Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le mercredi 30 novembre 2005

2 [Jugement]

3 [Audience publique]

4 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

5 --- L'audience est ouverte à 15 heures 03.

6 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] La Chambre de première instance est

7 réunie aujourd'hui pour rendre son jugement dans l'affaire le Procureur

8 contre Fatmir Limaj, Haradin Bala et Isak Musliu. Au cours de la présente

9 audience, la Chambre de première instance exposera ses constatations et

10 conclusions de manière succincte. Nous tenons à souligner qu'il s'agit ici

11 uniquement d'un résumé. Seul fait autorité l'exposé des constatations,

12 conclusions et motifs de la Chambre que l'on trouve dans le jugement écrit,

13 dont des copies seront mises à la disposition des parties à l'issue de

14 l'audience.

15 Les trois accusés, Fatmir Limaj, Haradin Bala et Isak Musliu, sont mis en

16 accusation pour des crimes qui auraient été commis par eux-mêmes et par

17 d'autres membres de l'Armée de libération du Kosovo, l'UCK, dans le centre

18 du Kosovo à partir du mois de mai jusqu'au 26 juillet 1998 environ, contre

19 des civils serbes et albanais du Kosovo considérés comme des collaborateurs

20 serbes. D'après l'acte d'accusation, au moins 35 civils ont été enlevés par

21 les forces de l'UCK, emprisonnés dans un camp de détention dans le village

22 de Lapusnik dans des conditions inhumaines pendant des périodes prolongées,

23 et régulièrement soumis à des violences, des sévices et à la torture.

24 Quatorze prisonniers nommés dans l'acte d'accusation auraient été exécutés

25 au cours de leur détention. Dix autres l'auraient été dans les monts Berisa

26 avoisinants, le 26 juillet 1998 ou vers cette date, quand les forces de

27 l'UCK ont été contraintes d'abandonner le village de Lapusnik et le camp de

28 détention devant l'avancée des forces serbes. Les trois accusés doivent

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1 répondre de huit chefs d'emprisonnement, traitements cruels, actes

2 inhumains, meurtres et assassinats pour leur participation aux crimes

3 commis dans le camp d'emprisonnement. Fatmir Limaj et Haradin Bala sont

4 également accusés de deux autres chefs de meurtres pour le rôle qu'ils

5 auraient joué dans l'exécution de détenus dans les monts Berisa.

6 Aux termes des chefs d'accusation 1, 3, 5, 7 et 9, les accusés sont mis en

7 cause pour des crimes contre l'humanité visés à l'article 5 du Statut du

8 Tribunal. Pour que le Tribunal puisse sanctionner un crime contre

9 l'humanité, l'Accusation doit d'abord prouver que le comportement criminel

10 reproché à l'accusé s'inscrivait dans le cadre d'une attaque généralisée ou

11 systématique dirigée contre une population civile. La Chambre de première

12 instance a été saisie d'éléments de preuve relatifs à différents cas

13 d'enlèvements, de détention et de mauvais traitements infligés par les

14 soldats de l'UCK à des civils aussi bien serbes qu'albanais du Kosovo entre

15 mai et juin 1998. Cependant, il n'a pas été prouvé que ces agissements

16 avaient la portée et la nature requise pour constituer une attaque

17 généralisée ou systématique dirigée contre une population civile. Il

18 s'ensuit donc nécessairement qu'il convient de rejeter les chefs

19 d'accusation 1, 3, 5, 7 et 9, pour chacun des trois accusés. Dans son

20 jugement écrit, la Chambre présente de manière plus circonstanciée, les

21 motifs fondant cette conclusion. Nous n'allons pas traiter plus avant des

22 chefs d'accusation 1, 3, 5, 7 et 9 dans le présent résumé.

23 Aux termes des chefs 2, 4, 6, 8 et 10, les accusés sont mis en cause pour

24 des crimes de guerre sanctionnés par l'article 3 du Statut. Pour que ceci

25 soit établi, il est nécessaire que les agissements criminels reprochés aux

26 accusés aient été commis au cours d'un conflit armé. La Chambre de première

27 instance a été saisie de multiples éléments de preuve sur ce point, et

28 notamment de témoignages d'experts, et elle est convaincue qu'avant la fin

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1 du mois de mai 1998, il existait un conflit armé au Kosovo entre les forces

2 serbes et l'UCK.

3 Au chef 2 de l'acte d'accusation est allégué l'infraction de traitement

4 cruel fondée sur l'arrestation, l'emprisonnement et l'interrogatoire

5 illicite de civils serbes et albanais du Kosovo. La Chambre de première

6 instance a conclu que, du moins dans les circonstances propres à cette

7 affaire, il n'avait pas été démontré que les simples actes d'arrestation,

8 emprisonnement et interrogatoire constituaient en soi une atteinte grave à

9 la dignité humaine au sens reconnu de l'infraction de traitement cruel

10 visée à l'article 3 du Statut. Il convient de rejeter le deuxième chef

11 d'accusation pour chacun des trois accusés.

12 L'acte d'accusation comporte néanmoins un autre chef de traitement cruel

13 fondé sur une série d'agissement beaucoup plus important que le chef 2. Il

14 s'agit du chef 6 qui est maintenu et sur lequel la Chambre de première

15 instance fera connaître ses conclusions dans quelques instants.

16 Il est également allégué dans l'acte d'accusation qu'en sus de leur

17 participation directe, les trois accusés sont pénalement responsables des

18 infractions qui leur sont reprochées du fait de leur participation à une

19 entreprise criminelle commune. La Chambre de première instance a conclu que

20 l'Accusation n'avait pas prouvé l'existence d'une entreprise criminelle

21 commune impliquant les accusés.

22 La thèse de l'Accusation repose principalement sur l'allégation selon

23 laquelle l'UCK aurait mis en place un camp de détention dans une

24 exploitation agricole du village de Lapusnik au centre du Kosovo, camp dans

25 lequel auraient été détenus, pour l'essentiel, des prisonniers civils aussi

26 bien serbes qu'albanais du Kosovo entre le mois de mai et la fin juillet

27 1998. Les trois accusés nient l'existence de ce camp. La Chambre a entendu

28 de nombreux témoins sur cette question et, en particulier, des personnes

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1 affirmant avoir été détenues au camp ainsi que d'anciens membres de l'UCK.

2 Après avoir examiné avec soin tous les éléments de preuve, la Chambre

3 de première instance est fermement convaincue que l'UCK disposait

4 effectivement d'un camp d'emprisonnement dans une exploitation agricole à

5 Lapusnik comme l'avance l'Accusation. Et qu'en juin et juillet 1998, ce

6 sont, pour l'essentiel, des prisonniers civils albanais et serbes qui y ont

7 été détenus. Les éléments de preuve démontrent que l'UCK a été contrainte

8 d'abandonner le camp le 25 ou le 26 juillet 1998, à cause de l'avancée des

9 forces armées serbes qui se sont emparées de Lapusnik, le 26 juillet. Ces

10 moyens de preuve sont examinés en détail dans le jugement écrit.

11 Les accusations les plus graves relatives aux actes commis au camp

12 figurent au chef 8, qui fait état du meurtre de 14 prisonniers civils

13 identifiés. La plupart de ces 14 prisonniers n'ont donné aucun signe de vie

14 à leurs familles. Vu la nature des faits allégués, l'Accusation se devait

15 de démontrer que chacun de ces prisonniers avait été exécuté, soit au camp,

16 soit par des soldats de l'UCK en rapport avec le camp. La Chambre n'a été

17 saisie d'aucun élément de preuve direct sur le sort de la plupart de ces

18 prisonniers. Dans ces circonstances, par les motifs exposés dans le

19 jugement écrit, l'Accusation a prouvé le meurtre de seulement trois

20 prisonniers du camp.

21 Au chef 6 de l'acte d'accusation, il est allégué que tous les prisonniers

22 détenus au camp ont été soumis à des traitements cruels. Plus de 30

23 prisonniers y auraient été détenus. L'identité de certains d'entre eux est

24 inconnue. L'identité de 27 autres a été établie. Il a été prouvé qu'ils

25 avaient pratiquement tous été détenus dans un minuscule réduit situé au

26 sous-sol ou dans une autre pièce exiguë faisant habituellement office

27 d'étable. Les éléments de preuve démontrent que les conditions de détention

28 dans chacune de ces pièces étaient totalement inhumaines. Les locaux

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1 étaient le plus souvent surpeuplés. Rien n'avait été prévu pour les besoins

2 sanitaires des détenus même si, après une période initiale, on leur a

3 fourni un seau en guise de cuvette dans le réduit. Ce seau n'était pas vidé

4 régulièrement et débordait donc souvent. Les prisonniers dormaient à même

5 le sol en ciment ou sur un peu de paille. Les repas étaient servis de

6 manière irrégulière et il s'écoulait parfois plusieurs jours sans qu'on

7 donne à manger aux détenus. Les repas étaient pris dans les lieux de

8 détention. Ces deux pièces étaient très sombres et peu aérées. L'atmosphère

9 y était rendue oppressante par la chaleur et la puanteur. En de rares

10 occasions, les prisonniers détenus dans le réduit avaient droit à un peu

11 d'air frais pendant quelques instants, la nuit. Pour beaucoup, les

12 prisonniers avaient les mains et/ou les pieds liés. Certains étaient

13 attachés à d'autres détenus. Dans l'étable, la plupart des prisonniers

14 étaient enchaînés au mur et dans l'impossibilité de se déplacer. Ils

15 étaient contraints de se souiller pour faire leurs besoins. Beaucoup de

16 prisonniers avaient été grièvement blessés. Ils avaient des membres cassés,

17 souffraient de fractures ou de blessures internes. D'autres avaient été

18 blessés par balles. Ils n'ont reçu aucun traitement médical d'aucune sorte,

19 alors qu'il y avait au village un médecin et un dispensaire où se rendaient

20 les hommes de l'UCK.

21 La Chambre de première instance a conclu que la détention d'un

22 prisonnier dans de telles conditions est constitutive de traitement cruel.

23 Un petit nombre de prisonniers a été détenu dans d'autres parties de

24 l'exploitation agricole. Les éléments de preuve produits ne permettaient

25 pas d'établir que les conditions qui y régnaient sont constitutives de

26 traitement cruel.

27 De surcroît, la Chambre a été saisie d'un nombre important d'éléments

28 de preuve détaillant différents actes de violences physiques graves commis

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1 par divers membres de l'UCK sur certains prisonniers. Le dossier montre

2 qu'il arrivait régulièrement que des prisonniers aient les yeux bandés,

3 soient ligotés, puis emmenés la nuit par des soldats de l'UCK dont le

4 visage était souvent dissimulé par des capuches. Les prisonniers étaient

5 alors roués de coups ou soumis à d'autres actes d'une rare violence avant

6 d'être ramenés dans leur lieu de détention, inanimés ou dans de grandes

7 souffrances. La Chambre a examiné plus en détail ces éléments de preuve

8 dans le jugement.

9 Elle a notamment identifié 12 actes de violences de cette nature

10 ayant eu pour victimes des prisonniers dont l'identité est connue. Pour

11 chacun de ces 12 actes de violences, le crime de traitement cruel a

12 également été établi par l'Accusation. De même, la Chambre de première

13 instance est convaincue que cinq prisonniers ont été soumis à des

14 souffrances mentales graves pour avoir été témoins des sévices infligés à

15 d'autres détenus ou pour avoir été menacés de mort en ayant une arme

16 pointée sur eux ou pour avoir été contraints d'enterrer les cadavres

17 mutilés et défigurés de leurs co-détenus. Il a été prouvé que ces actes

18 commis par des membres de l'UCK étaient constitutifs de traitement cruel.

19 En son chef 4, l'acte d'accusation allègue le crime de torture. Pour

20 prouver l'infraction de torture, l'Accusation doit notamment établir que

21 l'auteur des faits incriminés a maltraité la victime dans un but précis. En

22 l'occurrence, celui d'obtenir des aveux ou des informations ou pour punir

23 la victime. Les éléments de preuve produits démontrent que le crime de

24 tortures a été établi pour quatre incidents concernant des victimes dont

25 les noms sont connus.

26 Fatmir Limaj et Haradin Bala doivent également répondre du chef 10 pour

27 leur participation alléguée à l'exécution de détenus du camp dans les monts

28 Berisa. Le 25 ou le 26 juillet, les quelque 20 détenus qui étaient encore

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1 au camp ont été conduits dans les monts Berisa sous escorte armée de l'UCK.

2 La moitié d'entre eux environ a alors été remise en liberté et autorisée à

3 partir. Les autres sont restés sous la garde de l'UCK. Neuf dépouilles ont

4 plus tard été exhumées de fosses situées dans le même secteur des monts

5 Berisa. Des tests ADN ont confirmé l'identité de huit de ces corps. La

6 neuvième victime a pu être identifiée grâce à ses vêtements reconnus par

7 des membres de sa famille. Il a été prouvé que les neuf victimes avaient

8 toutes été emprisonnées par l'UCK au camp de détention et qu'elles se

9 trouvaient dans le groupe resté sous la garde de l'UCK dans les monts

10 Berisa le 25 ou le 26 juillet 1998, après la remise en liberté d'environ la

11 moitié des prisonniers.

12 Un examen médico-légal montre que six des neuf victimes sont décédées

13 suite à des blessures par balle provenant de Kalachnikovs, le type d'arme

14 employée par les gardes de l'UCK. La cause exacte du décès des trois autres

15 cadavres n'a pu être déterminée par l'analyse médico-légale. Cependant ces

16 trois corps présentaient des fractures osseuses intervenues à peu près au

17 moment du décès. Certains corps portaient plusieurs blessures par balle. La

18 Chambre de première instance est convaincue, sur la base de cet ensemble

19 d'éléments probants, que neuf des prisonniers du camp de détention de

20 Lapusnik ont été exécutés ce jour-là dans les monts Berisa par des gardes

21 de l'UCK. Les éléments de preuve et l'identité des victimes sont détaillés

22 dans le jugement écrit. L'Accusation a, par conséquent, établi le meurtre

23 de neuf détenus identifiés du camp de Lapusnik dans les monts Berisa tel

24 qu'il est allégué dans l'acte d'accusation, au chef numéro 10.

25 Il ressort clairement de ce qui précède que l'Accusation a prouvé que

26 des civils ont été détenus par l'UCK dans un camp situé dans une

27 exploitation agricole à Lapusnik en juin et juillet 1998, et que trois de

28 ces prisonniers y ont été exécutés par des soldats de l'UCK. La plupart de

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1 ces prisonniers ont été l'objet de traitements cruels et quatre d'entre eux

2 ont été torturés pendant leur emprisonnement par l'UCK. De plus,

3 l'Accusation a prouvé le meurtre de neuf prisonniers identifiés du camp

4 dans les monts Berisa voisins par des gardes de l'UCK le jour où l'UCK a

5 été contrainte d'abandonner le camp. Il reste la question fondamentale de

6 savoir s'il a été prouvé que les trois accusés, Fatmir Limaj, Haradin Bala

7 et Isak Musliu, ou l'un quelconque d'entre eux, sont pénalement

8 responsables de l'une quelconque des infractions établies par l'Accusation.

9 A cet égard, outre leur participation personnelle et directe aux

10 faits incriminés, il est également reproché à deux des accusés, Fatmir

11 Limaj et Isak Musliu, de s'être abstenus d'empêcher ou de punir les crimes

12 commis par les soldats de l'UCK qui leur étaient subordonnés. S'il est

13 indéniable que ces deux accusés ont exercé des fonctions de commandement au

14 sein de l'UCK après la période couverte par l'acte d'accusation, et que

15 Fatmir Limaj est devenu par la suite membre de l'état-major général, il

16 s'agit en l'occurrence de déterminer si, de mai à juillet 1998, Fatmir

17 Limaj et Isak Musliu ont exercé des fonctions de commandement en rapport

18 avec le camp de Lapusnik. Pour les motifs exposés dans le jugement écrit,

19 la Chambre estime que l'Accusation n'a pas prouvé que l'un ou l'autre de

20 ces deux accusés avaient autorité ou exercé un contrôle effectif sur les

21 soldats de l'UCK impliqués dans les faits qui ont eu lieu au camp de

22 Lapusnik.

23 Par conséquent, en l'espèce, la question de la responsabilité pénale

24 des trois accusés dépend essentiellement, mais pas uniquement de celle de

25 leur identification. La Chambre a donc examiné cet aspect de l'affaire avec

26 une attention toute particulière.

27 Plusieurs témoins ont prétendu avoir vu Fatmir Limaj au camp de

28 détention de Lapusnik à différents moments, et un témoin l'aurait également

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1 vu dans les monts Berisa parler à l'un des gardes de l'UCK peu avant

2 l'exécution des neuf prisonniers. Selon d'autres témoignages, Fatmir Limaj

3 n'est jamais allé au camp et ne se trouvait pas dans les monts Berisa le

4 jour où ces exécutions ont eu lieu. Bien que la Chambre n'est pas été

5 convaincue de la sincérité de l'un des témoins qui a déclaré avoir reconnu

6 Fatmir Limaj et qu'elle ait dû examiner soigneusement la crédibilité des

7 autres, tout bien pesé, les témoignages sur ce point montrent bien la forte

8 possibilité que Fatmir Limaj soit le soldat de l'UCK que certains

9 prisonniers connaissaient sous le nom de commandant Celiku.

10 Toutefois, pour les motifs exposés de manière détaillée dans le

11 jugement écrit, et après avoir apprécié l'ensemble des éléments de preuve,

12 la Chambre estime que l'Accusation n'a pas prouvé au-delà de tout doute

13 raisonnable que l'accusé Fatmir Limaj avait joué un rôle quelconque au camp

14 de détention ou dans les exécutions perpétrées dans les monts Berisa, ni

15 que sa responsabilité pénale est engagée pour l'une quelconque des

16 infractions qui lui sont imputées.

17 S'agissant de l'accusé Haradin Bala, les preuves relatives à son

18 identification sont plus nombreuses et plus variées. Plusieurs témoins ont

19 affirmé le reconnaître comme étant le garde de l'UCK connu sous le nom de

20 Shala qui travaillait au camp de détention, en juin et en juillet 1998. A

21 ce titre, Shala avait des contacts relativement fréquents avec les

22 prisonniers. En général, c'est lui qui avait les clés et c'est souvent lui

23 qui apportait de la nourriture et de l'eau aux détenus. Plusieurs témoins

24 ont également reconnu l'accusé Haradin Bala comme étant l'un des deux ou

25 trois gardes armés de l'UCK qui ont escorté les derniers prisonniers du

26 camp jusqu'aux monts Berisa situés à proximité, lorsque l'UCK a dû

27 abandonner le camp le 25 ou le 26 juillet 1998. La Chambre ne peut

28 s'estimer convaincue de la sincérité de tous ces témoins. En ce qui

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1 concerne les autres témoins, la Chambre a dû examiner de près la fiabilité

2 de chacun des témoignages selon lesquels l'accusé Haradin Bala était le

3 gardien connu par les prisonniers du camp sous le nom de Shala qui se

4 trouvait dans les monts Berisa le dernier jour. De nombreux éléments

5 portant sur cette question sont exposés dans le jugement écrit. La Chambre

6 a également examiné d'autres preuves pertinentes, notamment, celles qui

7 tendaient à indiquer que Haradin Bala n'était pas à Lapusnik à l'époque des

8 faits ou qu'en raison de sa santé fragile, il n'aurait pas été capable de

9 commettre certains des actes décrits par les témoins et mentionnés dans

10 l'acte d'accusation.

11 Après avoir dûment apprécié l'ensemble des éléments de preuve portant

12 sur ces questions et pour les motifs exposés dans le jugement écrit, la

13 Chambre est d'avis que l'Accusation a prouvé au-delà de tout doute

14 raisonnable que l'accusé Haradin Bala est bien le garde de l'UCK connu sous

15 le nom de Shala qui a pris part au fonctionnement du camp de Lapusnik et

16 escorté les derniers prisonniers jusqu'aux monts Berisa le 25 ou le 26

17 juillet 1998.

18 Partant, la Chambre a ensuite cherché à déterminer s'il a été prouvé

19 que l'accusé Haradin Bala est pénalement responsable pour avoir

20 personnellement ou de tout autre manière, pris part à l'une quelconque des

21 infractions établies. Ayant apprécié les éléments de preuve sur ce point,

22 la Chambre de première instance a conclu ce qui suit : l'Accusation n'a pas

23 prouvé que Haradin Bala est pénalement responsable de l'un quelconque des

24 trois meurtres de prisonniers commis au camp, chef 8; en revanche,

25 l'Accusation a prouvé que Haradin Bala s'est rendu coupable de traitement

26 cruel, chef 6, pour avoir lui-même infligé des sévices à trois prisonniers,

27 pour s'être rendu complice des sévices infligés à l'un d'entre eux et pour

28 avoir personnellement contribué à créer et à perpétuer des conditions

Page 7547

1 inhumaines de détention au camp de Lapusnik; l'Accusation a prouvé que

2 Haradin Bala s'est rendu complice des tortures infligées à un prisonnier,

3 chef 4; l'Accusation a également prouvé que Haradin Bala, de concert avec

4 un ou deux autres gardes de l'UCK, a exécuté neuf prisonniers du camp dans

5 les monts Berisa le 25 ou le 26 juillet 1998, chef 10.

6 Peu de témoins ont identifié l'accusé Isak Musliu comme étant l'une des

7 personnes impliquée dans les faits qui se sont produits au camp. Dans le

8 jugement écrit, la Chambre a exposé et examiné les preuves à charge. Elle

9 estime que les preuves qui lui ont été présentées ne suffisent pas à

10 établir qu'Isak Musli a pris part de quelque façon que ce soit aux faits

11 incriminés ou au fonctionnement du camp, ou qu'il doit être tenu pénalement

12 responsable à un autre titre de l'un quelconque des crimes qui lui sont

13 reprochés.

14 Fatmir Limaj, veuillez vous lever.

15 [L'accusé Limaj se lève]

16 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] La Chambre vous déclare non coupable

17 de tous les chefs d'accusation et ordonne votre libération immédiate du

18 quartier pénitentiaire des Nations Unies, une fois arrêtées les

19 dispositions pratiques nécessaires. Vous pouvez vous asseoir.

20 [L'accusé Limaj se rassoit]

21 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Haradin Bala, veuillez vous lever.

22 [L'accusé Bala se rassoit]

23 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] La Chambre vous déclare coupable, en

24 application de l'article 7(1) du Statut, des infractions suivantes : chef 4

25 : Torture, une violation des lois ou coutumes de la guerre sanctionnées par

26 l'article 3 du Statut pour vous être rendu complice des tortures infligées

27 au prisonnier dont le nom figure dans le dispositif écrit; chef 6 :

28 Traitement cruel, une violation des lois ou coutumes de la guerre

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1 sanctionnées par l'article 3 du Statut, pour avoir personnellement infligé

2 des sévices à trois prisonniers, pour vous être rendu complice des sévices

3 infligés à l'un d'entre eux et pour avoir personnellement contribué à créer

4 et à perpétuer des conditions inhumaines de détention au camp de Lapusnik;

5 chef 10 : Meurtre, une violation des lois ou coutumes de la guerre

6 sanctionnées par l'article 3 du Statut, pour avoir personnellement

7 participé, le 25 ou le 26 juillet 1998, à l'exécution dans les monts Berisa

8 de neuf prisonniers dont les noms figurent dans le dispositif écrit.

9 La Chambre vous déclare non coupable de tous les autres chefs

10 d'accusation.

11 S'agissant de la peine, la Chambre a exposé dans le jugement écrit,

12 les divers éléments qui ont été pris en compte pour fixer une juste peine.

13 Elle a, en particulier, tenu compte de la grille générale des peines

14 appliquées en ex-Yougoslavie et des peines déjà prononcées par ce Tribunal

15 pour des crimes présentant des similitudes avec ceux dont vous avez été

16 déclarés coupable.

17 La Chambre tient à souligner qu'elle a constaté que vous n'étiez qu'un

18 simple garde au camp de détention. Vous n'aviez ni pouvoir, ni autorité.

19 Ainsi, pour ce qui est des meurtres perpétrés dans les monts Berisa, la

20 Chambre a constaté qu'en tant que soldat, vous aviez obéi aux ordres,

21 ordres qui vous étaient donnés de libérer certains prisonniers et d'en

22 exécuter neuf. Vous n'avez pas agi de votre propre initiative. Si ces

23 circonstances n'excusent pas votre comportement, elle en atténue la

24 gravité.

25 Vous êtes condamné à une peine unique de 13 ans d'emprisonnement. Le

26 temps que vous avez passé en détention sera déduit de la durée totale de la

27 peine. Vous resterez sous la garde du Tribunal jusqu'à ce que soient

28 arrêtées les dispositions nécessaires pour votre transfert vers l'Etat dans

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1 lequel vous purgerez votre peine.

2 Vous pouvez vous asseoir.

3 [L'accusé Bala s'assoit]

4 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Isak Musliu, veuillez vous lever.

5 [L'accusé Musliu se lève]

6 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] La Chambre vous déclare non coupable

7 de tous les chefs d'accusation et ordonne votre libération immédiate du

8 quartier pénitentiaire des Nations Unies, une fois arrêtées les

9 dispositions pratiques nécessaires. Vous pouvez vous asseoir.

10 [L'accusé Musliu se rassoit]

11 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Le procès est à présent terminé.

12 L'audience est levée.

13 --- L'audience du Jugement est levée à 15 heures 43.

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