Composée comme suit :
M. le Juge Richard May, Président
M. le Juge Kwon
M. le Juge Patrick Robinson
Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier
Décision rendue le :
4 avril 2003
LE PROCUREUR
c/
ZELJKO MEAKIC
MOMCILO GRUBAN
DUSAN FUSTAR
PREDRAG BANOVIC
DUSKO KNEZEVIC
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DÉCISION RELATIVE À L’EXCEPTION PRÉJUDICIELLE DÉPOSÉE PAR DUSKO KNEZEVIC POUR VICE DE FORME DE L’ACTE D’ACCUSATION
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Le Bureau du Procureur :
Mme Joanna Korner
Les Conseils de la Défense :
Mme Sanja Turlakov, pour Momcilo Gruban
Mme Slobodanka Nedic, pour Dusko Knezevic
MM. Theodore Scudder et Dragan Ivetic, pour Dusan Fustar
M. Jovan Babic, pour Predrag Banovic
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal pénal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),
VU l’exception préjudicielle pour vice de forme de l’acte d’accusation déposée par la Défense de l’accusé Dusan Knezevic (la « Défense ») le 20 décembre 2002 ( Dusan Knezevic’s Preliminary Motion Alleging Defects in the Form of the Indictment ) (la « Requête »),
VU la réponse globale de l’Accusation aux exceptions préjudicielles des accusés Momcilo Gruban, Dusan Fustar, Predrag Banovic et Dusko Knezevic pour vice de forme de l’acte d’accusation consolidé et aux fins d’un procès séparé (Prosecution’s Consolidated Response to Defence Preliminary Motions Alleging Defects in the Form of the Consolidated Indictment and Seeking a Separate Trial, Filed by the Accused Momcilo Gruban, Dusan Fustar, Predrag Banovic and Dusko Knezevic), déposée le 24 janvier 2003 (la « Réponse »),
VU la réplique de Dusan Knezevic à la réponse globale de l’Accusation aux exceptions préjudicielles de la Défense (Dusan Knezevic’s Reply to Prosecution’s Consolidated Response to Defence Preliminary Motions) (la « Réplique »), déposée le 31 janvier 2003 par la Défense,
Disjonction d’instances
ATTENDU que la Défense soutient que l’acte d’accusation, qui inclut l’accusé Meakic, ne peut être « valable » dans cette procédure, étant donné que Meakic n’a pas été arrêté, et que par conséquent, elle demande à la Chambre de décerner une ordonnance afin que l’accusé Meakic ne soit plus visé par cet acte d’accusation et soit jugé séparément,
ATTENDU que l’Accusation estime que cet argument devrait être rejeté, étant donné que cette question a déjà été tranchée par la Chambre de première instance ,
ATTENDU qu’en réalité, cette question n’a été traitée par la Chambre de première instance ni dans sa Décision du 17 septembre 20021, ni dans celle du 21 novembre 20022, et qu’il est par conséquent nécessaire de trancher en la matière,
ATTENDU que l’article 82 B) du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement ») autorise la Chambre de première instance à ordonner un procès séparé pour des accusés dont les instances avaient été jointes en application de l’article 48, si elle le juge nécessaire, « pour éviter tout conflit d’intérêts de nature à causer un préjudice grave à un accusé ou pour sauvegarder l’intérêt de la justice »,
ATTENDU qu’aucune de ces considérations n’est recevable en l’espèce,
Actes inhumains
VU l’argument de la Défense selon lequel l’accusé a été inculpé du crime d’« actes inhumains » en vertu du chef 4 de l’acte d’accusation, infraction qui ne constitue pas un crime en vertu du Statut, dont l’article 5 i) utilise l’expression « autres actes inhumains »,
VU l’argument de l’Accusation selon lequel l’accusé a été suffisamment informé des accusations portées contre lui à cet égard,
VU la Réplique de la Défense, selon laquelle l’Accusation a donné une autre appellation et une signification bien plus vaste au crime prescrit par l’article 5 i) du Statut,
ATTENDU que le chef 4 de l’acte d’accusation consolidé inculpe l’accusé d’ « actes inhumains », un crime contre l’humanité, sanctionné par les articles 5 i ) et 7 1) du Statut du Tribunal,
ATTENDU qu’il est suffisamment clair que la référence aux « actes inhumains » renvoie à l’expression « autres actes inhumains » utilisée à l’article 5 i) du Statut, et que l’accusé est explicitement inculpé en vertu de l’article 5 i) du Statut,
Confidentialité
VU l’argument de la Défense selon lequel la confidentialité des annexes E et F de l’acte d’accusation devrait être levée, étant donné que ces annexes constituent la majeure partie de l’acte d’accusation, dont le texte est une simple succession de phrases permettant de mieux comprendre le contenu des annexes,
VU l’argument de l’Accusation selon lequel cette question n’a rien à voir avec la forme de l’acte d’accusation, et qu’il existe des raisons impérieuses pour lesquelles la confidentialité des annexes devrait être maintenue, à savoir la protection des victimes et des témoins bénéficiant de mesures de protection,
ATTENDU que dans sa Réplique, la Défense a fait valoir que cette question se rapporte en fait exactement à la forme de l’acte d’accusation et que l’Accusation n’a avancé aucun motif justifiant le maintien de la confidentialité,
VU l’ordonnance rendue par la Chambre de première instance aux fins de confidentialité et de mesures de protection en faveur des témoins nommés dans les pièces devant être communiquées en application de l’article 66 A) i) du Règlement3, dont les dispositions s’appliquent également aux témoins nommés aux annexes E et F de l’acte d’accusation,
Forme de l’acte d’accusation
VU l’argument de la Défense selon lequel l’ensemble de l’acte d’accusation est trop vague et constitué de formules dénuées de tout contenu substantiel, et qu’il devrait indiquer le moment auquel les faits se sont produits, l’identité des victimes et les moyens employés pour perpétrer les crimes,
VU l’argument de l’Accusation selon lequel les faits pertinents, notamment l’identité des victimes, le moment et le lieu des faits et les moyens par lesquels les actes ont été commis, sont exposés de manière suffisante aux annexes A à F de l’acte d’accusation, et que la Défense détient des copies des déclarations de témoins sur lesquelles se fondent les allégations,
ATTENDU que l’article 18 4) du Statut exige que le Procureur établisse un acte d’accusation dans lequel il expose succinctement les faits et le ou les crimes qui sont reprochés à l’accusé, mais que l’acte d’accusation ne doit pas nécessairement préciser les éléments constitutifs de chaque crime, étant donné que tout ce qui est requis est un exposé succinct des faits et des crimes reprochés en vertu du Statut4,
ATTENDU que cette obligation doit être interprétée à la lumière des droits conférés à l’accusé en vertu de l’article 21 4) a) et b) du Statut5,
VU l’article 47 C) du Règlement, qui dispose que « [l]’acte d’accusation précise le nom du suspect et les renseignements personnels le concernant et présente une relation concise des faits de l’affaire et de la qualification qu’ils revêtent »,
ATTENDU que les allégations contenues dans un acte d’accusation seront donc suffisamment précises dès lors que les faits essentiels du dossier de l’Accusation sont exposés de manière concise, avec suffisamment de précision pour que l’accusé soit clairement informé de la nature et de la cause des accusations portées à son encontre, de manière à ce qu’il soit en mesure de préparer sa défense6,
ATTENDU que le caractère essentiel d’un fait ne peut être établi de manière abstraite, qu’il dépend de la nature de la cause de l’Accusation et qu’un élément décisif pour déterminer le degré de précision avec lequel l’Accusation est tenue de présenter les faits de l’espèce est la nature du comportement criminel reproché à l’accusé, notamment le lien de ce dernier avec les faits incriminés7,
ATTENDU que
a) la liste des victimes figure dans les annexes jointes à l’acte d’accusation, et qu’il y est indiqué quel accusé est présumé être personnellement responsable de leur sort, et
b) que les crimes qui auraient été commis contre ces victimes sont également indiqués , tout comme les dates ou l’époque auxquelles ils se seraient produits,
ATTENDU, par conséquent, que la Chambre de première instance est convaincue qu’au regard de l’étendue de l’espèce, l’acte d’accusation est aussi précis qu’il peut l’être sur l’identité des victimes, les crimes allégués et leurs dates présumées , et que l’accusé est donc suffisamment informé de la nature et de la cause des accusations portées contre lui pour être en mesure de préparer sa défense,
Élément moral
VU l’argument de la Défense selon lequel la forme spécifique de l’intention de l’accusé n’est pas exposée pour chaque crime visé dans l’acte d’accusation,
VU l’argument de l’Accusation consistant à dire que le critère de l’intention peut être exposé de deux manières : 1) en invoquant spécifiquement l’intention pertinente qui est nécessaire à la commission de chaque crime, ou 2) en déduisant l’intention des faits déjà exposés dans l’acte d’accusation, et qu’en l’espèce, l’intention peut être déduite des faits exposés dans l’acte d’accusation,
ATTENDU que tous les préalables juridiques permettant de retenir en l’espèce une infraction constituent des faits essentiels devant être présentés dans l’acte d'accusation8,
ATTENDU que lorsque les actes de l’accusé sont des faits essentiels devant être exposés, il en va de même pour l’intention avec laquelle l’accusé a commis ces actes9,
ATTENDU, en outre, que pour ce qui est de l’état d’esprit pertinent (mens rea), l’Accusation doit soit présenter l’état d’esprit lui-même comme un fait essentiel (auquel cas, les éléments par lesquels ce fait essentiel doit être établi relèvent généralement de l’administration de la preuve, et il n’est pas nécessaire de les présenter dans l’acte d’accusation), soit présenter les faits à partir desquels l’état d’esprit doit être nécessairement déduit10,
ATTENDU que l’accusé est inculpé en application de l’article 7 1) du Statut et qu’on lui reproche donc d’avoir planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter les crimes visés,
ATTENDU que l’acte d’accusation expose les sévices cruels et les massacres, ainsi que les autres formes de sévices physiques et psychologiques, notamment les sévices sexuels aux camps d’Omarska et de Keraterm, les méthodes par lesquelles ces sévices ont été infligés, les types de victimes et la politique délibérée d’entassement et de détention dans des conditions de vie les privant des choses les plus élémentaires,
ATTENDU que la Chambre de première instance est convaincue que ces faits constituent le fondement à partir duquel il y a nécessairement lieu de déduire l’intention de l’accusé et qu’ils sont suffisamment exposés dans l’acte d’accusation,
Entreprise criminelle commune
ATTENDU que la Défense soutient que l’acte d’accusation ne révèle pas l’identité des coauteurs de la présumée entreprise criminelle commune,
ATTENDU que « les faits essentiels qui doivent être présentés concernant l’allégation selon laquelle les accusés ont participé à une entreprise criminelle commune sont les suivants : le but et la période de l’entreprise, l’identité des participants à l’entreprise, et la nature de la participation des accusés à l’entreprise »11,
ATTENDU que la Chambre de première instance a pu constater que l’identité des autres participants à l’entreprise criminelle commune est incluse dans l’acte d’accusation,
EN APPLICATION DE L’ARTICLE 72 DU RÈGLEMENT,
PAR CES MOTIFS,
REJETTE LA REQUÊTE.
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
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Richard May
Président de la Chambre de première instance
Le 4 avril 2003
La Haye (Pays-Bas)