Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le jeudi 10 juillet 2008

  2   [Audience publique]

  3   [L'accusé est introduit dans le prétoire]

  4   --- L'audience est ouverte à 14 heures 16.

  5   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Bonjour, Monsieur Alarid. Vous allez

  6   poursuivre votre déclaration liminaire que vous avez commencée hier.

  7   M. ALARID : [interprétation] Merci, Monsieur le Président, Monsieur le

  8   Juge.

  9   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Il n'y a pas de podium aujourd'hui ?

 10   M. ALARID : [interprétation] En fait, hier on m'a informé que ce n'était

 11   pas très bien pour les interprètes car je faisais trop de mouvements et je

 12   n'étais pas derrière le micro. Voilà, je vais faire un effort. Je dois

 13   avouer qu'il m'est assez difficile lorsque vous sentez quelque chose et

 14   lorsque, eu égard au temps qui m'est imparti, j'espère que je vais pouvoir

 15   continuer avec la même envolée que j'avais hier car nous avions dû nous

 16   arrêter, bien sûr.

 17   Je crois qu'il est important, Monsieur le Président, Monsieur le

 18   Juge, de se concentrer sur les deux premiers incidents. L'Accusation

 19   insiste sur les deux premiers incidents car ils estiment que c'est peut-

 20   être ce qu'il y a de plus facile à dire pour ce qui est de M. Lukic, que

 21   c'est facile de les accuser de ces deux choses-là.

 22   Je suis en désaccord. 

 23   Comme j'ai dit hier, les incohérences qui sont très graphiques des

 24   deux témoins oculaires devraient suffire, en se basant sur le principe du

 25   doute résident, de mettre en question toutes les allégations concernant la

 26   rivière Drina. Il semble que ce soit insurmontable des trois accusés, y

 27   compris le co-accusé, Mitar Vasiljevic, de pointer du doigt M. Milan Lukic,

 28   mais très clairement, d'après le compte rendu d'audience du procès


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  1   précédent, et d'après ce que nous avons entendu par M. Vasiljevic, M. Lukic

  2   en fait était une chaise vide. Il était très facile de le pointer du doigt

  3   et personne ne pouvait défendre la position de M. Lukic à ce moment-là, et

  4   ceci est très courant lorsque nous avons une séparation, une injonction

  5   d'instances et il est tout à fait facile de jeter le blâme sur un autre co-

  6   accusé ou un co-auteur qui figure dans l'acte d'accusation, pour éliminer,

  7   bien sûr, la culpabilité de son propre client. C'est tout à fait facile de

  8   faire ceci et les avocats le font souvent.

  9   Lorsque nous examinons l'incident de la rivière Drina, je suis tout à

 10   fait sûr qu'à la suite de l'interrogatoire principal et le contre-

 11   interrogatoire, vous verrez que M. Milan Lukic n'est en fait pas coupable

 12   de l'incident de la rivière Drina.

 13   S'agissant maintenant de la rue Pionirska et de l'incendie, cet

 14   incident est un incident très tragique, il est sérieux, il est grave, c'est

 15   sûr, mais je crois que l'Accusation, à mon avis, a le droit tout à fait,

 16   bien sûr, de parler de la tragédie, mais de mettre en accusation quelqu'un

 17   de particulier pour ce qui est de cet événement est très sérieux, c'est

 18   quelque chose de très grave que de faire ceci, soit ici ou ailleurs. On

 19   parle de meurtre, de génocide, on parle d'actes inhumains commis à

 20   l'encontre des personnes qui se trouvent à l'intérieur de ces maisons, et

 21   je crois qu'il faut également examiner ou se pencher sur les intentions des

 22   personnes que l'on accuse. Comme j'ai dit hier, M. Lukic et son cousin

 23   Mitar sont des citoyens du cru --

 24   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je dois vous interrompre.

 25   M. ALARID : [interprétation] Oui.

 26   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] J'ai oublié de mentionner au tout

 27   début de l'ouverture du procès que nous siégeons en l'absence du Juge Van

 28   den Wyngaert aujourd'hui et le Juge David et moi-même siégeons en vertu de


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  1   l'article 15 bis. Veuillez poursuivre, je vous prie.

  2   M. ALARID : [interprétation] Merci, Monsieur le Président, Monsieur le

  3   Juge.

  4   Lorsque, effectivement, on examine cet incident où l'on dit que l'on a

  5   entendu les cris des victimes à la suite de cet incendie, je crois que oui,

  6   effectivement, on voudrait, il faut trouver les responsables. Les victimes

  7   souhaiteraient que l'on trouve des réponses. Le processus dure depuis

  8   longtemps, bien sûr, et en fait le problème est le suivant : c'est que tout

  9   le monde dit que Milan Lukic est coupable de ceci, il est dit depuis

 10   tellement longtemps qu'il est très difficile de ne pas le croire. Donc je

 11   vais maintenant parler de la défense d'alibi présenté par M. Mitar

 12   Vasiljevic. C'est un énorme problème que nous avons, auquel nous faisons

 13   face dans cette affaire en l'espèce. Comme j'ai mentionné, Mitar Vasiljevic

 14   et Milan Lukic ont été identifiés ensemble. Ils ont été identifiés par des

 15   personnes qui prétendaient les connaître, les connaître depuis assez

 16   longtemps, qu'elles faisaient partie de cette même communauté. Je crois

 17   qu'il est absolument hors de tout doute, enfin il est tout à fait certain

 18   que l'une des personnes n'était pas là -- lorsqu'on peut prouver que l'une

 19   de ces personnes n'était pas là, ceci met en perspective toute la

 20   situation.

 21   Et Milan Lukic était âgé de 23 ans, il n'aurait pas eu ni le grade ni

 22   l'expérience nécessaire pour prendre les décisions nécessaires dont on

 23   l'accuse. Même si l'armée régulière s'était retirée de la ville à ce

 24   moment-là, ils étaient encore dans la région. Que de croire que les

 25   paramilitaires serbes du cru ou que la police du cru local, donc les

 26   membres de la police locale n'étaient pas responsables de ceci, d'avoir

 27   ordonné ceci, de l'avoir planifié, je crois que ceci mène à l'écart la

 28   chaîne de commandement normal dans cette situation. On ignorerait donc à ce


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  1   moment-là cela. M. Milan Lukic était peut-être un pion entre les mains de

  2   Bosniens, il n'avait pas beaucoup d'expérience, il n'avait pas beaucoup

  3   d'importance non plus. Il était simplement sur place parce que sa famille

  4   était sur place et ces derniers tout comme les autres, il leur fallait

  5   quitter cette zone de guerre.

  6   Milan Lukic n'a jamais été accusé devant aucun tribunal pour ces crimes, le

  7   rapport des Nations Unies n'a jamais non plus mentionné ces incidents.

  8   Comme je l'ai déjà mentionné, même si effectivement il y a eu -- on a

  9   essayé entre 1993 et 1995, où les Nations Unies ont essayé de trouver les

 10   responsables. Des déclarations qui sont données en cette affaire ont été

 11   données beaucoup plus tard, et simplement lorsqu'on parle de se souvenir de

 12   l'endroit, de l'année, de la date, il est très facile, bien sûr, de pointer

 13   du doigt Milan Lukic dans ce cas-là.

 14   C'est ainsi que, Monsieur le Président, Monsieur le Juge, je mets fin à ma

 15   déclaration liminaire et je me réserve le droit d'intervenir à une étape

 16   ultérieure puisque nous sommes encore en processus de préparatif de notre

 17   affaire.

 18   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur Alarid.

 19   Monsieur Groome, alors qui est votre témoin ?

 20   M. GROOME : [interprétation] Je souhaiterais aborder une question avant que

 21   le témoin ne soit appelé.

 22   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui.

 23   M. GROOME : [interprétation] D'abord, il y a deux photos aériennes. Ce sont

 24   des photographies qui ont été montrées hier pendant la présentation des

 25   déclarations liminaires. Ces photographies ont été prises il y a quelques

 26   mois. Je les ai communiquées au conseil de Défense peu de temps après que

 27   ces photos avaient été prises, quelques jours ou quelques semaines plus

 28   tard. L'Accusation est dans le processus d'essayer de mettre toutes ces


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  1   photographies dans une seule pièce. C'est un programme sur ordinateur qui

  2   permettrait à la Chambre d'examiner chacun de tous ces sites dont il a été

  3   question au cours du procès. Ceci permettrait également aux Juges de la

  4   Chambre de chercher et de trouver des endroits pour se situer sur les

  5   lieux, d'une certaine façon.

  6   Mais ceci n'a pas encore été fait. Ce n'est pas encore terminé. Ce

  7   logiciel n'est pas encore préparé, et donc j'aimerais simplement vous

  8   demander de nous donner la permission de les présenter ici aujourd'hui, car

  9   ces pièces ne figurent pas sur la liste des pièces.

 10   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Certainement. Poursuivez, je

 11   vous prie.

 12   M. GROOME : [interprétation] En fait, l'Accusation aimerait appeler le

 13   Témoin VG-014.

 14   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, je vous écoute, Monsieur

 15   Alarid.

 16   M. ALARID : [interprétation] Nous avons déposé une requête ce matin de

 17   proroger, ou plutôt de nous donner plus de temps pour le contre-

 18   interrogatoire sur la base des objections 92 bis et 92 ter. Nous pensons

 19   que le contre-interrogatoire devrait durer plus longtemps que le temps qui

 20   nous est accordé à la suite de 60 % accordé à l'Accusation.

 21   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Certainement. Si vous avez besoin de

 22   plus de 60 %, vous l'obtiendrez.

 23   M. ALARID : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 24   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais il faut vous assurer de ne pas

 25   faire perdre du temps.

 26   M. ALARID : [interprétation] Oui, alors je vous prierais, bien sûr, de

 27   m'aviser ou de m'avertir si jamais vous avez l'intention que je présente

 28   des éléments de preuve de façon cumulative.


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  1   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Groome, vous aviez

  2   l'intention d'appeler votre prochain témoin ?

  3   M. GROOME : [interprétation] Oui, je voudrais que le témoin VG-014 soit

  4   emmené dans cette salle d'audience, s'il vous plaît.

  5   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Monsieur le Président, j'aimerais

  6   demander que l'on passe à huis clos partiel afin de faire entrer le témoin.

  7   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Certainement. Faites, je vous prie.

  8   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Monsieur le Président, Monsieur le

  9   Juge, nous sommes en audience à huis clos partiel.

 10   [Audience à huis clos partiel] [Confidentialité levée par une ordonnance de la Chambre]

 11   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] J'aimerais que notre première

 12   session se termine à 16 heures et, bien sûr, avec la permission des

 13   interprètes.

 14   M. GROOME : [interprétation] Monsieur le Président, avant que le témoin ne

 15   soit emmené en prétoire, j'aurais quelques questions à aborder d'abord

 16   concernant les témoins 92 ter. L'Accusation aurait besoin de plus de 30

 17   minutes, tel qu'il a été dit par la Cour. Est-ce que vous aimeriez obtenir

 18   une requête écrite ou est-ce qu'il vous est suffisant d'obtenir une

 19   application ou une demande orale avant que le témoin ne soit appelé à la

 20   barre ?

 21   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Oralement, c'est très bien

 22   aussi.

 23   M. GROOME : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur le Président.

 24   Monsieur le Juge. Il y a plusieurs pratiques concernant les pièces

 25   rattachées au témoignage 92 bis. Certaines Chambres acceptent que toutes

 26   les pièces dont font référence les témoins ainsi que le transcript, je note

 27   de par une décision récente de votre Chambre de première instance qu'il y a

 28   certaines distinctions entre les pièces, que certaines pièces figurent sur


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  1   la liste des pièces et d'autres pas. J'aimerais savoir, j'aimerais vous

  2   demander de me donner une précision. Est-ce que la Chambre souhaiterait que

  3   l'Accusation fasse une demande formelle séparée et individuelle concernant

  4   l'application 92 ter pour ces pièces dont je vais faire référence au cours

  5   du témoignage ?

  6   [La Chambre de première instance et le Juriste se concertent]

  7   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] S'ils ne figurent pas sur la liste

  8   65 ter, nous aimerions que vous fassiez une requête séparée.

  9   M. GROOME : [interprétation] Un très grand nombre de témoins dans l'affaire

 10   Vasiljevic dans le cadre de leur témoignage ont fait des croquis, des

 11   diagrammes. L'Accusation n'avait pas demandé, n'avait pas fait une demande

 12   officielle pour que ces croquis les suivent, et donc nous pensions que,

 13   bien sûr, si la Chambre de première instance acceptait leur témoignage, à

 14   ce moment-là les croquis les suivraient. Mais ce n'est pas très clair sans

 15   leur témoignage, sans le procès-verbal ou sans le compte rendu d'audience.

 16   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Très bien. Alors, procédez de cette

 17   façon-là, je vous prie. Faites une demande séparée.

 18   M. GROOME : [interprétation] Très bien, nous allons procéder de la sorte.

 19   [Le témoin est introduit dans le prétoire]

 20   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] J'aimerais que le témoin prononce la

 21   déclaration solennelle.

 22   M. GROOME : [interprétation] Nous sommes toujours à huis clos partiel,

 23   Monsieur le Président.

 24   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Huis clos partiel ? Oui, il faudrait

 25   revenir en audience publique, s'il vous plaît.

 26   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes de retour en audience

 27   publique, Monsieur le Président, Monsieur le Juge.

 28   [Audience publique]


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  1   LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

  2   vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

  3   LE TÉMOIN: TÉMOIN VG-014 [Assermenté]

  4   [Le témoin répond par l'interprète]

  5   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Veuillez vous asseoir, je vous prie.

  6   LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

  7   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Groome, c'est à vous de

  8   commencer.

  9   M. GROOME : [interprétation] Je remarque que les stores sont toujours

 10   baissés, Monsieur le Président. Monsieur le Président, ce témoin fait

 11   l'objet de mesures de protection. Je vais demander à M. l'Huissier de

 12   donner une feuille de pseudonyme au témoin afin qu'il puisse le confirmer.

 13   Interrogatoire principal par M. Groome : 

 14   Q.  [interprétation] Monsieur le Témoin VG-014, l'huissier vous a montré

 15   une feuille. J'aimerais que vous me disiez si votre nom figure sur cette

 16   feuille, que c'est bel et bien votre nom ?

 17   R.  Oui.

 18   Q.  Est-ce que la date de naissance correspond à la vôtre également ?

 19   R.  Oui.

 20   Q.  Pourriez-vous, je vous prie, signer votre nom en bas de la page ?

 21   R.  Oui.

 22   Q.  La Chambre de première instance vous a octroyé certaines mesures de

 23   protection. L'une de ces mesures de protection est que les traits de votre

 24   visage sont déformés afin que l'on ne puisse pas vous reconnaître. On vous

 25   a également accordé un pseudonyme et c'est le pseudonyme VG-014. Si vous

 26   regardez sur cette feuille, nous voyons également un autre pseudonyme, VG-

 27   032, à côté d'un nom. Est-ce que vous pourriez me dire, s'il vous plaît, si

 28   dans le cadre de votre témoignage aujourd'hui vous allez faire référence à


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  1   cette personne ?

  2   R.  Oui.

  3   M. GROOME : [interprétation] Monsieur le Président, je demanderais que

  4   cette feuille, comportant le pseudonyme, soit versé au dossier sous pli

  5   scellé, s'il vous plaît.

  6   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Très bien. Merci.

  7   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Cette pièce portera la cote P1, sous

  8   pli scellé.

  9   M. GROOME : [interprétation]

 10   Q.  Monsieur le Témoin VG-014, au cours du printemps 1992, pouvez-vous nous

 11   dire où vous habitiez, ne nous donnez pas l'adresse, votre adresse, mais

 12   dans quelle région ? Où habitiez-vous ?

 13   R.  En 1992, j'habitais à Bikavac. Il s'agit d'une agglomération qui se

 14   trouve -- de Visegrad et du centre de la ville de Visegrad, de 300 à 500

 15   mètres. Je vivais là-bas avec mon épouse et ma fille qui était mineure à

 16   l'époque.

 17   Q.  Quel âge avait votre fille à l'époque ?

 18   R.  Ma fille à l'époque était âgée de trois ans et demi.

 19   Q.  Est-ce qu'au printemps 1992 à un moment donné vous avez quitté votre

 20   demeure de Visegrad avec votre famille ?

 21   R.  Oui.

 22   Q.  De quoi vous rappelez-vous lorsque vous êtes parti de votre maison ?

 23   R.  Je crois que c'était en mars ou en avril 1992, c'est à ce moment-là que

 24   je suis parti pour Gorazde.

 25   Q.  Est-ce que vous avez connaissance d'un événement lors duquel on a

 26   ouvert un barrage hydroélectrique au sud de la ville, où une grande

 27   quantité d'eau a été libérée ?

 28   R.  Oui.


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  1   Q.  Quand êtes-vous parti par rapport à cet événement ?

  2   R.  Je suis sorti de la ville immédiatement après cet événement.

  3   Q.  Pourquoi vous avez décidé de quitter Visegrad pour vous rendre à 

  4   Gorazde ?

  5   R.  Pour vous dire franchement, le Corps d'Uzice était censé entrer dans

  6   Visegrad et nous avions peur de ce corps d'armée. Car nous avions peur

  7   qu'il ne s'adonne à des crimes et pour ma propre sécurité, je suis sorti de

  8   la ville.

  9   Q.  Est-ce que vous êtes revenu à Visegrad à un moment donné ?

 10   R.  Oui.

 11   Q.  Quand était-ce ?

 12   R.  Je crois que c'était vers la fin du mois d'avril 1992.

 13   Q.  Quels sont les motifs qui vous ont poussés à revenir dans Visegrad ?

 14   R.  Les raisons étaient les suivantes, c'est que les autorités lors des

 15   pourparlers menés avec les autorités de Visegrad à l'époque avaient pris

 16   une décision de garantir notre sécurité, donc ils nous ont dit que l'on

 17   pouvait revenir.

 18   Q.  Est-ce qu'on a fait des annonces pour ce qui est des emplois des

 19   personnes et est-ce qu'on a dit qu'il fallait revenir à cause des emplois ?

 20   R.  Il n'y avait pas vraiment de notice faite par écrit, mais on nous a dit

 21   oralement que toutes les personnes qui ne retournaient pas au travail

 22   allaient se faire licencier.

 23   Q.  Lorsque vous dites que c'était quelque chose qui était dit oralement,

 24   de quelle façon est-ce que vous avez appris ce que vous venez de nous dire

 25   ?

 26   R.  Pour vous dire franchement, il y avait des gens entre nous qui avaient

 27   un emploi et c'était quelque chose qu'on disait entre nous et que j'ai

 28   entendu de mes collègues.


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  1   Q.  Comment êtes-vous retourné à Visegrad ?

  2   R.  Le retour à Visegrad était organisé par autocar.

  3   Q.  Est-ce que vous êtes retourné à Visegrad avec votre femme et votre

  4   enfant ?

  5   R.  Oui.

  6   Q.  Est-ce qu'à un certain moment donné lorsque vous êtes retournés à

  7   Visegrad on a arrêté l'autocar ?

  8   R.  Oui. A plusieurs points.

  9   Q.  Pourriez-vous, s'il vous plaît, nous dire où c'était exactement, en

 10   parlant du premier arrêt ?

 11   R.  Le premier point de contrôle ou l'arrêt était dans l'agglomération de

 12   Medzedza, c'est là que nous avons été immobilisés, on nous a donné l'ordre

 13   de sortir de l'autobus et, s'agissant des effets personnels, on nous a

 14   demandé de les sortir à l'extérieur, d'ouvrir les sacs et de vider le

 15   contenu des sacs par terre.

 16   Q.  Où était ce premier point de contrôle par rapport au centre de la ville

 17   de Visegrad ?

 18   R.  Le premier point de contrôle était situé sur le vieux pont et le

 19   deuxième point de contrôle était à Nezuci.

 20   Q.  Ce premier point de contrôle que vous avez mentionné, qui se trouvait à

 21   Medzedza, à quelle distance de la ville se trouvait-il ?

 22   R.  Je crois que c'était à 11 kilomètres de la ville.

 23   Q.  Vous avez évoqué le fait que des personnes sont sorties de l'autobus.

 24   Est-ce que vous pourriez nous dire à quel organisme appartenaient ces

 25   personnes qui ont demandé aux personnes de sortir de l'autobus ?

 26   R.  C'était l'armée de la JNA, et elle était composée de gens du cru, de

 27   nationalité serbe. En fait, c'était assez mixte à ce moment-là.

 28   Q.  Vous avez fait référence à plusieurs points de contrôle, pouvez-vous


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  1   nous dire combien de points de contrôle avez-vous vus sur la route entre

  2   Gorazde et votre ville ?

  3   R.  Si ma mémoire est bonne, il s'agissait de cinq points de contrôle, il y

  4   avait un premier point de contrôle à Medzedza, ensuite Nezuci, ensuite le

  5   vieux pont, Stari Most, devant le nouvel hôtel à Visegrad, et il y avait

  6   également un point de contrôle sur Bikavac.

  7   Q.  Vous a-t-on demandé de montrer des pièces d'identité lorsque vous étiez

  8   arrêtés à ces points de contrôle ?

  9   R.  Oui, sur chaque point de contrôle, on nous a demandé de leur montrer

 10   nos cartes d'identité, ils avaient entre les mains des listes qu'ils

 11   contrôlaient, et pour ce qui me concerne on m'a dit : "Non, ce n'est pas

 12   lui. Je n'ai pas son nom sur cette liste."

 13   Q.  Et c'était comme ça à chaque point de contrôle ?

 14   R.  Oui.

 15   Q.  Je souhaiterais appeler votre attention sur le point de contrôle devant

 16   le nouvel hôtel; qui tenait ce point de contrôle, qui était le personnel

 17   qui tenait ce point de contrôle ?

 18   R.  C'était l'hôtel à Visegrad, c'était sur la route, à l'extérieur de ce

 19   Novi hôtel, il y avait un soldat, Oliver Krsmanovic, et il avait procédé à

 20   mon contrôle à plusieurs reprises. Il portait un uniforme de camouflage et

 21   il portait une cocarde, il portait un aigle de tête sur lui, il avait

 22   également une arme Heckler.

 23   Q.  Est-ce qu'il y avait des soldats de la JNA sur ce point de contrôle-là

 24   ?

 25   R.  Oui, on pouvait les remarquer.

 26   Q.  Lorsque vous avez regagné votre demeure, pourriez-vous nous décrire ce

 27   que vous y aviez trouvé ?

 28   R.  De retour chez moi, j'ai vu que ma porte avait été défoncée, c'est-à-


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  1   dire que l'on avait procédé à la fouille de ma maison, elle était mise à

  2   sac, non pas seulement ma maison à moi, mais un très grand nombre de

  3   maisons ont fait l'objet de ces fouilles.

  4   Q.  L'agglomération, le quartier où vous habitiez, est-ce qu'elle était

  5   composée d'un groupe ethnique ou est-ce que c'était mixte?

  6   R.  Il y avait une population serbe ainsi que des Musulmans, c'était mixte.

  7   Q.  Est-ce que vous avez vu si des maisons serbes avaient fait l'objet de

  8   dégâts pareils ?

  9   R.  Non.

 10   Q.  Donc les dégâts avaient été occasionnés aux maisons musulmanes

 11   seulement ?

 12   R.  Oui.

 13   Q.  Témoin VG-014, est-ce que vous êtes retourné travailler à un certain

 14   moment donné ?

 15   R.  Oui.

 16   Q.  Pourriez-vous nous dire, sans compromettre votre identité, bien sûr, où

 17   vous travailliez, si cela est possible ?

 18   R.  Je travaillais dans une entreprise de construction, là où je

 19   travaillais se trouvait environ à 200 mètres du nouveau pont en contrebas

 20   de la rivière Drina.

 21   Q.  Donc c'était au centre de la ville ?

 22   R.  Non, par réellement au centre-ville, le siège de l'entreprise se

 23   trouvait au centre-ville, mais là où je travaillais, c'était environ à deux

 24   kilomètres de là.

 25   Q.  Quand vous alliez à votre travail et que vous rentriez à la maison,

 26   est-ce que vous deviez passer par des points de contrôle ?

 27   R.  Oui.

 28   Q.  Est-ce qu'à ce moment-là, la procédure chaque fois que vous passiez au


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  1   point de contrôle était la même que ce que vous avez décrit précédemment ?

  2   Avez-vous entendu ma question ?

  3   R.  Non, je n'ai pas eu de traduction.

  4   Q.  Je vais répéter ma question. Vous avez expliqué que pour aller au

  5   travail vous deviez passer des points de contrôle. La procédure que vous

  6   avez décrite précédemment, est-ce que c'était la même quand vous passiez

  7   ces points de contrôle pour aller au travail ou pour en rentrer ?

  8   R.  Oui.

  9   Q.  Pouvez-vous nous dire quelle était la situation sur votre lieu de

 10   travail quand vous y êtes retourné ?

 11   R.  Les conditions n'étaient pas très bonnes. On travaillait dans une

 12   atmosphère de tension, et pas dans un climat de sécurité. On voyait même

 13   des soldats qui déambulaient, ce type de choses, si bien qu'on avait peur.

 14   Q.  Vous dites qu'il y avait une atmosphère d'insécurité sur votre lieu de

 15   travail. Est-ce que vous pourriez préciser la chose, qu'est-ce que vous

 16   entendez par là exactement ?

 17   R.  C'était pas sûr, parce qu'il y avait des gens qui entraient dans les

 18   locaux de l'entreprise pour emmener d'autres personnes et les exécuter. On

 19   ne sentait pas en sécurité. Et pourtant on devait travailler.

 20   Q.  Et ces gens qu'on emmenait à partir de votre lieu de travail, est-ce

 21   qu'ils appartenaient tous à la même communauté ethnique ?

 22   R.  Oui.

 23   Q.  Laquelle ?

 24   R.  C'était des Musulmans.

 25   Q.  Est-ce que vous avez pu déceler une logique en observant ceux que l'on

 26   emmenait et à quel moment ?

 27   R.  La logique, c'était simplement le fait qu'on était Musulman. Je ne vois

 28   pas d'autre logique.


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  1   Q.  Non, mais je pense à la position hiérarchique de quelqu'un, ou au rôle

  2   qu'il ou elle aurait joué au sein de la communauté. Est-ce que vous avez pu

  3   voir intervenir ces facteurs dans l'ordre dans lequel on a emmené les

  4   Musulmans ?

  5   R.  Voyez-vous, d'abord ils ont emmené ceux qui avaient des postes quelque

  6   peu importants. Ils l'ont sans doute fait pour que ces personnes ne

  7   puissent pas organiser le reste des gens, et quand ils ont eu terminé, ils

  8   se sont intéressés aux gens qui étaient moins instruits.

  9   Q.  Est-ce qu'à un moment donné vous en êtes arrivé à la conclusion que ce

 10   n'était plus sûr pour vous d'aller au travail ?

 11   R.  Oui.

 12   Q.  Combien de temps s'est écoulé entre le moment où vous êtes retourné sur

 13   votre lieu de travail et le moment où vous avez décidé que vous ne pouviez

 14   plus aller travailler parce que ce n'était pas assez sûr ?

 15   R.  Je crois qu'il s'est écoulé un mois à peu près.

 16   Q.  Quand vous avez décidé de ne plus aller travailler, qu'avez-vous fait à

 17   ce moment-là ?

 18   R.  Je me suis caché à proximité de ma maison dans un bosquet.

 19   Q.  Est-ce que vous étiez seul ou est-ce que vous étiez accompagné d'autres

 20   personnes ? Surtout ne nous dites pas leurs noms. Dites-nous simplement si

 21   vous étiez accompagné et combien il y avait de personnes en votre

 22   compagnie.

 23   R.  Il y avait trois voisins à moi qui étaient là aussi.

 24   Q.  Comment vous organisiez-vous pour manger ou pour changer de vêtements ?

 25   R.  Nos femmes avaient tout organisé de façon que lorsque le moment était

 26   propice, elles nous amenaient à manger et elles nous amenaient des

 27   vêtements.

 28   Q.  Et votre femme est restée chez vous avec votre enfant ?


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  1   R.  Oui.

  2   Q.  Est-ce que votre femme vous a donné des informations au sujet de ce qui

  3   se passait en ville dans la zone de Bikavac ?

  4   R.  Oui. Elle m'a dit que les Aigles blancs venaient dans le quartier et

  5   qu'ils emmenaient des gens.

  6   Q.  Est-ce qu'à un moment donné vous avez quitté ce bois pour retourner

  7   chez vous à votre domicile ?

  8   R.  Oui. Je crois que c'est à peu près au bout de dix jours passés à me

  9   cacher.

 10   Q.  Pourquoi avez-vous cessé de rester caché dans ce bois ?

 11   R.  Voyez-vous, on ne supportait plus les conditions qui existaient dans le

 12   bois où on se cachait, et je n'étais pas un criminel, je n'avais rien fait

 13   de mal. Donc je ne pensais pas qu'ils allaient venir me chercher.

 14   Q.  Est-ce qu'à un moment donné on vous a emmené par la force de votre

 15   domicile ?

 16   R.  Oui.

 17   Q.  Combien de nuits avez-vous passé dans votre maison entre le moment où

 18   vous y êtes retourné et le moment où on vous a emmené de force ?

 19   R.  Une seule nuit.

 20   Q.  Et cette seule nuit-là, où l'avez-vous passé ?

 21   R.  Dans le grenier de ma maison.

 22   Q.  Pouvez-vous nous expliquer ce que s'est passé le jour où on vous a

 23   emmené par la force de votre maison ?

 24   R.  Oui. C'était le 7 juin 1992, dans la soirée, vers 17 heures 30. J'étais

 25   chez moi assis et ma femme a vu par la fenêtre de la cuisine qu'il y avait

 26   des soldats qui circulaient dans le quartier et qui fouillaient les

 27   maisons, donc elle m'a dit que ce serait une bonne idée de me cacher, mais

 28   j'ai refusé. A un moment donné, on a frappé à la porte. J'ai dit à une


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  1   femme qui avait été chassée du village de Kurtalici, je lui ai demandé

  2   d'aller voir qui frappait à la porte et je lui ai dit de dire qu'il n'y

  3   avait personne, mais quand elle est sortie, sans doute du fait de la peur,

  4   elle est restée complètement muette, muette de terreur, et à ce moment-là

  5   j'ai entendu une voix d'homme dire qu'il allait entrer dans la maison pour

  6   vérifier lui-même. Moi je me trouvais là quand Milan Lukic est entré, il

  7   avait un fusil de sniper ou de tireur embusqué à la main, il avait un béret

  8   bleu sur la tête, il avait le visage peint en noir et il avait un uniforme

  9   bleu, il portait la cocarde et l'aigle à deux têtes et il avait le même

 10   signe sur la poitrine.

 11   Q.  Je vais vous poser quelques questions afin de préciser un certain

 12   nombre de points pour le compte rendu d'audience.

 13   Ce jour-là, combien de personnes sont entrées dans votre maison ?

 14   R.  Ce jour-là, il n'y a que Milan Lukic qui est entré dans la maison, et

 15   un de ses soldats se tenait à l'extérieur.

 16   Q.  Vous donnez le nom de cet homme, est-ce que vous le connaissiez

 17   auparavant ?

 18   R.  Non. Lukic l'a appelé Monténégro.

 19   Q.  Je ne suis pas en train de parler de Monténégro. Je suis en train de

 20   parler du dénommé Milan Lukic, de celui que vous appelez de la sorte. Est-

 21   ce que vous le connaissiez avant ce jour ?

 22   R.  Oui.

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 25  (expurgé)

 26  (expurgé)

 27  (expurgé)

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  1  (expurgé)

  2  (expurgé)

  3  (expurgé)

  4   M. GROOME : [interprétation]

  5   Q.  Quel est le nom de l'école que vous avez fréquentée ?

  6   R.  On était ensemble à l'école secondaire.

  7   Q.  Est-ce qu'il était dans la même classe que vous, dans la même année ?

  8   R.  Oui, je crois qu'il était dans la même année, mais on n'était pas dans

  9   la même classe.

 10   Q.  Est-ce que vous savez dans quelle filière il étudiait ?

 11   R.  Je crois qu'il suivait une formation de métallurgie. Je ne sais pas

 12   s'il étudiait pour devenir soudeur ou quelque chose comme ça.

 13   Q.  Pendant combien de temps êtes-vous resté dans le même établissement

 14   scolaire que celui que vous appelez Milan Lukic ?

 15   R.  On est resté ensemble pendant les deux premières années.

 16   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Donnez-nous les années, s'il vous

 17   plaît.

 18   M. GROOME : [interprétation]

 19   Q.  Veuillez, s'il vous plaît, nous donner les années que vous avez passées

 20   à l'école avec Milan Lukic ? De quelles années s'agissait-il ?

 21   R.  Là il faut me donner quelques minutes. En 1985, j'ai fini l'école au

 22   troisième niveau, donc c'était peut-être 1983 ou 1984. Je crois que ce sont

 23   les années correspondantes.

 24   Q.  Est-ce qu'à un moment donné il a quitté l'école ?

 25   R.  Oui. Au cours de la deuxième année de l'école secondaire, je crois.

 26   Q.  Savez-vous où il est allé à ce moment-là ?

 27   R.  J'ai entendu dire qu'il était allé à Obrenovac pour entrer dans la

 28   police.


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  1   Q.  Vous dites que vous le connaissiez à l'école. Est-ce simplement

  2   quelqu'un que vous connaissiez de vue simplement à l'école ou est-ce que

  3   vous connaissiez à ce moment-là déjà son nom ?

  4   R.  Je le connaissais parce que je l'avais vu quand on était jeune, mais je

  5   connaissais son nom.

  6   Q.  Savez-vous d'où il venait, d'où était sa famille et où habitait sa

  7   famille ?

  8   R.  Oui. Il venait du village de Rujiste.

  9   Q.  Vous avez expliqué que vous ne faisiez pas tout à fait les mêmes études

 10   à l'école. Pouvez-vous nous dire dans quelles circonstances il vous

 11   arrivait de voir Milan Lukic à l'école puisque vous n'étiez pas dans la

 12   même filière ?

 13   R.  Pendant les récréations entre les cours, dans la cour de récréation ou

 14   dans les couloirs de l'école, c'est là qu'on pouvait se voir, on passait un

 15   petit bout de temps ensemble.

 16   Q.  Pouvez-vous nous dire quelle impression vous aviez de lui quand il

 17   était à l'école avec vous ?

 18   R.  Oui. C'était quelqu'un de très calme. Il n'avait pas de comportement

 19   particulier envers d'autres groupes ethniques. C'était quelqu'un de

 20   sympathique.

 21   Q.  J'aimerais qu'on reparle du 7 juin, vous nous dites que ce jour-là vous

 22   l'avez vu dans votre maison. Je voudrais vous poser la question suivante :

 23   combien de temps vous a-t-il fallu pour reconnaître l'homme qui était entré

 24   dans votre maison ?

 25   R.  Il ne m'a pas fallu beaucoup de temps. Dès qu'il est entré je l'ai

 26   reconnu tout de suite.

 27   Q.  Vous avez expliqué qu'il avait du noir sur la figure, est-ce que cela

 28   vous a fait douter, est-ce que vous vous êtes dit que peut-être finalement


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  1   ce n'était pas celui que vous pensiez reconnaître ?

  2   R.  Non, j'en étais sûr.

  3   Q.  J'aimerais maintenant que le plus précisément possible vous nous

  4   décriviez son apparence ce jour-là. Vous avez commencé à nous donner une

  5   description de sa tenue vestimentaire, mais j'aimerais maintenant que vous

  6   fassiez la liste de tous les éléments dont vous vous souvenez en ce qui

  7   concerne son apparence.

  8   R.  Quand il est entré dans ma maison, j'ai déjà expliqué qu'il était vêtu

  9   d'un uniforme de camouflage. Il avait un insigne de la police sur le bras.

 10   Je ne me rappelle pas de cet insigne, mais je me souviens l'avoir vu. Il

 11   avait le visage noirci, il avait une cocarde, il avait aussi sur son

 12   couvre-chef l'aigle à deux têtes, et puis il avait des chaussures de sport,

 13   et sur l'un de ses bras il avait un pansement au creux du bras sur sa

 14   veine. Il avait également un grain de beauté sur le côté du visage au-

 15   dessus de sa lèvre.

 16   Q.  Vous venez de nous dire qu'il avait des chaussures de sport blanches.

 17   Est-ce qu'il avait des chaussettes ? Vous en souvenez-vous ?

 18   R.  Non, il était pied nu dans ses chaussures.

 19   Q.  Vous dites qu'il avait un pansement sur le bras. En nous montrant votre

 20   propre bras, expliquez-nous où vous vous souvenez avoir vu ce pansement ?

 21   R.  Oui. C'était là à cet endroit, sur la veine, c'est généralement

 22   l'endroit où on procède à des prises de sang.

 23   M. GROOME : [interprétation] Je souhaite que soit consigné au compte rendu

 24   d'audience le fait que le témoin a décrit l'intérieur de son coude droit.

 25   Q.  Maintenant, j'aimerais que vous décriviez l'arme dont il était muni

 26   avec le plus de précision possible.

 27   R.  Oui, c'était un fusil à lunette, un fusil muni d'un silencieux. Pour ce

 28   qui est du calibre de cette arme, je ne sais pas, j'ai oublié, mais je sais


Page 301

  1   que c'était un fusil de tireur embusqué, un fusil avec un silencieux.

  2   Q.  Y avait-il quoi que ce soit d'inhabituel dans son comportement ou dans

  3   la manière dont il agissait ?

  4   R.  Oui.

  5   Q.  Veuillez nous en faire la description.

  6   R.  Quand il est entré chez moi, la première chose qu'il a faite, c'était

  7   de demander ce qu'on avait dans la maison. Il m'a demandé comment je

  8   m'appelais, je lui ai répondu. Il m'a demandé ce que j'avais dans la

  9   maison. Je lui ai répondu qu'il pouvait regarder, que j'avais un uniforme

 10   de réserve de la JNA. Il a fouillé la maison et il m'a dit de prendre mon

 11   uniforme et de l'accompagner. Il a fait comme s'il ne me connaissait pas.

 12   Q.  Qu'en était-il de la luminosité dans votre domicile ou dans votre

 13   maison quand M. Milan Lukic est entré chez vous ?

 14   R.  C'était en pleine journée, c'était à 5 heures 30 du soir en juin. Donc

 15   on peut très bien se faire une idée de la lumière qu'il y avait à ce

 16   moment-là.

 17   Q.  Est-ce qu'il y a quoi que ce soit qui vous empêchait de bien voir M.

 18   Lukic, qui gênait en quoi que ce soit ?

 19   R.  Non.

 20   Q.  Où vous teniez-vous précisément dans votre maison quand il est entré ?

 21   R.  J'étais assis sur le canapé derrière la porte.

 22   Q.  A quelle distance se trouvait-il de vous quand vous l'avez vu pour la

 23   première fois à ce moment-là ?

 24   R.  Si j'avais tendu le bras, je l'aurais touché.

 25   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Précédemment, vous nous avez

 26   expliqué que son visage était noirci. Pourriez-vous nous dire avec quoi son

 27   visage était noirci ?

 28   LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne sais pas. Ce n'était pas de la graisse


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  1   ou de la peinture. C'était peut-être de la suie ou une matière de ce type.

  2   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Quelle était la proportion de son

  3   visage qui était recouvert de cette suie noire ?

  4   LE TÉMOIN : [interprétation] Seulement le visage autour des yeux, les

  5   joues. Ce n'était pas très épais cette espèce de substance noirâtre.

  6   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Sur les parties de son visage qui

  7   étaient recouvertes de cette espèce de matière noirâtre; est-ce que vous

  8   pouviez voir la peau qui était en dessous de cette matière ?

  9   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

 10   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Comment se fait-il que vous ayez pu

 11   le reconnaître comme vous l'avez expliqué au Procureur ? Comment se fait-il

 12   que vous l'ayez reconnu dès qu'il est entré ? Qu'est-ce qui vous a permis

 13   de le reconnaître immédiatement dans son apparence ?

 14   LE TÉMOIN : [interprétation] Ce qu'il avait sur le visage ne dissimulait

 15   pas entièrement son visage, ça n'empêchait pas qu'on le reconnaisse. Il

 16   était très facilement reconnaissable, et comme je l'ai dit précédemment, il

 17   avait également un grain de beauté sur le visage et je le connaissais

 18   avant; et moi, quand je vois quelqu'un une ou deux fois, je me souviendrai

 19   du visage de l'intéressé tout le temps.

 20   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous dites qu'il a fait semblant de

 21   ne pas vous connaître. Est-ce que vous lui aviez dit quoi que ce soit pour

 22   lui faire comprendre que vous, vous le reconnaissiez ?

 23   LE TÉMOIN : [interprétation] Non.

 24   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Pourquoi ?

 25   LE TÉMOIN : [interprétation] J'avais peur parce que si je lui montrais que

 26   je le connaissais, il aurait peut-être à ce moment-là décidé de me tuer.

 27   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Bien. Monsieur Groome, c'est à vous.

 28   M. GROOME : [interprétation]


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  1   Q.  Revenons aux années de votre scolarité, à l'école secondaire, pouvez-

  2   vous nous dire combien de fois par semaine ou par mois il vous arrivait de

  3   voir Milan Lukic quand vous étiez à l'école ?

  4   R.  On avait à peu près cinq ou six cours par jour, donc cinq cours au

  5   moins par jour, fois cinq jours, ça fait au moins 25 heures de cours par

  6   semaine, et il y a des récréations, il y a des pauses entre chaque heure de

  7   cours qui dure 45 minutes chacune, si bien que ça laisse beaucoup de temps

  8   pour se fréquenter.

  9   Q.  Aurais-je raison de conclure que vous nous dites que vous le voyiez au

 10   cours des pauses entre les cours et que vous aviez à peu près 25 heures de

 11   cours par semaine ?

 12   R.  Oui.

 13   Q.  Pendant combien d'années avez-vous été scolarisé en même temps que

 14   Milan Lukic ?

 15   R.  J'ai dit précédemment que c'était pendant deux ans. Je crois qu'au bout

 16   de la deuxième année, il est parti par aller à Obrenovac.

 17   Q.  J'aimerais revenir sur un élément que vous avez abordé dans votre

 18   déposition précédemment.

 19   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Un instant. Excusez-moi, Monsieur

 20   Groome, j'aimerais que le témoin nous dise s'il parlait avec Milan Lukic

 21   quand ils étaient à l'école ensemble. Je veux dire est-ce que c'est

 22   quelqu'un avec qui il discutait régulièrement ? Est-ce que c'est quelqu'un

 23   avec qui vous vous entreteniez régulièrement ?

 24   LE TÉMOIN : [interprétation] Non.

 25   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Donc ce n'était pas un de vos amis ?

 26   LE TÉMOIN : [interprétation] Non.

 27   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Groome, qu'en est-il de la

 28   période après l'école, vous allez lui en parler ?


Page 304

  1   M. GROOME : [interprétation] Je peux poser la question. Je n'avais pas

  2   l'intention de le faire, mais je peux le faire.

  3   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Allez-y.

  4   M. GROOME : [interprétation]

  5   Q.  Dans une année donnée à l'école, dans une promotion donnée, il y avait

  6   à peu près combien d'élèves dans votre promotion ?

  7   R.  Ça demande un peu plus de calcul, mais je vous dirais 300 à 400 fois à

  8   chaque cours.

  9   Q.  Là je pense qu'il y a un petit problème de traduction. Je repose ma

 10   question. Je vous demande combien il y avait d'élèves. Je vous demande

 11   combien il y avait d'élèves dans votre année à l'école. Je ne demande pas

 12   combien de fois vous étiez susceptible de le voir chaque année. Je vous

 13   demande combien il y avait d'élèves dans la même année avec vous ?

 14   R.  Oui, c'est ce que je voulais dire. Je voulais dire que pendant une

 15   année scolaire, il y avait entre 300 et 400 élèves le matin et l'après-

 16   midi, parce que nous avons l'école le matin et l'après-midi.

 17   Q.  Vous avez déclaré qu'il avait quitté l'école et la ville de Visegrad.

 18   R.  Oui.

 19   Q.  Savez-vous où il est parti ?

 20   R.  Je crois qu'il est parti pour Obrenovac.

 21   Q.  A partir du moment où il a quitté l'école jusqu'au 7 juin 1992, avez-

 22   vous eu d'autres occasions de le voir ?

 23   R.  Non.

 24   Q.  Est-ce qu'à un moment on vous a emmené de votre maison ou de votre

 25   appartement ?

 26   R.  Oui.

 27   Q.  Dites-nous combien de temps à peu près avez-vous passé chez vous avez

 28   Milan Lukic -- ou combien de temps Milan Lukic a-t-il passé chez vous avant


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  1   de vous faire sortir ?

  2   R.  Je me suis d'abord caché, ensuite j'ai passé une nuit chez moi. Une

  3   nuit. Et Lukic est arrivé et il m'a fait sortir. Je ne sais pas si ça

  4   répond à votre question.

  5   Q.  Non, ce qui m'intéresse, c'est la chose suivante. A partir du moment où

  6   Milan Lukic est entré chez vous et le moment où vous êtes sorti de chez

  7   vous avec lui, combien de temps s'est-il écoulé ?

  8   R.  Je pense environ une dizaine de minutes.

  9   Q.  Où vous a-t-on emmené ?

 10   R.  Il m'a donné l'ordre de prendre mon uniforme, ensuite nous nous sommes

 11   dirigés vers une voiture qui était sur la route et qui était gardée par un

 12   de ses soldats.

 13   Q.  L'avez-vous reconnu, ce soldat ?

 14   R.  Non, je ne le connaissais pas.

 15   Q.  Que s'est-il passé au moment où vous êtes arrivé à la voiture ?

 16   R.  Juste avant d'atteindre cette voiture, comme ma femme et ma fille se

 17   trouvaient devant la porte, j'ai demandé à Milan Lukic de me laisser

 18   embrasser ma femme et ma fille, mais il a refusé. Mais j'ai ignoré son

 19   refus, je suis reparti de mon propre gré vers ma femme et ma fille, je les

 20   ai embrassées, et je me suis dirigé vers la voiture. Quand je suis arrivé

 21   jusqu'à la voiture, Lukic a ouvert le coffre de ce véhicule de type Passat.

 22   Il a mis l'uniforme dans le coffre, et il m'a dit de m'asseoir sur le siège

 23   arrière de la voiture.

 24   Q.  Où est-ce qu'il se trouvait au moment où le coffre a été ouvert ?

 25   R.  Juste derrière le véhicule, là où on devait normalement se trouver pour

 26   pouvoir ouvrir le coffre de cette voiture.

 27   Q.  Et vous-même ?

 28   R.  Je me trouvais juste à côté de la voiture et de lui-même.


Page 306

  1   Q.  Pourriez-vous nous dire à quelle distance vous vous trouviez de lui à

  2   ce moment-là ?

  3   R.  A une distance d'un demi-mètre à un mètre à peu près.

  4   Q.  Avez-vous mis cet uniforme dans la voiture vous-même ou c'est lui qui

  5   l'a fait ?

  6   R.  Je crois que dans ma déclaration, que j'ai dit que c'était lui.

  7   Q.  Pourriez-vous, s'il vous plaît, nous décrire cette voiture ?

  8   R.  Il s'agissait d'un véhicule de type Passat, qui appartenait à Behija

  9   Zukic. Il a tout d'abord auparavant tué Behija Zukic, puis il s'est

 10   approprié sa voiture, cette voiture de type Passat de couleur bordeaux ou

 11   rouge foncé.

 12   Q.  Bien. Aviez-vous jamais vu cette voiture avant ?

 13   R.  Oui, pendant que Behija Zukic la conduisait.

 14   Q.  Et vous connaissiez Behija Zukic ?

 15   R.  Oui.

 16   Q.  Est-ce que cette voiture ressemblait à d'autres voitures que vous avez

 17   pu voir dans la ville ?

 18   R.  Je pense qu'a cette époque-là, c'était le seul véhicule de type Passat

 19   qui existait dans cette ville.

 20   Q.  Vous avez dit tout à l'heure, on "nous" a fait monter à bord de cette

 21   voiture. A qui faites-vous référence en disant : "On 'nous' a…" ?

 22   R.  Il y avait là également Amir Kurtalic, un ami de famille qui avait fui

 23   son village, le village de Kurtalici, ne se sentant pas en sécurité là-bas.

 24   En sortant de chez moi, Lukic a vu Amir Kurtalic et lui a dit : "Viens-toi

 25   aussi." Il lui a demandé d'attendre qu'il prenne sa carte d'identité, à

 26   quoi Lukic a répondu qu'il n'en avait pas besoin, que Lukic lui-même lui

 27   servirait de carte d'identité.

 28   Q.  Cette voiture de type Passat, elle peut transporter combien de


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  1   personnes ?

  2   R.  Au siège arrière, trois personnes, ensuite le conducteur et la personne

  3   qui peut s'asseoir à côté du conducteur, donc cinq personnes.

  4   Q.  Combien de personnes peuvent s'asseoir devant ?

  5   R.  Le conducteur et le passager.

  6   Q.  Cela signifie que derrière trois personnes peuvent s'asseoir ?

  7   R.  Oui.

  8   Q.  Et vous-même, où étiez-vous assis ?

  9   R.  Amir Kurtalic et moi étions assis derrière.

 10   Q.  Etiez-vous assis immédiatement derrière le siège du conducteur ou

 11   derrière l'autre siège du passager ?

 12   R.  Je pense que j'étais assis à peu près au milieu.

 13   Q.  Et Amir Kurtalic ?

 14   R.  Je crois qu'il était à ma droite, si je m'en souviens bien.

 15   Q.  Et Milan Lukic, est-il entré dans la voiture ?

 16   R.  Oui.

 17   Q.  Et où est-ce qu'il s'est assis ?

 18   R.  C'est lui qui conduisait.

 19   Q.  Quelqu'un d'autre est-il entré dans la voiture ?

 20   R.  Oui, son soldat, celui qui était auparavant à côté de la voiture.

 21   Q.  Y avait-il un espace entre les deux sièges avant de la voiture ?

 22   R.  Oui. Il y avait un espace et Lukic y a posé son fusil, il l'a calé dans

 23   cet espace de manière à ce que le canon du fusil soit tourné vers ma tête à

 24   peu près.

 25   Q.  Bien. Pouviez-vous le voir pendant le trajet ?

 26   R.  Oui, de dos.

 27   Q.  Et ce véhicule, où est-il parti ?

 28   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Juste un instant. Avant d'aborder


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  1   cette question-là, j'aimerais demander au témoin la chose suivante.

  2   Monsieur le Témoin, vous nous avez dit que cette voiture appartenait à

  3   Behija Zukic, que Lukic l'avait tué et ensuite avait pris sa voiture.

  4   Comment saviez-vous cela ?

  5   LE TÉMOIN : [interprétation] Dans la déclaration que j'ai faite, j'ai dit

  6   que je n'avais pas vu cela de mes propres yeux, mais que j'en avais entendu

  7   parler de mes concitoyens.

  8   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] A quel moment avez-vous entendu

  9   parler de cela pour la première fois ?

 10   LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne m'en souviens pas exactement, mais peut-

 11   être un jour ou deux après son meurtre.

 12   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] C'était quand par rapport à ce qui

 13   est arrivé à vous ?

 14   LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne peux pas vous donner une date précise,

 15   mais je pense que cela s'est passé environ une dizaine de jours avant ce

 16   qui m'est arrivé à moi.

 17   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Pourriez-vous nous dire ce que vous

 18   avez entendu dire exactement ?

 19   LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai entendu dire que Lukic serait allé chez

 20   Behija, qu'il serait entré chez elle demander de l'argent ou je ne sais pas

 21   quoi. Cela ne m'intéressait pas énormément à l'époque, je n'ai pas cherché

 22   à me renseigner davantage. Donc il l'aurait tuée et pris la voiture.

 23   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais avez-vous entendu d'autres

 24   rumeurs au sujet de M. Lukic ?

 25   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, j'ai entendu dire également qu'il avait

 26   liquidé la famille Smajic qui habitait le quartier de Jondja au centre-

 27   ville.

 28   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Autre chose ?


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  1   LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai entendu dire beaucoup de choses. Par

  2   exemple, qu'il avait mis le feu à des endroits à deux reprises. Je ne sais

  3   pas exactement. Peut-être que là maintenant, je suis en train de faire des

  4   digressions, de rajouter des choses à ce que j'avais déclaré auparavant,

  5   mais puisque vous me posez la question, alors je peux vous dire cela, mais

  6   je le dis.

  7   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Donc il serait correct de dire

  8   qu'avant votre propre incident, vous avez eu l'occasion d'entendre beaucoup

  9   de rumeurs portant sur la conduite illicite de M. Lukic ?

 10   LE TÉMOIN : [interprétation] Avant mon incident et après également.

 11   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Bien. Merci. Veuillez poursuivre,

 12   Monsieur Groome.

 13   M. GROOME : [interprétation]

 14   Q.  Le Président vous a demandé de lui dire si vous aviez entendu des

 15   rumeurs à son sujet, vous avez, en répondant à cette question, fait

 16   référence à des incendies. S'agit-il de quelque chose qui s'était passé

 17   avant votre incident ou après ?

 18   R.  Après.

 19   Q.  Pourriez-vous dire en essayant d'être aussi précis que possible de

 20   combien d'incidents différents impliquant Milan Lukic avez-vous entendu

 21   parler avant le 7 juin ?

 22   R.  Le meurtre de Behija Zukic, c'est quelque chose dont j'ai parlé dans ma

 23   déclaration. S'agissant du meurtre de la famille Smajic, je n'en ai pas

 24   fait référence dans ma déclaration, mais j'en avais entendu parler. Je ne

 25   sais pas, peut-être, si vous pouviez essayer d'être un peu plus précis dans

 26   votre question, de me donner davantage de détails, peut-être que ça me

 27   rafraîchirait la mémoire. Juste comme ça, je ne me souviens de rien

 28   d'autre.


Page 311

  1   Q.  Est-ce que vous avez pu reconnaître cette personne en tant que Milan

  2   Lukic le 7 juin à cause de ce que vous avez entendu juste auparavant ?

  3   Pourquoi avez-vous pensé qu'il s'agissait bien de lui ?

  4   R.  Non, ce n'est pas ça.

  5   Q.  Mais pourquoi alors avez-vous pensé que la personne entrant chez vous

  6   était Milan Lukic ?

  7   R.  Parce que je l'ai reconnu.

  8   Q.  Vous avez dit que la voiture était partie de devant chez vous. Où est-

  9   ce que la voiture est partie ?

 10   R.  Pas très loin de chez moi, elle a tourné, il y avait là sur la route

 11   une voiture de type Yugo de couleur grise, et c'est là que Lukic s'est

 12   arrêté.

 13   Q.  Avez-vous reconnu cette voiture de couleur grise de type Yugo ?

 14   R.  Oui, c'était la voiture de mon voisin.

 15   Q.  Comment s'appelait-t-il ? Le savez-vous ?

 16   R.  Je pense que c'était Osman Dzafic.

 17   Q.  Pourriez-vous nous dire ce que vous avez vu au moment où la voiture de

 18   type Passat s'est arrêtée juste à côté de cette voiture grise ?

 19   R.  Dès que la voiture s'est arrêtée, la voiture Passat, un soldat, que je

 20   connaissais, mais dont je ne me souviens plus du nom, est sorti d'une

 21   maison voisine en conduisant encore cinq hommes vers la voiture.

 22   Q.  Saviez-vous comment s'appelaient ces cinq personnes qui étaient

 23   conduites vers la voiture ?

 24   R.  Oui. Meho et Ekrem Dzafic, père et fils. Il y avait également Hasan

 25   Mutapcic, Hasan Kustura et VG-032.

 26   Q.  Ces hommes étaient-ils tous des Musulmans ?

 27   R.  Oui.

 28   Q.  Combien d'autres hommes y avait-il là-bas, d'autres hommes en dehors de


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  1   ceux qui étaient arrêtés ?

  2   R.  Si vous faites référence aux soldats, alors il y en avait trois.

  3   Q.  Oui. Je pensais justement aux soldats. Etaient-ils tous armés ?

  4   R.  Oui.

  5   Q.  En dehors des hommes que vous avez vus dans la rue, avez-vous appris

  6   que d'autres Musulmans ont été détenus à ce moment-là ?

  7   R.  Plus tard, j'ai appris qu'il restait encore six hommes dans cette même

  8   maison.

  9   Q.  Combien de temps êtes-vous resté à cet endroit ?

 10   R.  Nous y sommes restés le temps nécessaire pour qu'il monte à bord de la

 11   voiture, ensuite nous avons repris notre chemin.

 12   Q.  Vous êtes parti de là-bas avec la Passat, n'est-ce pas ?

 13   R.  Oui. J'étais toujours dans cette même voiture.

 14   Q.  Amir Kurtalic était-il toujours dans la voiture ?

 15   R.  Oui.

 16   Q.  Qui conduisait la Passat, à ce moment-là ?

 17   R.  Milan Lukic.

 18   Q.  Qui était assis au siège passager de la Passat ?

 19   R.  Son soldat.

 20   Q.  Quelqu'un d'autre en dehors de vous-même, Amir Kurtalic, et les deux

 21   personnes assises devant, y avait-il d'autres personnes dans cette voiture

 22   ?

 23   R.  Oui, il y avait Hasan Mutapcic, il faisait partie de ces cinq hommes

 24   qui ont été conduits jusqu'à la voiture.

 25   Q.  Quelqu'un a-t-il monté dans la Yugo ?

 26   R.  Oui. Les quatre autres hommes, plus un soldat.

 27   Q.  Maintenant où est-ce qu'elle est partie cette voiture ?

 28   R.  De là, on est parti en direction de l'hôtel Vilina Vlas.


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  1   Q.  Pourriez-vous nous dire quelle était à peu près la distance, en

  2   kilomètres, entre l'endroit où cette voiture s'était arrêtée et l'hôtel

  3   Vilina Vlas ?

  4   R.  L'hôtel Vilina Vlas se trouvait à 5 kilomètres du centre-ville et on

  5   peut ajouter encore un demi kilomètre à peu près, donc 5.5 kilomètres.

  6   Q.  Pourriez-vous nous dire à peu près combien de temps vous a-t-il fallu

  7   pour atteindre l'hôtel de Vilina Vlas à partir de cet endroit ?

  8   R.  Je ne peux pas vous donner une réponse précise, mais il nous a fallu

  9   environ 20 à 25 minutes.

 10   Q.  Pendant ces 20 à 25 minutes, pouviez-vous voir Milan Lukic ?

 11   R.  Oui, du dos.

 12   Q.  Avez-vous pensé à un moment quel qu'il soit que la personne conduisant

 13   la voiture n'était peut-être pas Milan Lukic ?

 14   R.  Non.

 15   Q.  Sur la route vers l'hôtel de Vilina Vlas, s'est-il arrêté Milan Lukic ?

 16   R.  Oui. A quelques reprises, il avait arrêté la voiture, s'il voyait un

 17   homme, un marchant, il arrêtait la voiture, il demandait à l'homme en

 18   question son nom et quand l'homme répondait, après il disait "Bon, ça va,

 19   tu n'es pas balija."

 20   Q.  Et "balija", c'est un terme péjoratif utilisé pour les Musulmans,

 21   n'est-ce pas ?

 22   R.  Oui.

 23   Q.  Que s'est-il passé à votre arrivée à l'hôtel Vilina Vlas ?

 24   R.  En arrivant devant l'hôtel, Lukic nous a dit de sortir de la voiture et

 25   d'entrer dans l'hôtel. Il nous a donné l'ordre de nous aligner devant la

 26   réception pendant qu'il retrouvait les clés du bureau du directeur.

 27   Q.  Avant d'atteindre l'hôtel, avez-vous dû passer par un point de contrôle

 28   ?


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  1   R.  Oui, celui situé au carrefour de Sase.

  2   Q.  Est-ce que quelque chose s'est passé au point de contrôle ?

  3   R.  Oui. Milan Lukic, en passant par ce point de contrôle, s'est arrêté à

  4   coté et a dit à ces Serbes qui se trouvaient là-bas qu'il avait attrapé pas

  5   mal de balija.

  6   Q.  S'agissant de l'hôtel Vilina Vlas, dites-moi, avez-vous vu là-bas

  7   quelqu'un que vous avez reconnu ?

  8   R.  Oui.

  9   Q.  Qui ça ?

 10   R.  Mitar Vasiljevic. Il portait un uniforme gris vert olive, un grand

 11   chapeau avec une cocarde et un ruban rouge sur le bras. Il était armé. J'ai

 12   vu également Momir Savic qui portait également un  uniforme de camouflage,

 13   avec un chapeau noir avec la même insigne sur le chapeau et avec le même

 14   ruban rouge sur son épaule. Il y avait également un certain Susnjar, dont

 15   je ne me souviens pas du prénom, je le connaissais déjà auparavant, avant

 16   la guerre il travaillait dans le service de sécurité de l'hôtel.

 17   Q.  Vous avez parlé des soldats. Combien d'hommes que vous considériez

 18   comme soldats y avaient-ils à ce moment-là à l'hôtel de Vilina Vlas ?

 19   R.  Il y en avait déjà trois que j'ai reconnus qui se trouvaient à l'hôtel

 20   plus les trois qui nous ont conduits à l'hôtel, ce qui faisait un total de

 21   six soldats, si c'est aux soldats que vous faites référence.

 22   Q.  Bien. Sur les six, vous avez déclaré avoir reconnu quatre hommes, cela

 23   est-il exact ?

 24   R.  Oui.

 25   Q.  Pour les deux autres, vous ne les aviez jamais vus avant le 7 juin ?

 26   R.  C'est exact.

 27   Q.  Vous avez dit avoir connu Mitar Vasiljevic. Comment le connaissiez-vous

 28   ?


Page 315

  1   R.  Je le connaissais bien parce qu'il travaillait dans un restaurant à

  2   Panos, il y avait là-bas la tombola, c'était un endroit où on pouvait

  3   manger, boire et il m'est arrivé de boire un verre avec Mitar Vasiljevic,

  4   donc je le connaissais bien.

  5   Q.  Donc vous fréquentiez Mitar Vasiljevic, n'est-ce pas ?

  6   R.  Bien sûr, oui. A chaque fois que j'allais à Panos, ça se passait comme

  7   ça. On prenait un verre ou deux ensemble.

  8   Q.  Sur les six hommes qui se trouvaient à l'hôtel Vilina Vlas et pour

  9   lesquels vous avez dit qu'ils étaient des soldats, combien portaient la

 10   couleur noire ou des traces noires sur leur visage semblables à Milan Lukic

 11   ?

 12   R.  J'ai oublié de dire cela. Le soldat qui est venu avec Lukic pour me

 13   conduire, il s'appelait Monténégro et il avait deux lignes noires sur ces

 14   joues.

 15   Q.  Et les autres, est-ce qu'ils avaient des traces de couleur noire sur

 16   leur visage ou pas ?

 17   R.  Non.

 18   Q.  Vous avez dit que Milan Lukic était en train de chercher des clés.

 19   Pourriez-vous me rappeler de quel type de clés s'agissaient-il et s'il les

 20   a trouvées ?

 21   R.  Si je me souviens bien, il a demandé à Mitar Vasiljevic de lui donner

 22   les clés du bureau du directeur, celui-ci lui a donné les clés. Milan Lukic

 23   a essayé d'ouvrir cette pièce et il n'a pas réussi. Il s'est mis en colère,

 24   il a jeté les clés par terre et ensuite il nous a donné l'ordre de monter

 25   de nouveau dans la voiture et de prendre nos places d'avant.

 26   Q.  Est-ce que tous les hommes ont été conduits dans l'hôtel ?

 27   R.  Oui.

 28   Q.  Dans quelle partie de l'hôtel vous a-t-on tous installés ?


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  1   R.  Nous nous trouvions devant la réception.

  2   Q.  Vous avez déclaré que Milan Lukic avait ordonné à vous et aux autres

  3   hommes de retourner dans les voitures. L'avez-vous fait ?

  4   R.  Oui.

  5   Q.  Combien de temps environ avez-vous passé en tout et pour tout dans la

  6   réception de l'hôtel ?

  7   R.  Je ne sais pas exactement. Ça m'a paru une éternité, mais nous ne

  8   sommes pas restés si longtemps, peut-être 15 à 20 minutes.

  9   Q.  Comment était la lumière dans la réception ?

 10   R.  La lumière était bonne. Il s'agissait de lumière naturelle. Il y avait

 11   des fenêtres à l'entrée, donc on pouvait clairement voir tout le monde.

 12   Q.  Pendant les 15 à 20 minutes que vous avez passées, selon vous, à la

 13   réception, est-ce que vous Milan Lukic s'y trouvait tout le temps ou est-ce

 14   qu'il est parti à un moment donné ?

 15   R.  Non, il se trouvait là dans le coin. Il cherchait les clés et il

 16   essayait d'ouvrir le bureau du directeur.

 17   Q.  Est-ce qu'à un moment donné, vous et vos compagnons avez eu les yeux

 18   bandés, et vous a-t-on demandé de vous tourner le visage contre le mur ?

 19   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Groome, vous posez des

 20   questions directrices sur des points importants. Veuillez reformuler votre

 21   question.

 22   M. GROOME : [interprétation] Bien.

 23   Q.  Est-ce que la vue était dégagée, est-ce que vous pouviez bien

 24   distinguer toutes les personnes présentes à la réception de l'hôtel ?

 25   R.  La vue était dégagée.

 26   Q.  De quel côté vous trouviez-vous, que regardiez-vous lorsque vous vous

 27   trouviez à la réception ?

 28   R.  Nous regardions Lukic et les soldats afin de voir s'il allait retrouver


Page 317

  1   les clés, si nous allions être enfermés dans cette pièce ou non. C'est lui

  2   que nous regardions.

  3   Q.  Est-ce qu'à un moment donné vous avez regagné les voitures ?

  4   R.  Oui.

  5   Q.  Dans quelle voiture êtes-vous monté ?

  6   R.  Je suis monté dans la même voiture que celle qui m'avait conduit à

  7   Vilina Vlas, c'est-à-dire dans la Passat.

  8   Q.  Est-ce que tout le monde a regagné la même voiture que celle où ils se

  9   trouvaient en chemin pour Vilina Vlas ?

 10   R.  Oui, mais lorsque nous avons quitté Vilina Vlas, Mitar Vasiljevic est

 11   venu avec nous.

 12   Q.  Dans quelle voiture est-il monté ?

 13   R.  Cette fois-ci, Mitar Vasiljevic s'est assis avec Lukic dans la Passat

 14   et le soldat qui avait conduit la voiture jusqu'à Vilina Vlas s'est

 15   installé dans la Yugo.

 16   Q.  Qui a conduit la Passat jusqu'à Vilina Vlas ?

 17   R.  Milan Lukic.

 18   Q.  A la lecture du compte rendu d'audience on voit dans votre réponse que

 19   vous dites que le soldat qui avait conduit la voiture jusqu'à Vilina Vlas

 20   s'était installé dans la Yugo. Est-ce bien ce que vous avez dit ?

 21   R.  Non. J'ai dit que Milan avait conduit de Bikavac jusqu'à Vilina Vlas et

 22   le soldat qui l'accompagnait était assis dans le siège passager à côté de

 23   lui.

 24   Q.  C'est lui qui s'est ensuite installé dans la Yugo de couleur grise,

 25   c'est bien cela ?

 26   R.  Oui.

 27   Q.  Où cette voiture s'est-elle rendue ?

 28   R.  Lorsque nous avons regagné les voitures, ils nous ont ramenés en


Page 318

  1   direction de Visegrad. Nous avons emprunté la même route en direction de

  2   Sase.

  3   Q.  Est-ce qu'à un moment donné les voitures se sont arrêtées ?

  4   R.  Oui. Les voitures se sont arrêtées après le carrefour de Sase. Nous

  5   avons poursuivi notre route en direction de Prelovo jusqu'à un endroit

  6   situé à 500 mètres après que les voitures se soient arrêtées.

  7   Q.  Ai-je raison de dire qu'il y a une route qui mène de Visegrad à Prelovo

  8   située le long de la rive droite de la Drina ?

  9   R.  Oui.

 10   Q.  Ai-je raison de dire qu'il y a une route qui part de Vilina Vlas et qui

 11   coupe cette autre route au niveau d'un carrefour ?

 12   R.  Oui.

 13   Q.  Vous venez de décrire ce trajet à partir de Vilina Vlas, est-ce que la

 14   voiture s'est arrêtée au niveau du carrefour que je viens de mentionner ?

 15   R.  Oui. Après avoir quitté Vilina Vlas et alors que nous nous rendions en

 16   direction du carrefour de Sase, Milan Lukic et Mitar Vasiljevic ont eu une

 17   petite conversation. Mitar Vasiljevic a demandé à Lukic ce qu'il allait

 18   faire de nous. Lukic a répondu à Vasiljevic qu'il allait nous échanger

 19   contre 300 soldats tombés à Zepa. Nous avons poursuivi notre trajet

 20   jusqu'au carrefour de Sase le long de la route qui mène à Prelovo.

 21   A un moment donné, Milan Lukic a demandé à Mitar Vasiljevic comme il

 22   avait remarqué une maison située du côté droit de la route, s'il s'agissait

 23   d'une maison musulmane. L'autre a confirmé et c'est à cet endroit qu'ils

 24   ont arrêté les voitures. Il est sorti de la voiture ainsi que son soldat et

 25   ils nous ont sommés de sortir des véhicules. A ce moment-là, Milan Lukic a

 26   dit, je cite, "Je ne veux pas entendre le moindre bruit." Et nous étions

 27   censés nous diriger en marchant vers la Drina.

 28   Alors que nous nous dirigions vers la rivière, en colonne, les uns


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  1   derrière les autres, en file indienne, nous avons traversé un champ où se

  2   trouvaient des pommes de terre. C'était un champ de pommes de terre. Nous

  3   avons marché un moment, puis Milan Lukic nous a donné l'ordre de nous

  4   arrêter une dizaine de mètres avant la rivière. C'est ce que nous avons

  5   fait. Mon village natal était de l'autre côté de la rivière, si bien que

  6   tous mes souvenirs d'enfance me sont revenus, et puis surtout -- excusez-

  7   moi. J'avais une image en tête. Excusez-moi.

  8   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Est-ce que vous voulez un mouchoir ?

  9   LE TÉMOIN : [interprétation] Je voyais ma fille mineure et mon épouse qui

 10   étaient restées à la maison et qui m'avaient dit au revoir en pleurant.

 11   Soudain la voix brutale de Milan Lukic a interrompu mon flot de pensées.

 12   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Groome, j'ai dit que nous

 13   allions faire la pause vers 16 heures.

 14   M. GROOME : [interprétation] Effectivement.

 15   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Peut-être que le moment est

 16   opportun.

 17   M. GROOME : [aucune interprétation]

 18   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous allons faire une pause de 30

 19   minutes.

 20   --- L'audience est suspendue à 15 heures 56.

 21   --- L'audience est reprise à 16 heures 35.

 22   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Veuillez poursuivre, Monsieur

 23   Groome.

 24   M. GROOME : [interprétation] Maître Cepic, j'ai l'impression que votre

 25   micro est allumé. Je peux entendre ce que vous dites.

 26   M. CEPIC : [interprétation] Excusez-moi.

 27   M. GROOME : [interprétation]

 28   Q.  Monsieur le Témoin, avant de poursuivre, je dois dire que la pause que


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  1   nous avons faite était planifiée d'avance, cela n'a rien à voir avec votre

  2   réaction tout à l'heure. Nous nous rendons bien compte que le fait de

  3   raconter ces événements fait surgir des souvenirs traumatisants dans votre

  4   mémoire. Nous comprenons et nous espérons que vous ne vous sentez

  5   absolument pas gêné de ce fait. Avant la pause, vous nous avez raconté que

  6   Milan Lukic, Mitar Vasiljevic, les autres hommes, vous ont conduits, vous

  7   et les autres Musulmans détenus, sur la berge de la rivière. Est-ce que

  8   vous pourriez reprendre votre récit au moment où vous vous trouviez près de

  9   la berge.

 10   R.  Oui. Lorsque nous nous sommes approchés de la berge à 10 mètres environ

 11   de l'eau, Milan Lukic nous a sommé de nous arrêter. Il nous a demandé qui

 12   parmi nous était capable de nager ? Nous avons tours gardé le silence sauf

 13   VG-032 qui, lui, a dit qu'il savait nager. De sa voix brutale et forte, il

 14   nous a ordonnés de nous diriger vers la berge de la Drina. Il a précisé que

 15   personne ne devait tenter de s'échapper car il serait aussitôt exécuté.

 16   Nous avons obtempéré et alors que nous nous approchions de la berge, les

 17   uns derrière les autres, en file indienne, j'ai vu et j'ai même senti que

 18   la fin s'approchait. J'avais toujours en tête l'image de mon épouse et de

 19   ma fille, mais que pouvais-je faire ? Je ne pouvais rien changer à la

 20   situation. A ce moment-là, Meho Dzafic, le collègue de Mitar Vasiljevic, a

 21   supplié ce dernier de ne pas le tuer car ils étaient collègues de travail.

 22   Mitar Vasiljevic a prétendu qu'il ne le connaissait pas.

 23   Puis l'un des soldats a demandé comment il devait tirer. Lukic a

 24   répondu qu'il devait tirer des coups de feu, les uns après les autres. Je

 25   les ai entendus qui ajustaient leurs armes. Pendant un moment, tout est

 26   resté calme. Et au bout d'un court laps de temps, on a entendu un coup de

 27   feu. Après ce premier coup de feu, je ne sais pas comment, je ne sais pas

 28   si c'était instinctivement ou pas, je suis tombé à terre. Je n'ai pas été


Page 321

  1   touché par une balle. En fait, j'ai pivoté de 180 degrés. Nous nous sommes

  2   retrouvés face à l'eau. Lukic et ses soldats étaient dans notre dos, à cinq

  3   ou six mètres de distance. Lorsque je suis tombé dans l'eau, j'ai entendu

  4   des cris de l'un de mes collègues. Je ne savais pas de qui il s'agissait.

  5   Puis un autre coup de feu a retenti. Tout est devenu silencieux, et la

  6   personne qui se trouvait au niveau de la berge est tombée sur moi et sur

  7   VG-032 également. J'ai entendu le bruit des corps qui s'agitaient, puis

  8   tout est devenu silencieux.

  9   Au bout d'un moment, quelqu'un s'est approché de la berge et a dit :

 10   "L'un d'entre eux est vivant. Pourquoi tu ne vas-tu pas là-bas." Je ne sais

 11   plus qui a dit cela, mais on a entendu deux autres coups de feu à côté de

 12   ma tête, puis il y a eu un troisième coup de feu un peu plus loin. Voilà ce

 13   qui s'est passé là-bas. Malgré ces deux coups de feu, je n'ai pas été

 14   touché. J'ai écouté attentivement de manière à ne pas être surpris par les

 15   coups de feu. Je prêtais l'oreille pour voir s'ils s'éloignaient. Lorsque

 16   j'ai entendu le bruit des portières qui se refermaient, j'ai lentement levé

 17   la tête, j'ai regardé en direction de la berge, j'ai vu qu'il n'y avait

 18   personne et j'ai regagné la même position. Je doutais qu'ils soient tous

 19   partis. Je me suis dit que quelqu'un était peut-être resté pour voir ce

 20   qu'il allait se passer, mais personne n'était là. J'ai levé encore une fois

 21   la tête, et à ma gauche, VG-032, lui aussi, s'est levé. Je lui ai demandé

 22   s'il était blessé, il m'a répondu que non. Il m'a demandé à son tour, si

 23   j'étais blessé, je lui ai dit que non. Puis j'ai proposé que l'on s'enfuie

 24   en courant de cet endroit car auparavant Lukic avait dit qu'il devait faire

 25   venir encore six personnes. Nous avions peur qu'il les amène au même

 26   endroit. VG-032 et moi, nous nous sommes levés alors que nous étions encore

 27   dans l'eau. Devant nous se trouvait le corps de Hasan Mutapcic.

 28   Q.  Je souhaiterais vous poser des questions très précises sur le calvaire


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  1   que vous avez vécu. Vous dites que vous avez été alignés le long de la

  2   berge. Alors que regardiez-vous, de quel côté étiez-vous tournés ?

  3   R.  Nous avons été alignés le long de la berge face à l'eau, face à la

  4   rivière.

  5   Q.  Vous souvenez-vous qui se trouvait à votre gauche ou vous souvenez-vous

  6   de la position que vous occupiez par rapport aux autres personnes ?

  7   R.  Oui. Hasan Kustura était à ma gauche et à ma droite se trouvait Hasan

  8   Mutapcic.

  9   Q.  Savez-vous où se trouvait les quatre autres hommes ? Avez-vous pu le

 10   voir ?

 11   R.  Oui. Je vais vous dire dans quel ordre nous sommes arrivés au niveau de

 12   la berge. Meho Dzafic était à la tête de la colonne, ensuite il y avait son

 13   fils Ekrem puis VG-032, Hasan Mutapcic, VG-014, Hasan Kustura, et Amir

 14   Kurtalic.

 15   Q.  En décrivant ce qui s'était passé, vous avez mentionné une conversation

 16   portant apparemment sur la manière dont les armes seraient utilisées. Est-

 17   ce que vous pourriez nous rapporter précisément ce qui a été dit d'après

 18   vos souvenirs ?

 19   R.  Oui. L'un des soldats a demandé comment il devait tirer. Et puis on a

 20   dit, des coups de feu les uns à la suite des autres. Donc on entendait des

 21   armes qui étaient prêtes à tirer, et voilà.

 22   Q.  Vous dites que vous avez effectué votre service obligatoire dans les

 23   rangs de l'armée yougoslave; est-ce exact ?

 24   R.  Oui. En 1987 et en 1988.

 25   Q.  Est-ce que vous savez de façon générale quelles sont les armes que l'on

 26   peut trouver en ex-Yougoslavie ?

 27   R.  Oui.

 28   Q.  Vous nous avez décrit le revolver de Milan Lukic. Est-ce que vous


Page 323

  1   pourriez nous décrire, si vous vous en souvenez, les armes dont disposaient

  2   les autres hommes à la rivière ?

  3   R.  Oui. Je commencerai par Mitar Vasiljevic. Il avait un fusil semi-

  4   automatique, et les deux hommes soldats étaient armés d'armes automatiques.

  5   Milan Lukic, bien sûr, avait un fusil à lunette.

  6   Q.  Lorsque vous parlez d'armes automatiques, s'agissait-il de pistolets ou

  7   de fusils ?

  8   R.  Non, il s'agit là de fusils, de fusils semi-automatiques et de fusils

  9   automatiques.

 10   Q.  Je pense que vous avez entendu cette conversation sur la manière dont

 11   il fallait tirer, et que Milan Lukic a dit qu'il fallait tirer en procédant

 12   à des coups de feu les uns après les autres. Comment vous avez compris cela

 13   ?

 14   R.  Lorsqu'il a parlé de "coups de feu individuels" les uns après les

 15   autres, j'ai eu l'impression que Milan Lukic et les autres soldats

 16   prenaient du plaisir à tuer, parce qu'ils avaient décidé de tirer des coups

 17   de feu individuels, ce qui laisse le temps de viser la personne et de

 18   prendre du plaisir à l'exécuter.

 19   Q.  Qu'est-ce qu'il faut faire pour qu'une arme automatique tire des coups

 20   de feu individuels ?

 21   R.  Les armes automatiques ont un dispositif qu'il faut ajuster en fonction

 22   du type de tir, qu'il s'agisse de tir individuel ou de salves de tir, donc

 23   on peut choisir de tirer des coups de feu individuels ou des salves de tir.

 24   Dans les armes semi-automatiques ce n'est pas nécessaire. Les armes semi-

 25   automatiques ne sont pas équipées de ce dispositif. Tout ce qu'il faut

 26   faire, c'est armer l'arme, il y a dix balles dans un fusil semi-

 27   automatique, ce qui veut dire qu'on tire ces coups de feu tant qu'il y a

 28   des balles à tirer.


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  1   Q.  Pour ce qui est des armes automatiques, est-ce qu'elles produisent un

  2   son lorsque l'on appuie sur ce dispositif que vous avez décrit et qui

  3   permet de passer du mode automatique au coup de feu individuel ? Est-ce que

  4   cela produit un son particulier ?

  5   R.  Oui, cela produit un clic.

  6   Q.  Est-ce que vous avez entendu ces clics ce jour-là ?

  7   R.  Oui.

  8   Q.  Lorsqu'une arme automatique est utilisée en mode semi-automatique ou de

  9   façon à tirer des coups de feu individuels, est-ce que l'arme se manie de

 10   la même manière qu'une arme semi-automatique ?

 11   R.  Lorsqu'une arme automatique est ajustée pour tirer des coups de feu

 12   individuels, cette arme peut tirer une balle, tout dépend de la vitesse de

 13   tir, de la vitesse à laquelle une personne peut tirer des coups de feu

 14   individuels. Lorsque l'arme est installée en mode automatique, une arme

 15   automatique, d'après ce que je sais, peut tirer une salve de trois à cinq

 16   balles.

 17   Q.  Au vu de votre réponse, j'en conclus qu'en mode semi-automatique les

 18   coups de feu peuvent être tirés aussi rapidement que la personne peut tirer

 19   sur la gâchette ?

 20   R.  Tout à fait. 

 21   Q.  Dites-nous, lorsque vous avez entendu pour la première fois un coup de

 22   feu, qu'est-ce que vous avez fait d'abord, comment avez-vous réagi ?

 23   R.  Après avoir entendu le premier coup de feu, je ne sais pas si mon corps

 24   a réagi de façon instinctive ou pas, je ne sais pas ce qui est arrivé

 25   exactement et pourquoi, mais je me suis jeté à l'eau, et j'étais tombé de

 26   la façon suivante, c'est-à-dire que par rapport à la position dans laquelle

 27   j'étais en regardant la rivière, lorsque je suis tombé dans la rivière je

 28   me suis tourné de 180 degrés. Donc ma tête se trouvait dans la position qui


Page 326

  1   faisait face à la rive.

  2   Q.  Est-ce que votre tête était dans l'eau quand vous vous êtes retrouvé

  3   dans cette position-là ?

  4   R.  Non, tout mon corps était dans l'eau sauf ma tête. Ma tête était

  5   quelque peu dans l'eau, mais pas complètement recouverte d'eau, parce que

  6   c'était sur les berges -- l'eau arrivait à cet endroit-là, mais ce n'était

  7   pas très profond, donc mon corps était dans l'eau, mais ma tête était à

  8   l'extérieur de l'eau en partie.

  9   Q.  Vous nous avez dit qu'il y avait une personne qui était tombée sur

 10   vous. Quelle surface de votre corps était recouverte par un autre corps ?

 11   R.  La partie supérieure de mon corps -- il y avait Hasan Mutapcic qui

 12   m'avait couvert de la partie inférieure de son corps, et l'autre partie de

 13   son corps couvrait VG-032.

 14   Q.  Vous nous avez dit qu'à un moment donné vous aviez l'impression que

 15   vous pouviez vous lever. Mais avant ceci, vous nous avez dit que vous avez

 16   entendu ces hommes évoquer six autres hommes. A quel moment est-ce que vous

 17   les avez entendus dire cela ?

 18   R.  C'était en route vers la rivière, Lukic a dit à ce moment-là

 19   qu'il fallait faire vite, parce qu'ils avaient encore six autres hommes

 20   qu'il fallait exécuter.

 21   Q.  Pour ce qui vous concerne, qui étaient ces six autres personnes, est-ce

 22   que vous le saviez ?

 23   R.  Je ne les avais pas vus, mais Hasan Mutapcic qui avait été exécuté à

 24   cet endroit-là m'a dit que son fils était resté dans la maison, mais

 25   j'ignore son nom.

 26   Q.  Est-ce que c'était la maison de Bikavac ?

 27   R.  Oui.

 28   Q.  Quand vous vous êtes senti en sécurité au moment où vous vous êtes


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  1   levé, est-ce que vous avez regardé autour de vous pour voir s'il y avait

  2   d'autres hommes, d'autres hommes musulmans ?

  3   R.  Oui.

  4   Q.  Est-ce que vous aviez pu évaluer leurs blessures ?

  5   R.  Non, je n'ai pas pu voir les blessures car ils étaient dans l'eau, mais

  6   j'ai pu voir des corps, à l'exception de la blessure sur le corps de Hasan

  7   Mutapcic qui était sur nous, son dos était allongé sur nous; il avait une

  8   blessure à la nuque et j'ai vu très clairement que la mâchoire inférieure

  9   du côté droit avait éclaté.

 10   Q.  Pourriez-vous nous décrire ce que vous aviez vu quant aux hommes qui

 11   étaient dans l'eau ?

 12   R.  Oui. Ils avaient tous la tête tournée vers l'eau, c'est-à-dire les

 13   quatre corps d'Ekrem, Meho Dzafic, Hasan Kustura et Amir Kurtalic, leurs

 14   corps étaient allongés sur le ventre. Alors que Hasan Mutapcic était

 15   allongé sur le dos, contrairement aux autres -- avec la blessure que je

 16   vous ai décrite.

 17   Q.  Est-ce que vous aviez quelque doute que ce soit quant à leur mort, est-

 18   ce que vous pensiez qu'ils n'étaient peut-être pas morts ?

 19   R.  Non, jamais.

 20   Q.  A un moment donné, vous avez êtes parti de cet endroit ?

 21   R.  Oui.

 22   Q.  Avec qui êtes-vous parti ?

 23   R.  Après avoir jeté un coup d'œil autour pour voir si c'était sûr et si je

 24   pouvais partir, s'il n'y avait plus de menace, VG-032 s'est levé aussi,

 25   comme je l'ai dit tout à l'heure, et nous avons quitté cet endroit

 26   ensemble.

 27   Q.  Pour que la Chambre de première instance évalue les faits pertinents de

 28   cette affaire, il n'est pas nécessaire de savoir exactement quel est le


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  1   chemin vous avez pris pour aller là où vous êtes allés, mais est-ce que

  2   vous pourriez nous dire quand même quel est le trajet que vous avez

  3   emprunté ?

  4   R.  Après avoir quitté cet endroit, nous voulions nous orienter vers le

  5   village de Musici, qui se trouvait à 2,5 kilomètres environ de cet endroit.

  6   Nous voulions attendre la nuit pour traverser la rivière.

  7   Q.  Est-ce que vous avez pu traverser la rivière. Est-ce que vous vous êtes

  8   retrouvés de l'autre côté de la rivière sans problème ?

  9   R.  Oui. Nous avons traversé la rivière sur un tronc d'arbre.

 10   Q.  A un moment donné, est-ce que vous avez pu envoyer un message à votre

 11   femme pour venir vous rejoindre ?

 12   R.  Oui. Je crois que c'était trois jours plus tard, si je me souviens

 13   bien.

 14   M. GROOME : [interprétation] Monsieur le Président, Monsieur le Juge, je

 15   demanderais que l'on montre au témoin la pièce 65 ter 163. C'est une

 16   photographie aérienne. J'aimerais demander à l'huissier de montrer au

 17   témoin comment faire des annotations car je vais lui demander d'apporter

 18   quelques annotations sur la photographie.

 19   Q.  Est-ce que vous pourriez nous dire ce que l'on voit sur cette photo ?

 20   R.  Nous voyons très clairement que c'est l'hôtel Vilina Vlas.

 21   Q.  Prenez, je vous prie, le stylet, et avant d'apporter quelque annotation

 22   que ce soit sur cette photo, pourriez-vous indiquer dans la partie

 23   inférieure gauche VG-014, afin de savoir que c'est bien vous qui avez fait

 24   ces annotations le 10 juillet. Indiquez aussi la date. Vous pouvez vous en

 25   servir comme d'un stylo ordinaire.

 26   R.  [Le témoin s'exécute] Aujourd'hui, nous sommes quelle date ?

 27   Q.  Nous sommes le 10 juillet 2008. Pourriez-vous, je vous prie, faire un

 28   cercle et mettez la lettre "P" à l'intérieur du cercle pour nous indiquer


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  1   où la voiture Passat était garée lorsque vous êtes arrivés à l'hôtel Vilina

  2   Vlas ?

  3   R.  [Le témoin s'exécute]

  4   Q.  Pourriez-vous, je vous prie, indiquer avec la lettre "P" l'endroit où

  5   se trouvait la voiture de marque Passat ?

  6   R.  [Le témoin s'exécute]

  7   Q.  Pourriez-vous faire la même chose pour la voiture Yugo, dites-

  8   nous où la Yugo était garée, que ce soit "Y" ou un "J", je crois que dans

  9   votre langue, c'est épelé avec un "J". Pourriez-vous, je vous prie, faire

 10   un cercle et indiquer l'endroit où se trouvait la Yugo avec un "J" ?

 11   R.  [Le témoin s'exécute]

 12   M. GROOME : [interprétation] Je vais vous demander, Monsieur le Président,

 13   Monsieur le Juge que cette pièce soit versée au dossier en tant que pièce

 14   de l'Accusation.

 15   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Très bien, merci.

 16   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Cette pièce deviendra la pièce P2.

 17   M. GROOME : [interprétation] Très bien. J'aimerais vous demander de montrer

 18   au témoin la pièce 65 ter 164.

 19   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Pourriez-vous attendre quelques

 20   instants, s'il vous plaît.

 21   M. GROOME : [interprétation] Excusez-moi. Je voudrais demander que l'on

 22   montre au Témoin VG-014 la pièce 65 ter 164.

 23   Q.  VG-014, j'aimerais vous demander de prendre connaissance de la pièce 65

 24   ter 164 et de nous dire ce que vous voyez sur cette photographie ?

 25   R.  Oui. Nous pouvons voir très clairement ici l'endroit où nous avons été

 26   amenés, c'est l'endroit où le crime avait été commis, et je vois également

 27   la route que nous avons prise pour arriver à cet endroit, et nous sommes

 28   passés à côté de Vilina Vlas.


Page 330

  1   Q.  Est-ce que cette photographie nous montre le carrefour de Sase par

  2   rapport à la route qui mène vers la rivière Drina et en passant par les

  3   endroits que vous nous avez indiqués aujourd'hui ?

  4   R.  Oui.

  5   Q.  De nouveau, j'aimerais vous demander d'indiquer la date d'aujourd'hui

  6   et de placer vos initiales, VG-014, au bas de la page.

  7   R.  Très bien. Merci. [Le témoin s'exécute]

  8   Q.  Cette photographie a été prise il y a peu de temps. Et j'aimerais vous

  9   demander si par rapport aux événements du 7 juin, vous pouvez percevoir des

 10   différences ?

 11   R.  Nous pouvons voir très clairement qu'après tout ce temps, les saules

 12   ont grandi, poussé, et il y a aussi un champ ici qui a subi quelques

 13   changements. Ce n'est pas une grande photo. Je ne peux pas voir ce qu'on y

 14   a planté, il y a des maisons qui ont été construites récemment, je crois.

 15   Cette photo ne correspond pas exactement à ce que l'on pouvait voir à

 16   l'époque.

 17   Q.  Lorsque vous dites que les saules ont poussé, est-ce que vous voulez

 18   dire qu'il n'y avait pas d'arbres le long de la berge ?

 19   R.  Oui, effectivement.

 20   Q.  Pourriez-vous faire un X à côté des maisons qui n'étaient pas là à

 21   l'époque ?

 22   R.  Oui, certainement. [Le témoin s'exécute]

 23   Q.  Vous nous avez dit que la voiture s'est immobilisée sur la route.

 24   Pourriez-vous nous indiquer à l'aide d'un cercle avec un P à l'intérieur

 25   l'endroit où s'était garée la Passat ?

 26   R.  Oui. [Le témoin s'exécute]

 27   Q.  Pouvez-vous faire la même chose pour la voiture Yugo, tracer un cercle

 28   et indiquer l'emplacement de la Yugo avec un J ?


Page 331

  1   R.  [Le témoin s'exécute]

  2   Q.  J'aimerais maintenant vous demander de tracer une ligne pour nous

  3   indiquer quelle route ont emprunté les voitures pour arriver à cet endroit-

  4   là ?

  5   R.  Voilà. De Vilina Vlas, nous avons emprunté cette route-ci. Ensuite, il

  6   y a le carrefour de Sase, nous avons pris le virage à droite, et nous avons

  7   parcouru environ 300 mètres avant d'arriver à l'endroit que j'ai indiqué

  8   avec les deux cercles.

  9   Q.  Vous avez également dit qu'il y avait eu une conversation que vous avez

 10   entendue entre Mitar Vasiljevic et Milan Lukic concernant une maison. Est-

 11   ce qu'on voit cette maison sur la photo ?

 12   R.  Oui, la maison est à droite.

 13   Q.  Pourriez-vous, s'il vous plaît, tracer un cercle autour de la maison ?

 14   R.  [Le témoin s'exécute]

 15   Q.  Dans votre déposition, vous nous avez également dit que les hommes ont

 16   été contraints à marcher vers la rivière. Pourriez-vous, je vous prie, nous

 17   indiquer le chemin qu'ont pris les hommes pour se rendre des voitures à la

 18   rivière, s'il vous plaît ?

 19   R.  [Le témoin s'exécute]

 20   Q.  Pourriez-vous nous indiquer à l'aide de sept cercles l'endroit où

 21   étaient situés approximativement ces hommes qui se trouvaient le long de la

 22   berge ?

 23   R.  [Le témoin s'exécute]

 24   Q.  Pourriez-vous nous indiquer où vous vous trouviez, s'agissant de cette

 25   ligne où étaient alignés ces hommes et indiquer l'endroit avec les lettres

 26   "VG-014" ?

 27   R.  [Le témoin s'exécute]

 28   Q.  Merci.


Page 332

  1   M. GROOME : [interprétation] Monsieur le Président, je voudrais demander

  2   que cette pièce soit versée au dossier en tant que pièce de l'Accusation.

  3   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Très bien. Cette pièce est

  4   versée au dossier.

  5   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Cette pièce portera la cote P3,

  6   Monsieur le Président, Monsieur le Juge.

  7   M. GROOME : [interprétation] 

  8   Q.  Lorsque vous êtes arrivé à La Haye cette semaine, vous a-t-on demandé

  9   de visionner une vidéo dans mon bureau ?

 10   R.  Oui.

 11   Q.  Est-ce que vous avez reconnu ce que vous voyez sur cet extrait vidéo ?

 12   R.  Oui.

 13   Q.  Est-ce que vous étiez présent lorsque cette vidéo a été tournée ?

 14   R.  Oui.

 15   Q.  Est-ce que cette vidéo dépeint de façon précise le trajet que vous avez

 16   pris, vous et les autres hommes, pour vous rendre à la rivière ?

 17   R.  Oui.

 18   M. GROOME : [interprétation] Monsieur le Président, j'aimerais

 19   demander à la greffière d'audience d'installer le logiciel Sanction, de le

 20   faire avancer pour que l'on puisse visionner cet extrait vidéo.

 21   [Diffusion de la cassette vidéo]

 22   M. GROOME : [interprétation] 

 23   Q.  Est-ce que vous pouvez voir à l'écran cet extrait vidéo ?

 24   R.  Oui. On voit très clairement la maison pour laquelle Lukic a

 25   demandé à Vasiljevic s'il s'agissait d'une maison musulmane. Ensuite, nous

 26   avons pris ce chemin le long de ce champ, mais la seule différence est que

 27   dans le champ le long duquel nous avons marché, il y avait des pommes de

 28   terre qui y avaient été plantées, alors que là on voit du maïs. Voilà, nous


Page 333

  1   voyons de nouveau cette maison pour laquelle Lukic a demandé à Mitar

  2   Vasiljevic s'il s'agissait d'une maison musulmane.

  3   Voilà. C'est l'endroit précis où le crime a été commis, la berge de la

  4   rivière Drina avec la suivante exception, c'est qu'il y avait moins d'eau à

  5   ce moment-là par rapport à ces images-ci. Le niveau d'eau était plus bas.

  6   Q.  Comment savez-vous que le niveau d'eau à l'époque était inférieur à

  7   celui que l'on voit ici ?

  8   R.  Sur cette image-ci, vous pouvez voir que l'eau se trouve déjà au-dessus

  9   des arbres le long de la rivière Drina, mais le 7 juin lorsque l'exécution

 10   a eu lieu, le niveau d'eau était entre cinq et six mètres. Cette partie-là

 11   n'était pas couverte par l'eau. Voilà, c'est cette route-ci, c'est le

 12   chemin que nous avons emprunté.

 13   Q.  Alors que vous vous déplaciez le long de ce petit chemin, est-ce que

 14   vous aviez pu voir Milan Lukic et Mitar Vasiljevic ?

 15   R.  Oui, ils étaient à ma droite et ils escortaient la colonne.

 16   M. GROOME : [interprétation] Monsieur le Président, Monsieur les Juges,

 17   j'aimerais demander le versement au dossier de cet extrait vidéo. Il s'agit

 18   de la pièce 65 ter 89.

 19   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, c'est versé au dossier.

 20   M. CEPIC : [interprétation] Monsieur le Président, Monsieur les

 21   Juges, j'aurais besoin d'une précision. L'extrait vidéo que nous avons reçu

 22   est beaucoup plus long que les quelques minutes que nous venons de voir

 23   maintenant. Cet extrait vidéo contient également des extraits qui

 24   contiennent plus d'endroits à Visegrad, et je me demandais ce qu'il en est.

 25   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Est-ce que c'est une version

 26   abrégée ?

 27   M. GROOME : [interprétation] Lorsque nous avons tourné cette vidéo,

 28   elle a été tournée pour montrer plusieurs endroits. Ce que nous avions


Page 334

  1   l'intention de faire c'est qu'au cours du procès nous voulions présenter

  2   des endroits individuels, mais si le conseil de la Défense et la Chambre de

  3   première instance souhaiteraient que toutes les vidéos soient versées au

  4   dossier, alors à ce moment-là nous pouvons le faire.

  5   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Non, j'estime que c'est beaucoup

  6   plus précis. C'est mieux de procéder de la façon dont vous aviez

  7   l'intention de procéder, c'est-à-dire de montrer ces différents endroits en

  8   relation de chaque témoin.

  9   Monsieur Cepic ?

 10   M. CEPIC : [interprétation] Monsieur le Président, ma proposition est de

 11   procéder partie par partie en fonction des endroits parce que nous allons

 12   avoir la même objection que maintenant, et nous ne pouvons pas soulever

 13   d'objection quant à l'ensemble de la vidéo, car nous ne savons pas si nous

 14   allons avoir des objections à formuler.

 15   [La Chambre de première instance et le Juriste se concertent]

 16   M. GROOME : [interprétation] Monsieur le Président, pour que le

 17   compte rendu d'audience soit tout à fait limpide, je pourrais vous donner

 18   la référence de cet extrait.

 19   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais il est plus sage de procéder au

 20   versement au dossier des parties des extraits vidéo dont on parle. 

 21   M. GROOME : [interprétation] Oui, effectivement. Merci.

 22   Donc pour ce qui est de la pièce 163 du document 65 ter, pour le

 23   compte rendu d'audience, je voudrais mentionner que cet extrait vidéo se

 24   trouve à 14 minutes 50 secondes et va jusqu'à 17 minutes 55 secondes. C'est

 25   cette partie-là qui a été extraite de la vidéo.

 26   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Est-ce que ça vous convient,

 27   Monsieur Cepic ?

 28   M. CEPIC : [interprétation] Oui, merci beaucoup.


Page 335

  1   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci. Vous pouvez poursuivre,

  2   Monsieur Groome.

  3   M. GROOME : [interprétation]

  4   Q.  VG-014, est-ce que vous pourriez me dire si outre moi-même vous

  5   reconnaissez d'autres personnes dans ce prétoire ? Regardez bien dans le

  6   prétoire et dites-nous si vous reconnaissez effectivement d'autres

  7   personnes dans ce prétoire et prenez votre temps, s'il vous plaît, avant de

  8   répondre à ma question.

  9   R.  Oui. Je vais commencer par l'homme qui se trouve à votre droite,

 10   d'après la façon dont je le reconnais, c'est Sredoje Lukic. L'homme qui

 11   porte une chemise blanche et un costume bleu ciel je crois que c'est M.

 12   Milan Lukic.

 13   Q.  Lorsque vous dites, "je crois", est-ce que c'est parce que vous n'êtes

 14   pas tout à fait certain ?

 15   R.  Non, je suis tout à fait certain. Je suis sûr à 100 %.

 16   Q.  Tel que vous le voyez aujourd'hui, est-ce que son aspect physique

 17   semble être différent de son aspect physique en juin 1992 ?

 18   R.  L'homme en question était un peu plus mince. Il est plus gros

 19   maintenant, il a pris un peu de poids, mais ce n'est pas difficile de le

 20   reconnaître.

 21   Q.  La personne que vous avez identifiée en tant que Sredoje Lukic, quelle

 22   est la couleur de veste qu'il porte actuellement ?

 23   R.  Je pense qu'il a une veste de couleur grise ou à peu près, et une

 24   chemise de couleur bleue.

 25   Q.  Comment ça se fait que vous le connaissez ?

 26   R.  Je ne le connaissais pas aussi bien que Milan Lukic, mais il

 27   travaillait en tant que policier. Je le voyais de temps en temps en ville.

 28   Q.  A-t-il participé d'une manière quelconque aux événements dont vous avez


Page 336

  1   parlé aujourd'hui ?

  2   R.  S'agissant de l'incident dont j'ai parlé aujourd'hui, il n'y a pas

  3   participé, Sredoje Lukic.

  4   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Maître Cepic.

  5   M. CEPIC : [interprétation] Nous avons lu le document annonçant le contenu

  6   de la déposition de ce témoin en application de l'article 65 ter, et le nom

  7   de mon client n'y est absolument pas mentionné.

  8   M. GROOME : [interprétation] Le témoin lui-même vient de dire que M.

  9   Sredoje Lukic n'avait rien à voir avec les événements dont il a parlé

 10   aujourd'hui.

 11   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Monsieur Alarid.

 12   M. ALARID : [interprétation] Ma commis aux affaires a attiré mon attention

 13   sur un problème de traduction, compte rendu page 56, lignes 13, 14, 15.

 14   M. GROOME : [interprétation] Il sera peut-être mieux de demander au témoin

 15   de répondre de nouveau à la question.

 16   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Est-ce que vous demandez, Maître

 17   Alarid, qu'on vérifie l'interprétation des lignes 13, 14 et 15 ?

 18   M. ALARID : [interprétation] Oui.

 19   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Est-ce que vous pensez qu'il y a eu

 20   un problème d'interprétation ?

 21   M. ALARID : [interprétation] Oui.

 22   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Comment cela peut se faire ?

 23   M. GROOME : [interprétation] Il n'y a pas de compte rendu B/C/S, donc la

 24   seule chose c'est de réécouter l'enregistrement audio et de retraduire ce

 25   passage ou simplement que je repose la question.

 26   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Il vaut mieux que vous posiez la

 27   question de nouveau.

 28   M. GROOME : [interprétation]


Page 337

  1   Q.  Il y a eu un problème concernant votre précédente réponse, alors je

  2   vais répéter la question : aujourd'hui, quand vous voyez Milan Lukic, y a-

  3   t-il quelque chose de différent sur lui que vous remarquez par rapport à

  4   son apparence physique du 7 juin 1992 ?

  5   R.  Oui. Je vous ai dit qu'il avait les cheveux marron foncé, qu'il était

  6   grand et qu'il était un peu plus mince qu'il ne l'est aujourd'hui, mais ses

  7   traits pour moi il n'y a aucun doute. C'est bien lui.

  8   M. GROOME : [interprétation] Je n'ai plus de questions.

  9   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Comment arrivez-vous à cette

 10   conclusion qu'il est plus mince ?

 11   LE TÉMOIN : [interprétation] Non, non, je n'ai pas dit cela. Maintenant il

 12   est plus gros qu'avant, il était un peu plus mince le 7 juin, maintenant il

 13   est plus gros qu'avant.

 14   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, mais comment savez-vous qu'il

 15   est plus gros maintenant ?

 16   LE TÉMOIN : [interprétation] On peut se poser ce genre de question sans

 17   fin. Je ne sais pas, je peux vous dire que c'est bien lui, j'en suis sûr.

 18   Je n'ai aucun mal à le reconnaître.

 19   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous savez, j'ai tout à fait le

 20   droit de vous poser la question que je vous pose. Vous voyez qu'il est plus

 21   gros ?

 22   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, bien sûr. Vous avez le droit.

 23   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Comme il est assis, vous ne pouvez

 24   pas voir tout son corps, alors comment savez-vous qu'il est plus gros

 25   qu'avant ?

 26   LE TÉMOIN : [interprétation] Ecoutez, il suffit de voir le visage, quand

 27   quelqu'un est maigre, son visage est maigre aussi. Regardez son visage,

 28   c'est le visage de quelqu'un qui a un peu gros, quand même.


Page 338

  1   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] C'est un compliment pour le quartier

  2   pénitentiaire alors qu'il se porte bien.

  3   Encore une question. Quand est-ce que vous avez vu Milan Lukic pour la

  4   dernière fois avant aujourd'hui ?

  5   LE TÉMOIN : [interprétation] Le 7 juin 1992, au jour où il m'a emmené.

  6   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci.

  7   Et avant le 7 juin 1992, quand est-ce qu'avez-vous vu Milan Lukic pour la

  8   dernière fois, avant le 7 juin ?

  9   LE TÉMOIN : [interprétation] C'était longtemps avant, pendant l'école,

 10   pendant nos études.

 11   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Pouvez-vous être plus précis ?

 12   LE TÉMOIN : [interprétation] Je l'avais vu à l'époque où il allait à

 13   l'école avec moi, juste avant qu'il ne quitte l'école. C'était à peu près

 14   pendant la deuxième année de lycée.

 15   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Si je me souviens bien, vous avez

 16   passé deux ans ensemble à l'école, en 1984 et 1985.

 17   M. GROOME : [interprétation] Je pense qu'il s'agissait des années 1983 et

 18   1984.

 19   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Bien, 1983 et 1984. Ça veut dire

 20   qu'avant le 7 juin 1992, la fois précédente où vous l'avez vu, c'était en

 21   1984 ?

 22   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

 23   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Alarid ?

 24   M. ALARID : [hors micro]

 25   Contre-interrogatoire par M. Alarid : 

 26   Q.  [interprétation] Vous êtes né en 1967, n'est-ce pas ?

 27   R.  Oui.

 28   Q.  Cela signifie qu'aujourd'hui vous avez 41 ans ?


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  1   R.  Oui.

  2   Q.  Et en 1992, c'était il y a combien d'années ?

  3   R.  Ça fait 16 ans.

  4   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous n'avez pas besoin de tester ses

  5   connaissances en calcul.

  6   M. ALARID : [interprétation] C'était tout simplement pour voir s'il peut

  7   s'orienter bien dans le temps.

  8   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Bien.

  9   M. ALARID : [interprétation]

 10   Q.  Monsieur le Témoin, est-ce que vous avez eu l'occasion entre 1992 et

 11   aujourd'hui de voir quelques photographies ?

 12   R.  Oui.

 13   Q.  A quel moment ?

 14   R.  J'ai vu les photographies sur l'avis de recherche.

 15   Q.  Ces avis de recherche, où est-ce qu'ils étaient affichés ?

 16   R.  Je ne comprends pas. Vous demandez où se trouvaient les photographies

 17   ou les avis de recherche.

 18   Q.  Ce qui m'intéresse, c'est chacune des photographies de Milan Lukic que

 19   vous avez jamais vues.

 20   R.  Est-ce que vous voulez que je vous fasse un dessin de chaque

 21   institution, de chaque bâtiment, de chaque endroit possible et imaginable

 22   où un avis de recherche de Milan Lukic était affiché ? A toutes ces

 23   institutions qui étaient chargées de le rechercher, il y en avait.

 24   Q.  Qu'est-ce que vous voulez dire, qu'il y avait ces photographies partout

 25   là où vous habitiez ?

 26   R.  Non, ce n'est pas ce que j'ai dit, mais je vous ai dit que je travaille

 27   à un endroit où il y a ces photos.

 28   Q.  Vous voulez dire que ces photographies se trouvaient à votre lieu de


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  1   travail ?

  2   R.  Oui.

  3   Q.  Donc vous les voyiez chaque jour ?

  4   R.  De temps en temps.

  5   Q.  Combien de fois ?

  6   R.  Je ne sais pas. Je n'ai pas compté. Si je passais à côté de ces

  7   photographies, je les voyais. C'est normal. Alors si je passais dix fois ou

  8   une fois ou quinze fois par jour ou par mois ou par semaine, je n'en sais

  9   rien.

 10   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Un instant, s'il vous plaît, Maître

 11   Alarid.

 12   [La Chambre de première instance se concerte]

 13   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Veuillez poursuivre.

 14   M. ALARID : [interprétation]

 15   Q.  Depuis combien de temps avez-vous travaillé à cet endroit où vous

 16   pouviez voir les photos de Milan ?

 17   R.  Quatre ans.

 18   Q.  Et c'est quoi les autres endroits où ces photographies étaient

 19   affichées ?

 20   R.  Monsieur, je vous ai répondu tout à fait clairement. Les institutions

 21   chargées de mener l'enquête sur les crimes de guerre, il est normal que ces

 22   avis de recherche y étaient placardés. Vous devez savoir ce que sont ces

 23   institutions, n'est-ce pas ?

 24   Q.  Oui, peut-être. Mais comme je ne suis allé là-bas et la Chambre non

 25   plus, il faudra que vous nous le disiez.

 26   R.  Oui, mais je ne devrais pas dévoiler mon lieu de travail. J'y travaille

 27   toujours. Je n'ai pas à être obligé de mentionner cela maintenant en

 28   public.


Page 342

  1   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] On peut passer à huis clos partiel.

  2   M. ALARID : [interprétation] Je propose de le dire à huis clos partiel, ce

  3   qu'on peut faire. Peut-on passer à huis clos partiel, Monsieur le Président

  4   ?

  5   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui.

  6   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.

  7   [Audience à huis clos partiel] [Confidentialité partiellement levée par une ordonnance de la Chambre]

  8   M. ALARID : [interprétation]

  9   Q.  Maintenant qu'on est à huis clos partiel, pourriez-vous me dire

 10   maintenant quels sont les endroits où vous avez vu les photographies de M.

 11   Lukic ?

 12  (expurgé)

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 14  (expurgé)

 15  (expurgé)

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 18  (expurgé)

 19  (expurgé)

 20  (expurgé)

 21   Q.  Bien. Et sur les photographies que vous avez vus, quel âge avait M.

 22   Lukic ?

 23   R.  Je ne peux répondre à cette question. Je ne sais pas à quel moment les

 24   photographies ont été prises. Les dates ne sont pas affichées sur les

 25   photographies.

 26   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Alarid, peut-on revenir en

 27   audience publique maintenant.

 28   M. ALARID : [interprétation] Bien sûr, si vous le souhaitez, on peut le


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  1   faire.

  2   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes de retour en audience

  3   publique.

  4   [Audience publique]

  5   M. ALARID : [interprétation]

  6   Q.  Vous et lui, vous avez à peu près le même âge ?

  7   R.  A peu près.

  8   Q.  Quel était votre âge en 1992 ?

  9   R.  Environ 23 ans, 24 ans.

 10   Q.  Les photographies que vous avez vues représentaient-ils Milan Lukic à

 11   l'âge de 23 ans ?

 12   R.  Non.

 13   Q.  Plus âgé que ça ?

 14   R.  Probablement.

 15   Q.  Plus âgé de combien à peu près ?

 16   R.  Peut-être cinq ans plus âgé. Je n'en sais rien.

 17   Q.  De toute manière vous avez eu suffisamment de temps depuis toutes ces

 18   années pour étudier les photos de Milan Lukic, n'est-ce pas ?

 19  (expurgé)

 20  (expurgé)

 21  (expurgé)

 22  (expurgé)

 23  (expurgé)

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 26  (expurgé)

 27  (expurgé)

 28  (expurgé)


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  1   M. ALARID : [interprétation]

  2   Q.  Depuis combien de temps aviez-vous déjà travaillé pour eux avant de

  3   faire votre déclaration ?

  4   R.  Depuis un an.

  5   Q.  Ça veut dire que vous travaillez là-bas depuis 11 ans à peu près ?

  6   R.  Si on prend en compte toute la période allant jusqu'à 2008.

  7   Q.  Vous avez rencontré M. Groome au moins une fois avant aujourd'hui,

  8   n'est-ce pas ?

  9   R.  Pourriez-vous être plus précis ? Le nom ne me dit rien.

 10   Q.  Quand est-ce que vous avez rencontré quelqu'un du bureau du Procureur

 11   pour la dernière fois avant de venir déposer ici aujourd'hui ?

 12   R.  C'était avec le monsieur qui est à ma droite, je ne connais pas son

 13   nom. C'est un des substituts du Procureur. C'était il y a quelques jours,

 14   un jour ou deux que je l'ai rencontré.

 15   Q.  Combien de temps a duré votre entretien ?

 16   R.  Je ne peux pas répondre avec précision. On s'est rencontré tout

 17   simplement, on a fait connaissance.

 18   Q.  Mais n'est-il pas vrai que vous l'aviez déjà rencontré auparavant, à

 19   l'époque du procès de Mitar Vasiljevic ?

 20   R.  Oui. J'ai bien l'impression que oui.

 21   Q.  Donc il n'était pas nécessaire de faire sa connaissance maintenant ?

 22   R.  Mais qu'est-ce que cela a à voir avec tout ça.

 23   Q.  Vous pouvez répondre par oui ou par non, ce sera suffisant.

 24   R.  Ce n'était peut-être pas nécessaire de faire de nouveau sa

 25   connaissance.

 26   Q.  Bien. Avez-vous examiné ensemble votre déposition ?

 27   R.  Oui.

 28   Q.  Quoi exactement ?


Page 345

  1   R.  J'ai tout simplement rafraîchi ma mémoire concernant quelques éléments

  2   de ma déclaration, quelques détails que j'ai peut-être pu oublier

  3   autrement.

  4   Q.  Vous a-t-on présenté un exemplaire de votre déclaration ?

  5   R.  Oui.

  6   Q.  Est-ce qu'on vous a donné un exemplaire de votre déclaration il y a

  7   deux jours ?

  8   R.  Non.

  9   Q.  Vous n'avez pas gardé dans vos archives personnelles un exemplaire de

 10   votre déclaration de l'époque du procès de Vasiljevic ?

 11   R.  Non, je ne pouvais pas garder ma déclaration.

 12   Q.  Combien de fois avez-vous lu votre déclaration ?

 13   R.  Il m'a suffi de la lire une seule fois.

 14   Q.  Je suppose que vous avez vu les deux photographies et l'enregistrement

 15   vidéo que nous avons vus aujourd'hui dans le prétoire ?

 16   R.  Oui, c'est exact.

 17   Q.  Avez-vous regardé ou vu des photographies de Milan Lukic aussi ?

 18   R.  Non.

 19   Q.  Avez-vous relu les comptes rendus de votre déposition des affaires

 20   précédentes ?

 21   R.  Non.

 22   Q.  Bien. Avant cet entretien avec le Procureur il y a deux, trois jours,

 23   quand est-ce que vous avez rencontré des représentants du bureau du

 24   Procureur pour la dernière fois ?

 25   R.  Je ne m'en souviens pas.

 26   Q.  Comment avez-vous appris que vous deviez vous rendre ici aujourd'hui

 27   pour témoigner ?

 28   R.  J'ai été informé de cela à Sarajevo, au siège.


Page 346

  1   Q.  Avez-vous rencontré quelqu'un pour cela, est-ce que vous avez dû vous

  2   entretenir avec quelqu'un à ce sujet ?

  3   R.  Non.

  4   Q.  Bien. Dans votre déclaration, vous avez dit que vous ne vous occupiez

  5   pas de la politique avant la guerre.

  6   R.  Oui, c'est exact.

  7   Q.  Mais vous avez participé au combat, n'est-ce pas ?

  8   R.  Oui.

  9   Q.  Vous avez commencé à le faire le 11 juin 1992 ?

 10   R.  Oui.

 11   Q.  Vous avez fait cela parce que vous vouliez vous battre contre les

 12   Serbes ?

 13   R.  Non, pas par désir de combattre les Serbes, mais pour me défendre, moi-

 14   même et ma famille.

 15   Q.  Pour défendre vos compatriotes ?

 16   R.  Oui.

 17   Q.  Pour défendre votre religion ?

 18   R.  Oui.

 19   Q.  Avant la guerre, vous travailliez dans l'usine de granite ?

 20   R.  Oui.

 21   Q.  Vous étiez fort, corpulent ?

 22   R.  Oui.

 23   Q.  Et vous avez commencé à travailler pour cette entreprise après votre

 24   service obligatoire ?

 25   R.  Oui.

 26   Q.  Après avoir fini vos études secondaires ?

 27   R.  Après avoir fini mes études secondaires, j'ai commencé à travailler

 28   pour cette entreprise de bâtiment, puis j'ai fait une pause le temps de


Page 347

  1   faire mon service militaire obligatoire, et après avoir fait mon service

  2   j'ai repris le travail.

  3   Q.  Comment s'appelait votre lycée ?

  4   R.  Qu'est-ce qui vous intéresse ? Comment s'appelait le bâtiment, ou où se

  5   trouvait l'école, ou comment s'appelle l'école en tant qu'institution

  6   chargée d'enseignement ?

  7   Q.  Les deux.

  8   R.  C'était le centre éducatif Hamid Besirevic.

  9   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Est-ce qu'on a besoin de passer à

 10   huis clos partiel maintenant ou pas ?

 11   M. GROOME : [interprétation] Monsieur le Président, nous avons déjà parlé

 12   de l'entreprise, de l'employeur du témoin. Le témoin ne pensait pas que ça

 13   risquait de dévoiler son identité. Comme il n'y a pas beaucoup d'écoles à

 14   Visegrad, je pense que cela non plus ne pose pas problème.

 15   M. ALARID : [interprétation] Bien.

 16   Q.  Quel est votre titre ? Quel est le titre que vous avez acquis suite à

 17   vos études ?

 18   R.  C'est un diplôme secondaire professionnel de serrurier.

 19   Q.  Vous souvenez-vous de vos enseignants ?

 20   R.  Oui, de la plupart.

 21   Q.  Vous souvenez-vous de quelques noms ?

 22   R.  Il y a quelques années, je suis allé au lycée car j'avais besoin d'un

 23   exemplaire de mon diplôme. J'ai rencontré à cette époque-là un professeur

 24   qu'on appelait Koke. Je ne sais pas comment il s'appelle exactement, mais

 25   bon. On l'appelait Koke. Il était prof de l'éducation physique, et

 26   actuellement il est directeur de cette école, puis --

 27   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Passez à des questions concrètes,

 28   s'il vous plaît.


Page 348

  1   M. ALARID : [interprétation] Je vais le faire.

  2   Q.  Vous connaissiez Milan Lukic de l'école, mais vous n'étiez jamais avec

  3   lui dans la même classe ?

  4   R.  Oui.

  5   Q.  Il y avait 300 à 400 étudiants dans chaque département ?

  6   R.  A peu près.

  7   Q.  Combien de départements y avait-il à l'école ?

  8   R.  Je ne dispose pas de cette information. Cela ne m'intéressait pas. Mais

  9   nous travaillions le matin et l'après-midi, alors je ne sais pas combien de

 10   départements il y avait. Ce département couvrait tout simplement des

 11   métiers différents; des plombiers, des serruriers, des électriciens, et

 12   cetera, et cetera.

 13   Q.  Mais le nom de famille Lukic, c'est un nom de famille très répandu dans

 14   votre région, n'est-ce pas ?

 15   R.  Non.

 16   Q.  Et Milan, est-ce que c'est un prénom qui est répandu dans votre région

 17   ?

 18   R.  Oui, des Milan il y en a et il y en a toujours eu là-bas dans son

 19   village de Rujiste. Chacun choisissait le nom qui lui convenait. Vous

 20   savez, on ne pouvait pas appeler quelqu'un qui était censé s'appeler Djuro

 21   [phon], Dragan, Milan, Sredoje, il ne pouvait pas s'appeler Mustafa. Mais

 22   je ne les ai pas comptés, les Milan.

 23   Q.  Connaissiez-vous des personnes répondant au nom de Milan qui avaient

 24   plus ou moins le même âge que vous ?

 25   R.  Je pense que non.

 26   Q.  Ce Milan était le seul Milan que vous connaissiez ? Milan Lukic ?

 27   R.  Oui.

 28   Q.  Mais vous ne le connaissiez pas personnellement, Milan Lukic. Vous


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  1   aviez seulement entendu parler de lui, c'est bien cela ?

  2   R.  C'est ce que vous affirmez. Moi, je vous affirme que je le connaissais

  3   personnellement de l'école.

  4   Q.  Combien de fois lui avez-vous parlé ?

  5   R.  Ça, je ne m'en souviens pas aujourd'hui. Il arrivait que nous nous

  6   parlions deux jours d'affilée, puis ensuite pendant plusieurs jours nous

  7   n'échangions qu'un mot, et puis il y avait d'autres gens que je fréquentais

  8   de Zupa, par exemple, Boban Simsic était un camarade de classe, puis il y

  9   en avait d'autres. Je ne pense pas que je dois vous donner tous leurs noms

 10   maintenant.

 11   Q.  Lors de l'interrogatoire principal, vous avez dit que vous aviez

 12   seulement entendu parler de lui, mais que vous ne le fréquentiez pas, que

 13   vous n'alliez pas tous les deux aux mêmes endroits.

 14   R.  Non. Nous ne nous fréquentions pas. Je ne l'aurais jamais fréquenté.

 15   Q.  Pourquoi donc ?

 16   R.  Non, je n'avais aucune envie de le fréquenter, et vu ce qu'il a fait

 17   face à leur égard, mais je ne pourrais jamais être son ami ou son camarade

 18   maintenant. Je n'aurais pas pu l'être à l'époque non plus.

 19   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Un instant, s'il vous plaît. Je

 20   voudrais que l'on procède à quelques vérifications. Il me semblait que

 21   j'avais demandé au témoin si Milan Lukic et lui se parlaient, et il me

 22   semble que le témoin avait répondu par la négative. Monsieur le Témoin,

 23   vous souvenez-vous que je vous aie posé cette question ? Je vous avais

 24   demandé si vous parliez à Milan Lukic, et vous avez répondu que non.

 25   LE TÉMOIN : [interprétation] Voyez-vous, ces conversations que nous avons

 26   eues n'étaient pas longues. Ce n'étaient pas des conversations entre

 27   camarades. Quand on se croisait, on se disait bonjour ou au revoir, et

 28   c'est tout. On en restait là.


Page 350

  1   M. ALARID : [interprétation]

  2   Q.  N'est-il pas vrai de dire que Milan Lukic avait des camarades de classe

  3   musulmans ?

  4   R.  Oui, probablement, mais ce n'était pas un ami à moi.

  5   Q.  Est-ce que vous l'avez vu fréquenter des Musulmans, ou en compagnie de

  6   Musulmans ?

  7   R.  Oui.

  8   Q.  Vous dites que c'était quelqu'un de calme ?

  9   R.  En effet.

 10   Q.  Qu'entendez-vous par là ? D'après vous c'est quoi, une personne calme ?

 11   R.  Les garçons se comportaient de diverses manières. Certains étaient du

 12   genre à provoquer les autres pour se battre, et d'après ce que je savais de

 13   lui, il n'était pas comme ça.

 14   Q.  Est-ce qu'il serait juste de dire que pour ce qui est de la religion et

 15   de l'appartenance ethnique, il y avait des tensions au lycée entre les

 16   garçons de confessions religieuses différentes?

 17   R.  En effet, mais ce n'était pas visible à l'époque.

 18   Q.  Est-ce qu'il arrivait parfois à l'école que des garçons de confessions

 19   religieuses différentes se battent ?

 20   R.  Oui. Les enfants restent des enfants.

 21   Q.  Mais vous n'avez jamais entendu dire que Milan Lukic aurait pris part à

 22   ces combats ?

 23   R.  Non.

 24   Q.  Vous dites que vous connaissez le village natal de Milan Lukic; c'est

 25   bien cela ?

 26   R.  Oui, un peu, car pendant un certain temps alors qu'on installait la

 27   ligne pour les longues transmissions à travers le village, j'ai travaillé

 28   là pendant trois ou quatre jours.


Page 351

  1   Q.  Connaissez-vous la famille de Milan Lukic ?

  2   R.  Non.

  3   Q.  Connaissez-vous le nom de son père ?

  4   R.  Non.

  5   Q.  N'est-il pas vrai de dire qu'il est habituel dans votre pays qu'on

  6   connaisse les gens par leur nom et par le nom de leur père ?

  7   R.  Oui, en effet. Mais à l'époque je ne m'intéressais au nom de son père.

  8   Je ne m'intéressais à lui non plus d'ailleurs.

  9   Q.  Il y avait 300 à 400 élèves par section et pourtant il trouvait le

 10   temps de vous dire bonjour.

 11   R.  Il n'y avait pas que lui. Boban Simsic et Suad Suceska, Juso Puljo,

 12   tous les autres eux aussi trouvaient le temps de me dire bonjour, il n'y

 13   avait pas que lui.

 14   Q.  Puisque vous ne le connaissiez pas à l'époque, est-ce que vous n'avez

 15   pas eu l'impression qu'il voulait devenir votre ami ?

 16   R.  C'est peut-être moi qui devais avoir cette impression à l'époque, mais

 17   nous n'avons pas réussi à devenir amis.

 18   Q.  Vous avez dit un peu plus tôt que vous ne vouliez pas devenir son ami ?

 19   R.  Je vous dis qu'aujourd'hui, en 2008, j'ai très peu d'amis. Ça ne

 20   m'intéresse pas d'avoir trop d'amis. J'ai deux ou trois véritables amis, et

 21   c'est tout. Je ne m'intéresse pas vraiment aux autres.

 22   Q.  Revenons-en à l'année 1990. Où étiez-vous à l'époque ?

 23   R.  En 1990, j'étais à Visegrad.

 24   Q.  Est-ce à ce moment-là que vous avez remarqué les premières tensions

 25   entre les groupes ethniques ?

 26   R.  Oui. Lorsque le système pluripartite a été installé, c'est là que les

 27   tensions ont commencé.

 28   Q.  Pourquoi pensez-vous que ce système pluripartite était à l'origine des


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  1   tensions ?

  2   R.  Je vais vous expliquer pourquoi, les partis que nous avions à l'époque

  3   étaient le SDA, le SDS, tout le monde voulait être avec son parti, diriger

  4   son parti, faire ce qu'il avait à faire.

  5   Q.  Vous dites que Milan Lukic a quitté le lycée assez tôt; c'est bien ça ?

  6   R.  Oui.

  7   Q.  Comment le savez-vous ?

  8   R.  A l'époque, on organisait des cours à l'intention de la police, c'est

  9   sans doute la raison pour laquelle il est parti. L'un de mes collègues

 10   enseignait à Sarajevo donc il ne serait sans doute pas allé à Sarajevo mais

 11   ailleurs.

 12   Q.  Qu'est-ce que vous enseigniez à Sarajevo ?

 13   R.  En fait, j'ai posé ma candidature pour intégrer l'académie de police,

 14   c'était à l'issue de la deuxième année de lycée.

 15   Q.  Vous supposez que Milan Lukic a également posé sa candidature ?

 16   R.  On ne posait pas sa candidature pour intégrer le lycée mais pour

 17   intégrer l'école de police, ceux qui le souhaitaient, comme moi, moi je

 18   voulais aller à Sarajevo, mais je suis allé à Obrenovac, c'est ainsi que

 19   les choses se passaient.

 20   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous devons faire une pause

 21   maintenant. Mais avant cela, Monsieur Groome, il y a une question qui se

 22   pose par rapport au témoin suivant. Vous vouliez quelques instructions sur

 23   la manière de procéder.

 24   M. GROOME : [interprétation] Oui, en effet. Le témoin est ici. Il est peu

 25   probable que ce témoin soit appelé à la barre, nous voulions demander la

 26   permission de le faire ramener à l'hôtel et le faire revenir demain matin.

 27   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Bien. Maître Alarid, de combien de

 28   temps avez-vous besoin pour le contre-interrogatoire ?


Page 353

  1   M. ALARID : [interprétation] Je n'en suis pas sûr, mais je pense qu'il est

  2   plus prudent de renvoyer le témoin à l'hôtel.

  3   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Très bien. Nous allons le faire.

  4   Nous allons faire une pause de 20 minutes maintenant.

  5   --- L'audience est suspendue à 18 heures 02.

  6   --- L'audience est reprise à 18 heures 24.

  7   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Monsieur le Président, j'aimerais faire

  8   une correction pour le compte rendu d'audience, la dernière pièce qui a été

  9   versée au dossier, c'est-à-dire la vidéo porte la pièce P4.

 10   M. ALARID : [interprétation] Monsieur le Président, je souhaiterais attirer

 11   l'attention de la Cour, c'est-à-dire à la page 58 lorsque M. Groome a

 12   reposé une question, il dit, "Je dis que c'était lui", alors nous soutenons

 13   qu'il y a une phrase qui a été omise, car il a dit, "Alors que ce soit

 14   lui." Que ce soit lui" a été omis du compte rendu d'audience.

 15   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] J'ai bien compris, vous êtes en

 16   train de nous dire qu'il y a une phrase qui a été omise, qui ne figure pas

 17   au compte rendu d'audience, une phrase qui suit la phrase qui se lit comme

 18   suit : "Let it be him" en anglais ou "que ce soit lui", en français ?

 19   M. ALARID : [interprétation] Nous avons l'impression que ceci a une portée

 20   quand même assez significative, ce n'est pas simplement une répétition de

 21   la phrase précédente.

 22   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Très bien. Merci. Nous allons

 23   vérifier la partie audio.

 24   Monsieur Alarid, veuillez poursuivre, je vous prie.

 25   M. ALARID : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 26   Q.  En 1990, lorsque le système des deux partis a été mis en place, vous

 27   aviez encore une certaine allégeance envers votre propre appartenance

 28   ethnique et votre religion ?


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  1   R.  Oui.

  2   Q.  Vous savez qu'une guerre allait éclater, n'est-ce pas ? Vous présumiez

  3   cela ?

  4   R.  Oui.

  5   Q.  Et vous pensiez que la guerre ne durerait que de 15 à 20 jours, est-ce

  6   que c'est exact ?

  7   R.  Oui.

  8   Q.  Des armes avaient été distribuées aux Serbes, est-ce exact ?

  9   R.  Oui.

 10   Q.  Vous avez dit dans votre déclaration que vous pouviez entendre que l'on

 11   formait des personnes ?

 12   R.  Oui.

 13   Q.  Comment savez-vous qu'il s'agissait d'entraînement ?

 14   R.  Je vais vous le préciser. J'habitais dans une partie de Bikavac qui se

 15   trouvait tout près de la route. Ma maison se trouvait au bord de la route.

 16   Et le terrain de tir se trouvait à Ban, c'est un endroit qui se trouve de

 17   Bikavac à peut-être une distance d'un kilomètre. Et vous savez aussi vous-

 18   même, n'est-ce pas, que lorsqu'on procède à des exercices des réservistes

 19   de l'armée yougoslave, c'est à ce moment-là que les Serbes et les Musulmans

 20   ensemble avaient été mobilisés, c'est-à-dire toutes les personnes qui sont

 21   des réservistes de la JNA, on n'a pas fait appel à nous, mais les Serbes

 22   avaient été appelés.

 23   Q.  Mais pour ce qui est de la distribution d'armes, ce n'est pas quelque

 24   chose que vous avez vu personnellement, n'est-ce pas ?

 25   R.  Non.

 26   Q.  Vous en avez entendu parler par vos collègues, est-ce que c'est exact ?

 27   R.  Oui.

 28   Q.  Ces collègues étaient engagés d'une manière politique ?


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  1   R.  Je ne sais pas.

  2   Q.  Est-ce qu'ils avaient rejoint les rangs de l'armée ou de la résistance

  3   à vos côtés ?

  4   R.  Probablement que oui.

  5   Q.  Vous avez dit dans votre déclaration que vous pensiez que les Serbes

  6   voulaient la guerre ?

  7   R.  Oui.

  8   Q.  Mais ne croyez-vous pas que ce serait un peu injuste envers tous les

  9   Serbes que de dire qu'ils voulaient la guerre ?

 10   R.  Je vais vous dire quelque chose, c'est mon opinion personnelle. J'ai

 11   dit les choses comme je les voyais, je ne sais pas si c'est juste ou pas,

 12   je l'ignore.

 13   Q.  Avant la pause, vous nous aviez dit que vous aviez une formation à

 14   l'académie de police de Sarajevo ?

 15   R.  Non, j'avais fait une demande pour étudier à l'académie de police de

 16   Sarajevo, mais je n'ai pas effectivement étudié là-bas.

 17   Q.  Ensuite vous êtes allé à Obrenovac ?

 18   R.  Non. Ce n'est pas moi qui suis parti à Obrenovac, c'est Lukic, pas moi.

 19   Je ne serais jamais allé à Obrenovac.

 20   Q.  Quand vous dites que Lukic est allé à Obrenovac, est-ce que c'est un

 21   fait ou est-ce que c'est une opinion personnelle ?

 22   R.  Non. C'est une supposition.

 23   Q.  Et qu'est-ce qui vous permet de croire que c'était ainsi ?

 24   R.  Je ne me souviens pas de cela, car un très grand nombre d'années se

 25   sont écoulées depuis.

 26   Q.  Il y a très longtemps, et à cette époque-là vous étiez âgé de 17 ans,

 27   n'est-ce pas ?

 28   R.  Probablement.


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  1   Q.  N'est-il pas exact de dire qu'un jeune âgé de 17 ans est beaucoup trop

  2   jeune pour devenir policier ?

  3   R.  Monsieur, écoutez-moi, puis-je moi vous poser une question, est-ce que

  4   c'est mon passé qui vous intéresse ou autre chose ?

  5   Q.  Je veux savoir ce que vous savez, c'est cela qui m'intéresse.

  6   R.  Je ne sais pas si j'étais trop jeune, mais il est tout à fait certain

  7   que lorsque j'ai reçu une réponse de l'académie de police, on m'a dit que,

  8   en fait, j'étais trop âgé, j'avais deux mois de plus que l'âge auquel on

  9   acceptait les personnes.

 10   Q.  Est-ce que vous êtes en train de nous dire qu'il n'y a qu'une date à

 11   laquelle vous pouvez devenir policier, que vous êtes soit trop jeune ou

 12   trop vieux par rapport à cette date ?

 13   R.  Je n'ai pas très bien saisi votre question, mais je vais -- lorsque

 14   j'ai fait ma demande auprès de l'académie de police, j'avais deux mois de

 15   plus que l'âge accepté, alors que mon collègue qui avait fait une demande

 16   avait été accepté. Maintenant je ne sais pas s'il y avait d'autres dates

 17   auxquelles on acceptait des candidats.

 18   Q.  Pour revenir maintenant à la période entre 1990 et 1992, après les

 19   élections et après les tensions, vous aviez entendu ce que l'on disait

 20   concernant des Bérets verts, vous aviez entendu parler de l'existence des

 21   Bérets verts, n'est-ce pas ?

 22   R.  Oui, ce sont les Serbes qui avaient fait circuler cette rumeur, à

 23   savoir qu'il y avait des Bérets verts qui perpétraient le génocide autour

 24   de Visegrad.

 25   Q.  Les Bérets verts caractérisant les forces musulmanes ?

 26   R.  C'est eux qui les appelaient ainsi, les Serbes.

 27   Q.  Et les Bérets verts pour vous représentent quoi exactement ?

 28   R.  Ils n'existaient même pas pour moi.


Page 358

  1   Q.  Ils n'existaient pas du tout, c'est ce que vous êtes en train de nous

  2   dire ?

  3   R.  Oui, c'est exact.

  4   Q.  Lorsque le Corps d'Uzice est entré, vous dites dans votre déclaration

  5   qu'ils n'ont pas trouvé d'élément de preuve concernant les Bérets verts

  6   ayant commis un génocide ?

  7   R.  Oui, c'est ce que j'ai dit.

  8   Q.  Comment savez-vous qu'aucune preuve n'a été trouvée ?

  9   R.  S'il n'y a pas de victimes, s'il n'y a pas de meurtres, si personne n'a

 10   été exécuté, on ne peut pas prouver qu'un génocide a eu lieu.

 11   Q.  Comment savez-vous qu'on n'a pas fait emmener des personnes, qu'il n'y

 12   a pas eu de génocide, qu'il n'y pas eu d'exécutions ?

 13   R.  C'est très facile, nous n'avions pas ce type d'armes. Nous n'avions pas

 14   d'armes, point, on ne pouvait rien commettre de la sorte, et comme vous le

 15   savez, nous ne sommes pas un peuple souhaitant commettre soit un génocide

 16   ou nous ne sommes pas un peuple qui aime la vengeance.

 17   Q.  Lorsque vous parlez de "nous", "nous ne sommes pas", de qui parlez-vous

 18   exactement ?

 19   R.  Je n'ai pas dit "nous ne sommes pas un peuple" j'ai dit "nous sommes un

 20   peuple". Nous, les Musulmans, le peuple musulman, est un peuple qui n'aime

 21   pas la vengeance, ne souhaite pas le génocide, l'extermination, rien de ce

 22   type.

 23   Q.  Est-ce que vous savez ce qui se passe maintenant à Bagdad entre les

 24   Chiites et les Sunnites ?

 25   R.  Je ne suis pas cela aux informations et cela ne m'intéresse pas

 26   vraiment non plus.

 27   Q.  Vous ne regardez pas les informations ?

 28   M. GROOME : [interprétation] Monsieur le Président, cela n'a pas de


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  1   pertinence, aucune pertinence quant aux événements se découlant en ce

  2   moment à Bagdad.

  3   LE TÉMOIN : [aucune interprétation]

  4   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Où est-ce que vous voulez en venir,

  5   Monsieur Alarid ?

  6   M. ALARID : [interprétation] Il a répondu à la question, il a dit qu'il ne

  7   regardait pas les informations. C'était simplement une question visant à

  8   tester la crédibilité du témoin. Je vais passer à autre chose.

  9   Q.  Dans votre déclaration, vous avez dit que ce conflit ressemblait à un

 10   combat de boucs, dont l'un avait les cornes et l'autre n'en avait pas.

 11   R.  Oui.

 12   Q.  Et d'après vous, c'était parce que les Musulmans n'avaient pas d'armes,

 13   n'est-ce pas ?

 14   R.  Oui.

 15   Q.  C'est votre opinion seulement ou s'agit-il d'un fait ?

 16   R.  C'est un fait.

 17   Q.  Oui. Mais, à ce moment-là, vous n'étiez pas en guerre ?

 18   R.  Ce que je peux vous dire, c'est que nous n'avions pas de moyens pour

 19   nous battre, si on a participé à la guerre, c'est peut-être avec des engins

 20   qu'on aurait fabriqué nous-mêmes, et cetera. Les choses auraient été

 21   différentes si nous disposions des armes comme les Serbes, mais

 22   malheureusement nous n'avons pas eu d'armes.

 23   Q.  Vous avez déclaré, en fait, que la résistance musulmane produisait

 24   leurs propres armes et bombes ?

 25   R.  Oui.

 26   Q.  Etiez-vous dans les rangs des résistants ?

 27   R.  Non.

 28   Q.  Comment savez-vous qu'ils disposaient de bombes et d'armes ?


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  1   R.  Si quelqu'un avait de l'argent, il s'achetait un fusil. Si je n'ai pas

  2   d'argent, si je ne peux pas m'acheter un fusil, comment puis-je joindre les

  3   rangs de la résistance. Je n'allais pas me battre à mains nues, je n'allais

  4   pas étrangler l'ennemi de mes mains nues.

  5   Q.  Je ne vous ai pas demandé si vous aviez un fusil. Je vous ai tout

  6   simplement demandé comment saviez-vous qu'ils disposaient d'armes et de

  7   bombes ?

  8   R.  Quand quelque chose arrive à votre voisin, vous le savez. Si vous savez

  9   qu'il a semé des pommes de terre dans un champ, vous savez qu'il a semé des

 10   pommes de terre. Si quelqu'un fabrique une bombe, il dit, voilà, j'ai fait

 11   une bombe au cas où. Alors vous le savez, c'est comme ça que vous

 12   l'apprenez.

 13   Q.  Oui, mais une bombe ce n'est pas quelque chose que vous utilisez au cas

 14   où vous en avez besoin. La bombe, c'est quelque chose que vous posez, c'est

 15   avec l'intention de la faire exploser et tuer des gens.

 16   R.  Oui.

 17   Q.  Comment pouviez-vous savoir que votre voisin a une bombe si vous ne

 18   faites pas partie des résistants ?

 19   R.  Peut-être que je l'étais.

 20   Q.  Parce que, pour vous, la résistance c'est quelque chose de secret ?

 21   R.  Peut-être que pour nous, ce n'était pas secret.

 22   Q.  Mais pour certains gouvernements, les mouvements résistants qui ont

 23   recours à des bombes, ces mouvements sont considérés comme des mouvements

 24   de terroristes ?

 25   R.  La destruction des civils par l'usage de l'artillerie, par les

 26   exécutions, ça c'est quelque chose qu'il ne faut pas faire, vous ne pouvez

 27   pas me critiquer pour ce que mon peuple musulman a fait pour se défendre de

 28   tels actes. Vous devez comprendre tout cela.


Page 361

  1   Q.  Donc vous pensiez avoir le droit d'utiliser les bombes ?

  2   R.  Justement, à ce moment-là, il était tout à fait justifié pour chacun

  3   disposant d'une arme ou d'une bombe de l'utiliser.

  4   Q.  Même contre les civils serbes ?

  5   R.  Les Musulmans ne sont pas un peuple qui souhaite à nuire aux civils.

  6   Nous allions sur la ligne de front et nous nous battions, les soldats

  7   contre les soldats. Nous ne visions jamais les civils.

  8   Q.  Comment dans un combat corps à corps, un soldat peut-il utiliser une

  9   bombe ?

 10   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je ne comprends pas ce que vous

 11   essayez de nous démontrer.

 12   M. ALARID : [interprétation] J'essaie de démontrer que le témoin faisait

 13   partie d'un groupe armé prônant la violence.

 14   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Alors vous devez poser des questions

 15   qui seraient beaucoup plus directement liées à cela.

 16   M. ALARID : [interprétation] Je n'ai pas très bien compris.

 17   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous devriez poser des questions qui

 18   sont plus directes alors.

 19   M. ALARID : [interprétation] Très bien.

 20   Q.  Peut-on nous dire que l'utilisation d'artillerie, des tirs d'obus, vous

 21   mettait en colère, vous, en tant que Musulman ?

 22   R.  Oui, tout me mettait en colère, les tirs, les incendies, le fait qu'on

 23   amenait les hommes, les femmes, les enfants, tout le monde. Mais n'essayez

 24   pas de détourner cette situation, vous savez, mettez-vous un peu à ma

 25   place. Imaginez-vous que vous étiez à ma place et que vous aviez en face de

 26   vous Milan Lukic et ses semblables.

 27   Q.  Peut-on dire que la dernière fois que vous avez vu Milan Lukic au

 28   lycée, d'après les informations dont vous disposiez à l'époque, il n'était


Page 362

  1   coupable de rien ?

  2   R.  Qu'est-ce que vous voulez dire, qu'il n'était coupable de rien ? A

  3   l'époque, à l'école, ou maintenant ?

  4   Q.  Je veux dire à l'école, à l'époque de vos études, était-il coupable de

  5   quelque chose ?

  6   R.  De quoi aurait-il pu être coupable ?

  7   Q.  Peut-être d'actes violents dirigés contre les Musulmans ?

  8   R.  Qui, à l'époque, enfant, pouvait songer à la discrimination raciale ?

  9   Ce qui nous intéressait à l'époque, c'est de finir nos études. A l'époque,

 10   on ne se demandait pas si un Serbe aimait les Musulmans ou si les Musulmans

 11   aimaient les Serbes, ça ne nous intéressait pas.

 12   Q.  Oui, mais un jeune de 16 ans peut lever la main sur un Musulman, n'est-

 13   ce pas ?

 14   R.  Bien sûr, un Musulman de 16 ans pouvait également lever la main sur un

 15   Serbe, mais cela ne se passait pas ainsi à l'époque.

 16   Q.  Vous nous avez dit qu'il y avait parfois des échauffourées entre les

 17   groupes ethniques ?

 18   R.  Que voulez-vous, que j'arbitre ? Que je sois l'arbitre dans ces

 19   bagarres ?

 20   Q.  Vous avez dit que Milan Lukic n'avait jamais participé dans ces

 21   bagarres de nature ethnique ?

 22   R.  Je ne l'ai jamais vu faire cela.

 23   Q.  Vous avez vu Milan Lukic avec des amis musulmans ?

 24   R.  Oui.

 25   Q.  Il vous disait régulièrement bonjour, salut à vous, un Musulman ?

 26   R.  Oui.

 27   Q.  Quand vous avez dû quitter votre maison au printemps 1992, comment vous

 28   sentiez-vous ?


Page 363

  1   R.  Je ne peux que vous poser la question. Comment vous sentirez-vous si

  2   vous étiez à ma place, si vous deviez quitter votre maison ?

  3   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ecoutez, Monsieur le Témoin, dans un

  4   prétoire ce n'est pas à vous de poser les questions. Vous êtes ici pour y

  5   répondre. Si la question n'est pas appropriée, évidemment je ne la

  6   permettrais pas.

  7   Veuillez poursuivre, Maître Alarid.

  8   M. ALARID : [interprétation]

  9   Q.  Vous deviez vous sentir complètement impuissant.

 10   R.  Je n'ai pas entendu la traduction de la question. Oui. Oui.

 11   Q.  Vous deviez être en colère ?

 12   R.  Oui, en colère, misérable. Comment vous expliquez si vous devez quitter

 13   votre maison, comment on peut se sentir ?

 14   Q.  Cela a peut-être réveillé en vous l'envie de vous battre ?

 15   R.  Oui. Si j'avais eu l'occasion, peut-être que je me serais battu, oui.

 16   Q.  Vous êtes parti juste avant l'arrivée des forces d'Uzice à Visegrad,

 17   n'est-ce pas ?

 18   R.  Oui. Ce soir-là j'ai quitté Visegrad et le lendemain matin, le Corps

 19   d'Uzice est arrivé en ville.

 20   Q.  Cela s'est passé en mars, avril 1992 ?

 21   R.  Oui.

 22   Q.  Avant ce moment-là, est-ce qu'il serait juste de dire que la Communauté

 23   musulmane était une communauté très soudée, même si on ressentait les

 24   persécutions ?

 25   R.  Oui.

 26   Q.  C'est de bouche à oreille que ces rumeurs parvenaient jusqu'à la

 27   communauté ?

 28   R.  Oui.


Page 364

  1   Q.  Entre le dernier moment où vous avez vu Milan Lukic et le moment où

  2   vous avez quitté pour la première fois Visegrad, vous n'avez jamais entendu

  3   mentionner le nom de Milan Lukic dans un contexte négatif, n'est-ce pas ?

  4   R.  A l'époque où la JNA était toujours présente, je n'ai jamais entendu

  5   mentionner son nom, si ce n'est dans le cas de Behija Zukic, cas dont j'ai

  6   parlé plus tôt.

  7   Q.  Depuis combien de temps connaissiez-vous Mme Zukic ?

  8   R.  Mme Zukic avait un commerce qui se trouvait non loin du centre

  9   culturel. Lorsque je fréquentais l'école primaire Vuk Karadzic dans la rue

 10   Pionirska, je passais à côté de ce magasin deux fois par jour. J'y allais

 11   pour acheter des biscuits ou ce dont j'avais besoin.

 12   Q.  Vous connaissiez cette dame depuis votre plus jeune âge, n'est-ce pas ?

 13   R.  Oui.

 14   Q.  Elle avait été gentille avec vous ?

 15   R.  Je n'ai pas la question. Je n'ai pas entendu.

 16   Si. Oui.

 17   Q.  Lorsque vous étiez dans son magasin, vous vous sentiez spécial. Elle se

 18   comportait bien avec vous ?

 19   R.  Oui, c'était une dame très gentille et charmante.

 20   Q.  Une fois encore, vous avez ressenti beaucoup de colère quand on l'a

 21   retrouvée morte, assassinée ?

 22   R.  Bien sûr. N'importe qui aurait ressenti de la colère. Quand on

 23   assassine une dame aussi gentille, aussi charmante, on doit être un

 24   monstre.

 25   Q.  Mais vous n'avez pas vu dans quelles circonstances elle a été tuée.

 26   R.  Non.

 27   Q.  Vous en avez entendu parler simplement par le biais de collègues à vous

 28   ?


Page 365

  1   R.  Oui.

  2   Q.  Dans votre esprit, après avoir entendu ces récits, c'est Milan Lukic

  3   qui était responsable de sa mort, n'est-ce pas ?

  4   R.  Oui.

  5   Q.  Vous en étiez certain au plus profond de votre coeur ?

  6   R.  Oui.

  7   Q.  Si vous était donné la possibilité de venger sa mort, vous l'auriez

  8   fait ?

  9   R.  Non.

 10   Q.  Lorsqu'on rallie une armée, on le fait pour défendre ses compatriotes,

 11   n'est-ce pas ?

 12   R.  Oui. C'est le 11 juin 1992 que j'ai rejoint les rangs de l'armée.

 13   Q.  Si les soldats qui se trouvent dans l'autre camp tuent un ami à vous,

 14   ces soldats ne verront pas peut-être un autre jour se lever ?

 15   R.  Je ne comprends pas votre question.

 16   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Moi non plus. Veuillez poursuivre, à

 17   moins que vous ne puissiez préciser votre question.

 18   M. ALARID : [interprétation] 

 19   Q.  En temps de guerre, il y a des gens qui meurent tous les jours. C'est

 20   vrai, n'est-ce pas ?

 21   R.  Oui.

 22   Q.  Il est possible qu'un jour, un ami, un compagnon d'armes, meure à vos

 23   côtés, n'est-ce pas ?

 24   R.  Oui.

 25   Q.  Peut-être que ce jour-là vous n'êtes pas en mesure de tuer la personne

 26   qui a tué votre ami, mais le lendemain lorsque vous retournez à la guerre,

 27   peut-être que vous pourrez le faire, n'est-ce pas ?

 28   R.  Oui.


Page 366

  1   Q.  Même si cela se passe dans un contexte de guerre, est-ce qu'on ne peut

  2   pas considérer qu'il s'agit d'un acte de vengeance d'une certaine manière ?

  3   R.  Lorsque vous êtes attaqué par quelqu'un, vous êtes contraint à vous

  4   défendre. Qui va tuer qui en premier, cela dépend des compétences des uns

  5   et des autres.

  6   Q.  S'agissant de Mme Zukic, je vais revenir un petit peu en arrière dans

  7   le temps, avant sa mort. N'est-il pas vrai de dire que les forces du Corps

  8   d'Uzice commettaient des atrocités, d'après votre opinion ?

  9   R.  Je n'ai pas dit cela.

 10   Q.  Vous êtes parti au moment où ces forces sont entrées dans Visegrad,

 11   n'est-ce pas ?

 12   R.  En effet, mais voyez-vous c'était pour des raisons de sécurité. Je ne

 13   savais pas ce qui allait se produire après l'arrivée du Corps d'Uzice. Je

 14   ne savais pas si on allait m'emmener, me tuer, être détenu, m'interroger.

 15   J'ai quitté mon domicile pour des raisons de sécurité.

 16   Q.  Lorsque vous vous êtes parti, personne n'a touché à votre maison,

 17   n'est-ce pas ?

 18   R.  Lorsque je suis parti, j'ai quitté mon domicile en état, mais à mon

 19   retour la maison n'était pas dans le même état. Il y avait eu un

 20   cambriolage et la maison avait été saccagée.

 21   Q.  N'est-il pas vrai de dire que la plupart des maisons appartenant à des

 22   Musulmans avaient été saccagées, cambriolées ou que l'on y était entré par

 23   effraction ?

 24   R.  Effectivement.

 25   Q.  Il était habituel que l'armée se trouvait en ville au moment où ces

 26   actes de vandalisme étaient commis, n'est-ce pas ?

 27   R.  Sans doute.

 28   Q.  N'est-il pas vrai de dire qu'en temps de guerre, en général la police


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  1   relève de la compétence de l'armée ?

  2   R.  Je ne sais pas.

  3   Q.  N'est-il pas vrai de dire qu'aux postes de contrôle vous avez vu des

  4   membres de l'armée et des Serbes du cru qui étaient en faction ?

  5   R.  Oui.

  6   Q.  L'armée semblait exercer un certain contrôle sur les Serbes du cru,

  7   n'est-ce pas ?

  8   R.  Je n'ai pas entendu l'interprétation.

  9   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Veuillez répéter ce que vous avez

 10   dit.

 11   M. ALARID : [interprétation]

 12   Q.  N'est-il pas vrai de dire que l'armée semblait exercer un contrôle sur

 13   les Serbes de la région qui étaient en faction aux postes de contrôle ?

 14   R.  Non. Ils n'exerçaient pas un contrôle sur les Serbes mais sur les

 15   Musulmans.

 16   Q.  Je pense que vous avez mal compris ma question. Je vais vous la

 17   reposer. N'est-il pas vrai de dire que les postes de contrôle, en réalité,

 18   étaient tenus par des militaires et des Serbes de la région ?

 19   R.  En effet, ces postes étaient tenus par des soldats et des Serbes de la

 20   région.

 21   Q.  Ces Serbes de la région étaient vêtus d'uniformes de l'armée également,

 22   n'est-ce pas ?

 23   R.  Oui.

 24   Q.  Certains d'entre eux arboraient des uniformes de la police ?

 25   R.  Effectivement.

 26   Q.  Mais vous saviez que c'étaient des gens de la région parce que vous les

 27   reconnaissiez, n'est-ce pas ?

 28   R.  Oui.


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  1   Q.  Visegrad, c'est une communauté assez petite, n'est-ce pas ?

  2   R.  Oui.

  3   Q.  Avant que vous ne décidiez de partir, cela faisait déjà un certain

  4   temps que ces postes de contrôle avaient été installés, n'est-ce pas ?

  5   R.  Lorsque je suis parti, si vous pensez au moment où j'ai quitté mon

  6   domicile, il n'y avait pas de postes de contrôle à ce moment-là, mais

  7   lorsque je suis rentré chez moi, ces postes de contrôle avaient été

  8   installés.

  9   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Il s'agira de votre dernière

 10   question aujourd'hui.

 11   M. ALARID : [interprétation]

 12   Q.  Il vous fallait passer plusieurs postes de contrôle avant d'arriver

 13   chez vous, n'est-ce pas ?

 14   R.  Oui.

 15   Q.  Parmi les Serbes de la région qui se trouvaient là, vous n'avez jamais

 16   remarqué la présence de Milan Lukic ?

 17   R.  Non.

 18   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous allons en rester là.

 19   M. ALARID : [interprétation] Très bien.

 20   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous allons lever l'audience et nous

 21   reprendrons nos travaux demain à 9 heures du matin.

 22   --- L'audience est levée à 19 heures 00 et reprendra le vendredi 11 juillet

 23   2008, à 9 heures 00.

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