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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL Affaire IT-97-24-T
2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE
3 Lundi, 11 mai 1998
4 L'audience est ouverte à 14 heures 15.
5 M. le Président (interprétation). - Nous allons reprendre nos travaux
6 avec la requête de l'accusation aux fins de protection des victimes et
7 des témoins. Maître Hollis, nous allons siéger cet après-midi jusqu'à 16
8 heures environ. Si à cette heure, nous n'avons pas terminé nos débats,
9 nous les reprendrons demain matin. Je crois que l'une de vos requêtes
10 doit faire l'objet d'une audience à huis clos. Comme je vous vois
11 acquiescer, nous ferons cela en même temps que la conférence de mise en
12 état dont j'ai précisé qu'elle allait faire suite à nos débats actuels.
13 Mme Hollis (interprétation). - Oui, Monsieur le Président.
14 M. le Président (interprétation). - Si personne n'a d'objection à
15 élever, je propose que nous vous entendions sur votre requête aux fins
16 de protection des victimes et des témoins.
17 Mme Hollis (interprétation). - Merci, Monsieur le Président. Pour cette
18 requête, comme pour les autres, l'accusation va se fonder sur les
19 mémoires déjà déposées. Nos remarques orales seront très succinctes et
20 très brèves.Elles se tiendront au coeur même des sujets de nos requêtes.
21 Pour ce qui est de cette requête générale aux fins de protection des
22 victimes et des témoins, nous voudrions préciser les choses suivantes.
23 Tout d'abord, cette requête est tout à fait conforme au mandat décrit
24 dans l'Article 22 du Tribunal et au Règlement de procédure du Tribunal.
25 Cette requête se fonde sur des préoccupations parfaitement légitimes des
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1 victimes et des témoins qui viendront déposer, ici, au Tribunal.
2 Nous pensons également que s'il est fait droit à cette requête, l'accusé
3 aura toute latitude pour se préparer à répondre aux accusations élevées
4 contre lui. Il aura tout le temps de préparer sa défense. Nous donnons
5 donc les moyens à l'accusé de se préparer au procès. En même temps, nous
6 stipulons que les documents qui seront communiqués au conseil de la
7 défense doivent n'être utilisés que pour l'élaboration d'une stratégie
8 de défense. Ils ne peuvent être publiés dans aucun autre cadre. Nous
9 nous opposons à toute communication ou divulgation publique des
10 documents qui seront donnés à la défense, sauf si la défense peut faire
11 état de motifs valables et fondés.Nous nous opposons également à toute
12 communication de documentations et d'informations aux médias. Ce type de
13 communication est parfaitement illégitime et ne peut être envisagé en
14 aucun cas. L'accusation, par le biais de cette requête, recherche
15 l'application de mesures permettant une utilisation judicieuse des
16 documents communiqués par la défense.
17 En même temps, nous avons comme priorité principale de protéger les
18 victimes et les témoins et nous ne souhaitons pas qu'une utilisation
19 inopportune soit faite, utilisation qui pourrait porter préjudice aux
20 victimes et aux témoins. Nous demandons que vous fassiez droit à cette
21 requête.
22 M. le Président (interprétation). - Dans d'autres affaires également de
23 telles demandes ont été formulées et des ordonnances ont été délivrées.
24 Voyons si j'ai bien compris, Maître Hollis. Vous demandez qu'une
25 ordonnance soit émise à l'encontre de la défense, ordonnance lui
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1 interdisant de divulguer les noms, prénoms et toutes les informations
2 permettant de localiser les témoins. Vous demandez également qu'il lui
3 soit interdit de communiquer la teneur des déclarations des témoins ou
4 des autres documents qui pourraient permettre d'identifier ces
5 personnes, sauf dans la mesure où ce type de divulgations est nécessaire
6 pour la préparation de la stratégie de la défense. Est-ce bien cela ?
7 Mme Hollis (interprétation). - Parfaitement, Monsieur le Président.
8 M. le Président (interprétation). - Vous vous fondez sur les motifs
9 suivants : d'après vous, il y a eu, dans certains cas, violation du
10 principe de la confidentialité et de la sécurité qui doivent être
11 garanties aux victimes et aux témoins. Vous êtes préoccupée, n'est-ce
12 pas ?
13 Mme Hollis (interprétation). - Absolument, Monsieur le Président. En
14 outre, je ferai valoir qu'il existe encore des tensions sur le terrain,
15 que certaines des personnes qui font l'objet d'un acte d'accusation
16 n'ont pas encore été arrêtées, que d'autres font l'objet de procédures
17 d'enquêtes. Nous précisons également que partout où ces témoins ont
18 établi leur résidence, il existe pour eux des risques graves
19 d'intimidation, de harcèlement, des risques très évidents.
20 Nous ne parlons pas seulement des précédents qui ont pu se produire,
21 mais également de ce qui pourrait se passer au vu de la situation qui
22 est loin d'être résolue sur place.
23 M. le Président (interprétation). - Vous parlez de la communication
24 d'informations aux médias et au fait que vous vous y opposez. Voulez-
25 vous ajouter quelque chose ?
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1 Mme Hollis (interprétation). - Dans le cadre d'une plaidoirie précédente
2 devant cette Chambre, nous avons fait référence à un article écrit dans
3 un quotidien où il était fait référence de façon directe à des documents
4 qui avaient été communiqués à la défense dans le cadre de l'obligation
5 de l'accusation de procéder à la divulgation de certains documents.
6 Par conséquent, il nous semble que si cette ordonnance n'est pas prise,
7 ce risque de fuite en direction des médias pourrait se reproduire. En
8 l'occurrence, nous avons en notre possession des informations
9 extrêmement sensibles qui pourraient avoir des conséquences très graves.
10 M. le Président (interprétation). - En fait, vous demandez que cette
11 ordonnance interdise à la défense de communiquer tout document, sauf sur
12 présentation de motifs valables et si cela s'avère nécessaire pour
13 l'élaboration de sa stratégie. Est-ce exact ?
14 Mme Hollis (interprétation). - Absolument exact. En tout cas, nous
15 insistons beaucoup sur la question des médias, Monsieur le Président.
16 S'il faut qu'il y ait une communication quelconque d'information aux
17 médias, il faut que cela soit fait dans le cadre de la préparation des
18 dossiers de la défense. C'est aux conseils de la défense d'agir de façon
19 professionnelle. Ils doivent absolument s'en 19 tenir à leur code de
20 conduite
21 professionnelle. Nous ne demandons pas qu'ils présentent des arguments
22 chaque fois qu'ils veulent communiquer des informations au public.
23 Nous ne demandons pas qu'ils se présentent chaque fois devant la Chambre
24 de première instance, mais il est nécessaire que ce type de
25 communication se fasse dans des conditions précises. Je parle aussi bien
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1 du point de vue de la communication en général au public que de la
2 communication qui pourrait être faite aux médias.
3 M. le Président (interprétation). - Dans la réplique de la défense à
4 cette requête, il y a une suggestion selon laquelle elle devrait être
5 autorisée à s'entretenir avec les témoins avant que ceux-ci ne viennent
6 déposer.
7 Vous avez également abordé ce sujet dans votre mémoire et vous vous
8 prononcez contre cette demande.
9 Mme Hollis (interprétation). - Simplement pour les témoins qui ne
10 souhaitent pas procéder à ce type d'entretien, Monsieur le Président.
11 A chaque fois, nous avons prévu de demander aux témoins qui vont venir
12 comparaître de se prononcer pour ou contre un tel entretien avec les
13 conseils de la défense.
14 Dès lors que le témoin accepte de s'entretenir avec les conseils de la
15 défense, nous n'avons aucune objection à élever.
16 M. le Président (interprétation). - C'est la pratique coutumière au
17 Tribunal ?
18 Mme Hollis (interprétation). - Oui, cela c'est déjà produit.
19 M. le Président (interprétation). - Et aux Etats-Unis ?
20 Mme Hollis (interprétation). - Pour ce qui est des affaires civiles,
21 dans le cadre des affaires civiles, je crois effectivement que c'est la
22 pratique qui est utilisée. On ne peut pas forcer les témoins à être
23 présents à des entretiens ou à accepter de tenir un entretien.
24 Je viens, vous le savez, d'un système juridique et militaire. Dans ce
25 système, lorsqu'on parle de témoins qui déposent dans des affaires
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1 militaires, ils reçoivent l'ordre de parler, de s'entretenir avec la
2 défense. Mais ici, c'est une affaire civile, on ne peut donc pas obliger
3 un témoin à le faire.
4 M. le Président (interprétation). - Le système auquel je suis accoutumé
5 prévoit que la défense ne peut en aucun cas s'entretenir avec les
6 témoins de l'accusation avant le procès, à moins que des circonstances
7 très exceptionnelles ne soient réunies. A priori, je ne devrais pas
8 autoriser une telle pratique. Le Juge Mumba, mon collègue, vient d'un
9 système juridique équivalent au mien. Vous me dites que vous êtes tout à
10 fait disposé à demander aux témoins quelle est leur opinion sur la
11 question.
12 Mme Hollis (interprétation). - C'est cela. Nous avons déjà demandé aux
13 témoins quel était leur avis, et au fur et à mesure que nous obtiendrons
14 la réponse des témoins auxquels nous avons posé la question, nous en
15 ferons part à la défense.
16 M. le Président (interprétation). - L'autre question qui se pose est la
17 suivante. Ce sont les cas où les témoins font l'objet d'interrogatoires
18 menés par des représentants de service de renseignements ou d'autres
19 organisations. Pouvez-vous revenir un peu sur ce point, Maître Hollis,
20 s'il vous plaît ?
21 Mme Hollis (interprétation). - Oui, Monsieur le Président. Pour ce qui
22 est de la demande de communication, qui porte sur le fait de savoir si
23 des témoins ont reçu une aide psychologique ou psychiatrique, là aussi
24 nous avons entrepris de demander à tous nos témoins s'ils ont
25 effectivement reçu ce type de traitement. En cas de réponse positive,
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1 nous en faisons part à la défense.
2 La défense précise également dans cette demande que tous les dossiers
3 médicaux relatifs à de tels traitements leur soient communiqués, dès
4 lors qu'ils ont été obtenus par l'accusation et dès lors qu'ils ont été
5 soumis à l'examen de la Chambre de première instance.
6 Nous faisons objection à cette partie de la demande de la défense,
7 Monsieur le Président. Nous pensons que la requête en elle-même se fonde
8 sur une interprétation propre à la défense de ce qu'on appelle une
9 visite ou un traitement psychiatrique.
10 Nous pensons que, pour ce qui est des dossiers plus particulièrement, il
11 n'y a pas de raison valable justifiant qu'ils soient communiqués. La
12 demande formulée par la défense est beaucoup trop générale, beaucoup
13 trop vague. Nous faisons objection quant à l'obtention de dossiers
14 médicaux.
15 Cela supposerait également que nous intervenions auprès de nombreux
16 pays, auprès de nombreux psychiatres, pour obtenir des dossiers protégés
17 par des lois nationales dans un certain nombre de pays. Cela ne sera
18 donc pas possible. Pour ce qui est, Monsieur le Président, de leur
19 demande d'information relative à tous les types d'aide qui auraient pu
20 être apportées au témoin par le biais de service de renseignements ou
21 d'organisations sociales ou religieuses, nous faisons objection sur la
22 base du fait que, là aussi, cette requête est d'un champ beaucoup trop
23 général. Il n'est pas concevable que nous nous lancions sur des
24 questions telles que : comment définir un service de renseignements ou
25 un service d'Etat ?
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1 Il est impensable de commencer à se poser la question de savoir ce
2 qu'est précisément ce type de service, comment définit-on une
3 organisation sociale et religieuse ? Quelles sont les organisations qui
4 tombent sous cette dénomination ? Nous n'allons pas entrer dans des
5 tentatives de définition de ce type d'entité.Nous pensons qu'il n'est
6 absolument pas justifié, de la part de la défense, de présenter une
7 telle demande. Ce n'est pas pertinent. C'est trop général. Cela
8 représente une intrusion dans la vie des témoins, intrusion qui nous
9 semble parfaitement injustifiée.Comme nous l'avons déclaré dans notre
10 réplique, à la demande de la défense, certains des témoins que nous
11 pensons citer à comparaître sont des témoins qui n'ont plus de moyens de
12 subsistance. Ils ont été chassés de leur domicile et, pour la plupart
13 d'entre eux, ils n'ont pas pu revenir dans la région où ils vivaient
14 précédemment. Certains ont passé des années à l'étranger. S'ils ne sont
15 pas protégés de façon satisfaisante, ils ne pourront plus revenir dans
16 ces pays. Nombre de témoins sont traumatisés. Ils ont, bien sûr, reçu de
17 l'aide provenant de nombre d'organisations différentes. Cela ne me
18 paraît pas pour autant être un fondement suffisant pour demander le type
19 de communication que demande la défense.
20 M. le Président (interprétation). - Alors vous êtes prêts à demander
21 leur avis aux témoins ?
22 M. Hollis (interprétation). - Non, pour ce qui est de ce point-là,
23 Monsieur le Président, nous n'allons rien leur demander.
24 M. le Président (interprétation). - Non, mais pour le point que vous
25 avez abordé précédemment.
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1 M. Hollis (interprétation). - Oui, deux choses. Tout d'abord, sont-ils
2 prêt à s'entretenir avec la défense, et dans ce cas-là, s'ils souhaitent
3 le faire, nous en informerons les conseils de la défense.
4 M. le Président (interprétation)-Je comprends. Pour le deuxième point ?
5 M. Hollis (interprétation). - Nous leur demanderons s'ils sont prêts à
6 s'entretenir avec un conseil de la défense et, si c'est le cas, nous
7 prendrons les dispositions nécessaires. Deuxièmement, nous leur
8 demanderons s'ils ont reçu une aide ou un traitement psychologique ou
9 médical. Si c'est le cas, nous en ferons part à la défense.Je n'ai rien
10 à ajouter, Monsieur le Président. Je ne sais pas si vous souhaitez me
11 poser quelques questions.
12 M. le Président (interprétation). - Bien sûr qu'il faudra traiter toutes
13 ces questions. Peut-être devraient-elles faire chacune l'objet d'une
14 requête.
15 M. Hollis (interprétation). - Monsieur le Président, je dois préciser
16 qu'à une fin d'efficacité, nous avons, face à la réplique de la défense,
17 rédigé une requête qui explique clairement quelle est notre position.
18 M. le Président (interprétation). - Merci.
19 Qui va s'exprimer au nom de la défense ?
20 M. Vucicevic (interprétation). - Bonjour Monsieur le Président, Madame
21 et Monsieur les Juges.
22 Dieu sait si je compatis avec la souffrance des témoins et des victimes.
23 C'est une chose. Mais, d'autre part, je dois m'assurer du fait que seuls
24 les éléments de preuve fiables et crédibles vous sont soumis. Je dois
25 m'assurer du fait que le contre-interrogatoire permettra d'éclaircir
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1 tous les points qui ont besoin de l'être et qui pourraient avoir une
2 influence négative sur la déposition des témoins. Je veux absolument que
3 vous ayez sous les yeux des arguments parfaitement clairs, parfaitement
4 limpides. Dans ce cadre, la défense, il me semble, devrait avoir le
5 droit de s'entretenir avec les témoins.Dans ce cadre, nous sommes
6 confrontés à la difficulté suivante. Tout d'abord, ces témoins doivent
7 voyager depuis la Bosnie. Mais d'autre part, il faut que nous-mêmes,
8 les conseils de la défense, nous trouvions les moyens de les retrouver
9 en un point qui nous permet de nous entretenir avec eux. Nous venons des
10 Etats-Unis. Nous devons nous déplacer parfois dans des secteurs
11 géographiques qui sont dans une situation extrêmement difficile. Nous-
12 mêmes prenons un certain nombre de risques dans ces secteurs qui sont
13 l'objet de toutes sortes de tensions. Il y a toutes ces difficultés qui
14 se posent dès lors que nous souhaitons nous entretenir avec des témoins.
15 Si nous nous en tenions aux pratiques traditionnelles, il me semble que
16 dans certaines juridictions nationales, la défense disposerait d'une
17 équipe d'enquêteurs lui permettant d'entrer en contact plus facilement
18 avec les témoins, de savoir exactement quels sont leurs voeux quant à la
19 possibilité d'un entretien ou non avec l'équipe de la défense.
20 Malheureusement, ici, nous ne disposons pas d'une telle équipe. Nous
21 travaillons seuls. Excusez-moi, Monsieur le Président, mais nous devions
22 commencer le procès cette semaine et cela ne pourra se faire. Dans la
23 mesure où nous devons subir les conséquences de ce retard, je demande
24 que nous ayons la possibilité de nous entretenir avec les témoins, de
25 mener une enquête sur leur parcours. Nous devons non seulement avoir la
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1 possibilité de faire tout cela, mais également celle de lire les vingt-
2 cinq dépositions que nous avons obtenues il y a quelques semaines à
3 peine. Ces déclarations préalables datent de ce qui avait été fait dans
4 le cadre de l'affaire Tadic et ne constituent pas des déclarations tout
5 à fait pertinentes pour ce qui est de l'affaire de mon client, de M.
6 Kovacevic. Si nous n'avons pas l'occasion de nous entretenir rapidement
7 avec les témoins, ces déclarations ne viendront pas seulement en partie,
8 et seront totalement sans lien avec l'affaire qui nous concerne ici.
9 Dans ces déclarations, il est fait état d'un homme qui se trouvait dans
10 un centre de détention, etc., etc. Rien n'a trait à la participation
11 présumée de M. Kovacevic à tous ces événements. Rien n'a trait à ses
12 intentions personnelles, rien n'a trait à sa capacité ou non à
13 intervenir dans le cours des événements. Cela n'apparaît dans aucune des
14 déclarations. Cela veut dire que nous allons aborder un procès, alors
15 que nous n'avons entre nos mains que très peu d'informations, en tout
16 cas pratiquement aucune en ce qui concernent la déposition des témoins.
17 Je sais que le Bureau du Procureur est débordé, qu'il faut viser surtout
18 à une bonne administration des ressources limitées du Tribunal. Je sais
19 que l'objectif de cette Chambre est d'assurer la tenue d'un procès
20 rapide et équitable. Nous en sommes tous conscients. Il faut tout de
21 même que nos conditions de travail soient équitables et que nous ayons
22 une chance de nous pencher sur ces déclarations de témoins. Pour ce qui
23 est de la protection des témoins, je précise que la communauté dans
24 laquelle vivent ces témoins ne se sentira pas menacée parce que des
25 personnes extérieures au pays se rendent sur place pour s'entretenir
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1 avec eux. Les témoins vont venir ici pour déposer, peut-être le feront-
2 ils dans le cadre d'une audience d'une ou plusieurs heures. Ils le
3 feront en présence d'un conseil de la défense, d'un enquêteur ou d'un
4 représentant du Bureau du Procureur. C'est quelque chose qui nous paraît
5 tout à fait satisfaisant. D'ailleurs, je propose que les mêmes mesures
6 soient appliquées à l'égard des témoins de la défense lorsque nous
7 commencerons notre présentation des témoins. Le 27 mars, si je ne
8 m'abuse, nous avons tenu une conférence avec vous, Monsieur le
9 Président, et madame et monsieur les Juges. Nous avions pris un certain
10 nombre de décisions lors de cette conférence. Ces décisions n'ont eu
11 aucun effet concret. Rien n'a été fait pour nous faciliter le travail,
12 notamment en matière d'enquête. J'avais demandé qu'une aide me soit
13 apportée, qu'une escorte me soit fournie, notamment dans le cadre de mes
14 déplacements dans des secteurs musulmans en Bosnie-Herzégovine. Lorsque
15 je me suis adressé au représentant de la police internationale, ils
16 m'ont déclaré qu'ils n'avaient aucune connaissance de cette décision et
17 qu'ils ne disposaient pas du personnel nécessaire pour pouvoir m'aider.
18 Ils m'ont renvoyé à la police locale. J'étais absolument sidéré par
19 cette situation. Quand je suis allé voir le chef de la police locale, je
20 me suis retrouvé dans un commissariat où j'ai retrouvé un groupe de
21 Serbes amenés sur place et interrogés dans le poste de police locale.
22 C'était la conséquence d'une ordonnance émanant non pas de cette Chambre
23 de première instance, mais d'une autre Chambre de première instance de
24 ce Tribunal. Je ne crois pas que cela soit conforme à la volonté de
25 cette Chambre de première instance.Je crois qu'il faudrait que chacun
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1 fasse preuve d'un peu plus de coopération au plan professionnel, qu'il
2 faut absolument faire preuve de courtoisie les uns à l'égard des autres,
3 notamment en ce qui concerne cette question de l'entretien avec les
4 témoins. Autre chose, cette question des agences de l'Etat et des
5 organismes qui travaillent pour un Etat. Je comprends très bien que les
6 témoins dont nous parlons sont des personnes déplacées ayant perdu
7 l'essentiel de leurs biens. Je sais aussi que nous avons un
8 questionnaire dans lequel il leur est permis de dire : "J'ai reçu une
9 aide de telle ou telle organisation sociale".
10 D'ailleurs, moi-même, en tant que membre du barreau de Chicago, je sais
11 que 10 % de mes clients sont des membres de la communauté musulmane de
12 Bosnie. Ils me demandent une aide, mes services. Un certain nombre
13 d'organisations sociales leur apportent un soutien. Je connais un
14 psychiatre dans l'Etat de l'Illinois qui intervient auprès de ces
15 témoins. Il essaie de les aider et de leur donner des conseils. Des
16 articles sont parus dans la presse de Chicago à cet effet. Je me suis
17 entretenu avec un psychiatre. Il m'a parlé de ce processus de
18 recouvrement de la mémoire, processus que connaissent la plupart des
19 témoins. Ce qui se passe, d'après ce qu'il dit, c'est que les témoins
20 oblitèrent certains événements de leur mémoire, ils effacent certains
21 pans de leur vie, de leur mémoire parce que c'est trop pénible.
22 Ces psychiatres appliquent une théorie toute nouvelle. Si le psychiatre
23 en vient à savoir que les témoins doivent venir, ou sont déjà venus à ce
24 Tribunal -comme cela s'est déjà produit- et que ces témoins sont dans un
25 processus psychiatrique tel qu'ils effacent des pans de leur souvenir,
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1 il faut que nous en soyons conscients. Il faut que nous soyons mis au
2 courant de ce fait. C'est très important. Nous ne voulons pas intervenir
3 dans le cadre de leur traitement, mais essayer de savoir si les témoins,
4 par le biais d'autres techniques, peuvent recouvrer la mémoire sur
5 certains faits ou si, au contraire, dans le cadre de leur témoignage,
6 ces témoins ne seront pas à même de se souvenir de ce qui s'est passé.
7 C'est un point extrêmement important. Nous aurons besoin de l'aide de
8 professionnels. Aussi, je pense qu'il serait un petit peu injuste que
9 l'accusation, le jour précédant la déposition d'un témoin, arrive dans
10 les bureaux du conseil de la défense pour dire : " Oui, ce témoin a
11 reçu un traitement psychiatrique qui, effectivement, pourrait avoir des
12 effets sur sa déposition ". Nous devons être au courant de ces faits
13 bien avant l'arrivée de ces témoins en prétoire. Nous devrions avoir à
14 notre disposition un expert qui nous permettrait d'analyser la
15 déclaration faite par le témoin. Nous avons besoin de temps pour ce
16 faire. Si les témoins ont eu des traitements psychiatriques et si
17 certains témoins ont eu connaissance du fait qu'ils sont atteints de
18 problèmes sérieux, quant à leur capacité à se souvenir de ce qui s'est
19 passé, quant à leur état de paranoïa ou de schizophrénie, alors il me
20 semble bien normal que nous en soyons informés, notamment si des
21 éléments très pertinents aux affaires ont été effacés de la mémoire des
22 témoins, du fait des traumatismes qu'ils ont subis.
23 Maintenant se pose l'aspect financier lorsqu'on parle de témoins.
24 Certains témoins reçoivent de l'argent, d'autres pas. Là encore, cet
25 élément a une influence sur la qualité de leur témoignage. Nous ne
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1 demandons pas à savoir quelles sont les sommes qui ont été distribuées
2 aux témoins, mais si cela représente une somme supérieure à ce qui est
3 généralement donné par les agences sociales traditionnelles, nous devons
4 en être informés parce que c'est pertinent. Il faut absolument que nous
5 sachions ce qui se passe.
6 M. le Président (interprétation). - Avez-vous des raisons de penser que
7 cela a été fait ?
8 M. Vucicevic (interprétation). - Je peux vous en donner un exemple très
9 récent. En fait, cela s'est passé dans le cadre de l'affaire Tadic. Un
10 témoin, le témoin L., a fabriqué un témoignage de toute pièce. La
11 Chambre de première instance ne s'en est pas aperçue au moment où ce
12 témoignage a été fait. Je n'étais pas présent lors de cette affaire,
13 mais d'après ce que j'ai entendu dire par les personnes qui se
14 trouvaient présentes, tout le monde a essayé d'étouffer l'affaire, mais
15 c'est bien ce qui s'est passé. Or nous voulons que ce procès ne soit, en
16 aucun cas, entaché de ce type de problème. Nous voulons que tout soit
17 clair et que tout se fasse dans la limpidité et la clarté.
18 M. le Président (interprétation). - Mais au cours du procès,
19 maître Vucicevic, vous pouvez poser des questions aux témoins, vous
20 pouvez leur demander, n'est-ce pas ?
21 M. Vucicevic (interprétation). - Oui, effectivement monsieur le
22 Président, mais à ce moment-là nous risquerions d'entrer dans une
23 procédure assez inefficace. Si le témoin ne répond pas correctement à la
24 question, nous n'aurons jamais la possibilité de vérifier la réponse qui
25 nous est donnée et nous ne pourrons pas récuser ce témoin. C'est comme
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1 si nous fermions la porte de la grange en laissant le cheval dehors : il
2 sera trop tard pour vérifier si le cheval se trouve là ou s'il ne s'y
3 trouve plus. Je ne suis pas sceptique de nature, mais il me semble qu'en
4 utilisant ce type de procédure, nous évitons d'entacher les procédures
5 par ce genre d'activité.Comme je l'ai dit, nous avons besoin d'obtenir
6 certaines informations, notamment l'aide psychiatrique apportée aux
7 témoins, le stress qu'ils peuvent subir, le stress qui a suivi leurs
8 déplacements en tant que personnes déplacées. Je crois que ce sont
9 des problèmes mineurs qui, effectivement, ne doivent pas nécessairement
10 être communiqués à la défense. Cependant, il y a des questions beaucoup
11 plus graves et plus importantes, comme par exemple un soin psychologique
12 prolongé ou bien une contribution financière par certains gouvernements
13 ou par certaines agences d'Etat qui peuvent recevoir certains témoins
14 amenés à témoigner ici. Par conséquent, si nous utilisons la méthode de
15 poser des questions aux témoins au cours de l'audience, nous allons
16 rentrer dans une procédure non fiable. En effet, le témoin pourra
17 choisir de dire " je ne me rappelle plus, je ne peux pas répondre à
18 votre question ". Peut-être qu'il ne se souviendra plus de telle ou
19 telle chose qui lui aura été communiquée par le bureau du Procureur.
20 Mais il aura juré, il aura prêté serment, il aura dit qu'il allait dire
21 la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Il n'aurait aucune
22 raison de ne pas nous parler. S'il décide de ne pas nous parler, nous
23 devons savoir pourquoi, nous devons avoir une idée des raisons qui
24 pourraient motiver son refus. Ce que je dis, c'est que nous pourrions
25 élaborer une sorte de questionnaire qui pourrait être communiqué au
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1 témoin. Celui-ci pourrait remplir ce questionnaire et nous aurions un
2 document écrit sous les yeux. Je ne veux pas que ce procès nous prenne
3 par surprise. Nous avons, comme précédent, ce témoignage dans l'affaire
4 Tadic. Rien n'était connu des témoins. Si nous attendons le dernier
5 moment avant de poser les questions, nous ne pourrons rien apprendre des
6 témoins, de leurs problèmes psychologiques, nous ne savons pas s'ils ont
7 reçu une contribution financière, une aide psychologique ou un certain
8 conseil ou si on les a préparés afin qu'ils témoignent et donnent un
9 témoignage fabriqué de toute pièce. En effet, certains gouvernements
10 sont intéressés par ce genre de procédure, par le résultat que peut
11 avoir ce procès. Je pense que nous devons garder cela à l'esprit.
12 M. le Président (interprétation). - Nous avons prévu de statuer sur ce
13 point demain matin. Avez-vous d'autres choses à dire, Maître Hollis ?
14 Mme Hollic (interprétation). - Non. Nous avons dit tout ce que nous
15 avions à dire.
16 M. le Président (interprétation). - Merci. Je voudrais ajouter qu'une
17 décision a été prise dans ce Tribunal par une Chambre de première
18 instance dans l'affaire Delalic, en mars de l'année dernière. Dans le
19 cadre de cette décision, la Chambre de première instance a rejeté la
20 requête de la défense demandant la possibilité de s'entretenir avec les
21 témoins, avant l'ouverture du procès. Une décision a donc été prise sur
22 ce point par une Chambre de première instance.
23 Bien entendu, nous allons reconsidérer cette question sous un nouveau
24 jour. Cela nous amène à la requête suivante, la requête relative à
25 l'enquêteur. Cette requête a pour objectif de permettre à l'enquêteur
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1 responsable de cette affaire d'assister aux audiences et de ne pas se
2 voir interdire la possibilité d'être appelé à comparaître en tant que
3 témoin. Maître Hollis, voulez-vous ajouter une remarque à votre requête
4 écrite ?
5 Mme Hollic (interprétation). - Je serai très brève, Monsieur le
6 Président.
7 Nous suggérerons, étant donné la réponse de la défense, que cette règle
8 s'applique aux deux parties et que l'une ou l'autre des parties ne doit
9 pas avoir un avantage sur l'autre. En ce qui concerne l'interprétation
10 de la défense de cet article, nous disons que cette interprétation n'est
11 pas soutenue par la lettre du Règlement ni par des conclusions que l'on
12 peut tirer de la lettre utilisée. Nous sommes d'accord pour dire que ce
13 n'est pas un concept absolu et que parfois, dans certaines
14 circonstances, un enquêteur principal peut ne pas entendre les débats et
15 ne pas être appelé à témoigner si, par exemple, cet enquêteur a été
16 victime ou témoin des événements qui sont pertinents dans le cadre d'un
17 acte d'accusation. Mais, ce n'est pas le cas dans l'affaire qui nous
18 occupe. Le Bureau du Procureur s'inquiète de deux points qui naissent de
19 l'argumentation de la défense. Tout d'abord, dans la mesure où la
20 défense déclare que l'enquêteur en chef, dans cette affaire, pourrait
21 délivrer un faux témoignage devant cette Chambre de première instance,
22 nous tenons à objecter. C'est une accusation non fondée.
23 D'autre part, l'argument de la défense suggère également que le Bureau
24 du Procureur, dans cette affaire, pourrait se montrer complice dans le
25 cadre de ce faux témoignage et pourrait permettre qu'une telle chose ne
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1 soit faite devant la Chambre de première instance. Là encore nous
2 objectons très fermement à ce genre d'accusations qui, elles aussi, sont
3 non fondées. Nous pensons que la requête parle d'elle-même, Monsieur le
4 Président, et elle va dans la droite ligne de l'Article 90.E du
5 Règlement.
6 M. Vucicevic (interprétation). - Si l'accusation est vexée par ma
7 réponse, je tiens à m'en excuser. Cependant, ma réponse à leur requête
8 ne fait que formuler des hypothèses et n'implique pas du tout que ce
9 soit bien la réalité. Cependant, étant donné que nous essayons de
10 prévoir l'avenir, l'interprétation que je fais de l'Article 90.D est la
11 suivante. A mon avis, elle contient deux idées et le Bureau du Procureur
12 essayait de contourner cet article. En effet, dans le paragraphe D, il
13 est dit qu'un témoin, autre que témoin expert qui n'a pas encore
14 témoigné, ne sera pas présent lorsque d'autres témoins viendront
15 déposer. C'est là, me semble-t-il, une règle de base. Peut-être cet
16 enquêteur aura-t-il, par la suite, la possibilité de déposer devant une
17 Chambre. Il y a eu, me semble-t-il à plusieurs reprises, certaines
18 circonstances extraordinaires, exceptionnelles, ou bien le Bureau du
19 Procureur et son enquêteur auraient pu, dans les coulisses ou la galerie
20 du public, suivre le procès. Pour ma part, je crois que l'enquêteur est
21 très proche, dans le cadre d'une affaire, du statut d'un avocat ou de
22 celui d'un conseil de la défense. Dans la plupart des codes de
23 déontologie, même dans celui qui s'applique aux avocats de la défense,
24 ces derniers ne doivent pas pouvoir témoigner. C'est là une question que
25 je vous pose, à vous, et j'attends bien sûr votre décision. Bien sûr,
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1 j'ai dit qu'il pourrait y avoir parfois certaines circonstances
2 exceptionnelles. Effectivement, un enquêteur peut être amené à témoigner
3 alors qu'il aurait pu assister au débat. Ce fait aurait été caché aux
4 yeux du Bureau du Procureur. Je crois qu'une telle attitude favorise un
5 comportement d'opportuniste, chez toutes personnes d'ailleurs, qu'il
6 s'agisse d'un homme normal ou d'un avocat. Ce sont des choses qui
7 arrivent. Si l'Article doit être important et veut bien dire ce qu'il
8 veut dire, les exceptions doivent rester des exceptions. A aucun moment,
9 je n'ai suggéré que les membres du Bureau du Procureur, que je respecte
10 et avec lesquels j'ai appris à travailler, agiraient de la sorte. Les
11 circonstances changent. Ils ne veulent pas faire comparaître l'enquêteur
12 en l'espèce, mais les circonstances peuvent changer. Effectivement, ce
13 genre de chose peut se produire dans certaines circonstances, mais nous
14 devons limiter ce genre de possibilité.
15 M. le Président (interprétation). - Souhaiteriez-vous que votre
16 enquêteur assiste au débat, vous ?
17 M. Vucicevic (interprétation). - Je n'appellerais mon enquêteur à
18 témoigner
19 que dans les mêmes circonstances que celles que je viens de définir.
20 Si mon enquêteur se trouvait dans la galerie du public et qu'il écoute
21 les débats, ainsi que d'autres témoins et témoignages, je ne
22 souhaiterais pas qu'ils viennent déposer. J'appliquerais les mêmes
23 règles à moi-même que celles que je viens de définir.
24 Je ne me sentirais pas très fier si j'étais amené à le faire.
25 M. le Président (interprétation). - Nous allons faire droit à cette
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1 requête. L'Article 90.E du Règlement est assez explicite. Cet article
2 permet à un enquêteur de déposer en tant que témoin, malgré le fait
3 qu'il ait été présent en audience. Nous ne voyons pas de raison pour
4 laquelle, dans cette affaire, un enquêteur n'aurait pas la possibilité
5 de déposer ni de raison pour laquelle cet article ne serait pas applicable.
6 Les raisons qui ont été exposées ne nous satisfont pas.
7 Dans le cadre de cette Chambre de première instance, l'enquêteur aura
8 l'autorisation de participer ou en tout cas d'assister à l'audience. Il
9 est donc fait droit à cette requête. Nous passons à la requête suivante,
10 dont j'ai parlé précédemment. Il s'agit d'une requête de la défense dans
11 laquelle on demande que soit appliqué un code de déontologie pour le
12 Bureau du Procureur. Le Bureau du Procureur s'y oppose. Nous allons donc
13 entendre l'argument de la défense.
14 M. D'Amato (interprétation). - Merci. Bien entendu, la défense a pour
15 obligation, d'après son code de déontologie, dans le cadre de tous les
16 débats devant ce Tribunal, de respecter certaines obligations dans le
17 cadre de ce code de déontologie, mais ce n'est pas le cas du Bureau du
18 Procureur. Je vous demanderai un moment d'aborder la théorie politique.
19 Nous connaissons deux types de gouvernements dans ce monde. Nous avons
20 le royaume politique, d'une part, et le royaume judiciaire, d'autre
21 part. Dans le monde politique, on dit que la fin justifie les moyens.
22 Les hommes, les femmes essaient de parvenir à trouver le bon résultat
23 pour la société et, parfois, utilisent certains moyens qui vont à
24 l'encontre d'un code moral, du code de l'honneur ou même à l'encontre de
25 certaines dispositions juridiques pour parvenir à leurs buts politiques.
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1 De l'autre côté, nous avons le royaume judiciaire, un royaume de règles.
2 Dans ce monde, on sait que les moyens sont extrêmement importants, que
3 les moyens ne peuvent déroger à la règle, même si cela coûte de
4 l'argent, du temps, même si cela a pour prix une certaine inefficacité,
5 comme diraient les hommes politiques.
6 Un procès se fonde sur le concept selon lequel nous ne savons pas
7 véritablement ce qu'est la Justice si nous n'utilisons pas des moyens
8 équitables de l'assurer. Nous ne savons pas si les résultats ou les fins
9 sont justes ou non, à moins d'utiliser des procédures adéquates. Les
10 étudiants en droit liront pendant des centaines d'années encore, dans le
11 cadre des débats Tadic, que la légalité même de ce Tribunal se fonde sur
12 son caractère équitable. Et qu'on pourrait douter, en voyant certaines
13 résolutions du Conseil de sécurité, du fait que le Conseil de sécurité
14 avait véritablement la compétence dans ce cadre. Par conséquent, pour
15 résumer, c'est le caractère équitable des procédures qui est important.
16 Il me semble donc qu'un Tribunal doit assurer une certaine justesse, une
17 certaine égalité entre les différentes parties. Les deux parties doivent
18 adhérer à certains critères, certains standards déontologiques qui
19 permettent d'assurer des débats honnêtes et qui permettent de s'assurer
20 que les moyens ne soient jamais reliés directement à la fin.Le Procureur
21 a répondu à notre requête et je vais citer une phrase qui a été écrite
22 par lui dans ce cadre. En disant que c'est le Tribunal qui poursuit les
23 personnes et non le Bureau du Procureur, la requête a en fait pour but
24 de demander à cette Chambre de première instance d'inclure tous les
25 membres du Tribunal qui travaillent en tant que membres du Bureau du
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1 Procureur et qui seraient liés par ce code de déontologie, celui qui
2 est proposé. Il y aurait donc tous les membres de la Chambre, tout le
3 personnel qui assure le fonctionnement des Chambres et tous les membres
4 du greffe, qui seraient donc soumis à ce code de déontologie adopté par
5 le Bureau du Procureur.Je voudrais simplement suggérer que les
6 comparutions qui seraient assurées par des personnes du Bureau du
7 Procureur devront être interdites, à moins que le Bureau du Procureur ne
8 se soumette à un code de déontologie professionnel. Par conséquent, la
9 situation envisagée par le Bureau du Procureur n'a rien à voir avec
10 notre suggestion à nous. Nous avons établi, en tant que condition
11 préliminaire, la chose suivante. Tous les membres du Bureau du Procureur
12 doivent travailler dans le cadre de ce Tribunal en tombant sous une
13 obligation fixée par un code de déontologie professionnelle, parce
14 qu'ils doivent le faire. Dans certains cadres, dans certaines
15 procédures, seul le Bureau du Procureur et le Juge de confirmation sont
16 présents. Il s'agit de débats ex parte. Il est très important, par
17 conséquent, que le Bureau du Procureur et le membre du Bureau du
18 Procureur qui participe à un tel débat respectent un code de
19 déontologie.
20 Ce n'est pas une situation politique, mais c'est simplement quelque
21 chose de nécessaire pour le Tribunal. Nous devons être sûrs que le
22 Bureau du Procureur et ses membres respectent ce code. Dans le cas que
23 je viens de mentionner, le Bureau du Procureur doit donc souscrire à ce
24 code avant de participer à un débat avec un Juge de confirmation.
25 Il me semble donc que ce Tribunal a tous les pouvoirs nécessaires afin
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1 d'imposer une telle condition. Parce que je crois que cela est
2 directement lié à l'exercice même de confirmation et de participation à
3 une procédure de mise en accusation. C'est vrai à tous les niveaux, à
4 toutes les étapes de la profession.Le procureur dit que notre requête se
5 fonde sur une éventuelle mauvaise conduite de la part du bureau du
6 Procureur dans cette affaire, et que par conséquent notre argument est
7 plus que léger. En revanche, les avocats de la défense sont liés par un
8 code de déontologie de la défense. Je suis tout à fait satisfait du fait
9 que la défense doive se conformer à un code déontologique, et même si je
10 n'aurais jamais l'idée de m'engager dans des activités que je
11 qualifierais de non professionnelles, jamais je n'envisagerais cette
12 idée. Par conséquent, on ne peut pas dire : " attendons, nous verrons
13 bien jusqu'à ce qu'il y ait un exemple de mauvaise conduite, après cela,
14 nous imposerons un code déontologique ". Je crois que nous devons agir
15 et précéder ce genre d'activité. Il faut faire de la prévention plutôt
16 que d'attendre que la faute soit commise. Peut-être que nous ne saurons
17 jamais qu'il y a eu une mauvaise conduite ou une erreur de comportement.
18 Il faut simplement insuffler aux différents hommes un sens éthique qui
19 pourrait éviter, avant même qu'ils n'arrivent, des abus potentiels.
20 Pour finir, ce Tribunal pourra peut-être rejeter cette requête. Si vous
21 le souhaitez, je crois que c'est un problème qui ne va pas s'effacer. Il
22 s'agit là d'une question de justesse fondamentale et il est temps d'y
23 faire face et d'imposer un tel critère au bureau du Procureur, plutôt
24 que de voir ce problème ressortir de temps en temps.
25 M. le Président (interprétation). - C'était peut-être un lapsus, mais
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1 vous avez dit que le Tribunal allait peut-être rejeter cette requête.
2 C'est important. Vous demandez à la Chambre de première instance de
3 rendre une ordonnance de ce type qui va avoir un effet certain sur
4 l'ensemble de l'accusation et surtout du Tribunal, pas seulement sur ce
5 procès. La question qui se pose doit être la suivante : même si nous
6 voulions faire droit à cette requête, avons-nous une quelconque autorité
7 pour imposer un tel code sur qui que ce soit ? En quelle compétence
8 sommes-nous habilités à le faire ? C'est quelque chose qui concerne tout
9 le Tribunal.
10 M. D'Amato (interprétation). - Bonne question, Monsieur le Président.
11 Nous avons peu de compétences en tant que conseil de la défense. Nous
12 avons le droit à l'équité dans le cadre d'un procès et nous estimons que
13 l'accusation doit respecter un tel code dans le cadre de ce procès. Est-
14 ce que pour l'accusation cela voudrait dire que ce même code devrait
15 s'appliquer à toutes les affaires ? Libre à l'accusation d'en juger
16 ainsi, mais pour nous cette requête se limite à ce procès. D'autres
17 avocats de la défense diront peut-être qu'ils veulent en profiter eux
18 aussi. Personnellement, vous avez compétence sur moi maintenant et je
19 crois qu'ici est l'enceinte adéquate pour cette question qui va se poser
20 au moment de l'ouverture du procès. Cela me semble approprié, tout à
21 fait correct en matière de compétence. Il est normal et tout à fait
22 juste que je pose cette question. Effectivement, si la décision
23 s'applique alors sur le Tribunal, tant mieux.
24 M. le Président (interprétation). - Merci. Maître Hollis ?
25 Mme Hollis (interprétation). - Merci, madame et messieurs les juges. En
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1 premier lieu, nous faisons valoir une différence fondamentale entre une
2 personne qui comparait comme avocat de l'accusation ou quelqu'un qui
3 comparait en tant que conseil de la défense.
4 Au moment de la création du Tribunal et du ministère public, je ne suis
5 pas Brenda Hollis ici, mais un substitut du Procureur.
6 Le Procureur est une personne qui a été nommée, qui détient certaines
7 responsabilités en cette qualité au sein des Nations Unies, et qui a des
8 responsabilités
9 énoncées par le Statut qui régit le type de comportement qu'elle doit
10 respecter, et doit veiller aussi à ce que ce comportement soit celui de
11 tout son personnel. En créant le Tribunal, on a créé un sous-organe
12 avec, à sa tête, une personne qui doit rendre des comptes au Tribunal et
13 aux Nations Unies en cas de violation de comportement. Il est normal
14 qu'il y ait des résultats. On prévoit ce type de violation dans
15 le Statut et dans le Règlement.
16 Par contraste, il y a ici des avocats de la défense qui viennent à titre
17 d'indépendants. Il n'y a pas de bureau de la défense qui soit un organe
18 du Tribunal. Il n'y a donc pas de conseil de la défense qui se trouve
19 dans une situation équivalente à celle du Procureur. Il n'y a pas une
20 personne qui est responsable, du fait de son poste de responsable, de
21 chef, d'un organe des Nations Unies au sein de celles-ci et qui soit
22 obligée de faire respecter le Statut et le Règlement, et soit régie par
23 ceux-ci. C'est une différence fondamentale.
24 Autre différence, à laquelle réfléchissait le greffe lorsqu'il a pensé à
25 l'élaboration d'un code de déontologie pour la défense, pour ce qui est
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1 du comportement des membres du Bureau de Procureur et de madame le
2 Procureur elle-même, son comportement est régi par le Statut et le
3 Règlement. Les règles sont clairement énoncées sur ce qu'on peut et ne
4 peut pas faire. Nous n'avons pas le droit d'agir pour des raisons
5 purement politiques, parce que le Statut et le Règlement établissent des
6 procédures par lesquelles, avant de mettre quelqu'un en accusation, il
7 faut apporter les éléments de preuve, à l'appui de l'acte d'accusation,
8 à un juge qui va examiner la question et va déterminer s'il y a
9 suffisamment de présomptions. Lorsque nous arrivons au procès, la
10 défense, l'accusé, a le droit à soulever des questions s'agissant de la
11 forme de l'acte d'accusation, a le droit de dire, au vu des preuves
12 apportées, qu'il estime que c'est un acte d'accusation motivé par des
13 raisons politiques, et la défense a le droit de demander des mesures
14 appropriées de la Chambre. Il y a d'autres règles, celles de la
15 communication, qui sont très approfondies. Nous devons toutes les
16 respecter. Cela détermine le critère de l'administration de la preuve et
17 du comportement devant une Chambre de première instance.En s'opposant à
18 la requête de la défense, l'accusation s'oppose à une requête
19 qui ferait que la Chambre de première instance ou tout organe du
20 Tribunal donne pour mandat au Procureur de préparer un certain type de
21 code de déontologie qui serait, bien sûr, soumis à l'examen d'autres.
22 Pour nous, c'est là une ingérence dans l'indépendance qui a été accordée
23 au Procureur par le Statut. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que madame
24 le Procureur ne surveille pas ceux qui travaillent sous ses ordres. Mais
25 c'est une question qui est de son libre ressort. C'est à elle de décider
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1 comment elle va mettre cela en oeuvre.Mais cela ne peut être la défense
2 qui demande à une Chambre de dire au Procureur comment faire cette
3 surveillance. Pour ce qui est des arguments déjà entendus, nous sommes
4 d'accord pour dire qu'une Chambre peut élaborer son propre code de
5 comportement pour quiconque comparait devant cette Chambre. C'est vrai
6 pour les deux parties. Nous ne sommes pas opposés à la constitution de
7 telles règles. Il y a beaucoup de Chambres qui ont un règlement qui ne
8 s'applique qu'à la Chambre. C'est différent que de dire que cette
9 Chambre doit donner l'ordre au Procureur de prévoir quelque chose qui va
10 régir les personnes qui travaillent sous les ordres de ce Procureur et
11 qui serait contraire aux dispositions du Statut.
12 Il n'y a donc rien dans le Statut, dans le Règlement actuel qui empêche
13 à un accusé ou à son avocat de soumettre des allégations, lesquelles
14 soient fiables, de mauvais comportements ou d'écart de conduite devant
15 une Chambre de première instance. Rien n'empêche cela. Ce code de
16 déontologie ne viendrait pas remplacer une telle action. Effectivement,
17 la défense peut soulever toute question qui lui semble nécessaire, si
18 elle estime que l'accusation ne s'est pas bien comportée. Cette requête
19 ne se base pas vraiment sur des questions qui ont été soumises aux
20 Chambres. On demande donc des mesures qu'il faudrait en fait rejeter
21 parce qu'elles représentent une intrusion dans le fonctionnement
22 indépendant du Bureau du Procureur.
23 M. le Président (interprétation). - Voulez-vous ajouter quoi que ce
24 soit, Maître D'Amato ?
25 M. D'Amato (interprétation). - Non, merci Monsieur le Président.
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1 M. le Président (interprétation). - Maître D'Amato, nous sommes contre
2 vous. Nous sommes convaincus de ce que l'indépendance du Ministère
3 public, de la poursuite, est clairement énoncée dans le Statut. C'est
4 dans le Statut qu'il faut chercher l'assurance de la protection pour ce
5 qui est de ce comportement. Comme rappelé, les avocats de la défense
6 sont des avocats indépendants qui ne comparaissent que dans le cadre
7 d'une affaire précise. C'est pourquoi nous avons sans doute estimé que,
8 pour eux, il fallait élaborer un code de déontologie. Pour respecter
9 l'égalité des chances, il suffit de recourir au Statuts et au code. Mais
10 il n'y a pas vraiment de distinction entre ces deux éléments.
11 M. le Président (interprétation). - Passons aux questions
12 d'administration de la preuve. A cet égard, nous avons deux requêtes
13 déposées par l'accusation : la première que l'on formule comme étant une
14 requête en anglais, ou demande, s'agissant du constat judiciaire. Ne
15 serait-il pas opportun que l'accusation nous en fasse la présentation ?
16 Nous avons, certes, le texte sous les yeux, mais cela porte surtout sur
17 les documents. Peut-être pouvez-vous vous en charger.
18 Mme Hollic (interprétation). - L'objet de notre demande vise à demander
19 que cette Chambre fasse constat judiciaire du fait que l'interdiction du
20 crime contre l'humanité est une norme importante et que la Yougoslavie a
21 ratifié la convention sur le génocide en 1950. Je crois que la défense
22 est d'accord là-dessus. Pour ce qui est des autres demandes de constat
23 judiciaire, elle concerne surtout les dates de telle ou telle
24 déclaration ou d'action entreprise.Dans la réponse de la défense à
25 l'autre requête de constat judiciaire, il s'agit des points 3 à 7. Nous
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1 sommes quelque peu perplexes quant à la confusion, face aux réponses
2 fournies par la défense. Par exemple au point 3, la réponse fournie est
3 la suivante : " la Bosnie-Herzégovine était impliquée dans une question
4 illégitime de succession ". Cela porte peut-être sur l'importance de ce
5 qui a été fait et non pas sur la question de savoir si cette action a
6 été faite le 6 mars, date pour laquelle nous demandons un constat
7 judiciaire. En effet, nous demandons un constat sur le fait que le 6
8 mars 1992, il y a eu des successions par la signature de la Convention
9 de Genève interdisant le génocide. La défense semble se concentrer sur
10 l'aspect légitime ou illégitime de cette action. Cela porte sur
11 l'interprétation de l'importance de cette action, alors que nous nous
12 attachons au constat judiciaire de la date de cette signature.
13 Pour ce qui est du point 4, le fait que la Bosnie-Herzégovine a déclaré
14 son indépendance le 3 mars 1992, là aussi la confusion règne dans nos
15 esprits. La défense dit-elle qu'il s'agissait d'un un acte illégitime ?
16 Cela porte sur l'importance de l'acte plutôt que sur le point de savoir
17 si à cette date-là, il y a eu une déclaration. Nous demandons constat
18 judiciaire de la date de la déclaration. Quant au point 5, nous
19 demandons le constat judiciaire du fait que la Communauté européenne a
20 reconnu l'indépendance de la.Bosnie-Herzégovine le 6 avril 1992 et que
21 les Etats-Unis ont manifesté cette reconnaissance le 7 avril 1992. Or la
22 défense nous dit, en réplique, que l'Union européenne et les Etats-Unis
23 ont peut-être reconnu la Bosnie-Herzégovine à ces dates mais que, ce
24 faisant, elles ont provoqué le conflit.
25 Auquel cas, se développe tout un argument du côté de la défense quant à
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1 l'importance à accorder à cette reconnaissance, alors que nous, nous
2 demandons le constat judiciaire de la date.
3 Pour ce qui est des points 6 et 7, la défense indique qu'aucune preuve
4 ne lui a été apportée lui permettant de confirmer ces dates. Nous allons
5 fournir à la défense cette information, peut-être qu'une fois en
6 possession de cette information, elle pourrait se mettre d'accord sur ce
7 constat judiciaire-là. Nous nous engageons à fournir cette information à
8 la défense pour qu'une décision puisse être prise quant aux points 6 et
9 7. Notre demande, en guise de constat judiciaire, permettrait de faire
10 une économie des ressources du Tribunal. Nous demandons à la Chambre de
11 reconnaître qu'à telle ou telle date, telle ou telle déclaration a été
12 faite. Quant à développer ou jauger l'importance, cela se fera au
13 procès. Il faut constat judiciaire des dates des déclarations faites.
14 Cela n'empêchera nullement la défense, si telle est sa ligne de défense,
15 de dire que d'autres pays ont peut-être provoqué ce qui s'est passé en
16 Yougoslavie et nos demandes de constat judiciaire n'empêchent pas que la
17 défense ait recours à de tels arguments. Nous demandons que les points 3
18 à 5 fassent l'objet d'un constat judiciaire par vous, madame et
19 messieurs les Juges. Pour les points 6 et 7, nous nous engageons à
20 fournir des informations à la défense. Si le besoin s'en fait sentir,
21 nous pourrons peut-être vous soumettre de nouveaux arguments ou indiquer
22 qu'il y a eu accord entre les parties.
23 M. le Président (interprétation). - Qui va se charger de la présentation
24 des arguments de la défense ?
25 M. Vucicevic (interprétation). - Madame et messieurs les Juges,
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1 s'agissant des points 3 à 7, il n'y a pas que les dates auxquelles nous
2 nous opposons. En effet, si l'on estime que seules les dates pertinentes
3 seront admises, pourquoi y a-t-il cette suggestion de l'accusation ?
4 Parce qu'ils ne veulent pas le faire par le biais de leurs témoins
5 experts. S'il devait y avoir déposition des témoins experts sur des
6 actes purement politiques, nous aurions l'occasion de procéder au
7 contre-interrogatoire et de faire ressortir toutes ces questions qui
8 semblent accessoires et qu'on nous laisse, à vous et à nous, le soin
9 d'en décider. Comment parvenir à ces questions accessoires ?
10 Telle est bien la question qui se pose. C'est là-dessus que porte notre
11 objection. Que faudrait-il faire ? Faudrait-il avoir un témoin pour
12 remettre en question le fondement même, le côté légitime ou légal de
13 cette déclaration ? En effet, les demandes formulées par l'accusation en
14 matière de constat judiciaire ne portent pas sur les raisons des
15 événements ou les modalités de survenue de ces événements. Quel est le
16 type d'élément de preuve qu'il faudra avoir pour estimer qu'il y a bien
17 eu reconnaissance de la Bosnie-Herzégovine par la communauté européenne,
18 le 6 avril, ou pas et par les Etats-Unis, le 7 avril, ou pas ? Ce sont
19 bien sûr des questions importantes. Mais la question primordiale est :
20 qu'est-ce que qui a causé cette guerre civile en Bosnie ? Qui avait
21 suffisamment de connaissances, qui aurait dû avoir suffisamment de
22 connaissances pour agir ou ne pas agir ? Etaient-ce les gouvernements de
23 l'Union européenne, ou le gouvernement américain qui s'est précipité
24 dans des conclusions ? Etaient-ce des diplomates qui seraient
25 responsables, ou M. Kovacevic qui aurait planifié quoi que ce soit ?
Page 33
1 C'est la question qui est posée ici et que l'accusation essaie de
2 contourner. Nous voulons un procès sur des faits. Il ne faut pas que les
3 faits nous soient dérobés.
4 M. Cassese (interprétation). - J'aurais une question à vous poser,
5 maître Vucicevic. Vous contestez qu'il y a eu accession de la Bosnie à
6 la convention contre le génocide le 6 mars 1992. Lorsque l'on parle de
7 succession d'Etat dans le cadre d'une convention internationale, et le
8 fait d'avoir reconnu cette convention, est-ce là un effet juridique ?
9 Si cet effet juridique est bien connu, c'est parce que le dépositaire de
10 cette convention, à savoir les Nations Unies, ont bien fait connaître à
11 tout le monde le moment de la succession.
12 Nous savons tous que le Secrétaire général est le dépositaire de toutes
13 les conventions négociées et conclues au nom des Nations Unies. Il a
14 donc le droit de fournir à toutes personnes, même à un particulier ou à
15 toute entité, une information montrant quand il y a eu succession d'un
16 Etat par un autre Etat s'agissant d'un traité particulier. C'est donc un
17 fait juridique : la succession de la Bosnie-Herzégovine et l'accession
18 de la Bosnie-Herzégovine ou sa signature à la convention contre le
19 génocide. M. Vucicevic (interprétation). - Votre question va plus loin
20 que la requête de constat judiciaire formulée par l'accusation, si je la
21 comprends bien. Je suis fort satisfait que vous la posiez, monsieur le
22 Juge. Puis-je brièvement consulter Me D'Amato sur la question ? Il en sait
23 plus long que moi sur ce point.
24 M. Cassese (interprétation). - Avant de le faire, relisez le point 7 de
25 l'accusation où l'on dit : "La Bosnie-Herzégovine a accédé à cette
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1 convention sur le génocide, le 6 mars".
2 M. Vucicevic (interprétation). - Si on parle du point 3, la Bosnie-
3 Herzégovine a procédé à un acte illégal de sécession, de séparation.
4 M. D'Amato (interprétation).- Mauvais termes utilisés.
5 M. Vucicevic (interprétation). - Peut-être ai-je mal utilisé ce terme.
6 On parle de succession et non pas de sécession.
7 M. Cassese (interprétation). - De quoi parlez-vous ? Nous parlons de
8 choses différentes, c'est un fait juridique. Il suffit d'examiner les
9 documents pertinents des Nations Unies, documents officiels, et nous
10 sommes une émanation, un organe du Conseil de sécurité des Nations
11 Unies. Nous avons l'obligation de connaître les documents juridiquement
12 émis par les Nations Unies. Dans ces documents, vous trouverez ces
13 dates. Il y est dit que la Bosnie-Herzégovine a signé la convention sur
14 le génocide, et donc est liée par sa signature de ladite convention à
15 telle ou telle date, a souscrit à cette convention. Je ne vois pas
16 pourquoi il faut un constat judiciaire pour quelque chose que l'on
17 apprend à l'université.
18 M. Vucicevic (interprétation). - La raison de mon objection n'est pas de
19 savoir si c'est un fait juridique. C'est plutôt un prémisse, à savoir si
20 la Bosnie-Herzégovine, au titre de la Constitution de la Yougoslavie de
21 l'époque, était un organe légalement constitué.
22 Si le fait, qui est à la base de ce fait juridique, est illégal, cela
23 suffit-il pour faire du fait quelque chose de légal ? C'est là-dessus
24 que j'insiste. C'est la raison pour laquelle j'élève cette objection.
25 Vous avez tout à fait raison, monsieur le Juge mais je me penchais sur
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1 le fond. Il y a des spécialistes du droit pour voir si tels ou tels
2 actes de succession ou de division d'un pays sont des actes légitimes,
3 et s'il y a ultérieurement reconnaissance d'un pays, il y a des gens qui
4 se penchent sur la question de savoir si c'est un acte légitime au titre
5 des conventions internationales. Là, nous parlons du fond. Si vous dites
6 : "Voilà, nous allons faire fi de tout cela, uniquement pour s'occuper
7 de la forme", là, je serais d'accord avec vous. Mais il ne faut pas que
8 des règles sacro-saintes nous permettent de dissimuler des réalités qui
9 sont peu ragoûtantes.
10 M. Cassese (interprétation). - Je crois qu'il y a maldonne. Nous parlons
11 de succession d'Etat. Quoi qu'il en soit, puisque vous avez accepté le
12 point 1, à savoir que le crime de génocide est énoncé, non seulement
13 dans une règle du droit coutumier international, mais de surcroît dans
14 une règle péremptoire, j'en suis fort satisfait ; il importe peu de
15 savoir si la Bosnie-Herzégovine a souscrit à la convention puisque, de
16 toute façon, elle était liée par les règles relatives au génocide du
17 droit coutumier international.
18 Quant à savoir si elle était liée ou non par la convention sur le
19 génocide, peu importe puisqu'il y a les règles du droit coutumier
20 international qui s'appliquent. Vous êtes d'accord pour dire que cette
21 interdiction du génocide est reprise dans ces principes.Passons au point
22 4. Diriez-vous que le fait que la Bosnie-Herzégovine ait proclamé son
23 indépendance le 3 mars 1992 est un fait historique ?
24 M. Vucicevic (interprétation). - Je ne sais pas. Je lisais les journaux
25 à cette époque mais je n'en ai pas un souvenir parfaitement indépendant.
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1 Je me préparais au procès. Je n'ai pas pu consulter de vieux journaux de
2 l'époque pour le savoir. Je sais que cela s'est passé, cette
3 proclamation.Je me souviens d'un incident où un député américain est
4 venu à Chicago deux jours avant la reconnaissance du pays. Il est venu
5 nous dire : "Voilà, le président Bush va reconnaître la Bosnie. Il
6 fallait que vous le sachiez". Mais, pour moi, je ne sais pas si la
7 Bosnie a déclaré son indépendance un mois plutôt. Je ne peux pas marquer
8 mon accord là-dessus.
9 M. Cassese (interprétation). - Vous connaissez bien les archives Cases
10 ( ? ?). C'est un recueil d'archives de grande réputation, qu'on trouve
11 dans toute librairie spécialisée. Quand on voit les archives de
12 Keesing's, on y voit énoncé en tant que fait historique que la Bosnie-
13 Herzégovine a proclamé son indépendance. Non pas que je vous invite à
14 accepter cela comme étant un acte légitime, mais cela demeure un fait.
15 Politiquement, juridiquement, était-ce un fait erroné, c'est une autre
16 paire de manches.Je me demande aussi si le fait que la Communauté
17 européenne et les Nations Unies aient reconnu la Bosnie-Herzégovine,
18 pour vous ne sont pas là aussi simplement des faits dont il peut être
19 fait un constat judiciaire.
20 M. Vucicevic (interprétation). - Ce Tribunal, comme tout autre Tribunal au
21 monde, a pour obligation d'examiner les faits. C'est ce que je vous
22 demande de faire, Madame et Messieurs les Juges, car dire que tel ou tel
23 acte politique est davantage un fait qu'un autre fait soumis à votre
24 attention, c'est là une hypothèse que j'ai peine à accepter. Je me suis
25 sauvé du système politique il y a 25 ans et d'un système politique
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1 où il y avait ce type d'inférence dans l'air. J'ai abandonné la médecine
2 pour devenir avocat, métier auquel j'attache beaucoup de dévotion. Je
3 pense que l'examen des faits, c'est bien là la quintessence du procès.
4 Je vous remercie.
5 M. le Président (interprétation). - Nous allons faire le constat
6 judiciaire des éléments suivants. Les points 1 et 2 ne sont pas
7 contestés, constat judiciaire est donc dressé de ces points. Quant aux
8 points 3 à 5, nous nous proposons de dresser le constat judiciaire de
9 cette date, puisque ce sont des éléments de fait. Ce ne sont pas des
10 éléments contestés. Quant à la portée juridique de ces dates, de ces
11 événements, il est certain que cela ne peut se déterminer qu'au cours du
12 procès. Ces événements se sont produits à ces dates et nous prendrons
13 constat judiciaire de ces dates. S'agissant des points 6 et 7, afin
14 d'accélérer la procédure et de ne pas provoquer de retard abusif, nous
15 allons dresser constat judiciaire de ces points, mais sous réserve de ce
16 que l'accusation devra nous soumettre les documents pertinents. La
17 défense aura latitude de reposer la question après avoir vu les
18 documents, si elle désire le faire. Voici les éléments dont nous allons
19 dresser le constat judiciaire. Cela nous amène à la dernière requête de
20 cet après-midi, mais il se peut que cela nous amène plus tard que 16
21 heures, parce que je voulais suspendre dans un quart d'heure, à peu
22 près.
23 M. D'Amato (interprétation). - Point d'ordre. Je crois qu'il y avait
24 quelques questions supplémentaires jointes à la fin de ma réponse aux
25 mémoires de l'accusation. Je posais quelques questions à la Cour.
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1 M. le Président (interprétation). - Effectivement, mais je ne les oublie
2 pas. Nous allons y réfléchir et voir si nous pouvons les aborder demain.
3 Mme Hollis (interprétation). - Cela nous amène à la requête consacrée
4 aux admissions préalables au procès. Avant d'examiner les arguments,
5 avant de quitter la question du constat judiciaire, il serait utile
6 qu'une chronologie des événements nous soit proposée. L'expérience
7 semble montrer qu'un document de ce genre a son utilité pour trancher
8 telle ou telle question, une chronologie des événements les plus
9 saillants. L'accusation peut-elle nous fournir un tel document sous la
10 forme d'un mémoire préalable soumis à des exposés ? C'est une espèce
11 d'ossature qui nous serait utile pour suivre vos arguments.
12 Mme Hollis (interprétation). - Promis. Nous donnez-vous une date butoir
13 ou dans les meilleurs délais ?
14 M. le Président (interprétation). - Dans les meilleurs délais.
15 Mme Hollis - Merci, Monsieur le Président. M. le Président - Admission
16 préalable au procès. La requête et son annexe A nous précisent les documents
17 concernés. Un coup d'oeil rapide. Ils semblerait qu'il y ait plus de 300 de
18 ces documents. Si nous faisions droit à cette requête et si nous rendions
19 une ordonnance permettant l'admission de ces pièces au dossier, l'effet en
20 serait que vous ne devriez pas appeler de témoins permettant le
21 versement de ces pièces au dossier. Mais il nous reviendrait à nous,
22 Chambre de première instance, de déterminer l'importance et l'effet
23 d'une telle admission sans qu'il y ait de témoignages par lesquels ces
24 pièces sont introduites. Est-ce exact ?
25 Mme Hollis (interprétation). - Effectivement, il ne faudrait pas appeler
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1 à la barre des témoins qui pourraient attester de l'authenticité de ces
2 documents, puisque ceux-ci auraient été acceptés par la Chambre. Je
3 suppose que vous auriez beaucoup de témoins qui pourraient renvoyer aux
4 documents. Il ne serait pas exclu qu'il y ait des témoignages relatifs à
5 ces derniers, puisqu'ils auraient déjà été admis et, pour un grand
6 nombre d'entre eux, effectivement, nous n'aurions pas de témoins qui
7 viendraient en parler.
8 En réponse à ce que vous disiez, je me contenterai de dire ceci,
9 Monsieur le Président : la défense laissait entendre dans sa réponse que
10 cette question serait plutôt réglée plus tard, après qu'il y aurait eu
11 rencontre entre les deux parties et pour discuter de chacun des
12 documents.Et puis, si des documents n'étaient pas contestés,
13 effectivement, nous pourrions dire que nous sommes d'accord par
14 stipulation pour le versement de ces pièces. En revanche, s'il y avait
15 contestation, nous pourrions avoir une audience consacrée à des
16 arguments sur ces documents.
17 M. le Président (interprétation). - Cela me semble être une démarche
18 tout à fait raisonnable. Quand aviez-vous l'intention de discuter de ces
19 questions avec la défense ?
20 Mme Hollis (interprétation). - Tout dépend du calendrier que vous nous
21 réservez pour le procès. Ce serait bientôt, dans un avenir proche, que
22 nous pourrions nous rencontrer à cette fin. Je ne voulais pas leur
23 couper l'herbe sous le pied, mais ils ont dit dans leur réponse qu'ils
24 n'ont pas encore reçu tous les documents, alors que nous les avons
25 fournis soit le 28 février ou plus récemment le 20 avril. Je ne sais pas
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1 si la défense a déjà eu l'occasion de les recevoir et de les digérer,
2 c'est une autre question... Excusez-moi, je me suis trompé dans les
3 dates, c'était 28 janvier et 20 avril... Ce qui veut dire que la défense
4 a reçu ces documents, mais qu'elle ne les a peut-être pas tout à fait
5 digérés encore.
6 M. le Président (interprétation). - Vous semblez suggérer que nous ne
7 statuions pas sur cette requête aujourd'hui, mais que nous attendions
8 qu'il y ait rencontre entre les deux parties pour trouver une solution à
9 la question.
10 Mme Hollis (interprétation). - Je le dis, bien sûr, à l'appui de la
11 requête de la défense. Je pense que c'est bien ce qu'elle demande.
12 M. le Président (interprétation). - Cela me semble marqué au coin du bon
13 sens.
14 Y a-t-il quelqu'un de la défense qui veuille se prononcer sur cette
15 question ?
16 M. Vucicevic (interprétation). - Je suis tout à fait d'accord avec cette
17 suggestion formulée par Me Hollis, substitut principal. Je suis la
18 personne chargée de répondre. J'ai reçu les documents. J'ai lu tous les
19 documents qui nous ont été remis en janvier et février, avant même la
20 constitution de cette Chambre de première instance. Mais, à l'examen de
21 cette liste, je ne me suis pas souvenu de la moitié de ces documents.
22 Je crois avoir lu la moitié des déclarations préalables des témoins qui
23 nous ont été remises il y a environ trois semaines. C'est la raison pour
24 laquelle je dis que je ne les ai pas vues. Je ne dis pas que ces
25 documents n'ont pas été envoyés, ma mémoire me fait peut-être défaut.
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1 C'est la raison pour laquelle je suggérais la tenue d'une conférence
2 entre nous. Nous sommes d'accord sur la forme. Quant au fond, peut-on
3 admettre toutes ces pièces sans que la défense ait l'occasion de
4 procéder au contre-interrogatoire, pour contester non seulement la base,
5 mais aussi le fond. Qui a donné quel ordre ? Telle est la question.
6 Est-ce que la Chambre va devoir lire des centaines d'articles, des
7 mémorandum, alors que nous n'aurons pas l'occasion de contester la
8 pertinence de ce qui se trouve dans ces documents, alors aussi que la
9 charge est tout à fait spécifique, à savoir celle du génocide ?
10 Si maintenant nous devons faire du sur-mesure pour le versement de
11 pièces au dossier, il ne faut quand même pas oublier qu'il faut voir s'il y
12 a pertinence entre ces pièces et les charges retenues contre
13 l'accusé. Je m'attends à ce que cette réunion prévue entre les deux
14 parties donne des résultats. Mais je me souviens de certains articles.
15 Ils sont tellement éloignés des charges retenues contre mon client que
16 je doute de leur utilité.
17 M. le Président (interprétation). - Fort bien. Nous n'allons pas
18 statuer. Nous attendrons qu'il y ait une réunion entre les deux parties.
19 En tout cas, il faut que ce soit prévu 28 jours avant le procès.
20 M. Vucicevic (interprétation). - Pourrions-nous tenir cette réunion dans
21 les tout prochains jours ? En effet, nous avons prévu d'être ici cette
22 semaine pour le procès.
23 Nous avons reçu ces documents en janvier. Il s'agit d'une masse
24 considérable de documents. Mais puisque l'accusation connaît bien son
25 dossier, nous pourrions effectivement en faire une digestion rapidement.
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1 Nous ne voulons pas être débordés à la veille du procès. Nous pourrons
2 le faire dès maintenant. Je sais que les conditions sont aussi dures
3 pour l'accusation que pour la défense, mais nous pourrons peut-être
4 tirer le meilleur parti du temps qui nous est donné pour aborder cette
5 question.
6 M. le Président (interprétation). - Effectivement, cela semble aussi
7 tout à fait raisonnable. Vous pourrez peut-être avoir cette réunion dès
8 cette semaine.
9 Mme Hollis (interprétation). - J'y veillerai.
10 M. le Président (interprétation). - Nous pourrons rendre nos décisions
11 demain matin, mais il y a aussi des questions à aborder à huis clos. La
12 défense est-elle déjà en mesure de se prononcer sur les autres requêtes
13 qu'il faut aborder à huis clos ?
14 M. D'Amato (interprétation). - Effectivement, il y a d'autres questions
15 qu'il faudra voir demain.
16 M. le Président (interprétation). - Maître Keegan ou maître Hollis -je
17 ne sais pas qui s'occupe de cette question- Me D'Amato fait référence à
18 la question qu'il a soulevée en réponse aux mémoires préalables au
19 procès. Vous vous en souvenez sans doute.
20 Mme Hollis (interprétation). - En réponse aux mémoires préalables au
21 procès ?
22 M. le Président (interprétation). - Oui.
23 Mme Hollis (interprétation). - Nous allons bien sûr fournir des
24 commentaires; mais nous n'avons pas eu le temps d'étudier la question de
25 façon approfondie.
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1 M. le Président (interprétation). - Nous pourrions l'étudier demain
2 matin.
3 Mme Hollis (interprétation). - Pour autant que nous vous donnions nos
4 premières réflexions.
5 M. le Président (interprétation). - Ce serait utile. Après, nous aurons
6 la conférence de mise en état.
7 Nous allons commencer à 10 heures demain. Il faudra terminer, du moins
8 pour la matinée, à 12 heures 30 au plus tard.
9 L'audience est levée à 15 heures 45.
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