Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le jeudi 9 novembre 2006

2 [Audience publique]

3 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

4 --- L'audience est ouverte à 9 heures 03.

5 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bonjour à tous et à toutes. Deux

6 petits points d'intendance, juste avant que de faire entrer le témoin.

7 Maître Milovancevic, je voulais vérifier avec la Défense quelle est

8 l'évaluation du temps nécessaire pour les témoins à venir, et pour savoir

9 aussi qui est le témoin que nous allons entendre prochainement. Je crois

10 qu'ensuite je pourrais soulever, évoquer le point suivant.

11 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Bonjour, Madame et Messieurs les Juges.

12 Le témoin suivant, c'est M. Barriot. Il va témoigner, selon nous, viva

13 voce. Nous allons procéder à une petite modification. Il était prévu

14 d'avoir deux témoins pour la même matière, ou le même sujet, et nous avons

15 estimé qu'il était plus efficace d'en faire venir un seul pour gagner du

16 temps et pour simplifier la procédure. En même temps, nous avons estimé

17 qu'un témoignage viva voce nous permettra de gagner du temps du fait du

18 rythme que cela risque d'avoir. C'est M. Perovic qui va intervenir, mon

19 collègue, co-conseil qui va intervenir pour l'interrogatoire principal et,

20 selon nous, pour ce qui est de cet interrogatoire-là, il nous faudrait deux

21 audiences, pas plus. C'est, bien entendu, une évaluation, Monsieur le

22 Président.

23 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Deux sessions, deux audiences pour

24 l'interrogatoire principal seulement, n'est-ce pas ?

25 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, c'est exact.

26 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci pour l'évaluation que vous venez

27 de nous donner et de nous avoir indiqué qui est-ce qui allait venir ? J'ai,

28 bien sûr -- je me suis douté du fait que c'était M. Barriot qui allait

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1 venir, mais je vais passer maintenant au point suivant.

2 S'agissant du résumé que vous avez présenté, il me semble qu'il y ait des

3 éléments de ce résumé qui se rapporteraient à des segments qui ont été

4 exclus du témoignage en application de l'ordonnance verbale que nous avons

5 rendue l'autre jour. Si vous vous penchez dessus, vous, par exemple, vous

6 allez voir qu'il y a un certain nombre d'endroits que j'ai relevé. A mon

7 avis, cela se rapporte à ces segments-là. Par exemple, le paragraphe 6, en

8 page 2; puis le troisième paragraphe qui se trouve tout au bas de la page

9 2; le deuxième paragraphe à partir du bas de la page 2; puis le deuxième

10 paragraphe en haut de cette page 2; et je ne suis pas tout à fait certain

11 de la pertinence du cinquième paragraphe à compter du haut de la page 2; et

12 le tout dernier paragraphe de cette page 2.

13 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Monsieur le Président, si nous sommes en

14 train de parler du résumé que -- où nous avons annoncé ce témoin sur la

15 liste de témoins, je dirais que nous avons eu à l'esprit les instructions

16 émanant des Juges de la Chambre, et nous veillerons à ce que ces sujets ne

17 seraient pas repris. Nous nous efforcerons également de faire témoigner le

18 témoin uniquement sur des sujets qui n'ont pas été évoqués ici.

19 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je suis en train de me pencher sur un

20 résumé qui a, semble-t-il, été présenté tout récemment, et il s'appelle

21 résumé révisé -- enfin, il -- ce n'est pas l'intitulé qui y figure, mais

22 j'ai été avisé du fait qu'il s'agissait d'un résumé revu. Cela figure sur

23 une pièce -- une feuille de papier seulement. Toujours est-il que j'ai

24 évoqué les questions que nous voudrions voir faire étudier avec ce témoin

25 pour ce qui est de son témoignage. Vous pouvez le faire entrer.

26 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Monsieur le Président, nous allons

27 tenir, garder cela à l'esprit, je vous en remercie.

28 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] C'est moi qui vous remercie.

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1 Oui, excusez-moi, Monsieur Milovancevic, dites-nous ce qui a changé, étant

2 donné que l'estimation à l'origine disait qu'il s'agirait de plus ou moins

3 de deux heures ?

4 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Nous avons fait cette évaluation partant

5 d'une déposition écrite qui aurait été versée au dossier.

6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] En application de 92 bis ?

7 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Oui. Nous avons envisagé ce 92 bis, et

8 ensuite nous avons laissé tomber cela, et nous avons cherché à simplifier

9 la procédure aux fins de gagner du temps.

10 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

11 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je voudrais que le témoin nous donne

12 lecture de la déclaration solennelle.

13 LE TÉMOIN : Je déclare solennellement que je dirai la vérité, toute la

14 vérité et rien que la vérité.

15 LE TÉMOIN : PATRICK BARRIOT [Assermenté]

16 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci. Vous pouvez vous asseoir,

17 Monsieur.

18 Maître Perovic, à vous.

19 M. PEROVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

20 Interrogatoire principal par M. Perovic :

21 Q. [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Bonjour, Monsieur

22 Barriot.

23 R. Bonjour.

24 Q. En ma qualité de membre de l'équipe de la Défense de l'accusé Milan

25 Martic, je me propose de procéder à l'interrogatoire principal en ce jour.

26 Je tiens à vous demander de faire en sorte qu'entre mes questions et vos

27 réponses, il y a des pauses de faites en raison des interprètes qui nous

28 suivent. Je vais vous demander autre chose. Mes questions vont être

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1 concises et à ce titre je voudrais que vos réponses soient de même -- qu'il

2 en soit de même pour ce qui est de vos réponses. Je vous en remercie par

3 avance.

4 Monsieur Barriot, pour les besoins du compte rendu d'audience, je vous prie

5 de décliner votre identité complète.

6 R. Mon nom est Patrick Barriot. Je suis né le 5 octobre 1955, à Bedarieux,

7 en France.

8 Q. Quelle est votre nationalité et de quel état êtes-vous ressortissant ?

9 R. Je suis citoyen de nationalité française.

10 Q. Quelle est votre profession, je vous prie ?

11 R. Je suis docteur en médecine, spécialiste en anesthésie réanimation, en

12 médecine de catastrophe et en toxicologie d'urgence, et j'ai effectué une

13 carrière de 25 ans dans l'armée française.

14 Q. Donc, vous avez terminé des études en médecine ?

15 R. Oui, j'ai terminé des études de médecine. Je suis spécialiste. J'ai

16 effectué une carrière de 25 ans dans l'armée, et j'ai quitté l'armée avec

17 le grade de colonel, et je suis actuellement spécialiste des hôpitaux.

18 Q. Est-ce que dans le courant de votre service militaire, il vous a été

19 décerné des titres de mérite ? Si c'est bien le cas, dites-nous de quoi il

20 s'agit.

21 R. Oui. J'ai reçu de nombreuses médailles. Je suis chevalier de l'Ordre

22 national du Mérite. J'ai reçu quatre médailles pour actes de courage et de

23 dévouement, décerné par le préfet de police de Paris. J'ai reçu trois

24 témoignages de satisfaction; un du ministre de la Défense un du chef

25 d'état-major des armées, et un du ministre de la Coopération pour avoir

26 fait honneur à la France, et pour avoir donné une image généreuse de la

27 France lors d'opérations extérieures pour des secours à des populations

28 civiles.

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1 Q. Que faites-vous actuellement, Monsieur Barriot ?

2 R. Actuellement, je suis spécialiste des hôpitaux, et je suis chargé de

3 cours et de conférences dans de nombreuses facultés de médecine, et dans

4 plusieurs grandes écoles françaises. Je suis également membre d'un groupe

5 d'étude antiterroriste sur les risques NRBC, c'est-à-dire, nucléaire,

6 radiologique, biologique et chimique.

7 Q. Merci, Monsieur Barriot, de ces renseignements concernant votre

8 biographie.

9 Est-ce qu'à un moment donné dans le courant de votre carrière vous

10 auriez été affecté en ex-Yougoslavie ?

11 R. Oui. J'ai été affecté en ex-Yougoslavie, plus exactement en Croatie, en

12 Krajina, en 1994. A cette époque, j'avais le grade de lieutenant-colonel,

13 et j'ai été affecté comme Casque bleu au 1er Bataillon d'infanterie de la

14 FORPRONU, 1er Bataillon qui était français et qui était stationné à Glina.

15 L'antenne chirurgicale, elle à laquelle j'appartenais, était stationnée à

16 Topusko, près de Glina, dans le secteur sud de la FORPRONU.

17 Q. Est-ce qu'avant cela vous aviez visité la Yougoslavie ?

18 R. Non. C'était la première fois que je me rendais en ex-Yougoslavie.

19 Q. Merci. Avant que d'arriver en Yougoslavie, avez-vous su quoi que ce

20 soit au sujet de la situation qui prévalait ?

21 R. En arrivant en ex-Yougoslavie avec Ève Crépin, je ne connaissais de

22 l'ex-Yougoslavie que ce que j'avais lu dans les journaux et entendu à la

23 télévision, donc je n'avais pas d'opinion personnelle. J'avais les données

24 qui étaient transmises par les médias français.

25 Q. Monsieur Barriot, quelle a été la mission de la FORPRONU dans ces zones

26 protégées ? La savez-vous ?

27 R. Théoriquement, la mission de la FORPRONU dans ces zones protégées qui

28 ont été instaurées en 1992, était de s'interposer entre les Serbes et les

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1 Croates et de protéger la population serbe de Krajina.

2 Q. Veuillez nous indiquer, Monsieur Barriot, quelles étaient concrètement

3 vos missions au sein de ces rangs de la FORPRONU, j'entends de vous

4 personnellement ?

5 R. J'ai été le médecin, un anesthésiste de l'antenne chirurgicale, qui

6 était basée à Topusko, comme je le signalais précédemment, mais comme il y

7 avait peu de travail au profit des militaires français, je faisais partie

8 d'un groupe médical qui se rendait dans tous les villages de la région

9 avoisinante et dans les fermes isolées pour soigner les gens malades.

10 Egalement, comme l'hôpital de Glina n'avait plus d'anesthésiste, le Dr

11 Knezevic, le médecin chef de l'hôpital, m'a demandé si je pouvais effectuer

12 les anesthésies au bloc opératoire chaque matin. Tous les jours,

13 j'endormais les patients pour le bloc opératoire de l'hôpital de Glina.

14 C'était l'activité proprement médicale.

15 A côté de cela, bien entendu, en tant qu'officier supérieur, je

16 participais à toutes les réunions d'informations de la FORPRONU, réunions

17 qui se tenaient sur une base à peu près de chaque semaine, disons, le plus

18 souvent deux réunions par semaine, non seulement avec les officiers

19 français, mais avec des officiers étrangers, en particulier canadiens.

20 Q. Monsieur Barriot, du point de vue territorial, quel est le secteur que

21 vous avez couvert de part l'exercice de votre fonction ?

22 R. Je me suis déplacé régulièrement sur tout le territoire du secteur sud,

23 c'est-à-dire, la région de Banija, la région de Kordun, la région de Lika,

24 la région de Dalmatie du nord, et la région de Krajina de Knin, suffit pour

25 ce qui est de la Krajina. Je me rendais également régulièrement en Bosnie,

26 dans la poche de Bihac, en particulier à Velika Kladusa, où j'ai rencontré,

27 en particulier,

28 M. Fikret Abdic. Par ailleurs, je me déplaçais également régulièrement à

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1 Zagreb pour des missions de liaison auprès de mes hiérarchies.

2 Q. A l'époque que vous avez séjourné dans cette région, est-ce qu'il y

3 résidait rien que des Serbes ou y avait-il des ressortissants d'autres

4 groupes ethniques ?

5 R. Il y avait des ressortissants d'autres groupes ethniques, bien entendu.

6 Je peux le dire, en travaillant régulièrement à l'hôpital de Glina, il y

7 avait des personnels croates, d'autre part, de nombreux patients musulmans,

8 en particulier des blessés de la poche de Bihac venaient se faire soigner à

9 l'hôpital de Glina. Ces patients ont toujours été accueillis et soignés à

10 l'hôpital de Glina. D'autre part, j'étais en 1994, à l'été 1994, lorsque le

11 5e Corps de l'armée bosniaque, commandé par le général Atif Dudakovic a

12 chassé les partisans de Fikret Abdic de la poche de Bihac et les a expulsé

13 vers la Krajina. Donc, environ 40 000 musulmans, fidèles à Fikret Abdic, se

14 sont réfugiés en Krajina dans les camps de Betanija [phon] et de Turan

15 [phon], et là, malgré la situation économique critique de la Krajina, ces

16 40 000 musulmans ont été nourris, soignés et régulièrement ils étaient

17 traités à l'hôpital de Glina.

18 Q. A ce sujet j'aimerais vous demander : Vous en avez un peu parlé dès

19 maintenant, mais s'agissant des Croates dans la Krajina, quel en a été le

20 statut ? Avez-vous appris quoi que ce soit à ce sujet ?

21 R. Oui. En fait, il y avait deux types de situations. La première

22 situation était les Croates qui acceptaient de rester en Krajina et de

23 vivre en paix avec les Serbes. Ces Croates que j'ai rencontrés dans des

24 régions souvent isolées, dans des fermes isolées, dans des petits villages,

25 n'ont jamais été agressés ni menacés par les Serbes. Ils vivaient

26 paisiblement. Maintenant, d'autres Croates avaient choisi de quitter la

27 Krajina et de rejoindre d'autres villes, comme Zagreb. Je pense,

28 principalement, parce les conditions de vie en Krajina étaient extrêmement

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1 difficiles, les conditions économiques étaient atroces à cause de l'embargo

2 qui a été imposé, donc je pense que de nombreux Croates ont trouvé la vie

3 plus facile hors de la Krajina; mais en aucun moment je n'ai observé ou

4 constaté des menaces ou des expulsions de force.

5 Q. Merci, Monsieur Barriot. Je me propose maintenant de vous montrer sur

6 votre moniteur un document, le 1D0-048. Il s'agit de l'un des rapports

7 hebdomadaires de la Mission d'observation de la Communauté européenne, qui

8 se termine à la date du 23 décembre 1993. Je crois que vous pouvez voir à

9 présent ce document sur votre moniteur. J'aimerais qu'on nous montre la

10 deuxième page du même document. Je vous donnerais lecture du paragraphe au

11 numéro 4 (b), et cela se lit comme suit, je cite : "L'UNCIVPOL de Glina a

12 indiqué que sur 818 familles croates vivant dans le secteur de Glina, 90 %

13 vivaient dans de bonnes conditions et se sont vues reconnaître les mêmes

14 droits qu'à l'égard des Serbes. D'une manière générale, nous avons constaté

15 que les minorités sont bien traitées dans la majeure partie de

16 l'abréviation étant CCAOR," j'imagine qu'il s'agit de la Krajina Knin.

17 Vous nous avez précisé que vous êtes arrivé dans la Krajina en mars 1994.

18 Est-ce qu'à ce moment-là vous avez trouvé une situation qui correspondait à

19 ce qui vient d'être lu comme description dans ce document émanant de cette

20 Mission d'observation de la Communauté européenne comme on vient de le

21 voir ?

22 R. Absolument. Mes propos confirment totalement ce rapport. Si j'ai bien

23 vu la date du rapport, il est de fin 1993, et je peux dire qu'en 1994 les

24 Croates étaient aussi bien traités en Krajina qu'ils étaient en 1993, comme

25 le stipule ce rapport.

26 Q. Merci.

27 M. PEROVIC : [interprétation] J'aimerais que ce document soit versé au

28 dossier en guise de pièce à conviction de la Défense.

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1 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Monsieur Perovic. De quel

2 document s'agit-il au juste, parce que je n'ai pas vu son intitulé, parce

3 qu'ici, cela commence avec un B, non confirmé; C, protestation. C'est de

4 cela qu'il s'agit ?

5 M. PEROVIC : [interprétation] C'est la page 2. Il s'agit d'un rapport

6 hebdomadaire émanant de la Mission d'observation de la Communauté

7 européenne pour la semaine qui se termine avec la date du 23 décembre 1993.

8 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] J'aimerais qu'on voie la page 1 de ce

9 document.

10 M. PEROVIC : [interprétation] Oui, faites-nous voir, je vous prie, la page

11 1.

12 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] D'après ce que je vois sur l'écran,

13 ce document ne comporte que deux pages; est-ce bien cela ?

14 M. PEROVIC : [interprétation] Oui, et maintenant nous sommes en train de

15 voir la page 1, la page de garde.

16 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Le document a deux pages en tout et

17 pour tout, n'est-ce pas, Maître Perovic ?

18 M. PEROVIC : [interprétation] Je pense que c'est bien le cas, Monsieur le

19 Juge.

20 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Merci.

21 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur Perovic.

22 Le document est versé au dossier. J'aimerais qu'on lui attribue une cote.

23 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Ce sera 1006.

24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

25 M. PEROVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

26 Q. Vous en avez déjà parlé, Monsieur Barriot, mais je me propose de vous

27 poser la question quand même. Est-ce que dans le courant de vos séjours

28 dans la Krajina, il vous a été donné l'opportunité de remarquer des

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1 pressions exercées à l'encontre des Croates ou des non-Serbes autres que

2 cela, visant à les faire partir de la région ?

3 R. Non, et je le dis avec d'autant plus d'assurance que je participais

4 vraiment à la vie quotidienne des citoyens de Krajina, dans la mesure où

5 tous les jours je travaillais à l'hôpital de Glina et j'endormais les

6 patients, où je circulais dans toute la Krajina aussi bien dans les villes

7 comme Glina, Topusko, Virgil Most [phon], Knin, que dans les petits

8 villages et les fermes isolées. J'affirme sur l'honneur que je n'ai jamais

9 vu le moindre acte de violence ou la moindre pression visant à faire fuir

10 un Croate ou un Musulman.

11 Q. Si j'ai bien compris, vous avez mentionné le fait qu'un certain nombre

12 de Croates avaient quitté la Krajina pour des raisons économiques. A ce

13 sujet, ma question s'énonce comme suit : quelle est la situation que vous

14 avez constatée dans la Krajina lorsque vous y êtes arrivé, du point de vue

15 économique ?

16 R. En 1994, la situation économique était dramatique, et on pouvait s'en

17 rendre compte dans tous les événements de la vie quotidienne. Les citoyens

18 de la Krajina manquaient du strict nécessaire, des choses rudimentaires

19 comme du savon, comme de la lessive. Ils avaient de grosses difficultés

20 pour trouver des bougies parce qu'il y avait des coupures d'électricité

21 fréquentes. Il y avait une école maternelle et une école primaire à côté de

22 l'antenne chirurgicale de Topusko, et les élèves n'avaient pas de cahiers,

23 n'avaient pas de crayons. A l'hôpital, je peux le dire avec précision parce

24 que j'y allais tous les jours, il n'y avait pas d'antibiotiques. Il n'y

25 avait pas assez de produits anesthésiques pour le bloc opératoire. Il n'y

26 avait pas de produits de contraste dans le service de radiologie. Il n'y

27 avait pas assez de produits et de réactifs dans le laboratoire de biologie;

28 la banque de sang n'avait plus de sang. Donc, à toutes les étapes, à tous

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1 les événements de la vie quotidienne, on pouvait se rendre compte que les

2 citoyens de Krajina manquaient du strict nécessaire et des choses les plus

3 rudimentaires utiles dans la vie quotidienne.

4 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur Perovic, mais

5 n'avez-vous pas posé votre question au sujet des Croates en particulier,

6 les Croates qui auraient quitté pour des raisons économiques, comme vous

7 l'avez dit ? Je n'ai pas parfaitement bien compris à quelle phrase vous

8 vous êtes référé en réalité lorsque vous avez dit que si vous aviez bien

9 compris, bon nombre de Croates avaient quitté pour des raisons économiques.

10 Est-ce que vous pouvez faire la lumière sur ce point-là ?

11 M. PEROVIC : [interprétation] Oui, cela a été dit dans l'une des questions

12 posées au préalable. Monsieur le Président, si je puis me permettre de le

13 dire, cela a fait l'objet d'une question que j'avais posée auparavant.

14 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Oui, je comprends, mais à quelle

15 autre réponse antérieure vous êtes-vous référé ? C'est cela que je n'ai pas

16 compris. Je me suis posé la question lorsque vous avez posé cette question,

17 mais pouvez-vous nous aider ? Parce que j'ai essayé de retrouver et je n'ai

18 pas réussi à le retrouver, le fait que les Croates étaient partis pour des

19 raisons économiques.

20 M. PEROVIC : [interprétation] En répondant à l'une de mes questions, le

21 témoin a dit qu'il y avait eu deux catégories de population croate. L'une

22 des catégories était restée dans la Krajina pour résider dans des villages,

23 et un certain nombre de Croates avaient quitté pour aller dans des grandes

24 villes, et il a mentionné Zagreb pour des raisons économiques, car le

25 témoin a précisé que la situation économique dans la Krajina était très

26 difficile. Cela a fait l'objet d'une réponse à l'une de mes questions

27 précédentes. Ma question, la toute dernière en date, elle --

28 M. BLACK : [interprétation] Je crois pouvoir vous aider. Cela figure à la

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1 page 8 -- qui commence à la page 7, ligne 25, et qui s'étire jusqu'à la

2 page 8.

3 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Merci.

4 Vous pouvez continuer, je vous prie.

5 M. PEROVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Juge. Ma toute dernière

6 question était celle de savoir quelle était la situation économique

7 qu'avait constatée le témoin dans la Krajina lorsqu'il est arrivé, et il

8 vient d'en parler. Il a dit que cette situation économique s'était reflétée

9 sur le fonctionnement de l'hôpital à Glina.

10 Q. Dans ces circonstances et dans ces conditions-là, Monsieur Barriot,

11 est-ce que les patients de l'hôpital à Glina étaient rien que des Serbes,

12 ou y avait-il des membres d'autres groupes ethniques également ?

13 R. Il y avait des membres d'autres groupes ethniques. Comme je l'ai

14 signalé, il y avait des Croates, quelques Croates, et il y avait beaucoup

15 de Musulmans. Je tiens à dire qu'il n'y avait absolument aucune différence

16 dans le traitement des patients en fonction de leur ethnie ou de leur

17 religion. J'ai en particulier le souvenir précis d'une femme musulmane qui

18 avait été opérée d'une césarienne, qui avait eu une hémorragie importante,

19 et le maigre stock de sang qui était disponible dans l'hôpital lui a été

20 transfusé, donc a été donné à cette femme. C'est pour souligner le fait

21 qu'il n'y avait aucune discrimination dans les soins donnés aux patients,

22 quelle que soit leur origine ethnique et quelle que soit leur religion.

23 Q. Monsieur Barriot, est-ce qu'à l'occasion de votre séjour dans cette

24 région, il vous a été donné des opportunités de rencontrer la population

25 locale ? Si c'est le cas, dites-nous quels ont été les sentiments qui les

26 animaient, les réflexions qu'ils se faisaient. Pourriez-vous nous en dire

27 quelque chose, je vous prie ?

28 R. Oui, bien sûr. Les contacts avec la population locale se sont effectués

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1 de façon très progressive, bien évidemment, parce qu'au départ j'étais un

2 militaire étranger. Certes, je venais les aider à l'hôpital, mais il a

3 fallu, il fallait dire, un petit peu s'apprivoiser mutuellement. Mais au

4 fil du temps, j'ai été accepté par la population, donc j'étais invité dans

5 les maisons et j'allais aux mariages, aux enterrements. Je peux dire que

6 j'ai vécu vraiment au sein de cette population. Ce qui m'a beaucoup frappé,

7 c'est la peur qui régnait. Ces gens étaient réellement terrorisés et ils

8 faisaient sans cesse référence à la Deuxième Guerre mondiale et aux

9 massacres perpétrés par les Oustachi. C'était d'autant plus intense dans la

10 région de Glina. parce qu'il faut savoir qu'il y a eu des massacres atroces

11 perpétrés par les Oustachi dans l'église de Glina, et tous ces souvenirs

12 leur revenaient, d'autant que les Croates arboraient depuis 1991 de

13 nombreux emblèmes oustachi, en particulier le damier rouge et blanc --

14 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Excusez-moi, excusez-moi. Avez-vous

15 bien dit que vous êtes arrivé en mars 1994 ?

16 LE TÉMOIN : Oui, Monsieur le Président.

17 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Comment pouvez-vous témoigner

18 d'événements de 1991 ? Comment pouvez-vous le savoir ?

19 LE TÉMOIN : Comme je viens de le dire, Monsieur le Président, je vivais

20 avec des gens qui me le disaient tous les jours et, d'autre part, je

21 participais toutes les semaines à des réunions de la FORPRONU avec des

22 officiers qui étaient chargés de donner l'analyse et l'évolution de la

23 situation depuis 1991.

24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, mais j'ai écouté ce que vous avez

25 dit, parce que vous avez parlé de Croates qui, depuis 1991, ont arboré des

26 insignes oustachi. Ce n'est pas une chose que l'on vous a dit. Vous êtes en

27 train de présenter cela comme une affirmation, une information de première

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1 LE TÉMOIN : Bien, oui. Ce sont, comme je vous le disais, les gens avec qui

2 je vivais dans Glina me l'ont dit, l'ont vu de leurs yeux. Je vous rapporte

3 ce que j'ai entendu de mes oreilles.

4 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Alors, dites-le, dites : On m'a dit.

5 "Parce que les Croates avaient arboré des emblèmes oustachi," vous n'avez

6 pas dit qu'on vous l'avait dit. C'est ce que vous étiez en train de dire

7 avant que je ne vous interrompe. Vous comprenez ?

8 LE TÉMOIN : Oui, je comprends. J'étais en cours de développer ma pensée.

9 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Développez votre pensée et dites-le;

10 alors plutôt développez d'abord et dites les choses après, je vous prie.

11 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Un moment, je vous prie.

12 [La Chambre de première instance se concerte]

13 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je m'excuse, Maître Perovic, le

14 Juge Nosworthy vient de nous signaler que c'est également qu'il s'agissait

15 là d'un segment que nous avons exclu de son témoignage par notre décision

16 rendue verbalement.

17 M. PEROVIC : [interprétation] Monsieur le Président, je n'ai pas visé à

18 obtenir une réponse aussi ample pour ma part non plus.

19 Q. Monsieur Barriot, quelle a été l'attitude de la population locale vis-

20 à-vis des Casques bleus ? Vous avez parlé de leur attitude vis-à-vis de

21 vous-même en personne, qui étiez l'un des membres de ces Casques bleus,

22 mais je voudrais savoir quelle a été l'attitude de la population locale à

23 l'égard des Casques bleus en général.

24 R. L'attitude de la population de Krajina envers les Casques bleus était

25 une réaction d'espoir et de confiance, parce que comme je vous

26 l'expliquais, ils étaient complètement terrorisés. Ils redoutaient une

27 invasion de la Krajina et ils mettaient tout leur espoir dans la communauté

28 internationale et dans les Casques bleus pour les protéger d'une nouvelle

Page 10757

1 agression.

2 Q. Pendant votre mission, en votre qualité de membre de la FORPRONU, avez-

3 vous eu l'occasion d'aller en Croatie à l'extérieur des zones protégées par

4 les Nations Unies, disons à Zagreb ? Si c'est le cas, quelle a été, là-bas,

5 l'attitude vis-à-vis de la FORPRONU ? Sauriez-vous nous en dire quoi que ce

6 soit, tant pour ce qui est de l'attitude du gouvernement et des autorités

7 croates, que du point de vue de l'attitude adoptée par la population vis-à-

8 vis de la FORPRONU ?

9 R. Oui, pour répondre précisément à votre question, j'allais régulièrement

10 à Zagreb, ainsi que Sreten [phon] pour des missions de liaison, soit pour

11 rencontrer notre hiérarchie, soit parce que nous servions un petit peu de

12 facteurs entre des citoyens croates et qui vivaient en Krajina et leur

13 famille qui vivait à Zagreb, donc on transportait leur courrier et certains

14 papiers. Donc, nous allions régulièrement à Zagreb. Là, je peux dire que la

15 position générale des Croates de Zagreb en particulier vis-à-vis de la

16 FORPRONU était radicalement différente. Il y avait une agressivité évidente

17 contre toute personne qui portait un uniforme de la FORPRONU, et lorsque

18 nous allions à Zagreb, nous avions même la consigne de notre hiérarchie

19 d'enlever notre uniforme et de circuler dans Zagreb en civil. Pour quelle

20 raison ? La raison est très simple; c'est qu'aux yeux des Croates, les

21 militaires de la FORPRONU étaient là pour les empêcher de reprendre la

22 Krajina par la force.

23 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Je pense que la première partie de

24 la question était l'attitude des autorités croates, et la deuxième partie

25 portait sur l'attitude de la population à l'égard de la FORPRONU. Le

26 témoin, me semble-t-il, n'a pas vraiment répondu au premier segment de

27 votre question. Peut-être pourriez-vous répéter cette partie-là de la

28 question afin qu'il nous présente cet élément de preuve ?

Page 10758

1 M. PEROVIC : [interprétation] Merci, Madame le Juge. Je vais certainement

2 le faire.

3 Q. Monsieur Barriot, tout à l'heure, je vous ai demandé quelle a été

4 l'attitude du gouvernement croate et des autorités croates à l'égard des

5 membres de la FORPRONU. En même temps, j'ai posé une autre question, à

6 savoir quelle a été l'attitude de la population croate vis-à-vis de cette

7 même FORPRONU. J'aimerais que vous dissociiez ces deux éléments et que vous

8 nous parliez de l'attitude des autorités croates, et ensuite l'attitude de

9 la population croate vis-à-vis de la FORPRONU.

10 R. Oui. Je n'ai peut-être pas été assez explicite, mais je pense que les

11 deux sont totalement liés, et que si la population avait cette agressivité

12 contre la FORPRONU, c'est parce qu'elle était nourrie par les déclarations

13 et l'attitude des autorités politiques. Il était clair que tout était fait

14 au niveau des autorités politiques croates pour terroriser les Serbes. Je

15 l'ai dit, il y avait des emblèmes, le renouveau des emblèmes oustachi, en

16 particulier le damier. Il y avait le changement des noms des places et des

17 rues. Vous savez que la place des victimes du fascisme était devenue la

18 place des grands Croates. Tous les travaux de Mile Budak, qui est un

19 historien oustachi, étaient remis à l'ordre du jour et enseignés dans les

20 écoles. Le dinar a été remplacé par la kuna. Dans l'armée, les grades

21 oustachi ont été --

22 Q. Merci, Monsieur Barriot. Vous avez parlé de réunions hebdomadaires avec

23 vos supérieurs hiérarchiques au sein de la FORPRONU, réunions auxquelles

24 vous avez pris part. Ce que je voudrais savoir, c'est si vous avez eu

25 l'occasion, mis à part ces réunions officielles, de vous entretenir avec

26 des officiers de la FORPRONU, et si c'est le cas, de quoi avez-vous parlé

27 et que vous ont-ils relaté à l'extérieur, j'entends, de ces réunions

28 officielles ?

Page 10759

1 R. Oui. Je comprends le sens de votre question, mais d'abord je voudrais

2 dire qu'il est normal lorsqu'une nouvelle unité arrive, ou une nouvelle

3 antenne chirurgicale arrive, que les prédécesseurs et les autorités leur

4 fassent un exposé précis de la situation, et leur rappelle aussi

5 l'évolution de la situation depuis ses origines. C'était tout à fait

6 normal.

7 Deuxièmement, il est clair que j'étais officier supérieur, j'ai eu

8 beaucoup de discussions dans les mess, des discussions personnelles avec de

9 nombreux officiers qui étaient présents, certains depuis 1992, et qui

10 connaissaient parfaitement la situation, de même qu'avec des officiers

11 étrangers. Ce qui était clair et ce qu'on nous a dit dès notre arrivée - je

12 le répète - quand je suis arrivé au mois de mars 1994, tous nos

13 prédécesseurs nous ont dit : la guerre va reprendre et reprendra en

14 Krajina. Nous avons de nombreux indices qui montrent que les Croates sont

15 en train de s'armer et de s'organiser pour reprendre la Krajina. Donc, il

16 n'y avait aucune ambiguïté là-dessus.

17 Q. Monsieur Barriot, est-ce qu'à l'époque il y avait une interdiction

18 d'importer des armes sur le territoire de l'ex-Yougoslavie ? En savez-vous

19 quelque chose ?

20 R. Oui. C'est, je dirais, la suite de la question précédente, dans la

21 mesure où nous en parlions. C'est évident que le premier souci d'un

22 militaire, c'est la circulation des armes et les trafics d'armes. Il était

23 clair qu'il y avait un embargo sur les armes pour toutes ces régions depuis

24 1991, mais qu'à l'évidence, les Croates étaient en train de s'armer avec

25 l'aide de l'Allemagne et des Etats-Unis. Au cours de l'année 1994, une

26 société militaire privée américaine, Military Professional Resources

27 Incorporated, MPRI, est venue s'installer en Croatie. Il y avait une équipe

28 à Zagreb au niveau de l'ambassade américaine, et cette équipe était chargée

Page 10760

1 du trafic d'armes et de l'approvisionnement en armes de l'armée croate.

2 Q. Si je vous ai bien compris, Monsieur Barriot, l'embargo relatif à

3 l'importation des armes n'a guère été respecté; et si je vous ai bien

4 compris là aussi, cet embargo a été enfreint par les autorités croates,

5 avec l'aide de certains facteurs étrangers, n'est-ce pas ?

6 R. Vous m'avez parfaitement bien compris. Je ne dirais pas qu'il a été

7 enfreint; il a été violé manifestement.

8 Q. Est-ce que les Nations Unies auraient entrepris quoi que ce soit pour

9 sanctionner ces violations de l'embargo sur l'importation des armes ? En

10 savez-vous quelque chose ?

11 R. Non, il n'y a eu aucune mesure pour empêcher cette violation de

12 l'embargo. Je dirais même que les militaires avaient consignes de fermer

13 les yeux, y compris les militaires de la FORPRONU, de fermer les yeux sur

14 ce trafic d'armes, cette violation de l'embargo, et de ne pas le signaler

15 dans leurs rapports. Je vais vous donner un exemple. En 1994, des

16 militaires de mon unité avaient saisi des fusils d'assaut américains, des

17 MN-16, dans la poche de Bihac, des fusils d'assaut qui avaient été fournis

18 par les Etats-Unis au 5e Corps bosniaque d'active Dudakovic, qui était

19 chargé d'attaquer et la Krajina et les fidèles de Fikret Abdic. Il y avait

20 une volonté manifeste de fermer les yeux sur cette violation de l'embargo

21 sur les armes par les Croates.

22 Q. Mis à part cet embargo relatif à l'importation des armes, dites-nous,

23 Monsieur Barriot, si vous avez appris qu'il y aurait eu un autre embargo de

24 mis en place sur le territoire de l'ex-Yougoslavie par les Nations Unies ?

25 R. Oui, bien sûr. Il y avait un double embargo, d'abord l'embargo aérien

26 commercial et pétrolier contre la République fédérale de Yougoslavie, mais

27 surtout il y avait la Résolution 820 du Conseil de sécurité des Nations

28 Unies qui interdisait toutes les importations et les exportations à

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1 destination et en provenance de la République serbe de Krajina, c'est-à-

2 dire que cette petite république était complètement isolée, coupée du

3 monde; et cela a eu pour effet, comme je vous le disais tout à l'heure, de

4 jeter les gens dans le dénuement le plus complet et de pousser un grand

5 nombre de gens au désespoir.

6 Q. Cet embargo économique dont vous venez de nous parler, a-t-il été

7 respecté, lui, à la différence de l'embargo précédent dont vous venez de

8 nous parler ?

9 R. Non. Il est évident que cet embargo, lui, a été totalement respecté.

10 Comme je vous le disais, cela se traduisait en particulier au niveau des

11 soins à la population, qui ne pouvait pas bénéficier de soins de qualité

12 parce qu'ils manquaient le strict nécessaire. Donc, l'embargo économique

13 contre la Krajina a été appliqué avec la plus grande rigueur, alors qu'il

14 est évident que l'embargo sur les armes a été violé en permanence par la

15 Croatie. Il y a eu deux poids, deux mesures évidents dans les embargos.

16 Q. Dans ces circonstances que vous venez d'évoquer, la communauté

17 internationale, à l'intention de ces régions-là, aurait-elle assuré une

18 aide humanitaire ? Si c'est le cas, quel en était le volume ?

19 R. Je peux répondre de façon catégorique sur cette question. Il n'y a pas

20 eu la moindre aide humanitaire apportée à la population serbe de Krajina.

21 Je peux le dire, je suis un spécialiste de l'action humanitaire. Je n'ai

22 pas vu une seule organisation non gouvernementale, type Médecins du monde,

23 Médecins sans frontières. Personne n'a aidé les Serbes de Krajina. Je le

24 dis bien : personne.

25 Q. Quand est-ce que votre mission au sein de la FORPRONU a pris fin,

26 Monsieur Barriot ?

27 R. Ma mission au sein de la FORPRONU a pris fin au mois de juin 1994, mais

28 par la suite, je me suis rendu régulièrement en Krajina, environ tous les

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1 deux mois, pour travailler au bloc opératoire de l'hôpital de Glina, avec

2 une toute petite organisation serbe qui s'appelait l'association Krajina,

3 qui avait été fondée par Mile Bucan et qui n'avait quasiment aucun moyen.

4 C'est moi qui achetais avec mon argent des médicaments, des produits, et je

5 les apportais régulièrement à l'hôpital de Glina, qui manquait de tout.

6 Q. J'imagine que vous avez alors eu l'occasion de rencontrer des réfugiés.

7 Que vous ont-ils raconté, eux ?

8 R. Oui, bien sûr. En Krajina, j'ai rencontré de nombreux réfugiés qui

9 avaient été expulsés de Croatie en 1991. Ils m'ont décrit la situation qui

10 régnait en Croatie en 1990 et en 1991, lorsqu'ils ont été considérés comme

11 citoyens de deuxième catégorie, lorsque leurs droits constitutionnels ont

12 été abolis et que leurs droits fondamentaux ont été foulés au pied. Ce sont

13 des gens qui avaient perdu leur --

14 Q. Mis à part les réfugiés serbes, est-ce que vous avez eu l'occasion de

15 voir d'autres réfugiés appartenant à d'autres groupes ethniques sur le

16 territoire de Krajina ? Si c'est le cas, lesquels avez-vous vus ?

17 R. Oui. J'ai rencontré des réfugiés d'autres groupes ethniques,

18 essentiellement des réfugiés musulmans. Il y avait beaucoup de réfugiés

19 musulmans qui venaient de la poche de Bihac, comme je le disais, pour se

20 faire soigner et trouver refuge en Krajina. Puis, surtout, à l'été de 1994,

21 il y a eu ces 40 000 réfugiés musulmans qui ont été expulsés --

22 Q. Monsieur Barriot, je m'excuse de vous interrompre. Je voulais vous

23 demander quelle fut l'attitude, le comportement du gouvernement des

24 autorités de la population de Krajina à l'égard de ces Musulmans et de ces

25 autres réfugiés qui n'étaient pas Serbes ? Le savez-vous ?

26 R. Oui, je le sais, parce que je travaillais dans un hôpital et je crois

27 que l'hôpital, dans une situation comme celle-là, est le meilleur endroit

28 pour apprécier une situation. Lorsque vous n'avez plus de sang, lorsque

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1 vous n'avez presque plus de médicaments, la réaction naturelle est de les

2 garder pour vous, pour les membres de votre -- on va dire de votre groupe

3 ethnique, or, ce n'était pas le cas. Je le redis, car un blessé ou un

4 malade croate ou un malade ou un blessé musulman arrivait, il n'y avait

5 aucune discrimination. S'il ne restait que deux poches de sang, ces deux

6 poches de sang étaient données aux Musulmans ou aux Croates. S'il ne

7 restait qu'une dose d'antibiotiques, elle était donnée aussi bien aux

8 Croates, aux Musulmans qu'à un Serbe, donc il n'y avait aucune

9 discrimination à ce niveau.

10 Q. Merci, Monsieur Barriot. Est-ce que vous connaissez la position prise

11 par les autorités croates, eu égard à la résolution de la question des

12 zones protégées des Nations Unies ? Est-ce que vous avez des informations à

13 ce propos ?

14 R. Oui. Les informations qui circulaient dans le secteur sud de la

15 FORPRONU parmi les officiers de la FORPRONU, qui étaient clairement que les

16 Croates ne tiendraient absolument pas compte de cette protection des

17 Nations Unies, et dès qu'ils seraient prêts à passer à l'attaque, c'est-à-

18 dire que dès que les Américains et la Société MPRI leur auraient fourni les

19 armes dont ils avaient besoin et le soutien logistique dont ils avaient

20 besoin, ils attaqueraient ces zones de protection sans le moindre égard

21 pour leur statut.

22 Q. D'après ce que vous savez, est-ce que la Croatie a déclenché des

23 opérations militaires sur ces zones protégées par les Nations Unies ?

24 R. Bien sûr. J'ai été en contact avec des militaires français, en

25 particulier des adjoints du général Kot, qui avaient été les témoins

26 directs de ces attaques, puisqu'en 1992 et 1993, il y a eu trois attaques

27 importantes contre ces zones de protection des Nations Unies; la première,

28 au mois de juillet 1992, sur le plateau de Miljevac, en Dalmatie du nord;

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1 la deuxième --

2 Q. [aucune interprétation]

3 R. L'armée croate a délibérément attaqué ces zones de protection, et

4 personne ne s'y est réellement opposé, et la FORPRONU, dans tous les cas,

5 n'a pas été en état de faire cesser ces opérations.

6 Q. Il a déjà été question de ces opérations, ici, au cours de ce procès.

7 Nous n'allons pas nous attarder sur cette question maintenant, mais au vu

8 de ce que vous avez vu sur le terrain, puisque vous êtes médecin, mais vous

9 êtes aussi un soldat ayant une longue carrière, pourriez-vous nous dire

10 quel était l'armement qu'avait l'armée de la République serbe de Krajina ?

11 R. Je peux vous répondre de façon très précise, parce qu'en 1994, j'étais

12 un officier supérieur de l'armée française. Je me rendais souvent à

13 l'étranger, donc j'étais en contact avec des agents du renseignement

14 français, plus exactement de la DGSE. La DGSE, à cette époque, m'avait

15 demandé de leur faire le point sur les types d'armement qui étaient

16 présents en République serbe de Krajina, donc ils m'avaient montré en

17 particulier les photos de tous les types de chars, de tous les types

18 d'artillerie. Ce que je peux dire, c'est qu'à cette époque, il n'y avait

19 aucun armement lourd en République serbe de Krajina. Il y avait des fusils,

20 il y avait quelques lance-roquettes, mais il n'y avait aucun armement

21 lourd, contrairement à la Croatie qui s'équipait avec des MiG 21, avec de

22 l'artillerie lourde, avec réellement de l'armement pour une invasion. Le

23 seul armement, je le répète, qui se trouvait en République serbe de

24 Krajina, c'était un armement léger et purement défensif.

25 Q. Monsieur Barriot, vous avez déclaré que la FORPRONU avait un rôle de

26 protection. Vous avez également relaté ce que vous avaient rapporté les

27 officiers de la FORPRONU. Au vu de votre expérience sur le terrain, la

28 mission de la FORPRONU à laquelle vous avez également participé, est-ce

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1 qu'elle a bien rempli sa mission ?

2 R. Non. Je réponds d'une façon très claire. La FORPRONU n'a pas rempli sa

3 mission dans la mesure où sa mission était de protéger une population

4 désarmée qui n'avait plus d'armement lourd, une population désarmée qui se

5 trouvait dans une zone de protection des Nations Unies. Le rôle de cet

6 effort de protection des Nations Unies, c'était de protéger ces civils sans

7 défense, et cela n'a jamais été réalisé puisque ces civils ont été, de 1992

8 à 1995, soumis aux agressions et à la barbarie croates.

9 Q. S'agissant de ces attaques, de ces agressions perpétrées sur des zones

10 de protection des Nations Unies, avez-vous connaissance, par exemple, est-

11 ce que vous savez s'il y a des Etats étrangers qui ont joué un certain rôle

12 dans ces opérations croates. Dans l'affirmative, si vous avez des

13 informations dans ce sens, quel fut le rôle joué par ces Etats ?

14 R. Le rôle principal a été joué par les Etats-Unis, et à un double niveau.

15 D'une part, les Etats-Unis, l'armée américaine - je dis bien l'armée

16 américaine, et pas l'OTAN - est intervenue directement pour bombarder les

17 forces serbes au moins en deux circonstances; c'était le bombardement de

18 l'aéroport d'Udbina en 1994, et c'est surtout le bombardement de Knin qui a

19 ouvert la voie à l'opération Tempête. Il y a eu intervention directe de

20 l'armée américaine au moins à ces deux niveaux.

21 Ensuite, je dirais même surtout, il y a eu une intervention indirecte

22 par le biais de la société militaire privée, Military Professional

23 Resources Incorporated, parce qu'il s'agit d'une société militaire privée

24 qui est aux ordres du Pentagone, qui est dirigée par des généraux

25 américains à la retraite, et ce sont eux qui ont formé l'armée croate et

26 qui ont armé les forces croates en vue de l'opération Eclair et de

27 l'opération Tempête. Il y a eu un accord signé en ce sens entre M. Gojko

28 Susak, qui était l'ancien ministre de la défense croate, et le directeur de

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1 MPRI; ce contrat s'appelait Assistance à la transition démocratique.

2 Q. Merci, Monsieur Barriot.

3 M. BLACK : [interprétation] Peut-on établir le fondement de ce qui vient

4 d'être formulé, parce que j'aimerais savoir d'où le témoin tient ces

5 informations de première main, de seconde main ?

6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Perovic ?

7 M. PEROVIC : [interprétation] Je suppose que mon estimé confrère du banc du

8 Procureur pourra poser ses questions au moment où il procédera au contre-

9 interrogatoire du témoin.

10 M. BLACK : [interprétation] Non, non, Monsieur le Président. Il faut

11 établir les bases de telles choses avant que ceci ne prenne de valeur

12 probante. C'était là la nature de mon objection.

13 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Perovic, je pense que vous

14 devez effectivement poser les bases d'une telle question ou d'une telle

15 réponse. Comment se fait-il que le témoin sache tout ceci ? Est-ce qu'il a

16 vu ceci de ses propres yeux ? Est-ce que c'est quelqu'un qui lui a dit ?

17 M. PEROVIC : [interprétation] Tout ce que je peux faire, c'est de lui poser

18 la question.

19 Q. Comment avez-vous obtenu ces informations que vous venez de nous

20 rapporter ? Je parle ici des rapports existant entre cette entreprise

21 américaine et les autorités croates.

22 R. Tous les renseignements dont je fais état ici m'ont été fournis par des

23 collègues officiers supérieurs de l'armée française et officiers supérieurs

24 canadiens qui étaient en poste en Croatie à cette époque. Je suis officier

25 supérieur. J'ai juré de dire la vérité dans ce Tribunal. Je crois que je

26 n'ai pas plus à dire que cela. Mais bien sûr, je ne vais pas vous fournir

27 une attestation de MPRI.

28 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que le moment se prêterait bien

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1 à faire une pause ?

2 M. PEROVIC : [interprétation] Monsieur le Président, je voulais simplement

3 remercier M. Barriot de sa déposition. J'ai ainsi terminé l'interrogatoire

4 principal.

5 Q. Je vous remercie, Monsieur Barriot.

6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci, Maître Perovic. Je pense le

7 moment se prête bien à faire une première pause très courte, Monsieur le

8 Témoin, et nous reprendrons par la suite.

9 L'audience est suspendue.

10 --- L'audience est suspendue à 10 heures 14.

11 --- L'audience est reprise à 10 heures 45.

12 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Black, vous avez la parole.

13 M. BLACK : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

14 Contre-interrogatoire par M. Black :

15 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur Barriot. Je m'appelle M. Black. Je

16 représente le bureau du Procureur. Le tour est venu pour moi de vous poser

17 quelques questions. Je ne vais pas revenir sur chacun des sujets que vous

18 avez évoqués, car la Chambre sait ce que nous pensons de certaines choses,

19 par exemple celle du damier, mais je voulais simplement vous dire que je

20 n'allais pas vous poser de questions sur ces choses-là. Je vais m'attacher

21 à d'autres choses. Vous me comprenez ?

22 R. Très bien. Bonjour. Je vous remercie.

23 Q. Merci. Tout d'abord, puisque nous nous trouvons ici, est-ce que vous

24 avez un avis particulier sur ce Tribunal pénal international, surtout pour

25 ce qui est des objectifs qu'il poursuit et de son impartialité ?

26 R. Je peux vous répondre franchement ? Je pense que --

27 Q. Volontiers.

28 R. Je pense que ce Tribunal n'est pas établi sur une base légale.

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1 Q. Est-ce que vous pourriez étoffer votre propos ?

2 R. Oui, j'étoffe mon propos. Je pense qu'une résolution du Conseil de

3 sécurité ne peut pas établir un tel Tribunal et qu'il fallait un vote de

4 l'assemblée générale des Nations Unies pour donner une base légale à ce

5 Tribunal. En conséquence, mon opinion profonde est que ce Tribunal est

6 illégal.

7 Q. Qu'en est-il de son parti pris ou de son impartialité ? Avez-vous un

8 avis particulier sur la question ?

9 R. J'ai un avis très particulier, oui. Il est évident que ce Tribunal est

10 partial. Aucune autorité politique croate n'a été inculpée; le président

11 Tudjman n'a pas été inculpé. Aucun ministre croate n'a été inculpé. Aucun

12 président musulman n'a été inculpé, aucun ministre musulman n'a été

13 inculpé; par contre, toutes les autorités politiques serbes ont été

14 inculpées. Si on regarde les condamnations, quand on voit quelqu'un comme

15 Naser Oric condamné à deux ans de prison pour les crimes qu'il a commis,

16 c'est un peu comme s'il avait volé une Mobylette, alors que tous les Serbes

17 sont sanctionnés avec une sévérité absolue.

18 Q. Merci. Vous avez écrit un ouvrage sur le même sujet. Nous allons le

19 voir s'afficher à l'écran, numéro ERN Y0061852.

20 M. BLACK : [interprétation] Madame et Messieurs les Juges, manifestement,

21 c'est un ouvrage écrit en français. J'ai demandé qu'on traduise un tout

22 petit extrait, pas la totalité du livre. Je ne vais pas demander le

23 versement de ce livre au dossier. Peut-être pourrons-nous simplement nous

24 servir des interprètes pour traduire d'autres passages, s'ils n'ont pas été

25 traduits par écrit.

26 Q. Vous voyez ici, devant vous, votre livre qui s'appelle : "Nos

27 témoignages sur la Serbie". C'est vous et votre partenaire, Ève Crépin, qui

28 l'avez rédigé, n'est-ce pas ?

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1 R. Oui. C'est l'un des nombreux livres que nous avons écrits avez Ève

2 Crépin, puisque nous avons écrit ensemble cinq livres sur l'ex-Yougoslavie.

3 Q. Très bien. Celui-ci, en particulier, inclut des articles qui ont fait

4 l'objet de publications séparées par vous ou par elle et qui se retrouvent

5 rassemblées ici, n'est-ce pas ?

6 R. C'est absolument exact.

7 Q. Très bien. Veuillez examiner un extrait qui commence à la page ERN

8 Y0061865 [comme interprété]. Est-ce qu'on peut afficher cette page-là à

9 l'écran, s'il vous plaît.

10 M. BLACK : [interprétation] Monsieur le Président, vous avez la traduction

11 en anglais. Ce n'est pas très clair, mais apparemment, cela traduit

12 quelques-uns des paragraphes qu'on trouve de cet article en français. On

13 les indique.

14 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien --

15 M. BLACK : [interprétation] On devrait avoir saisi la traduction en anglais

16 dans le système du prétoire électronique, numéro ERN Y0061865. Je crois que

17 là, on a le français, mais il faut tourner quelques pages pour arriver à la

18 page qui se termine par le numéro ERN Y0061865.

19 Q. Monsieur Barriot --

20 M. BLACK : [interprétation] Oui, maintenant on commence à voir la

21 traduction, mais je demanderais que le texte en français soit affiché pour

22 le témoin.

23 Q. Monsieur Barriot, cela ne prendra qu'une seconde. C'est la première

24 fois qu'on utilise un document en français. En général, ici dans ce procès,

25 on a le B/C/S et l'anglais, donc il y a une petite question technique à

26 régler. Je pense que nous pouvons y aller.

27 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que vous pourriez nous donner

28 l'anglais ? Parce que je vois le français sur les deux écrans. Maintenant,

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1 c'est bon.

2 M. BLACK : [interprétation] M. Whiting dit qu'il a l'anglais toujours à

3 l'écran. Je ne sais pas s'il faut remettre ceci à jour --

4 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [hors micro]

5 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Nous avons maintenant l'anglais.

6 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Est-ce qu'on peut fournir aux

7 interprètes la traduction en anglais ?

8 M. BLACK : [interprétation] Je ne l'ai pas sur support papier. Puisque cela

9 se trouve à être dans le système, je pensais que les interprètes pouvaient

10 avoir accès.

11 M. LE JUGE HOEPFEL : [aucune interprétation]

12 L'INTERPRÈTE : [aucune interprétation]

13 M. BLACK : [interprétation] Je pense que je vais être sauvé par Mme la

14 Greffière qui va veiller à en faire une impression papier.

15 Q. Monsieur Barriot, pouvez-vous confirmer, vous qui avez le texte en

16 français, l'original sous les yeux, est-ce que vous pouvez confirmer cela ?

17 R. Je ne comprends pas ce que vous me demandez de confirmer.

18 Q. Simplement que vous avez bien l'original en français à l'écran, parce

19 qu'on a quelques difficultés pour savoir quelles sont les versions

20 affichées aux différents écrans, mais vous avez le français, n'est-ce pas ?

21 R. C'est la version française des pages 26 et 27.

22 Q. Parfait. Merci. Ce que vous voyez ici -- à droite, une lettre ouverte

23 "A un ami criminel de guerre ou prétendu être"; c'est exact ?

24 R. C'est exact.

25 Q. C'est une lettre ouverte adressée à Milan Martic, n'est-ce pas ?

26 R. Oui. C'était un article que nous avions écrit avec Ève Crépin il y a

27 plusieurs années, oui.

28 Q. Oui, je pense que la première publication, ce fut en septembre 1997;

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1 c'est bien cela ?

2 R. Je pense, oui. Nous en avons écrit plusieurs, et j'ai un petit peu de

3 mal à me souvenir de toutes les dates.

4 Q. Je comprends bien.

5 M. BLACK : [interprétation] Intéressons-nous au deuxième paragraphe sur la

6 page de droite.

7 Q. Vous voyez une phrase qui commence par " Nietzsche, Nietzsche disait".

8 Pourriez-vous lire cette phrase jusqu'à la fin de la page ?

9 R. Avec grand plaisir. Je vous remercie beaucoup de l'attention que vous

10 portez à nos écrits. Je lis.

11 "Nietzsche disait que c'est le propre des hommes vulgaires que de

12 considérer toujours l'ennemi comme mauvais. Le Tribunal pénal international

13 est la juridiction des hommes vulgaires. La guerre, qui n'a rien perdu de

14 son horreur, a désormais perdu tout honneur. Ce qu'il est convenu d'appeler

15 la justice internationale n'est qu'un ersatz frelaté de justice controuvé

16 par les vainqueurs. Son emblème devrait être une balance d'épicier, une

17 balance truquée."

18 Q. Merci beaucoup. Je suppose que c'est bien la position que vous avez

19 encore aujourd'hui, pas seulement à l'époque où vous avez rédigé cet

20 article. Vous pensez toujours cela aujourd'hui ?

21 R. Je pense avoir répondu clairement à vos questions.

22 Q. Tout à fait, jusqu'à présent. Mais, pour ce qui est de cette question-

23 ci, l'avis exprimé dans cet article, c'est toujours l'avis que vous avez

24 aujourd'hui ?

25 R. Oui, je le confirme.

26 Q. Très bien, merci.

27 M. BLACK : [interprétation] Prenons la page suivante, s'il vous plaît.

28 C'est le même paragraphe qui se poursuit en anglais, Monsieur le Président.

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1 Je vous le dis, nous avons appris lundi matin que le témoin allait

2 comparaître aujourd'hui. Cela a été préparé hier, donc on n'a traduit que

3 quelques paragraphes. J'espère que tout ceci sera clair.

4 Q. Ici, en haut à gauche, voilà la dernière phrase de ce paragraphe qui

5 dit : "Le Tribunal est fondé sur un crime contre l'esprit qui consiste à

6 postuler que l'armée des vainqueurs est juste et que l'armée des vaincus,

7 scélérate."

8 Persistez-vous à croire que ce Tribunal se fonde sur un crime contre

9 la conscience ou contre l'esprit ?

10 R. Je persiste à le croire, Monsieur le Procureur.

11 Q. Bien, merci. Une dernière question à propos de cet article.

12 M. BLACK : [interprétation] Nous allons faire défiler le texte pour avoir

13 le dernier paragraphe de la page gauche, paragraphe traduit en anglais.

14 Q. Vous voyez ici : "Cher Milan Martic, pourquoi est-ce que votre nom est-

15 il inscrit sur ces listes ?"

16 "Le mardi, 2, et mercredi 3, 1995, sur votre ordre, trois ou quatre

17 roquettes Orkan ont été lancées sur Zagreb, provoquant la mort de cinq

18 personnes. Cet ordre a été donné en riposte à l'invasion brutale de la

19 Slovanie occidentale par l'armée croate."

20 Quelques questions à ce propos. Tout d'abord, vous confirmez ici que le

21 pilonnage de Zagreb a été ordonné par Milan Martic, n'est-ce pas ?

22 R. Non. C'est la seule chose que je ne confirme pas. Je confirme tout le

23 reste, je ne confirme pas ce fait. Je n'avais pas les éléments, et je pense

24 que c'est une erreur de ma part, donc je ne confirme pas - et j'insiste sur

25 ce fait - je ne confirme pas que c'est sur ordre de Milan Martic que les

26 roquettes ont été tirées.

27 Q. Sur quoi vous êtes-vous appuyé pour dire ceci dans cet article écrit en

28 1997 ?

Page 10774

1 R. Je me suis appuyé sur des données fausses et sur le fait que - je le

2 pense sincèrement - le président Milan Martic a voulu assumer la

3 responsabilité d'un acte dont il n'avait pas été le commanditaire. Mais

4 dans la mesure où il avait une haute idée de sa fonction de président, je

5 pense qu'il était prêt à tout assumer, mais je retire la phrase à laquelle

6 vous faites référence.

7 Q. Sur quoi vous appuyez-vous pour dire que Martic voulait assumer la

8 responsabilité d'acte qu'il n'avait pas ordonné ? Qu'est que vous appris

9 depuis 1997 qui vous pousse à tirer cette conclusion ?

10 R. Je crois qu'il faut quand même bien se remettre dans le contexte.

11 Qu'est-ce qui s'est passé au moment du tir des roquettes Orkan sur Zagreb ?

12 Il se passait que l'armée croate soutenue par les Etats-Unis était en train

13 de bombarder --

14 Q. Je vous interromps, Monsieur le Témoin, excusez-moi. Je ne crois pas

15 que vous ayez compris ma question. Vous avez écrit cet article en 1997;

16 qu'est-ce que vous avez appris depuis qui vous éclaire davantage et qui

17 vous fait comprendre que Martic essayait simplement d'endosser la

18 responsabilité de quelque chose qu'il n'avait pas fait ?

19 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vais vous demander de parler plus

20 lentement parce que j'entends que les interprètes ont un peu de mal à vous

21 suivre.

22 LE TÉMOIN : Je pense qu'il y a déjà erreur sur la date d'écriture de cet

23 article. Il a été publié dans ce livre, mais il a été écrit auparavant. Ce

24 sont des articles qui ont été écrits à chaud au moment des événements.

25 M. BLACK : [interprétation]

26 Q. Je vais vous dire quelque chose pour qu'on se comprenne bien. Je ne

27 veux pas qu'on se lance dans une discussion inutile, ici. La Défense ici ne

28 conteste nullement le fait que M. Martic a ordonné ce bombardement, mais il

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1 y a des raisons qu'ils invoquent pour justifier cela. Est-ce que vous

2 comprenez ce que je viens de vous dire ?

3 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Objection, Monsieur le Président.

4 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Maître Milovancevic. Je crois que

5 c'est Me Perovic qui procédait à l'interrogatoire de ce témoin.

6 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Excusez-moi, permettez-moi simplement de

7 consulter mon confrère quelques secondes.

8 [Le conseil de la Défense se concerte]

9 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président, un

10 peu de patience, je vous prie. Excusez-moi, j'avais oublié que ce n'était

11 pas moi qui menais l'interrogatoire principal, mais tout va bien

12 maintenant, tout est rentré dans l'ordre.

13 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup, Maître Milovancevic.

14 Monsieur Black.

15 M. BLACK : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

16 J'aimerais que nous nous reportions --

17 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, mais vous aviez posé une question

18 au témoin à laquelle il n'a pas encore répondu.

19 M. BLACK : [interprétation] Je voulais simplement lui demander s'il avait

20 bien compris ce que je lui avais dit quand je lui ai expliqué que la

21 Défense ne contestait nullement le fait que M. Martic ait ordonné le

22 lancement de ces roquettes.

23 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, mais vous vouliez aussi qu'il

24 vous explique ce qu'il avait appris depuis 1997 qui lui avait fait changer

25 de point de vue.

26 M. BLACK : [interprétation] Oui, j'y suis encore, j'y suis encore, mais

27 j'aimerais aborder un certain nombre de points qui vont nous aider à

28 éclaircir justement cette question-là.

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1 J'aimerais, pour ce faire, que nous nous reportions à la page Y0061924. Je

2 crois que c'est l'avant-dernière page dans l'original.

3 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Même page en anglais ?

4 M. BLACK : [interprétation] Non, cela ne figure pas dans la traduction.

5 C'est simplement une liste de publications.

6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien.

7 M. BLACK : [interprétation] Merci. J'aimerais qu'on se reporte sur la

8 partie droite.

9 Q. Au point 6, vous voyez, à la sixième ligne, on fait référence à

10 l'article que nous venons d'évoquer, la lettre ouverte, et on peut lire ici

11 que cet article date de septembre 1997. A partir de cette liste qui figure

12 dans votre livre, conviendriez-vous avez moi que cet article, il a été

13 écrit et publié pour la première fois en septembre 1997 ?

14 R. Non, non. Je ne conviens pas de cela parce que ce sont des articles qui

15 ont été publiés plusieurs fois dans différents journaux, et je n'ai voulu

16 faire apparaître que la référence à Balkan info, donc je conteste la date

17 d'écriture. Elle est antérieure, et je tiens à souligner, ceci dit, que

18 vous soulignez trois mots dans un article important et que ces trois mots

19 n'ont pas d'importance. L'important était de montrer que c'était un geste

20 désespéré face à l'assassinat et aux meurtres de civils par l'armée croate,

21 et que la FORPRONU et la --

22 Q. Je vais vous interrompre, Monsieur. Merci. Ici, je vous prie de vous

23 concentrer sur les questions que je vous pose; de cette façon, nous

24 avancerons plus rapidement. En dépit de cela, vous dites en dépit de ce qui

25 figure ici dans cet ouvrage, vous dites que cet article a été écrit bien

26 avant septembre 1997. Vous dites "dans le feu de l'action", c'est-à-dire,

27 "au moment où ces événements ont eu lieu" ?

28 R. Le plus souvent, tous les articles et les livres que nous avons écrits,

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1 comme le livre "En assassinant le peuple, les Serbes de Krajina" qui est

2 sorti en septembre 1995, tout a été écrit à chaud et en réaction à des

3 événements terribles pour le peuple serbe de Krajina.

4 Q. Bien. Je vais revenir à ma question du départ. Etant donné que vous

5 avez écrit cet article soit en 1997, soit avant, qu'est-ce qui vous a fait

6 vous rendre compte que Martic endossait la responsabilité de quelque chose

7 qu'il n'avait pas fait ? Qu'est-ce qui vous a fait comprendre cela ?

8 R. C'est, je pense, l'analyse de sa personnalité que j'ai acquise au cours

9 des rencontres. Je pense que c'est un homme qui avait une très haute idée

10 de sa responsabilité, et son seul objectif était de protéger le peuple

11 serbe de Krajina. Je pense que comme tout chef qui se respecte, il a

12 toujours couvert ce qui a été fait par des subalternes, ce que fait tout

13 bon chef, d'ailleurs.

14 Q. N'avez-vous jamais vu des vidéos ? Avez-vous vu des moments où M.

15 Martic aurait assumé la responsabilité de ce pilonnage ? Avez-vous visionné

16 des vidéos qui auraient été réalisées au moment des événements ?

17 R. Je n'ai pas de souvenir précis, d'autant qu'il y a quand même un petit

18 problème de langue, puisque M. Milan Martic s'exprime en serbe et que je ne

19 parle pas couramment le serbe, donc il y a toujours eu aussi des problèmes

20 de traduction.

21 Q. Bien. Je vais essayer de passer à un autre sujet, mais je voudrais

22 qu'une chose soit bien claire. La seule raison pour laquelle vous ayez

23 changé d'opinion et estimé qu'il n'a pas ordonné ce pilonnage, c'est

24 l'analyse que vous faites de sa personnalité. C'est cela qui vous a incité

25 à changer d'opinion ?

26 R. Oui, et parfois, des nuances subtiles qui paraissent dans les

27 traductions, c'est vrai, mais de toujours dire : je suis le président, donc

28 je dois couvrir ce qui se fait, assumer les responsabilités.

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1 Q. Est-ce qu'il vous l'a dit à vous personnellement au sujet du pilonnage

2 de Zagreb, ou est-ce que vous êtes en train de parler de manière générale ?

3 R. Non, non, je parle de façon spécifique.

4 Q. Vous lui avez parlé du pilonnage de Zagreb ?

5 R. Bien sûr, nous avons parlé de toute la situation et de tout ce qui

6 s'était fait.

7 Q. Bien. Il vous a dit qu'il avait ordonné le pilonnage, ou est-ce qu'il

8 vous a dit autre chose, quelque chose de différent ?

9 R. Il n'a jamais dit qu'il avait ordonné le pilonnage. Il a seulement dit

10 qu'il était prêt à assumer tout ce qui avait été fait par des subalternes

11 et qu'il n'accepterait pas que des subalternes aillent en prison ou soient

12 condamnés, alors qu'il était, lui, le président et le haut sommet de

13 l'Etat.

14 Q. Comment en êtes-vous venu à parler de cela, à parler de cette

15 question ?

16 R. Parce qu'on a parlé beaucoup de la notion de responsabilité et d'Etat.

17 Puisque vous me posez la question, il répétait souvent : je suis le

18 président et je suis là pour assurer la sécurité des citoyens de la

19 République serbe de Krajina, et les citoyens de Krajina, ce sont les Serbes

20 et tous ceux qui veulent vivre en paix avec eux, qu'ils soient Croates ou

21 Musulmans.

22 Q. Dans la dernière phrase que j'ai lue, peut-être allez-vous me dire que

23 vous n'êtes pas non plus à même d'en parler, mais dans votre article, vous

24 avez dit : "L'ordre a été donné suite à l'invasion brutale par l'armée

25 croate de la Slavonie occidentale."

26 Est-ce que vous maintenez cela, ou est-ce que c'est quelque chose que

27 vous souhaitez modifier aujourd'hui ?

28 R. C'est l'évidence même que le tir de roquette a été fait suite à

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1 l'invasion de la Slavonie occidentale et aux centaines de personnes, civils

2 désarmés qui ont été massacrés par l'armée croate. Quand on voit

3 aujourd'hui que lorsque deux soldats israéliens sont enlevés, on met le

4 Liban à sac, on massacre des centaines de femmes et d'enfants, cela me

5 semble --

6 Q. Non, excusez-moi. Je sais que c'est très tentant de faire des analogies

7 avec ce qui est en train de se passer actuellement dans le monde ou ce qui

8 s'est passé précédemment, mais tenons-nous-en à l'ex-Yougoslavie et au

9 conflit de l'ex-Yougoslavie. J'imagine que selon vous, le pilonnage de

10 Zagreb était totalement justifié par ce qui s'était passé en Slavonie

11 occidentale, indépendamment du fait que cela ait donné lieu à des victimes

12 civiles à Zagreb, je veux dire ?

13 R. Si la FORPRONU avait fait son travail, cela n'aurait pas été justifié,

14 mais dans la mesure où la FORPRONU n'a pas fait, n'a pas assumé sa mission,

15 n'a pas protégé ces pauvres gens, il fallait bien que quelqu'un essaie de

16 les protéger. C'était de la légitime défense.

17 Q. Bien. Vous estimez que vu les circonstances que vous évoquez, le

18 pilonnage de Zagreb était justifié, indépendamment des victimes civiles,

19 des victimes civiles innocentes qui ont été blessées ou tuées ?

20 R. Alors là, c'est le militaire qui va vous répondre. D'une part, c'était

21 un geste désespéré et un geste de légitime défense; d'autre part, les

22 roquettes Orkan visaient des structures militaires, en particulier le

23 ministère de la Défense. Il y a eu effectivement des morts, mais quand on

24 voit que les armes dites intelligentes de l'OTAN qui sont guidées par laser

25 et par GPS font des centaines de victimes collatérales, vous n'allez pas

26 demander à une roquette Orkan tirée de Petrinja ou de Sisac [phon] d'être

27 plus précise que cela, je regrette. Ils n'avaient pas les moyens.

28 Q. Je ne dis nullement qu'une attaque menée avec des roquettes Orkan

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1 aurait pu être plus précise, tout au contraire. Il semble que vous sachiez

2 quelque chose à ce sujet. N'est-il pas exact que le fait de la nature des

3 roquettes Orkan, lorsqu'on les tire sur une ville, sur une zone urbanisée

4 et peuplée, il va forcément y avoir des victimes civiles ?

5 R. C'est bien la preuve, si les roquettes Orkan ont été tirées, que la

6 République serbe de Krajina n'avait aucun armement lourd, n'avait pas de la

7 grosse artillerie, n'avait aucun armement lourd. C'étaient les seules

8 misérables roquettes dont ils disposaient, et ils se sont défendus. C'était

9 un geste de survie, un geste désespéré avec les seules choses qu'ils

10 avaient. La seule chose que cela prouve, c'est qu'ils n'avaient pas

11 d'armement lourd et pas d'artillerie performante.

12 Q. Nous y reviendrons. J'aimerais vous montrer la pièce 91 qui a été

13 versée au dossier en l'espèce pour que nous l'examinions rapidement.

14 Monsieur Barriot, vous ne parlez pas B/C/S, si j'ai bien compris. Est-ce

15 que vous parlez l'anglais ? Est-ce que vous pouvez lire un texte en

16 anglais ?

17 R. Je vais essayer.

18 Q. Je ne veux pas vous mettre dans l'embarras, mais j'aimerais qu'on passe

19 à la dernière page en anglais. Je vais également en donner lecture pour que

20 cela puisse vous être traduit en français, afin que tout soit bien clair.

21 Ce sont les deux paragraphes en haut de la page qui m'intéressent en

22 anglais.

23 Monsieur, ici, nous avons une interview avec le général Milan Celeketic,

24 commandant de la SVK. Cela date du 24 mars 1995. M. Celeketic dit ici, je

25 cite : "En cas d'agression oustacha, nous ne manquerons pas, en tout cas,

26 l'occasion de les toucher là où cela fait le plus mal. Nous connaissons

27 leurs points faibles. Nous savons là où cela fera le plus mal. Les points

28 faibles, ce sont les places des villes, et nous savons qui y vont, les

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1 civils. Je l'ai déjà dit, et cela a fait l'objet de certaines critiques.

2 Ils vont peut-être demander de quelles villes et de quelles places il

3 s'agit. Je répondrai que c'est un secret militaire. Nous prendrons une

4 décision sur ce point, et je crois que nous serons précis."

5 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Excusez-moi, je suis perdu, Monsieur

6 Black.

7 M. BLACK : [interprétation] C'est en haut de la dernière page. Cela

8 apparaît à l'écran.

9 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] En haut de la dernière page ?

10 M. BLACK : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

11 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] D'accord. Merci.

12 M. BLACK : [interprétation]

13 Q. Monsieur Barriot, je poursuis la lecture. M. Celeketic dit, je cite :

14 "C'est difficile de dire de telles choses, parce que comme je l'ai déjà

15 dit, ce sont des civils qui se trouvent sur ces places, des gens innocents.

16 Cependant, nous sommes en guerre et nous menons une guerre sale dont ils

17 sont les premiers responsables, les responsables essentiels. Il n'y aura

18 pas de pitié. Non seulement nous serons sans pitié, mais en tant que chef,

19 je déciderai là où nous allons attaquer, où nous allons diriger nos

20 attaques, quand cela fera le plus mal."

21 Ici, Monsieur Barriot, on ne parle nullement de cibles militaires, on parle

22 de cibler délibérément des places dans des villes, des places civiles,

23 parce que c'est là que cela fera le plus mal.

24 R. Deux remarques sur ce texte. D'une part, ce général est le seul

25 responsable de ce qu'il a dit. Ce que je maintiens, c'est que les roquettes

26 Orkan étaient tirées sur des cibles militaires et que ce sont des victimes

27 collatérales, qu'en même temps le dit l'OTAN; deuxièmement, que ce genre de

28 discours est fait -- c'est un discours de dissuasion. Je pense que dans la

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1 pensée de cet homme, c'était absolument, il fallait éviter l'invasion, il

2 fallait éviter l'opération Eclair et l'opération Tempête qui se

3 préparaient. C'était une façon de dissuader l'armée croate, une tentative

4 désespérée de dissuasion. Je ne pense pas du tout que c'était un projet qui

5 a été mis à exécution sous cette forme.

6 Q. Est-ce que vous, personnellement, vous avez entendu le général

7 Celeketic ou M. Martic tenir de tels propos ?

8 R. Jamais.

9 Q. Vous avez insisté sur le fait qu'il y avait des cibles militaires dans

10 le cadre de cette attaque, mais sur quoi vous fondez-vous pour l'affirmer

11 qu'il y avait des cibles militaires ?

12 R. Par ce qui a été dit par les responsables de la République serbe de

13 Krajina, mais pas par M. Milan Martic.

14 Q. Vous dites que vous avez entendu d'autres dirigeants de la RSK dire que

15 les -- cette attaque avait visé des cibles militaires. Est-ce que c'est

16 bien cela vous nous dites ?

17 R. C'est exact.

18 Q. N'est-il pas vrai que dans le jour ou dans les deux jours qui ont suivi

19 le pilonnage, Martic a assumé la responsabilité d'avoir ordonné ce

20 pilonnage. Personne n'a parlé de cibles militaires. Ce n'est que quelques

21 jours plus tard, quand la communauté internationale s'est montrée

22 scandalisée, parce qu'il s'était passé qu'on a commencé à parler de cibles

23 militaires.

24 R. C'est curieux ce que vous dites. La communauté internationale ne s'est

25 absolument pas émue qu'il y ait eu des centaines de civils, de femmes et

26 d'enfants massacrés en Slavonie occidentale, mais ils se sont émus qu'il y

27 ait eu cinq morts dans Zagreb. Cela prouve bien les deux poids, deux

28 mesures qui est vraiment terrible dans cette guerre.

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1 Q. Ce n'est qu'après que l'on se soit ému au niveau international qu'on a

2 commencé à parler de cibles militaires à Zagreb, n'est-ce pas ?

3 R. Je pense que vous ne vous remettez pas dans la situation. C'était une

4 période de confusion extrême. La République serbe de Krajina était dans un

5 état de choc et de désespoir terrible. Ils voyaient bien que les Croates

6 étaient en train de massacrer leurs familles, et ils ont fait un sursaut

7 désespéré pour se défendre. Ils savaient bien qu'après l'opération Eclair,

8 ce serait l'opération Tempête. Tout cela, tout le monde le savait très

9 bien.

10 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vais intervenir.

11 J'aimerais, Monsieur, que vous répondiez à la question qui vous a été

12 posée. On vous a posé la question suivante, je cite : "N'est-il pas exact

13 que dans la journée ou dans les deux journées qui ont suivi le pilonnage,

14 Martic a assumé la responsabilité d'avoir ordonné ce pilonnage ?" Pouvez-

15 vous répondre à cette question, s'il vous plaît ?

16 LE TÉMOIN : Pardon. Non, Monsieur le Président, je ne peux pas répondre à

17 cette question parce que je n'ai pas les déclarations précises de M. Milan

18 Martic dans les jours qui ont suivi. Tout ce que je peux vous dire en c'est

19 que M. Milan Martic --

20 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] C'est bien, c'est bien. Cela suffit.

21 Vous pouvez poursuivre, Monsieur le Procureur.

22 M. BLACK : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

23 Q. Bien. Je vais voir si je peux obtenir une réponse à ma dernière

24 question, à savoir : Ce n'est qu'après que la communauté internationale

25 s'est émue que l'on a commencé à évoquer la théorie des cibles militaires.

26 Si vous ne le savez pas, vous pouvez tout à fait nous dire que vous ne le

27 savez pas ? Ce n'est pas grave.

28 R. Non. J'ai eu la notion de cibles militaires dès les premiers tirs.

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1 Q. Comment ? Comment avez-vous pu le savoir ?

2 R. Parce que j'étais en contact avec des responsables de la République

3 serbe de Krajina, en particulier avec son ministre des Affaires étrangères,

4 M. Slobodan Jarcevic.

5 Q. Bien. Quand vous a-t-il pour la première fois que c'étaient des cibles

6 militaires qu'on visait à Zagreb ? Essayez d'être aussi précis que possible

7 dans votre réponse.

8 R. Je suis extrêmement précis, parce que j'étais en charge du bureau de

9 représentation de la République serbe de Krajina à Paris. A ce titre, je

10 recevais les dépêches de Milan Martic qui me demandaient de transmettre à

11 l'AFP, à l'Agence française de presse. Dès le 1er mai, j'ai transmis les

12 appels au secours de Milan Martic à la communauté internationale; il n'y a

13 eu aucune réponse. Par la suite, dès les premiers tirs de roquettes, j'ai

14 su que j'avais la notion que c'étaient des cibles militaires qui étaient

15 visées. Je vous le répète, par le ministre des Affaires étrangères,

16 Slobodan Jarcevic, avec qui j'étais en contact étroit.

17 Q. Bien. Passons à autre chose.

18 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Monsieur Black, avant de vous

19 laisser poursuivre, permettez-moi de poser une question à

20 M. Barriot.

21 Monsieur Barriot, veuillez, je vous prie, me dire si

22 M. Jarcevic a mentionné des cibles militaires précises, ou est-ce qu'il

23 vous a simplement fait savoir que de manière générale c'étaient des cibles

24 militaires qui étaient visées, ou est-ce qu'il vous a donné des

25 informations plus précises quant aux bâtiments qui seraient peut-être

26 visés, quant aux installations militaires précises qui seraient visées ?

27 LE TÉMOIN : Mes souvenirs sont quand même flous, parce que cela remonte à

28 plus de dix ans, mais je crois me souvenir qu'il y avait la notion de

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1 ministère de la Défense et d'un aéroport militaire, mais je ne peux pas

2 vous en dire plus. J'ai ce souvenir assez vague.

3 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Ces informations, vous les tenez

4 de M. Jarcevic ?

5 LE TÉMOIN : C'est exact.

6 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Quand avez-vous reçu ces

7 informations ? Quand exactement avez-vous reçu ces informations ?

8 LE TÉMOIN : A un jour près, je ne peux pas vous le dire, mais c'étaient

9 dans les premiers jours du mois de mai. Cela devrait être le 4 mai, à peu

10 près. C'est à peu près à cette date, 4 mai 1995. A un ou deux jours près,

11 je ne peux pas être absolument certain, mais c'était à un ou deux jours

12 près, la date est exacte.

13 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Avez-vous communiqué cette

14 information à qui que ce soit, en dehors des personnes qui étaient membres

15 des autorités de la Krajina ? Est-ce que vous avez communiqué cette

16 information à des représentants des Nations Unies ou à des membres d'autres

17 organisations ?

18 LE TÉMOIN : J'ai transmis toutes ces données à l'AFP, à l'Agence française

19 de presse, et aucun communiqué n'a paru. Par contre, les communiqués que

20 j'ai adressés pour l'opération Tempête, eux ont été publiés, mais pour

21 l'opération Eclair; mais ils ont été adressés à l'AFP avec toutes ces

22 données.

23 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur Barriot.

24 Monsieur Black, vous pouvez poursuivre.

25 M. BLACK : [interprétation] Merci, Madame le Juge.

26 Q. Une précision. Vous avez parlé de M. Jarcevic. Vous avez dit qu'il

27 était "ministre des Affaires étrangères." Mais, en mai 1995, il n'était

28 plus ministre des Affaires étrangères, M. Jarcevic. Il n'a plus occupé ce

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1 poste après le mois d'avril 1995, n'est-ce

2 pas ?

3 R. Oui, oui, c'est vrai. Bon, je l'appelle toujours, pour moi, c'est

4 toujours le ministre des Affaires étrangères, mais, effectivement, je ne

5 joue pas sur les dates.

6 Q. Oui, mais c'est bien de M. Jarcevic que vous parliez ?

7 R. Sûr. Bien.

8 Q. Je vais passer à un autre sujet dans quelques instants. On parle

9 toujours de la même période de mai 1995, et à ce moment-là vous-même et Ève

10 Crépin êtes devenus des ressortissants de la RSK. Vous avez demandé à être

11 citoyen de la RSK et cela vous a été accordé ?

12 R. Non, ce n'est pas tout à fait exact. Nous avons reçu la citoyenneté, à

13 titre honorifique, pour l'aide que nous avions apportée aux populations

14 démunies. Il n'y avait aucune connotation politique dans ce geste. C'était

15 juste comme un citoyen demeure d'une ville en récompense des efforts faits

16 pour aider la population.

17 Q. Bien, ce qui a eu un caractère officiel, en revanche, c'est votre

18 désignation par M. Martic en tant que représentant de la RSK à Paris, et

19 cela s'est déroulé en juin ou juillet 1995. Est-ce que vous pouvez le

20 confirmer ?

21 R. J'ai dû recevoir la lettre officielle effectivement à cette date, mais

22 d'une façon effective et concrète, je l'étais depuis fin 1994.

23 Q. Bien. Vous avez été nommé à ce poste par M. Martic, n'est-ce pas ?

24 R. C'est exact.

25 Q. Comment cette idée a-t-elle vu le jour ? Pouvez-vous nous dire

26 brièvement ce qui vous a amené à être nommé représentant de la RSK à

27 Paris ? Est-ce que c'est votre idée au départ ou celle de

28 M. Martic ? Comment est-ce que cela a vu le jour ?

Page 10788

1 R. C'est venu naturellement, mais je peux dire que c'est une idée commune

2 qui a apparu au fil des mois et au fil des discussions du fait qu'avec Ève

3 Crépin on était impliqués dans l'aide humanitaire et nous essayons aussi

4 par tous les moyens de donner la possibilité aux Serbes de Krajina de

5 s'exprimer dans les médias. Donc, c'est une idée, on peut dire, qui est née

6 de façon commune et au fil du temps.

7 Q. Merci. Ceci vous a causé des problèmes, n'est-ce pas ? En fait, c'est

8 même cette décision ou, plutôt, ce poste en tant que représentant de la RSK

9 qui a fait que vous avez votre poste dans l'armée française, n'est-ce pas ?

10 R. C'est exact, puisque lorsqu'il y a eu une plainte de

11 M. Mate Granic, qui était à l'époque le ministre croate des Affaires

12 étrangères, qui a porté plainte à l'ONU parce qu'un officier français

13 venait en aide à la population serbe, et j'ai été sanctionné par le

14 ministre de la Défense français, M. Charles Million, qui m'a puni pour non-

15 respect de l'obligation de réserve fait aux militaires. Je tiens bien à

16 dire que je n'ai pas été puni pour atteinte à l'honneur de l'armée, ni pour

17 intelligence avec l'ennemi; j'ai été sanctionné parce que j'avais dit ce

18 que j'avais vu et ce dont j'avais été témoin.

19 Q. Corrigez-moi si je me trompe, mais, en fait, vous avez quitté l'armée

20 en perdant votre grade. Ce n'est pas fait d'une manière honorable, ce

21 départ de l'armée ?

22 R. Vos informations sont totalement fausses. Il y a eu ma hiérarchie --

23 m'a offert une sorte de deal, c'est-à-dire, ma hiérarchie m'a dit si vous

24 vous rétractez, si vous reniez tout ce que vous avez dit, et que vous dites

25 que c'est les Serbes de Krajina qui vous ont manipulé, vous pouvez rester

26 dans l'armée et continuer votre carrière, mais vous devez faire ce

27 reniement par écrit. Si vous refusez de renier ce que vous avez fait, vous

28 devrez quitter l'armée. Donc, bien sûr, j'ai refusé de me rétracter. J'ai

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1 quitté l'armée, mais j'ai quitté l'armée avec mon grade, avec ma retraite

2 et avec tous les honneurs dus à mon grade. Donc, il n'y a eu aucune

3 sanction statutaire contre moi, parce qu'il n'y avait aucune autre faute

4 que celle d'avoir dit la vérité.

5 Q. Je pense que je vous comprends. Merci.

6 Est-ce que vous regrettez avoir sacrifié votre carrière militaire

7 pour appuyer la RSK, pour avoir accepté ce poste ?

8 R. Non. Je ne regrette rien. Ève Crépin non plus, parce qu'elle a perdu

9 aussi énormément autant que moi; elle a perdu sa carrière. Mais, nous

10 pensons que la plus grande injustice qui puisse être faite, c'est une

11 injustice faite à un peuple entier, et nous pensons que nous avons sauvé

12 l'honneur de l'armée française. Je tiens à dire que c'est une femme, une

13 jeune femme qui a sauvé l'honneur de l'armée française; c'est Ève Crépin.

14 Q. Passons à un sujet différent. Je veux que tout soit clair dans mon

15 esprit; vous avez passé trois mois, de mars à juin 1994, dans la FORPRONU,

16 n'est-ce pas ?

17 R. C'est exact.

18 Q. Vous y étiez là en tant que médecin, dans le fond, pendant cette

19 mission ?

20 R. Oui, j'étais là en tant que médecin anesthésiste de l'antenne

21 chirurgicale avancée.

22 Q. Très bien. Au fond, c'est surtout soigner des gens que vous avez fait;

23 vous n'avez pas fait des analyses de renseignements ou de commandement sur

24 le terrain. Vous aviez comme première responsabilité des responsabilités de

25 médecin, n'est-ce pas ?

26 R. Non. Ce n'est pas tout à fait exact. J'avais effectivement une

27 responsabilité médicale; mais, comme je vous l'ai signalé, j'avais été

28 contacté par les services de renseignements français, par les services de

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1 renseignements militaires, qui me faisaient le point de la situation et qui

2 m'avaient demandé de leur fournir des renseignements sur l'armement qui

3 circulait dans la République de Krajina Serbe, comme je vous l'ai dit. J'ai

4 rencontré régulièrement le responsable pour l'ex-Yougoslavie, qui me

5 montrait les photos de tous les types d'armement afin que je puisse les

6 reconnaître. Je n'ai pas eu à les reconnaître parce qu'il n'y en avait pas.

7 Q. Je parle uniquement du mois de mars au mois de juin 1994. Est-ce que

8 vous voulez dire que vous avez des contacts avec ces gens de renseignements

9 à ce moment-là, ou est-ce que cela s'est fait plus tard ?

10 R. Cela s'est fait à ce moment-là, depuis le mois de mars 1994 jusqu'à

11 l'été 1995.

12 Q. Vous étiez posté à Glina, 50 ou 60 kilomètres du quartier général de

13 Zagreb, n'est-ce pas ?

14 R. Oui, plus exactement, l'antenne chirurgicale était à Topusko, mais

15 c'est tout près, effectivement.

16 Q. Très bien. Merci. Vous avez parlé des briefings, que vous aviez des

17 contacts que vous aviez avec ces officiers chargés de renseignements. Mais,

18 par exemple, vous n'aviez pas la possibilité de consulter quotidiennement

19 ces rapports de renseignements, alors que c'était le cas pour les officiers

20 du QG de Zagreb, je suppose, n'est-ce pas ?

21 R. Mais, comme je vous le disais, il y avait à peu près deux réunions par

22 semaine au sein du bataillon, donc des réunions très fréquentes, et

23 j'allais à Zagreb quasiment toutes les semaines.

24 Q. Cette mission de trois mois en Krajina, c'est à ce moment-là que vous

25 avez rencontré Ève Crépin; est-ce exact ?

26 R. C'est exact. En fait, nous, nous travaillons dans le même hôpital à

27 Metz, mais nous ne connaissions pas avant nous sommes réellement rencontrés

28 et unis en Krajina.

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1 Q. Mais, je ne veux pas ici parler de votre vie privée. Mais, c'est clair

2 depuis vous vivez ensemble. Vous avez une relation avec Mme Crepin ?

3 R. C'est effectivement privé. J'avais une relation avec Crepin -- avec Ève

4 Crépin jusqu'à ces derniers jours.

5 Q. Très bien. Très bien. C'est tout ce que je vous demandais. Je voulais

6 simplement que ceci soit consigné au dossier de l'instance.

7 Mais, vous avez manifestement aussi des liens très étroits que vous avez

8 développés avec le peuple serbe en Krajina lorsque vous êtes trouvé sur

9 place; est-ce exact ?

10 R. Oui. Et, je crois que ce qui nous a uni avec Ève Crépin, c'était la

11 même prise de conscience que ce peuple était diabolisé et était accusé

12 injustement, et nous avons décidé de l'aider dans la mesure de nos moyens.

13 Q. Bien. Pour ce faire, lorsque vous avez cessé d'être membre de la

14 FORPRONU, vous est retournés sur place à plusieurs reprises, n'est-ce pas,

15 à titre personnel ?

16 R. Oui. Nous revenions avec Ève Crépin très fréquemment. Tous les deux

17 mois à peu près. Nous amenions du matériel, et des médicaments et des

18 produits pour l'hôpital, et pendant des périodes de 15 jours ou trois

19 semaines, nous faisions l'activité anesthésique au bloc opératoire de

20 l'hôpital de Glina.

21 Q. Bien. Merci. Il y a quelque chose dans des notes où je voudrais que

22 vous éclairiez ma lanterne. Page 13 du compte rendu d'audience, vous parlez

23 des contacts que vous aviez avec la population locale. Je vous cite : "Je

24 peux dire que cela s'est fait petit à petit, parce que bien sûr j'étais un

25 militaire étranger. Je suis venu les aider bien sûr à l'hôpital, mais il a

26 fallu un certain temps, pour dire, les apprivoiser, pour m'accoutumer à la

27 population."

28 Vous dites qu'il vous a fallu un certain temps pour les "apprivoiser".

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1 Qu'est-ce que vous voulez dire là ?

2 R. Excusez-moi, je me suis mal exprimé ou vous avez mal repris ma

3 déclaration. J'ai dit nous apprivoiser mutuellement; c'est une expression

4 pour dire faire connaissance ensemble, c'est-à-dire qu'ils m'apprivoisaient

5 autant que je les apprivoisais. Voilà, c'est un terme affectueux et

6 bilatéral.

7 Q. Merci de cette explication.

8 Autre chose, page 6, lignes 1 et 2, vous parlez des tâches incombant à la

9 FORPRONU dans les zones protégées par les Nations Unies. Vous avez dit :

10 "La mission, c'était d'être là entre les Serbes et les Croates, pour

11 s'interposer entre les Serbes et les Croates pour protéger la population

12 serbe dans la région de Krajina."

13 La mission de la FORPRONU n'était pas simplement de protéger la population

14 serbe, mais elle était de protéger tous les civils dans ces zones protégées

15 par les Nations Unies, n'est-ce pas ?

16 R. Oui, de protéger tous les gens qui vivaient des les zones de protection

17 qui étaient désarmées.

18 Q. Puisque je suis en train de vous demander des précisions, j'évoque

19 autre chose. Page 21 du compte rendu d'audience, vous dites qu'il n'y avait

20 aucune discrimination à l'hôpital de Glina. Je vous cite, vous dites : "La

21 réaction naturelle, c'est de garder le peu de choses qu'on a pour ses

22 propres gens, pour les gens de votre groupe ethnique." Mais vous dites :

23 "Ce n'est pas ce qui s'est fait à l'époque."

24 Pourquoi dire que c'est quelque chose de naturel, une réaction qui est de

25 conserver ses moyens médicaux et des techniques permettant de sauver la

26 vie, et de les réserver à son propre groupe ethnique ?

27 R. Cela me paraît évident. Si vous êtes en train de mourir de faim et que

28 vous avez un petit bout de pain, vous êtes tenté de le manger vous-même ou

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1 éventuellement de le donner à votre famille, mais pas de le donner à un

2 étranger ou à quelqu'un qui est plus éloigné de vous. Ce que je voulais

3 dire, c'est que malgré les circonstances dramatiques dans lesquelles

4 vivaient les gens de Krajina, ils arrivaient quand même à être généreux

5 avec des gens qui n'étaient pas très proches d'eux.

6 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Témoin. Vous

7 parlez de l'attitude du personnel médical aussi quand vous dites cela ? Si

8 je vous ai bien compris, vous avez inclus aussi les médecins. Diriez-vous

9 que c'est l'attitude naturelle d'un médecin de faire ce genre de

10 différence ?

11 LE TÉMOIN : Je ne parlais pas seulement du personnel médical, mais du

12 personnel paramédical, du personnel de laboratoire, du personnel de

13 transfusion, de tous, mêmes des gens qui étaient des --

14 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Un instant, un instant. Je vous

15 demande de répondre à ma question. Je vous ai demandé si vous aviez inclus

16 dans ce propos les médecins et si vous diriez que c'est là l'attitude

17 naturelle qu'aurait un médecin, un docteur ?

18 LE TÉMOIN : Vous savez, c'est une règle de médecine de catastrophe. Ce

19 n'est pas une règle de pratique courante -- mais si -- laissez-moi

20 m'exprimer. Un médecin en situation de catastrophe doit faire un tri entre

21 les patients. On le sait très bien. Je suis spécialiste, je peux vous le

22 dire. Dans certaines situations, vous êtes obligé de faire un tri. Or, dans

23 cette situation où ils auraient pu faire un tri, ils n'ont pas fait de tri.

24 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Vous voulez dire qu'il y a des

25 règles, par exemple, pour l'anesthésie, pour la médecine de catastrophe,

26 qui régissent la sélection, et dans ces règles, on aurait, par exemple,

27 l'exclusion de certains groupes de population, ou est-ce que ce sont

28 uniquement des critères médicaux qui prévalent ?

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1 LE TÉMOIN : Ce sont des critères médicaux qui prévalent, mais ce que je

2 vous disais, c'est que même dans ces --

3 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Oui. Oui, qu'est-ce que vous vouliez

4 me dire ?

5 LE TÉMOIN : Que les cas auxquels je faisais référence étaient souvent des

6 cas désespérés qu'on aurait pu laisser mourir et que, malgré tout, tout a

7 été fait pour les aider. On leur a donné des médicaments et des trucs en

8 sachant que c'était quasiment perdu et qu'il s'agissait de non-Serbes.

9 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Vous estimez que c'est là un

10 phénomène extraordinaire, dans ce cas ?

11 LE TÉMOIN : Cela fait preuve d'une grande générosité, oui, et je crois être

12 bien placé pour pouvoir le dire.

13 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] En tant que médecin, vous voulez

14 dire ? C'est la raison pour laquelle je vous posais cette question.

15 Merci. Poursuivez, Monsieur Black.

16 LE TÉMOIN : [hors micro]

17 M. BLACK : [interprétation] Merci, Monsieur le Juge.

18 Q. Monsieur Barriot, vous avez déclaré que pendant que vous étiez en RSK,

19 la RSK n'avait pas d'armes lourdes, elle n'avait que des armes légères.

20 Vous avez dit que c'était "exclusivement des armes de défensive".

21 M. BLACK : [interprétation] Je le précise pour la Chambre et la Défense,

22 pages 22 et 23.

23 Q. Oui, vous avez dit, là je vous cite : "Le seul type d'armes qu'il était

24 possible de trouver en RSK était des armes légères, c'était des armes

25 uniquement défensives."

26 Vous ne niez pas que la RSK avait sa propre armée, la SVK, à l'époque ?

27 R. Oui, je le sais. Je parle d'armes fonctionnelles. Nous sommes bien

28 d'accord. Je ne parle pas de quelques vieux chars qui n'avaient plus

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1 d'essence pour fonctionner.

2 Q. D'accord. Manifestement, la SVK avait aussi quelques armes

3 sophistiquées comme les lance-roquettes multiples Orkan dont vous avez

4 parlé plus tôt, n'est-ce pas ?

5 R. Je ne pense pas que les lance-roquettes Orkan puissent être qualifiées

6 d'armes sophistiquées.

7 Q. La SVK avait aussi des avions de combat, n'est-ce pas, en 1995 ou en

8 1994 ?

9 R. Ces n'avions n'ont jamais décollé et n'étaient pas fonctionnels. De

10 toute façon, l'armée américaine avait détruit tous les systèmes.

11 Q. Je vous demanderais d'examiner un document.

12 M. BLACK : [interprétation] R0014619 peut-il être affiché à l'écran ? Je

13 pense malheureusement que nous n'avons qu'une version anglaise.

14 Q. Vous le voyez - je vais essayer de vous expliquer, si vous avez du mal

15 avec l'anglais - c'est une lettre, ici, envoyée par le représentant spécial

16 du secrétaire général en ex-Yougoslavie, l'en-tête est celle de la

17 FORPRONU, et la lettre est adressée le 15 novembre 1994 à M. Martic.

18 M. BLACK : [interprétation] Faites défiler le texte. Prenons le dernier

19 paragraphe.

20 Q. Deuxième phrase : "Un avion de combat basé à Udbina aurait, d'après le

21 rapport, déclenché une attaque de missile sur la ville de Bihac le 9

22 novembre, provoquant des pertes civiles et beaucoup de dégâts matériels."

23 Udbina, c'est sur le territoire de la RSK, n'est-ce pas ?

24 R. Oui.

25 Q. Ceci renvoie ou fait état d'un avion de combat qui aurait décollé du

26 territoire de la RSK ?

27 R. Ceci est un mensonge, le même mensonge qui a été fait lors de l'attaque

28 sur Knin, c'est-à-dire, c'était pour justifier l'attaque américaine contre

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1 l'aéroport d'Udbina. Ils disent que les radars ont repéré un avion de

2 l'OTAN, et ils tirent. En fait, c'est pour justifier des tirs de l'aviation

3 américaine sur les aéroports, sur les systèmes défensifs serbes.

4 Q. A votre avis, ce que M. Akashi dit ici, c'est un mensonge ? Il n'y a

5 aucune vérité dans ce qu'il dit ?

6 R. Je pense qu'il justifie des choses décidées à l'avance.

7 M. BLACK : [interprétation] Monsieur le Président, puis-je demander le

8 versement de ce document au dossier ?

9 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, il est versé au dossier. Un cote,

10 s'il vous plaît.

11 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] La pièce 1007.

12 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

13 M. BLACK : [interprétation] Merci.

14 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Permettez-moi d'intervenir une

15 fois de plus.

16 Monsieur Barriot, qu'est-ce qui vous fait dire avec autant de

17 certitude que cela est un mensonge ? Pourquoi déclarez-vous que c'est un

18 mensonge ? Sur quoi vous fondez-vous pour le dire ?

19 LE TÉMOIN : Je me fonde sur l'analyse des services de renseignement qui, je

20 pense, étaient parfaitement renseignés sur ce qui se passait, et pas sur

21 des avis ou des déclarations qui ont tout de politique.

22 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Vous ne vous appuyez pas sur une

23 connaissance personnelle que vous auriez ? Vous vous appuyez sur des

24 renseignements qui vous ont été fournis ou qui ne l'auraient pas été par

25 les services de renseignement ?

26 LE TÉMOIN : Je m'appuie sur des faits. Je m'appuie sur le fait que

27 l'aviation américaine a bombardé l'aéroport d'Udbina, je m'appuie sur le

28 fait que ce sont des avions de chasse américains du porte-avion Théodore

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1 Roosevelt qui ont tiré les premiers missiles sur Knin lors de l'opération

2 Tempête. Ce sont des faits.

3 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Merci beaucoup.

4 Veuillez poursuivre, Monsieur Black.

5 M. BLACK : [interprétation] Merci.

6 Q. Avant de passer à un autre sujet, vous dites que ce sont des faits et

7 que du coup, c'est cela, mais ce sont des choses qui vous ont été

8 rapportées. Vous n'avez pas été témoin oculaire, vous faites simplement là

9 rien d'autre que d'accepter les propos d'autrui.

10 R. Oui, mais c'est ce que vous faites aussi dans le Tribunal. Cela a été

11 écrit dans tous les journaux. Ce n'est même pas quelque chose de secret. Il

12 y a des reporters qui l'ont vu, il y a des images qui ont été publiées,

13 donc on ne peut pas le contester, ou alors on peut tout mettre en doute. A

14 ce moment-là, qu'est-ce qui est vrai, qu'est-ce qui est faux, si on parle

15 de ce point de vue ?

16 Q. Je suppose que vous parlez de la distinction entre l'ouï-dire et

17 l'information. Bien sûr qu'on accepte le ouï-dire, mais c'est accepté en

18 tant que tel, et on fait une distinction entre l'information de première

19 main, disons, et celle de deuxième main. Est-ce que vous avez du mal à

20 faire la distinction vous-même entre ce qui est une connaissance directe et

21 personnelle et une connaissance qui ne l'est pas ?

22 R. Non, non. Je fais très bien la distinction. A ce moment-là, est-ce que

23 vous contestez que l'aviation américaine a bombardé l'aéroport d'Udbina ?

24 Est-ce que vous contestez que deux avions de chasse du porte-avion Théodore

25 Roosevelt ont bombardé Knin au tout début de l'opération Tempête ?

26 Q. Monsieur, tout d'abord, je ne suis pas ici pour nier ou douter de ceci,

27 mais votre travail ici n'est pas de poser ce genre de question, il est de

28 répondre aux miennes. Vous comprenez ?

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1 R. J'ai répondu, je vous ai répondu que je tenais ces renseignements de

2 sources très sûres émanant du renseignement militaire français, et j'ai

3 juré sur l'honneur de dire la vérité à ce Tribunal. A part cela, je ne peux

4 pas vous dire plus.

5 Q. D'accord. Lorsque vous dites que quelque chose est un fait, vous dites

6 que c'est quelque chose que vous avez peut-être entendu de quelqu'un

7 d'autre, mais que vous acceptez que ce soit la vérité. Je veux simplement

8 préciser ceci pour que tout soit clair entre nous.

9 R. Non, non, ce n'est pas de l'ouï-dire, c'est un faisceau d'arguments,

10 c'est-à-dire que ce sont des déclarations de spécialistes du renseignement,

11 ce sont des images, ce sont des rapports de reporters qui étaient sur

12 place, donc c'est tout un faisceau d'arguments. Vous semblez dire que c'est

13 quelque chose de très vague et de flou. C'est faux, c'est un faisceau

14 d'arguments qui se recoupent totalement.

15 Q. Je vais passer à un autre document.

16 M. BLACK : [interprétation] Attendez -- excusez-moi, j'ai oublié. Je ne

17 sais plus si j'ai demandé le versement du dernier document. Oui, fort bien.

18 Peut-on montrer R0014445 [comme interprété], page 2, s'il vous plaît.

19 Merci.

20 Q. Monsieur Barriot, regardez, il s'agit d'une lettre envoyée à Milan

21 Martic, mais elle émane, celle-ci, du commandant de la FORPRONU. Ce n'est

22 pas un politicien, c'est un militaire qui s'exprime. La date est celle du

23 18 novembre 1994. Deuxième paragraphe : "Vers 11 heures ce matin, deux

24 avions 'Orao' qui avaient décollé quelques minutes auparavant de l'aéroport

25 d'Udbina ont frappé Bihac avec une bombe à fragmentation et une bombe au

26 napalm. Nous avons des preuves irréfutables montrant que ces avions font

27 partie de vos forces."

28 Vous n'avez aucun motif, aucune raison de contester ce que dit le

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1 commandant de la FORPRONU, ou est-ce que vous dites que cela aussi, c'est

2 un mensonge ?

3 R. Je dis seulement qu'il ne présente pas ces preuves irréfutables, donc

4 je suppose d'après votre raisonnement qu'on peut aussi le croire sur

5 parole.

6 Q. Non, ne suivez pas mon raisonnement. Je vous en prie, je veux avoir

7 votre avis. Vous n'avez aucune raison de contester le contenu de cette

8 lettre, n'est-ce pas ?

9 R. Exactement, comme vous me dites, je ne vois aucune -- l'argument que

10 vous utilisez contre moi, je l'utilise contre le général, je ne vois dans

11 sa lettre aucune preuve irréfutable que ces deux avions venaient bien

12 d'Udbina et avaient une mission d'attaque sur la poche de Bihac.

13 Q. Je ne vous demande pas si vous voyez des preuves irréfutables dans la

14 lettre.

15 Je vous demande si vous acceptez ou pas ce que la lettre dit, à

16 savoir que ces deux avions ont décollé d'Udbina et ont frappé Bihac. Vous

17 acceptez cela, ou pas ?

18 R. Non, je vais vous dire pourquoi je ne l'accepte pas : parce qu'il y

19 avait la volonté évidente de l'armée américaine de détruire l'aéroport

20 d'Udbina, donc je suspecte tout ce qui a été fait de vouloir justifier

21 l'élimination de l'aéroport d'Udbina. On peut mettre carrément en doute ce

22 que dit la FORPRONU dans la mesure où la FORPRONU n'a jamais, au cours de

23 la fin 1994, n'a pas assuré sa mission de protection dans les zones, en

24 particulier dans la zone sud, et on est précisément dans la zone sud de la

25 Krajina, des zones de protection.

26 M. BLACK : [interprétation] Puis-je demander le versement de ce document ?

27 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Le document est versé. Une cote, s'il

28 vous plaît.

Page 10801

1 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Ce sera la pièce 1008.

2 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

3 M. BLACK : [interprétation] Je pense que le moment est venu de faire la

4 pause.

5 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Oui, mais auparavant, j'ai deux

6 questions, ou plutôt, une à poser en rapport avec ce document. Je peux,

7 Monsieur le Président ?

8 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Volontiers.

9 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Monsieur Barriot, une bombe à

10 fragmentation, est-ce que c'est une arme offensive ou défensive ? On parle

11 d'une bombe au napalm. Est-ce une arme défensive ou offensive ? Lorsque

12 vous avez parlé d'armement, vous avez parlé d'armes uniquement défensives.

13 Je voudrais le savoir. Merci.

14 LE TÉMOIN : A ma connaissance, il n'y a jamais eu de bombes au napalm en

15 Krajina. Quant aux bombes à fragmentation, le terme de "cluster bomb" est

16 quand même très vague. Il faudrait savoir dans ce cas-là si ce sont des

17 bombes faites pour percer le blindage des chars et si c'était

18 éventuellement pour attaquer une colonne de chars qui intervenait dans la

19 poche de Bihac, puisqu'on sait très bien que le 5e Corps de Dudakovic était

20 là et s'apprêtait à attaquer la Krajina.

21 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Fort bien. Puisque vous ne croyez

22 pas que la RSK avait des bombes au napalm - je ne sais pas exactement

23 comment cela se prononce - est-ce que vous pouvez me dire de quel genre

24 d'arme il s'agit ? Est-ce que c'est une arme défensive ou offensive ? Parce

25 que je veux revenir à la description que vous avez utilisée tout au début

26 de votre audition. Elle a supposé effectivement que la RSK n'avait pas ce

27 genre d'armement.

28 LE TÉMOIN : Dans ce cas-là, ici, une association de type "cluster bomb" et

Page 10802

1 napalm ne peut être que quelque chose de défensif contre une attaque qui se

2 prépare. Je suis très surpris parce qu'à ma connaissance, il n'y a jamais

3 eu de victimes brûlées par du napalm dans cette région. Les effets d'une

4 bombe au napalm sont très spécifiques, et je crois que cela n'aurait pas pu

5 passer inaperçu dans les centres de soin de la région.

6 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Merci.

7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] L'heure est venue de faire la pause.

8 Nous reprendrons à midi et demi.

9 L'audience est suspendue.

10 --- L'audience est suspendue à 12 heures 01

11 --- L'audience est reprise à 12 heures 33.

12 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Excusez ce retard.

13 Monsieur Black, vous pouvez poursuivre.

14 M. BLACK : [interprétation]

15 Q. Monsieur Barriot, vous nous avez dit que la Krajina n'avait pas reçu

16 d'aide humanitaire pendant la période que vous y aviez passée. Il est vrai,

17 n'est-ce pas, que la FORPRONU, en particulier le HCR des Nations Unies, a

18 fourni une aide humanitaire à la Krajina en 1994 et au début de l'année

19 1995 ?

20 R. Oui, c'est exact. En 1994, lorsque j'étais Casque bleu en Krajina, à

21 Glina, il y avait un bureau de l'UNHCR dirigé par

22 M. Bertrand de Lapresele, et c'est vrai qu'il y a eu une petite aide, mais

23 vraiment, cette aide était totalement disproportionnée avec la demande

24 qu'il y avait sur place. En tous les cas, il n'y avait aucune ONG, aucune

25 organisation non gouvernementale qui s'est exclusivement portée au secours

26 des Croates ou des Musulmans.

27 M. BLACK : [interprétation] J'aimerais que nous examinions rapidement un

28 document que je n'ai pas fait télécharger dans le système de prétoire

Page 10803

1 électronique. J'ai préparé des copies papier pour la Défense et pour les

2 interprètes. J'aimerais qu'on remette un exemplaire au témoin ainsi qu'aux

3 Juges. Je signale qu'il s'agit d'un document qui porte le numéro ERN

4 01733271. Nous incorporerons ce document au système de prétoire

5 électronique dès que possible.

6 Q. Monsieur Barriot, vous pouvez constater que nous avons ici un document

7 qui vient du Haut-commissariat des Nations Unies, une lettre qui date du 8

8 mars 1995 à l'intention de M. Martic. J'aimerais que vous vous reportiez au

9 premier paragraphe. Je vais en donner lecture afin que le document puisse

10 vous être ainsi traduit en français.

11 Je cite : "Monsieur Martic, j'ai l'honneur de vous rappeler notre

12 réunion de Knin le mardi 21 février. Vous vous souviendrez indubitablement

13 qu'à cette occasion, j'ai insisté sur le fait que le HCR des Nations Unies

14 constatait qu'il était de plus en plus difficile de justifier la poursuite

15 d'apport d'une aide à 100 % à la zone protégée des Nations Unies, étant

16 donné qu'il y avait des obstructions au passage des convois d'aide

17 humanitaire vers l'enclave de Bihac, donc on n'a pu délivrer que 20 % de

18 cette aide depuis mai 1994."

19 Premièrement, on parle ici de 100 % des besoins des zones de

20 protection des Nations Unies. Est-ce que vous contestez ce fait ?

21 R. Alors là, je le conteste, mais formellement. Quand vous êtes dans

22 l'hôpital de Glina, qui est l'hôpital le plus important de la région, que

23 vous n'avez pas d'antibiotiques, que vous n'avez pas de médicaments

24 anesthésiques, que vous n'avez pas de sang, que vous n'avez pas de produits

25 de contraste, que vous n'avez pas de réactifs biologiques, comment vous

26 pouvez oser dire que vous avez su assurer 100 % des besoins ? Vous avez

27 assuré 0 % des besoins.

28 Q. Qu'en est-il des vivres, de l'eau potable, et cetera ? Il est vrai que

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1 le HCR des Nations Unies a assuré cette aide, même si cela ne correspond

2 pas à 100 % des besoins, mais en tout cas, il y avait une aide qui était

3 apportée, n'est-ce pas ?

4 R. Je pense que vous ne connaissez pas la région. C'est une région où tous

5 les gens vivent de leurs fermes, des cochons qu'ils élèvent, de leurs

6 petites cultures. Ce n'est pas l'UNHCR qui leur a fourni cela.

7 Q. Ici, on parle des obstacles mis au passage des convois qui se

8 dirigeaient vers l'enclave de Bihac en passant par le territoire de la RSK.

9 Vous avez connaissance de tels obstacles, n'est-ce pas, de l'obstruction du

10 passage des convois ?

11 R. Je ne vois pas d'où venaient ces convois pour traverser. Ils venaient

12 de Croatie s'ils traversaient la RSK pour aller vers la poche de Bihac. Je

13 ne comprends pas déjà le trajet utilisé sachant que tout

14 l'approvisionnement du 5e Corps bosniaque de Dudakovic était régulièrement

15 alimenté tous les jours par la Bosnie. Il ne manquait de rien du tout. Je

16 ne comprends absolument ni le trajet ni le sens de cette lettre.

17 Q. Reportons-nous au deuxième paragraphe et peut-être que cela nous

18 éclaircira, apportera un peu de lumière à tout cela. Je cite :

19 "Depuis notre dernière réunion, quatre convois seulement ont pu entrer dans

20 l'enclave de Bihac, et la dernière équipe qui accompagnait le convoi a été

21 dans l'impossibilité de retourner à Zagreb et ceci depuis le 28 février.

22 Bien qu'il y ait peut-être des combats dans la zone, qu'ils avaient

23 l'intention de traverser, il y a d'autres routes qui quittent Bihac telle

24 que celle qui passe par Petrovo Selo, là où il n'y a pas de combat en ce

25 moment."

26 Il semble qu'ils devaient traverser le territoire de la RSK, mais qu'ils en

27 étaient empêchés, est-ce que vous savez quoi que ce soit à ce sujet ?

28 Pouvez-vous nous faire des observations sur ce point ?

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1 R. Je peux vous faire une observation très simple. La lettre est datée de

2 mars 1995. Depuis l'été 1994 ou début de l'année 1995, il y avait des

3 combats dans la poche de Bihac et ces combats opposaient le 5e Corps

4 bosniaque de Dudakovic aux partisans de Fikret Abdic. Si on ne pouvait pas

5 passer dans la poche de Bihac, c'était à cause du 5e Corps musulman et ce

6 n'était absolument pas à cause des Serbes. De toute façon, le 5e Corps a

7 toujours été parfaitement ravitaillé. Les gens qui n'étaient pas

8 ravitaillés, c'étaient les Serbes de Krajina. C'est un non-sens.

9 Q. Vous nous dites donc que cette lettre ne dit pas la vérité, que ce

10 n'est pas la RSK qui empêchait l'accès à Bihac, c'est simplement les

11 combats. C'est ce que vous nous dites ?

12 R. Mais oui, et l'accès par la Bosnie à la poche de Bihac était totalement

13 sous contrôle du 5e Corps. Si quelqu'un empêchait quelque chose d'arriver à

14 Bihac, c'était le 5e Corps. Il contrôlait la région.

15 Q. Afin que ce soit bien clair, quand vous parlez du 5e Corps, vous parlez

16 de l'ABiH, n'est-ce pas ?

17 R. Absolument, commandée par le général Atif Dudakovic qui, à ma

18 connaissance, n'a pas été inculpé pour ses crimes.

19 Q. Bien. Est-ce que vous nous dites que le 5e Corps contrôlait la

20 frontière avec la RSK ? Qu'il était impossible de passer de la RSK dans la

21 poche de Bihac sans passer par une zone contrôlée par le 5e Corps ?

22 R. C'est le 5e Corps qui a poussé tous les partisans de Fikret Abdic vers

23 la Krajina à cette époque, c'est bien qu'il contrôlait la région. D'autre

24 part, en 1995, lors de l'opération Tempête quand plus de 200 000 Serbes ont

25 été expulsés de la Krajina, aucune aide n'a pu leur arriver alors qu'ils

26 étaient dans la région de Banja Luka, parce que les Musulmans de Bosnie

27 s'opposaient au passage des convois d'aide humanitaire. Chaque fois que les

28 convois humanitaires ont été bloqués, c'est par les Musulmans de Bosnie.

Page 10806

1 Cela n'a été jamais par les Serbes. C'est eux qui en avaient besoin.

2 Q. Examinons un dernier paragraphe dans ce document, le troisième

3 paragraphe en réalité. Je ne vais peut-être pas en donner lecture dans son

4 intégralité, mais on peut y lire : "Qu'à cause des obstacles posés par la

5 RSK, le HCR des Nations Unies est contraint d'interrompre la livraison

6 d'aide humanitaire aux zones protégées des Nations Unies et à Velika

7 Kladusa jusqu'à ce que l'accès normal à Bihac puisse être rétabli."

8 Du point de vue du HCR des Nations Unies, c'est la RSK en tout cas qui

9 empêche le passage de l'aide humanitaire ici, n'est-ce pas ?

10 R. Oui. C'est délirant. C'est ce que dit cette lettre mais je le répète,

11 c'est un non-sens total. Cela prouve, de toute façon, que les gens qui

12 croient à cette lettre ne connaissaient rien à la situation militaire dans

13 la poche de Bihac.

14 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur, nous essayons ici d'employer

15 un langage respectueux. C'est la deuxième fois que vous dites quelque chose

16 est un "non-sens." Je vous demande d'essayer de vous abstenir d'utiliser ce

17 genre de vocabulaire, même si vous pensez que quelque chose n'a aucun sens

18 -- celui à qui la lettre était adressée a dû être en mesure de déterminer

19 si, effectivement, ceci avait du sens ou pas, et s'il était impossible pour

20 la RSK de faire ce qu'on lui demandait de faire. Je ne sais pas si une

21 réponse quelconque a été faite à cette lettre.

22 M. BLACK : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Puis-je

23 poursuivre ?

24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui.

25 M. BLACK : [interprétation] J'aimerais avoir une cote pour ce document.

26 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui.

27 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation]Il s'agira de la pièce 1009.

28 M. LE JUGE MOLOTO : [hors micro]

Page 10807

1 M. BLACK : [interprétation]

2 Q. Monsieur Barriot, je vais vous poser un certain nombre de questions et

3 si vous n'avez pas d'informations sur le thème en question, dites-le-moi

4 tout simplement. Après l'accord de cessez-le-feu conclu au mois de mars

5 1994, et si vous savez, vous avez parlé des conditions qui prévalaient dans

6 la Krajina, de la situation économique. J'ai quelques questions à vous

7 poser à ce sujet.

8 M. BLACK : [interprétation] Je vois que M. Martic souhaite faire

9 passer un mot à son avocat.

10 Q. Je reprends ma question parce que je n'ai pas été très clair.

11 Vous avez parlé des conditions de vie dans la Krajina, de la

12 situation économique et j'ai quelques questions à vous poser à ce sujet,

13 suite à ce que vous nous avez dit. N'est-il pas exact qu'après l'accord de

14 cessez-le-feu de mars 1994, la partie serbe a posé des obstacles, fait

15 obstruction à toute négociation au sujet d'un accord économique, et ce,

16 jusqu'en décembre 1994 ?

17 R. Non, à ma connaissance, cette information n'est pas exacte. Ce

18 qui est certain, c'est que l'accord de cessez-le-feu n'a pas été respecté

19 par la partie croate.

20 Q. Et par les Serbes non plus, n'est-ce pas ?

21 R. Les rapports de la FORPRONU montrent bien qu'il y avait des unités

22 régulières et irrégulières de l'armée croate qui pénétraient en Bosnie-

23 Herzégovine et en Bosnie occidentale par les frontières --

24 Q. Je vous prie de m'excuser de vous interrompre, mais ma question porte

25 sur les Serbes. Les Serbes aussi ont enfreint les dispositions de l'accord

26 de cessez-le-feu de mars 1994, n'est-ce

27 pas ?

28 R. Quand et où ?

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1 Q. En tout cas, avant août 1994. Cela, c'est sûr. Etes-vous d'accord ?

2 R. Non.

3 Q. Bien. J'aimerais ici faire un petit détour pour vous montrer une pièce

4 qui n'a pas encore été versée au dossier, ZA024795 jusqu'à la page 4799.

5 M. BLACK : [interprétation] J'aimerais que ceci soit affiché à l'écran.

6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] C'est 024 ou 042 ?

7 M. BLACK : [interprétation] Je vais donner de nouveau le numéro, ZA024795.

8 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

9 M. BLACK : [interprétation] Voilà exactement la page qui m'intéresse à

10 l'écran.

11 Q. Monsieur, vous avez sous les yeux une autre lettre qui vient du chef de

12 la FORPRONU en date du 15 août 1994. C'est une lettre qui est adressée au

13 général Celeketic. Au premier paragraphe, on peut lire rapidement la chose

14 suivante, je cite :

15 "Je sais que vous vous êtes personnellement engagé à la consolidation d'un

16 accord de cessez-le-feu du 29 mars. A ce sujet, je voudrais vous faire part

17 de mes préoccupations les plus profondes ainsi que des protestations que je

18 souhaite émettre après les violations continues et en augmentation des

19 accords de cessez-le-feu. J'estime que ces violations, dont une liste est

20 jointe en annexe à la présente lettre, sont extrêmement graves puisqu'elles

21 ne sont plus le résultat d'initiatives locales, mais le résultat d'un plan

22 délibéré qui ne tient plus aucun compte de l'engagement qui avait été signé

23 par vos autorités politiques."

24 A la lecture de cette lettre, reconnaissez-vous que la RSK violait l'accord

25 de cessez-le-feu qui avait été convenu le 29 mars ?

26 R. Bien sûr que non. C'est du bavardage. Il n'y a aucun fait, aucune date,

27 aucune précision, et cette lettre est datée du 13 août 1994, au moment où

28 le 5e Corps bosniaque était en train d'attaquer la Krajina par la poche de

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1 Bihac et en train de refouler tous les Musulmans de la poche de Bihac vers

2 la Krajina. Il n'y a pas un mot là-dedans. C'est consternant.

3 Q. Vous disiez que le lieutenant-général Bertrand de Lapresele, ce

4 monsieur c'était votre chef, n'est-ce pas, quand vous étiez dans la

5 FORPRONU ?

6 R. C'est lui qui m'a donné une médaille, oui. C'est lui qui m'a donné une

7 médaille et cela montre bien toujours le deux poids, deux mesures. On est

8 dans une situation où d'un côté, il y a le 5e Corps bosniaque qui rentre

9 quasiment dans la Krajina, et tout ce qu'on trouve dans la lettre de la

10 FORPRONU, c'est de vagues, je dis bien de vagues accusations de rupture de

11 cessez-le-feu. Par contre, l'opération Tempête et l'opération Eclair, cela

12 c'étaient des vraies violations du cessez-le-feu. Cela, c'est du baratin.

13 Q. Je ne veux pas m'appesantir trop sur cette question.

14 M. BLACK : [interprétation] J'aimerais que nous passions à la page 4

15 de ce même document.

16 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] J'ai un document qui ne compte que

17 trois pages.

18 M. BLACK : [interprétation] Il y a une annexe dans laquelle sont

19 répertoriées les violations de l'accord de cessez-le-feu. Non, mais je vais

20 passer à autre chose, Monsieur le Président.

21 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Non, non, non, continuez.

22 M. BLACK : [interprétation] Bien. Je vais lui en donner lecture.

23 Q. Monsieur, d'après l'annexe à ce document qui porte sur les violations

24 commises par les Serbes, violations de cet accord de cessez-le-feu, à la

25 date du 15 août 1994 [comme interprété], on peut lire que : "Dans le

26 secteur est, on a répertorié neuf violations avec l'utilisation d'armements

27 lourds, violation s'agissant de la surveillance des ZOS."

28 M. LE JUGE MOLOTO : [aucune interprétation]

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1 M. BLACK : [aucune interprétation]

2 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je crois que ma page 3 correspond à

3 votre page 4.

4 M. BLACK : [interprétation] D'accord.

5 Q. "S'agissant du secteur ouest, on voit qu'il y a deux violations de

6 l'accord de cessez-le-feu; dans le secteur nord, quatre violations

7 concernant le retrait d'armes lourdes, et il y a également quelque chose

8 qui concerne la surveillance de la ZOS."

9 Est-ce que vous continuez à nous dire que tout cela, c'est du

10 bavardage, que ce ne sont pas des faits, mais que tout cela a été inventé

11 de toutes pièces ?

12 R. Je continue à vous dire que c'est du bavardage. Ce genre de pièce n'a

13 aucune valeur. Il n'y a pas la mention même d'un seul blessé. Vous n'avez

14 aucune précision sur qui a tiré, et est-ce que c'était une réponse. A côté

15 de cela, je le répète, il y a eu l'opération Eclair et l'opération Tempête

16 où vous avez eu des centaines de morts, où vous avez eu des milliers d'obus

17 qui sont tombés. C'est cela, la violation du cessez-le-feu. Cela, cela n'a

18 aucune valeur.

19 Q. Bien. Merci. Vous savez qu'en août 1994, il n'y avait pas encore eu

20 d'opération Eclair ni d'opération Tempête, donc on ne peut pas s'attendre à

21 voir mentionné ces opérations dans un document d'août 1994.

22 R. Cela a été préparé, c'était la préparation de cela. On sait très bien

23 qu'il y a eu des infiltrations pendant tout le temps qui a précédé pour

24 préparer ces opérations qui étaient réellement des violations de cessez-le-

25 feu. On ne voit même pas un blessé apparaître sur cette feuille; cela veut

26 dire quoi ?

27 M. BLACK : [interprétation] Monsieur le Président, j'aimerais demander le

28 versement au dossier de cette pièce.

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1 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] La pièce sera versée au dossier. Une

2 cote, s'il vous plaît.

3 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Il s'agira de la pièce 1010.

4 M. BLACK : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

5 Q. Monsieur, peut-être ne savez-vous rien de cette question, mais je vais

6 vous la poser, peut-être pourrez-vous me répondre. N'est-il pas exact qu'en

7 1994 et en 1995, la RSK a rejeté toute proposition d'accord qui ne

8 prévoyait pas l'indépendance, y compris ce qu'on a appelé le plan Z-4 ?

9 R. C'est faux. Vous faites référence au plan Zagreb Z-4. S'il n'y a pas eu

10 d'accord, c'est parce que le président Tudjman a dit qu'il ne voulait pas

11 s'asseoir à la table des négociations avec M. Milan Martic. Les Serbes de

12 la Krajina étaient prêts à tous les compromis et à toutes les concessions.

13 C'est le président Tudjman qui a refusé de s'asseoir à la table.

14 Q. Je vais vous donner lecture de l'extrait d'un document, la pièce 1003

15 qui a été versée au dossier sous pli scellé.

16 M. BLACK : [interprétation] Je ne souhaite pas l'afficher à l'écran.

17 Q. Je vais vous donner lecture d'un très bref extrait de ce document.

18 M. BLACK : [interprétation] Merci.

19 Q. Je souhaiterais vous donner lecture d'un très bref extrait.

20 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur Black.

21 M. BLACK : [interprétation] Oui, Madame le Juge.

22

23 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Est-ce que ce n'est pas là un

24 sujet qui fait partie des sujets qui ne doivent pas être abordés, dont nous

25 avons dit qu'il ne fallait pas les aborder ? Parce que si nous n'avons pas

26 permis à la Défense d'évoquer ces thèmes-là, il ne semble pas très juste de

27 vous permettre de mener un contre-interrogatoire sur ces mêmes sujets. Si

28 je me souviens bien, c'est justement un des sujets sur lesquels nous avons

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1 décidé qu'il ne convenait pas d'interroger le témoin.

2 M. BLACK : [interprétation] Veuillez m'accorder quelques instants, Madame

3 le Juge.

4 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Merci.

5 [Le conseil de l'Accusation se concerte]

6 M. BLACK : [interprétation] Oui, je reconnais que le plan Z-4, c'est

7 un des sujets qui a été mentionné par la Chambre de première instance, mais

8 ici, c'est une réaction à ce que nous a dit le témoin dans sa déposition au

9 sujet de la situation économique, du fait que les Serbes étaient toujours

10 prêts à négocier, que c'étaient les Croates qui violaient systématiquement

11 les accords de cessez-le-feu et refusaient de négocier de bonne foi. Je ne

12 veux pas m'appesantir sur cette question, mais je souhaiterais pouvoir lui

13 poser une question supplémentaire sur ce point, parce que c'est quelque

14 chose dont il a parlé pendant l'interrogatoire principal.

15 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Peut-être pourriez-vous d'abord

16 nous dire quelle est la question que vous souhaitiez poser ?

17 M. BLACK : [interprétation] Je vais poser la question.

18 Q. Monsieur Barriot, attendez quand j'aurai posé ma question et les Juges

19 décideront si oui ou non vous devez y répondre. Reconnaissez-vous la

20 véracité de ce qui a été dit par un représentant officiel de la RSK que je

21 ne nommerai pas ?

22 Je cite : "Il n'y avait aucune volonté de parler de paix, et ce

23 n'était pas notre option dominante. La politique en place, c'était que les

24 Oustachi étaient nos opposants. Il n'y avait pas de discussion avec eux,

25 sauf au bout du fusil. Nous accepterions toutes les propositions de la

26 communauté internationale au sujet des négociations, mais seulement pour

27 bloquer des mesures concrètes éventuelles."

28 M. BLACK : [interprétation] Voilà la question, Madame le Juge. Je crois que

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1 ceci est en rapport avec ce que le témoin nous a dit au sujet des

2 négociations entre les parties en présence et de la situation telle qu'elle

3 existait en Krajina au cours de l'année 1995. Mais je m'en remets

4 entièrement à vous, Madame et Messieurs les Juges. Si vous ne souhaitez pas

5 que je pose cette question, je passerai à un autre sujet.

6 [La Chambre de première instance se concerte]

7 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Monsieur Black, la Chambre de

8 première instance va vous permettre de poser cette question, mais il

9 convient de vous contrôler afin de ne pas enfreindre l'ordonnance rendue

10 par la Chambre de première instance, sachant que les questions

11 supplémentaires que posera la Défense seront également limitées sur ce

12 point.

13 M. BLACK : [interprétation] Merci beaucoup de ces instructions.

14 Q. Monsieur Barriot, si vous vous souvenez de ma question, veuillez y

15 répondre, si vous vous en souvenez. Est-ce que vous êtes d'accord avec ce

16 que je vous ai lu ?

17 R. Vous m'avez demandé de répondre sur un document que vous ne me

18 présentez pas et en citant quelqu'un dont vous cachez le nom, donc c'est un

19 peu du brouillard dans un tunnel, mais je vais quand même vous répondre.

20 Q. Oui, poursuivez.

21 R. La seule partie qui ne voulait pas négocier, c'était la partie croate,

22 et les suites l'ont bien montré, puisque c'est quand même les Croates qui

23 ont attaqué la Slavonie occidentale et la Krajina et qui ont massacré la

24 population civile. Si c'est cela, la volonté de parlementer…

25 Q. Je crois que je vais passer à mon sujet suivant. La participation,

26 selon vous, ou alléguée par vous des Nations Unis dans l'opération Tempête.

27 Je ne vais pas m'appesantir sur la question, mais --

28 M. PEROVIC : [interprétation] Objection. Est-ce que l'opération Tempête n'a

Page 10815

1 pas été incluse dans la liste des thèmes interdits ?

2 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Si, mais il me semble que vous avez

3 dit, je vous cite : "La participation alléguée par vous des Nations Unies

4 dans l'opération Tempête. Je n'ai pas l'intention de m'appesantir sur cette

5 question." Est-ce que vous avez évoqué cela ?

6 M. BLACK : [interprétation] Oui, mais le témoin en parle à la page 53 du

7 compte rendu d'audience. Page 53, il nous parle des attaques menées par les

8 avions de chasse américains, de la MPRI, de cette société américaine, de

9 son intervention. Le témoin en a parlé pendant l'interrogatoire principal.

10 Nous n'acceptons pas la véracité de ce qu'il dit, et il s'agit de choses

11 dont j'ai besoin de parler avec lui. Il faut que je lui pose des questions

12 sur ce point. Je ne pense pas qu'il soit juste que nous n'ayons pas le

13 droit de poser ces questions pendant le contre-interrogatoire, alors qu'il

14 en a parlé pendant l'interrogatoire principal.

15 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] C'était plutôt en marge de sa

16 déposition; ce n'était le cœur même de sa déposition.

17 M. BLACK : [interprétation] Oui, mais il en a parlé à plusieurs reprises.

18 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [aucune interprétation]

19 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous nous renvoyez à la page 53 du

20 compte rendu d'audience, ligne numéro combien, s'il vous plaît ?

21 M. BLACK : [interprétation] Page 53, ligne 25.

22 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Lors de l'interrogatoire principal ?

23 M. BLACK : [interprétation] Oui. J'essaie de trouver le passage concerné.

24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, on parle de "radar".

25 M. BLACK : [interprétation] Oui, on me dit que la page 53, c'était déjà le

26 contre-interrogatoire. Je vais essayer de trouver le passage concerné. Je

27 crois que c'est le dernier sujet qui a été évoqué avant la première pause,

28 avant que je ne commence moi-même à entamer le contre-interrogatoire. Je

Page 10816

1 vous prie de m'excuser de ne pas pouvoir vous donner de citation précise.

2 Je pense, par exemple, à la page 25, ligne 6. On lui pose une question au

3 sujet des relations entre cette organisation américaine et les autorités

4 croates, et d'après nos recherches, cette société MPRI, elle a été

5 mentionnée à cinq reprises au compte rendu d'audience. Paragraphe 24, on

6 dit : "Le MPRI, est aux ordres du Pentagone." On y a fait référence à

7 plusieurs reprises, Monsieur le Président, à cette organisation.

8 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] D'accord.

9 M. PEROVIC : [interprétation] Ce qu'a dit le témoin à ce sujet, ces

10 observations du témoin, cela ne s'est pas fait en réponse à ma question. Je

11 n'ai posé aucune question au sujet de l'opération Tempête ou d'une

12 participation éventuelle d'éléments américains dans cette opération.

13 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Certes, mais le témoin en a parlé,

14 lui, il a déposé à ce sujet. Vous ne l'avez interrompu, Maître Perovic,

15 quand il l'a fait.

16 M. PEROVIC : [interprétation] Certes, si, si, à plusieurs reprises je l'ai

17 interrompu.

18 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] En tout cas, c'est au compte rendu

19 d'audience, ces déclarations faites par le témoin sont au compte rendu

20 d'audience. De ce fait, je pense que l'Accusation est en droit de lui poser

21 des questions au cours du contre-interrogatoire.

22 M. BLACK : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

23 M. PEROVIC : [interprétation] Je retire mon objection.

24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Perovic.

25 M. BLACK : [interprétation] Bien, je vais essayer d'être bref.

26 Q. Monsieur, vous voyez bien à quel sujet je veux faire référence, n'est-

27 ce pas ? Vous nous parlez de l'attaque de chasseurs américains contre Knin

28 au début de l'opération Tempête. N'est-il pas exact que l'incident auquel

Page 10817

1 vous faites référence, c'est un incident au cours duquel des avions qui

2 volaient pour l'OTAN ont attaqué un site de missiles solaires de la RSK

3 près de Knin ? On a attaqué pour neutraliser les mécanismes de feu de cette

4 base. Je crois que vous y aviez fait d'ailleurs référence dans votre

5 déposition. Est-ce que c'est le même incident dont nous sommes en train de

6 parler ?

7 R. Oui, mais vous le déformez. L'incident, il est très clair. C'est que

8 l'aviation américaine, vous parlez de l'OTAN. C'est faux, ce n'est pas

9 l'OTAN, ou alors il faut nous montrer l'ordre d'intervention de l'OTAN.

10 Vous savez que pour que l'OTAN fasse une intervention aérienne et des

11 frappes aériennes, il faut que les ambassadeurs de l'OTAN aient signé un

12 ordre de mission. Ce n'est pas l'OTAN qui est intervenu, c'est l'armée

13 américaine et c'est le porte-avion Théodore Roosevelt. Ensuite, s'ils ont

14 frappé la défense antiaérienne de Knin, ce n'était pas du tout parce

15 qu'elle représentait une menace pour eux, c'est parce qu'ils voulaient la

16 détruire pour que l'aviation croate puisse bombarder Knin et pour que les

17 MiG 21 croates puisse intervenir en toute sécurité. C'est cela, la vérité.

18 M. BLACK : [interprétation] Je vais essayer de ralentir.

19 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Le témoin aussi, peut-être.

20 Monsieur le Témoin, il faudrait que vous ralentissiez un petit peu.

21 LE TÉMOIN : [hors micro]

22 M. BLACK : [interprétation] On va tous essayer d'aller lentement.

23 Q. "Human Rights Watch", l'organisation "Human Rights Watch" estimait

24 qu'il s'agissait de l'avion de l'OTAN et elle a relaté les événements que

25 je viens d'évoquer de la même façon que moi.

26 R. Je vous arrête tout de suite. Je vois très bien le document auquel vous

27 faite allusion. Sur quoi se base "Human Rights Watch" ? Elle se base sur un

28 article publié dans le journal américain, c'est-à-dire que "Human Rights

Page 10818

1 Watch" n'a pas vu de ses yeux, mais dit cela sur la base d'un article qui

2 est paru dans la presse américaine et que je connais très bien.

3 Premièrement, c'est une notion de deuxième main basée sur un article, et

4 ensuite, "Human Rights Watch" n'est absolument pas habilité à dire si c'est

5 l'OTAN ou si c'est les Etats-Unis qui intervient. Je ne pense pas qu'ils

6 aient les connaissances militaires adéquates.

7 Q. Oui, mais d'après vous, ce n'était qu'une justification pour que les

8 américains puisse atteindre Knin, donc c'était un truc ?

9 R. Oui, tout à fait. Vous avez des chasseurs bombardiers américains qui

10 arrivent sur Knin; c'est évident que le radar va les percevoir. A ce

11 moment-là --

12 M. LE JUGE MOLOTO : [aucune interprétation]

13 LE TÉMOIN : Excusez-moi. Je dis que vous avez deux chasseurs bombardiers

14 américains qui arrivent sur Knin; c'est évident que les radars vont

15 l'accrocher. A ce moment-là, ils bombardent les radars en disant : oui, les

16 radars nous ont accrochés. Encore, c'est une excuse pour détruire les

17 batteries et pour permettre à l'aviation croate d'intervenir dans

18 l'opération Tempête.

19 M. BLACK : [interprétation] D'accord.

20 Q. Je m'écarte de ce sujet. Pour ce qui est de cette société MPRI, société

21 privée dont vous avez parlé. Tout d'abord, c'était une entreprise, une

22 compagnie privée, ce n'est pas des organes, un service du gouvernement

23 américain, n'est-ce pas ?

24 R. Non. Je ne suis pas d'accord avec vous. Si vous voulez, on va parler de

25 MPRI. C'est au cours de l'année --

26 Q. Excusez-moi, excusez-moi, enfin --

27 R. Vous voulez que je vous réponde ou non ?

28 Q. Oui, je veux que vous répondiez, mais je veux que vous répondiez à des

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1 questions précises. Je pose les questions et vous y répondez.

2 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Témoin.

3 Excusez-moi. Regardez-moi. Je m'adresse à vous. C'est lui qui vous pose des

4 questions, et c'est vous qui y répondez. Vous ne pouvez pas présenter des

5 postulats. Ecoutez-moi, c'est moi qui parle pour le moment. Ecoutez la

6 question posée avec soin. Répondez-y, d'accord ? Ne commencez pas à

7 polémiquer. Ecoutez la question, répondez-y. Je vais veiller au grain et je

8 serai très vigilant, et je vais vous dire si vous ne répondez pas à la

9 question.

10 M. BLACK : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

11 Q. Voici ma question. Cette société MPRI, c'est une société privée, ce

12 n'est pas un service du gouvernement américain, n'est-ce pas ?

13 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Répondez par oui ou par non, point à

14 la ligne.

15 LE TÉMOIN : Non, et aux ordres du Pentagone.

16 M. BLACK : [interprétation]

17 Q. Selon vous, c'est une société qui fait partie du gouvernement américain

18 ou qui prend ses ordres et qui reçoit ses ordres du Pentagone; est-ce que

19 je vous ai bien compris ?

20 R. Parfaitement. C'est une façon pour le gouvernement américain

21 d'intervenir de façon cachée.

22 Q. Je suppose que pour dire cela, vous vous appuyez sur des services de

23 renseignement ?

24 R. Oui. Je peux vous développer cela très longuement si vous souhaitez

25 avoir tous les détails.

26 Q. Je ne pense pas que ce soit nécessaire d'avoir les détails, mais je

27 vous soumets une idée pour recevoir votre commentaire. Je suis content que

28 vous preniez plaisir à cette déclaration. Je vous demande de rester

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1 sérieux. Je n'ai plus que quelques questions à vous poser en contre-

2 interrogatoire.

3 N'est-il pas vrai de dire que la MPRI a fourni des formations sur des

4 questions de direction, de leadership ? Est-il vrai de dire qu'ils n'ont

5 pas armé les Croates et que les Etats-Unis ont respecté l'embargo sur les

6 armes, en ce qui concerne l'ex-Yougoslavie ? Si vous n'êtes pas d'accord,

7 dites-le-moi. Nous pourrons passer à autre chose.

8 R. Je ne suis absolument pas d'accord.

9 Q. Fort bien, merci. Vous avez toujours estimé que les chefs d'accusation

10 portés contre Milan Martic en l'espèce dans ce Tribunal n'étaient pas

11 légitimes, n'est-ce pas ?

12 R. Je le maintiens.

13 Q. C'est une idée que vous vous êtes formée bien avant le début du procès,

14 sans avoir vu les éléments de preuve présentés au cours de ce procès; est-

15 ce exact ?

16 R. Non, ce n'est pas exact. Je travaille depuis plus de 12 ans sur

17 l'histoire des Serbes de Krajina et je pense connaître parfaitement leur

18 histoire.

19 Q. Oui, mais ma question était celle-ci : Est-ce que vous vous êtes fait

20 cette opinion avant le début de ce procès, avant d'avoir pu voir les

21 éléments précis présentés au cours de ce procès-ci, concrètement ?

22 R. Je connaissais la majorité des éléments avant le début du procès.

23 Q. Auparavant, nous avons vu une lettre ouverte à votre ami Milan Martic,

24 et ceci me rappelle que j'ai oublié de demander le versement de ce

25 document. Ce que je voulais voir versé au dossier, c'était cette partie-là

26 de l'article avec les deux pages en anglais. Nous veillerons à ce que tout

27 ceci soit saisi correctement dans le système du prétoire électronique.

28 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Cette lettre ouverte va être versée au

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1 dossier. Peut-on avoir une cote, Madame la Greffière, avec la version en

2 français ?

3 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Ce sera la pièce 1011.

4 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

5 M. BLACK : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

6 Q. Quelques questions rapides pendant que je vois ce livre. Outre cet

7 article que nous avons déjà vu, il se trouve un autre article, "Quelle

8 justice pour la Krajina", où au fond vous défendez Milan Martic contre les

9 accusations portées ici aujourd'hui contre lui, n'est-ce pas ? C'est exact,

10 n'est-ce pas ?

11 R. J'ai écrit tellement d'articles et de livres sur la Krajina que je ne

12 vois pas exactement à quoi vous faites référence.

13 Q. Celui-ci s'appelle "Quelle justice pour la Krajina", Y0061998 [comme

14 interprété], s'il faut l'afficher à l'écran. Je ne voulais pas l'aborder

15 dans le détail, mais si c'est nécessaire, nous pouvons le voir. Vous vous

16 souvenez maintenant de cet article ?

17 R. D'après le titre, je pense que oui. Je présente les arguments qui

18 montrent que la Krajina a été victime d'une injustice.

19 Q. Vous pensez aussi en particulier que M. Martic est victime d'une grande

20 injustice ici, n'est-ce pas ?

21 R. Bien sûr, c'est certain.

22 Q. Un autre article qu'il me semble falloir mentionner, il y en a un

23 consacré à Srebrenica. Je vais essayer de retrouver le titre.

24 [en français] "-- sur Srebrenica et sur ceux qui bricolent son histoire."

25 [interprétation] Excusez-moi si je n'ai pas une prononciation parfaite,

26 mais dans le fond, dans cet article, vous dites qu'on a exagéré, qu'on a

27 enflé les crimes commis en Srebrenica et que les autorités bosniaques ont

28 sacrifié Srebrenica pour se gagner la sympathie de la communauté

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1 internationale; est-ce bien cela ?

2 R. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est le général Morillon en personne, et

3 je pense qu'on ne peut pas contester les paroles du général Morillon

4 puisqu'il était à Srebrenica, il est présenté comme le défenseur de

5 Srebrenica, et c'est lui-même qui a dit que c'est Alija Izetbegovic qui a

6 sacrifié Srebrenica.

7 Q. D'accord. C'est bien ce que vous dites comme argumentaire ou présentez

8 comme argumentaire dans cet article de ce livre, n'est-ce pas ?

9 R. J'utilise bien évidemment les arguments des gens qui y étaient, dont la

10 parole ne peut être mise en doute.

11 Q. Je suppose que vous maintenez tout ce que vous dites dans ce livre, que

12 cet avis reste le vôtre aujourd'hui ?

13 R. Je ne vois pas très bien le lien avec le procès de M. Milan Martic,

14 mais oui, je maintiens ce qui a été écrit dans cet article.

15 Q. D'accord. En dépit des jugements rendus par ce Tribunal qui tirent des

16 conclusions tout à fait différentes, par exemple, en ce qui concerne ce qui

17 est arrivé à Srebrenica ?

18 M. PEROVIC : [interprétation] Objection, Monsieur le Président. Je pense

19 que le témoin a dit à juste titre que les procès concernant Srebrenica

20 n'ont rien à voir avec notre procès. Là, je ne vois pas la pertinence de la

21 question posée par mon estimé confrère.

22 M. BLACK : [interprétation] Sauf le respect que je dois à la Défense, je

23 pense que les avis du témoin et ses opinions, le fait qu'il les maintient à

24 l'égard du travail fait par ce Tribunal, ce sont des éléments pertinents

25 pour juger de la crédibilité du témoin. C'est la raison pour laquelle j'ai

26 posé cette question.

27 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous voulez répondre, Maître Perovic ?

28 M. PEROVIC : [interprétation] Je ne pense pas que ce soit là une bonne

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1 réponse de la part du substitut du Procureur. Je persiste à croire que

2 cette question n'est pas pertinente, parce que Srebrenica n'a rien à voir

3 avec l'acte d'accusation dressé contre Milan Martic.

4 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Qu'avez-vous à dire face à l'argument

5 évoqué par l'Accusation, qui veut ainsi tester, mettre à l'épreuve la

6 crédibilité du témoin ?

7 M. PEROVIC : [interprétation] Ce que je peux dire, c'est que ce n'est pas

8 la bonne façon de s'y prendre. On ne peut pas discréditer ou essayer de

9 discréditer le témoin en évoquant des récits à propos de Srebrenica.

10 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] L'objection est rejetée.

11 M. BLACK : [interprétation] Merci. Je vais poser cette question, la reposer

12 plus exactement, et je passerai à autre chose.

13 Q. Monsieur, vous maintenez ce que vous pensez de Srebrenica et d'autres

14 choses qu'on trouve dans votre livre, en dépit des jugements rendus par ce

15 Tribunal qui tire d'autres conclusions; est-ce bien cela ?

16 R. Je maintiens les déclarations du général Morillon qu'il a faites devant

17 la commission d'enquête parlementaire française, qui ont été archivées et

18 qui disent clairement qu'Alija Izetbegovic a sacrifié Srebrenica.

19 Q. Monsieur, je vous pose une question à vous, pas au général Morillon. Je

20 pensais que la question était simple. Si vous y répondez, nous passerons à

21 autre chose. Vous maintenez cette position malgré des jugements qui vont

22 dans un sens opposé dans ce Tribunal ?

23 R. Oui, comme je maintiens les positions du général Lewis MacKenzie

24 [phon], du général Sir Michael Rose, du général Hans Locaj [phon], du

25 général Pierre-Marie Gallois [phon] et de tous les généraux qui ont dit la

26 vérité.

27 Q. Monsieur, vous êtes coauteur d'un autre livre avec

28 Mme Crépin. Il s'intitule : "Le meurtre d'un peuple." Vous parlez là des

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1 Serbes de Krajina, n'est-ce pas ?

2 R. Ce n'est pas "Le meurtre d'un peuple," c'est "On assassine un peuple,

3 les Serbes de Krajina." Cela reprend une phrase de Victor Hugo.

4 Q. Merci, mais c'est la traduction que nous avons reçue en anglais. On

5 parle bien du même livre. Milan Martic a écrit la préface; est-ce exact ?

6 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Quel est le titre, Monsieur le

7 Témoin, de ce livre, en français ?

8 LE TÉMOIN : Le titre est : "On assassine un peuple, les Serbes de Krajina."

9 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Quand a-t-il été publié et dans

10 quelle langue l'a-t-il été ?

11 LE TÉMOIN : Il a été publié en français au mois de septembre 1995, par les

12 éditions : L'âge d'homme, à Lausanne.

13 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Merci. Poursuivez, Monsieur Black.

14 M. BLACK : [interprétation] Merci. Nous pourrons l'examiner, ce livre. Je

15 n'ai pas demandé de traduction d'extraits, mais la référence est 03593652

16 et pages suivantes.

17 Q. On est en train d'afficher ceci à l'écran, mais dans l'intervalle, je

18 vous demande si Milan Martic a bien écrit la préface de cet ouvrage.

19 R. Oui, M. Milan Martic a écrit la préface de cet ouvrage à ma demande.

20 Q. D'accord. Je pense qu'il y a d'autres apports, notamment de Radovan

21 Karadzic et de Ratko Mladic; est-ce exact ?

22 R. C'est exact.

23 Q. Je vais vous demander d'examiner avec nous une page, numéro ERN

24 03593659. Vous allez voir que c'est une partie de votre propre préface ou

25 introduction à ce livre. Prenons la page de droite, en haut.

26 Monsieur, pour que ceci soit consigné au compte rendu, pourriez-vous

27 commencer la lecture de ce paragraphe qui commence par les mots suivants :

28 "C'est pour moi…"

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1 R. "C'est pour moi un immense honneur de rassembler dans cet ouvrage des

2 textes du président Milan Martic, du président Radovan Karadzic et du

3 général Ratko Mladic, unis pour la défense du peuple serbe et de son église

4 orthodoxe, représentés par l'Evêque Longin. Ces hommes honorent la mémoire

5 du Prince Lazar et des chevaliers serbes tombés à la bataille du champ des

6 merles en ce terrible jour de juin 1389. Ils en sont les dignes héritiers.

7 Je les salue respectueusement."

8 M. BLACK : [interprétation] Je remercie les interprètes d'avoir fait cette

9 traduction difficile.

10 Q. La date est celle du 15 août 1995. A cette époque, Milan Martic avait

11 été inculpé pour le pilonnage de Zagreb; le monde en voulait à Karadzic et

12 spécialement Mladic pour ce qui s'était passé à Srebrenica en juillet 1995.

13 Pourtant, vous vous rangez toujours aux côtés de ces hommes, vous les

14 défendez.

15 R. Non. Vous déformez mes propos. Je ne suis pas sûr que vous ayez lu ce

16 livre. Ce livre a été écrit au moment de l'opération Tempête, et c'était

17 pour défendre un peuple qui venait de subir la pire épuration ethnique qui

18 a été faite lors de la guerre en ex-Yougoslavie. Si vous lisez les passages

19 écrits par Radovan Karadzic et Ratko Mladic, il n'y a rien d'indigne, et

20 ils analysent juste la situation, en particulier la situation dans la poche

21 de Bihac. Il ne faut pas déformer ce que j'ai écrit et faire des sous-

22 entendus qui n'ont pas lieu d'être.

23 Q. Monsieur, je n'essaie pas ici de déformer quoi que ce soit. Je me

24 contente de lire ce que vous-même vous avez écrit. Une dernière question :

25 est-ce que vous saluez toujours respectueusement ces trois hommes

26 aujourd'hui ?

27 R. Je pense que ces hommes ont défendu leur peuple et ont accompli une

28 mission dans des moments terribles de guerre civile où je ne dis pas qu'il

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1 n'y a pas eu des horreurs de part et d'autre, mais c'était une guerre

2 civile atroce, et chacun a essayé de défendre le peuple dont il était

3 responsable.

4 Q. Je vous remercie.

5 M. BLACK : [interprétation] Je n'ai pas d'autres questions à vous poser.

6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Perovic.

7 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Est-ce que ce livre est maintenant

8 versé au dossier ?

9 M. BLACK : [interprétation] La partie qui m'intéressait a été lue au compte

10 rendu d'audience, elle a été actée, donc je ne pense pas qu'il soit

11 nécessaire de verser ce livre au dossier.

12 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

13 Maître Perovic.

14 M. PEROVIC : [interprétation] Je n'ai pas de questions supplémentaires à

15 poser à ce témoin. Je vous remercie, Monsieur le Président.

16 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup, Maître Perovic.

17 Le Juge Hoepfel a une question à vous poser, Monsieur.

18 Questions de la Cour :

19 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Je souhaite vous poser une question

20 de nature très générale. On vous a demandé ce que vous pensiez de ce

21 Tribunal. Monsieur le Témoin, pensez-vous que ce Tribunal, ce soit un

22 Tribunal qui est contre un peuple ou qu'il est contre des individus, des

23 personnes individuelles ?

24 R. Pour répondre franchement, Votre Honneur, je pense sincèrement du fond

25 du cœur que ce Tribunal est partial et qu'il est fait pour juger et pour

26 inculper le peuple serbe dans son ensemble.

27 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Bien. Je suppose que cela constitue

28 une réponse positive à ma question quand je vous ai demandé si vous pensiez

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1 que le Tribunal était un Tribunal qui était dirigé contre un peuple entier.

2 Mais comment vous le savez ? Cette conclusion, est-ce que vous y êtes

3 parvenu tout seul ? Si ce n'est pas le cas, qui vous l'a dit ?

4 R. Non, Votre Honneur. J'y suis arrivé au terme de longues années de

5 travail et de présence sur le terrain. Je pense que ce Tribunal est une

6 façon de poursuivre la guerre qui a été faite contre le peuple serbe par

7 d'autres moyens.

8 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] "Sur le terrain", comment cela ? Est-

9 ce que ce Tribunal est sur le terrain ?

10 R. Non. Ce que je veux dire, c'est que le Tribunal poursuit la guerre par

11 des moyens juridiques jusqu'à l'anéantissement total du peuple serbe.

12 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Est-ce que vous avez suivi une

13 formation en matière de droit international ?

14 R. Non, mais je travaille en étroite collaboration avec Me Jacques Verges.

15 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Qui, cela ?

16 R. Avec Me Jacques Verges, qui a tous les arguments juridiques qui peuvent

17 être développés.

18 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Pouvez-vous, s'il vous plaît, épeler

19 son nom de famille ?

20 R. Le prénom est Jacques, et le nom Verges, V-e-r-g-e-s. C'est le plus

21 célèbre des avocats français.

22 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Cela, c'est toujours une question

23 d'opinion, un jugement de valeur, mais je vais passer la parole à mes

24 confrères.

25 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Madame le Juge Nosworthy.

26 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Merci.

27 Monsieur Barriot, les deux bâtiments qui ont été pris pour cibles en tant

28 que cibles militaires, ce dont vous nous parlez, vous pensez, vous nous

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1 avez dit que c'était le ministère de la Défense et un aéroport militaire.

2 Est-ce qu'on vous a expliqué pourquoi ces deux bâtiments en particulier

3 avaient été pris pour cibles ?

4 R. Non. Je regrette, je n'ai pas eu d'autres éléments et j'avoue que je

5 n'en ai pas demandé.

6 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Merci.

7 Vous avez évoqué les circonstances dans lesquelles vous avez quitté

8 l'armée française. Vous avez dit que M. Granic avait émis une protestation

9 parce qu'il estimait que vous n'aviez pas respecté l'obligation de réserve.

10 Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s'agit exactement ?

11 R. C'est M. Mate Granic, l'ancien ministre des Affaires étrangères

12 croates, qui a porté plainte auprès du gouvernement français du fait de ma

13 présence aux côtés de la population serbe. A partir de ce moment-là, c'est

14 le ministre de la Défense français,

15 M. Charles Millon, qui a demandé des jours d'arrêt contre moi, et on me

16 blâme pour le motif de non-respect de l'obligation de réserve faite aux

17 militaires, c'est-à-dire, uniquement parce que je m'étais exprimé, sans

18 avoir l'autorisation de ma hiérarchie, sur un sujet sensible.

19 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Merci. Il me semble que c'est un

20 sujet qui vous tient énormément à cœur, celui de la Krajina, ainsi

21 d'ailleurs que la situation des Serbes en Krajina pendant cette période. En

22 tout, combien de publications avez-vous fait paraître au sujet de ce qui

23 s'est passé dans la Krajina et de ces personnes qui ont été victimes de ce

24 qui s'est passé là-bas ?

25 R. A ce jour, j'ai écrit cinq livres et plus d'une centaine d'articles,

26 avec Ève Crépin, bien sûr.

27 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Il y a un domaine dans lequel il y

28 a peut-être certaines incohérences dans votre déclaration. Au départ, vous

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1 avez parlé de la situation des gens dans la Krajina, des difficultés qu'ils

2 rencontraient pour avoir accès aux biens de première nécessité. Je crois

3 qu'on a parlé de nourriture, notamment de vivres, mais je crois

4 qu'ultérieurement, dans le cadre de votre déposition, quand on vous a

5 interrogé au sujet de la poche de Bihac, vous avez dit qu'il fallait bien

6 se souvenir qu'on avait affaire là à des paysans, à des gens qui

7 fabriquaient leur propre nourriture. Vous avez répondu cela pour rétorquer

8 au Procureur qui vous lisait un extrait de document au sujet des convois

9 d'aide humanitaire qu'on empêchait de passer.

10 Veuillez me dire où se trouve la vérité ? Est-ce que c'est peut-être

11 que dans certaines régions, effectivement, il y avait pénurie, les gens

12 n'avaient pas suffisamment accès, par exemple, pas assez à manger, alors

13 qu'il y avait peut-être d'autres zones où les gens vivaient à la campagne

14 et étaient en mesure de trouver à manger ? Où se trouve la vérité ?

15 R. Non, non, Madame, il n'y a aucune incohérence. Il faudrait reprendre ma

16 déclaration. Je n'ai jamais dit qu'il y avait des gens qui n'avaient pas

17 assez à manger. J'ai bien insisté sur les produits de première nécessité à

18 l'hôpital, sur le matériel scolaire à l'école, sur les bougies, sur le

19 savon, mais justement, j'avais bien précisé que dans l'ensemble, ils

20 n'avaient pas besoin d'aide alimentaire, parce que c'était essentiellement

21 des populations de paysans.

22 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Merci beaucoup de cette précision.

23 Je n'ai plus de questions à vous poser, Monsieur Barriot.

24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci. C'est maintenant moi qui vais

25 vous poser quelques questions. Commençons par une chose. Est-ce que Mme Ève

26 Crépin est également anesthésiste ?

27 R. Ève Crépin est infirmière spécialisée en urgence et en réanimation.

28 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci. Ce matin, vous nous avez dit

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1 qu'en raison de la situation économique qui existait dans la Krajina, les

2 Croates avaient décidé de partir. Enfin, certains avaient décidé de partir

3 pour aller s'installer dans d'autres villes. Vous vous souvenez avoir dit

4 cela ?

5 R. Oui, Monsieur le Président. J'ai dit que certains étaient restés et

6 d'autres étaient partis.

7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien. Est-ce que ce sont les seuls

8 Croates qui ont été touchés par cette situation économique, touchés à tel

9 point que certains d'entre eux sont partis ? C'est uniquement les Croates ?

10 R. Non, mais eux seuls pouvaient partir, parce que les Serbes ne pouvaient

11 pas partir, ils étaient bien obligés de rester. Seuls les Croates avaient

12 la possibilité d'aller ailleurs en Croatie, mais les Serbes ne pouvaient

13 pas puisque précisément, ils venaient d'être chassés du reste de la

14 Croatie.

15 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Et les Musulmans ?

16 R. Les Musulmans, ils se sont plutôt réfugiés en Krajina quand ils étaient

17 expulsés de Bosnie et de la poche de Bihac, mais ils ne sont pas allés vers

18 la Croatie. Ils venaient d'une région où ils étaient encore plus

19 malheureux.

20 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Ils n'ont pas jugé nécessaire, en

21 arrivant à Krajina et en voyant la situation économique telle qu'elle se

22 présentait, ils n'ont pas estimé nécessaire de quitter la Krajina pour

23 aller en Croatie, venant de Bosnie ?

24 R. Dès qu'ils ont pu repartir, ils sont repartis, en particulier les 40

25 000 Musulmans du camp de Turan et de Betanija. Ils sont arrivés au mois

26 d'août 1994 et sont repartis en janvier 1995, mais c'est vrai que la

27 Krajina n'était pas un lieu où il faisait bon vivre.

28 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, mais vous ne nous avez pas dit

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1 qu'ils avaient quitté la Krajina. Quand vous avez parlé de ceux qui avaient

2 quitté la Krajina, vous avez parlé uniquement des Croates. Pourquoi est-ce

3 que vous n'avez pas parlé d'eux aussi ?

4 Q. Vous savez que pour un Musulman, ce n'était pas une très bonne idée

5 d'aller en Croatie. Vous savez qu'en Croatie, il n'y a quasiment pas une

6 seule mosquée.

7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je l'ignore, je ne sais pas cela. Je

8 l'ignore. Ce que je veux savoir, c'est pourquoi ils ne sont pas partis.

9 Est-ce que la Croatie, c'était vraiment le seul lieu où ils auraient pu se

10 rendre ? Ils auraient pu aller ailleurs, en Serbie.

11 R. Votre Honneur, vous parlez des Musulmans ou des Croates ?

12 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je suis en train de parler des

13 Musulmans.

14 R. Les Musulmans, chaque fois qu'ils ont voulu se réfugier en Krajina, ils

15 ont trouvé une place. Chaque fois qu'ils ont voulu partir, ils sont

16 repartis. Personne ne s'est opposé en Krajina, ni à leur entrée ni à leur

17 sortie.

18 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] La question que je vous posais,

19 c'était de savoir pourquoi vous n'avez mentionné que les Croates en parlant

20 des gens qui étaient partis de la Krajina à cause de la situation

21 économique ? Or, maintenant, vous nous dites que les Musulmans eux aussi

22 pouvaient partir. Pourquoi est-ce que vous ne les avez pas mentionnés tout

23 de suite, les Musulmans, au cours de votre interrogatoire principal ?

24 R. J'ai beaucoup parlé des Musulmans, en particulier de ceux qui venaient

25 de la poche de Bihac à Glina, de ceux qui s'étaient réfugiés dans les cas

26 de bas --

27 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous n'avez pas écouté ma question. Je

28 ne dis pas que vous n'ayez parlé des musulmans. Ce que je vous ai dit,

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1 c'est que vous ne les avez pas mentionné quand vous avez parlé des gens qui

2 avaient quitté la Krajina à cause de la situation économique. Voilà la

3 question je vous pose. J'aimerais bien que vous répondiez à mes questions

4 et pas à vos propres questions.

5 R. Je réponds à votre question. Ils partaient où ils voulaient. Ils ne

6 pouvaient partir que vers la Bosnie. De toute façon, ils ne pouvaient pas

7 partir vers la Croatie. Effectivement, il y en a qui sont partis vers la

8 Bosnie.

9 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, je sais bien, je comprends bien

10 vous me dites qu'ils pouvaient s'en aller. Mais, la question je vous pose,

11 c'est : Pourquoi est-ce que vous ne les avez pas mentionné dans votre

12 interrogatoire principal, au moment vous avez parlé de la situation

13 économique qui était très catastrophique, parce qu'à ce moment-là, vous

14 avez tout simplement dit les Croates ont décidé de quitter la Krajina ?

15 R. J'ai dit cela parce que le problème et la tension qu'il y avait,

16 c'était entre les Serbes et les Croates. Il n'avait pas de tension entre

17 les Serbes et les Musulmans. C'est pour cela que j'ai parlé des Croates.

18 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci, merci. En effet, c'est plus une

19 explication. Vous nous avez dit que vous aviez parlé avec M. Martic du

20 pilonnage de Zagreb, et dans le cadre de vos discussions il est apparu

21 clairement qu'il n'avait pas ordonné le pilonnage, mais il a décidé

22 d'assumer la responsabilité en tant que président. Est-ce que vous vous

23 souvenez de ce passage de votre déposition ?

24 R. Oui, Monsieur le Président. C'est comme cela que je l'ai ressenti et le

25 souvenir que j'en ai.

26 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Quand avez-vous eu cette discussion

27 avec M. Martic ?

28 R. J'ai eu plusieurs discussions avec lui, vers la fin de l'année 1995.

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1 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vers la fin 1995. Et vers la fin de

2 l'année 1995, c'est avant que vous n'écriviez l'article qui vous a été

3 présenté, l'article dont il est indiqué qu'il serait en date du 15 --

4 attendez -- le 15 septembre 1997.

5 R. La date de publication est mauvaise. Cet article a été publié avant,

6 comme je l'ai signalé au Procureur. Cet article a été publié plusieurs

7 fois, et la date qui y apparaît est la dernière date.

8 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Quand cet article a-t-il été publié

9 pour la première fois ?

10 R. Je suis vraiment désolé je ne peux pas vous répondre avec précision.

11 Comme je vous l'ai dit, j'ai écrit plus d'une centaine d'articles et je

12 n'ai pas en mémoire toutes les dates de publication.

13 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Savez-vous si votre discussion avec M.

14 Martic a eu lieu avant ou après le moment où vous avez écrit cet article ?

15 Ou est-ce que vous n'êtes pas en mesure de me répondre ? Si c'est le cas,

16 ce n'est pas grave ?

17 R. Non, je pense que l'article a été écrit avant, parce que précisément --

18 je n'ai pas -- c'est une formule disant "sur ordres". Pour moi, quand

19 j'écris, on insiste beaucoup sur ces trois mots, "sur ordres", parce que

20 pour moi cela représentait un réflexe désespéré, une réaction désespérée

21 des Serbes dans leur ensemble. Pour moi, Milan Martic représentait les

22 Serbes de Krajina. Ce n'était pas du tout une démarche juridique de trouver

23 une responsabilité ou une culpabilité. C'était hors de ma pensée.

24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] De quoi parlez-vous ? Je ne suis pas

25 sûr de bien comprendre ce que vous êtes en train de me dire ? Je vous ai

26 posé une question simple. Je vous ai demandé si vous avez eu cette

27 discussion avant ou après avoir écrit l'article en question. Donc, je ne

28 comprends pas quelle question vous êtes en train de répondre ?

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1 R. Comme je vous l'ai dit, je pense que j'ai eu la discussion --

2 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] D'accord, mais vous dites que cet

3 article a été écrit avant parce qu'on insiste beaucoup sur ces trois mots.

4 Je ne sais pas de quels trois mots vous parlez. Quel est le rapport de tout

5 cela avec ma question ? Avec ma question --

6 R. Pour très précis, puisque c'est un rapport de responsabilité, je

7 faisais référence à ce que M. le Procureur disait en soulignant la phrase,

8 il est sur l'ordre du président Martic, sur son ordre. Voilà, je voulais

9 souligner que, pour moi, c'était une phrase générale. Ce n'était pas du

10 tout une démonstration de culpabilité. C'est ce que je veux dire.

11 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Non. Ce qui est la vérité -- bien,

12 enfin, dites-moi, quand on écrit un article, quand on écrit un livre, quel

13 est l'objectif ? J'imagine que l'objectif c'est de présenter la vérité,

14 n'est-ce pas ? La vérité telle qu'on la perçoit ? Pour la postérité ?

15 R. Bien sûr. Mais la vérité c'est que les Serbes étaient massacrés en

16 Slavonie occidentale et qu'ils ont eu une réaction désespérée de légitime

17 défense. C'est cela la vérité.

18 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vais, une fois de plus, vous mettre

19 en garde et vous demandez de répondre attentivement à mes questions et de

20 répondre à mes questions et uniquement à mes questions. Je vous ai demandé

21 la chose suivante : je vous ai demandé si quand vous écrivez c'est pour

22 dire la vérité. Vous pouvez me répondre oui ou non, mais je n'ai pas besoin

23 d'une longue explication. Quand on écrit, quand on parle, comme vous le

24 faites ici, quand on s'exprime - à plusieurs reprises, vous nous avez

25 expliqué, vous avez rappelé que vous aviez prêté serment avant de parler -

26 quand on écrit, on écrit conformément à la vérité, n'est-ce pas ?

27 R. [hors micro]

28 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Et afin d'écrire la vérité, on

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1 enquête, on vérifie ces sources avant d'écrire, n'est-ce pas ?

2 R. Oui.

3 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Mais malgré cela, vous écrivez -- il y

4 a quand même des inexactitudes dans vos livres. Pourquoi accuser M. Martic

5 d'avoir ordonné le pilonnage alors qu'en fait il ne l'a pas fait ? Vous

6 dites, vous donnez une contrevérité à ceux qui vont lire votre livre.

7 R. Non, je n'ai absolument pas accusé le président Martic d'avoir ordonné

8 le bombardement.

9 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Mais dans votre article, vous dites

10 qu'il a donné l'ordre, cet article que nous avons lu ce matin dans le

11 prétoire. Vous dites qu'il a ordonné le pilonnage de Zagreb à cause du

12 pilonnage qu'il y avait eu lieu en Slavonie occidentale.

13 R. Je n'ai pas dit cela. J'ai dit qu'en tant que président, il a assumé la

14 responsabilité de cette réaction d'autodéfense.

15 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Cela, c'est l'explication que vous

16 nous donnez aujourd'hui dans ce prétoire, mais ce n'est pas ce que vous

17 avez écrit dans l'article en question. Vous nous avez expliqué qu'est-ce

18 que vous avez écrit dans le document, ce n'était pas exact, parce que

19 depuis lors vous aviez pu établir qu'en fait, non, il n'avait pas donné cet

20 ordre. Si bien que ce qui figure dans cet article, c'est faux. Vous êtes en

21 train de dire au monde entier quelque chose qui n'est pas exact. Est-ce que

22 vous vous en rendez compte -- votre propre version ?

23 R. [hors micro]

24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Comment cela, "non" ? Non, à quoi ?

25 R. [hors micro]

26 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Ma question, c'est de savoir : est-ce

27 que vous le réalisez ? Est-ce que vous en rendez compte ? Si vous ne le

28 réalisez pas, si vous ne vous en rendez pas compte, je vous invite à vous

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1 rendre compte, parce que dans cet article vous dites que M. Martic a

2 ordonné le pilonnage.

3 R. [hors micro]

4 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien, quoi qu'il en soit, il y a

5 longtemps que nous aurions dû nous interrompre. Je vous prie de m'excuser.

6 Je ne m'étais pas rendu compte de l'heure. Nous allons nous interrompre et

7 nous poursuivrons nos débats demain, à 14 heures 15, dans ce même prétoire.

8 L'audience est suspendue.

9 --- L'audience est levée à 13 heures 48 et reprendra le vendredi 10

10 novembre 2006, à 14 heures 15.

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