Affaire n° : IT-02-65-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Patrick Robinson, Président
M. le Juge O-Gon Kwon
M. le Juge Bert Swart

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
17 juin 2004

LE PROCUREUR

c/

ZELJKO MEJAKIC
MOMCILO GRUBAN
DUSAN FUSTAR
DUSKO KNEZEVIC

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DÉCISION RELATIVE À LA DEUXIÈME REQUÊTE DE L’ACCUSATION AUX FINS DE RÉSOUDRE LA SITUATION DE CONFLIT D’INTÉRÊTS DANS LAQUELLE SE TROUVE MAÎTRE JOVAN SIMIC

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Le Substitut du Procureur :

Mme Ann Sutherland

Les Conseils des Accusés :

M. Jovan Simic pour Zeljko Mejakic
Mme Sanja Turlakov pour Momcilo Gruban
MM. Theodore Scudder et Dragan Ivetic pour Dusan Fustar
Mme Slobodanka Nedic pour Dusko Knezevic

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),

VU la deuxième requête de l’Accusation aux fins de résoudre la situation de conflit d’intérêts dans laquelle se trouve Me Jovan Simic (Prosecution’s Second Motion to Resolve Conflict of Interest Regarding Attorney Jovan Simic), déposée à titre confidentiel le 24 février 2004 (la « Deuxième Requête »), par laquelle le Bureau du Procureur (l’« Accusation ») demande à la Chambre de première instance de résoudre sans délai la situation de conflit d’intérêts dans laquelle se trouve l’avocat de la Défense, Me Jovan Simic, lequel, actuellement commis en l’espèce en tant que conseil principal pour représenter l’accusé Zeljko Mejakic, est également conseil de l’accusé Dragoljub Prcac dans l’affaire Le Procureur c/ Miroslav Kvocka et consorts présentement en appel1, en priant le Greffier de révoquer la commission d’office de Me Simic dans l’une des deux affaires,

VU les arguments suivants présentés dans la Deuxième requête :

i) eu égard à la situation actuelle, l’Accusation n’a pas pu demander à Dragoljub Prcac s’il était disposé à prendre part à des entretiens supplémentaires avec elle et à déposer de son plein gré sans être assisté par Me Simic en application de l’article  63 A) du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »), à moins, a-t-elle soutenu, qu’il renonce volontairement et expressément à la présence de son conseil,

ii) en réponse à la demande de l’Accusation visant à modifier ses listes de témoins et de pièces à conviction dressées en application de l’article 65 ter du Règlement2, Me Simic a fait part de son objection à ce que Dragoljub Prcac comparaisse en tant que témoin dans l’affaire Mejakic ce qui, selon l’Accusation, montre qu’il est maintenant temps de trancher cette question puisqu’elle entrave le bon déroulement de l’instance, étant donné que Me Simic ne peut donner un avis libre et objectif à Dragoljub Prcac sur la question de savoir s’il devrait accepter de témoigner et de prendre part à d’autres entretiens avec l’Accusation,

iii) Me Simic ne peut, en même temps, conseiller objectivement Željko Mejakic sur les moyens de contester efficacement la déposition de Dragoljub Prcac sans compromettre sa capacité à représenter ce dernier, et

iv) dans les circonstances actuelles, permettre à Me Simic de continuer à représenter à la fois l’accusé Mejakic et l’accusé Prcac porterait atteinte à leur droit à tous les deux de prendre, en connaissance de cause, des décisions servant uniquement leur intérêt personnel,

VU la réponse de la Défense à la Deuxième Requête (Defence Response to Prosecution Second Motion to Resolve Conflict of Interest Regarding Attorney Jovan Simic), déposée à titre confidentiel le 5 mars 2004, par laquelle Me Simic soutient que, en dehors du fait qu’elle demande une mesure différente — à savoir que sa commission d’office soit révoquée dans l’une des deux affaires et non plus en l’espèce —, l’Accusation n’a soulevé aucun point nouveau,

VU la « Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins de régler le conflit d’intérêts concernant Jovan Simic, avocat de la Défense », rendue par la Chambre de première instance le 18 septembre 2003 (la « Première Décision »), par laquelle la Chambre a reconnu qu’un conflit d’intérêts surgirait si Dragoljub Prcac était cité à comparaître dans l’affaire Mejakic mais a toutefois confirmé la Décision du Greffier rendue le 30 juillet 2003 de commettre Me Jovan Simic en tant que conseil principal de l’accusé Željko Mejakic, qui tenait compte notamment du fait que le conseil principal avait suivi la procédure établie à l’article 14 du Code de déontologie pour les avocats exerçant devant le Tribunal international 3, ayant estimé qu’il n’était pas souhaitable à ce stade de la procédure qu’elle tranche la question puisqu’il n’était pas certain que Dragoljub Prcac dépose dans l’affaire Mejakic,

VU la Décision de la Chambre de première instance par laquelle la Chambre a autorisé l’Accusation à ajouter Dragoljub Prcac à sa liste de témoins dans l’affaire Mejakic4, mais a cependant refusé que le compte rendu d’un interrogatoire de ce dernier figure sur la liste de pièces à conviction, puisqu’il « n’[était] pas certain que [Dragoljub Prcac] dépose en l’espèce et que les Accusés aient la possibilité de le contre-interroger sur le contenu de son audition par l’Accusation5,

ATTENDU que la Deuxième Requête (tout comme la première) porte sur l’existence d’un conflit d’intérêts potentiel résultant de la décision, prise par le Greffier, de nommer Me Simic, déjà commis d’office en tant que conseil principal de l’accusé Prcac, comme conseil principal de l’accusé Mejakic, Me Simic se trouvant de ce fait commis d’office à la défense de plus d’un accusé simultanément,

VU la Directive relative à la commission d’office de conseils de la Défense6 qui prévoit qu’en principe, aucun conseil n’est simultanément commis à la défense de plusieurs suspects ou accusés à moins que cela « ne porte pas préjudice à la défense de l’un ou l’autre des accusés, ni ne crée un conflit d’intérêts potentiel7,

ATTENDU que le Code de déontologie prévoit que, si un conflit d’intérêts surgit, le conseil doit prendre toutes les mesures nécessaires pour y mettre fin ou bien demander l’accord éclairé et sans réserves de tous les clients présents et passés susceptibles d’être affectés pour pouvoir poursuivre sa mission « à moins que cet accord ne risque de porter un coup irrémédiable à la bonne administration de la justice8 »,

ATTENDU que Me Simic a suivi cette dernière procédure, laquelle a été entérinée par une décision du Greffier datée du 30 juillet 2003 qui précisait que « le Greffe s’[était] assuré que les deux accusés avaient été pleinement informés de l’existence et de l’étendue de tout éventuel conflit d’intérêt et que, en application de l’article 14 E) ii) 2) du Code, ils [avaient] chacun signé une décharge en toute connaissance de cause en ce sens9» ; que, par conséquent, on ne peut soutenir dans les circonstances de l’espèce que le Greffier n’a pas respecté les conditions posées par la Directive en décidant de commettre d’office Me Simic en tant que conseil de l’accusé Mejakic,

ATTENDU que la Chambre de première instance doit déterminer si le fait que les deux accusés ont consenti à être représentés par Me Simic risque de « porter un coup irrémédiable à la bonne administration de la justice », décision qui, selon la Chambre de première instance, est étroitement liée à l’intégrité de la procédure et à l’équité du procès10,

ATTENDU que la Chambre de première instance, dans sa Première Décision, a reconnu qu’un conflit d’intérêts surgirait si Dragoljub Prcac était cité à comparaître dans l’affaire Mejakic ; qu’à la suite de la décision de la Chambre autorisant l’Accusation à modifier sa liste de témoins afin d’y ajouter Dragoljub Prcac, l’Accusation a bien modifié ladite liste en ce sens ; que, toutefois, il ne s’ensuit pas nécessairement que Dragoljub Prcac déposera en l’espèce11 ; et que la demande visant à ce que le compte rendu de l’interrogatoire de celui -ci figure sur la liste de pièces à conviction de l’Accusation a bel et bien été rejetée au motif qu’il n’était pas certain que Dragoljub Prcac dépose en l’espèce,

ATTENDU que la Chambre de première instance est consciente qu’elle a le devoir de mettre à la disposition de chaque partie, dans la mesure du possible, tout moyen raisonnable afin de lui faciliter l’accès à des éléments de preuve pouvant présenter un intérêt pour sa cause ; que, toutefois, de l’avis de la Chambre, aucune disposition du Statut ou du Règlement du Tribunal ne permet de penser que l’Accusation a le droit d’interroger un accusé dans une affaire donnée dans le but d’obtenir son témoignage dans le cadre d’une autre affaire ; qu’ainsi l’argument selon lequel l’Accusation n’a pas été en mesure de demander à Dragoljub Prcac s’il était disposé à prendre part à des entretiens supplémentaires avec elle ou à déposer de son plein gré sans être assisté par Me Simic, en application de l’article 63 A) du Règlement, est dénué de fondement,

ATTENDU que, dans les circonstances actuelles, la Chambre de première instance n’est pas convaincue que la représentation des deux accusés par Me Simic est de nature à porter atteinte à l’intégrité de la procédure ou à porter de toute autre façon un coup irrémédiable à la bonne administration de la justice,

PAR CES MOTIFS,

EN APPLICATION de l’article 73 du Règlement du Tribunal international,

REJETTE la Deuxième requête.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 17 juin 2004
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
_____________
Patrick Robinson

[Sceau du Tribunal]


1. Le Procureur c/ Miroslav Kvocka et consorts, affaire n° IT-98-30/1-T, Jugement, 2 novembre 2001.
2. Le Procureur c/ Zeljko Mejakic et consorts, affaire n° IT-02-65-PT, Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins d’autorisation de modifier ses listes de témoins et de pièces à conviction dressées en application de l’article 65 ter du Règlement, 18 février 2004.
3. IT/125/Rév. 1, 12 juillet 2002 (« Code de déontologie »). L’article 14 E) dudit Code dispose que : « Si un conflit d’intérêts surgit néanmoins, le conseil : i) avertit immédiatement et pleinement de la nature et de la portée du conflit tous les clients présents et passés susceptibles d’être affectés, et ii) soit 1) prend toutes les mesures nécessaires pour mettre fin au conflit d’intérêts, soit 2) demande l’accord éclairé et sans réserves de tous les clients présents et passés susceptibles d’être affectés pour pouvoir poursuivre sa mission, à moins que cet accord ne risque de porter un coup irrémédiable à la bonne administration de la justice » (non souligné dans l’original). Le Procureur c/ Zeljko Mejakic et consorts, affaire n° IT-02-65-PT, Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins de régler le conflit d’intérêts concernant Jovan Simic, avocat de la Défense, 18 septembre 2004.
4. Le Procureur c/ Zeljko Mejakic et consorts, affaire n° IT-02-65-PT, Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins d’autorisation de modifier ses listes de témoins et de pièces à conviction dressées en application de l’article 65 ter du Règlement », 18 février 2004.
5. Ibid.
6. IT/73/Rév.9, 12 juillet 2002 (« Directive »).
7. Article 16 E) de la Directive.
8. Article 14 E) ii) du Code de déontologie.
9. Décision du Greffier, affaire n° IT-02-65-PT, 30 juillet 2003.
10. Le Procureur c/ Vidoje Blagojevic, affaire n° IT-02-60-AR73.4, Motifs de la décision relative au recours introduit par Vidoje Blagojevic aux fins de remplacer son équipe de la Défense, exposés ex parte et à titre confidentiel, 7 novembre 2003 ; Le Procureur c/ Milan Milutinovic et consorts, affaire n° IT-99-37-AR73.2, Décision relative à l’appel interlocutoire concernant la requête aux fins de l’octroi de fonds supplémentaires, 13 novembre 2003, par. 19.
11. Comme cela a été signalé dans la décision, le seul effet de cette modification était d’avertir les équipes de la Défense que ce témoin précis pouvait être cité à comparaître en l’espèce, sous réserve de l’obligation qui incombe à la partie souhaitant citer ce témoin de veiller à ce que les mesures nécessaires soient prises afin d’obtenir son témoignage. Voir Le Procureur c/ Zeljko Mejakic et consorts, affaire n° IT-02-65-PT, Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins d’autorisation de modifier ses listes de témoins et de pièces à conviction dressées en application de l’article 65 ter du Règlement », 18 février 2004, p. 2.