'objet de mauvais traitements de la part des

21 autorités serbes au cours de sa détention ?

22 R. Il est miraculeux qu'il ait échappé aux tortures pratiquées en 1997 et

23 1998, tortures infligées plus particulièrement à ceux qui étaient accusés

24 de participer aux activités reprochées à mon frère Demir. Je ne l'ai pas vu

25 personnellement, mais voilà comment les membres de ma famille m'ont décrit

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1 les choses.

2 Q. En ce qui concerne la date précise de l'arrestation et de la

3 perquisition, il s'agissait du 31 janvier 1997 précisément. Etes-vous en

4 mesure de nous dire s'il s'agit effectivement du jour au cours duquel tout

5 ceci s'est produit ?

6 R. C'est exact.

7 Q. Quand avez-vous eu vent des mauvais traitements infligés à Demir ?

8 Etait-ce après sa libération en 2001 ou plus tôt ?

9 R. C'était en 2000, lorsque ma mère a réussi à lui rendre visite à la

10 prison de Nis.

11 Q. Vous souvenez-vous des types de mauvais traitements dont vous a fait

12 récit votre mère ?

13 R. Ils ont utilisé des électrochocs sur lui, ils l'ont privé de

14 nourriture, ils l'ont frappé, et cetera. Ils l'ont affamé pendant

15 longtemps. Lorsque ma mère lui a rendu visite en l'an 2000, elle ne l'a pas

16 reconnu, lui, ni d'autres qu'elle connaissait; justement parce qu'ils

17 avaient été affamés, ils avaient perdu beaucoup de poids. Ce n'est que

18 lorsqu'il s'est mis debout et il l'a appelée qu'elle l'a reconnu.

19 Nous avons commencé à lui apporter de la nourriture du Kosovo en l'an 2000.

20 La description donnée par ma mère était identique à celle fournie par

21 d'autres mères qui ont rendu visite à leurs fils. Selon sa description, il

22 ne pesait pas plus de 30 kilos à l'époque, environ, alors que c'est un

23 homme bien charpenté d'ordinaire; en tout cas, avant qu'il ait été arrêté.

24 Demir a dit à ma mère qu'ils n'avaient pas mangé à leur faim et qu'ils

25 faisaient l'objet de tortures constantes de la part des autorités serbes.

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1 Demir est l'un des témoins oculaires du massacre de Dubrava, au cours

2 duquel plus de 260 prisonniers albanais ont été tués. A l'époque, nous ne

3 savions pas que ceci s'était produit. Nous ne l'avons appris qu'après la

4 guerre.

5 Q. Quand ce massacre a-t-il eu lieu ?

6 R. Le massacre a eu lieu au cours des mois d'avril ou mai 1999, au cours

7 des frappes aériennes, lorsque les Serbes ont tiré directement sur les

8 prisonniers, en tuant certains, en blessant d'autres, alors que d'autres

9 ont réussi à s'échapper, parmi lesquels mon frère.

10 Mais les gens n'en parlent pas; il y a 300-400 personnes qui ont assisté

11 directement à ce qui s'est passé, mais Demir n'aime pas trop en parler. En

12 tout cas, il ne l'a pas fait avec moi.

13 Après sa libération de prison, nous n'avons pas passé beaucoup de temps

14 ensemble, étant donné mon engagement politique. Nous nous voyions très

15 rarement, nous nous parlions très rarement comme le ferait deux frères.

16 Q. Je vous renvoie au 31 janvier 1997 lorsque cette chronologie

17 d'évènements a débuté. Vous n'étiez pas chez-vous lorsque le raid de la

18 police a eu lieu. Qu'avez-vous décidé de faire après cela ?

19 R. A l'époque, il aurait fallu être fou pour se rendre aux Serbes, sachant

20 ce qui vous y attendait. J'ai eu la chance d'être absent de chez-moi à ce

21 moment-là. Je me suis caché quelque part, et ensuite je suis allé chez des

22 familles que je connaissais bien, avec qui j'avais des liens familiaux, et

23 j'ai essayé de faire des démarches afin de fuir le Kosovo. C'était là le

24 seul moyen de ne pas tomber aux mains des Serbes.

25 Si vous me le permettez, j'aimerais vous fournir un détail. Ma mère a parlé

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1 de ce qui s'est passé au cours de la nuit du 31. La mère est venue au

2 village où je logeais cette nuit-là, et lorsque j'ai entendu que mon père

3 avait été arrêté, j'ai pensé me rendre, afin que les Serbes libèrent mon

4 père, mais ma mère ne me l'a pas permis. Elle a insisté pour que je ne me

5 livre pas, mais pour que je quitte le pays, et c'est ce que j'ai fait.

6 Après réflexion, je me suis dit qu'il valait mieux fuir plutôt que de me

7 rendre aux Serbes.

8 Q. Avant de quitter le Kosovo en quelque sorte, j'aimerais que vous nous

9 parliez de votre épouse. A cette époque vous aviez trois enfants, un né en

10 1990, un en 1993 et le troisième en 1995. Que pensiez-vous de leur

11 situation, étant donné ce qui était en train de vous arriver à vous ?

12 R. La situation n'était pas aisée bien sûr, mais on pouvait s'y attendre

13 de la part de la Serbie. Ceci n'arrivait pas seulement à ma famille.

14 Beaucoup d'autres gens ont souffert, des milliers d'autres gens, certains

15 ont été tués, donc tout ceci n'avait rien d'extraordinaire pour moi. Bien

16 entendu cela ne nous plaisait pas, mais c'était la réalité des choses. Nous

17 ne pouvions rien y faire.

18 Q. Vous avez dit que vous vous étiez caché auprès de familles que vous

19 connaissiez. Pouvez-vous indiquer -- je ne vous demande pas le nom de ces

20 familles -- mais pouvez-vous simplement indiquer l'endroit où elles se

21 trouvaient au Kosovo, les lieux dans lesquels vous vous êtes dissimulé ?

22 R. Je pourrais citer leurs noms, je ne pense pas que ceci pose de

23 problèmes. Dans le village de Carralluke, je suis resté là-bas avec mon

24 beau-frère, c'est là que ma mère m'a trouvé, ensuite, je suis allé chez

25 d'autres neveux, et là je suis entré en contact avec un de mes amis, qui a

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1 essayé de trouver un moyen de nous faire quitter le Kosovo.

2 Ensuite, je suis allé au village de Panorc, dans une famille. Mon oncle

3 avait une belle-sœur qui vivait aux côtés de cette famille, nous étions

4 bons amis. C'était un membre de ma famille avec lequel j'entretenais des

5 contacts permanents, je le connaissais très bien. Par conséquent, je ne

6 cessais d'aller d'un endroit à l'autre en me rapprochant de la frontière

7 avec l'Albanie. Après un moment, cet ami qui pouvait se déplacer librement

8 dans tout le territoire du Kosovo, a fait en sorte que je quitte l'Albanie.

9 Pendant tout ce temps-là, j'étais caché. A l'époque, même ma famille

10 ne savait pas où je me trouvais, parce que la police serbe visitait

11 quotidiennement ma famille, afin de savoir où je me trouvais. Ils ont

12 commencé à maltraiter des résidents vivant dans la région d'où je venais,

13 les plaçaient en détention, des membres de ma famille, ainsi que la

14 personne chez qui j'avais passé cette nuit à Carralluke. Ils l'ont amené,

15 Isak, ainsi que ses deux fils. C'est ce qu'ils faisaient à tous les gens

16 dont ils pensaient qu'ils conservaient des contacts avec moi, et qui

17 auraient pu savoir où je me trouvais. C'est pour cela que je ne cessais

18 d'aller d'un endroit à l'autre, sans dire à ma famille où je me trouvais.

19 C'est ainsi que j'ai réussi à leur échapper. Je dois remercier les familles

20 qui m'ont hébergées et qui m'ont accompagnées d'un lieu à l'autre.

21 Q. Vous avez dit dans votre réponse, en tout cas vous avez fait

22 référence à des neveux. L'un ou l'autre de ces neveux, ou des membres de

23 cette famille, se trouvaient-ils à Klecka ?

24 R. Oui, parce que j'ai dit que nous étions une grande famille. Tout

25 Klecka a à voir avec cette famille. C'est une famille au sein de laquelle

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1 j'ai six neveux; c'est une grande famille, une famille aisée, avec une

2 bonne réputation dans tout le pays. Je dirais que c'était mon bras droit,

3 pour tout, pour toute aide financière qui m'ait été apportée, ou pour tout

4 autre problème. Ces gens m'ont proposé de m'aider, au cours de mes études,

5 ils m'ont aidé financièrement afin que je finisse mes études, mais aussi ma

6 famille.

7 La première chose que j'ai faite c'est de me tourner vers cette

8 famille lorsque j'ai eu besoin d'aide. Ils vivaient dans un village de

9 montagnes éloigné, il est possible d'y résider sans attirer l'attention de

10 qui que ce soit. Par conséquent, j'étais sûr que je pourrais rester avec

11 eux tout le temps que je le souhaitais, et à partir de ce moment-là, je

12 pourrais envisager de faire autre chose.

13 Si vous me le permettez, Madame, Messieurs les Juges, j'aimerais

14 ajouter qu'à l'époque, il était très difficile d'héberger des gens comme

15 moi, parce que votre famille risquait d'en subir les conséquences. C'est en

16 tout cas ce à quoi vous pouviez vous attendre. Vous pouviez vous attendre à

17 être hébergé par des membres très proches de votre famille. Mais comme je

18 l'ai dit, cette famille était prête à défier le risque et le danger qu'elle

19 courait et à m'abriter. Je l'ai dit, certains membres de ma famille ont

20 souffert et ils ont été emprisonnés ou ils ont été maltraités.

21 Q. Vous avez dit vous rapprocher progressivement de la frontière

22 albanaise. Etes-vous passé, à un moment donné ou à un autre, en Albanie ?

23 R. Je ne sais pas si le village de Panorc se trouve sur la carte,

24 mais de ce village, je me suis rendu à pied et sans m'arrêter. En fait,

25 c'est un village qui se situe entre les municipalités de Malisheve et de

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1 Klina. J'ai marché sans m'arrêter avec un ami à moi jusqu'à la frontière

2 avec l'Albanie et jusqu'à l'Albanie en fait; jusqu'au village le plus

3 proche qui se situe en Albanie. Il nous a fallu environ 35 à 40 heures pour

4 faire ce trajet.

5 Q. Il y a une deuxième carte sur le tableau. Pourriez-vous, s'il vous

6 plaît, avec un crayon, nous indiquer, si vous le pouvez, le trajet que vous

7 avez suivi à pied pour traverser la frontière avec l'Albanie ? J'aimerais

8 que vous nous indiquiez, avec ce crayon, le trajet suivi.

9 R. Le village de Panorc, comme je l'ai déjà dit, est quelque part par là.

10 Nous avons utilisé des petites routes secondaires, alors il est un peu

11 difficile pour moi de les retrouver, mais voilà à peu près le trajet que

12 nous avons emprunté.

13 Q. Très bien. C'est une approximation.

14 M. MANSFIELD : [interprétation] Je pense que des exemplaires de cette carte

15 sont disponibles et vous seront remis, mais ce que j'ai l'intention de

16 faire c'est, qu'une fois que toutes les annotations y seront portées, de

17 présenter cette carte et d'en demander le versement au dossier.

18 Q. Lorsque vous avez traversé à pied cette frontière avec l'Albanie,

19 saviez-vous où vous vous rendiez ? Aviez-vous l'intention de rester en

20 Albanie ? Aviez-vous l'intention d'aller dans un autre pays ? Que

21 souhaitiez-vous faire ?

22 R. Pour vous dire la vérité, mon unique intention à ce moment-là, c'était

23 de quitter les lieux et d'échapper au danger serbe.

24 Q. Qu'avez-vous fait au début ?

25 R. Etant donné que Ragip Shala, mon ami, l'ami qui était avec moi,

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1 connaissait un certain nombre de personnes. Nous avions étudié ensemble à

2 Pristina. Il était déjà allé en Albanie dans le cadre de ses activités

3 professionnelles. Il avait quelques amis à Tirana, et ensemble, nous avons

4 logé dans un appartement. Nous avons contacté ses amis qui nous ont aidé à

5 trouver un logement. Voilà, nous attendions, c'est tout.

6 Q. Si vous me le permettez, qu'attendiez-vous ? Qu'espériez-vous voir se

7 produire ?

8 R. Nous attendions simplement des informations sur ce qui se passait au

9 Kosovo, sur ce qu'il advenait de nos familles. Puis, nous attendions

10 également les engagements -- en fait, pour vous dire la vérité, je pensais

11 même à l'époque poursuivre mes études de troisième cycle. Malheureusement,

12 après un séjour de 20 jours, voire d'un mois, sur place, l'Albanie a connu

13 une crise connue sous le nom des émeutes de mars. Par conséquent, nous

14 n'envisagions pas d'amélioration à court terme de la situation en Albanie

15 et nous n'y apercevions aucune perspective possible pour nous. Par

16 conséquent, nous sommes entrés en contact avec un certain nombre de

17 personnes qui se trouvaient sur place et nous avons décidé de quitter

18 l'Albanie pour la Suisse.

19 La situation en Albanie était chaotique étant donné les événements qui se

20 sont déroulés dans le cadre des émeutes du mois de mars.

21 Q. Pourquoi la Suisse ? Y avait-il une raison particulière motivant ce

22 choix ?

23 R. La seule raison était que c'était un pays dans lequel je m'étais rendu

24 plus tôt, en 1989, et j'y avais également de la famille. Certains de ces

25 neveux de Klecka y vivaient. Je pensais pouvoir compter sur leur aide pour

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1 subvenir à l'un quelconque de mes besoins. Voilà quelle était la principale

2 raison de mon choix.

3 Q. Vous êtes-vous rendu seul en Suisse ?

4 R. Non, dans un groupe de sept ou huit personnes, peut-être six; je ne

5 sais pas. Nous avons voyagé ensemble.

6 Q. Parmi ces six ou sept personnes qui sont allées en Suisse avec vous, en

7 avez-vous revu certaines, ou ont-elles disparu de la circulation ?

8 R. Parmi ces personnes, je ne connaissais que celle qui était avec moi. Il

9 s'agissait de gens qui fuyaient l'Albanie ou d'autres pays; des gens que je

10 ne connaissais pas. Je ne sais même pas quelle était leur destination. Je

11 ne savais pas où ils allaient.

12 Q. Où votre route s'est-elle arrêtée en Suisse ?

13 R. Je suis allé à Genève où j'ai demandé l'asile politique et ils nous ont

14 envoyés à Lausanne, c'est là que je me suis installé dans le canton de

15 Lausanne.

16 Q. Vous a-t-on accordé l'asile politique ?

17 R. Oui, après trois ou quatre mois.

18 Q. Y avait-il des individus avec vous dans ce canton de Lausanne qui

19 étaient des membres de votre famille ou alors s'agissaient-ils d'inconnus ?

20 En d'autres termes, à quel endroit, dans quel cadre viviez-vous ?

21 R. Les pouvoirs publics suisse nous ont proposés un logement. Ils ont

22 organisé l'hébergement des demandeurs d'asile politique. Je vivais dans

23 leurs locaux. L'un d'entre eux vivait à Lausanne, un autre à Fribourg ou

24 dans les environs avec mes neveux.

25 Q. Au cours de cette période, étiez-vous en contact avec votre épouse et

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1 avec vos enfants qui se trouvaient eux toujours au Kosovo ?

2 R. Pendant quelques trois ou quatre mois, voire plus, nous n'avons eu

3 aucun contact. Au terme de cette période, je les ai appelés au téléphone.

4 Q. Leur situation était-elle bonne à cette période-là, ou étaient-ils

5 confrontés à des difficultés ? Comment s'en sortaient-ils ?

6 R. Il y avait des problèmes, car aucun de ceux qui pouvaient subvenir au

7 besoin de la famille n'était à la maison. Mon frère était emprisonné, mon

8 petit frère Florim se trouvait à l'époque en Allemagne. Il y travaillait.

9 Mon oncle était quasiment paralysé. C'est ma mère qui tâchait de faire face

10 à la situation.

11 Le gouvernement serbe avait placé Demir en prison à Pristina et mon père se

12 trouvait dans la prison de Prizren afin qu'il soit impossible pour ma mère

13 de leur rendre visite à tous les deux, étant donné les heures de visite qui

14 étaient identiques dans les deux lieux. Par conséquent, il lui était

15 impossible de les voir tous les deux. La situation était très difficile

16 pour ma famille et pour d'autres familles du Kosovo. Nous n'étions pas les

17 seuls dans cette situation.

18 Q. Avez-vous réussi à trouver du travail en Suisse ?

19 R. A vrai dire je n'avais pas besoin de travailler parce que les membres

20 de ma famille ne voulaient pas que je travaille. Ils avaient une bonne

21 situation financière, cela faisait longtemps qu'ils travaillaient en

22 Suisse. De même qu'ils m'avaient aidé, qu'ils nous avaient aidé par le

23 passé, ils souhaitaient à nouveau le faire. Toutefois, j'étais déterminé,

24 je souhaitais trouver du travail car je voulais subvenir seul à mes besoins

25 ainsi qu'à ceux de ma famille. En conséquence, avec l'aide d'un certain

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1 nombre de mes amis, j'ai trouvé un emploi dans un hôtel en Suisse, dans un

2 lieu de touristique à Montreux, j'y étais assistant dans cet hôtel et ce

3 pendant trois ou quatre mois.

4 Suite à cela, j'ai eu quelques petits problèmes de santé. J'ai été

5 hospitalisé pendant une période assez brève. J'ai subi une petite

6 opération, donc j'ai arrêté de travailler parce que mon neveu insistait

7 pour que j'arrête.

8 L'INTERPRÈTE : Le microphone ne fonctionne pas.

9 M. MANSFIELD : [interprétation]

10 Q. Peut-être pourrions-nous faire une petite pause, entendez-vous la

11 question que je vous pose ?

12 R. Jusque-là, je vous entendais.

13 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Mansfield, je crois que le

14 moment est bien choisi pour faire une petite pause puisque nous avons

15 quelques petites difficultés qui pourront peut-être être réglées au cours

16 de cette pause.

17 Nous reprendrons à 18 heures 10.

18 --- L'audience est suspendue à 17 heures 31.

19 --- L'audience est reprise à 17 heures 54.

20 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, Maître Mansfield.

21 M. MANSFIELD : [interprétation] Puis-je m'assurer que le témoin m'entend

22 très bien ?

23 Q. Nous étions en Suisse. Vous avez parlé d'un certain nombre de choses.

24 Il y a évidemment des questions que je souhaiterais vous poser sur la

25 question suivante. Est-ce que vous avez maintenu le contact avec l'UCK

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1 alors que vous étiez en Suisse ?

2 R. Pourriez-vous répéter la question, s'il vous plaît ?

3 Q. Bien entendu. Nous sommes en Suisse. Je souhaiterais savoir si, à

4 l'époque où vous étiez en Suisse, vous avez maintenu le contact avec l'UCK

5 restée au Kosovo ou avec ses représentants ou des gens ayant des liens avec

6 l'UCK en Suisse ?

7 R. Après m'être installé en Suisse, j'ai cessé tout contact avec l'UCK ou

8 ses membres, tout simplement parce qu'il m'était impossible d'avoir des

9 contacts de cette nature en Suisse, parce que même s'il y avait des gens

10 comme moi, ils ne diraient pas comme moi. Je ne disais pas que j'avais des

11 contacts avec l'UCK, tout simplement parce que l'UCK était au Kosovo. Pour

12 les gens à l'extérieur de l'UCK, cela n'avait aucun intérêt de le dire.

13 Le seul contact ou le seul lien qu'il me restait avec l'UCK, il remonte au

14 milieu de l'été, si je ne m'abuse. C'était Rexhep Selimi qui m'a envoyé une

15 lettre, où il me saluait avec son frère. Mais il n'y avait rien d'autre

16 dans cette lettre que ses salutations et il me faisait part du plaisir

17 qu'il avait eu à entendre que j'étais parvenu à m'échapper des forces

18 serbes.

19 Maintenant, quant à savoir si j'ai eu d'autres contacts, bien, je peux vous

20 dire que j'étais en Suisse, et que la diaspora albanaise en Suisse, tout

21 comme d'autres pays, était organisée et axée sur différentes organisations

22 politiques. J'avais beaucoup de chance parce qu'à l'endroit où je résidais

23 à Lausanne, j'ai fini par faire la connaissance de certaines personnes dont

24 Bardhyl Mahmuti et Ramadan Avdiu et Adem Grabovci. Je cite ces trois

25 personnes nommément qui étaient d'anciens réfugiés politiques. Bardhyl et

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1 Ramadan poursuivaient leurs études de troisième cycle universitaire aux

2 universités de Lausanne et de Genève. Dans la mesure où nous étions très

3 proches, Bardhyl venait régulièrement me voir ou il m'invitait dans sa

4 famille, parce que lui, il était là avec sa famille. Ils étaient membres de

5 l'équipe dirigeante du Mouvement populaire du Kosovo pour la Suisse, et ils

6 apporteraient ouvertement leur appui à cette organisation qui était la

7 source de l'appui de l'UCK. Donc ils étaient engagés dans des activités

8 politiques visant à sensibiliser la diaspora à l'existence de l'UCK, et

9 visant à inviter l'UCK à apporter son concours à la formation de l'UCK.

10 J'ai également participé à certaines de leurs activités. A cette époque-là,

11 en Suisse, tout comme dans d'autres pays de l'ouest, certains meetings

12 informatifs, c'est ainsi que nous les appelions, avaient lieu et qui

13 avaient pour objectif d'informer sur l'UCK dans un premier temps. Puis,

14 dans un deuxième temps, nous avons commencé à recueillir des fonds, nous

15 disions la patrie vous appelle, c'était l'appel que nous lancions pour

16 cette collecte de fonds.

17 Petit à petit, nous sommes devenus de plus en plus actifs même si je

18 n'étais pas membre du Mouvement populaire du Kosovo. J'étais sympathisant

19 du mouvement, et j'éprouvais énormément de sympathie pour ces personnes qui

20 avaient consacré toute leur vie à la libération de la patrie. J'ai moi-même

21 entretenu des contacts avec les membres de la diaspora. Je me suis

22 rapproché d'un certain nombre d'entre eux, pour moi c'était très important,

23 parce que par le truchement de ces personnes-là il m'a été possible de

24 mieux connaître la vie de la diaspora, la façon dont on pensait la

25 diaspora, quelles étaient leurs activités. Ce sont des gens qui avaient

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1 quitté le Kosovo depuis de nombreuses années. Certains n'avaient aucun sens

2 de la réalité au Kosovo, ils n'étaient pas au courant des événements qui

3 avaient eu lieu au Kosovo.

4 Je tiens à signaler que certes que cela faisait plusieurs années qu'ils

5 avaient quitté le Kosovo, jamais ils n'avaient rompu entièrement le lien

6 avec leur pays. Ils maintenaient diverses formes de contacts, ils

7 contribuaient au mouvement pour le Kosovo. Ils apportaient leur concours à

8 leurs familles ainsi qu'aux activités politiques. J'éprouvais pour eux

9 énormément d'admiration. En Suisse, les possibilités de vivre une bonne vie

10 étaient nombreuses et variées, et certes, ils avaient cette possibilité-là,

11 mais malgré tout, dans leur vie de tous les jours qui était très simple et

12 très modeste, ils consacraient tout l'argent qu'ils pouvaient économiser à

13 la cause du Kosovo. Certains d'entre eux, comme je vous le disais, avaient

14 quitté le Kosovo bien des années auparavant, et c'était la première fois

15 que j'avais l'occasion d'en rencontrer certains, dont certains avaient été

16 des prisonniers politiques. Pour moi, c'était une expérience formidable.

17 Je tiens à souligner ceci, malgré le fait qu'ils étaient tous disposés à

18 faire des sacrifices pour leur pays, malgré le fait qu'ils témoignaient un

19 vif intérêt au Kosovo, il y en avait certains qui, comme je vous le disait,

20 avaient quitté le Kosovo depuis longtemps, et qui avaient quelques

21 difficultés à bien comprendre les réalités du Kosovo. Ils leur arrivaient

22 d'avoir des opinions divergentes à propos de ce qui se passait au Kosovo.

23 Lorsque je les rencontrais, Bardhyl Mahmuti et Ramadan Avdiu également

24 m'ont beaucoup aidé. Ces deux individus faisaient preuve d'une grande

25 ouverture d'esprit. Ils avaient quitté le Kosovo relativement tard et

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1 s'étaient intégrés dans la société suisse, et ils étaient mieux informés

2 des réalités du Kosovo que d'autres, et ensemble, nous avons envisagé de

3 faire quelque chose de bien pour le pays, nous souhaitions sensibiliser les

4 membres de la diaspora aux nouvelles circonstances survenues au Kosovo, aux

5 nouveaux rapports de forces établis au Kosovo, les sensibiliser au fait que

6 le Kosovo était en train de s'embarquer sur une nouvelle phase du

7 développement politique, des efforts politiques qui avaient échoué et leur

8 indiquer -- et là, on disait que c'était Milosevic qui était l'argument

9 principal; la guerre en Bosnie avait d'ores et déjà prouvé que Milosevic ne

10 céderait en aucun cas et ne donnerait jamais aux Albanais du Kosovo quelque

11 droit que ce soit. Milosevic n'accepterait jamais que le Kosovo fasse

12 sécession.

13 A partir de 1995, là, je vous livre mon opinion, les Albanais avaient suivi

14 ce slogan : "Faites ce que vous pouvez faire seul," mais personne n'avait

15 jamais déployé d'efforts dignes de ce nom en faveur de leur pays --

16 n'avaient jamais rien fait digne de ce nom pour changer le pays, donc à

17 partir de ce moment-là, j'ai poursuivi mes activités en Suisse, j'ai

18 participé à des meetings politiques, j'ai participé à des récoltes de

19 fonds, comme je vous le disais tout à l'heure.

20 Je tiens à dire ceci également à aucun des meetings il n'y eut, en tout

21 cas, pour autant que je le sache, jamais il n'y eut personne qui ait été

22 membre de l'UCK, parce qu'il n'y avait pas d'UCK en Suisse. Les membres de

23 l'UCK n'étaient qu'au Kosovo. J'ai poursuivi ces activités jusqu'à mon

24 retour au Kosovo.

25 Q. J'aimerais que nous passions à cela, votre retour, nous savons que vous

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1 êtes revenu au printemps 1998. La première question que je souhaite vous

2 poser est la suivante : pourquoi avez-vous décidé de retourner au pays ?

3 R. Les raisons sont multiples, une de ces raisons est que j'avais

4 délibérément décidé d'apporter mon concours à cette initiative. J'étais

5 moi-même persuadé que c'était-là une tentative organisée, et j'estimais que

6 c'était mon devoir moral de rejoindre les rangs de l'UCK. Personne ne m'y a

7 contraint. La raison pour laquelle j'ai peut-être précipité mon retour au

8 pays, ce sont les évènements qui sont survenus au mois de mars. S'il n'y

9 avait pas eu les évènements du mois de mars, je serais sans doute rentré au

10 pays à la première occasion, pour poursuivre mes activités. Mais le fait

11 qui a motivé la rapidité de ma décision, ce sont précisément les massacres

12 de Likoshan au mois de mars.

13 Q. Est-ce que ces massacres, c'est quelque chose dont vous avez eu écho en

14 regardant la télévision, en lisant les journaux ? Est-ce que des amis vous

15 en ont parlé ensuite ? Comment en avez-vous entendu parlé ?

16 R. J'en ai entendu parler pour la première fois dans les médias. C'est une

17 tragédie qu'on ne pouvait difficilement passer sous silence. Les émissions

18 de radio étrangères, qui était notamment la seule fenêtre dont nous

19 disposions, une fenêtre de communication avec le Kosovo; je pense aux

20 services de la BBC en Albanie, le radio ainsi que la Deutsche Welle en

21 Albanie, la télévision albanaise également nous fournissaient des

22 informations sur ce qui se passait. Il y avait un bulletin d'information

23 quotidien pour le Kosovo, transmis par la télévision albanaise, et c'était-

24 là les sources d'information. C'est ainsi que nous pouvions nous informer,

25 quant à ce qui se passait sur place.

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1 Mais il y avait également des communications par voie téléphonique. Nous

2 avions maintenu les liens avec les membres de nos familles; les nouvelles

3 se répandaient comme une traînée de poudre. Comme je vous le disais, BBC,

4 CNN, les plus grandes chaînes de télévision internationale avaient parlé de

5 ces événements.

6 Q. Est-ce que vous avez décidé de rentrer au pays seul ou avec un groupe ?

7 R. La décision de rentrer, je l'ai prise seul. J'ai contacté Adem

8 Grabovci, qui était un militant du front Appel à la Mère Patrie ou la cause

9 Mère Patrie. Je savais qu'il allait souvent en Albanie. A l'époque, je ne

10 pouvais pas quitter la Suisse, ce n'était pas possible. Mais je savais que

11 c'était quelqu'un qui avait des liens, des contacts qui allaient pouvoir me

12 permettre de retourner par l'Albanie au Kosovo; j'ai appelé quelqu'un pour

13 qu'il trouve en Albanie quelqu'un qui me permettrait de passer au Kosovo,

14 et il m'a dit qu'il y a d'autres personnes qui souhaitaient retourner au

15 Kosovo. Donc, j'ai décidé de retourner en Albanie.

16 Il y a deux autres personnes qui nous ont toujours aidé, Ismet Jashari,

17 alias Kumanova, un membre de ma famille et un ami avec lequel j'avais été à

18 l'école pendant un certain temps. Son nom est Haxhi Shala. Pour être tout à

19 fait franc, ces gens-là savaient très bien que je rentrais au Kosovo. Ils

20 ne savaient pas, en tout cas pas de ma bouche, que j'étais membre de l'UCK.

21 Personne en Suisse ne le savait. J'avais un peu honte d'admettre que

22 j'étais un membre de l'UCK au Kosovo, parce que pour eux, il était évident

23 que c'était au Kosovo que je devais être. Donc, je leur ai dit que j'allais

24 en Albanie, que j'avais des choses à faire là-bas. Peut-être qu'ils ont

25 perçu quelque chose, et ils ont demandé s'ils pouvaient venir avec moi en

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1 Albanie. J'ai essayé de les en dissuader, mais c'était impossible. Ils

2 insistaient lourdement pour pouvoir m'accompagner, et ils m'ont accompagné.

3 Ensuite, je me suis dit qu'une fois en Albanie, je trouverais bien un moyen

4 de retourner au Kosovo.

5 A mes neveux chez qui j'habitais en Suisse, je leur ai dit que j'allais à

6 Londres, parce que j'avais quelque chose à y faire, qui avait trait au

7 fonds, et que je serais absent pendant quelques jours. Il fallait que je

8 sois bien sûr qu'ils ne sachent pas où j'allais, parce que c'était tout

9 simplement dangereux, car le bruit risquait de courir que j'étais sur le

10 point de revenir avant même que nous arrivions au Kosovo. Donc, il fallait

11 que nous fassions preuve de beaucoup de vigilance, pour protéger nos

12 familles, et voilà ce que j'ai fait avec ces deux personnes que j'ai

13 mentionnées.

14 Q. Au Kosovo, y avait-il quelque personne que ce soit qui savait que vous

15 retourniez au Kosovo ?

16 R. Non. Absolument pas, personne. Cela aurait été inconcevable.

17 Q. Je souhaite que vous nous parlions de l'Albanie. Vous avez pris un vol

18 vers Tirana; est-ce exact ?

19 R. Oui. De l'aéroport de Zurich, j'ai pris un vol pour Tirana. L'avion

20 était plein d'Albanais, dont certains dont j'ai fait la connaissance plus

21 tard, d'autres personnes qui souhaitaient aller au Kosovo. J'en ai

22 rencontré certains au moment où nous nous sommes approchés de la frontière.

23 C'est comme cela qu'on est allé à Tirana en Albanie.

24 Q. Une fois arrivé à Tirana, qui est sur la deuxième carte en bas à

25 gauche, juste au bord de la carte, donc le coin sud-ouest, comment vous

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1 êtes-vous rendu jusqu'à la frontière ?

2 R. Je tiens à vous dire qu'Adem Grabovci est venu me chercher à l'aéroport

3 avec les autres types. Il était allé en Albanie deux jours avant moi. A

4 partir de l'aéroport de Rinas, nous sommes allés à Tirana, où nous sommes

5 restés pendant une nuit; Adem avait loué un appartement.

6 Je ne sais pas si cela vous intéresse Monsieur le Président, Madame,

7 Messieurs les Juges, mais lorsque nous sommes arrivés à Tirana, les choses

8 étaient plus ou moins claires, la raison pour laquelle je me rendais en

9 Albanie. Haxhiu et Ismet Jashari, dont les familles ne savaient pas qu'ils

10 étaient en train de rentrer, donc leurs femmes et leurs enfants ne savaient

11 pas où ils allaient, tout ce qu'elles savaient, c'était qu'ils allaient en

12 Albanie, qu'ils allaient y passer quatre ou cinq jours. Après, j'ai bien

13 été obligé de leur dire que j'allais au Kosovo, et que vous pouvez rester

14 en Albanie pendant quatre ou cinq jours si vous le souhaitez, puis après,

15 quand vous retournerez en Suisse, ne dites à personne que nous sommes venus

16 au Kosovo. Dites-leur simplement que nous sommes restés en Albanie, et qu'à

17 partir de l'Albanie, nous irons vers un pays de l'ouest. Mais Ismet et

18 Haxhiu ont insisté parce qu'ils savaient dès le départ que je n'allais pas

19 rester en Albanie, et eux aussi, ils étaient déterminés; ils allaient

20 m'accompagner au Kosovo coûte que coûte. Malgré le fait que j'ai insisté

21 auprès d'eux, pour qu'ils rentrent en Suisse, pour qu'ils retournent vers

22 leur famille, en tout cas pendant une période, et qu'ils attendent et

23 voient ce qui se passe, parce qu'en fait ils ne savaient pas ce qui se

24 passait au Kosovo à l'époque. Personnellement, je ne savais pas où j'allais

25 aller, où j'allais loger, ce qui allait se passer après. Je ne voulais pas

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1 prendre ces deux gars avec moi.

2 On ne savait pas où on allait. On allait vers une destination

3 inconnue, vers un destin inconnu. Donc, je n'avais pas le sentiment qu'ils

4 étaient prêts à faire face à des situations complètement inattendues. Parce

5 que c'est peut-être facile de juger d'une situation vue de l'extérieur,

6 mais une fois qu'on est sur place, les choses peuvent être très

7 différentes. Ces deux gars étaient vraiment très déterminés; ils voulaient

8 absolument venir avec moi coûte que coûte, et c'est ce que l'on a fait.

9 Le lendemain, Adem nous a dit de partir à 8 heures. Nous avons pris un bus

10 ou une fourgonnette, un kombi bus. Nous nous sommes dirigés vers la

11 frontière. Il nous a dit qu'à la frontière, il y aurait des gens qui nous

12 attendraient pour nous accompagner, qu'il y aurait des militants du fonds

13 "Appel de la patrie", qui eux aussi nous aideraient à aller au Kosovo; on

14 formait un petit groupe, et il nous a dit qu'ensemble on rentrerait au

15 Kosovo.

16 On est parti le lendemain. On est monté à bord du bus et on est parti vers

17 Fokukus [phon] depuis Tirana.

18 Q. Sur cette deuxième carte au tableau, à laquelle je faisais référence

19 tout à l'heure, pourriez-vous désigner, au moyen d'un autre feutre que

20 celui que vous déjà utilisé, de manière à ce qu'on puisse distinguer

21 l'itinéraire aller de l'itinéraire retour. Pourriez-vous, au moyen de ce

22 feutre, utiliser une couleur que vous n'avez pas utilisée encore, et

23 indiquer quel est le point, sur la frontière entre l'Albanie et le Kosovo,

24 où vous avez passé la frontière.

25 R. [Le témoin s'exécute]

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1 Q. De quelle couleur est le feutre que vous utilisez ? Noir?

2 Ce que je voulais vous demander, c'est la chose suivante : l'endroit où

3 vous avez franchi la frontière, est-ce que c'était un poste de passage ou

4 de franchissement de frontière, ou est-ce que c'était une espèce de petit

5 chemin ?

6 R. C'était un petit chemin, je dirais, un petit sentier utilisé par les

7 bergers, essentiellement.

8 Q. Est-ce que vous l'avez franchi à pied ou à bord d'un véhicule ?

9 R. A partir de l'endroit d'où nous sommes partis, et jusqu'au lieu de

10 destination, nous nous sommes déplacés à pied.

11 Q. Vous dites "nous". Qui entendez-vous par là ? Qui vous accompagnait au

12 moment où vous avez franchi la frontière ?

13 R. Lorsque nous sommes arrivés à Krume, et là nous avons eu recours à

14 différentes routes, nous étions au nombre d'une dizaine à peu près dans la

15 camionnette, et d'autres sont venus nous rejoindre en route. A l'endroit où

16 nous nous sommes arrêtés, nous étions déjà une trentaine. Nous avons passé

17 la nuit sur place, puis le lendemain également, toute la journée. Dans la

18 soirée, nous sommes repartis. A ce moment-là, bien entendu, je ne

19 connaissais pas les noms des personnes qui étaient avec moi, mais j'ai fini

20 par apprendre leurs noms plus tard.

21 Q. Qui étaient-ils ?

22 R. Je ne me souviens peut-être pas de tous leurs noms aujourd'hui, mais je

23 ferai de mon mieux pour les mentionner tous. Je commencerai par Fehmi

24 Lladrovci. Je ne le connaissais pas auparavant. C'était la première fois

25 que je le voyais. Il y avait également sa femme, Xhevat. Je ne la

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1 connaissais pas auparavant non plus. Puis, Bekim Berisha, que je ne

2 connaissais pas auparavant non plus. Il y a quelqu'un dont je ne

3 connaissais pas le nom, mais son surnom était CD. Je sais qu'il venait de

4 la région de Llap. Ces deux personnes venaient de Croatie. Il y avait Sami

5 Lushtaku également. Je ne le connaissais pas auparavant non plus. Sahit

6 Jashari était présent aussi. Je le connaissais auparavant. Je l'avais

7 rencontré une fois au Kosovo en 1996, dans sa maison. Il y avait les deux

8 frères Geci. Je ne me souviens pas de leurs prénoms. L'un de leurs neveux

9 était là lui aussi. Il y avait moi-même, Ismet Jashari, Haxhi Shala, Xhema

10 et Xhem Gashi. Je ne le connaissais pas auparavant. Shukri Buja était là

11 lui aussi. Je le connaissais auparavant. Je l'avais rencontré en Suisse. Je

12 l'avais rencontré une ou deux fois lors de rassemblements. Il travaillait

13 comme journaliste. Je l'ai rencontré à l'occasion d'un rassemblement qui

14 s'est tenu à Zurich.

15 Hashim Thaqi, le président du Parti démocratique, était là aussi, ainsi

16 qu'une personne dont je ne connaissais pas le nom à l'époque, mais que

17 j'avais vue en Suisse. Je l'avais rencontré une ou deux fois là-bas. Son

18 surnom était Luan. Puis, il y avait Kadri Veseli. Je ne le connaissais pas

19 auparavant. Il y avait quelques jeunes hommes de la région de Dukagjini,

20 mais Je ne me souviens ni de leurs noms, ni de leurs surnoms. Voilà les

21 personnes que j'ai vues à cette occasion.

22 Je souhaiterais ajouter, si vous me le permettez, que Bekim Berisha, connu

23 sous le surnom d'Abeja à l'époque, lorsque nous sommes allés à l'endroit où

24 nous avons passé la nuit, il m'a donné l'impression d'être un officier de

25 l'armée, car il avait participé à la guerre en Croatie, en compagnie de la

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1 personne portant le surnom CD. Ils avaient tous les deux une certaine

2 expérience militaire. Je sais que certaines armes sont arrivées ce soir-là;

3 un fusil automatique notamment. Nous avons commencé à nettoyer les armes,

4 et il a appris à certains comment se servir de ce fusil, car 70 ou 80 % des

5 personnes présentes ne savaient même pas comment démonter une arme.

6 C'étaient des hommes jeunes. Ils n'avaient pas effectué leur service

7 militaire.

8 Nous avons parlé de la manière dont nous allions voyager, de ce que

9 nous allions faire, et ils ont dit que si quelqu'un n'était pas prêt à

10 faire face à ce voyage, il devait rentrer aussitôt.

11 En somme, voilà de quoi nous avons parlé ce soir-là. Le lendemain,

12 dans la soirée, nous avons pris la route. Je dois dire que, pendant toute

13 cette période, nous sommes restés chez une famille qui possédait une maison

14 à la frontière située entre l'Albanie et le Kosovo. La famille avait

15 abandonné cette maison, et l'un de leurs amis avait loué celle-ci.

16 Vers 8 ou 9 heures du soir, nous avons tous pris un sac à dos de type

17 militaire qui pesait entre 25 et 30 kilos et dans lequel se trouvaient des

18 munitions, des grenades, et nous sommes partis dans la direction de la

19 frontière.

20 Comme je l'ai dit, à la tête de la colonne se trouvaient les

21 personnes les plus chevronnées, Abeja ou Bekim, ainsi que CD. Pour ce qui

22 est du voyage, il y avait deux personnes originaires d'Albanie et quelqu'un

23 originaire du Kosovo qui avaient l'habitude d'attendre et d'accompagner des

24 gens à la frontière. C'est ainsi que nous sommes partis.

25 Q. Est-ce que quelqu'un était responsable de votre groupe ?

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1 R. Comme je l'ai déjà dit, du point de vue militaire, si je puis

2 m'exprimer ainsi, compte tenu de la manière dont ils communiquaient avec

3 nous en tant que groupe, on pouvait en déduire que Bekim et Fehmi Lladrovci

4 étaient ceux qui avaient le plus d'expérience en la matière. Pour ce qui

5 est de nos chefs, il y avait Hashim et Kadri.

6 Voilà les chefs de notre groupe, en quelque sorte.

7 Q. Lorsque vous avez franchi la frontière, est-ce que vous saviez où vous

8 vous rendiez au Kosovo ?

9 R. A ce moment-là, il était question de se rendre dans la région de

10 Drenica. Nous ne savions pas exactement où nous devions aller, à

11 l'exception de Hashim et peut-être Fehmi aussi. Je pense que personne

12 d'autre ne savait où nous allions, mais nous savions tous que nous nous

13 dirigions vers Drenica. Nous ne connaissions pas toutefois le village

14 précis où nous devions aller.

15 Q. Qui avait pris la décision de se rendre à Drenica ?

16 R. A l'époque, il était clair qu'on ne pouvait pas aller ailleurs qu'à

17 Drenica. C'est là que les combats avaient lieu. C'était le seul endroit où

18 pouvait se trouver une base de l'UCK et un endroit où pouvaient être

19 affectés les soldats de l'UCK.

20 Lorsque je parle de Drenica, je ne veux pas parler de la région au sens

21 large. Je veux parler de villages situés dans le secteur de Prekaz et où

22 des combats avaient lieu à ce moment-là. Donc, nous savions tous que nous

23 allions vers Drenica.

24 Q. Excusez-moi d'insister. Mais il est peut-être important de savoir si

25 quelqu'un parmi vous, même si vous saviez tous où vous vous rendiez, si

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1 quelqu'un parmi vous savait ou a décidé de l'endroit précis où vous alliez.

2 Est-ce que cette question a été débattue entre vous et que vous en avez

3 conclu que c'était la seule destination possible ? Comment tout cela s'est

4 passé ?

5 R. Aucune décision particulière n'a été prise. Les gens se rendaient là-

6 bas pour rejoindre les rangs de l'UCK. Le seul endroit où vous pouviez vous

7 rendre et où vous pouviez rejoindre les rangs de l'UCK, c'était Drenica.

8 Ceux qui voulaient devenir membres de l'UCK allaient à Drenica.

9 Comme je l'ai déjà dit, les personnes qui nous dirigeaient pendant ce

10 voyage se rendaient là-bas, et ils savaient mieux quelle était la

11 situation, car ils disposaient d'informations provenant de sources bien

12 renseignées sur l'endroit où il convenait d'aller. Nous n'avions pas

13 d'informations précises nous-mêmes sur ce qui se passait au Kosovo. Nous ne

14 savions pas où les forces serbes étaient positionnées. Nous ne savions pas

15 non plus où les membres de l'UCK étaient postés. Nous ne savions pas

16 comment se déroulerait le trajet pour aller jusque là-bas. Ces personnes-là

17 savaient exactement où aller à Drenica.

18 Il y en avait d'autres également qui n'allaient pas jusqu'à Drenica,

19 mais qui s'arrêtaient à d'autres endroits. Certains se sont arrêtés sur

20 leur lieu de naissance, certains qui avaient été persécutés par le passé se

21 sont arrêtés chez eux.

22 Il est peut-être bon, à ce stade, d'établir une distinction qui me

23 vient à l'esprit. D'une certaine manière, les forces serbes étaient à notre

24 recherche. Pour nous, la seule destination possible était Drenica. Pour

25 d'autres personnes, en revanche, ceux que les Serbes ne connaissaient pas

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1 pouvaient s'arrêter dans leurs villes natales et rendre visite à leurs

2 familles.

3 La majorité d'entre nous est allée à Likovc.

4 Q. Vous nous avez indiqué l'endroit où vous avez franchi la frontière.

5 Pourriez-vous, je vous prie, à l'aide du même feutre que vous venez

6 d'utiliser, indiquer sur cette deuxième carte le trajet que vous avez

7 emprunté pour vous rendre à Likovc.

8 R. Voilà, grosso modo, le trajet que j'ai emprunté.

9 Q. Je me demande si ceci apparaît à l'écran.

10 Je vous remercie. Vous avez indiqué ce trajet. Combien de temps vous

11 a-t-il fallu pour parcourir cette distance ?

12 R. Environ 75 heures. Je souhaiterais dire que ce trajet s'est fait

13 pendant la nuit uniquement. A l'aube, nous essayions de trouver un abri

14 dans les montagnes et nous y trouvions refuge jusqu'au soir, et le soir,

15 nous poursuivions notre trajet à pied. Voilà comment les choses se sont

16 passées. Pendant la journée, on se cachait, et pendant la nuit, on

17 marchait. Le terrain était difficile. Nous étions au mois de mars, et les

18 montagnes qui séparent le Kosovo de l'Albanie sont difficiles à franchir,

19 plus particulièrement en hiver. Il y avait environ un mètre et demi de

20 neige sur ces montagnes, si bien qu'il nous était très difficile d'avancer

21 sur ce terrain. Nous avons rencontré des problèmes au Kosovo, car il nous

22 fallait emprunter des petites routes secondaires, des sentiers, pour que

23 personne ne nous voie. Nous avons dû traverser des rivières, comme Drini

24 Ibar, à pied. Nous étions ensuite trempés, et il nous fallait attendre de

25 sécher. Le trajet était très, très difficile.

Page 5913

1 Il nous a fallu environ 75 heures pour arriver à Likovc.

2 Q. Est-ce que quelqu'un vous guidait pendant ce trajet ?

3 R. Oui. A tout moment, il y avait quelqu'un qui nous servait de guide.

4 Dans de telles circonstances, il est impossible d'avancer sans quelqu'un

5 qui connaisse le terrain. Il y avait deux personnes qui avaient déjà

6 emprunté ce trajet parmi nous et qui connaissaient le terrain.

7 Q. Combien de personnes restait-il au sein de votre groupe lorsque vous

8 êtes arrivés à Likovc ?

9 R. Pour être tout à fait franc avec vous, je ne me suis pas vraiment

10 intéressé à cela. Je pense que nous étions 24 ou 25 à arriver à Likovc.

11 Q. Arrivés à Likovc, où êtes-vous allés ?

12 R. Nous sommes arrivés vers 3 heures du matin. Nous nous sommes séparés.

13 Nous avons rencontré Musa Jashari et Rexhep Selimi à Likovc. Musa était

14 sorti attendre son frère Zahid. Après la tragédie survenue à Prekaz, leur

15 famille avait subi des pertes. Leur père et mère avaient été tués ainsi que

16 d'autres membres de leur famille. Il était donc sorti attendre son frère

17 qui était parti du Kosovo il y a longtemps.

18 Je sais que Musa nous a emmenés dans une maison où il habitait après avoir

19 quitté Prekaz. C'est là que nous avons passé la nuit, là où Musa habitait

20 en compagnie de certains membres de sa famille. Certains villageois leur

21 avaient cédé une partie de leur maison après les événements de Prekaz.

22 C'est là que nous avons passé la nuit.

23 Q. Vous personnellement, portiez-vous des armes ou des munitions ?

24 R. Oui. Comme tous les autres, j'avais un fusil automatique de marque

25 yougoslave, et j'avais un cabas militaire plein de munitions de différents

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1 types qui devait peser entre 20 et 25 kilos.

2 Q. Combien de temps êtes-vous restés à Likovc ?

3 R. Je pense que nous y sommes restés environ sept à dix jours.

4 Q. Au cours de cette période, avez-vous découvert si l'UCK en tant

5 qu'organisation avait établi un ensemble de postes ou une structure ?

6 Qu'avez-vous découvert sur l'UCK lorsque vous êtes arrivés pour la première

7 fois sur place ?

8 R. Lorsque nous sommes arrivés à Likovc, nous avons souhaité, dès le

9 lendemain, voir quelle était la situation qui régnait sur place. Nous

10 souhaitions faire face à la réalité du moment. Nous étions très impatients

11 à la perspective de rencontrer des membres de l'UCK et les gens qui

12 vivaient sur place. Nous avions cette opinion tout occidentale; notre

13 imagination était différente de la réalité.

14 Nous avons rencontré des gens qui ne portaient même pas d'uniformes.

15 Certains portaient un fusil, d'autres pas. Nous éprouvions pour eux de la

16 sympathie; l'inverse était également vrai, et à leur sympathie s'ajoutait

17 de l'espoir. Il était évident que la réalité n'avait rien à voir avec ce

18 que nous avions imaginé. Après les événements de Prekaz, la situation était

19 devenue très difficile, et pour ceux qui étaient optimistes, qui

20 éprouvaient encore de l'espoir face aux événements du Kosovo, pour ceux-là,

21 ce qu'ils ont vu à Likovc était très décevant. Ce n'était pas ce à quoi

22 nous nous attendions. La situation n'avait rien à voir avec ce que nous

23 avions imaginé avant d'arriver.

24 Q. Quelle était la situation à laquelle vous vous êtes retrouvés

25 confronter dès ce premier jour ?

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1 R. Dans un petit village de Drenica, à Likovc, vous aviez 15, 20 personnes

2 armées au sein du village, des gens qui subissaient encore les

3 conséquences, les affres des combats récents de Prekaz. Ils ne parlaient

4 que de la tragédie, que des conséquences de cette tragédie. Les gens

5 avaient très peur. La situation était très tendue dans le village. Les gens

6 s'attendaient à des représailles de la part des Serbes et ils n'étaient pas

7 en mesure de défendre leur village. Le nombre de membres de l'UCK était

8 extrêmement réduit.

9 Je suis allé à un poste qui avait été établi pour protéger le village. Je

10 me souviens d'y avoir vu une vingtaine de personnes. Je me souviens d'un

11 nom qui a été prononcé, je crois que c'est un héro maintenant. Si je ne me

12 trompe pas, c'était lui. Il avait un fusil de chasse, deux fusils

13 automatiques, ainsi que quelques autres fusils. Il y avait près de 16

14 personnes qui portaient des insignes de l'UCK. La situation était

15 véritablement très grave. Nous n'avons pas vu plus de 15 à 16 personnes là-

16 bas.

17 Nous nous sommes rendus dans diverses maisons dans le village afin de nous

18 y reposer. Le lendemain, nous avons commencé à parler avec les villageois.

19 On voyait bien que leur seul espoir, ils le plaçaient en nous. Par

20 conséquent, la réalité à laquelle nous nous sommes retrouvés confronter

21 était très triste.

22 Peut-être ai-je tort, mais je ne pense pas avoir vu plus de 200 soldats en

23 tout et pour tout dans ces différentes régions. Là, je fais référence à

24 toute la région, même à l'extérieur de Drenica. La situation était

25 véritablement critique.

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1 Des combats avaient lieu dans un certain nombre de villages près de Prekaz.

2 Les gens n'avaient pas d'armes et ils manquaient de munitions. La Serbie

3 avait porté un coup très grave après le meurtre du commandant légendaire,

4 et les conséquences étaient totalement évidentes.

5 Q. Etant donné la situation, qu'avez-vous décidé de faire ? Que pensiez-

6 vous pouvoir faire à ce moment-là ?

7 R. Nous y avons passé plusieurs jours, nous avons parlé aux gens tous les

8 jours, aux soldats. Nous avons vu quelques civils rejoindre les rangs de

9 l'UCK, des gens qui voulaient défendre les villages. Nous leur parlions.

10 Nous établissions des contacts avec un certain nombre de membres de l'UCK.

11 Deux des membres de l'UCK avaient été blessés à Likoshan, Qirez. Ils

12 étaient soignés dans une pièce. Des soins médicaux leur avaient été

13 prodigués. Le Dr Fadil était la personne en question qui s'occupait d'eux.

14 Puis, nous avons vu des gens qui venaient rendre visite aux blessés. Ils

15 nous ont fait état de nouveaux événements.

16 Nous n'avons vu aucune raison qui justifiait notre présence

17 prolongée sur place. Ils ne pouvaient même pas nous nourrir. Que pouvait-on

18 faire dans un petit hameau de 20 ou de 30 maisons ? Ils voulaient nous

19 aider, mais nous ne pouvions pas rester sur place, au carrefour du village,

20 se balader à pied, parler avec les gens. Ils se tournaient tous vers nous,

21 attendant que nous leur disions quoi faire. En fait, d'une certaine

22 manière, ils pensaient que nous étions venus parce que nous savions ce qui

23 allait se produire. Pour nous, nous étions confrontés à la vérité. Nous

24 nous attendions à tout autre chose. Ils s'attendaient également à tout

25 autre chose. Les deux côtés s'attendaient à autre chose. Ils subissaient la

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1 pression et les menaces constantes des forces serbes. Je voulais me rendre

2 dans ma municipalité pour voir ce que je pouvais y faire, à Malisheve, au

3 moins pour apporter une assistance financière aux gens qui s'y trouvaient

4 et pour élargir peut-être les activités de l'UCK à d'autres zones, parce

5 que l'objectif de la Serbie, c'était de localiser la guerre. Même sur le

6 territoire de Drenica, les forces serbes avaient réussi à diviser le

7 terrain et à concentrer la guerre dans six ou sept villages.

8 Je suis ensuite allé voir Rexhep Selimi, que je rencontrais chaque

9 jour et avec qui nous discutions. Nous ne pouvions pas poser de question

10 parce que les informations étaient jugées confidentielles. Nous nous

11 contentions donc de conversations générales.

12 Je suis allé le voir, je suis allé voir Rexhep, que je considérais comme un

13 ami, pour lui dire qu'il n'était pas nécessaire que je reste ici, que je ne

14 voyais pas pourquoi je devrais le faire et que je souhaitais me rendre sur

15 le territoire de ma municipalité pour essayer d'y faire quelque chose, pour

16 essayer de recruter davantage de gens et d'élargir l'action à d'autres

17 lieux. Parce qu'en restant ici, que pourrions-nous faire ?

18 Rexhep a pensé que tout le monde devait agir de quelque manière que ce

19 soit, et qu'il serait plus approprié pour nous de rentrer dans nos villages

20 respectifs où il serait plus facile pour nous de trouver un logement et de

21 la nourriture. C'est ce que nous avons fait.

22 Après un ou deux jours, j'ai essayé d'établir des contacts avec une

23 personne de Malisheve, de retrouver des gens que je connaissais. Puis

24 Haxhi, qui n'était pas recherché par les forces serbes, il avait travaillé

25 un an en Suisse, il pouvait se déplacer librement -- légalement, si je puis

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1 dire, rentrer chez lui. Il est allé à Malisheve et il a organisé notre

2 transit de Likovc à Malisheve, en faisant appel à un de ses cousins pour

3 que celui-ci vienne nous chercher à un lieu convenu. Deux jours plus tard,

4 j'ai revu Rexhe. Hashim était également présent. J'étais disposé à

5 retourner dans mon village natal, et Hashim m'a dit que c'était possible.

6 J'ai oublié de parler d'Agim Bajrami qui faisait partie de ce groupe de

7 trente personnes.

8 Ensuite, il m'a demandé si je pouvais faire en sorte que Shukri et

9 Agim soient avec nous, de manière à ce qu'ils puissent aller de Malisheve

10 dans leur municipalité respective. Par conséquent, pratiquement tous ceux

11 qui étaient présents ont pu rentrer dans leur municipalité respective.

12 J'ai proposé, bien sûr, mon soutien à Shukri. Il est venu avec nous. Il a

13 mangé avec nous au même endroit. Je lui ai proposé d'assurer la même

14 sécurité qui était celle dont je jouissais à ce moment-là. Je ne pouvais

15 pas lui promettre davantage.

16 Ils étaient censés venir avec nous, et nous avons proposé de les aider à

17 rentrer dans leur propre municipalité, Lipjan et Stimlje. Agim était censé

18 rentrer chez lui également, et c'est ce que nous avons fait. Shukri est

19 venu et a dit à Hashim qu'il allait aller avec moi à Malisheve, et nous

20 sommes partis vers 9 heures le lendemain, 9 heures du soir. Deux villageois

21 nous ont accompagnés, nous ont déposés en fait en voiture, jusqu'à la route

22 principale, la route entre Pristina et Peja, jusqu'à Mlecan. Ensuite, nous

23 nous sommes déplacés à pied. Nous avons passé la route principale, et

24 ensuite, nous sommes allés vers le village de Vermice.

25 Puisqu'il était très tard, nous avons décidé de passer la nuit à Vermice

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1 avec les membres de la famille de Haxhi. Je crois que c'est quelqu'un qui

2 s'appelait Jupa. Je ne me souviens plus de son nom de famille. Nous avons

3 donc passé la nuit sur place. En fait, c'était chez son frère. Nous y avons

4 également passé la journée du lendemain. Le lendemain, Haxhi est allé à la

5 rencontre de son cousin qui devait venir nous chercher le long de la route

6 goudronnée Orlat-Malisheve-Terpeze. Le deuxième jour, notre groupe

7 constitué de cinq personnes s'est rendu à l'endroit où deux autres

8 personnes étaient censées nous retrouver. Après un trajet de quelque trois

9 à quatre heures, ces deux sont venus, et nous avons poursuivi notre route

10 vers Pagarushe via Malisheve.

11 En voiture, nous avons suivi la route principale, parce que Malisheve est

12 peuplé principalement d'Albanais. Après les années 1990, son statut a été

13 modifié de municipalité, l'endroit s'est trouvé dépourvu de quelconque

14 organisme public, de poste de police, de bâtiment administratif, et cetera.

15 Donc, pour nous, c'était tout à fait facile de se déplacer au cours de la

16 nuit pour nous rendre jusqu'à Pagarushe.

17 Q. Quelle était votre destination ?

18 R. Le cousin de Haxhi avait trouvé un lieu où nous pourrions loger

19 provisoirement à Pagarushe. Nous y sommes allés. Nous y avons passé la

20 nuit, mais tout ceci était provisoire. Mon objectif, c'était d'aller

21 jusqu'à Klecka, parce que je me sentais en sécurité. C'est là que j'avais

22 habité. Je savais que j'y trouverais un lieu qui m'hébergerait. Parce que

23 personne ne pouvait refuser de nous accueillir.

24 D'abord, je souhaitais y évaluer la situation. Nous sommes restés une nuit

25 à Pagarushe, et le lendemain soir, Shukri, Agim et moi-même, ainsi que les

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1 deux autres, sommes allés à Klecka, parce qu'à ce moment-là, il était très

2 dangereux pour cinq personnes de rester ensemble. Même pour les gens, il

3 était difficile d'héberger et de nourrir cinq personnes. Donc, Shukri et

4 Agim avec le cousin de Haxhi ont poursuivi leur chemin et sont allés

5 jusqu'à Klecka, chez mon neveu qui est maintenant un héros. Sadik Shala,

6 c'est ainsi qu'il s'appelle. J'ai dit à Sadik qu'il devait dire à mon neveu

7 que c'est moi qui l'avait envoyé.

8 Shukri y va et lui dit que c'est Fatmir qui les avait envoyés et lui

9 demande son aide. Sadik connaissait bien le terrain, très bien même, et il

10 les a aidés à passer aux municipalités de Lipjan et de Stimlje. Nous trois

11 sommes restés. Nous sommes allés de Pagarushe au village de Goriq. A Goriq,

12 nous avons logé avec des connaissances de Haxhi, de la famille de Zejnullah

13 Mazreku. Nous y sommes restés deux jours. J'ajouterais que, dès le début,

14 Zejnullah nous a dit que nous étions chez nous dans sa maison, qu'il

15 prendrait soin de nous, qu'il irait chaque fois que nous en aurions besoin

16 et que nous pouvions rester, sachant que l'hébergement était notre plus

17 grande nécessité.

18 Après deux jours, nous sommes repartis en direction de Klecka. A Goriq,

19 nous avions établi une base dont nous pensions nous servir si toutefois le

20 besoin s'en faisait sentir.

21 Ensuite, nous sommes partis à Klecka et nous avons parcouru cette

22 distance de nuit, parce que nous ne souhaitions pas que nos mouvements

23 soient connus par qui que ce soit.

24 Nous sommes arrivés à Klecka tard le soir, et Sadik est venu à notre

25 rencontre. Voilà donc comment nous nous sommes installés à Klecka.

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1 Q. Nous arrivons à 19 heures. J'aurais une seule question à vous

2 poser : est-ce en mars que vous êtes arrivés à Klecka ou sommes-nous

3 maintenant au mois d'avril à votre avis ?

4 R. Non. Je pense que c'était fin mars. Le 20 mars peut-être. C'était, en

5 tout cas, la fin du mois.

6 M. MANSFIELD : [interprétation] Je pense que le moment est bien choisi pour

7 suspendre.

8 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, Maître Mansfield.

9 Nous poursuivrons ce témoignage demain après-midi à 14 heures 15. Nous

10 allons lever l'audience.

11 --- L'audience est levée à 19 heures 01 et reprendra le mercredi 18 mai

12 2005, à 14 heures 15.

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