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Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le mardi 12 juin 2007

2 [Jugement]

3 [Audience publique]

4 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

5 --- L'audience est ouverte à 8 heures 59.

6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bonjour à toutes et à tous.

7 La Chambre de première instance est réunie aujourd'hui pour rendre son

8 jugement dans l'affaire le Procureur contre Milan Martic. La Chambre

9 souhaite tout d'abord remercier les parties, le personnel du greffe ainsi

10 que tous ceux qui ont contribué au déroulement efficace du procès.

11 La Chambre de première instance tient à souligner que ceci ne constitue

12 qu'un résumé de ses constatations et de ses conclusions, et que seul fait

13 autorité le jugement écrit dont des copies seront distribuées à l'issue de

14 l'audience.

15 Le procès en l'espèce s'est ouvert le 13 décembre 2005 et a pris fin

16 le 12 janvier 2007, période pendant laquelle la Chambre de première

17 instance a entendu 67 témoins et a admis les dépositions écrites de 33

18 autres pour un total d'environ de 11 000 pages de compte rendu d'audience.

19 La Chambre de première instance a admis un peu plus de 1 000 pièces à

20 conviction.

21 Dans l'acte d'accusation établi en l'espèce, Milan Martic devait répondre

22 des 19 chefs suivants au titre de sa responsabilité pénale individuelle :

23 neuf chefs de violation des lois ou coutumes de la guerre sanctionnés par

24 l'article 3 du Statut du Tribunal international pour des faits de meurtre,

25 attaques contre des civils, torture, traitement cruel, destruction de

26 villages et d'édifices consacrés à la religion et à l'éducation et pillage

27 de biens publics ou privés; et dix chefs de crimes contre l'humanité

28 sanctionnés par l'article 5 du Statut pour des faits de persécution,

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1 extermination, assassinat, torture, actes inhumains et expulsion.

2 L'Accusation affirme que les forces serbes ont perpétré les crimes en

3 question à l'encontre de Croates et d'autres non-Serbes vivant dans les

4 parties de la Croatie désignés sous l'appellation de Région autonome de la

5 Krajina ou SAO de la Krajina, qui est ensuite devenue la République serbe

6 de la Krajina ou RSK. Les faits incriminés auraient été commis à partir

7 d'août 1991 jusqu'en 1995.

8 Parmi les forces dont l'application est ainsi alléguée figuraient,

9 notamment des unités de l'armée populaire Yougoslave, la JNA; des unités de

10 la Défense territoriale, la TO; des unités du ministère de l'Intérieur, le

11 MUP, de la SAO de la Krajina et de la RSK, ainsi que de la République de

12 Serbie; et des forces paramilitaires.

13 Les forces du MUP étaient composées de la police régulière de la SAO de la

14 Krajina et de la RSK, ainsi ce qu'il était convenu d'appeler la Milicija

15 Krajine. L'Accusation soutient que ces unités du MUP étaient généralement

16 désignées sous l'appellation police de Martic.

17 L'Accusation affirme que les actes constitutifs de persécution ont pris la

18 forme de l'extermination et du meurtre de centaines de Croates et d'autres

19 civils non-serbes sur tout le territoire de la SAO de la Krajina et de la

20 RSK, et plus particulièrement dans les villages de Hrvatska Dubica,

21 Cerovljani, Bacin, Saborsko, Poljanak, Lipovaca, Skabrnja, Nadin et Bruska.

22 En outre, ces crimes auraient été commis au cours d'attaques menées par les

23 forces précédemment citées contre ces villages et dans ces régions. Par

24 ailleurs, plusieurs dizaines de milliers de Croates et d'autres civils non-

25 serbes auraient été expulsés de la SAO de la Krajina et de la RSK, vers des

26 zones sous contrôle croate ou vers des pays tiers.

27 En outre, l'Accusation affirme qu'il arrivait fréquemment que des Croates

28 et d'autres non-Serbes soient emprisonnés pendant des périodes prolongées

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1 dans des centres de détention, où ils devaient subir des actes de torture

2 et des traitements cruels et inhumains. De plus, des biens publics et

3 privés, dont des édifices consacrés à la religion et à l'éducation,

4 auraient été délibérément détruits et pillés dans la SAO de la Krajina et

5 en RSK, et des mesures restrictives et discriminatoires auraient été

6 adoptées contre les Croates et les autres civils non-serbes.

7 Enfin, l'Accusation affirme que la responsabilité de Milan Martic est

8 engagée dans le bombardement de Zagreb des 2 et

9 3 mai 1995.

10 Chacun de ces chefs d'accusation met en cause la responsabilité pénale

11 individuelle de Milan Martic en application des articles 7(1) et 7(3) du

12 Statut. L'Accusation affirme en particulier qu'il a participé à une

13 entreprise criminelle commune, aux côtés, notamment de Slobodan Milosevic,

14 Milan Babic, Radovan Karadzic, Ratko Mladic, Jovica Stanisic, Franko

15 "Frenki" Simatovic; ainsi que d'autres membres identifiés ou non des forces

16 mentionnées plus haut.

17 Selon l'Accusation, l'objectif recherché était : "…De contraindre la

18 majorité de la population croate, musulmane et non-serbe à évacuer environ

19 un tiers du territoire de la Croatie, et une grande partie de la Bosnie-

20 Herzégovine, dont il était prévu qu'ils feraient partie d'un nouvel Etat

21 dominé par les Serbes."

22 En d'autres termes, le but commun consistait à perpétrer des crimes

23 d'expulsion et de transfert forcé.

24 L'Accusation soutient que tous les crimes énumérés dans l'acte d'accusation

25 s'inscrivaient dans le cadre de l'objectif assigné à l'entreprise

26 criminelle commune, et que Milan Martic avait, pendant toute la période

27 concernée, l'état d'esprit nécessaire à la commission de chacun de ces

28 crimes. A titre subsidiaire, l'Accusation fait valoir que les crimes

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1 énumérés aux chefs d'accusation 1 à 9 et 12 à 19, c'est-à-dire les crimes

2 autres que l'expulsion et le transfert forcé, constituaient une conséquence

3 naturelle et prévisible de la réalisation du but commun. Il est reproché à

4 Milan Martic d'avoir su que ces crimes étaient l'aboutissement possible de

5 la réalisation de l'entreprise criminelle commune.

6 La Chambre de première instance va maintenant évoquer l'accusé lui-même.

7 Milan Martic est né le 18 novembre 1954, dans le village de Zagrovic, dans

8 la municipalité de Knin, en République de Croatie. Il est diplômé de

9 l'Ecole supérieure de police de Zagreb, et a d'abord été policier à Sibenik

10 avant de devenir sous-inspecteur de police à Knin. Il a fini par être promu

11 au poste de chef du poste de sécurité publique de Knin.

12 Entre 1991 et août 1995, Milan Martic a occupé plusieurs postes au sein des

13 gouvernements de la SAO de la Krajina et de la RSK. Il a été tour à tour

14 ministre de la Défense, puis commandant en second de la TO de la SAO de la

15 Krajina, ministre de l'Intérieur de la SAO de la Krajina, ainsi que de la

16 RSK, avant de devenir président de la RSK, début 1994.

17 La Chambre de première instance va décrire brièvement le contexte politique

18 dans lequel s'inscrivent les événements faisant l'objet de la présente

19 affaire. En avril et en mai 1990, lors des élections multipartites qui ont

20 eu lieu en Croatie, l'Union démocratique croate remporte les deux tiers des

21 sièges au parlement. A l'issue de cette même consultation électorale, le

22 Parti démocratique serbe prend le contrôle de plusieurs municipalités,

23 comme Benkovac, Korenica et Knin. Le 25 juillet 1990, une assemblée serbe

24 est constituée à Srb, au nord de Knin, en tant qu'organe politique

25 représentatif du peuple serbe en Croatie. Elle proclame la souveraineté et

26 l'autonomie du peuple serbe en Croatie. A la fin du mois d'août et au début

27 de septembre 1990, lors d'un référendum organisé auprès des Serbes, 97,7 %

28 des votants se prononcent en faveur de l'autonomie serbe en Croatie.

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1 Le 21 décembre 1990, à Knin, la Région autonome serbe de la Krajina est

2 proclamée par des municipalités des régions de la Dalmatie du nord et de la

3 Lika, dans le sud-ouest de la Croatie. Le 22 décembre 1990, la constitution

4 croate est amendée et définit la Croatie comme : "L'Etat national de la

5 nation croate, et l'Etat des membres d'autres nations ou minorités qui en

6 sont citoyens."

7 En janvier 1991, la SAO de la Krajina met en place un secrétariat régional

8 aux Affaires intérieures à Knin, et Milan Martic est nommé à sa tête. Le

9 gouvernement de Croatie est avisé que l'autorité du MUP croate ne sera plus

10 désormais reconnue en SAO de la Krajina. Le 27 juin 1991, Milan Martic est

11 nommé ministre de l'Intérieur de la SAO de la Krajina. Le 19 décembre 1991,

12 la SAO de la Krajina devient la République de la Krajina serbe. Milan

13 Martic continue à y occuper le poste de ministre de l'Intérieur.

14 Les preuves reçues par la Chambre de première instance ont démontré que le

15 président de la Serbie, Slobodan Milosevic, soutenait ouvertement le

16 maintien de la Yougoslavie sous la forme d'une fédération, dont la SAO de

17 la Krajina devait faire partie. Mais il a été établi que ce que Slobodan

18 Milosevic recherchait secrètement, c'était la création d'un Etat serbe.

19 Celui-ci devait voir le jour grâce à la mise en place de forces

20 paramilitaires et à la provocation d'incidents justifiant une intervention

21 de la JNA. Dans un premier temps, elle devait le faire pour séparer les

22 parties en présence, mais elle en profiterait ensuite pour s'emparer des

23 territoires devant faire partie d'un futur Etat serbe.

24 Tout ceci a été corroboré par les preuves rapportées au sujet des

25 événements sur le terrain. Au cours du printemps et de l'été 1991, des

26 affrontements armés opposent la police de la SAO de la Krajina et la police

27 croate dans plusieurs localités. On assiste également à des attaques et à

28 des coups de main menés par la police de la SAO de la Krajina, notamment

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1 contre les secteurs en majorité croates, comme Lovinac, Ljubovo et Glina.

2 Les preuves montrent que lorsque la JNA intervient pendant ces

3 affrontements, c'est bien pour séparer les deux parties en présence. Mais

4 on assiste à un revirement le 26 août 1991. Ce jour-là, le

5 9e Corps de la JNA participe aux côtés de la Milicija Krajine de la SAO de

6 la Krajina et des forces de la TO à une attaque contre le village à

7 majorité croate de Kijevo, aux environs de Knin. Cette offensive fait suite

8 à un ultimatum lancé par Milan Martic, dans lequel il déclarait, je cite :

9 "Après ce que vous et vos dirigeants avez fait des relations entre les

10 populations serbes et croates toute coexistence future sur nos territoires

11 serbes de la SAO de la Krajina est impossible…"

12 L'attaque de Kijevo marque un tournant quant au rôle joué par la JNA dont

13 le conflit en Croatie, car à compter de cette date la JNA participe aux

14 attaques menées contre les régions et les villages à majorité croates aux

15 côtés des forces du MUP et de la TO de la SAO de la Krajina. A partir

16 d'août 1991 et jusqu'au début de 1992, ces forces attaquent conjointement

17 une série de villages et de zones à majorité croates, comme Hrvatska

18 Kostajnica, Cerovljani, Hrvatska Dubica, Bacin, Saborsko, Poljanak,

19 Lipovaca, Skabrnja et Nadin. Il a été établi que ces attaques ont été

20 menées pour faire la jonction territoriale entre des villages et secteurs

21 serbes situés dans des régions non-serbes. Ces offensives s'accompagnent de

22 meurtres, de destruction, de pillages, d'emprisonnement, de torture et des

23 traitements cruels infligés à la population non-serbe.

24 Les éléments du dossier montrent clairement que les dirigeants de la SAO de

25 la Krajina et de la RSK dont Milan Martic adhérait au projet de Slobodan

26 Milosevic de créer un état dominé par les Serbes.

27 Au début de juillet 1991, Milan Martic déclare que la Milicija Krajine du

28 MUP de la SAO de la Krajina, je cite : "défend la terre serbe une région

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1 ethniquement serbe." Le 19 août 1991, Milan Martic affirme qu'il

2 n'acceptera aucune autonomie et que "les territoires contrôlés par la

3 police et la Défense territoriale, la Région autonome serbe de Krajina

4 resteront serbes à tout jamais."

5 En décembre 1991, il ajoute que "personne n'a le droit de dénier au peuple

6 serbe le droit de vivre dans son propre pays."

7 Le plan de rattachement de villages et des zones serbes continuait à être

8 mis en œuvre tout au long de l'année 1992 avec une série d'affrontements et

9 d'attaques, au nombre desquels on citera l'opération Corridor, une

10 offensive militaire destinée à faire l'injonction territoriale entre la

11 Serbie et les Krajina croates et bosniaques. Les forces de la RSK y

12 participent, placées sous les ordres de Milan Martic notamment.

13 Le 14 juin 1993, au cours d'une réunion avec Cedric Thornberry, chef des

14 Affaires civiles de la Forces de protection des Nations Unies, Milan Martic

15 déclare la "cohabitation des Croates et des Serbes au sein d'un même état

16 est rendu impossible par la politique génocidaire de la Croatie." Et

17 poursuit : "Nous voulons nous scinder en deux états…"

18 La Chambre de première instance observe que vers cette époque, dans

19 certaines de ses interventions dans les médias, Milan Martic affirme ne pas

20 pouvoir garantir la sécurité de la population croate de Knin. Le 21 janvier

21 1994, dans le cadre de la campagne pour les élections présidentielles de la

22 RSK, Milan Martin déclare qu'il va, je cite : "accélérer le processus

23 d'unification" et je cite à

24 nouveau : "passer le témoin aux dirigeants de tous les Serbes, Slobodan

25 Milosevic."

26 Il est donc manifeste que Milan Martin épousait l'objectif de création d'un

27 état serbe unifié et qu'il prônait et poursuivait ce but sans relâche.

28 La Chambre de première instance estime en soi l'objectif consistant à

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1 unifier des zones géographiques techniquement analogues ne constitue pas,

2 du point de vue juridique, le but commun d'une entreprise criminelle

3 commune en application de l'article 7(1) du Statut. La Chambre de première

4 instance conclut en revanche que lorsque la création d'un territoire unifié

5 est censée être réalisée par le biais d'actes criminels sanctionnés par le

6 Statut, ceci peut être suffisant pour en faire un but de criminel commun.

7 La Chambre de première instance a tenu tout particulièrement compte du fait

8 que les attaques menées contre des zones à majorité croates au cours de

9 l'automne 1991 et au début de 1992 ce sont généralement déroulées de la

10 même manière; le secteur ou le village en question est pris sous un

11 bombardement avant l'arrivée d'unités armées de fantassins. Les combats

12 sont suivis de meurtres et d'agression contre la population civile non-

13 serbe qui n'a pas réussi à s'enfuir. On détruit les maisons, les églises et

14 les biens dans la logique du déplacement forcé et on se livre à un pillage

15 systématique.

16 A plusieurs reprises, la police et la TO de la SAO de la Krajina organisent

17 le transport de la population non-serbe afin de l'évacuer du territoire de

18 la SAO de la Krajina vers des zones sous contrôle croate. Il arrive aussi

19 que des membres de la population non-serbe soient arrêtés et amenés dans

20 des lieux de détention, au centre de Knin notamment, avant d'être

21 finalement échangés ou transportés vers des zones sous le contrôle croate.

22 Ainsi, la menace explicitement proférée par Milan Martin à Kijevo est mise

23 en œuvre sur le territoire de la SAO de la Krajina avec la perpétration

24 d'actes criminels graves et généralisés. Dans le climat de peur ainsi

25 instauré, il devient impossible pour les Croates et les autres non-Serbes

26 d'envisager de rester dans la SAO de la Krajina. En conséquence, la Chambre

27 de première instance conclut que le déplacement de la population croate et

28 du reste de la population non-serbe qui suivait les attaques n'en était pas

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1 une seule conséquence, mais constituait en réalité l'objectif essentiel de

2 ses opérations.

3 A titre d'exemple, la Chambre de première instance va relater la

4 prise de contrôle de la zone de Hrvatska Kostajnica et les crimes qui ont

5 été perpétrés.

6 Au cours des mois d'août et septembre 1991, la zone majoritairement croate

7 de Hrvatska Kostajnica est le théâtre de violents combats. A la mi-

8 septembre 1991, les forces de la TO et du MUP de la SAO de la Krajina

9 s'emparent de Hrvatska Kostajnica à partir de cette localité, et depuis

10 Bosanska Kostajnica en Bosnie-Herzégovine, elles bombardent le village de

11 Hrvatska Dubica, les forces croates battent en retraite. Une unité de la TO

12 et du MUP de la SAO de la Krajina était alors constituée à Hrvatska Dubica.

13 Au cours de la même opération, les villages voisins de Cerovljani et Bacin

14 sont également capturés.

15 En septembre et octobre 1991, des maisons appartenant à des Croates sont

16 incendiées à Hrvatska Dubica ainsi que dans le village voisin de

17 Cerovljani. En outre, la TO, la Milicija Krajine, la JNA ainsi que des

18 habitants serbes de l'endroit se livrent à des actes de pillage

19 généralisés. Les habitants croates sont arrêtés, soumis à des sévices et

20 même utilisés comme boucliers humains par les forces serbes. Les Serbes

21 s'installent dans les maisons abandonnées par les Croates dans leur fuite.

22 Au matin du 20 octobre 1991, un camion portant l'insigne "Milicija SAO

23 Krajina," et contrôlé et conduit par des membres de la TO et du MUP de la

24 SAO de la Krajina, vient chercher des civils de l'endroit, presque tous

25 Croates, en prétextant une réunion à la caserne de pompiers du village. Ce

26 sont au total plus de 40 civils qui sont emmenés à la caserne, placés sous

27 la garde de plusieurs soldats serbes armés. Il leur est interdit de s'en

28 aller. Toutes les deux ou trois heures, les gardes sont remplacés et l'on

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1 procède à l'appel des détenus à partir d'une liste pour vérifier qu'ils

2 sont tous là. Au cours de la journée, 11 détenus parviennent à s'échapper

3 ou sont libérés parce qu'ils étaient en relation avec des Serbes.

4 Le lendemain, les soldats emmènent les prisonniers de la caserne de

5 pompiers jusqu'à Krecane, à la sortie du village de Bacin, sur la rive de

6 l'Una, où ils les exécutent. Les corps sont ensevelis dans plusieurs

7 fosses, dont un charnier creusé sur place. La Chambre de première instance

8 s'est rendue à cet endroit lors de son transport sur les lieux en septembre

9 2006.

10 En octobre 1991, au cours d'un incident pratiquement identique dans la

11 localité voisine de Cerovljani, des Serbes armés procèdent à la rafle des

12 Croates et des autres civils non-serbes qui restent encore sur place sous

13 prétexte de les conduire à une réunion. Ils sont enfermés pendant une nuit

14 au centre socioculturel de la localité. Une femme est relâchée grâce à ses

15 bons rapports avec les Serbes. Les cadavres de plusieurs prisonniers du

16 centre socioculturel seront par la suite exhumés du charnier de Krecane à

17 proximité de Bacin. La Chambre de première instance conclut également que

18 les civils non-serbes qui restaient encore à Bacin ont été emmenés à

19 Krecane pour y être exécutés.

20 La Chambre de première instance a reçu de très nombreuses preuves des actes

21 de persécution ayant visé la population non-serbe. Entre 1992 et 1995, les

22 meurtres, les agressions, l'emprisonnement et l'intimidation deviennent

23 monnaie courante sur tout le territoire de la RSK. Perpétrés par la TO et

24 la MUP de la RSK ainsi que par la JNA et certains habitants serbes, ces

25 agissements créent un climat si oppressant que les Croates et les autres

26 habitants non-serbes de la RSK n'ont plus d'autre solution que la fuite ou

27 l'expulsion par les forces de la RSK. A cet égard, la Chambre de première

28 instance a tenu tout particulièrement compte des éléments indiquant que les

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1 forces du MUP de la RSK avaient conduit la population non-serbe jusqu'à des

2 points de rassemblement d'où leur transport était organisé vers des zones

3 sous contrôle croate. En 1994, la RSK était pratiquement totalement serbe.

4 La Chambre de première instance conclut qu'à l'exception du crime

5 d'extermination visé au chef 2, tous les crimes énumérés dans l'acte

6 d'accusation ont bel et bien été commis dans la SAO de la Krajina et en RSK

7 à partir d'août 1991 et jusqu'en 1995. Il s'agit pour mémoire de faits de

8 meurtre, emprisonnement, torture, traitement cruel, destruction d'édifices

9 consacrés à la région notamment ainsi que pillage. La Chambre souligne

10 cependant qu'elle a déclaré Milan Martic non coupable de certains des

11 incidents constitutifs des crimes qui lui étaient reprochés. On se

12 reportera au jugement sur ce point.

13 S'agissant de l'extermination, la Chambre de première instance rappelle

14 qu'un nombre minimum de victimes n'est pas requis et que cette infraction

15 peut être constituée par un ensemble de meurtres distincts et indépendants

16 les uns des autres. La Chambre de première instance a tenu tout

17 particulièrement compte des éléments indiquant que les meurtres incriminés

18 ont été commis au cours d'une période limitée et sur un territoire

19 circonscrit. Cependant, après avoir passé en revue ces éléments ainsi que

20 la totalité des preuves rapportées au sujet des meurtres faisant l'objet du

21 chef d'extermination, la Chambre de première instance conclut qu'en

22 l'espèce il n'y a pas eu perpétration du crime d'extermination par

23 accumulation.

24 L'Accusation avait fait valoir subsidiairement que les meurtres commis à

25 Krecane près de Bacin constituaient à eux seuls un cas d'extermination. La

26 Chambre de première instance reconnaît que l'on ne peut nier l'extrême

27 gravité des meurtres perpétrés à Krecane, surtout si l'on tient compte du

28 caractère organisé et implacable du mode opératoire adopté qui a été mis en

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1 évidence par les éléments de preuve. La Chambre de première instance

2 conclut cependant que même pris dans leur totalité, on ne peut considérer

3 qu'il s'agit de meurtres commis sur une grande échelle. En d'autres termes,

4 les meurtres de Krecane près de Bacin n'ont pas le caractère massif requis

5 pour constituer le crime d'extermination.

6 La Chambre de première instance va maintenant se pencher sur la

7 responsabilité pénale individuelle de Milan Martic. La Chambre de première

8 instance conclut que s'agissant des chefs 3 à 4 [comme interprété] et du

9 chef 1 de persécution, et dans la mesure où elle s'applique à ces chefs

10 d'accusation, la responsabilité pénale individuelle de Milan Martic est

11 engagée au titre de sa participation à une entreprise criminelle commune en

12 application de l'article 7(1) du Statut.

13 La Chambre de première instance conclut qu'à partir d'août 1991 au moins

14 l'objectif politique d'unification avec la Serbie des zones serbes situées

15 en Croatie et en Bosnie-Herzégovine, pour mettre en place un territoire

16 serbe unifié, a été mis en œuvre au moyen d'attaques systématiques et

17 généralisées contre des secteurs majoritairement croates et d'autres zones

18 non-serbes, et par des actes de violence et d'intimidation. Dans la SAO de

19 la Krajina et en RSK, cette campagne de violence et d'intimation contre la

20 population croate et le reste de la population non-serbe était la

21 conséquence de la position adoptée par les dirigeants, selon lesquels toute

22 coexistence avec les Croates et les autres non-Serbes "sur nos territoires

23 serbes de la SAO de la Krajina," pour reprendre les termes employés par

24 Milan Martic lui-même, "était impossible."

25 Dans ces conditions, la mise en œuvre de l'objectif politique consistait à

26 créer un territoire serbe unifié nécessitait le déplacement forcé de la

27 population croate et du reste de la population non-serbe de la SAO de la

28 Krajina et de la RSK. La Chambre de première instance conclut donc qu'il a

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1 été établi au-delà de tout doute raisonnable que le but de l'entreprise

2 criminelle commune était l'établissement d'un territoire ethniquement serbe

3 au moyen du déplacement de la population croate et du reste de la

4 population non-serbe conformément aux chefs 10 et 11 de l'acte

5 d'accusation.

6 Les preuves montrent que les dirigeants de la SAO de la Krajina et de la

7 RSK, et en particulier Milan Martic, ont demandé et obtenu de la Serbie un

8 soutien financier, logistique et militaire considérable. Cet appui était

9 fourni par le MUP et le service de la sûreté de l'Etat de Serbie, par la

10 JNA et par la Republika Srpska en Bosnie-Herzégovine. Milan Martic a

11 déclaré qu'il n'avait "personnellement jamais interrompu cette coopération"

12 et qu'il existait "une bonne coopération avec les dirigeants de la Serbie,

13 et notamment avec le MUP."

14 En réalité, les relations avec la Serbie étaient si étroites que la police

15 de la SAO de la Krajina tirait l'essentiel de son financement des fonds et

16 du matériel en provenance de Serbie. La Serbie a continué à apporter ce

17 soutien pendant toute la période visée à l'acte d'accusation. Un témoin est

18 même allé jusqu'à dépeindre l'armée de la RSK et l'armée yougoslave comme

19 constituant une seule et même organisation se trouvant simplement en deux

20 endroits différents.

21 La Chambre de première instance conclut par conséquent que, Blagoje Adzic;

22 Milan Babic; Radmilo Bogdanovic; Veljko Kadijevic; Radovan Karadzic;

23 Slobodan Milosevic; Ratko Mladic; Vojislav Seselj; Franko "Frenki"

24 Simatovic; Jovica Stanisic; et le capitaine Dragan Vasiljkovic ont, avec

25 d'autres, apporté leur concours à la réalisation du but commun de

26 l'entreprise criminelle commune.

27 Il a été établi que Milan Martic entretenait des contacts étroits et

28 directs avec d'autres membres de l'entreprise criminelle commune. Ceci a

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1 permis à la SAO de la Krajina et à la RSK de bénéficier d'un soutien

2 significatif sur les plans financier, logistique et militaire. Les éléments

3 du dossier montrent qu'à l'évidence, Milan Martic oeuvrait activement avec

4 les autres participants à la réalisation de l'objectif de création d'un

5 Etat serbe unifié, il s'est d'ailleurs, cela a déjà été dit, exprimé

6 publiquement dans ce sens à plusieurs reprises.

7 Cet objectif, il l'a réalisé en procédant au déplacement forcé de la

8 population non-serbe. Il a été prouvé que Milan Martic était l'un des

9 personnages politiques les plus importants et les plus influents au sein du

10 gouvernement de la SAO de la Krajina et de la RSK. En tant que ministre de

11 l'Intérieur, Milan Martic exerçait une autorité absolue sur le MUP, où il

12 était notamment habilité à intervenir au niveau individuel pour nommer ou

13 révoquer les chefs des postes de sécurité publique et dissoudre les unités.

14 Il a été établi que le déplacement de la population croate et du reste de

15 la population non-serbe avait commencé à Knin et dans les environs dès

16 1991. Milan Martic a contribué à ces déplacements en attisant les peurs,

17 notamment en déclarant dans les médias qu'il ne pouvait pas garantir la

18 sécurité des Croates. De plus, l'ultimatum concernant Kijevo, lancé par

19 Milan Martic fin août 1991, témoigne de son état d'esprit vis-à-vis des

20 Croates et du reste de la population non serbe de la SAO de la Krajina.

21 La Chambre de première instance estime que les crimes systématiques commis

22 sur une grande échelle contre la population non-serbe était certainement,

23 vu leur ampleur, de notoriété publique. Les crimes commis sur le territoire

24 de la RSK ont même été débattus lors des séances de travail du gouvernement

25 de la RSK. Les éléments de preuve montrent également que Milan Martic et le

26 MUP ont été informés par la police civile de l'ONU des nombreux crimes

27 commis contre les non-Serbes. Qui plus est, Milan Martin lui-même a donné

28 des instructions détaillées concernant la coopération entre le MUP et la

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1 police civile de l'ONU. De plus, en 1993, lors d'une rencontre avec Cedric

2 Thornberry, le chef des affaires civiles de la FORPRONU, Milan Martic a

3 demandé que les Croates souhaitant quitter la RSK signent des déclarations

4 indiquant que personne ne les obligeait à partir. Par conséquent, il ne

5 fait absolument aucun doute que Milan Martic savait que les non-Serbes

6 étaient chassés de la région et que leur départ était dû au climat

7 coercitif et aux actes répandus de violence et d'intimidation dont ils

8 étaient victimes dans la SAO de la Krajina et en RSK.

9 Cependant, alors qu'un grand nombre de preuves ont été présentées

10 concernant les crimes commis sur l'ensemble du territoire de la SAO de la

11 Krajina et de la RSK, peu l'ont été concernant les situations où Milan

12 Martic est intervenu pour punir les membres du MUP qui s'étaient livrés à

13 des actes criminels. Partant, la Chambre de première instance ne peut que

14 conclure que Milan Martic s'est délibérément abstenu de sanctionner les

15 auteurs de ces crimes.

16 La Chambre de première instance juge donc que Milan Martic avait

17 l'intention de déplacer par la force la population croate et le reste de la

18 population non-serbe hors du territoire de la SAO de la Krajina et de la

19 RSK, et qu'il avait œuvré activement à la réalisation du but commun de

20 l'entreprise criminelle commune qui était de créer un Etat serbe unifié en

21 chassant par la force la population croate et le reste de la population

22 non-serbe.

23 La Chambre de première instance estime que les crimes perpétrés à

24 l'encontre de la population non-serbe, à l'exception des expulsions et des

25 transferts forcés, débordaient le cadre du but commun assigné à

26 l'entreprise criminelle commune. La Chambre de première instance rappelle

27 néanmoins que Milan Martic savait que la population non-serbe était l'objet

28 de crimes systématiques commis sur une grande échelle, y compris des

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1 meurtres, des détentions illégales, des sévices corporels infligés en

2 détention et des atteintes portées contre les biens, et ce, en raison du

3 climat coercitif qui régnait dans la SAO de la Krajina et en RSK. La

4 Chambre de première instance considère que ce climat a été instauré et

5 nourri par les actions de Milan Martic et d'autres membres de l'entreprise

6 criminelle commune et conclut que ce dernier pouvait donc prévoir que les

7 crimes reprochés seraient commis.

8 En outre, les preuves produites ne font guère état des mesures prises par

9 Milan Martic pour empêcher que les crimes reprochés ne soient commis ou

10 pour en punir les auteurs. En réalité, malgré les preuves accablantes de

11 l'ampleur et de la gravité des crimes commis contre la population non-

12 serbe, Milan Martic a continué à œuvrer à la réalisation du but commun de

13 l'entreprise criminelle commune. Aussi la Chambre de première instance

14 estime-t-elle qu'il a été prouvé au-delà de tout doute raisonnable que

15 Milan Martic a délibérément pris le risque que les crimes, dont il a été

16 établi qu'ils débordaient le cadre du but commun, soient commis contre la

17 population non-serbe. La Chambre de première instance juge donc que la

18 responsabilité pénale, individuelle de Milan Martin est engagée en

19 application de l'article 7(1) du Statut pour les crimes rapportés aux chefs

20 3 à 14, et ce, rapporté au chef 1, persécution.

21 Nous allons maintenant examiner les attaques menées contre Zagreb les 2 et

22 3 mai 1995, dont Milan Martic devait répondre aux chefs 15 à 19.

23 A l'aube de 1er mai 1995, les forces armées de la Croatie ont lancé une

24 offensive militaire connue sous le nom d'opération Eclair contre la RSK en

25 Slavonie occidentale. Des pourparlers ont été menés pendant l'opération en

26 vue de parvenir à un règlement pacifique du conflit. Des accords ont été

27 conclus le 3 mai 1995. A l'issue de l'opération Eclair qui s'est achevée

28 vers le 4 mai 1995, la RSK avait perdu le contrôle de la Slavonie

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1 occidentale, ce qui a provoqué le départ de nombreux Serbes.

2 Le 1er mai 1995 à 13 heures, Milan Celeketic, chef de l'état-major principal

3 de l'armée de la RSK, a ordonné des tirs d'artillerie contre la ville de

4 Sisak près de Zagreb. L'ordre a été donné en présence de Milan Martic,

5 devenu président de la RSK, et qui était à ce titre, conformément à la

6 constitution, à la tête des forces armées en temps de paix comme en temps

7 de guerre. A 17 heures, l'artillerie ouvrait le feu. Le même jour, Milan

8 Celeketic a ordonné à l'unité de lance-roquettes Orkan M-87, jusqu'alors

9 déployée dans le secteur de Knin, de prendre position à Vojnic, à une

10 cinquantaine de kilomètres au sud de Zagreb, à 14 heures au plus tard. La

11 Chambre de première instance décrira brièvement par la suite les

12 caractéristiques du lance-roquettes Orkan M-87.

13 Le 1er mai 1995, lors d'une réunion à laquelle assistait, entre autres,

14 Milan Martic en tant que président de la RSK; Milan Celeketic; le premier

15 ministre ainsi que d'autres ministres de la RSK, des solutions pacifiques

16 ont été débattues, notamment la tenue de pourparlers et l'abandon d'une

17 partie de la Slavonie occidentale. Les solutions non pacifiques ont

18 également été évoquées. Il ressort des preuves produites que ni Milan

19 Martic ni Milan Celeketic n'étaient favorables à une solution pacifique.

20 Le 2 mai 1995 en milieu de matinée, sans avertissement préalable, plusieurs

21 roquettes Orkan ont frappé Zagreb en divers endroits, dont la place

22 principale, plusieurs rues commerçantes, une école, le village de Pleso

23 près de l'aéroport de Zagreb ainsi que l'aéroport lui-même. Cinq personnes,

24 toutes des civils, ont été tuées lors de ces attaques et au moins 160 ont

25 été grièvement blessées. Nombre de ces victimes souffrent encore

26 aujourd'hui des blessures qu'elles ont subies.

27 Le 3 mai 1995, vers midi, Zagreb a de nouveau été bombardée par des

28 roquettes Orkan. Ce jour-là, le Théâtre national croate situé sur la place

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1 du maréchal Tito, un hôpital pour enfants et une autre place ont été

2 touchés. Ces attaques ont fait deux morts et 54 blessés. Nombre de ces

3 victimes souffrent encore aujourd'hui des blessures qu'elles ont subies.

4 De nombreux éléments montrent que Milan Martic avait envisagé d'attaquer

5 Zagreb avant le 2 mai 1995. Dès 1992 et 1993, Milan Martic, alors ministre

6 de l'Intérieur, avait envisagé une attaque contre Zagreb en réponse aux

7 attaques menées par les Croates contre des villes en RSK, allant jusqu'à

8 déclarer, je cite : "Tudjman et ses soldats feraient mieux de ne plus s'en

9 prendre à nous, car nous serions alors obligés de prendre avec

10 détermination la direction de Zagreb et d'y faire la même chose qu'à

11 Vukovar."

12 En juin 1993, Milan Martic a informé Slobodan Milosevic que le système de

13 roquettes LUNA P-65 avait été réinstallé dans les secteurs de Banija et

14 Kordun afin de lancer éventuellement des attaques contre Zagreb si des

15 villages en RSK venaient à être attaquées.

16 Le 24 octobre 1994 lors d'une rencontre avec Peter Galbraith, l'ambassadeur

17 des Etats-Unis en Croatie, Milan Martic, devenu président de la RSK, a

18 menacé de bombarder Zagreb, et déclarait que la RSK pouvait viser des

19 objectifs civils à Zagreb et attaquer la ville elle-même en cas d'attaque

20 menée par les Croates. L'ambassadeur Galbraith a informé Milan Martic

21 qu'une attaque contre Zagreb constituerait un crime.

22 En février 1995, alors qu'il s'adressait aux commandants de l'armée de la

23 RSK, Milan Martic a déclaré haut et fort, je cite : "Personne ne peut nous

24 empêcher de tirer sur Zagreb, Osijek, Vinkovci, Zadar, Karlovac ou Split."

25 Le 3 mai 1995, au deuxième jour des attaques contre Zagreb, Milan Martic a

26 déclaré, je cite de nouveau : "En réponse à ce que Tudjman vous a fait ici,

27 nous avons bombardé toutes leurs villes : Sisak plusieurs fois et Karlovac

28 ainsi que Zagreb hier et aujourd'hui. Nous l'avons fait pour vous.

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1 Aujourd'hui, nous leur avons lancé un ultimatum en précisant que s'ils

2 continuaient à attaquer nos forces assiégées, nous continuerions à attaquer

3 Zagreb et à détruire leurs villes."

4 Dans plusieurs déclarations qu'il a fait aux médias, Milan Martic a reconnu

5 avoir ordonné les attaques. Ainsi, dans une interview radio diffusée le 5

6 mai 1995, il a déclaré, je cite : "Cet ordre, c'est moi personnellement qui

7 l'ai donné pour répondre à Franjo Tudjman et à son état-major suite à

8 l'ordre donné par celui-ci de lancer une agression contre la Slavonie

9 occidentale."

10 Le même jour, lors d'une rencontre avec l'envoyé spécial des Nations Unies,

11 Yasushi Akashi, et en réponse à ce dernier qui condamnait les attaques,

12 Milan Martic a déclaré, je cite : "Si je n'avais pas ordonné les attaques à

13 la roquette, ils auraient continué à bombarder nos villes."

14 Milan Martic a ensuite menacé de reprendre les attaques si les exigences

15 posées n'étaient pas satisfaites évoquant, je cite : "Des attaques à la

16 roquette massives contre Zagreb qui feraient

17 100 000 morts."

18 La Chambre de première instance va maintenant s'intéresser au lance-

19 roquettes multiples Orkan M-87. Il s'agit d'un système pouvant lancer des

20 roquettes non guidées essentiellement utilisées contre des soldats et des

21 véhicules blindés. Il a été établi que chaque roquette tirée sur Zagreb les

22 2 et 3 mai 1995, ont porté une charge explosive de 288 projectiles

23 secondaires ou bombettes [phon]. Celles-ci sont éjectées à une hauteur de 1

24 000 mètres au-dessus de la zone ciblée. Au moment de l'impact, chaque

25 bombette explose et libère 420 billes d'acier, qui se disperse chacune dans

26 un rayon de 10 mètres. Chaque roquette libère donc quelque 120 000 billes.

27 Si les tirs sont effectués à une distance de 50 kilomètres, soit la portée

28 maximale du lance-roquettes, la marge d'erreur est de 1 kilomètre dans

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1 toutes les directions.

2 Il est avéré que les 2 et 3 mai 1995, le lance-roquettes Orkan M-87 a tiré

3 depuis le secteur de Vojnic, près de Slavsko Polje, à la distance maximale

4 de la cible. Il ressort des éléments de preuve présentés, qu'en raison des

5 caractéristiques de l'arme et de la distance de tir, le lance-roquettes

6 Orkan M-87 était incapable d'atteindre des cibles précises. Pour ces

7 raisons, la Chambre de première instance estime que le lance-roquettes

8 Orkan M-87 est une arme d'emploi aveugle dont l'utilisation contre des

9 zones civiles à forte densité de population comme Zagreb, occasionne

10 nécessairement des pertes importantes.

11 La Défense a excipé de la présence de cibles militaires à Zagreb au moment

12 des attaques menées les 2 et 3 mai 1995, citant notamment le ministère de

13 l'Intérieur, le ministère de la Défense, l'aéroport de Zagreb et le palais

14 présidentiel. Compte tenu des caractéristiques du lance-roquettes Orkan M-

15 87, la Chambre de première instance estime que la question de savoir s'il y

16 avait ou non des cibles militaires n'a aucune importance et rejette en

17 conséquence les arguments avancés par la Défense sur ce point.

18 Le 2 mai 1995, les responsables des attaques savaient quelles étaient les

19 conséquences de l'utilisation du lance-roquettes Orkan

20 M-87 contre Zagreb. De surcroît, avant que la décision ne soit prise de

21 lancer de nouveaux tirs sur Zagreb le 3 mai 1995, les conséquences de

22 l'emploi de cette arme aveugle pendant l'attaque contre Zagreb était

23 indéniable compte tenu des nombreux reportages diffusés à ce sujet le 2 mai

24 1995.

25 La Défense soutient que les attaques contre Zagreb constituaient des

26 représailles légales en droit international coutumier, et fait valoir

27 qu'elle visait à mettre un terme aux violations du droit international

28 humanitaire commises par l'armée et les forces de police croates notamment

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1 durant l'opération Eclair. Une opération qui, selon la Défense, a été

2 conduite en violation du cessez-le-feu et au mépris des normes du droit

3 international humanitaire.

4 En droit des conflits armés, l'expression représailles en temps de guerre,

5 sont des actes qui, bien qu'ils soient habituellement jugés illicites, sont

6 rendus licites par le fait qu'ils sont commis en réponse à une violation

7 des règles de droit applicable par l'un des belligérants. Les représailles

8 constituent des mesures radicales et exceptionnelles dont l'application est

9 subordonnée à des conditions rigoureuses bien établies en droit coutumier.

10 Les représailles ne peuvent être utilisées qu'en dernière extrémité,

11 lorsque tous les autres moyens se sont avérés inefficaces. Elles ne peuvent

12 être exercées que si un avertissement officiel préalable n'est pas parvenu

13 à faire cesser la conduite de l'adversaire. La décision de les mettre en

14 œuvre ne peut être prise que par les plus hautes autorités politiques ou

15 militaires. Par ailleurs, les représailles doivent être à la mesure des

16 violations auxquelles elles répondent et doivent cesser dès qu'elles ont

17 atteint leur but. Enfin, les actes de représailles doivent respecter les

18 lois de l'humanité et les exigences de la conscience publique. La Chambre

19 de première instance interprète cette condition comme signifiant que les

20 représailles doivent respecter, dans la mesure du possible, le principe de

21 la protection des civils lors des conflits armés et l'interdiction générale

22 de prendre des civils pour cibles.

23 Contrairement à ce qu'affirme la Défense, la Chambre de première instance

24 estime que les preuves ne permettent pas de conclure que les représailles

25 exercées étaient légales. Tout d'abord, à supposer même que la Chambre de

26 première instance conclut que les forces croates se sont rendues coupables

27 de violation grave du droit international humanitaire durant l'opération

28 Eclair, il ressort des preuves rapportées en espèce, que le bombardement

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1 n'était pas une mesure prise en dernière extrémité, après que tous les

2 autres moyens eurent été épuisés. En effet, il a été établi que des

3 négociations de paix étaient en cours au moment de l'opération Eclair et

4 qu'elles ont pris fin le 3 mai 1995. De plus, les attaques n'ont été

5 précédées d'aucun avertissement officiel indiquant que des représailles

6 seraient exercées en réaction aux violations qui auraient été commises

7 durant l'opération Eclair. La Chambre de première instance ne saurait donc

8 qualifier le bombardement de Zagreb de représailles légales. Par contre,

9 les arguments avancés par la Défense sur ce point sont rejetés.

10 La Chambre de première instance estime que Milan Martic doit être tenu

11 responsable des attaques menées contre Zagreb les 2 et

12 3 mai 1995, pour les avoir ordonnés au sens de l'article 7(1) du Statut.

13 Les autres modes de participation visés à l'article 7(1) n'ont donc pas été

14 analysés. Pour parvenir à cette conclusion, la Chambre de première instance

15 a examiné les nombreux éléments de preuve indiquant que Milan Martic

16 envisageait dès 1992 d'attaquer Zagreb en réponse des attaques croates

17 menées contre la RSK. La Chambre de première instance a également pris en

18 compte le fait que Milan Martic a reconnu maintes fois dans les médias

19 avoir ordonné les attaques et le fait que ni lui ni Milan Celeketic

20 n'étaient favorables à un règlement pacifique de la situation provoquée par

21 l'opération Eclair. Milan Martic était également présent lorsque Milan

22 Celeketic a ordonné le bombardement de Sisak. Au vu de l'ensemble des

23 éléments de preuve, la Chambre de première instance conclut que Milan

24 Martic a pris part dès le début à la riposte militaire de la RSK à

25 l'opération Eclair.

26 La Chambre de première instance a examiné les éléments montrant que la

27 constitution de la RSK prévoyait que le président dirige l'armée de la RSK

28 en temps de paix comme en temps de guerre. Conformément à la constitution

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1 et aux décisions prises par le conseil suprême de la Défense. En

2 conséquence, la décision de bombarder Zagreb aurait dû être prise de

3 manière collégiale par ledit conseil. Toutefois, il a été établi au-delà de

4 tout doute raisonnable que Milan Martic et Milan Celeketic n'avaient pas

5 consulté celui-ci. La Chambre de première instance a pris en compte à cet

6 égard le témoignage de Rade Raseta, chef de la sécurité de l'état-major

7 principal de l'armée de la RSK, qui a déclaré que les attaques menées

8 contre Zagreb les 2 et 3 mai 1995 avaient été décidées non pas par le

9 conseil suprême de la Défense mais par Milan Celeketic et Milan Martic, ce

10 que viennent confirmer d'autres éléments de preuve présentés en l'espèce.

11 Au vu de l'ensemble des éléments de preuve, la Chambre de première instance

12 conclut qu'il a été établi au-delà de tout doute raisonnable que Milan

13 Martic avait ordonné le bombardement de Zagreb les 2 et 3 mai 1995.

14 Nous en venons maintenant à la fixation de la peine. Nombre des crimes

15 établis au procès ont été commis avec une intention discriminatoire, un

16 élément qui, selon la Chambre, doit être pris en considération pour

17 apprécier la gravité du comportement criminel reproché à Milan Martic. Ce

18 dernier a également été reconnu coupable d'expulsion et de transfert forcé.

19 La Chambre de première instance note en particulier que la population non-

20 serbe a été victime de crimes systématiques commis sur une grande échelle,

21 et ce, en raison du climat coercitif qui régnait dans la SAO de la Krajina

22 et en RSK entre 1991 et 1995. L'ampleur des crimes et leur caractère

23 systématique sont des éléments que la Chambre de première instance juge

24 particulièrement grave.

25 La Chambre de première instance rappelle que les victimes des crimes dont

26 Milan Martic a été reconnu coupable étaient pour la plupart des personnes

27 âgées, des personnes placées en détention et des civils. Le fait que ces

28 groupes étaient particulièrement vulnérables ajoute à la gravité des

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1 crimes.

2 La Chambre de première instance rappelle les conséquences des crimes pour

3 les victimes et leurs familles, et note que la population croate et le

4 reste de la population non-serbe ont été presque entièrement chassés de la

5 région. Les biens de nombreuses victimes ont été pillés et incendiés. La

6 Chambre de première instance rappelle notamment les blessures effroyables

7 et les grandes souffrances infligées aux civils suite aux attaques aveugles

8 contre Zagreb ordonnées par Milan Martic. Les conséquences et les

9 répercussions à long terme des crimes dont Milan Martic est tenu

10 individuellement et pénalement responsable, y compris en tant qu'auteur

11 direct, ajoutent également à leur gravité.

12 S'agissant des circonstances aggravantes, la Chambre de première instance a

13 retenu le fait que Milan Martic était un homme politique très influent et

14 de tout premier plan, qu'il exerçait une autorité absolue sur le MUP, et

15 qu'en sa qualité de président il était le plus haut dirigeant politique de

16 la RSK et en contrôlait les forces armées. La Chambre de première instance

17 estime que, de par les fonctions qu'il occupait, Milan Martic était tenu

18 d'empêcher que des crimes soient commis et de veiller à ce que les droits

19 fondamentaux de tous les habitants des territoires relevant de son autorité

20 soient respectés.

21 Or, il a été établi au-delà de tout doute raisonnable que Milan Martic a

22 abusé de son pouvoir et que, par les efforts incessants et systématiques

23 qu'il a déployés en vue de créer un territoire ethniquement serbe, il a

24 nourri la méfiance et la peur entre les Serbes d'une part et les non-

25 Serbes, notamment les Croates, d'autre part. Enfin, la Chambre de première

26 instance estime que le caractère généralisé des crimes commis sur

27 l'ensemble de la SAO de la Krajina et de la RSK pendant plus de quatre ans

28 constitue une circonstance aggravante.

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1 En ce qui concerne les circonstances atténuantes, la Chambre de première

2 instance rappelle qu'à l'été à l'automne 1991, Milan Martic a donné pour

3 instruction aux personnes chargées de l'aide humanitaire de réserver le

4 même traitement à tous les réfugiés venant de Drnis, qu'ils soient Croates

5 ou Serbes. La Chambre de première instance se souvient également du

6 témoignage de Slobodan Jarcevic, selon lequel Milan Martic a "montré sa

7 grandeur d'âme" en s'occupant des réfugiés qui arrivaient de Bosnie-

8 Herzégovine en 1994, et ce, malgré la situation difficile qui régnait en

9 RSK du fait des sanctions imposées par la communauté internationale.

10 La Chambre de première instance considère néanmoins que quelles que soient

11 les preuves produites concernant les qualités de Milan Martic et l'aide

12 occasionnelle qu'il a fournie à des Croates et à d'autres non-Serbes, il

13 n'en reste pas moins que ce dernier, à l'époque des faits, exerçait des

14 fonctions qui lui permettaient et lui faisaient obligation de sanctionner

15 les actes de violence. La Chambre de première instance rappelle qu'elle

16 peut, en l'occurrence, ne pas tenir compte de la bienveillance

17 occasionnelle ou de l'aide limitée fournie par l'accusé. En outre, si la

18 Chambre de première instance a retenu en tant que circonstance atténuante

19 le fait que Milan Martic et sa famille avait été expulsée et déplacée à la

20 suite de l'opération Tempête, elle n'a accordé à cet élément qu'un poids

21 limité.

22 La Chambre de première instance observe que Milan Martic s'est soustrait à

23 la justice pendant environ sept ans, alors qu'il savait qu'un acte

24 d'accusation avait été dressé à son encontre. Par conséquent, la Chambre de

25 première instance estime que sa reddition au Tribunal en 2002 constitue

26 certes une circonstance atténuante, mais qu'il ne faut lui accorder qu'un

27 poids très limité.

28 La Chambre de première instance a pris en considération tous les points de

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1 droit pertinents qui sont exposés en détail dans le jugement écrit.

2 Monsieur Martic, veuillez-vous lever.

3 La Chambre de première instance, ayant examiné l'ensemble des éléments de

4 preuve ainsi que les arguments des parties, et se fondant sur les

5 constations et conclusions exposées dans le jugement, vous déclare, Milan

6 Martic, non coupable du chef 2 : Extermination, un crime contre l'humanité.

7 La Chambre de première instance vous déclare, Milan Martic, coupable, en

8 application de l'article 7(1) du Statut, des chefs d'accusation suivants :

9 Chef 1 : Persécution, un crime contre l'humanité;

10 Chef 3 : Assassinat, un crime contre l'humanité;

11 Chef 4 : Meurtre, une violation des lois ou coutumes de la guerre;

12 Chef 5 : Emprisonnement, un crime contre l'humanité;

13 Chef 6 : Torture, un crime contre l'humanité;

14 Chef 7 : Actes inhumains, un crime contre l'humanité;

15 Chef 8 : Torture, une violation des lois ou coutumes de la guerre;

16 Chef 9 : Traitement cruel, une violation des lois ou coutumes de la

17 guerre;

18 Chef 10: Expulsion, un crime contre l'humanité;

19 Chef 11 : Transfert forcé, un crime contre l'humanité;

20 Chef 12 : Destruction sans motif de villages ou dévastation non justifiée

21 par les exigences militaires, une violation des lois ou coutumes de la

22 guerre;

23 Chef 13 : Destruction ou endommagement délibéré d'édifices consacrés à

24 l'éducation et à la religion, une violation des lois ou coutumes de la

25 guerre;

26 Chef 14 : Pillage de biens publics ou privés, une violation des lois ou

27 coutumes de la guerre;

28 Chef 15 : Assassinat, un crime contre l'humanité;

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1 Chef 17 : Actes inhumains, un crime contre l'humanité;

2 Chef 19 : Attaques contre des civils, une violation des lois ou coutumes de

3 la guerre.

4 La Chambre de première instance estime que les éléments constitutifs du

5 meurtre et des traitements cruels qui vous sont reprochés respectivement

6 aux chefs 16 et 18 en tant que violation des lois ou coutumes de la guerre,

7 ont été établis. Ces crimes, étant englobés dans les attaques contre les

8 civils visés au chef 19, la Chambre de première instance ne vous déclare

9 coupable que des attaques contre les civils.

10 La Chambre de première instance vous condamne à une peine unique de 35 ans

11 d'emprisonnement. En application de l'article 101(C) du Règlement, le temps

12 que vous avez passé en détention préventive jusqu'à la date du présent

13 jugement, soit 1 855 jours, sera déduit de la durée totale de la peine

14 ainsi que toute période supplémentaire que vous pourriez passer en

15 détention dans l'attente de votre appel. En application de l'article 103(C)

16 du Règlement, vous resterez sous la garde du Tribunal en attendant que

17 soient prises toutes les dispositions relatives à votre transfert vers

18 l'Etat où vous purgerez votre peine.

19 L'audience est levée.

20 --- L'audience est levée à 10 heures 17.

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