Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-97-24-T

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE

3 Mercredi 15 juillet 1998

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5 L'audience est ouverte à 9 heures 30.

6 (L'accusé est introduit dans la salle)

7 (Le témoin est introduit dans le prétoire).

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9 M. le Greffier (interprétation). – Bonjour, Madame et

10 Messieurs les Juges. Affaire n° IT-97-24-T, le Procureur contre

11 Milan Kovacevic.

12 M. le Président (interprétation). - Poursuivez, Maître Keegan.

13 M. Keegan (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

14 Puis-je d'abord vous remettre cette cassette et sa

15 transcription ? Il s'agira de la pièce P48, 48 A pour la cassette et 48 B

16 pour la transcription.

17 Je ferai remarquer que cette cassette contient plusieurs

18 séquences qui seront évoquées au cours de la déposition d'aujourd'hui.

19 Vous y trouverez également les réunions que le témoin a eues à Prijedor

20 avec le Dr. Kovacevic. La transcription que je vous remets est la

21 transcription des déclarations de l'accusé à différents endroits de la

22 cassette.

23 Monsieur Vulliamy, avant que nous ne commencions, j'aimerais

24 vous demander, au nom des interprètes, de ralentir quelque peu votre débit

25 ce matin.

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1 Hier, vous nous avez décrit le camp de Loznica et vous nous avez

2 dit comment vous aviez pu voir la ville dont venaient les personnes

3 détenues au camp, de l'autre côté de la frontière, la ville se trouvant en

4 Bosnie.

5 Pouvez-vous diffuser la première séquence ?

6 (La cassette est visionnée.)

7 Reconnaissez-vous ce bâtiment ?

8 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, c'est dans cette école de

9 Loznica que les personnes étaient détenues.

10 M. Keegan (interprétation). - Quelle est la prise de vue

11 réalisée par le cameraman ? Que nous montre t-il

12 M. Vulliamy (interprétation). - C'est la vue que l'on a depuis

13 l'école sur la frontière avec la Bosnie. Les collines que vous voyez à

14 l'arrière-plan sont en Bosnie et surplombent le village dont sont

15 originaires les détenus.

16 M. Keegan (interprétation). - Le jeune homme que l'on voit sur

17 cette vidéo, vous souvenez-vous de qui il s'agissait ?

18 M. Vulliamy (interprétation). - C'était une des personnes qui

19 avaient été déportées du village de Sepak lorsque l'on traverse la

20 frontière. Il avait été déporté vers Loznica.

21 M. Keegan (interprétation). - Sepak se trouve en

22 Bosnie-Herzégovine ?

23 M. Vulliamy (interprétation). - Oui.

24 M. Keegan (interprétation). - Et Loznica se trouve sur le

25 territoire de Serbie ?

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1 M. Vulliamy (interprétation). - Oui.

2 M. Keegan (interprétation). - Merci.

3 Peut-on arrêter la diffusion de la cassette ? Je ferai remarquer

4 que cet entretien avait été mené en anglais sur la cassette.

5 Après avoir été à Belgrade, où vous êtes-vous rendu après avoir

6 obtenu les laissez

7 passer nécessaires ?

8 M. Vulliamy (interprétation). - Après trois jours d'attente à

9 Belgrade, nous nous sommes rendus à Pale, la capitale des Serbes de Bosnie

10 près de Sarajevo.

11 M. Keegan (interprétation). - Comment êtes-vous allé à Pale ?

12 M. Vulliamy (interprétation). - Nous avons été transportés dans

13 un hélicoptère appartenant à la JNA. C'était un hélicoptère transporteur

14 de troupes.

15 M. Keegan (interprétation). - Savez-vous qui a organisé ce

16 transport en hélicoptère ?

17 M. Vulliamy (interprétation). - Il est difficile de le savoir,

18 mais je crois qu'il doit y avoir eu une intervention de M. Karadzic qui

19 était d'accord pour nous accueillir à notre arrivée, et je suppose aussi

20 grâce à la JNA qui a permis le transport en hélicoptère.

21 M. Keegan (interprétation). - Une fois arrivés à Pale, quel fut

22 le premier événement ?

23 M. Vulliamy (interprétation). - Nous avons d'abord été

24 accueillis par le Dr. Karadzic lui-même, car nous avions prévu une arrivée

25 à son siège, mais il nous a rencontrés dans la rue, à l'extérieur du

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1 siège. Nous avons eu une conversation avec lui. Je pense qu'une partie de

2 cette conversation a été filmée par ITN. Lorsque je parle de "nous", je

3 parle évidemment d'ITN et de moi-même.

4 M. Keegan (interprétation). - Peut-on diffuser la séquence

5 suivante ?

6 (La séquence est visionnée)

7 M. Keegan (interprétation). - Peut-on passer à l'extrait suivant

8 en avance rapide, jusqu'à cet extrait de l'entretien ?

9 Je vous remercie. Maintenant, vous pouvez faire défiler la

10 cassette à vitesse normale. Peut-on donner un peu plus de volume ?

11 (Interprétation de la cassette).

12 "Nous aimerions que vous voyiez quelles sont les conditions

13 réservées aux civils de Serbie à Tarsin à 20 kms de Sarajevo ; il y a plus

14 de trois Serbes qui sont détenus dans des conditions terribles, dans des

15 silos. Ce sont tous des civils. Vous verrez comment ceci se présente.

16 Puis, vous pourrez voir ce que vous voulez voir. Ce qui nous concerne, ce

17 qui nous inquiète, c'est que les Musulmans nous attribuent toute la

18 responsabilité, ils commettent des atrocités à l’égard d'étrangers afin

19 d’imputer leur responsabilité aux Serbes, ils cherchent à blâmer les

20 Serbes. Il faut que nous assurions votre sécurité absolue puis nous

21 aimerions vous montrer d'autres endroits".

22 M. Keegan (interprétation). - Monsieur Vulliamy, s’agissait-il

23 bien de cette conversation que vous avez eue avec M. Karadzic ?

24 M. Vulliamy (interprétation). - Oui. Il a dit plusieurs choses

25 en premier lieu, il nous a lancé un défi, il nous a dit : "Faites la même

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1 chose de l’autre côté que ce que vous avez fait ici ".

2 M. Keegan (interprétation). - Vous avez entendu dire qu’il

3 parlait d’endroits où étaient détenus des Serbes ?

4 M. Vulliamy (interprétation). - Il a dit une chose étrange, il a

5 dit avoir craint pour notre sécurité, que les Musulmans essaient de nous

6 tuer et attribuent leur responsabilité aux Serbes. Il disait là que

7 c'était quelque d'habituel. Ceci nous semble être une remarque assez

8 étrange, mais il nous a promis que nous pourrions nous déplacer là où nous

9 voulions.

10 M. Keegan (interprétation). - Plus tard, lorsque vous vous êtes

11 rendu dans la région du camp à Prijedor, est-ce qu'il y a eu un incident,

12 une attaque ?

13 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, juste au moment où nous

14 arrivions à Omarska, dans l’après-midi du jour suivant, il y a eu une

15 attaque menée contre le convoi, ou apparemment c'était une attaque.

16 Notre escorte nous a dit que c'étaient les Musulmans ou plutôt

17 comme ils l'ont dit les Mujahedins, qui ont attaqué à partir des bois,

18 mais nous nous sommes dit que ce n'était pas exact et je suis sûr que

19 c'était là aussi quelque chose qui n'était pas exact.

20 M. Keegan (interprétation). - Après ce déjeuner, vous êtes-vous

21 rendu en direction d'un des camps que les Serbes de Bosnie voulaient que

22 vous visitiez ?

23 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, nous sommes allés à Kula,

24 une prison juste à l’extérieur de Sarajevo, derrière les lignes serbes et

25 nous avons été emmenés pour voir les prisonniers.

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1 A propos de cette prison, le Dr Karadzic nous avait dit qu'elle

2 était réservée à des gens qui avaient assassiné des Serbes.

3 M. Keegan (interprétation). - Avez-vous eu l'occasion de vous

4 entretenir avec certains des détenus de ce camp ?

5 M. Vulliamy (interprétation). - Oui.

6 M. Keegan (interprétation). - Quels motifs ont-ils invoqué pour

7 leur détention ?

8 M. Vulliamy (interprétation). - Nous avons eu une certaine

9 liberté de parole, mais nos entretiens se sont quasiment toujours déroulés

10 en présence des gardes, parfois ils partaient pour quelques instants, mais

11 ils étaient en fait une monnaie d'échange au cours de cette guerre. Ils

12 attendaient un échange de prisonniers. Ils venaient d'une communauté

13 satellite à l'extérieur de Sarajevo qui s'appelle Hadzici.

14 D'abord ils avaient été transportés dans un complexe sportif où

15 ils ont dit avoir été maltraités, battus, mais ils se trouvaient alors

16 dans cette prison où les conditions étaient dures mais n'étaient pas

17 vraiment épouvantables, par exemple ils disposaient de lits.

18 Nous nous sommes entretenus avec eux, ils étaient assez

19 bouleversés, mais l’endroit en soi n'était pas si terrible.

20 M. Keegan (interprétation). - Quand avez-vous finalement

21 entrepris votre voyage

22 en direction de Prijedor ?

23 M. Vulliamy (interprétation). - Le lendemain matin. Nous nous

24 sommes arrêtés la nuit à Pale.

25 M. Keegan (interprétation). - Quelle route avez-vous empruntée

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1 pour aller à Prijedor ?

2 M. Vulliamy (interprétation). - Ce ne pouvait pas être un

3 déplacement direct étant donné la situation militaire qui prévalait. Nous

4 avons traversé la Bosnie orientale en direction d'une ville qui s'appelle

5 Bjeljina, puis nous avons emprunté ce couloir qui selon le Dr Karadzic

6 était assez sûr. Nous avons traversé la ville de Brcko et de là nous nous

7 sommes trouvés en territoire détenu par les Serbes, territoire assez sûr

8 pour nous, et nous sommes arrivés à Banja Luka cette nuit-là.

9 M. Keegan (interprétation). - Pourriez-vous nous décrire ce que

10 vous avez pu constater au cours de ce voyage ?

11 M. le Président (interprétation). - Un instant. Hier, la Chambre

12 face à une objection, avait dit que même si le témoignage de M. Vulliamy

13 est tout à fait utile, il nous parle de régions éloignées de Prijedor, il

14 nous parle de son séjour ; toutefois il y a des charges d’accusation

15 portées contre M. Kovacevic dans cette affaire qui ne concernent pas ces

16 autres endroits et ne concernent pas ces régions qu'a peut-être vues

17 M. Vulliamy juste après sa visite à Prijedor. Et je demande

18 respectueusement à la Cour de nous donner quelques directives et

19 d’éventuellement rappeler au Procureur qu'il doit passer à des sujets qui

20 sont plus pertinents, des régions géographiques plus pertinentes,

21 notamment la région de Prijedor.

22 (Les Juges se consultent sur le siège.)

23 M. le Président (interprétation). - Maître Keegan, nous allons

24 vous permettre de répondre mais nous avons étudié la question, je crois

25 que nous sommes au courant de vos arguments, de la nécessité d'apporter la

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1 preuve de plusieurs charges ; néanmoins nous avons

2 conclu qu'il ne serait pas très utile d'entendre une déposition relative à

3 ce qui s'est passé dans d'autres régions de l'ex-Yougoslavie au moment

4 concerné par les faits, même si l'époque est pertinente. Je vous

5 demanderai donc de bien sûr faire mention de telle ou telle étape dans ce

6 voyage, mais de le faire rapidement pour arriver le plus rapidement

7 possible à Prijedor.

8 M. Keegan (interprétation). - Eh bien, c'était bien notre

9 intention, Monsieur le Président. Nous pensons toutefois, sans avoir de

10 directives spécifiques sur... par exemple, la nature de la charge... de la

11 nature systématique des attaques généralisées à Prijedor ou pour

12 l'intention de commettre le génocide. Il est difficile de savoir quels

13 sont les critères à retenir et à respecter pour établir tout ceci.

14 M. le Président (interprétation). - Mais je suppose que vous

15 allez vous intéresser à des moyens d'évidence plus indirects.

16 M. Keegan (interprétation). - Effectivement, nous allons le

17 faire mais il y a aussi des liens directs qui s'établissent pour Prijedor,

18 ce que nous apporterons comme preuve par la suite à la fin du procès, mais

19 il y a également des éléments extérieurs à Prijedor qui sont aussi

20 importants et nous allons essayer de les présenter de la façon la plus

21 succincte possible.

22 M. le Président (interprétation). - Je vous ai dit d'entrée de

23 jeu que ce qui comptait, c’étaient les événements qui s'étaient déroulés à

24 Prijedor et ceux qui avaient eu un impact sur ces événements. Ceci reste

25 notre décision. Je vous demanderai de la respecter et si vous entreprenez

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1 ce voyage de M. Vulliamy, essayez de le parcourir le plus rapidement

2 possible.

3 M. Keegan (interprétation). - Je me conformerai à votre

4 décision.

5 Je crois que je vous avais demandé, Monsieur Vulliamy, ce qui

6 vous avait frappé au cours de ce voyage, lorsque vous avez traversé ces

7 régions ?

8 M. Vulliamy (interprétation). - Eh bien, c'était la destruction

9 effroyable dans la ville de Brcko, dont on nous a dit qu'elle était une

10 ville serbe détruite par les Croates ; maintenant je sais que ceci n'était

11 pas exact. Et c'est un schéma qui s'est répété tout au long du voyage

12 jusqu'à

13 Prijedor.

14 M. Keegan (interprétation). - Poursuivez, ou peut-être pouvons

15 nous voir la séquence suivante qui nous montre des bâtiments détruits.

16 Séquence qui commence au point 11-38 sur la cassette.

17 (La cassette est visionnée.)

18 Vous pouvez baisser le volume du son. Monsieur Vulliamy, est-ce

19 que ces images ont été filmées au cours du voyage que vous avez effectué

20 de Pale à Prijedor ?

21 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, et ceci vous montre le type

22 de destructions et de dégâts infligés aux habitations, aux immeubles tout

23 le long de la route. Une des choses bizarres qui m'ont frappé, c'est qu'il

24 arrivait de voir des rangées de maisons intactes, alors que soudain, juste

25 à côté de ces maisons, ou un peu plus loin le long de la route, on voyait

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1 des maisons brûlées, calcinées, ou des maisons qui avaient été frappées

2 par des rafales de coups de feu, qui présentaient de lourds dégâts.

3 Quelquefois, il y avait des groupes de bâtiments endommagés, des

4 maisons calcinées et puis il y avait à peine une ou deux maisons intactes,

5 parmi ce groupe de maisons détruites. C'était très bizarre, on voyait des

6 gens qui étendaient leur linge dans un jardin entouré de maisons

7 détruites, vision étrange qui s'est répétée tout au long du voyage que

8 nous menions de Banja Luka à Prijedor.

9 M. Keegan (interprétation). – Et ce que l’on voit maintenant,

10 est-ce bien là un exemple qui illustre vos propos ?

11 M. Vulliamy (interprétation). – Effectivement, vous avez des

12 maisons intactes, adjacentes à des maisons qui ont été mises à feu.

13 Quelquefois, c'était l'inverse : vous voyez toute une série de maisons

14 endommagées, suivies d’une intacte.

15 M. Keegan (interprétation). – Peut-on arrêter l'image ?

16 L'extrait suivant commence vers le point 13-30. Monsieur Vulliamy, vous

17 nous avez dit qu'au cours de ce voyage vous

18 menant de Pale à Banja Luka, vous aviez vu tout ceci. Combien de temps

19 avez-vous passé à Banja Luka ?

20 M. Vulliamy (interprétation). – Nous sommes arrivés assez tard

21 dans la soirée, le voyage fut long. Nous avons passé la nuit à Banja Luka

22 et le lendemain matin, très tôt, nous nous sommes mis en route. D'abord

23 nous avons eu un responsable militaire qui nous a rencontré à Banja Luka

24 et nous nous sommes mis en route pour aller à Prijedor.

25 M. Keegan (interprétation). – Vous souvenez-vous du nom de la

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1 personne qui vous a rencontré ?

2 M. Vulliamy (interprétation). – C'était M. Milutinovic, le

3 Major Milutinovic qui était, d’une façon ou d’une autre, le responsable

4 des relations ou des liaisons pour l'armée serbe à Banja Luka.

5 M. Keegan (interprétation). - Et il allait vous escorter jusqu’à

6 Prijedor ?

7 M. Vulliamy (interprétation). – C'est exact.

8 M. Keegan (interprétation). – Pouvez-vous arrêter le film un

9 instant ? Je vous remercie. Vous étiez donc en route vers Prijedor et

10 qu'est-ce qui vous a frappé sur ce tronçon du voyage ?

11 (Interruption par le Président.)

12 M. le Président (interprétation). – Oui, que se passe-t-il ?

13 M. Keegan (interprétation). – Si nous examinons la carte, nous

14 voyons Brcko, qui se trouve à droite, à l'est pardon et manifestement

15 M. Vulliamy vous a dit qu'il avait traversé cette région mais si l’on vous

16 montre des maisons détruites, il se peut que ces destructions ne soient

17 pas intervenues à Banja Luka. Il y en a eu d’autres, plus tard, notamment

18 à Sanski Most. Et je crois que ceci ne présente aucune pertinence face aux

19 charges retenues contre le Dr Kovacevic. Je comprends bien que ce film

20 nous montre ces dégâts subis par des maisons, mais ceci va peut-être, il

21 se peut que je ne comprenne pas les directives qui nous ont été

22 données par la Chambre, mais je ne vois pas pourquoi il est important de

23 montrer ce qu’il s’est passé à Banja Luka, dans une petite ville, dans une

24 région tout à fait circonscrite de Prijedor, alors que d'autres événements

25 nous intéressent.

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1 M. le Président (interprétation). – Est-ce que nous arrivons

2 finalement à Prijedor ce même jour ?

3 M. Keegan (interprétation). – Tout à fait. Cet extrait va

4 concerner la région qui se trouve entre Banja Luka et Prijedor. Nous

5 sommes en train d'arriver à Prijedor.

6 M. le Président (interprétation). – Allons y, allons y.

7 M. Keegan (interprétation). – Ma question était la suivante :

8 vous étiez en route de Banja Luka à Prijedor et y a-t-il des choses qui

9 vous ont frappé, tout au long de ce parcours ?

10 M. Vulliamy (interprétation). – D'abord les dégâts causés aux

11 maisons et la quantité de maisons brûlées, incendiées, pilonnées ayant

12 subi des explosions, et les choses s'aggravaient. Il y avait notamment un

13 hameau qui se trouvait sur la route principale et un village qui était

14 plutôt sur les coteaux des collines, vers la droite. Nous parlions à ce

15 moment-là avec le Major Milutinovic de l'histoire. Il nous parlait de

16 l'histoire du Mont Kozara.

17 Nous avons demandé quel était le nom de ce village que nous

18 traversions. C'était, m'a t-il dit, la ville de Kozarac qui est à quelques

19 kilomètres à peine à l'extérieur de Prijedor. Il était possible, même de

20 la route principale, de voir les dégâts considérables causés à Kozarac.

21 C'était vraiment considérable.

22 M. Keegan (interprétation). - Dans la première partie de votre

23 réponse, vous avez dit que l'état de description empirait au fil des

24 kilomètres ; avez-vous noté une différence entre la région qui se trouvait

25 juste à l'extérieur de Banja Luka et les régions que vous avez vues alors

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1 que vous approchiez de Prijedor ?

2 M. Keegan (interprétation). - Effectivement, il y avait les gens

3 qui se trouvaient

4 dans les champs, quelques maisons étaient encore intactes. Je me souviens

5 avoir demandé au Major Milutinovic si ces maisons intactes appartenaient à

6 des Serbes. Il n'a pas répondu. Il a marmonné quelque chose. Je me suis

7 dit que ce serait un faux pas si je répétais ma question. J'ai cru que

8 c'était une façon de dire oui pour lui.

9 M. Keegan (interprétation). - Dans la région de Banja Luka,

10 avez-vous constaté la destruction de maisons ?

11 M. Vulliamy (interprétation). - Pas tellement, rien qui soit de

12 l'ampleur de ce que nous avons vu à Kozarac.

13 M. Keegan (interprétation). - Est-ce que nous pouvons diffuser

14 l'extrait suivant ? Voulez-vous bien diffuser l'extrait suivant ?

15 (La cassette est visionnée).

16 M. Keegan (interprétation). - Sommes-nous en train de voir cette

17 région qui se trouve à proximité de Kozarac ?

18 M. Vulliamy (interprétation). - On y arrive effectivement.

19 M. Keegan (interprétation). - Vous avez fait état de personnes

20 qui étaient dans les champs. Avez-vous posé une question à ce propos au

21 Major Milutinovic ?

22 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, j'ai demandé qui c'était.

23 Il m'a répondu qu'il s'agissait pour certains de Serbes, il a aussi parlé

24 de Musulmans et de Croates qui avaient accepté le nouvel ordre installé.

25 Nous avons demandé où étaient partis les autres, il a répondu

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1 que 45 000 réfugiés avaient quitté la région. Franchement, je ne voulais

2 pas avoir une discussion avec lui sur l'identité de ces personnes, sur les

3 raisons de leur départ. Mon idée était d'arriver à Omarska. Je ne voyais

4 pas l'intérêt de le contre-interroger à ce moment-là. Nous nous sommes

5 contentés de parler d'histoire.

6 M. Keegan (interprétation). - Nous voyons maintenant un bâtiment

7 à l'image. Je

8 demanderai à la régie de diffuser le film.

9 Avez-vous appris à quoi servait ce bâtiment ?

10 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, j'ai appris par la suite

11 que c'était Keraterm qui se trouve au pourtour de Prijedor, mais c'est

12 seulement plus tard que j'ai appris cela. Plus exactement, au cours de

13 l'après-midi.

14 M. Keegan (interprétation). - Nous voyons maintenant un autre

15 bâtiment à l'écran, le reconnaissez-vous ?

16 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, c'est le poste de police de

17 Prijedor. Nous nous sommes arrêtés juste en face devant le centre civique.

18 Il est clair que notre attention s'est dirigée tout de suite sur cette

19 file de femmes qui attendaient devant le poste de police.

20 M. Keegan (interprétation). - Avez-vous eu l'occasion de vous

21 entretenir avec ces femmes ?

22 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, nous l'avons fait à ce

23 moment-là et plus tard aussi.

24 M. Keegan (interprétation). - Pourquoi faisaient-elles la file

25 devant le poste de police ?

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1 M. Vulliamy (interprétation). - Elles ont dit qu'elles tenaient

2 absolument à savoir ce qu'il était advenu des hommes qui avaient été

3 arrêtés. Leurs fils, leurs maris avaient été arrêtés, ces femmes voulaient

4 savoir où ces hommes se trouvaient. Plusieurs de ces femmes ont mentionné

5 le nom d'Omarska.

6 Une de ces femmes que j'ai interviewée devait faire un choix

7 difficile. En effet, alors qu'elles attendaient d'obtenir des

8 informations, elles devaient penser aussi à l'idée de quitter Prijedor.

9 Cette femme, à qui j'ai parlé, avait vu sa maison attaquée par coups de

10 feu ; des gens étaient entrés dans sa maison, avaient dérobé plusieurs de

11 ses biens. Contre un certain prix, elle pouvait la quitter. Elle ne savait

12 que faire. Devait-elle partir pour assurer sa propre sécurité, ou plutôt

13 rester dans l'espoir d'obtenir des nouvelles à propos de son mari dont

14 elle pensait qu'il se trouvait à Omarska ?

15 C'était là un récit tout à fait typique. D'autres récits de ce

16 genre furent fournis à d'autres journalistes que moi également.

17 M. Keegan (interprétation). - Que vous a dit le Major à propos

18 de Kozarac ? Vous a-t-il décrit ce qui pour lui constituait les grands

19 moments historiques de Kozarac ?

20 M. Vulliamy (interprétation). - Tout à fait. Cela s'est passé

21 avant notre arrivée à Prijedor. Nous étions toujours dans la voiture. Il

22 regardait du côté du Mont Kozara et nous racontait l'histoire du camp de

23 concentration de Jasenovac, lequel avait été établi dans les années 40 par

24 le gouvernement fantoche, proche des nazis dans le pays. C'étaient des

25 dissidents, des romanichels, des Juifs, des Serbes. Un grand nombre de

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1 Serbes avaient été détenus dans ce camp. Les personnes qui avaient attaqué

2 les Serbes à l'époque étaient des Croates venant de cette même région où

3 nous nous trouvions.

4 M. Keegan (interprétation). - Avez-vous posé une question à ce

5 Major à propos des camps que vous pouviez voir dans la région de

6 Prijedor ?

7 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, nous avons surtout parlé

8 d'Omarska et le Major tenait à ce que nous allions aussi à Manjaca, un

9 autre camp. Il nous a dit qu'il pourrait peut-être nous introduire dans ce

10 camp qui lui semblait intéressant ; camp dirigé par les militaires. Il y

11 avait des prisonniers de guerre à Manjaca, m'a t-il dit. Il nous a dit que

12 c'est là que nous allions. Je lui ai pourtant dit que le Dr. Karadzic nous

13 avait autorisé à aller à Omarska.

14 M. Keegan (interprétation). - L'extrait suivant se situe au

15 point 18.07. Une fois arrivé au poste de police, une fois entré dans ce

16 poste de police, que s'est-il passé ?

17 M. Vulliamy (interprétation). - Le Major Milutinovic nous a

18 amenés pour voir le chef de la police, M Simo Drljaca et pour rencontrer

19 deux autres personnalités, des dirigeants dont j'ai appris plus tard

20 qu'ils constituaient la cellule de crise.

21 M. Keegan (interprétation). - Et à qui avez-vous été présenté ?

22 M. Vulliamy (interprétation). - A M. Drljaca, au maire

23 Milomir Stakic, au maire-adjoint, Milan Kovacevic et nous avons également

24 été présentés à un homme que manifestement le colonel... le major

25 connaissait bien, il s'agissait de Vladimir Arsic qui était manifestement

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1 le commandant militaire de la région.

2 M. Keegan (interprétation). - Est-ce qu’on pourrait diffuser les

3 images à partir du début de la réunion ? Bien, arrêtez-vous là, merci.

4 Alors, s'agit-il là du début de la réunion que vous avez

5 décrite ? Veuillez faire une pause, s'il vous plaît, sur l'image.

6 Monsieur Vulliamy, pouvez-vous identifier les personnes que nous voyons à

7 l'écran, en commençant par la gauche ?

8 M. Vulliamy (interprétation). - Alors, à gauche il s'agit de

9 M. Stakic, le maire de Prijedor ; à côté de lui M. Kovacevic, qui a été

10 présenté comme étant son adjoint ; à côté de celui-ci, au milieu, le

11 colonel Vladimir Arsic, responsable de l’armée dans cette zone, et le

12 dernier homme à droite est Simo Drljaca, qui nous a été... qui s’est

13 présenté, plutôt, comme étant le chef de la police ; et à l’extrême-

14 droite, une... Mme Nada Balaban, qui a semblé servir d'interprète, porte-

15 parole, d'assistante pour cette personne.

16 M. Keegan (interprétation). - Pouvons-nous repasser la bande

17 magnétique ? Comment la réunion a commencé ?

18 M. Vulliamy (interprétation). - Cette réunion était très longue,

19 beaucoup plus longue que ce que nous avions prévu. Elle a commencé par des

20 remarque préliminaires, sans questions de notre part.

21 M. Keegan (interprétation). - Pause, s’il vous plaît.

22 M. Vulliamy (interprétation). - Donc des principaux

23 intervenants, M. Drljaca, Kovacevic, et puis brièvement Stakic, qui ont

24 fait des remarques introductives.

25 M. Keegan (interprétation). - Pouvez-vous faire passer la bande

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1 avec le son, s'il

2 vous plaît ? Là, vous avez une transcription.

3 (Interprétation de la cassette.)

4 " Donc vous avez une expérience de la communauté

5 internationale ; et la question que je pose, ce n'est pas à cause de la

6 propagande mais c'est à cause de... Et donc j'aimerais vous montrer une

7 vision tout à fait objective de la situation.

8 Il y a deux raisons pour lesquelles je suis en désaccord avec

9 votre visite : d'une part nous avons eu une expérience négative avec la

10 presse et bien sûr vous risquez votre vie, c’est la deuxième raison, parce

11 que vous vous trouvez dans une zone de guerre. Si vous avez le temps de

12 voir un film, il y a un film que nous avons préparé et qui vous permettra

13 sans doute de mieux comprendre la situation. Et ensuite nous pourrons

14 parler de ce que vous vous voulez.

15 Donc nous savons très bien ce que sont des camps de

16 concentration et nous savons mieux ce que sont les camps de concentration

17 que les anglais, car les gens ont entendu parler de camps de concentration

18 mais il n'y ont pas cru ... Ceux qui étaient chez nous avant 43, 45...Mais

19 nous savons qu'il y avait les camps de concentration et qu'un grand nombre

20 de personnes est passé par camps au cours de la deuxième guerre mondiale.

21 Vous pourrez constater qu'il n'y a pas de camps de concentration ici,

22 qu'il n'y a pas de camps de concentration ; il y a des camps de

23 transit... "

24 M. Keegan (interprétation). - Peut-on arrêter le défilement de

25 la bande ?

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1 Monsieur Vulliamy, au cours de cette réunion, avez-vous pu

2 former une opinion quant à savoir qui était responsable de la réunion ?

3 M. Vulliamy (interprétation). - Jusqu'ici la personne qui

4 s’exprime le plus, en tout cas jusqu'à ce point, le président ou la

5 personne faisant le plus de commentaires que j'ai considérés comme étant

6 des commentaires intéressants, car avant même que nous ayons posé des

7 questions, il nous a parlé de camps de concentration, et il nous a

8 expliqué que ce que nous allions voir ce n'était pas des camps de

9 concentration, mais des camps de transit. Il nous a parlé de l'incapacité

10 des renseignements britanniques d'identifier l'existence des camps de

11 concentration pendant la guerre, donc nous étions en dedans.

12 M. Keegan (interprétation). - Une partie de la réunion a donné

13 l’impression, au-delà du fait qu’il faisait cette remarque préliminaire,

14 qu'il avait la charge de la réunion.

15 M. Vulliamy (interprétation). - En tout cas qu'il avait la

16 charge et la maîtrise de la conversation. Il est évident que c'était lui

17 la personne clé, c’est lui qui a ouvert la réunion et c'est lui qui a

18 présidé.

19 M. Keegan (interprétation). - Avez-vous noté dans le film qu'il

20 contrôlait le déroulement de la réunion et, ce, à l’égard des autres

21 participants ?

22 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, à un moment où son patron,

23 le maire, M. Stakic, essaie de dire quelque chose, et il l'a fait taire,

24 donc il a donné son monologue.

25 M. Keegan (interprétation). - Vous avez indiqué qu'il l'a fait

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1 taire. Que l'avez-vous vu faire ?

2 M. Vulliamy (interprétation). - Il a simplement fait un signe de

3 la main sans même le regarder qui voulait dire manifestement : "tais-

4 toi ".

5 M. Keegan (interprétation). - A ce moment-là le maire,

6 M. Stakic, a immédiatement cessé de parler ?

7 M. Vulliamy (interprétation). - Oui.

8 M. Keegan (interprétation). - Après ces remarques

9 introductives...

10 M. le Président (interprétation). - Maître Keegan, avant que

11 nous ne continuions, j'aimerais soulever un point avec vous. La

12 transcription dont nous disposons consiste en une traduction de ce qu’a

13 dit l'accusé et de l’interprétation de ceci, telle qu'elle apparaît sur la

14 bande magnétique, sur la bande vidéo.

15 Il y a des écarts, des divergences à certains endroits entre ce

16 qui est indiqué ici comme étant les paroles de M. Kovacevic et la manière

17 dont l'interprète a procédé à

18 l'interprétation sur la bande vidéo.

19 Il est manifeste que nous, nous devons nous assurer de ce que

20 l'on a (inaudible) a dit l'accusé. Il faut qu'il y ait accord sur ce qui a

21 été dit. Nous apprécions fort bien votre effort, mais il est nécessaire

22 que l'on puisse tomber d'accord pour éviter tout désaccord ultérieur.

23 M. Keegan (interprétation). - En fait, il s'agit d'une

24 traduction définitive venant du service de traduction, et l'instruction

25 qu'on leur a donnée était simplement d'indiquer tout ce qui se trouvait

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1 sur la bande vidéo indépendamment de la langue.

2 Donc pour tous les termes qui peuvent être déchiffrés, vous

3 verrez ce qui figure sur la bande magnétique, tout ce qui est attribué est

4 la traduction officielle du service de traduction du Tribunal permanent

5 sur la base de ce qui a été dit lors de la réunion. Ensuite, ils

6 reprennent ce qui a été dit par les interprètes dans un sens et dans

7 l'autre.

8 Donc ce que vous voyez ici, ce sont deux transcriptions

9 différentes ou séparées de ce qui a été déclaré car il y avait

10 deux équipes de caméra, en fait, sur place. Il y a donc eu

11 deux enregistrements et la différence est simplement qu'une caméra a

12 commencé à tourner quelques secondes avant l'autre et a peut-être continué

13 à tourner un peu plus longtemps que l'autre.

14 Mais nous avons fourni la totalité de ce qui a été dit. Les

15 deux transcriptions vous ont été remises. Donc nous avons ce qui a été

16 rendu par les deux caméras, mais je vais, bien entendu, rencontrer la

17 défense pour déterminer avec celle-ci s'ils ont des questions en ce qui

18 concerne l'interprétation faite par le Tribunal.

19 M. le Président (interprétation). - Oui, j'aimerais

20 effectivement que la défense puisse avoir cette discussion. Je vous

21 remercie.

22 M. Keegan (interprétation). - Monsieur Vulliamy, après les

23 remarques préliminaires ou l'introduction, comment est-ce que la réunion a

24 continué ?

25 M. Vulliamy (interprétation). - Cela a duré. Le premier à

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1 s'exprimer après cela était

2 le colonel Arsic qui s'est exprimé longuement et a répondu à des

3 questions. Il voulait que nous allions à Manjaca, un autre camp proche. Il

4 nous a dit qu'il serait intéressant pour nous d’y aller, il nous a indiqué

5 que l’on y trouverait des prisonniers de guerre, qu'il avait toutes les

6 autorisations pour nous y emmener directement et que ceci serait très

7 intéressant pour nous.

8 Nous avons répondu : " Non, nous voulons aller à Omarska ". Il

9 nous a répondu qu’Omarska serait très ennuyeux pour nous parce que l'on

10 n'y trouvait que des réfugiés civils tandis que Manjaca serait beaucoup

11 plus intéressant. Mais nous ne voulions pas aller à Manjaca, nous avions

12 le sentiment qu'Omarska était l'endroit où il fallait nous rendre.

13 M. Keegan (interprétation). - Y avait-il d'autres raisons

14 objectifs vous poussant à ne pas vouloir aller à Manjaca ?

15 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, il y avait des raisons

16 professionnelles. Pour parler franchement, Manjaca avait déjà été

17 photographiée de l'extérieur. La Croix-Rouge internationale s’y était déjà

18 rendue, avait pénétré dans le camp, avait considéré qu'il s'agissait d'un

19 endroit assez épouvantable. Ils étaient très préoccupés par cela.

20 Excusez cet élément, car c'est un point à prendre en

21 considération. M. Goodmann de News Day, un journal rival, avait décidé de

22 s'y rendre et nous, nous avions le sentiment que si lui pouvait entrer à

23 Manjaca, nous, nous devions aller à Omarska. C'est une question de

24 rivalité entre journalistes. Mais de toute façon, nous voulions

25 initialement aller à Omarska et c’est là que nous voulions que l’on nous

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1 emmène.

2 M. Keegan (interprétation). - Après le segment avec le

3 colonel Arsic, votre séance de questions et réponses, comment sa

4 participation s'est terminée ?

5 M. Vulliamy (interprétation). - Au bout d'un certain temps, le

6 colonel Arsic a abandonné l'idée de Manjaca. Il a dit : "Moi, je ne peux

7 pas vous donner la permission d'aller à Omarska, si vous voulez vous

8 rendre à Omarska..." (Trnopolje avait déjà été mentionné dans ce cadre, il

9 a fait un geste à droite) "il faut que vous vous arrangiez avec ces

10 personnes-là car ce

11 sont elles qui sont chargées d'Omarska et Trnopolje".

12 M. Keegan (interprétation). - Qui était à sa droite ?

13 M. Vulliamy (interprétation). - Monsieur Kovacevic et M. Stakic.

14 Il a aussi dit qu'il faudrait que nous parlions à M. Drljaca, mais en fait

15 le geste qu'il a fait était orienté vers les deux premières personnes

16 citées.

17 M. Keegan (interprétation). - Comment la réunion s'est-elle

18 poursuivie ?

19 M. Vulliamy (interprétation). - Monsieur Stakic s'est exprimé

20 ensuite. Il nous a dressé un historique général de ce qui s'était produit

21 dans la région. Il nous a indiqué que ses autorités -les autorités qu'il

22 contrôlait- essayaient de faire la paix avec les Musulmans, qu'il n'y

23 trouvait aucun intérêt à faire la paix. Il nous a parlé de la situation à

24 Kozarac. Il nous a dit que 3 000 ou 3 500, je ne me souviens plus très

25 bien, armes avaient été découvertes à Kozarac et que ses forces en tout

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1 cas avaient le sentiment qu'elles étaient confrontées à une insurrection à

2 Kozarac. Il nous a dit que les personnes locales voulaient la paix, mais

3 que des extrémistes musulmans venus de l'extérieur jouaient le rôle

4 d'agitateur auprès de la population musulmane locale en vue d'une

5 insurrection. Il a décrit cette situation.

6 M. Keegan (interprétation). - Est-ce qu'il a spécifiquement

7 parlé de l'idée de se rendre à Omarska ? Lui avez-vous posé des questions

8 spécifiques sur les camps qui s'y trouvaient ?

9 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, c'est ce que nous avons

10 fait. Il n'a pas aimé le terme "camp". Il nous a dit qu'il ne s'agissait

11 pas de camps, mais de camps de transit. En fait, c'était une discussion à

12 bâtons rompus si vous voulez. Nous, on parlait de camps. Il a dit : "Ce

13 sont des centres de transit", à un moment, des points, des centres de tri.

14 A un moment, il a dit en fait que c'étaient des civils, que ce

15 n'était pas intéressant pour nous. En plus, il nous a dit que ce n'était

16 pas sûr, que nous ne serions pas en sécurité si nous voulions nous y

17 rendre.

18 M. Keegan (interprétation). - Qui a repris la discussion après

19 M. Stakic ? Qui a poursuivi ?

20 M. Keegan (interprétation). - Monsieur Kovacevic, alors nous

21 avons eu en fait notre discussion principale avec lui. Ce que j'ai trouvé

22 très intéressant, c'était précisément cette discussion car il nous a dit

23 qu'il était né à Jasenovac, le camp de concentration croate réservé aux

24 Serbes. Moi, je devenais très impatient dans toute cette discussion, mais

25 cela m'a réveillé car là c'était intéressant. Cet homme était intéressant,

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1 né dans un camp de concentration. C'était un peu bizarre de lui demander

2 d'aller voir un camp. Il venait de nous être présenté comme étant en fait

3 le responsable d'un camp.

4 J'ai même essayé d'avoir une conversation personnelle avec lui à

5 ce moment-là. Cela n'a pas été possible. Il nous a parlé de cela. Il nous

6 a dit : "Vous n'avez vraiment rien à nous dire, à nous, Serbes, au sujet

7 des camps, parce que moi, je suis né dans un camp". Moi, j'ai eu le

8 sentiment que c'était un argument valable. Cet homme m'a intéressé.

9 Ensuite, il a continué. Comme M. Stakic commençait à parler des

10 problèmes auxquels ses forces étaient confrontées, il a parlé des

11 atrocités qui avaient été commises contre les Serbes dans la région.

12 M. Keegan (interprétation). - A-t-il décrit, vous avez mentionné

13 certaines des atrocités commises contre les Serbes, a-t-il mentionné des

14 exemples spécifiques ?

15 M. Vulliamy (interprétation). - Il a dit que 20 Serbes avaient

16 été abattus dans un village proche, Hambarine, ou Hambaren, quelque chose

17 comme cela et que certaines de ces personnes avaient été tuées là par les

18 Musulmans. Il a dit, à un moment, que des bébés serbes avaient été cloués

19 à des croix et jetés à la rivière Drina avec les yeux arrachés.

20 M. Keegan (interprétation). - Avez-vous entendu des commentaires

21 similaires pendant le même voyage ?

22 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, le Dr. Karadzic avait dit

23 la même chose en ce qui concerne la rivière Drina, de l'autre côté, le

24 jour précédent et j'avais effectivement lu ceci. C'était donc une

25 allégation persistante.

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1 M. Keegan (interprétation). - Lorsque vous vous référez aux

2 observations faites par l'accusé, vous nous avez dit qu'il a indiqué qu'en

3 ce qui le concernait, il avait dit " des bébés serbes qui flottaient aussi

4 le long de la rivière Drina " ; vous nous avez dit que le Dr. Kovacevic

5 avait aussi parlé de l'Una. C'est le Dr. Karadzic qui a parlé de la Drina.

6 En ce qui concerne ces atrocités, comment est-ce que la

7 discussion a continué ?

8 M. Vulliamy (interprétation). - C'était avant d'aller à Omarska.

9 Le Dr. Kovacevic nous a dit qu'il était préoccupé par notre sécurité si

10 nous devions nous rendre à Omarska. A ce moment-là, je me souviens d'avoir

11 pensé la chose suivante : je me suis dit, "cela devient ridicule, à chaque

12 fois que l'on parle de Manjaca, on ne parle absolument pas de notre

13 sécurité, aucun problème, mais dès que l'on veut aller à Omarska, ils ne

14 peuvent pas assurer notre sécurité à cause des Musulmans".

15 Au plus, la conversation a duré, et plus notre impatience a

16 grandi, on est sans doute devenu beaucoup moins polis. On a dit, en fait :

17 "Ecoutez, on veut aller à Omarska. On va rester assis ici jusqu'à ce que

18 l'on ait la permission d'aller à Omarska".

19 La discussion est devenue moins polie, si vous voulez, moins

20 courtoise.

21 M. Keegan (interprétation). - On mentionne une vidéo sur

22 l'extrait que l'on vous a montré. Est-ce qu'ils vous ont montré une

23 vidéo ?

24 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, à un moment M. Stakic a

25 sorti une vidéo qu'il nous a montré pour nous donner un résumé de la

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1 situation locale.

2 M. Keegan (interprétation). - Quels sont les événements

3 significatifs sur la vidéo dont vous vous souvenez ?

4 M. Vulliamy (interprétation). - Je ne me souviens pas vraiment.

5 Je me souviens

6 d'une prise de vue qui montrait que l'on avait trouvé le Coran chez

7 quelqu'un, ce n'était pas très intéressant, des munitions chez quelqu'un

8 d'autre, peut-être plus intéressant. C'était en fait une caisse de

9 munitions JNA. C'est pourquoi, je m'en souviens, mais je dois dire que je

10 ne m'en souviens pas beaucoup. Toute l'idée de la vidéo, c'était qu'il y

11 avait une Djihad islamique en cours à Prijedor.

12 M. Keegan (interprétation). - Et après la vidéo, est-ce que la

13 discussion s'est orientée vers l'histoire de cette région et de ce qu'ils

14 étaient en train d'y réaliser ?

15 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, après la vidéo, nous avions

16 changé de place à ce moment-là et M. Kovacevic a sorti des cartes, une

17 carte, nous parlant de ce que les Serbes voulaient réaliser. Je me

18 souviens que c'était une carte de 1940 ou 1941, une carte que j'avais déjà

19 vue auparavant. Il nous a expliqué que les Serbes devaient se protéger

20 dans les territoires où ils vivaient. Le ton a progressivement changé.

21 A un moment, il s'est tourné vers nous. Il a dit : "Vous avez de

22 la chance d'être parmi nous à un grand moment de l'histoire des Serbes".

23 M. Keegan (interprétation). - Après cette leçon d'histoire et

24 les déclarations faites par l'accusé, avez-vous quitté la réunion ?

25 M. Vulliamy (interprétation). - On a continué à insister pour

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1 dire que l'on voulait à aller à Omarska. On nous a répondu que ce n'était

2 pas sûr. On nous a dit de quitter la pièce, puis de quitter l'immeuble et

3 d'attendre dehors, dans la rue.

4 M. Keegan (interprétation). - Pendant combien de temps pensez-

5 vous avoir dû attendre dehors ?

6 M. Vulliamy (interprétation). - Je crois que nous avons attendu

7 à peu près 20 minutes.

8 M. Keegan (interprétation). - Pendant cette période, avez-vous

9 eu des entretiens avec les femmes qui faisaient la file ?

10 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, nous attendions dehors.

11 L'équipe de prise de vue s'est rendue là et on a procédé à une entrevue.

12 M. Keegan (interprétation). - Au moment où vous avez formé un

13 convoi pour quitter cette zone, est-ce que quelqu'un a essayé de vous

14 rejoindre ?

15 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, oui. Ceci m'a irrité au

16 niveau professionnel. Quelqu'un, un collègue à moi, qui s'appelle Tim Juda

17 du Times de Londres, accompagné d'un collègue français, est arrivé. Nous

18 nous sommes salués. Pardonnez moi de faire rapport de cette conversation.

19 Il m'a dit : "Qu'est-ce que vous faites ? Nous, on a répondu : "On essaie

20 d'aller à Omarska". Lui a dit : "Tiens, moi aussi. Est-ce que cela vous

21 dérangerait que nous nous joignions à vous ?

22 Publiquement, je lui ai dit : "Mais, oui, bien sûr". En mon fort

23 intérieur, je me disais : "Mince, bon sang".

24 Ils ont essayé de rejoindre le convoi. On ne leur a pas permis

25 de le faire.

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1 M. Keegan (interprétation). - Qui les a empêchés de rejoindre le

2 convoi ?

3 M. Vulliamy (interprétation). - Les soldats, l'escorte.

4 M. Keegan (interprétation). - Est-ce que l'on a donné une raison

5 pour laquelle ils ne devaient pas rejoindre le convoi ?

6 M. Vulliamy (interprétation). - En fait, ils se sont mis

7 derrière nous et ils se sont fait exclure, les soldats leur ont demandé :

8 "Est-ce que vous faites partie du groupe de M. Karadzic ou est-ce que vous

9 avez été invités par M. Karadzic ?" Et Juda du Times a dit : "non", et le

10 soldat a dit : "Ah bon, et bien sortez du convoi, vous n'allez pas venir

11 avec nous ".

12 M. Keegan (interprétation). – L'extrait suivant, que nous allons

13 vous montrer commence à la marque 27-42. Pouvez-vous décrire de quoi était

14 composé ce convoi ?

15 M. Vulliamy (interprétation). – Eh bien, il y avait notre bus,

16 un bus militaire en fait dans lequel nous avons transité depuis Pale. Il y

17 avait aussi l'homme à tout faire d’ITN, de Belgrade qui était venu dans un

18 véhicule lui appartenant, un bus rouge et puis divers autres véhicules

19 appartenant aux autorités locales.

20 M. Keegan (interprétation). – A part l'équipe ITN, et vous-

21 même, quels autres représentants de la presse vous ont accompagnés ?

22 M. Vulliamy (interprétation). – Il y avait une autre équipe de

23 prise de vue. Il s'agissait d'une équipe de Pale qui nous avait accompagné

24 tout le long du chemin, il s'agissait de la télévision serbe bosniaque, et

25 qui, en fait, faisait un reportage sur nous, faisant un reportage sur les

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1 camps si vous pouvez croire cela.

2 M. Keegan (interprétation). – L’extrait que nous voulons se

3 trouve à 27-42, s'il vous plaît.

4 (La cassette est visionnée.)

5 Est-ce que vous pouvez faire avancer rapidement. Il y a erreur

6 de marquage, donc il s'agit de la partie quand on est déjà sur la route.

7 Je vous remercie.

8 Donc la caméra montre le convoi quittant Prijedor.

9 M. Vulliamy (interprétation). – Oui.

10 M. Keegan (interprétation). – Et pendant cette partie du voyage,

11 avez-vous été emmené directement à Omarska ?

12 M. Vulliamy (interprétation). – Non, non cela n'est pas le cas.

13 En fait, moi, j'étais plutôt inquiet lorsque nous avons passé devant le

14 croisement de la route menant à Omarska, peu après Prijedor. Donc, il y

15 avait un panneau indiquant Omarska à droite, et en fait nous n’avons pas

16 tourné à droite, et moi je savais qu'Omarska est à peu près à deux minutes

17 de là, suivant cette route mais nous avons continué tout droit et nous

18 avons pris un petit chemin poussiéreux, nous avons parcouru un labyrinthe

19 de petits chemins pendant un certain temps.

20 M. Keegan (interprétation). – Donc le segment vidéo que l’on

21 montre maintenant, pouvez-vous nous dire ce qu’il va se passer

22 maintenant ?

23 M. Vulliamy (interprétation). – Oui, je crois que ce qui va se

24 produire maintenant, c'est cette prétendue attaque du convoi par ce qu'on

25 nous a dit être des combattants musulmans dans les bois.

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1 M. Keegan (interprétation). – Et comment est-ce que cette

2 attaque s'est déroulée ? Qu’a fait l'escorte ?

3 M. Vulliamy (interprétation). – Eh bien, c'était assez peu

4 convaincant. Certains soldats sont sortis du véhicule, l'un s'est jeté

5 dans un fossé, je m'en souviens, et a attendu dans les buissons, un autre

6 courait sur le pont. Des coups ont été tirés pendant tout ce temps bien

7 sûr et le transport de troupes blindées que vous voyez à l'avant de la

8 colonne a tiré avec sa tourelle de mitrailleuse, donc il y a eu des coups

9 de feu mais pendant tout ce temps un des soldats qui était sorti était

10 tranquillement debout dans un champ.

11 M. Keegan (interprétation). – Et les véhicules sont restés sur

12 la route ?

13 M. Vulliamy (interprétation). – Oui, aucune consigne de nous

14 cacher, de nous abriter.

15 M. Keegan (interprétation). – Donc, voilà la scène que vous

16 venez de décrire, c’est cela ?

17 M. Vulliamy (interprétation). – Oui, effectivement je pense

18 qu'ils venaient de quitter le convoi.

19 M. Keegan (interprétation). – Avez-vous eu une conversation avec

20 M. Milutinovic, pendant ce temps ?

21 M. Vulliamy (interprétation). – Oui, en fait, Milutinovic nous a

22 dit que notre sécurité était en danger, que nous étions attaqués par des

23 Mujahedins, que nous ne devrions pas continuer.

24 M. Keegan (interprétation). – Est-ce qu’il a fait des références

25 spécifiques aux journalistes ?

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1 M. Vulliamy (interprétation). – Oui, un peu plus loin dans la

2 conversation, nous en avons parlé entre nous et certains membres de notre

3 groupe étaient très inquiets. L’un a dit : "Souvenez vous de ce qu'a dit

4 M. Karadzic, en ce qui concerne les Musulmans qui tirent sur les

5 journalistes et qui blâment les Serbes". Nous, on a dit que c'était plutôt

6 le contraire, alors si les Serbes abattent les journalistes et disent que

7 ce sont les Musulmans. Moi, je ne me sentais pas très prudent à ce moment-

8 là. J'étais fort contrarié et j'ai dit : "Cela c’est du cinéma, il faut

9 que l'on continue". Et à ce moment-là, le Major Milutinovic a dit : "Oui,

10 mais ils tirent et tuent les journalistes par là dans cette région, vous

11 savez". Et moi, d’ailleurs, d’une manière imprudente, j’ai tout simplement

12 dit : "Tout cela est ridicule, peut-on continuer ?"

13 M. Keegan (interprétation). – Et donc, vous vous êtes

14 orientés vers le camp ?

15 M. Vulliamy (interprétation). - Effectivement, cette escarmouche

16 a disparu tout à coup et nous avons poursuivi notre chemin.

17 M. Keegan (interprétation). - Est-ce que de là, vous êtes allés

18 directement au camp ?

19 M. Vulliamy (interprétation). - Non, nous nous sommes déplacés,

20 nous avons emprunté toutes ces routes secondaires et la veille, nous

21 avions vu certaines des maisons où des gens habitaient encore, et ces

22 maisons étaient... arboraient des éléments blancs, que ce soient des

23 draps, des drapeaux... J'ai demandé à Milutinovic ce que c'était que ces

24 maisons, et il m'a répondu que c'étaient des maisons de Croates ou de

25 Musulmans qui avaient accepté le nouvel ordre et sur ces routes

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1 secondaires en direction d’Omarska, il y avait beaucoup de ces maisons où

2 l'on avait pendu, tendu des taies d'oreiller ou des draps blancs, des

3 maisons ou des arbres. Et il nous a dit que là, que c'était quelque chose

4 d'un peu différent, que c'étaient des Musulmans ou des Croates qui

5 attendaient de partir.

6 M. Keegan (interprétation). - Pouvez-vous diffuser l’extrait

7 suivant ? Reprenez là

8 où vous aviez arrêté la bande.

9 (La vidéo est diffusée. )

10 M. Keegan (interprétation). - Je crois que là, on voit l’arrivée

11 du convoi au camp d’Omarska ?

12 M. Vulliamy (interprétation). - Effectivement, nous avons

13 franchi un portail, où nous sommes passés par une porte, portail arrière,

14 et je sais qu'il s'agit d'Omarska, un ancien complexe minier.

15 M. Keegan (interprétation). - Pourriez-vous revenir un peu en

16 arrière pour voir les trois hommes qui apparaissent à l'image ? Qui sont

17 ces trois personnes ?

18 M. Vulliamy (interprétation). - A gauche ; vous avez le

19 Major Milutinovic qui nous avait escortés depuis Banja Luka ; au milieu

20 c'est l'homme qui avait assisté à la réunion au poste de police, il s'agit

21 de Simo Drljaca, et à droite un autre homme qui nous a été présenté comme

22 étant le commandant du centre, comme ces personnes l’appelaient, un

23 certain M. Meakic.

24 M. Keegan (interprétation). - Pouvez-vous faire défiler

25 l'image ? (La vidéo est défilée.)

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1 M. Keegan (interprétation). - Après votre arrivée au camp, où

2 avez-vous d'abord été emmené ?

3 M. Vulliamy (interprétation). - Eh bien d'abord, nous avons

4 franchi le portail qui nous montrait où nous étions, à " Rudnik Omarska ",

5 la mine d'Omarska, et puis nous avons été dirigés vers une espèce de cour,

6 celle que l'on voit derrière le cameraman. Et depuis cette cour il était

7 possible de voir tout un nombre de bâtiments dont le plus important était

8 un bâtiment rouge qui ressemblait à un hangar, un entrepôt.

9 M. Keegan (interprétation). - A ce moment-là, avez-vous demandé

10 quelque chose à ces personnes qui vous avaient escorté jusqu'au camp, à

11 propos des prisonniers ?

12 M. Vulliamy (interprétation). - Eh bien, nous avons dit que nous

13 voulions tirer partie de la garantie qui nous avait été donnée par

14 Karadzic. Nous voulions avoir un libre accès au camp pour y parler avec

15 les prisonniers.

16 Au départ, on nous a dit que ces prisonniers ne voulaient pas

17 nous parler ; c'est du moins ce que Mme Balaban nous a dit, je crois

18 qu'elle était en train d'interpréter les instructions données par

19 quelqu'un d'autre.

20 M. Keegan (interprétation). - Et nous voyons une scène, à

21 l’écran. Où se déroule-t-elle ?

22 M. Vulliamy (interprétation). - Elle est ultérieure. Ce que nous

23 avons vu d'abord, c'était un groupe de quelque trente hommes qui étaient

24 en train de sortir de ce grand hangar. Ils étaient alignés en colonne par

25 des gardes armés et d'une façon qui avait manifestement bien été répétée.

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1 Ces hommes ont dû, et c'était assez ridicule finalement, ont été forcés à

2 parcourir en courant, en joggant, cette cour pour aller jusqu'au bâtiment,

3 jusqu'à la cantine.

4 M. Keegan (interprétation). - Voilà, arrêtez l'image. Nous

5 voyons ici Penny Marshal qui discute avec ces personnes attablées.

6 Qu'est-ce qui vous a le plus frappé dans ces conversations que vous avez

7 eues avec ce jeune homme ou ces jeunes hommes, lorsque vous avez posé des

8 questions à propos du camp ?

9 M. Vulliamy (interprétation). - Eh bien oui, on essayait de

10 poser ces questions à propos du camp du mieux que nous pouvions, alors que

11 ces hommes s'asseyaient pour manger. Ils avaient l'air d'être affamés, ces

12 hommes qui déjeunaient. Nous avons essayé de leur poser des questions à

13 propos des conditions qui prévalaient au camp. Cet homme m’a dit quelque

14 chose que je n'oublierai jamais : "Je ne veux pas vous dire de mensonges,

15 mais je ne peux pas vous dire la vérité", m’a-t-il dit.

16 M. Keegan (interprétation). - Faites défiler les images, s'il

17 vous plaît. Merci. Vous avez donc eu une discussion ici, à la cantine. Et

18 puis où vous êtes-vous rendu ?

19 M. Vulliamy (interprétation). - Nous avons passé un certain

20 temps à la cantine, à regarder les hommes s'aligner et aussi voir dans

21 quel état ils étaient, et ils étaient dans un tel état que nous

22 souhaitions absolument voir où ils dormaient, où ils avaient leurs

23 quartiers. Nous avons demandé à voir un de ces endroits, j'ai posé

24 plusieurs fois cette question, je voulais aller au hangar qui semblait

25 être le bâtiment d’où étaient venus ces hommes. Et on avait vu qu'ils

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1 avaient cligné des yeux au moment de sortir, donc ils devaient être dans

2 un endroit sombre. Mais l'autorisation ne nous avait pas encore été donnée

3 à ce moment-là, on nous a dit que nous pourrions y aller plus tard. En

4 lieu et place de cela, nous avons été emmenés à l'étage dans une partie

5 consacrée à des bureaux. Je crois que cette partie est juste au-dessus de

6 la cantine. Ou tout du moins à l'étage. Au-dessus de la cantine.

7 M. Keegan (interprétation). - Vous avez donc parlé à ces hommes

8 dans la cantine. Avez-vous plus tard retrouvé ces hommes au cours de vos

9 déplacements en Bosnie?

10 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, et c'est de cette façon-là

11 que nous avons pu mieux les interviewer par la suite plutôt qu'au camp

12 lui-même. Manifestement, ces hommes étaient à ce point terrifiés qu'ils

13 n'osaient pas parler, ils étaient toujours sous la surveillance des

14 gardes.

15 J'ai essayé de parler à un de ces hommes, il était blessé au

16 visage, à la joue, et je lui ai demandé d'où venait cette blessure ? Il

17 m'a répondu qu'il était tombé.

18 M. Keegan (interprétation). - Pourriez-vous arrêter le

19 défilement de l'image ?

20 (Le témoin poursuit).

21 M. Vulliamy (interprétation). - Je lui ai demandé s'il était

22 bien, il m'a répondu : " oui ". Mais trois ans plus tard, je l’ai retrouvé

23 dans une tranchée au front. Ce fut une rencontre extraordinaire. Il m'a

24 dit : "Moi, je vous connais". J’ai dit : "Non, je ne pense pas". Il était

25 deux fois plus gros qu'alors. Il m'a dit : "Vous souvenez-vous de cet

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1 homme qui avait une blessure au visage, eh bien c'était moi, je n'étais

2 pas tombé, j'avais été frappé, c’est de là que venait ma blessure, mais

3 vous ne pouviez pas voir le garde qui était derrière vous, M. le

4 journaliste, il était en train de me regarder ".

5 C'est à ce moment-là que j'ai compris qu'il avait été tout

6 particulièrement difficile pour ces hommes qui se trouvaient dans la

7 cantine de vraiment s’exprimer. Cela semble peut-être un peu bizarre, mais

8 leurs regards nous ont dévoilé quelques-unes des choses que nous voulions

9 savoir. Nous y avons lu de la crainte, de la terreur et nous avons vu

10 aussi comment ils étaient émaciés.

11 M. Keegan (interprétation). - Et de la cantine, où êtes vous

12 allé ?

13 M. Vulliamy (interprétation). - Puisque nous n'avions pas réussi

14 à aller là où nous voulions, à savoir dans le hangar, nous avons été

15 emmenés à l'étage dans un bureau, c'était la partie administrative du

16 bâtiment.

17 M. Keegan (interprétation). - Que s’est-il passé à cet étage

18 dans les bureaux ?

19 M. Vulliamy (interprétation). - Cela a été le deuxième briefing

20 assez long de la journée qui a eu lieu.

21 M. Keegan (interprétation). - Qui vous a donné ces

22 instructions ?

23 M. Vulliamy (interprétation). - Surtout par cet homme,

24 M. Simo Drljaca, le chef de la police que vous voyez à l'écran, qui nous

25 avait déjà adressé la parole au poste de police. Il y avait aussi son

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1 assistante, Mme Balaban.

2 M. Keegan (interprétation). - Pouvez-vous continuer la diffusion

3 de l'image ? Quelle était la nature de cet entretien, de ce briefing ?

4 M. Vulliamy (interprétation). - Il nous parlait de la procédure,

5 du rôle joué par le centre, comme il appelait cet endroit. Il nous disait

6 comment les internés -c'est ainsi qu'il les appelait- étaient ventilés en

7 catégories, étaient passés au peigne fin, sélectionnés et envoyés dans des

8 centres.

9 Ils étaient divisés en trois catégories. On nous a d'abord parlé

10 de la catégorie C, il

11 s'agissait d’hommes dont on soupçonnait qu'ils étaient des combattants

12 musulmans, mais s’ils estimaient que ces hommes n'étaient pas des

13 combattants musulmans, qu’ils pouvaient aller à Trnopolje.

14 Puis j'ai demandé ce qu'était la catégorie B. La réponse n'était

15 pas très claire, elle était un peu improvisée, mais il semblait que la

16 catégorie A en tout cas était réservée aux personnes qui étaient reconnues

17 coupables de se trouver dans la milice musulmane pour autant qu'il y en

18 est une. Cette catégorie B concernait des personnes qui avaient remis

19 leurs armes.

20 Enfin, moi je voulais surtout voir le camp ; toutes ces

21 catégories, ces détails ne m’intéressaient pas. J'ai consigné tout ceci

22 consciencieusement par écrit, mais je tenais absolument à réaliser

23 l'objectif de notre visite qui n'était pas de simplement écouter ces

24 deux personnes.

25 M. Keegan (interprétation). - Des questions concernaient les

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1 catégories de prisonniers, mais en sus de cela, avez-vous demandé s'il y

2 avait eu des visites autorisées pour le CICR par exemple, entre autres

3 organisation internationale ?

4 M. Vulliamy (interprétation). - Bien sûr, nous avons demandé si

5 le CICR avait l’autorisation de voir cet endroit, s’il devrait le voir.

6 Mme Balaban, qui je pense traduisait les propos de M. Drlajaca, a

7 répondu :"Mais bien sûr, cela va de soi, parce que si ce n’est pas un

8 camp, c’est un centre, ces organisations sont les bienvenues ici ". A un

9 autre moment de la conversation, elle a dit qu'il n'était pas nécessaire

10 que les organisations internationales viennent au camp puisque ce n’était

11 pas un camp, c’était un centre.

12 M. Keegan (interprétation). - Aviez-vous déjà eu, à ce moment-

13 là, des discussions avec des représentants du CICR avant de vous rendre

14 dans le camp d'Omarska ?

15 M. Vulliamy (interprétation). - C'était le cas de tout le monde,

16 mes collègues et moi. Nous nous étions entretenus avec le CICR qui

17 s'inquiétait depuis longtemps et très vivement d'Omarska, il avait essayé

18 de tenter toutes sortes de choses mais en vain pour entrer dans Omarska.

19 Le CICR n'avait toujours pas réussi à y entrer lorsque nous sommes arrivés

20 Omarska.

21 M. Keegan (interprétation). - Que s’est-il passé une fois que

22 vous avez quitté ce bureau ?

23 M. Vulliamy (interprétation). - Nous avons quitté ce bureau et

24 ce faisant nous avons dit que nous voulions parler à des prisonniers.

25 M Drlajaca leur dit : "Oui, c’est possible, en voici un". Ceci se passait

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1 dans le couloir à l'extérieur du bureau. Il nous a dit : "Vous pouvez

2 parler à cet homme qui est le chef du SDA, le parti musulman local". Je

3 crains avoir été peu courtois. J'ai dit : "Non, merci, je ne veux pas

4 interroger ou interviewer des gens que vous, vous me proposez surtout si

5 c'est quelqu'un qui vient d'un parti politique". Nous, nous nous étions

6 toujours convaincus que nous avions l'autorisation du Dr. Karadzic, que

7 nous avions le droit d'inspecter ce camp.

8 J'ai alors dit : "Non, moi, je ne veux pas interroger quelqu'un

9 que vous nommez vous-mêmes", soit il est trop terrifié pour dire quoique

10 ce soit, comme cela avait été le cas pour les hommes dans la cantine, ou

11 alors il va encore nous raconter des sornettes.

12 J'ai dit : "Merci, beaucoup, si vous le permettez, nous

13 choisirons nous-mêmes les hommes et les personnes que nous voulons

14 interviewer. Nous aimerions le faire dans les chambrées, dans les

15 quartiers où dorment les gens". C'est ce que nous avons voulu faire, car

16 nous voulions enfin inspecter ce camp.

17 M. Keegan (interprétation). - Pourriez-vous arrêter l'image ?

18 Vous êtes sorti de ce bâtiment. Vous vouliez aller vers les

19 quartiers dans les endroits où étaient logées ces personnes, est-ce que

20 vous avait eu cette autorisation ?

21 M. Vulliamy (interprétation). - Non.

22 M. Keegan (interprétation). - Et que vous a-t-on dit à propos de

23 votre visite au camp à ce moment-là ?

24 M. Vulliamy (interprétation). - Plusieurs choses nous ont été

25 dites, d'abord, on nous a dit qu'il n'était pas sûr pour nous d'aller là

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1 où les détenus dormaient. Excusez-moi de revenir un peu en arrière et

2 interrompez moi si ceci n'a aucun intérêt. Mais alors que nous étions

3 encore dans le bureau, une autre de ces batailles s'était déclenchée à

4 l'extérieur. Il y avait des coups de feu échangés dans les bois. J'étais

5 d'assez mauvaise humeur, je pense, à ce moment-là et je disais à mes

6 collègues : "Ne faites pas attention à cette bataille, car cela n'a aucun

7 sens", mais la télévision serbe de Bosnie interviewait Drljaca, elle

8 disait : "Attention, il y a un danger ici".

9 Au moment où nous sommes arrivés en bas, dans la cour, on nous a

10 dit : "Il est peu sûr que vous restiez ici". Alors, on a dit en guise de

11 boutade : "Mais de toutes façons, puisqu'ils tirent dans les bois, il n'y

12 a pas de danger ici". Pourtant, on nous a dit que, si, il y avait un

13 danger pour nous.

14 Puis à un moment donné, William et moi, nous nous sommes mis à

15 marcher en direction des bâtiments pour voir ce qui se passait. Aussitôt,

16 quelques gardes ont essayé de se déplacer pour nous arrêter. Nous nous

17 sommes dit que ce n'était pas le bon chemin à emprunter. Je crois que

18 quelqu'un a tiré la sûreté de son fusil. Nous avons essayé de discuter

19 avec Balaban qui nous a dit, que ce n'était pas possible, invoquant la

20 sécurité, mais le protocole aussi et nous avons dit : "Mais, écoutez nous

21 pouvons voir ce camp".

22 Nous avons essayé de répéter que c'était une garantie qui nous

23 avait été donnée par Karadzic. A un moment donné, elle nous a dit que non,

24 les instructions qu'il nous a données sont différentes. Il nous a dit que

25 vous pouviez voir telles ou telles choses, mais pas d'autres.

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1 Apparemment, les instructions qu'il nous avait données, les

2 assurances qu'il nous avait données étaient différentes des instructions

3 qu'il avait données aux autorités de Prijedor quant à ce que nous pouvions

4 faire et ne pouvions pas faire.

5 Cette discussion s'est poursuivie dans la cour adjacente à la

6 cantine qui se trouve

7 devant ce hangar et elle a duré un certain temps.

8 M. Keegan (interprétation). - Pourriez-vous diffuser le reste de

9 cet extrait ?

10 (L'extrait est visionné)

11 M. Keegan (interprétation). - Est-ce bien cet extrait dont vous

12 venez de parler ?

13 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, ce sont les deux gardes qui

14 se sont déplacés au moment où nous voulions marcher dans la direction du

15 hangar. A droite, à l'image, vous voyez E.N. William, reporter d'ITN et

16 son interprète en jeans et lunettes solaires, puis vous avez M. Drljaca.

17 M. Keegan (interprétation). - Après que cette conversation a eu

18 lieu, où fut évoqué le protocole à respecter pour cette visite, est-ce que

19 vous avez quitté le camp ?

20 M. Ostojic (interprétation). - Excusez-moi,

21 Monsieur le Président, mais la question présuppose que nous avons entendu

22 une conversation. Or, je ne dispose pas de la traduction. Nous n'avons pas

23 non plus entendu la bande son. Je crois que ce serait important puisque le

24 témoin a donné une description précise de la conversation qu'il a eue avec

25 Mme Balaban. Maintenant, le Procureur nous parle de ce qui s'est passé

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1 après la conversation. Je pense qu'il serait intéressant pour tous les

2 participants d'entendre cette bande son.

3 M. le Président (interprétation) - Oui, il n'y a pas que la

4 question de l'intérêt. Il y a aussi la question de la pertinence.

5 Effectivement, le témoin a évoqué cette conversation et la question du

6 protocole, je suppose que c'est la raison pour laquelle, Me Keegan a

7 formulé sa question comme il l'a fait.

8 Maître Keegan, pour accélérer le processus, je suppose que vous

9 ne nous diffusez pas la bande son non plus ?

10 M. Keegan (interprétation). - C'est exact, mais si vous voulez

11 que nous diffusions la bande son, nous sommes tout à fait ravis de le

12 faire. Vous verrez qu'il y a des différences dans les instructions

13 fournies aux journalistes et celles fournies aux autorités du camp de

14 Prijedor.

15 M. le Président (interprétation) - Tout ceci figure dans la

16 cassette, eh bien, entendons la bande son sans oublier bien sûr que nous

17 allons avoir une pause vers 11 heures.

18 (La cassette est visionnée et interprétée.)

19 "Est-ce que nous allons à Trnopolje ou à Banja Luka ?

20 Je vais vous dire quelque chose, je vous ai expliqué que nous

21 allions vous montrer telle ou telle chose mais que certaines choses ne

22 peuvent pas être montrées. Il y a des installations, des services

23 sanitaires, médicaux, où vous avez toute liberté de vous entretenir avec

24 eux.

25 La question du journaliste : Pourquoi ne remplissez-vous pas la

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1 promesse qui nous a été faite par le Dr. Karadzic ?

2 Mme Balaban : A nous, il nous a dit, vous pouvez faire telle ou

3 telle chose d'après le protocole, vous êtes censé rester ici, c’est à peu

4 près tout. Je suis désolée.

5 Le journaliste : Donc, il vous a dit que nous ne pouvions pas

6 voir l’essentiel de ce camp.

7 Mme Balaban : Je vous dis exactement quelles sont nos

8 instructions. Nous allons maintenant à Trnopolje "

9 M. le Président (interprétation). - Est-il possible de diffuser

10 le reste de l'extrait ?

11 (cassette vidéo.)

12 "Il y a des raisons de sécurité.

13 Un des militaires dit : Allons à Trnopolje.

14 Mme Balaban : J’essaie de faire de mon mieux.

15 Drljaca : Je ne sais pas ce qu’ils veulent ici. Ils n’ont pas

16 passé plus de temps dans aucun des autres centres.

17 Mme Balaban : Il y a un horaire qui est prévu pour votre visite

18 10 minutes,

19 11 minutes.

20 Drljaca : Dites-leur de partir, parce que s’ils restent ici,

21 nous ne serons plus en sécurité. On tire des coups de feu tout autour,

22 c'est une guerre qui fait rage ici.

23 Le journaliste : Pourquoi est-ce qu'on ne peut pas encore passer

24 cinq minutes ici. Pourquoi est-ce qu'on nous laisse passer 5 minutes à

25 regarder ce bâtiment ?

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1 Mme Balaban : Désolée, mais ce ne sont pas les instructions que

2 nous avons reçues. C'est bien le protocole prévu pour cette visite. C'est

3 tout "

4 M. Keegan (interprétation). – Vous pouvez arrêter la diffusion

5 de la cassette.

6 M. le Président (interprétation). – Effectivement, la partie

7 suivante concerne le déplacement à Trnopolje. Le moment est peut-être bien

8 venu de faire la pause.

9 M. le Président (interprétation). – Fort bien. Nous suspendons

10 l'audience pour 20 minutes.

11 (L'audience, suspendue à 11 h., est reprise à 11 h 20).

12 M. le Président (interprétation). - Allez-y, Maître Keegan.

13 M. Keegan (interprétation). - Où a-t-on emmené votre groupe

14 après votre départ d'Omarska ?

15 M. Vulliamy (interprétation). - Nous avons continué en convoi.

16 Dans la presse le sentiment d'urgence et d'insécurité s'était évaporé et

17 nous avons poursuivi jusqu'à un autre camp, celui de Trnopolje.

18 M. Keegan (interprétation). - Pouvons-nous reprendre l'extrait

19 là où nous en étions restés tout à l'heure ?

20 (Cassette vidéo).

21 M. Keegan (interprétation). - Comment avez-vous pu pénétrer dans

22 le camp de

23 Trnopolje partant de cette exposition, expliquez-nous cela ?

24 M. Vulliamy (interprétation). - Eh bien nous nous dirigeons vers

25 celui-ci et Penny Marshal qui est journaliste de télévision et que vous

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1 avez vue tout à l'heure était dans le minibus devant nous, et nous avons

2 découvert cette situation extraordinaire. Son minibus rouge s'est

3 immédiatement garé, elle est sortie quelque secondes. Nous, nous avons

4 fait de même, je crois que nous sommes sortis du minibus avant même que

5 celui-ci se soit arrêté, nous nous sommes précipités.

6 M. Keegan (interprétation). - Faites une pause en vidéo.

7 Vous nous avez indiqué tout à l'heure que l’équipe télé d’ITN

8 avait un véhicule à elle ?

9 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, c'est exact. Le bus

10 militaire avait été rejoint par un de leurs véhicules techniques.

11 M. Keegan (interprétation). - Dans quel véhicule vous

12 trouviez-vous ?

13 M. Vulliamy (interprétation). - J'étais dans le

14 deuxième véhicule derrière, avec notre équipe.

15 M. Keegan (interprétation). - Lorsque vous vous êtes approché de

16 ce qui s'est avéré être le camp de Trnopolje, quelle a été la succession

17 d'événements qui a fait que les journalistes sont venus filmer cette scène

18 que nous venons de voir.

19 M. Vulliamy (interprétation). - Nous arrivions vers le camp.

20 C’était, en fait, la première chose que l’on voyait à gauche. Le véhicule

21 de Penny s’est arrêté. Elle est sortie, elle s'est dirigée vers ce groupe

22 d'hommes. Certains étaient dans un état déplorable, très émaciés,

23 s'appuyant sur les barbelés. J'ai dit à notre bus de s'arrêter, il l’a

24 fait.

25 M. Keegan (interprétation). - Le bus dans lequel se trouvait

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1 Penny s’est arrêté sans que l’escorte ou que les autorités ne s'arrêtent ?

2 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, effectivement, je pense

3 qu'un des véhicules

4 d'escorte a continué d'ailleurs et a dû faire marche-arrière parce que je

5 pense qu'il n'était pas prévu que nous nous arrêtons-là. Le projet était

6 probablement de nous faire passer devant cet enclos pour aller dans une

7 autre partie du camp, mais le bus de Penny s’est arrêté pour des raisons

8 évidentes, dès qu'elle a constaté ce que nous avons vu sur la pellicule et

9 elle s’est dirigée vers cet enclos.

10 M. Keegan (interprétation). - Comment avez-vous pu sortir du bus

11 militaire dans lequel vous vous trouviez pour rejoindre cette équipe ?

12 M. Vulliamy (interprétation). - Notre bus se trouvait juste

13 derrière Penny, il s’est garé derrière, la porte était ouverte parce qu’il

14 faisait chaud et nous nous sommes précipités.

15 M. Keegan (interprétation). - Est-ce que l'équipe de la

16 télévision serbe vous a rattrapé aussi ?

17 M. Vulliamy (interprétation). - Je ne me souviens pas très bien

18 de ce qu’a fait l’équipe de télévision serbe à ce moment-là, mais ils nous

19 ont rejoints après, effectivement.

20 M. Keegan (interprétation). - Une fois que vous êtes arrivé dans

21 la zone du camp, comment le processus d'entretien et la visite du camp se

22 sont-ils déroulées ?

23 M. Vulliamy (interprétation). - Nous avons commencé nos

24 conversations avec les prisonniers qui se trouvaient de l’autre côté de la

25 clôture. C'était une vision extraordinaire. Ils nous disaient aussi des

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1 choses extraordinaires. Nous avons eu un entretien avec l’homme que vous

2 avez vu, qui serrait la main à Penny, il s'appelait Fikret Alic, nous

3 avons commencé notre conversation avec lui et un autre prisonnier dont le

4 nom était, je crois, Icic. Il a été fait allusion à un lieu dont je

5 n’avais pas entendu parler : Keraterm, d'où ils étaient arrivés le matin

6 même, nous ont-ils dit. Ils nous ont dit que les conditions là-bas étaient

7 bien pires qu'ici.

8 M. Keegan (interprétation). - Quand vous dites : ici ?

9 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, il s’agit de Trnopolje.

10 M. Alic et M. Icic ont parlé tous les deux de massacres de grand nombre

11 d’hommes à Keraterm ; on a parlé aussi d'un

12 massacre de 150 hommes en une seule nuit. On en avait la tête qui tournait

13 face à cette vision tout à fait remarquable, ce groupe d’hommes devant

14 nous qui nous parlaient d'un autre lieu. Nous avons d'abord eu ces

15 entretiens le long de la clôture et des barbelés que vous avez vus.

16 M. Keegan (interprétation). - Avez-vous ensuite eu une visite

17 guidée du camp par un garde ?

18 M. Vulliamy (interprétation). - Oui. En premier lieu, nous nous

19 sommes rendus dans différentes parties du camp. Nous avons eu des

20 entretiens le long d'une autre clôture avec d'autres prisonniers, ensuite,

21 j'ai réussi à échapper à la surveillance des gardiens, ce qui était plus

22 facile à Trnopolje qu’à Omarska et je suis entré dans l'enclos principal,

23 donc par l'arrière de ce que vous avez vu sur image, où un homme qui

24 s'appelait Ibrahim, qui était un des détenus du camp, et lui m'a montré le

25 camp. Les conditions étaient épouvantables, bien que rien là n'était aussi

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1 grave que ce que je sais qui s'est passé à Omarska, mais les latrines

2 était ouvertes, il s'agissait de classes d’école, on voyait un grand

3 nombre de personnes entassées, j'ai entendu différents témoignages que

4 j'ai rédigés.

5 M. Keegan (interprétation). - Avez-vous demandé à certains des

6 prisonniers ce qu'ils pensaient de ce camp, comparé à Omarska ?

7 M. Vulliamy (interprétation). - Oui. Certaines personnes

8 venaient d'Omarska et de Keraterm dans l'enclos où nous nous sommes

9 trouvés en premier lieu ; ils nous ont dit que les conditions à Omarska et

10 Keraterm était pires, plus effrayantes, plus dangereuses que cet endroit,

11 Trnopolje.

12 M. Keegan (interprétation). - Est-ce que certains prisonniers

13 vous ont parlé des femmes, par rapport à Trnopolje ?

14 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, et là je dois dire que j'ai

15 eu une défaillance professionnelle car on nous a indiqué clairement, dans

16 les récits que nous avons entendus, que l'on abusait des femmes d'une

17 manière ou d'une autre. Ibrahim a dit : " Oui, ils sont très durs

18 avec les femmes ou avec les filles. " Il y avait l'histoire d'une jeune

19 femme qui s'était vu arracher une chaînette en or, et que l'on avait... à

20 qui l’on avait fait des avances sexuelles... Mais pas seulement moi,

21 d'ailleurs, les femmes de l'équipe aussi, de notre équipe aussi.

22 En fait nous avons tous été lents à saisir ce dont il

23 retournait ; nous essayions à ce moment-là de nous faire une idée

24 rationnelle de ce que nous venions de découvrir, de constater et en fait

25 on aurait pu conclure qu'il y avait des avances sexuelles. En fait les

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1 gens parlaient en termes généraux, ils disaient : " Ils font de nous ce

2 qu’ils veulent. ". Ils s'exprimaient de cette façon. Et au début donc de

3 ce conflit, on décodait moins bien ce genre de langage.

4 M. Keegan (interprétation). - Est-ce que Fikret Alic, Ibrahim et

5 les autres personnes que vous avez rencontrées faisaient partie d'un

6 groupe ethnique dont vous étiez conscient ?

7 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, ils étaient pratiquement

8 tous exclusivement Musulmans, quelques Croates parmi eux aussi.

9 M. Keegan (interprétation). - Et toutes les autorités qui ont

10 accompagné votre groupe et les gardiens, leur avez-vous posé des questions

11 concernant leur appartenance ethnique ?

12 M. Keegan (interprétation). - Il s'agissait intégralement de

13 Serbes mais on n'a pas demandé à chacun d'entre eux, on l'a conclu.

14 M. Keegan (interprétation). - Avez-vous demandé aux prisonniers

15 dans le camp comment ils étaient arrivés à ce camp ?

16 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, effectivement. En fait, ils

17 venaient de différents endroits et pour des raisons différentes,

18 d'ailleurs certains, comme je l’ai dit, étaient venus directement

19 d'Omarska et Trnopolje, d'autres dans d’autres parties du camp, étaient

20 venus volontairement, et la raison qu'ils ont donné à cela c'est qu'en

21 fait leurs maisons étaient soit soumises à des pilonnages d'artillerie ou

22 avaient été brûlées, et le sentiment était qu'ils se

23 sentaient plus en sécurité en grand nombre dans cet endroit, sécurité qui

24 n'existait pas près de leurs foyers qui avaient été attaqués. D'autres

25 avaient été soit transportés soit transités à pied jusqu'à Trnopolje.

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1 M. Keegan (interprétation). - Avez-vous eu l'occasion de visiter

2 ce à quoi on faisait référence comme étant le dispensaire médical dans le

3 camp ?

4 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, effectivement. Il y avait

5 un dispensaire ad hoc avec un médecin musulman qui était lui-même, je

6 suppose, partiellement détenu, partiellement médecin, avec quelques

7 assistants. C'était vraiment très improvisé : quelques médicaments ici et

8 là, température très élevée, et en fait cet homme était vraiment très

9 surmené et manifestement pas libre de parler.

10 M. Keegan (interprétation). - Pouvez-vous poursuivre le

11 visionnage ?

12 (Cassette vidéo.)

13 Donc, ce que nous voyons, Monsieur Vulliamy, c'est encore une

14 fois une pellicule prise ce jour-là, pendant que vous vous trouviez au

15 camp de Trnopolje ? Dans vos discussions avec le médecin dans le camp,

16 avez-vous demandé s'il y avait eu des mauvais traitements, des passages à

17 tabac ?

18 M. Vulliamy (interprétation). – Oui, Penny Marschal faisait

19 l'interview pour des raisons professionnelles. Il faut qu'elle parle dans

20 la caméra elle parlait de passages à tabac, de mauvais traitement et le

21 médecin a répondu si je me souviens bien plus par des gestes que par des

22 paroles, il a suggéré effectivement qu'il avait à traiter des cas de

23 mauvais traitements, oui.

24 M. Keegan (interprétation). - Et vous a-t-il donné des éléments

25 de preuve de cela ?

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1 M. Vulliamy (interprétation). - Eh bien on nous a donné un

2 rouleau de pellicule non-développé que nous avons effectivement réussi à

3 faire développer lorsque nous sommes arrivés lorsque nous avons pu sortir

4 de Bosnie. Et ce film montrait le torse d’hommes

5 essentiellement des torses et des membres aussi montrant des blessures

6 extrêmement graves, des

7 hématomes extrêmement graves plutôt.

8 M. Keegan (interprétation). - Ces hommes que nous voyons ici à

9 l'image pendant que vous vous parliez, étaient-ils représentatifs du

10 nombre de prisonniers que vous avez vus dans le camp et auquel vous vous

11 êtes adressé ?

12 M. Vulliamy (interprétation). – Oui, d'un certain nombre, car

13 les prisonniers étaient dans un état différent, dans un état de

14 détérioration différent. Certains ressemblaient à celui qui est à droite,

15 les autres plutôt à celui-ci en meilleur état. Mais la personne très

16 émaciée que vous avez vue était tout à fait représentative aussi de

17 certains groupes.

18 M. Keegan (interprétation). - Et avez-vous vu des différences

19 d'état physique entre les hommes qui ont dû venir d'Omarska ou de Keraterm

20 et de ceux qui étaient à Trnopolje avec leur famille ?

21 M. Vulliamy (interprétation). – Oui, il y avait manifestement

22 une différence entre ceux qui venaient des deux autres camps, en tout cas

23 la plupart de ceux-ci, et ceux qui avaient fui ou qui s'étaient rendus au

24 camp ou bien qui avaient été amenés en colonne à pied.

25 M. Keegan (interprétation). - Peut-on faire une pause sur image.

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1 Pouvez-vous laisser l'image à l'écran, s'il vous plaît.

2 S'agit-il là du médecin dont vous nous avez parlé tout à

3 l'heure ?

4 M. Vulliamy (interprétation). – Oui, c'est lui.

5 M. Keegan (interprétation). - Pouvons-nous faire passer, défiler

6 la bande avec le son s'il vous plaît ?

7 La cassette est visionnée avec interprétation :

8 "Y a-t-il eu des cas de personnes qui ont été battues dans le

9 camp ?

10 Oui.

11 Nombreux ?"

12 Arrêt sur image s'il vous plaît.

13 Monsieur Vulliamy, avez-vous pu comprendre l'échange de propos

14 concernant les personnes battues. Etiez-vous là ?

15 M. Vulliamy (interprétation). – Oui, j'étais là, j'étais juste

16 derrière.

17 M. Keegan (interprétation). - Et la réaction du médecin à cette

18 question ?

19 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, oui, je l'ai vu et je l'ai

20 compris je crois. C’était un homme qui essayait de faire de son mieux et

21 il se sentait dans l’impossibilité de parler ou de donner des détails.

22 M. Keegan (interprétation). - Pourquoi ne pouvait-il pas

23 parler ? Qui était avec vous dans cette pièce ?

24 M. Vulliamy (interprétation). - Des gardes.

25 M. Keegan (interprétation). - Pouvons-nous reprendre le passage

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1 de cette vidéo, sans le son ?

2 (La cassette est visionnée.)

3 Après cet entretien avec le docteur dans la clinique ou dans

4 l'ère réservée aux soins médicaux, combien de temps êtes-vous resté au

5 camp de Trnopolje ?

6 M. Vulliamy (interprétation). - Difficile de dire avec

7 précision. Je dirais, 45 minutes à peu près.

8 M. Keegan (interprétation). - Et à partir du camp, où avez-vous

9 été emmené ?

10 M. Vulliamy (interprétation). - Nous sommes partis, nous sommes

11 partis directement de Trnopolje, nous avons terminé notre visite j'ai eu

12 un entretien avec un homme de la Croix-Rouge yougoslave, ou qui nous a dit

13 qu’il était de la Croix-Rouge yougoslave, et puis nous sommes partis.

14 M. Keegan (interprétation). - Arrêt sur image, s'il vous plaît.

15 Pardon, vous faisiez allusion à un entretien avec quelqu'un de la

16 Croix-Rouge yougoslave et puis à votre départ, où vous êtes-vous rendu

17 après cet entretien ?

18 M. Vulliamy (interprétation). - A Belgrade.

19 M. Keegan (interprétation). - Comment avez-vous pu rallier

20 Belgrade ?

21 M. Vulliamy (interprétation). - A bord du véhicule appartenant à

22 l'homme à tout faire d'ITN, Misa.

23 M. Keegan (interprétation). - Ce jour-là, vous n'êtes pas

24 retourné à Prijedor ?

25 M. Vulliamy (interprétation). - Je pense que nous avons peut-

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1 être traversé Prijedor. Je ne me souviens pas. C'est lui qui a conduit et

2 nous a ramenés jusqu'à Belgrade.

3 M. Keegan (interprétation). - Etes-vous à un moment quelconque

4 retourné à Prijedor ?

5 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, effectivement, plusieurs

6 années plus tard, en 96.

7 M. Keegan (interprétation). - Qu'avez-vous fait à votre retour à

8 Prijedor en 96 ?

9 M. Vulliamy (interprétation). - Eh bien, en fait, j'étais

10 curieux...

11 M. Keegan (interprétation). - Un instant, s'il vous plaît.

12 M. Ostojic (interprétation). - Excusez-moi,

13 Monsieur le Président, je devais devoir répéter cette objection, n'étant

14 pas allé en 96, si l'on voit l'acte d'accusation, les charges sont entre

15 avril et août 1992. Il se peut que des conversations avec M. Vulliamy

16 soient très intéressantes, néanmoins à ce stade, avec tout le respect que

17 je dois à la Cour, les descriptions qu'il pourra donner, les hypothèses

18 qu'il aura pu émettre ou les conclusions qu'il pourrait tirer ne nous

19 aideront pas et n'ont pas trait aux charges qui ont été levées à

20 l'encontre de l'accusé.

21 Nous aimerions maintenant savoir combien de temps cette

22 discussion de 1996 et d'autres années ont pu durer.

23 M. le Président (interprétation) - (Sans micro). On fait

24 référence dans la transcription Tadic à un entretien avec l'accusé

25 en 1996, est-ce exact Maître Keegan ? Est-ce à cela que nous arrivons ?

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1 M. Keegan (interprétation). - Oui, il est question de "avec qui

2 vous êtes vous entretenu ? Pourquoi ?", puis nous allions passer au détail

3 de l'entretien vers la fin du témoignage. Il s'agissait simplement de

4 fixer le contexte du retour.

5 M. le Président (interprétation) - Avez-vous objection à

6 l'entretien qui a eu lieu avec l'accusé en 96 qui, de prime abord, nous

7 semble être pertinent ?

8 M. Ostojic (interprétation). - Oui, je suis d'accord, je ne

9 savais pas que le conseil allait s'orienter dans cette voie. Si l'on voit

10 le dossier Tadic, ils ont eu la possibilité de couvrir beaucoup de terrain

11 et de s'exprimer sur beaucoup d'endroits qu'ils avaient visités, donc je

12 n'ai aucune objection sur ce commentaire.

13 J'ai quelque chose à dire en ce qui concerne la bande vidéo.

14 Notre client, pendant la pause, a insisté sur le fait qu'il n'a pas vu la

15 bande vidéo suivante de 96 qu'ils veulent introduire. Et donc, au nom de

16 mon client je dois partager cet avis avec la Cour pour demander qu'il ait

17 la possibilité de voir cette bande magnétique, cette bande vidéo. Ce que

18 nous avons fait par le biais du greffe et par le biais du directeur de la

19 prison.

20 Nous avons essayé, vers 17 heures, de nous arranger pour que le

21 client puisse visionner cette bande vidéo et d'autres bandes vidéo. Une

22 demande écrite officielle a été introduite par Me D'Amato, cela a été

23 rejeté sommairement. Donc, nous ne voulons pas intervenir dans la

24 procédure de la matinée, mais néanmoins, nous pensons que le moment est

25 peut-être venu d'en parler.

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1 M. Keegan (interprétation). - Rien de ce qui figure sur les

2 bandes magnétiques ne date de 96. Tout ce qui est sur bande magnétique ou

3 sur bande vidéo date de 1992 ; 1996 sera simplement décrit par le témoin.

4 Il procédera à ces descriptions de mémoire. Il n'y a aucune bande vidéo

5 d'entretiens de 96 à notre connaissance. En tout cas, aucune ne sera

6 introduite.

7 M. le Président (interprétation) - Est-ce que vous allez

8 demander au témoin d'aborder d'autres questions en 96 à part cet entretien

9 avec l'accusé ?

10 M. Keegan (interprétation). - Dans la mesure où M. Vulliamy a

11 déjà indiqué qu'il n'avait pas pu se rendre en Bosnie orientale avant ce

12 moment-là, il y aura un moment des références à des événements qui se sont

13 produits entre 1992 et 95, mais dans d'autres parties de la Bosnie, mais

14 encore une fois, nous avons le sentiment que ceci est d'une pertinence

15 directe en ce qui concerne les questions et les éléments qui doivent être

16 présentés par l'accusation dans ce dossier.

17 M. le Président (interprétation) - Eh bien, nous allons entendre

18 ce que vous voulez introduire, ce que vous voulez présenter et nous

19 prendrons une décision.

20 En ce qui concerne 1996, j'ai le sentiment que vous devrez vous

21 limiter à l'entretien avec l'accusé.

22 M. Keegan (interprétation). - Il y a aussi un entretien avec

23 M. Stakic en même temps, qui est à notre avis pertinent, car il fait

24 référence à des événements, allusion à des événements de 92. Donc, il y a

25 plus que le simple entretien avec l'accusé.

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1 M. le Président (interprétation) - Mais qu'allez-vous demander

2 au témoin en ce qui concerne la période 92 à 95 ?

3 M. Keegan (interprétation). - Excusez-moi,

4 Monsieur le Président, en fait la succession des événements telle qu'elle

5 a été indiquée sur la carte par le témoin. Après ce voyage, il a ensuite

6 mené son enquête vers des camps où des Serbes étaient détenus, et partant

7 de là, il a rejoint un convoi de musulmans bosniaques qui étaient expulsés

8 de force de Sanski Most, il a en fait rejoint Prijedor.

9 M. le Président (interprétation). - Quand est-ce que c'était ?

10 M. Keegan (interprétation). - C'était en août 92, quelques

11 semaines après les événements que vous venez de voir sur écran.

12 Ce convoi a été rejoint à Prijedor, a été escorté par la police

13 de Prijedor et traverse le territoire Serbe Bosniaque pendant son exode à

14 Travnik.

15 A Travnik, il décrira les entretiens, les expériences qu'il a

16 eues avec les réfugiés, bon nombre d'entre eux venaient de Prijedor. Puis,

17 il décrira d'autres régions qu'il a visitées en Bosnie en 92-93, décrivant

18 des offensives similaires contre une population civile par des forces

19 militaires du même type, même type de propagande. Puis, il revient à

20 Nis-Sanski et en 1995, il rend visite à des réfugiés de la région de

21 Prijedor qui avaient été expulsés sur la même route racontant les mêmes

22 récits et en grand nombre.

23 Nous croyons que tout ceci a pertinence dans la mesure où il

24 établit, il fonde, d'une manière juridique, les chefs d'accusation qui

25 sont portés contre l'accusé.

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1 M. le Président (interprétation). - Eh bien, je peux comprendre

2 qu'il y a pertinence en ce qui concerne les événements antérieurs, mais

3 comment pouvez-vous parler de pertinence en ce qui concerne les événements

4 ultérieurs ?

5 M. Keegan (interprétation). - Eh bien, Monsieur le Président,

6 par exemple, dès lors que les mêmes événements spécifiques ou du même type

7 se produisant à Prijedor, ou autour de Prijedor, en Krajina, ce qui a été

8 indiqué par le biais d'autres preuves, nous pensons qu'il y a un lien très

9 clair. Cet objectif de création d'une ère ou d'une République serbe qui

10 ferait partie d'une nouvelle Yougoslavie, d'une nouvelle grande Serbie,

11 c'est-à-dire qu'il y avait une entreprise criminelle continue visant à

12 déplacer, par la force annihilée ou éliminée, les populations musulmanes

13 ou croates de manière à atteindre cet objectif.

14 Nous avons le sentiment que ceci a trait directement aux charges

15 qui sont présentées ici à l'encontre de l'accusé dans la mesure où l'on

16 trouve des éléments de preuve d'atrocités spécifiques commises dans l'ère

17 de Prijedor, y compris des massacres qui ont eu lieu après même que la

18 communauté internationale ait été mise au courant des camps.

19 M. le Président (interprétation). - Quelles sont les dates que

20 vous envisagez pour ces atrocités ?

21 M. Keegan (interprétation). - Celles auxquelles je fais

22 référence ont eu lieu en août 92, oui, Monsieur le Président, et dans les

23 semaines qui ont suivi en fait sa visite à ces camps.

24 M. le Président (interprétation). - Oui, Monsieur Ostojic ?

25 M. Ostojic (interprétation). - Je pense que ce qu'il faut dire

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1 ici, c'est que s'il essaie d'établir, mens rea, c'est qu'en fait, il

2 essaie rétrospectivement de permettre au témoin de parler de toute la

3 région et d'essayer d'impliquer notre client à ce qui a pu se produire

4 dans une région beaucoup plus large. Il n'a jamais été permis, dans vos

5 interventions, à ce que vous lui avez dit, de montrer quelle était la

6 pertinence, quelle qu'elle soit, des événements de la période qui est

7 indiquée dans l'acte d'accusation à l'encontre du Dr. Kovacevic.

8 Ce que M. Vulliamy a fait après ne nous paraît pas être

9 pertinent, ne peut pas être pertinent pour établir une intention ou tout

10 autre élément de ce crime. Maître Keegan, ce qu'il veut faire et je dis

11 ceci de manière tout à fait respectueuse, il veut élever le débat à

12 l'ensemble de la guerre civile qui a eu lieu. Il a essayé de le faire hier

13 aussi. Je crois que la Cour lui a demandé de se limiter à ce qui avait eu

14 lieu en Croatie, à d'autres éléments qui avaient eu lieu en ex-

15 Yougoslavie, en Bosnie-Herzégovine.

16 Si l'on étudie la carte qui a été produite et lorsque

17 Maître Keegan fait référence à Sanski Most, il faut étudier cette partie

18 de la carte par rapport à Prijedor et voir quelle est la distance

19 couverte, à quelle distance ces deux lieux se trouvent. Je vous suggère

20 simplement de trouver Prijedor et de tirer un trait, à 90 degrés de là,

21 vous trouvez Sanski Most.

22 Excusez-moi, et si vous vous orientez à l'Est encore une fois,

23 vers la lettre "B", "Bosnie", de l'intitulé "Bosnie", juste en-dessous,

24 vous voyez Travnik. Travnik est l'autre ville dont il parle.

25 Encore une fois, je voudrais insister sur le fait qu'il est

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1 peut-être intéressant d'en parler, d'avoir une conversation à cet égard et

2 c'est peut-être intéressant à l'égard d'autres

3 personnes et dans une autre salle d'audience, mais en ce qui concerne le

4 Dr Kovacevic, ce témoignage n'est pas pertinent, n'a pas de lien matériel.

5 Il essaie en fait de généraliser à outrance. Nous pensons que c'est

6 inadmissible. Qu'il ne peut pas le faire ici, il a des témoins ; des

7 charges spécifiques ont été préparées à l'encontre du Dr Kovacevic. Il

8 faut citer à comparaître les gens qui peuvent effectivement étayer ces

9 charges spécifiques.

10 Nous aurons la possibilité de procéder à un contre-

11 interrogatoire sur ce qui a été présenté sur les bandes magnétiques

12 jusqu'à maintenant, mais quant à savoir si Vide Omer a rejoint ou n'a pas

13 rejoint le convoi au sud de Prijedor, cela n'a aucune pertinence en ce qui

14 concerne notre affaire.

15 J'aimerais en tout cas que l'on éclaircisse, aux fins

16 d'instruction des intervenants, la situation à cet égard. Merci,

17 Monsieur le Président.

18 (Les Juges se consultent)

19 M. le Président (interprétation) - Maître Keegan, nous devons

20 essayer de limiter la portée des éléments de preuve à ce qui est pertinent

21 et utile. Il faudra que nous vous donnions une décision assez élémentaire.

22 Nous savons que vous avez charge de la preuve. Vous devez prouver qu'il y

23 avait un schéma systématique, une pratique organisée.

24 Il faut également que vous apportiez la preuve de l'intention de

25 commettre le génocide.

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1 Etant donné cette charge de la preuve qui vous incombe, nous

2 allons élargir le critère de recevabilité des éléments de preuve, ce que

3 nous ne ferions pas en d'autres circonstances, notamment, nous n'allons

4 pas limiter ceci seulement à ce qui s'est passé à Prijedor, mais en

5 gardant à l'esprit le règlement et les règles en matière d'admission de la

6 preuve. Nous en concluons que nous allons limiter la portée de vos

7 questions à 92 et aux événements qui se sont produits en Bosnie.

8 S'agissant de ces événements, vous pourrez apporter des éléments de

9 preuve. Mais au-delà de cette date, ce serait dépasser les limites qu'il

10 nous faut respecter ici pour un procès de ce genre, et nous devons veiller

11 à ce que les limites soient respectées dans cette affaire.

12 M. Keegan (interprétation). - Est-ce que j'ai bien compris :

13 voulez-vous dire que les limites s'appliquent aux événements de Bosnie

14 de 92 ?

15 M. le Président (interprétation). - Ceci se limite à 92 et à la

16 Bosnie.

17 M. Keegan (interprétation). - Avec tout le respect que je vous

18 dois, je crois qu'il y a un autre aspect que connaît peut-être le

19 Juge Cassese, c'est la question du conflit armé international. Il nous

20 faudrait apporter la preuve notamment... Est-ce qu’il y a implication des

21 forces armées d’un autre Etat après le retrait supposé des forces de la

22 JNA en mai 92 ? Dans la mesure où nous avons des preuves directes de la

23 participation de la JNA en 92, 93 et 94, ceci est tout à fait pertinent et

24 utile afin d'apporter la preuve du conflit armée international en Bosnie

25 même en 92, car les éléments de preuve montreraient qu'il y a une

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1 participation continue même après 92.

2 M. le Président (interprétation). - Est-ce que vous voulez

3 obtenir ces éléments de preuve à partir de ce témoin ?

4 M. Keegan (interprétation). - Oui, Monsieur le Président, il y a

5 des éléments de preuve que nous pouvons introduire par le biais de ce

6 témoin.

7 M. le Président (interprétation). - Portant sur quoi ?

8 M. Keegan (interprétation). - Au cours des enquêtes en 95 et 96,

9 le témoin a interrogé des membres du personnel de L’ECMM et ils ont parlé

10 d’événements concernant le franchissement de la Drina où des pontons

11 étaient apportés la nuit et puis il y a eu transport de ces personnes et

12 on a pu ainsi assister à des violations des accords.

13 M. le Président (interprétation). - Mais la Drina se trouve à

14 quel endroit par rapport à la région qui nous intéresse ?

15 M. Keegan (interprétation). - C’est la partie qui se trouve

16 entre la Bosnie

17 Herzégovine, elle fait partie de la frontière entre la Bosnie et la

18 République de Croatie ; si l'on suit la partie orientale, si l'on va vers

19 les villes de Zvornik et Visegrad, on voit où se trouve la rivière Drina.

20 (Les Juges se consultent sur le siège.)

21 M. le Président (interprétation). - Là, nous nous opposons à

22 votre avis sur ce dernier point. A notre avis, cette distance est trop

23 grande pour nous intéresser.

24 M. Keegan (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

25 Monsieur Vulliamy, nous nous étions interrompus au moment où

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1 vous êtes allé directement de Prijedor à Belgrade. A votre arrivée à

2 Belgrade, qu'avez-vous fait ?

3 M. Vulliamy (interprétation). - Eh bien, nous sommes arrivés à

4 Belgrade tard dans la soirée du 5 août, et le 6 nous avons rédigé le

5 reportage, réponse assez explosive à Belgrade et au niveau international ;

6 j'ai dû malheureusement accorder beaucoup d'interviews à la télévision,

7 donc j'ai rédigé mon texte j’ai pris le thé avec le vice-Président, le

8 Pr Koljevic, un Serbe de Bosnie.

9 M. Keegan (interprétation). - Quelle fut la réaction à la

10 publication de votre article et aussi à la diffusion du reportage de

11 l’ITN ? Comment a réagi le Pr Koljevic ?

12 M. Vulliamy (interprétation). - Notre article est sorti le

13 7 août et le lendemain, le Pr Koljevic m'a invité à prendre le thé avec

14 lui. Nous ne jouissions pas d'une grande popularité à Belgrade mais il m'a

15 invité au Hyatt, j’ai eu le plaisir d’accepter son invitation à prendre le

16 thé à cet hôtel. Comment dire, c'était teinté à moitié d'ironie et à

17 moitié d'amitié. Il m'a dit : " Oui, tu vas bien t’en sortir, jeune homme,

18 il t’a ou il vous a fallu beaucoup de temps ". Je me souviens de ce qu'il

19 a dit : " Vous avez passé tellement de temps près de Venice ". Et il a ri

20 un peu au dépens des médias et il a parlé de Sarajevo : " Il n'y a que

21 ceci qui vous intéresse, cet pauvre ville multiculturelle, alors que vous

22 ne vous êtes jamais intéressé à Trnopolje ". Il se moquait du fait qu'ils

23 aient réussi à se débrouiller pendant si longtemps sans que personne ne le

24 sache.

25 M. Keegan (interprétation). - Après la publication de ces

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1 articles, l'équipe d'ITN ou d'autres équipes sont-elles rentrées à

2 Trnopolje ?

3 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, je pense.

4 M. D’ Amato (interprétation). - A la fin de son témoignage il

5 dit : " ... et ils avaient raison ", ceci ne figure pas dans le

6 transcript, c’est une concession importante apportée par le témoin qui

7 n'apparaît pas dans le transcript. Le témoin a dit : " .. .et lui il avait

8 raison ".

9 M. le Président (interprétation). - Le transcript devrait

10 montrer que l'intervention du témoin se termine par : " Oui et cet homme

11 avait raison de se moquer ".

12 M. Keegan (interprétation). - Et pourquoi avait-il raison de se

13 moquer ?

14 M. Vulliamy (interprétation). - S'il avait raison de se moquer

15 de nous -j'entends par là les médias- c'est que nous, nous nous étions

16 surtout concentrés sur le siège de Sarajevo pour des raisons tout à fait

17 justifiables. Si j'ai bien compris ce qu'il disait, il voulait dire que

18 ces camps, dont celui que nous avions découvert la veille, avaient pu

19 fonctionner grâce à l'omission des médias pendant si longtemps, si près de

20 Venice, sans que quelque interruption soit imposée.

21 Il se moquait de notre obsession à l'encontre de Sarajevo, et je

22 crois qu'il avait raison dans une certaine mesure. Ils avaient été en

23 mesure de faire tout ceci si près de Venice alors que nous, les médias,

24 nous ne nous étions jamais approchés de ces endroits, ni intéressés à eux.

25 C'était la raison de sa dérision ou de son ironie.

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1 M. Keegan (interprétation). - Cette équipe d’ITN ou d'autres

2 équipes sont-elles retournées à Trnopolje ?

3 M. Vulliamy (interprétation). - Oui. Penny Marshal, ainsi qu’une

4 équipe, y sont sûrement retournés. Je ne sais pas si la deuxième équipe

5 est retournée sur les lieux, mais il y a eu pratiquement un raid, une

6 descente organisée de tous les médias du monde vers cette région.

7 Effectivement ces équipes en ont fait partie.

8 M. Keegan (interprétation). - Peut-on diffuser la cassette avec

9 la bande son ?

10 (La cassette est visionnée et interprétée.)

11 "Oui, avant il y avait une clôture en barbelés, il n'y avait pas

12 de char. Ils ont arraché le barbelé qu'il y avait ici tout du long.

13 Monsieur, vous êtes un homme très courageux.

14 Voici le journal, le Times, mais tous les journaux du monde ont

15 parlé de vous.

16 Cela nous a vraiment beaucoup aidé, dit le médecin, car la

17 situation s'est vraiment améliorée de façon spectaculaire, aussitôt ils

18 ont enlevé les barbelés, ils ont commencé à nous apporter de la

19 nourriture, plus de nourriture. Les personnes peuvent sortir, se déplacer,

20 les Musulmans peuvent aller aux latrines, ce qu’ils ne pouvaient pas faire

21 avant. Leurs familles peuvent venir leur rendre visite, les choses sont

22 bien mieux.

23 Cette nuit-là, quand nous sommes partis, 1 000 personnes ont

24 été déplacées d'Omarska à notre camp.

25 Un groupe d’environ 1 000 personnes aurait été emmené à Manjaca.

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1 M. Keegan (interprétation). - L’équipe d'ITN est retournée à

2 Trnopolje, mais vous, qu'avez-vous fait ? Où vous êtes-vous rendu ?

3 M. Vulliamy (interprétation). - Eh bien, j'étais un petit peu

4 face à un dilemme : Que faire ? Je pensais retourner poursuivre ce

5 travail, mais finalement, j'ai pris une autre décision. Le

6 Professeur Koljevic et d'autres m'avaient dit détenir une liste de camps

7 qui se trouvaient de l'autre côté, où des Serbes étaient détenus. Je me

8 suis dit que j'avais eu mon programme que j'avais établi moi-même pour

9 Omarska et Trnopolje. Je laisserai ce cirque, ces gens faire le reste. Ils

10 avaient apparemment une liste de camps.

11 Je me suis dit que la meilleure chose à faire, c'était

12 effectivement d'aller de l'autre côté, de prendre au sérieux les

13 déclarations de Belgrade, d'y aller et de recommencer à partir de zéro, là

14 aussi, pour tenter de procéder à des inspections des camps dans lesquels,

15 apparemment, des Serbes étaient détenus.

16 M. Keegan (interprétation). - Avez-vous fait un reportage sur

17 ces camps ?

18 M. Vulliamy (interprétation). - Oui. On disait qu'un des camps

19 les plus exécrables se trouvait près de la ville de Capljina en

20 Herzégovine. Avec un collègue d'Associated Press, j'ai réussi à négocier

21 un passage. J'ai utilisé l'accès que j'avais pour Omarska et Trnopolje

22 comme critère pour défier les autorités croates qui géraient ce camp. Ce

23 camp était plus exactement dirigé par une milice, HOS, le HOS.

24 Finalement, nous avons réussi à pénétrer dans ce camp à un

25 endroit qui s'appelait Dreteli ; endroit des plus désagréables. Il y avait

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1 des femmes. Il y avait un hangar rempli de femmes. Alors qu'il faisait une

2 chaleur torride, elles étaient amoncelées dans ce hangar. C'était ce qu'il

3 y avait de plus important dans cet endroit.

4 Le commandant du camp, le Major Hrskic m'a menacé de mort si je

5 publiais, ce que j'allais publier d'ailleurs puisque le Gardian lui a

6 accordé une importance particulière.

7 M. Keegan (interprétation). - Donc, vous avez fait un reportage

8 sur des camps où étaient détenus des civiles serbes. Quelle fut votre

9 autre reportage en Bosnie-Herzégovine ? A quoi vous êtes-vous intéressé ?

10 M. Vulliamy (interprétation). - J'avais été voir le camp croate

11 pour les Serbes à Capljina. Je suis retourné alors à Zagreb. J'espérais

12 pouvoir m'y reposer un peu, me nettoyer, pour ainsi dire, mais ce ne

13 devait pas être le cas, car le soir de mon arrivée à Zagreb, la frontière

14 entre la Bosnie-Herzégovine, juste au nord de Prijedor et la Croatie, avec

15 Karlovac du côté croate ; frontière ou passage par lequel il y avait eu

16 cet afflux massif de déportés, comme j'en ai parlé hier, eh bien, la

17 frontière a été fermée pour deux raisons...

18 M. Keegan (interprétation). - Un instant, s'il vous plaît.

19 M. D' Amato (interprétation). - Je m'excuse, mais le traducteur

20 ou l'interprète semble avoir oublié "cette menace de mort" qui n'apparaît

21 pas dans le transcript.

22 M. le Président (interprétation). - Nous allons corriger cela,

23 mais s'il y a des

24 questions que vous relevez au fil de la discussion, n'hésitez pas à le

25 dire.

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1 M. D' Amato (interprétation). - Je relève les plus importantes.

2 M. le Président (interprétation). - Bien sûr, mais vous savez

3 qu'à la fin de la journée, il est possible d'apporter des corrections au

4 transcript. Je crois que vous devez être au courant de cette disposition.

5 M. D' Amato (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

6 M. le Président (interprétation). - Maître Keegan, poursuivez.

7 M. Keegan (interprétation). - Le problème, c'est que

8 quelquefois, je pose la question suivante trop rapidement, ce qui veut

9 dire que les interprètes n'ont pas le temps de parler. Il faudrait peut-

10 être que je ménage une pause entre les questions et les réponses.

11 Monsieur Vulliamy, vous parliez de cette frontière entre la

12 Bosnie-Herzégovine et la Croatie qui a été fermée, quelles furent les

13 circonstances qui ont présidé à cet événement ?

14 M. Vulliamy (interprétation). - Eh bien, elles se poursuivaient,

15 ces circonstances, depuis plusieurs mois. Comme je vous l'ai dit, il y

16 avait eu un afflux massif de personnes qui venaient de Prijedor, de

17 Banja Luka, qui franchissaient cette frontière pour se diriger vers cette

18 partie de la Croatie qui est attenante à la frontière. Elle a été fermée

19 pour deux raisons et par deux groupes de personnes.

20 D'abord, il y a le Haut Commissariat aux réfugiés qui a déclaré

21 qu'il refuserait de coopérer à l'avenir avec des gens se prêtant à ce

22 qu'ils appelaient "le nettoyage ethnique", que s'ils continuaient à

23 laisser les personnes s'enfuir, ce serait aider les autorités serbes dans

24 la poursuite de leur objectif.

25 C'était la raison pour laquelle ils ne voulaient plus autoriser

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1 le passage de la frontière.

2 Puis, il y a aussi le gouvernement croate qui intervint depuis

3 Zagreb pour dire : "Voilà, nous avons trop de personnes en Croatie, nous

4 ne pouvons en accueillir d'autres ni en

5 nourrir d'autres".

6 M. Keegan (interprétation). – Et qu'avez vous décidé de faire ?

7 M. Vulliamy (interprétation). – Eh bien, ce soir-là, à Zagreb

8 j'ai discuté avec un collègue de l'agence Reuters et un collègue de

9 l'Associated Press. Le collègue de Reuters était un collègue yougoslave.

10 Nous nous sommes dits : voilà, on nous ferme la porte de devant, la porte

11 d'entrée. Mais nous ne pensions pas que ceci permettrait la fin du

12 nettoyage ethnique, et nous voulons savoir où est la porte de derrière et

13 nous nous sommes rendus compte, de façon assez désagréable, que si nous

14 voulions nous assurer de cela, c'est qu'il fallait aller à Prijedor pour

15 nous-mêmes être nettoyés ethniquement, pour nous intégrer dans ces

16 déportations forcées, pour nous joindre à ces déportés, pour voir ce qu’il

17 se passait.

18 M. Keegan (interprétation). – Est-ce bien ce que vous avez fini

19 par faire ?

20 M. Vulliamy (interprétation). – Tout à fait. Le lendemain matin,

21 nous nous sommes levés et nous sommes partis en direction de la région de

22 la Krajina par la Bosnie-Herzégovine et Prijedor. Nous nous sommes arrêtés

23 au poste de police de Prijedor, nous avons voulu obtenir des documents

24 autorisant notre présence sur les lieux. A l'abord de Prijedor, dans un

25 petit hameau qui s'appelle je pense Lamovita, nous avons rencontré un

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1 énorme convoi qui était garé le long de la route sur l'accotement,

2 surveillé par des policiers en uniforme armés d'armes automatiques, et ce

3 convoi en lui même était quelque chose d'extraordinaire à voir. Il y avait

4 des cars, des camions, des voitures individuelles qui étaient remplis à

5 ras bord de biens personnels que, manifestement, les gens avaient bourré

6 dans ces véhicules et nous nous sommes glissés dans ce convoi.

7 M. Keegan (interprétation). – Vous avez déclaré vous être

8 d'abord rendu au poste de police de Prijedor pour obtenir des papiers vous

9 habilitant à voyager. Alors que vous vous trouviez dans ce poste de

10 police, avez-vous eu des échanges avec un groupe de soldats serbes ?

11 M. Vulliamy (interprétation). – C'est exact. C'était un groupe

12 assez bizarre de

13 forces serbes. Jamais auparavant je n'avais eu l'occasion de voir ces

14 groupes de paramilitaires ou d'irréguliers que l'on appelait les Tcheniks.

15 Ils arboraient de longues barbes, des cheveux en broussaille, c'était leur

16 image de marque. Et nous nous trouvions en fait au centre civique où nous

17 avions déjà été auparavant. Il s’y trouvait quelques personnes qui avaient

18 un petit casse-croûte qu'ils mangeaient et pendant le peu de temps qui

19 nous a été autorisé, nous nous sommes entretenus avec lui, c'est plutôt

20 mon collègue yougoslave qui a parlé avec eux et qui nous a traduit le

21 sujet de leur conversation.

22 M. Keegan (interprétation). – Ce collègue vous a-t-il dit d'où

23 venaient ces gens ?

24 M. Vulliamy (interprétation). – Ils étaient de Serbie. Ils

25 venaient d’une ville dénommée Nis, dans le sud de la Serbie.

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1 M. Keegan (interprétation). – Quelle est la date de cet

2 entretien ?

3 M. Vulliamy (interprétation). – Je crois que c'est le

4 17 août 92, si ce n'est pas le 17, c'est le 16 ou le 18.

5 M. Keegan (interprétation). – Où étiez-vous ?

6 M. Vulliamy (interprétation). – Eh bien, nous étions juste à

7 l'entrée de ce centre civique, dans une pièce qui se trouve sur la droite,

8 nous étions à Prijedor.

9 M. Keegan (interprétation). – Vous avez déclaré avoir été

10 autorisé à parler avec ces gens pendant peu de temps. Qui vous avait

11 interdit de poursuivre cette conversation ?

12 M. Vulliamy (interprétation). – Il y avait un policier qui se

13 trouvait à l'entrée, à la porte d’entrée de ce bâtiment du centre civique.

14 M. Keegan (interprétation). – Au cours de cette journée-là,

15 avez-vous pu établir le type de transport utilisé par ces forces

16 paramilitaires ?

17 M. Vulliamy (interprétation). – Ils avaient des espèces

18 d'autobus militaires.

19 M. Keegan (interprétation). – De quels types étaient-ils ?

20 M. Vulliamy (interprétation). – C'étaient des autocars assez

21 vieillots mais qui

22 avaient été repeints en couleur de camouflage de treillis gris.

23 M. Keegan (interprétation). – Grâce aux échanges que vous avez

24 eus avec ces hommes, avez-vous pu établir si ces derniers se trouvaient là

25 avec l’aval des autorités locales ?

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1 M. Vulliamy (interprétation). – Eh bien, nous avons

2 effectivement pu établir qu’ils étaient là avec l'autorisation des

3 autorités locales puisqu'ils avaient des sandwiches. Ils prenaient leur

4 déjeuner dans le bâtiment des autorités locales, manifestement. C'était

5 une hypothèse que nous avons établie à partir de cela.

6 M. Keegan (interprétation). - Ces hommes vous ont-ils dit d'où

7 ils venaient, où ils allaient ?

8 M. Vulliamy (interprétation). - Ils retournaient en Serbie. Ils

9 s'étaient trouvés à Kljuc une ville qui située au sud de Prijedor.

10 M. Keegan (interprétation). - Je vous demanderai de ralentir

11 quelque peu lorsque vous nous donnez vos réponses.

12 M. Vulliamy (interprétation). - J'en tiendrai compte.

13 M. Keegan (interprétation). - Du fait de votre présence dans la

14 région à l'époque, avez-vous pu déterminer s'il y a eu des combats dans la

15 région de Kljuc ?

16 M. Vulliamy (interprétation). - Il y a eu de la violence, je ne

17 sais pas si simplement des forces se déployaient ou si elles avaient

18 rencontré une certaine résistance.

19 M. Keegan (interprétation). - Parlons du convoi à Lamovita

20 auquel vous vous êtes joint. Avez-vous pu établir d'où venait ce convoi ?

21 M. Vulliamy (interprétation). - Effectivement, il venait surtout

22 de Sanski Most au sud de Prijedor. Et il ne savait pas où il allait, nous

23 non plus d'ailleurs, c'est bien pour cela que nous les avons rejoints pour

24 savoir où ce convoi allait.

25 M. Keegan (interprétation). - Avez-vous pu déterminer de façon

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1 approximative combien de personnes il y avait dans ce convoi ?

2 M. Vulliamy (interprétation). - Ajoutant nos propres calculs à

3 ce qu’ils disaient, je crois qu'il y avait quelque 1 600 personnes dans

4 quelque 55 véhicules, voitures, une douzaine de bus et une douzaine de

5 camions.

6 M. Keegan (interprétation). - Avez-vous pu établir

7 l'appartenance ethnique, la nationalité des personnes composant ce

8 convoi ?

9 M. Vulliamy (interprétation). - C'était, dans l'écrasante

10 majorité, des Musulmans avec quelques Croates.

11 M. Keegan (interprétation). - Savez-vous si ce convoi était

12 accompagné d'une escorte ?

13 M. Vulliamy (interprétation). - Nous avons parlé à l'un des

14 policiers, des officiers de police par la suite. Pour l'essentiel il

15 s'agissait de policiers en uniforme et du MUP de la région de Prijedor.

16 Toutes les personnes qui escortaient ce convoi étaient armées.

17 M. Ostojic (interprétation). - Excusez-moi,

18 Monsieur le Président, mais si vous regardez la carte, Sanski Most se

19 trouve juste au sud, et le témoin dit que ces gens venaient de

20 Sanski Most. Le récit est intéressant. Je sais que M. Vulliamy en a parlé,

21 mais dans le cadre de ce procès, nous nous intéressons surtout à Prijedor,

22 à ce qui s'est passé à Prijedor, à ce que ce témoin a vu à Prijedor.

23 Et maintenant nous parlons de quelque chose qui intervient

24 presque deux semaines et demie ou trois après sa visite, notamment à

25 Trnopolje. Il parle de réfugiés. J'essaie aussi de faire preuve de

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1 compréhension, mais maintenant on parle d'autres années, d'autres époques,

2 de guerres civiles qui sévissent dans d'autres endroits. Il n’y aura

3 jamais de connexion avec ce qui nous intéresse, et nous pensons, pour en

4 être d'accord avec le Procureur, que ceci n'avait rien à voir avec

5 M. Kovacevic qui n'était pas dans la région, il était à Prijedor. Je vous

6 demanderai, par le truchement de la Chambre, de demander au témoin de s'en

7 tenir à cette région.

8 M. le Président (interprétation). - Nous avons décidé que nous

9 allions déclarer

10 recevables les éléments relatifs à la Bosnie en 1992. Sanski Most me

11 semble, à première vue, relever de cette catégorie. Libre à vous, bien

12 sûr, de mener votre contre-interrogatoire sur ce point.

13 M. Ostojic (interprétation). - Je vous remercie.

14 M. le Président (interprétation). - Aidez-moi, Maître Keegan. Où

15 se trouve ce hameau dans lequel le témoin a rejoint le convoi ? Vous

16 parlez de Sanski Most, nous sommes près de Prijedor, n'est-ce pas ?

17 M. Keegan (interprétation). - Si vous utilisez la pièce P 35.

18 M. le Président (interprétation). - Je l'ai sous les yeux.

19 M. Keegan (interprétation). - Eh bien prenez la partie qui se

20 trouve à l'ouest de Prijedor et je crois que devriez à ce moment-là

21 trouver le village de Lamovita.

22 M. le Président (interprétation). - Nous avons la pièce P 37 où

23 apparaît le nom du hameau de Lamovita.

24 M. Keegan (interprétation). - Fort bien.

25 M. le Président (interprétation). - Ce hameau se trouve dans la

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1 région d'Omarska-Trnopolje, n'est-ce pas ?

2 M. Keegan (interprétation). - Effectivement.

3 M. le Président (interprétation). - Poursuivez, Maître Keegan ?

4 M. Keegan (interprétation). - Je vous remercie,

5 Monsieur le Président.

6 Je vous demandais, dans le cadre de ma dernière question, qui

7 escortait ce convoi ? Avez-vous... Est-ce que les individus participant

8 aux convois vous ont indiqué la manière dont ce convoi avait été

9 constitué, où il avait pris son origine ?

10 M. Vulliamy (interprétation). - Oui. La plupart de ces individus

11 avaient dû quitter leur domicile le matin même, et leur départ avait été

12 précédé de diverses attaques sur leurs maisons, donc lancés de grenades,

13 tirs contre leurs maisons et on leur avait dit, ce matin là, que

14 les Musulmans de cette partie de Sanski Most devaient se retrouver dans un

15 parking donné, soit avec leurs propres moyens de transports, soit prendre

16 place à bord des autocars pour partir ce matin-là. D'après ce que j'ai pu

17 comprendre, ces consignes avaient été émises par voie de radio.

18 M. Keegan (interprétation). - Et est-ce qu'ils vous ont indiqué

19 qu'on leur avait dit où ils devaient se rendre ?

20 M. Vulliamy (interprétation). - Eh bien, en fait, certains

21 avaient le sentiment qu'on leur avait dit qu'ils avaient obtenu des

22 documents leur permettant de se rendre en Allemagne, en Autriche ou en

23 Hongrie, alors que d’autres, comme nous-mêmes, n'avaient absolument aucune

24 idée de l’endroit où allait ce convoi.

25 M. Keegan (interprétation). - Il faudrait donner la pièce n°47

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1 de l'accusation au témoin, s'il vous plaît.

2 (L'huissier s'exécute.)

3 Pouvez-vous placer cette carte sur le rétroprojecteur ?

4 (L'huissier s'exécute.)

5 Alors, prenez quelques instants pour vous refamiliariser avec

6 cette carte. Ce que je vais vous demander de faire, ce sera de retracer le

7 chemin suivi par ce convoi.

8 M. Vulliamy (interprétation). - Voulez vous que je...

9 M. Keegan (interprétation). - Est-ce que l'on peut faire

10 apparaître au moniteur, sur écran cette carte ?

11 Oui, donc indiquez-nous l’endroit d’où vous êtes parti et puis

12 le chemin que vous avez suivi.

13 M. Vulliamy (interprétation). - (S'exprime hors micro.

14 Malheureusement l'interprète...

15 M. Keegan (interprétation). - Il faudra vous exprimer dans le

16 micro.

17 M. Vulliamy (interprétation). – Oui, donc Lamovita est

18 effectivement indiqué et

19 c'est là, en fait, que nous avons rejoint et donc, on a attendu, je pense

20 que c'était un changement d'équipe ou une relève de patrouille, quelque

21 chose comme cela, puis nous avons suivi cette route vers Banja Luka avec

22 une réaction étonnante des spectateurs, soit hostile soit indifférente, et

23 puis donc la route goudronnée devient moins bonne à cet endroit et on

24 commence à prendre de la hauteur vers ce village là, Skender Vakuf. Oui,

25 avec des arrêts très brefs dans l'intervalle

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1 M. Keegan (interprétation). - Vous avez décrit les réactions

2 lorsque vous avez traversé Banja Luka, donc hostilité ou indifférence.

3 Qu'entendez-vous par réaction hostile ?

4 M. Vulliamy (interprétation). - Eh bien, des injures lancées en

5 direction, ou des personnes de la traduction, que l’on attend toujours

6 d’ailleurs du terme "balija "par exemple, et d’autres, "Va voir Alija ",

7 donc M. Izetbegovic, donc, le Président musulman. Mais je dois dire que la

8 vaste majorité de la population nous regardait passer comme si on partait

9 en promenade et on en a parlé, on en a discuté et ma conclusion

10 personnelle était qu’ils avaient déjà vu ces convois tellement de fois

11 auparavant que cela ne les dérangeait plus du tout, ce n’est pas du tout

12 la réception qu’on a eue à Simo Drljaca.

13 M. Keegan (interprétation). - Pouvez-vous nous expliquer ce qui

14 s'est passé à Simo Drljaca.

15 M. Vulliamy (interprétation). – Simo Drljaca était une ville ou

16 un village beaucoup plus militarisé, beaucoup plus proche de la ligne de

17 front comme vous pouvez le voir et l'atmosphère était la beaucoup plus

18 menaçante. Le convoi, donc, il y avait des forces militaires et semi-

19 militaires, qui déambulaient partout, qui arrêtaient le convoi à

20 différents endroits, qui harcelaient ces membres, qui donnaient des coups

21 de pieds dans les véhicules, cabossaient les voitures, crachaient dessus

22 ou dedans, ils ont arrêté ma voiture notamment et cela c'est un moment qui

23 m'a fort alarmé je dois l'avouer.

24 M. Keegan (interprétation). - Qu'est-ce qui s'est passé ?

25 M. Vulliamy (interprétation). - Eh bien j'avais peur que si je

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1 parlais une langue

2 étrangère avec un accent, j'allais en fait nous dévoiler, nous serions

3 extraits du convoi ou ce serait plus grave donc j'ai fait semblant d'être

4 sourd-muet et j'ai fait des signes sourds-muets, le garde ne comprenait

5 pas le langage des signes, mon collègue yougoslave a dit : "Il ne comprend

6 pas ce que vous dites, il est sourd-muet ".

7 Et nous avons réussi à expliquer qu'on venait d’Australie et

8 qu'on s'était fait prendre dans cette situation invraisemblable. Et à ce

9 moment-là, cet individu, qui était très ivre et son ami, m'a simplement

10 fait une brûlure au poignet pour une raison quelconque, il a arraché un

11 essuie-glace et puis il a donné un cou-de-pied dans la voiture et moi il

12 nous a demandé des cigarettes et puis nous a fait signe de suivre notre

13 chemin.

14 M. Keegan (interprétation). - Après cet arrêt quel a été l'arrêt

15 suivant ?

16 M. Vulliamy (interprétation). - Après Skender Vakuf, la route

17 goudronnée se termine après Skender Vakuf. On arrive sur un chemin et là,

18 c’est devenu plus effrayant car nous avons vu que les troupes étaient

19 beaucoup plus nombreuses. On arrivait près des lignes, les insultes

20 étaient plus manifestes, les injures, les quolibets, les camions de

21 militaires qui nous croisaient nous insultaient, nous avons vu plusieurs

22 installations de type industriel on s'est dit que l'on allait peut-être se

23 retrouver dans un camp, d'autres ont pensé que ce serait peut-être en fait

24 que l'on procéderait à un massacre. Mon ami a dit : "L'indicible vient

25 peut-être d'être dit ". Mais finalement nous avons poursuivi notre route,

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1 nous sommes arrivés à Vitovlje, dernier village côté Serbe de la ligne de

2 front. Et donc...

3 M. Keegan (interprétation). - Peut-être est-ce le moment de nous

4 arrêter, Monsieur le Président ?

5 M. le Président (interprétation). - 14 heures.

6 (L'audience, suspendue à 12 h 30, est reprise à 14 heures.)

7

8 M. le Président (interprétation) - Veuillez poursuivre,

9 Maître Keegan.

10 M. Keegan (interprétation). - Je vous remercie,

11 Monsieur le Président.

12 Avant de reprendre l'interrogatoire du témoin, j'interviens

13 parce que ceci aurait une certaine incidence sur son témoignage. Aux fins

14 d'apporter une décision, la décision que vous avez prise ce matin

15 qu'implique-t-elle ? Est-ce qu'elle nous limite à la Bosnie en 92 ? Est-ce

16 que cette limite, cette restriction, s'applique aussi au conflit armé

17 international ?

18 M. le Président (interprétation) - Effectivement.

19 M. Keegan (interprétation). - Je vous remercie.

20 Au moment où nous nous sommes interrompus avant la pause du

21 déjeuner, nous parlions de ce convoi dont vous faisiez partie. Vous aviez

22 décrit comment vous étiez arrivé dans un village dénommé Vitovlje.

23 Pourriez-vous nous décrire ce qui s'est passé au moment de votre arrivée

24 dans ce village ?

25 M. Vulliamy (interprétation). - Oui. Vitovlje est un village de

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1 montagne et alors que le convoi commençait à entrer dans ce village, les

2 gens du village, et notamment des femmes et des enfants, dont certains ont

3 dû traverser des champs pour rejoindre la route, se sont alignés le long

4 de la route et ils ont fait un signe indiquant qu'il voulait nous couper

5 la gorge. Ils ont crié quelque chose en serbo-croate que mon collègue

6 serbe de Reuters a traduit par ceci, par ces termes : "Abattez-les,

7 égorgez-les".

8 C'est un terme que l'on utilise en général pour parler des

9 animaux dans un abattoir plutôt que du fait d'abattre des êtres humains.

10 Je peux vous dire que ce ne fut pas très agréable de traverser ce village.

11 Nous l'avons pourtant traversé. Nous en sommes ressortis et nous avons

12 abordé la montée d'une colline.

13 Se faisant, l'arrière du convoi était arrêté ; de ce fait, tout

14 le convoi s'est arrêté parce que c'est une route qui serpente. Il y avait

15 toute une file de véhicules. Une discussion a commencé. C'est à ce moment-

16 là que nous avons pu faire le décompte des véhicules du convoi.

17 Cette dispute provenait du fait que deux jeunes femmes avaient

18 été faites prisonnières. On les avait fait sortir d'une voiture.

19 Il était difficile de comprendre à ce moment-là pourquoi ceci

20 s'était passé. Maintenant, je comprends mieux rétrospectivement, mais je

21 n'étais pas conscient de ces circonstances à l'époque. Finalement, nous

22 avons repris notre route.

23 M. Keegan (interprétation). - Excusez-moi, ces femmes, ces deux

24 femmes, à votre connaissance, ont-elles été replacées dans le convoi ?

25 M. Vulliamy (interprétation). - Je ne sais pas parce que j'ai

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1 appris qu'il y avait eu cette dispute au moment où nous remontions dans

2 nos voitures. Je ne peux pas vous donner de réponse définitive.

3 M. Keegan (interprétation). - Ces véhicules, ou est-ce que des

4 véhicules, des biens ont été dérobés dans le convoi ?

5 M. Vulliamy (interprétation). - Eh bien, ceux qui conduisaient

6 leur propre voiture se sont vu confisquer ces voitures au fil des arrêts,

7 des haltes qui se sont multipliées alors que l'obscurité tombait, ce qui

8 était assez désagréable. Entre chiens et loups, on a entendu des premiers

9 échanges de feu. A l'une de ces haltes, il y a eu une panne d'un des

10 véhicules et la nuit tombait.

11 Nous avons dû arrêter pendant assez longtemps. C'est au cours de

12 cette halte que des groupes mixtes composés d'irréguliers et de soldats en

13 treillis, il n'y a pas de police, ils nous ont regardés et ils sont

14 descendus vers le convoi. Ils ont confisqué des biens. Dans la voiture,

15 derrière nous, ils ont pris en fait l'anneau de mariage, l'alliance d'une

16 femme. Je m'en souviens. Ils voulaient savoir pourquoi nous avions de

17 l'essence à l'arrière de notre voiture. J'ai l'impression, effectivement,

18 qu'il y avait des confiscations de biens. Mais je ne pouvais pas voir ce

19 qui se passait derrière nous.

20 M. Keegan (interprétation). - Et pendant tout ce temps, est-ce

21 que ce convoi était toujours escorté par des membres de la police que vous

22 aviez pris à Prijedor et le long de la route ?

23 M. Vulliamy (interprétation). - Effectivement. Peu de temps

24 après qu'il y ait cet arrêt du car, tout a pris une tournure assez

25 effrayante parce qu'il y avait des bosquets des deux côtés de la route. On

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1 entendait des hommes qui se déplaçaient dans ces bosquets. Il y avait des

2 armes à feu utilisées, parfois, ils tiraient des balles par-dessus le

3 convoi. Ils s'étaient trouvés dans les champs avant le redémarrage du

4 convoi.

5 Et c'est avant d'arriver à la fin du convoi, vous savez qu'il y

6 avait eu une relève de la surveillance à Lamovita. Une des équipes était

7 rentrée, et, manifestement, excusez-moi l'expression, ils nous avaient

8 frappé. Ils nous ont vérifiés. Ils ont vu qui nous étions. Ils se sont

9 rendu compte que nous n'étions pas des Musulmans venus de Sanski Most. Ils

10 ont dit : "Voilà, ils prennent nos voitures. Vous auriez intérêt à leur

11 dire que vous êtes journalistes".

12 Nous étions très soulagés d'avoir été découverts par quelqu'un

13 qui au moins avait une certaine autorité. Nous nous sommes dirigés vers la

14 dernière ligne serbe, il faisait déjà noir.

15 M. Keegan (interprétation). - Quelle était la destination finale

16 de ce véhicule, de ce convoi ?

17 M. Vulliamy (interprétation). - C'était la ligne de front serbe

18 qui était tenue par des irréguliers ou des soldats quasi irréguliers à

19 l'endroit appelé Smet.

20 M. Keegan (interprétation). - Jusqu'alors, jusqu'à cet endroit

21 dénommé Smet, aviez-vous assisté aussi à ce déploiement, à tout cet

22 éventail d'armes lourdes, d'artillerie lourde derrière les forces

23 irrégulières que vous aviez constatées en Croatie, mais que vous aviez

24 constatées ailleurs aussi en Bosnie au cours de vos périples.

25 M. Vulliamy (interprétation). - Effectivement, le convoi partait

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1 de Vitovlje et par la suite nous avons pu avoir un bon aperçu des canons,

2 de certains chars d'assaut, mais c'était

3 surtout des batteries d'artillerie, des mortiers qui étaient déployés sur

4 le haut relief. C'était une quantité impressionnante de munitions que nous

5 avons vues qui devaient permettre l'alimentation de ces canons.

6 M. Keegan (interprétation). - Que s’est-il passé dans le village

7 de Smet ?

8 M. Vulliamy (interprétation). - A Smet ce fut là tout un

9 processus qui a duré longtemps. Chaque voiture a été confisquée à son

10 propriétaire. Ces propriétaires ont été sortis à bout portant, à bout de

11 fusil du véhicule, ils furent obligés de prendre ce qu'ils pouvaient

12 emporter pour partir à pied. C’est alors que les véhicules ont fait demi-

13 tour et se sont éloignées, ils avaient été emmenés par des membres de

14 cette unité quasi régulière ou composée aussi de façon mixte ou ils furent

15 emmenés par d'autres hommes qui se trouvaient aux alentours.

16 Ceci a pris un temps assez considérable. Des personnes ont été

17 envoyées pour s'éloigner à pied dans la nuit. Plusieurs personnes se

18 trouvant dans les cars ont dû sortir des cars, prendre les biens qu'ils

19 pouvaient emporter, toujours ceci à bout de fusil. La même opération s’est

20 répétée pour les gens qui se trouvaient dans les camions. Ces personnes

21 ont dû quitter les camions et les véhicules furent confisqués.

22 M. Keegan (interprétation). - Des véhicules ont-ils pu traverser

23 la ligne à Smet ?

24 M. Vulliamy (interprétation). - Six véhicules ont pu le faire,

25 cinq véhicules ont pu le faire, je ne sais pas pourquoi, et le sixième

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1 était le nôtre. Sur les conseils de cet officier de police, nous nous

2 étions présentés comme étant des journalistes et nous avons eu un échange

3 avec des gardes, c'était surtout mon collègue yougoslave qui parlait avec

4 eux. Nous, nous avons lancé quelques boutades à propos de l'équipe de

5 football de Belgrade parce que nous tenions beaucoup à nous faire des amis

6 de ces hommes. Ils ont permis à notre voiture de franchir la ligne.

7 M. Keegan (interprétation). - Des personnes ont-elles été

8 forcées à fournir leurs biens, notamment des objets précieux à Smet ?

9 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, ce fut le cas de la plupart

10 ou dans un cas ou deux, mais beaucoup de gens avaient cru pouvoir emporter

11 tous leurs paquets jusqu'à leur destination ultime et ils avaient laissé

12 leurs biens dans les véhicules, ce qui veut dire qu'en plus du véhicule,

13 les propriétaires portaient aussi tout ce qu'il y avait dans la voiture.

14 M. Keegan (interprétation). - A partir de Smet, où furent

15 envoyés la plupart des membres composant ce convoi, ces derniers étaient-

16 ils à pied ?

17 M. Vulliamy (interprétation). - Nous avons continué notre route.

18 Pendant quelques kilomètres, nous avons poursuivi le chemin en voiture.

19 Cette voiture était chargée d'autres personnes et de leurs biens, d'autres

20 voyageaient à pied.

21 J'avais déjà suffisamment d'expérience au cours de cette guerre

22 pour savoir qu’on ne franchit pas une ligne de front, c’est le respect

23 d’une première règle d’airain. Notre crainte la plus vive était la

24 présence d'un feu amical pour ainsi dire, à savoir que toute personne se

25 trouvant de l'autre côté de la ligne voyant arriver quelqu'un allait sans

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1 doute ouvrir le feu sur cette personne. Donc nous avions un tee-shirt

2 blanc éclairé par une lampe électrique pour montrer que nous n’étions pas

3 des personnes hostiles envers qui que ce soit se trouvant de l'autre côté

4 dans l'obscurité.

5 Effectivement notre procession a repris son cours. Nous avions

6 donc ces voitures, il y avait cinq autres voitures que je ne pouvais pas

7 voir et un grand nombre de personnes.

8 M. Keegan (interprétation). - Y avait-il des activités

9 militaires, des coups de feu échangés ?

10 M. Vulliamy (interprétation). - Il y a eu quelques coups de feu

11 partis de petites armes à feu, c'est souvent ce qui se passait la nuit à

12 ces endroits. Quant aux tirs plus lourds, plus intensifs ils ont commencé

13 au moment où nous nous sommes approchés d’une barricade érigée sur la

14 route, constituée de rochers qui ne démarquaient pas la ligne de front

15 mais plutôt la frontière effective qui existait entre les deux parties

16 belligérantes.

17 Effectivement il y a eu beaucoup de coups de mortier, et il

18 était facile de voir des traces de feu qui passaient par-dessus nos têtes

19 et qui allaient vers un village qui s'appelait, je pense, Cosici et on

20 pouvait voir la destination de ces projectiles car il y avait une trace

21 éclairée ou éclairante. Effectivement il y avait beaucoup d'activité.

22 M. Keegan (interprétation). - Avez-vous vu des indices selon

23 lesquels des personnes avaient été tuées sur ce terrain que vous étiez en

24 train de parcourir ?

25 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, c'est surtout après cette

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1 frontière érigée grâce à des rochers que je viens de décrire que ceci

2 s’est produit. Mais les premiers signes, je ne dirai pas que l'on a vu des

3 cadavres de quelque sorte que ce soit, mais on a vu des traces de sang qui

4 se trouvaient sur la route et que l'on a trouvées juste avant cette ligne

5 de démarcation. Manifestement, des personnes avaient été blessées en

6 route.

7 M. Keegan (interprétation). - Et comment les gens du convoi ont-

8 ils franchi cette ligne de démarcation que vous venez de décrire ?

9 M. Vulliamy (interprétation). - C'était une barricade assez

10 haute érigée à l'aide de gros blocs de rochers. Il y avait un versant à

11 gauche du côté nord, et même s'il y avait un terrain qui permettait d'être

12 franchi en voiture à droite, manifestement il y avait là des mines qui

13 avaient été posées, ce qui veut dire que nous avons laissé tous les

14 véhicules y compris le nôtre, nous les avons abandonnés à cet endroit, et

15 les quelque 1 600 personnes essayaient de grimper et de franchir ces

16 rochers.

17 C'est un moment que je n'oublierai jamais. Je me souviens qu'il

18 y avait un homme dans un fauteuil roulant ; lui et son fauteuil roulant

19 ont dû être hissés séparément par-dessus ces rochers. Il y avait des bébés

20 que l'on déplaçait de main en main pour qu'ils reviennent à leurs parents

21 ainsi que les petits objets, les souvenirs, les ours en peluche que l'on

22 remettait avec les enfants, il y avait un grand un grand nombre de

23 personnes. Certains ont pu être aidés par d'autres plus jeunes qui ont

24 aussi franchi cet obstacle.

25 M. Keegan (interprétation). - Vous avez poursuivi votre route,

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1 avez-vous vu des signes qui vous permettaient de croire que des personnes

2 avaient été tuées sur ce tronçon de route ?

3 M. Vulliamy (interprétation). - Effectivement. Nous n'étions pas

4 les premiers, c’était manifeste, à passer par là, car il y avait du sang

5 assez frais qui collait au pied, à la semelle. Il y avait des preuves qui

6 nous permettaient de croire qu'il y avait eu des cadavres sur cette route.

7 A un moment donné, je suis passé sur l'accotement de la route et il y

8 avait un avant-bras humain qui se trouvait-là, qui jonchait la route.

9 M. Keegan (interprétation). - Combien de temps vous a-t-il fallu

10 pour arriver à la ligne du gouvernement de Bosnie ?

11 M. Vulliamy (interprétation). - Il a fallu beaucoup de temps. Je

12 ne pourrais pas vous dire combien de temps, mais nous étions escortés,

13 surveillé ou guidé par un des déportés qui nous a dit de marcher en file

14 indienne car il nous a expliqué que si nous étions touchés par un mortier,

15 ceci causerait moins de dégâts, si nous marchions en file indienne.

16 Des femmes, des enfants se sont simplement assis sur le bas-

17 côté, incapables de poursuivre leur route car les combats s'intensifiaient

18 devant nous, dans la vallée en contrebas.

19 Ceci nous a retardés. Certains des hommes plus jeunes ont essayé

20 de les enjoindre, de les guider pour qu'elles poursuivent leur route, mais

21 manifestement, les personnes âgées voyageaient plus lentement. Cela

22 causait un retard supplémentaire. Il y avait un homme qui était en

23 pantoufle. J'ai appris par la suite qu'il avait trouvé la mort le long de

24 la route.

25 Il a donc fallu beaucoup de temps pour que l'ensemble du cortège

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1 arrive et voit les premiers signes de l'armée de Bosnie-Herzégovine qui

2 avait bloqué la route. Je ne sais pas combien de temps cela a duré, mais

3 cela a dû faire cinq ou six kilomètres. Ils nous ont dit que les combats

4 en contrebas étaient trop intenses pour que nous puissions poursuivre

5 notre route. Ils nous ont dirigés vers un sentier de montagne nous disant

6 qu'il faudrait passer par là pour poursuivre notre route. Certaines

7 personnes l'ont fait, ont abandonné la route principale pour escalader ce

8 sentier de montagne puisque les combats continuaient.

9 M. Keegan (interprétation). - Vous avez donc emprunté ce sentier

10 de montagne, mais dans quelles conditions, êtes-vous arrivé à votre

11 destination ultime ?

12 M. Vulliamy (interprétation). - Eh bien, ce sentier s'est

13 poursuivi un certain temps, puis nous sommes arrivés à un endroit où une

14 auge pour le bétail, effectivement, certains pensaient que l'on pouvait se

15 reposer à cet endroit, nous aussi d'ailleurs alors que les combats se

16 poursuivaient, mais nous les avions abandonnés derrière nous. Certains ont

17 commencé à s'abreuver un peu, se sont reposés, ont parlé des difficultés

18 qu'ils avaient rencontrées pendant ce jour qui fut très long.

19 En fait, nous avons continué, nous avons vu les premières

20 habitations depuis Smet Quelqu'un nous a dit : "Je ne sais pas où nous

21 sommes, mais cela ressemble à quelque chose". C'est à ce moment-là que

22 certains soldats croates de Lasme, de Bosnie-Herzégovine nous ont dit :

23 "Bienvenue à Travnik, vous allez pouvoir faire le reste de la route en

24 car".

25 M. Keegan (interprétation). - Vous avez donc trouvé ces cars.

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1 Quelle fut la réaction des personnes qui se trouvaient contre leur gré

2 dans ce convoi ?

3 M. Keegan (interprétation). - Eh bien, elles étaient soulagées.

4 C'était une réaction un peu douce amère. Je me souviens d'une femme qui

5 touchait le badge, l'écusson qui se trouvait sur l'épaule, sur l'uniforme

6 de ce soldat comme si c'était un talisman. C'était l'insigne de l'armée de

7 Bosnie-Herzégovine. Je suppose qu'elle n'avait jamais vu auparavant cet

8 insigne. C'étaient des sentiments très mixtes. Il y avait vraiment ce côté

9 absolument ahuri, épouvanté et soulagé.

10 M. Keegan (interprétation). - Pourriez-vous nous dire comment

11 vous êtes arrivé à Travnik en car ?

12 M. Vulliamy (interprétation). - Moi, je ne savais pas du tout où

13 je me trouvais. Je n'avais jamais entendu parler de Travnik. Nous sommes

14 arrivés et nous avons suivi un déporté

15 de notre convoi vers un centre de rassemblement, c'était une école.

16 D'autres furent emmenés vers d'autres bâtiments où ils furent enregistrés.

17 Il apparu clairement au moment où nous devions aller vers l'endroit où

18 nous pouvions dormir que ces gens ne faisaient que grossir les rangs d'un

19 groupe considérable qui avait connu les mêmes circonstances et qui

20 venaient de la région de la Krajina et qui avaient trouvé un endroit

21 quelconque où ils pourraient dormir. Ils ont utilisé tout ce qu'ils

22 pouvaient trouver, par exemple, des sacs en plastique.

23 Nous nous sommes entretenus avec eux pendant un certain temps.

24 Et puis nous avons demandé à voir la personne qui serait responsable de

25 cet endroit. C'était le quartier général de l'armée de Bosnie-Herzégovine.

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1 M. Keegan (interprétation). - Vous avez donc retrouvé des

2 personnes qui se trouvaient dans ce gymnase, dans cette école. Est-ce que

3 ces personnes venaient de la région de Prijedor ?

4 M. Vulliamy (interprétation). - Effectivement, la plupart

5 d'entre eux venaient de la région de Prijedor , pour certains, ils

6 venaient de Banja -Luka et des régions plus méridionales dans la

7 municipalité.

8 M. Keegan (interprétation). - Et le lendemain, avez-vous eu

9 l'occasion de parler avec des gens du convoi pour savoir ce qui leur était

10 arrivé à Sanski Most ?

11 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, c'est la première chose que

12 nous avons faite ce jour-là. Nous avons voulu leur parler à nouveau après

13 deux ou trois heures de sommeil.

14 Nous avons parlé à un médecin qui nous a dit que quelqu'un avait

15 jeté une grenade dans la pièce devant chez lui, que certaines femmes

16 avaient été tuées alors qu'elles prenaient le café dans cette pièce. Et

17 nous fut racontée l'histoire que nous avions déjà entendue, à savoir que

18 l'ordre de déportation avait été donné par la radio et une personne qui

19 avait un magasin de mode nous a parlé des dégâts causés à son commerce,

20 des menaces proférées contre elle. Oui, c'était pratiquement toujours la

21 même histoire quelque peu variée, à quelques modifications près, qui

22 disait qu'il était trop dangereux de rester sur place, que d’autres

23 avaient été tués, qu'il fallait partir.

24 M. Keegan (interprétation). – Avez-vous eu également l'occasion

25 de parler à des gens qui se trouvaient dans le gymnase mais qui venaient

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1 des autres régions dont vous avez parlé ?

2 M. Vulliamy (interprétation). – Oui, comme je l’ai dit, pour

3 l’essentiel, c’étaient des gens venant de Sanski Most, d’autres venaient

4 de Prijedor, il y en avait qui venaient de Kozarac et des villages

5 avoisinants Prijedor, et qui venaient de la région à l'ouest de

6 Banja Luka.

7 M. Keegan (interprétation). – Est-ce que ces personnes venant de

8 ces autres régions vous ont narré les mêmes récits que ceux qui venaient

9 de Sanski Most ?

10 M. Vulliamy (interprétation). – Oui, c'était pratiquement

11 toujours le même scénario : harcèlements, coups de feu tirés contre leur

12 maison, grenades. D'autres ont dit comment ils ont dû se destituer de leur

13 propriété en signant les documents à l'intention des autorités avec la

14 promesse de ne jamais revenir, d'autres sont passés par le bureau de

15 l'échange de population à Prijedor, auprès duquel ils ont dû s'inscrire,

16 se défaire de leur propriété pour organiser leur départ mais pratiquement,

17 c'était toujours le même scénario qui revenait à dire que ces personnes

18 devaient partir pour ne plus jamais revenir.

19 M. Keegan (interprétation). – Est-ce que toutes ces personnes

20 avaient dû emprunter ce même trajet que vous vous aviez emprunté ? Et leur

21 récit ressemblait-il à ce que vous aviez vécu comme expérience ?

22 M. Vulliamy (interprétation). – Oui, c'est plus tard, lors d'une

23 visite ultérieure à Travnik, le mois suivant, que j'ai surtout parlé de

24 cela. Mais si je récapitule l'ensemble des conversations que j'ai eues

25 pour répondre à votre question, je dirai ceci : "Cette route, bien sûr

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1 elle avait créé un lien entre toutes ces personnes qui l'avait empruntée,

2 mais c'était aussi un nœud stratégique, un cordon ombilical au cours de la

3 guerre car tout le monde le connaissait et

4 beaucoup des gens que je rencontrais le mois suivant, en septembre 92 à

5 Travnik avaient dû suivre cette même route et avaient connu les mêmes

6 circonstances depuis le camp de Trnopolje que nous avions inspecté leur

7 récit et leur narration, pour moi, ont donné un nouvel éclairage,

8 éclairage important sur l'usage que l’on voulait faire de Trnopolje. Parce

9 que ces gens étaient arrivés à Trnopolje et comment dire, on voyait

10 maintenant les séquelles de tout ce qui s’était passé dans le camp. Ces

11 gens avaient été rassemblés, avaient dû passer par ce même… et avaient dû

12 franchir ces mêmes sentiers pour arriver à Travnik. "

13 M. Keegan (interprétation). – Quelle fut la durée de votre

14 visite, cette fois-là, à Travnik ?

15 M. Vulliamy (interprétation). – Nous sommes partis le lendemain.

16 Ce fut une courte visite. Nous avons vu le commandant de l'armée de

17 Bosnie-Herzégovine et son homologue dans le HVO. A cette époque là, ils

18 étaient alliés. On nous a dit, nous avons obtenu certains chiffres sur le

19 nombre de réfugiés qui étaient arrivés à Travnik par l'itinéraire que

20 nous, nous avions dû suivre. Je crois qu'il y avait quelque 36 000

21 réfugiés à ce moment-là et c'était le 18 août 92. Et nous nous sommes

22 rendu compte, pour la première fois, de l'ampleur du problème. Je rappelle

23 que nous avions voulu savoir comment on pouvait entrer par la porte

24 arrière. Maintenant, nous savions quel était le dessous de l'affaire. Le

25 problème est que l'on ne pouvait pas avoir à accès à un téléphone pour

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1 faire état de ce que nous avions vu. Pour le faire, il fallait descendre

2 en Croatie.

3 M. Keegan (interprétation). – Suite aux expériences qui furent

4 les vôtres au cours de ce convoi vers Travnik, est-ce que le CICR a publié

5 un document qui faisait état de traitements similaires infligés aux non-

6 Serbes dans la région de Banja Luka ?

7 M. Vulliamy (interprétation). – Effectivement, je me souviens de

8 la publication par le CICR d'un document relatif à ce problème.

9 M. Keegan (interprétation). – Il s'agira de la pièce P 49.

10 (L'huissier s'exécute).

11 Reconnaissez-vous ce document, ce rapport ?

12 M. Vulliamy (interprétation). – Oui.

13 M. Keegan (interprétation). – Est-ce bien le rapport publié par

14 le CICR ?

15 M. Vulliamy (interprétation). – Oui, il est consécutif mais il a

16 été publié bien après notre périple par les montagnes, mais je m’en

17 souviens.

18 M. Keegan (interprétation). – Je demande le versement de ce

19 document au dossier, Monsieur le Président.

20 Au cours de cette même période, est-ce que des déclarations ont

21 été fournies par les responsables officiels serbes dans la région de

22 Banja Luka et aussi par les médias serbes, déclarations qui ont renforcé

23 cette impression que vous avez décrite, à savoir que c'était une activité

24 dangereuse qui allait se poursuivre.

25 M. Vulliamy (interprétation). – Je me souviens de ce que me

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1 disait mon collègue de Belgrade, de Reuters, qui a obtenu un numéro de

2 Epoca, un magazine de la région et qui donnait en nous un nouvel éclairage

3 sur la question des draps blancs, des objets blancs car on disait que les

4 non-Serbes étaient obligés d'arborer, de hisser quelque chose de blanc sur

5 leurs maisons, sur leurs bâtiments, sinon ils auraient à en subir les

6 conséquences.

7 C'était quelque chose allant dans ce sens là. En tous cas

8 c'était un reportage, un article publié dans un magazine serbe à propos du

9 malaise que l'on voulait créer chez les gens qui ne voulaient pas partir.

10 M. Keegan (interprétation). - Et est-ce que les autorités de

11 Banja Luka ont fait des déclarations, elles aussi, à propos de ce

12 déplacement forcé de population ?

13 M. Vulliamy (interprétation). - Divers décrets ont été

14 promulgués au niveau des villages ; par exemple il y a un petit village

15 près de Prijedor qui s'appelle Selinac, où un décret a établi que les

16 Musulmans ne pouvaient pas constituer des groupes de plus de trois

17 personnes, ne

18 pouvaient pas utiliser le téléphone, si ce n'est... pas au bureau de

19 poste, ne pouvaient pas aller à la pêche, ne pouvaient pas parler à leurs

20 parents s'ils n'étaient pas du village. Voilà, il y a eu plusieurs décrets

21 officiels qui ont été promulgués de la sorte ; je n'en ai vu qu'un et je

22 l'ai vu dans ce village qui se trouve à proximité de Prijedor et de

23 Banja Luka.

24 M. Keegan (interprétation). - Vous souvenez-vous de déclarations

25 ayant trait au nombre de Musulmans que les autorités de Banja Luka

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1 voulaient expulser, éloigner de Banja Luka ?

2 M. Vulliamy (interprétation). - Je ne me souviens pas de façon

3 précise de chiffres avancés par ces autorités, disant qu'elles voulaient

4 expulser tel ou tel nombre de personnes. Mon collègue a écrit un article

5 pour mon propre journal dans lequel il citait des chiffres ; apparemment

6 ce bureau voulait avoir 45000 personnes hors de Zenica à une certaine

7 date. Je pourrais retrouver ce rapport pour vous, cet article pour vous,

8 mais moi je ne suis pas allé directement à Banja Luka. En tout cas,

9 c'étaient des chiffres dont on faisait état, surtout ce bureau de

10 l’échange de population, et un homme qui s’appelait Vukic en particulier,

11 a fait de telles déclarations.

12 M. Keegan (interprétation). - Un peu plus tard, en octobre 92,

13 est-ce que le CICR de la région de Banja Luka a émis des déclarations

14 concernant ou faisant allusion à un nettoyage ethnique de Musulmans et de

15 non-Serbes de la région de Banja Luka ?

16 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, effectivement, le CICR a

17 émis de plus en plus fréquemment des protestations, des rapports et pour

18 eux... en fait, ils sont devenus de plus en plus vigoureux au fur et à

19 mesure du temps. Le CICR n'utilise pas ces termes à la légère. Ils sont

20 généralement très circonspects, cela fait partie de leurs devoirs, ils

21 doivent l’être et c’est pourquoi leurs rapports sont particulièrement

22 remarquables à cet égard.

23 M. Keegan (interprétation). - Avez-vous aussi souvenir d'un

24 rapport émanant du rapporteur spécial des Nations-Unies, M. Macewiecki,

25 concernant Trnopolje à cette époque ?

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1 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, je me souviens fort bien

2 d'un rapport de Tadeusz Macewiecki. Je me souviens d'un certain nombre de

3 rapports émanant de lui d'ailleurs, et en particulier celui-ci sur

4 Trnopolje ; nous étions en contact étroit avec lui à ce moment-là et je

5 crois que ce sont ces rapports qui ont mené à sa démission.

6 M. Keegan (interprétation). - Je vous propose de verser les

7 trois pièces suivantes sous les chiffres P 50, P 51 et P 52.

8 M. Cassese (interprétation). - Monsieur Keegan, pouvez-vous nous

9 donner une date pour ce document P 49, la date et la source du document du

10 CICR ?

11 M. Keegan (interprétation). - Oui, effectivement, ceci a été

12 émis par le siège du CICR à Genève. Je suis désolé, j'ai cela dans mes

13 notes mais je n'ai pas la date effective ici sur moi. Je vais vous la

14 fournir dès que possible.

15 M. Cassese (interprétation). - Je vous remercie.

16 M. Keegan (interprétation). - Monsieur Vulliamy, pouvez-vous,

17 s’il vous plaît, examiner ces trois documents brièvement ? S'agit-il des

18 déclarations auxquelles nous venons de faire allusion ?

19 M. Vulliamy (interprétation). - Oui. En ce qui concerne la

20 déclaration de la Croix-Rouge, il s'agit d'un entretien avec

21 Bert Schweitzer à la radio autrichienne. Je ne suis pas au courant de cet

22 entretien particulier à la radio, mais j'ai parlé à Bert moi-même à

23 plusieurs occasions et il a dit la même chose.

24 M. Keegan (interprétation). - Et quel était son poste ?

25 M. Vulliamy (interprétation). - Il était responsable de la

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1 Croix-Rouge Internationale, du CICR dans la région.

2 M. Keegan (interprétation). - La région de Banja Luka ?

3 M. Vulliamy (interprétation). - Oui.

4 M. Keegan (interprétation). - En ce qui concerne le rapport de

5 l’AFP sur le

6 nettoyage ethnique pratiquement terminé... c’est cette fois-ci un rapport

7 de l’Agence France Presse que je n’ai pas vu en particulier mais

8 Silvana Fore, la porte-parole du haut-commissariat des Nations-Unies pour

9 les réfugiés, a aussi fait des rapports. A cet égard, j'ai vu d'autres

10 récits de leurs déclarations, le troisième en fait c'est un rapport de

11 l’AFP, c’est un rapport sur son rapport. Je n'ai pas vu le rapport auquel

12 il est fait allusion mais j'ai vu le rapport lui-même. Je n'ai pas vu le

13 rapport du rapport.

14 M. Keegan (interprétation). - En fait, il s'agit ici d'un résumé

15 des conclusions, n'est-ce pas ?

16 M. Vulliamy (interprétation). - Oui. Oui.

17 M. Ostojic (interprétation). - Je crois que l'on spécule à ce

18 stade : d'accord, on peut donner une certaine marge, c'est vrai...

19 M. le Président (interprétation). - Néanmoins, c'est tout de

20 même à nous d’en décider, Maître.

21 Avant de quitter ce document, le greffe me dit qu'ils devront

22 porter les chiffres suivants, les cotes suivantes : le dernier document

23 auquel on a fait allusion, celui portant à gauche la cote 00543284 est, je

24 crois, la pièce n°50. Je crois que le greffe sera d’accord. Le document

25 intitulé " directeur de la Croix-Rouge dit que les Musulmans doivent être

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1 déplacés ", 00543283, est la pièce 51. Non ?

2 (Discussion hors micro.)

3 S'il vous plaît. Oui ?

4 M. Vulliamy (interprétation). - Excusez-moi.

5 Monsieur le Président, je les ai reçus en ordre différent.

6 M. le Président (interprétation). - Je vais demander au Greffier

7 de nous indiquer ces références de manière à ce qu’il n’y ait pas d’erreur

8 possible.

9 M. le Greffier (interprétation). - Donc le document " directeur

10 de la Croix-Rouge

11 dit que les Musulmans doivent être déplacés ", il s'agit de la pièce 50 ;

12 le document intitulé " nettoyage ethnique à Banja Luka pratiquement

13 terminé ", pièce 51 et " Macewiecki. Nettoyages ethniques

14 s’intensifient ", pièce 52.

15 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie.

16 M. Keegan (interprétation). - Monsieur Vulliamy, êtes-vous

17 revenu à Travnic quelques semaines plus tard ?

18 M. Vulliamy (interprétation). - Oui. Effectivement, à peu près

19 un mois plus tard.

20 M. Keegan (interprétation). - Quelle a été votre impression

21 principale ? Qu’est-ce qui vous a le plus marqué de cette visite ?

22 M. Vulliamy (interprétation). - En premier lieu que le village

23 était relativement rempli de déportés lorsque j'étais arrivé ce soir là,

24 il débordait de monde. Les chiffres fournis par les diverses autorités

25 parlant de réfugiés ayant besoin d'être relogés était de 36 000 à la mi-

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1 août lors de ma première visite, si je puis m'exprimer ainsi, et on en

2 comptait à ce moment-là entre 75 et 80 000, soit plus du double, tous

3 ayant suivi cette même route et tous venant de la même région.

4 Donc la première impression que l'on en retirait, c'est que le

5 village débordait de personnes venant des environs de Prijedor. Les

6 bombardements d'artillerie étaient assez intenses, j'ai oublié de le

7 mentionner aussi.

8 M. Keegan (interprétation). - Avez-vous eu des conversations

9 avec certaines de ces personnes concernant les convois qui ont suivi celui

10 auquel vous avez participé ?

11 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, bien sûr, avec un grand

12 nombre de ces personnes car, comme je l'ai dit avant, cette route

13 constituait un lien entre ceux qui l'avaient parcourue ; certains

14 d'ailleurs étaient assez surpris qu'un étranger ait effectivement suivi ce

15 chemin. Bien entendu nous avons partagé les récits concernant cette route,

16 cette traversée et les points de départ de ces différentes personnes.

17 Excusez-moi si j'ai essayé de parler de ceci avant, mais à ce

18 moment-là, en fait, le nombre de personnes qui étaient à Travnik et qui

19 avaient suivi cette route venant du camp de Trnopolje était beaucoup plus

20 important. J'ai appris ensuite, lors de cette visite, que l’une de ces

21 personnes était le Monsieur Alic que nous avions rencontré ce jour là à

22 Trnopolje.

23 M. Keegan (interprétation). - Y avait-il des rapports ou des

24 informations concernant des massacres ayant eu lieu dans ces convois ?

25 M. Vulliamy (interprétation). - Cela était l'élément principal,

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1 en fait. Le soir de notre passage entre le 17 et le 18 août, la nuit du

2 21 août, d'après les autorités, d'après certaines personnes qui campaient

3 là, on a dit que quelque 200 hommes avaient été tués près d'un ravin à

4 Smet. Je me souviens de ce ravin, nous étions passés à côté, nous n'avions

5 pas pu voir s'il contenait quoi que ce soit car il faisait nuit, mais la

6 route contournait ce ravin. On parlait en ville de ce massacre.

7 J'ai essayé de trouver des témoins directs du massacre, mais je

8 n'ai pas pu en trouver. Les deux personnes qui en avaient fait rapport,

9 qui avaient sans doute survécu, avaient poursuivi leur chemin, mais

10 néanmoins les informations circulaient concernant ce massacre.

11 M. Keegan (interprétation). - D’où, d'après ces informateurs, ce

12 convoi venait-il ?

13 M. Vulliamy (interprétation). - D'après ce que j'ai compris, il

14 venait de Trnopolje.

15 M. Keegan (interprétation). - Avez-vous eu des conversations

16 avec des personnes qui avaient été dans des camps d'un type ou d'un autre

17 et venant de régions autres que Prijedor et Banja Luka ?

18 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, un en particulier qui m'a

19 alarmé. Vous pouvez vous imaginer, bien sûr, que l'on me présentait comme

20 étant l'homme qui avait vu Omarska, qui avait dévoilé Omarska. Donc un

21 homme voulant m'informer, me réprimander en même temps d'ailleurs, m'a

22 parlé d'un hangar dans lequel il avait été gardé avec cent autres

23 prisonniers de son village près d'une ville qu'ils s'appelait Donji Vakuf,

24 juste de l'autre côté de la ligne de front.

25 Son argument était fondé sur la chose suivante. Il m'a dit :

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1 "Vous avez trouvé Omarska et Trnopolje ", cela, c'étaient les camps

2 célèbres, notoires mais il y avait pleins de camps, de petits camps, peut-

3 être que le terme "camp" n'était pas approprié, mais dans son hangar, des

4 hommes avaient été battus, maltraités et tués.

5 Le commandant, donc l'homme qui était responsable d'eux, était

6 venu le voir ce jour-là et lui avait dit : "Ah les journalistes ont vu le

7 grand camp près de Prijedor mais ils ne viendront jamais vous retrouver

8 ici". Cet homme a réussi à rejoindre ou à rallier Travnik avec cinq autres

9 dans le cadre d'un échange de prisonniers, mais son témoignage, que j'ai

10 cru d'ailleurs, m'a fait désespérer en sorte, c'est-à-dire que ces

11 endroits discrets pouvaient se trouver partout dans le pays et qu'on ne

12 les trouverait pas.

13 M. Keegan (interprétation). - Partant de Travnik, quelle a été

14 la région vers laquelle vous vous êtes dirigé après cela ?

15 M. Vulliamy (interprétation). - C'était en septembre. Vers la

16 fin du mois de septembre. Je suis allé dans ce que l'on a appelé la poche

17 de Bihac, il s'agissait en fait d'une région à l'extrême nord-ouest du

18 pays, juste à l'ouest de Prijedor.

19 M. Keegan (interprétation). – Et à ce moment-là, comment est-ce

20 que cette poche était tenue ou défendue ?

21 M. Vulliamy (interprétation). – Avec une certaine difficulté,

22 bien que la carte que nous ayons consultée ne la reprend pas en fait.

23 Bihac était totalement encerclée, bloquée à l'est et au sud par la

24 Krajina..., donc la région Prijedor Sanski Most, et au nord et à l'ouest,

25 par la région de Krajina croate qui ; bien qu’étant en Croatie, était sous

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1 contrôle serbe, ce qui fait que Bihac était totalement encerclée et se

2 défendait avec quelque difficulté.

3 Stratégiquement, c'était un lieu très important de part et

4 d'autre, en particulier pour les Serbes, car c'était, comme m'a dit un

5 homme, c'était pratiquement une arête dans la gorge empêchant la liaison

6 entre les Serbes de Banja Luka et ceux de la Krajina croate. C'était une

7 aberration pour eux.

8 M. Keegan (interprétation). – Quand vous y êtes-vous rendu pour

9 la première fois ?

10 M. Vulliamy (interprétation). – Je me suis rendu à un endroit

11 qui s’appelait Bosanska Krupa, sur la rivière Una.

12 M. Keegan (interprétation). – Et au moment de votre arrivée à

13 Bosanska Krupa, qu’avez-vous remarqué ?

14 M. Vulliamy (interprétation). – Bosanska Krupa était séparée de

15 la région sous contrôle Serbe, juste à l'ouest de Prijedor et Sanski Most

16 par la largeur d'une rivière. C'est un des endroits les plus terrifiants

17 où je me sois rendu pendant toute cette guerre. On y arrivait en garant sa

18 voiture au loin et en descendant un sentier très escarpé pour arriver au

19 village ou ce qu'il en restait. Là, j'ai trouvé une population composée

20 soit et principalement de personnes âgées qui n'avaient pas pu ou qui ne

21 pouvaient pas grimper le sentier suffisamment rapidement sans se faire

22 tirer dessus parce qu'on se faisait tirer dessus en parcourant ce sentier,

23 ou par des gens qui voulaient rester sur place, il y en a toujours partout

24 en toute circonstance, et un petit nombre de policiers défendant le

25 village et pour la plupart finalement des réfugiés venant de l'autre côté

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1 de la rivière, du côté de Sanski Moste et de Prijedor.

2 M. Keegan (interprétation). – Comment décririez-vous la région

3 de Bosanska Krupa à ce moment-là ?

4 M. Vulliamy (interprétation). – Eh bien, je l'ai déjà décrite,

5 et c'était en fait comme un tir aux pigeons car les tireurs embusqués

6 étaient de l'autre côté de la rivière et pour se déplacer en ville il

7 fallait courir d'une maison à l'autre. Donc on se tenait accroupi derrière

8 une maison, il fallait courir vers une autre maison. Ce faisant, les

9 tireurs embusqués s'essayaient à vous toucher, vous entendiez le

10 claquement des tirs, vous atteigniez l'autre maison et c'est ainsi que

11 l'on pouvait progresser dans le village. C'était la manière dont la

12 population pouvait survivre

13 en cueillant des fruits qui se trouvaient dans les arbres. Ni les Nations

14 Unies, ni la Croix-Rouge ni aucune autre agence, moi je suis arrivé à

15 Bosanska Krupa à ce moment-là, personne n’y avait encore mis les pieds.

16 M. Keegan (interprétation). – Vous avez parlé de policiers,

17 combien de soldats, ou d’hommes armés étaient présents ?

18 M. Vulliamy (interprétation). – Difficile à dire. Je dirais un

19 minimum de 20, un maximum de 50, y compris les blessés. Nous on a demandé

20 aux gens : "Combien de gens se font tuer en courant d’une maison à

21 l'autre ?" On m'a répondu : "56 au cours des deux dernières semaines". La

22 plupart d'entre eux, je suppose, était ce que l'on appelait les forces de

23 défense, mais c'était une défense vraiment symbolique.

24 M. Keegan (interprétation). – Quel était l’armement de ces

25 policiers ?

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1 M. Vulliamy (interprétation). – Des fusils, une ou deux

2 mitraillettes, pas-grand-chose.

3 M. Keegan (interprétation). – Quelle était l'origine ethnique de

4 toutes les personnes que vous avez rencontrées dans ce village ?

5 M. Vulliamy (interprétation). – Je crois qu'ils étaient tous

6 Musulmans, dans ce cas-là, et s’il y avait des Croates, je ne m'en

7 souviens pas. Je pense qu'ils étaient tous Musulmans.

8 M. Keegan (interprétation). – Avez-vous eu l'occasion, à un

9 moment donné, de découvrir quelles étaient les forces qui étaient

10 embusquées de l’autre côté ?

11 M. Vulliamy (interprétation). – Oui, effectivement il y avait un

12 nombre important de tireurs embusqués, avec des mitraillettes et des

13 fusils qui nous tiraient dessus toute la journée. C'est le soir en fait

14 qu'ils ont commencé à pilonner Bosanska Krupa, avec des mortiers, des tirs

15 d'artillerie, et c'est à ce moment-là que nous avons cessé et que nous

16 cessions de courir d'une maison à l'autre, et que nous rejoignions la

17 population du village dans les lieux où ils s’étaient habitués à vivre, il

18 s’agissait de leur cave, et s'il n'y avait pas de cave dans leur maison,

19 ils allaient dans la cave de quelqu'un d'autre.

20 M. Keegan (interprétation). – Et les forces de l'autre côté de

21 la rivière, avez-vous pu ultérieurement déterminer de qui il s'agissait, à

22 quelle force ils appartenaient, à quelle armée ?

23 M. Vulliamy (interprétation). – C'était l'armée serbe de Bosnie.

24 M. Keegan (interprétation). – Combien de temps avez-vous passé

25 dans ce village ?

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1 M. Vulliamy (interprétation). – Donc, deux jours, et une nuit.

2 M. Keegan (interprétation). – Et comment avez-vous quitté le

3 village ?

4 M. Vulliamy (interprétation). – Eh bien, on a refait le parcours

5 du tir au pigeon, donc on a bondi d'une maison à l'autre, les coups sont

6 passés assez près, puis on a escaladé le sentier à toute vitesse, rejoint

7 la voiture après être passé par Zazib et tout pendant ce temps là, nous

8 nous faisions tirer dessus.

9 M. Keegan (interprétation). – Est-ce que vous vous êtes rendu,

10 ensuite, à Bihac ?

11 M. Vulliamy (interprétation). – Oui.

12 M. Keegan (interprétation). – Pouvez-vous décrire la situation

13 que vous avez pu observer à cet endroit ?

14 M. Vulliamy (interprétation). – C'était comparable à Travnik et

15 pour la même raison ; d'après... Il semblait qu'il y ait eu... il y avait

16 des observateurs des Nations-Unies, des observateurs militaires des

17 Nations-Unies à Bihac qui nous ont indiqué que la population de la poche

18 était de 300 000 personnes dont 36 000 étaient des réfugiés venant de la

19 région de Prijedor. Et les conditions étaient les mêmes, les espaces

20 publics étaient bourrés de gens qui logeaient à même le sol dans les

21 écoles, qui dormaient à même le sol dans les écoles plutôt.

22 Certains des réfugiés avaient trouvé hébergement, et cela je

23 m’en suis souvenu, dans des tunnels souterrains qui avaient été construits

24 par les allemands pendant la deuxième guerre mondiale, en dessous d'une

25 école, école qui avait été détruite, qui était trop exposée, on ne pouvait

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1 plus y séjourner. Ils avaient trouvé en dessous de cette école des tunnels

2 où ils avaient décidé de séjourner. Nous nous y sommes rendus aussi, nous

3 avons passé pas mal de temps dans ces tunnels avec ceux qui y vivaient.

4 La plupart de ces personnes étaient des personnes âgées, il y

5 avait une vieille dame âgée de 84 ans, j'ai son nom, je l'ai interviewée,

6 je ne m'en souviens plus aujourd'hui de son nom, mais je le retrouverai si

7 vous le voulez. Je pense qu'elle était terrorisée à l'idée de passer le

8 restant de ses jours à cet endroit-là, et elle a fait une remarque du

9 genre : " Cela n’a jamais été aussi grave que cela, même pendant la

10 deuxième guerre mondiale. "

11 Il y avait une jeune fille qui s'appelait Bahra, je ne me

12 souviens pas de son autre nom, peut-être était-ce Klagic, qui, c’était

13 assez touchant, est allée se maquiller pour l'entretien malgré les

14 circonstances, et elle a raconté comment on avait mis le feu à sa maison,

15 cela l'avait forcée à partir, juste en dehors de Prijedor, un endroit qui

16 s'appelle Bosanski Novi... et a décrit la marche forcée de 90 kilomètres

17 en compagnie de quelques autres où elle a vu que l'on avait abattu des

18 gens dans la rue.

19 Elle a dit qu'elle et son amie avaient été hébergées par des

20 Serbes pour leur préparer du café pendant un certain temps avant qu’on ne

21 les laisse traverser la rivière Una Bozanska Krupa. Puis, à Bihac j’ai

22 écrit qu'elle avait " préparé du café pour les Serbes " ;maintenant je

23 sais ce que signifiait cette expression.

24 M. Keegan (interprétation). - La ville elle-même était sous le

25 feu au moment où vous vous y trouviez ?

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1 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, effectivement, de manière

2 assez intense.

3 M. Keegan (interprétation). - Est-ce que la ville était soumise

4 à des tirs d'artillerie ?

5 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, surtout vers la tombée de

6 la nuit, et les observateurs militaires des Nations-Unies nous l'ont

7 indiqué, d'ailleurs. C'est que les tirs d'artillerie venaient non

8 seulement du côté des Serbes bosniaques, mais d’une manière assez intense,

9 les tirs venaient du côté croate, serbo-croate aussi, de la Kranja

10 croate ; donc les tirs

11 venaient de l'ouest ainsi que de l'est-sud-est.

12 M. Keegan (interprétation). - Avez-vous eu l'occasion d'assister

13 à la formation, ou de voir les formations des Serbes de Croatie qui se

14 trouvaient de l'autre côté de la ligne de front ?

15 M. Vulliamy (interprétation). - Effectivement, les observateurs

16 militaires des Nations-Unies et qui venaient en fait des forces aériennes

17 de mon pays... un monsieur qui s'appelait Belington était vraiment furieux

18 à ce propos. Il était aussi furieux à l’égard de son propre employeur et

19 il nous a donné le conseil d'aller vers le camp de l'armée des Serbes de

20 Bosnie, sur un relief qui surplombait Tarcin, où il y a une ferme où l'on

21 élève la dinde, et de là on pouvait voir très clairement d'où venaient les

22 tirs qui étaient dirigés sur Bihac. Ils venaient du côté des Serbes de

23 Croatie, en sus des tirs qui étaient tirés du côté des Serbes de Bosnie.

24 M. Keegan (interprétation). - Et on pouvait le voir clairement ?

25 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, oui, tout à fait, on

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1 pouvait voir l'origine de ces tirs.

2 M. Keegan (interprétation). - Que s’est-il passé à cet endroit,

3 s'agissant des forces militaires de Bosnie à cette époque ?

4 M. Vulliamy (interprétation). - Ce que l'on appelait l’armée de

5 Bosnie a été concentrée à cette ferme, ou cantonnée à cet endroit. Je n’ai

6 pas passé beaucoup de temps à cet endroit, mais ce dont je me souviens

7 c’est qu’on remettait des balles individuellement, on donnait une balle à

8 la fois, ce qui vous donnait une idée de l'importance des effectifs et des

9 pièces d'artillerie qu'ils avaient. Les hommes allaient à partir de cette

10 ferme vers la ligne de front, et ils prenaient le bus, le bus civil, pour

11 y aller. Ils étaient sans armes. Nous leur avons demandé où étaient leurs

12 armes et ils nous ont dit : " Eh bien les lignes sont sur la ligne de

13 front déjà. Vous savez qu'il y a relève, si vous voulez, de l'équipe et

14 les précédents laissent leurs armes là-bas et nous les utilisons lorsque

15 nous arrivons sur les lieux ". Il y avait plus d’hommes, donc,

16 que d'armes.

17 M. Keegan (interprétation). - Avez-vous souvenir d'une attaque

18 toute particulière pendant le temps que vous avez passé à Bihac ?

19 M. Vulliamy (interprétation). - Je me souviens de deux choses :

20 si l'on pouvait douter de l'origine des tirs, eh bien ceci nous a

21 éclairés. Nous revenions de la ville et ce sont... en fait, c'est depuis

22 la Croatie que l'on a tiré sur nous. Mais l'attaque la plus mémorable

23 s’est située aux alentours et en direction de l'hôpital.

24 M. Keegan (interprétation). - Et que s’est-il passé à

25 l'hôpital ?

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1 M. Vulliamy (interprétation). - Eh bien l'hôpital faisait de son

2 mieux pour assurer le traitement des gens, c'était vrai de bien des

3 hôpitaux dans lesquels je me suis rendu en Bosnie. Souvent ils devaient

4 travailler sans anesthésiant.

5 Un obus a été dirigée contre l'hôpital au moment où je m'y

6 trouvais mais ce dont je me souviens le mieux, de la façon la plus vivace,

7 c'est lorsqu'une fille de 7 ans, une gamine de 7 ans fut hospitalisée.

8 Elle avait été frappée à la tête par la balle d'un tireur embusqué, alors

9 qu’apparemment elle traversait en courant son jardin avec sa mère, la

10 maison avait été touchée par un mortier. Elle avait été pansée. Ils nous

11 ont demandé d'aller la voir. Elle était pratiquement inconsciente, elle

12 avait les yeux fermés. J'ai simplement posé ma main sur son épaule, je ne

13 pensais pas en termes de journalisme à l'époque, et cela a été vraiment un

14 moment terrible parce que c'est à ce moment-là même qu'elle est morte

15 après un frisson effroyable. C'est ce dont je me souviens le plus

16 s’agissant de l’attaque menée contre Bihac.

17 M. Keegan (interprétation). - Alors qu'il y avait des attaques

18 qui venaient de la Croatie mais aussi de la Bosnie contre Bihac, vous

19 êtes-vous rendu compte du fait qu'il y avait aussi des attaques dans le

20 sud de la Bosnie qui étaient menées par les forces de l'armée yougoslave ?

21 M. Vulliamy (interprétation). - Excusez-moi, dans le sud ?

22 M. Keegan (interprétation). - Je répète ma question : avez-vous

23 compris qu'au moment où vous vous trouviez à Bihac, l'armée yougoslave

24 déclenchait des attaques dans le sud de la Bosnie ?

25 M. Vulliamy (interprétation). - Oui dans le sud-est de la

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1 Bosnie, je pense. C'était la division monténegrine, me semble-t-il. Des

2 collègues en ont parlé.

3 M. Keegan (interprétation). - Je vous demanderai d'examiner

4 succinctement ce document.

5 (Le témoin s'exécute).

6 M. Ostojic (interprétation). - Nous avons une objection face à

7 cette pièce conformément à la décision de la Chambre qui permettait de

8 limiter les dépositions à des moments différents.

9 Vous savez que cette région dont on parle maintenant se trouve

10 dans la partie de Dubrovnik, et si vous examinez Dubrovnik, il apparaît

11 clairement que cette ville est du côté croate. Vous voyez que cet endroit

12 se trouve au centre de votre carte et qu'il est très éloigné de la région

13 de Prijedor qui nous concerne ici.

14 Il est certain que ceci dépasse la portée que vous avez indiquée

15 et le cadre dans lequel il est permis d'apporter les éléments de preuve.

16 M. Keegan (interprétation). - Il s'agit d'un article de l'agence

17 de presse de Belgrade, TANJUG, agence d'Etat ex-Yougoslavie qui fait état

18 d'une déclaration faite par le Président de la région autonome serbe de

19 Bosnie-Herzégovine.

20 Dans le cadre d'une déposition précédente, vous avez compris que

21 ceci se trouve en Bosnie, c'est une des régions autodéclarées par les

22 Serbes de Bosnie.

23 Dans cet article, on parle des membres de l'armée du corps de

24 Bozarina, la capitale du Monténégro, qui sont déployés sur le territoire

25 de la Bosnie-Herzégovine. La ville mentionnée est celle de Trebinje et

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1 comme vous le constatez sur la carte, cette ville se trouve en Bosnie-

2 Herzégovine. Ceci se situe dans l'année 1992 sur le territoire de la

3 Bosnie-Herzégovine et ceci a trait aux conflits armés internationaux.

4 M. le Président (interprétation). - La pièce est déclarée

5 recevable. Elle est admise.

6 M. Keegan (interprétation). - Monsieur Vulliamy, après Bihac,

7 quelle région a été la destination de votre voyage ?

8 M. Vulliamy (interprétation). - Pendant plusieurs semaines je

9 m'inquiétais de voir émerger ce conflit entre les Musulmans et les Croates

10 de Bosnie. De façon assez soudaine et inattendue, notre attention a été

11 reportée vers Travnik du fait de la chute de la ville de Jajce.

12 M. Keegan (interprétation). - Où, par rapport à Travnki, se

13 trouve Jajce ?

14 M. Vulliamy (interprétation). - Jajce est au nord-ouest de

15 Travnik. Il faisait l'objet d'un siège très dur. C'était une ville à

16 composition mixte, composée de Croates et de Musulmans, elle a été

17 assiégée par les Serbes.

18 Des collègues et moi avions essayé de rallier Jajce à plusieurs

19 reprises en empruntant une espèce de couloir, un corridor, un cordon

20 ombilical qui permettait d’approvisionner la nuit en denrées alimentaires

21 et en munitions.

22 Nous avons essayé d'emprunter ce couloir à plusieurs reprises,

23 mais nous en avons été empêchés par des tirs très lourds, ce qui fait que

24 je n'ai jamais pu parvenir à Jajce, mais cette ville est tombée au cours

25 des derniers jours du mois d'octobre et des premiers jours de novembre

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1 également.

2 M. Keegan (interprétation). - L'ordre a-t-il été donné d'évacuer

3 la ville de Jajce ?

4 M. Vulliamy (interprétation). - Effectivement je crois qu'à un

5 moment donné le HVO croate s’est rendu compte que les pilonnages étaient

6 tellement intensifs que la ville ne pouvait plus être défendue, l'ordre a

7 été donné à la population de quitter la ville étant donné l'intensité du

8 pilonnage.

9 M. Keegan (interprétation). - Avez-vous assisté à l'évacuation

10 de Jajce dans ce

11 couloir ?

12 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, tard dans la soirée nous

13 sommes allés vers le village de Turbe qui se trouvait sur la ligne de

14 front ; des premières personnes ont commencé à arriver de Jajce et ces

15 personnes disaient que leur ville était en feu, en flammes.

16 C'est le lendemain, un samedi, je pense que c'était le

17 1er novembre, en tout cas c'était un samedi, nous sommes allés vers un

18 point qui s’appelait Karaule, à mi-chemin entre Turbe et Jajce, et nous

19 avons vu cette scène : quelque 40 000 personnes d'après le HCR

20 descendaient les avenues avec des animaux, des voitures, des chevaux, des

21 charrettes, c'était une retraite pathétique d'une armée défaite qui

22 partait sous les coups de feu des tirs. Je le sais parce qu'il y avait une

23 partie assez calme entre Karaula et Turbe, mais il y avait un homme qui

24 était blessé au bras et qui a été frappé d'une balle alors qu'il était à

25 cheval et qu’il tirait derrière lui une charrette.

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1 M. Keegan (interprétation). - Qui étaient ces personnes que vous

2 avez vu être évacuées de Jajce ? Etaient-elles des militaires ?

3 M. Vulliamy (interprétation). - Non, les militaires ne

4 constituaient qu'une faible minorité et ils essayaient eux aussi, tout

5 autant que les civils, de trouver une place sur une de ces charrettes, un

6 de ces chariots, mais pour la plupart c'étaient des civils, des familles

7 entières, des enfants, des personnes âgées. C'était en fait la population

8 de la ville qui était évacuée.

9 M. Keegan (interprétation). – Avez-vous parlé à certaines

10 personnes qui descendaient dans ce convoi ?

11 M. Vulliamy (interprétation). – Oui, nous avons parlé à

12 quelques-unes de ces personnes, mais surtout au moment où elles se sont

13 arrêtées et ont essayé de trouver un endroit où rester dans les rues, dans

14 tout espace public ou ouvert qu'elles pouvaient trouver à Travnik. Cela

15 ressemblait vraiment à quelque chose tiré de Tolstoï, parce qu'on voyait

16 des moutons, des animaux qui déambulaient, parce que les gens avaient

17 emmené leur cheptel, ce qu’ils avaient

18 avec eux, c’était une vision absolument incroyable.

19 Travnik était débordant de personnes. Alors, oui, effectivement

20 nous avons parlé à certaines personnes du pilonnage intensif de leur

21 ville, de la façon dont pratiquement, vers la fin du siège, elles vivaient

22 dans les caves dont elles devaient sortir pour trouver de la nourriture et

23 que vous aviez ces deux armées belligérantes qui les surveillaient, puis

24 elles trouvaient un peu de nourriture, elles retournaient dans leur cave.

25 Elles ont parlé des attaques lancées contre ce convoi en fuite et nous

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1 avons consacré le reste de la journée à entendre de tels récits.

2 M. Keegan (interprétation). – Avez-vous pu établir

3 l'appartenance ethnique des personnes à qui vous avez parlé ?

4 M. Vulliamy (interprétation). – Oui, je dirais qu'à concurrence

5 de 50 %, c’étaient des Musulmans et les autres 50 %, c’étaient des

6 Croates.

7 M. Keegan (interprétation). – Ils vous ont décrit, avez-vous

8 dit, le pilonnage intensif de la ville. Vous ont-ils décrit de quelle

9 façon le siège de la ville avait été mené ?

10 M. Vulliamy (interprétation). – Eh bien, c'était surtout par des

11 tirs d'artillerie, des mortiers, c'étaient les militaires plutôt que les

12 civils qui nous ont dit qu'ils avaient appris que le moment était venu de

13 se rendre car des renforts avaient été amenés d'après ce qu’ils avaient

14 entendu de la JNA de Belgrade pour finir le travail.

15 Je crois que les Serbes tenaient à terminer cela parce que

16 Hrskic était une espèce de promontoire qui était inséré dans leur

17 territoire. Ils voulaient là nettoyer leur ligne de front, nettoyer le

18 terrain pour pouvoir mieux assiéger Travnik par la suite.

19 M. Keegan (interprétation). – Ont-ils fait allusion à des

20 déclarations selon lesquelles les personnes en train d'être... A propos

21 des personnes qui évacuaient la ville pilonnée ?

22 M. Vulliamy (interprétation). – Oui, on a beaucoup discuté de

23 cette question, des convois étaient formés, un homme a dit comment il

24 avait dû grimper sur une espèce de talus boueux car il avait beaucoup plu

25 ce week-end et on avait ouvert le tir sur ces personnes qui essayaient de

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1 grimper cet espèce de talus boueux pour constituer le convoi et sortir de

2 la ville.

3 M. Keegan (interprétation). – Très peu de jours plus tard après

4 ces événements que vous venez de décrire, est-ce que le CICR a émis un

5 communiqué de presse relatif à cette situation à Hrskic ?

6 M. Vulliamy (interprétation). – Je pense que c'est le cas et je

7 crois en avoir fait état à l'époque.

8 M. Keegan (interprétation). – Est-ce que ceci peut recevoir la

9 cote suivante P 55 ?

10 M. le Greffier (interprétation). - Excusez-moi, je me permets de

11 vous corriger, il s’agit de la pièce P 54.

12 (L'huissier s'exécute).

13 M. Keegan (interprétation). – Reconnaissez-vous ce document ce

14 communiqué de presse ?

15 M. Vulliamy (interprétation). – Oui.

16 M. Keegan (interprétation). – Est-ce bien le communiqué de

17 presse publié par le CICR ?

18 M. Vulliamy (interprétation). – Oui.

19 M. Keegan (interprétation). – En date de ? Quelle est la date de

20 ce communiqué de presse ?

21 M. Vulliamy (interprétation). – Quatre novembre.

22 M. Keegan (interprétation). – S'agissant des événements qui se

23 sont produits en 92, la dernière région dans laquelle vous vous êtes rendu

24 en Bosnie concerne Sarajevo et Visegrad, n'est-ce pas ? Est-ce que vous

25 pourriez nous parler de ce que vous avez vécu à Sarajevo en 1992 ?

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1 M. Vulliamy (interprétation). – A l'instar de tous les

2 journalistes intéressés à cette

3 guerre, je faisais des allées et venues depuis Sarajevo, surtout après les

4 dates dont nous parlons. Mais en 92, j'ai eu l'occasion de voir les deux

5 côtés du siège. J'ai pu faire une tournée assez importante des lignes de

6 siège serbes.

7 Le jour où nous nous trouvions à Pale alors que nous attendions

8 pour aller à Kula, nous avons été emmenés pour une visite guidée par deux

9 soldats. C'est avec eux que nous avons pu voir, depuis les collines, la

10 ville de Sarajevo qui était assiégée.

11 M. Keegan (interprétation). – Depuis le positionnement de ces

12 batteries, pouviez-vous voir les différents quartiers de Sarajevo ?

13 M. Vulliamy (interprétation). – Tout à fait, parce que Sarajevo

14 se trouve dans une cuvette entourée de montagnes, de hauts reliefs, donc

15 c'est pratiquement le plan de la ville qui se trouve sous vos yeux, il est

16 facile de la distinguer.

17 M. Keegan (interprétation). – Et est-ce qu'il y a des points de

18 repères particuliers, depuis cette position, des points de repère dans la

19 ville ?

20 M. Vulliamy (interprétation). – Bien sûr, vous voyez le Holiday,

21 la bibliothèque, les différentes églises, la librairie qui avait été à ce

22 moment-là déjà détruite. Bien sûr, si vous aviez des jumelles c'était

23 encore plus facile.

24 M. Keegan (interprétation). – Etait-il possible de distinguer

25 clairement les immeubles d'appartements, les maisons ?

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1 M. Vulliamy (interprétation). – Oui, on pouvait pratiquement

2 voir les gens, les voitures dans la rue. Bien sûr si on avait de bonnes

3 jumelles.

4 M. Keegan (interprétation). – A partir de ces positions, est-ce

5 que vous avez eu bien sûr des conversations avec les personnes qui vous

6 escortaient ?

7 M. Vulliamy (interprétation). – C’est certain. Il y a eu un

8 geste de bravoure d'un de ces deux soldats qui voulait balayer, il a fait

9 semblant, bien sûr, mais il a fait semblant de balayer d'une rafale de

10 mitraillette toute la ville et "les seuls Musulmans qui sont bons, ce sont

11 des Musulmans morts" a-t-il dit, et il a proféré d'autres boutades et

12 plaisanteries du même genre à propos du nombre important de femmes

13 qu'avaient les Musulmans.

14 M. Keegan (interprétation). – Quand avez-vous commencé à étudier

15 la situation à Visegrad et à en faire le reportage en 92 ?

16 M. Vulliamy (interprétation). – C'est le seul moment après la

17 guerre où j’ai pu aller à Visegrad pour faire un petit peu l'étude de ce

18 qu’il s’était passé dans la région. Certains hommes avaient été emmenés de

19 Zenica à Dublin, manifestement.

20 L’un était bien trop jeune pour être dans l'armée ou pour avoir

21 été dans l'armée, je lui ai dit : "Quel âge avais-tu en 92 ?" Il m’a dit

22 avoir 13 ans, "et qu’as-tu fait ?", ai-je demandé puisqu’il se trouvait

23 dans la poche de Zepa. Il m'a répondu qu'il avait pour fonction de sortir

24 les cadavres de la rivière. Je lui ai demandé : "Quels cadavres ?" "Eh

25 bien, ceux qu’on jetait dans la rivière depuis le pont à Visegrad". J'ai

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1 été vraiment atterré de la réponse qu'il m'avait fournie, du nombre de

2 cadavres concernés, de la condition de l'état dans lequel se trouvaient

3 ces cadavres. Beaucoup étaient décapités, c’était beaucoup de cadavres

4 d'enfants et ce pont de Visegrad est à ce point célèbre que j'ai fait un

5 point d'honneur d'aller voir sur place ce qu’il s’était passé et de ce

6 qu’il s’était peut-être passé au cours des mois du printemps 1992.

7 M. le Président (interprétation). - Votre objection

8 habituelle ?

9 M. Keegan (interprétation). – Non, je suis quelque peu perturbé.

10 Si vous avez la pièce Tadic 14-23, la page 14-23 ou M. dit avoir été dans

11 la région de Visegrad et il nous décrit cette même scène qu'il décrit

12 aujourd'hui et je sais qu'il essaie de parler de quelque chose qui s'était

13 passé plusieurs années auparavant mais au cours de cette visite en 96 il

14 nous fait cette déclaration dans le procès Tadic et pour que tout soit

15 clair, je demande simplement à cette Chambre d'ajuster sa décision. Si le

16 témoin décrit quelque chose il doit nous donner les dates car à

17 l’évidence, il y a beaucoup d’incohérences au niveau des dates, dans sa

18 déposition au procès Tadic.

19 M. le Président (interprétation). - Vous pourrez lui poser des

20 questions dans le cadre de votre contre-interrogatoire. Mais

21 Maître Keegan, que tout soit clair. Est-ce qu'il nous décrit quelque chose

22 qu'il a vu lui même, ou le témoin nous dit-il quelque chose qui lui a été

23 rapporté ? C'est ce que je semble comprendre plutôt, qu'on lui a rapporté

24 certains éléments ?

25 M. Keegan (interprétation). – Le témoignage décrit les

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1 événements qui se sont produits en 92, mais le témoin, dans sa déposition,

2 parle de ce qui lui a été raconté en 96. Et puis, il vous dira qu'il a été

3 à Visegrad et qu’il s’est entretenu avec des Serbes de Bosnie, de l’autre

4 côté, à propos de ce qu’il s’est passé en 92.

5 (Les Juges se consultent sur le siège).

6 M. le Président (interprétation). - Cet élément de preuve ne

7 sera pas reçu car nous nous éloignons trop du sujet qui nous intéresse

8 puisqu'il s'agit de la relation faite par un tiers, d'événements qui se

9 sont produits à Visegra, nous ne sommes pas prêts à admettre cette pièce.

10 M. Keegan (interprétation). – Avec votre permission,

11 Monsieur le Président, je vous demanderai de me permettre de vous dire

12 vers quoi se dirige cet élément de preuve, parce que ce témoin à discuté

13 avec des Serbes de Bosnie qui lui ont dit que des centaines de Musulmans

14 ont été tués, que leurs cadavres ont été jetés dans la rivière. Au moment

15 où nous parlons de Prijedor, en 92, leurs corps bouchaient les turbines

16 hydrauliques et ceci sera bien la preuve. Nous allons donc décrire des

17 événements qui permettent de montrer la nature généralisée, systématique,

18 des attaques.

19 M. le Président (interprétation). - Le témoin a entendu des

20 éléments qui lui ont été relatés en 92. Maintenant vous essayez d'obtenir

21 l'admission d'éléments de preuve concernant un homme ou un jeune homme qui

22 avait l'âge de 13 ans à l'époque, mais ce sont des rapports faits quatre

23 ans plus tard à propos d'événements qui se sont produits en 92 à Visegrad,

24 de l'autre côté de Bosnie.

25 Nous avons dit tout du long que nous admettrions l'ouï-dire, ce

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1 que nous avons fait.

2 Nous vous donnons beaucoup de latitude dans la façon de présenter vos

3 éléments de preuve, mais en l'espèce nous estimons que cette preuve-ci est

4 trop éloignée, constitue trop un ouï-dire, se trouve trop éloigné de

5 Prijedor.

6 M. Keegan (interprétation). - Je constate qu'il est

7 15 heures 30. Pour ce qui est du reste de la déposition, elle portera sur

8 les déclarations 96 et avec l'accusé peut-être pourrons-nous parler de

9 ceci après la pause ?

10 M. le Président (interprétation). - Ce sera tout à fait

11 opportun. Quelle sera la durée du reste de votre interrogatoire

12 principal ?

13 M. Keegan (interprétation). - Une trentaine de minutes,

14 Monsieur le Président.

15 M. le Président (interprétation). - Fort bien.

16 (L'audience, suspendue à 15 h 30, est reprise à 15 h 50.)

17 M. Keegan (interprétation). - Monsieur Vulliamy, en 1996, êtes-

18 vous revenu à Prijedor pour y procéder à des interviews ? Au cours de

19 votre séjour, avez-vous eu des entretiens avec Milomir Stakic et avec

20 l’accusé ?

21 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, c’est ce que j’ai fait.

22 M. Keegan (interprétation). - Où avez-vous trouvé

23 Milomir Stakic ?

24 M. Vulliamy (interprétation). - Je, ou plutôt nous l'avons

25 rencontré, car je voyageais avec un collègue, au centre de santé de

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1 Prijedor dont je pense qu'il était le directeur. Il s’agit d’une clinique

2 de jour.

3 M. Keegan (interprétation). - Est-ce que quelqu'un était présent

4 avec lui dans le bureau pendant cet entretien ?

5 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, avec le Dr Stakic, il y

6 avait un homme qui s'appelait Kondic, M. Kondic, à qui on avait attribué

7 de nombreux titres, et un collègue à moi du

8 New-York Times, de New-York.

9 M. Keegan (interprétation). - Pendant cet entretien, lui

10 avez-vous demandé en termes généraux ce qui s'était passé à Prijedor ?

11 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, il avait défendu l'idée que

12 les Serbes se défendaient, mais une bonne partie de la conversation... ce

13 dont je voulais lui parler, par curiosité en fait, c’était Omarska.

14 M. Keegan (interprétation). - Que vous a-t-il dit au sujet

15 d'Omarska ?

16 M. Vulliamy (interprétation). - Au début, il a dit que personne

17 n'avait été rassemblé à Omarska. Alors nous lui avons posé des questions

18 au sujet du reportage télévisé, il a répondu qu'il s'agissait d'images de

19 prisonniers serbes dans des prisons musulmanes, et qu’il s’agissait en

20 fait d’un trucage. Il a dit : " Si vous êtes journaliste, vous devez être

21 sur place pour savoir ce qui se passe. " Et je me souviens avoir rongé mon

22 frein à ce moment-là car je n’avais pas décliné mon passé, je n’avais pas

23 allégué que je m’y étais rendu personnellement. Cependant il a dit qu'à

24 Omarska, personne n'avait été rassemblé dans ce lieu, c'est ce qu'il a

25 dit. Monsieur Kondic l’a interrompu et a dit : " Omarska c’était une mine

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1 et rien d’autre, si je me souviens bien ".

2 M. Keegan (interprétation). - Ils ont ensuite changé leur

3 version de ce qui s’était produit à Omarska ?

4 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, presque immédiatement, car

5 il a eu ce déni assez insolite de ce qu’ils venaient de dire . Le

6 Dr Stakic a dit qu’à Omarska il n’y avait que les Musulmans devant subir

7 un interrogatoire, et je paraphrase, qui étaient soumis à des

8 interrogatoires en vertu de la possession d’armes ou d’activités

9 militaires, et qu'une fois qu'un véritable camp de prisonniers de guerre

10 avait été créé, seuls ceux qui avaient été arrêtés en possession illégale

11 d'armes, y avaient été maintenus ou détenus.

12 M. Keegan (interprétation). - Lui avez-vous demandé si des

13 personnes avaient été tuées à Omarska ?

14 M. Vulliamy (interprétation). - Je ne souviens plus avoir

15 demandé cela à M. Stakic, mais nous sommes passés d’Omarska au thème plus

16 général des camps et de l'expérience serbe dans ces camps .

17 M. Keegan (interprétation). - A-t-il fait référence à

18 Jasenovac ?

19 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, toutes les conversations

20 portant sur Omarska renvoient à Jasenovac. Et il a dit qu'il était erroné

21 de faire la comparaison entre les deux, il a dit qu'Omarska n'était pas un

22 camp de concentration, c’est ce qu'il a dit, et il a dit que les Serbes

23 combattent lorsque leur liberté est menacée. Monsieur Kondic a ajouté à ce

24 moment-là : " Malheureusement nous, les Serbes, nous avons appris à

25 défendre notre liberté dans les camps de concentration " et c’était là une

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1 référence à Jasenovac. Donc il y avait cette évocation ou invocation de

2 l’expérience des camps dès lors que l’on a parlé et pendant toute cette

3 conversation.

4 M. Keegan (interprétation). - Ont-ils fait des références aux

5 conditions dans lesquelles se trouvaient les détenus d’Omarska dans le

6 contexte de cette conversation portant sur Jasenovac ?

7 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, M. Stakic a dit : "Vous ne

8 pouvez pas les comparer ". Il a dit qu’à Omarska, les prisonniers

9 recevaient de l’alimentation, des médecins, ne travaillaient pas. Et puis

10 il a dit, et je m’en souviens fort bien, il a dit : "Omarska n’était pas

11 un hôtel ". Et il a eu un sourire assez déplaisant et il a ajouté : "Mais

12 il ne s’agissait pas d’un camp de concentration ".

13 M. Keegan (interprétation). - A-t-il fait référence au fait de

14 savoir si et quand les Serbes iraient jusqu'à certains extrêmes ?

15 M. Vulliamy (interprétation). - Il a dit que les Serbes iraient

16 à certains extrêmes si leur liberté était menacée.

17 M. Keegan (interprétation). - Y a-t-il eu une discussion sur la

18 relation entre les

19 Serbes de Yougoslavie au cours de ce conflit ?

20 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, comme M. Kovacevic à

21 Prijedor quatre ans auparavant, il a dit que les Serbes, et il a

22 spécifié : "Les Serbes de cette région arrivent à un grand moment de leur

23 histoire", et il a dit, je cite : "Quand les Serbes sont en guerre pendant

24 quatre ans, il n'y pas de Serbes de Krajina, de Croatie ou de Bosnie, il

25 n'y a que des Serbes".

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1 M. Keegan (interprétation). - Pourquoi avez-vous décidé d'avoir

2 un nouvel entretien avec l'accusé sur cette question, le Dr Kovacevic ?

3 M. Vulliamy (interprétation). - J'étais curieux de savoir quel

4 type de personne m'avait été présenté comme étant les responsables

5 d'Omarska. J'avais une certaine curiosité pour savoir sous l'autorité de

6 qui nous nous étions rendus dans les camps. Ensuite, j'ai pensé j'ai dû

7 corriger mon point de vue car il avait dit en 92 qu'il était né à

8 Jasenovac, j'avais trouvé que c'était là un fait intrigant. Omarska et ces

9 détenus d'une certaine manière m'avaient suivi pendant toute la guerre. Je

10 les ai rencontrés à divers endroits pendant tout le conflit.

11 M. Keegan (interprétation). - Après, pourquoi les personnes que

12 vous avez rencontrées dans la région de Prijedor parmi toutes ces

13 personnes, pourquoi avez-vous choisi précisément d'avoir un entretien avec

14 le Dr Kovacevic, quelles circonstances ont mené à ce que vous procédiez à

15 ce nouvel entretien ?

16 M. Vulliamy (interprétation). - C'est lié au fait qu'il y avait

17 eu cet entretien au centre civique de Prijedor. Pour récapituler

18 brièvement, le colonel Arsic voulait que nous allions à Manjaca, nous

19 avons dit non. Il a dit, si vous voulez à Omarska, il faut parler à ces

20 gens-là. Il s'agissait de M. Kovacevic, M. Stakic, j'ai essayé aussi

21 d'avoir un entretien avec lui à ce moment-là, mais il n'était pas là.

22 Moi, je voulais les voir tous. Mais Kovacevic en particulier

23 dans la mesure où c'est lui qui avait ouvert la réunion, qui avait présidé

24 la réunion. C'est lui qui lorsque la télévision et les journalistes sont

25 retournés à Omarska, après mon départ, c'est lui qui avait parlé à la

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1 télévision défendant cet endroit. Il était connu. Il a dit : "Allez à

2 Manjaca". Nous avons dit : "Non", alors, il a secoué des épaules. Il a

3 dit : "Si vous voulez à Omarska, demandez à ceux-là". "Ceux-là", c'était

4 M. Kovacevic, c'est pour cela que je voulais le revoir.

5 M. Keegan (interprétation). - En ce qui concerne les éléments de

6 témoignage que vous avez fait en 1992, vous avez parlé d'une carte qui a

7 été sortie par l'accusé et présentée.

8 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, la carte était à côté de la

9 vidéo.

10 M. Keegan (interprétation). - Pouvez-vous décrire ce qu'était

11 cette carte et quelle était la déclaration en général qui a été faite par

12 l'accusé en ce qui concerne cette carte ?

13 M. Vulliamy (interprétation). - Au mieux que je puisse me

14 souvenir, cette carte, l'original datait du début des années 40-41. Il

15 s'agissait d'une carte de la Serbie telle qu'on l'envisageait à l'époque,

16 c'est-à-dire partout où se trouvaient les Serbes. Je ne sais pas s'il

17 s'agissait d'une grande Serbie, si c'étaient les termes exacts. C'était

18 cela.

19 Il s'agissait d'une région qui englobait une bonne partie de la

20 Croatie, si je me souviens bien pratiquement la totalité de la Bosnie-

21 Herzégovine, le Monténégro serbe d'aujourd'hui. On nous a montré cette

22 carte.

23 M. Keegan (interprétation). - Quelle a été la référence, de

24 quelle manière est-ce qu'ils se sont référés à cette carte ?

25 M. Vulliamy (interprétation). - C'est là où sont les Serbes,

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1 voilà la Serbie. C'est l'idée.

2 M. Keegan (interprétation). - A-t-il relié cela aux raisons pour

3 lesquelles le conflit était en cours à ce moment-là ?

4 M. Vulliamy (interprétation). - Pas spécifiquement, mais moi

5 d'après ce que j'ai compris, c'était précisément cela qu'il entendait.

6 C'est-à-dire : voilà pourquoi nous luttons.

7 M. Keegan (interprétation). - Lors de l'entretien de 96, avez-

8 vous discuté avec lui, ou avez-vous soulevé la question des causes du

9 conflits ?

10 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, bien sûr, ce fut une

11 conversation longue. Il a été très candide, très intéressant à ce sujet.

12 Il a dit qu'il pensait qu'il s'agissait d'une guerre civile,

13 fondamentalement d'une guerre de religion. Il a ajouté qu'il avait des

14 facteurs économiques, intéressant de l'entendre dire cela car c'était une

15 dimension intéressante, mais ce qui était le plus intéressant chez lui,

16 c'était cette dimension un peu psychiatrique car il a dit à un moment :

17 "Tout cela, c'est très bien quand vous regardez tout cela de New-York,

18 mais ici sur le terrain quand tout est en feu, que tout est en train de

19 tomber sur la tête des gens, c'est quelque chose qui relève des

20 psychiatres". A ce niveau-là, il était tout à fait lucide.

21 M. Keegan (interprétation). - A-t-il décrit quel était l'objet

22 de ce conflit de son point de vue ?

23 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, et d'une manière très

24 ouverte. Il a dit : "Je voulais que ceci soit une terre serbe". L'un

25 d'entre nous lui a demandé : "Qu'est-ce que vous entendez par là, sans

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1 Musulmans ?

2 Il a répondu : "Sans Musulmans, nous ne pouvons pas vivre

3 ensemble".

4 M. Keegan (interprétation). - Lui avez-vous posé des questions

5 portant spécifiquement sur Omarska ?

6 M. Vulliamy (interprétation). - Absolument.

7 M. Keegan (interprétation). - Quel commentaire a-t-il fait

8 concernant l'objectif d'Omarska ?

9 M. Vulliamy (interprétation). - Il a dit qu'Omarska était conçu

10 comme étant un centre de regroupement, mais a-t-il dit, c'est devenu

11 quelque chose d'autre à cause de cette perte de contrôle.

12 Nous avons dit quelque chose comme : "Mais quelle perte de

13 contrôle ?" Il a répondu : "Moi, je ne peux pas expliquer cette perte de

14 contrôle". Je pense que j'ai dit : "C'est précisément quand tout commence

15 à tomber sur la tête des gens." Il a dit : "Moi, j'appellerai

16 cela une folie collective".

17 M. Keegan (interprétation). - Lui avez-vous demandé combien de

18 personnes avaient été tuées à Omarska ?

19 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, c'était pendant un moment

20 de l'entretien sur Jasenovac que nous avons discuté en long et en large.

21 Comme il avait dit auparavant qu'il y était né, il a dit qu'à Omarska,

22 100 personnes ; non, d'abord, il a dit : "Qu'il y en ait eu 10 ou 100,

23 cela n'a pas d'importance".

24 Nous nous avons dit : "Est-ce que seules cent personnes ont été

25 tuées à Omarska ?" J'ai dit, "tuées", pas "mortes".

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1 Puis, on a dit : "Combien de personnes sont mortes ?" Il a dit :

2 "Je ne sais pas. Il faudra demander au médecin. Je ne sais pas combien de

3 personnes ont été tuées à Omarska".

4 Il a dit, je cite, quelque chose : "C'est comme un ouragan qui

5 souffle, une tornade qui souffle, sur la région".

6 M. Keegan (interprétation). - Vous avez mentionné Jasenovac, y

7 a-t-il eu des conversations comparant à Omarska à Jasenovac ?

8 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, de façon prolongée. Il a

9 rappelé son enfance à Jasenovac. Il n'y était pas né, en fait, il s'y

10 était rendu avec sa tante. Il a fourni des descriptions crédibles et

11 vivaces de sa mère qui avait été emmenée, lui avait été vivre avec sa

12 tante.

13 La comparaison, ou le contraste qu'il a établi, pour être juste,

14 c'est celui-ci. Il a dit qu'à Omarska, peut-être que des personnes se

15 faisaient tuer, si quelqu'un se soûlait, et se fâchait. C'était à ce

16 moment-là qu'il a dit : "s'ils étaient 10 ou 100, cela n'a pas

17 d'importance", tandis qu'il a dit : "Jasenovac était une usine à tuer,

18 Omarska n'était pas une usine à tuer".

19 M. Keegan (interprétation). - Lui avez-vous demandé quel était

20 le lien entre ce qui s'était produit entre oustachis et Serbie, Jasenovac

21 et les Serbes, les Musulmans d'Omarska ?

22 M. Vulliamy (interprétation). - A ce niveau, il a été très

23 lucide. Il a dit qu'à ce niveau-là, il y avait un lien très clair entre

24 Jasenovac et Omarska. Mais, a-t-il dit, c'est un lien ténu.

25 Il a dit que le fait qu'il y ait eu des soldats musulmans dans

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1 la grande Croatie, pendant la guerre, avaient eu un effet sur ce qui est

2 advenu des Musulmans dans cette région.

3 Nous lui avons dit : "Attendez, Jasenovac était sous la

4 direction des Croates. Qu'est-ce que cela a à voir avec les Musulmans".

5 Monsieur Kovacevic nous a sorti un bon mot. Il a dit : "Si vous êtes mordu

6 par un serpent, vous pouvez quand même avoir peur du lézard, mais un

7 serpent reste un serpent et le lézard reste un lézard".

8 Mon collègue du New-York Times a répondu : "A cela, vous voulez

9 dire que les Musulmans sans les armes, vous en avez quand même peur ?" Il

10 a répondu oui.

11 M. Keegan (interprétation). - Lui avez-vous posé des questions

12 sur la responsabilité de ce qui s'était passé, qui portait la

13 responsabilité de ce qui s'était produit ?

14 M. Vulliamy (interprétation). - Au sens historique, il a remonté

15 à la guerre. Il a dit qu'il y avait des Musulmans chez les oustachis et

16 que s'ils avaient commis des crimes de guerre contre nous, maintenant,

17 l'inverse s'était produit. Il a même dit : "Qui sait si dans 50 ans, cela

18 ne se reproduira pas en sens inverse à nouveau".

19 Je me souviens que nous lui avons demandé : "Cette folie

20 collective, Docteur, en avez-vous fait partie ?

21 Il a répondu : "Si je devais être acquitté d'avoir fait partie

22 de cette folie collective, cela ne serait pas juste. Mais je voudrais me

23 demander quel rôle j'ai joué dedans".

24 Puis, il a ajouté : "Si Dusto Tadic a tué des gens et que moi,

25 je ne l'ai pas fait, ce n'est pas la même chose". Je cite. Il a ajouté :

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1 "Si tout se passe bien dans cet hôpital, alors il faudra me féliciter,

2 mais si les choses vont mal dans cet hôpital, alors je suis coupable".

3 Et puis, il a continué. Il a expliqué pourquoi il avait quitté

4 la vie politique. Il était

5 très clair sur ce point. Il a dit qu'il avait quitté la politique parce

6 qu'il avait vu trop de choses mauvaises se produire. Nous lui avons dit

7 "quelles choses". Il a dit : "C'est mon secret. S'il faut arriver à ses

8 fins en tuant des gens, c'est mon secret personnel". Je pense que c'est

9 mon collègue du New-York Times qui a dit : "Avez-vous parfois des

10 cauchemars concernant vos secrets personnels ? Il a répondu, je cite :

11 "Mes cheveux sont blancs, et je ne dors pas très bien".

12 M. Keegan (interprétation). - Lui avez-vous posé des questions

13 sur les comparaisons entre la situation dans les Balkans du point de vue

14 des gens et en Europe ?

15 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, il a parlé de l'Una qui

16 était une frontière. Il a dit : "Cela, c'est l'Europe, ceci les Balkans".

17 A un moment, il a dit : "Il n'y a pas d'évolution ici, il y a la

18 révolution".

19 Puis, il devenu très disert. Il a dit : "Il faut que je parte,

20 je suis comme un animal en cage. Je veux aller à Paris ou à Berlin pour

21 travailler, pour pratiquer ma profession".

22 M. Keegan (interprétation). - Avez-vous ramené le débat à une

23 question plus pratique ? Avez-vous parlé de ses expériences personnelles,

24 de celles de sa famille, ou des Musulmans qui avaient vécu dans cette

25 région ?

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1 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, mis à part Jasenovac, il a

2 parlé de son père qui avait été un paysan, un fermier, qui avait eu des

3 rapports avec les Musulmans, qui leur vendait du bétail. Son père les

4 appelait des Turcs. Il a concédé, bien sûr, il ne s'agit pas de Turcs, ils

5 sont d'ici.

6 M. Keegan (interprétation). - Nous n'avons pas d'autres

7 questions.

8 M. le Président (interprétation) - Monsieur Ostojic ?

9 M. Ostojic (interprétation). - Merci, Monsieur le Président. Bon

10 après-midi, Monsieur Vulliamy, ou Vulliame ?

11 M. Vulliamy (interprétation). - Ce que vous vous voulez, comme

12 vous voulez.

13 M. Ostojic (interprétation). - Monsieur Vulliamy, vous nous avez

14 dit quelques mots concernant les notes que vous avez conservées des

15 archives que vous avez. A qui avez-vous remis ces notes et ces archives au

16 cours de ces différents entretiens et de ces périodes différentes que vous

17 avez passées en Bosnie-Herzégovine ?

18 M. Vulliamy (interprétation). - A qui les ai-je données ?

19 M. Ostojic (interprétation). - Oui.

20 M. Vulliamy (interprétation). - Eh bien, lorsqu'on m'a demandé

21 de me présenter ici, je les ai remises à la Cour. Ceci étant dit, je ne

22 les ai distribuées à personne.

23 M. Ostojic (interprétation). - Oui, je comprends bien, mais

24 quand est-ce que pour la première fois, vous avez remis vos notes

25 personnelles portant sur la Yougoslavie, la Bosnie-Herzégovine et la

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1 guerre civile dans cette région ?

2 M. Vulliamy (interprétation). - Il faudrait que je revoie mes

3 notes pour savoir à quelle date c'était, c'est quand j'ai été pour la

4 première fois appelé à témoigner en 1996 dans le cadre de l'accusation et

5 du procès de Dusto Tadic. C'était donc au printemps je pense de cette

6 année-là ou un peu avant.

7 M. Ostojic (interprétation). - En 1996.

8 M. Vulliamy (interprétation). - Oui.

9 M. Ostojic (interprétation). - Avez-vous donné les originaux ou

10 des copies de ces notes ?

11 M. Vulliamy (interprétation). - De mes notes en sténo ?

12 M. Ostojic (interprétation). - Avez-vous reproduit sous forme

13 dactylographiée ces notes en sténo ?

14 M. Vulliamy (interprétation). - Dans certains cas, oui.

15 M. Ostojic (interprétation). - Je vous avais demandé si vous

16 avez donné des exemplaires originaux ou des copies, ma question n'était

17 pas bonne. Ma question est la suivante : avez-vous donné des notes

18 originales à l'accusation concernant ce dont vous avez été le témoin

19 pendant cette guerre civile de 92 jusqu'au moment où ces notes se

20 terminent ?

21 M. Vulliamy (interprétation). - Oui.

22 M. Ostojic (interprétation). - Votre profession est journaliste,

23 n'est-ce pas ?

24 M. Vulliamy (interprétation). - Oui.

25 M. Ostojic (interprétation). - Où avez-vous obtenu votre diplôme

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1 de journaliste ?

2 M. Vulliamy (interprétation). - En Angleterre, nous n'avons pas

3 de diplôme de journaliste comme c'est le cas aux Etats-Unis. On a ce que

4 l'on appelle l'Indecher. On devient stagiaire. Dans mon cas, il s'agissait

5 d'une société appartenant au groupe du Miror qui avait une série ou une

6 "écurie de journaux" comme on dit dans la région. C'était le groupe du

7 Miror.

8 M. Ostojic (interprétation). - Et quand avez-vous terminé votre

9 période d'études ou de stages ?

10 M. Vulliamy (interprétation). - En 1978.

11 M. Ostojic (interprétation). - J'espère que cela ne vous dérange

12 pas de reprendre votre histoire personnelle. Je n'ai pas pu tout prendre.

13 Vous avez étudié la philosophie. En quelle année avez-vous obtenu votre

14 diplôme de philosophie ?

15 M. Vulliamy (interprétation). - J'ai obtenu mon diplôme d'Oxford

16 en 1976.

17 M. Ostojic (interprétation). - Vous avez aussi mentionné les

18 sciences politiques. En quelle année avez-vous obtenu votre diplôme ?

19 M. Vulliamy (interprétation). - Ils sont liés en fait. Il s'agit

20 d'un diplôme à Oxford P.P.E, politique, philosophie, économie.

21 M. Ostojic (interprétation). - Puis, vous avez mentionné

22 Florence. Vous avez étudié en Italie. Vous étiez à l'université de

23 Florence ? Vous avez eu un diplôme ?

24 M. Vulliamy (interprétation). - C'est un diplôme. J'ai commencé

25 à étudier à Florence en 73, je n'y suis pas retourné avant 76.

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1 M. Ostojic (interprétation). - De quel diplôme s'agit-il ?

2 M. Vulliamy (interprétation). - C'est un diplôme, pas un

3 certificat. Donc en fait, c'est un certificat mineur.

4 M. Ostojic (interprétation). - Pendant vos études de sciences

5 politiques à Oxford, avez-vous étudié l'Europe orientale ?

6 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, l'Union-Soviétique de

7 manière approfondie.

8 M. Ostojic (interprétation). - Avez-vous étudié la Yougoslavie ?

9 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, cela faisait partie de la

10 partie bloc de l'est, les institutions politiques de l'Union-Soviétique.

11 Il nous fallait apprendre le non-alignement, Tito, les non-alignés, etc.

12 M. Ostojic (interprétation). - Combien de cours avez-vous

13 fréquentés ? Je suis curieux, à propos de l'Europe orientale et surtout de

14 la Yougoslavie ? C'est ce qui nous intéresse au premier chef.

15 M. Vulliamy (interprétation). - Eh bien, l'étude politique de

16 l'URSS dans le cadre du (inaudible) consacré à la Yougoslavie. C'était un

17 cours sur huit. Il fallait présenter huit examens en l'espace de 3 ans, ou

18 2 ans. Il y a les études préliminaires, et puis deux ans de licence

19 proprement dit. Cela fait 3 ans en tout.

20 M. Ostojic (interprétation). - Pourriez-vous nous parler de

21 votre expérience professionnelle ? Je m'explique : vous avez été

22 journaliste, mais avez-vous une autre expérience professionnelle ?

23 M. Vulliamy (interprétation). - Pas vraiment. J'ai terminé

24 l'université d'Oxford au cours de l'été 76, je suis allé en Italie à

25 Florence, plus exactement. J'y suis resté jusqu'au printemps 77. Puis j'ai

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1 commencé à travaillé pour le groupe Miror en 77. Je suis passé à la

2 télévision Granada en 78, à moins que vous n'estimiez que le travail à la

3 télévision constitue un métier différent, voilà tout ce que j'ai fait.

4 M. Ostojic (interprétation). - Je le fait avec énormément de

5 respect, mais avez-vous été formé à une discipline médicale ?

6 M. Vulliamy (interprétation). - Non.

7 M. Ostojic (interprétation). - Puis-je conclure de votre bagage

8 professionnel que vous n'avez jamais occupé un poste de représentant élu,

9 au niveau de la municipalité, par exemple ?

10 M. Vulliamy (interprétation). - Pas du tout.

11 M. Ostojic (interprétation). - Avez-vous été désigné à tel ou

12 tel poste ?

13 M. Vulliamy (interprétation). - Manifestement, ce n'étaient pas

14 des postes importants. J'ai été secrétaire de la société d'art de

15 l'université d'Oxford. C'est à peu près tout.

16 M. Ostojic (interprétation). - Etait-ce là un mandat politique ?

17 M. Vulliamy (interprétation). - C'est le plus apolitique

18 possible.

19 M. Ostojic (interprétation). - Je voulais savoir si vous aviez

20 occupé des postes politiques.

21 M. Vulliamy (interprétation). - Pas le moindre.

22 M. Ostojic (interprétation). - Toujours en ce qui concerne votre

23 bagage tant professionnel que personnel, avez-vous une expérience

24 militaire ?

25 M. Vulliamy (interprétation). - J'ai des militaires dans ma

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1 famille, mais moi, je n'ai aucune expérience militaire.

2 M. Ostojic (interprétation). - Ce qui veut dire que vous n'avez

3 jamais servi dans l'armée à titre d'engagé ou pas ? Vous n'avez jamais été

4 dans une unité militaire ?

5 M. Vulliamy (interprétation). - J'ai bien un général et un

6 colonel, dans ma famille élargie, mais je n'ai pas personnellement

7 d'expérience militaire, même si j'ai vécu l'expériences de guerres au

8 pluriel.

9 M. Ostojic (interprétation). - Vous parlez de cette expérience

10 en matière de guerre.

11 Je veux effectivement en parler. Vous avez parlé de la guerre civile en

12 Yougoslavie, en Bosnie, vous avez parlé de l'Irlande du Nord, notamment

13 lors du procès Tadic. Avez-vous couvert les différentes guerres en Afrique

14 du Sud ou en Afrique australe ?

15 M. Vulliamy (interprétation). - Non.

16 M. Ostojic (interprétation). - Et au Moyen-Orient ?

17 M. Vulliamy (interprétation). - Oui.

18 M. Ostojic (interprétation). - A quel moment ?

19 M. Vulliamy (interprétation). - En 1993, je me suis trouvé en

20 Israël à la bande de Gaza, et puis j'ai passé un certain temps au Liban.

21 M. Ostojic (interprétation). - En 1993, combien de temps avez-

22 vous passé en Israël ?

23 M. Vulliamy (interprétation). - Excusez-moi, j'ai parlé de 1993,

24 mais je me suis trompé, il s'agissait de 1983, l’année qui a suivi la

25 guerre au Liban. J'y suis resté à peu près un mois, voire deux.

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1 M. Ostojic (interprétation). - Avez-vous couvert des guerres

2 civiles consécutives au démantèlement de l’URSS ?

3 M. Vulliamy (interprétation). - Je me suis trouvé en Roumanie au

4 moment de Noël, en 1989.

5 M. Ostojic (interprétation). - Toujours sous le règne de

6 Caucescu ?

7 M. Vulliamy (interprétation). - C’était la chute de Caucescu et

8 on pensait à l’époque que c’était une révolution contre le communisme.

9 M. Ostojic (interprétation). - Puis-je consulter mon collègue un

10 instant, Monsieur le Président ?

11 (Les deux avocats de la défense se consultent).

12 M. Ostojic (interprétation). - Je tiens à vous informer que l’on

13 m'a demandé de

14 ralentir le débit, je m’excuse auprès des interprètes.

15 En 1983, au cours de cette guerre en Israël, au Liban, avez-vous

16 écrit des articles sur de camps de concentration, sur cette expérience

17 vécue?

18 M. Vulliamy (interprétation). - Non.

19 M. Ostojic (interprétation). - Hormis ce que vous avez vécu à

20 partir de 1992, avez-vous eu l’occasion de faire des articles sur de tels

21 centres de détention ?

22 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, ce fut le cas en Ulster, en

23 Irlande du nord, mais nous sommes ici en Cour de justice, je ne suis pas

24 ici en séminaire, et je ne voudrais pas qualifier l’internement ou les

25 dispositifs pris en matière d’internement en Irlande du nord de la même

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1 façon. Mais effectivement j’ai travaillé en Irlande du nord assez bien,

2 mais je ne parlerai pas de camp.

3 M. Ostojic (interprétation). - Avez-vous couvert, par exemple,

4 des prisons, des établissements pénitentiaires ?

5 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, toutes sortes

6 d’établissements pénitentiaires, mais je n’appellerai pas ces

7 établissements des camps.

8 M. Ostojic (interprétation). - Je ne vous demande pas de le

9 faire, je tenais simplement savoir comment vous avez assuré la couverture

10 de ces événements.

11 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, je l’ai déjà dit, j’ai reçu

12 le prix de la Société Royale de Télévision pour un film qui montrait

13 Jerry Adams qui affirmait n’avoir jamais été un membre de l’IRA alors que

14 nous avons apporté la preuve du contraire.

15 M. Ostojic (interprétation). - Monsieur Vulliamy, aujourd’hui au

16 cours de la journée et hier, vous avez déposé, est-ce que nous avons

17 épuisé tous les souvenirs que vous avez s’agissant des événements qui se

18 sont produits à Prijedor ?

19 M. Vulliamy (interprétation). - Maître, je ne sais pas si vous

20 avez épuisé tous les souvenirs que je peux avoir, mais je me souviens des

21 instructions données par les Juges selon lesquelles je devais être le plus

22 exact, le plus pertinent possible. Je crois que nous avons couvert

23 l’essentiel des faits.

24 M. Ostojic (interprétation). - S’agissant des conversations que

25 vous avez eues avec le Dr Kovacevic en 1992, mais aussi en 1996, avez-vous

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1 relaté la totalité des éléments relevant de ces conversations ?

2 M. Vulliamy (interprétation). - Pour ce qui est des

3 conversations que j’ai eues en 1996, nous avons eu un long entretien, je

4 suis sûr qu’il y a beaucoup d’autres éléments, mais je crois avoir

5 fidèlement reflété l’essentiel de ces deux conversations.

6 M. Ostojic (interprétation). - Au moment où se sont déroulées

7 ces conversations en 1996, les avez-vous enregistrées en vidéo ?

8 M. Vulliamy (interprétation). - Non, moi je ne suis pas

9 cameraman. La chaîne ITN procède toujours à un choix, comme ils l’ont fait

10 d’ailleurs en 1992. En 1996, je prenais des notes en sténo.

11 M. Ostojic (interprétation). - Aviez-vous une caméra vidéo ou un

12 enregistreur au cours de ces conversations avec M. Kovacevic ?

13 M. Vulliamy (interprétation). - Non, je ne me déplace pas avec

14 une caméra vidéo.

15 M. Ostojic (interprétation). - Donc c’est à partir de vos notes

16 et du souvenir que vous avez de ces conversations que vous nous relatez

17 aujourd’hui cette conversation avec M. Kovacevic en 1996 ?

18 M. Vulliamy (interprétation). - Tout à fait, mais j’avais aussi

19 un collègue avec moi.

20 M. Ostojic (interprétation). - Et comment s’appelait ce

21 collègue ?

22 M. Vulliamy (interprétation). - Roger Cohen.

23 M. Ostojic (interprétation). - Je vous ai parlé de ces notes,

24 des copies écrites que vous avez conservées. A l’aide de ces notes

25 relatives à la conversation que vous avez eue en 1996 avec M. Kovacevic,

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1 avez-vous remis ces notes aussi au Procureur ?

2 M. Vulliamy (interprétation). - Oui.

3 M. Ostojic (interprétation). - En même temps que les autres

4 notes que vous avez remises à ce moment-là ?

5 M. Vulliamy (interprétation). - Il se peut que j’ai déposé les

6 notes de 1996 un peu plus tard, mais je n’en suis pas tout à fait sûr. Je

7 ne me souviens plus ce que je leur ai donné, à quel moment je leur ai

8 donné ce qu’ils m’avaient demandé, mais je pense leur avoir remis les

9 notes qui leur semblait nécessaires pour l’affaire Tadic. Je leur ai remis

10 ces carnets là avant la remise des carnets qui avaient traits à une

11 période ultérieure.

12 M. Ostojic (interprétation). - Avez-vous remis ces carnets avant

13 le procès Tadic ? Comment aimeriez-vous qualifier cela ? Est-ce que

14 c’était des carnets, des notes ?

15 M. Vulliamy (interprétation). - Plutôt des carnets.

16 M. Ostojic (interprétation). - S’agissant de ces carnets, les

17 avez-vous remis au bureau du Procureur après ou avant le procès Tadic ?

18 M. Vulliamy (interprétation). - Après le procès Tadic.

19 M. Ostojic (interprétation). - Pour autant que vous puissiez

20 vous en souvenir...

21 (Interruption du témoin).

22 M. Vulliamy (interprétation). - Excusez-moi, après ma

23 comparution à titre de témoin au procès Tadic.

24 M. Ostojic (interprétation). - Je vous remercie d’opérer cette

25 distinction. C'est vers le milieu de l'année 1996 ?

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1 M. Vulliamy (interprétation). - Non, bien plus tard. Je crois

2 avoir remis les derniers carnets, l'année dernière en 1997, après le

3 procès Tadic.

4 M. Ostojic (interprétation). - C'est peut-être une question qui

5 va vous ennuyer, mais...

6 M. Vulliamy (interprétation). - Non, non allez-y.

7 M. Ostojic (interprétation). - Je veux essayer d'avoir plus

8 d'éclaircissements à propos de ces notes pour des raisons assez

9 manifestes. Quelle était la longueur, le volume de ces notes ? Combien y

10 avait-il de pages dans ces carnets ?

11 M. Vulliamy (interprétation). - Si je m'en souviens bien,

12 s'agissant des notes relatives à l'entretien avec M. Kovacevic en 1996, ce

13 sont des pages A 4, voire un peu plus grandes. Ce ne sont pas des petits

14 carnets de poche. Ce sont des documents d'une taille plus grande. Je dirai

15 qu'il y avait cinq ou six pages de notes de sténo que j'avais prises.

16 M. Ostojic (interprétation). - Pour que je comprenne

17 parfaitement, pour vous ce que je tiens en main, c'est un carnet ?

18 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, à couverture dure, mais moi

19 c'était un carnet gros et plus grand.

20 M. Ostojic (interprétation). - Quand vous dites plus grand,

21 était-il plus long et plus large ?

22 M. Vulliamy (interprétation). - Un peu plus long et peut-être un

23 centimètre et demi plus large.

24 M. Ostojic (interprétation). - Vous parlez des cinq ou six

25 pages, est-ce que ces notes étaient consacrées uniquement à la réunion que

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1 vous avez eue avec M. Kovacevic ?

2 M. Vulliamy (interprétation). - C'est exact. C'étaient les notes

3 que j'avais consignées à propos de cette conversation. Cela représente au

4 maximum huit et au minimum cinq pages d'un format un peu plus supérieur à

5 celui du A 4. J'avais écrit assez petit.

6 M. Ostojic (interprétation). - Le Procureur vous a posé des

7 questions à propos de Monsieur Stakic. J'aurais voulu savoir si dans ce

8 carnet, vous aviez également consigné des notes relatives à la

9 conversation que vous avez eue avec M. Stakic ou d'autres personnes ?

10 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, c'était dans le même carnet

11 puisque cela s'est passé le même jour.

12 M. Ostojic (interprétation). - Je comprends bien que c'était le

13 même jour. Combien de pages manuscrites aviez-vous pour ces notes, y

14 compris les notes relatives à M. Kovacevic que vous avez prises en même

15 temps, y compris d'autres notes que vous avez peut-être prises à

16 l'occasion d'autres réunions ? Combien de pages y avait-il en tout ?

17 M. Vulliamy (interprétation). - Combien de pages il y avait en

18 tout dans ce carnet ? Une centaine, je dirai.

19 M. Ostojic (interprétation). - Et ces cent pages ont-elles été

20 toutes utilisées pour consigner à l'époque les notes de ces conversations

21 que vous avez eues avec diverses personnes ?

22 M. Vulliamy (interprétation). - Oui. J'aime bien avoir un gros

23 carnet qui peut me suffire pour un mois à peu près.

24 M. le Président (interprétation) - Je ne sais pas si ce carnet

25 est disponible, ne faudrait-il pas l'avoir avant que le témoin ne nous

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1 quitte ? Allez-vous terminer cet après-midi, Monsieur Ostojic ?

2 M. Ostojic (interprétation). - Je suis d'accord avec vous, je

3 crois qu'il devrait y avoir communication de ce carnet.

4 M. le Président (interprétation) - Avez-vous l'intention de

5 terminer votre contre-interrogatoire cet après-midi ?

6 M. Ostojic (interprétation). - Malheureusement pas.

7 M. le Président (interprétation) - Maître Keegan, disposez-vous

8 de ce carnet ?

9 M. Keegan (interprétation). - Effectivement, nous avons reçu ce

10 carnet de notes. Nous l'avons gardé au fin d'archivage. Ceci faisait

11 partie de la requête de M. Vulliamy, il l'avait gardé puisqu'il se déplace

12 beaucoup en Italie. Nous l'avons gardé.

13 M. le Président (interprétation) - Où se trouve ce carnet ?

14 M. Keegan (interprétation). - A l'étage. Nous ne l'avons jamais

15 utilisé. Cette partie

16 est consacrée au projet d'article qui devait être publié dans un article.

17 Cela avait été communiqué à la défense. Ceci relevait de l'acte de

18 l'accusation initial. Il parle d'une partie de dactylographie qui est en

19 fait le projet d'article qu'il devait soumettre à son journal et la

20 défense possède ceci depuis le moment de l'arrestation de l'accusation et

21 la communication des documents, des pièces jointes.

22 S'agissant de ce carnet, nous ne l'avons jamais utilisé. Nous le

23 gardons uniquement ici afin qu'au moment de son arrivée, en vue de la

24 préparation de sa déposition, il puisse disposer de ce carnet.

25 M. Ostojic (interprétation). - Permettez-moi de répondre

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1 rapidement. Les notes qu'il a prises au moment où il s'est préparé pour sa

2 déposition dans l'affaire Tadic et dans cette affaire-ci, mais M. Vulliamy

3 nous a dit avoir pris des notes au moment des entrevues. Après avoir

4 consulté mes confrères, il apparaît que ces notes n'ont jamais été

5 communiquées, ni interprétées à notre intention, dans quelque langue que

6 ce soit. Jamais, elles n'ont été remises à notre client pour qu'il puisse

7 les étudier. Je le dis tout à fait respectueusement au témoin parce que

8 nous voulons vérifier la teneur de ces notes.

9 M. le Président (interprétation) - Je crois que les notes

10 constitueraient le meilleur élément de preuve de ce qui est dit à l'époque

11 puisqu'elles ont été prises à l'époque.

12 M. Keegan (interprétation). - Si vous le souhaitez, nous pouvons

13 vous soumettre ce carnet, mais en vertu d'une décision antérieure prise

14 par une Chambre de ce Tribunal, ces notes ne constituent pas une

15 déclaration du témoin. On ne devait pas les remettre.

16 M. le Président (interprétation) - Bien sûr, ce ne sont pas des

17 déclarations, mais elles sont contemporaines, et sous cet angle, s'il y a

18 une demande de la part de la défense pour procéder à un contre-

19 interrogatoire sur ces notes, nous sommes prêts à donner droit à cette

20 demande.

21 M. Keegan (interprétation). - Puisque nous avons maintenant

22 l'obligation de

23 communiquer cette pièce, nous le ferons.

24 M. D'Amato (interprétation). - Je crois que la meilleure chose à

25 faire serait de rappeler ce témoin car à l'évidence, nous ne pourrons pas

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1 procéder à l'examen de cette pièce d'ici demain.

2 Serait-il possible que l'accusation rappelle le témoin à un

3 moment où nous aurons déjà traduit ces notes ?

4 M. le Président (interprétation) - Est-ce bien juste équitable

5 pour le témoin ? Essayons d'éviter son rappel à la barre.

6 Il se peut que d'ici demain, il soit possible de vous

7 communiquer ces notes, de les communiquer au témoin.

8 M. D'Amato (interprétation). - Mais est-ce que ce ne sont pas

9 des notes prises en sténo ?

10 M. le Président (interprétation) - Mais je suis sûr que le

11 témoin pourra relire ses notes.

12 M. Vulliamy (interprétation). - Vous savez ce sont en fait des

13 parties sténographiées, d'autres prises intégralement.

14 M. D'Amato (interprétation). - Mais le témoin pourra peut-être

15 être en mesure de les lire ou de les présenter sur vidéo cassette quand il

16 aura le temps de le faire, il pourra le faire d'ici demain matin.

17 L'essentiel est que nous ayons ces notes demain matin.

18 M. le Président (interprétation) - Il pourra peut-être nous en

19 donner lecture à l'audience, mais cela prendra peut-être un temps

20 considérable.

21 M. Keegan (interprétation). - Je crois que la façon la plus

22 efficace de procéder et aussi pour que vous puissiez en bénéficier c'est

23 que la défense s'inspire des questions que j'ai posées, pose ses questions

24 elle-même et s'intéresse à ce passage, cela me semblerait être la façon la

25 plus efficace de gérer la question. Tout le monde pourra tirer partie des

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1 notes intégrales et nous pourrons respecter le calendrier des audiences.

2 Mais nous fournirons ces notes comme vous nous l'avez demandé.

3 M. D'Amato (interprétation). - Il nous faudra un certain temps

4 de préparation, une fois ces notes reçues, quelles qu’elles soient.

5 M. le Président (interprétation) - Vous pourriez peut-être

6 montrer ces notes à la défense. Leur fournir éventuellement des

7 photocopies. Il faudra peut-être demander au témoin quelles sont vraiment

8 les pages les plus pertinentes.

9 M. Vulliamy (interprétation). - Je serais ravi de vous aider. Il

10 ne sera pas difficile de retrouver les passages pertinents.

11 M. le Président (interprétation) - Je vous remercie.

12 Nous essaierons de régler cette question demain.

13 Maître Ostojic ?

14 M. Ostojic (interprétation). - Je vous remercie,

15 Monsieur le Président. Excusez-moi de revenir sur cette question, mais je

16 veux avoir toute la clarté sur la question. Ce sont des notes qui ont été

17 communiquées l'année dernière après le procès Tadic, ce n'était pas clair.

18 Apparemment, il semblerait que c'étaient des notes produites ou

19 communiquées avant le procès Tadic qu'il avait remises à l'accusation. Je

20 ne sais combien il y a de pages dans ces notes. Ma question se bornait aux

21 questions ou au notes concernant son interview avec le Dr Kovacevic en 96,

22 mais j'aimerais avoir les deux jeux de notes pour qu'il n'y ait pas

23 d'erreur.

24 M. le Président (interprétation) - Mais les notes pertinentes

25 sont les notes qui ont été prises à l'époque au moment des interviews, si

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1 d'autres notes ont été prises, par exemple, si le témoin a consigné tel ou

2 tel point pour l'aider à déposer, ce que font les témoins parfois, mais

3 que ceci ait été fait bien après les événements, ces notes n'ont aucune

4 importance. Celles qui ont de l'importance, cet sont les notes prises à

5 l'époque des faits, c'est à celles-là que je pensais. Je parle des

6 conversations de 96.

7 M. D'Amato (interprétation). - Et 1992 ?

8 M. le Président (interprétation) - S'il y en a en 92, mais je

9 crois que c'est surtout la conversation de 1996 qui nous intéresse pour

10 ces notes.

11 M. Ostojic (interprétation). - Puisqu'il y a confusion, je

12 voudrais avoir un éclaircissement.

13 M. le Président (interprétation) - Obtenez cet éclaircissement

14 avec le témoin.

15 M. Ostojic (interprétation). - Puis-je poursuivre ? Excusez-moi

16 de revenir sur ce point, mais les notes de 96 portant sur la conversation

17 avec les gens que vous avez eus à Prijedor.

18 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, c'étaient des notes en

19 sténo de cette conversation que je peux retrouver.

20 M. Ostojic (interprétation). - Vous avez aussi des notes pour

21 les interviews menés avec d'autres personnes et ceci représentait quelques

22 cent pages pour toutes les conversations que vous avez eues en 96.

23 M. Vulliamy (interprétation). - Mais les cent pages, cela

24 reprend tout le carnet, cela porte sur d'autres faits, d'autres moments

25 également. Vous savez, je ne change pas de carnet à chaque fois que je

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1 change d'endroit.

2 Si je peux vous aider, j'expliquerai ceci. C'est un carnet assez

3 volumineux, les pages consacrées aux interviews avec le Dr Kovacevic sont

4 au nombre de six sur quelques cents pages de ce carnet. Ce carnet est

5 rempli d'autres sujets également. Mais il ne me sera pas difficile de

6 retrouver ces six pages dans lesquelles on trouve les notes consacrées à

7 Kovacevic, le nom apparaît sur ces pages. C'est vrai également pour les

8 deux ou trois pages que j'ai consacrées à l'interview avec M. Stakic. Oui,

9 vous pouvez les sortir, les déchirer du carnet, les photocopier. Faites-en

10 ce vous en voulez.

11 (Les Juges se consultent sur le siège).

12 M. le Président (interprétation) - Maître Ostojic, voici l'ordre

13 que nous allons

14 rendre, l'ordonnance, plus exactement, que nous allons rendre. Les notes

15 contemporaines aux interviews, ou à l’interview de 96, devront être

16 communiquées ; pas le carnet, car le carnet appartient à ce témoin et à

17 personne d'autre, et il semble que ce carnet ne représente aucun intérêt

18 pour nous. Toutefois, Monsieur Vulliamy, je vous demanderai de déterminer

19 quelles sont ces quelques pages.

20 M. Vulliamy (interprétation). – Ce sera aisément fait.

21 M. le Président (interprétation). – Une fois que vous aurez

22 repéré ces pages, elles seront photocopiées, les photocopies seront

23 remises à la défense, le carnet pourra être produit à l’audience demain.

24 Mais je le répète, tout interrogatoire portant sur ce carnet sera limité

25 aux pages pertinentes.

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1 Pour que tout soit clair, puisque j’ai parlé maintenant des

2 notes de 96, je vous demande ceci : Monsieur Vulliamy, avez-vous des notes

3 contemporaines, des conversations de 1992.

4 M. Vulliamy (interprétation). – De la réunion à Prijedor.

5 M. le Président (interprétation). – Oui.

6 M. Vulliamy (interprétation). – J'ai quelques notes éparses,

7 mais j’en ai. J’ai un carnet.

8 M. le Président (interprétation). - Mais fort bien.

9 M. Ostojic (interprétation). –Puis-je poursuivre ?

10 M. le Président (interprétation). - Oui.

11 M. Ostojic (interprétation). – Merci. Nous en avons terminé de

12 ces notes, Dieu merci. Il semblerait qu'un de vos micros ne soit pas

13 branché.

14 M. Vulliamy (interprétation). – Est-il branché maintenant ?

15 M. Ostojic (interprétation). – Oui. Dans le cadre de vos

16 fonctions de journaliste, pourriez-vous nous parler de vos obligations ou

17 des fonctions que vous avez remplies ?

18 M. Vulliamy (interprétation). – De façon chronologique ?

19 M. Ostojic (interprétation). – Non. Puisque je ne suis pas

20 journaliste moi-même, j’aimerais savoir quelles sont vos obligations

21 lorsque vous assurez un reportage, lorsque vous êtes en mission, pour

22 ainsi dire.

23 M. Vulliamy (interprétation). – Eh bien vous êtes affecté à une

24 mission. C’est votre rédacteur en chef qui vous donne un certain travail,

25 ou vous pouvez faire une recommandation qui est acceptée éventuellement

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1 par votre rédacteur en chef. Vous devez vous rendre à tel ou à tel

2 endroit, et vous avez pour mission et obligation si vous travaillez pour

3 la télévision, d’établir une recherche, de composer un film sur tel ou tel

4 événement, et pour la presse écrite vous devez prendre des notes de la

5 façon la plus précise possible, et vous devez envoyer votre article. Vous

6 savez qu’il y a des commentaires, des faits d’actualités, des revues de

7 livres, et pour chacune de ces disciplines, il y a un style particulier,

8 les principes restant les mêmes pour chacune de ces disciplines. Si vous

9 parlez de faits, eh bien je dis oui, je m’en tiens aux faits.

10 M. Ostojic (interprétation). – Vous êtes d'accord avec moi pour

11 dire que vous vous en tenez aux faits, car ce sont les faits qui sont les

12 plus importants dans l’exercice de la profession de journaliste.

13 M. Vulliamy (interprétation). – Tout à fait.

14 M. Ostojic (interprétation). – Vous avez évoqué diverses

15 catégories de production journalistique. Vous avez des journalistes pour

16 des faits, pour des articles, mais aussi un journalisme d’enquête,

17 d’investigation ?

18 M. Vulliamy (interprétation). – Effectivement.

19 M. Ostojic (interprétation). – Il y a des journalistes qui

20 mènent des activités, qui ont des entretiens, des interviews ?

21 M. Vulliamy (interprétation). – Tout à fait.

22 M. Ostojic (interprétation). – Et pour la presse écrite ?

23 M. Vulliamy (interprétation). – Il n’y a pas de journalisme

24 documentaire sous forme écrite.

25 M. Ostojic (interprétation). – Quelle était la forme de

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1 journalisme à laquelle vous vous intéressiez en 92 ?

2 M. Vulliamy (interprétation). – J’étais un reporter complet,

3 j’ai eu pour mission d’aller en Italie, cela devait être ma base en 90, et

4 j’avais une mission qui avait pour portée géographique l’Italie et le sud

5 de l'Europe, ceci incluant la Yougoslavie. Je crois que l’idée de départ

6 était que j’allais passer un certain temps en Yougoslavie, j’ai fini par y

7 passer énormément de temps. Je ne comprends pas tout à fait votre

8 question. Qu’est-ce que j’étais comme type de journaliste ? Eh bien,

9 j’étais correspondant à l’étranger.

10 M. Ostojic (interprétation). – Oui. Vous avez répondu à ma

11 question, mais je voulais savoir à quel titre vous étiez là. Vous étiez

12 donc un correspondant ?

13 M. Vulliamy (interprétation). – Oui.

14 M. Ostojic (interprétation). – Vous avez parlé de 90. Mais

15 avant 90, où étiez-vous basé, pour autant que l’on puisse parler de base ?

16 Vous avez dit être basé en Italie à partir de 90. Et avant, où étiez-

17 vous ?

18 M. Vulliamy (interprétation). – Je me trouvais à Londres.

19 J’étais le rédacteur en chef de la partie Week-end du Guardian, jusqu’à la

20 fin de l’année 89.

21 M. Ostojic (interprétation). – Et pendant combien de temps avez-

22 vous été responsable de la partie Week-end du Guardian ?

23 M. Vulliamy (interprétation). – Peu de temps, car ce n’était pas

24 mon activité de prédilection, à l’époque. C'est au cours du printemps 89

25 que j’ai repris ma fonction de journaliste général, mais pour les

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1 actualités du Guardian.

2 M. Ostojic (interprétation). – Pourriez-vous m’expliquer quelle

3 est la partie du

4 week-end ?

5 M. Vulliamy (interprétation). – C'est la partie qui accompagne

6 le journal pour le week-end, qui est publiée le samedi. C’est l’édition du

7 samedi.

8 M. Ostojic (interprétation). – Restons sur ce sujet pendant

9 quelques instants, si vous le voulez bien. Peut-on dire qu’un journaliste,

10 un reporter, un correspondant à l'étranger comme vous se trouve sous

11 certaines obligations éthiques et morales. Il a l'obligation de faire

12 rapport des actualités ?.

13 M. Vulliamy (interprétation). - C'est exact.

14 M. Ostojic (interprétation). - Avez-vous l'obligation de créer

15 l'actualité ?

16 M. Vulliamy (interprétation). - Non.

17 M. Ostojic (interprétation). - Est-il exact de dire qu'un

18 journaliste ou un correspondant à l'étranger n'est pas censé créer

19 l'actualité, qu'il est censé la relayer ?

20 M. Vulliamy (interprétation). - Quelquefois, nous créons

21 l'actualité. C'est vrai tout particulièrement pour certains journalistes

22 célèbres à la télévision. On crée l'actualité. Quelquefois, ce sont

23 d'autres chaînes de télévision qui veulent vous interviewer en raison des

24 choses que vous avez faites, mais c'est loin d'être une obligation.

25 M. Ostojic (interprétation). - Si j'attends, c'est que nous

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1 attendons la fin de l'interprétation. Peut-on dire que la pire chose que

2 pourrait faire un correspondant, c'est de déformer l'actualité, la

3 réalité ?

4 M. Vulliamy (interprétation). - Tout à fait.

5 M. Ostojic (interprétation). - Y a-t-il pire que cela ?

6 M. Vulliamy (interprétation). - Eh bien, vous pouvez être tué en

7 Bosnie. Ce serait une issue malencontreuse.

8 M. Ostojic (interprétation). - Je ne pourrais pas être davantage

9 d'accord avec vous. Excusez-moi de poser cette question, se borner à vos

10 obligations personnelles, il y a d'autres risques plus graves, mais à

11 titre professionnel, en tant que journaliste, y a-t-il une pire chose que

12 la déformation de la réalité et de ce qu'un journaliste ou un

13 correspondant aurait vu ?

14 M. Vulliamy (interprétation). - Effectivement, ce serait là une

15 question assez grave.

16 M. Ostojic (interprétation). - Vous avez mentionné en cours de

17 témoignage hier, à la fin de votre témoignage, les Serbes, puis vous avez

18 décrit le fait qu'il y avait différentes catégories, différents types de

19 Serbes, vous avez exprimé ces concepts. Lorsque vous dites : "différents

20 types de Serbes", historiquement et ayant suivi ces cours d'histoire, est-

21 ce que vous les répartissez chronologiquement ou est-ce que vous les

22 incluez tous dans une vaste catégorie remontant à 10 siècles ?

23 M. Vulliamy (interprétation). - Non, j'ai appris pas mal de

24 choses sur le peuple Serbe à partir de mon expérience aussi, et plus

25 d'ailleurs qu'à la lecture d'ouvrages. Ce que j'essayais d'indiquer, c'est

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1 que c'est trop souvent le cas lorsqu'on parle des Serbes, ou du point de

2 vue Serbe, ce qu'ont fait les Serbes, ce qu'ils entendent, je pense que

3 c'est en fait un raccourci pardonnable, ce qu'ils entendent par là, ce

4 sont les Serbes qui ont accepté cet appel aux armes, accepté l'idéologie

5 que j'ai décrite comme étant une idéologie nationaliste.

6 Ce que j'ai voulu faire par le biais de cette observation, c'est

7 indiquer clairement qu'un grand nombre de personnes d'origine serbe

8 considèrent que l'idéologie nationaliste associée à leur peuple ou que

9 certains de leurs dirigeants prétendent adopter, ou semblent adopter comme

10 tout à fait abhorrante, et que bon nombre de Serbes ont lutté contre cette

11 théologie pendant la guerre. C'est cela que je voulais indiquer.

12 C'est pourquoi j'ai fait allusion, comme je l'ai fait dans mon

13 témoignage, à cette différence.

14 Lorsque j'ai dit : "les Serbes ont bombardé Bihac, je ne veux

15 pas dire tous les Serbes. Bien entendu, c'étaient des Serbes qui tiraient

16 sur Bihac, mais manifestement ils n'avaient pas tous approuvés cela. Bon

17 nombre de Serbes pensaient qu'il s'agissait en fait d'un acte

18 épouvantable.

19 M. Ostojic (interprétation). - Je vous remercie. Encore une

20 question sur ce point.

21 Lorsque vous faites du reportage d'enquête, du journalisme

22 d'enquête, essayez-vous de collecter un maximum d'informations avant de

23 terminer ? Vous essayez de résumer, d'acquérir une compréhension d'une

24 région ou d'une zone, donc vous distillez, décantez cette information et

25 puis vous faites le rapport de ce que vous avez effectivement vu et de

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1 votre expérience ?

2 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, il faut s'armer du mieux

3 que l'on peut. Si on vous envoie à Belgrade fin juillet pour faire un

4 reportage sur des camps et rendre votre article le 5 août, évidemment,

5 vous avez une échéance. Il faut que l'article soit rédigé le 5 et publié

6 le 6. La réponse est bien sûr, on se prépare. Il faut avoir une

7 connaissance de ce à quoi on va s'attaquer. Oui, c'est exact. Je pourrais

8 être envoyé demain à Lagos par exemple. Je ne peux pas vous dire grand-

9 chose sur Lagos maintenant, mais manifestement je ferai un effort pour

10 m'informer sur La Gosse dans la plus grande mesure du possible avant de

11 m'y rendre.

12 M. Ostojic (interprétation). - Ma question est d'ordre général.

13 Je ne sais pas si votre référence à l'échéance du 5 ou du 6 août était

14 liée à la photo qui a été montrée concernant la zone de Prijedor. Faisiez-

15 vous allusion à cela, sur la période du 5 ou 6 août ?

16 M. Vulliamy (interprétation). - Non, c'était une hypothèse, un

17 exemple de la manière, en fait, on ne peut pas, quand on a un article,

18 passer son temps à la bibliothèque avant d'écrire l'article. Votre

19 rédacteur en chef ne vous permettra pas de le faire.

20 M. Ostojic (interprétation). - Quelle était l'échéance pour le

21 reportage sur Prijedor et l'enquête que vous avez menée en 1992 ? Etait-ce

22 les 5 ou 6 août ?

23 M. Vulliamy (interprétation). - Nous avons découvert les camps

24 le 5 août, c'était de l'actualité. J'ai rédigé le 6. Cela a été publié

25 le 7. C'est ce que l'on attend de moi. Vous m'avez demandé quel était mon

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1 mode de fonctionnement professionnel ? Ecrire cet article faisait partie

2 effectivement de mes obligations professionnelles.

3 M. Ostojic (interprétation). - Je ne voulais pas vous poser de

4 questions sur votre mode de fonctionnement, je voulais savoir simplement

5 si vous aviez inclue l’échéance du 5 et du 6 août parce que la période à

6 laquelle vous faisiez allusion n’était pas claire. Je suis sûr que

7 Me Keegan vous posera des questions ou n’en posera pas d’ailleurs à cet

8 égard, mais est-ce qu’une partie de votre travail d’enquête consiste à

9 préparer l’article et essayer donc de le faire partager au monde, au pays,

10 de faire donc un travail d’enquête approfondi ?

11 M. Vulliamy (interprétation). - Je ne comprends pas la question.

12 M. Ostojic (interprétation). - Je voulais savoir si le travail

13 d’enquête que vous avez effectué, y compris en 1992 à Prijedor au cours de

14 vos visites là bas, vous avez témoigné sur cette période, mais d’autres

15 aussi, à quel point votre enquête est-elle exhaustive avant d’arriver sur

16 les lieux pour commencer à rédiger un article, pour savoir les différentes

17 entités qui ont participé au conflit ?

18 M. Vulliamy (interprétation). - Il me semblait que j’avais

19 répondu à la question aussi exhaustive que possible mais, bien entendu,

20 tenant compte des contraintes de transmission de l’article, de publication

21 de l’article et des consignes qui me sont fournies par le rédacteur du

22 journal quant aux délais, bien sûr.

23 M. Ostojic (interprétation). - Combien de temps, avant votre

24 visite à Prijedor, étiez-vous au courant que vous alliez être envoyé à

25 Prijedor ?

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1 M. Vulliamy (interprétation). - Le défi du Dr Karadzic a été

2 fait le jour avant mon départ.

3 M. Ostojic (interprétation). - C’était le 2 août ?

4 M. Vulliamy (interprétation). - Non, c’était fin juillet, aux

5 environs du 28, 29 juillet.

6 M. Ostojic (interprétation). - Etiez au courant, aviez-vous

7 connaissance de l’histoire des différents groupes présents à Prijedor

8 avant ce reportage auquel on vous a consigné le 28 juillet 1992 ?

9 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, je suivais de près le

10 conflit dans la presse.

11 M. Ostojic (interprétation). - Donc c’était pendant que vous

12 étiez en Croatie et pendant la guerre en Croatie, est-ce exact ?

13 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, mais vous m’avez posé une

14 question sur Prijedor.

15 Oui, effectivement, j’ai couvert la guerre en Croatie, comme je

16 l’ai dit, directement et de part et d’autre bien que je n’aie pas été en

17 Bosnie là où le conflit a commencé dans les journaux et à la télévision.

18 M. Ostojic (interprétation). - En 1990, suiviez-vous de près la

19 guerre civile en Bosnie et la guerre qui éclatait dans ces régions ?

20 M. Vulliamy (interprétation). - Pour autant que je m’en

21 souvienne, il n’y avait pas de guerre effective en 1990, mais

22 manifestement je suivais l’escalade de la tension, la guerre n’a pas

23 éclaté avant 1991.

24 M. Ostojic (interprétation). - C’est une excellente distinction,

25 je faisais référence, en fait, à la Croatie.

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1 En ce qui concerne les différents groupes qui ont participé au

2 conflit dans cette zone, aviez-vous eu connaissance de ces groupes ?

3 M. Vulliamy (interprétation). - Comme je l’ai dit, j’avais suivi

4 la guerre dans les journaux et dans la presse, donc en ce qui concerne les

5 groupes, je savais ce qu’était le SDS du Dr Karadzic, je savais ce

6 qu’était le SDA, le HDZ et je savais qui étaient les différents

7 intervenants, bien sûr.

8 M. Ostojic (interprétation). - Avez-vous consulté quiconque pour

9 arriver à vos

10 conclusions quant à savoir qui était le SDS, le SDA, le HDZ ? Vous

11 consultiez qui ?

12 M. Vulliamy (interprétation). - On parlait de la guerre, donc

13 entre amis, entre collègues. Si c’est ce que vous entendez par

14 consultation, oui, alors il y en a eu.

15 M. Ostojic (interprétation). - Non, ce que j’entends pas

16 consultation, vous ne comprenez pas, permettez-moi tout simplement

17 d’essayer de clarifier la question, et je le ferai volontiers. Est-ce que

18 quelqu’un vous a donné une certaine orientation pour acquérir une

19 meilleure compréhension des groupes qui intervenaient dans la région de

20 Prijedor ? Est-ce que vous vous êtes basé sur un, deux ou dix individus

21 quant à leur avis ?

22 M. Vulliamy (interprétation). - Oui, j’ai parlé à différents

23 collègues qui étaient sur place depuis plus longtemps que moi. Certains y

24 avaient déjà passé quelques années, et une fois que nous sommes arrivés à

25 Belgrade, nous avons attendu pendant plusieurs jours avec impatience, mais

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1 nous avons eu à entendre bon nombre de briefings concernant la situation.

2 Il y avait une femme appartenant à quelque chose qui s’appelait

3 Association d’Amitié Serbe Juif qui nous a fait un briefing assez

4 approfondi, nous faisant part de son point de vue concernant le conflit et

5 j’ai le sentiment qu’elle jouait un rôle politique.

6 M. Ostojic (interprétation). - La période à laquelle je fais

7 référence est avant le 28 juillet, avant votre visite à Belgrade et

8 Prijedor. Je crois que vous avez effectivement pris langue avec certains

9 collègues concernant au moins une tentative de définir de manière exacte

10 quels étaient les partis en présence. J’aurais voulu savoir avec combien

11 de collègues vous avez discuté et si vous pouvez vous souvenir de leur

12 nom ?

13 M. le Président (interprétation). - Je pense que le témoin s’est

14 suffisamment expliqué sur ce point. Pouvez-vous poursuivre ?

15 M. Ostojic (interprétation). - Puis-je vous demander un

16 instant ?

17 M. le Président (interprétation). - En fait vous pouvez avoir

18 jusqu’à demain matin, si vous voulez.

19 Notre séance est levée, 9 heures 30 demain matin,

20 Monsieur Vulliamy, pourriez-vous être parmi nous demain matin. Je vous

21 remercie.

22

23 L’audience est levée à 17 heures.

24

25