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1 Le mercredi 12 novembre 2008
2 [Audience publique]
3 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]
4 --- L'audience est ouverte à 15 heures 48.
5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Cet après-midi, nous allons entendre
6 les arguments relatifs à l'article 98 bis des parties. Nous allons
7 commencer par la Défense de Milan Lukic, Me Alarid.
8 M. ALARID : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
9 Je dois avouer que je suis un petit peu perdu parce que je ne sais pas
10 comment traiter de l'article 98 bis. J'ai lu les décisions et les règles
11 concernant cet article. Il me semble que c'est quasiment insurmontable
12 comme article, et je note votre décision, Monsieur le Président, dans
13 l'affaire Dragomir Milosevic. Vous parlez des évolutions de l'article,
14 lorsque celui-ci a été changé en 2004. Et également la question qui se pose
15 quand on voit que l'équipe de Sredoje Lukic a décidé de ne pas faire des
16 arguments en vertu de cet article, il semblerait que la norme a tellement
17 évolué, à condition que l'Accusation présente certains éléments de preuve,
18 il n'y a pas lieu d'essayer d'arguer en faveur de l'article 98 bis.
19 J'étais partagé. J'aurais voulu faire une sorte de dissertation, et je ne
20 suis prêt à ça pour aujourd'hui, pour montrer les incohérences entre
21 certains témoins, dans le cadre de la réfutation de la Défense d'alibi et
22 d'autres propos. Mais quand je regarde les décisions, ce ne serait pas
23 approprié, parce qu'à ce stade, d'après l'article 98 bis, "à la fin de la
24 présentation des moyens à charge, la Chambre de première instance doit
25 prendre une décision après avoir entendu les arguments oraux des parties et
26 prononcer un acquittement de tout chef d'accusation pour lequel il n'y a
27 pas d'éléments de preuve susceptibles de justifier une condamnation."
28 Qu'est-ce que cela veut dire ? Je demanderais à ce qu'on fasse une ligne
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1 bien délimitée dans cette affaire, parce que cette affaire est différente
2 par rapport aux autres. Il s'agit d'une affaire où il semblerait que
3 l'article, tel qu'il est écrit actuellement, met la charge de la preuve sur
4 l'accusé. Cela ressemble à quelque chose qui s'appelle dans ma juridiction
5 "a directed verdict motion."
6 Dans votre cas, techniquement dans une situation hypothétique, nous
7 ne pourrions présenter aucun moyen de défense. Ça sera toujours à la charge
8 de l'Accusation d'avoir à prouver chaque élément de chaque crime au-delà de
9 tout doute raisonnable. Si nous ne faisons pas de défense, vous auriez raté
10 une opportunité d'utiliser l'article 98 bis. Il y a un problème. Parce que
11 d'une part, l'Accusation va montrer tous ses atouts et force la Défense à
12 montrer tous ses atouts, avec les limites sur la Chambre quant à la
13 décision prise sur certains éléments plutôt que l'intégralité de celle-ci.
14 Si on regarde le chef d'accusation numéro 1, l'étendue de la conduite. Pour
15 les besoins de l'article 98 bis, d'un point de vue factuel, nous pensons
16 que le premier chef, de toute façon, pourrait persister.
17 Mais si on regarde la rivière Drina, Bikavac ou autres, on voit qu'il
18 y a cinq chefs par crime allégué, et tel qu'écrit l'article 98 bis, empêche
19 le Tribunal de regarder à chacun dans le détail. Chacun de ces chefs est
20 décidé séparément de la charge de la preuve.
21 Donc nous sommes dans une situation un peu difficile, car il semblerait que
22 la charge de la preuve passe à la défense à un moment qui n'est pas
23 opportun. Vous êtes ceux qui recherchent les faits et qui doivent donc
24 reprendre cette charge à leur charge. Il vous faut le temps pour analyser
25 le cas. Tel que je comprends ce concept d'entreprise criminelle commune et
26 responsabilité pour le commandement, il se peut qu'il n'y ait pas un lien
27 direct avec les actes de l'accusé.
28 Par conséquent, je pense que cet article n'est pas approprié à la situation
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1 d'aujourd'hui, et nous aurions dû plutôt voir quels étaient les problèmes
2 de la crédibilité des témoins et voir si l'affaire tient debout
3 actuellement. Monsieur le Président, si on regarde cet article, l'absence
4 de technicalités -- ou en tout cas, étant donné que certains éléments
5 manquent, l'Accusation, du point de vue factuel, a fait son travail, est
6 allée outre les exigences de 98 bis.
7 Mais nous devons regarder les faits et voir si l'article 98 bis est
8 approprié du fait que l'Accusation n'ait pas bien montré qu'il s'agissait
9 là d'une guerre.
10 Je ne dis pas qu'il n'y a jamais eu de guerre, mais est-ce qu'il y a
11 vraiment guerre au mois de juin 1992 ? Il y a un certain nombre de faits
12 qui se proposent à nous. Il y a eu des combats, il y a eu des échauffourées
13 avec des gens sur un barrage au début du mois d'avril. D'accord. Il y avait
14 le Corps d'Uzice, et ça a donné lieu à des choses désagréables, mais
15 ensuite ils sont partis.
16 Moi, je suis ici pour essayer de voir quelles sont les
17 interrelations. Bien sûr que Milan Lukic était un officier de police
18 réserviste, et était là présent dans cette situation; mais l'Accusation
19 évite complètement d'étudier cette situation.
20 D'ailleurs récemment, l'Accusation semblerait nier ce fait. Ils
21 veulent séparer Milan Lukic de cette situation de pouvoir dans la région,
22 mais cela est défectueux. Si on sépare Milan Lukic du conflit, en fait on
23 le sépare de la juridiction du Tribunal des crimes de guerre. Milan Lukic
24 devient un délinquant, quelqu'un qui n'a pas de lien avec la structure de
25 pouvoir, ni sous les ordres de Dragomir Tomic, ni quelqu'un d'autre, mais
26 simplement un délinquant. Dans l'acte d'accusation, il est censé être un
27 dirigeant paramilitaire d'un groupe qui s'appelait les Aigles blancs, et
28 cependant l'Accusation, basé sur les moyens tels qu'elle les a présentés,
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1 elle ne peut pas contrôler ce que disent les témoins. Mais en réalité,
2 leurs témoins ont dit autres choses. Ils ont dit que le colonel Jovanovic
3 avait le contrôle des Aigles blancs. D'autres témoins et d'autres victimes
4 ont dit que ce sont les Aigles blancs qui étaient dans l'hôtel. D'autres
5 personnes ont dit que les Aigles blancs venaient de Serbie; personne n'a
6 véritablement établi cette relation entre Milan Lukic et ce groupement
7 qu'on appelle les "Aigles blancs." Aucune relation n'a été établie entre
8 les "Aigles blancs" et toute cette organisation plus large des choses. Les
9 allégations telles qu'on les voie ici sont simplement des crimes qu'on
10 pourrait appeler domestiques, et en dépit de la procédure 11 bis, ces
11 crimes-là devraient être jugés par un tribunal national. Il s'agirait
12 d'autres chefs d'accusation qui vont évidemment jusqu'au meurtre, bien sûr.
13 Mais dire que cela est du ressort d'un Tribunal de crimes de guerre,
14 personne n'a vraiment établi quand est-ce que la guerre a commencé. Si on
15 regarde les limites de ce Tribunal comme dans l'affaire de M. Masovic, ici
16 on a un problème encore plus grave, à la fois du point de vue factuel et
17 juridique. Je vous parle de mon cœur. Je vous dis ce que je crois, et même
18 si je me trompe il faut savoir que j'ai véritablement réfléchi. J'ai
19 souffert avec ceci. Je me demande pourquoi dans une région qui était
20 affectée par tant de tragédies et de crimes, avec autant de victimes, ce
21 qu'il y avait de pire dans toute cette zone, c'était simplement un officier
22 de police, un garçon de café, et maintenant un garçon de restaurant
23 inculpé.
24 Donc, on n'a pas suffisamment examiné la question de ces relations avec la
25 direction en ce qui concerne les moyens de l'Accusation. En fait, le
26 Tribunal des crimes de guerre est destiné à cela, c'est-à-dire mettre en
27 place un tribunal qui transcende la souveraineté, au-delà des tribunaux
28 nationaux, et qui a le pouvoir de faire venir des personnes de n'importe où
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1 dans le monde. C'est destiné aux architectes, Monsieur le Président, parce
2 que ce qu'ont fait les architectes qui a été si terrible, c'est qu'ils ont
3 changé les règles pour toute une population en manipulant les vieilles
4 haines, les vieux préjugés. Ils l'ont fait à travers des moyens de
5 propagande préparés à l'avance, en faisant des allégations atroces contre
6 un peuple. Ces allégations ont donné lieu à des actes de la part des
7 citoyens ordinaires qui n'avaient pas le degré de raffinement ou
8 d'éducation, ou les moyens introspectifs pour prendre des décisions
9 responsables, car cela aurait été une attitude dangereuse par elle-même.
10 En niant que M. Lukic était parti de ce système de puissance, cette
11 chaîne de commandement qui aurait pu arrêter des personnes, les faire
12 disparaître, les persécuter et les mettre dans des hôtels pour faire des
13 choses atroces, il aurait fallu qu'ils mettent en place les moyens
14 permettant de voir comment cet ancien garçon de café aurait pu le faire. Je
15 ne peux pas imaginer comment tout ce que nous avons entendu dans ces
16 derniers mois nous permettrait de dire cela. Pour ce qui est des témoins,
17 son petit groupe d'amis par lequel il était entouré était simplement des
18 liens de parenté et des relations de commun. Donc, ce n'est pas une
19 question de loyauté vis-à-vis d'une idéologie, d'un parti ou quoi que ce
20 soit. Tout au mieux, beaucoup des actions décrites sont des crimes
21 opportunistes et ces opportunités ont été créés par un système beaucoup
22 plus global provenant d'une structure de pouvoir que Milan Lukic ne pouvait
23 en aucun cas influencer, corriger, ni changer son cours. C'est important,
24 parce qu'avant que nous puissions débattre de la juridiction de cet endroit
25 du Tribunal des Nations Unies quant à ce qui est de sa compétence, il faut
26 commencer par présenter les moyens de preuve concernant le schéma plus
27 complet et global.
28 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous dites tout d'abord qu'il
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1 n'y a pas de moyens de preuve concernant l'existence d'une guerre, d'un
2 conflit armé, et que cela est un requis pour établir ces crimes ?
3 M. ALARID : [interprétation] Oui. J'ai du mal, parce que je sais que
4 les gens se battaient et mourraient, mais quand est-ce que cela est passé
5 de quelque chose de civils désorganisés qui a été déclenché par l'extérieur
6 ? Nous savons tous que les grandes forces derrière étaient en train de
7 manipuler une population largement ignorante, des personnes qui vivaient
8 une crise économique.
9 Est-ce qu'on peut parler des coutumes et des normes de la guerre ? Je pense
10 qu'on pourrait mettre en place un modèle de qui pourrait prévoir une telle
11 tragédie. Ce serait un modèle quasi mathématique, car je pense qu'à chaque
12 fois qu'un Etat nation on lui a permis de descendre dans un degré de
13 pauvreté tel, nous avons entendu parler de 50 milliards de dinars pour une
14 vie. Pour moi, 7 000 dinars, c'était un cent. Donc qu'est-ce que ça veut
15 dire en termes de dollars ? Donc, on a permis à la tragédie de s'infiltrer.
16 C'est toujours le cas dans les régions les plus pauvres de notre planète.
17 Par exemple, Hitler est arrivé au pouvoir au moment où l'Allemagne
18 connaissait une très grande crise à la suite de la Première Guerre
19 mondiale.
20 Quelle est la relation entre le conflit bosniaque et le conflit du Rwanda
21 ou le conflit au Sudan ? C'est le fait que la communauté internationale
22 permet à un certain nombre de personnes de devenir tellement désespérées
23 que n'importe quel déclencheur peut causer la dévolution de notre
24 civilisation pour un temps.
25 Je voudrais dire autre chose. L'Accusation n'a pas pu présenter des moyens
26 de preuve en ce qui concerne les actes de mon client. Ces actes, je me
27 réfère à l'acte d'accusation, les persécutions des Musulmans de Bosnie et
28 d'autres civils non-serbes pour des raisons politiques, raciales ou
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1 religieuses. Nous avons peut-être une meilleure compréhension des
2 motivations sous-jacentes, mais nous n'avons pas réussi à rentrer dans les
3 motivations de ce garçon de café, de cet officier de police.
4 Des moyens ont été présentés selon lesquels Milan Lukic avait beaucoup
5 d'amis Musulmans. Il y a eu également des moyens qui montrent qu'il n'avait
6 jamais été problématique en ce qui concerne les Musulmans lorsqu'il était à
7 l'école, qu'il n'a jamais eu ce discours-là. Ce que nous avons, c'est que
8 Milan Lukic vient de Rujiste. Et Rujiste c'est au bout de la rue juste à
9 côté de Slap, et vous avez entendu parler de Slap, c'est là où la rivière
10 reconnaît une boucle et où il y a eu les cadavres, je ne sais plus qui, je
11 crois que c'est un témoin protégé. Ils ont été ensevelis là-bas, c'étaient
12 les "lignes de front".
13 Qu'est-ce que Milan Lukic a fait, quels sont les moyens qui ont été
14 présentés au Tribunal, Milan Lukic était en Suisse, il n'habitait même pas
15 là, et qu'il est revenu dans cette région après qu'un conflit, on ne sais
16 pas lequel, ait commencé.
17 Mais il n'y a pas de moyens qui prouvent autre chose que le fait qu'il
18 revient chez lui à un moment où n'importe qui serait en danger dans la
19 région, surtout des gens qui vivent près de la "ligne de front".
20 Il se peut que Milan Lukic, comme beaucoup de jeunes gens dans cette zone,
21 au départ, ont été mobilisés de force. Vous participez ou sinon vous êtes
22 un étranger. Il y a eu des éléments qui démontrent cela, et évidemment
23 quelque chose que je conteste, mais l'Accusation a dit que Milan Lukic a
24 tué des Serbes. Donc si un prérequis est que la persécution doit être basée
25 sur un fondement ou une raison religieuse, ethnique ou raciale,
26 l'Accusation, à mon avis, n'a présenté absolument aucun élément de preuve
27 dans ce sens.
28 Je crois que l'un des problèmes avec l'affaire --
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1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Comment pourrait-on trouver de tels
2 éléments de preuve ? Ce ne serait pas en faisant des déductions à partir
3 d'autres éléments ?
4 M. ALARID : [interprétation] Moi, je regarde les nouvelles, et cetera. Mais
5 dans un cas comme le nôtre, cela demande à savoir quelles sont les
6 motivations de l'acteur, intentions transférées. Il faut que nous
7 regardions dans l'esprit de Milan Lukic que nous le voulions ou pas.
8 Et si en outre on considère que Mitar Vasiljevic s'est cassé la jambe le
9 jour funeste de l'incendie de Pionirska, et mon opinion est tout à fait
10 différente en ce qui concerne Pionirska par rapport Bikavac, Pionirska, en
11 dépit de ce fait, je pense que le Tribunal doit considérer le fait que si
12 on prend comme hypothèse que Vasiljevic s'est fait mal à 17 heures, et n'a
13 pas pu participer ni aux événements de Bikavac ou Pionirska, on voit que le
14 nom de Mitar disparaît du deuxième acte amendé. Les témoins disent sans
15 aucun doute qu'il a néanmoins participé à la fois aux événements de
16 Pionirska et Bikavac, et entre-temps.
17 Cela présente un problème car l'une des choses, en dépit du fait que
18 le deuxième acte d'accusation ne contient plus son nom, selon l'article 92
19 ter, on a vu toutes ces déclarations contrastantes, et ce qui était très
20 clair, c'est que personne ne voulait laisser tomber Mitar, aucun des
21 témoins ne voulait laisser tomber Mitar. Alors cela est intéressant dans le
22 cas de Mitar Vasiljevic, la plupart de ces témoins, avant le procès, ont pu
23 l'identifier dans une parade, Mitar.
24 Peut-être qu'ils s'imaginaient que Mitar était à Bikavac le 27 juin et donc
25 le connaissaient suffisamment pour le reconnaître, mais sinon, autrement,
26 soit ils ont fait une erreur grossière ou soit ils ont menti concernant sa
27 présence. Donc s'ils ont pu grossièrement se tromper sur sa présence au
28 degré que leur déclaration les met dans main dans la main avec Milan, je
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1 les reconnais ensemble. Et ça c'est très important parce qu'on voit les
2 témoins qui ont du mal à exprimer leurs idées. C'est incompréhensible pour
3 moi, parce que dans les interrogatoires et contre-interrogatoires,
4 normalement, il est très facile de suivre étant donné les uniformes qu'on
5 nous donne, chaque témoin est facile.
6 Ils n'ont même pas besoin d'avoir vu une image d'eux, ni avoir vu les
7 nouvelles. Tout ce qu'ils doivent savoir ce sont les deux noms, et je pense
8 qu'ils les connaissaient puisqu'ils ont fait des déclarations, et ils
9 doivent savoir lequel des deux est le plus âgé. Si vous savez lequel des
10 deux est plus âgé, 100 % du temps le bon sens impose que leur
11 identification dans le prétoire va être exacte, et cela pose un problème.
12 C'était inimaginable pour moi que je voie que la réponse à la défense
13 d'alibi pour un crime est un nouveau crime, un crime grave, pas simplement
14 j'ai trouvé qu'il volait quelque chose à l'étalage ce jour même. Non,
15 maintenant il m'a violé, il a tué mon ami. Une des victimes a dit qu'il
16 avait des tatouages sur les bras, il y en a un qui a dit qu'il était blond
17 et avait les yeux bleus. Donc il a un véritable problème d'identification
18 pour ce qui est de Pionirska. Il me semble que le Tribunal doit être ouvert
19 à une hypothèse, à savoir que je pourrais être là en train de vous voler
20 dans l'après-midi, mais que cela ne veut pas dire que je fais partie du
21 groupe qui va vous tuer à minuit.
22 Réfléchissez à cela. Parce que si vous réfléchissez à la rue
23 Pionirska en tant que telle, on voit qu'il y a deux fils qui survivent
24 ainsi que d'autres personnes, des jeunes filles, les sœurs ainsi que les
25 hommes âgés. Voilà quels sont les survivants. Ce qui est intéressant
26 s'agissant des mères, c'est qu'elles ont vu Mitar présent et à la fin de
27 l'après-midi, quand la nuit arrive, il n'y a plus de lumière et on ne voit
28 plus bien donc on ne sait pas qui peut voir quoi, et on sait que Mitar
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1 n'était pas là parce qu'il est en route pour l'hôpital à bord de
2 l'ambulance. D'accord, alors qu'est-ce qui se passe à ce moment-là ? Les
3 femmes plus âgées comptent les trois ou quatre personnes, et je pense que
4 ceci est un argument très important car, premièrement, elles font erreur
5 puisque Mitar n'est pas présent, et deuxièmement, qu'est-ce que leurs fils
6 disent avoir vu ? Qu'est-ce que les jeunes filles disent avoir vu ? Les
7 fils disent avoir vu une colonne de soldats qui descend la rue Pionirska,
8 avec plusieurs soldats. Les jeunes filles disent avoir vu un poste de
9 contrôle au bout de la rue, une barricade.
10 Nous ne pouvons pas éliminer la possibilité qu'il y ait eu plus de
11 personnes impliquées et que ces personnes n'étaient absolument pas
12 commandées ou dirigées par Milan Lukic et qu'en réalité, c'était toute une
13 structure de pouvoir qui concernait ces personnes. La seule exception que
14 j'accepte s'agissant de la rue Pionirska, c'est la théorie selon laquelle
15 il n'y aurait pas eu d'incendie au sens traditionnel du terme. Pourquoi ?
16 Parce que l'image montrée par l'Accusation ne présente pas le moindre signe
17 de carbonisation comme on pourrait s'y attendre. Regardez les planches qui
18 constituent le sol dans cette photographie, elles sont brûlées. Il y a un
19 petit indice d'incendie au milieu, comme si les jeunes filles avaient bu
20 une bière en se concentrant sur une partie du sol. Il y a très clairement
21 des signes de tirs par armes à feu et des impacts des ces armes à feu sur
22 les murs. Les environs de la rue Pionirska ont entendu des hurlements, ont
23 entendu des tirs pendant 30 minutes à une heure, mais ceci n'est pas la
24 preuve que des personnes ont été brûlées vives parce que l'incendie aurait
25 pu les tuer. Parce qu'ils étaient déclarés, les éléments de preuve
26 présentés par les survivants, voilà ce qu'ils sont, une attaque à la
27 grenade, des blessures dues à des éclats d'obus, la mère qui sort de la
28 pièce, et ensuite la grenade arrive. Qui est-ce qui a dit que ces soldats
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1 ne se sont pas simplement contentés d'attaquer à la grenade et au fusil,
2 sans faire la moindre tentative de brûler vifs des survivants ? C'est
3 l'impression que les survivants vous ont donnée et qui a abouti à la
4 conclusion de la réalité de l'incendie, mais pas nécessairement une
5 situation de fait, pas nécessairement une situation effective.
6 Mais je pense qu'il faut que nous restions ouverts à la possibilité
7 que le bureau du Procureur a totalement échoué et n'ait pas réussi à
8 prouver la présence de mon client à un moment aussi important dans la
9 période considérée, pas vis-à-vis de la défense d'alibi ou de quoi que ce
10 soit de ce genre, mais simplement parce que les éléments de preuve de
11 l'Accusation n'ont pas atteint le niveau requis. Même s'agissant de la
12 blessure de Mitar, l'Accusation n'a pas réussi, elle n'a pas réussi à
13 situer ses témoins à l'endroit nécessaire parce qu'il aurait fallu demander
14 aux témoins, est-ce que vous êtes sûr, est-ce que vous ne pensez pas avoir
15 pu faire erreur. Non. L'Accusation affirme la présence de Mitar avec une
16 certitude absolue. Puis il y a le problème qui se pose parce qu'on n'a pas
17 examiné tous les faits liés à cette affaire. Si la Défense ne présente pas
18 sa théorie aujourd'hui, l'Accusation, en tout cas, n'a rien prouvé au-delà
19 de tout doute raisonnable.
20 Donc des possibilités d'erreurs existent, et je dirais que compte
21 tenu des contraintes de temps et de tout le reste, nous n'avons obtenu au
22 mieux qu'une version résumée de ce qui, je crois, aurait pu être et aurait
23 dû être une présentation beaucoup plus détaillée des faits. Ces faits
24 auraient peut-être permis de couvrir l'ensemble des déclarations écrites
25 qui ont été versées au dossier. Mais moi, je me serais attendu à obtenir
26 davantage de détails. Le nombre de personnes concernées est insuffisant,
27 les détails sont insuffisants, Monsieur le Président, Madame, Monsieur les
28 Juges, étant donné que Mme Turjacanin est pratiquement la seule qui a été
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1 concernée par l'incendie.
2 Si vous vous penchez sur ses déclarations, si vous vous penchez les
3 procès-verbaux des audiences et les nouveaux interrogatoires, et si vous
4 prenez en compte sa déposition dans le prétoire, les souvenirs qu'elle a de
5 ce moment fatal où elle a été emmenée hors de son domicile et où elle est
6 censée s'être évadée d'une maison fermée, cela tout de même n'atteint pas
7 le niveau de détail nécessaire étant donné l'émotion intense qu'elle a pu
8 vivre, et elle ne donne pas de détails. Alors qu'on pourrait, dans un
9 prétoire, s'attendre à ce qu'elle fournisse des détails étant donné son
10 émotion.
11 Les points qui posent le plus problème en l'espèce sont des points
12 centraux. L'un d'entre eux concerne aussi bien les événements de la rue
13 Pionirska que les événements de Bikavac, documents insuffisants, éléments
14 de preuve insuffisants au sujet des personnes décédées. Bikavac a donné
15 lieu à l'établissement d'une liste de 16 noms associés à cet événement; la
16 rue Pionirska, 70 personnes. Si vous pensez que Mme Turjacanin, étant donné
17 que 70 personnes étaient dans sa maison et que des analyses de laboratoire
18 ont été faites, or aucun reste humain n'a été découvert dans la maison.
19 C'est une maison qui est censée s'être écroulée. Un incendie est censé y
20 avoir eu lieu, avec des objets et des corps qui ont été carbonisés, toutes
21 sortes de brutalités sont censées s'y être produites, or il ne reste rien,
22 pas un seul reste humain. Nous avons vu les photos, on dirait simplement la
23 ruine d'un bâtiment dans lequel des gens auraient jeté des ordures. Mais il
24 n'y a pas de véritable élément de preuve, et fondamentalement, nous en
25 sommes conduits à supposer que les restes humains présents dans la maison
26 ont disparu. Nous pouvons imaginer le pire. Mais le problème, c'est que
27 l'Accusation n'a présenté aucun élément de preuve par rapport à ce fait.
28 Donc nous avons un seul témoin oculaire potentiel, victime, qui,
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1 Monsieur le Président, et je le crois, Mme Turjacanin a effectivement été
2 brutalisée. Mais je ne crois pas nécessairement qu'elle ait subi des
3 sévices liés à un incendie. Je crois qu'elle a été attaquée dans le
4 voisinage. La raison de cela, Monsieur le Président, c'est que des témoins
5 d'alibi se souviennent de toutes les femmes qui se trouvaient dans le
6 quartier de Bikavac et qui ont rencontré Zehra. Elle leur raconte son
7 histoire et ils la croient. Elle se souvient de tous les témoins qui
8 étayent son récit de Bikavac. Une couple de témoins affirment avoir vu des
9 crânes et des os qui sortaient et qui étaient visibles.
10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous dites que vous croyez qu'elle a
11 été attaquée par qui ?
12 M. ALARID : [interprétation] Je crois que des voleurs l'ont attaquée ou
13 qu'elle a subi un viol. La raison de cela, Monsieur le Président, c'est que
14 les victimes de viol ne parlent pas de convois ou de quoi que ce soit de ce
15 genre. Ces femmes ont été emmenées dans le cadre d'un convoi, et on les a
16 ramenées après un certain laps de temps. Elles l'ont décrit. Je trouve
17 difficile à croire que dans un tel environnement, le propre frère de Mme
18 Turjacanin a pu être aligné le long du mur dans sa propre maison sous les
19 yeux de tous. C'est une situation où un certain nombre de femmes ont été
20 emmenées, puis on les a fait revenir pour que leurs mères ne posent pas de
21 question, mais tout le monde savait que quelque chose d'horrible leur était
22 arrivé. Je trouve difficile à croire que Zehra aurait pu passer deux
23 semaines dans un tel quartier en ayant été victime des transports aller-
24 retour des femmes, qu'elle ait pu voir tout ce qui s'est passé et qu'elle
25 en parle sans exprimer le moindre signe de traumatisme ou quoi que ce soit
26 de ce genre.
27 Je me pose la question, Monsieur le Président, est-ce que les témoins
28 de l'Accusation auraient pu imaginer des lésions, des blessures, compte
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1 tenu de la description qu'elle a faite de l'incendie ? Elle s'est brûlée
2 elle-même en s'appuyant sur une porte qui était trop chaude. Ceci
3 n'explique pas les brûlures sur le dos et sur les bras. Ceci ne peut
4 s'expliquer que par le fait qu'elle aurait été au centre d'un incendie.
5 J'affirme que sa première description des blessures qu'elle a subies,
6 faite devant des médecins et des Serbes, en disant qu'elle a pris feu par
7 hasard, correspond davantage à la réalité des choses.
8 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais elle a donné une explication
9 pour ce fait.
10 M. ALARID : [interprétation] Oui, elle l'a fait, et c'était prévisible.
11 C'est ce que je pensais qu'elle ferait, Monsieur le Président. Vous savez
12 qu'elle souhaite qu'on aille dans son sens, mais en même temps, je pense
13 qu'il faut se pencher sur sa déclaration écrite, parce que c'est quelqu'un
14 qui a présenté un élément de preuve écrit et qui tout d'un coup raconte
15 n'importe quoi. Je ne sais pas si le système établi par Mme Turjacanin elle
16 y croit elle-même. Je pense que c'est un système dangereux, je pense qu'il
17 est dangereux que personne ne se soit occupé d'elle à l'époque des faits et
18 ne lui ait fourni une aide psychologique. Elle affirme avoir rencontré un
19 psychologue pendant à peine 30 minutes, et c'est une femme qui parlait une
20 autre langue qu'elle et qui lui a été présentée simplement parce qu'elle
21 avait vécu un traumatisme dans la région.
22 Je ne voudrais pas rentrer dans le détail de tout cela, mais je pense
23 qu'il existe raisonnablement une possibilité qu'elle ait été blessée,
24 qu'elle ait été traumatisée, qu'elle ait donc été une victime, mais que les
25 événements de Bikavac ne se soient pas passés exactement comme elle le dit.
26 La façon la plus logique, je crois, Monsieur le Président, c'est de prendre
27 en compte le fait que son propre frère, dans sa déclaration écrite, dit ne
28 jamais avoir vu Milan Lukic en sa compagnie.
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1 Cela vous en dit beaucoup. Pas mal de témoins dans leurs identifications
2 ont affirmé l'avoir vu à bord de l'autobus, l'avoir vu se rendre à l'école
3 en sa compagnie, mais que Milan était le plus vieux des deux, et il doit
4 donc être le plus vieux. Nous savons tous, cela fait partie des faits
5 acceptés sur le plan juridique, quelle est sa date de naissance, et pas mal
6 de gens l'ont rencontré dans ce prétoire et ont dit qu'ils le
7 connaissaient. Mais lorsqu'on leur a demandé des détails avec insistance
8 quant au pourquoi ou comment et au quand, ces personnes ont dit que
9 finalement elles ne sauraient dire à quel moment elles ont fait sa
10 connaissance, ni pourquoi ni dans quelles conditions elles le connaissait.
11 Donc, ces personnes n'ont pas réussi à expliquer pourquoi et comment elles
12 le connaissaient. Quand on leur a présenté les différences d'âge, et c'est
13 tout à fait normal, elles ont divergé dans leurs témoignages. Quand on leur
14 a dit qu'ils venaient de Rujiste, les témoins n'ont cessé de se répéter en
15 racontant des histoires qui n'avaient plus le moindre sens.
16 J'affirme que les meurtres de sept hommes dans l'usine de Varda, du point
17 de vue des témoins, ne présentent pas les éléments requis pour une
18 identification réussie. Pourquoi est-ce que je dis cela, Monsieur le
19 Président, je le dis parce que l'Accusation s'appuie trop lourdement sur
20 des allégations qui parlent de cette voiture Passat. Je pense que la
21 voiture est présentée comme un élément trop important dans les éléments de
22 preuve. On parle de trois hommes. On ne parle pas du fait que la Passat
23 était un élément de preuve central s'agissant de la ville où elle
24 circulait. Bien sûr que la Passat était connue. Je ne le nie pas, mais il y
25 a de très nombreuses personnes qui sont venues parler de Musulmans à qui on
26 avait volé une voiture. Ça arrivait à toute sorte de Musulmans. Cela ne
27 suffit pas pour être un élément de preuve ici.
28 Les biens appartenant aux Musulmans ont été repris par le SDS
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1 l'Accusation s'appuie trop sur la distance séparant les personnes des unes
2 des autres, donc permettant ou non d'identifier quelqu'un qu'on ne connaît
3 pas extrêmement bien, ou sur la nécessité éventuelle de se servir d'une
4 loupe ou de lunettes pour reconnaître quelqu'un.
5 Même si on prend l'incident de la Drina, Monsieur le Président, le
6 Témoin VG-79, qui s'est servi de jumelles de l'autre côté sur la rive
7 opposée, il aurait pu identifier les victimes par leurs noms parce qu'il
8 les connaissait. Même dans ce cas bien défini, il dit avoir vu trois hommes
9 uniquement, tous vêtus de noir et présentant le dessin d'un crâne sur le
10 front, mais ne dit pas qu'ils étaient à bord d'une Passat. Je pense que cet
11 élément est donc indiscutable à ce stade.
12 Je serais d'accord pour penser que l'incident de la Drina a fait
13 l'objet d'un témoignage très détaillé de Milan Lukic dans une autre
14 affaire. Il est donc difficile de s'opposer à la requête au titre de
15 l'article 98 bis dans ces conditions, et d'établir un lien entre lui et ces
16 événements. Des problèmes se posent parce que les hommes qui ont été
17 victimes estiment que le visage de Milan Lukic portait des peintures de
18 guerre, et un témoin se souvient très bien d'un trou de grande taille à
19 côté de sa bouche.
20 Donc, on voit quels sont les aspects dans lesquels l'Accusation a
21 échoué à convaincre, et étant donné les compétences octroyées à ce
22 Tribunal, on voit bien qu'il est inévitable d'appliquer l'article 98 bis du
23 Règlement. J'affirmerais pour ma part que certains aspects de l'affaire ont
24 donné lieu à un échec complet.
25 L'assassinat de Koric, un témoin unique, est-ce que cela passera ? Je
26 pense que l'identification est toujours un problème s'agissant de ce témoin
27 unique qui a évoqué l'incident, une seule déclaration qui contredit et qui
28 n'a pas été admise au dossier. Donc, je ne pense pas que ce soit pertinent
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1 aujourd'hui, mais je pense que les éléments sont très peu convaincants
2 compte tenu de la nature de l'identification et du nombre limité de témoins
3 qui ont procédé à cette identification.
4 Comme je l'ai dit, Monsieur le Président, je crois que les événements de la
5 rue Pionirska, en tant que tels, ne peuvent pas justifier d'accepter les
6 passages à tabac du camp d'Uzmanica, et du point de vue de l'application de
7 l'article 98 bis, nous aurions éventuellement concédé que c'est un élément
8 acceptable, mais il est intéressant de voir combien durant les contre-
9 interrogatoires -- combien de témoins sont revenus sur ce qu'ils avaient
10 dit en affirmant n'avoir vu Milan Lukic que trois ou quatre fois, et
11 pourtant à la fin de leurs dépositions cela devenait pratiquement tous les
12 jours. Alors, je pense que condamner M. Lukic sur de telles bases est
13 insuffisant. Je dirais qu'étant donné les échecs de l'Accusation,
14 l'application de l'article 98 bis s'impose, en tout cas pour la rue
15 Pionirska, et je pense que s'agissant de l'incendie et des accusations de
16 meurtre, étant donné les faits admis dans l'affaire Mitar Vasiljevic et
17 l'identification qui pose problème dans le prétoire, et étant donné les
18 déclarations écrites des témoins, de nombreux problèmes restent en suspens.
19 Je demanderais donc que l'on abandonne les charges relatives à
20 Bikavac complètement, et que s'agissant d'Uzmanica et de la Drina, ainsi
21 que des accusations de persécution, on s'en tienne à un respect strict du
22 Règlement.
23 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Pouvez-vous identifier les chefs
24 précisément pour lesquels vous demandez abandon des poursuites ?
25 M. ALARID : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.
26 Chef numéro 1, persécution. Chefs 2, 3, 4 et 5 relatifs à la Drina -- même
27 si je pense qu'il y a des problèmes, je pense que du point de vue de
28 l'application de l'article 98 bis, ces chefs peuvent survivre à une analyse
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1 normale. Les chefs 6 et 7, nous vous demandons de les abandonner compte
2 tenu des problèmes liés à l'usine Varda, et je dois dire que les problèmes
3 d'identification des co-accusés vont dans le sens d'une application de
4 l'article 98 bis, car je pense que de nombreux problèmes d'identification
5 se sont posés à M. Sredoje Lukic qui sont encore plus complexes et
6 difficiles que ceux que j'ai déjà évoqués. Des gens ont déclaré qu'ils le
7 connaissaient et qu'ils ne l'avaient pas vu sur les lieux. Je pense donc
8 que cela pose un problème global de crédibilité vis-à-vis des
9 identifications faites dans les conditions que j'ai décrites.
10 L'incident de la rue Pionirska, je vous demanderais de l'abandonner, étant
11 donné les faits admis dans l'affaire Mitar Vasiljevic et les
12 identifications réalisées. Ensuite, je vous demande d'abandonner les chefs
13 8, 9, 10 et 11, actes inhumains. Je crois que cela va plus loin que le
14 meurtre et traitement cruel. Je pense qu'on pourrait les alléguer à un
15 moment antérieur aux actes de la soirée. Mais pour Bikavac, à savoir les
16 chefs 13, 14, 15, 16 et 17, nous demandons leur abandon complet. Le meurtre
17 de Mme Koric, chefs 18, 19, nous en demandons l'abandon complet, et les
18 chefs 20 et 21, nous admettons qu'éventuellement ils ne satisfont pas aux
19 conditions de l'article 98 bis dans les conditions actuelles. L'intégralité
20 de l'acte d'accusation devrait être abandonnée, si la Chambre décide que
21 l'Accusation n'a pas satisfait à son devoir d'apporter une preuve de
22 l'existence d'un conflit armé qui faisait partie d'un plan généralisé et
23 systématique, ou qu'il y avait des préjugés raciaux et autres, et
24 religieux, chez les accusés. Je ne crois pas que l'Accusation ait satisfait
25 à son devoir d'apporter la preuve de tout cela, Monsieur le Président. M.
26 Lukic ne mérite pas d'être condamné à 20 ans dans de telles conditions.
27 Je vous remercie, Monsieur le Président.
28 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci.
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1 Monsieur Groome, c'est à vous.
2 M. GROOME : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président. La
3 norme d'application de la preuve pour qu'une décision soit rendue dans le
4 cadre de l'article 98 bis du Règlement précise que la Chambre doit faire
5 droit à la requête, ou plutôt qu'un juge raisonnable des faits est dans
6 l'incapacité de fonder une condamnation sur les éléments de preuve
7 présentés.
8 A l'inverse, il importe de rendre une réponse négative lorsque les
9 éléments de preuve présentés à la Chambre de première instance sont
10 insuffisants pour prononcer une condamnation. Ceci est d'une importance
11 tout à fait capitale, étant donné que dans les conditions actuelles la
12 Chambre de première instance peut condamner, et pas qu'elle va condamner.
13 La décision d'une Chambre à ce stade ne la lie pas par rapport au contenu
14 de son jugement.
15 S'agissant d'un jugement d'acquittement aux termes de l'article 98
16 bis du Règlement, les choses sont tout à fait définies. Dans l'affaire
17 Dragomir Milosevic, Monsieur le Président, Monsieur le Juge Robinson, vous
18 avez décrit les détails de l'application de cette norme comme suit, je cite
19 : "Ce qui est significatif, c'est que le critère s'appuie sur le fondement
20 que les éléments de preuve présentés par l'Accusation sont admis, et par
21 conséquent… à ce stade, la Chambre de première instance n'est pas encore
22 préoccupée par les contradictions ou incohérences des éléments de preuve
23 présentés par l'Accusation, ou de façon plus générale par des questions
24 liées à la crédibilité. Ces questions seront traitées par la Chambre de
25 première instance au moment où elle aura à se prononcer sur la culpabilité
26 des accusés, c'est-à-dire à la fin du procès."
27 Ce qui demeure peu clair à mes yeux toutefois, Monsieur le Président, c'est
28 l'effet que peut avoir le renoncement par Sredoje Lukic à son droit de
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1 présenter des écritures en application de l'article 98 bis. Il y a une
2 interprétation de l'article du Règlement que la Chambre est toujours tenue
3 d'évaluer étant donné que des éléments ont été présentés par rapport aux
4 deux accusés, la Chambre doit donc les examiner.J'ai donc l'intention de
5 résumer rapidement les éléments de preuve pertinents qui indiquent que
6 Sredoje Lukic est coupable de même que Milan Lukic à moins qu'on me donne
7 l'ordre d'agir autrement, que les Juges de la Chambre me donnent l'ordre
8 d'agir autrement.
9 Avant de commencer cette synthèse des éléments de preuve, j'aimerais
10 formuler un certain nombre de remarques préalables. La première porte sur
11 les références au compte rendu d'audience. J'ai l'intention d'éviter des
12 citations du compte rendu d'audience qui ne feraient qu'alourdir mon
13 propos. J'ai préparé mes observations dans des conditions telles que la
14 plupart du temps je renverrai les Juges de la Chambre à une référence
15 précise du compte rendu et lorsque la Chambre souhaitera avoir une
16 référence du compte rendu pour d'autres éléments évoqués par moi, je vous
17 prie de m'interrompre et de me le demander. J'aurai grand plaisir à
18 satisfaire de telles demandes.
19 Deuxième remarque préliminaire que je voudrais faire, elle concerne les
20 identifications dans le prétoire. Les parties ont présenté des écritures
21 très détaillées sur l'application du droit eu égard aux identifications
22 dans le prétoire. En préparant mon intervention, j'ai passé en revue avec
23 le plus grand soin les éléments de preuve, et je crois que l'Accusation
24 peut affirmer sans risque de se tromper qu'elle satisfait aux exigences de
25 l'article 98 bis en dehors de toute identification dans le prétoire. Compte
26 tenu de notre position et de la jurisprudence qui oblige la Chambre à se
27 lancer dans une analyse détaillée des témoignages démontrant que les
28 accusés étaient connus par les témoins avant les faits, et compte tenu des
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1 identifications faites dans le prétoire, il est peut être plus rapide
2 d'éviter d'évoquer ce point qui n'est pas indispensable pour le moment.
3 Par conséquent, je ne ferais pas référence aux identifications dans le
4 prétoire, car encore une fois, je crois que les critères requis dans
5 l'article 98 bis s'appliquent même en l'absence d'identification. Si les
6 Juges de la Chambre ne sont pas d'accord avec moi sur ce point s'agissant
7 de tel ou tel chef d'accusation et s'ils croient que l'Accusation ne peut
8 satisfaire au fardeau de la preuve qu'en évoquant les identifications dans
9 le prétoire dans le cadre de l'application de l'article 98 bis, alors, bien
10 sûr, je demanderais à la Chambre de me laisser la possibilité de traiter de
11 ce point particulier en établissant le lien avec chaque chef d'accusation
12 et chaque témoin particulier. Mais l'Accusation estime que pour chacun des
13 crimes évoqués à l'acte d'accusation, il y a au moins un témoin qui a
14 reconnu le ou les accusés comme l'exige la jurisprudence pertinente du
15 Tribunal, et que donc les identifications dans le prétoire peuvent être
16 utilisées par la Chambre.
17 Le premier crime cité à l'acte d'accusation a eu lieu sur les bords de la
18 Drina le 7 juin 1992. Les éléments de preuve présentés par l'Accusation
19 s'agissant de cet incident lié à la Drina se trouve aux chefs d'accusation
20 2 à 5 de l'acte d'accusation et vont au-delà de ce qu'exige l'article 98
21 bis. L'Accusation a présenté quatre témoins-clés pour cet incident.
22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Cepic.
23 M. CEPIC : [interprétation] Je vous prie de m'excuser d'interrompre, mais
24 je demanderais à M. Groome de parler un peu plus lentement car les
25 interprètes ont de grandes difficultés à interpréter en B/C/S.
26 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie. Monsieur Groome,
27 vous avez entendu.
28 M. GROOME : [interprétation] Les quatre témoins-clés de l'Accusation
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1 s'agissant de cet incident dépeignent une image des événements qui est très
2 claire et toujours très cohérente. La Chambre se souviendra que ces témoins
3 inclus deux survivants à l'exécution, un homme qui a observé l'exécution à
4 partir de la rive opposée de la Drina et un autre témoin dont la déposition
5 a été recueillie à huis clos.
6 Alors un récit émerge de ces dépositions de témoins, et ce récit est le
7 suivant : dans l'après-midi du 7 juin 1992, Milan Lukic et un groupe
8 d'autres soldats ont capturé VG-014 et VG-032 ainsi que cinq autres hommes
9 dans les maisons où ils résidaient dans le quartier de Bikavac à Visegrad.
10 Milan Lukic a contraint VG-014, VG-032 et les autres prisonniers à monter à
11 bord de deux voitures dont l'une était la Passat rouge qui appartenait
12 avant les événements à Behija Zukic. Les Juges ont entendu de très nombreux
13 détails au sujet de sa mort et du fait que Milan Lukic s'est servi par la
14 suite de sa voiture, ainsi que de son arrestation au mois d'octobre 1992 en
15 possession de cette voiture.
16 Milan et les autres soldats ont ensuite conduit les prisonniers
17 jusqu'à l'hôtel Vilina Vlas.
18 Après un séjour court dans l'hôtel, toutes ces personnes ont été
19 conduites jusqu'au carrefour que l'on connaît sous le nom de carrefour
20 Sase. Non loin de ce carrefour, les voitures ont été garées, les
21 prisonniers ont été contraints à sortir et à descendre la côte qui menait
22 jusqu'à la rive de la Drina. Ils ont été contraints de se mettre face à la
23 rivière, et les soldats qui se trouvaient derrière eux ont commencé à
24 tirer. Cinq personnes ont été tuées. VG-014, VG-032 n'ont pas été atteints
25 par les tirs et ont donc réussi à faire semblant d'être morts, mais ont
26 survécu.
27 Les éléments de preuve liés à l'identification de Milan Lukic comme étant
28 l'auteur de ce crime, sont les suivants : VG-014 est né la même année que
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1 Milan Lukic, est allé à la même école que lui pendant deux ans, et a dit
2 dans sa déposition avoir reconnu Milan instantanément lorsqu'il est entré
3 dans la maison de VG-014. VG-014 affirme n'avoir pas le moindre le doute au
4 sujet de cette identification.
5 VG-032, pour sa part, n'a vu Milan Lukic que la veille de l'incident
6 de la Drina. Il avait d'abord vu Milan Lukic dans un café où d'autres
7 personnes ont identifié Milan Lukic et VG-032. Ensuite, il a vu Milan Lukic
8 après le meurtre de Behija Zukic au moment où Milan Lukic arrivait au
9 centre de santé de Visegrad où travaillait VG-032 à bord de la Passat rouge
10 de Behija. VG-032 a eu une très bonne possibilité de voir Milan Lukic à ce
11 moment-là puisque Milan Lukic est sorti de la Passat rouge. Il l'a reconnu
12 comme étant la même personne que celle qu'il avait identifiée précédemment
13 dans le café.
14 VG-014 et VG-032 décrivent également de façon pratiquement identique
15 Milan Lukic le jour de l'incident de la Drina. Ils ont tous les deux
16 observé qu'il avait un pansement sur la partie interne de son coude. La
17 Chambre a également été saisie du registre de l'hôpital qui a été présenté
18 comme élément de preuve sous la cote P165, et dans ce registre il est
19 indiqué que le 7 juin il a été vacciné.
20 Je souhaiterais, Monsieur le Président, que nous passions je vous prie,
21 rapidement à huis clos partiel.
22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, tout à fait.
23 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Monsieur le Président, nous sommes
24 maintenant à huis clos partiel.
25 [Audience à huis clos partiel]
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13 [Audience publique]
14 M. GROOME : [interprétation] En résumant, les moyens de preuve apportés par
15 l'Accusation eu égard à l'incident de la Drina permettent tout à fait
16 d'étayer une condamnation pour ces chefs d'inculpation et dépassent ce qui
17 plus est, les conditions requises par l'article 98 bis.
18 Nous allons maintenant revenir sur les meurtres de l'usine Varda. Les chefs
19 6 et 7 de l'acte d'accusation indiquent que Milan Lukic est coupable de
20 meurtre, reconnu comme un crime contre l'humanité, et meurtre en tant que
21 violation des droits et coutumes de la guerre, et ce, pour le meurtre de
22 sept ouvriers de l'usine de meubles Varda sur les berges de la Drina.
23 L'acte d'accusation indique que ces meurtres se sont passés le 10
24 juin 1992 ou aux environs du 10 juin 1992.
25 L'Accusation a présenté des moyens de preuve présentés par trois
26 témoins eu égard à cet événement : VG-017, VG-042 et VG-024. Chacun de ces
27 témoins a vu ou a observé l'incident sous un angle différent et chacun
28 relate une partie de l'histoire.
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1 VG-042 a pu observer ces événements à partir de la terrasse de son
2 domicile qui se trouvait à une cinquantaine de mètres du portail de la
3 scierie et à une centaine de mètres de l'endroit où Milan Lukic a tué les
4 hommes près de la rivière. Elle a témoigné qu'à partir de cette distance,
5 elle a été à même de reconnaître les victimes ainsi que Milan Lukic.
6 VG-017 a regardé à partir de l'endroit où il s'était dissimulé, derrière
7 des fûts et dans un poulailler. VG-024 travaillait à l'intérieur de
8 l'usine, et c'est de là qu'elle a pu observer les événements à une distance
9 courte et a même eu la possibilité de parler à l'une des victimes.
10 Le matin de la journée en question, VG-017 et VG-042 ont vu la Passat rouge
11 arrivée près de la guérite du garde, et ce, près de la porte d'entrée de la
12 scierie de l'usine de meubles de Varda. VG-017 et VG-042 ont vu ces trois
13 personnes sortir de la voiture. Parmi ces personnes se trouvait Milan
14 Lukic.
15 Après que Milan Lukic est sorti de la voiture, il s'est dirigé vers
16 l'atelier et a ramené vers la guérite du garde un homme répondant au nom
17 Nedzad Bektas. Il est ensuite reparti vers l'usine et est revenu avec
18 d'autres ouvriers.
19 VG-024 a témoigné qu'à environ 11 heures 30 ce jour-là, un homme
20 dénommé Mirko Dukanovic lui a dit d'aller derrière l'usine parce qu'il
21 était bientôt midi. VG-024 s'est éclipsé brièvement de l'usine avec ses
22 collègues Naza et Hajra, mais est revenue après deux ou trois minutes parce
23 qu'elle ne se sentait pas à l'aise et voulait voir ce qui se passait.
24 Lorsqu'elle est revenue à l'usine, elle a vu Milan Lukic qui sortait du
25 département cire et encaustique de l'usine et qui amenait avec lui Hamed
26 Osmanagic, Nusret Aljusevic, Sabahudin Velagic, ainsi qu Lutvo Tabakovic.
27 En chemin, il a également récupéré Ibrisim Memisevic. Il n'a pas fait
28 sortir ces hommes par le portail principal; au lieu de cela, il les a
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1 conduits vers la scierie.
2 Lorsque Milan Lukic est sorti de la scierie avec les ouvriers, il est
3 à nouveau rentré dans le champ de vision des Témoins VG-017 et VG-042. VG-
4 017 a dit qu'il avait avec lui six ou sept ouvriers.
5 VG-042 a témoigné que Milan Lukic a ensuite contraint les prisonniers
6 à se diriger vers la Drina en un seul groupe, "comme des moutons". VG-017
7 indique que les hommes ont été conduits vers la rivière en deux groupes, le
8 premier groupe étant composé de trois personnes, et le deuxième groupe
9 étant composé de trois ou quatre personnes.
10 VG-042 a ensuite indiqué que lorsque les hommes sont arrivés près de la
11 berge de ladite rivière, Milan Lukic les a forcés à s'aligner l'un à côté
12 de l'autre et les a tués l'un après l'autre. Puis ensuite, il a tiré une
13 salve.
14 Après avoir tué ces hommes près de la rivière, Milan Lukic est revenu sur
15 ses pas. Il a vu VG-042 ainsi que les autres personnes qui l'observaient
16 depuis la terrasse et a tiré en leur direction. Puis il est rentré dans la
17 Passat rouge dans laquelle il était arrivé et est reparti vers la ville.
18 Je souhaiterais maintenant que nous passions à huis clos partiel.
19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, huis clos partiel.
20 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.
21 [Audience à huis clos partiel]
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13 [Audience publique]
14 M. GROOME : [interprétation] Outre le fait qu'elle connaissait très bien
15 Milan Lukic, le Témoin VG-024 a eu la possibilité de l'observer de très
16 près peu de temps avant les meurtres de l'usine de Varda. VG-024 a témoigné
17 que Milan Lukic était "une personne qui venait régulièrement" à l'usine,
18 l'usine qui employait de nombreuses personnes parmi la communauté
19 musulmane, et Milan Lukic venait tout simplement et déambulait à travers
20 l'usine de temps à autre.
21 VG-024 a également témoigné qu'à une reprise, quelques semaines avant
22 l'incident incriminé, Milan Lukic était parti avec plusieurs Musulmans.
23 En outre, elle a indiqué lors de sa déposition que Milan Lukic
24 s'était lui-même présenté comme "Milan" auprès d'un de ses collègues, et
25 qu'un autre de ses collègues l'avait appelé "Milan". Au vu de ces
26 circonstances, il n'y a absolument aucun doute raisonnable à propos de
27 l'aptitude du Témoin VG-024 à pouvoir procéder à une identification
28 positive de Milan Lukic le jour des meurtres de l'usine de Varda.
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1 Le Témoin VG-042 a également indiqué à partir de quels éléments elle
2 pouvait affirmer qu'elle reconnaissait Milan Lukic. VG-042 a témoigné
3 qu'elle connaissait Milan Lukic lorsqu'il était enfant. Tout comme le
4 Témoin VG-024, elle le connaissait à l'époque où il se rendait à l'école
5 primaire de Klasnik, puis à celle de Prelovo. Elle a ensuite pris
6 régulièrement un bus pour se rendre dans une coopérative; c'est exactement
7 le même bus que Milan Lukic prenait pour aller à l'école. VG-042 a témoigné
8 qu'elle a fait ce voyage à bord de ce bus de très nombreuses fois et
9 qu'elle a eu la possibilité de voir très souvent Milan Lukic pendant cette
10 période.
11 VG-042 a également témoigné que Milan Lukic était originaire de Rujiste et
12 que sa famille possédait des champs près de Rujiste. VG-042 connaissait
13 Kata, la mère de Milan Lukic, ainsi que son père, Mile. Les parents de
14 Milan Lukic avaient de bonnes relations avec les parents de VG-042. Ils se
15 saluaient et de temps à autre prenaient un café ou un verre de rakija
16 ensemble. Le Témoin VG-042 saluait également les parents de Milan Lukic.
17 Outre le fait qu'elle connaissait Milan Lukic, sa famille et le contexte de
18 son éducation, le Témoin VG-042 a eu la possibilité de voir Milan Lukic
19 immédiatement avant l'incident au cours duquel sept ouvriers de l'usine
20 Varda ont été tués près de la Drina. VG-042 a témoigné qu'un peu plus tôt
21 le même jour, Milan Lukic était venu à la scierie de Varda avec sa Passat
22 et l'avait garée près du portail. Milan Lukic est sorti de la Passat et
23 avait rassemblé trois ouvriers : Ramiz Karaman, Ahmed Kasapovic, ainsi que
24 le mari de VG-042. Il les a fait monter à bord de sa Passat et les a
25 conduits vers la ville. VG-042 a témoigné qu'alors qu'ils se dirigeaient
26 vers la ville, ils sont passés près de son domicile.
27 Par conséquent, VG-042 connaissait particulièrement bien Milan Lukic
28 et a eu la possibilité également de l'observer immédiatement avant le
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1 meurtre des sept hommes près de la Drina. Elle a donc indiqué de façon
2 positive et fiable qu'elle avait identifié Milan Lukic, ce qui a d'ailleurs
3 été également corroboré par les moyens de preuve avancés par VG-024.
4 Alors que le Témoin VG-017, quant à lui, ne connaissait pas autant
5 Milan Lukic et ne le connaissait pas comme le Témoin VG-024 et VG-042, il
6 l'a vu plusieurs fois avant les meurtres à l'usine de Varda, et avait de
7 bons éléments permettant de le reconnaître.
8 Le Témoin VG-017 a témoigné qu'il avait vu Milan Lukic deux ou trois
9 fois avant le jour où Milan Lukic est venu et a tué les sept ouvriers près
10 de la rivière.
11 Outre cette occasion, le Témoin VG-017 a également témoigné qu'il
12 avait vu Milan Lukic au début de la guerre, moment où Milan Lukic a
13 commencé à se déplacer dans le quartier du Témoin VG-017 lorsque les
14 meurtres ont commencé.
15 Le Témoin VG-017 a également témoigné que Milan Lukic avait
16 l'habitude de passer près de sa maison lorsqu'il a conduit cette voiture
17 jusqu'à l'usine Varda le jour des meurtres.
18 VG-017 a témoigné que le jour des meurtres, il a regardé le visage de
19 Milan Lukic. Lorsque la question lui a été posée pour savoir comment il
20 pouvait reconnaître Milan Lukic, il a répondu : "Comment est-ce que je ne
21 l'aurais pas reconnu ? Je le connaissais. Je connaissais cet homme."
22 Si nous prenons le cumul des moyens de preuve présentés par ces trois
23 témoins, il est absolument clair qu'un juge raisonnable du fait
24 condamnerait Milan Lukic pour les meurtres de l'usine Varda, meurtres qui
25 correspondent aux chefs d'inculpation 6 et 7 de l'acte d'accusation.
26 J'aimerais maintenant parler de l'incendie de la rue Pionirska. Il faut
27 savoir que Koritnik est une ville de la municipalité de Visegrad qui se
28 trouve à environ 7 kilomètres de la ville à proprement parler. Après
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1 plusieurs semaines de harcèlement continu et d'attaques menées contre le
2 village, le 13 juin 1992, un Serbe du cru a dit aux Musulmans résidents de
3 Koritnik qu'il fallait qu'ils partent le lendemain.
4 Le dimanche, 14 juin 1992, le groupe de Koritnik est parti. Il était
5 composé environ d'une cinquantaine de Musulmans de Bosnie, notamment des
6 hommes, des femmes, des enfants et un bébé de deux jours qui faisaient
7 partie du groupe. Tous les membres du groupe Koritnik étaient originaires
8 de la même famille, la famille Kurspahic. Aucun n'était armé et aucun ne
9 portait d'uniforme militaire.
10 Après une longue marche, le groupe de Koritnik est arrivé dans la ville de
11 Visegrad vers midi. Lorsqu'ils se sont trouvés là, des soldats serbes qui
12 se trouvaient devant le SUP ont commencé à vociférer à l'intention du
13 groupe de Koritnik, et leur ont dit qu'ils devraient aller à la Croix-
14 Rouge. La Croix-Rouge était fermée, ce qui fait que le groupe s'est déplacé
15 près de l'hôtel Novi ou Visegrad.
16 Mitar Vasiljevic est arrivé et a dirigé le groupe vers la localité de
17 Mahala où se trouvait justement la rue Pionirska. Nombreux parmi le groupe
18 de Koritnik connaissaient ce quartier parce qu'ils avaient de la famille
19 qui habitait là. Donc cette colonne d'une soixante dizaine de personnes
20 s'est rendue vers la rue Pionirska. La majorité du groupe de Koritnik a
21 commencé à entrer dans la maison qui appartenait à Jusuf Memic. Sept autres
22 sont entrés dans la maison du fils de Jusuf, Mujo Memic, et ensuite un plus
23 large groupe les a rejoints dans la maison de Jusuf Memic.
24 Mitar Vasiljevic est ensuite arrivé. Mitar Vasiljevic a commencé à parler
25 au groupe de Koritnik et leur a dit que des bus allaient les conduire à
26 Kladanj. Il a présenté une personne du groupe de Koritnik, il s'agissait de
27 Mujo Halilovic. Il lui a donné un bout de papier dans lequel il a indiqué
28 au groupe qu'il s'agissait d'un document qui garantissait leur sécurité.
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1 Puis Mitar Vasiljevic a dit au groupe de bien rester ensemble.
2 Finalement, une soixante dizaine de personnes ont commencé à entrer dans la
3 maison de Memic. Vers 16 ou 17 heures, quatre hommes sont arrivés. Environ
4 une demi-heure après le départ de Mitar Vasiljevic, les soldats ont
5 commencé à donner des coups de pied dans la porte pour l'ouvrir et Milan
6 Lukic, Sredoje Lukic, Milan Susnjar, et un autre homme armé sont entrés.
7 Aucun de ces hommes ne portaient quoi que ce soit pour dissimuler leurs
8 visages. L'un de ces hommes s'est présenté comme Milan Lukic.
9 Le Témoin VG-101 a immédiatement reconnu Milan Lukic parce qu'elle avait
10 été à l'école avec lui, et qu'elle l'avait vu tous les jours. Après la fin
11 de l'école secondaire, elle a continué à le voir de temps à autre à des
12 fêtes. Sa sœur, VG-078, connaissait également Milan Lukic depuis l'école.
13 Elles ont suivi les mêmes cours à la même école à Prelovo pendant sept ans.
14 VG-078 a identifié Milan Lukic lorsqu'il est entré. Elle se trouvait à
15 environ un mètre et demi de lui. Les hommes sont entrés comme un ouragan,
16 ensuite il y a eu toute une suite d'événements. VG-101 a reconnu Milan
17 Lukic dans un premier temps, a ensuite parlé à sa sœur VG-078. C'est à ce
18 moment-là que le Témoin VG-078 a été à même de placer un nom sur le visage
19 de son ancien camarade d'école.
20 Le Témoin VG-084 a corroboré l'identification de Milan Lukic, a témoigné
21 qu'un quart des personnes qui se trouvaient dans la pièce le connaissaient,
22 et "qu'il y avait des jeunes filles dans la maison qui allaient à l'école
23 avec lui et donc qui étaient ses camarades scolaires."
24 Si l'on examine rapidement la liste des victimes qui est présentée en
25 annexe à l'acte d'accusation, vous verrez qu'il y a un certain nombre de
26 victimes qui ont le même âge, ou un âge très proche de Milan Lukic et il
27 est très vraisemblable qu'elles étaient à l'école avec lui.
28 Le Témoin VG-018 a également déclaré que Sredoje Lukic s'est présenté
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1 également. Le Témoin VG-038 connaissait Sredoje qui était officier de
2 police à Visegrad. Il avait l'habitude de le voir lorsqu'il se rendait à
3 l'école.
4 Pendant sept ans, alors qu'il allait à l'école primaire à Visegrad, il l'a
5 vu fréquemment, il l'a vu aussi fréquemment qu'un jour sur deux, à
6 l'exception des week-ends. Qui plus est, Sredoje Lukic était un collègue
7 d'un membre de la famille du Témoin VG-038, Huso Kurspahic. VG-038
8 connaissait donc Sredoje Lukic puisqu'il le voyait souvent en compagnie de
9 cette personne qui faisait partie de sa famille.
10 VG-084 [comme interprété] a témoigné qu'environ un quart des personnes dans
11 la pièce avait reconnu Milan et Sredoje Lukic. VG-013 a témoigné qu'elle
12 avait vu Sredoje Lukic et qu'elle l'avait souvent vu à des fêtes, et qu'ils
13 avaient grandi dans des villages voisins. VG-013 le connaissait également
14 dans ses fonctions officielles d'officier de police, et son beau-père le
15 connaissait. Elle était auprès de son beau-père lorsque Sredoje Lukic
16 venait de temps à autre chez son beau-père et a témoigné que son beau-père
17 lui offrait le café.
18 Il y a également autre chose qui a sa pertinence par rapport à la question
19 de l'identification. Il s'agit du fait qu'un grand nombre de personnes
20 faisant partie de ce groupe ont reconnu instantanément ces personnes. Ces
21 personnes qui ont péri cette même nuit connaissaient à la fois les accusés
22 très bien, et nous avons donc leurs déclarations dont la Chambre a été
23 saisie. Je présenterais un peu plus par le menu ce qui a été dit à propos
24 du poids qui devra être accordé à ces déclarations, mais je souhaiterais
25 tout simplement indiquer pour le moment que même dans les juridictions qui
26 relèvent du common law, qui respectent de façon très stricte des règles
27 très strictes à propos des témoignages par ouï-dire, il faut savoir qu'il y
28 a une force probante importante qui est accordée à ces déclarations qui
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1 sont d'ailleurs autant d'exceptions à la règle générale qui couvre les
2 témoignages par ouï-dire.
3 Ces témoins n'ont eu ni le temps et n'avaient pas non plus de motivation
4 pour concocter ce qui a été dit. Ils ont tout simplement spontanément
5 prononcé le nom des personnes qu'ils ont vues dans l'incident de la rue
6 Pionirska. Plusieurs de ces victimes avaient le même âge que Milan Lukic et
7 on peut en conclure raisonnablement que d'après leurs déclarations, ils le
8 connaissaient depuis l'école et que cela est fiable.
9 Des témoins tels que Ramiza Kurspahic. Huso Kurspahic qui a entendu de la
10 part de son père Hasid, qui a survécu au feu, que Ramiza Kurspahic lui
11 avait dit qu'elle allait à l'école avec Milan Lukic, et Sajma Kurspahic,
12 qui avait environ une vingtaine d'années, a indiqué qu'elle le connaissait
13 aussi depuis l'école. Il faut savoir également qu'il y a d'autres jeunes
14 telles que Jasmina Vila, Dzheva Kurspahic, Izeta Kurspahic, Latifa
15 Kurspahic, Medina Kurspahic qui avaient tous un âge très proche de celui de
16 Milan Lukic. Nous pouvons donc en conclure et en déduire raisonnablement
17 qu'elles faisaient partie des jeunes filles qui ont dit qu'elles avaient
18 reconnu Milan Lukic depuis parce qu'elles avaient été à l'école avec lui.
19 Il y en a d'autres, telles que Jasmina Vila qui avait d'ailleurs essuyé les
20 sévices de Milan Lukic. VG-084 a dit qu'elle l'avait identifié. De même la
21 Chambre doit prendre en considération le fait qu'Ifeta Kurspahic qui avait
22 17 ans à l'époque des faits et qui a été prise dans la maison par Milan
23 Lukic, qui a relaté par la suite à des survivants ce qu'il en était de
24 Milan Lukic lorsqu'elle est revenue.
25 Puis finalement, le Témoin, VG-013 qui a décrit comment Kada Sehic, qui
26 avait environ 39 ans, a identifié positivement Milan Lukic, lui a dit son
27 nom comme étant la personne qui avait emmené son fils et son mari.
28 Le groupe de Koritnik a donné toutes ses possessions à Milan Lukic, à
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1 Sredoje Lukic et à leurs hommes. Ils ont ensuite été soumis à une fouille
2 corporelle humiliante avant que le groupe ne parte. Les hommes ont promis
3 d'ailleurs qu'ils reviendraient.
4 Vers 22 heures cette même nuit, le bruit d'un moteur très puissant a
5 brisé le silence tendu qui régnait. Un véhicule est arrivé et a commencé à
6 projeter ses phares vers la maison. Milan Lukic s'est approché de la maison
7 de Memic, a frappé à la porte. Il portait un fusil. Sredoje Lukic
8 accompagnait Milan Lukic. Milan Lukic s'est positionné au niveau de la
9 porte d'entrée de la maison Memic, et a donné l'ordre au groupe de Koritnik
10 de se déplacer vers une maison différente en leur disant que la maison
11 Memic n'était pas sûre pour eux.
12 Au moment où VG-013 est passée par la porte d'entrée, elle se trouvait à
13 moins de 30 centimètres de Milan Lukic. Edhem Kurspahic, l'une des autres
14 personnes du groupe de Koritnik, a dit que Sredoje Lukic marchait le long
15 de la colonne après être parti de la maison Memic. Le groupe s'est déplacé
16 à la file indienne vers la maison d'Edhem Omeragic.
17 L'une des personnes a dirigé le groupe de Koritnik vers la maison
18 d'Omeragic. Il a donné l'ordre au groupe de marcher pendant qu'un autre
19 membre tenait une torche et éclairait les groupes qui venaient vers lui. Il
20 faut savoir que c'était déjà le crépuscule à ce moment-là, mais les témoins
21 se souviennent avoir vu des lumières provenant de différentes sources. Il y
22 avait suffisamment donc de lumière pour que les témoins puissent voir les
23 hommes qui les avaient conduit vers la maison d'Omeragic et finalement, ils
24 ont fini par l'incendier.
25 VG-078 a identifié Milan Lukic comme étant présent entre la maison Memic et
26 la maison Omeragic. Elle a réussi à s'échapper et a vu Milan Lukic se
27 déplacer entre ces maisons qui se trouvaient séparées d'une distance de 30
28 pas. Le Témoin VG-038 a identifié Sredoje Lukic et Milan Lukic et les
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1 autres hommes qui ont transféré le groupe de Koritnik vers la maison
2 Omeragic. Il faut également savoir que le Témoin VG-101 a identifié Milan
3 Lukic comme étant la personne qui se trouvait devant la maison Omeragic
4 dans un endroit qui était assez éclairé.
5 A l'intérieur de la maison Omeragic, le groupe de Koritnik s'est installé
6 dans la cave, au rez-de-chaussée. Il y avait environ 70 hommes, femmes et
7 hommes âgés qui ont dû s'entasser dans une pièce où il n'y avait que deux
8 fenêtres. VG-013 décrit les moquettes comme étant tâchées d'un liquide qui
9 collait à nos pieds et qui sentait. En fait, cela nous provoquait une
10 sensation d'étouffement. La seule porte de la pièce dans laquelle se
11 trouvait le groupe Koritnik a été fermée.
12 Après un court moment, Milan Lukic a jeté quelque chose qui avait l'air
13 d'une bombe près de la porte. Des flammes ont commencé à surgir, elles
14 étaient aussi grandes que la porte elle-même, elles atteignaient le plafond
15 lorsque la porte a été ouverte. Le feu a été immédiat et s'est propagé
16 partout.
17 VG-101 et VG-078 ont réussi à s'échapper pendant le déplacement vers la
18 maison d'Omeragic et ont pu entendre des tirs qui provenaient de la maison
19 qui se trouvait près du ruisseau, à savoir la maison Omeragic.
20 Quelques-uns qui étaient barricadés dans la maison ont pu s'enfuir. VG-018
21 et son fils VG-84 ont pu s'échapper par l'une des fenêtres. De même, le
22 Témoin VG-013 et son fils VG-038 ont pu s'échapper par une fenêtre. Hasib
23 Kurspahic, qui était la dernière personne à entrer dans la pièce où se
24 trouvait détenu le groupe Koritnik, est sorti par la porte lorsqu'elle
25 s'est ouverte. Il a sauté dans le ruisseau et s'y est caché pour échapper
26 aux tirs. Il a relaté à son fils peu de temps après que Milan Lukic et
27 Sredoje Lukic avaient été directement responsables de cela.
28 Soixante et onze personnes ont péri dans l'incendie de la maison de la rue
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1 Pionirska. Nous avons l'annexe A de l'acte d'accusation où les noms des
2 personnes se trouvent. Vous avez également la pièce P39 qui vous donne une
3 liste des victimes, tel que cela a été corroboré et identifié par le témoin
4 Huso Kurspahic. Et, Monsieur le Président, avant que je n'aborde la partie
5 suivante, je me demande si nous ne pourrions peut-être pas prendre une
6 pause ?
7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui.
8 J'aimerais tout simplement attirer votre attention sur deux choses.
9 Premièrement, à mon avis, vous n'êtes pas contraint de présenter des
10 arguments à propos du témoin de Sredoje Lukic, donc le client de Me Cepic
11 parce qu'il faut savoir que nous n'avons rien entendu en son nom eu égard à
12 l'article 98 bis. Alors je sais que l'article ne donne pas d'explication à
13 ce sujet, mais il est indiqué qu'après avoir entendu les arguments oraux
14 présentés par les parties, et si une partie n'a pas présenté d'arguments,
15 je ne vois pas pourquoi il faut donc réagir. Il faut savoir en fait qu'il
16 s'agit d'une procédure qui est contradictoire.
17 Donc je n'exclus pas la possibilité que la Chambre pourrait proprio motu
18 soulever certaines questions au titre à l'article 98 bis. Par exemple, s'il
19 est absolument évident qu'il y a un ingrédient juridique qui fait défaut,
20 la Chambre aura l'obligation de reprendre cela. Mais en règle générale, je
21 dirais que lorsque l'une des parties n'a pas l'intention d'évoquer
22 l'article 98 bis, le Procureur n'a absolument pas l'obligation de répondre
23 puisque cela n'a pas été évoqué.
24 Deuxièmement, je voudrais dire, je pense que Me Alarid a évoqué quelque
25 chose que nous pouvons considérer, à savoir la présence et l'existence d'un
26 conflit armé. Cela fait, bien entendu, partie de l'une des conditions pour
27 les crimes qui sont incriminés, et j'aimerais que vous considériez cela.
28 Car je comprends qu'il nous a dit que dans ce secteur, dans cette zone la
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1 violence n'a pas atteint un niveau tel qu'elle aurait pu être considérée
2 comme un conflit armé. Il ne s'agissait que de violence sporadique. Il est
3 même allé jusqu'à dire qu'il ne s'agissait que d'activités criminelles et
4 que cela n'était donc pas du ressort de ce Tribunal. Je pense que cela a
5 fait partie de sa présentation, et je pense qu'il faudrait peut-être que
6 vous y réfléchissiez.
7 Nous allons maintenant avoir une pause d'une demi-heure.
8 --- L'audience est suspendue à 17 heures 17.
9 --- L'audience est reprise à 17 heures 47.
10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Avant de continuer, Monsieur Groome,
11 je voudrais saisir cette occasion pour informer les parties quant au statut
12 des requêtes en instance.
13 Aujourd'hui, la Chambre donnera des décisions sur deux requêtes provenant
14 de Milan Lukic en vertu de l'article 94(A), qui ont été présentées le 26
15 septembre. Il y aura également une décision sur la requête de Milan Lukic
16 datée du 30 octobre 2008 qui demandait que la Chambre refuse que la
17 déclaration de M. Masovic fasse partie des éléments de preuve, de même que
18 sa décision. Et enfin, il y aura également une décision sur la requête de
19 Sredoje Lukic du 12 septembre pour l'admission des faits admis.
20 Ceci laisse en instance trois requêtes de l'Accusation. Deux d'entre elles
21 concernent l'admission de pièces ou de documents par versement direct. Le
22 document 167 et le document 190.1 jusqu'à 190.6. La Chambre donnera une
23 décision écrite sur la requête de l'Accusation concernant l'admission de la
24 pièce 167 demain.
25 Quant aux pièces 190.1 jusqu'à 190.6, ce qui n'a été présenté que lundi, la
26 Chambre demande à la Défense de soumettre une réponse au plus tard le 18
27 novembre, mardi prochain.
28 Merci de garder ceci à l'esprit.
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1 Hier soir, l'Accusation a présenté une requête demandant à la Chambre de
2 revoir sa décision du 5 novembre qui excluait le témoignage de VG-094. La
3 Chambre prendra une décision à propos de cette requête une fois qu'elle
4 aura reçu la réponse de la Défense, si jamais il y en a.
5 Enfin, la Chambre a été saisie d'une requête de la Serbie, qui a été
6 présentée le 10 novembre, demandant un certain nombre de mesures de
7 protection, et cette question sera traitée la semaine prochaine.
8 Monsieur Groome. D'abord M. Cepic.
9 M. CEPIC : [interprétation] Désolé d'interrompre. Je pense que ce serait le
10 moment opportun d'évoquer la décision de cette Chambre sur la requête de
11 Sredoje Lukic amendée. A propos de cette requête, je voudrais demander que
12 la pièce 1D38 marquée aux fins d'identification soit versée au dossier.
13 C'est une pièce qui contient des rapports médicaux concernant Mitar
14 Vasiljevic à Uzice.
15 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous dites que ce serait une
16 conséquence de cette décision ?
17 M. CEPIC : [interprétation] Oui.
18 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] On prendra la décision demain.
19 M. CEPIC : [interprétation] Désolé de vous avoir interrompu encore une
20 fois.
21 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Groome.
22 M. GROOME : [interprétation] A la lumière de vos commentaires avant la
23 pause, j'ai enlevé un certain nombre de pages de ma synthèse des moyens de
24 preuve qui concernent Sredoje Lukic. Bien entendu, je ne peux pas enlever
25 les allusions aux deux personnes. De même, Me Alarid, lorsqu'il a parlé des
26 chefs d'accusation reliés à Uzamnica, a dit que : "Du point de vue de
27 l'article 98 bis, il y aurait suffisamment de choses." C'est un petit peu
28 équivoque de dire cela, mais si Me Alarid voudrait clarifier cela et que la
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1 Chambre ne souhaite pas que je présente les moyens à ce propos, je suis
2 tout à fait disposé à le faire.
3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Alarid, pouvez-vous clarifier
4 cette question ?
5 M. ALARID : [interprétation] Oui. Si la Chambre arrive à dépasser ce stade,
6 on pourrait effectivement considérer qu'il y a suffisamment de matière en
7 ce qui concerne la caserne d'Uzamnica.
8 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci.
9 M. GROOME : [interprétation] Au moment voulu, on y reviendra.
10 En ce qui concerne les chefs d'accusation 13 jusqu'à 17 de l'acte
11 d'accusation, Milan Lukic et Sredoje Lukic sont accusés d'exterminations,
12 meurtres, d'actes inhumains en tant que crimes contre l'humanité, et
13 meurtres et traitements cruels en tant que violation des lois et des
14 coutumes de la guerre concernant l'incendie d'une maison dans le hameau de
15 Bikavac de Visegrad le 27 juin 1992 lors duquel 70 civils ont été tués. Un
16 civil qui a survécu a été grièvement brûlé.
17 On a entendu quatre témoins concernant cet incident : VG-035, VG-115, VG-
18 119, et le seul survivant, Zehra Turjacanin. Chacun de ces témoins a
19 témoigné concernant ces événements d'un point de vue légèrement différent.
20 VG-035 a vu Milan et Sredoje Lukic juste avant qu'ils ne commettent le
21 crime, et VG-119 les a vus tous les deux juste avant et juste après, et a
22 vu Zehra Turjacanin après, dans son état grièvement blessée. VG-115 a
23 regardé les crimes en train d'être commis depuis là où elle était cachée
24 dans le verger voisin. Et enfin, Zehra Turjacanin était à l'intérieur de la
25 maison de Meho Aljic et a pu survivre à l'incendie, à proprement parler. En
26 dépit du fait que chacune de ces femmes ont vécu ces événements d'un point
27 de vue différent, leur témoignage, pris dans son ensemble, raconte une
28 histoire extrêmement cohérente, une histoire qui, d'après l'Accusation,
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1 pourrait permettre à un juge raisonnable des faits d'inculper Milan Lukic
2 et Sredoje Lukic pour ce crime.
3 Le premier témoin qui a vu Milan Lukic et Sredoje Lukic dans le voisinage
4 de Bikavac ce jour-là a été VG-035. Milan Lukic s'était déjà rendu chez
5 elle deux fois ce jour-là, et Sredoje Lukic s'y était rendu une fois. VG-
6 035 a témoigné qu'à la fois Milan Lukic et Sredoje Lukic sont revenus chez
7 elle entre 16 et 17 heures l'après-midi du 27 juin. Ils ont emmené avec eux
8 un autre soldat, que VG-035 ne connaissait pas. Milan et Sredoje Lukic ont
9 pris tout l'argent et les bijoux de VG-035, et ensuite Sredoje Lukic est
10 parti. Milan Lukic est resté quelque temps, puis est parti également.
11 Quand Milan Lukic est parti, VG-035 a vu qu'il avait avec lui une voiture
12 et a reconnu que c'était la voiture de Behija Zukic. Il y avait beaucoup de
13 musique très forte émanant de cette voiture, et VG-035 pouvait entendre la
14 musique depuis sa maison. Cette voiture est partie sur une courte distance
15 puis s'est garée. VG-035 continuait à pouvoir entendre la musique qui
16 provenait de la voiture. Quelque temps après le départ de Milan Lukic, VG-
17 035 a entendu des tirs très forts, beaucoup d'hurlements et de cris.
18 VG-119 a été le deuxième témoin à voir Milan et Sredoje Lukic dans le
19 hameau de Bikavac ce soir-là. Aux environs de 20 heures, quelqu'un a
20 commencé à frapper à la porte de la maison dans laquelle séjournait VG-119.
21 Quand la porte a été ouverte, un groupe de Serbes est rentré dans la
22 maison. VG-119 a reconnu Milan Lukic parmi ces personnes.
23 Lorsque ces hommes sont arrivés, VG-119 pouvait entendre la musique
24 provenant des voitures qui étaient dehors. Les hommes qui sont rentrés dans
25 la maison ont demandé s'il y avait des femmes de la région de Zupa à
26 Visegrad dans la maison. Quand les résidentes leur ont répondu que non, ils
27 sont partis disant qu'ils allaient revenir. Ils sont restés au total dans
28 la maison 10 à 15 minutes. Quand les soldats sont partis, les femmes dans
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1 la maison où séjournait VG-119 continuaient à pouvoir entendre la musique
2 très forte provenant de la voiture.
3 Le troisième témoin à avoir vu Milan et Sredoje Lukic à Bikavac ce jour-là,
4 c'était Zehra Turjacanin. Elle a témoigné qu'elle aussi se souvient que le
5 27 juin 1992, c'était la fête orthodoxe de Vidovdan. Ce jour-là, Mme
6 Turjacanin était chez elle avec un groupe de parents et de voisins. Un
7 moment donné dans la journée, elle avait traversé la rue pour rendre visite
8 à une voisine.
9 Elle se souvient que c'était le soir quand elle a quitté la maison de cette
10 voisine. Quand elle est arrivée chez elle, elle s'est rendue sur le balcon
11 pour fumer une cigarette, et depuis le balcon elle a entendu une musique
12 nationaliste serbe très forte qui venait des haut-parleurs des voitures qui
13 se trouvaient en dessous. Très peu de temps après cela, elle a entendu
14 quelqu'un frapper à sa porte. Quand les gens de la maison de Zehra
15 Turjacanin ont ouvert la porte pour répondre aux gens qui frappaient, un
16 groupe de soldats et d'hommes leur ont ordonné de sortir de la maison. Mme
17 Turjacanin et toute sa famille et ses voisins qui étaient rassemblés dans
18 la maison ont quitté la maison à l'exception de son frère Dzevad et son
19 cousin, qui se cachaient dans la maison.
20 Quand est elle sortie, Mme Turjacanin a entendu qu'ils allaient partir avec
21 un convoi vers Bajina Basta, mais elle ne voyait ni véhicules, ni bus
22 capables de les transporter en lieu sûr. Mme Turjacanin se souvient
23 particulièrement que Milan Lukic était l'un des soldats de ce groupe. Milan
24 Lukic était debout dans l'allée qui séparait l'ancienne maison de Mme
25 Turjacanin de sa nouvelle maison au moment où elle l'a vu.
26 VG-119 a témoigné qu'à la fois elle-même et Zehra Turjacanin ont fini par
27 se trouver à Medjedja. VG-119 se rendait là-bas chaque jour pour rendre
28 visite à Zehra. Un jour, les journalistes ont interviewé Zehra et lui ont
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1 posé la question de savoir qui était responsable de ses blessures. VG-119 a
2 entendu Zehra parler de Milan Lukic, Mitar Vasiljevic et Sredoje Lukic.
3 Après avoir quitté leurs maisons, Mme Turjacanin et les autres habitants
4 des maisons voisines ont suivi ce groupe d'hommes armés pendant environ 100
5 mètres et se sont rendus à une autre maison qui appartenait à Meho Aljic.
6 Mme Turjacanin a témoigné qu'au moment où elle est rentrée dans la maison,
7 elle a vu un grand nombre de personnes assises contre les parois de la
8 pièce qui était à la fois cuisine et salle. Mme Turjacanin est restée
9 proche de la porte vitrée par laquelle elle était entrée. Sa sœur Aida
10 était juste à côté d'elle.
11 Les autres personnes dans la maison avec Mme Turjacanin étaient surtout des
12 jeunes mères avec leurs petits enfants, et il y avait aussi quelques hommes
13 et femmes âgés. L'enfant le plus jeune de la maison avait environ un an.
14 Mme Turjacanin a témoigné qu'il y avait une atmosphère de crainte et de
15 terreur dans la pièce où elle-même et les autres étaient emprisonnés. Après
16 être rentrés, les hommes armés qui les avaient contraint à rentrer dans la
17 maison ont commencé à jeter des pierres contre la maison pour briser les
18 vitres. Ensuite ils ont lancé des grenades. Après l'explosion des grenades
19 il y a eu un incendie dans la pièce qui s'est propagé très rapidement, et
20 les habits de Mme Turjacanin ont pris feu.
21 Mme Turjacanin a décidé d'essayer de fuir par la porte vitrée par laquelle
22 elle était rentrée. Quand elle se trouvait face à la porte vitrée, elle l'a
23 trouvé bloquée par une porte métallique de garage qui avait été posée
24 contre la porte vitrée.
25 La porte de garage contenait des petites ouvertures, et Mme Turjacanin a pu
26 se faufiler à travers l'une de ces ouvertures et fuir, bien qu'ayant subi
27 des brûlures graves en ce qui concerne ses mains, car elle avait touché la
28 porte.
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1 Lorsqu'elle s'est enfuie, Mme Turjacanin a vu que les hommes qui avaient
2 mis le feu étaient couchés dans l'herbe à 100 mètres. Eux aussi l'ont vu et
3 lui ont crié, "arrête." Elle a couru et en courant elle s'est enlevée ses
4 vêtements en feu. Elle a couru en direction de du voisinage serbe de
5 Megdan.
6 J'aimerais qu'on puisse passer brièvement à huis clos partiel.
7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous passons.
8 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes désormais à huis clos
9 partiel.
10 [Audience à huis clos partiel]
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14 [Audience publique]
15 M. GROOME : [interprétation] VG-035 a également vu des indications d'un
16 incendie. Aux environs de 21 heures, sa belle-mère lui a dit d'aller
17 regarder quelque chose à travers la fenêtre de la salle de bain de leur
18 maison. Elle s'y est rendue et elle a vu une énorme flamme. Elle a dit
19 qu'elle n'avait vu une flamme aussi haute, et en a tiré la conclusion que
20 ça devait être une maison en train de flamber.
21 VG-119, qui avait déjà vu plus tôt dans ce même soir Milan et Sredoje Lukic
22 chez elle, a également vu Milan Lukic après l'incendie. D'après son
23 témoignage aux environs de 22 heures, le même groupe de soldats qui s'était
24 rendu dans cette maison plus tôt est revenu. Ce groupe comprenait Milan
25 Lukic. Les lumières de la maison étaient allumées et VG-119 pouvait voir
26 que les soldats étaient sales et trempés de sueur.
27 Mme Turjacanin a témoigné qu'après s'être enfuie de la maison en feu, elle
28 a été grièvement brûlée sur ses mains et sur son visage, et se sentait très
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1 mal. Mais néanmoins elle est retournée à Bikavac pour avertir les autres
2 habitants pour les mettre en alerte. Mme Turjacanin a témoigné qu'elle
3 s'est rendue à quatre maisons à Bikavac. La quatrième maison qu'elle a
4 visitée était celle de la famille Salic, et le témoignage de VG-119
5 corrobore ce récit.
6 VG-035 a également vu Zehra Turjacanin après l'incendie. VG-035
7 estime que Zehra est arrivée chez elle après minuit. Lorsque la belle-mère
8 de VG-035 a ouvert la porte, Zehra leur a dit que Milan Lukic avait mis le
9 feu à tout et qu'elle avait essayé de sauver sa sœur, mais qu'elle n'avait
10 pas pu. Mme Turjacanin est ensuite partie pour dire qu'elle allait avertir
11 les autres.
12 Après l'avertissement de Zehra, VG-035, ses enfants et sa belle-sœur
13 ont essayé de fuir Bikavac. Elles sont passées à côté de la maison et
14 pouvait sentir l'odeur de cadavres brûlés et de cheveux brûlés, et
15 finalement n'ont pas pu quitter Bikavac.
16 Chacun des témoins qui ont déposé à propos de ces événements a eu des
17 occasions d'observer Milan Lukic le jour en question. Chacun d'entre eux le
18 connaissait, Milan Lukic, depuis avant et avait une base très solide pour
19 le reconnaître.
20 La nuit en question, Mme Turjacanin a eu une excellente occasion d'observer
21 Milan Lukic. Elle aussi avait une base solide pour pouvoir le reconnaître.
22 Spécifiquement, elle se souvient d'avoir vu Milan Lukic deux fois dans les
23 minutes qui ont précédé l'embrasement de la maison de Meho Aljic. Tout
24 d'abord, elle l'a vu à côté de sa maison, là où elle et sa famille ont
25 quitté leur maison en premier. Deuxièmement, elle l'a revu quand il a pris
26 sa chaîne en or de son cou, lorsqu'elle rentrait dans la maison de Meho
27 Aljic.
28 La deuxième fois, c'était quand Milan Lukic était debout à côté de la porte
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1 d'entrée de la maison de Meho Aljic, la même porte qui a été barricadée
2 plus tard, après que les dernières victimes ne rentrent dans la maison.
3 Milan Lukic était suffisamment proche de Mme Turjacanin pour pouvoir la
4 toucher. Et Mme Turjacanin avait clairement eu une occasion tout à fait de
5 choix pour observer Milan Lukic.
6 Elle avait également une base très bonne pour pouvoir le reconnaître.
7 Elle avait été à la même école secondaire à Visegrad que Milan Lukic. Elle
8 était plus âgée que lui. Elle était dans sa quatrième année alors que Milan
9 Lukic était dans sa première. Le frère de Mme Turjacanin, qui s'appelle
10 Dzevad Turjacanin, était plus jeune qu'elle et était dans la même classe
11 que Milan Lukic. En réalité, le frère de Mme Turjacanin, Dzevad, était
12 assis au même banc que Milan Lukic.
13 Pendant leur scolarité, Mme Turjacanin voyait Milan Lukic pendant les
14 pauses. Entre les cours à l'école, les étudiants qui fumaient se rendaient
15 derrière l'école pour pouvoir fumer pendant les pauses. Puisqu'à la fois
16 Mme Turjacanin et Milan Lukic étaient fumeurs, elle le voyait à cet endroit
17 derrière l'école pendant les pauses.
18 En plus de ce fondement de connaissance préalable de Milan Lukic, Mme
19 Turjacanin a eu trois autres occasions d'observer Milan Lukic en personne
20 après son retour à Visegrad en 1992, avant la nuit de l'incendie.
21 La première de ces occasions s'est produite l'après-midi d'un jour du mois
22 de juin. Mme Turjacanin était chez une voisine. A un certain point, Milan
23 Lukic est arrivé à la maison, a salué poliment les dames et leur a dit
24 qu'il allait les protéger. Il était à environ un mètre. Elle avait une très
25 claire visibilité de Milan Lukic et avait une bonne lumière. Elle l'a
26 immédiatement reconnu comme étant Milan Lukic.
27 Un autre après-midi du mois de juin, Mme Turjacanin a vu Milan Lukic sur
28 son lieu de travail à Visegrad, une usine de fabrication de vêtements pour
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1 dame. Milan Lukic était venu à l'usine pour retrouver l'une de ses
2 voisines, une femme qui travaillait également dans cette usine.
3 Mme Turjacanin a eu une troisième occasion d'observer Milan Lukic à la fin
4 du mois de juin 1992. A cette occasion, elle a regardé alors qu'un groupe
5 de soldats qui avaient été emmenés par Milan Lukic brûlaient vifs deux
6 hommes. Milan Lukic et son groupe les a arrosés d'essence et leur a mis le
7 feu.
8 En quelque sorte, Mme Turjacanin connaissait Milan Lukic depuis sa
9 scolarité. Elle l'a ensuite vu à plus occasions au mois de juin et était
10 dans une bonne position pour pouvoir le reconnaître lorsqu'elle l'a vu le
11 27 juin 1992, juste avant l'incendie de Bikavac.
12 Le contact de VG-035 avec Milan Lukic a commencé le 26 juin 1992. Ce jour-
13 là, Milan Lukic est apparu à l'extérieur de sa maison avec un jeune garçon
14 serbe. Milan Lukic s'est présenté par son nom. Elle a témoigné que
15 lorsqu'elle a appris qui il était, elle avait eu peur. Elle avait entendu
16 dire qu'il avait fait des choses très mauvaises à Visegrad. Milan Lukic lui
17 a posé des questions concernant son mari, comment elle avait eu sa maison,
18 là où elle travaillait. Et alors qu'il parlait de ceci, ils ont également
19 parlé de leur âge, et Milan Lukic a dit à VG-035 qu'il était né en 1967.
20 Quand VG-035 a dit à Milan Lukic qu'elle ne savait pas où se trouvait son
21 mari, il a dit : "Je vais vérifier et je reviendrai te le dire. Si tu me
22 mens, je te tuerai." Pendant cette conversation, VG-035 et Milan Lukic se
23 trouvaient à moins d'un mètre l'un de l'autre. A la fin de la conversation,
24 Milan Lukic lui a dit qu'il allait revenir.
25 Milan et Sredoje Lukic avaient tapé à la porte de la maison où séjournait
26 VG-035 et sa famille. Quand sa belle-mère a ouvert la porte, Milan et
27 Sredoje Lukic sont entrés de force dans la maison et dans la chambre où VG-
28 035 était au lit et ont enlevé les couvertures. Il était juste à côté de
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1 son lit et il n'y avait rien qui pouvait obstruer la vision de son visage.
2 Sredoje Lukic se trouvait juste derrière lui. VG-035 a reconnu Milan Lukic
3 comme étant la personne qui s'était présentée à elle devant sa maison le
4 jour avant. Milan Lukic est revenu quelques heures plus tard encore une
5 fois en tapant sur la porte de la maison. Et une fois de plus, la belle-
6 mère de VG-035 a ouvert la porte. Il l'a emmenée de sa maison et l'a mise à
7 l'arrière de la voiture qui avait été la propriété d'Ekrem Dzafic. Il a
8 emmené les deux personnes jusqu'à une maison dans la zone de Megdan.
9 Pouvons-nous passer rapidement à huis clos partiel.
10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Huis clos partiel.
11 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.
12 [Audience à huis clos partiel]
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26 [Audience publique]
27 M. GROOME : [interprétation] Comme cela a déjà été dit, VG-035 a vu à
28 nouveau Milan Lukic aux environs de 16 ou 17 heures, au moment où il est
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1 revenu dans sa maison. VG-035 a ainsi eu la possibilité de voir et
2 d'observer Milan Lukic de très, très près pendant plusieurs heures durant
3 deux jours. Il ne peut y avoir aucun doute quant au fait que l'image de
4 Milan Lukic était claire comme de l'eau de roche et très bien mémorisée
5 dans l'esprit de VG-035 le jour de l'incendie de Bikavac.
6 VG-119 connaissait également très bien Milan Lukic. Elle avait eu récemment
7 deux possibilités de le voir de très près pendant des durées assez longues.
8 La première fois que VG-119 a eu la possibilité de voir Milan Lukic,
9 c'était à la fin du mois de mai 1992. Elle-même et sa famille avaient tenté
10 de fuir Visegrad pour se rendre à Belgrade, mais ont dû rebrousser chemin à
11 Priboj en Serbie. A leur retour à Visegrad, le taxi qui les amenait a été
12 arrêté au niveau du vieux pont de Visegrad par trois voitures à bord
13 desquelles se trouvaient des soldats en arme. L'une des voitures était la
14 Passat rouge que VG-119 a reconnue comme ayant appartenu précédemment à un
15 commerçant de Visegrad.
16 Milan Lukic a ordonné à la famille de VG-119 de retourner à bord du taxi et
17 de rentrer à leur domicile à Dusce. Milan Lukic et les autres soldats sont
18 montés à bord de leurs véhicules et ont suivi le taxi jusqu'à la maison de
19 VG-119. Lorsqu'ils sont arrivés à cette maison, Milan Lukic a ordonné aux
20 femmes de pénétrer dans la maison. Il a fait sortir de sa voiture le mari
21 de VG-119 alors que le beau-père de VG-119 a été amené à bord d'une autre
22 voiture. Et ni l'un ni l'autre n'a jamais été vu en vie.
23 La deuxième fois où VG-119 a eu la possibilité de voir Milan Lukic c'était
24 plus tard le même jour aux environs de 20 heures. Milan Lukic est arrivé
25 devant sa maison et a demandé à voir l'épouse du mari qu'il avait amené un
26 peu plus tôt durant la journée. Il a amené VG-119 à bord de la Passat
27 rouge. Il l'a amenée plus tard jusqu'à l'hôtel Vilina Vlas où elle est
28 restée plusieurs heures. Plus tard cette nuit-là, un soldat serbe qu'elle
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1 avait vu précédemment durant la nuit, est réapparu et sur instructions de
2 Milan Lukic, il a amené VG-119 jusqu'à Dusce.
3 Cette nuit-là, VG-119 et les autres femmes qui se cachaient là ont décidé
4 de quitter Dusce parce qu'elles avaient peur que Milan Lukic ne revienne.
5 Elles ont quitté la maison de Dusce pour se rendre à Bikavac où elles se
6 trouvaient la nuit de l'incendie de Bikavac.
7 Ainsi, avant la nuit de l'incendie de Bikavac, VG-119 avait eu la
8 possibilité de voir Milan Lukic de très près pendant une période
9 relativement longue, et ce, à deux reprises. La nuit de l'incendie de
10 Bikavac, elle l'a vu à deux reprises dans la maison dans laquelle elle
11 résidait. Donc pour résumer, VG-119 avait un fondement tout à fait bon pour
12 reconnaître et identifier Milan Lukic et une très bonne possibilité de le
13 voir à ce moment-là.
14 Ces identifications ont été faites par quatre témoins qui connaissaient
15 très bien Milan Lukic avant la nuit en question. Ces quatre
16 identifications, ajoutons-le, sont indépendantes les unes des autres. En
17 effet, aucune des identifications réalisées par un témoin ne s'appuie sur
18 des éléments d'information fournis oralement ou liés à d'autres témoins. En
19 fait, aucun des quatre témoins ne s'est jamais trouvé au même moment, au
20 même endroit quand ils ont vu Milan Lukic.
21 Donc le témoignage de ces quatre témoins nous donne une image très claire
22 et très cohérente des événements survenus cette nuit-là et indique que ces
23 témoins avaient un souvenir très puissant et très indépendant des
24 événements qui se sont déroulés. Compte tenu de ces éléments de preuve,
25 l'Accusation soutient d'un juge raisonnable des faits peut tout à fait
26 condamner Milan Lukic pour les chefs 13 à 17 figurant dans l'acte
27 d'accusation.
28 Le meurtre de Mme Koric, durant une journée qui se situe entre le 1er et le
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1 5 juillet, Mme Koric a été assassinée avec la plus grande violence par
2 Milan Lukic. VG-035, témoin oculaire de ce meurtre, déclare : "Milan Lukic
3 a battu Koric et personne d'autre que lui."
4 L'Accusation a entendu des témoins oculaires, VG-035 qui s'est exprimée sur
5 l'assassinat de Hajra Koric en particulier alors que la possibilité pour
6 VG-035 d'identifier Milan Lukic ce jour où Mme Koric a été tuée est l'un
7 des aspects-clé dans les moyens de preuve présentés par l'Accusation
8 s'agissant de ces chefs d'accusation. La base qui permet de déterminer
9 comment VG-035 connaissait Milan Lukic a déjà été discutée dans le détail.
10 Suite au jour où a eu lieu l'incendie de Bikavac, la fois suivante où VG-
11 035 a vu Milan Lukic se situe le jour où il a tué Mme Koric. A ce moment-
12 là, VG-035 avait déménagé dans une maison qui se trouvait dans le quartier
13 de Potok à Visegrad où un groupe de femmes et d'enfants résidaient parce
14 que leur maison était tout près de la gare routière et que VG-035
15 s'efforçait de fuir Visegrad.
16 A un certain moment dans la journée du meurtre de Mme Koric, un groupe de
17 soldats a pénétré dans la maison où se trouvait VG-035, Mme Koric s'est
18 cachée sous la table de la cuisine, mais les soldats l'ont poursuivie ainsi
19 que les autres femmes, les autres enfants qui se trouvaient dans la maison.
20 Dans tout ce brouhaha, Milan Lukic et son groupe ont fait leur apparition.
21 Après qu'il ait arrêté tout le groupe, Milan Lukic a forcé les femmes à
22 s'aligner, Mme Koric était la dernière dans la rangée. Milan Lukic et un
23 autre homme sont passés d'une femme à l'autre à la recherche de Hajra
24 Koric. Lorsque Milan Lukic l'a reconnue, il l'a fait sortir de la rangée.
25 Après que Milan Lukic ait interrogé Mme Koric, il l'a abattue en lui
26 tirant une balle dans la poitrine. Il s'est mis à rire alors que son corps
27 s'affaissait sur le sol et a déclaré : "Qu'est-ce qu'elle est en train de
28 faire ?" Milan Lukic a alors retourné le corps de Hajra Koric et avec son
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1 pied, il lui a donné un coup supplémentaire dans le dos. Après cela, elle
2 ne présentait plus le moindre signe de vie.
3 Monsieur le Président, je ne vais pas parler des éléments de preuve
4 relatifs à Uzamnica. Ayant détaillé les actes de l'accusé et résumé les
5 éléments de preuve pertinents, je vais maintenant me concentrer sur les
6 chefs d'accusation en tant que tels et sur la nécessité d'établir un
7 certain nombre d'éléments. Comme M. le Juge Parker l'a déclaré lorsqu'il a
8 rendu sa décision au sujet de l'application de l'article 98 bis dans
9 l'affaire Mrksic le 28 juin 2006 : "Les éléments de preuve présentés
10 doivent satisfaire aux normes établies ci-dessus eu égard à chacun des
11 éléments des crimes allégués dans les chefs d'accusation."
12 Les deux catégories importantes de crimes allégués dans l'acte d'accusation
13 sont des crimes contre l'humanité et des violations des droits et coutumes
14 de la guerre. Je vais résumer le droit qui s'applique et l'intégrer à ce
15 que j'ai déjà dit au sujet des éléments de preuve sans me répéter dans la
16 mesure du possible.
17 Je traiterais d'abord des crimes contre l'humanité. On distingue un crime
18 ordinaire commis pendant une période de chaos et un crime contre l'humanité
19 en s'appuyant sur le rapport que peut avoir le crime en question avec une
20 attaque généralisée ou systématique contre une population civile. Cette
21 exigence globale peut être subdivisée en cinq éléments constitutifs.
22 Le premier élément constitutif, c'est l'existence d'une attaque. Une
23 attaque se distingue d'un conflit armé et dans sa forme la plus simple elle
24 constitue une série d'actes de violence commis contre une population
25 civile. Il n'est pas nécessaire de revenir sur les cinq ou six éléments
26 énoncés par la Chambre de première instance dans l'audience au titre de
27 l'article 61 de l'affaire Dragan Nikolic. Il est clair que ce qui s'est
28 passé à Visegrad eu égard à la population civile était en tout point une
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1 attaque contre la population civile musulmane.
2 L'objectif de cette attaque était d'effectuer le nettoyage ethnique de la
3 population musulmane de Visegrad.
4 Le deuxième élément constitutif implique la nécessité de l'existence d'un
5 lien entre l'attaque contre la population civile et les actes commis par
6 l'accusé. Comme le requiert la disposition du jugement Vasiljevic en
7 première instance au paragraphe 32 et la page 14 du jugement, deux éléments
8 doivent être pris en compte. D'abord, est-ce que le comportement de
9 l'accusé par sa nature a contribué, a favorisé l'attaque contre la
10 population civile ? Deuxièmement, est-ce que l'accusé était conscient que
11 ces actes relevaient d'une attaque globale ?
12 Dans le contexte de la présente affaire, les deux éléments sont tout
13 à fait clairs. Le choix des victimes, le moment où les crimes ont été
14 commis, la fouille pratiquée sur les hommes, et le meurtre d'un grand
15 nombre de femmes, de personnes âgées et d'enfants ne peuvent mener qu'à une
16 conclusion, à savoir que les actes commis par Milan et Sredoje Lukic
17 s'intégraient dans un état d'esprit dans lequel ils avaient un lien direct
18 avec la campagne globale de nettoyage ethnique visant les Musulmans de
19 Bosnie pendant le printemps et l'été 1992.
20 Le troisième élément requis c'est qu'une attaque soit dirigée contre la
21 population civile. En d'autres termes, que la population civile soit la
22 cible de l'attaque. Encore une fois, je citerais l'arrêt de la Chambre
23 d'appel dans l'affaire Kunarac, page 91. En l'espèce, il ne peut y avoir
24 aucun doute que la sélection attentive des civils et les actes commis à
25 l'égard de ces personnes terrorisées mènent à la conclusion très claire que
26 ce sont les civils de Visegrad qui étaient la cible de l'attaque.
27 Le quatrième élément requis, c'est que l'attaque soit de nature généralisée
28 et systématique. Cet élément définit un crime contre l'humanité, non
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1 seulement par sa cible, mais également par son amplitude. Est-ce que
2 l'attaque était systématique ou généralisée ? Généralisée, cela renvoie à
3 l'importance des crimes, au grand nombre de personnes visées par ces
4 crimes, et en l'espèce, vous avez entendu les éléments démographiques et
5 les éléments de preuve indiquant que l'attaque était véritablement
6 généralisée et visait la population civile de Visegrad.
7 S'agissant de l'adjective systématique, il renvoie à l'organisation de
8 l'attaque. Est-ce que les crimes étaient constitués d'une série
9 d'événements qui ont un lien les uns avec les autres ? Ou en tant que
10 crimes contre l'humanité, est-ce qu'ils résultaient d'un effort organisé ?
11 Outre les éléments de preuve démographiques, la Chambre a entendu des
12 témoins en nombre suffisant pour conclure que l'attaque visant la
13 population civile de Visegrad s'est déroulée dans le cadre de l'application
14 d'un système dont le but était la destruction de la population musulmane.
15 Prendre pour cible tout un village, comme cela a été le cas avec
16 l'événement de Koritnik et de Bikavac, passer d'une maison à l'autre
17 pendant une période prolongée pour pratiquer le nettoyage ethnique, tel
18 était l'objectif.
19 Cinquième élément requis, c'est l'intention délictueuse de l'accusé.
20 L'Accusation doit établir que l'accusé était au courant du fait qu'une
21 attaque visait la population civile, que ses actes faisaient partie de
22 l'ensemble de cette attaque ou avait un lien avec cette attaque. C'est ce
23 que l'on voit mentionné dans l'arrêt de la Chambre d'appel aux paragraphes
24 124 à 127.
25 On trouve de nombreux éléments de preuve qui permettent à un juge
26 raisonnable des faits de déterminer que les deux accusés ont agi en toute
27 connaissance des conséquences de leur comportement, c'est-à-dire que ce
28 comportement ne faisait pas partie simplement d'une attaque visant la
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1 population civile de Visegrad, mais était en fait principalement destiné à
2 participer de cette attaque contre la population civile.
3 Le chef numéro 1 de l'acte d'accusation est un chef de persécution,
4 persécution pour raison politique ou religieuse, c'est alors un crime
5 contre l'humanité. Et si on ajoute à cela les trois éléments évoqués ci-
6 dessus et le fait que la discrimination faisait partie des intentions ou
7 des omissions des accusés, les bases de la discrimination étant à la fois
8 religieuses ou raciales, les accusés avaient l'intention de commettre une
9 atteinte aux droits individuels des victimes.
10 L'Accusation a présenté des témoins qui confirment ce que l'on peut
11 lire dans le deuxième acte d'accusation modifié s'agissant des cinq
12 catégories que je viens d'évoquer. Aux paragraphes 4(a), 4(c), 4(d), 4(e),
13 l'Accusation allègue que Milan et Sredoje Lukic, par leur comportement à
14 l'égard de 140 civils musulmans, ont en fait pratiqué des actes de torture.
15 Ces actes sont des actes d'enfermement, d'emprisonnement, de vols d'effets
16 personnels des victimes, de harcèlement, d'humiliation, de sévices
17 psychologiques, ainsi que de meurtre finalement, meurtre par le feu.
18 S'agissant de Milan Lukic, l'Accusation affirme également aux paragraphes
19 4(a) et 4(d), que sa façon de traiter les victimes et le meurtre des
20 Musulmans sur les rives de la Drina le 7 juin, ainsi que les actes commis à
21 l'usine Varda le 10 juin et le meurtre de Hajrija Koric, constituent des
22 actes de persécution.
23 Au paragraphe 4(b), l'Accusation a établi que les traitements cruels et
24 inhumains contre des détenus musulmans dans le camp d'Uzamnica étaient
25 également des actes de persécution.
26 J'ai déjà résumé les éléments de preuve relatifs à tous ces actes, et je ne
27 reviendrai pas sur ce que j'ai déjà dit, je me contenterai de rappeler à la
28 Chambre que les victimes dans toutes ces affaires étaient des Musulmans, et
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1 que durant la commission des crimes, nombre de victimes parlent de l'emploi
2 de propos insultants pour les évoquer en leur qualité de Musulmans,
3 notamment l'emploi du terme "balija". Les éléments de preuve sont nombreux
4 et tout à fait convaincants et satisfont, de la façon la plus claire qui
5 soit, aux exigences de l'article 98 bis du Règlement.
6 L'assassinat en tant que crime contre l'humanité fait l'objet de ce que
7 l'on peut lire dans le chef numéro 2 relatif à l'incident de la Drina; le
8 chef numéro 6 relatif à l'usine de Varda est un chef de meurtre; le chef
9 numéro 9 relatif à ce qui s'est passé au cours de l'incendie de la rue
10 Pionirska; le chef 14 relatif à l'incendie de Bikavac; et le chef numéro 18
11 relatif au meurtre de Mme Koric.
12 Les éléments constitutifs de meurtre en tant que crime contre l'humanité,
13 et de meurtre en tant que violation -- ou je devrais dire les éléments
14 sous-jacents au meurtre en tant que crime contre l'humanité et au meurtre
15 en tant que violation des lois ou coutumes de la guerre sont pour
16 l'essentiel les mêmes, en dehors des sous-éléments constitutifs.
17 Les éléments qualifiant le meurtre sont la mort des victimes, mort
18 provoquée par un acte dû à l'accusé, et troisièmement, l'acte a été
19 accompli dans l'intention de tuer ou d'infliger une atteinte grave à
20 l'intégrité physique, alors que l'auteur de l'acte avait toute raison de
21 savoir que cet acte avait des chances de provoquer la mort.
22 Dans le cas de tous les actes criminels allégués dans l'acte
23 d'accusation, il a été établi clairement que les décès des victimes ont été
24 le produit d'un comportement intentionnel de la part des deux accusés. Les
25 victimes ont soit été abattues par arme à feu avant de mourir, soit ont
26 brûlé vives dans un incendie.
27 Actes inhumains en tant que crime contre l'humanité, c'est l'accusation que
28 l'on trouve au chef numéro 4 relatif à l'incident survenu sur les berges de
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1 la Drina; dans le chef numéro 11, il est question de l'incendie de la rue
2 Pionirska; dans le chef numéro 16 relatif à l'incendie Bikavac; et dans le
3 chef numéro 20 relatif au camp d'Uzamnica. Le concept d'inhumanité d'un
4 acte est un concept très vaste et il est suffisamment vaste pour englober
5 un grand nombre d'actes criminels, et notamment des actes criminels qui
6 n'auraient pas été énumérés dans les autres chefs évoquant très précisément
7 des crimes contre l'humanité dans cet acte d'accusation.
8 Les éléments que l'on peut énumérer sont des actes évoqués au chef numéro
9 1, qui sont d'une très grande gravité.
10 L'acte qui provoque des souffrances psychiques ou physiques importantes, ou
11 qui constitue une attaque à la dignité humaine peut également être évoqué.
12 Enfin l'attaque a été réalisée dans l'intention de provoquer des morts de
13 la part des accusés.
14 Les éléments de preuve présentés établissent clairement que les deux
15 accusés, s'agissant de chacun des chefs d'accusation qui les concernent,
16 ont commis des actes inhumains par rapport aux survivants de ces crimes.
17 L'extermination en tant que crime contre l'humanité, c'est ce qui est
18 évoqué aux chefs numéro 8 et 13 eu égard aux incendies de la rue Pionirska
19 et de Bikavac. A lire le texte du jugement, paragraphe 591 :
20 "L'extermination est un crime qui, par sa nature même, est dirigé contre un
21 groupe d'individus. L'extermination se distingue du meurtre en ce qu'elle
22 requiert un élément de destruction massive qui n'est pas requis pour le
23 meurtre."
24 Il n'y a pas de seuil minimum quant au nombre des victimes. S'agissant de
25 l'intention délictueuse, l'Accusation est tenue d'établir que la personne
26 que l'on veut tuer fait partie d'un groupe plus important d'individus et
27 qu'il y avait intention d'infliger des atteintes graves à l'intégrité
28 physique d'un grand nombre de personnes tout en sachant que ces atteintes à
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1 l'intégrité physique avaient des chances de provoquer leur décès.
2 L'Accusation ne doit pas seulement prouver que l'auteur avait l'intention
3 de tuer la victime en sachant qu'elle faisait partie d'un groupe plus
4 important, mais je vais citer également la page 179 d'un jugement rendu par
5 le tribunal ad hoc : "Un seul meurtre ou un nombre de meurtres peu
6 important ne donne pas lieu à la qualification d'extermination. Pour qu'il
7 y ait extermination, il faut que le meurtre soit réalisé dans des
8 conditions différentes, à savoir qu'il concerne un grand nombre de
9 personnes."
10 L'Accusation établit, grâce à ces éléments de preuve, ce qui était
11 nécessaire pour un juge raisonnable des faits pour lui permettre de
12 condamner Milan et Sredoje Lukic pour extermination et d'ordonner le
13 comportement décrit au chef numéro 8 relatif à la rue Pionirska, et au chef
14 numéro 13 relatif aux incendies de Bikavac.
15 Pour violation des lois ou coutumes de la guerre. Je vais maintenant
16 me concentrer sur ces violations ou coutumes de la guerre en détaillant
17 d'abord les éléments requis pour en apporter la preuve.
18 Pour qu'un crime soit considéré comme une violation des lois ou
19 coutumes de la guerre, il faut établir d'abord qu'un conflit armé existait,
20 et deuxièmement qu'il y a un lien entre le crime et le conflit armé.
21 La décision rendue dans l'affaire Tadic s'agissant des compétences du
22 Tribunal a été la première à traiter de cette question de l'existence d'un
23 conflit armé en Bosnie, et sur ce point, la Chambre Tadic a conclu qu'il
24 existait "un conflit armé très violent et prolongé opposant les autorités
25 gouvernementales à des groupes armés organisés, ou des violences opposant
26 des groupes opérant dans un Etat." Cela se trouve au paragraphe 7 de
27 l'arrêt, et la même formulation se retrouve dans l'arrêt Kunarac au
28 paragraphe 56.
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1 Donc il n'y a pas de seuil très clair qui indique à quel niveau
2 d'intensité doivent se situer les hostilités pour constituer un conflit
3 armé. Les Chambres de première instance se sont appuyées sur un certain
4 nombre de facteurs que l'on voit détaillés dans le texte du jugement Tadic
5 et dans la décision rendue par la Chambre s'agissant de la compétence. Un
6 certain nombre d'éléments sont requis. Les éléments en question sont :
7 premièrement, la participation d'un grand nombre d'hommes armés.
8 Deuxièmement, une coordination entre des opérations militaires menées
9 pendant un certain temps. Troisièmement, l'inaptitude de l'Etat - dans ce
10 cas il s'agit de la Bosnie - de contrôler des parties de son territoire. Et
11 quatrièmement, la grande importance géographique de la zone concernée par
12 le conflit.
13 La décision juridictionnelle Tadic, aux paragraphes 69 et 70, ainsi
14 que l'arrêt Kunarac aux paragraphes 57 et 64, indiquent qu'une fois ceci
15 établie, l'existence du conflit armé ne fait pas de doute, et que les lois
16 de la guerre s'appliquent en principe et continuent à s'appliquer tant que
17 la paix n'est pas conclue, ou tant qu'un accord de paix n'a pas été signé.
18 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Groome, dans
19 l'affaire Slobodan Milosevic, la Chambre de première instance a rendu une
20 décision au titre de l'article 98 bis qui comporte 187 pages, si je ne
21 m'abuse. Est-ce que vous êtes en train de nous menacer de nous infliger la
22 lecture de toutes ces pages ? J'espère que non. C'est peu après que
23 l'article 98 bis a été modifié par la plénière des Juges, et je me demande
24 si nous avons vraiment besoin que vous nous proposiez tous ces détails.
25 M. GROOME : [interprétation] Monsieur le Président, je m'en tiendrai à la
26 décision de la Chambre. J'ai cité certains commentaires avant la pause qui,
27 à mon avis, sont les points de préoccupation principaux de la Chambre, car
28 je ne souhaite en aucun cas insulter les Juges de la Chambre en citant tous
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1 les détails du droit et je vais donc passer aux éléments de preuve
2 présentés à la Chambre en l'espèce.
3 VG-011 a dit dans sa déposition : "En avril 1992, c'est-à-dire au début du
4 mois d'avril, des barrages ont été dressés des deux côtés, par les deux
5 parties. Une unité paramilitaire de Serbie est entrée dans ce secteur et un
6 conflit armé a éclaté. Selon ce que l'on peut lire dans ce document, les
7 gens qui participaient à ces actes arboraient des Aigles blancs." Donc
8 c'est ce qu'a dit le témoin dans l'affaire Vasiljevic le 12 septembre 2001.
9 Ensuite, un autre témoin a dit : "La guerre dans le secteur a commencé aux
10 environs du 5 avril 1992 lorsque le secteur a été pilonné à partir de la
11 frontière avec la Serbie."
12 VG-025, dans sa déclaration 92 quater qui est désormais versée au dossier
13 et qui constitue la pièce P168 a déclaré : "Après cela, nous avons commencé
14 à nous organiser dans le cadre d'une espèce de Défense territoriale qui a
15 évolué pour devenir une armée. Nous étions considérés comme membres avant
16 même la création de l'ABiH le 11 juin 1992."
17 Nous avons la déclaration de Milan Lukic versée au dossier de la présente
18 affaire, qui a été remise au gouvernement serbe et qui constitue la pièce à
19 conviction P149. Je cite les mots mêmes de Milan Lukic : "J'étais sur le
20 front de Visegrad et dans les environs depuis le 10 avril 1992. Je suis
21 commandant d'un groupe qui s'appelle les Aigles blancs. Ce groupe comptait
22 entre 20 et 50 hommes et se trouvait sous le commandement de la Défense
23 territoriale de Visegrad."
24 Monsieur le Président, je mentionnerais un point supplémentaire, un point
25 admis. En fait, la Chambre a estimé que le Corps d'Uzice a pénétré dans
26 Visegrad le 14 avril, et que ceci était un fait admis. Monsieur le
27 Président, je crois que les éléments de preuve sont nombreux à démontrer
28 qu'un conflit armé existait bien avant la commission de l'un ou l'autre des
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1 crimes figurant dans le présent acte d'accusation, et qu'il n'existe en
2 aucun cas le moindre élément de preuve démontrant qu'il y avait eu arrêt
3 des hostilités générales pendant la période visée à l'acte d'accusation.
4 Le meurtre en tant que violation des lois ou coutumes de la guerre figure
5 dans le chef numéro 3 relatif à l'incident de la Drina, au chef numéro 7
6 relatif aux meurtres de l'usine Varda, au chef numéro 10 relatif à
7 l'incendie de la rue Pionirska, au chef numéro 15 relatif à l'incendie de
8 Bikavac, ainsi qu'au chef numéro 19 relatif au meurtre de Mme Koric. Comme
9 je l'ai déjà dit, les éléments sous-jacents sont fondamentalement les mêmes
10 que ceux qui étaient évoqués pour parler de crimes contre l'humanité.
11 J'englobe ces éléments et mes commentaires au sujet des éléments de preuve
12 dans cette partie de mon exposé.
13 Le traitement cruel, en tant que violation des lois ou coutumes de la
14 guerre, est évoqué dans le chef numéro 5 relatif à l'incident de la Drina,
15 au chef numéro 12 relatif à l'incendie de la rue Pionirska, au chef numéro
16 17 relatif à l'incendie de Bikavac, et au chef numéro 21 relatif au Corps
17 d'Uzamnica. La Chambre de première instance, dans son jugement au
18 paragraphe 50, qualifie le traitement cruel comme un traitement inhumain.
19 Un traitement inhumain, c'est une série d'actes inhumains et pour prouver
20 l'un et l'autre, les éléments de preuve sont fondamentalement les mêmes.
21 Ces éléments peuvent être définis comme démontrant un acte délibéré qui a
22 pour but de provoquer des souffrances psychiques ou physiques importantes,
23 et qui constitue une atteinte à la dignité d'une personne. Cette atteinte
24 est commise contre une personne qui ne participe pas aux hostilités, et
25 l'intention délictueuse existe dès lors que l'auteur de ce traitement cruel
26 a été établi par les survivants comme l'auteur des crimes faisant l'objet
27 des chefs d'accusation.
28 Monsieur le Président, ceci met un terme à ce que j'avais à dire au sujet
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1 de l'article 98 bis du Règlement. L'Accusation, au principal, a présenté
2 des éléments de preuve importants et convaincants qui permettent à un juge
3 raisonnable des faits de condamner sans le moindre état d'âme les accusés
4 pour les actes figurant à l'acte d'accusation, c'est-à-dire Milan et
5 Sredoje Lukic. Je vous remercie de votre attention.
6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Une réplique, Monsieur Alarid ?
7 M. ALARID : [interprétation] Je serai très bref, Monsieur le Président, et
8 je souhaiterais avant tout vous parler du Témoin VG-115, qui est censé
9 avoir observé Bikavac. Si vous prenez Mme Turjacanin, ce qu'elle a avancé,
10 ainsi que les cartes présentées par le truchement du Témoin VG-115, vous
11 vous rendrez compte que VG-115 se trouvait dans le verger alors que les
12 soldats venaient de sortir de la maison et étaient en train de laisser
13 partir Mme Turjacanin. Donc lorsque vous regardez les cartes, vous vous
14 rendez compte qu'il y a des décalages, des illogismes et des différences.
15 Pour revenir à l'aspect plus juridique, je dois dire que j'ai quelques
16 problèmes à comprendre pourquoi M. Groome est tellement tributaire de
17 témoins pour établir l'existence d'un conflit armé, et ce, pour respecter
18 le Statut.
19 Je comprends qu'il peut y avoir différentes perceptions de la
20 situation. Toutefois, je ne pense pas que ces perceptions nous permettront
21 d'obtenir un certain niveau de conclusion juridique qui satisferait
22 entièrement la compétence de la Chambre de première instance.
23 Si vous prenez, par exemple, l'interrogation, ce qui a censé été être
24 l'interrogatoire de M. Lukic et qui figure dans une déclaration, peu
25 importe d'ailleurs ce qui a été dit par M. Lukic, mais il n'a même pas
26 établi l'existence d'un conflit armé en dépit du fait que ces mots ont été
27 dans un résumé couchés sur le papier pour être utilisés contre lui aux fins
28 justement d'établir qu'il y a bien eu existence du conflit armé.
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1 Je pense que si l'on voit tout ce qui a été fait par l'Accusation,
2 elle n'a tout simplement pas établi qu'il y avait existence d'un conflit
3 armé, je pense que ce qui a été démontré c'est que ce qui s'est passé
4 dépasse en quelque sorte la compétence de cette Chambre.
5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie. Je remercie toutes
6 les parties d'avoir présenté leurs arguments.
7 La Chambre les étudiera très, très méticuleusement et rendra sa décision
8 demain. Nous levons l'audience.
9 --- L'audience est levée à 18 heures 47 et reprendra le jeudi 13 novembre
10 2008, à 14 heures 15.
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