LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I
Composée comme suit :
M. le Juge Liu Daqun, Président
M. le Juge Amin El Mahdi
M. le Juge Alphons Orie
Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier
Décision rendue le :
20 novembre 2002
LE PROCUREUR
c/
PASKO LJUBICIC
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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE LA DÉFENSE AUX FINS DE LA TRADUCTION DE TOUS LES DOCUMENTS
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Le Bureau du Procureur :
M. Mark Harmon
Mme Magda Karagiannakis
Le Conseil de la Défense :
M. Tomislav Jonjic
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I (la « Chambre ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),
VU la Requête de la Défense aux fins de la traduction de documents (Defence Motion Concerning the Translation of Documents) déposée le 19 septembre 2002 (la « Requête »), dans laquelle la Défense demande : 1) que tous les documents, en particulier les pièces et les éléments de preuve couverts par l’obligation de communication, lui soient fournis en langue bosniaque, croate ou serbe (« BCS ») ; 2) que les délais de dépôt des écritures commencent à courir à compter de la réception par la Défense des documents en BCS ; et 3) que l’Accusation soit tenue de lui fournir, dans un délai raisonnable, les traductions en BCS de tous les documents et pièces couvertes par l’obligation de communication qui lui ont déjà été communiqués, mais uniquement dans les langues officielles du Tribunal,
VU la Réponse de l’Accusation à la requête de la Défense aux fins de la traduction de documents (Prosecution’s Response to Defence Motion Concerning the Translation of Documents) déposée le 3 octobre 2002 (la « Réponse »), dans laquelle l’Accusation fait notamment valoir : 1) qu’une ordonnance l’obligeant à fournir en BCS toutes les pièces couvertes par la communication irait à l’encontre d’une bonne administration de la justice car cela contribuerait à retarder la procédure ; 2) que son obligation de communiquer des documents dans la langue de l’accusé se limite aux documents énumérés à l’article 66 A) du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement ») ; 3) qu’elle s’est déjà acquittée de son obligation de communiquer en BCS tous les documents visés à l’article 66 A) i) du Règlement et qu’une bonne partie des documents communiqués en vertu de l’article 66 A) ii) ont déjà été fournis à la Défense en BCS ; et 4) qu’elle continuera à s’acquitter de son obligation de communiquer en BCS les documents énumérés à l’article 66 A) ii),
VU la Réplique de la Défense déposée le 16 octobre 2002 (la « Réplique »), dans laquelle elle affirme à l’appui de sa Requête que la bonne administration de la justice ne saurait prévaloir sur le droit de l’accusé à un procès équitable et soutient que tous les documents visés à l’article 66 A) ii) ne lui ont pas encore été communiqués en BCS,
VU la pratique adoptée par le Tribunal, ainsi que par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (le « TPIR »), en matière de traduction de documents dans une langue que l’accusé comprend1,
ATTENDU qu’en vertu du Statut et du Règlement, et conformément à la tendance dominante de la pratique judiciaire existante telle que mentionnée plus haut, la norme générale actuelle en matière de traduction de documents pendant la phase préalable au procès exige que les documents suivants soient communiqués à l’accusé dans une langue qu’il comprend :
- une copie de l’acte d'accusation en vertu des paragraphes 1) et 4) a) de l’article 21 du Statut et de l’article 53 bis B) du Règlement, interprété à la lumière de l’article 47 G),
- une copie des pièces jointes à l’acte d'accusation établi contre l’accusé, ainsi que toutes les déclarations préalables de l’accusé recueillies par le Procureur, qu’elles soient ou non présentées au procès, en vertu de l’article 66 A) i) du Règlement,
- les déclarations de tous les témoins (sur support papier ou sous forme d’enregistrements sonores) que le Procureur entend citer à l’audience, toutes les déclarations écrites recueillies en application de l’article 92 bis et les déclarations d’autres témoins à charge s’il est décidé de les citer, en vertu de l’article 66 A) ii) du Règlement,
- les pièces couvertes par l’obligation de communication qui, lorsque le Procureur en a pris possession ou contrôle, étaient rédigées dans une langue que l’accusé comprend, en vertu de l’article 66 B) du Règlement,
- les éléments de nature à disculper l’accusé communiqués par le Procureur en application de l’article 68 du Règlement, et
- les décisions et ordonnances écrites rendues par le Tribunal.
ATTENDU que la date de dépôt effective des documents énumérés ci-dessus sera la date de dépôt de la version dans l’une des langues officielles du Tribunal, mais que tous les délais réglementaires pour les réponses à ces documents courront à partir de la date du dépôt de leur traduction dans une langue que l’accusé comprend2,
ATTENDU que, pendant le procès, la Chambre saisie de l’affaire peut ordonner au Procureur de présenter des pièces à conviction ou des extraits pertinents de ces pièces (sur support papier ou sous forme d’enregistrements sonores) dans une langue que l’accusé comprend,
ATTENDU que, bien que le Tribunal doive garantir le droit de l’accusé à un procès équitable et rapide, la traduction en BCS de tous les documents à l’avance, en plus de ceux requis par le Statut et le Règlement, pourrait porter gravement atteinte au droit de l’accusé à un procès rapide en raison du temps et des ressources considérables nécessaires à la traduction de tous les documents,
ATTENDU, en outre, qu’au moins l’un des conseils de la Défense est censé parler couramment l’une des langues officielles du Tribunal et devrait être en mesure de participer pleinement au procès,
ATTENDU que, lors de la conférence de mise en état du 26 septembre 2002, l’Accusation a réaffirmé sa volonté de collaborer avec la Défense et a déclaré que non seulement elle s’était acquittée de son obligation de communiquer à la Défense les versions en BCS de toutes les pièces jointes visées à l’article 66 A) i) et de presque tous les enregistrements sonores des déclarations de témoins en vertu de l’article 66 A) ii) du Règlement, assurant que les quelques enregistrements restants seraient fournis à la Défense une fois que le Greffe les lui aurait rendus et qu’elle les aurait expurgés, mais aussi qu’elle avait communiqué à la Défense plusieurs autres pièces à conviction et documents en BCS qu’elle n’était pas tenue de fournir en vertu du Statut et du Règlement3,
ATTENDU qu’alors que le conseil de la Défense a confirmé lors de la conférence de mise en état que lesdits documents lui avaient bien été communiqués en BCS par l’Accusation et que la Défense n’a pas demandé que lui soient fournis en BCS d’autres documents spécifiques liés au procès en vertu de l’article 66 A) (à l’exception des quelques enregistrements qu’elle doit encore recevoir), le conseil de la Défense a néanmoins déclaré qu’il souhaitait que la question de la traduction soit tranchée par principe en tant que question d’intérêt général,4
ATTENDU qu’à l’exception des quelques enregistrements que l’Accusation s’est déjà engagée à communiquer, la Requête n’a plus de raison d’être puisque l’Accusation s’est acquittée de son obligation de communiquer des éléments de preuve en BCS comme elle y est tenue en vertu du droit actuel ; et que dès lors, il n’est pas nécessaire de statuer sur cette question aux fins de l’enquête, de la préparation ou de la conduite du procès,
EN APPLICATION de l’article 54 du Règlement,
PAR CES MOTIFS,
REJETTE la Requête,
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
Le 20 novembre 2002,
La Haye (Pays-Bas).
Le Président de la Chambre de première instance
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M. le Juge Liu Daqun
[Sceau du Tribunal]