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1 Le jeudi 3 mars 2005
2 [Audience sur requêtes]
3 [Audience publique]
4 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]
5 --- L'audience est ouverte à 14 heures 57.
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur le Greffier, pourriez-vous
7 citer le numéro de l'affaire au rôle, je vous prie.
8 M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Il s'agit
9 de l'affaire IT-02-65-PT, le Procureur contre Zeljko Mejakic, Momcilo
10 Gruban, Dusan Fustar et Dusko Knezevic.
11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Monsieur le Greffier.
12 J'aimerais que les parties se présentent. En commençant par l'Accusation,
13 je vous prie.
14 Mme SOMERS : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Je suis Susan
15 Somers, Procureur principal, accompagnée d'Ann Sutherland et de Sebastian
16 van Hooydonk, assistant d'audience.
17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci beaucoup.
18 Pour la Défense, j'aimerais que les conseils de M. Mejakic se présentent
19 les premiers.
20 M. SIMIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Je suis Jovan
21 Simic, accompagné de Zoran Zivanovic. Nous assurons la défense de M. Zeljko
22 Mejakic.
23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.
24 C'est à vous.
25 M. LUKIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Je m'appelle
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1 Branko Lukic. Je représente M. Momcilo Gruban qui est absent aujourd'hui.
2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci beaucoup.
3 Autre équipe de Défenseurs ?
4 M. SCUDDER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Je m'appelle
5 Theodore Scudder. En compagnie de Dragan Ivetic, nous défendons les
6 intérêts de M. Dusan Fustar.
7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. L'équipe suivante.
8 Mme NEDIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Je m'appelle
9 Slobodanka Nedic, et j'assure la Défense de M. Dusko Knezevic.
10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Maître Nedic.
11 Nous avons invité aujourd'hui les représentants de la Bosnie-Herzégovine et
12 de Serbie. Je vous demande qui a l'intention de se présenter en premier ?
13 Peut-être la Serbie-et-Monténégro ? Il me semble que ce serait logique car
14 la Bosnie-Herzégovine a soumis une requête aux fins de renvoi. J'en
15 parlerai plus en détail ultérieurement. Cette requête aux fins de renvoi
16 est soumise à la Chambre par la Bosnie-Herzégovine. La Bosnie-Herzégovine
17 est, par la force des choses, directement impliquée en l'espèce. Je demande
18 à la Bosnie-Herzégovine de se présenter en premier.
19 Mme KRESO : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Je m'appelle
20 Meddzida Kreso. Je suis présidente du Tribunal de Bosnie-Herzégovine, et je
21 suis accompagnée de Mme Fidelma Donlon, vice-greffière du tribunal de
22 Bosnie-Herzégovine.
23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Autres représentants.
24 M. MARTINKOVIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Je
25 m'appelle Vaso Marinkovic. Je suis adjoint au procureur général de l'Etat
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1 de Bosnie-Herzégovine, qui s'occupe des crimes de guerre. A ma droite, vous
2 voyez mon collègue, M. Nicholas Koumjian, qui est également procureur
3 international pour crimes de guerre au bureau du procureur de Bosnie-
4 Herzégovine.
5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Monsieur Marinkovic et Madame
6 Kreso.
7 Je demande maintenant à la Serbie-et-Monténégro de présenter ses
8 représentants.
9 M. LOCAR : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Je m'appelle
10 Zoran Loncar, ministre au gouvernement de la République de Serbie-et-
11 Monténégro, responsable des rapports avec le Tribunal pénal international.
12 Je suis accompagné à ma gauche de M. Branislav Ristivojevic, conseiller, et
13 à ma droite de M. Bogdan Stankovic, adjoint au procureur chargé des crimes
14 de guerre en République de Serbie. A ses côtés, vous voyez M. Sasa
15 Obradovic, premier secrétaire de l'ambassade de Serbie-et-Monténégro à La
16 Haye. Merci.
17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Monsieur Loncar.
18 J'espère que je ne vais pas confondre les noms pendant la présente
19 audience. Si cela m'arrivait, je vous demanderais de faire preuve de
20 compréhension. J'aimerais demander aux accusés présents dans le prétoire
21 aujourd'hui s'ils m'entendent dans une langue qu'ils comprennent. Je les
22 informe que chacun s'est présenté, jusqu'à présent.
23 L'ACCUSÉ MEJAKIC : [interprétation] Oui, je vous entends.
24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous vous appelez ?
25 L'ACCUSÉ MEJAKIC : [interprétation] Je m'appelle Zeljko Mejakic. Je suis le
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1 premier accusé dans cette affaire.
2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, Monsieur Mejakic.
3 Qui est assis à côté de vous ?
4 L'ACCUSÉ KNEZEVIC : [interprétation] Je m'appelle Dusko Knezevic, et je
5 suis les débats dans ma langue.
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci.
7 Et puis ?
8 L'ACCUSÉ FUSTAR : [interprétation] Je m'appelle Dustan Fustar, et je suis
9 très bien les débats.
10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Monsieur Fustar.
11 Nous savons qui se trouve dans le prétoire aujourd'hui. Nous allons
12 entendre aujourd'hui la suite des exposés des parties en rapport avec une
13 requête déposée par l'Accusation en vue de renvoi d'un certain nombre
14 d'affaires, en tout cas, des affaires intentées à ces quatre accusés,
15 devant une autre juridiction, et M. Gruban n'est pas présent parmi nous. Ce
16 renvoi est destiné à permettre la suite du procès devant un tribunal de
17 République de Bosnie-Herzégovine.
18 J'ai déjà parlé, il y a quelques instants, de la présence dans ce
19 prétoire des représentants de la Serbie-et-Monténégro. Cette présence est
20 due au fait que les conseils de la Défense ont attiré l'attention de votre
21 gouvernement sur la soumission à la Chambre de cette requête, et que suite
22 à cela, vous avez demandé au Tribunal la possibilité de présenter un exposé
23 au cours de cette audience. J'ai déjà dit, et je le répète, que vous n'êtes
24 pas partie à la présente affaire. C'est en signe de courtoisie que vous
25 avez été invités à participer car la Chambre s'intéresse aux arguments que
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1 vous pourrez présenter.
2 Nous entendrons aujourd'hui la suite des exposés des parties. La
3 Chambre a lu avec la plus grande attention toutes les écritures déposées à
4 ce jour. Nous avons posé, du côté des Juges, un certain nombre de questions
5 précises tant à la Défense qu'à l'Accusation et à la Bosnie-Herzégovine.
6 Par conséquent, si dans une seconde je vous autorise de présenter d'autres
7 arguments, je pense qu'il serait utile que les parties résument rapidement,
8 compte tenu de la publicité des débats, leurs positions respectives. Ce qui
9 intéresse plus particulièrement la Chambre, c'est d'entendre, bien entendu,
10 les ajouts éventuels que vous avez pu apporter à vos exposés précédents,
11 mais avant tout, également, quelle est la nature de la réponse -- de la
12 réaction que vous avez par rapport aux exposés soumis à la Chambre par les
13 autres parties présentes. Cela permettra aux Juges de mieux cerner la
14 réalité des problèmes.
15 Je donnerai d'abord la possibilité à l'Accusation de présenter ses
16 autres arguments.
17 Mme SOMERS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Je me
18 permettrai, s'il vous le voulez bien, de demander avant tout si les divers
19 aspects liés à la confidentialité des écritures initiales de la Défense, si
20 ses exigences ont été levées pour l'audience d'aujourd'hui, et si nous
21 pouvons travailler en audience publique.
22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] S'agissant des questions liées à la
23 confidentialité, j'aimerais que nous sursoyions quelques instants à la
24 discussion sur ce point, car si la question de la confidentialité doit être
25 débattue, nous devons, bien sûr, en discuter en présence des diverses
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1 parties à la présente affaire. S'il est demandé que des exigences de
2 sécurité imposées par la Défense soient levées, vous pouvez, bien sûr,
3 présenter cette demande. Si tel n'est pas le cas, je vous demanderais
4 d'attendre quelques instants que nous passions à huis clos partiel pour
5 discuter de cette question.
6 Mme SOMERS : [interprétation] J'aimerais également appeler l'attention des
7 Juges sur un point de l'ordre du jour. Je pense que ce serait utile avant
8 de me lancer dans mon exposé.
9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] S'il vous plaît, faites.
10 Mme SOMERS : [interprétation] Dans les écritures de l'Accusation du 21
11 février 2005, dans la note en bas de page : 12, 19, 35 [comme interprété] à
12 39, des dispositions du journal officiel de la Bosnie-Herzégovine ont été
13 citées. Malheureusement, à l'époque, nous n'avions pas les numéros
14 pertinents. Nous pouvons aujourd'hui dire à la Chambre, que le numéro en
15 question est le numéro 61/04.
16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Madame Somers.
17 Mme SOMERS : [interprétation] Monsieur le Président, nous allons rapidement
18 revenir sur les raisons qui nous réunissent aujourd'hui. Le 2 septembre
19 2004, l'Accusation a déposé une requête au titre de l'Article 11 bis aux
20 fins de renvoi devant les tribunaux de Bosnie-Herzégovine de la présente
21 affaire. La réponse fournie par les conseils des différents accusés a été
22 déposée. Bien sûr, il s'agit de quatre accusés. La Chambre a demandé des
23 arguments complémentaires. Je crois que cette demande a été faite le 9
24 février. Si je ne m'abuse, c'est le 21 février que l'Accusation a soumis
25 une argumentation complémentaire suite à la demande du 9 février émanant de
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1 la Chambre.
2 Je résume très rapidement pour le compte rendu d'audience, la présente
3 affaire est le résultat des événements survenus dans les camps d'Omarska et
4 de Keraterm; événements qualifiés d'atrocités qui ont eu lieu au cours de
5 l'année 1992 sur le territoire de Bosnie-Herzégovine. Les questions
6 soumises aux Juges de cette Chambre portent sur la gravité de l'infraction
7 et sur le niveau hiérarchique des accusés. L'Accusation, à cet égard, s'en
8 tient aux arguments déjà présentés, à savoir que s'agissant de la gravité
9 de l'infraction, l'Accusation, bien sûr, reconnaît que pour comparaître
10 devant ce Tribunal, les infractions concernées doivent être graves et même
11 d'une extrême gravité; ceci, compte tenu du mandat du conseil de Sécurité,
12 selon lequel, il importe de veiller à ce que des cas d'une gravité
13 inférieure soient renvoyées devant d'autres juridictions.
14 Le niveau hiérarchique de ces accusés, l'Accusation répète à cet égard,
15 qu'il s'agit d'une entreprise criminelle commune d'une particulière
16 importance, et ce, en rapport avec Omarska. Les crimes commis à Keraterm
17 sont d'une gravité tout à fait comparable, le niveau hiérarchique des
18 accusés est comparable également. Il est permis de parler d'un continuum
19 criminel dont nous pensons que Mejakic y occupe une place, disons,
20 intermédiaire, qui est à peu près également à celle des autres accusés,
21 d'où la demande de renvoi au titre de l'Article 11 bis.
22 Les considérations relatives à l'équité et à la disponibilité de structure
23 nécessaire en Bosnie-Herzégovine ont déjà été abordées. A titre
24 d'introduction, je dirais que j'aimerais que vous m'indiquiez, Monsieur le
25 Président, Messieurs les Juges, à quel niveau de détail je dois entrer sur
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1 le plan de l'historique ? Pour ma part, je pense que je pourrais m'arrêter
2 ici pour éventuellement répondre à des questions qui pourraient m'être
3 posées.
4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, cela semble suffisant.
5 Je vous demanderais, bien entendu, de traiter précisément des sujets
6 abordés dans les écritures, avant même que nous ayons éventuellement des
7 questions plus précises à vous poser. Je vous demande si vous pouvez dire
8 quelques mots, des questions soulevées par les diverses parties.
9 Mme SOMERS : [interprétation] Bien sûr. De façon générale, l'opposition de
10 tous les accusés à la requête a été le point de départ de notre réponse.
11 J'aimerais souligner que l'une des préoccupations évoquée porte sur
12 l'anonymat des témoins. Cette préoccupation ne tient plus aujourd'hui; elle
13 a été réglée. Je pense que les éminents membres de la délégation de Bosnie-
14 Herzégovine peuvent se satisfaire de la situation actuelle. La référence
15 qui tient encore porte sur la non-communication d'un certain nombre
16 d'éléments, et je crois que ceci est tout à fait conforme aux questions
17 habituellement évoquées devant ce Tribunal. Le problème de l'anonymat n'est
18 plus une question à régler à l'heure actuelle.
19 Le fait que les accusés restent ensemble pendant le procès, est un point
20 que nous estimons particulièrement important. Nous pensons que c'est le
21 groupe des quatre accusés qui doit être renvoyé devant les tribunaux de
22 Bosnie-Herzégovine pour le procès en question. Le gouvernement de Serbie-
23 et-Monténégro étant présent aujourd'hui, la question peut éventuellement se
24 poser d'un autre lieu pour le procès. Bien que l'Accusation n'ait pas
25 réfléchie encore à cette question, je pense qu'elle n'est pas pertinente à
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1 l'heure qu'il est. En effet, les personnes accusées ici sont accusées pour
2 avoir commis des crimes présumés sur le territoire de Bosnie-Herzégovine.
3 Je crois que c'est la façon la plus opportune de qualifier leur
4 participation. Des procédures ont été engagées. Un tribunal spécial a été
5 créé, qui est très désireux de juger cette affaire, et est tout à fait prêt
6 à le faire. Nous pensons qu'il n'est pas nécessaire de chercher une autre
7 juridiction, compte tenu des faits qui sont en cause, et notamment du fait
8 que tous les accusés sont nés sur le territoire de Bosnie-Herzégovine, et
9 qu'un rapport éventuel entre eux et la République de Serbie-et-Monténégro
10 ne peut être que considéré comme tout à fait secondaire. A notre avis, ces
11 arguments ne tiennent pas. Quant à la façon dont le lieu est choisi, un
12 certain nombre de contraintes sont à prendre en compte par ce Tribunal. Il
13 faut que l'affaire ait été soumise à ce Tribunal en premier lieu. Les
14 accusés n'ont pas été arrêtés au sens précis du terme. Il importe de prêter
15 attention à la façon dont ils sont arrivés devant ce Tribunal qui a sa
16 pertinence. Il est possible qu'ils proviennent du territoire de Serbie-et-
17 Monténégro. Cela ne doit pas être un aspect pris en compte par ce Tribunal.
18 Ce qui doit être pris en compte, c'est le fait qu'un grand nombre des
19 accusés viennent du territoire de Bosnie-Herzégovine, et également la
20 nature de l'affaire doit être prise en compte. Compte tenu de l'état de
21 l'état de préparations des tribunaux de Bosnie-Herzégovine, nous pensons
22 qu'ils sont un lieu idéal pour ce procès.
23 Je vous demande maintenant un instant.
24 [Le conseil de l'Accusation se concerte]
25 Mme SOMERS : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, un certain nombre
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1 de questions ont été posées au sujet des témoins de la Défense. Je pense
2 que la question pourrait plus opportunément être traitée à huis clos
3 partiel. Je peux également revenir sur ce sujet plus tard si vous le
4 souhaitez.
5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Peut-être n'est-ce pas le moment
6 idéal pour discuter de ces questions qui devront être débattues à huis clos
7 partiel.
8 Y a-t-il d'autres questions que vous aimeriez évoquer en public ?
9 Mme SOMERS : [interprétation] Les préoccupations des conseils de la Défense
10 --
11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.
12 Mme SOMERS : [interprétation] Elles seront prises en compte par les
13 responsables compétents de Bosnie-Herzégovine, qui sont tout à fait
14 convaincus de la nécessité d'un procès aussi rapide que possible. Bien sûr,
15 les tribunaux de Bosnie-Herzégovine auront un certain degré de pouvoir
16 discrétionnaire. Nous pensons que leur volonté et leur capacité à juger
17 cette affaire doit être appréciée sur la base de leur bonne foi. Par
18 conséquent, ils veilleront à travailler aussi rapidement que possible;
19 cependant, la nomination rapide d'un conseil de la Défense est un des
20 éléments susceptibles de faire progresser l'affaire plus rapidement. Je
21 suis convaincue que le Greffe veillera à traiter dans le détail nécessaire
22 de cette question. Il apparaît que les éléments liés au pouvoir
23 discrétionnaire sont en faveur d'une continuité du mandat accordé aux
24 Défenseurs existants actuellement. Je pense que nos collègues de Bosnie-
25 Herzégovine s'occuperont de façon tout à fait efficace de ces questions, et
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1 qu'elles ne doivent plus être considérées s'agissant de vous comme d'un
2 problème.
3 Je pense que j'ai rapidement évoqué tous les points intéressants. Je
4 parlerai plus tard des préoccupations de nos collègues de la Défense, et je
5 demanderais l'indulgence des Juges pour reprendre la parole au moment où
6 cette question sera abordée. Bien sûr, il est possible qu'il y ait
7 également quelques questions secondaires pour lesquelles je demanderai
8 également l'autorisation de m'exprimer plus tard.
9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Madame Somers. Merci, pour cette
10 première présentation des questions en débat.
11 J'aimerais maintenant donner à la Défense la possibilité de s'exprimer. La
12 Chambre a reçu les écritures de M. Mejakic puis des trois autres conseils.
13 Je me demandais si nous pouvions nous attendre à entendre vos exposés cet
14 après-midi. Maître Simic, je pense que vous représentez les intérêts de M.
15 Mejakic, et que vous parlerez le premier.
16 M. SIMIC : [interprétation] Monsieur le Président, la Défense de tous les
17 accusés s'est entendue pour se répartir les sujets à l'ordre du jour pour
18 gagner du temps. De sorte que les propos liminaires seront présentés par Me
19 Theodore Scudder, après quoi, je prendrai moi-même la parole pour le reste
20 des débats.
21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] La Chambre vous est reconnaissante de
22 l'efficacité que vous manifestez dans le traitement des questions communes
23 à l'ensemble de vos clients.
24 Maître Scudder, je vous donne la parole pour un propos liminaire.
25 M. SCUDDER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Je m'appelle
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1 Theodore Scudder. Je représente avec Me Ivetic, M. Fustar. Me Simic a
2 annoncé que nous nous efforçons de gagner du temps en évitant toute
3 répétition par les différentes équipes de Défenseur de questions déjà
4 présentées par l'un d'entre eux.
5 Pour ma part, je ne parlerai plus particulièrement de la présente affaire
6 qui ne paraît pas la plus opportune pour un renvoi devant une autre
7 juridiction. Mme Somers a parlé de la nécessité que les quatre accusés
8 restent ensemble, mais il y a d'autres accusés qui sont jugés devant la
9 présente instance, à savoir, le TPIY pour des faits assez similaires.
10 J'aimerais, d'ailleurs, apporter d'ores et déjà une correction à ce qui a
11 été dit. Il a été dit que les accusés étaient tous nés en Bosnie. Or,
12 l'accusé Dusan Fustar est né en Serbie, et est retourné en Serbie avant de
13 se rendre au TPI. Il s'était efforcé de se rendre, grâce à des contacts
14 avec les deux gouvernements, et finalement, s'est rendu directement à des
15 représentants des Nations Unies.
16 Ce que je dis ici est peut-être contradictoire à ce qui est dit en
17 général. Je pense que les gens -- que les auteurs du Règlement pensaient
18 avant tout à une situation dans laquelle les accusés restaient ensemble
19 dans la préparation d'un procès et durant le procès. Or, ici, nous sommes
20 dans une situation assez différente. Nous sommes en présence de faits qui
21 sont présumés avoir été commis dans des lieux et à des moments différents.
22 D'abord, il y a deux camps différents. Les camps de Keraterm et d'Omarska
23 comme la Chambre le sait. Il y a déjà eu un procès qui a été appelé procès
24 Keraterm numéro 1, au cours duquel trois accusés ont été jugés. Il a donné
25 lieu à la condamnation des accusés Sikirica, Dosan et Kolundzija. Certaines
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1 des sentences avaient déjà été totalement servies avant que d'autres
2 personnes se rendent dans la même affaire, et que ne débute, par
3 conséquent, l'affaire connue sous le nom de Keraterm 2. Entre-temps, il y a
4 également une affaire Omarska en présence de cinq accusés; Kvocka, Zigic,
5 Radic et deux autres. Les faits de l'affaire sont également présents dans
6 l'affaire qui nous intéresse. Il y a eu d'autres affaires assimilées, comme
7 par exemple, le premier procès jugé par ce Tribunal, en présence de
8 l'accusé Dusko Tadic. Il y a une affaire qui est en appel. C'est l'affaire
9 Stakic. Il y a également l'affaire Banovic Predrag qui a plaidé coupable et
10 qui figure au même acte d'accusation. Il y a au moins 12 personnes qui se
11 trouvent dans une situation assez comparable. L'Accusation et l'acte
12 d'accusation modifié décrivent l'existence d'une entreprise criminelle
13 conjointe à laquelle auraient participé toutes les personnes dont je viens
14 de citer les noms. Du point de vue de la nécessité que les accusés restent
15 ensemble, nous avons déjà défini une situation dans laquelle -- qui montre
16 que ce Tribunal a eu affaire à tous ces accusés à un moment ou à un autre.
17 S'agissant des trois dernières années de préparation pour la
18 comparution de ces personnes devant ce Tribunal, cela a nécessité des
19 investissements lourds du point de vue du temps et des efforts humains
20 déployés, efforts déployés par l'Accusation et par les enquêteurs ainsi que
21 par la Défense et par les Juges de la Chambre. Par conséquent, de nombreux
22 éléments accumulés montrent que s'agissant des questions évoquées par Mme
23 Somers, à savoir, la gravité de l'infraction et l'existence d'une
24 entreprise criminelle conjointe présumée ainsi que les faits indiquant
25 l'aspect relatif de la culpabilité, non seulement, nous avons 4 personnes
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1 qui comparaissent devant la Chambre, mais également toutes les autres
2 personnes dont j'ai cité les noms, qui sont concernées.
3 Tout nouveau responsable juridique provenant d'une autre juridiction, qui
4 serait jeté dans cette affaire, se trouverait confronté à des documents
5 très nombreux, qui constituent les pièces à conviction ainsi que des
6 documents de contexte qu'il faudra digérer et travailler. Réellement, au
7 point où nous en sommes, je pense que ce serait pratiquement impossible. Je
8 parle sur la base de mon expérience en tant que juriste, métier que
9 j'exerce depuis 40 ans, y compris 10 ans en tant que procureur aux Etats-
10 Unis et un certain nombre d'années en tant que conseil de la Défense - je
11 pense qu'il est très difficile pour un avocat, qu'il travaille du côté de
12 la Défense ou de l'Accusation, de prendre une affaire en marche, alors que
13 d'autres personnes y ont travaillé auparavant qui la connaissent, de fond
14 en comble. Devant quelque tribunal que ce soit, un changement de personnel
15 constitue un inconvénient important, sans parler de l'inconvénient pour les
16 accusés, qui se trouvent devant un nouveau Tribunal et devant de nouveaux
17 éléments de preuve.
18 Trois des quatre accusés qui comparaissent devant cette Chambre se sont
19 rendus, au titre de l'Article 11, après modification de cette Article, car
20 il y a eu trois modifications de cette Article avant sa formulation
21 actuelle. Cela a déjà été dit. Nous avons appris de la bouche de Florence
22 Hartmann et de la part du bureau du Procureur que l'Accusation estime que
23 les accusés se sont rendus eux-mêmes et notamment, lorsqu'ils l'ont fait
24 rapidement à un stade assez préliminaire, comme cela est le cas en
25 l'espèce. Ceci devrait avoir des conséquences, à mon avis. D'abord, il y a
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1 un problème de cohérence qui se pose parce que, si la présente affaire est
2 renvoyée devant une autre instance, nous en arriverons à une situation où
3 les crimes qui ont été invoqués, ici, donneront lieu à des jugements qui
4 risquent d'être assez différents de ceux qui ont déjà été prononcés par les
5 Chambres du TPIY puisqu'ils seront prononcés par une Chambre différente,
6 avec un personnel différent et qui fonctionne en un lieu différent. La
7 possibilité existera qu'on trouve des contradictions entre deux jugements,
8 ce qui rendra le travail encore plus difficile, s'agissant du renvoi
9 d'autres affaires, à l'avenir, devant une autre juridiction.
10 Il y a également le problème de l'économie judiciaire qui se pose.
11 J'ai déjà dit combien de temps avait été consacré, au début de cette
12 affaire. Je crois qu'il y a un an, l'affaire était prête pour un début de
13 procès. Maintenant qu'il est question d'une nouvelle juridiction, il faudra
14 reproduire pas mal de travail déjà accompli. Je prendrais l'exemple qui
15 illustrera mon propos de l'affaire Stakic, qui est en appel actuellement et
16 qui fait l'objet d'une candidature pour renvoi devant une autre juridiction
17 en application du Règlement. Il est possible que, dans l'affaire Stakic,
18 une décision de renvoi soit prononcée --
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Scudder, je vous demande de
20 ralentir pour les interprètes, qui ont du mal à vous suivre.
21 M. SCUDDER : [interprétation] Très bien. Mais j'essayais d'en finir au plus
22 vite. Ce que je disais, c'est que des décisions portant sur un certain
23 nombre de faits et rendus par deux tribunaux différents, peuvent poser des
24 problèmes et qu'il peut se poser également un problème d'économie
25 judiciaire et ce qui est encore plus important, de cohérence entre les
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1 décisions rendues au titre de l'Article 11, tant du point de vue de la
2 sévérité du verdict, liée à gravité du crime, puisque la nouvelle instance
3 pourrait avoir un avis différent sur la gravité de l'infraction et sur la
4 sévérité du verdict à prononcer contre les accusés déclarés coupables. Le
5 TPIY a déjà jugé un certain nombre de personnes impliquées dans les
6 affaires Keraterm et Omarska, au cours des événements qui intéressent
7 également notre affaire; donc, l'Accusation et la Défense ont une idée
8 assez précise de la relativité de la culpabilité de ces personnes. Je
9 dirais qu'à mon avis, au moins deux des personnes qui comparaissent ici ont
10 participé aux efforts déployés pour régler les éléments factuels de cette
11 affaire, ce que savent, bien entendu, l'Accusation et la Défense et qui a
12 une incidence sur la culpabilité relative des crimes qui leur sont imputés
13 en fonction des éléments de preuve disponibles.
14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je relis les dernières lignes. Vous
15 parlez d'efforts déployés. Nous tenons, bien sûr, à ce que vous nous
16 fassiez part de tout renseignement dont vous pourriez disposer, à cet
17 égard. Nous vous entendrons, ultérieurement, du côté de l'Accusation, bien
18 entendu.
19 Maître Simic, à présent, vous êtes le deuxième conseil de la Défense qui
20 prendra la parole devant cette Chambre, aujourd'hui.
21 M. SIMIC : [interprétation] Nous pensons qu'il faudrait qu'on voit si les
22 conditions pour un procès juste et équitable sont remplies ou pas.
23 La Défense a voulu qu'on réponde à certaines normes, parce qu'elle estime
24 qu'il faudrait qu'elle soit assurée. Il s'agit, ici, d'indiquer, en bref,
25 ce qui suit. Il ne faudrait pas que nous nous conformions juste à des
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1 raisons financières ou politiques pour savoir si l'affaire doit être
2 renvoyée ou pas. Il faudrait d'abord que nous prenions en considération la
3 nécessité d'avoir un procès juste et équitable et les autres conditions
4 prévues au 11 bis et la décision des Juges de la Chambre devrait se fonder
5 sur la loi pénale en matière de procédure qui devra être appliquée.
6 La condition principale pour ce qui est d'avoir application du 11 bis,
7 c'est d'avoir un procès équitable. Le pacte relatif aux droits politiques
8 et droits de l'homme et les provisions de l'Article 14 requiert toute une
9 série de conditions pour que l'on puisse qualifier un procès de juste et
10 équitable. La défense ne se propose pas de citer, ici, tous les éléments,
11 mais de préciser quelques éléments qui indiquent que le problème se pose de
12 savoir, effectivement, si un procès juste et équitable sera tenu. D'abord,
13 il s'agit de savoir si le tribunal sera impartial et autonome. Il est
14 difficile de parler, ici, d'un tribunal autonome, à même de ne pas
15 succomber à des pressions nombreuses.
16 Nous avons vu, ici, la pratique judiciaire américaine indiquant que bon
17 nombre de procès, au centre de l'attention de l'opinion publique, qui sont
18 délogés, qui sont déménagés vers la compétence d'autres tribunaux, que
19 c'est le cas de l'affaire Lockerbie qui a été déplacée ou transféré,
20 renvoyée, ici, aux Pays-Bas, pour qu'on puisse fonctionner sans pression.
21 Il y a la Résolution 955 du conseil de Sécurité des Nations Unies qui dit
22 qu'il ne saurait être tenu un procès aux Pays-Bas dans une autre affaire et
23 cela a été transférée vers un autre pays.
24 Il faudrait que les personnes impliquées ne soient pas confondues avec la
25 situation dans laquelle on évolue. Il faudrait, d'abord, qu'on parle de la
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1 région où le procès est censé se tenir. La Bosnie-Herzégovine demeure une
2 région à risque élevé. La résolution du conseil de Sécurité et du
3 département de l'Etat américain dit qu'il prévoit, à l'intention de ses
4 citoyens, de ne pas se déplacer vers la Bosnie-Herzégovine sans nécessité
5 absolue. Dix ans après la guerre, la situation dit que les conditions ne
6 sont pas réunies pour ce qui est du retrait des forces des Nations Unies.
7 En Bosnie-Herzégovine, le poste-clé est occupé par M. Paddy Ashdown qui est
8 le représentant des Nations Unies, là-bas et qui a la possibilité
9 d'interdire à certaines personnes de vaquer à des occupations politiques et
10 à des fonctions publiques.
11 A titre d'exemple, je dirais que M. Dragan Coric et Monsieur le Président
12 du Tribunal, Mate Tadic, se sont organisés pour des charges ou des chefs
13 d'accusation relatifs aux crimes organisés. Il y a des procès relatifs à
14 des abus de fonction, et communication, divulgation de secrets
15 professionnels et secrets d'Etat. Il y a aussi des activités de groupes
16 terroristes, des liens avec des organisations terroristes.
17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Simic, pensez-vous vraiment
18 qu'il serait utile, pour la Chambre, d'entendre tous les problèmes et
19 toutes les carences d'un Etat quelconque qui serait impliqué ou qui
20 pourrait être impliqué pour ce qui est du renvoi d'une affaire, à l'avenir.
21 Peut-être allons-nous avoir un procès qui pourrait être renvoyé à la
22 justice de la Serbie-et-Monténégro ? Pensez-vous qu'il serait utile en ce
23 qui nous concerne d'entendre quelles sont toutes les carences et les
24 problèmes qui existent au niveau de certains gouvernements, sociétés, de
25 certaines économies et ainsi de suite ? Pensez-vous qu'il s'agisse
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1 d'éléments aussi importants que cela à prendre en considération pour
2 considérer qu'un procès serait à même d'être juste et équitable ? Vous
3 venez de dire, par exemple, que le département d'Etat a recommandé de ne
4 pas voyager en Bosnie-Herzégovine parce que ce n'était pas un endroit des
5 plus sûrs. Vous attendez-vous à ce que nous procédions à des comparaisons,
6 au niveau des recommandations faites par d'autres gouvernements, à
7 l'intention de leurs propres ressortissants ? Ne pensez-vous pas qu'on
8 aille quelque peu trop loin pour ce qui est de décider de la possibilité
9 d'avoir un procès équitable ? Je peux vous indiquer qu'il est bon nombre
10 d'Etats, en ce monde, où des responsables officiels du gouvernement sont
11 impliqués dans des affaires de pots-de-vin, de corruption, mais cela ne
12 signifie pas que les Etats concernés doivent forcément être disqualifiés, à
13 priori. Il se peut qu'il y ait dans le pays, en question, un bon système
14 juridique et légal. Je voudrais seulement me poser la question de savoir
15 dans quelle mesure cela se trouve être pertinent. Je vous demande de garder
16 cela à l'esprit. Veuillez continuer.
17 M. SIMIC : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.
18 L'idée de la Défense avait été d'indiquer que certaines situations
19 pourraient être pertinentes et à notre avis, il faudrait que les Juges de
20 la Chambre en aient connaissance pour ce qui est de savoir si les tribunaux
21 en Bosnie-Herzégovine, puisqu'on parle d'eux, à présent, et savoir s'ils
22 sont à même de fonctionner sans succomber à des pressions.
23 En Bosnie-Herzégovine, il y a une intolérance ethnique, politique et
24 religieuse très manifeste. Cela a été constaté par la commission chargée
25 des droits de l'homme. Il y a une commission qui est chargée de l'étude du
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1 procès d'Omarska en Bosnie-Herzégovine, il ne faut pas oublier que le camp
2 d'Omarska a été le camp le plus médiatiquement exploité devant ce Tribunal.
3 Partant de cette propagande médiatique Omarska et Vukovar, il y a eu
4 création de ce Tribunal avant le délai qu'on avait prévu initialement.
5 S'agissant des parties en présence dans ce procès, il a été déclaré qu'il
6 serait difficile de découvrir une personne quelconque qui n'aurait pas
7 souffert des conséquences de ce conflit en Bosnie-Herzégovine.
8 S'agissant de cette nécessité, il n'est pas toujours recommandable de juger
9 les gens là où les crimes ont été perpétrés. Nous avons eu le cas du Rwanda
10 et la Défense tient à préciser la présence d'une appréhension pour ce qui
11 est de juger les personnes dans les pays où les crimes ont été perpétrés
12 risqueraient de mettre en péril l'équité, étant donné les pressions
13 auxquelles peuvent être soumis les témoins, les personnes impliquées et
14 peut-être même le Tribunal, également. Les accusés ont, d'autre part, droit
15 à un procès dans un délai raisonnable.
16 Le Juge Robinson a constaté que la Chambre de première instance était prête
17 à entamer le procès et ce, partant du fait que l'Accusation et la Défense
18 se sont mises d'accord sur cet élément-là. L'Accusation a estimé qu'il lui
19 faudrait quatre à six semaines pour préparer le début de l'affaire et la
20 Défense pense ne pas avoir besoin d'un délai plus long. Serait-il juste de
21 prolonger davantage encore le délai d'attente de ces accusés qui attendent
22 à l'unité de détention depuis deux à quatre ans.
23 Ce qui indique la possibilité d'avoir un procès dans un délai assez rapide,
24 ce sont notamment les dispositions de la législation en Bosnie-Herzégovine.
25 D'abord, l'acte d'accusation a accepté par le TPIY devrait être adapté à la
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1 législation de la Bosnie-Herzégovine. Cela signifierait, par voie de
2 conséquent, que les délais seraient reportés et il n'y a pas, pour ce qui
3 est de la Bosnie-Herzégovine, délimitation pour le bureau du Procureur, à
4 savoir le ministère public, d'élargir l'acte d'accusation, à d'autres
5 accusés, à d'autres personnes, notamment, du fait qu'il y avait plusieurs
6 accusés à l'acte d'accusation. Ils étaient initialement six. A la
7 présentation de certains éléments de preuve, sans autorisation particulière
8 de la part du Tribunal, le ministère public serait à même d'élargir l'acte
9 d'accusation au niveau des chefs reprochés aux accusés. Tout ceci risque
10 d'influer sur des prorogations déraisonnables des délais. A notre avis,
11 cela risquerait de remettre, à bien plus tard, la tenue du procès avec, en
12 plus, les mesures de détention provisoire, ce qui signifierait que les
13 accusés risquent d'attendre un an ou un an et demi rien que leur transfert
14 vers une unité de détention autre.
15 La question soulevée par l'Accusation, tout à l'heure, est une question à
16 laquelle nous voudrions nous référer. D'abord, en matière de barreau, en
17 Bosnie-Herzégovine, on ne saurait admettre que quelqu'un défende un client
18 s'il n'est pas originaire de Bosnie-Herzégovine. On peut autoriser, par
19 exemple, des conseils étrangers à défendre si ceux-ci ne sont pas
20 ressortissants.
21 Si, en matière de droit applicable, il n'y a pas possibilité pour un avocat
22 de défendre quelqu'un s'il ne fait pas partie du barreau de Bosnie-
23 Herzégovine, la question qui se pose est celle de l'égalité en droit et de
24 la possibilité d'avoir un procès juste et équitable, au cas où l'accusé se
25 trouve dépourvu de son avocat ou encore, si quelque doit reprendre la
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1 Défense et cela risque de nous voir durer cette situation plus d'un an ou
2 un an et demi. Le budget attribué au conseil de la Défense, dans la
3 législation de Bosnie-Herzégovine, ne prévoit pas de fonds à l'intention
4 des avocats.
5 Compte tenu de tous ces éléments, le bureau du Procureur nous a fait
6 savoir qu'ils sont disposés à nous communiquer encore quelques 200 kilos de
7 documents relatifs à des fosses communes, cela fait quelques 100 classeurs.
8 Ce qui fait que la question qui se pose, ici, c'est de savoir si les
9 accusés ici présents pourraient avoir un conseil de la Défense ou voir si
10 la nomination de nouveaux conseils de la Défense risquerait de remettre à
11 plus tard le début du procès. La Défense est d'avis que cela risque fort
12 bien d'être le cas.
13 Maintenant, pour ce qui est de l'audition des témoins et la
14 possibilité de les acheminer devant le Tribunal par l'Accusation et par la
15 Défense sous les mêmes conditions, le droit d'interroger un témoin de
16 l'Accusation est très restrictif en application de la législation de
17 Bosnie-Herzégovine et les Tribunaux de Bosnie-Herzégovine peuvent adopter
18 un constat judiciaire et ceci, en dépit du fait qu'il y ait une décision,
19 de la part du Juge Robinson de ce Tribunal-ci, qui dit que les constats
20 judiciaires ne sauraient être repris, à moins que de parler du contexte
21 historique et ceci notamment, pour ce qui est des périodes antérieures à la
22 Deuxième guerre mondiale.
23 La possibilité de procéder à une défense en bonne et due forme est
24 devenue très problématique étant donné que la législation de Bosnie-
25 Herzégovine ne prévoie bon nombre de choses. J'ai assisté à des
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1 consultations où M. Usevic [phon], un conseil de la Défense a annoncé plus
2 de 1 200 actes d'accusation avec plusieurs centaines d'accusés. Cela fait
3 qu'à la lumière du fait que l'Accusation a, à plusieurs reprises, entendu
4 des témoins de cette défense-ci et les a caractérisés de suspect, ceci
5 risque de créer obstacle à tous les conseils de la Défense pour ce qui est
6 de faire venir quiconque en guise de témoins, à Sarajevo, au cas où le
7 procès se tiendrait là-bas.
8 A la lumière des questions ou du volet sécurité, je dirais que les
9 gens ne sont pas sûrs. Je dirais en termes simples que les témoins ne
10 prêtent pas foi à la possibilité d'être protégés et aux mesures de
11 protection. Le collègue qui défend l'accusé Stankovic dira des
12 renseignements pour ce qui est des omissions graves déjà commises à ce
13 niveau-là.
14 La position des conseils de la Défense est celle de dire que les
15 Juges de la Chambre devraient s'assurer de ces éléments. J'espère que les
16 représentants de la Bosnie-Herzégovine ne prendront pas ces affirmations à
17 titre personnel. Il s'agit d'abord d'assurer des possibilités de tenir un
18 procès juste et équitable, et voir ensuite si les conditions d'un renvoi en
19 application des dispositions du
20 11 bis sont réunies ou pas.
21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Simic, avant que de continuer,
22 j'ai une question brève à vous poser. Vous avez, en effet, indiqué que le
23 fait de garder les accusés dans une unité de détention risque de s'avérer
24 pire encore, parce qu'il faudrait un an ou un an et demi avant que de voir
25 la possibilité de démarrer un procès à Sarajevo. Je crois qu'il y a un
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1 problème de traduction, non ? Vous entendez mes propos ? Est-ce que vous
2 êtes sur le bon canal ?
3 M. SIMIC : [interprétation] Je ne reçois pas d'interprétation.
4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.
5 Monsieur l'Huissier, peut-être pourriez-vous lui venir en aide ?
6 M. SIMIC : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président de la
7 Chambre, je n'ai pas d'interprétation dans mes écouteurs. Maintenant,
8 j'entends.
9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je crois que le problème est résolu.
10 Monsieur Simic, j'ai une question très brève pour vous. Vous avez
11 fait allusion à un délai supplémentaire au cas où il y aurait renvoi de
12 l'affaire à Sarajevo. Vous avez parlé d'un an, un an et demi avant que de
13 voir le début du procès se faire, ou avoir lieu. Cela, à votre avis, serait
14 inacceptable. Que diriez-vous de l'information que nous avons obtenue pour
15 ce qui est de la durée maximum de la détention préalable au procès ? Je
16 crois avoir compris que vous avez parlé d'un an et demi. Or, l'information
17 qui m'a été communiquée pour ce qui est de la détention provisoire avant le
18 procès, est limitée à un délai nettement inférieur.
19 M. SIMIC : [interprétation] Il est prévu un maximum d'un an, mais à compter
20 du transfert à Sarajevo, il peut y avoir une détention d'un an en
21 application de la législation de la Bosnie-Herzégovine. On ne saurait
22 compter ou prendre en considération le temps passé ici en détention au
23 niveau du Tribunal. Ce temps de détention ne serait pas pris en compte. A
24 compter de la date du transfert des accusés, si je suis bien informé, et je
25 m'excuse si ce n'est pas le cas, à compter de cette date-là, la détention
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1 risquerait de durer encore un an.
2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que j'ai été informé
3 correctement ? Parce que d'après ce que je crois avoir obtenu comme
4 information, ce serait six mois de détention avant le procès et le délai du
5 procès serait d'un an. C'est là ce que j'ai compris des écritures de la
6 part du gouvernement. Peut-être avez-vous une autre interprétation.
7 M. SIMIC : [interprétation] Je n'ai pas une autre interprétation. Nous
8 n'avons pas reçu les écritures de la part du gouvernement de Bosnie-
9 Herzégovine, et nous ne pouvons pas nous prononcer. C'est ce que nous avons
10 pu retrouver comme information à notre niveau s'agissant de la législation
11 que l'on a retrouvée sur Internet, ou alors en passant par le biais de
12 certains amis et membres de nos familles respectives résidant à Sarajevo.
13 Il se peut qu'il y ait erreur de notre part, et peut-être les représentants
14 du gouvernement de Bosnie-Herzégovine pourraient tirer la question au
15 clair. Notre confrère Mlle Nedic a travaillé sur cette question. Elle peut
16 s'exprimer.
17 Mme NEDIC : [interprétation] Si les Juges de la Chambre le
18 permettent ?
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je veux bien, mais c'est vous qui
20 avez touché à ce sujet. Donnez-moi une seconde, je vous prie.
21 [La Chambre de première instance et le Juriste se concertent]
22 [La Chambre de première instance se concerte]
23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame Nedic, peut-être vouliez-vous
24 vous adresser à nous, ou peut-être n'est-ce pas le cas. Toujours est-il, si
25 vous voulez prendre la parole, allez-y.
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1 Mme NEDIC : [interprétation] Je voulais dire que ces six mois de période
2 d'enquête, compte tenu de la gravité de l'acte reproché, et il y a un an de
3 délai pour le prononcé d'une sentence en première instance -- le jugement
4 en première instance à compté du début du procès. C'est vu la raison pour
5 laquelle mon confrère a parlé d'un délai d'un an.
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Il s'est référé à un délai d'un an
7 et demi de détention provisoire avant le début du procès; ce qui est tout à
8 fait autre chose.
9 L'aspect suivant qui sera exposé, lequel des conseils prendra la
10 parole maintenant ?
11 M. LUKIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Lukic, à vous.
13 M. LUKIC : [interprétation] L'aspect suivant que nous devrions traiter est
14 mentionné au paragraphe 2 des écritures de l'Accusation; écriture datée du
15 21 février 2005. Cela concerne la question de la réextradition, à savoir,
16 un renvoi tel que qualifié ici au Tribunal.
17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Allez-y.
18 M. LUKIC : [interprétation] Il est à plusieurs documents que je voudrait
19 évoquer ici. Si besoin est, nous pouvons faire des copies à l'attention des
20 parties en présence d'ici demain. Tous ces documents seront disponibles sur
21 Internet. Je crois que les Juges de la Chambre sont certainement au courant
22 de ces questions parce qu'il est question d'autres affaires en cours.
23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, allez-y.
24 M. LUKIC : [interprétation] Comme on l'a déjà mentionné ici, les quatre
25 accusés ici présent, se sont rendus de leur plein gré à ce Tribunal. Deux
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1 d'entre eux sont arrivés de Serbie-et-Monténégro, voire de la Yougoslavie
2 tel que se trouve être le nom de ce pays à l'époque. Certains se sont
3 directement rendus aux représentants des Nations Unies. L'un d'entre eux,
4 quoique résidant à l'époque en Serbie-et-Monténégro, s'est rendu aux
5 autorités de la Republika Srpska en Bosnie-Herzégovine.
6 L'Accusation, a aujourd'hui mentionné, le fait que l'appartenance
7 nationale, à savoir, la nationalité, ne devrait pas être un élément à
8 prendre en considération par ce Tribunal; chose qui est dite en page 8 et
9 ligne 13. Il se trouve que nous sommes, de notre côté d'un avis tout à fait
10 opposé. Ce transfèrement, ou ce transfert à nouveau, ou plutôt cette
11 réextradition vers la Bosnie-Herzégovine est une chose à laquelle le
12 gouvernement de la Serbie-et-Monténégro s'opposera, du moins, je l'espère.
13 Parce que cela serait en contravention, et ce serait contraire aux normes
14 existantes du droit international coutumier, qui requiert un consentement
15 au cas où il devrait y avoir réextradition, auquel cas il faudrait
16 l'approbation de l'Etat qui a initialement procédé à l'extradition
17 première.
18 L'un des exemples dont nous parlons ici est ce modèle de traité
19 inter-états relatif aux extraditions adopté par l'assemblée générale,
20 Résolution 45/16 datée du 14 décembre 1990, adoptée par l'assemblée
21 générale des Nations Unies. Dans l'Article 14 de ce traité, ce modèle de
22 traité est relatif aux extraditions, on dit : "Une personne dont
23 l'extradition a déjà été faite vers un pays tiers, ne saurait être extradée
24 une fois de plus, à moins qu'il y ait approbation du pays qui a procédé à
25 l'extradition première."
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1 Nous n'ignorons pas le fait que le transfert des accusés vers le TPIY,
2 n'est pas considéré comme étant une extradition véritable, mais comme un
3 transfert. Nous estimons que cette règle relative à cette double
4 extradition, devrait, en ce cas-ci, être en l'occurrence, être mise en
5 application. A notre avis, à notre humble avis, c'est un principe
6 universellement accepté, qui devrait être mis en œuvre dans ce secteur-là,
7 ou dans ce volet-là du droit international. Il y a bon nombre de traités
8 bipartites, entre états, qui réglementent cette question également.
9 J'aimerais à présent attirer votre attention sur la convention européenne
10 relative aux extraditions, qui est datée du 13 décembre 1957. A l'Article
11 15 de celle-ci, il est dit ce qui suit : "La partie requérante ne procédera
12 pas sans le consentement de la partie requise au renvoi d'un accusé ou
13 d'une personne vers un Etat tiers."
14 Nous estimons que cette convention prend la même position, qui est celle
15 adoptée par le modèle de traité relatif aux extraditions, adopté par
16 l'assemblée générale des Nations Unies, y compris les Règlements de ce
17 Tribunal, de ce Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. Il est
18 dit que l'on réglemente seulement le transfert vers ce Tribunal et non pas
19 à partir de ce Tribunal pour un renvoi ailleurs. Je me réfère notamment à
20 l'Article 58 du Règlement de procédure et de preuve ainsi qu'à l'Article 29
21 des statuts de ce Tribunal, qui traite de la même question.
22 Avec votre autorisation, je me propose de passer au volet suivant.
23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, allez-y.
24 M. LUKIC : [interprétation] Certes.
25 Les règles qui se rapportent au retransfert, ou à la réextradition sans
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1 l'approbation de l'Etat qui a procédé au transfert premier de certaines
2 personnes au Tribunal international, se trouvent à être réglementées par
3 les traités entre états signés par les Etats-Unis et l'Inde, le Sri Lanka,
4 le Royaume-Uni et l'Afrique du Sud. L'une des provisions typiques qui y
5 figure dit ce qui suit, s'énonce comme suit : "Lorsqu'une personne est
6 renvoyée vers un Etat qui requiert l'accusé en question, l'Etat requérant
7 ne transférera pas cette personne à un Etat tiers, voire à un Tribunal
8 international, à moins qu'il n'y ait consentement de l'Etat requis en
9 premier lieu."
10 Le présent Tribunal doit avoir à l'esprit qu'en procédant d'une façon
11 autre, il est créé des normes nouvelles qui risqueraient d'être appliquées
12 aux Etats-Unis un jour ou l'autre ou à d'autres pays en application de ses
13 traités. La constitution de la République fédérale de Yougoslavie de
14 l'époque, voire de la Serbie-et-Monténégro aujourd'hui, à l'Article 17, dit
15 ce qui suit : "Un ressortissant yougoslave ne saurait être privé de sa
16 nationalité, de sa citoyenneté. Il ne saurait être déporté vers un autre
17 pays, et ne saurait être extradé vers un autre pays."
18 C'est la pratique commune bien établie dans pas mal de constitutions des
19 pays de tradition romano-germanique, qui interdit l'extradition vers un
20 autre pays de ses propres ressortissants. A notre humble opinion, nous
21 estimons que l'extradition vers un autre Etat, porterait atteinte à la
22 bonne utilisation de ce Tribunal qui essaie d'encourager les états tels que
23 la Serbie-et-Monténégro de remettre ses propres ressortissants à ce
24 Tribunal. Nous estimons également que cela constituerait une violation du
25 climat de confiance qu'anime la Serbie-et-Monténégro par rapport à ce
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1 Tribunal. Cela pourra causer des problèmes à l'avenir, au moment où il y
2 aura des personnes qui se rendront volontairement, ou qui seront arrêtées
3 en Serbie-et-Monténégro, et amenées devant ce Tribunal.
4 Mon éminent collègue, Me Simic, vous a déjà parlé du lien entre l'équité du
5 procès et la réextradition. Je voudrais revenir à la question de l'équité
6 du procès. Un procès équitable, c'est quelque chose qui est prévu par la
7 Règle 11 bis, article du Règlement de ce Tribunal, qui prévoit, je vous le
8 rappelle, que : "La Chambre de première instance peut ordonner ce renvoi
9 d'office ou sur demande du Procureur, après avoir donné la possibilité au
10 Procureur, et le cas échéant, à l'accusé, d'être entendu, et après s'être
11 assurée que l'accusé bénéficiera d'un procès équitable."
12 Très fréquemment, on a pu reconnaître dans les cercles internationaux et
13 nationaux, que le Tribunal ne doit pas nécessairement se tenir aux lieux où
14 les crimes ont été commis, plus particulièrement lorsque les droits d'un
15 accusé à un procès équitable sont en cause. Nous avons des exemples sur le
16 plan national et international de ce type de situation. Mon éminent
17 collègue Me Simic a également parlé de la création du tribunal pénal pour
18 le Rwanda. Dans le rapport du 13 février 1995, le secrétaire général, au
19 paragraphe 42, a déclaré que : "Bien que la nature internationale du
20 tribunal pour le Rwanda constitue une garantie de respect des procédures et
21 d'équité, il s'avère nécessaire d'assurer non seulement la réalité, mais
22 également l'apparence d'une complète objectivité, impartialité, dans la
23 poursuite des personnes responsables de crimes commis par les deux parties
24 au conflit. La justice et l'équité, dès lors, dictent que les procédures se
25 tiennent en territoire neutre."
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1 Comme je l'ai dit, c'est bien ce qui figure dans un rapport rédigé
2 par le secrétaire général des Etats-Unis. Nous comprenons qu'il y a une
3 stratégie d'achèvement de ce Tribunal. Comme l'équipe de la Défense l'a
4 déjà dit, ceci ne saurait constituer la question primordiale au cours de
5 cette audience.
6 Mon éminent collègue a également parlé du procès de Lockerbie
7 impliquant deux Libyens. Nous avons également eu un document de l'ONU à ce
8 sujet, émanant du conseil de Sécurité de l'ONU. Il s'agit d'un document
9 S198/8 du 29 août 1998, qui salue les initiatives communes du Royaume-Uni
10 et des Etats-Unis, l'initiative des Pays-Bas de bien vouloir accueillir ces
11 audiences en territoire neutre.
12 Nous avons des exemples internationaux, tu viens d'en parler, mais
13 également des exemples nationaux, exemples où des juridictions nationales
14 ont disposé qu'étant donné la gravité de la question, un procès peut être
15 transféré d'une région d'un même Etat vers une autre région dudit Etat. Par
16 exemple - je prends cet exemple-là qui est assez facile puisqu'il est
17 facile d'avoir des références juridiques des Etats-Unis - vous avez la
18 règle 21 de la loi fédérale américaine qui prévoit que : "A la demande de
19 l'accusé, la Cour est obligée de transférer les procédures contre l'accusé
20 à un autre district si la Cour s'assure qu'il y aurait préjudice contre cet
21 accusé et que dès lors, dans ce district, l'accusé ne pourrait jouir d'un
22 procès équitable."
23 (B) : "A des fins de facilité et à la demande de l'accusé, la Cour peut
24 transférer la procédure de l'un ou l'autre chef pesant contre cet accusé
25 pour la facilité de l'accusé et des parties, et ceci dans l'intérêt de la
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1 justice."
2 Enfin et surtout, une législation de la Bosnie concernant une loi de la
3 Fédération de Bosnie-Herzégovine qui contient également une partie
4 concernant le changement de lieu par rapport à ce lieu où le crime a été
5 commis "s'il y a des motifs importants qui le justifie", c'est dans
6 l'Article 3(5) que nous trouvons cette référence.
7 Dès lors, nous estimons que cette affaire ne saurait être transférée ou
8 faire l'objet d'une réextradition vers un autre Etat, celui de la Bosnie-
9 Herzégovine sans avoir obtenu le consentement de la Serbie-et-Monténégro.
10 Si cela était obtenu, nous estimons que les accusés ne pourraient attendre
11 un procès équitable devant une cour quelle qu'elle soit en Bosnie-
12 Herzégovine.
13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie.
14 Je voudrais poser vous poser une question, Maître Lukic. Vous nous aviez
15 promis que vous alliez nous expliquer pourquoi le fait de se rendre au
16 Tribunal équivaudrait une extradition, vous vous êtes fondé à pas mal de
17 dispositions conventionnelles, précisant que l'extradition n'est possible
18 que dans un certain nombre de conditions, consentement de l'Etat ou
19 écoulement d'un certain délai, mais est-ce que vous avez le moindre
20 fondement pour justifier que lorsque quelqu'un se rend volontairement, s'il
21 n'est pas remis dans les mains du tribunal par les forces de l'Etat, ce qui
22 est tout de même une des caractéristiques essentielles de l'extradition,
23 alors, moi, si j'habite en Allemagne et que la Belgique demande mon
24 extradition, même si je sais que je pourrais faire l'objet d'une
25 arrestation, le lendemain, si je dis, non, je veux être jugé en Belgique et
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1 je me rends en Belgique et je ne vais pas attendre d'être arrêté et que par
2 la force et qu'après certaines procédures, d'un coup, je sois envoyé en
3 Belgique, est-ce que vous avez le moindre argument pour expliquer les
4 clauses en matière de réextradition s'appliqueraient, alors qu'il n'y a pas
5 eu d'extradition formelle.
6 M. LUKIC : [interprétation] Comme je vous l'ai dit, nous savons que ce
7 transfert devant le Tribunal ne constitue pas formellement une extradition
8 --
9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous interromps. Le transfert devant
10 le Tribunal, là, je comprends, vous êtes envoyé là par l'exercice de la
11 force d'un Etat et que l'Etat est obligé; c'est le chapitre 7 de la charte
12 de l'ONU pour le Tribunal et l'Article 29 de notre Statut, donc l'Etat est
13 obligé d'arrêter les personnes que le Tribunal demande d'arrêter et de nous
14 les remettre. Là, je suis assez d'accord avec vous pour dire que l'une des
15 caractéristiques essentielles de l'extradition, c'est le recours de la
16 force de la part d'un Etat pour envoyer quelqu'un devant une autre
17 juridiction, aux fins d'un procès ou pour purger une peine. Cela ressemble
18 d'assez près à une extradition, même si cela porte un autre nom.
19 Si vous vous attendez à être arrêté, si vous vous attendez que ce soit au
20 niveau des obligations conventionnelles ou de la charte chapitre 7, si vous
21 vous attendez à une arrestation et qu'à ce moment-là, vous vous dites je
22 vais me rendre, je vais partir à La Haye et je viens volontairement parce
23 que cela fait partie de la position que vous avez prise également, est-ce
24 que, là aussi, à vos yeux, cela équivaut à une extradition ?
25 M. LUKIC : [interprétation] Messieurs les Juges, je ne sais pas si vous
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1 connaissez bien le fait de se rendre volontairement, mais vous savez, à un
2 moment donné, l'enquêteur leur met sur l'épaule, il leur dit, écoutez, à
3 partir de maintenant, vous êtes arrêtés. Alors, se rendre volontairement,
4 mais il faut quand même l'objet d'une arrestation, en quelque sorte. Ils
5 sont arrêtés par l'enquêteur du bureau du Procureur. Même s'ils se rendent
6 volontairement, ils font l'objet d'une arrestation. J'espère que vous
7 n'allez pas tenir compte ou n'utiliser contre nos clients le fait qu'ils se
8 soient rendus volontairement.
9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous savez la différence est souvent
10 utilisée dans les audiences fixant les peines --
11 M. LUKIC : [interprétation] Oui, mais enfin --
12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] -- nous entendons venant de l'Accusation
13 --
14 M. LUKIC : [interprétation] Une chose à ajouter.
15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.
16 M. LUKIC : [interprétation] Ils ont tous été mis en détention par la
17 Yougoslavie. Alors ceux qui se rendent volontairement sont sujets à
18 détention.
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] D'accord. Nous sommes peut-être --
20 M. LUKIC : [interprétation] Il y a des décisions formelles qui ont été
21 prises, à cet égard, pour chacun d'entre eux.
22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ce que vous dites, ce n'est pas
23 volontaire, à ce moment-là.
24 M. LUKIC : [interprétation] C'est volontaire, mais cela dépend de
25 l'autorité de l'Etat. A un moment donné, ils devront les mettre en
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1 détention et les transférer devant le TPIY.
2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien.
3 A qui est-ce que je donne la parole pour parler à la Chambre ?
4 M. ZIVANOVIC : [interprétation] Messieurs les Juges, je vais vous parler de
5 la notion de gravité des crimes dont M. Zeljko Mejakic est accusé et vous y
6 parlez également de son rang, étant donné que ce sont des éléments qui
7 étaient essentiels pour évaluer ou apprécier cette demande de renvoi.
8 D'après nous, je crois que nous devons nous fonder sur le Chef d'accusation
9 15 de l'acte d'accusation consolidé, selon lequel les passages à tabac et
10 autres délits ou formes de mauvais traitements, y compris des voies de fait
11 sexuelles étaient assez communes dans le camp d'Omarska; et que les gardes
12 et les visiteurs qui se rendaient fréquemment dans ce camp utilisaient
13 toute sorte d'armes et d'instruments pour battre ou pour abuser des
14 détenus. Dans cet acte d'accusation, des centaines de détenus connus ou
15 inconnus n'ont pas survécu. C'est pourquoi la première question qui se pose
16 est de savoir si de tels actes constituent un crime grave, à condition que
17 ces allégations soient vraies - cependant, pour le moment, nous ne sommes
18 qu'en train de traiter des chefs d'accusation repris dans l'acte
19 d'accusation - et la question est de savoir si ceci justifie une
20 extradition ou un renvoi au titre de la Règle 11 bis (C).
21 Je répondrai, également, à la position prise par l'Accusation. Mon éminent
22 collègue a dit qu'il s'agissait de crimes très graves dont on fait état
23 dans l'acte d'accusation; cependant, ces crimes tombent tout de même sous
24 le coup de l'Article 11 bis. A notre esprit, il s'agit d'une contradiction.
25 Si ces crimes sont si graves, ils ne seraient, dès lors, tombés sous le
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1 coup de la catégorie des crimes dont il fait état à la Règle 11 bis (C). La
2 Défense souhaite rappeler à Messieurs les Juges, le fait qu'un grand nombre
3 des accusés traînés devant ce Tribunal sont d'un rang d'autorité inférieure
4 et ont fait l'objet d'un procès devant ce Tribunal. Il y a également le
5 paragraphe 24 de l'acte d'accusation où le rang de Zeljko Mejakic est
6 décrit. On dit qu'il est le commandant du camp d'Omarska et on dit qu'il
7 avait le contrôle réel sur les commandants des équipes de gardes, les
8 gardes du camp et les autres personnes qui y travaillaient ou qui se
9 rendaient régulièrement au camp d'Omarska.
10 Il y a également une partie confidentielle de l'acte d'accusation dont je
11 ne ferai pas état ici, mais en termes généraux, on y dit qu'un certain
12 nombre de ces visiteurs et de ces gardes ont commis les délits dont Zeljko
13 Mejakic est accusé, conformément à l'Article 7(1) et (3) du Statut du
14 Tribunal, article qui parle bien de la responsabilité hiérarchique.
15 Puis, il y a une autre question qui se pose, celle de savoir si un
16 commandant de camp qui a le pouvoir d'autorité sur les personnes employées
17 dans ce camp ou qui y viennent en visite ou que selon l'acte d'accusation,
18 des centaines de personnes ont été assassinées, des milliers de personnes
19 ont fait l'objet de détentions illégales, est-ce qu'on pourrait, alors,
20 qualifier cette personne comme relevant encore d'un rang d'autorité moyen
21 et c'est ce qui est dit dans les conclusions de l'Accusation du 21 février
22 de cette année. Alors, s'il est correct que tous ces crimes ont été commis
23 dans le camp et qu'il y avait un commandant de camp qui avait autorité sur
24 les auteurs de tels crimes, il ne saurait, en aucune manière, être décrit
25 comme étant quelqu'un d'un rang moyen ou subalterne.
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1 Nous estimons que le point de vue de l'Accusation s'est adapté aux
2 conditions de l'Article 11 bis. Nous estimons que les conditions prévues au
3 11 bis (C) ne sont pas satisfaites et nous demandons, dès lors, à la Cour
4 de rejeter cette demande.
5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie,
6 Maître Zivanovic.
7 Je crois qu'on va peut-être terminer dans une dizaine de minutes et
8 j'espère que vous aurez le temps de terminer votre intervention.
9 M. IVETIC : [interprétation] Maître Ivetic au nom de M. Fustar. Oui, je
10 vais essayer de terminer, mais je vais également parler des pièces déposées
11 au nom de la Défense, dans sa totalité, concernant la réponse à un certain
12 point soulevé par l'Accusation et je verrai également à ce que Mme Nedic
13 ait le temps de prendre la parole et qu'elle ait le temps de vous présenter
14 ses arguments.
15 Le premier point sur lequel je voudrais revenir étant une réponse à mon
16 éminent collègue de l'Accusation disant que cette affaire se prête bien à
17 l'application de l'Article 11 bis et qu'elle est même idéale pour
18 l'application de l'Article 11 bis et ce qu'il faut bien voir et qu'on y a
19 déjà fait allusion, c'est que trois de ces accusés qui sont devant ce
20 Tribunal et devant la Chambre de première instance, plus particulièrement,
21 se sont rendus volontairement en 2002. Plus particulièrement, mon client M.
22 Fustar s'est rendu le 31 janvier 2002; M. Gruban, ensuite, lui, s'est rendu
23 le 2 mai 2002 et très rapidement après, M. Knezevic s'est rendu, lui-même,
24 volontairement le 18 mai 2002.
25 Tout ceci s'est déroulé avant l'amendement de l'Article 11 bis qui, pour la
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1 première fois, prévoit cette notion selon laquelle une affaire peut être
2 renvoyée devant une juridiction nationale. A l'époque où ces personnes se
3 sont rendues au Tribunal, à l'époque où les procédures ont été lancées, la
4 version du 11 bis, qui existait à l'époque, ne prévoyait simplement qu'une
5 suspension des actes d'accusation, au cas où l'Etat qui avait arrêté
6 l'accusé, avait déjà lancé des procédures contre lui et était prêt et en
7 mesure de poursuivre cette affaire. Dans ces circonstances-là, la Chambre
8 avait la possibilité de suspendre l'acte d'accusation du TPIY avant que ces
9 procédures ne soient menées à leur terme.
10 Alors, nous estimons que le but de la règle, à l'époque, était simplement
11 une économie de ressource, de faire en sorte que le Tribunal ne répète pas
12 une procédure qui était déjà prête, en cours, entamée et qu'étant donné que
13 la juridiction chargée de cette affaire avait déjà entamé la chose et que
14 c'était alors plus efficace qu'il continue. Alors que la nouvelle version
15 de la Règle 11 prévoit des circonstances tout à fait différentes.
16 Les articles du TPIY, plus particulièrement, l'Article 6 prévoit que, dès
17 lors qu'un article est amendé, il ne saurait porter préjudice au droit des
18 accusés dans une affaire en cours.
19 Nous estimons, dès lors, qu'à l'époque où le 11 bis a fait l'objet
20 d'un amendement en 2002, après que trois des accusés se soient rendus, il y
21 avait des procédures pendantes devant le TPIY et l'Article 6 prévoit que
22 cet amendement ne pouvait pas porter préjudice à l'accusé. Alors,
23 l'application de la version actuelle de l'Article 11 est inconvenante pour
24 plusieurs raisons. Une des raisons dans laquelle je rentrerais pas dans les
25 détails puisque nous avons présenté des arguments plus détaillés dans nos
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1 écritures, qu'elles soient distinctes ou communes avec, également, Me
2 Simic; c'est pourquoi nous estimons la Règle 11 bis, dans sa nouvelle
3 méthode, ne doit pas s'appliquer.
4 Ce qui est plus particulier à mon client, c'est que l'ancienne 11 bis
5 qui devait s'appliquer à lui, prévoyait que ce qui est de suspension de
6 l'acte d'accusation se produirait dès lors qu'un autre Etat l'avait arrêté.
7 Mais ce n'est pas le cas de M. Fustar. M. Fustar n'a jamais fait l'objet
8 d'une arrestation par les autorités de Bosnie-Herzégovine, ni de l'un
9 quelconque autre Etat. Il s'est rendu directement à l'ONU, après avoir eu
10 des discussions directes avec le Tribunal et avec le bureau du Procureur.
11 Il s'est rendu directement au personnel de l'ONU et il a été arrêté par le
12 personnel de l'ONU, mais il n'y a pas eu la moindre autorité de Bosnie-
13 Herzégovine présente. Dans le cadre de l'ancienne mouture du 11 bis qui
14 devrait toujours s'appliquer à lui, suite à ce que prévoit le 6 (D), nous
15 estimons que cette affaire ne se prête pas à un renvoi au titre de la
16 nouvelle mouture de l'Article 11 bis.
17 La deuxième question sur laquelle je voudrais revenir, elle concerne
18 la protection des témoins dans les cours de Bosnie-Herzégovine où le bureau
19 du Procureur propose de renvoyer cette affaire.
20 Mon éminent collègue a dit que cette Cour, pour autant que nous
21 sachions, puisque nous n'avons pas reçu de réponse officielle de la Cour en
22 question, nous n'avons pas reçu d'information officielle concernant la
23 demande que nous avions fait en septembre 2004, ni à la demande émanant de
24 la Chambre adressée à cette cour de Bosnie-Herzégovine, nous n'avons pas
25 entendu la réponse, enfin, quelle est leur position.
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1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous interromps parce
2 qu'encore une fois, j'ai l'impression que les dernières écritures ou qu'un
3 certain nombre de documents n'ont pas été portés à la connaissance du
4 conseil de la Défense.
5 M. IVETIC : Oui, c'est vrai.
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je crois que tout cela a été déposé
7 vendredi dernier et donc --
8 [La Chambre de première instance et le Juriste se concertent]
9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, le 26 [comme interprété], les
10 documents ont été déposés.
11 M. IVETIC : [interprétation] Je peux vous parler qu'en mon nom personnel,
12 la Défense de M. Fustar n'a rien reçu. Je crois que cela s'applique aux
13 autres conseils. Nous n'avons reçu le moindre document, et certainement pas
14 un dossier quelconque de la part de la cour de l'Etat de Bosnie-
15 Herzégovine. Je souligne que nous avions demandé des informations déjà en
16 septembre 2004 et, à l'époque, on a avait dit qu'on aurait une réponse fin
17 de la journée et, six mois plus tard, toujours pas de nouvelles.
18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il faudra un petit se renseigner pour
19 savoir ce qui s'est produit au niveau de ces documents. Je suppose tout de
20 même que les autres documents du gouvernement, vous les avez reçus.
21 M. IVETIC : [interprétation] Nous avons reçu une demande de la Serbie-et-
22 Monténégro, puis une lettre de quatre à cinq pages émanant du Greffier, je
23 pense, du Greffier de la Cour d'Etat de Bosnie-Herzégovine. Je suppose que
24 c'est cela parce qu'il n'y a pas d'entête pour l'identifier. M. Michael
25 T.H. Johnson, c'est la seule lettre ou document que nous avons reçu de
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1 l'Etat de Bosnie-Herzégovine.
2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce qu'il y avait quand même d'autres
3 écritures en réponse à un certain nombre de questions ?
4 M. IVETIC : [interprétation] De Bosnie-Herzégovine, non, rien du tout.
5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il faudra vérifier cela au cours de la
6 pause. Si je vous demande de répondre à ce qui vous a été remis
7 préalablement, il était normal que vous soyez au courant de ce qui avait
8 été remis préalablement. On va régler cela pendant la pause.
9 Vous avez besoin d'encore combien de temps ?
10 M. IVETIC : [interprétation] Encore quelques commentaires, et Mme Nedic
11 aura d'autres choses. Cela pourrait aller assez vite.
12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous devrions, en tout cas, nous arrêter
13 dans les huit à neuf minutes qui viennent parce que, sinon, on arrivera au
14 bout des bandes enregistreuses. Vous pourrez terminer, Maître Ivetic ?
15 M. IVETIC : [interprétation] Oui, il me reste trois, quatre minutes.
16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Allez-y.
17 M. IVETIC : [interprétation] Ma collègue a dit que les sauf-conduits
18 n'existaient pas pour les témoins de la Défense dans les cours de Bosnie-
19 Herzégovine. C'est un élément important étant donné que le TPIY a fourni
20 des sauf-conduits, et que cela permet aux témoins de ne pas être intimidés,
21 de ne pas subir de pressions, et de pouvoir témoigner en toute liberté. La
22 plupart des témoins qui ont accepté de déposer pour les équipes de la
23 Défense l'ont fait avec beaucoup de résistance. Ils craignaient pour leur
24 sécurité et la sécurité de leurs proches. La réputation du TPIY et le
25 respect dont il jouit suite à ces procédures, c'est un facteur qui les
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1 convainc du fait que l'affaire se déroule à La Haye, ils vont jouir de
2 toute la protection nécessaire, et ils ne souffriront pas de répercussions.
3 Le Pays-Bas est un pays neutre, un pays où les Juges et le personnel
4 n'appartiennent ni à un groupe ethnique ou politique quelconque, et ont
5 participé à la guerre civile, et on estime qu'ils vont écouter de manière
6 neutre et équitable ces différents témoignages.
7 D'autre part, comme nous l'avons entendu, le personnel ou les autorités
8 politiques et judiciaires de la Bosnie-Herzégovine ne jouissent pas de la
9 même réputation, et je voudrais corriger quelque chose que la Chambre a
10 peut-être entendu suite à ce qu'a dit M. Simic concernant --
11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je suis intervenu quand M. Simic a
12 commencé à nous expliquer qu'il y avait des organisations terroristes qui
13 agissaient sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine. Cela, c'est une
14 observation générale qui peut s'appliquer, d'ailleurs, à pas mal de pays où
15 il n'y a aucune raison de penser que l'administration de la justice ne
16 serait être équitable pour ce motif.
17 C'était à ce moment-là que je suis intervenu.
18 M. IVETIC : [interprétation] Oui, je voudrais préciser quelque chose
19 concernant ce que fait le "State Department". Ils sont allés plus loin. Ils
20 n'ont pas donné qu'un avertissement général, mais, en janvier 2004 --
21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Pourriez-vous ralentir.
22 M. IVETIC : [interprétation] Je vais essayer.
23 Le "State Department" a dit : "Le système de justice pénal de Bosnie
24 connaît toujours beaucoup de corruption, de faibles revenus, et mauvaises
25 formations. L'efficacité de ces juridictions affaiblit la sécurité
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1 nationale. Nous pensons que les préoccupations de diverses organisations
2 internationales, y compris le "U.S. State Department", le Conseil de
3 l'Europe, la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance dans
4 son rapport le plus récent du 15 février 2005, précisent également qu'il y
5 a des problèmes graves concernant la possibilité de pouvoir rendre justice
6 dans le système judiciaire de la Bosnie, et dit qu'il y a lacune en matière
7 d'impartialité --
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] On vous demande à nouveau de bien
9 vouloir ralentir.
10 M. IVETIC : [interprétation] J'essaie de ne pas dépasser les délais. Je
11 veux que la Cour ait toutes les informations, et que nous ayons le temps de
12 présenter les informations supplémentaires.
13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous en aurez l'occasion.
14 M. IVETIC : [interprétation] En ce qui concerne les témoins, nous pensons
15 qu'il y a deux problèmes en ce qui concerne les témoins de la Défense qui
16 se rendront à Sarajevo pour participer à cette procédure en cas de renvoi.
17 Pour l'essentiel, la plupart des témoins qui sont des Serbes ethniques
18 auraient sans doute des craintes à se rendre à Sarajevo, étant donné le
19 climat qui règne là-bas, où des personnes ont été menacées, ont été
20 accostées, et je sais que des membres de la famille de mon client,
21 lorsqu'ils vont à Sarajevo pour obtenir des visas à l'ambassade des Pays-
22 Bas, ont connu certains problèmes et ont fait l'objet d'insultes. Ils
23 craignent que des témoins qui sont déjà très, très sensibles, et qui
24 craignent pour leur sécurité, qui acceptent de venir à La Haye pourraient
25 décider de ne pas aller à Sarajevo à cause de ces problèmes et de ces
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1 craintes.
2 Une chose que je voudrais souligner, c'est que nous pensons que le recours
3 de témoignages par vidéo a été rejeté dans la cour de la juridiction de
4 Bosnie-Herzégovine pour les témoins, je dis bien, et dès lors, cette
5 possibilité ne leur permettrait pas de déposer sans se rendre à Sarajevo.
6 Cette possibilité-là qui permettrait d'atténuer leurs craintes ne leur est
7 pas disponible.
8 [Le conseil de la Défense se concerte]
9 M. IVETIC : [interprétation] Je me corrige. Je voudrais apporter un petit
10 correctif concernant des informations que mes collègues ont préparé. En
11 fait, le problème, c'est que la plupart des témoins ne souhaitent pas venir
12 déposer par vidéo, et ce système ne peut être utilisé pour régler le
13 problème des témoins qui doivent se rendre à Sarajevo.
14 Il y a encore d'autres catégories de témoins qui auraient des difficultés à
15 se rendre à Sarajevo, ce sont les Musulmans bosniens, qui eux, craignent
16 que s'ils se rendent pour venir déposer pour défendre des accusés serbes,
17 ils seraient insultés, leurs familles seraient mis sous la pression dans
18 les zones dans lesquelles ils habitent, qui sont essentiellement
19 musulmanes.
20 Troisième catégorie de témoins qui auraient également des difficultés à
21 venir témoigner pour la Défense à Sarajevo, ce sont là des personnes qui
22 craignent de faire l'objet d'arrestations et d'actes d'accusation. Nous
23 avons déjà entendu mon collègue, Me Simic, dire que le procureur de l'Etat
24 en Bosnie-Herzégovine s'est vanté du fait que 10 000 nouveaux accusés
25 feraient l'objet d'actes d'accusation, de procès, et cetera. Ceci,
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1 évidemment, a ajouté à ce climat de craintes, car ils ne savent plus qui va
2 faire l'objet d'arrestations, d'actes d'accusation et cetera. Il y a les
3 citoyens qui, parfois, craignent d'être arrêtés à tort, mais vous avez
4 aussi toute une série de personnes qui ont participé de près ou de loin aux
5 activités qui ont eu lieu à Keraterm, à Omarska, membres de la police ou
6 des forces militaires qui seraient des témoins vitaux, et qui ont fait
7 l'objet d'actes d'accusation devant le TPI qui ont ensuite été retirés à
8 condition que les juridictions nationales puissent procéder à des actes
9 d'accusation contre ces individus, individus qui ne viendraient pas à
10 Sarajevo pour faire leurs dépositions par craintes d'arrestations, et de
11 faire l'objet d'actes d'accusation. Dès lors, la Défense se trouverait dans
12 une position où elle n'aurait pas de témoins à présenter.
13 Enfin, une dernière chose que j'aimerais vous dire suite à l'argument de
14 l'Accusation disant que le problème de l'anonymat a été réglé. D'après les
15 documents et les informations dont nous disposons, les Articles 13 à 22, 19
16 et 21 de la loi sur la protection des témoins vulnérables ou menacées
17 prévoit des procédures très strictes, selon lesquels un témoin qui pourrait
18 être vulnérable peut être autorisé à faire son témoignage sans la présence
19 de l'accusé, mais également en dehors de la présence du conseil de la
20 Défense. Nous estimons qu'il y a des dispositions qui pourraient être
21 utilisées à Sarajevo, où le témoin pourra déposer uniquement devant la
22 Cour, à huis clos partiel, et les informations sur l'identité de ces
23 témoins seraient gardées confidentielles jusqu'à 30 ans, ce qu'il rend tout
24 à fait impossible pour la Défense de préparer sa réplique en ce qui
25 concerne ce témoin. Il s'agit-là d'une question qui remet en cause le
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1 respect des procédures devant ces cours de Bosnie-Herzégovine et, si nous
2 pouvons avoir accès aux arguments de cette cour de Bosnie-Herzégovine, nous
3 pourrons savoir si ceux sont des informations réelles. Mais, suite à nos
4 recherches, ces Articles existent, et créent des véritables difficultés
5 pour obtenir le respect des procédures et de la justice équitable.
6 Je vais maintenant passer la parole à Mme Nedic.
7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous avez interprété à votre manière la
8 signification du terme "deux ou trois minutes." Je vais devoir limiter Me
9 Nedic en l'invitant à remettre à plus tard son exposé. En effet, nous
10 allons suspendre l'audience pour une pause qui va durer jusqu'à 17 heures.
11 Si un peu plus tard, Maître Ivetic, vous pouviez revenir sur le sujet du
12 droit international de la jurisprudence du droit international, eu égard à
13 l'anonymat des témoins, j'aimerais que vous le fassiez, compte tenu de
14 l'importance que cela a pour les droits de l'homme. Je ne suis pas en
15 désaccord avec vous, mais j'aimerais que vous nous donniez plus de détails
16 sur la jurisprudence de droit international au sujet de l'anonymat des
17 témoins. Cela aidera la Chambre.
18 Suspension jusqu'à 17 heures.
19 --- L'audience est suspendue à 16 heures 39.
20 --- L'audience est reprise à 17 heures 07.
21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Nedic, poursuivez.
22 Mme NEDIC : [interprétation] Monsieur le Président, ce dont je souhaitais
23 parler est l'application éventuelle du droit à l'encontre des accusés dans
24 la présente affaire. J'aimerais m'appuyer sur certains arguments exposés
25 par l'Accusation dans ses écritures du 21 févier que nous n'avons pas
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1 réussi à très, très bien comprendre paragraphe 14, en particulier. Il est
2 dit, au paragraphe 14, que pratiquement toutes les dispositions de la loi
3 de RSFY, c'est-à-dire de la République socialiste fédérative de Bosnie-
4 Herzégovine, sont pratiquement identique aux dispositions du droit
5 international, et plus au paragraphe 15, il est dit que le code pénal de la
6 RSFY ne possède pratiquement aucune disposition relative aux crimes contre
7 l'humanité ou à la responsabilité hiérarchique de commandement.
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Nedic, je vous inviterais à
9 ralentir un peu pour les interprètes, je vous prie.
10 Mme NEDIC : [interprétation] Le premier point c'est que je ne sais pas si
11 pour l'Accusation il est incontestable que le code pénal de la RSFY était
12 en vigueur en Bosnie-Herzégovine en 1992. Si la chose est incontestable
13 pour l'Accusation, nous nous n'aurions pas besoin d'argumenter en la
14 matière, mais je suppose que ce sera le cas, c'est seulement une
15 supposition pour le moment car je la tire de la lecture des écritures de
16 l'Accusation. Cela étant, j'aimerais mettre en exergue le fait en premier
17 lieu que le code pénal de RSFY ne comporte aucune disposition relative aux
18 crimes contre l'humanité et à la responsabilité hiérarchique -- de
19 supérieur hiérarchique. Bien au contraire. Un chapitre entier du code pénal
20 de la RSFY, le chapitre 16, à ces Articles 141 à 156, traite précisément de
21 ces infractions particulières, à savoir, les crimes contre l'humanité et
22 contre le droit humanitaire. L'Article 142 est sans doute celui qui
23 s'appliquerait le mieux à notre affaire car il s'intitule "crimes contre la
24 population civile."
25 J'aimerais souligner que le droit de la République socialiste de Bosnie-
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1 Herzégovine, le droit applicable au niveau de la république, ne comporte
2 aucune disposition en rapport avec le crime de guerre. Ces dispositions et
3 ces sentences relevaient exclusivement à l'époque du droit fédéral pour une
4 raison simple, à savoir que l'Etat fédéral considérait ces problèmes comme
5 trop graves pour les laisser à la compétence des républiques. Dans la
6 législation la chose se retrouvait également. Maintenant une autre question
7 se pose, en effet, l'Accusation affirme que c'est la nouvelle législation
8 de la République de Bosnie-Herzégovine qui s'appliquerait à notre affaire.
9 Or, nous ne sommes pas d'accord sur ce point, et d'ailleurs, nous l'avons
10 fait savoir par écrit dans nos écritures du 22 février en réponse à celle
11 de l'Accusation.
12 Je souhaiterais ne pas devoir répéter tout ce que nous avons dit quant à la
13 façon de définir quelle est la législation la plus dure ou la moins dure
14 pour l'accusé, mais, en tout cas, selon la législation de la RSFY ainsi que
15 selon la législation de la Bosnie-Herzégovine actuelle, il est prévu que la
16 loi la plus douce à l'égard de l'accusé s'applique lorsqu'il y a
17 possibilité de choix entre deux lois. L'Accusation a présenté cet argument
18 en rapport uniquement avec la sentence, mais nous tenons à insister sur le
19 fait qu'un grand nombre d'autres aspects doivent être pris en compte en
20 dehors du verdict, à savoir est-ce que l'infraction pénale est
21 véritablement qualifiée ? Est-ce qu'elle entraîne une certaine
22 responsabilité de la part de l'auteur ? Puis dernière considération, la
23 nature du verdict. Mais nous soulignons que aucune infraction n'est
24 punissable par la peine de mort comme étant la seule peine applicable. Il y
25 a toujours une autre peine envisageable, à savoir une peine
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1 d'emprisonnement. Le code pénal de RSFY prévoie deux possibilités, d'autres
2 peines que la peine de mort. D'abord pour toutes infractions pénales, il
3 est en général indiqué que l'auteur peut faire l'objet d'une peine de
4 prison, en général, fixer au minimum de la fourchette envisageable, ou peut
5 être soumis à la peine de mort, et il y a une disposition précise du code
6 pénal de la RSFY qui mentionne que la peine de mort peut en tout état de
7 cause être remplacée par une peine de prison.
8 Si on examine uniquement les articles du code péanl relatifs au verdict,
9 nous pouvons dire avec une certitude assez absolue que, si le code pénal
10 applicable, celui de 1992, il doit être appliqué dans ces dispositions les
11 moins sévères pour l'accusé. Nous avons même découvert qu'il existe une
12 décision de la Cour suprême de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, selon
13 laquelle la loi de 1992 est moins sévère, et ceci se trouve dans le
14 jugement 208/2 prononcée le 10 juillet 1997, dans l'affaire intentée à
15 Osman Hodzic, affaire qui est également connu sous le nom d'affaire
16 Ristovic. Ce sont des affaires qui ont été intentées à des Serbes pour
17 participation au conflit armé en Bosnie-Herzégovine. Nous ne sommes pas
18 d'accord avec les arguments développés par l'Accusation selon lesquels le
19 nouveau code pénal de Bosnie-Herzégovine devrait s'appliquer en tout état
20 de cause.
21 S'agissant maintenant du droit international, je dois dire que le code
22 pénal de la RSFY à l'Article 3 stipule qu'aucune peine ou sanction de
23 quelque nature que ce soit ne peut être prononcé pour une infraction pénale
24 avant que celle-ci ne soit qualifiée d'infraction, impliquant une sentence
25 particulière associé à cette infraction. A l'Article 211 de la constitution
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1 de la RSFY, on trouve une disposition absolument identique.
2 Mais, Monsieur le Président, une erreur s'est glissée au compte rendu
3 d'audience en anglais. Là où il est question du verdict prononcé contre
4 Osman Hodzic, l'année n'est pas 1997, mais 2002.
5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous pourrez sans doute remettre une
6 copie de ce jugement aux Juges de la Chambre ?
7 Mme NEDIC : [interprétation] Je pense que nous aurons la possibilité de
8 nous le procurer d'ici à demain, Monsieur le Président, si vous nous
9 accordez ce délai.
10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien sûr. Je ne peux pas m'attendre à ce
11 que vous me le remettiez immédiatement. Veuillez poursuivre.
12 Mme NEDIC : [interprétation] S'agissant de la peine capitale, j'aimerais
13 ajouter quelques mots, à savoir que par la loi de la République serbe de
14 Bosnie-Herzégovine, ou par la loi du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine que
15 l'on trouve dans le journal officiel numéro 3/92, la peine capitale a été
16 supprimée. Cette décision a été publiée, annoncée, le 16 mars 1992.
17 J'aimerais revenir sur certains des arguments de l'Accusation relatifs aux
18 avocats qui pourraient ou ne pourraient pas éventuellement intervenir dans
19 le procès, étant des ressortissants étrangers et le procès se tenant à
20 Sarajevo. La législation de Bosnie-Herzégovine prévoit tout simplement que,
21 lorsqu'un avocat est commis d'office pour défendre les intérêts d'un
22 accusé, qui n'a pas les moyens financiers nécessaires pour engager un
23 avocat, dans ce cas, il est prévu que les avocats doivent être choisis sur
24 une liste d'avocats établie au niveau de la Bosnie-Herzégovine, et les
25 Règles de procédure et de preuve du Tribunal peuvent définir des
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1 circonstances dans lesquelles un avocat est interdit de représentation de
2 son client pour des raisons bien précises.
3 Je dois souligner que nous avons à plusieurs reprises essayé d'obtenir du
4 Greffe du tribunal de Bosnie-Herzégovine les règles de procédure et de
5 preuve en question, afin de déterminer dans quelles conditions nous
6 pourrions ou ne pourrions pas représenter les intérêts de nos clients à
7 Sarajevo, de façon à nous permettre de vérifier que nous remplissions bien
8 les conditions requises. A l'heure d'aujourd'hui, nous n'avons pas encore
9 réussis à obtenir ces règles de procédure et de preuve. Nous ne savons pas
10 pour quelle raison. Est-ce que ces Règles de procédure et de preuve
11 existent ou n'existent pas ? Pourquoi ne nous sont remises pour avoir une
12 réponse à toutes ces questions ? Il faut, je suppose, s'adresser aux
13 représentants de l'Etat de Bosnie-Herzégovine.
14 Je consacrerais maintenant quelques instants très brefs aux articles de loi
15 relatifs à la protection des témoins en vigueur actuellement en Bosnie-
16 Herzégovine. Ces dispositions sont entrées en vigueur le 29 décembre 2004,
17 avec publication au numéro officielle 61. Nous avons fait une analyse
18 comparative de ce texte et de ces ajouts avec le texte en vigueur
19 précédemment, et nous n'y avons pas trouvé de modifications importantes.
20 Les seules modifications que nous avons trouvées sont surtout de nature
21 linguistique. Ceci s'applique, notamment, aux Articles 15 à 22, qui
22 permettent d'interroger un témoin bénéficiant de mesures de protection, en
23 l'absence des parties, c'est-à-dire, uniquement devant les Juges, après
24 quoi, en audience publique, le Juge donne lecture de la déposition du
25 témoin. La question se pose, ensuite, et c'est une question importante, de
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1 savoir si d'autres questions doivent être posées au témoin et, en cas de
2 réponse négative, les Juges décident si on va rappeler à la barre le témoin
3 protégé, et posent eux-mêmes les questions dont il a été déterminé qu'elles
4 devaient éventuellement être posées. Ces dispositions garantissent une
5 sécurité pleine et entière pour le témoin, mais, en l'absence de toute
6 contre-interrogatoire, de celui-ci. Puisque la Défense est incapable de
7 déterminer l'identité du témoin, 30 ans encore après le prononcé définitif
8 du jugement, celle-ci n'a aucune possibilité de présenter des faits
9 nouveaux, ou de tirer profit des circonstances nouvelles qui pourraient
10 intervenir, eu égard à ce témoin protégé.
11 La loi sur la protection des témoins, à son Article 13, prévoit également
12 que l'identité du témoin doit être rendu public à l'autre partie au plus
13 tard le jour de l'ouverture du procès. Nous pensons que ceci est un stade
14 trop tardif de la procédure, car à ce stade tardif, la Défense n'a aucune
15 possibilité de tester la crédibilité du témoin, d'enquêter sur la
16 crédibilité du témoin, ou de récuser le témoin pour des motifs liés à cette
17 crédibilité.
18 Dans ses écritures, l'Accusation fait remarqué que l'identité de tous les
19 témoins est déjà connu par la Défense dans l'affaire qui nous intéresse,
20 mais nous estimons que rien n'empêche l'accusation en Bosnie de ne pas s'en
21 tenir à cette liste des témoins, et d'appeler à la barre des nouveaux
22 témoins. A notre avis, cette affirmation ne répond pas à l'expression de
23 nos préoccupations.
24 Voilà. C'est tout ce que j'avais à dire.
25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Maître Nedic.
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1 On m'a fait savoir que Mme Somers souhaiterait répondre brièvement aux
2 propos de la Défense et, d'ailleurs, les Juges auront également des
3 questions à poser. Je m'interroge pour savoir quelle est la meilleure
4 procédure à suivre. Faudrait-il d'abord entendre la réponse de
5 l'Accusation, puis donner la parole aux Juges pour les éclaircissements
6 qu'ils souhaitent demander, avant de donner la parole aux représentants de
7 la Serbie-et-Monténégro pour les questions qu'ils ont à poser ? En effet,
8 nous avons reçu ces questions par écrit, et je dois, même à contrecœur,
9 informer la Défense que les écritures très nombreuses qui ont été déposées
10 vendredi dernier vous ont été envoyées par DHL dans les derniers jours,
11 peut-être même hier. Les Juges de la Chambre, en tout cas, ont estimé que
12 ce n'était pas la façon la plus efficace de vous faire connaître les
13 renseignements contenus dans les écritures de l'Accusation. Nous vous
14 présentons des excuses à ce sujet, mais je proposerais que la Défense se
15 voie accorder une possibilité de déposer des nouvelles écritures sur la
16 base de ces documents, pour se prononcer vis-à-vis des positions du
17 gouvernement de Bosnie-Herzégovine, compte tenu du volume important de
18 documents juridiques qui ont été remis tardivement.
19 Nous vous donnerons le temps de lire tous ces documents, et nous vous
20 entendrons sur ce sujet un peu plus tard.
21 Madame Somers, je suis informé de votre désir de répondre brièvement à ce
22 qui vient d'être dit, et j'aimerais mettre l'accent sur l'une des questions
23 importantes, qui apparemment est celle du droit qui va s'appliquer. Les
24 positions semblent différer quelque peu sur ce sujet. Peut-être pourriez-
25 vous l'aborder dans votre réponse ?
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1 Mme SOMERS : [interprétation] Certains de mes propos pourraient bénéficier
2 de quelques mots supplémentaires en fonction de ce que pourront dire mes
3 collègues de la Défense éventuellement. En tout cas, la Défense vient de
4 dire, et ce, dans une argumentation dont je tiens à souligner la logique,
5 qu'une affaire est prête à commencer, un procès est prêt à commencer, le
6 procès qui, selon les arguments de la Défense, relève d'une jurisprudence
7 existante et connue par le public également, et que compte tenu de
8 l'expérience qu'ont les responsables de ce Tribunal de ce genre de procès,
9 il pourra se mener de façon assez rapide, et commencer sans délai indu,
10 sans retard indu. Est-il exact que les faits qui ont fait l'objet d'un
11 accord --
12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Puis-je me permettre de vous
13 interrompre ?
14 Mme SOMERS : [interprétation] Assurément.
15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Dois-je comprendre que la Défense,
16 lorsqu'elle a parlé de la décision du Juge Robinson, a dit que seuls des
17 éléments peu nombreux pouvaient être considérés comme des faits faisant
18 l'objet d'un accord ? Peut-être la Défense, a-t-elle modifié son point de
19 vue dans les derniers jours, mais je me souviens que c'était une pierre
20 d'achoppement, Maître Simic, cette question des faits ayant fait l'objet
21 d'un accord entre les parties.
22 M. SIMIC : [interprétation] Monsieur le Président, je parle au nom de tous
23 les conseils de la Défense. La Chambre, dirigée par le Juge Robinson, a
24 rendu une décision qui limitait le nombre des faits susceptibles de faire
25 l'objet d'un tel accord à un nombre très limité, à savoir, les faits
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1 existant avant la Seconde guerre mondiale, est incontestable, car ils ont
2 déjà été présentés, entre autres, dans un certain nombre d'affaires centrés
3 sur Prijedor.
4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien. Je comprends. C'est à cela que je
5 pensais. J'étais un peu surpris, Madame Somers, de vous entendre dire --
6 Mme SOMERS : [interprétation] Je ne pense pas, Monsieur le Président, que
7 cette décision de M. le Juge Robinson soit une décision très restrictive.
8 Il y a également la décision du 1er avril 2004 émanant de la Chambre, que
9 j'aimerais citer pour que tout soit clair. Je cite : "Admet par la présente
10 les faits suivants, qui vont du paragraphe 72, au paragraphe 75, 111 et
11 jusqu'au paragraphe 120. Cela couvre un champ assez important qui va bien
12 au-delà de la période menant à la Seconde guerre mondiale, et qui concerne
13 même un certain nombre de faits datant de 1992. Je pense que même si les
14 faits ultérieurs à la Seconde guerre mondiale ne sont pas tous compris dans
15 cette disposition, certains d'entre eux le sont.
16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous avons des experts parmi mes
17 collègues les Juges sur cette question --
18 Mme SOMERS : [interprétation] Exactement.
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.
20 Mme SOMERS : [interprétation] Nous n'en dirons pas plus sur ce point. Par
21 conséquent --
22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Excusez-moi de vous avoir interrompu.
23 Veuillez poursuivre.
24 Mme SOMERS : [interprétation] Je vous en prie.
25 Il y a la législation applicable. Je regrette que mes collègues de la
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1 Défense n'aient pas eu le temps d'examiner la loi en détail, mais
2 l'admission d'un certain nombre de faits faisant l'objet d'un accord et la
3 décision relative au droit applicable, figure à l'Article 4 de la loi sur
4 le renvoi des affaires. Je demanderais simplement, lorsque l'occasion se
5 présentera pour la Défense, je lui demanderais de bien vouloir examiner
6 cette disposition. En fait, la décision exécutoire du TPIY est à prendre en
7 compte, bien entendu. Elle précise un certain nombre d'éléments tout à fait
8 utiles pour la Chambre.
9 Je vais paraphraser. "Si nous savions que ce changement interviendrait,
10 nous ne nous serions jamais rendus." C'est ce qui a été dit, si j'ai bien
11 compris. Je pense que ceci n'a aucune valeur en tant qu'affirmation venant
12 de la Défense. En effet, le devoir de se rendre, existe pour tout ceux qui
13 veulent venir devant ce Tribunal. Il n'est pas conditionné. Ce n'est pas
14 une clause d'un contrat avec le Tribunal; c'est un devoir. Cette
15 proposition commençant par "si nous avions su…" et invoqué comme l'un des
16 motifs de la Défense, je pense que je vais dire quelque chose qui est tout
17 à fait évident. Je le dis pour le compte rendu d'audience. Nous pensons
18 qu'il n'y a pas de possibilité pour un accusé de se rendre à sa convenance,
19 ou de ne pas se rendre à sa convenance à ce Tribunal. Il doit le faire pour
20 l'organisation d'un procès. Un certain nombre d'affaires ont été jugées,
21 qui sont centrées sur le crime de persécution. Selon cet argument, ils
22 auraient pu ne pas avoir lieu du tout. L'accusé prend cette décision en
23 toute conscience. Il n'y a aucune raison de penser --
24 [La Chambre de première instance se concerte]
25 Mme SOMERS : [interprétation] Il n'y a aucune raison de penser --
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1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame Somers, j'espère que -- en tout
2 cas, j'ai besoin de vous demander un éclaircissement. Vous dites que c'est
3 le devoir de chacun de se présenter devant ce Tribunal. Je sais que pour
4 les états, c'est un devoir de la part d'un accusé de se rendre devant le
5 Tribunal, mais je ne suis pas au courant pour le moment qu'un tel devoir
6 ait été consigné noir sur blanc dans un système judiciaire national. Mes
7 collègues ne sont pas non plus au courant de l'existence d'un tel devoir
8 dans une juridiction nationale. Peut-être qu'en dehors de l'existence d'un
9 devoir moral, vous pourriez nous dire où se trouve cette disposition légale
10 dans un texte de loi. Bien sûr, le devoir moral existe de répondre de ses
11 actes devant un tribunal, pas seulement d'ailleurs de comparaître.
12 Mme SOMERS : [interprétation] Peut-être devrais-je reformuler mes
13 observations pour indiquer une fois de plus que l'acte d'accusation est
14 censé être connu de l'accusé, qui peut, bien entendu, refuser de se
15 présenter devant le tribunal compétent aussi longtemps qu'il peut échapper
16 à celui-ci. La réalité, c'est qu'un acte d'accusation existe, et que pour
17 l'Etat concerné, il existe un devoir en fonction de l'Article 29 de
18 traduire la personne mise en accusation devant les tribunaux. Sauf en cas
19 d'évasion, c'est un devoir qu'on l'Etat que de traduire l'accusé devant un
20 tribunal. Je n'irais pas jusqu'à dire, que cette obligation existe compte
21 tenu de la nature un peu particulière de l'acte d'accusation, pour toutes
22 les personnes accusées à un niveau égal. En tout cas, les crimes envisagés
23 sont des crimes d'une importante gravité, et le titre même, la dénomination
24 même du Tribunal, indique qu'il existe un devoir pour celui-ci de
25 poursuivre les personnes responsables de violations graves du droit
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1 humanitaire international.
2 Il est indubitable que pour faire l'objet de poursuite, ces infractions
3 doivent être d'une gravité importante. Nous avons le devoir de poursuivre,
4 et la gravité doit être estimée. Il en existe plusieurs degrés, bien
5 entendu. Pour se trouver accusé ici, il faut d'abord et avant tout que le
6 crime présumé soit d'une gravité importante, qu'il s'agisse d'une
7 infraction grave au droit international humanitaire. Je mets cet argument
8 de côté pour le moment.
9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Puis-je vous poser une question, parce
10 que vous dites, "je ne serais pas allé jusqu'à dire…" Est-ce qu'il ne
11 serait pas préférable de dire, "Je l'ai fait, mais vous avez modifié la
12 nature de ce que j'ai fait."
13 Mme SOMERS : [interprétation] Je --
14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] "Je me suis présenté devant le Tribunal,
15 et tout d'un coup, je ne suis pas devant ce Tribunal, mais devant un autre
16 tribunal. Or, ce que j'ai fait était sans condition, mais dans le cadre
17 d'une signification identique, dans le cadre d'une interprétation identique
18 de la nature de l'acte que j'ai commis."
19 Si j'ai volontairement décidé de m'enrôler dans l'armée, je l'ai fait
20 volontairement. Je me suis tout d'un coup retrouvé dans une aciérie alors
21 que je souhaitais me retrouver à l'armée, nulle part ailleurs."
22 Mme SOMERS : [interprétation] Ce Tribunal a reçu compétence pour envoyer
23 des affaires devant d'autres juridictions. Cela fait partie des compétences
24 qui lui ont été conférées. Cela peut se faire en raison d'un changement
25 éventuel dans le cadre de l'application du mandat décerné par le conseil de
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1 Sécurité. Je crois qu'il existe une zone d'ombre, une zone grise, au niveau
2 de l'interprétation à donner au mot "extradition". Le pouvoir d'extradition
3 est inhérent à l'application du pouvoir conféré par le conseil de Sécurité.
4 En tout cas, c'est peut-être malheureux, mais seules les affaires les plus
5 importantes se voient accorder le statut d'affaires jugées par ce Tribunal.
6 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Madame Somers, pourriez-vous répondre à
7 l'une des questions de Me Ivetic au sujet de l'application éventuelle de
8 l'Article 6(D) du Règlement.
9 Mme SOMERS : [interprétation] Le résultat des modifications du Règlement,
10 de quoi parlez-vous exactement, Monsieur le Juge ?
11 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Vous avez, dans vos écritures du 21
12 février, évoqué la question. Je cite : "Rien ne prouve que les droits de
13 l'accusé seront remis en cause, ou qu'un tribunal de l'Etat concerné sera
14 moins fiable et présentera des pièces à conviction moins fiables que la
15 fiabilité que garantit le TPIY."
16 Est-ce que vous pourriez nous donner quelques détails sur ce point, en
17 réponse aux questions de Me Ivetic.
18 Mme SOMERS : [interprétation] Monsieur le Juge, rien ne prouve que
19 l'intervention d'un tribunal de l'Etat concerné pose un problème du point
20 de vue du système qui s'appliquera. Peut-être que le TPI présente des
21 garanties supérieures, parce que c'est un Tribunal international d'abord,
22 qu'il défend l'intérêt de la communauté internationale, et ce, en
23 appliquant toutes les garanties nécessaires. Rien d'autre n'a été dit, sauf
24 peut-être, le commentaire selon lequel certaines personnes ne pourraient
25 pas travailler dans un Tribunal relevant du gouvernement. En l'absence
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1 d'invocation d'une faute grave au niveau du système qui nous semble très
2 improbable, je pense que les propositions du conseil de la Défense sont
3 infondées. Je crois que sur le fond il n'y a aucun problème.
4 J'aimerais maintenant aborder la question que le Juge Orie m'a demandé
5 d'aborder, à savoir, l'identité des charges retenues contre les accusés.
6 Nous nous retrouverons devant une juridiction nationale. Est-ce qu'on
7 retrouve au niveau national des charges comparables à celles qui peuvent
8 être retenues par un Tribunal international ?
9 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nous en arrivons maintenant au fond de
10 la question.
11 Mme SOMERS : [interprétation] Tout à fait.
12 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Est-ce que vous pourriez donner quelques
13 détails complémentaires au sujet de l'application de l'Article 6(D) du
14 Règlement. A votre avis, dans vos écritures ici, si l'on compare les deux
15 scénarios, l'un étant la situation dans laquelle l'accusé est jugé par un
16 Tribunal de Bosnie-Herzégovine et l'autre la situation dans laquelle
17 l'accusé est jugé par le TPI, là, je m'exprime en mon nom personnel, je
18 pense qu'il importe de comparer que la seule chose qui mérite d'être
19 comparée, c'est un procès devant un Tribunal de Serbie-et-Monténégro et un
20 procès devant un Tribunal de Bosnie-Herzégovine, et ce, en raison de la
21 rétroactivité de l'Article 11 bis. L'Article 11 bis a été adopté en 1997. A
22 l'époque, le seul renvoi envisagé était le renvoi de l'accusé devant un
23 Tribunal relevant de l'Etat dans lequel il avait été arrêté. Par
24 conséquent, une question se pose ici en fonction d'une arrestation de
25 l'accusé ou d'une reddition de l'accusé, qui définissent deux situations
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1 tout à fait différentes. Si nous laissons de côté pour un instant la notion
2 d'équité du procès selon les législations en vigueur dans l'un ou l'autre
3 de ces deux pays, n'existe-t-il pas une possibilité de considérer qu'un
4 procès organisé devant un tribunal de Bosnie-Herzégovine, sera moins
5 favorable à l'accusé qu'un procès organisé devant un tribunal de
6 Serbie-et-Monténégro.
7 Mme SOMERS : [interprétation] Je ne suis pas sûre des fondements de la
8 question que vous posez, Monsieur le Juge, quant à ce qualificatif de moins
9 favorable. Je pense que les critères pris en compte par les tribunaux des
10 deux pays, sont les seuls qui peuvent être objet d'argument.
11 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Peut-être n'est-ce pas une conception
12 généralement partagée.
13 Mme SOMERS : [interprétation] Tout dépend de la réalité de la question,
14 Monsieur le Juge.
15 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Quelles sont vos observations sur ce
16 point ?
17 Mme SOMERS : [interprétation] Le problème qui se pose n'est pas seulement
18 un problème de préférence; c'est aussi comme vous le savez, Monsieur le
19 Juge, un problème d'influence. Si l'on tient compte du lieu où le crime a
20 été commis, et qu'on étudie les dispositions de l'Article 11 bis, le
21 premier élément à prendre en compte est bien le lieu où le crime a été
22 commis. Je ne parle pas des motifs qui ont poussés à commettre le crime
23 mais le lieu. A notre avis, c'est bien le lieu qui est le premier élément
24 en prendre en compte. Je n'analyserai pas les similitudes ou différences
25 qui existent entre le système juridique de Serbie-et-Monténégro et celui de
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1 Bosnie-Herzégovine parce que je n'ai pas les éléments nécessaires pour le
2 faire. Je pense qu'il y a une base rationnelle à ce que le premier élément
3 à pendre en compte, soit celui du lieu où le crime a été commis. Encore une
4 fois, si l'on examine le degré de préparation des tribunaux de Sarajevo
5 pour des renvois de ce genre, si la Chambre décide que tous les aspects
6 nécessaires sont bien présents, alors il n'y a véritablement aucune raison,
7 en tout cas, à mon avis, rien ne permet de penser qu'un tel procès serait
8 moins équitable que les procès devant le TPI ou devant un tribunal de
9 Bosnie-Herzégovine, la Bosnie-Herzégovine étant une république
10 multiethnique.
11 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.
12 Mme SOMERS : [interprétation] Je suis sûre que la Chambre s'est penchée sur
13 les dispositions de l'Article 58 du Règlement. J'aimerais simplement
14 appeler l'attention des Juges, encore une fois, sur la question de
15 l'extradition au niveau national, et cetera, et cetera, si le problème de
16 l'extradition devait devenir un élément important dans la décision des
17 Juges. Il en a déjà été question. Mes collègues de la Défense savent bien
18 que le niveau des accusés présents ici est important sur le plan
19 hiérarchique, et tout à fait conforme aux dispositions de l'Article 11 bis.
20 S'ils disent le contraire, je ne serai pas d'accord avec eux. Dans le camp
21 d'Omarska, si nous prenons l'exemple de l'accusé Mejakic, il était
22 commandant d'un poste de police. Il était tout à fait en haut de l'échelle,
23 en tout cas, de l'échelle hiérarchique au niveau local ou national.
24 Maintenant, s'agissant de la législation qui s'appliquera, c'est un
25 problème complexe qui mérite évidemment quelques mots. Si l'affaire était
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1 renvoyée devant un tribunal de Bosnie-Herzégovine, à mon avis, c'est ce
2 tribunal qui décidera quelles sont les dispositions légales qui
3 s'appliqueront, à moins que la Chambre ne se voie confier une décision en
4 la matière.
5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous ne sommes pas censés décider du
6 code pénal qui s'appliquera devant un Tribunal de Bosnie-Herzégovine. Bien
7 entendu, nous devons déterminer quelles seront, dans un cadre réaliste, les
8 charges qui seront retenues par ce tribunal de Bosnie-Herzégovine contre
9 les accusés, puisque c'est un des éléments à prendre en compte dans le
10 cadre de cette législation applicable. C'est d'autant plus important,
11 qu'apparemment, il y a désaccord en la matière entre le Code pénal de
12 Bosnie-Herzégovine de 2003 et le code pénal en vigueur depuis, et le code
13 pénal de 1992. Le code pénal de 2003 établit ce qui relève du droit
14 international dès 1992. A ce sujet, un certain nombre de questions se
15 posent sur lesquelles j'aimerais vous entendre, Madame Somers, si vous avez
16 quelque chose à en dire.
17 Mme SOMERS : [interprétation] Bien entendu, je ne suis pas à même de
18 prévoir la façon dont cette Chambre va prendre en considération la question
19 si l'on se réfère à la totalité des principes du droit international
20 coutumier, vu qu'ils ne sont pas nécessairement complètement incorporés.
21 Bien entendu, nous sommes conscients de l'existence de certaines
22 difficultés et de l'existence de zones grises. Il n'en demeure pas moins
23 qu'il y a des dispositions relatives aux crimes perpétrés à l'encontre de
24 population civile, voire de civils en tant qu'individus auxquels je me suis
25 référée.
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1 M. LE JUGE KWON : [interprétation] S'agit-il du Code pénal de la République
2 fédérale --
3 Mme SOMERS : [interprétation] L'un et l'autre; celui d'avant et d'à
4 présent. Il y a des dispositions prévues pour les crimes de guerre
5 perpétrés à l'encontre de civils. Ceci englobe bon nombre de comportements
6 criminels qui font partie des crimes contre l'humanité, à savoir, les
7 persécutions, même en absence d'intentions discriminatoires, de crimes
8 perpétrés à grande échelle et systématiquement --
9 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je me souviens de Mme Nedic qui a
10 soulevé la question du code pénal de la république qui était applicable en
11 Bosnie-Herzégovine, à l'époque. Pouvez-vous répondre à cette question ?
12 Mme SOMERS : [interprétation] Je ne suis pas un juriste de la Bosnie-
13 Herzégovine, mais au niveau de la république, s'agissant de dispositions
14 fédérales et quand il y avait des lacunes, je crois me souvenir dans
15 d'autres affaires sur lesquelles nous avons travaillé, et je ne suis peut-
16 être pas l'expert qu'il faut.
17 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Pour ce qui est des deux codes pénaux,
18 la chose n'est pas claire. Est-ce que la Serbie-et- Monténégro avait son
19 code pénal, à l'époque ?
20 Mme SOMERS : [interprétation] Je peux demander à la Chambre --
21 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nous pouvons poser la question au
22 représentant du gouvernement.
23 Mme SOMERS : [interprétation] Je vous remercie.
24 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Mais je vais vous poser une autre
25 question. Nous avons la question de la responsabilité hiérarchique. Trois
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1 accusés, ici, si j'ai bien compris, sont accusés en application de
2 l'Article 7(3) du Statut. Vous devez être tout à fait rassurée pour ce qui
3 est de ce tribunal bosniaque ou ce tribunal de Bosnie-Herzégovine, qu'il y
4 ait ces termes juridiques de repris, et malheureusement, cela ne ressort
5 pas clairement de vos écritures.
6 Mme SOMERS : [interprétation] Il semble qu'il n'y a pas de corrélation
7 stricte. Je vais demander à mes collègues de Bosnie-Herzégovine de me
8 rectifier. Il n'y a pas de reprise au sens strict du terme des dispositions
9 7(3) ou du concept énoncé au 7(3). Il y a peut-être des dispositions qui
10 prévoient des omissions au cas où quelqu'un ne rapporterait pas l'acte au
11 pénal ou une omission de cette nature. Mais je crois qu'on fait entrer
12 cette approche par la petite porte. Pour autant que j'ai pu le comprendre,
13 il n'y a pas d'équivalent au sens strict de ce terme du 7(3) de nos
14 statuts. C'est là une concession que nous devons faire. Il faut dire que
15 s'agissant de crimes de guerre perpétrés à l'encontre de la population
16 civile, il y a possibilité de dénoncer la chose de façon appropriée au
17 niveau de l'acte d'accusation. En termes linguistiques, il existe un
18 équivalent ou des chefs d'accusation équivalents qui prévoient la
19 recomposition de l'acte d'accusation en application du code pénal en place,
20 mais je crois, Monsieur le Juge, que ceci ne soit pas un élément à
21 comparer.
22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie.
23 Y a-t-il d'autres questions que vous voudriez soulever dans votre réponse ?
24 Mme SOMERS : [interprétation] Juste un point qui est demeuré dans le vague
25 lorsque Mme Nedic a parlé de l'existence de la possibilité d'avoir un
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1 contre-interrogatoire. Je demanderais également à la Chambre de s'enquérir
2 auprès de nos collègues de la Bosnie-Herzégovine pour ce qui est de la
3 possibilité de poser des questions supplémentaires parce que c'était
4 également une forme de contre-interrogatoire. Une fois de plus, je crois
5 n'avoir pas bien compris et je crois que cela n'est pas clairement énoncé
6 dans la loi. Outre ce fait, il y a la possibilité de poser des questions
7 aux témoins, même à des témoins protégés, peut-être sous des circonstances
8 qui sont différentes de celles auxquelles nous nous sommes habitués ici,
9 mais cette possibilité existe et le parallèle peut être fait pour ce qui
10 est du contre-interrogatoire servant les intérêts de la justice.
11 Merci.
12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, peut-être la Défense serait-elle
13 mieux à même de répondre, une fois qu'elle aura reçu la documentation
14 nécessaire.
15 Mme SOMERS : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président.
16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Allez-y.
17 Mme SOMERS : [interprétation] On me demande de transmettre à la Chambre le
18 fait que le code repris par la Bosnie-Herzégovine est celui de la
19 République socialiste fédérative de Yougoslavie, en date du 11 avril 1992
20 et cela est indiqué à la Gazette Officielle de la Bosnie-Herzégovine
21 211.04, plutôt du 21 avril 1992 [comme interprété].
22 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci. Je vais certainement demander aux
23 représentants de la Bosnie-Herzégovine d'étoffer ce propos quelque peu plus
24 tard.
25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Avant de continuer, je crois que vous
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1 avez sans doute remarqué le fait que la Chambre a déjà posé certaines
2 questions aux parties en présence, quoique non de façon extensive. La
3 Défense a présenté plusieurs aspects et elle a dit qu'elle voulait que leur
4 réponse soit prise ou classée comme confidentielle. S'il y a une question
5 de confidentialité, peut-être devrions-nous nous pencher sur la possibilité
6 de passer à huis clos partiel pendant quelques instants, à moins que les
7 conseils de la Défense ne jugent que cette confidentialité ne se trouvera
8 pas être nécessaire.
9 M. SIMIC : [interprétation] Il n'est point nécessaire de passer à huis clos
10 partiel. S'il y a des renseignements confidentiels, nous demanderons un
11 passage à huis clos partiel.
12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien. En outre,
13 Madame Somers, on vous a demandé un peu plus tôt si vous étiez à même de
14 répondre librement. Avez-vous pour le moment l'intention d'aborder quelque
15 volet que ce soit qui -- et je crois que cela n'enfreindra pas le caractère
16 confidentiel de la formation si je dis que cela a trait à la protection des
17 témoins. Si vous voulez soulever quelque question que ce soit de ce volet,
18 vous pouvez le faire en audience publique ou à huis clos partiel.
19 Mme SOMERS : [interprétation] Je ne pense pas que cela soit nécessaire pour
20 le moment, Monsieur le Juge.
21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien. Nous pouvons alors continuer.
22 Voyons s'il y a des questions complémentaires.
23 [La Chambre de première instance se concerte]
24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je crois que M. le Juge Kwon avait
25 quelque chose à dire.
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1 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je voudrais poser une question à Mme
2 Nedic. Vous avez fait référence à l'Article 142 en corrélation avec la
3 responsabilité hiérarchique. J'aimerais que vous nous indiquiez quelles
4 sont les dispositions pertinentes qui traitent de la responsabilité
5 hiérarchique à laquelle vous vous êtes référé.
6 Mme NEDIC : [interprétation] Juste un instant. Je vous demande un instant,
7 Monsieur le Juge.
8 "S'agissant de la violation des droits et dispositions du droit
9 international, toute personne qui, en violation du droit international
10 pendant la guerre, pendant un conflit armé ou pendant une occupation,
11 donnerait l'ordre de procéder à l'encontre de la population civile, à des
12 meurtres, des tortures, persécutions, expérimentations, souffrances ou
13 blessures, atteintes à l'intégrité physique ou à la santé, aux transferts
14 ou aux expulsions, voire à la conversion à une autre religion ou à la
15 dénationalisation forcée, à la prostitution forcée ou au viol ou qui aurait
16 recours à des mesures d'intimidation, à une prise d'otages, à des punitions
17 collectives, à une déportation vers des camps de concentration ou autre
18 emprisonnement illicite, qui priverait de son droit une personne à un
19 procès juste, équitable et impartial, qui forcerait quiconque à faire son
20 service militaire dans des forces armées de l'ennemi ou qui le
21 contraindrait à travailler dans ses services de Renseignements, voire son
22 administration, qui obligerait quelqu'un à des travaux forcés --"
23 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je crois que cela suffira. Est-ce que
24 cela signifie --
25 Mme NEDIC : [interprétation] C'est un article très long, en effet.
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1 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Est-ce que cela signifie qu'en adoptant
2 les dispositions de la loi internationale, il est prévu l'adoption des
3 principes de la responsabilité hiérarchique ? Est-ce que c'est là, la
4 substance de ce que vous vouliez nous exposer, tout à l'heure ?
5 Mme NEDIC : [interprétation] Je ne suis pas tout à fait certaine de la
6 coïncidence de cette forme de responsabilité en application des
7 dispositions du droit international et en application des dispositions de
8 la loi susmentionnée.
9 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Pourriez-vous étoffer votre propos ? Je
10 ne pense pas vous avoir bien compris.
11 Mme NEDIC : [interprétation] Je pense que cet article-là prévoit des
12 sanctions pour l'absence de réactions ou pour l'intention délictueuse.
13 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.
14 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Madame Nedic, pourrais-je mentionner -
15 - je suis désolé de vous voir vous rasseoir avec un sentiment de
16 soulagement, mais je dois vous demander de vous lever une fois de plus --
17 cet article semble concerner le comportement de tout un chacun, dans le
18 sens des ordres donnés, de l'exercice d'une autorité, d'un pouvoir de la
19 part d'un commandement. Y a-t-il des dispositions qui parleraient de forme
20 indirecte de responsabilité hiérarchique, à savoir, de situations dans
21 laquelle le commandant pourrait être jugé responsable au pénal pour des
22 actes commis par des soldats placés sous ses ordres ou peut-il être
23 considéré comme étant responsable parce qu'il a omis de punir des délits au
24 pénal commis par ces soldats ?
25 Mme NEDIC : [interprétation] Pour être tout à fait sincère, étant donné que
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1 mon client n'est pas accusé en application des dispositions du 7(3), je ne
2 me suis pas trop penchée sur les questions relatives à la responsabilité
3 hiérarchique. Je pense pouvoir répondre par la négative, mais je n'en suis
4 pas trop certaine. Je vous demande de ne pas me prendre au mot.
5 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je crois que c'est là, une question
6 qui avait préoccupé le Juge Kwon et qui m'a préoccupé, moi-même.
7 M. ZIVANOVIC : [interprétation] Messieurs les Juges, permettez-moi de
8 répondre à cette question. La forme de responsabilité telle que prévue au
9 7(3) du Statut n'a pas existé dans le code pénal de l'époque de cette SRFY
10 de Yougoslavie, cette forme indirecte de responsabilité hiérarchique. Pour
11 autant que je le sache, quoique je pense devoir me pencher sur le texte
12 parce que je ne m'attendais pas à cette question pour le moment, il y avait
13 une responsabilité pour ce qui est des ordres donnés directement et cela
14 concernait les supérieurs hiérarchiques au niveau militaire, mais
15 s'agissant de délits au pénal contre des forces armées et que cela figure à
16 ce chapitre.
17 M. LE JUGE KWON : [interprétation] N'y aurait-il pas la possibilité
18 d'appliquer directement les dispositions du droit internationalement admis,
19 à savoir, les traités internationaux ?
20 M. ZIVANOVIC : [interprétation] Concernant cette loi de l'époque en vigueur
21 en République socialiste fédérative de Yougoslavie, il n'y avait pas de
22 dispositions reprises du droit international pour ce qui est de poursuites
23 en la matière. C'est la raison pour laquelle nous estimons que cette loi
24 était plus clémente à l'égard des auteurs de ces actes.
25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.
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1 M. LE JUGE KWON : [interprétation] J'aimerais poser une autre question à Me
2 Ivetic.
3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.
4 M. LE JUGE KWON : [interprétation] La question est hypothétique et elle
5 s'adresse à Me Ivetic.
6 Pourriez-vous nous commenter les écritures présentées par la Serbie-et-
7 Monténégro ou plutôt en termes hypothétiques, est-ce que votre client
8 serait d'accord ou s'opposerait à un renvoi vers la Serbie-et-Monténégro ?
9 M. IVETIC : [interprétation] Si la question est hypothétique et au cas où
10 il y aurait décision de renvoi de cette affaire à un autre pays, et non pas
11 la Serbie-et-Monténégro, nous estimons que ce serait erroné et nous sommes
12 d'avis que la Serbie-et-Monténégro constituerait un meilleur choix, en
13 l'occurrence. Nous demeurons, toutefois, d'avis qu'un procès devant ce
14 Tribunal-ci constituerait la meilleure des variantes.
15 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.
16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.
17 Maître Simic, j'ai une question similaire pour vous. Partant des écritures
18 présentées par le gouvernement de la Serbie-et- Monténégro, j'ai cru
19 comprendre que vous-même ou Me Zivanovic, vous vous êtes adressés au
20 gouvernement pour demander un renvoi de cette affaire vers la Serbie-et-
21 Monténégro. Je ne suis pas tout à fait sûr du fait de savoir si cela est
22 une modalité appropriée pour ce qui est d'impliquer un autre Etat dans
23 toutes les questions que nous sommes en train d'étudier, mais j'aimerais
24 que vous m'expliquiez si vous essayez de dire qu'il s'agit là d'un procès
25 qu'il ne s'agit pas de renvoyer à un autre gouvernement, mais plutôt de
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1 procéder au renvoi vers le gouvernement auquel vous vous êtes référés ?
2 M. SIMIC : [interprétation] Monsieur le Président, je crois que je n'ai pas
3 été bien compris. J'ai informé mon gouvernement que dans le procès devant
4 ce Tribunal, il se pouvait que des ressortissants de cet Etat soient
5 transférés vers un autre pays pour être jugés là-bas. Sachant quelle est la
6 situation qui prévaut dans la région, dans son ensemble, j'étais certain et
7 je suis certain de nos jours en cours, déjà encore que les meilleures
8 sentences prononcées aux fins d'une réconciliation des peuples ne sauraient
9 être que des sentences prononcées par le peuple dont l'accusé est le
10 ressortissant.
11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, je crois avoir compris cela. Vous
12 souhaitez expliquer ce qui vous a incité à dire ce que vous avez dit.
13 D'après ce que j'ai lu dans les écritures présentées par la Serbie-et-
14 Monténégro - et je crois que vous avez reçu une copie des mêmes pièces - il
15 est dit ce qui suit : "En date du 14 décembre, M. Jovan Simic et M. Branko
16 Lukic se sont adressés au conseil national de la Serbie-et-Monténégro,
17 chargé de la coopération avec le Tribunal pénal international pour
18 l'ex-Yougoslavie, avec la demande à la Serbie-et-Monténégro de s'adresser
19 au Tribunal pour demander que l'affaire du Procureur contre Mejakic soit
20 renvoyée aux autorités de la Serbie-et-Monténégro en application de la
21 Règle 11 bis."
22 Je ne vous ai pas entendu contester ce qui est dit ici. Or, ce que vous
23 avez expliqué, il y a autre chose. On dit que c'est vous qui vous êtes
24 adressé au gouvernement de la Serbie-et-Monténégro et vous avez, d'abord,
25 été d'avis que l'affaire ne devait pas être renvoyée à qui que ce soit,
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1 mais que le procès devait se tenir ici. Mais vous avez demandé par la
2 suite, que si renvoi il y avait, que ce soit vers votre Etat et non pas
3 vers un autre Etat.
4 M. SIMIC : [interprétation] Monsieur le Juge, je me suis adressé au
5 gouvernement ou plutôt à ce conseil national pour les informer du fait
6 qu'il y avait une procédure en application du 11 bis. La Défense n'a pas le
7 droit de réclamer à un Etat ou d'exiger d'un Etat de s'adresser au Tribunal
8 pour lui demander de renvoyer l'affaire vers la jurisprudence nationale.
9 Mais nous avons tenu à informer notre gouvernement pour que celui-ci
10 défende les intérêts de ses ressortissants et s'agissant de ressortissants
11 qui se sont rendus de leur plein gré, le mieux, pour nous, serait de
12 procéder à un renvoi vers l'Etat dont ces personnes sont des
13 ressortissants. S'il est possible, nous aimerions, en notre qualité de
14 Défense --
15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, je comprends. Mais ce que je
16 constate ici, c'est qu'il y a un désaccord clair et net pour ce qui est de
17 savoir si vous vous êtes adressé à votre Etat pour lui demander d'exiger un
18 renvoi vers la Serbie-et-Monténégro ou si vous vous êtes adressés pour dire
19 qu'il y avait la possibilité que des ressortissants à elle soient jugés
20 dans un autre Etat afin que celle-ci face le nécessaire. Il s'agit là de
21 questions différentes, notamment, si on tient compte du fait de savoir si
22 cette affaire peut être renvoyée ou pas. Nous allons, par la suite,
23 entendre les points de vue de la Serbie-et-Monténégro concernant ce
24 désaccord.
25 Maintenant, il nous appartient de déterminer quelle est la loi
Page 211
1 applicable en l'occurrence. Le gouvernement de la Bosnie-Herzégovine a
2 évoqué le fait que le Code pénal de la Bosnie-Herzégovine prévoit à
3 l'Article 3 et à l'Article 4 dudit code, le fait que la mise en œuvre de
4 cette loi ne saurait se faire au détriment du droit de l'accusé, s'agissant
5 de délit qui, à l'époque de la perpétration du délit, n'était pas prévu
6 comme délit au pénal en application des principes généraux du droit
7 international.
8 Je sais que vous n'avez pas encore vu les écritures présentées par le
9 gouvernement de la Bosnie-Herzégovine, mais j'aimerais savoir, ou
10 j'aimerais entendre l'un quelconque des conseils de la Défense à m'apporter
11 une réponse pour ce qui est de savoir si une norme de cette nature -- une
12 règle de cette nature permettrait de recourir aux dispositions du droit
13 coutumier, qui n'était pas codifié au moment où -- si le délit n'était pas
14 codifié au moment de la perpétration dudit délit. Pouvez-vous m'apporter un
15 commentaire ?
16 Oui, Madame Nedic.
17 Mme NEDIC : [interprétation] A la lecture de cette réglementation, j'en
18 suis venue à la conclusion, Monsieur le Juge, conclusion disant qu'il y a
19 pas mal de contradictions. Pour être tout à fait sincère, sur le territoire
20 de l'ex-Yougoslavie, il y avait un système de droit codifié, qui sous-
21 entendait, notamment en matière pénale, des normes déterminées avec une
22 grande précision; la définition du délit au pénal, la définition de
23 l'auteur et des peines prévues. Il n'y avait pas la possibilité de définir
24 les choses autrement. Maintenant, la loi de la Bosnie-Herzégovine a, en
25 bonne partie, copié le code pénal de la République socialiste fédérative de
Page 212
1 Yougoslavie. On a ajouté, par la suite, des normes qui, à mon avis, portent
2 atteinte à l'unité et aux principes élémentaires de ce droit codifié, de
3 cette loi initiale. A l'Article 3, qui dit : "Le principe de légalité," à
4 l'alinéa, on dit : "Les délits au pénal et les sanctions au pénal ne sont
5 prévus et proscrits que par la loi."
6 Ensuite, à l'alinéa 2, on modifie cela tout de suite. Pour contredire
7 l'alinéa, on dit : "L'on ne saurait prononcer une sanction au pénal à
8 quiconque pour un acte qui, avant que d'avoir été perpétré, n'était pas
9 prévu ou qualifié par la loi ou par le droit international, en tant que
10 délit au pénal, et pour les délits qui ne faisaient pas l'objet de
11 sanctions prévues par cette loi."
12 Ces deux alinéas se contredisent mutuellement. On dit que seule la loi peut
13 définir le délit et les sanctions qui s'ensuivent, et l'alinéa suivant
14 parle de délit qualifié comme tel par le droit international, mais les
15 sanctions à appliquer sont celles qui sont prévues par cette loi. Comment
16 définira-t-on la sanction à prononcer ? Est-ce que l'on procédera par
17 analogie pour voir quel est le délit le plus similaire prévu par la loi
18 pour voir quel est le plus semblable des délits prévus par le droit
19 international. Il me semble qu'il y a là un aspect très illogique, dirais-
20 je.
21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien entendu, parfois, certaines règles
22 constituent une exception vis-à-vis d'autres règles. Dans une certaine
23 mesure, cela contredit l'un et l'autre. Je comprends parfaitement ce que
24 vous dites pour ce qui est de la stricte application de la règle lex
25 scripta, à savoir, il faut qu'il y ait une norme écrite qualifiant un
Page 213
1 délit. En tant que délit au pénal, il faut constater qu'il y a
2 contradiction avec la règle qui suit. Je crois que la chose manque de
3 clarté. Je crois interpréter cela de la façon suivante : les règles
4 précédentes n'empêchent en rien la mise en œuvre des règles qui suivent; ce
5 qui rend toute la chose moins contradictoire.
6 Je voudrais entendre s'il y a d'autres questions à soulever. Si cela n'est
7 pas le cas, nous pourrions aller de l'avant. Nous avons pris du retard pour
8 ce qui est du début de notre audience d'aujourd'hui, ceci en raison de la
9 neige. Je m'imagine bien que vous qui venez de Serbie ou de Bosnie vous
10 devez forcément rire de nos
11 15 ou 20 centimètres qui nous ont occasionné tant de difficultés. Toujours
12 est-il que c'est la réalité qui est la nôtre. J'aimerais à présent fournir
13 l'opportunité aux représentants du gouvernement. Bien entendu, nous sommes
14 aussi en retard vis-à-vis de notre ordre du jour initial. Je tiens à
15 préciser que nous pouvons travailler jusqu'à
16 sept heures moins quart; ce qui nous donne à peu près une demi-heure. Par
17 la suite, il faudra changer les bobines; ce qui fait que nous ne pourrions
18 continuer. La Bosnie-Herzégovine est une partie dans cette audience. Je
19 voudrais leur fournir l'opportunité de s'adresser aux Juges. Compte tenu de
20 l'heure avancée, je voudrais également ménager un peu de temps pour leurs
21 voisins, afin qu'eux aussi aient l'opportunité de s'adresser aux Juges de
22 ce Tribunal.
23 Madame Kreso, vous avez la parole à présent. Peut-être devrais-je
24 m'adresser à vous en disant "Madame le Juge." Toujours est-il que vous
25 pouvez prendre la parole.
Page 214
1 Mme KRESO : [interprétation] Messieurs les Juges, je vous remercie de
2 l'opportunité que vous avez fournie à notre délégation s'agissant d'une
3 intervention. Je tiens à préciser que nous sommes tout à fait disposés et
4 engagés pour ce qui est du renvoi de l'affaire vers la Bosnie-Herzégovine,
5 et nous sommes tout à fait disposés à assurer les conditions qui seraient à
6 même de leur assurer un procès équitable. Ceci constitue la conséquence de
7 tous les changements, de toutes les modifications qu'a subi le système
8 juridique, le droit en Bosnie-Herzégovine depuis. Je ne peux pas considérer
9 que des raisons financières ou politiques puissent constituer une raison
10 suffisante pour ce qui est du renvoi de cette affaire vers des tribunaux
11 nationaux, parce que nous sommes des professionnels et des experts qui ne
12 sauraient adopter ce type d'argumentation pour ce qui est des raisons pour
13 lesquelles le renvoi de l'affaire devrait être accepté.
14 Je vais vous présenter en bref ce que la jurisprudence en Bosnie-
15 Herzégovine a déjà fait aux fins de s'équiper afin de pouvoir juger des
16 affaires aussi délicates.
17 Je tiens à préciser qu'après la guerre, le domaine de la justice en Bosnie-
18 Herzégovine a connu des modifications et des réformes de la plus grande des
19 envergures par rapport à ce qui a été repris de l'ex-Yougoslavie. Tout
20 d'abord, aucun juge, aucun parti politique, aucune organisation non
21 gouvernementale n'élit et ne choisit le procureur et les juges; la
22 magistrature. Le principe appliqué est celui de la représentation ethnique
23 sur pied d'égalité en provenance de deux entités. Les membres de ce conseil
24 juridique sont des collègues, des juristes, des hommes, des magistrats, des
25 conseils de la Défense, des procureurs, des juges et des professeurs
Page 215
1 respectés de faculté de droit. Notre système juridique a incorporé dans
2 notre législation les éléments internationaux. Nous avons des juges et des
3 procureurs étrangers qui travaillent au sein de nos tribunaux. Mis à part
4 ce fait, notre législation a été modifiée. Nous l'avons en effet adapté aux
5 normes internationales, ainsi qu'aux normes européens. Et quoi que
6 disposant d'une riche tradition, vu que nous avons fait partie du système
7 juridique de l'ex-Yougoslavie, qui elle était fondée sur le système romano-
8 germanique depuis les temps de l'Empire austro-hongrois, nous n'avons pas
9 commencé à exister après la guerre. Nous avons des traditions de justice
10 juste et équitable. Les lois qui portent sur cette matière, à savoir la loi
11 régissant la création de ce tribunal de la Bosnie-Herzégovine, les
12 amendements apportés à cette loi, la loi portant création d'un ministère
13 public de Bosnie-Herzégovine, et la loi portant renvoi d'affaires du TPIY,
14 avec utilisation des pièces à conviction du TPIY, la loi portant protection
15 des témoins, et notamment des témoins vulnérables, des témoins menacés,
16 ainsi que l'application d'autres dispositions, nous rendent capables de
17 conduire ces procès de façon efficace. Notre législation relative au code
18 pénale est adaptée aux droits qui prévalent dans les pays voisins. Nous
19 avons expulsé ou annulé le rôle du juge d'instruction dans la procédure, et
20 nous avons à cet effet agrandi le rôle du procureur, ce qui fait que la
21 procédure est devenue bien plus raide et plus efficace, tout en se faisant
22 moins onéreuse.
23 Nous ne sommes pas du tout une zone présentant des risques élevés,
24 alors qu'on a essayé de nous représenter ainsi. Il n'y a pas d'attentats
25 terroristes. Il n'y a pas non plus d'incidents de notre nature qui ferait
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1 ressortir ce pays particulièrement par rapport à son environnement des
2 Balkans. Au contraire. Nous, au niveau de l'Etat, nous nous sommes attaqués
3 à tous ces problèmes, à tous nos problèmes, et nous n'avons pas hésité à
4 poursuivre également nos hauts responsables et à les condamner, le cas
5 échéant. Ceci inclus des membres de la présidence, ou des juges de la cour
6 suprême, au cas où il y aurait eu des affaires de corruption et des
7 représentants d'Interpol. Le fait qu'il y ait eu des affaires relatives à
8 des questions de corruption au cours des événements qui se sont déroulés
9 depuis la guerre ne signifie pas que ce soit des actes qui connaissent
10 toujours la même échelle. Au contraire. Au contraire, du fait que nous
11 ayons poursuivi ce genre d'affaire, nous démontrons que nous sommes prêts à
12 nous attaquer aux problèmes qui sévissent en notre sein, et toutes ces
13 formes de délits, qui sont sans doute le lait de cette période de guerre
14 que nous avons connue.
15 Nos lois nous permettent d'organiser ces procès sans retard dès
16 raisonnable. Nous avons déjà pu présenter certains arguments dans nos
17 écritures. Je ne vais pas m'étendre là-dessus. Concernant l'état de
18 préparation des cours de Bosnie-Herzégovine, et plus particulièrement la
19 cour de l'état qui a été mise sur pied en l'an 2000, et en 2003 nous avons
20 eu le ministère public qui a pris ses fonctions. C'est un énorme avantage,
21 en fait. Le fait que nous disposions de cette cour est un avantage, étant
22 donné qu'elle nous permette d'avoir compétence concernant des crimes qui
23 ont été commis dans la totalité du territoire du Bosnie-Herzégovine. Nous
24 pourrons les poursuivre. Mais il faut bien reconnaître qu'auparavant, nous
25 n'avions qu'une compétence partielle qui se limitait aux entités; la
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1 Republika Srpska, la fédération de Bosnie-Herzégovine, et le district de
2 Brcko.
3 Au surplus, je voudrais souligner que ce que mes éminents collègues de la
4 façon ont dit, c'est-à-dire l'Article 12 de la loi portant sur cette cour
5 de Bosnie-Herzégovine, permet à cette cour donc, qui a compétence sur les
6 crimes les plus graves, d'avoir la possibilité de permettre à d'autres
7 avocats de représenter leurs clients devant cette cour. Ceci inclus
8 également des avocats qui ne font pas partie des barreaux locaux. Je peux
9 vous dire que le règlement de procédure existe, et couvre ce type de
10 question, et il suffira d'attendre la réunion plénière des Juges pour
11 l'adopter formellement. D'après ce règlement de procédure et de preuve, des
12 avocats internationaux pourront représenter leurs clients devant cette cour
13 de Bosnie-Herzégovine. Donc, ce sera possible. Il n'y aura d'exceptions à
14 cette règle.
15 En ce qui concerne maintenant les objections concernant les témoins à
16 décharge, les témoins de la Défense, et qui pourraient se trouver en
17 situation de danger s'ils se rendent en Bosnie-Herzégovine, qu'ils
18 pourraient faire l'objet d'arrestation, c'est la cour qui émet un mandat
19 d'arrêt, personne d'autre. Etant donné que la Bosnie-Herzégovine a déjà
20 signé un mémorandum avec ses pays voisins, avec la Croatie par exemple, et
21 un mémorandum similaire, un accord de ce type sera signé également avec la
22 Serbie-et-Monténégro concernant l'assistance judiciaire entre les Etats.
23 Etant donné que cet accord précise que les témoins qui se rendent vers le
24 pays requérant ne serait fait l'objet d'arrestation, s'ils si rendent à
25 titre de témoin.
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1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Excusez-moi de vous interrompre. J'ai
2 entendu parlé de ces mémorandums. Est-ce que le mieux n'aurait pas été de
3 ratifier la convention européenne sur l'assistance mutuelle dans les
4 matières pénales, qui est également ratifiée par les pays voisins ? Cela
5 vous aurait donné l'éventail complet des modes de coopération, et d'ainsi
6 de veiller à la présence des témoins, et en même temps, cela permettrait
7 d'avoir les saufs conduits. Mais apparemment donc, ces accords de ce type
8 n'ont été signés qu'avec un seul pays voisin, et c'est la forme qui était
9 prise est celle d'un mémorandum. Alors, quel statut juridique est-ce que
10 cela a sur le plan du droit international public ? La question que je vous
11 pose, c'est pourquoi tant de pays ont ratifié cet instrument, et que vous,
12 vous ne l'avez pas fait ?
13 Mme KRESO : [interprétation] Les accords qui ont été signés, ou qui sont en
14 train d'être signés, ont été signés par des procureurs, le ministère public
15 donc dans les trois pays en cause, et ils garantissent, et ils permettent,
16 d'accélérer, les procédures, dès lors qu'il y a certaines demandes de
17 pouvoir, à voir certains témoins. Il y a des dispositions de conventions
18 internationales qui en font partie, et qui traitent également de ces
19 questions. Ces procureurs ont une marge de manœuvre qui leur permette de
20 pouvoir accélérer les choses en matière de recueil de preuve. Si vous
21 permettez, mon collègue du ministère public pourra d'ailleurs revenir sur
22 cette question, parce que nous nous sommes répartis les différents sujets
23 entre nous.
24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Je veillerai à lui donner la
25 parole. Peut-être pourriez-vous penser à ce qui se serait passé si le
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1 témoin vivait ailleurs ? Est-ce qu'un traité tel que la convention
2 Européenne couvrant une zone beaucoup plus large rendrait la chose plus
3 facile que des instruments bilatéraux. Deuxièmement, il est toujours
4 possible de conclure des accords complémentaires avec ces voisins, cela
5 c'est une pratique bien connue, mais dire maintenant que ces accords
6 remplacent la convention est une question d'un tout autre ordre. Je vous
7 propose ces différentes questions et je les soumets à votre examen.
8 Je vous en prie, Madame, veuillez poursuivre.
9 Mme KRESO : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur le Président.
10 Dans le contexte des réformes effectuées dans l'appareil judiciaire de
11 Bosnie-Herzégovine, on a mis sur pied un greffe et le fait d'avoir mis sur
12 pied, ce greffe en Bosnie-Herzégovine a déjà été couronné de succès parce
13 que, comme vous le savez, ce greffe dispose de plusieurs services qui
14 peuvent fournir un appui aux cours, au bureau du Procureur, à la Défense,
15 fournir également une protection au témoin. Il y a un service, également,
16 de relations publiques. A cet égard, la communauté internationale a
17 investi, d'ailleurs, pas mal de ressources par le biais de conférences de
18 bailleurs de fonds afin de mettre sur pied une chambre particulière au sein
19 de la cour de Bosnie-Herzégovine qui serait chargée de poursuivre les
20 crimes de guerre. Il y a, également, un département particulier pour la
21 criminalité organisée, les crimes économiques et la corruption. La
22 présence, également, de juges et de procureurs internationaux constitue une
23 garantie d'un haut niveau d'objectivité et d'impartialité et au regard de
24 notre droit, ces chambres chargées de crimes de guerre seront présidées par
25 un juge interne, mais les membres de la chambre seront des juges
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1 internationaux. Les procédures s'organiseront dans une des langues des
2 peuples de Bosnie-Herzégovine et en anglais.
3 Outre ces différents aspects de procédure, nous avons également, sur le
4 plan matériel et technique, les équipements nous permettant de mener à bien
5 ces procédures. Grâce aux fonds fournis par les bailleurs de fonds, la cour
6 a pu s'équiper des technologies les plus modernes, ce qui permettra aux
7 diverses chambres de faire leur travail et de manière efficace. C'est le
8 même type de technologie que ceux dont bénéficient ce Tribunal.
9 Outre les différentes raisons d'ordre juridique que l'Etat présentait dès
10 lors qu'il essaie d'obtenir le transfert de ces affaires vers ces
11 juridictions internes, l'une de ces raisons est le fait que ces accusés
12 jouissent d'une double nationalité, leur nationalité de départ était celle
13 de la Bosnie-Herzégovine. Au moment où l'ancienne Yougoslavie s'est
14 effondrée, les personnes de Bosnie-Herzégovine, des Serbes et des
15 Bosniaques ont pu profité de la double nationalité. Il n'y a pas que les
16 Croates de Bosnie-Herzégovine ou les Serbes qui ont pu adopter la
17 nationalité de Croatie ou de Serbie, il y a également des Bosniaques qui
18 ont pu profité de cette possibilité; donc pas mal ont la double nationalité
19 serbe ou croate de Bosnie-Herzégovine. Pour ces motifs d'ordre juridique
20 que nous invoquons et qui vont dans le sens de notre argument selon lequel
21 nous pouvons poursuivre nos propres ressortissants car nous estimons que
22 cette citoyenneté qu'ils ont pu obtenir grâce au fait qu'ils sont nés en
23 Bosnie-Herzégovine, c'est que dès lors ils sont ressortissants de Bosnie-
24 Herzégovine ou toute autre nationalité qu'ils peuvent présenter aujourd'hui
25 a été obtenue après l'effondrement de l'ex-Yougoslavie.
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1 Autre motif juridique que nous pouvons invoquer pour demander le renvoi de
2 cette affaire en Bosnie-Herzégovine constitue le fait que notre propre code
3 pénal précise que la législation pénale de Bosnie-Herzégovine s'appliquera
4 à toute personne qui commet un délit pénal sur le territoire de Bosnie-
5 Herzégovine. Nous avons une compétence territoriale. La cour de l'Etat de
6 Bosnie-Herzégovine jouit d'une compétence territoriale étant donné que les
7 crimes en cause ont été commis sur le territoire de Bosnie-Herzégovine par
8 ses propres ressortissants, les victimes habitaient sur le territoire de
9 cet Etat et la plupart des témoins habitent toujours sur le territoire de
10 cet Etat.
11 Enfin, la justice doit être rendue là où les crimes ont été commis. En
12 effet, les victimes n'ont pas choisi le lieu de la perpétration des crimes.
13 Le renvoi d'affaires similaires à celle-ci constituerait quelque chose de
14 négatif, étant donné que tout le processus de la création d'un climat de
15 confiance d'un climat de réconciliation entre nos peuples en serait
16 beaucoup plus difficile. Je dis, parfois, que passer dix ans en prison
17 suite à une peine imposée par une cour de Bosnie-Herzégovine ou purger une
18 peine de 15 ans imposée par une cour d'un autre Etat n'est pas pareil parce
19 que les victimes demandent que la justice soit rendue sur place, sur le
20 terrain, là où les crimes ont été perpétrés.
21 Si nous voulons nous poser la question de savoir quelle atteinte serait
22 portée aux accusés si ces affaires étaient renvoyées devant les cours de
23 Bosnie-Herzégovine, je parle d'une hypothèse ici, c'est une question que
24 les gens peuvent avoir. C'est une impression; en fait, les gens ont
25 l'impression que leur sentence serait plus indulgente s'ils sont jugés par
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1 une juridiction dans un autre pays. C'est une impression qui est erronée.
2 Certaines victimes aussi pensent que si l'affaire serait traitée devant une
3 juridiction de Bosnie-Herzégovine que la peine serait plus sévère. Ce n'est
4 pas vari. Je peux vous le dire en toute responsabilité.
5 Les critères ou les normes appliqués par cette cour et qui figurent dans
6 notre législation garantissent un procès équitable, ce qui est également
7 prévu par la loi, que le procès sera rendu sans retard déraisonnable.
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Excusez-moi. Je voudrais vous demander
9 parce que nous n'avons plus qu'une demi-heure, je ne voudrais pas que cette
10 audience devienne une espèce de pétition, une espèce de course ou de
11 concours entre vous. Non. Cette Chambre, en fait, ce qu'elle souhaite
12 entendre, ce sont les questions d'ordre juridique, les questions d'ordre
13 technique; bien entendu, nous sommes parfaitement conscients du fait comme
14 l'ont démontré tant la Défense que l'Accusation, et je l'ai entendu de
15 votre bouche aussi, nous savons que ces questions juridiques et techniques
16 ne constituent pas les seuls éléments garantissant l'équité de la procédure
17 pour les accusés, mais aussi équité de la justice pour les victimes. Ces
18 aspects techniques ne doivent pas être perçus de manière isolée, mais bien
19 entendu, cela fait partie d'un ensemble.
20 Alors, d'après ce que j'ai entendu dans votre propos - nous n'avons plus
21 qu'une dizaine de minutes - de toute façon, nous poursuivrons brièvement
22 encore demain après-midi. Mais est-ce qu'il y a vraiment des questions
23 précises dont vous aimeriez nous faire part, maintenant ? Dans ce cas, je
24 vous invite à le faire. Je suppose que sur les questions d'ordre technique,
25 nous recevrons des informations, sans doute, brièvement demain de la part
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1 de ceux qui sont compétents pour nous donner ces informations. Mais est-ce
2 qu'il y a des questions précises sur lesquelles vous souhaiteriez attirer
3 notre attention pour l'heure ? Y a-t-il autre chose ?
4 Mme KRESO : [interprétation] Oui, je voulais attirer votre attention sur un
5 point que mon collègue abordera plus en détail, qui est que le code pénal
6 de la RSFY de 1997 prévoyait dans son
7 Article 30 que tout acte criminel peut être le résultat d'un acte ou de
8 l'absence d'acte. L'absence de réaction est également pénalisée, c'est-à-
9 dire, c'est le cas où l'auteur s'est abstenu d'effectuer quelque chose
10 qu'il était obligé de faire ou tenu de faire.
11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, oui. Cela revient à la question de
12 la responsabilité hiérarchique. Nous voudrions entendre cela. Certainement,
13 dans quelques instants, on aura peut-être l'occasion de le faire. Mais
14 surtout, ce qui nous intéresse, c'est de savoir dans quelle mesure la
15 négligence est, également, prise en compte dans cette disposition juridique
16 car, effectivement, cela pourrait poser un problème.
17 Alors, je vous propose que les aspects d'ordre technique soient réservés de
18 manière concise, demain après-midi, du moins si cela vous convient.Mais je
19 voulais savoir s'il y a peut-être une autre question encore sur laquelle
20 vous voudriez revenir maintenant.
21 Mme KRESO : [interprétation] Je ne voudrais pas prendre trop de temps
22 maintenant parce que je crois que ma collègue voudrait vous parler. Elle
23 voudrait parler de la responsabilité hiérarchique.
24 Mme Mechtild Lauth voudrait vous en parler aujourd'hui ou demain.
25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je crois qu'on va peut-être réserver
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1 cela à demain. Vous savez que notre difficulté, c'est de traiter de cela en
2 10 ou 12 minutes. Peut-être pourriez-vous également mettre cela par écrit,
3 cela pourrait convenir aussi, plutôt que de présenter cela oralement.
4 Y a-t-il autre chose ? Parce que de toute façon, nous aurons le temps,
5 demain, d'entendre tout cela et il sera un petit peu plus tôt, nous serons
6 plutôt plus frais et dispos également.
7 Mme KRESO : [interprétation] Oui, je suis d'accord. On peut réserver cela
8 pour la journée de demain, étant donné le court temps qui nous reste.
9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien. Excusez-moi quelques instants.
10 [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]
11 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Pendant qu'on attend, je voudrais, pour
12 le compte rendu, que l'on dise que Mme la Présidente dit que vous aviez dit
13 à la page 76 de la ligne 16 à 17, je cite : "Renvoyer des affaires de ce
14 genre serait particulièrement négatif, parce que…" Je crois que vous avez
15 voulu dire exactement le contraire, n'est-ce pas ? Est-ce vous pourriez
16 nous rappeler quelle était la teneur de votre propos ?
17 Mme KRESO : [interprétation] Oui. Ce serait négatif par rapport à la
18 construction ou à l'établissement d'un climat de confiance.
19 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Qu'est-ce qui est négatif ? C'est le
20 renvoi de l'affaire ?
21 Mme KRESO : [interprétation] Oui, c'est-à-dire que les cours de Bosnie-
22 Herzégovine, et je parle particulièrement de la cour de l'Etat de Bosnie-
23 Herzégovine, sont parfaitement en mesure - et je dois ajouter que la guerre
24 a vraiment mis à mal notre système judiciaire. Si de telles affaires nous
25 étaient renvoyées, nous aurions l'occasion - et je vous prie instamment,
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1 Messieurs les Juges, de le faire, de nous donner cette occasion, de prouver
2 non seulement à nos populations, mais également à la communauté
3 internationale, que nous sommes capables de voir la vérité en face et que
4 nous sommes tout à fait capables, soit d'acquitter ou de condamner nos
5 prévenus et que nous pouvons justifier la confiance que la communauté
6 internationale nous a octroyée.
7 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, très bien,
8 Madame Kreso. Là, je vous suis.
9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je voudrais vous remercier, Madame la
10 Présidente, d'avoir pris la parole et de nous avoir expliqué un certain
11 nombre de choses, sachant que d'autres détails seront complétés demain.
12 Alors, dans cette dernière partie de cette audience, j'aimerais
13 m'adresser au représentant de Serbie-et-Monténégro, Monsieur Loncar. Je
14 dirais que pour vous aussi, enfin, je dirais la même chose. Je ne sais pas
15 si vous voulez plutôt commencer avec des commentaires d'ordre technique ou
16 est-ce que vous voulez plutôt commencer avec des commentaires d'ordre
17 général. Vous aurez sans doute remarqué, comme je l'ai dit préalablement,
18 que cette Chambre souhaite éviter qu'il y ait là une ruée vers l'affaire et
19 qu'éviter toute compétition entre vous, pour savoir qui serait le meilleur.
20 Nous sommes convaincus qu'il y a beaucoup d'enjeux, tant pour la Bosnie-
21 Herzégovine, mais également pour la Serbie. Nous savons qu'il y a des
22 conséquences à cette demande de renvoi devant la Serbie-et-Monténégro; vous
23 êtes ici devant nous et sans doute, vous serez présents pour d'autres
24 affaires de ce genre régulièrement. Mais nous souhaiterions éviter qu'il
25 n'y ait de concours entre vous pour savoir qui gagnera l'affaire.
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1 Alors, je vous prie de bien vouloir prendre la parole et de nous
2 fournir des informations supplémentaires ou vos réflexions sur la demande
3 dont vous nous avez saisis.
4 M. LONCAR : [interprétation] Monsieur le Président, je tiens compte du fait
5 que nous sommes très près de la fin de l'audience, puisque comme vous venez
6 de le dire, il ne nous reste qu'une dizaine de minutes à peine. Dans ces
7 conditions, je voudrais commencer par vous parler des éléments généraux de
8 mon exposé, afin de reprendre demain, davantage dans le détail, le reste de
9 mon argumentaire.
10 Mais permettez-moi, je vous prie, au début de mon exposé, d'exprimer toute
11 la reconnaissance de notre gouvernement à l'égard des Juges de cette
12 Chambre, reconnaissance pour l'invitation qui nous a été envoyée, la
13 possibilité qui nous a été donnée de prendre la parole, aujourd'hui, ici
14 même, sur un sujet aussi important que celui-ci, devant vous, Messieurs les
15 Juges. Je tiens également à dire que mon gouvernement a une pleine et
16 entière volonté de coopérer pleinement avec le TPIY et mon gouvernement est
17 tout à fait prêt, il tient à l'affirmer, à ce que certaines des affaires
18 jugées par le TPIY soient renvoyées devant nos tribunaux nationaux pour y
19 être jugées.
20 Les juges de Serbie-et-Monténégro sont tout à fait prêts à
21 Cela. Ils sont, je crois, tout à fait aptes également à juger des affaires
22 portant sur les crimes de guerre. Je crois d'ailleurs que cette réalité est
23 étayée par l'avis qu'a exprimé le représentant du bureau du Procureur du
24 TPIY, dans le débat relatif à l'Article 11 bis du Règlement, dans le cadre
25 d'une requête aux fins de renvoi, qui a été soumise par le bureau du
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1 Procureur au sujet de Vladimir Kovacevic en date du 28 octobre 2004,
2 paragraphes 41 à 45, je cite :
3 "La Serbie-et-Monténégro ont la volonté politique, et ont l'état de
4 préparation nécessaire pour poursuivre l'accusé devant ses tribunaux. Le
5 bureau du Procureur a noué des rapports excellents avec le procureur
6 général de Serbie-et-Monténégro, dans le cadre de rapport de travail d'une
7 très grande qualité avec le tribunal régional de Belgrade, qui traite des
8 affaires de crimes de guerre. En coopération avec l'Accusation du TPI, le
9 procureur de la République de Serbie-et-Monténégro chargé de poursuivre les
10 crimes de guerre, a établi des actes d'accusation contre un certain nombre
11 de personnes soupçonnées d'avoir participé au massacre d'Ovcara, et a
12 participé avec le procureur du TPIY à traduire en justice un certain nombre
13 d'autres personnes. Suite au renvoi devant le tribunal régional de Belgrade
14 d'une affaire dont était saisi le TPI, un cas de crimes de guerre commis en
15 Bosnie-Herzégovine a été jugé. Le procureur a estimé que le tribunal
16 régional de Belgrade, ses juges et le procureur chargé des crimes de
17 guerre, avaient les compétences et les capacités techniques pour poursuivre
18 Vladimir Kovacevic, selon les normes reconnues de la justice
19 internationale. Le procureur du TPI a été convaincu que l'accusé se verrait
20 juger dans le cadre d'un procès équitable par ailleurs."
21 Permettez-moi, à l'appui de l'affirmation de mon gouvernement, de vous
22 soumettre un certain nombre d'arguments démontrant que les crimes présumés
23 à titre de charge contre les accusés, n'ont pas été commis en Serbie. Par
24 conséquent, personne ne pourrait exercer la moindre pression sur le
25 procureur ou les juges de Serbie-et-Monténégro. Quant à la volonté
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1 politique de mon gouvernement, à savoir, du gouvernement de Serbie-et-
2 Monténégro, volonté politique de juger comme il se doit les crimes de
3 guerre, je me permettrai de dire que mon gouvernement est entièrement
4 engagé à coopérer avec le TPI. Cette coopération s'est intensifiée après
5 l'adoption de la loi qui a été adoptée en 2003, loi par laquelle une
6 Chambre de première instance spéciale a été créée pour juger des crimes de
7 guerre au niveau du tribunal régional de Belgrade, par laquelle un
8 procureur chargé des crimes de guerre a également été créé. Ces deux
9 instances, ont dans un temps très court, obtenu d'excellents résultats dans
10 la poursuite du crime de guerre; réalité reconnue par tous les observateurs
11 indépendants.
12 La Serbie-et-Monténégro et la Serbie en tant que telles, sont sur le
13 plan institutionnel et sur le plan législatif, tout à fait prêtes et ont la
14 volonté de poursuivre les responsables d'infractions graves au droit
15 international humanitaire sur le territoire de l'ex-Yougoslavie. Je répète
16 que s'agissant de la réconciliation entre les peuples de l'ex-Yougoslavie,
17 ceci aurait une importance exceptionnelle aux yeux de tous. Je veux parler
18 du fait de juger ses propres ressortissants devant ses propres tribunaux.
19 Ce qui serait une preuve de maturité et de volonté à faire face au passé, à
20 affronter les crimes présumés commis par soi-même. C'est la seule façon de
21 faire accepter de la façon la plus large qui soit, les verdicts qui
22 pourraient être prononcés par des instances judiciaires nationales. En
23 effet, si l'accusé et le conseil de la Défense n'ont pas confiance dans le
24 système judiciaire d'un pays déterminé, alors les ressortissants de ce pays
25 risquent d'échapper à la vérité établie par ce tribunal. Le TPI a, pendant
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1 un certain temps aux yeux de l'opinion de l'ex-Yougoslavie, a subi un
2 manque de confiance de la part de cette opinion publique, et ce, sans même
3 se pencher sur le fond des affaires ou sur la nature exacte des jugements
4 qui ont été prononcés dans toute cette période. Il me semble que dans
5 l'intérêt de la Serbie mais également dans celui de la Bosnie-Herzégovine,
6 il serait bon que la présente affaire, l'affaire qui nous intéresse, soit
7 jugée par un tribunal de Belgrade. Ce serait la meilleure façon de régler
8 ces comptes avec le passé, un passé que tous les états issus de l'ex-
9 Yougoslavie portent comme un fardeau.
10 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, permettez-moi de vous faire
11 connaître la position de mon gouvernement, qui consiste à dire qu'il
12 soutient entièrement les arguments favorables à l'extradition qui ont été
13 développés par Me Lucik ici même aujourd'hui.
14 Quant aux détails techniques tout à fait particuliers, j'espère que vous me
15 donnerez demain une autre possibilité de m'exprimer pour en parler. Je vous
16 remercie, Monsieur le Président, Messieurs les Juges.
17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur Loncar.
18 Avant de poursuivre, je voudrais présenter mes excuses aux interprètes
19 auxquels je n'ai pas demandé leur avis pour prolonger les débats un peu
20 plus que prévu. Toutes mes excuses aux interprètes pour commencer.
21 Maintenant, Monsieur Loncar, je vous demande si votre avis selon lequel le
22 fait que les crimes n'auraient pas été commis en Serbie-et-Monténégro
23 impliquerait un peu moins de passion au cours du procès. Votre collègue
24 pourrait s'exprimer sur ce point également, et nous faire connaître sa
25 position demain matin. Je vous demande d'emblée si cela n'est pas une
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1 attaque tout à fait directe par rapport au principe de territorialité qui,
2 en général, est le premier principe pris en compte pour déterminer la
3 juridiction susceptible de juger dans des affaires de ce genre. Certains
4 pourraient dire que l'éloignement du lieu où les événements se sont
5 produits, risque d'éloigner encore plus les victimes de ces événements, et
6 risque de réduire le niveau de compassion nécessaire. Bien entendu, dans un
7 jugement, ce n'est peut-être pas la compassion qui est l'élément
8 prioritaire. Tout de même, quoiqu'il en soit, il risque d'y avoir un
9 problème, ne pensez-vous pas, du point de vue de la compassion manifestée
10 éventuellement à l'égard de l'accusé plutôt qu'à l'égard des victimes ?
11 Affirmer que l'acte criminel n'a pas été commis ici, que par
12 conséquent, moins de passions, s'exprimera au cours des débats, cela me
13 semble éventuellement un argument un peu trop simpliste, dirais-je.
14 Nous suspendons l'audience à présent, et reprendrons nos débats
15 demain matin. Les deux parties se verront accorder un temps déterminé pour
16 traiter des éléments techniques. J'indique aux parties qu'il serait bon que
17 les arguments soient présentés une seule fois par -- chacune globalement,
18 après quoi, nous entendrons les derniers commentaires éventuellement
19 nécessaires. Vous aurez peut-être remarqué ou compris dès aujourd'hui quels
20 sont les sujets qui intéressent particulièrement la Chambre. Je prononcerai
21 également demain quelques mots. Nous espérons pouvoir en terminer dans un
22 délai d'une heure et demie, donc trois quarts d'heure pour chaque partie.
23 Merci. Suspension jusqu'à demain.
24 --- L'audience sur requêtes est levée à 18 heures 55 et reprendra le
25 vendredi 4 mars 2005, à 14 heures 15.