Affaire n° : IT-02-65-PT
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE
Composée comme suit :
M. le Juge May, Président
M. le Juge Kwon
M. le Juge Patrick Robinson
Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier
Décision rendue le :
4 avril 2003
LE PROCUREUR
ZELJKO MEAKIC
MOMCILO GRUBAN
DUSAN FUSTAR
PREDRAG BANOVIC
DUSKO KNEZEVIC
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DÉCISION RELATIVE À L’EXCEPTION PRÉJUDICIELLE DÉPOSÉE PAR MOMCILO GRUBAN POUR VICE DE FORME DE L’ACTE D’ACCUSATION
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Le Bureau du Procureur :
Mme Joanna Korner
Les conseils des Accusés :
Mme Sanja Turkalov, pour Momcilo Gruban
Mme Slobodanka Nedic, pour Dusko Knezevic
MM. Theodore Scudder et Dragan Ivetic, pour Dusan Fustar
M. Jovan Babic, pour Predrag Banovic
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),
VU l’exception préjudicielle pour vice de forme de l’acte d’accusation déposée par la Défense de l’accusé Momcilo Gruban (la « Défense ») le 23 décembre 2002 ( Momcilo Gruban’s Preliminary Motion filed by the Defence for the accused Momcilo Gruban, la « Requête »),
VU la réponse globale de l’Accusation aux exceptions préjudicielles des accusés Momcilo Gruban, Dusan Fustar, Predrag Banovic et Dusko Kneževic pour vice de forme de l’acte d’accusation consolidé et aux fins d’un procès séparé (Prosecution’s Consolidated Response to Defence Preliminary Motions Alleging Defects in the Form of the Consolidated Indictment and Seeking a Separate Trial, Filed by the Accused Momcilo Gruban, Dusan Fustar, Predrag Banovic and Dusko Kneževic), déposée le 24 janvier 2003 (la « Réponse »),
Forme de l’acte d’accusation
VU l’argument de la Défense selon lequel l’ensemble de l’acte d’accusation est trop vague et constitué de formules dénuées de tout contenu substantiel, et qu’il devrait indiquer le moment auquel les faits se sont produits, l’identité des victimes et les moyens employés pour perpétrer les crimes,
VU l’argument de l’Accusation selon lequel les faits pertinents, notamment l’identité des victimes, le moment et le lieu des faits et les moyens par lesquels les actes ont été commis, sont exposés de manière suffisante aux annexes A à F de l’acte d’accusation, et que la Défense détient des copies des déclarations de témoins sur lesquelles se fondent les allégations,
ATTENDU que l’article 18 4) du Statut exige que le Procureur établisse un acte d’accusation dans lequel il expose succinctement les faits et le ou les crimes qui sont reprochés à l’accusé, mais que l’acte d’accusation ne doit pas nécessairement préciser les éléments constitutifs de chaque crime, étant donné que tout ce qui est requis est un exposé succinct des faits et des crimes reprochés en vertu du Statut1,
ATTENDU que cette obligation doit être interprétée à la lumière des droits conférés aux accusés en vertu de l’article 21 4) a) et b) du Statut2,
VU l’article 47 C) du Règlement, qui dispose que « SlC’acte d’accusation précise le nom du suspect et les renseignements personnels le concernant et présente une relation concise des faits de l’affaire et de la qualification qu’ils revêtent »,
ATTENDU que les allégations contenues dans un acte d’accusation seront suffisamment précises dès lors que les faits essentiels du dossier de l’Accusation sont exposés de manière concise, avec suffisamment de précision pour que l’accusé soit clairement informé de la nature et de la cause des accusations portées à son encontre, de manière à ce qu’il soit en mesure de préparer sa défense3,
ATTENDU que le caractère essentiel d’un fait ne peut être établi de manière abstraite, qu’il dépend de la nature de la cause de l’Accusation et qu’un élément décisif pour déterminer le degré de précision avec lequel l’Accusation est tenue de présenter les faits de l’espèce est la nature du comportement criminel reproché à l’accusé, notamment le lien de ce dernier avec les faits incriminés4,
ATTENDU que
a) la liste des victimes figure dans les annexes jointes à l’acte d’accusation, et qu’il y est indiqué quel accusé est présumé être personnellement responsable de leur sort, et
b) que les crimes qui auraient été commis contre ces victimes sont également indiqués , tout comme les dates ou l’époque auxquelles ils se seraient produits,
ATTENDU, par conséquent, que la Chambre de première instance est convaincue qu’au regard de l’étendue de l’espèce, l’acte d’accusation est aussi précis qu’il peut l’être sur l’identité des victimes, les crimes allégués et leurs dates présumées , et que l’accusé est donc suffisamment informé de la nature et de la cause des accusations portées contre lui pour être en mesure de préparer sa défense,
Entreprise criminelle commune
VU l’argument de la Défense selon lequel l’acte d’accusation consolidé ne fait état d’aucun fait pertinent démontrant que l’accusé se soit jamais trouvé au camp de Keraterm et qu’il lui impute néanmoins la responsabilité d’une entreprise criminelle commune englobant le camp de l’accusé et celui d’Omarska, et l’argument selon lequel l’acte d’accusation consolidé ne précise pas quelle est la forme d’entreprise criminelle commune reprochée à l’accusé, ni quels sont les faits pertinents démontrant que l’accusé était effectivement un membre de cette entreprise criminelle commune ,
VU la réponse de l’Accusation qui affirme que l’acte d’accusation consolidé précise auquel des deux camps se rapporte chacun des accusés, à savoir :
a) le paragraphe 21 de l’acte d’accusation fait état du rôle d’ensemble joué par Momcilo Gruban au sein des camps,
b) les paragraphes 21 a) et b) de l’acte d’accusation font état du rôle spécifique qu’il a joué comme chef d’équipe au camp de Keraterm, tandis que les annexes C, D et F énumèrent les actes qu’il a commis en tant que complice et participant à l’entreprise criminelle commune,
ATTENDU que les points qui doivent être présentés lorsqu’une personne est accusée de participation à une entreprise criminelle commune sont les suivants :
a) la nature ou l’objectif de l’entreprise criminelle commune,
b) le moment auquel ou la période pendant laquelle l’entreprise est censée avoir existé,
c) l’identité des participants à cette entreprise – pour autant qu’elle soit connue – ou du moins la catégorie à laquelle ils appartiennent en tant que groupe, et
d) la nature de la propre participation de la personne à cette entreprise5,
ATTENDU que la Chambre de première instance est convaincue que l’acte d’accusation satisfait à ces toutes conditions pour ce qui est de la participation de l’accusé à une entreprise criminelle commune,
Accusations portées en vertu des articles 7 1) et 7 3) du Statut, à raison des mêmes faits
VU l’argument de la Défense selon lequel l’Accusation se fonde sur des faits identiques pour imputer différentes formes de responsabilité en vertu des articles 7 1) et 7 3) du Statut,
VU la réponse de l’Accusation selon laquelle, en ce qui concerne l’article 7 1), l’acte d’accusation expose les différentes formes de responsabilité relevant dudit article pour la participation à l’entreprise criminelle commune, l’élément moral requis, l’identité des participants et les conséquences naturelles et prévisibles de l’entreprise criminelle commune à laquelle l’accusé est censé avoir participé ,
VU la réponse de l’Accusation selon laquelle, en ce qui concerne l’article 7 3), l’acte d’accusation expose les différentes formes de responsabilité relevant de cet article pour la participation à l’entreprise criminelle commune, l’identité des subordonnés que l’accusé avait sous son contrôle et la nature de son autorité sur ces subordonnés,
ATTENDU que lorsque l’acte d’accusation allègue la responsabilité en vertu de l’article 7 1), « l’identité de la victime, le moment et le lieu du crime et son mode d’exécution, doivent être exposés en détail6 »,
ATTENDU que dans une affaire mettant en cause la responsabilité du supérieur hiérarchique en application de l’article 7 3), les faits essentiels suivants doivent impérativement être exposés dans l’acte d’accusation :
a) i) l’accusé était le supérieur hiérarchique ii) de subordonnés suffisamment identifiés iii) sur lesquels il exerçait un contrôle effectif - c’est-à-dire qu’il avait la capacité matérielle d’empêcher ou de punir un comportement criminel de leur part - et iv) il est présumé responsable de leurs actes ;
b) i) l’accusé savait ou avait des raisons de savoir que ces personnes avaient commis des crimes ou s’apprêtaient à le faire, et ii) était informé de leur conduite dont il est présumé responsable. Les faits se rapportant aux actes commis par ces tierces personnes seront généralement exposés de façon moins précise, parce que les détails de ces actes (leurs auteurs et leurs victimes) sont souvent inconnus et, plus encore, parce que, souvent, les actes eux-mêmes ne sauraient guère prêter à controverse ; et
c) l’accusé n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que de tels actes soient commis ou pour en punir les auteurs7,
ATTENDU que l’acte d’accusation fait état de différents faits pertinents pour les accusations portées en vertu des articles 7 1) et 7 3) du Statut, et qu’il satisfait donc aux critères requis pour l’exposé des faits relatifs à chaque forme de responsabilité,
Teneur de jugements précédents
VU l’argument de la Défense selon lequel l’Accusation doit formuler les chefs de l’acte d’accusation consolidé en prenant exemple sur le Jugement Kvocka 8, où il avait été conclu qu’aucun des accusés n’était pénalement responsable en vertu de l’article 7 3) du Statut, et que la responsabilité de supérieur hiérarchique imputée à l’accusé doit donc être supprimée et le texte de l’acte d’accusation modifié en conséquence,
VU la réponse de l’Accusation selon laquelle ces objections sont à rejeter parce qu’elles ne sont pas pertinentes à ce stade de la procédure, la question principale n’étant pas de savoir si les éléments de preuve justifieront une déclaration de culpabilité en vertu de l’article 7 3), mais si les faits pertinents présentés permettent ou non à l’accusé d’être suffisamment informé de la nature et de la cause des accusations portées contre lui pour qu’il soit en mesure de préparer sa défense,
ATTENDU que la question de savoir si les éléments de preuve sont suffisants pour justifier une déclaration de culpabilité pour l’une quelconque des formes de responsabilité imputées dans l’acte d’accusation doit être tranchée au procès, et ne relève pas de la forme de l’acte d’accusation,
EN APPLICATION DE L’ARTICLE 72 DU RÈGLEMENT,
REJETTE LA REQUÊTE.
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
Le Président de la Chambre de première instance
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Juge May
Fait le 4 avril 2003
La Haye (Pays-Bas)