LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit : M. le Juge Richard May, Président

M. le Juge Antonio Cassese

Mme le Juge Florence Ndepele Mwachande Mumba

Assistée de : Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Décision rendue le : 12 mai 1998

 

 

LE PROCUREUR

C/

MILAN KOVACEVIC

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE L’ACCUSATION AUX
FINS DE PROTÉGER LES VICTIMES ET LES TÉMOINS

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Le Bureau du Procureur :

Mme Brenda Hollis
Mme Ann Sutherland
M. Michael Keegan

Le Conseil de la Défense :

M. Dusan Vucicevic
M. Anthony D’Amato

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE,

VU la Requête aux fins de protéger les victimes et les témoins, déposée par le Bureau du Procureur ("Accusation") le 20 avril 1998 ("Requête de l’Accusation"), demandant des mesures de protection pour toutes les victimes et tous les témoins qui pourraient être cités à comparaître au cours du procès, la Réponse de la Défense à la Requête de l’Accusation, déposée le 1er mai 1998 ("Réponse de la Défense") dans laquelle la Défense formulait plusieurs demandes, notamment : a) une demande aux fins d’auditions préalables au procès des témoins à charge ; b) une ordonnance enjoignant au Procureur d’indiquer si les témoins de l’Accusation ont reçu une aide ou un traitement psychiatrique ou psychologique ; et c) une demande aux fins de communication de toute aide en vue de préparer les auditions, de toute aide financière ou autre ou de tout conseil fourni aux témoins à charge par les services de sécurité d’État et de renseignements ou par des organisations sociales ou religieuses ; et la Réplique à la Réponse de la Défense et la Réponse à la Demande en réparation présentée par la Défense dans sa réponse, toutes deux déposées par l’Accusation le 7 mai 1998 avec l’autorisation de la Chambre de première instance,

ATTENDU que l’Accusation a accepté de contacter ses témoins et de leur demander s’ils souhaitent se faire interroger par la Défense avant le procès et s’ils ont reçu un traitement ou une aide psychiatrique ou psychologique et que l’Accusation a accepté de communiquer ces renseignements à la Défense,

ENTENDU les exposés des parties le 11 mai 1998 et ayant mis en délibéré sa décision relative à la Requête de l’Accusation et aux demandes figurant dans la Réponse de la Défense,

ATTENDU que l’article 22 du Statut du Tribunal international ("Statut") et l’article 75 du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international ("Règlement") font obligation à la Chambre de première instance d’assurer la protection des victimes et témoins,

ATTENDU également que dans l’affaire Le Procureur c/ Delalic et consorts, Affaire n° IT-96-21, la Chambre de première instance II, dans une décision en date du 18 mars 1997, avait conclu que la Défense n’a pas le droit d’obtenir des informations au sujet des témoins à charge aux fins de procéder à des auditions préalablement au procès, la présente Chambre de première instance souscrit à cette décision dans la mesure où le droit de procéder auxdites auditions n’est pas reconnu : on ne retrouve ce droit ni à l’Article 21 du Statut ni à l’Article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et, à ce titre, la tenue d’auditions dans ces circonstances ne fait pas partie de la pratique du Tribunal international, même lorsque l’Accusation ne s’y oppose pas,

ATTENDU en outre que le danger existe que les auditions préalables au procès ajoutent encore aux souffrances des victimes et témoins,

En application de l’article 22 du Statut et de l’article 75 du Règlement,

Fait droit par la présente à la requête de l’accusation, refuse d’accéder aux demandes formulées par la Défense dans sa réponse, et ordonne ce qui suit :

1) Le Procureur, l’accusé, son conseil et leurs représentants ne révéleront ni au public, ni aux médias, ni à des membres de leur famille ni à des connaissances l’identité, les coordonnées et autres éléments d’identification relatifs aux témoins, sauf pour des motifs liés à la préparation de leurs dossiers ;

2) Le Procureur, l’accusé, son conseil et leurs représentants ne révéleront ni au public, ni aux médias, ni à des membres de leur famille ni à des connaissances le contenu, en tout ou en partie, des déclarations de témoins que le Procureur fournit en conséquence de son obligation de communication, sauf pour des motifs liés à la préparation de leurs dossiers ;

3) Le Procureur et la Défense tiendront chacun un registre à jour indiquant le nom, l’adresse et la fonction de toute personne ou entité qui reçoit une copie d’une déclaration de témoin, ainsi que la date de cette communication. En cas de violation des dispositions de la présente Décision, le Procureur ou la Défense le notifieront à la Chambre de première instance qui peut soit examiner les violations présumées soit renvoyer la question devant une personne qu’elle désignera, comme le Juge de permanence. Si la Chambre de première instance renvoie la question devant un Juge de permanence, ce dernier examinera les registres de communication, décidera quant aux faits et fera rapport à la Chambre de première instance en recommandant les mesures qui lui semblent appropriées.

4) Le Procureur et la Défense feront savoir aux personnes ayant reçu une copie des déclarations qu’il leur est interdit de les reproduire, à peine de sanction pour outrage au Tribunal, et qu’elles sont tenues de renvoyer lesdits documents dès qu’ils ne leur sont plus nécessaires ;

5) Le Procureur et la Défense vérifieront que les personnes ayant reçu une copie des déclarations observent rigoureusement leur obligation de ne pas reproduire ces documents et de les renvoyer dès qu’ils ne leur sont plus nécessaires.

Aux fins de la présente Décision, le terme "public" ne comprend pas les personnes ou entités qui aident l’accusé et son conseil ou le Procureur à préparer leurs dossiers.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre

de première instance,

/signé/

Richard May

Fait ce douze mai 1998

La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]