Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le vendredi 4 mars 2005

2 [Audience sur requêtes]

3 [Audience publique]

4 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

5 [L'accusé Gruban est absent]

6 --- L'audience est ouverte à 14 heures 25.

7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur le Greffier, voudriez-vous, je

8 vous prie, citer le numéro de l'affaire au rôle.

9 M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Il s'agit

10 de l'affaire IT-02-65-PT, le Procureur contre Zeljko Mejakic, Momcilo

11 Gruban, Dusan Fustar et Dusko Knezevic.

12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur le Greffier. Je

13 vois que nous sommes dans la même configuration qu'hier avec représentation

14 des parties par les juristes compétents. Du côté de l'Accusation votre

15 équipe s'est renforcée d'une personne par rapport à hier. Madame Somers,

16 vous représentez le bureau du Procureur.

17 Du côté des conseils de la Défense, je vois que ces derniers sont au

18 nombre de six, tout comme hier. Je constate également dans le prétoire la

19 présence des représentants de la République de Bosnie-Herzégovine ainsi que

20 des représentants du

21 Serbie-et-Monténégro à l'identique par rapport à hier. Je dis cela pour le

22 compte rendu d'audience.

23 A présent, je vérifie une nouvelle fois que les accusés m'entendent

24 bien dans une langue qu'ils comprennent.

25 Monsieur Mejakic, vous avez la parole.

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1 L'ACCUSÉ MEJAKIC: [interprétation] Monsieur le Président, je vous entends

2 et je vous comprends.

3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Knezevic.

4 L'ACCUSÉ KNEZEVIC : [interprétation] Je vous entends et je vous comprends,

5 Monsieur le Président.

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Fustar.

7 L'ACCUSÉ FUSTAR : [interprétation] Je vous entends et je vous comprends,

8 Monsieur le Président.

9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Merci. Nous poursuivons nos

10 débats cet après-midi. La Chambre attend des personnes présentes qui vont

11 s'exprimer, qu'elles lui fassent part de détails techniques, dirai-je,

12 techniques dans le sens de juridiques, de façon à ce que nous nous

13 concentrions sur les détails les plus importants de l'affaire, s'agissant

14 de renvoyer ces quatre accusés devant une autre juridiction conformément au

15 Statut et au Règlement de procédure et de preuve de ce Tribunal. J'aimerais

16 que l'on nous indique quels sont les problèmes juridiques qui risquent de

17 se poser, au cas où nous sommes appelés à rendre une décision en la

18 matière.

19 Hier, nous avons entendu un certain nombre d'éléments d'information qui

20 reprenaient les écritures déposées précédemment. Nous avons notamment

21 entendu parler des efforts déployés par les états issus de l'ex-

22 Yougoslavie, jusqu'au jour d'aujourd'hui, pour améliorer leur système

23 juridique et judiciaire, et notamment la façon dont est rendue la justice

24 dans le cadre des poursuites engagées pour infractions graves au droit

25 international et humanitaire. Aujourd'hui, j'aimerais que nous nous

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1 concentrions sur des aspects tout à fait particuliers de l'affaire. Bien

2 entendu, le Tribunal, de façon générale, cette Chambre en particulier, se

3 rend bien compte que nous ne sommes pas ici dans le cadre d'un concours de

4 beauté s'agissant de l'instance devant laquelle seraient renvoyées les

5 affaires par le bureau du Procureur. Dans le même temps, comme vous l'avez

6 sans doute remarqué, la Chambre n'est pas fermée à un débat sur les

7 modalités susceptibles de mieux servir la justice en cas de renvoi devant

8 une autre juridiction. Pour le moment, nous avons à traiter d'une requête

9 en vue de renvoi de cette affaire et des affaires évoquées devant les

10 tribunaux de Bosnie-Herzégovine.

11 J'aimerais d'abord donner la parole aux représentants de la République de

12 Bosnie-Herzégovine, pour qu'ils abordent ces questions techniques à

13 l'intention des Juges de la Chambre. Madame la Présidente, je suppose que

14 c'est peut-être vous qui allez parler, à moins que ce ne soit vous, Madame

15 Donlon, en effet.

16 Mme LAUTH : J'aimerais commencer par me présenter une nouvelle fois. Je

17 m'appelle Mechtild Lauth. Je suis représentante du tribunal chargé des

18 crimes de guerre en Bosnie-Herzégovine. Je pense qu'il serait bon

19 d'apporter quelques détails complémentaires par rapport à ce qui a été dit

20 hier si les Juges de la Chambre sont prêts à l'entendre.

21 Hier, nous nous sommes concentrés sur un certain nombre de questions.

22 Vous me permettrez sans doute de revenir brièvement sur le contexte que

23 constitue l'existence des lois qui ont été évoquées hier, et qui sont en

24 cours d'évolution actuellement. En

25 décembre 2003, le bureau du haut représentant a créé une agence responsable

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1 des affaires liées à l'immunité diplomatique et un groupe de travail

2 destiné à rédiger des lois et à amender la législation existante, le cas

3 échéant, pour créer des conditions permettant à la constitution de ce

4 tribunal spécial chargé des crimes de guerre en Bosnie-Herzégovine. Cette

5 série de lois a été étudiée, elle a été débattue au sein du groupe de

6 travail. On l'a qualifie, en général aujourd'hui, de paquet de lois liées

7 aux crimes de guerre.

8 Le groupe de travail se composait d'un certain nombre de

9 représentants institutionnels, notamment des représentants des tribunaux de

10 Bosnie-Herzégovine, du bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine, du

11 ministère de la Justice ainsi que du TPIY. Il siégeait également un

12 représentant du bureau du haut représentant. Pour ma part, j'étais membre

13 de ce groupe de travail.

14 Les lois adoptées par le groupe de travail sont les suivantes, et je

15 pense que certaines ont déjà été évoquées à plusieurs reprises au cours des

16 débats qui nous réunissent. Notamment, la loi sur la modification des

17 conditions régissant le bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine, la loi

18 sur la modification des conditions régissant le fonctionnement des

19 tribunaux locaux, la loi sur les affaires renvoyées devant la juridiction

20 bosniaque par le TPI, donc renvoyées devant le bureau du Procureur de

21 Bosnie-Herzégovine, la loi sur la modification du code de procédures

22 pénales. Finalement, et je crois que c'est l'une des plus importantes qui

23 nécessite le plus d'explication, la loi sur la modification des conditions

24 régissant la protection des témoins.

25 La rédaction de l'ensemble de ce paquet de lois s'est terminée en

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1 juin 2004. Après quoi, les lois en question ont été soumises aux

2 organisations internationales et instances nationales pour commentaires

3 complémentaires. Ces projets de lois ont été soumis à l'OSCE et au conseil

4 de l'Europe. Ces deux organisations ont apporté des commentaires

5 complémentaires qui portaient sur l'ensemble des lois en question. Ensuite,

6 cette série de loi a été soumise aux autorités nationales pour l'adoption.

7 Après débat au parlement, l'ensemble de ces lois, toutes ces lois donc,

8 l'ensemble du paquet a été adopté en décembre 2004 et publié au journal

9 officiel de Bosnie-Herzégovine sous le numéro 61/04.

10 S'agissant de la protection des témoins qui, si j'ai bien compris, pourrait

11 être un élément particulièrement intéressant pour les Juges de cette

12 Chambre ainsi que pour les conseils de la Défense, s'agissant notamment du

13 problème particulier de l'anonymat des témoins qui a été évoqué à plusieurs

14 reprises au cours de nos débats, la loi originale sur la protection des

15 témoins vulnérables et des témoins menacés, a été adoptée en janvier 2003.

16 Le groupe de travail dont je viens de parler, s'est efforcé de s'occuper

17 d'un souci particulier, à savoir que se passe t-il lorsque les Juges et

18 Procureurs sont confrontés à des amendements survenus ultérieurement ou à

19 des modifications techniques mineures qui, néanmoins, ont un effet assez

20 important sur les dispositions de l'Article 13 de l'ancienne loi qui

21 portait peut-être à tord le titre de "Mesures destinées à assurer

22 l'anonymat des témoins." Cet intitulé ainsi que le libellé de la loi a été

23 modifié s'agissant de garantir la non communication de l'identité des

24 témoins, qui est la disposition centrale de cette loi destinée à protéger

25 les témoins.

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1 Les mesures stipulées par la loi sont très semblables. En tous cas, c'est

2 mon avis, aux mesures appliquées par le TPIY ou d'autres juridictions

3 nationales, telles que, par exemple, déformation de la voix ou de la

4 restitution des traits du visage à l'écran, témoignage par vidéoconférence

5 où retrait de l'accusé de la salle d'audience le cas échéant. Nous ne

6 pensons pas que de telles mesures pourraient constituer en quelque

7 circonstance que ce soit une violation du droit de la Défense.

8 J'aimerais à présent traiter brièvement d'un aspect particulier des

9 mesures destinées à surveiller la protection des témoins, qui figurent dans

10 les dispositions de la loi, car je crois avoir compris que la Défense,

11 hier, a évoqué les aspects particuliers de la défense des témoins, de la

12 protection des témoins, au titre des Articles 15 à 22 de la loi dont je

13 suis en train de parler. L'Article 14 de cette loi, si vous me le

14 permettez, j'aimerais en donner lecture rapidement, se lit comme suit, je

15 cite : "Dans des circonstances exceptionnelles où existe manifestement un

16 risque pour la sécurité personnelle du témoin ou de sa famille, où ce

17 risque est si important qu'il y a des raisons justifiées de penser qu'il ne

18 saurait être supprimé une fois la déposition faite, ou qu'il pourrait

19 éventuellement s'aggraver en raison de la déposition du témoin, la Chambre

20 peut procéder à une audition du témoin en application des Articles 15 à 23

21 de la présente loi."

22 Dans cette disposition, il est indiqué que lorsque des restrictions très

23 importantes existent s'agissant de l'efficacité des mesures de protection

24 d'un témoin, l'audience peut se dérouler dans des conditions particulières.

25 La procédure destinée à assurer la protection du témoin se déroule comme

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1 suit : soit le Tribunal décide ex officio qu'il est nécessaire d'organiser

2 une telle audience, soit cette audience est organisée à la demande de

3 l'Accusation ou de la Défense. Les requêtes des parties doivent être en

4 rapport, notamment avec les dispositions de l'Article 15, paragraphe 2(B)

5 de la loi, qui indique que la sécurité du témoin est en danger en raison de

6 la participation du témoin au procès.

7 La décision de la Chambre, quant à la tenue ou non d'une audience réservée

8 spécialement à la discussion des mesures de protection applicables au

9 témoin, ne peut être instiguée par les deux parties, y compris par la

10 Défense. Si une audience, en vue de discussions de mesures de protection

11 applicables à un témoin se déroule, elle se déroule devant trois juges qui

12 interrogent le témoin présent en personne dans le prétoire. Ensuite, une

13 déclaration est lue dans la salle d'audience au cours du procès. Cependant,

14 selon les dispositions de l'Article 22 de la loi, la Défense, et même les

15 deux parties, mais en tout état de cause, la Défense peut demander que

16 cette audience de protection du témoin soit organisée pour faire la clarté

17 sur toutes les questions qui risquent de se poser.

18 J'affirme ici, que les droits de la Défense sont tout à fait pris en compte

19 dans cette loi puisqu'elle est fondée sur l'équilibre entre les parties.

20 Finalement, il importe de remarquer que

21 l'Article 23 de la loi en question, dispose que la Chambre ne fondera pas

22 sa décision de condamnation uniquement sur les éléments de preuve, même

23 s'ils sont décisifs et qui sont fournis dans les conditions susmentionnées.

24 La Chambre est tenue d'interpréter cette loi comme toute autre loi à la

25 lumière des dispositions de la convention européenne des droits de l'homme

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1 qui, en conformité avec les dispositions de la constitution de Bosnie-

2 Herzégovine, a préséance sur le droit national.

3 Enfin, un dernier texte de loi tout à fait concret sur les questions

4 de la protection des témoins existe à ma connaissance, et réglemente ce

5 mécanisme qui, pour autant que je le sache, n'a été appliqué qu'une fois

6 devant les tribunaux. Apparemment, même l'Accusation a quelques réticences

7 à demander ces mesures. En fin de compte, la loi, même si elle s'applique à

8 des circonstances exceptionnelles, puisque nous n'avons pas eu à

9 l'appliquer très souvent jusqu'à présent, existe, et elle porte directement

10 sur la protection du témoin.

11 Je ne sais pas si vous souhaitez que j'aborde d'autres questions --

12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Peut-être pourriez-vous d'abord

13 avec les autres questions abordées hier. Ensuite, nous verrons quelles sont

14 les dispositions particulières de l'application de la loi.

15 Mme LAUTH : [interprétation] Très bien. Deuxième question, la

16 responsabilité hiérarchique. Si vous me permettez, j'aimerais traiter de

17 cette question de façon, avec un lien implicite à la question précédente, à

18 savoir, le droit applicable.

19 Nous comprenons qu'il est possible d'accuser une personne dans le cadre

20 d'une responsabilité hiérarchique précise en vertu du droit national. Il

21 est dit que tous les crimes qui figurent et qui sont mentionnés au Statut

22 du TPI, ont une disposition de ce genre, qui est tout à fait comparable aux

23 dispositions du droit national en vigueur à l'époque de la commission du

24 crime, sauf s'agissant de la responsabilité hiérarchique éventuelle.

25 J'aimerais revenir un peu plus tard plus en détail sur cette question.

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1 Quant au code pénal de Bosnie-Herzégovine de 2003, il codifie la

2 législation en vigueur à l'époque de la commission des crimes déjà.

3 L'Article 180, paragraphe 2, du code pénal de Bosnie-Herzégovine dispose

4 que la responsabilité d'un supérieur hiérarchique est traitée de façon

5 identique à la façon dont elle est traitée dans l'Article 7(3) du Statut du

6 TPI. L'application de cette disposition n'est pas rétroactive par rapport à

7 l'application de l'Article 7, paragraphe 1 de la convention européenne des

8 droits de l'homme. Même si cette disposition n'existait pas de façon

9 précise dans le droit de Bosnie-Herzégovine à l'époque de la commission

10 des crimes, elle est applicable aujourd'hui.

11 Nous maintenons que la responsabilité hiérarchique est un concept

12 généralement admis dans le droit international humanitaire. Un article du

13 code pénal de 1992 de la RSFY stipule que les traités internationaux et les

14 règles du droit international généralement admis font partie intégrante de

15 l'ordre juridique interne. En appliquant le concept de responsabilité

16 hiérarchique tel que contenu dans l'Article 180, paragraphe 2 du code pénal

17 de Bosnie-Herzégovine de 2003, le Tribunal n'enfreindra pas au principe de

18 non-rétroactivité.

19 A cet égard, j'aimerais brièvement revenir sur l'Article 4(A) qui figure

20 dans les amendements récents du code pénal de Bosnie-Herzégovine. Selon

21 l'Article 3 et l'Article 4 du code pénal, il ne doit pas y avoir préjudice

22 au procès par voie de sanction d'une personne pour un acte ou une omission

23 commise quelle que soit l'époque, en violation des grands principes du

24 droit international. Le libellé peut vous rappeler quelque chose. En tous

25 cas, il reprend point par point l'Article 17(2) [comme interprété] de la

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1 convention européenne des droits de l'homme.

2 Maintenant, j'aimerais brièvement en arriver à la façon dont la Chambre

3 rendra ses conclusions. Je pense que c'est une question tout à fait

4 distincte sur laquelle nous ne pouvons pas préjuger, pour le moment. La

5 Chambre rendra sa décision ultérieurement à cet égard; cependant,

6 j'aimerais simplement indiquer l'existence d'une disposition introduite

7 dans la législation nationale régissant le fonctionnement des tribunaux de

8 Bosnie-Herzégovine et indiquer qu'il y a une directive pratique sur ce

9 sujet. La disposition pertinente stipule que les tribunaux ont compétence

10 pour émettre des directives pratiques sur l'application du droit pénal

11 matériel de Bosnie-Herzégovine et que ceci recouvre, notamment, les

12 compétences des tribunaux pour les questions liées au génocide, aux crimes

13 contre l'humanité ou aux crimes de guerre.

14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] On vous demande de ralentir pour les

15 interprètes.

16 Mme LAUTH : [interprétation] Est-ce que je dois répéter le dernier

17 paragraphe ?

18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, veuillez poursuivre.

19 Mme LAUTH : [interprétation] Merci. J'en suis arrivé à la fin de mon

20 exposé.

21 Mais il y a une autre question -- je ne suis pas sûre de ne pas exagérément

22 sauter du coq à l'âne, mais en tout cas, il y a une autre question qui m'a

23 paru susciter un intérêt particulier, hier, à savoir la ratification

24 d'accords sur des éléments de l'acte d'accusation, dans le cadre de la

25 coopération existante.

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1 [La Chambre de première instance se concerte]

2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous pouvez poursuivre. Nous pourrions

3 avoir certaines questions à vous poser, ensuite.

4 Mme LAUTH : [interprétation] Vous avez évoqué des questions particulières,

5 hier, au sujet des raisons pour lesquelles la Bosnie-Herzégovine n'avait

6 pas ratifié la convention européenne sur l'assistance mutuelle dans le

7 domaine pénal. Je me permettrais de vous informer du fait que le 22 février

8 2005, la chambre des nations du parlement de Bosnie-Herzégovine a adopté

9 cette convention et que cette dernière est en cours de signature par la

10 présidence, en ce moment. Il est prévu qu'elle soit publiée au prochain

11 numéro du journal officiel, au cours de la semaine qui va commencer lundi.

12 La même remarque s'applique à la convention européenne ou au renvoi des

13 procédures en matière pénale. Elle a été adoptée, à la même époque, par la

14 chambre des représentants et la chambre des populations, des nations du

15 parlement. Le point qui n'est pas le moins important, même s'il est cité en

16 dernier, est le suivant : à savoir que la Bosnie en est arrivé au dernier

17 stade de la ratification de la convention européenne sur la ratification.

18 J'en ai terminé, je vous remercie.

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci beaucoup. Merci, Madame.

20 [La Chambre de première instance se concerte]

21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Peut-être vais-je vous poser une

22 première question, mais d'abord, je voudrais vous remercier de vos

23 informations fort utiles. Si vous me le permettez, je vais vous poser une

24 première question. Vous nous avez parlé de l'Article 4(A), nouvellement

25 adopté dans le code pénal de Bosnie-Herzégovine qui, d'après sa

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1 numérotation, semble faire partie de cet ensemble d'instruments qui ont été

2 adoptés. Vous avez parlé aussi de l'Article 16 de votre constitution, en

3 nous disant que le droit international fait partie intégrante de votre

4 droit. Pas mal de commentaires sur la question indiquent que, surtout en ce

5 qui concerne le droit pénal, bien que vous ayez accepté que le droit

6 international fasse partie intégrante de votre droit et droit pénal plus

7 particulièrement, il faudrait que vous adoptiez des législations

8 d'exécution et que, plus spécifiquement dans ce domaine, on pourrait peut-

9 être se poser la question de savoir si en l'absence de règle particulière

10 est-ce que le droit pénal coutumier, alors, ne s'applique pas ? Est-ce

11 qu'il y a une certaine jurisprudence à laquelle vous pourriez vous

12 référez ? Parce que si vous regardez, par exemple, d'autres constitutions,

13 on voit que, dans pratiquement la plupart des systèmes où l'on adopte le

14 droit international comme faisant partie intégrante du droit, malgré tout,

15 des législations plus précises sont requises. En réponse à cela, vous dites

16 que vous ne savez pas si cette cour de l'Etat va l'appliquer de manière

17 similaire. Ensuite, vous nous tendez la perche quelque part en nous disant

18 que cette cour donnera des directives aux autres juridictions. Mais ceci ne

19 nous indique pas dans quel sens iront ces directives.

20 Alors, est-ce que vous pourriez revenir sur cette question et surtout sur

21 les questions constitutionnelles relatives à cette question ?

22 Mme LAUTH : [interprétation] Pour préciser les choses, je vous parlerai de

23 l'Article 16(2) de la constitution de la RSFY. Si vous le voulez, très

24 brièvement, je vais vous citer les dispositions pertinentes de la

25 constitution de la Bosnie-Herzégovine, entrant en vigueur en 1995. Alors,

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1 je suis d'accord avec vous pour dire qu'il s'agit, sans doute, d'une

2 question d'interprétation plutôt que de pouvoir vous renvoyer à une

3 jurisprudence particulière. Mais si vous regardez le préambule de la

4 constitution de la BiH et sachant aussi à quel moment cette constitution

5 est entrée en vigueur, c'est-à-dire après les événements atroces qui se

6 sont déroulés dans la région et dans le pays, dans le sixième paragraphe du

7 préambule, il y a une référence au droit humanitaire international, que

8 l'on "veillera à veiller au respect complet du droit humanitaire

9 international."

10 Il y a également des dispositions transitoires qu'on trouve en annexe 2 à

11 la convention, qui prévoient la poursuite de l'application de lois qui

12 étaient en vigueur, au moment où cette constitution est entrée en vigueur.

13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] L'annexe 2 n'est pas une référence à la

14 convention ou la constitution ?

15 Mme LAUTH : [interprétation] Je m'excuse, la référence a --

16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Le transcript parle même "de

17 confession", mais je vous ai entendu dire "convention." Je suppose que vous

18 vouliez dire constitution, n'est-ce pas ?

19 Mme LAUTH : [interprétation] Oui, tout à fait, il s'agissait bien de la

20 constitution de la BiH. Nous estimons que ce concept fait bien partie du

21 droit international et au moment de la perpétration des actes, ce droit

22 international était déjà accepté tacitement dans la constitution de

23 l'époque. Mais plus important encore, c'est que cela fait partie intégrante

24 de la constitution actuelle de Bosnie-Herzégovine.

25 [La Chambre de première instance se concerte]

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1 Mme LAUTH : [interprétation] Mon collègue voudrait ajouter quelque chose.

2 M. KOUMJIAN : [interprétation] Oui. Au nom de l'Accusation, je voudrais

3 ajouter quelque chose. Vous dites que les commentaires manquent ou ne

4 reprennent pas des droits d'application pour appliquer le droit

5 international aux affaires pénales. Une constitution est arrivée après la

6 perpétration des actes, mais dans le code actuel, la responsabilité

7 hiérarchique était prévue et les crimes contre l'humanité, aussi. Est-ce

8 qu'on peut appliquer cela, rétroactivement, à des actes qui se sont

9 déroulés en 1992 ? En fait, les actes étaient déjà bien reconnus comme

10 étant illicites par le droit international et ce Tribunal, du reste, peut

11 appliquer ce Statut à des actes qui se sont produits avant la rédaction de

12 ce Statut. Nous estimons que la législation interne de Bosnie-Herzégovine

13 prévoit que ces actes constituaient une violation claire du droit

14 international en 1992 et peuvent être poursuivis dans le cadre de la

15 législation d'application.

16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Monsieur Koumjian.

17 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Quelles sont les dispositions dont

18 vous nous dites qu'elles sont en application, aujourd'hui et qui relèvent

19 de la responsabilité hiérarchique ?

20 Mme LAUTH : [interprétation] D'après ce que nous pensons, c'est l'Article

21 180(2) du code pénal de 2003 de la Bosnie-Herzégovine.

22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Cela a l'air d'être une copie carbone de

23 l'Article 7(3) du Statut du Tribunal et ceci inclut la forme de

24 responsabilité par négligence.

25 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui. C'est du reste ce qui constitue

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1 une reconnaissance dans le statut du droit international coutumier en

2 vigueur en 1992, voire antérieurement encore, et c'était bien la base de

3 vos conclusions.

4 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui. Je me souviens qu'hier, une

5 question avait été posée en ce qui concerne le lien entre le code pénal de

6 la République socialiste de Bosnie-Herzégovine et celle de la RSFY. Je n'ai

7 plus entendu parler de cette question, aujourd'hui. Est-ce que vous

8 pourriez la reprendre ?

9 Mme LAUTH : [interprétation] Je vais peut-être demander à mes collègues de

10 Bosnie de revenir sur la question eux-mêmes. Tel que je comprends les

11 choses, le code pénal de la RSFY règle un certain nombre de crimes

12 particuliers qui devaient relever du niveau de l'Etat, le code pénal de la

13 Bosnie-Herzégovine traite de questions plus générales ou de crimes de

14 moindre importance. Par exemple, en ce qui concerne les crimes qui nous

15 intéressent ici, c'est le code pénal de la RSFY qui avait des dispositions

16 en matière de génocide et de crimes de guerre. Vous ne les auriez pas

17 retrouvés dans le code pénal de la République de Bosnie-Herzégovine.

18 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Si je me souviens bien, certains

19 conseils de la Défense avaient soulevé la question selon laquelle le code

20 pénal de la RSFY ne s'appliquait pas du tout, à l'époque de 1992; est-ce

21 que c'est bien cela ?

22 M. KOUMJIAN : [interprétation] Si je me souviens bien, mon collègue, hier,

23 a dit que la Bosnie, peu après son indépendance, a adopté le code fédérale

24 comme étant le code applicable en Bosnie-Herzégovine en 1992. C'était en

25 avril 1992.

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1 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Les deux codes pénaux étaient, en

2 quelque sorte, appliqués en parallèle, simultanément. Je vous remercie.

3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Pour le moment, nous n'avons pas

4 d'autres questions à vous poser. Je voudrais, maintenant, laisser la

5 possibilité aux représentants de la Serbie-et-Monténégro de parler à la

6 Chambre. Peut-être vous, M. Loncar, ou je ne sais pas si c'est vous ou un

7 expert en matière de droit pénal et qui prendra la parole ?

8 M. LONCAR : [interprétation] Monsieur le Président, je répète ce que j'ai

9 dit, lorsque j'ai eu l'occasion de prendre la parole devant vous, hier :

10 aujourd'hui, mon collègue Bogdan Stankovic qui est le procureur adjoint en

11 matière de crimes de guerre va vous parler des questions d'ordre plus

12 technique.

13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous donne la parole, Monsieur

14 Stankovic.

15 M. STANKOVIC : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges. Je vous

16 remercie de bien vouloir entendre notre délégation sur un certain nombre de

17 points. Nous pensons que ce que nous pourrons vous dire pourrait vous aider

18 à trancher cette question assez complexe.

19 En ce qui concerne la position de procédure de notre délégation, nous vous

20 sommes très reconnaissants de nous avoir permis à participer à cette

21 procédure parce que sur le plan formel et dans le cadre de l'Article 11

22 bis, normalement, nous ne devrions pas avoir le droit de nous présenter

23 devant vous. Cependant, en acceptant notre initiative, nous estimons que

24 vous indiquez que vous pensez que ce que nous aurons à vous dire pourrait

25 vous aider à dégager une décision en l'espèce. Nous pensons que des motifs

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1 d'ordre juridique peuvent justifier notre présence ici, selon le principe

2 du proprio motu et nous comprenons que notre présence ici signifie que nous

3 pouvons nous adresser formellement à cette Chambre concernant notre demande

4 de renvoyer l'affaire en Serbie-et-Monténégro.

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je pense que nous avons eu l'occasion de

6 nous exprimer dans une correspondance précédente et que, par courtoisie,

7 nous voulions que vous soyez complètement informés et c'est pour cela qu'on

8 vous a invité à vous présenter ici. Vous allez peut-être un petit peu plus

9 loin en disant que vous allez nous parler d'une demande formelle de

10 renvoyer l'affaire chez vous.

11 Nous pensons que, d'après les Règles, la Chambre peut le faire à sa propre

12 initiative ou elle peut le faire à la demande du bureau du Procureur.

13 Alors, au départ, vous disiez que vos exposés pourraient nous aider à

14 prendre des mesures qui relèvent de notre initiative, là, je vous suis;

15 cependant, l'étape suivante que vous franchissez en disant que vous êtes,

16 maintenant, en mesure formelle de pouvoir présenter votre demande de

17 renvoi, là, je dois vous avouer que la Chambre n'est pas d'accord avec cela

18 pour le moment. Ceci ne vous empêche en rien de faire les exposés ou de

19 nous adresser la parole sur un certain nombre de points.

20 M. STANKOVIC: [interprétation] Oui, vous avez tout à fait raison, Monsieur

21 le Président. Hier, vous nous avez donné une tâche difficile. Vous nous

22 avez demandé de vous présenter nos arguments, sans être présents ici en

23 tant que concurrents, mais ce n'est pas du tout notre intention. Nous

24 savons que la stratégie d'achèvement du Tribunal est une question complexe

25 tout comme l'ont été les procès que vous avez faits. Je vais essayer de

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1 vous expliquer pourquoi nous estimons qu'en tranchant cette question, vous

2 devriez avoir à l'esprit un grand nombre d'aspect d'après nous. Bien

3 entendu, vous n'êtes pas tenu d'adopter notre position, mais nous pensons

4 que nous avons le devoir, et ceci conformément, d'ailleurs, aux arguments

5 présentés par mes collègues, de conclure qu'il y a un certain nombre de

6 raisons qui indiquent, qu'en l'espèce, vous devriez tenir compte de tous

7 les aspects de la question.

8 Pour être bref, je vais vous présenter un certain nombre de faits. Le 1er

9 juillet 1993, une loi concernant l'organisation et la compétence des

10 organes de l'Etat relatif aux crimes de guerre a été voté et différents

11 organes judiciaires ont été crées pour traiter de ces questions. Cette loi

12 permet de poursuivre des crimes contre l'humanité et le droit international

13 qui est prévu à l'Article 16 de notre code pénal et se permet également de

14 poursuivre les violations graves au droit humanitaire sur le territoire de

15 la Yougoslavie, à partir de janvier 1991; c'est ce qu'on retrouve,

16 d'ailleurs, dans le Statut du TPIY.

17 Nos travaux font l'objet de plusieurs évaluations de la part de diverses

18 institutions compétentes. Je ne citerai qu'un certain nombre d'entre elles.

19 Il s'agit d'organes de ce Tribunal, c'est-à-dire, plus précisément, le

20 bureau du Procureur qui a eu l'occasion de discuter de ces questions, à

21 plusieurs reprises. Si la Chambre estime que cela peut lui être utile, je

22 pourrais rentrer dans les détails de l'évaluation qui a été faite de nos

23 travaux.

24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je crois que la Chambre serait

25 particulièrement intéressée à vous entendre étant donné que nous n'avons

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1 pas reçu tellement d'information sur le sujet jusqu'à présent. La Chambre

2 souhaiterait savoir, par exemple, si la législation dont vous parlez et qui

3 fut adoptée ou qui est entrée en vigueur le 1er juillet 1993, est-ce qu'elle

4 s'applique aussi aux événements qui se seraient déroulés en 1992, par

5 exemple ? Le droit applicable vous savez, c'est une question très technique

6 et la Chambre souhaiterait être éclairée à ce sujet.

7 M. STANKOVIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. En ce qui

8 concerne les crimes qui ont été commis en 1992, nous appliquerons le droit

9 qui était en vigueur à l'époque. La Serbie-et-Monténégro ont subi les lois

10 des successions d'états suite à leur succession à la RSFY. Les crimes que

11 ce Tribunal a à connaître et également la cour vers laquelle ces affaires

12 seraient renvoyées appliqueraient ce même principe. En ce qui concerne la

13 loi qui est en vigueur maintenant en Serbie, elle est plus indulgente

14 envers les accusés. C'est pourquoi les lois qui étaient en vigueur à

15 l'époque de la perpétration des crimes s'appliqueraient en espèce.

16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que vous pouvez nous expliquer en

17 quelle manière elles seraient plus indulgentes, plus clémentes au niveau

18 des peines maximales ? Vous savez qu'une partie du débat porte sur les

19 types de responsabilité, la responsabilité hiérarchique notamment. Est-ce

20 que cela existait également dans l'ancienne loi, ou est-ce que cette

21 nouvelle loi, c'est ce que nous croyons avoir compris dans les arguments de

22 la Défense et que même si la nouvelle loi encourt des peines maximales plus

23 courtes, une loi qui ne reprend pas les différents types de responsabilité,

24 ne pourrait aboutir qu'aux résultats où il n'y aurait pas de peines du

25 tout. Pouvez-vous nous expliquer cette idée d'indulgence ou de clémence de

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1 cette loi.

2 M. STANKOVIC : [interprétation] A l'époque de la perpétration de ces

3 crimes, la peine de mort était prévue pour ce type de crimes. Des

4 amendements à cette loi ont ensuite aboli la peine de mort et les peines

5 étaient de 20 ans d'emprisonnement. Dans le cadre de la loi actuelle, les

6 peines prescrites pour ces mêmes crimes sont de 40 ans de détention. Nous

7 estimons que d'après le principe de l'application qui est la plus favorable

8 à l'accusé, la loi applicable est celle qui est encourt des peines les plus

9 indulgentes. En ce qui concerne la responsabilité hiérarchique, nous

10 pensons que cette responsabilité peut s'appliquer même dans le cadre de

11 l'ancienne loi.

12 Dans la nouvelle loi que j'ai citée, les violations graves au droit

13 humanitaire, peuvent également s'appliquer selon le principe de la

14 subordination et de la supériorité, particulièrement en matière de

15 négligence. D'après la loi qui était applicable en 1992, il y a des formes

16 de complicité qui couvrent la responsabilité de personnes qui ne sont pas

17 intervenues en fonction de l'autorité qu'ils exerçaient sur leurs

18 subalternes.

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que cela inclus, également

20 la négligence ? Permettez-moi de simplifier un petit peu les choses. Si un

21 commandant, en 1992, avait des motifs de savoir, même s'il ne savait, il

22 avait des raisons de savoir que certains de ses subalternes étaient sur le

23 point de commettre un crime ou avaient commis un crime, et s'il n'a pas

24 pris de mesures, ni pour empêcher, ni pour punir, s'il ne le savait pas, on

25 pourrait dire alors, pour cette raison, il n'y avait pas d'intention. Est-

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1 ce que ce type de chose est couvert par la loi qui était en vigueur en

2 1992 ?

3 M. STANKOVIC : [interprétation] Oui, oui. C'est couvert. C'est

4 couvert comme ceci. En 1977 la RSFY a signé le protocole supplémentaire,

5 qui dans son Article 86, paragraphe 2, prévoit ce type de responsabilité.

6 Dans notre constitution, les traités internationaux font partie du droit

7 interne et pour cette raison, et à mes yeux, j'estime que ce type de

8 responsabilité doit être puni en application de la loi en vigueur en 1992.

9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je suppose que vous parlez du

10 protocole 1 aux conventions de Genève qui ne s'applique que dans un conflit

11 armé international. Enfin, je laisse Madame Somers.

12 Mme SOMERS : [interprétation] Non, Monsieur.

13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Cela ne fait pas partie de l'espèce,

14 c'est-à-dire que les événements ne s'inscrivent pas dans un contexte de

15 conflit armé international. L'Article 86 ne s'applique à ces conflits

16 internationaux, alors peut-être pourriez-vous nous indiquer une disposition

17 similaire dans le protocole 2; j'aurais quelques difficultés à la trouver,

18 quant à moi.

19 M. STANKOVIC : [interprétation] Mon collègue M. Ristivojevic va vous

20 parler.

21 M. RISTIVOJEVIC : [interprétation] Je m'appelle Branislav

22 Ristivojevic. J'ai dit à M. Loncar, le chef de notre délégation, je suis

23 son conseiller. Permettez-moi de préciser notre position en matière de

24 responsabilité hiérarchique. Plusieurs systèmes juridiques connaissent les

25 mêmes difficultés et peuvent les régler de différentes manières. Le premier

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1 protocole additionnel dans son Article 86, paragraphe 2, essaie précisément

2 de régler la question de perpétration de crimes de guerre du fait de ne pas

3 être intervenu. La délégation yougoslave, lors de cette conférence

4 diplomatique, avait proposé une solution à ce problème juridique, en 1998,

5 par des règles sur l'application du droit international concernant les

6 forces armées en Yougoslavie. Il s'agissait d'instructions concernant

7 l'application des lois de la guerre aux forces armées de la RSFY. Notre

8 code pénal de 1992, dans son Article 30, paragraphe 2, dispose qu'il y a

9 poursuite dans le cadre de la perpétration de crimes guerre par négligence.

10 Une personne, qui est obligée d'intervenir et qui ne le fait pas, peut être

11 poursuivie et dès lors, elle est sur pied d'égalité avec une personne qui

12 elle-même a commis un acte en agissant. Ceci dont couvre les personnes qui

13 ont commis un crime du fait de leurs négligences. Il y a encore plusieurs

14 formes de complicité --

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Permettez-moi de vous interrompre.

16 D'après ce que je comprends jusqu'à présent, ces solutions, concernant les

17 actes de négligence ou autres délits, pourraient effectivement aider, s'il

18 y a intention. C'est pourquoi j'ai donné, d'ailleurs, l'exemple précis, qui

19 est un exemple d'une situation où il y a plus négligence qu'intention. La

20 question n'est pas essentiellement une responsabilité du fait de la

21 négligence, mais responsabilité, comme nous l'avons entendu dans l'Article

22 182, ou Article 180, paragraphe 2 du code pénal de la Bosnie-Herzégovine,

23 est inscrite comme étant un délit. Votre réponse ne nous aide pas à cet

24 égard.

25 M. RISTIVOJEVIC : [interprétation] Je comprend votre question. Je

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1 vous l'ai dit l'Article 30, paragraphe 2, n'évoque pas les modes de

2 responsabilité pénales, s'agissant de l'auteur d'une infraction. La

3 négligence, mais aussi l'intention peuvent, en principe, s'appliquer. En

4 fait, la loi ne parle pas des modes de culpabilité qui sont prévus

5 ailleurs, dans la loi. Quoi qu'il en soit, un individu peut être tenu

6 responsable parce qu'il a négligé d'agir alors qu'il avait le devoir de le

7 faire en fonction des modes de responsabilité qui sont prévus au regard de

8 l'infraction dont il est accusé. C'est un principe, cette disposition

9 étudie la question au niveau du principe et pas pour ce qui est du mode de

10 responsabilité qui s'appliquerait.

11 J'ajouterais que la constitution de la RSFY, en 1990 et cette

12 constitution étaient également en vigueur en Yougoslavie. Notamment, cette

13 constitution mais la suivante aussi, contenait des dispositions qui

14 affirmaient la primauté du droit international sur le droit interne. Vous

15 avez la question également à la délégation de Bosnie. Notre jurisprudence

16 n'a pas été très importante. J'aimerais simplement souligner que nous avons

17 plusieurs options dont disposent nos tribunaux s'ils font face aux

18 problèmes de leur responsabilité du supérieur hiérarchique, on promulgue la

19 négligence. Je ne veux pas ici m'avancer pour dire ce que les tribunaux

20 vont appliquer parce que, dans notre pays, les tribunaux sont indépendants

21 et c'est à eux qu'il revient de décider. En tout cas, voilà les options

22 dont ils disposent.

23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur.

24 Madame Lauth, M. Loncar a fait référence à cette nouvelle loi en Bosnie-

25 Herzégovine. Est-ce que vous êtes d'accord avec cette interprétation

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1 lorsqu'il y a omission en matière d'actions ? Est-ce que cela couvre aussi

2 la négligence ? Est-ce que c'était repris dans l'ancienne loi, enfin

3 l'histoire étant commune ? Qu'en est-il ?

4 Mme LAUTH : [interprétation] Si j'ai bien compris, il n'est pas possible

5 d'interpréter le concept de la responsabilité supérieure hiérarchique comme

6 il est contenu dans l'article 7(3) du statut ou l'Article 180, paragraphe 2

7 du code pénal de Bosnie-Herzégovine, en se servant uniquement du principe

8 général de droit pénal, qui était présent, effectivement. On peut le

9 concéder dans le code de la RSFY.

10 Mais quand on voit le code pénal de Bosnie-Herzégovine on s'est longtemps

11 demandé s'il fallait incorporer cette disposition concernant la

12 responsabilité du supérieur hiérarchique ou si on pouvait se contenter de

13 s'appuyer sur les dispositions générales, parlant de négligence ou

14 d'omission. Il a été convenu de dire qu'il n'est pas vraiment possible de

15 parvenir au même niveau que celui qui se retrouve à l'Article 7(3) du

16 Statut du TPIY.

17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

18 Je me tourne vers les représentants des deux gouvernements. Est-ce que vous

19 avez étudié avec attention les actes d'accusation. Je me tourne tout

20 d'abord vers la Serbie-et-Monténégro. Est-ce que vous êtes conscients de

21 l'importance tout à fait capitale que revêt ce concept de la responsabilité

22 du supérieur hiérarchique, s'agissant de cette affaire ? Est-ce que cela

23 vaut pour toutes les affaires ? Je vous demande si on a analysé la

24 question ?

25 M. RISTIVOJEVIC : [interprétation] Si je vous ai bien compris et si j'ai

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1 bien compris les charges retenues contre les accusés dans cette affaire, il

2 y a accusation en vertu de l'Article 7(1), mais aussi à titre subsidiaire,

3 en vertu de l'Article 7(3) du Statut du TPIY, donc les deux modes de

4 responsabilité pénale individuels. S'agissant du paragraphe 652, du

5 jugement Krstic, on a établi la responsabilité pénale du général Krstic,

6 au-delà de tout doute raisonnable, en vertu du 7(1). Ce qui veut dire que

7 le 7(3) n'a pas été invoqué. Ce n'était pas nécessaire. Ce que je veux vous

8 dire, c'est que la portée de la responsabilité du supérieur hiérarchique

9 pourrait être à l'avenir moindre si une responsabilité de l'accusé est

10 établie en vertu du 7(1). C'est peut-être un problème moins grave que

11 l'impression qu'on en a aujourd'hui.

12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] L'avenir nous le dira.

13 Je voulais tout simplement attirer votre attention sur le fait que la

14 situation n'est pas la même pour tous les accusés, peut-être, les conseils

15 de la Défense reviendront-ils sur la question. Je vous demande d'examiner

16 les faits concrets de ces quatre accusés parce que c'est que nous devons

17 faire. Je vous ai interrompu à plusieurs reprises, Monsieur Stankovic. Est-

18 ce que vous vouliez évoquer d'autres points ?

19 M. STANKOVIC : [interprétation] Je préfèrerais répondre à vos questions,

20 Messieurs les Juges.

21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Fort bien. Nous vous avons déjà posé

22 plusieurs questions.

23 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Madame Somers, vous voulez intervenir ?

24 Mme SOMERS : [interprétation] J'espère que je n'interromps pas M.

25 Stankovic. Je voulais attirer votre attention sur quelque chose qui m'a été

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1 signalé. Il y a dans le code de la RSFY, celui de 1977, un article

2 concernant la négligence. D'après cette traduction dont je dispose :

3 "L'auteur de l'infraction verra sa responsabilité pénale individuelle

4 engagée pour une infraction pénale commise par négligence, uniquement,

5 lorsque le statut le prévoit."

6 Ainsi il statue du statut du crime de guerre, à ce moment-là,

7 effectivement, il intervient. C'est tout ce que je peux dire.

8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je ne sais pas s'il y a un statut

9 concernant les crimes de guerre qui porte la négligence, mais si c'est le

10 cas, nous aimerions l'apprendre.

11 Oui.

12 M. RISTIVOJEVIC : [interprétation] Messieurs les Juges, permettez-moi de

13 signaler, que par ressemblance, qu'il s'agit de l'infraction pénale de

14 génocide, visée à l'Article 141 de notre code pénal, on ne pourrait pas

15 appliquer l'Article 30, paragraphe 2. Ce dernier portant sur des

16 infractions pénales commises par négligence et qui inclut aussi bien

17 l'intention que la négligence. Pourquoi, parce que le génocide doit inclure

18 l'intention génocidaire spécifique et l'intention doit être présente. Il y

19 a un autre article qui dispose qu'un individu, qui n'a pas agi alors qu'il

20 avait le devoir de le faire, est considéré comme étant l'auteur de

21 l'infraction. Cela veut dire que, à ce moment-là, il voit sa responsabilité

22 engagée selon les modalités prévues par la loi. Lorsqu'il y a génocide, à

23 ce moment-là, il faut l'intention génocidaire. Ce qui veut dire qu'un

24 commandant qui n'a pas empêché ses subordonnées, pour ce qui est de la

25 commission du génocide, ne peut voir sa responsabilité engagée que si on

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1 présume qu'il en avait l'intention.

2 JUGE KWON : [interprétation] J'aimerais poser une question, soit à

3 Mme Lauth ou M. Ristivojevic qui pourront me corriger si mon interprétation

4 n'est pas juste. S'agissant de la question de savoir si le droit

5 international peut s'appliquer en matière de responsabilité de supérieur

6 hiérarchique, la base sera toujours la même que ce soit pour la Bosnie-

7 Herzégovine ou pour la Serbie. Est-ce que j'ai raison de le croire ?

8 M. RISTIVOJEVIC : [interprétation] Monsieur le Juge, la constitution

9 de la RSFY est appliquée dans la RS de Bosnie-Herzégovine, mais aussi dans

10 la RS de Serbie. En 1992, après le démantèlement de l'Etat, les deux états

11 qui en sont nés ont pratiquement copié la vieille constitution qu'il y

12 avait, l'ancienne. Les deux constitutions disposent qu'il y a primauté du

13 droit international sur le droit interne. Cela a été repris dans la

14 constitution de Bosnie-Herzégovine et dans celle de Yougoslavie.

15 Le code pénal de la RSFY se retrouve en République

16 fédérale de Yougoslavie ainsi qu'en Bosnie-Herzégovine; cela a été adopté

17 dans les deux pays. Dans mon pays, on a simplement donné un autre intitulé,

18 on a dit un code pénal de la République fédérale de Yougoslavie, ce qui

19 veut dire que bon nombre de dispositions sont pratiquement identiques.

20 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, Monsieur Koumjian.M. KOUMJIAN :

21 [interprétation] Je ne connais pas particulièrement bien le code actuel de

22 la Serbie-et-Monténégro, mais nous estimons que la responsabilité du

23 supérieur hiérarchique se trouve dans notre loi en vertu du code pénal qui

24 le prévoit. Je ne sais pas si cela se trouve dans la loi actuelle en

25 Serbie-et-Monténégro. Nous, nous ne nous appuyons pas sur ce que dit la

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1 constitution dit en 1992, nous nous appuyons sur la loi actuelle qui

2 s'applique à des actes reconnus comme étant illégaux, en 1992, dans le

3 droit coutumier international pénal et qui s'applique rétroactivement.

4 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie.

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] J'ai une question à propos de ce qu'on

6 appelle ce virage ou cette marche en arrière, à savoir que la Défense nous

7 a dit, hier, qu'il n'est pas possible d'envoyer quelqu'un dans un autre

8 Etat si cette personne se livre dans un territoire B, si cette personne se

9 livre dans un territoire A. Un des quatre accusés en cause s'est livré, il

10 venait de la Republika Srpska. A votre avis, la Chambre peut-elle se

11 prononcer et décider du renvoi de l'affaire à la Serbie-et-Monténégro ?

12 Oui, vous vous êtes levé, Monsieur Lukic.

13 M. LUKIC : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président, mais nous

14 devons corriger cette donnée que vous avez donnée. Deux des accusés se sont

15 livrés en Yougoslavie directement aux Nations Unies. Aucun ne s'est livré,

16 de son plein gré, aux autorités de la Republika Srpska, ni de Bosnie-

17 Herzégovine.

18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Quand j'ai dit "de Republika Srpska," je

19 voulais dire du territoire de la Republika Srpska, pas en passant par

20 l'intermédiaire des autorités de la Republika Srpska, alors est-ce que

21 c'était un ou deux, ce n'est pas très important pour ce qui est de la

22 question fondamentale qui se pose, est-ce que c'était de l'extradition ou

23 est-ce que comme je le disais, hier, en répondant à Mme Somers, est-ce que

24 si une personne se livre à une instance internationale, est-ce qu'on estime

25 idoine que la juridiction internationale renvoie l'affaire à une cour

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1 d'Etat, mais d'un Etat qui est autre que le territoire sur lequel un

2 individu se trouvait au moment où il s'est livré au Tribunal ?

3 J'aimerais avoir une réponse. Monsieur Ristivojevic ?

4 RISTIVOJEVIC : [interprétation] Juste un moment, s'il vous plaît.

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ou M. Stankovic, qui est-ce qui a la

6 meilleure réponse des deux ?

7 M. RISTIVOJEVIC : [interprétation] Pourriez-vous répéter votre question,

8 Monsieur le Président ?

9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Effectivement, elle est très, très

10 longue, ma question. Hier, nous avons parlé d'une nouvelle extradition.

11 Nous avons posé plusieurs questions, nous nous sommes demandés si c'était

12 de l'extradition ou pas, mais en tout cas, j'ai soumis cette idée au

13 Procureur, hier, une des questions qui se pose ici, c'est celle-ci : si

14 quelqu'un se livre, se rend à une instance donnée, une juridiction donnée

15 que ce soit par extradition ou que ce soit par l'intermédiaire d'un

16 gouvernement, mais moi, si je me livre et je viens du territoire de la

17 Republika Srpska, s'il finit par se retrouver dans un Tribunal à Belgrade,

18 est-ce que, pour vous, c'est quelque chose qui est réaliste, est-ce qu'il

19 pourrait se retrouver dans un tribunal belgradois ?

20 M. RISTIVOJEVIC : [interprétation] A notre avis, nous vous demandons le

21 renvoi à un tribunal de notre pays parce que nous estimons que nous sommes

22 à même de juger cette affaire, comme d'autres, dans nos tribunaux. Je

23 parle, ici, des affaires dont est saisi le TPI. Il y en aura beaucoup

24 d'autres à l'avenir, d'autres affaires qui seront renvoyées dans d'autres

25 tribunaux vu la stratégie d'achèvement du Tribunal pénal international.

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1 Pour nous, ce n'est pas un problème, que cette personne se soit livrée sur

2 un territoire ou sur un autre. C'est un fait, à notre avis, ce serait la

3 meilleure solution possible que nos citoyens soient jugés dans nos

4 tribunaux, puisque nous sommes en mesure de le faire et nous sommes prêts à

5 le faire. Nous avons le sentiment que ce serait dans l'intérêt du présent

6 Tribunal et ce serait aussi une bonne façon de parvenir à la réconciliation

7 dans le territoire.

8 M. OBRADOVIC : [interprétation] Je m'appelle Sasa Obradovic. Permettez-moi

9 d'ajouter un point pour répondre à votre question. Ici, nous sommes un peu

10 dans un cercle vicieux parce que si deux accusés seulement se trouvaient

11 dans cette affaire, à ce moment-là, il n'y aurait que deux accusés qui se

12 seraient livrés sur le territoire de Bosnie-Herzégovine, mais ici la

13 Serbie-et-Monténégro s'intéresse à leurs concitoyens qui se sont livrés sur

14 le territoire de notre Etat et qui sont, maintenant, devant un Tribunal

15 international. Puisque deux des quatre accusés sont des citoyens de la

16 Yougoslavie et puisqu'un troisième va devenir citoyen de notre pays, nous

17 aimerions pouvoir juger ces personnes dans nos tribunaux. A la fin de

18 l'audience, hier, vous avez indiqué que notre refus du principe de la

19 territorialité comme étant un des principes de base de l'Article 11 bis

20 serait trop simplifier la chose. A notre avis, nous estimons que ce sont

21 des affaires très complexes et nous relevons d'autres facettes de la

22 problématique. Nous essayons de montrer qu'une explication stricte du

23 principe de la territorialité permettrait de trop simplifier les choses

24 d'une autre façon. De cette façon-ci, nous pouvons juger nos citoyens sur

25 le territoire de la

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1 Serbie-et-Monténégro. Ce serait davantage dans l'intérêt de la

2 réconciliation entre les peuples des Balkans, davantage que si vous faites

3 droit à la requête formulée par le Procureur.

4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci.

5 Monsieur Koumjian.

6 M. KOUMJIAN : [interprétation] Au nom de la Bosnie-Herzégovine, nous sommes

7 intéressés en la matière, nous tenons à juger les personnes pour des crimes

8 commis dans le pays. Permettez-moi de réagir à certaines des questions

9 avancées hier.

10 Nous ne pensons pas qu'un accusé puisse poser des conditions aux

11 subordonnés, le fait qu'ils se rendent au fait d'être jugés ici plutôt que

12 là. Nous avons les conseils de Sécurité et le Statut de ce Tribunal qui dit

13 qu'il y a primauté de ce Tribunal-ci, mais les Nations Unies, le Statut,

14 admettent le principe de juridiction concomitante. Lorsqu'un accusé se

15 livre à ce Tribunal, pendant que ce Tribunal est en exercice, il ne peut

16 pas être jugé par un Tribunal national. Mais si le Tribunal international

17 cesse ses fonctions, à ce moment-là, on applique le principe normal, cela

18 veut dire que la primauté revient à l'Etat sur le territoire duquel le

19 crime a été commis.

20 Je reviens à la question qui était posée. Est-ce que le 11 bis

21 modifié peut, maintenant, s'appliquer sous sa forme actuelle ? Ce Tribunal

22 a le droit de rejeter la compétence pour une affaire. Cela existait, même

23 si ce n'était pas encore consigné dans le 11 bis au moment où les accusés

24 se sont rendus. Ce Tribunal a des pouvoirs inhérents intrinsèques. Il peut

25 refuser cette compétence. Le Statut reconnaît le principe de la

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1 concomitance des compétences. Nous avons le Statut, qui envisageait

2 notamment la possibilité d'avoir quelqu'un qui est arrêté pour un crime de

3 guerre, comme M. Mejakic a été arrêté en Bosnie et la Bosnie a dit à

4 l'époque, nous voulons le juger, nous. Le Tribunal peut dire, "voilà,

5 d'accord." Nous, nous allons suspendre notre acte d'accusation ici." On ne

6 pensait pas, à ce moment-là, à la stratégie d'achèvement de ce Tribunal et

7 on ne pensait pas au renvoi, mais ce Tribunal, cette Chambre-ci, a le

8 pouvoir de dire, voilà, nous n'allons pas exercer notre fonction, nous

9 pouvons renvoyer. Mais cette situation, au départ, n'était pas envisagée.

10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] N'êtes-vous pas d'accord avec moi pour

11 dire que la question ou la différence se situe dans le fait de savoir si

12 l'accusé est disponible ou pas ? Enfin, c'est une hypothèse que je vous

13 soumets. Ce n'est pas tout de savoir si vous avez compétence et si vous

14 pouvez l'exercer. C'est le fait de savoir s'il est possible d'exercer cette

15 compétence parce que l'accusé est présent. Bien sûr, dans l'hypothèse de

16 base, quelqu'un est arrêté, on peut dire voilà, je ne vais pas exercer ma

17 compétence dont j'ai la primauté. Allez-y. Jugez-le dans un tribunal

18 national. Mais c'est toujours dans le cas de figure où l'accusé est

19 présent. Le cœur du problème pour la Défense, n'est-ce pas ceci ? Si

20 l'accusé était présent dans un système particulier et lorsque le Tribunal a

21 appelé l'accusé afin que le Tribunal exerce sa compétence dont il a la

22 primauté, finalement, le résultat, c'est que l'accusé finit par se

23 retrouver dans un tribunal national, mais dans des conditions différentes

24 de celles qui ont d'abord présidé à son premier renvoi au Tribunal

25 international.

Page 263

1 M. KOUMJIAN : [interprétation] Mais il y a un certain danger,

2 effectivement, cette histoire du tourisme judiciaire. Mais je dirais aussi,

3 parce que les accusés se livrent, comprennent qu'ils vont être loin des

4 Balkans pendant tout un temps et ils ne pourront pas être arrêtés. Qui sait

5 ce qui se serait passé s'il ne s'était pas trouvé sous la garde du

6 Tribunal ?

7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que je vous ai bien compris ? Si

8 l'accusé se présente à Belgrade et est envoyé au Tribunal, vous dites qu'il

9 n'était pas au Tribunal, on ne serait pas sûr qu'il ne pourra jamais être

10 arrêté en Bosnie-Herzégovine ?

11 M. KOUMJIAN : [interprétation] Oui, je pense que c'est le cas.

12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] A ce moment-là, je vous ai bien compris.

13 Vous voulez dire autre chose, Monsieur Koumjian ?

14 M. KOUMJIAN : [interprétation] Non, merci.

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie.

16 [La Chambre de première instance se concerte]

17 M. IVETIC : [interprétation] Monsieur le Président, si je pouvais répondre

18 aux commentaires de M. Koumjian --

19 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Juste un instant.

20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Un instant, s'il vous plaît.

21 [La Chambre de première instance se concerte]

22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] La Chambre s'est interrogée sur la

23 marche à suivre. Cette audience a pris la forme d'un échange de vues, de

24 débats juridiques. C'est sans doute utile aux Juges, lorsqu'ils vont devoir

25 se prononcer. Etant donné que nous avons procédé à un échange de vues

Page 264

1 approfondies avec les représentants des gouvernements, qui ont répondu à la

2 plupart des questions.

3 Nous aimerions, Madame Somers, vous donner cinq ou sept minutes. Est-ce que

4 ceci vous suffira pour formuler vos dernières remarques ou ce vous dites,

5 c'est loin d'être suffisant ?

6 Mme SOMERS : [interprétation] Non, non. Il faut être bref. Merci, Monsieur

7 le Président.

8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que la Défense -- maintenant, les

9 problèmes sont bien définis. Vous souhaiterez peut-être ajouter telle ou

10 telle chose. Mais si vous bénéficiez d'une dizaine de minutes pour

11 présenter vos remarques définitives communes, conjointes, ce n'est pas

12 nécessaire de revenir en détail sur les questions. De toute façon, la

13 Défense pourra réagir par écrit aux écritures déposées par le gouvernement

14 de Bosnie-Herzégovine. Est-ce que ceci vous convient ?

15 M. SIMIC : [interprétation] Je parle au nom de tous des conseils de la

16 Défense. Nous allons vous présenter nos remarques finales, mais étant donné

17 que nous n'avons pas reçu les documents, étant donné que la Défense a

18 compris que certaines questions n'ont pas été suffisamment éclairées, nous

19 aimerions vous présenter les conclusions écrites dans les délais que vous

20 prévoirez et nous aimerions peut-être la tenue d'une autre audience, de

21 façon à tirer au clair ce qui ne l'est pas encore.

22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je ne sais pas s'il y aura une autre

23 audience, mais je vous l'ai déjà dit, hier, vous pourrez de toute façon

24 présenter des écritures suite à ce que va dire le gouvernement.

25 Madame Somers, vous avez la parole. Maître Ivetic, vous vouliez ajouter

Page 265

1 quelque chose de très précis ? Ou est-ce que ceci pourrait se retrouver

2 dans les observations finales ?

3 M. IVETIC : [interprétation] Simplement que nous avons présenté notre

4 Défense, une conclusion conjointe, vu ce qui s'est dit hier et pour assurer

5 l'efficacité des débats, je croyais avoir 20 minutes. J'aurais du mal à

6 n'avoir que 10 minutes. D'après l'ordre du jour, il y avait cinq minutes

7 par équipe, ce qui donnait 20 minutes en tout. C'est pour cela que nous

8 avons -- je peux aller plus vite, vous savez. Mais je pense que les

9 interprètes n'en seront pas très satisfaits.

10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Soyons clairs. S'il est absolument

11 nécessaire -- bien sûr, on avait prévu au départ, dans l'ordre du jour,

12 certaines choses, mais on ne s'attendait à ce qu'il y ait des nouveaux

13 dépôts d'écritures. Ceci s'ajoute au

14 20 minutes, ce qui aurait été votre dernier ressort.

15 Mais la deuxième question est tout à fait pratique. S'il va y avoir une

16 autre audience sur ce sujet et s'il faut continuer, ne serait-ce que cinq

17 minutes de plus, une fois que nous aurons épuisé la cassette qui est en

18 cour, à ce moment-là, il faut recommencer les activités dans le prétoire,

19 ce qui prend presque deux fois plus de temps. Essayez d'être le plus concis

20 possible, afin de voir si nous pouvons terminer dans les délais fixés par

21 les cassettes et la longueur des cassettes.

22 Mais tout d'abord, j'aimerais donner l'occasion à Mme Somers de s'exprimer.

23 Mme SOMERS : [interprétation] Merci. Je tiens compte de certaines

24 préoccupations exprimées hier et rappelées aujourd'hui. Nous aimerions

25 rappeler que la question de l'extradition ne se pose pas. Il n'est pas

Page 266

1 question, ici, de parler d'extradition. C'est très clair pour nous. Nous

2 parlons d'une mesure d'application qui est à la disposition du Tribunal en

3 application du chapitre 7, responsabilités et ce qui est dit par le conseil

4 de Sécurité, du mandat qu'il a donné, qui a donné à ce Tribunal un mandat

5 qu'il doit exécuter. Je n'accepte pas un seul instant qu'il soit question

6 d'extradition. Mais si on fait une distinction, les pouvoirs que maintient

7 ce Tribunal en fonction du libellé du 11 bis, marque tout de suite une

8 différence avec ce qu'on pourrait qualifier d'extradition. Si le Tribunal

9 décide de rappeler l'affaire elle peut revenir sous sa compétence; l'aspect

10 de surveillance ou de suivi. Cet aspect-là est permis à l'Accusation. Cela

11 montre qu'il y aura une mesure d'exécution. C'est une mesure d'exécution ni

12 plus ni moins. Il y a l'aspect du proprio motu. Ce Tribunal, pas seulement

13 cette Chambre, le Tribunal peut décider de renvoyer une affaire. C'est la

14 preuve patente qu'il s'agit ici d'une mesure d'exécution qui est

15 l'exécution du mandat conféré par le chapitre 7.

16 Préoccupation formulée à propos de l'incidence de l'Article 60, vu

17 les modifications au 6(D) en ce qui concerne les modifications à apporter

18 au 11 bis, je ne suis pas d'accord. J'estime que ces dénué de fondement, et

19 je suis d'accord avec M. Koumjian. Il n'est pas permis de faire du tourisme

20 judiciaire, même si c'est décevant peut-être pour les accusés. Ce n'est pas

21 là porter atteinte à l'équité du procès; c'est un pouvoir qu'a ce Tribunal.

22 Le Tribunal fait une analyse, et peut décider suite à cette analyse, que

23 certains tribunaux respectent le principe de l'équité du procès. Ce

24 Tribunal-ci a toujours, à ce moment-là, le pouvoir de décider du renvoi.

25 On me le rappelle, la Bosnie-Herzégovine est membre, ou a signé la

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1 convention européenne des droits de l'homme, à laquelle incorpore ces

2 sauvegardes essentielles de l'équité du procès dans ces dispositions.

3 Quel est le droit applicable en dernière instance ? C'est la Chambre

4 de jugement qui va décider.

5 [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]

6 Mme SOMERS : [interprétation] La présente Chambre, a sans nulle doute,

7 entendu suffisamment d'arguments. Il n'y a très peu de précédents, c'est

8 vrai, mais il y a beaucoup d'arguments qui ont été soumis à la Chambre, qui

9 lui permettront de reconnaître que le tribunal de Bosnie-Herzégovine

10 dispose des lois nécessaires permettant aux Juges de ce Tribunal de se

11 saisir des faits, des faits retenus dans les actes d'accusation concernés.

12 Il est possible de modifier les chefs d'accusation tels qu'ils ont été

13 conçus, si le procès se déroule bien et toutes les facettes de l'équité du

14 procès, y compris celles concernant les témoins, sont prévues et sont

15 présentes dans les tribunaux de Bosnie-Herzégovine, ou dans la Chambre de

16 Bosnie-Herzégovine.

17 Encore un instant, s'il vous plaît, pour voir si j'ai oublié quelque

18 chose.

19 Les dispositions complètes de l'Article 11 bis, telles qu'existant

20 actuellement, reprennent intégralement le mandat du conseil de Sécurité

21 qui, en confirmant ce que j'ai évoqué hier devant la Chambre, je pense que

22 cela vaut la peine d'être répété. En vertu du chapitre 7 de la charte des

23 Nations Unies, le conseil de résolution a adopté des résolutions qui sont

24 régies par des dispositions identiques, à savoir qu'aucune institution

25 judiciaire extérieure à la présente institution ne peut modifier les

Page 268

1 dispositions établies en espèce ou ont vu le jour en exécution du mandat du

2 conseil de Sécurité.

3 Je pense que mes arguments couvrent l'ensemble de la question. Je

4 souhaite ne pas faire perdre de temps à qui que ce soit. Si des questions

5 se posent je serai ravie d'y répondre.

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, je vous remercie.

7 Maître Ivetic, d'abord, les interprètes ne peuvent continuer à travailler

8 que 15 minutes. De toute façon, il vaut mieux que les choses ne soient pas

9 répétées et pas interprétées deux fois. Puis, nous espérons que la pause

10 pourrait peut-être plus longue que d'habitude; 35 à 40 minutes. Après quoi,

11 nous entamerons la deuxième partie de l'après-midi et la terminerons sans

12 interruption.

13 Maître Ivetic, je n'ai entendu aucune objection des cabines

14 d'interprètes. Je vous demanderais éventuellement de vous exprimer pendant

15 six à sept minutes; ce qui évitera un dépôt d'écriture éventuellement, mais

16 ne perdez pas de vue qu'il ne nous reste que

17 15 minutes avant la pause.

18 M. IVETIC : J'essaierai de m'en contenter. Je suis co-conseil pour M.

19 Fustar, mais cet après-midi je m'exprime au nom de toutes les équipes de la

20 Défense, et je parle au nom des quatre accusés jugés par ce Tribunal, car

21 nous avons une opposition commune à l'application de l'Article 11 bis. La

22 Chambre de première instance a entendu des argumentations verbales hier et

23 aujourd'hui, qui portent sur ces dispositions. Du côté de la Défense, nous

24 estimons que les dispositions mises en œuvre par l'Accusation et par les

25 autorités de Bosnie-Herzégovine, méritent les objections que nous opposons

Page 269

1 à l'Article 11 bis, en raison de problèmes inhérents au transfert proposé

2 qui continue à exister. Je vais en évoquer quelques-uns.

3 D'abord, nous tenons à souligner que l'application du 11 bis est une

4 question grave, qui exige un examen attentif de la Chambre de première

5 instance au cas par cas, afin de vérifier que les faits et les

6 circonstances présentes garantissent l'équité du procès et assure que

7 l'accusé ne sera pas privé de son droit à un procès en temps utile, dans un

8 délai raisonnable sans aucun préjudice pour lui, comme le stipule le Statut

9 de ce Tribunal. Il est affirmé que ce niveau d'examen attentif prescrit par

10 le Règlement, demande que les questions soient posées par la Défense, et

11 que la Chambre de première instance les évoque également de façon à lever

12 tout doute raisonnable quant aux conditions dans lesquelles le renvoi

13 devant une autre juridiction, c'est-à-dire, un tribunal de Bosnie-

14 Herzégovine sera assuré, et de façon à garantir que ce renvoi ne nuira pas

15 au droit de l'accusé à un procès équitable. Il y a, à cet égard, un certain

16 nombre d'incertitudes, de points vagues, de conditions dans les arguments

17 de l'Accusation sur lesquels nous aimerions revenir.

18 La requête du bureau de Procureur ne s'appuie que sur des éléments

19 incertains, vagues soumis à condition. Il demeure de nombreuses zones

20 grises du point de vue de l'application du droit par les tribunaux

21 bosniaques.

22 Par ailleurs, la Défense, avec le respect qu'elle doit au Tribunal,

23 affirme que la Chambre de première instance doit fonder sa décision sur des

24 faits avérés et vérifiables, de même que des circonstances avérées et

25 vérifiables, et pas sur des conceptions de l'Accusation ou sur le fait que

Page 270

1 l'Accusation espère que les tribunaux de l'Etat bosniaque pourront opérer

2 efficacement à l'avenir. En tant que tel, il est impossible de faire droit

3 à la requête de l'Accusation en se fondant sur des modifications du droit

4 telles que prévues en ce moment ou sur l'exercice d'un droit

5 discrétionnaire qui ne ferait qu'inquiéter davantage la Défense.

6 Si le système judiciaire actuellement en place et qui fonctionne à

7 l'heure actuelle, tel que le stipule les lois régissant le fonctionnement

8 des tribunaux de l'Etat de Bosnie-Herzégovine, si ce système judiciaire est

9 insuffisant pour satisfaire au fardeau que constitue l'organisation d'un

10 procès équitable pour les accusés, avec le respect que nous devons au

11 Tribunal, nous disons que l'application des dispositions de l'Article 11

12 bis dans de telles conditions, ne doit pas se faire, et que les renvois ne

13 doivent s'effectuer.

14 L'Accusation n'a tout simplement pas le droit de demander à la Chambre de

15 première instance de faire confiance à un autre tribunal quant à l'exercice

16 de son droit discrétionnaire et de ses pouvoirs dans la plus grande équité.

17 Il faut que le fardeau de la preuve soit vérifié, au titre de l'Article 11

18 bis, c'est-à-dire qu'il soit démontré que l'instance judiciaire concernée

19 et recommandée par le Procureur, répond bien aux exigences d'un procès dans

20 des délais raisonnables et d'un procès équitable, tout comme le fait le

21 Tribunal devant lequel nous nous trouvons en ce moment, à savoir, le TPIY.

22 Fondamentalement, l'article du règlement en question, dispose que l'accusé

23 doit bénéficier d'un procès équitable, et pas simplement dans les cas où un

24 procès équitable est possible ou vraisemblable. Par conséquent,

25 l'Accusation n'a pas rempli son obligation à cet égard.

Page 271

1 L'Article 11 bis, en tant que condition préalable, requiert que la Chambre

2 émette un avis favorable quant aux garanties fondamentales d'équité et à

3 leur existence, et quant aux procédures qui vont être utilisées par les

4 tribunaux de l'Etat de Bosnie-Herzégovine, qui ne doivent pas être d'un

5 niveau de qualité inférieure pour l'accusé, aux procédures mises en œuvre

6 par le TPIY pour qu'il n'y ait aucun préjudice pour l'accusé. Ceci est

7 particulièrement important au vu de ce que nous avons évoqué hier, à savoir

8 que l'Article 11 bis a été amendé après que la plupart des accusés se sont

9 livrés à la compétence du Tribunal devant lequel nous sommes aujourd'hui.

10 Par conséquent, l'Article 6(D) du Règlement exige que les amendements à

11 l'Article 11 bis n'aggravent pas les conditions en vigueur pour l'accusé.

12 M. Koumjian a déclaré qu'il existait un appareil efficace, mais la Chambre

13 devra réfléchir à la question de savoir si lorsqu'ils se sont livrés au

14 Tribunal devant lequel nous nous trouvons, les accusés qui sont face à vous

15 aujourd'hui, avaient des attentes particulières quant aux garanties qui

16 pouvaient leur être fournies par les articles du Statut et du Règlement du

17 TPI. En échange pour s'être livrés à ce Tribunal, ils ont renoncé à

18 certains droits, notamment à certains droits qui leur étaient garantis par

19 le droit bosniaque.

20 Sachant qu'un procès ne serait pas terminé avant un an et demi, comme le

21 prévoyaient les lois, ils sont venus devant ce Tribunal plutôt que de

22 recourir aux garanties que leur fournissaient les articles d'un code

23 régissant le fonctionnement d'un tribunal moins important. S'il y avait

24 renvoi au titre de l'Article 11 bis, les accusés se verraient refuser la

25 disposition relative à un an et six mois, c'est-à-dire, la disposition qui

Page 272

1 régit la rapidité des procès en Bosnie-Herzégovine d'après le droit

2 bosniaque, et certains devraient attendre encore plus longtemps le début de

3 leur procès.

4 Aux termes du droit de Bosnie-Herzégovine, les accusés, qui sont face à

5 vous aujourd'hui, auraient la perspective d'attendre encore un an et six

6 mois pour que leur affaire arrive à maturité et que leur stratégie de

7 défense soit mise en place, ce qui signifierait qu'ils auraient à attendre

8 presque cinq ans pour la fin du procès, au cas où le procès se déroulerait

9 en Bosnie. C'est une pratique tout à fait fondamentale pour l'accusé, de

10 demander un traitement équitable, et il ne doit subir aucun préjudice en

11 raison du renvoi.

12 Parlons maintenant des tribunaux de Bosnie-Herzégovine. Du côté de la

13 Défense, nous estimons que tout est encore en construction dans ce pays, et

14 qu'il est impossible d'assurer avec certitude que les accusés bénéficieront

15 d'un procès équitable en Bosnie-Herzégovine. Nous estimons que le tribunal

16 spécial de Bosnie-Herzégovine n'est pas encore opérationnel, ne peut pas

17 encore organiser un procès de cette nature, et sur la base des

18 renseignements à notre disposition, le tribunal ne pourra être opérationnel

19 au plus tôt qu'en juillet 2005. Par conséquent, il faudra que les accusés

20 attendent leur procès encore plus longtemps; un mois de plus. Donc, un mois

21 de plus qui s'ajoute à cette année et six mois dont nous avons déjà parlé.

22 A ce stade, nous sommes prêts à entamer le procès à La Haye, et nous

23 pourrions sans doute terminer ce procès en quelques mois. Il faut que la

24 Chambre de première instance tienne compte de ce fait.

25 Je demanderais également à la Chambre de tenir compte de la situation

Page 273

1 actuelle que l'on peut constater à l'observation d'un certain nombre

2 d'instances de Bosnie-Herzégovine, notamment le système carcéral. Le

3 tribunal de Bosnie-Herzégovine d'après ces propres prévisions va émettre

4 des verdicts de culpabilité pour crimes de guerre dans le cadre de ce

5 tribunal spécial alors que l'unité de détention n'est pas encore

6 construite; la prison n'est pas encore totalement construite. Ceci est tout

7 à fait capital, puisque les installations carcérales posent un problème

8 important, et pourraient même s'avérer catastrophique pour nos clients. Des

9 renseignements disponibles à la Défense, indiquent que des prisonniers ont

10 même été frappés par le passé. Ceci est évoqué dans des documents dans

11 l'affaire Tepes, qui a abouti à la conclusion qu'un prisonnier

12 d'appartenance ethnique serbe avait été gravement passé à tabac, alors

13 qu'il était incarcéré dans des instances

14 carcérales dirigées par des autorités. Cette décision est récente.

15 J'ai demandé à la Chambre de réfléchir à la situation de l'appartenance

16 ethnique de ces quatre accusés, car ils risquent fort de subir le même

17 sort si leur affaire était envoyée devant un tribunal de Bosnie-

18 Herzégovine. Par ailleurs, la Défense affirme que le droit sur la

19 protection des témoins récemment institué à Sarajevo, même s'il semble être

20 une copie pro forma de certaines mesures de protection qui ont été établies

21 par le Tribunal devant lequel nous nous trouvons, le droit, la disposition

22 légale de Bosnie en la matière n'a pas encore été appliquée avec succès par

23 le système judicaire bosniaque. Nous soulignons des exemples particuliers,

24 notamment la pratique des représentants de l'Accusation dans la Fédération

25 de Bosnie-Herzégovine, qui démontre que des infractions graves ont été

Page 274

1 commises s'agissant de divulguer l'identité de témoins au public de la part

2 de procureurs. Cet argument est valable dans l'affaire qui nous intéresse.

3 Par ailleurs, si les mesures de protection peuvent être évoquées et

4 décrites sur le papier, elle ne se situe pas dans le cadre des mêmes

5 garanties que celles qui sont disponible ici. De même, les mesures de

6 protection du droit bosniaque autorisées par l'Accusation, ne bénéficient

7 pas du même niveau de confidentialité ou d'anonymat pour les témoins; ces

8 dispositions pouvant être violées. Ceci constituerait une enfreinte aux

9 droits des accusés. Il ne suffit pas d'avoir un témoin important qui est

10 interrogé ex parte par la Chambre, en l'absence de l'accusé ou des conseils

11 de la Défense pour que l'identité du témoin ne soit connue même si son

12 identité est conservée sous pli scellé pendant 30 ans. Les questions qui

13 suivent l'interrogatoire dans le cadre de l'application des droits

14 fondamentaux de la Défense à contre-interroger le témoin et à tester la

15 crédibilité de ces témoins, permettent éventuellement de dévoiler

16 l'identité du témoin.

17 Par ailleurs, les règles qui régissent les tribunaux de

18 Bosnie-Herzégovine, telles que nous les comprenons, autorisent la

19 possibilité de rouvrir des affaire qui ont déjà été jugées par le Tribunal

20 international, donc par le TPI, et ce, dans un délai de trois ans à partir

21 du début des procédures préalables au procès; ce qui pourrait contraindre

22 la Défense à recommencer son travail depuis le début dans la présente

23 affaire. J'affirme que ceci serait injuste. Ensuite, dans le cadre des

24 règlements existant en Bosnie-Herzégovine, il n'est pas certain que les

25 conseils de la Défense présents devant vous aujourd'hui, après trois sans

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1 de préparation intensive à ce procès, seraient même autorisés à continuer à

2 représenter leurs clients, même si le tribunal de Bosnie-Herzégovine

3 exercera son pouvoir discrétionnaire pour imposer une exception, le

4 financement de ce tribunal d'Etat comme nous l'avons appris, ne prévoit pas

5 le défraiement des conseils de la Défense ou des personnes qui travaillent

6 pour eux. Notamment des enquêteurs qui sont nécessaires pour une défense

7 efficace de nos clients. Dans ces conditions, le conseil de la Défense, sur

8 le plan concret et sur le plan ethnique, serait confronté à des difficultés

9 importantes pour travailler à un niveau professionnel et défendre, comme il

10 se doit, les clients qu'il représente si l'affaire devait être renvoyée

11 devant un tribunal d'Etat de Bosnie-Herzégovine. Pour dire les choses

12 simplement, le budget ne prévoit pas le défraiement des équipes des

13 défenseurs et des personnes qui travaillent pour eux, puisque lorsque nos

14 clients ont le statut d'indigents, ils ont un avocat commis d'office. La

15 décision du Tribunal devant lequel nous sommes, aujourd'hui, à savoir que

16 ces clients sont indigents pourraient être abolie, renversée et les accusés

17 pourraient choisir un avocat de leur choix.

18 Par ailleurs, en Bosnie-Herzégovine, rien n'est clair au sujet de la loi

19 qui s'appliquera exactement. La question la plus importante, à notre avis,

20 à savoir quel est le code pénal qui s'applique, quelles sont les

21 dispositions légales qui s'appliqueront. Nous estimons que tous les

22 principes du droit imposent que les dispositions légales de 1992

23 s'appliquent. Ceci est d'ailleurs la conclusion du tribunal suprême de la

24 Fédération de

25 Bosnie-Herzégovine. Aujourd'hui, les autorités d'Etat de

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1 Bosnie-Herzégovine discutent dans quel sens. Nous ne le savons pas; quant

2 à une rétroactivité possible, nous ne savons pas si nos lois seront

3 suffisamment équitables pour les accusés, nous ne savons pas dans quel sens

4 se déroulent ces discussions parce qu'il semble qu'il y ait quelques

5 incohérences en Bosnie. Dans une affaire en particulier, la pratique

6 coutumière a été à la base d'un argumentaire présenté comme cela a été le

7 cas, hier devant le Tribunal devant lequel nous sommes ici, c'est-à-dire

8 devant cette Chambre. Le tribunal suprême de la Fédération de Bosnie-

9 Herzégovine dans l'affaire numéro KZ20802 a délivré -- il s'agit de

10 l'affaire Ibrisevic Mehe - a délivré des argumentations contraires à celles

11 qui ont été faites ici en s'appuyant sur la loi de 1992 qui est une loi

12 selon laquelle la peine maximum autorisée est de 15 ans. Donc, où est-ce

13 que nous en sommes exactement ? Voilà l'incertitude qui doit être indiquée

14 à la Chambre devant laquelle nous nous trouvons et en raison de cette

15 incertitude, nous estimons qu'un renvoi devant les tribunaux de Bosnie-

16 Herzégovine est impossible et que c'est un problème trop critique pour ne

17 pas donner lieu à la décision que je viens d'indiquer.

18 Le bureau du Procureur et les autorités de Bosnie-Herzégovine se sont, pour

19 l'instant, concentrés sur les sauf conduits pour les témoins qui viendront

20 en Bosnie, en provenance de pays étrangers. Cependant, rien n'a été dit, au

21 sujet des garanties de sauf-conduits, pour des témoins qui circuleront

22 d'une localité de Bosnie vers une autre. Ceci est une question critique car

23 cela a une très grande importance pour les équipes de défenseurs dont les

24 témoins pourraient venir d'autres régions de Bosnie. En se fondant sur

25 l'absence de toute garantie de sauf conduits et sur les craintes justifiées

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1 de menaces, d'arrestations ou de mauvais traitements si ces témoins

2 viennent à Sarajevo comme nous le développons dans nos écritures, nous

3 estimons après discussion avec les témoins de la Défense qui ont tous été

4 d'accord, sans équivoque, sur ce point, qu'ils expriment leurs décisions de

5 ne pas témoigner à Sarajevo en raison de leur peur et qu'ils ne

6 témoigneront plus pour la Défense dans cette affaire.

7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Ivetic, je regarde la montre.

8 J'ai dit qu'en échange de cinq minutes, vous économiseriez des dépôts

9 d'écriture. Vous avez choisi de revenir sur des arguments que vous avez

10 développés hier, sans rien y ajouter. J'aimerais que vous en terminiez dans

11 les quelques minutes qui viennent.

12 M. IVETIC : [interprétation] Deux minutes encore, je vous en prie.

13 Nous estimons que il n'est pas bon que le bureau du Procureur soit celui

14 qui vérifie les affaires à renvoyer. En vertu du rôle qu'il joue en tant

15 que Procureur, il y aurait conflit d'intérêts pour lui, si c'était lui qui

16 devait, en temps utile, déterminer quels sont les droits de l'accusé qui

17 sont respectés, en cas de renvoi.

18 Je souligne, encore une fois, pour les membres de la Chambre que c'est à

19 vous qu'il appartient d'examiner le problème de l'extradition, en sens

20 inverse, qui a été discuté, hier, par mon confrère, Maître Lukic et

21 d'examiner également le fait que certains accusés se sont livrés

22 directement au Nations Unies; d'autres, directement aux autorités de

23 Serbie-et-Monténégro - et que l'un de nos clients est citoyen de Serbie-et-

24 Monténégro, il n'a jamais été citoyen bosniaque - et il a le droit de

25 bénéficier des dispositions prévues par ce Tribunal, y compris le droit de

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1 voir sa sécurité personnelle assurée, ainsi que celle de sa famille

2 lorsqu'elle lui rend visite, le droit d'être jugé selon les normes et la

3 pratique établis par ce Tribunal devant lequel nous sommes aujourd'hui. Le

4 droit de bénéficier d'une aide juridique et d'une équipe de Défense qui le

5 défendra réellement, au cas où sans frais, au cas où il est déclaré

6 indigent - et en fait, ils ont été déclarés indigents dans la présente

7 affaire, mais cela risque de ne plus être le cas s'ils sont jugés en

8 Bosnie-Herzégovine.

9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Maître Ivetic.

10 M. IVETIC : [interprétation] Par conséquent, nous demandons le rejet de

11 cette demande de renvoi.

12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, merci. Ceci était la conclusion que

13 nous avions tirée de vos propos.

14 Je crains de devoir rapidement remercier les représentants de Bosnie-

15 Herzégovine et de Serbie-et-Monténégro pour leur présence. Je parle, en

16 particulier, à Madame la Présidente Kreso, qui dirigeait la délégation et à

17 Monsieur Loncar. Je devrais le faire rapidement pour le compte rendu

18 d'audience, compte tenu des contraintes de temps.

19 J'aimerais remercier les parties pour leurs exposés qui ont beaucoup aidé

20 la Chambre à rendre une décision en l'espèce, décision complexe, compte

21 tenu de la complexité de la question et des aspects techniques, juridiques

22 complexes qui y sont liés. Mais ce n'est pas simplement un problème de

23 détails techniques, juridiques complexes. C'est également une mesure très

24 importante que la Chambre prendra ou ne prendra pas en l'espèce. Je vous

25 remercie.

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1 Madame la Présidente Kreso, je vous reverrai rapidement, après cet après-

2 midi.

3 Je n'ai pas reçu d'indications quant aux délais requis pour les dépôts

4 d'écriture. Est-ce que sept jours -- la semaine prochaine vous

5 conviendrait ? En tout cas, nous aimerions pouvoir bénéficier du week-end

6 pour en prendre connaissance. Merci. Maître Simic.

7 M. SIMIC : [interprétation] Monsieur le Président, pourriez-vous, je vous

8 prie, nous laisser, au moins, deux semaines, 14 jours, parce que,

9 réellement, il y a de nombreux documents dont nous devons prendre

10 connaissance. Nous avons environ 1 200 pages à lire et nous ne savons pas

11 ce qui est contenu dans ces 1 200 pages. Donc, je pense qu'un délai de deux

12 semaines serait raisonnable.

13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Même s'il y a de nombreuses pages à

14 lire, je ne pense pas, sans aucune offense pour vous, que vous ayez besoin,

15 pour en prendre connaissance, de tout lire comme cela aurait été le cas, il

16 y a 15 ans ou 10 ans. Il y a des documents dont vous n'avez pas réellement

17 la nécessité de prendre connaissance. Nous pensons que c'est tout à fait

18 certain. En dehors de cela, ces documents vous sont mieux connus qu'à nous,

19 en tout état de cause.

20 [La Chambre de première instance se concerte]

21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Quatorze jours sont accordés à la

22 Défense.

23 M. SIMIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ce délai vous est accordé.

25 M. SIMIC : [interprétation] Nous nous engageons à le respecter.

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1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous allons suspendre l'audience. Nous

2 avons entendu la demande de dépôt de nouvelles écritures. La Chambre

3 réfléchira à la question et vous fera savoir, du côté de l'Accusation, si

4 vous aurez la possibilité de déposer de nouvelles écritures.

5 Madame Somers, vous voulez répondre ?

6 Mme SOMERS : [interprétation] Nous comprenons qu'il faut suspendre, mais

7 j'aimerais demander si l'Accusation demande le dépôt de nouvelles

8 écritures. Est-ce que la Chambre les autorisera ?

9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous y réfléchirons. Mais bien sûr, je

10 comprends que l'Accusation a déposé ses écritures en temps utile, qu'elle

11 est dans une situation un peu différente de celle de la Défense.

12 Mme SOMERS : [interprétation] C'est compris, Monsieur le Président. Nous

13 attendrons la décision.

14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Suspension.

15 --- L'audience est suspendue à 16 heures 13.

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