Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL Affaire IT-95-4-PT

2 POUR L’EX-YOUGOSLAVIE Affaire IT-95-8-PT

3 Affaire IT-97-24-PT

4 M. Richard May, Président

5 Mme Mumba, Juge

6 M. Cassese, Juge

7 LE PROCUREUR

8 C/

9 Milan Kovacevic

10 Mladen Radic, dit « Krkan »

11 Miroslav Kvocka,

12 Zoran Zigic, dit « Ziga »

13 Le Bureau du Procureur

14 Mme Brenda Hollis, Mickaël Keegan, Ann Sutherland

15 Les conseils de la défense

16 M. Dusan Vucicevic, M. Anthony D’Amato, pour Milan Kovacevic

17 M. Veljko Guberina, pour Mladen Radic

18 M. Simo Tosic, Mme Jelena Lopicic, pour Zoran Zigic,

19 Mme Slavica Grahovac, pour Kvocka

20

21 Lundi, 11 mai 1998

22 L'audience est ouverte à 10 heures 05.

23

24 M. le Président (interprétation). - Le greffe peut-il introduire

25 l'affaire.

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1 Le Greffe (interprétation). - Affaire IT-95.4.PT, le Procureur

2 contre Zoran Zigic, l’Affaire IT-95-8-PT et l’Affaire IT-97-24.PT.

3 M. le Président (interprétation). - Que les parties se

4 présentent.

5 Mme Hollis (interprétation). - Bonjour et Madame et Messieurs

6 les Juges. Je m’appelle Brenda Hollis. Je comparais avec Me Mickaël Keegan

7 et Me Sutherland au nom de l’accusation.

8 M. le Président (interprétation). - Du côté de la défense.

9 M. Vucicevic (interprétation). - Je m’appelle Dusan Vucicevic et

10 c’est avec le Professeur D’Amato que je défends M. Kovacevic.

11 M. Tosic (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président, je

12 suis Simo Tosic et je défends Zoran Zigic.

13 M. Guberina (interprétation). - Je m’appelle Veljko Guberina. Je

14 suis conseil de la défense pour Mladen Radic.

15 Mme Grahovac (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président,

16 je m’appelle Slavica Grahovac et je suis conseil de substitution pour la

17 défense de M. Kvocka.

18 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie. Les

19 accusés entendent-ils les débats dans une langue qu'ils comprennent.

20 (La réponse est affirmative.)

21 M. le Président (interprétation). - Fort bien. Ces Affaires sont

22 inscrites au rôle conjointement pour la raison suivante. L’Affaire

23 concernant Milan Kovacevic devait commencer au niveau du procès

24 aujourd'hui. Toutefois, le Bureau du Procureur, comme le savent ceux

25 concernés par l’Affaire, a demandé une modification de l'acte

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1 d'accusation. Cette requête a été déboutée par la Chambre de première

2 instance et le Bureau du Procureur a interjeté appel. La Chambre d'appel

3 n'a pas encore tranché sur la question.

4 Voilà quelle est la situation qui se présente. Le procès intenté

5 contre M. Kovacevic ne pourra pas s'ouvrir aujourd'hui. Il ne pourra pas

6 s'ouvrir tant que la Chambre d'appel n'aura pas rendu son avis. Dans

7 l'intervalle, les trois autres accusés ont comparu devant une autre

8 Chambre de première instance.

9 Le Procureur demande aujourd'hui une jonction d'instance les

10 concernant, ou plutôt qu'il y ait présentation simultanée des éléments de

11 preuve. C'est ainsi que l'accusation formule cette demande.

12 Cette requête doit faire l'objet d'exposés aujourd'hui. Il y a

13 d'ailleurs d'autres requêtes qui sont prévues pour discussion concernant

14 M. Milan Kovacevic.

15 Il est manifeste qu'il sera plus commode d'entendre les exposés

16 relatifs à la demande de jonction d'instance pour commencer. C'est ce que

17 nous allons faire.

18 Mme Grahovac (interprétation). - Puis-je m'adresser à vous au

19 nom du conseil de la défense. Voici quelle est la situation.

20 Dans cette Affaire, la défense, si nous avons bien compris, n'a

21 encore reçu aucun des documents pertinents. Est-ce bien exact ? Pourriez-

22 vous confirmer la chose pour que cela soit inscrit au dossier ?

23 M. Guberina (interprétation). - Au nom de l'accusé M. Radic, le

24 1er mai déjà nous avons soulevé une objection. Nous avons alors formulé et

25 présenté par écrit aux juges de la Chambre de première instance. Nous

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1 tenons à cette décision car nous sommes vraiment dans une situation qui

2 nous lèse. Au nom de l'honneur, de la conscience, c'est là un droit qui

3 nous revient.

4 J'exerce ce métier depuis 45 ans. Il est certain que nous avons

5 eu l'occasion de défendre des cas très difficiles. Dès lors que nous nous

6 trouvons ici devant une institution des plus réputées, institution

7 éminente puisque le monde entier nous observe, étant donné les décisions

8 qui seront concernées par les jugements rendus dès aujourd'hui, il est

9 important, au nom de notre éthique, de notre déontologie, de demander à

10 connaître toutes les pièces à l'appui de l'acte d'accusation concernant

11 M. Radic, ainsi que ce qui concerne l'acte d'accusation de M. Kovacevic.

12 En tant que conseil de la défense, je voudrais être en mesure de

13 me préparer pour réagir correctement à l'acte d'accusation, et ce de façon

14 très subite, que nous avons été informés de la décision, de la volonté

15 d'une jonction d'instance. Il nous faut l'ensemble des documents présentés

16 à l'appui de l'acte d'accusation. Nous ne disposons que de la moitié des

17 documents aujourd'hui. On nous avait promis l'intégralité des documents.

18 Quant aux éléments à l'appui des accusations portées contre

19 M. Kovacevic, nous ne savons pas du tout pourquoi on l'accuse, et de quoi

20 on l'accuse. Les accusations portées contre lui pourraient retomber sur

21 mon client. Nous ne voyons pas de quelconque lien entre M. Kovacevic et

22 mon client.

23 Nous aimerions entendre les faits, les arguments invoqués par

24 l'accusation pour défendre les allégations de l'accusation. Nous aimerions

25 savoir sur quoi se base cette requête. Puisque j'ai 73 ans, j'ai 45 ans

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1 d'expérience. En tant que conseil de la défense, je suis membre d'Amnesty

2 international depuis 24 ans, je suis un grand défendeur de l'abolition de

3 la peine de mort, je voudrais que vous teniez compte de tout cela pour

4 nous entendre.

5 M. le Président (interprétation). - Maître Guberina, nous avons

6 bien sûr étudié votre requête. Nous comprenons parfaitement votre

7 situation ainsi que la situation dans laquelle se trouvent les autres

8 conseils de la défense qui n'ont pas non plus reçu les documents.

9 Je vous demanderai d'éteindre votre micro.

10 Vous n'avez pas disposé de tous les documents à l'appui de

11 l'acte d'accusation. Il est donc naturel que vous disiez ne pas être en

12 mesure de réagir à la requête relative à la poursuite du procès. Il vous

13 faut pour cela avoir toutes les pièces nécessaires, ce que nous

14 comprenons. Nous avons néanmoins décidé d'inscrire l'affaire aujourd'hui

15 pour la raison suivante : nous voulons entendre l'exposé des arguments

16 relatifs à ces requêtes.

17 Dans le cas de M. Kovacevic, il faut trouver une solution rapide

18 à la question afin que son procès puisse s'ouvrir. Nous estimons que cette

19 audience nous permettra de discuter de toutes ces questions en audience

20 publique pour avoir un premier avis sur toutes ces questions.

21 Nous sommes parfaitement conscients des éléments que vous venez

22 d'évoquer. Nous savons quels sont les arguments de votre requête et nous

23 n'allons pas rendre d'ordonnance, s'agissant des accusés qui n'ont pas

24 reçu tous les documents à l'appui de l'acte d'accusation, tant que ces

25 documents ne leur auront pas été communiqués.

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1 Les conseils auront donc l'occasion de se pencher sur la

2 question. Si nous pouvons nous mettre d'accord, tant mieux ; si la requête

3 est déboutée, elle le sera. Si par ailleurs, nous voulons rendre des

4 ordonnances concernant votre client sur lesquelles vous voudriez réagir

5 après avoir reçu les documents nécessaires, nous tiendrons compte de la

6 situation et nous ne rendrons pas de décision avant que vous ne disposiez

7 de tous les documents.

8 C'est donc une première audience, audience préliminaire, qui

9 nous permettra au moins de comprendre la nature de ces requêtes et qui

10 pourra nous donner peut-être quelques amorces, quelques pistes de

11 décision. Soyez rassuré, nous disposons de votre requête et nous gardons

12 bien à l'esprit vos arguments.

13 Maintenant, je me tourne vers l'accusation. Maître Hollis,

14 maître Keegan, cette requête soulève des questions importantes, questions

15 qui n'ont pas encore été soulevées devant ce Tribunal jusqu'à présent. Il

16 s'agit de la demande de jonction d'actes d'accusation et de la

17 présentation simultanée d'éléments de preuve. Il ne faut pas oublier bien

18 sûr qu'une décision sera prise dans le contexte suivant :

19 D'un côté, la Chambre se trouve sous l'obligation, en vertu de

20 l’Article 20 du Statut, d'assurer un procès rapide et équitable dans

21 l'intérêt des accusés.

22 Par ailleurs, il ne faut pas oublier la nécessité d'assurer la

23 protection des témoins et des victimes. Il nous faut donc tenir compte de

24 la nécessité d'établir un équilibre entre les intérêts respectifs.

25 D'entrée de jeu, je dirai ceci : dans nos systèmes nationaux, une telle

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1 question peut trouver une solution par un accord entre conseils, entre

2 parties. L'ordre de présentation des éléments de preuve peut se résoudre

3 de cette façon, et si quelque chose de positif peut ressortir de ces

4 discussions entre les parties, on peut prévoir du temps.

5 Je tiens à le rappeler à l'encontre de chacun des conseils. Nous

6 disposons de temps pour procéder à cette discussion. Nous avons cette

7 salle d'audience aujourd'hui, demain, et peut-être pour tout le reste de

8 la semaine.

9 Par conséquent, si nous pouvons trouver une solution par le

10 biais d'un accord, de nature à résoudre ce problème, nous sommes tout à

11 fait favorables à cette idée.

12 Maître Hollis, ou plutôt maître Keegan, excusez-moi, je voudrais

13 commencer par une question. La voici : les parties ont-elles procédé à des

14 discussions, lesquelles bien sûr peuvent être mentionnées à la Chambre de

15 première instance ? Vous avez le droit de garder confidentielles toutes

16 discussions qui vous paraîtraient nécessaires, mais je crois que

17 Me D’Amato a fait quelques suggestions quant à l'ordre de présentation des

18 éléments de preuve.

19 Ce n'est pas tout à fait la même proposition que celle que vous

20 avez faite, mais y a-t-il eu un compromis ou une tentative de compromis ?

21 M. Keegan (interprétation). - Il n'y a pas eu de discussions

22 entre les parties s'agissant de la question formulée par Me D'Amato. Cela,

23 à notre avis, ne répond pas à la question principale qui se pose ici, à

24 savoir la protection des victimes et des témoins.

25 M. le Président (interprétation). - Je vous comprends, mais

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1 voici quelle est notre position. Nous allons procéder à l'exposé des

2 arguments relatifs à cette requête, c'est certain, et puis nous aurons une

3 interruption, comme d'habitude. L'interruption pourrait être mise à profit

4 entre les parties pour discuter de cette question. Si ce genre de

5 discussion de table ronde peut contribuer à trouver une solution, nous

6 prévoirons le temps qu'il faut pour que cela se fasse.

7 Mais avant que vous ne poursuiviez, je veux m'assurer que tous

8 les éléments sont très clairs dans mon esprit. Que demandez-vous ? Il

9 semblerait que l'accusation demande une ordonnance sur trois points.

10 D'abord, s'agissant des quatre accusés, vous demandez qu'ils

11 soient entendus par une seule et même Chambre de première instance, en

12 application de l’Article 54 qui nous habilite à rendre des ordonnances

13 nécessaires à la bonne conduite du procès.

14 Si je vous comprends toujours aussi bien, l'autre demande c'est

15 que, dans le cas des trois accusés les plus récemment arrivés, Radic,

16 Kvocka et Zigic, vous demandez que les deux actes d'accusation établis à

17 leur encontre fassent l'objet d'un seul procès.

18 Il faudrait invoquer pour cela l’Article du Règlement n° 48, qui

19 permet à des personnes accusées d'une même infraction ou d'infractions

20 différentes commises à l’occasion de la même opération d'être mis en

21 accusation et jugés ensemble.

22 Troisième demande formulée par vous : que les éléments de preuve

23 concernant ces quatre accusés fassent l'objet d'une présentation

24 simultanée. Dans ce cadre, il faudrait examiner l’Article 20 du Statut,

25 dont j'ai déjà parlé, et l’Article 75 a du Règlement qui nous permet

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1 d'ordonner des mesures appropriées pour protéger des témoins, pour autant

2 ,bien sûr, que cela ne lèse pas les droits de l'accusé.

3 Je suppose qu'une décision rendue sur les deux premiers points,

4 à savoir la jonction d'instance pour les quatre accusés et la jonction

5 d'acte d'accusation, s'agissant de ces deux questions, est tributaire de

6 la décision prise sur le troisième point, à savoir la présentation

7 simultanée des éléments de preuve.

8 En effet, si nous rejetons votre troisième demande, la première

9 demande est caduque. Il ne faudra pas l'examiner. Quant à la seconde

10 demande, à savoir la jonction des actes d'accusation, cette question

11 relèverait de la Chambre d'accusation qui va connaître de l'affaire

12 concernant ces trois accusés. Ai-je bien analysé votre requête ?

13 M. Keegan (interprétation). - Certes oui, à l'exception du

14 premier point. Stricto sensu, nous ne demandons pas que ce soit la même

15 Chambre de première instance qui connaisse de ces affaires. Pour la

16 présentation simultanée des éléments de preuve, techniquement on pourra

17 avoir deux Chambres d'instance qui soient saisies de ces deux affaires.

18 M. le Président (interprétation). - Je croyais que c'était là la

19 nature de votre requête. Je me contentais de l'analyser.

20 M. Keegan (interprétation). - C'était simplement pour des

21 raisons de commodité que nous nous étions dit qu'il serait peut-être plus

22 facile de voir tous les accusés attribués à une seule Chambre de première

23 instance. Effectivement, s'il était approprié d'avoir une présentation

24 simultanée des éléments de preuve mais qu'il soit préférable d'avoir deux

25 Chambres séparées qui connaissent de ces affaires, techniquement ce serait

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1 possible.

2 A toute fin pratique, vous avez sans doute raison, mais

3 techniquement, ce n'est pas nécessaire.

4 M. le Président (interprétation). - Avant d'entendre les

5 arguments au fond, vous avez la suggestion de Me Guberina qui semblait

6 dire que certains des documents à l'appui des actes d'accusation avaient

7 été communiqués aux trois accusés. Mais qu'est-ce qui a été communiqué ?

8 M. Keegan (interprétation). - Le 5 mai, une partie de ces

9 documents, à savoir l'exposé des faits, les éléments de preuve relatifs à

10 chacun des accusés, ont été communiqués de façon individuelle par le

11 Bureau du Procureur à l'équipe de la défense de M. Radic, à celle de

12 M. Kvocka.

13 Le 7 mai, les pièces jointes, y compris les déclarations

14 relatives aux accusés, ont été remises à M. Tosic pour l'accusé Zigic, et

15 les documents aussi ont été remis pour ce qui est des déclarations

16 préalables au conseil de M. Kvocka.

17 D'autres documents ont été remis au bureau de Me Guberina le

18 7 mai également. Cela veut dire que tous les documents à l'appui des actes

19 d'accusation ont été remis par le Bureau du Procureur aux conseils de la

20 défense.

21 M. le Président (interprétation). - Que pense la défense ?

22 M. Tosic (interprétation). - Ce que l'accusation vient de dire

23 est peut-être correct, mais ni moi ni l'accusé n'avons reçu ces documents

24 dans notre langue maternelle. Nous avons reçu des documents en anglais,

25 mais cela ne m'a pas été d'une grande utilité.

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1 S'agissant de ce qu’a dit Me Guberina, je me rallie tout à fait

2 à son avis s'agissant de la question de la jonction d'instance. Je vous

3 remercie.

4 M. le Président (interprétation). - Maître Guberina, qu'avez-

5 vous reçu en guise de documents ?

6 M. Guberina (interprétation). - Je peux vous dire que le 5 mai,

7 lorsque j'étais censé rencontrer mon client pour la première fois,

8 effectivement, à 8 heures 45, nous avons reçu certains des documents

9 concernés. Je tiens à remercier l'accusation, notamment Anne Sutherland de

10 ce qu'elle a fait. Elle nous avait dit effectivement qu'il faudrait peut-

11 être attendre avant de recevoir les documents. Je crois qu'elle a été

12 prise par surprise tout autant que moi.

13 En effet, c’est vingt jours après la signification de l'acte

14 d'accusation que nous avons reçu certaines pièces, alors que précédemment

15 nous n'avions rien reçu. Cette collègue de l'accusation nous a demandé où

16 nous étions pour qu'elle puisse nous atteindre par téléphone et nous

17 remettre certains documents le lendemain.

18 Nous avons reçu ces documents-ci que je suis en train de vous

19 montrer. C'est tout ce que nous avons reçu. Nous avons aussi demandé à

20 recevoir les documents, même en anglais. Nous veillerons à la traduction.

21 Nous avons effectivement reçu ces documents. Nous trouvons inacceptable

22 que l'accusé lui-même n'ait pas reçu ce document. Nous devons les

23 consulter ensemble, après avoir reçu la globalité des documents pour

24 préparer notre défense. Bien sûr, nous avons signé l'accusé de réception

25 pour les documents que nous avons reçus.

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1 Je ne sais pas si d'autres documents sont parvenus à nos bureaux

2 dans l'intervalle. Je vois que le Bureau du Procureur parle de documents

3 en date du 7 mai. Il m'est impossible de vous dire ici si je peux accepter

4 ces documents, car je ne sais pas s'ils sont arrivés. S'ils sont

5 effectivement arrivés, j'en remercie l'accusation. Nous allons bien sûr en

6 prendre connaissance. Mais il n'en demeure pas moins que nous devons

7 demander à la Chambre de première instance un délai qui nous permettra de

8 mieux connaître les documents et d'en discuter avec les hommes que nous

9 défendons pour présenter nos arguments et faire fonction, effectivement,

10 de conseil de la défense. Je vous remercie.

11 M. le Président (interprétation). - Mademoiselle Grahovac,

12 voulez-vous vous prononcer sur la question ?

13 Mlle Grahovac (interprétation) - Pour ce qui est de M. Kvocka,

14 nous pensons qu'il faut qu'il y ait disjonction de toutes les instances.

15 Nous pensons que la défense de M. Kvocka doit se dérouler dans le cadre

16 d'un procès séparé et nous sommes tout à fait opposés au reste des

17 requêtes déposées par l'accusation. Je crois que vous avez reçu nos

18 réponses, Monsieur le Président.

19 M. le Président (interprétation). - Je ne suis pas sûr que ce

20 soit le cas.

21 Mlle Grahovac (interprétation) - Vous avez peut-être des

22 documents en date du 7 mai ?

23 M. le Président (interprétation). - La requête a été déposée

24 mais je ne l'ai pas lue. Aidez-moi, Maître, si vous le pouvez. Où est

25 Me Simic ? C'est lui le conseil de la défense.

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1 Mlle Grahovac (interprétation) - Oui, je le remplace.

2 M. le Président (interprétation). - Nous vous en remercions.

3 Mlle Grahovac (interprétation) - Il a eu un empêchement de

4 dernière minute. Mais je suis persuadée que lors de la prochaine audience

5 il sera présent.

6 M. le Président (interprétation). - Ayez l'obligeance d'essayer

7 de savoir où se trouve Me Simic. Peut-être serez-vous à même de nous

8 donner des informations sur ce point au cours de la journée. Il devrait

9 être ici.

10 Mlle Grahovac (interprétation) - J'en suis bien consciente,

11 Monsieur le Président.

12 M. le Président (interprétation). - Merci.

13 M. Keegan (interprétation). - Monsieur le Président, pour ce qui

14 est toujours de cette question de la communication des éléments de preuve,

15 lors de la comparution initiale de M. Kvocka et de M. Radic, et lors de la

16 comparution initiale de l'accusé Zigic, les conseils commis d'office de

17 façon provisoire à cette époque-là stipulent sur le compte rendu qu'ils ne

18 souhaitent pas recevoir les documents à l'appui des accusations. Ils

19 demandent à l'accusation d'attendre qu'un conseil de la défense permanent

20 soit assigné. Ils demandent que ce soit le conseil de la défense permanent

21 qui reçoive les éléments de preuve.

22 C'est la raison pour laquelle il y a eu ce délai en matière de

23 communication. Nous avons attendu que des conseils de la défense

24 permanents soient assignés à chacun des accusés. Nous avons reçu la

25 demande de M. Guberina le jour où celui-ci est arrivé à La Haye. Nous

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1 avons, je le répète, reçu cette demande le jour même de son arrivée ici.

2 Nous avons dû essayer de réagir extrêmement rapidement.

3 Je crois qu'une grande partie des éléments de preuve ont été

4 traduits en serbo-croate, pas la description des faits mais les différents

5 extraits de documents à l'appui ont été traduits. Il faut que je m'en

6 assure, mais je crois que c'est le cas. Vous le savez, notre département

7 de la traduction a beaucoup de travail. Il est un peu difficile de savoir

8 quels seront les délais. Mais peut-être qu'aujourd'hui ou demain nous

9 pourrons obtenir certains documents.

10 M. le Président (interprétation). - Maître Keegan, je vais vous

11 demander de vous assurer exactement de la situation. J'aimerais

12 qu'aujourd'hui, un peu plus tard, nous essayions de savoir exactement

13 quels ont été les documents qui ont été communiqués et quels sont ceux qui

14 ne l'ont pas été.

15 M. Keegan (interprétation). - Nous savons que tous les documents

16 ont été envoyés, Monsieur le Président. Tous ont été envoyés en langue

17 anglaise. Peut-être que les conseils ne les ont pas reçus, mais en tout

18 cas ils ont été envoyés. Ils n'ont pas tous été traduits en serbo-croate,

19 mais comme vous le dites, nous essaierons de savoir aujourd'hui quelle est

20 exactement la situation.

21 M. le Président (interprétation). - Maître Keegan, vous avez la

22 parole, vous pouvez présenter vos arguments à l'appui de votre requête.

23 M. Keegan (interprétation). - Monsieur le Président, vous avez

24 eu raison de le dire dans le cadre de votre résumé de la situation, les

25 articles auxquels nous faisons référence sont l’Article 20 du Statut, qui

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1 stipule que l'accusé doit recevoir un procès juste et équitable.

2 Dans l’Article 20, il est fait état de deux principes

3 fondamentaux, à savoir le respect total des droits de l'accusé et la

4 protection des victimes et des témoins. Nous pensons que dans ce cadre le

5 Statut envisage beaucoup plus que la protection physique des victimes et

6 des témoins. Il pense également à leur état psychologique et mental. Les

7 spécifications en matière de protection des victimes, qui apparaissent à

8 l’Article 20 et à l’Article 22, stipulent bien qu'il doit y avoir

9 application de toute mesure nécessaire pour la protection et la sécurité

10 des victimes et des témoins. Ce n'est que lorsque ces droits à la

11 protection vont à l'encontre des droits de l'accusé que la Chambre de

12 première instance peut décider de les modifier.

13 Nous faisons également référence à l’Article 25 du Règlement de

14 procédure et de preuve qui définit plus avant encore quel est le rôle de

15 la Chambre de première instance lorsqu'il s'agit de déterminer les mesures

16 appropriées, en matière de protection de la vie privée des témoins et de

17 la protection de leur situation.

18 Le principe du procès équitable n'est pas synonyme de principe

19 d'un procès parfait. Cela ne veut pas dire non plus qu'un procès doit se

20 dérouler selon les voeux et désirs de l'accusé. Un procès équitable, c'est

21 un procès qui respecte les articles précisés aux articles 20 et 21 du

22 Statut. Si ces droits sont respectés, tous les autres aspects de la

23 procédure du procès reviennent à l'appréciation de la Chambre de première

24 instance.

25 Mais la Chambre de première instance doit s'assurer qu'elle suit

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1 les principes énoncés aux articles 22 du Statut et 75 du Règlement de

2 preuve et de procédure. Dans notre cas précis, les accusés Kvocka, Radic

3 et Zigic, et dans le cadre de notre requête aux fins de jonction

4 d'instance de l'affaire de ces trois accusés, dans le cadre également de

5 notre requête aux fins de présentation simultanée des éléments de preuve,

6 nous justifions le fait de présenter cette requête par le principe de la

7 protection qui doit être accordée aux victimes et témoins, par le principe

8 également d'une administration efficace de la justice. Cela va, à notre

9 sens, tout à fait dans la ligne de l'idée d'un procès équitable pour tous

10 les accusés concernés.

11 Pour ce qui est maintenant de cette question de la protection

12 des victimes et des témoins, comme je l’ai dit précédemment cette question

13 porte non seulement sur la sécurité physique, mais également sur la

14 sécurité psychologique et mentale des témoins et des victimes. Le fait de

15 venir ici témoigner, de comparaître devant une Chambre de première

16 instance, entraîne toute une série de traumatismes pour les témoins et les

17 victimes. Rappelons-nous que ces personnes ont été les témoins ou ont

18 elles-mêmes vécu des événements terribles et dramatiques. Revenir devant

19 la Chambre, cela suppose revivre tous ces événements. Souvenons-nous des

20 témoins déposant ici dans le cadre de l'affaire Tadic.

21 Il est vrai également que la liste des témoins et des victimes

22 qui sont prêts à venir ici n’est pas illimitée, malgré les efforts que

23 nous avons déployés, malgré notre volonté. Il faut souligner également que

24 l'accusation n'a pas les moyens de localiser et d'identifier tous les

25 témoins et victimes qui pourraient être pertinents dans le cadre d'une

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1 affaire. Nous faisons tout notre possible pour obtenir le plus de

2 témoignages possibles, toujours dans le cadre du respect des droits de

3 l'accusé.

4 Pour ce qui est de cette question de la sécurité, il faut savoir

5 que si les témoins n'ont pas la sensation d'être bien protégés, qu’ils

6 n’ont pas l'impression que leurs demandes sont prises en compte, les

7 conséquences sont, du point de vue de l'interprétation par la communauté

8 internationale, que le principe d'un procès équitable est menacé. Comme on

9 l'a déjà vu dans le cadre d'autres affaires présentées devant ce Tribunal,

10 affaires où la question de la sécurité des témoins se posait, il arrive

11 que les témoins changent d’avis à la dernière minute et refusent de venir

12 témoigner pour des raisons de sécurité.

13 Nous vous renvoyons, Monsieur le Président, à l’annexe

14 confidentielle qui est jointe à notre requête.

15 Etant donné, Monsieur le Président, que les chefs d'accusation

16 retenus contre les quatre accusés découlent des mêmes faits et événements

17 qui se sont déroulés dans la municipalité de Prijedor en 1992, nous

18 pensons que les affaires concernent exactement les mêmes témoins. Ce

19 groupe de témoins a été très utile, très précieux dans le cadre de la

20 procédure d'enquête et leur témoignage a servi de base pour trois des

21 actes d'accusation rédigés.

22 Demander à ces témoins de venir deux fois devant la Chambre de

23 première instance, peut-être trois, constitue une menace directe à leur

24 bien-être physique et psychologique. C'est un risque que nous ne

25 souhaitons pas prendre. Si nous faisons venir ces témoins une seule fois,

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1 les droits des accusés seront respectés.

2 Pour ce qui est de la question de l'administration efficace de

3 la justice, nous pensons qu'ici les faits parlent d'eux-mêmes. Nous

4 disposons d'un nombre de prétoires assez limité. Nous n'avons qu'un

5 certain nombre de personnes à notre disposition pour travailler sur cette

6 affaire. Nous avons toutes sortes de limites qui nous empêchent de

7 travailler plus vite ou de façon différente.

8 Si nous procédons à un procès pour chaque accusé, il faudra

9 alors doubler ou tripler le nombre de personnes ayant à travailler sur

10 chaque affaire.

11 Pour ce qui est de la question des droits des accusés, du droit

12 de l'accusé à un procès équitable et rapide, bien entendu il faut

13 respecter les principes et les droits énoncés aux article 20 et 21 du

14 Statut.

15 Chaque accusé a droit au respect de ce qui est énoncé dans ces

16 articles. Dans la situation actuelle, nous pensons que le droit de chaque

17 accusé à un procès efficace et rapide ne sera pas lésé. Il faut essayer de

18 voir quelle est la meilleure voie possible, quelle est la solution qui

19 nous permet de mieux protéger les droits et les intérêts du groupe des

20 accusés.

21 Une jonction d'instance, une présentation simultanée des

22 éléments de preuve nous permettrait d'assurer un procès juste et équitable

23 aux quatre accusés concernés.

24 Certes, cela supposera un délai pour l'accusé Kovacevic, délai

25 dont nous ignorons la durée dès lors que nous n’avons pas de date précise

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1 de début du procès à l’esprit. En tout état de cause, cela n'irait

2 absolument pas à l'encontre des articles 21 du Statut. Au contraire, si

3 nous procédions de la sorte, nous serions, à mon sens, tout à fait dans le

4 cadre des précédents qui ont déjà été établis, notamment pour ce qui est

5 de la question de la détention préventive. Nous sommes exactement dans la

6 ligne des critères établis au titre de l’Article 14 du Pacte international

7 des droits politiques. Nous sommes également dans la droite ligne de la

8 convention européenne des Droits de l'homme.

9 Même si le délai est un peu prolongé, dans le cadre de cette

10 affaire, il ne nous empêchera pas d'assurer un procès juste et équitable à

11 tous les quatre accusés. Nous ne violerons pas le critère qui déclare

12 qu'un procès doit se tenir dans les délais les plus rapides. Nous pensons

13 que tel est l'argument au coeur de cette affaire.

14 Les actes d'accusation qui touchent aux quatre accusés se

15 fondent sur les mêmes faits. C'est ce qui nous permet de demander une

16 jonction d'instance. A la lecture des actes d'accusation, on s'aperçoit

17 que tous les faits et tous les chefs d'accusation découlent des mêmes

18 événements qui se sont déroulés dans la municipalité de Prijedor en 1992.

19 De surcroît, les accusés Kvocka, Radic et Zigic sont parmi les individus

20 qui sont directement reliés aux événements auxquels a participé l'accusé

21 Kovacevic. Je pense aux actes et aux crimes qui sont à la base de ce qui

22 est imputé à Kovacevic au titre de l’Article 73, qui est relatif à

23 l'administration des camps.

24 La jonction des instances de M. Kvocka, Radic et Zigic se

25 conforme tout à fait l’Article 48 du Règlement. C'est ainsi que nous

Page 20

1 l'avons dit tout à l'heure.

2 Premièrement, ils sont tous accusés de crimes qui relèvent du

3 même acte d'accusation, celui lié au camp d'Omarska.

4 Deuxièmement, la jonction des actes d'accusation qui concernent

5 l'accusé Zigic est en fait un ensemble d'événements qui concerne le camp

6 de Keraterm. Cela nous permet de déterminer un certain nombre de

7 paramètres qui caractérisent les personnes auxquelles les mêmes des crimes

8 différents sont reprochés. Ces crimes ont été commis dans un même

9 environnement, dans une même situation. Je parle bien évidemment du

10 nettoyage ethnique des populations musulmanes et croates de Bosnie qui

11 s'est déroulé dans la municipalité de Prijedor en 1992.

12 La jonction des trois instances, y compris celle concernant

13 l'acte d'accusation de Keraterm, dont nous avons parlé précédemment en

14 relation avec l’Article 14 du Pacte international des droits politiques,

15 qui est également en relation avec l’Article 6 de la Convention européenne

16 des Droits de l'homme, et qui est bien évidemment directement reliée

17 aux articles 20 et 21 du Statut du Tribunal, tous ces actes d'accusation

18 relève de la compétence de la Chambre de première instance au titre de

19 l’Article 54 du Règlement. A ce titre, la Chambre de première instance est

20 habilitée à prendre toutes les ordonnances nécessaires à la conduite du

21 procès.

22 En outre, tel que nous l’avons déclaré dans notre requête, les

23 éléments de preuve relatifs au camp de Keraterm sont pertinents pour

24 essayer de prouver en droit les chefs d'accusation dépendants de

25 l’Article 5, à savoir « attaque systématique et généralisée contre une

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1 population civile », notamment s’agissant de l’acte d’accusation d’Omarska

2 établi contre les accusés (Kvocka et Radic).

3 Nous avons également parlé de la situation concernant les trois

4 autres accusés (Kvocka, Radic et Zigic), les éléments de preuve sont

5 pertinents dans ces affaires et le sont également pertinents pour l'accusé

6 Kovacevic. Il s'agit des chefs d'accusation de complicité et de complicité

7 de génocide, notamment. Cela est à la base de notre demande de

8 présentation simultanée des éléments de preuve et de jonction des

9 instances.

10 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie. Nous

11 allons nous pencher à nouveau sur les articles 48 du Règlement. On parle

12 du terme « opération » dans l’Article 48 du Règlement. On parle d'actes ou

13 d'omissions qui se déroulent dans un cadre précis ou dans un certain

14 nombre de situations. On parle du fait que ces différents actes font

15 partie d'une stratégie générale, d'un plan général comme vous l'avez dit.

16 Qu'entendez-vous exactement par là.

17 M. Keegan (interprétation). - Pour synthétiser un peu la

18 situation, je dirai que le plus important, c'est ce que j'ai dit et qui

19 concernait l’Article 5 et les chefs d'accusation relatifs à l’Article 5.

20 Au titre de l’Article 5, il est déclaré qu'il faut démontrer que

21 les crimes ont été commis dans le cadre d'une attaque systématique et

22 généralisée menée contre une population civile. Tous les actes perpétrés

23 dans la municipalité de Prijedor et qui ont trait à ce qu'on appelle

24 généralement le « nettoyage ethnique », à savoir l'attaque menée sur des

25 villages ou des zones habitées par des Musulmans ou des Croates de Bosnie,

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1 actes qui concernent le rassemblement de la population, son transfert dans

2 des camps, les actes relatifs à des crimes commis dans ces camps, tous ces

3 actes font partie d'une attaque systématique et généralisée.

4 M. le Président (interprétation). - Venons-en maintenant au

5 point plus pratique de votre requête. Vous avez parlé de 25 témoins,

6 témoins dont vous avez dit qu'ils étaient pertinents dans le cadre de

7 l'affaire de Kovacevic. Est-ce exact ?

8 M. Keegan (interprétation). - Oui. Ces 25 témoins, nous les

9 avons très précisément identifiés. Ils seront appelés à la barre. Bien

10 sûr, ce ne sont pas les seuls qui comparaîtront.

11 M. le Président (interprétation). - Bien. Mais il me semble que

12 vous dites également dans votre requête que les 25 témoins seront cités à

13 comparaître dans le cadre des trois autres affaires. Est-ce bien exact ?

14 M. Keegan (interprétation). - Absolument, Monsieur le Président.

15 Pour ce qui est de certains de ces témoins, ils sont des victimes des

16 trois accusés pour certains d'entre eux, de l'un ou de plusieurs des trois

17 accusés concernés.

18 M. le Président (interprétation). - Il y a donc bien vingt-cinq

19 témoins qui comparaîtront dans l'ensemble des affaires, n'est-ce pas.

20 M. Keegan (interprétation). - Oui.

21 M. le Président (interprétation). - Il y a également d'autres

22 témoins, n'est-ce pas ?

23 M. Keegan (interprétation). - Oui, Monsieur le Président. Il y a

24 ces vingt-cinq témoins communs aux quatre affaires, lesquels témoins sont

25 à la base de la procédure d'enquête qui a été menée à bien. Ensuite, nous

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1 disposons d'un certain nombre d'autres témoins, témoins qui pourraient

2 également être cités à comparaître dans d'autres affaires. Eux aussi ont

3 été très précieux dans le cadre de la procédure d'enquête qui a permis

4 d'établir un certain nombre d'autres actes d'accusation.

5 Tous n'ont pas été utiles dans le cadre des actes d'accusations

6 qui ont été dressés en 1995. Mais, de toute façon, ils ont participé aux

7 procédures d'enquête et seront appelés à la barre pour confirmer un

8 certain nombre d'éléments.

9 M. le Président (interprétation). - Pouvez-vous nous donner une

10 idée générale, Maître Keegan ? Combien de témoins sont-ils concernés ?

11 M. Keegan (interprétation). - Comme nous l'avons toujours dit,

12 Monsieur le Président, nous souhaiterions limiter le nombre de témoins à

13 cinquante, ou moins si possible.

14 M. le Président (interprétation). - Pour ce qui est des trois

15 autres affaires et des trois autres accusés ?

16 M. Keegan (interprétation). - Un instant, Monsieur le Président,

17 s’il vous plaît.

18 (Les membres du Bureau du Procureur se consultent.)

19 Bien évidemment, Monsieur le Président, nous souhaitons

20 minimiser le plus possible le nombre de témoins qui viendront comparaître.

21 Je répugne à avancer un chiffre précis pour l'un quelconque des procès qui

22 nous intéressent. Nous sommes toujours en attente de la décision relative

23 à la modification de l’acte d’accusation dans l’affaire Kovacevic. Cette

24 décision aura, sans aucun doute, des conséquences sur le nombre de témoins

25 que nous citerons à comparaître.

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1 Pour les trois autres affaires, de la même façon j'hésite à vous

2 donner un chiffre précis quant aux nombre des témoins.

3 M. le Président (interprétation). - Venons en maintenant aux

4 points pratiques de la situation. Comme je l'ai dit précédemment,

5 l'affaire de M. Milan Kovacevic devait commencer aujourd'hui. Cela n'a pas

6 été possible du fait que la Chambre d'appel ne s'est pas encore prononcée

7 sur la question de la modification de l'acte d'accusation. Je crois

8 comprendre que vous êtes prêt à ouvrir le procès Kovacevic pour ce qui

9 vous concerne ?

10 M. Keegan (interprétation). - Absolument, monsieur le Président.

11 M. le Président (interprétation). - Pour ce qui est des trois

12 autres affaires, quel est votre état d'avancement de travaux ?

13 M. Keegan (interprétation). - S'il y a présentation simultanée

14 des éléments de preuve, monsieur le Président, nous pourrions être prêts

15 assez rapidement. Comme je l'ai déclaré, nous disposons d'un nombre de

16 témoins qui sont communs à toutes les affaires. Il nous suffirait de voir

17 quels sont les témoins qu'il serait bon d'ajouter au nombre déjà existant,

18 pour ce qui est des deux affaires concernant les trois accusés, et pour ce

19 qui est de l'affaire Kovacevic.

20 D'ici le mois de juillet, nous pourrions être prêts à ouvrir

21 toutes les affaires. Le fait que nous pourrons être prêts vers le mois de

22 juillet apparaît clairement dans notre requête, monsieur le Président.

23 M. le Président (interprétation). - Pour ce qui est de la

24 question des procès plus exactement, comment envisagez-vous la tenue de

25 ces procès ? Il n'est pas forcément nécessaire qu'il y ait des

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13 pagination anglaise et la pagination française. Pages 110 à 121.

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1 déclarations préliminaires pour toutes les affaires, que ce soit les deux

2 affaires ou toutes les affaires. Vous ne demandez pas, il me semble, une

3 jonction d'instances et des actes d'accusation contre les trois accusés,

4 également contre M. Kovacevic.

5 Vous demandez une présentation simultanée des éléments de

6 preuve ?

7 M. Keegan (interprétation). - C'est exact.

8 M. le Président (interprétation). - Avez-vous déjà été

9 confrontés à ce type de situation ?

10 M. Keegan (interprétation). - Pas personnellement, mais d'autres

11 personnes ont pu être confrontées à ce type de situation.

12 M. le Président (interprétation). - Dans quelles circonstances ?

13 M. Keegan (interprétation). - C'était dans le cadre de trafic de

14 drogue. Des réseaux de drogue se chevauchaient. Comme il y avait un noyau

15 commun à tous ces réseaux de distribution de drogue, il y avait également

16 un noyau de témoin commun à toutes les affaires. Dans cette affaire se

17 posait également la question de la protection des témoins. La solution

18 choisie a été de présenter l'affaire commune à tous les accusés en même

19 temps. Les affaires ont été menées simultanément.

20 M. le Président (interprétation). - Y avait-il un jury présent

21 lors de ces procès ?

22 M. Keegan (interprétation). - Non, monsieur le Président,

23 c'était des procès où seuls les juges prenaient la décision.

24 M. le Président (interprétation). - Si je comprends bien, ces

25 affaires ont donc été ouvertes séparément et ont progressé chacune à leur

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1 rythme. Mais lorsqu'on en est arrivé au témoin commun à toutes les

2 affaires, les deux affaires ont fait l'objet d'une jonction ?

3 M. Keegan (interprétation). - C'est cela, monsieur le Président.

4 Dans le cas auquel vous faites référence, la grande majorité des éléments

5 de preuve était commune aux différentes affaires. L'accusation procéderait

6 à une ouverture jointe des différentes affaires. Il y aurait une

7 déclaration préliminaire qui aurait trait à tous les accusés, qui

8 décrirait les grands traits des affaires. Cela permettrait ensuite de

9 lancer les premières phases du procès.

10 Peut-être que la présentation simultanée pourrait se limiter à

11 ceux des témoins qui ont trait à tous les accusé concernés. Bien

12 évidemment, on pourrait également envisager la possibilité d'une

13 présentation totale des éléments de preuve concernant tous les accusés.

14 C'est alors que la défense interviendrait, dans la mesure où l'accusé

15 qu'elle défend est concerné par les éléments de preuve présentés.

16 Une fois que nous en viendrons à l'ouverture de la phase de la

17 défense, comme nous l'avons indiqué dans notre requête, peut-être

18 pourrons-nous en venir à une présentation séparée des éléments de preuve

19 de la défense. Pour ce qui est de la phase de l'accusation, nous pouvons

20 tout présenter simultanément. Cela permettra aux juges de se prononcer sur

21 les éléments de preuve pertinents ou pas, pour tel accusé ou pour tel

22 autre.

23 M. le Président (interprétation). - Il y a effectivement

24 jonction de l'acte de l'accusation, du moins du point de vue de

25 l'accusation ?

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1 M. Keegan (interprétation). - Oui, monsieur le Président, mais

2 je répugne à mettre un nom sur ce type de solution parce qu'en termes

3 pratiques, ce n'est pas vraiment une jonction des actes d'accusation. Il y

4 a certains aspects des éléments de preuve dont nous n'aurons pas forcément

5 besoin dans le cadre de toutes les affaires, alors que les faits sont

6 communs à tous les accusés.

7 Mais pour ce qui est maintenant de la qualification des éléments

8 de preuve relatifs à chacun des chefs d'accusation reprochés aux accusés,

9 on ne peut pas parler de jonction à proprement parler. Je répugne à

10 attribuer ce terme à la situation.

11 M. le Président (interprétation). - Maître D'Amato a fait une

12 suggestion, selon laquelle il pourrait y avoir présentation dissociée des

13 phases du procès : une phase se déroulerait le matin et une autre l'après-

14 midi. Ainsi, les témoins concernés par plusieurs affaires n'auraient à se

15 déplacer qu'une fois, même s'ils avaient à témoigner à deux reprises. Des

16 questions pratiques se posent certainement.

17 Je pense aussi que cela nous permet de nous assurer que deux

18 procès se déroulent séparément et qu'il n'y a aucune jonction à aucun

19 niveau.

20 D'après ce que vous avez dit précédemment, je crois comprendre

21 que vous ne partagez pas cette idée, que vous n'êtes pas favorable à cette

22 idée ?

23 M. Keegan (interprétation). - Oui, parce que ce que dit la

24 défense ne permet en aucune façon de répondre aux préoccupations des

25 témoins qui sont au centre des questions que nous posons ici.

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1 Nous pensons également au droit des accusés à avoir un procès

2 rapide et équitable. D'après l'accusation, la présentation simultanée des

3 éléments de preuve ne lèse pas les droits des accusés. Dans cette mesure,

4 une fois qu'une décision sera prise, il faudra également s'assurer que

5 toutes les mesures appropriées sont appliquées dans le cadre de la

6 protection des victimes et des témoins. Je ne parle pas seulement de leur

7 sécurité physique, mais également de leur bien-être mental et

8 psychologique.

9 Rappelons-nous des article 22 du Statut et 75 du Règlement. Le

10 problème avec la suggestion de la défense, c'est que cela ne prend

11 aucunement en compte les préoccupations des témoins qui devront peut-être

12 subir un interrogatoire principal à deux reprises dans la même journée.

13 Ils devront être soumis ensuite au contre-interrogatoire, peut-être à deux

14 dans la même journée. C'est extrêmement dur pour un témoin d'avoir à

15 traverser ce type d'expérience. La plupart d'entre eux ont déjà traversé

16 des expériences traumatisantes.

17 M. le Président (interprétation). - Maître Keegan, je comprends

18 bien que le témoin devra comparaître deux fois, qu'il devra subir deux

19 interrogatoires principaux. Ensuite, il faudra que le témoin s'attende à

20 une multiplication du nombre des contre-interrogatoires. Cela étant dit,

21 cette suggestion permet de répondre à un certain nombre d'autres problèmes

22 qui se posent, le problème de la sécurité des témoins par exemple. Ils

23 doivent se déplacer pour venir ici. S'ils ont à le faire plus d'une fois,

24 cela multiplie les risques en matière de sécurité.

25 Multiplier le nombre de déplacements des témoins, c'est aussi

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1 ajouter à leur tension et à leur crainte. Du moins pour ce volet-là, celui

2 de la question, la suggestion est assez bonne.

3 M. Keegan (interprétation). - Monsieur le Président, comme je

4 l’ai dit précédemment, l’Article 22 et l’Article 75 du Règlement stipulent

5 que la Chambre de première instance a le droit, non seulement de modifier

6 la procédure des dépositions des témoins, mais aussi la procédure

7 d'interrogatoire du témoin. Je ne pense pas que cela s'applique dans ce

8 cas précis.

9 Tous les conseils de la défense ne souhaiteront pas forcément

10 poser des questions à tous les témoins qui comparaîtront ici. Peut-être

11 que ce que vous dites ne s'applique pas ici, de la façon dont vous le

12 décrivez.

13 Bien entendu, nous parlons du témoignage. Je ne vais peut-être

14 aller si loin, mais l’expérience de ce Tribunal suggère que les

15 traumatismes subis par des personnes qui viennent témoigner les empêchent,

16 en fait, de revenir témoigner une deuxième fois, sans doute évidemment

17 dans la même journée ou le lendemain. L’expérience du Tribunal parle

18 d'elle-même sur ce point.

19 En ce qui concerne l'expérience que nous avons dans cette

20 affaire, nous voyons que, malgré toutes les meilleures intentions qui

21 peuvent être exprimées par la défense, si l'on réinterroge un témoin le

22 jour même ou le jour suivant, la situation sera difficile. Cela n'est pas

23 souvent le cas. Par exemple, lorsque des comptes rendus sont tout de suite

24 disponibles, le conseil de la défense va vouloir obtenir le témoignage

25 avant même d'entamer un nouveau contre-interrogatoire ou la seconde

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1 audience. Je ne sais pas si ce sera possible ou non. Pourrons-nous

2 organiser cela dans une même journée ? Cela constitue une grosse

3 difficulté pour le système dont nous disposons.

4 Par conséquent, les témoins risquent de rester plus longtemps à

5 La Haye et il courent un risque plus important, un risque de sécurité.

6 Beaucoup de personnes viennent de petites villes et de villages et il sera

7 vite remarqué qu'ils sont partis assez longtemps. Ils viendront de Bosnie-

8 Herzégovine ou d'autres régions de l'ex-Yougoslavie, ou ils viendront

9 peut-être avec le statut de réfugié.

10 Par conséquent, nous pensons que la suggestion de la défense ne

11 résout pas le problème de la sécurité. Nous ne pensons pas que la

12 procédure pourrait être suivie aussi simplement que la défense veut bien

13 le suggérer, étant donné l'expérience que nous avons aujourd'hui.

14 Là encore, nous ne pensons pas que la présentation simultanée

15 des éléments de preuve irait à l'encontre de l’Article 21 qui garantit un

16 procès juste et équitable aux accusés.

17 Par conséquent, nous ne devons pas parler actuellement des

18 risques les plus grands qui risquent d'être encourus par les témoins en

19 matière de sécurité et de protection. Nous nous concentrons sur le droit

20 des accusés et nous pensons que la présentation simultanée des éléments de

21 preuve ne violerait pas le droit des accusés.

22 M. le Président (interprétation). - En ce qui concerne cette

23 suggestion selon laquelle les conseils de la défense voudraient consulter

24 les comptes rendus d'une audience antérieure, il me semble que c'est tout

25 à fait inutile. S'ils le veulent, ils peuvent assister à la première

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1 audience d'un témoin, prendre des notes sur cette audience et contre-

2 interroger le témoin dans le cadre d'une audience ultérieure en se fondant

3 sur ces éléments. Je ne crois pas que ceci constitue un problème.

4 La question posée par la défense et par M. D’Amato, plus

5 précisément, est le fait que cela pourrait léser l'accusé. C’est pour cela

6 que j'ai suggéré qu'en fait, il s'agissait bien d'une jonction d'acte

7 d'accusation et qu’effectivement les accusés pourraient défendre

8 différents intérêts dans le cadre d'un même procès et dans le cadre de

9 leur défense.

10 Bien entendu, si les actes d'accusation sont joints, nous

11 n'aurons plus de discussions à avoir sur ce point, puisque ce sera la

12 procédure choisie pour mener le procès. Ici, nous avons en l'occurrence

13 différents actes d'accusation, des actes d'accusation séparés. Le fait

14 d'essayer de présenter des éléments de preuve de façon simultanée

15 représente un risque pour la défense.

16 En effet, la défense court le risque de voir un conflit

17 d'intérêt se développer entre les différents représentants des différents

18 accusés. D’ailleurs, Me D’Amato en a donné un exemple dans le cadre de sa

19 requête.

20 M. Keegan (interprétation). - Comme nous l'avons indiqué,

21 Monsieur le Président, ce procès a pour objectif de révéler la vérité et

22 de révéler les faits, quel que soit l'intérêt d'un accusé particulier. Les

23 témoins vont venir témoigner et ils vont s'exprimer sur les mêmes faits

24 dont ils ont été les témoins.

25 Par conséquent, que ce soit le procès d'un accusé ou que ce soit

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1 le procès de plusieurs, les mêmes faits seront établis par les témoins qui

2 viendront témoigner et seront utilisés par les Juges pour prendre leur

3 décision.

4 Par conséquent, dans cet exemple du conflit armé à Prijedor, si

5 la défense ou l'accusé Kovacevic veulent dire qu'un conflit armé établit

6 un motif et que celui-ci justifie les attaques qui ont été menées contre

7 les Musulmans de Bosnie et les Croates de Bosnie, c'est une chose, mais

8 nous ne pensons pas que c'est une option qui soit viable dans le cadre de

9 la révélation du chef d'accusation de génocide.

10 Par conséquent, la stratégie juridique nous intéresse peu, car

11 au bout du compte ce sont les mêmes faits qui vont être présentés devant

12 les Juges, devant vous.

13 Du point de vue de l'accusation, si nous devons mener deux ou

14 trois procès, peut-être que la communauté internationale et le Bureau du

15 Procureur ne pourront pas assurer un procès équitable, du point de vue de

16 la communauté internationale, parce que les témoins dont nous aurons

17 besoin ne souhaiteront peut-être plus venir témoigner devant ce Tribunal.

18 C'est cela qui nous intéresse.

19 M. le Président (interprétation). - Mais c'est important car si

20 nous avons un acte d'accusation joint, la défense ne pourra pas se

21 plaindre, dans le cas où elle utiliserait des stratégies différentes et si

22 cela devait léser l'un ou l'autre des accusés. Mais si les actes

23 d'accusation sont séparés, et si l'accusé est jugé de façon individuelle,

24 sans courir le risque d'être lésé au cours du contre-interrogatoire d'un

25 autre conseil de la défense -et c'est bien ce que dit Me D’Amato- si vous

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1 avez un acte d'accusation conjoint, le problème ne se pose plus du tout et

2 aucune plainte ne peut être exprimée.

3 Mais s'il n'y a pas d'acte d'accusation joint, dans des

4 circonstances normales, les procès seront menés de façon individuelle

5 également. L'accusé ne serait donc pas désavantagé. Cependant, dans la

6 procédure que vous suggérez, à savoir cette présentation simultanée des

7 éléments de preuve, il me semble -mais bien sûr la discussion est ouverte-

8 que le risque présenté par Me D’Amato existe bel et bien.

9 M. Keegan (interprétation). - Nous pensons, Monsieur le

10 Président, que si nous suivons l'argument selon lequel il pourrait y avoir

11 des actes d'accusation conjoints, où il existe, dans les faits, un acte

12 d'accusation conjoint, les accusés pourront présenter des théories

13 différentes dans le cadre de leur défense.

14 Par conséquent, si l'on dit qu'il y a effectivement préjudice,

15 qu'il y ait une jonction officielle ou non, si ensuite vous dites qu'il y

16 a une jonction dans les faits, ce fait-là serait beaucoup plus important

17 que le préjudice potentiel que les accusés pourraient subir.

18 Par conséquent, nous pensons que si vous décidez qu'il y ait

19 présentation simultanée des éléments de preuve, vous ne ferez pas une

20 décision juridique, mais vous tiendrez compte des droits fondamentaux des

21 différentes personnes en question. Si l’on considère que dans les faits

22 ces actes d'accusation sont conjoints, cela éliminera les préjudices

23 potentiels, étant donné la protection des intérêts et de la sécurité des

24 témoins et des victimes. Cela reprendrait les intérêts que nous avons

25 mentionnés, à savoir l'administration efficace de la justice.

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1 Nous pensons donc que nous pourrions utiliser, puisqu'il s'agit

2 bien des mêmes choses, les mêmes éléments de preuve, des mêmes groupes de

3 témoins, des mêmes documents, etc. Ces différents éléments pourraient être

4 présentés dans l'ensemble de ces affaires, cela dans une large mesure.

5 Par conséquent, les éléments de preuve que nous allons apporter

6 devant cette Chambre de première instance seront constitués d'un certain

7 nombre de faits qui vous permettront de déterminer si, oui ou non, les

8 accusés sont coupables ou non. Mais le fait que ce soit une jonction dans

9 les faits ou non ne changera rien à l'affaire. Les différences

10 potentielles dans les stratégies utilisées par les différents conseils de

11 la défense ne changeront rien à ce fait non plus.

12 Nous pensons donc que cette jonction technique ou dans les faits

13 n'est pas nécessaire pour arriver à la décision appropriée. Ce qui nous

14 paraît important, c'est de prendre en compte la protection des témoins,

15 leur sécurité, pour une administration efficace de la justice.

16 Je crois que l'argument évoqué par Me d'Amato n'est qu'une

17 hypothèse, à ce stade des débats. Bien sûr, les conseils de la défense ne

18 devront pas forcément contre-interroger des témoins. S'ils ne souhaitent

19 pas le faire, ils pourront ne pas le faire.

20 M. le Président (interprétation). - Merci, Maître Keegan. Y a-t-

21 il autre chose, Maître Keegan ?

22 M. Keegan (interprétation). - Non.

23 M. le Président (interprétation). - Maître d'Amato, c'est à

24 vous.

25 M. d'Amato (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

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1 Puis-je commencer par un point d'intendance ? Maître Keegan a

2 parlé d'une réponse. Nous n'avons pas reçu de réponse. Nous l'a-t-il fait

3 parvenir, a-t-il écrit une réponse ?

4 M. le Président (interprétation). - Avez-vous un exemplaire de

5 ce document ?

6 M. d'Amato (interprétation). - Si vous avez effectivement écrit

7 cette réponse, cela fait deux fois au cours de ces audiences que...

8 M. le Président (interprétation). - Adressez vous aux Juges,

9 s'il vous plaît, Maître d'Amato.

10 M. d'Amato (interprétation). - Monsieur le Président, nous avons

11 regardé dans notre boîte aux lettres ce matin, il n'y avait aucun

12 document. Je n'ai rien reçu par fax. C'est la deuxième fois que cela

13 m'arrive lorsque je dois faire un exposé oral. Je trouve que c'est un peu

14 injuste.

15 M. le Président (interprétation). - Si vous voulez quelques

16 minutes afin de consulter ce document, nous pouvons faire une pause si

17 vous le souhaitez.

18 M. d'Amato (interprétation). - Je peux poursuivre. Mais si

19 effectivement, il y a certains éléments dans la réponse que je n'aborde

20 pas, nous pourrions prendre un certain temps.

21 M. le Président (interprétation). - Commencez, Monsieur d'Amato,

22 nous prendrons une pause à 11 heures 30 de toute façon.

23 M. d'Amato (interprétation). - D'accord, je vais commencer et je

24 consulterai ensuite cette réponse qui m'attend.

25 Je voudrais parler des remarques formulées par Me Keegan. Je

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1 vais donc commencer par la fin. Lorsqu'il dit qu'évidemment nous ne savons

2 pas ce que la défense va faire, il a raison effectivement. Mais lorsqu'on

3 se réfère à l’Article 82 b qui parle d'ordonner un procès séparé pour les

4 accusés, pour éviter tout conflit d'intérêt de nature à causer un

5 préjudice grave à l'accusé, je crois que le mot "peut" est employé. Par

6 conséquent, cet article attire notre attention sur le fait

7 qu'effectivement nous parlons d'hypothèse.

8 En ce qui concerne ce que vous avez dit, Monsieur le Juge, sur

9 l'acte d'accusation conjoint qui n'entraînerait aucune difficulté, je

10 voudrais vous dire la chose suivante. Supposons tout d'abord que

11 M. Kovacevic soit accusé de 15 chefs d'accusation, de génocide et des

12 autres chefs qu'aimerait ajouter le Bureau du Procureur et qu'il soit jugé

13 de façon individuelle. Bien sûr, il subirait certains préjudices. Il

14 devrait déterminer quelle théorie adopter lorsqu'on parle de génocide, de

15 crime contre l'humanité par exemple.

16 Cela présenterait une difficulté, mais nous pourrions la

17 contrôler, la maîtriser. Les conseils de la défense pourraient prendre une

18 décision stratégique, comment se comporter, quelle théorie adopter, étant

19 donné que l'accusé est accusé de crimes qui sont incompatibles. C'est une

20 situation juste.

21 En revanche, ce qui serait injuste, c'est de faire une jonction

22 d'instance avec d'autres accusés dont les intérêts sont incompatibles avec

23 les nôtres. Par conséquent, lorsque vous avez suggéré que le fait d'actes

24 d'accusation conjoints ne poserait pas de problème, si les actes

25 d'accusation étaient conjoints, je demanderais une disjonction d'instance,

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1 étant donné l'incompatibilité du chef d'accusation de génocide et de crime

2 contre l'humanité. Les éléments de preuve nécessaires sont complètement

3 différents, comme je l'ai dit dans mon mémoire.

4 Par conséquent, on ne peut pas dire que cette idée d'actes

5 d'accusation conjoints est un petit problème technique et que cela

6 résoudrait le problème. Si c'était le cas, nous devrions demander une

7 disjonction d'instance et nous présenterions les mêmes arguments que ceux

8 que nous présentons maintenant, parce que ces deux crimes ne sont pas

9 compatibles et qu'on ne peut pas opposer deux groupes de défense sur un

10 point factuel tel que celui-ci.

11 Je voulais préciser ce point des actes d'accusation conjoints.

12 Je dis que ce n'est pas seulement un point de nature technique. Dans la

13 question qui a été posée juste avant et qui portait sur ma suggestion d'un

14 procès en deux phases, M. Keegan a parlé d'un certain nombre d'éléments,

15 notamment des traumatismes subis par les témoins qui devraient s'adresser

16 au Tribunal deux fois la même journée, etc. C'est peut-être le cas,

17 certains problèmes vont peut-être se présenter. Ce n'était qu'une

18 suggestion en réponse à la requête de l'accusation.

19 Je suis d'accord pour dire que ce n'est pas une solution

20 parfaite, qui ne peut pas résoudre tous les problèmes. Mais j'essayais

21 simplement d'apporter mon concours afin d'aider les témoins. Comme vous

22 l'avez dit, ils n'auront qu'un voyage à faire ici et non pas deux.

23 M. Keegan veut créer une espèce de confusion. Le procès qu'il

24 envisage serait en fait un désastre. Les éléments de preuve seraient

25 opposés, incompatibles et les conseils de la défense s'affronteraient.

Page 39

1 On le voit particulièrement dans la réponse qu'il vous a fourni,

2 sur la définition de l'opération. Sa réponse a été : "Cette opération

3 regroupe tout ce qui est inclus dans l’Article 5, tous les crimes qui y

4 sont mentionnés".

5 Mais nous, ce qui nous intéresse, c'est l’Article 4. Il n'a

6 jamais dit qu'il y avait un problème posé par le génocide dans le cadre de

7 ces opérations dont vous avez parlé.

8 Le Docteur Kovacevic est accusé de génocide, ce qui ne

9 correspond pas au nettoyage ethnique dont parle M. Keegan. Ce sont deux

10 choses qui peuvent être bien différentes. Le nettoyage ethnique peut être

11 perpétré sans qu'il y ait destruction de tout ou partie d'un groupe

12 minoritaire. Cela peut être perpétré par déportation, par exemple, ce qui

13 est, comme l'a dit maître Keegan, un crime reconnu par l’Article 5.

14 N'entrons pas dans les détails. Nous n'allons pas définir ce

15 qu'est une opération. Ce n'est pas cette définition qui pourra établir le

16 lien entre notre procès et le procès des autres accusés.

17 Maître Keegan affirme que le lien entre le docteur Kovacevic et

18 les trois autres accusé se fondent sur le fait qu'il lui était subordonné

19 et que par conséquent les éléments de preuve de leurs crimes ont quelque

20 chose à voir avec le docteur Kovacevic.

21 Nous pensons que c'est une affirmation bien hardie de la part

22 Me Keegan. Rien ne prouve que c'est effectivement le cas. Ce n'est qu'une

23 affirmation subjective. Si nous infirmons cette affirmation au cours du

24 procès, le fait que cela ait été formulé par Me Keegan représentera un

25 préjudice très important pour nous. Nous entendrons des éléments de preuve

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1 qui auront traits aux autres accusés. Cela créera une barrière

2 psychologique pour les juges. Cela ne leur permettra pas d'évaluer

3 l'affaire de M. Kovacevic de façon claire.

4 Il y a un lien qui, effectivement, existe que cela soit ouvert à

5 discussion, mais à l'heure actuelle il ne s'agit que d'une simple

6 affirmation. Le lien n'existe pas simplement parce qu'on affirme qu'il

7 existe.

8 Supposons, maintenant, qu'effectivement les arguments présentés

9 par M. Keegan soient extrêmement convaincants, que bien entendu il y ait

10 nécessité de protéger les témoins, étant donné les ressources limitées

11 dont dispose le Tribunal, la nécessité de défendre les intérêts de la

12 justice, nous sommes bien sûr tout à fait d'accord avec Me Keegan.

13 Cependant, ici, nous avons un cas d'école. Il s'agirait d'un

14 conflit qui pourrait provoquer un certain nombre de préjudices pour un

15 accusé. Il sera impossible d'assurer un procès équitable et juste si des

16 situations telles que celles que je vais décrire existent. Par exemple, si

17 un conseil de la défense essaie d'établir des éléments de preuve et qu'un

18 autre conseil de la défense essaie d'établir un fait différent ou d'aller

19 à l'encontre du fait établi. Je ne suis pas en train de parler de

20 culpabilité, mais simplement de fait, notamment de l'hypothèse que j'ai

21 développée dans le cadre de ma requête.

22 Il y a par exemple un Serbe qui est emmené dans un camp de

23 concentration, dans l'un des trois camps près de Prijedor. Nous avons le

24 témoin P qui pourrait témoigner sur ce qui s'est passé. Il pourra dire :

25 "C'était un Serbe qui avait une certaine sympathie pour le camp adverse".

Page 41

1 Ce Serbe est emmené dans un camp de concentration et y est

2 interrogé. Pourquoi ? Parce que ces geôliers veulent savoir s'il est loyal

3 à la cause serbe ou à une partie adverse. C'est l'une des raisons pour

4 lesquelles il a été emmené dans le camp de détention et pour lesquelles

5 les camps de détention ont été établis pour essayer de trier les gens, si

6 je puis dire.

7 Disons que ce Serbe meurt en prison dans le camp, et que les

8 accusés en présence sont accusés de l'avoir tué. Bien entendu, ils vont

9 essayer de prouver que ce ne sont pas eux qui ont tué cette victime et que

10 ce ne sont pas non plus les gardes qui travaillaient dans le camp.

11 En d'autres termes, les accusés rechercherons un alibi, à savoir

12 qu'ils affirmeront qu'il n'est pas mort à cause d'eux, mais que ce sont

13 d'autres prisonniers qui l'ont tué pour une raison ou pour une autre. Que

14 va dire le docteur Kovacevic à ce moment-là ?

15 Comme le docteur Kovacevic est accusé de génocide, il va vouloir

16 prouver que les autres accusés ont tué cette victime. Les intérêts du

17 docteur Kovacevic et des trois autres accusés vont s'opposer, parce que le

18 docteur Kovacevic veut affirmer et veut établir que des gens ont été tués

19 dans les camps de détention, mais que cela n'était pas fondé sur leur

20 appartenance à un groupe ethnique particulier. Il veut prouver qu'il n'y a

21 pas eu de campagne de génocide, qu'il s'agissait simplement d'une guerre

22 civile.

23 Par conséquent, nous nous trouverions dans une situation injuste

24 au cours du procès, dans laquelle le Procureur pourrait se reposer,

25 s'asseoir et sourire en voyant les différents accusés se déchirer. Il y

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1 aurait deux groupes du conseil de la défense qui essaieraient de prouver,

2 l'un, qu'une personne à bienfait cela et, l'autre, qu'une personne ne l'a

3 pas fait. Ce ne serait qu'une parodie de justice.

4 C'est un exemple extrêmement révélateur tendant à montrer qu'il

5 y aurait effectivement des préjudices subis dans le cadre d'un tel procès

6 lorsqu'on essaie de mélanger des personnes accusés de génocides et des

7 personnes accusées d'un autre crime incompatible avec le premier. Au cours

8 de ce procès les éléments de preuve seraient également incompatibles.

9 Par conséquent, quelle que soit la justesse des arguments

10 présentés par l'accusation pour ce qui est de la présentation de la

11 sécurité des témoins, etc., l’Article 82B est extrêmement clair : afin

12 d'éviter tous conflits d'intérêt de nature à causer un préjudice grave à

13 un accusé ou pour sauvegarder l'intérêt de la justice. Les juges peuvent

14 prendre telle ou telle décision. C'est tout à fait la situation qui se

15 présente si jamais il y avait jonction d'instances. Un groupe d'avocats

16 voudrait prouver qu'il n'y avait pas de conflit armé et l'autre voudrait

17 prouver le contraire.

18 Un certain groupe de conseil de la défense voudra prouver qu'il

19 n'y avait pas de conflits armés parce que les accusé sont accusés de

20 violation des conventions de Genève.

21 Par conséquent, tout le procès ne serait qu'un exemple de ce que

22 cherche à éviter l’Article 8B. Effectivement, il faut résoudre les

23 problèmes posés par la sécurité et la protection des témoins, mais qu'en

24 le faisant de cette façon, notre client ne bénéficierait pas d'un procès

25 juste et équitable. Je crois que ce serait également le cas pour les

Page 43

1 autres accusés.

2 Enfin, il a parlé de la nécessité d'un procès rapide. Même si

3 Me Keegan est prêt à commencer le procès de tous les accusé, les accusés

4 récemment arrivés demanderaient sans doute une période de 60 jours afin de

5 se préparer. Par conséquent, le procès du docteur Kovacevic serait reporté

6 à une date ultérieure. Il faudrait attendre deux mois. Cela fait longtemps

7 qu'il est détenu en prison maintenant. Il ne peut véritablement attendre

8 une période de deux mois avant que son procès ne s'ouvre.

9 C'est pourquoi je pense que la proposition d'un procès en deux

10 phases peut être utile. Peut-être pourrions-nous procéder ainsi et peut-

11 être nous rendrions-nous compte, au fil des débats, que nous n'avons pas

12 besoin de poursuivre le procès si le bureau du Procureur n'arrive pas à

13 prouver que M. Kovacevic avait une intention de participer à un plan de

14 génocide ou s'il s'en est rendu complice.

15 Sous réserve de la réponse de l'accusation, j'en ai terminé.

16 M. le Président (interprétation). - Nous allons prendre une

17 pause de 30 minutes. Je voudrais savoir si d'autres conseils de la défense

18 ont quelque chose à dire. Nous les entendrons après l'interruption, quoi

19 qu'il en soit, je vous demande un instant afin de consulter mes collègues.

20 Monsieur Keegan, nous venons de réfléchir sur la question en

21 général. Nous ne pouvons pas prendre de décision contraignante pour le

22 moment, parce que nous n'avons pas entendu la réponse ou tous les

23 arguments. Nous avons besoin de les entendre avant de prendre une

24 décision. En tout cas, nous avons entendu votre position.

25 Peut-être pourriez-vous étudier plus avant la proposition de

Page 44

1 M. d'Amato. Elle pourrait être utilisée comme la marche à suivre. Nous

2 avons à l'esprit les problèmes posés par la comparution devant ce Tribunal

3 pour les témoins. Nous savons que nous devons assurer leur protection et

4 leur sécurité. Ce sont bien entendu des questions qui doivent être

5 prioritaires.

6 Cependant, nous devons également considérer les droits de

7 l'accusé à un procès équitable. Peut-être pourriez-vous parvenir à un

8 certain compromis avec la défense, ce qui permettrait de maintenir cet

9 équilibre entre les droits de l'accusé et les droits des témoins. Ainsi,

10 vous pourriez assurer un procès rapide, étant donné le manque de temps.

11 C'est pour cette raison que je vais accorder une pause de

12 quarante minutes. J'espère qu'au cours de cette période, les conseils

13 pourront se consulter afin de voir si vous pouvez parvenir à un accord sur

14 ces différents points.

15 Si vous souhaitez obtenir une interruption plus longue, faites-

16 le moi savoir.

17 M. Keegan (interprétation). - Oui monsieur le Président.

18 M. le Président (interprétation). - Nous nous retrouverons à

19 12 heures 10.

20 L’audience, suspendue à 11 heures 30, est reprise à 12 heures 15.

21 M. le Président (interprétation). - Maître D’Amato, avez-vous

22 l'occasion d'examiner les autres requêtes ou les réponses déposées par

23 l'accusation ?

24 M. D’Amato (interprétation). - Effectivement, monsieur le

25 Président. J'aurais peut-être changé d'accent, dans ce que j'ai dit

Page 45

1 précédemment, si j'avais eu une connaissance antérieure de ces documents,

2 mais je ne veux rien changer au fond.

3 M. le Président (interprétation). - Je suppose que vous avez eu

4 une discussion utile au cours de la pause.

5 M. D’Amato (interprétation). - Utile dans la mesure où nous nous

6 sommes rendu compte de l'abîme qui séparait les deux parties.

7 M. le Président (interprétation). - S'agissant des autres

8 conseils de la défense, je connais la position que vous avez adoptée

9 jusqu'à présent et je retiens plus précisément ce que vous avez dit, à

10 savoir que vous n'auriez pas reçu suffisamment de pièces jointes. Mais si

11 vous voulez vous exprimer sur ces questions, faites-le dès maintenant.

12 Maître Guberina, y a-t-il quoi que ce soit que vous souhaitiez

13 ajouter ?

14 M. Guberina (interprétation). - Merci, monsieur le Président, de

15 nous avoir donné l'occasion de nous prononcer, d'avoir donné l'occasion à

16 la défense d'exposer ses vues. Mais à la suite des débats tenus jusqu'à

17 présent, je n'ai qu'une chose à dire : je ne veux pas vous importuner et

18 je m'en tiens à la requête que nous avons déposée. Je vous remercie.

19 M. le Président (interprétation). - Maître Grahovac, voulez-vous

20 dire quoi que ce soit, ou un autre conseil de la défense ?

21 M. Tosic (interprétation). - Je défends Zoran Zigic et à ce

22 titre, je me rallie à l’avis de mes collègues pour ce qui est de la

23 procédure. J'ai été, moi aussi, représentant de l’accusation dans le passé

24 et j'ai sans nul doute des commentaires à formuler quant à la requête de

25 jonction d'instance. On voit l'intérêt que poursuit l'accusation. Je

Page 46

1 trouve que les thèses de celle-ci ne sont pas suffisamment motivées ni

2 étayées, à plusieurs titres.

3 L'accusation parle des traumatismes vécus par les témoins et les

4 victimes. La question a été posée de savoir si les témoins peuvent déposer

5 à plusieurs reprises dans le cadre de procédures séparées. Nous estimons

6 que cela reste favorable à l'accusation, du fait que les témoins devront

7 de souvenir de toutes les circonstances qui ont entouré l'objet de leur

8 déposition. L'affirmation de l'accusation ne peut pas être retenue, car il

9 s'agit des mêmes témoins.

10 Si l'on voit les chefs d'accusation et les actes d'accusation,

11 manifestement les chefs retenus ne sont pas les mêmes pour les deux camps,

12 Keraterm et Omarska. On ne peut pas dire que ce sont les mêmes témoins qui

13 vont déposer pour tous les accusés. S'agissant de l'administration

14 équitable de la justice, nous estimons que la pénurie de personnel du

15 Tribunal ne justifie pas la jonction d'instances.

16 S'agissant de la jonction des actes d'accusation, le substitut

17 du Procureur nous a dit qu’avoir un procès sans avoir de jonction des

18 actes d'accusation serait un exemple unique. Ce le serait dans l'enceinte

19 internationale, car il n'est pas possible d'avoir un seul procès si les

20 actes ne sont pas joints. Si nous avons des témoins qu'il faudrait

21 entendre dans le cadre d'un seul et même procès, le tout est de savoir

22 s'il est possible d'avoir les déclarations préalables des témoins. Ceux-ci

23 seraient-ils favorables à l'accusation qui pourrait élargir l'acte

24 d'accusation à d'autres personnes, voire à d'autres actes ?

25 Mlle Grahovac (interprétation). - S’agissant de la défense de

Page 47

1 M. Kvocka, notre réponse est négative face à la demande de jonction

2 d'instances et de procédures. Je vous remercie.

3 M. le Président (interprétation). - Voulez-vous ajouter quoi que

4 ce soit, maître Keegan ?

5 M. Keegan (interprétation). - Je vous remercie, Monsieur le

6 Président.

7 Voyons l’Article 82. Si c'est là la raison ou le critère

8 principal qui pousse la défense à dire que cela s'oppose à la jonction

9 d'instances, je dirai ceci. Me d’Amato nous a dit que c'est une décision

10 qui pourrait causer un préjudice sérieux. Ce qui nous intéresse dans cette

11 phrase, ce n'est pas le verbe, mais l'adjectif, sérieux ou grave. Une

12 présentation simultanée des éléments de preuve serait-elle une entrave à

13 la règle qui nécessite un procès équitable ?

14 Il faut relire aussi l’Article 82. Même s'il y a un préjudice

15 certain, cela ne suffit pas à renoncer à la présentation simultanée

16 d'éléments de preuve. Il faudrait que ce soit un préjudice sérieux. En

17 effet, le droit à un procès équitable s'applique aux deux parties et pas

18 simplement à l'accusé.

19 Dans l'intérêt de la protection des témoins et des victimes,

20 c'est aussi un mandat, imposé à ce Tribunal et à cette Chambre, de le

21 faire respecter. Cela a son incidence sur la question de savoir ce qu'est

22 un procès équitable et quel préjudice il faut réunir pour s'opposer à la

23 jonction d'instance.

24 Maître D’Amato a parlé de la question de l'opération. J'ai fait

25 l'analogie avec l’Article 5. C'était pour essayer de le remettre dans le

Page 48

1 contexte des charges retenues contre les accusés.

2 Pour ce qui est de la définition de l'opération, bien sûr elle

3 ne porte pas directement sur une forme particulière d'accusation ni sur

4 une infraction particulière, mais plutôt l'argument de l'opération connexe

5 nous montre que les événements qui se sont produits à Prijedor au cours de

6 l'année 1992 constituent en soi une opération que j'ai essayé de

7 catégoriser sous la rubrique du nettoyage ethnique. C'est la référence

8 coutumière ou l'analogie à la question de l'attaque systématique qui

9 relève, elle aussi, de l’Article 5.

10 Mais de fait, le rapport n'est pas qu'avec cet article 5 et

11 cette même opération de fait. Ce qui nous intéresse ici lorsqu'il y a

12 présentation simultanée d'éléments de preuve, à savoir la présentation des

13 faits, ces mêmes faits sont pertinents pour les charges en vertu des

14 article 2, 3, 4 et 5 du Statut.

15 L’Article 48 est à l'appui de mon argument, dans la mesure où

16 les termes de cet article disent : « ou s'intéressent à des individus

17 accusés d'infractions similaires ou différentes dans le cours de la même

18 opération » tout en que reconnaissant bien sûr que ce sont les mêmes faits

19 qui peuvent être à la base d'infractions relevant de tel ou tel article,

20 de tel ou tel crime.

21 Pour ce qui est des liens avec les trois autres accusés, Kvocka,

22 Radic et Zigic, Me D’Amato a assuré que c'était une simple affirmation,

23 alors que si l’on étudie les actes d'accusation, ils montrent clairement

24 pourquoi ces accusés font partie du personnel qui était subordonné à

25 l'accusé, M. Kovacevic.

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1 Leurs actes constituent donc la base de sa responsabilité en

2 vertu de l’Article 73. Il faut voir les pièces jointes, les déclarations

3 préalables. On voit bien qu'il y a un lien indéniable entre ces trois

4 accusés et M. Kovacevic.

5 Maître D'Amato a essayé d'étouffer le problème posé par la

6 présentation simultanée des éléments de preuve en disant que ce sont des

7 crimes incompatibles. Mais la question qui se pose, ce n'est ni le crime

8 ni l'infraction, mais plutôt les faits présentés par ces dépositions. La

9 requête tourne autour de ceci : les faits qui seraient soumis à la Chambre

10 de première instance seraient les mêmes pour tout les accusés.

11 Maintenant, l'application du droit à ces faits peut varier en

12 fonction des charges retenues contre les accusés. Mais ce sont les faits,

13 à la base, qui sont les mêmes. C'est cela qui compte.

14 Nous l'avons dit dans notre réponse à la requête déposée par la

15 défense le 7 mai en vue de la dissociation des phases du procès, nous

16 avons dit dans notre réponse que le principal problème rencontré est que

17 la défense fonde son attitude sur une interprétation erronée et

18 fondamentalement erronée de l'acte d'accusation dressé contre Kovacevic.

19 La défense, dans sa requête, affirme que Kovacevic n'est pas

20 accusé d'avoir participé ni même d'avoir été témoin des crimes commis dans

21 le camp, mais plutôt accusé d'avoir participé à un plan présumé qui devait

22 entraîner la destruction physique des détenus dans ce camp parce qu'ils

23 seraient Musulmans ou Croates de Bosnie.

24 S'agissant du Dr Kovacevic, sa participation présumée se serait

25 produite tout à fait en dehors du camp de détention. Puis, au

Page 50

1 paragraphe 11, la défense affirme que si l'accusation n'apporte pas la

2 preuve de la participation de Kovacevic à ce plan de génocide, il mérite

3 l'acquittement.

4 Ces affirmations sont une déformation grossière de l'acte

5 d'accusation dressé contre Kovacevic. Lorsqu'on détermine la portée des

6 charges, il faut lire l'ensemble de l'acte d'accusation. Cet acte ne se

7 limite pas à la culpabilité pour la qualification. Il n'est pas non plus

8 accusé de conspiration de génocide. Même s'il est vrai qu'il ne faudrait

9 pas prouver qu'il a été témoin d'atrocités dans le camp pour prouver sa

10 culpabilité, l'acte d'accusation n'exclut pas la possibilité que ces

11 éléments de preuve aient quand même leur pertinence pour administrer la

12 preuve de sa culpabilité.

13 La défense fait fi de la réalité, à savoir que l'accusé est

14 chargé de responsabilités pénales individuelles en vertu du 7-1 ainsi que

15 du 7-3. Au titre du 7-3, ce serait les faits mêmes commis dans le camp par

16 l'accusé ou part des accusé tels que Radic, Kvocka et Zigic, qui

17 constitueraient la base de sa responsabilité pour complicité.

18 Les demandes ou les mesures demandées par la défense de

19 Kovacevic ignorent le lien qu'il y a entre une conduite criminelle, qui

20 est le sujet de l'accusation portée contre les trois accusés, et les

21 charges retenues contre Kovacevic. Les charges retenues contre Kovacevic

22 indiquent qu'entre avril 1992 et janvier 1993, Milan Kovacevic, par ses

23 actes et omissions, a commis une infraction. Il en résulte que c'est ce

24 cadre là qui doit guider la lecture des autres articles ou paragraphes de

25 l'acte d'accusation qui montrent qu'il a une responsabilité pour

Page 51

1 l'ensemble de ces actes et omissions au cours de cette période, du

2 30 avril 1992 à la fin décembre 1992.

3 Cela inclut tout acte ou omission pour les actes commis au camp

4 plutôt que simplement les actes commis avant l'établissement du camp.

5 Pour ce qui est de la responsabilité pénale individuelle en

6 vertu de l’Article 7-3 et de ce que la défense affirme quant à sa

7 possibilité d'évaluer cette responsabilité et des conséquences en termes

8 d'administration de la preuve, je dirai ceci :

9 Il y a d'abord, au centre de notre argumentation, la

10 présentation simultanée des éléments de preuve. Cela ne s'appliquerait

11 qu'à l'accusation alors que la question qui se pose, c'est la présentation

12 des faits communs aux quatre accusés. Etant donné qu'il y a une base

13 commune dans ces faits, cela montre la responsabilité en vertu de tous les

14 articles du Statut.

15 Il y a une autre question, la question de l'acte d'accusation

16 actuelle. Bien sûr, si la Chambre d'appel statue en faveur de

17 l'accusation, cela aura une incidence spectaculaire sur la position de la

18 défense ou des arguments qu'elle avance en vue d'avoir une dissociation

19 des phases du procès.

20 En fait, vous auriez une violation des mêmes articles pour les

21 accusés. On pourrait se demander s'il est possible de séparer les charges

22 dans l'acte d'accusation, notamment pour Kovacevic , soi-disant parce

23 qu'il y a une incompatibilité présumée. Nous revenons sur cette question

24 de l'incompatibilité qui est purement hypothétique et qui n'a aucune base

25 factuelle afin de déterminer la responsabilité pénale individuelle. Je

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1 vous remercie, Monsieur le Président.

2 M. le Président (interprétation). - Dans le cadre de notre

3 décision relative à cette requête, nous tenons à l'esprit que nous avons

4 des obligations s'agissant de la protection et de la sécurité des témoins.

5 Cependant, je l'ai dit d'emblée, nous avons aussi le devoir

6 d'assurer un procès qui soit équitable pour tous les accusés. Nous sommes

7 arrivés à la conclusion suivante : la solution proposée dans la requête

8 pourrait s'avérer négative, porter préjudice à l'accusé. Il ne serait pas

9 possible d'assurer un procès équitable pour chacun des accusés. Nous

10 gardons également à l'esprit le fait que, pour ce qui est du Dr Kovacevic,

11 il faut qu'un procès soit tenu rapidement. Si l'on faisait droit à cette

12 requête, son procès ne pourrait être que retardé.

13 Ce sont les raisons pour lesquelles - et d'autres raisons seront

14 fournies ultérieurement par écrit - la requête déposée par l'accusation

15 est rejetée dans la mesure où... La requête aux fins de jonction des

16 quatre instances qui seraient entendues par une seule et même Chambre de

17 première instance est rejetée.

18 La requête aux fins de la présentation simultanée des éléments

19 de preuve à l'encontre dès quatre accusés, cette requête-là est également

20 rejetée.

21 La requête visant à ce que les deux actes d'accusation dressées

22 contre Messieurs Zigic, Radic et Kvocka soient conjoints, cette requête

23 est ajournée et suspendue. La Chambre qui va se saisir de cette affaire

24 devra statuer sur cette question et pas nous. S'il s'agit bien d'une

25 requête déposée par la défense en vue de la dissociation des phases du

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1 procès, elle ne fera pas l'objet d'une décision de notre part. Si les

2 parties veulent étudier davantage la question, libre à elle de le faire.

3 Nous pourrons entendre de nouveaux exposés. Pour le moment, nous n'aurons

4 pas de décision à rendre sur la question. Ce sont là les raisons pour

5 lesquelles cette requête est rejetée.

6 Cela met un terme au débat en ce qui concerne les trois accusés

7 plus récemment mis en inculpation. Cet après-midi, nous allons procéder à

8 l'examen de plusieurs autres requêtes, lesquelles concernent M. Milan

9 Kovacevic.

10 Il sera peut-être utile aux conseils de savoir dans quel ordre

11 nous allons entendre ces requêtes.

12 Nous commencerons par la requête aux fins de la protection des

13 témoins et victimes. Puis, nous passerons à la requête portant sur

14 l'enquêteur. Nous poursuivrons par une requête déposée par la défense aux

15 fins de l'adoption d'un code de déontologie par l'accusation. Ensuite,

16 nous porterons sur les questions de l'administration de la preuve. Il y a

17 aussi la requête déposée par l'accusation aux fins de constat judiciaire.

18 Enfin, nous terminerons par la requête relative aux admissions préalables

19 au procès.

20 Puis, nous aurons une conférence de mise en état à huis clos.

21 Il se peut que toutes ces questions ne soient pas réglées cet

22 après-midi. Si tel est le cas, nous poursuivrons l'audience demain matin.

23 L'audience est suspendue pour une heure et demie. Nous

24 reprendrons à 14 heures 10.

25 L’audience est suspendue à 12 heures 40.