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1 Le mercredi 25 mars 2009
2 [Audience publique]
3 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]
4 --- L'audience est ouverte à 14 heures 19.
5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Groome, vous avez des
6 questions préliminaires.
7 M. GROOME : [interprétation] En effet, très brièvement. Lundi, vous nous
8 avez parlé de la possibilité que l'Accusation soit priée de présenter un
9 témoin vendredi. De fait, nous avons discuté de la possibilité avec le Dr
10 Fagel, qui est une personne que la Chambre nous a déjà autorisée de faire
11 venir aux Pays-Bas, il vit aux Pays-Bas, mais il faudrait que je sache
12 avant que nous n'ajournions aujourd'hui. Parce qu'il essaie de s'organiser.
13 Si la Chambre pouvait nous donner une idée de ce qui sera possible, je lui
14 permettrai de s'organiser pour vendredi.
15 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je ne vais pas poser la question à
16 M. Alarid. Nous en reparlerons à la fin de la journée, nous en discuterons
17 avec M. Alarid en prenant en compte sa liste de témoins.
18 M. GROOME : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président. Pour
19 la prochaine question, je préférerais que nous soyons à huis clos partiel.
20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] D'accord, huis clos partiel.
21 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.
22 [Audience à huis clos partiel]
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5 [Audience publique]
6 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Veuillez demander au témoin de
8 prononcer la déclaration solennelle.
9 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la
10 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
11 LE TÉMOIN : DAVID GEORGE HOUGH [Assermenté]
12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous pouvez vous asseoir.
13 Maître Alarid, vous pouvez commencer.
14 M. ALARID : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
15 Interrogatoire principal par M. Alarid :
16 Q. [interprétation] Bonjour, Docteur Hough.
17 R. Bonjour.
18 Q. Remettez votre col droit. Vous êtes à la télé. Très bien. Merci.
19 Veuillez nous donner votre nom complet, s'il vous plaît, pour le compte
20 rendu.
21 R. Je m'appelle David George Hough, ça s'écrit H-o-u-g-h.
22 Q. Et vous êtes domicilié où en ce moment ?
23 R. A Topeka, dans le Kansas, aux Etats-Unis.
24 Q. Vous êtes marié ?
25 R. Oui.
26 Q. Vous avez des enfants ?
27 R. Oui. J'ai deux filles âgées de 16 et 12 ans.
28 Q. Et en ce moment même, vous travaillez pour qui ?
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1 R. En fait, j'ai une pratique privée, je suis psychologue clinicien.
2 Q. Et pour revenir à ce voyage qui vous a emmené ici au Tribunal pénal
3 international à La Haye, revenons un peu sur votre parcours. Vous avez été
4 incorporé à l'armée ?
5 R. Oui. J'ai fait partie de l'armée des Etats-Unis de 1970 à 1973. Pendant
6 cette époque, je faisais partie des forces spéciales, qu'on appelle les
7 Bérets verts. J'ai subi toutes les formations très rigoureuses qui font
8 partie de ce programme-là et j'ai été déployé en Thaïlande en 1972 où je
9 m'occupais d'opérations spéciales avec les forces spéciales thaïlandaises
10 et aussi de travail radio.
11 Q. Vous avez ensuite quitté l'armée ?
12 R. Tout à fait. J'ai quitté l'armée en tant que sergent du rang E-5.
13 Q. Et vous avez fait quoi après avoir quitté l'armée ?
14 R. Après avoir quitté l'armée, je suis revenu aux Etats-Unis et je suis
15 allé à l'Université de Michigan.
16 Q. Vous avez eu un matricule à l'Université du Michigan, qu'est-ce que ça
17 veut dire ?
18 R. Ça veut dire que je me suis inscrit à l'école et je suis allé à
19 l'université.
20 Q. Et qu'est-ce qui vous a fait décider d'aller à l'Université de Michigan
21 ? Parce que vous y habitiez ?
22 R. C'est parce que c'est là que j'avais grandi.
23 Q. Et dites-nous, en peu de mots, quelle formation secondaire vous avez
24 suivie.
25 R. J'ai quitté l'Université du Michigan en 1978 avec l'équivalent d'un
26 bac, puis j'ai passé un doctorat à l'Université de Berkeley en Californie.
27 C'était en janvier 1988, si je ne me trompe, après quoi, j'ai été accepté à
28 la clinique de Menninger dans le Kansas à Topeka pour y faire une thèse.
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1 J'y ai passé deux ans après mon doctorat en psychologie clinique. Puis je
2 me suis retrouvé à travailler à l'hôpital de Topeka en tant que directeur
3 du programme de formation des stagiaires à l'interne et j'ai terminé une
4 formation à l'Institut de Topeka de psychanalyse et j'ai été diplômé après
5 cette formation.
6 Q. Pouvez-vous nous parler un peu de ce programme à Menninger dont vous
7 venez de nous parler.
8 R. C'est un programme assez difficile. Il y a beaucoup de personnes qui
9 sont candidats. On doit participer à beaucoup d'entretiens personnels, non
10 seulement des entretiens sur ses origines, et cetera, mais aussi des
11 entretiens visant à vérifier votre propre niveau de stress clinique. L'idée
12 est d'éliminer les gens qui ont des problèmes de caractère, disons.
13 Q. Et qu'en est-il de l'institut de Topeka pour la psychanalyse ?
14 R. Ça aussi c'est un programme assez sélectif. En général, on ne peut y
15 participer que si on vous y convie. De fait, on m'a moi-même invité à
16 participer.
17 Q. Vous êtes resté combien de temps auprès de cet
18 institut ?
19 R. Huit ans, environ. C'est un programme assez strict. Ça demande beaucoup
20 de travail, beaucoup de temps aussi. On passe quatre ans à suivre les
21 cours, ensuite on travaille patients en psychoanalyse. Il faut compléter
22 deux psychoanalyses, ce qui peut prendre de deux à huit ans. De toute
23 façon, c'est un processus très difficile pour y entrer. Après un an, vous
24 participez à un entretien pour vérifier vos connaissances de théorie de
25 technique de psychanalyse et pour vérifier que vous êtes prêt à progresser.
26 Q. Donc vous êtes maintenant diplômé en psychologie clinique, n'est-ce pas
27 ?
28 R. Oui.
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1 Q. Alors, dites-nous, pourquoi il est important d'être certifié auprès --
2 R. -- par le Conseil des psychologues américain aux Etats-Unis, c'est le
3 seul qui soit reconnu par l'Association américaine des psychologues. Il
4 existe d'autres diplômes de ce genre, mais cette certification-là est la
5 seule qui soit reconnue par l'Association américaine des psychologues. Il
6 faut pour obtenir la certification de ce conseil présenter un certain
7 nombre d'échantillons de son travail pour évaluation psychologique et
8 montrer que l'on a fait des psychothérapies, mais il faut aussi se
9 soumettre à un entretien avec un panel et discuter de toutes sortes de
10 sujets, notamment votre travail clinique, mais aussi votre éthique, votre
11 recherche; toutes les questions qui peuvent les intéresser peuvent vous
12 être posées. C'est un processus assez exigeant, mais une fois que vous avez
13 cette certification, vous pouvez compter que vous êtes reconnu comme
14 possédant un niveau de compétence qui ne serait pas nécessairement présumé
15 juste parce que vous avez un doctorat.
16 Q. Et si je ne me trompe, vous l'avez peut-être déjà dit, il y a un niveau
17 d'examen qui est nécessaire pour obtenir cette certification ?
18 R. Tout à fait. D'une part, il y a le processus de psychothérapie, mais il
19 y a aussi une évaluation psychologique et des échantillons de travail que
20 vous devez montrer.
21 Q. Et votre formation professionnelle au long de la vie ?
22 R. Ça, c'est une exigence pour tous les psychologues qui travaillent aux
23 Etats-Unis. Moi-même, je possède une licence de psychologue auprès de
24 l'Etat du Kansas et de l'Etat du Missouri, et on exige que l'on poursuive
25 sa formation dans ces deux Etats. Il est nécessaire de prendre un cours
26 d'éthique, d'une part, de déontologie, mais il y a d'autres façons aussi de
27 se tenir à jour avec les évolutions de sa spécialisation. Par exemple, en
28 ce moment même, je suis censé faire un séminaire de quatre jours au mois
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1 d'avril en psychologie médico-légale.
2 Q. Je vais faire une petite pause.
3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Alarid, excusez-moi, mais
4 j'aurais dû vous préciser tout d'abord que le Juge van Den Wyngaert n'est
5 pas présente, donc nous siégeons avec le Juge David conformément à la Règle
6 15 bis.
7 M. ALARID : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.
8 Q. Mais vous constaterez également que nous allons faire régulièrement de
9 petites pauses entre chacune de nos interventions de façon à ce que les
10 personnes qui ne comprennent pas l'anglais puissent bénéficier d'une
11 interprétation complète. Pour ce qui est de ce séminaire, vous nous parliez
12 de psychologie médico-légale.
13 R. [aucune interprétation]
14 Q. Qu'est-ce que c'est au juste ?
15 R. Bien, la psychologie médico-légale, en gros, c'est la psychologie qui
16 s'applique au domaine légal, c'est-à-dire qui peut être exigée devant un
17 tribunal.
18 Q. Donc, en gros, si vous êtes ici aujourd'hui, c'est pour de la
19 psychologie médico-légale ?
20 R. Tout à fait.
21 Q. Et vous avez déjà fait des interventions de psychologie médico-légale ?
22 R. Oui, tout à fait.
23 Q. Vous pouvez me donner un exemple ?
24 R. Tout à fait. Il faut que je sorte mes lunettes.
25 D'accord, alors j'examine mon propre curriculum vitae, alors je commence à
26 la page 7, tout en haut, puis je vais revenir en arrière.
27 M. ALARID : [interprétation] J'aimerais que la pièce 1D22-0719, qui est
28 votre CV, soit présentée à l'écran, s'il vous plaît.
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1 Q. Ainsi, Docteur Hough, vous pourrez nous montrer ce que vous désirer
2 nous montrer à l'écran.
3 R. D'accord. Donc vous avez le document, passons à la page 7 de ce
4 document et vous trouverez, en bas de la page, une présentation, qui est
5 d'ailleurs la plus récente que j'ai faite, avec un débat sur un panel. Il
6 s'agissait du cerveau politique : le rôle des émotions dans la
7 détermination du destin d'une nation.
8 L'affaire suivante ayant une importance médico-légale, c'est peut-
9 être la présentation du 7 mai 2008.
10 Q. Et pourquoi ?
11 R. Bien, il s'agissait de se poser la question de comment une société,
12 dans une période postconflictuelle, comment se reconstituait et gérait les
13 traumatismes de façon globale. Ceci était basé en partie sur une visite en
14 Bosnie avec un collègue, une visite de collecte de faits en 2005, ou peut-
15 être 2006, excusez-moi.
16 Q. Et où êtes-vous allés en Bosnie ?
17 R. Nous sommes arrivés à Dubrovnik, puis nous nous sommes rendus
18 directement à Tuzla. C'est là que nous avons passé le gros de notre temps.
19 De là nous sommes allés à Srebrenica, ce qui fut assez terrible, puis à
20 Sarajevo. C'est de là que nous sommes partis. Donc c'était un voyage d'une
21 dizaine de jours qui nous a permis de recueillir des informations
22 suffisantes.
23 La présentation suivante, après cette même affaire, concernait un crime
24 sexuel qui agissait sur internet. Ensuite, le 28 mars 2007, des prédateurs
25 sexuels sur internet; 18 avril 2006, traumatisme en Bosnie après la guerre.
26 Q. [aucune interprétation]
27 R. Il s'agissait principalement du sujet que je viens de décrire. Après
28 quoi, l'évaluation du PTST, stress post-traumatique dans un contexte
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1 international.
2 Q. Et pourquoi cela est-il pertinent à la psychologie médico-légale ?
3 R. D'une part la situation dont je discutais lors de cette présentation
4 était un travail réalisé au Kosovo avec des fonctionnaires internationaux
5 qui avaient été victimes d'une embuscade. Mais tout ceci, de toute façon,
6 serait pertinent, parce que bien souvent les gens d'autres cultures sont
7 priés de fournir les meilleurs traitements possibles dans une culture qui a
8 subi des traumatismes de guerre. L'effort que nous essayons de faire est
9 d'évaluer le phénomène, c'est-à-dire la possibilité de traitement dans une
10 situation aussi difficile.
11 Q. Quelle est la pertinence de la sensibilité culturelle lorsqu'on examine
12 le parcours médico-légal d'une personne, par exemple, bosniaque ?
13 R. C'est très pertinent. Les grands groupes culturels dans le monde ont
14 naturellement leur propre façon de fonctionner en termes linguistiques, en
15 termes social, dans leurs rapports sociaux mais aussi dans leurs rapports
16 familiaux, mais aussi leur propre façon de percevoir ce que c'est qu'un
17 traitement et la possibilité d'accepter l'aide d'autres personnes. Il y a
18 des différences énormes entre les groupes. Donc il est très important de
19 chercher à comprendre dans la mesure du possible la culture dans laquelle
20 on a choisi de s'immerger et de rester sensible à la mesure dans laquelle
21 des malentendus culturels vont forcément se présenter de façon à en rester
22 conscient pour pouvoir les corriger dans la mesure du possible. Cette
23 difficulté s'est posée même au sein de ma propre culture, qui est une
24 société très, très diverse, puisqu'il y a des gens d'origines très
25 différentes et de tranches socio-économiques est très différentes aussi et
26 qui sont tous réunis, qui sont censés partager un espace physique mais dans
27 des mondes culturels parfois extrêmement différents. Donc il est important
28 de rester sensible à ces différences culturelles même aux Etats-Unis. Je
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1 pourrais poursuivre ma liste, si vous voulez.
2 Q. Rapidement, s'il vous plaît.
3 M. ALARID : [interprétation] Monsieur le Président, là je ne sais pas
4 quelle a été la décision de la Chambre. A-t-on décidé d'accepter le niveau
5 d'expertise du Dr Hough ? Je sais qu'elle a été mise en question, donc il
6 me semblait pertinent de poser quelques questions sur son parcours.
7 [La Chambre de première instance et le Juriste se concertent]
8 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Si je ne me trompe, il a été décidé
9 en général que toute une série d'experts, enfin, de témoins peuvent être
10 qualifiés d'experts et le Dr Hough est sur cette liste. Hough ou Hough ?
11 LE TÉMOIN : [interprétation] Hough.
12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Veuillez m'excuser. Hough.
13 Je vois que vous vouliez prendre la parole.
14 Mme SARTORIO : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Nous ne doutons
15 pas des qualifications du Dr Hough comme psychologue clinique. Cela dit,
16 nous allons discuter de certains domaines, où selon nous, il est en dehors
17 de son propre domaine de spécialisation et d'expertise.
18 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] D'accord. Mais cela relève du
19 contre-interrogatoire.
20 Il a donc bel et bien été accepté par la Chambre comme étant un
21 témoin expert pour les questions sur lesquelles il est censé déposer.
22 Voilà. Donc ceci est clarifié. De toute façon, la Chambre le reconnaît
23 comme témoin expert. Mais je ne pense pas qu'il soit nécessaire de
24 consacrer beaucoup de temps à examiner ses qualifications.
25 M. ALARID : [interprétation] Tout à fait, Monsieur le Président. Donc je
26 vais d'emblée m'orienter vers des travaux plus pertinents à la question
27 pour laquelle il se trouve parmi nous et nous allons passer le plus
28 rapidement possible à ces conclusions et la façon dont il y est parvenu.
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1 Q. Alors, d'un point de vue culturel ou d'autres points de vue sur la base
2 de votre CV, y a-t-il d'autres éléments que vous aimeriez faire ressortir ?
3 R. Oui. J'aimerais parler de l'expérience que j'ai eue pour travailler à
4 la fois du côté de l'Accusation et de la Défense dans des affaires
5 précédentes.
6 Q. Oui. Mais y a-t-il d'autres aspects que vous aimeriez aborder
7 maintenant ?
8 R. Non. Pas pour le moment.
9 Q. Alors, vous travaillez aujourd'hui dans le cadre d'un cabinet privé.
10 Est-ce que vous pouvez expliquer à la Chambre de quoi il s'agit exactement
11 ?
12 R. Alors, 40 % de mon travail est un travail d'ordre clinique. C'est un
13 petit cabinet dans lequel j'apporte des conseils psychologiques et
14 psychanalytiques à un certain nombre de patients, essentiellement adultes
15 et quelques adolescents, donc en gros, à partir de l'âge de 17 ans
16 jusqu'aux personnes âgées; 20 % de mon travail concerne en fait des
17 activités de consultation clinique pour des entreprises, pour des
18 organisations, des agences locales. Il s'agit de problèmes de gestion de
19 personnel, ensuite, le reste de mon travail, 40 %, c'est encore tout ce qui
20 concerne des évaluations médico-légales.
21 Q. En ce qui concerne ces consultations et ces évaluations médico-légales,
22 en gros, 40 %, est-ce que vous pouvez entrer plus en détail pour expliquer
23 ?
24 R. Oui. Alors, ce travail médico-légal, je peux le répartir en plusieurs
25 domaines. D'abord, il y a les évaluations psychologiques indépendantes pour
26 des entreprises, pour des agences gouvernementales américaines, puis il y a
27 aussi des affaires criminelles. Alors là, je dirais que c'est à peu près 75
28 % des cas. En dehors d'évaluations systématiques, je travaille également
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1 pour des cabinets locaux, pour des cabinets juridiques locaux, à la fois
2 pour la Défense, pour l'Accusation. Et il s'agit en général en termes de
3 crimes, d'homicides, d'assassinats, d'agresseurs sexuels, et je travaille
4 également dans certains cas civils.
5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous nous avez mentionné les
6 meurtres nombreux. Qu'est-ce que vous entendez par là ?
7 LE TÉMOIN : [interprétation] Bien, en général, il s'agit de plusieurs
8 personnes qui sont assassinées. J'ai eu un cas, par exemple, une affaire où
9 un individu avait tué six personnes en même temps dans le cadre d'une
10 affaire de stupéfiants qui avait mal tourné.
11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vois. Merci.
12 LE TÉMOIN : [interprétation] Puis je fais également du travail en matière
13 d'études de crédibilité des témoins pour l'Accusation, pour la Défense.
14 J'examine le transcript, j'examine, j'évalue les éléments de preuve, les
15 bandes audio, les interrogatoires.
16 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Quelles sont les questions sur
17 lesquelles vous travaillez en général en ce qui concerne un accusé ?
18 LE TÉMOIN : [interprétation] Tout d'abord, il faut voir la compétence de
19 base qui est en jeu. Est-ce qu'il est possible de faire subir un procès à
20 l'accusé ? Est-ce que cette personne dispose des ressources psychologiques
21 nécessaires ? En dehors de cela, il y a aussi toutes sortes d'autres
22 domaines qu'il faut étudier. Il faut voir quel est le niveau de
23 préparation, puis il peut y avoir aussi d'autres questions. Ça peut être
24 très, très vaste. On peut me demander, par exemple, d'examiner l'historique
25 du comportement de la personne, dans quelle mesure cette personne a connu
26 des sévices quels qu'ils soient dans son enfance. Donc tout cela peut être
27 très, très vaste. Il y a énormément d'éléments qui entrent en jeu et qu'il
28 faut que j'évalue.
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1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci.
2 M. ALARID : [interprétation]
3 Q. Nous allons maintenant aborder deux sujets que vous avez mentionnés.
4 D'abord, l'évaluation de M. Milan Lukic lui-même; et deuxièmement, en plus
5 de cela, vous avez été sollicité pour examiner trois témoins de
6 l'Accusation qui ont été cités par l'Accusation.
7 Alors, nous allons d'abord aborder les questions concernant les témoins. Et
8 pouvez-vous nous expliquer par le passé quelles sont les affaires sur
9 lesquelles vous avez travaillé et où des questions, des problèmes
10 apparaissaient concernant la crédibilité des témoins ?
11 R. Bien, à de nombreuses reprises, les questions de crédibilité des
12 témoins sont des questions très pertinentes, parce qu'en fait les seules
13 sources de preuves reposent sur des témoins oculaires. Et dans ce type
14 d'affaire, les témoins sont très importants. Surtout dans des affaires qui
15 impliquent des enfants, par exemple, avec des agressions sexuelles sur les
16 enfants. Donc c'est dans ce cadre-là que j'ai travaillé, j'ai commencé à
17 travailler de plus en plus sur l'évaluation de la crédibilité des témoins.
18 Q. Donc en ce qui concerne les évaluations médico-légales, par exemple,
19 d'un accusé pour crime, pouvez-vous nous présenter un petit peu votre
20 travail dans ce domaine ?
21 R. Bien, j'ai une expérience assez vaste dans ce domaine. Parfois, on m'a
22 sollicité pour simplement passer un petit peu de temps avec un accusé qui
23 sait qu'il risque d'éprouver des difficultés lors du procès, donc on me
24 demande de l'aider à se préparer psychologiquement. Cela ça peut être donc
25 à un extrême, c'est une intervention très simple. Puis ça peut aller
26 jusqu'à l'autre extrême avec, par exemple, toutes les questions de
27 compétences. Quand on parle de compétences, cela peut être très, très
28 large, c'est-à-dire compétences pour subir un procès, compétences pour, par
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1 exemple, signer une dérogation, compétences même d'exécution. Il y a toute
2 une grande gamme, si vous voulez, de questions en matière de compétences
3 qui sont très, très pertinentes à cet égard.
4 Puis, au-delà de cela, on me sollicite également pour procéder à une
5 évaluation psychologique complète de la personne. Quelquefois, ils veulent
6 connaître l'état affectif et cognitif de la personne. Parfois on me demande
7 aussi des questions sur la personnalité de l'individu en question, est-ce
8 que la personne peut s'adonner à certains types de comportements, et
9 cetera.
10 Q. Alors si l'on se concentre un petit peu sur les affaires dans
11 lesquelles vous avez travaillé, combien de fois avez-vous été sollicité
12 pour examiner des affaires criminelles ? Combien de fois avez-vous témoigné
13 ou déposé ?
14 R. Au total, j'ai déposé, je dirais, environ 63 fois. J'ai été sollicité
15 pour évaluer des affaires criminelles beaucoup plus souvent, bien entendu.
16 Mais là, ce serait juste le nombre de cas où j'ai effectivement apporté un
17 témoignage.
18 Q. Est-ce que vous pouvez nous présenter un certain nombre de ces affaires
19 avec les différents types de suspects et les problèmes qui étaient liés à
20 ces individus.
21 R. Je pourrais commencer par des affaires de peine de mort sur lesquelles
22 j'ai travaillé dans l'Etat du Kansas et l'Etat du Missouri aux Etats-Unis.
23 Il y a une affaire très difficile dans laquelle j'ai témoigné, il
24 s'agissait de l'affaire Etat du Missouri contre M. Zinc [phon].
25 Q. Parlez-nous un petit peu de M. Zinc.
26 R. C'est une affaire qui a déjà été jugée, donc je suis parfaitement libre
27 d'en parler. C'était le cas, M. Zinc, qui avait passé 20 ans en prison pour
28 un viol avec violence commis à l'âge de 20 ans. Ensuite il avait été
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1 libéré, il devait faire du service communautaire. Quatre mois plus tard, il
2 s'est adonné à la boisson et il a été impliqué dans un léger accident de
3 voiture avec une femme qui l'avait aidé à sortir de la voiture, ensuite
4 avec qui il était en train d'échanger des informations sur l'assurance.
5 Donc il a enlevé cette femme. Enfin, bref, pour raccourcir l'histoire,
6 finalement il l'a emmenée dans les bois et il lui a rompu le cou en
7 l'étranglant.
8 Q. Est-ce que vous pouvez nous parler de ce tueur en particulier qui a
9 apparemment tué de sang-froid ?
10 R. Oui. En fait, je dirais que c'était en pur psychopathe. Il n'avait
11 aucun remord, aucun sentiment de culpabilité, et il était tout à fait prêt
12 à retourner en prison et à faire face à une peine de mort. Il était
13 préoccupé pour lui, mais pas pour la victime.
14 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Quels sont les éléments de preuve
15 que vous avez apportés ?
16 LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis arrivé sur l'affaire au moment de
17 l'appel et j'avais évalué M. Zinc depuis le tout début, et j'avais été
18 sollicité, parce qu'en fait il était apparu en qualité de volontaire. Donc
19 en général pour ce type d'affaire, il y a des questions de compétence qui
20 se posent. Nous nous sommes aperçus à ce moment-là qu'il s'agissait d'une
21 manipulation, c'était une manipulation de sa part. C'était, en fait, un
22 appel à l'aide pour bénéficier des privilèges lorsqu'il était en prison.
23 Ensuite, j'ai été un petit peu plus impliqué dans cette affaire pour
24 l'évaluation de M. Zinc et j'ai été en mesure d'avoir une idée assez
25 précise de son développement psychologique, de la façon dont il se
26 comportait, la façon dont il avait des relations avec les autres personnes
27 en général.
28 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Quelles ont été vos conclusions ?
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1 LE TÉMOIN : [interprétation] A ce stade-là, j'ai constaté que c'était un
2 adulte qui avait une personnalité anti-sociale, qu'il était asocial. Et en
3 plus de cela il souffrait paranoïa, de caractéristiques de paranoïa assez
4 fortes. Qu'il soit psychopathe ou non, c'est quelqu'un qui souffrait de ces
5 deux choses, asocial et paranoïaque. Mais nous n'avons pas le diagnostic
6 officiel pour cela aux Etats-Unis, mais je pense que c'est à peu près dans
7 cette catégorie que l'on peut le classer.
8 Ensuite, la phase suivante de mon travail a consisté à examiner les
9 questions de l'élément moral, c'est-à-dire lui demander de m'expliquer très
10 en détail, très, très en détail, ce qui l'a amené à se conduire de cette
11 façon-là, ce qui s'était passé cette nuit-là. En fait, aussi bien dans
12 cette affaire que dans d'autres, ce sont des types de discussions pour
13 lesquels il faut beaucoup de préparation. Parce qu'il faut beaucoup parler
14 avec la personne, il faut instaurer un climat de confiance pour arriver à
15 ce stade où la personne en face de vous se sent suffisamment à l'aise pour
16 tout d'un coup se mettre à vous parler de son enfance et, finalement, du
17 crime qu'il a commis, qu'il a perpétré lui-même.
18 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Alors, quelles ont été vos
19 conclusions en matière de l'élément moral ?
20 LE TÉMOIN : [interprétation] Là j'ai constaté que c'était une action
21 parfaitement délibérée de sa part, parfaitement volontaire. C'était une
22 décision calculée. Son raisonnement était le suivant : comme la femme en
23 question savait qu'il avait bu alors qu'il était en liberté provisoire,
24 surveillée, il savait qu'elle pouvait tout de suite en parler à son avocat
25 de liberté surveillée, et que très vite on aurait vu qu'il avait
26 effectivement enfreint son régime et donc qu'il allait être obligé de
27 retourner en prison. Donc la seule façon pour lui c'était de la tuer. Et il
28 n'a pas essayé d'étudier d'autres possibilités. Pour lui, il n'avait aucun
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1 remords à cet égard.
2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Très bien. Merci.
3 M. ALARID : [interprétation]
4 Q. Avez-vous déjà travaillé sur des affaires de tueurs en série ?
5 R. Oui.
6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ecoutez, nous n'avons pas besoin
7 d'aller dans ces détails. Ici, nous venons d'avoir un excellent exemple du
8 travail déjà réalisé par le Pr Hough.
9 M. ALARID : [interprétation] La raison pour laquelle je voulais évoquer ces
10 affaires de tueurs en série, c'est que peut-être cela pouvait nous
11 permettre de procéder à une comparaison avec le cas de M. Lukic par
12 contraste, si vous voulez.
13 M. LE JUGE ROBINSON : [aucune interprétation]
14 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, effectivement, j'ai travaillé sur une
15 affaire de ce type dans l'Etat du Kansas, l'Etat du Kansas contre John
16 Robinson. Je n'ai pas été appelé pour témoigner dans cette affaire, parce
17 qu'en fait la compétence a été déplacée à l'Etat du Missouri. C'était donc
18 une affaire qui recouvrait plusieurs Etats. Mais j'ai été sollicité pour
19 évaluer M. Robinson à plusieurs reprises, ainsi qu'un certain nombre de
20 dossiers qui avaient été fournis pour cette affaire. C'était, en fait, un
21 homme qui avait l'habitude finalement de rencontrer des femmes en ligne sur
22 internet. Il créait des conversations avec ces femmes, ensuite il avait des
23 conversations avec elles qui tournaient autour de pratiques sexuelles
24 déviantes et des pratiques sado-masochistes, et certaines femmes étaient
25 très réceptives à ce type de conversation. Finalement, en général, il
26 organisait des rendez-vous avec ces femmes. Ils s'adonnaient à ces
27 activités ensemble et, finalement, il les faisait entrer dans une sorte de
28 grand tonneau, un grand baril et les femmes, en général, pensaient que ça
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1 faisait partie du jeu sexuel. Mais une fois qu'elles étaient dans ce grand
2 tonneau, il les tuait avec un marteau, ensuite il refermait le tonneau et
3 ces tonneaux étaient utilisés pour construire, en partie, un certain nombre
4 de pylônes qu'il était lui-même en train de construire près d'un lac. Si
5 bien que lorsqu'il allait sur le bord du lac, il marchait sur chacun de ces
6 tonneaux et donc sur chacune de ses victimes.
7 Je dois dire que là il s'agissait d'un psychopathe de tout premier
8 ordre. Il était très manipulateur, très difficile d'avoir une relation avec
9 lui et de discuter avec lui. Il m'avait fourni très, très peu
10 d'informations véritablement utilisables.
11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci.
12 M. ALARID : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
13 Q. Pour évoquer maintenant d'autres expériences tout à fait à l'autre
14 extrême de votre large éventail d'expériences, dans quelles autres
15 circonstances avez-vous témoigné où il y avait des questions de crédibilité
16 des témoins ?
17 R. Bien, je vais vous donner quelques exemples. Par exemple, ici, il
18 s'agit de faux témoignages par des témoins. Il s'agissait d'un homme qui
19 avait avoué un crime, les éléments de preuve étaient là, mais ce n'était
20 pas lui qui avait commis le crime.
21 Mais plus souvent, j'ai été sollicité pour étudier des cassettes des
22 adultes qui auraient commis des crimes sexuels sur des enfants et, très
23 rarement, ces affaires ne sont allées jusqu'au stade du procès. J'ai une
24 affaire, ici, le 4 janvier 2008, j'ai été sollicité pour témoigner dans
25 l'affaire de l'Etat du Kansas contre Kenneth Wadell [phon] et il s'agissait
26 donc d'étudier la capacité de cette jeune personne à témoigner devant un
27 tribunal. Et dans ce cas, j'ai examiné des volumes et des volumes de
28 témoignages qui avaient précédemment été fournis aux enquêteurs ainsi que
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1 des bandes sonores. Mes conclusions étaient qu'il n'y avait pas d'obstacle
2 pour que cet enfant puisse témoigner et cet enfant a effectivement
3 témoigné.
4 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Merci.
5 M. ALARID : [interprétation]
6 Q. En ce qui concerne ce cas, est-ce qu'il y a une science de la
7 psychologie qui couvre toutes ces questions concernant la perception et la
8 mémoire ?
9 R. Oui, ce sont des disciplines séparées, dans le cadre de la psychologie
10 générale.
11 Q. Et d'une façon générale, quelle sorte de ressources utilisez-vous pour
12 procéder à vos recherches ?
13 R. Bien, dans le domaine des sciences sociales, vous savez, nous disposons
14 d'énormément de ressources, et si je regarde ces différents domaines, nous
15 disposons d'informations réellement encyclopédiques. Pour cette affaire en
16 particulier, pour me familiariser avec l'affaire, avec son contexte, avec
17 les éléments géographiques, sociopolitiques, et cetera, et pour comprendre
18 aussi les différentes questions qui pouvaient être pertinentes dans cette
19 affaire, j'ai examiné un nombre infini d'éléments. J'ai énormément
20 travaillé, ensuite j'ai présenté une répartition de tous les aspects que
21 j'ai étudiés et je crois que cela montre, de façon résumée, les différents
22 aspects que j'ai coutume d'étudier dans ce type d'affaire.
23 Q. Oui, nous venons d'être prévenus qu'il fallait ralentir un petit peu
24 pour les interprètes. Bien. Maintenant passons plus précisément à tout ce
25 qui concerne la mémoire, parce que nous allons tout d'abord, comme je l'ai
26 dit tout à l'heure, aborder la question des témoins, ensuite nous
27 aborderons Milan Lukic. Alors, quelles sont les ressources en matière de
28 mémoire, de souvenir que vous avez utilisées ?
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1 R. Dans le domaine de la mémoire, la littérature est extrêmement
2 volumineuse. Il faut essayer d'être sélectif, sinon il y en a trop. Il faut
3 trouver la littérature qui représente le mieux l'état actuel de la pensée
4 en matière de souvenir et de mémoire. Et en page 6 des documents que j'ai
5 publiés dans mon curriculum vitae, je peux résumer un petit peu tous ces
6 documents.
7 Q. Oui, s'il vous plaît.
8 R. Alors il y a, dans la bibliographie, ce livre, "La Mémoire de
9 l'Holocauste : Rappel permanent de traumatisme extrême," puis un autre
10 ouvrage, "L'étude de la psychologie dans son ensemble : La science
11 intégrée," de William N. Dember. C'est un article particulier qui était une
12 étude des survivants de l'Holocauste de la Deuxième Guerre mondiale pour
13 voir s'il y a des caractéristiques particulières dans la façon dont ils
14 évoquent leurs souvenirs et s'il y a des caractéristiques que l'on peut
15 retrouver chez les différents survivants pour reparler de ces événements
16 chez des victimes après des troubles post-traumatiques.
17 Q. Quel type de facteurs sont pris en compte dans de telles situations ?
18 R. [aucune interprétation]
19 Q. [aucune interprétation]
20 R. Bien, une étude qualitative, qui avait été réalisée à l'Université de
21 Yale aux Etats-Unis, une étude qualitative de tous les entretiens avec ces
22 survivants pour essayer de voir comment, dans leurs souvenirs, ces
23 personnes évoquaient tout ce qu'ils avaient vécu et pour étudier la façon
24 dont ces souvenirs étaient encore empreints d'une très, très forte
25 émotivité chez ces personnes ou s'il s'agissait de souvenirs qui étaient
26 présentés de façon très fragmentée.
27 C'est très important, parce que dans le cas de trouble post-
28 traumatique, il faut bien comprendre que les patients, lorsqu'on leur
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1 demande de redécrire une expérience telle que celle-là, traumatisante, ils
2 sont très émotifs, ils ont du mal à en reparler, ils ont du mal à surmonter
3 cet exercice, parce que c'est quelque chose qui est trop pour eux. Mais ce
4 n'est pas vrai pour tout le monde, ce sont des cas extrêmes. Il faut
5 essayer d'examiner tout cela pour comprendre, en général, la façon dont les
6 souvenirs, après une bonne période de temps, peuvent être réévoqués, par
7 exemple, dans le cas des survivants d'Auschwitz en 1944 et 1943. Il
8 s'agissait donc, dans cette étude, de voir comment les souvenirs sont
9 évoqués chez les victimes qui ont encore des troubles post-traumatiques.
10 Autre étude que j'ai étudiée bien en profondeur, celle réalisée par Karen
11 Nelson en 1998, qui a écrit un article "Les souvenirs de traumatismes :
12 comment transférer le présent vers le passé," et c'est un autre article
13 dans un ouvrage. Puis, aussi un autre document, David Ruben, Ariel Boals,
14 Dorothy Bernstein, ça s'est fait en 2008 et encore un autre : "Les
15 souvenirs autobiographiques traumatiques et non traumatiques chez les
16 personnes qui souffrent de symptômes de troubles post-traumatiques." C'est
17 un article publié dans le journal de psychologie expérimentale, le volume
18 137 numéro 4, des pages 591 à 614. Dans cet article en particulier, les
19 choses sont très, très intéressantes et, je crois, très pertinentes. Parce
20 qu'en fait, cet article explique les différentes façons de conceptualiser
21 les troubles post-traumatiques chez les sujets qui ont eu ce type
22 d'expérience traumatisante.
23 Une école de pensée, présentée par un chercheur du nom de Marty Horowitz
24 [phon] à l'Université de Californie à San Francisco, explique qu'il y a
25 très souvent ce que l'on appelle un processus de fragmentation dans les
26 souvenirs et une autre étude étudie également le même phénomène et explique
27 que ce n'est pas toujours le cas. En fait, ce que je veux dire ici dans ce
28 dernier cas, il n'y a pas vraiment de raisons de créer une théorie tout à
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1 fait distincte pour la psychologie post-traumatique. Il n'y a pas de
2 théorie générale, si vous voulez, en matière de psychologie post-
3 traumatique.
4 Q. Quelle est la théorie générale de la mémoire ou du
5 souvenir ?
6 R. Bien, la théorie générale veut que lorsque l'on évoque des souvenirs,
7 les souvenirs sont entiers et il n'y a pas de fragmentation, alors que dans
8 le cas de la théorie de la psychologie post-traumatique il peut y avoir des
9 fragmentations, parce que la personne va se souvenir de certaines parties
10 de façon plus intense que d'autres.
11 Il y a un autre article qui présente une recherche réalisée par Daniel
12 Shakter en 1999 intitulée, "Les sept péchés de la
13 mémoire : aperçu de la psychologie et de la neuroscience," c'est quelque
14 chose que l'on trouve dans le journal américain de psychologie, volume 54,
15 pages 182 à 203. Et j'ajouterais même que ce journal professionnel, The
16 American Psychologist, est la revue, je dirais, qui a le plus d'autorité en
17 la matière aux Etats-Unis et sur le continent nord-américain pour les
18 psychologues. Si vous devez vous abonner à une revue quelle qu'elle soit
19 dans ce domaine, c'est vraiment la revue incontournable.
20 Alors Dr Shakter, dans son article, explique les différentes façons
21 dont les sources extérieures peuvent influencer la façon dont une personne
22 va évoquer ses souvenirs. Le Dr Shakter parle d'erreur d'attribution qui
23 signifie que, par exemple, un individu ne va pas bien comprendre ce qui est
24 codé dans son souvenir. Par exemple, la personne va se souvenir que
25 quelqu'un a été victime d'un vol avec un pistolet. Mais du fait que la
26 personne n'est pas sûre d'avoir réellement vu un pistolet, mais peut-être
27 un bâton ou quelque chose, la perception sera différente et il va mal
28 décrire le souvenir qu'il a de cet incident.
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1 J'ai aussi revu le travail fait par le Dr Bruce en 1991, un article paru
2 dans cette revue, pages 46 à 48 du numéro 1 du volume 6 de cette même
3 revue, American Psychologist, et j'ai vu aussi, dans cet article, des
4 différents mécanismes intervenant dans l'encodage et le travail fait sur la
5 mémoire. Voulez-vous que je le parcoure, que je vous cite que --
6 Q. Pas nécessairement. Ce qui m'intéresse surtout, ce sont les meilleures
7 références que vous avez et qui sont à la base de l'évaluation que nous
8 avons faite de ces trois témoins à charge.
9 R. C'est sans doute Shakter, mais j'ai aussi examiné certains éléments
10 parus dans la littérature scientifique portant sur de mauvais témoins
11 oculaires.
12 Q. Parlez-nous-en.
13 R. Plusieurs études ont été réalisées. Il y en a une, faite par Saul
14 Kassin, K-a-s-s-i-n; Anne Tubb, T-u-b-b; Harmon Hosch, H-o-s-c-h; et Amina
15 Mermon, M-e-r-m-o-n; en 2001 sur l'acceptation générale de recherche en
16 matière de témoin oculaire, article paru dans American Psychologist, volume
17 56, numéro 5, pages 405 à 416. Que font ces auteurs ? Ils prennent un
18 échantillon de psychologues cliniques et médico-légaux pour voir dans
19 quelles mesures les théories concernant les témoins oculaires ont été
20 retenues par les tribunaux où ces personnes ont exercé. Quelles sont les
21 conclusions de ce rapport ? Dans la plupart des tribunaux à l'époque, ce
22 genre de témoignage a été déclaré recevable. L'objectif, c'était d'établir
23 une acceptation générale de ce type de témoignage.
24 Mais je recommanderais aussi le Dr Elizabeth Loftus, qui est très connue en
25 matière de recherche de la mémoire visuelle ou de la mémoire et de la
26 recherche pour ce qui est des témoins oculaires. Il y a un article de
27 American Psychologist, volume 48, numéro 5, paru en 1993, pages 50 à 52
28 [comme interprété]. La dernière référence que je citerai, c'est le Dr Gary
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1 Wells, 1993. Son article s'intitule, "Que savons-nous des témoins
2 oculaires," American Psychologist, volume 48, numéro 5, pages 53 à 71
3 [comme interprété].
4 J'ai aussi fourni une brève synthèse d'ouvrages scientifiques que je vous
5 ai remis en 2008, le 9 juin, qui faisait le tour d'écrits en ce qui
6 concerne le souvenir qu'ont les témoins oculaires et leur identification.
7 Q. Quels sont les problèmes qui se posent pour l'identification pour des
8 témoins oculaires ? Pourriez-vous nous le dire de façon générale ?
9 R. Il y a plusieurs concepts qui sont mal utilisés à ce propos. J'aimerais
10 les citer. Ce sont des avis couramment répandus dans l'opinion publique,
11 mais souvent ils reposent sur des erreurs. La première erreur c'est qu'une
12 fois un souvenir consigné dans la mémoire, il ne va pas se modifier. C'est
13 comme si c'était un magnétophone qui l'avait enregistré. Une fois que c'est
14 saisi, ce souvenir va rester intact. Il est engrangé et on peut le rappeler
15 dans la forme dans laquelle il a été saisi, comme si c'était une bande
16 sonore.
17 Deuxième erreur, c'est que les informations consécutives à l'événement,
18 donc ce qu'on a dit à quelqu'un après l'événement et ce qui est saisi par
19 cette personne n'aura aucun effet sur le souvenir une fois qu'il est
20 engrangé.
21 Troisième erreur, c'est que la mémoire est imperméable à la suggestion.
22 Quatrième erreur, c'est que les défaillances en matière de mémoire sont
23 dues à la façon dont on va retrouver ce souvenir, mais le souvenir en tant
24 que tel, lui, reste intact.
25 Dernière erreur en matière de concept, c'est que le souvenir ne va pas se
26 dégrader, se déliter au fil du temps.
27 Je parle d'une conception reconstructive de souvenir et j'analyse ces
28 concepts ou ces erreurs de pensée différemment. Le souvenir, ce n'est pas
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1 comme si c'était une bande sonore enregistrée à tout jamais. Le souvenir
2 peut se transformer, il ne demeure pas intact.
3 Deuxième élément de cette théorie reconstructive c'est que les informations
4 consécutives à l'information peuvent avoir un effet sur le souvenir. Je
5 m'explique. Plus tard, une fois que le souvenir est soumis à des
6 conversations et à d'autres événements, aux médias, quelqu'un peut avoir du
7 coup un souvenir différent de ce qu'il était au départ.
8 Troisième idée de cette théorie reconstructive c'est qu'il est possible
9 d'influer sur le souvenir.
10 Quatrièmement, c'est que les défaillances en matière de souvenir
11 peuvent venir d'un problème qui peut intervenir à toute étape, quelle
12 qu'elle soit. La façon dont on a encodé le souvenir, dont on l'a retenu ou
13 dont on va le retrouver plus tard.
14 Cinquième idée, c'est qu'effectivement, le souvenir peut faire l'objet
15 d'une dégradation au fil du temps.
16 Enfin, c'est une idée qu'acceptent la plupart des psychologues qui se
17 penchent sur la question de la mémoire, c'est que c'est malléable, le
18 souvenir, c'est influençable.
19 Q. Vous avez étudié beaucoup d'éléments de recherche et vous dites que
20 cette idée reconstructive est généralement acceptée par les chercheurs.
21 Pourriez-vous nous en dire davantage ?
22 R. Je donne dans ma liste de références l'article de Goodman; Radlich
23 [comme interprété], R-a [comme interprété]-d-l-i-c-h; Kyn, K-y-n; Gagtti,
24 G-a-g-t-i [comme interprété]; Tydi; Schaff; et Hahn, H-a-h-n 1999, "Manuel
25 de psychologie médico-légale," deuxième édition. L'intitulé de ce chapitre
26 qu'ils ont écrit c'est "L'évaluation du témoignages de témoins oculaires
27 adultes en enfants," c'est de là que je tiens cette référence précise.
28 Mais effectivement c'est une idée largement répandue parmi les chercheurs
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1 qui étudient cette question de la maniabilité du souvenir de témoins
2 oculaires qui on fait alors cette théorie reconstructive. Moi ici, bien
3 sûr, je ne vous donne qu'un aperçu tout à fait schématique de cette idée.
4 Il n'y a pas là la complexité que vous trouveriez dans un tel manuel, mais
5 il y a certains éléments très clairs. Donc le produit ultime de ce que va
6 vous dire un sujet, un témoin, ce sera un amalgame, ce sera une synthèse de
7 ce qui s'est véritablement passé; ça, ce sera la source principale du
8 souvenir, de la mémoire. Mais à cela se greffent au souvenir de ce qui
9 s'est passé, se greffent d'autres éléments parmi lesquels le travail
10 interne de ce que la personne a pu avoir comme intuition, ce qu'elle a tiré
11 comme conclusion des informations qu'elle aura obtenues de sources
12 externes, des informations consécutives à l'événement --
13 Mme SARTORIO : [interprétation] Objection, Monsieur le Président. Je pense
14 que le témoin ne fait que réciter ce qu'il a lu dans les manuels, et ça a
15 dépassé de loin la question posée.
16 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je ne sais pas si l'objection est
17 valable, mais je pense personnellement que nous en savons suffisamment.
18 Demandons au témoin de se prononcer sur l'affaire en l'espèce. Nous savons
19 suffisamment ce qu'il a fait dans sa carrière. Je commence à perdre
20 patience.
21 M. ALARID : [interprétation] Oui, je peux vous dire pourquoi c'est
22 pertinent.
23 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, c'est pertinent, mais ça
24 suffit. Ça suffit. Demandez-lui de parler de notre procès. Mme Sartorio
25 attend de procéder au contre-interrogatoire, et bon nombre des choses qu'a
26 dites le témoin vont revenir en contre-interrogatoire.
27 M. ALARID : [interprétation] Oui, bien sûr, je suis d'accord. Mais il y a
28 plusieurs écoles de pensée, vous savez.
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1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ça suffit. Ce contexte me suffit.
2 M. ALARID : [interprétation] D'accord.
3 Q. Soyons précis. Prenons la mémoire, ce qui se fait de façon classique
4 pour ce qui est de l'encodage, de la rétention et de la saisie de ce qu'a
5 retenu un témoin qui était témoin d'un crime.
6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous ne m'avez pas écouté. Est-ce
7 qu'il n'est pas ici pour parler d'une question propre à notre procès ?
8 M. ALARID : [interprétation] Mais si.
9 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Bien, qu'il en parle. Est-ce que
10 vous ne lui avez pas posé des questions au récolement sur tel ou tel sujet
11 précis ? Ça fait maintenant une heure et un quart que nous parlons de sa
12 qualité, de son expérience professionnelle.
13 M. ALARID : [interprétation] D'accord.
14 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Moi, je suis convaincu.
15 M. ALARID : [interprétation] Mais c'est la science qui s'applique en
16 l'espèce.
17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je ne sais pas comment vous
18 travaillez chez vous. Mais moi, ici, je crois que nous avons entendu
19 suffisamment d'éléments concernant sa carrière. Passez tout de suite
20 directement à ce qui compte vraiment dans ce procès.
21 M. ALARID : [interprétation] D'accord.
22 Q. Pour ce qui est de témoins protégés, nous allons utiliser pour chacun
23 d'entre eux un pseudonyme qui leur a été alloué. Mais pour les témoins qui
24 ne sont pas protégés, nous pourrons utiliser leurs noms. Pour justifier ma
25 question, je vous demande d'abord s'il est vrai que je vous ai demandé
26 d'examiner la question concernant
27 VG-114, Mme Zehra Turjacanin; aussi le Témoin 63; et le Témoin 115 ?
28 R. Oui.
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1 Q. Parlons d'abord de Mme Zehra Turjacanin. Dites-nous ce que vous avez
2 étudié comme dossier la concernant avant de procéder à votre évaluation.
3 R. En ce qui concerne ce témoin-ci, il y a à la page 1 --
4 M. ALARID : [interprétation] Avant de m'écarter du sujet, j'aimerais
5 demander le versement du curriculum vitae du témoin.
6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Il est reçu.
7 M. ALARID : [interprétation] Nous allons demander que soit affiché le
8 document --
9 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Ce sera le document D202.
10 M. ALARID : [interprétation] Peut-on afficher le document 1D22-0779.
11 Q. Bien sûr, la première page nous le montre, quels sont les éléments
12 saillants que vous avez étudiés avant de faire une évaluation de la
13 déposition et de la présence de ce témoin et avant d'évaluer sa déclaration
14 préalable.
15 R. Tous ces éléments sont, bien entendu, pertinents, mais c'est sans doute
16 le numéro 15, sa déposition, son procès-verbal d'audition, qui me semble le
17 plus important. De plus, au moment où j'ai rédigé ce rapport, je n'avais
18 pas encore eu l'occasion d'examiner ce qu'elle avait déclaré les 4 et 5
19 novembre 2008. Donc ceci ne se retrouve pas et ne se répercute pas dans ce
20 rapport.
21 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Un instant.
22 Oui, Madame Sartorio.
23 Mme SARTORIO : [interprétation] Objection à ce qu'on fasse usage de cette
24 deuxième partie de l'audition. Ça n'a pas été repris dans le rapport du
25 témoin. Nous n'avons pas été avertis, nous n'avons pas eu l'occasion
26 d'examiner ce qu'il aurait écrit.
27 M. ALARID : [interprétation] Oui, il n'a pas fait de rapport, il a
28 simplement retenu ceci. Mais tout ce qui est nouveau me semble pertinent.
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1 Il ne me semble pas que ceci eut un effet de surprise pour ce qui est de la
2 suite de la déposition, d'autant que cette partie-là s'est faite assez
3 tardivement et ne faisait pas partie des documents remis au témoin.
4 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, mais Mme Sartorio n'a pas eu
5 l'occasion de voir ce qu'a écrit le témoin.
6 M. ALARID : [interprétation] Mais il n'y a rien à revoir. C'est la
7 déposition, c'est le procès-verbal de l'audition du témoin. Je vais poser
8 la question au témoin.
9 Q. Monsieur, est-ce que l'examen de ce que vous avez vu s'agissant de la
10 dernière partie de l'audition de ce témoin a changé votre opinion ?
11 R. Non.
12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Fort bien. Poursuivez.
13 M. ALARID : [interprétation]
14 Q. Monsieur le Témoin, qu'est-ce que vous avez examiné ? Quelles sont vos
15 conclusions ? Montrez-nous le cheminement de votre pensée avant de procéder
16 à ces conclusions.
17 R. Les documents que j'ai examinés sont énumérés aux pages 1 et 2 du
18 rapport, et je l'ai indiqué, ce qui me semble le plus important, c'est sans
19 doute le procès-verbal de l'audition de ce témoin, le document numéro 15.
20 Il y a eu plusieurs entretiens avec des enquêteurs, avec des journalistes,
21 avec différents agents -- ou des forces de sécurité, mais ce qui me semble
22 le plus important, c'est sa déposition à l'audience.
23 Si vous me le permettez, j'aimerais commenter ceci. Je comprends que mon
24 style est peut-être un peu tranchant quand j'écris. Mais j'écris en tant
25 qu'être humain, quelqu'un qui a, effectivement - bon, qui aussi soigne, et
26 je n'ai pas eu l'intention d'attaquer ce témoin. Je suis allé en Bosnie. Je
27 comprends parfaitement ce qu'ont pu avoir subi les victimes. Je sais que
28 beaucoup ont souffert, et ont souffert beaucoup.
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1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Poursuivez, Maître.
2 M. ALARID : [interprétation]
3 Q. Vous avez dit que ce procès-verbal d'audition était le plus important,
4 mais je suppose qu'il y a aussi des déclarations préalables antérieures qui
5 étaient importantes. Qu'est-ce que vous avez essayé de trouver comme
6 éléments susceptibles de forger votre évaluation ?
7 R. C'est vrai pour toute analyse du contenu. Ce qui est important, c'est
8 le degré de cohérence au fil du temps. C'est compréhensible, quand beaucoup
9 de temps s'écoule, on ne peut pas s'attendre à ce qu'il y ait une parfaite
10 cohérence entre ce qu'aurait dit un témoin à un moment donné et plus tard.
11 Pourtant, il faut qu'il y ait un degré suffisant de cohérence pour dire
12 qu'il reste un fil conducteur.
13 Je me suis donc intéressé aux questions de cohérence, au degré de
14 détail présenté par le témoin. La version des événements présentée au fil
15 du temps ne me semble pas avoir suffisamment de cohérence. Parfois, on
16 mélange ce qu'on a entendu et ce qu'on a vécu, et je l'ai déjà dit, il y a
17 un problème intrinsèque. Et c'est vrai pour tout témoin. Parce qu'il y a
18 énormément de temps qui s'est écoulé, il est très difficile que le témoin
19 se souvienne de tout. Ce n'est pas leur faute, c'est un fait. C'est un fait
20 propre à la situation, car il s'agit d'événements survenus il y a des
21 années, ce qui, en soi, provoque une dégradation de la mémoire, du
22 souvenir. Je l'ai déjà dit.
23 Q. Quelle est l'importance qu'il faut apporter à cela et au fait que cette
24 dame a subi des blessures personnelles, des traumatismes, elle a été
25 brûlée, indépendamment de la source ?
26 R. J'aimerais d'abord dire que ce traumatisme a envahi sa vie, et je
27 comprends parfaitement pourquoi le Président tient à protéger ce témoin.
28 Cette femme, elle a été vraiment très touchée, très endommagée, si j'ose
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1 dire, et loin de moi l'idée de dire qu'elle ne peut pas témoigner. Je pense
2 qu'elle a le droit à la parole, et je suis content qu'elle l'ait eu. Mais
3 je pense aussi que vu l'ampleur du traumatisme, la profondeur de celui-ci,
4 ce n'est pas surprenant que ce traumatisme se manifeste dans ses dires,
5 dans la façon dont elle dit les choses, dans son besoin d'avoir plusieurs
6 interruptions. C'est tout à fait compréhensible. J'ai déjà travaillé avec
7 des victimes de traumatisme. Mais justement, je sais qu'avec de telles
8 victimes, il est souvent difficile, sur le plan de l'émotion, de bien se
9 souvenir de l'expérience du traumatisme et de bien la traduire. D'abord, le
10 fait d'essayer de revivre ceci a la même force que le traumatisme lui-même.
11 Ça a la même force. Si quelqu'un veut se remettre dans ce souvenir, c'est
12 quelque chose qui est très stressant. Il va y avoir un accroissement de ce
13 stress à cause de l'anxiété, ce qui fait que le fait de se remémorer va
14 peut-être être déformé, le fait de rendre les choses va peut-être être
15 entaché d'erreurs. La date aura changé, l'ordre des événements aussi. Ça ne
16 veut pas dire que la personne va fabriquer ce souvenir de toutes pièces,
17 pas du tout. Mais je pense qu'il y a un processus et un style qui est
18 propre à ces victimes de traumatisme. Ce n'est pas ce que vous dira une
19 personne qui n'a pas été victime d'un tel traumatisme. Le style d'une telle
20 personne, d'une telle victime, ce sera vraiment quelque chose qui est
21 imprégné d'émotions, qui sera peut-être pour l'auditeur, moins cohérent. On
22 sait qu'il y a beaucoup de vérité dans ce qui est dit, mais chacun des
23 détails ne le sera pas nécessairement.
24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous avez conclu que cette personne
25 a présenté ces caractéristiques pendant son audition ?
26 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, effectivement.
27 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous le pensez. Qu'auriez-vous
28 conclu de la fiabilité générale de ce qu'elle a déclaré ?
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1 LE TÉMOIN : [interprétation] A mon avis - et là, je vais être juste - je
2 pense qu'il faut lui accorder un certain degré de fiabilité; mais il faut
3 aussi voir le versant de cela. Il y a la compassion, bien sûr, mais ça ne
4 veut pas dire nécessairement que ce qu'elle dit est vrai. On ne peut pas
5 supposer cela alors qu'on pourrait peut-être le supposer de quelqu'un qui
6 n'a pas vécu cette expérience. On ne peut pas supposer qu'elle va pouvoir
7 vous présenter les choses de la façon dont vous le souhaitez, c'est-à-dire
8 de façon logique, rationnelle, factuelle, de façon bien cohérente. Ce n'est
9 pas probable, ce l'est peu. Ça veut dire qu'il faut avoir une troisième
10 oreille, pour ainsi dire, pour entendre ce qu'elle a à dire.
11 Mais je dirais qu'il demeure un domaine qui m'interpelle, et je ne sais pas
12 comment résoudre cette contradiction, je m'explique : elle a parlé au
13 commissariat de police des brûlures qu'elle avait subies et de la nature de
14 ces brûlures. On a ici parlé d'une bonbonne de gaz alors qu'on parle d'un
15 incendie, et je n'ai pas de réponse. Tout ce que j'ai, tout ce qui me
16 reste, c'est la question.
17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Dites-moi, vous n'avez pas procédé à
18 un examen clinique du témoin.
19 LE TÉMOIN : [interprétation] Non.
20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous le dites d'ailleurs dans le
21 paragraphe liminaire de votre rapport.
22 LE TÉMOIN : [interprétation] Non.
23 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Est-ce que c'est important ? Si vous
24 l'aviez examinée, si vous aviez pu procéder à un examen clinique de la
25 personne, est-ce qu'éventuellement, vous auriez relevé telle ou telle chose
26 susceptible de modifier les conclusions que vous avez fini par tirer sans
27 avoir eu cet examen clinique ?
28 LE TÉMOIN : [interprétation] Il est toujours utile de pouvoir procéder à un
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1 examen clinique. D'être dans la même pièce que le patient, c'est tout à
2 fait différent de l'examen de documents. Malheureusement, je n'ai pas pu le
3 faire, et je ne sais pas si j'avais été la personne idoine pour le faire.
4 Si ça avait été possible, il est fort probable que ceci ait modifié la
5 perception que j'ai eue du dossier; et peut-être aurais-je pu offrir un
6 diagnostic clinique et poser des questions. Manifestement, on ne peut pas
7 poser des questions à un dossier. Ça aurait été différent.
8 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Dans votre pratique professionnelle,
9 avez-vous souvent examiné des dossiers ? Dites-moi ça par rapport au nombre
10 d'examens cliniques, aux fins de dépositions en tant qu'expert devant les
11 tribunaux ?
12 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Dans la plupart des cas, manifestement,
13 l'idéal c'est d'avoir aussi bien le dossier que l'examen clinique de la
14 personne. Parfois, la possibilité de parler à la personne ne se présente
15 pas, ce n'est pas possible, alors ce qui reste c'est le dossier. Mais
16 l'examen optimal va réunir les deux formes d'examen. Mais oui,
17 effectivement, j'ai parfois déposé en tant que témoin sur seule base du
18 dossier.
19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Qu'est-ce que vous avez fait le plus
20 souvent ?
21 LE TÉMOIN : [interprétation] L'ensemble des deux, l'examen clinique avec
22 examen du dossier. C'est d'ailleurs le mode de fonctionnement privilégié.
23 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Monsieur Alarid.
24 M. ALARID : [interprétation] Puis, je voulais vous expliquer ce que je
25 voulais faire. Dans mon système, on a un expert 706, on peut demander au
26 Tribunal de demander à quelqu'un de procéder à l'examen d'une personne.
27 Mais vu le climat du procès, je me suis dit que ce n'était pas une bonne
28 idée, mais j'y ai pensé. Je me suis dit, est-ce que la Chambre gagnerait à
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1 avoir un examen indépendant, tout à fait neutre, effectué par quelqu'un qui
2 pourrait faire aboutir le cheminement de la pensée ? Je me suis dit
3 effectivement que je ne savais pas si c'était quelque chose de faisable
4 ici, je voulais simplement vous le dire.
5 Q. Quelle est l'importance qu'il faut attribuer à ceci, une des parties
6 qu'elle accuse qui l'aurait agressée, donc à part M. Milan Lukic, c'était
7 Mitar Vasiljevic qui, au moment où ceci s'est passé, était depuis deux
8 semaines à l'hôpital et donc n'aurait pas pu faire partie du traumatisme de
9 ce qui s'est passé le 27 juin 1992; en tant que [inaudible] ou réellement ?
10 Mme SARTORIO : [interprétation] Objection. La question est très longue.
11 Tout d'abord, je ne sais pas si je l'ai bien comprise personnellement. On
12 demande quelle est la signification qu'il faut donner ? Ici on présente à
13 un psychologue ce qui est une idée car --
14 M. ALARID : [hors micro]
15 Mme SARTORIO : [interprétation] Oui, mais Me Alarid souhaite un commentaire
16 de la part du témoin, on demande au témoin quel est l'effet que ceci aurait
17 pu avoir sur le témoin, là je m'interroge, où veut-il en venir.
18 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais ce n'est pas très clair. De
19 toute façon, nous allons faire une pause et peut-être que la pause sera de
20 bon conseil pour vous, Maître Alarid.
21 Pause d'une demi-heure, l'audience est suspendue.
22 --- L'audience est suspendue à 15 heures 44.
23 --- L'audience est reprise à 16 heures 16.
24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Alarid, j'espère que vous
25 avez profité de la pause pour nous donner une nouvelle formulation de cette
26 question.
27 M. ALARID : [interprétation] Je vais faire de mon mieux. Nous allons
28 travailler par hypothèse, disons.
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1 Q. Monsieur, dans cette affaire précise, Mme Turjacanin a accusé également
2 et maintenu son accusation contre le coaccusé, Mitar Vasiljevic, qui était
3 considéré par sa propre Chambre. Il s'est avéré qu'il avait une jambe
4 cassée et qu'il était à l'hôpital depuis près de deux semaines.
5 Mme SARTORIO : [interprétation] Objection, Monsieur le Président. Le témoin
6 n'a pas témoigné sur l'incendie de Pionirska et c'était un autre incendie.
7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais que voulez-vous dire, Madame
8 Sartorio ?
9 Mme SARTORIO : [interprétation] Que Zehra n'a pas témoigné concernant
10 l'incendie de Pionirska.
11 M. ALARID : [interprétation] Zehra a accusé Mitar Vasiljevic d'être l'un
12 des responsables de la nuit du 27 juin 1992.
13 Mme SARTORIO : [interprétation] Mais il n'était pas là. Il n'était pas
14 accusé de Bikavac.
15 M. ALARID : [interprétation] Mais si, il l'était et il a été accusé par la
16 justice, il était accusé de ça.
17 Mme SARTORIO : [interprétation] Il n'était pas l'hôpital à ce moment-là. Il
18 n'y a pas eu de conclusion. Il a été acquitté.
19 M. ALARID : [interprétation] Bon. Il a été acquitté. Voyons. C'est mon
20 expert. D'abord j'ai le droit de lui proposer des hypothèses et je peux
21 obtenir la preuve que l'accusé Mitar, pendant sa rencontre avec M. Groome,
22 pendant laquelle les notes de l'entretien ont été montrées pour le premier
23 témoignage, et je suis convaincu que ce médecin a d'ailleurs vu cette note.
24 Donc, à mon avis, c'est pertinent et c'est un fait dont on débat dans cette
25 affaire, et d'ailleurs je pense pouvoir le prouver à ce témoin.
26 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais nous allons nous en servir
27 comme d'une hypothèse.
28 M. ALARID : [interprétation]
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1 Q. Donc c'est une hypothèse que Mme Zehra Turjacanin ait accusé une autre
2 personne d'avoir également participé aux événements du 27 juin.
3 Hypothétiquement, cette personne n'aurait pas pu être là, parce qu'en fait,
4 il avait cassé sa jambe et qu'il n'était certainement pas présent le 27
5 juin.
6 Cependant Mme Turjacanin continuait de maintenir que cette personne était
7 également responsable de ce qui lui était arrivé. Etant donné ce fait, ceci
8 a-t-il des conséquences sur votre évaluation, sur votre point de vue sur
9 cette affaire ou est-ce que c'est d'ailleurs une idée que vous avez déjà
10 incluse dans votre évaluation de cette affaire ?
11 R. Pour répondre à cette question fort complexe et hypothétique, je
12 commencerais par répondre à la dernière partie de votre question en disant,
13 Non, je n'ai pas tenu compte de cela dans mon évaluation. Mais supposons
14 maintenant que ce témoin, donc hypothétiquement, ait accusé quelqu'un qui
15 ne pouvait manifestement pas être là, il y a toutes sortes de possibilités,
16 de raisons à cela. Mais de toute évidence, ce serait tout de même une
17 accusation fausse qui pourrait avoir toutes sortes d'origines, mais qui en
18 soi, si vous le constatiez, soulèverait des questions relatives à la
19 capacité de ce témoin à donner des informations fiables sur les autres
20 aspects de ce même événement, quelles que soient les raisons.
21 Q. Et en ce qui concerne le faux témoignage, vous dites, ça peut être pour
22 toutes sortes de raisons. Pouvez-vous nous donner une idée de ce que
23 seraient éventuellement ces raisons ?
24 R. Bien, une possibilité serait qu'elle se soit trompée, tout simplement.
25 Elle aurait pu voir une personne qui ressemblait à une personne qui avait
26 été là ce jour-là et donc penser que c'est la même personne. On peut aussi
27 avoir fait un transfert, on peut avoir une distorsion de la mémoire due à
28 des problèmes psychologiques ou une distorsion liée tout simplement à un
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1 handicap, à des circonstances physiques de l'événement, circonstances liées
2 à l'environnement de l'événement. Donc il y a toutes sortes de possibilités
3 qu'il faudrait envisager.
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12 [Audience à huis clos partiel]
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11 [Audience publique]
12 LE TÉMOIN : [interprétation] Le mot "transfert" peut signifier plusieurs
13 choses. En général, ce qu'on entend par là, c'est qu'il y a un rapport
14 entre le patient et le médecin qui s'instaure et par lequel le patient
15 transfère à son thérapeute des sentiments et commence à se comporter d'une
16 certaine façon, comme si ce thérapeute était quelqu'un d'autre, notamment
17 un de ses parents, par exemple. Ça c'est la façon la plus habituelle de
18 parler de transfert.
19 Mais parfois, parmi les victimes, il y a des phénomènes de transfert
20 d'identité. On voit une personne qui a des caractéristiques qui peuvent
21 ressembler éventuellement à une autre personne et présumer que cette
22 personne que l'on voit est en fait quelqu'un d'autre, notamment la personne
23 - comment m'exprimer ? La victime peut transférer certains aspects de leur
24 perception d'une certaine personne à quelqu'un d'autre et présumer que
25 telle autre personne est en fait la première. En gros, ça revient à prendre
26 quelqu'un pour quelqu'un d'autre.
27 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur le Juge.
28 M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Si j'ai bien compris, mes connaissances
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1 en psychologie sont limitées, Freud était la personne qui a appliqué la
2 première fois le concept de transfert. Dans son premier travail en 1925,
3 dans la première version de son œuvre, il a exploré d'autres sens de ce que
4 c'était que le transfert, et notamment le transfert par les rêves, n'est-ce
5 pas ? Vous connaissez ce concept ?
6 LE TÉMOIN : [interprétation] Tout à fait, j'ai même enseigné la chose.
7 M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Donc la possibilité de transférer, dans
8 les rapports quotidiens, des similitudes entre les personnes de façon
9 inconsciente au départ, puis à terme, le problème peut arriver à la
10 surface.
11 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
12 M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Donc le transfert, d'après la théorie
13 psychanalytique, n'est pas un phénomène lié exclusivement à la pathologie.
14 En fait, c'est un problème assez commun que le psychiatre cherche à
15 identifier par le biais d'un entretien psychanalytique ou psychologique.
16 LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis enchanté de constater que vous avez lu
17 Freud et je suis tout à fait d'accord avec vous. Le transfert c'est quelque
18 chose d'omniprésent en fin de compte, c'est impliqué dans tous les rapports
19 humains. Dans une situation psychanalyste, par exemple, le transfert c'est
20 un outil très utile pour faciliter les rapports, pour résoudre les conflits
21 pour le patient.
22 M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Mais vous savez aussi que le transfert,
23 il y a un chapitre, par exemple, de Freud qui s'appelle "Le transfert
24 interminable," qui essaie de dire que justement pour le thérapeute, à un
25 certain moment il faut que cela s'arrête, il faut conclure le processus de
26 transfert pour parvenir à la guérison, n'est-ce pas ?
27 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
28 M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Donc tout ceci nous amène au problème
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1 de la pertinence, de l'importance de l'entretien personnel par rapport à la
2 psychologie clinique ou au psychiatrie. Vous savez que Sullivan [phon] a
3 publié un ouvrage qui s'appelle "L'entretien psychanalytique," qui est
4 l'ouvrage de base de la psychiatrie américaine et qui fait que la
5 psychiatrie américaine s'éloigne de la version européenne de la chose,
6 c'est l'importance de l'entretien pour évaluer le patient et pour faire un
7 diagnostic clinique, n'est-ce pas ?
8 LE TÉMOIN : [interprétation] Tout à fait.
9 M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Bien. Donc n'ayant pas vu, n'ayant pas
10 évalué personnellement, dans le cadre d'un entretien clinique, ce qui vous
11 aurait permis naturellement d'administrer des tests objectifs plus ou moins
12 ou pas. Mais en tout cas cela vous aurait permis d'appliquer certains
13 paramètres à sa personnalité, donc cet entretien psychanalytique ou
14 psychologique étant crucial pour déterminer au-delà des éléments de
15 documentation, pour déterminer les troubles de la personnalité.
16 LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis tout à fait d'accord avec vous.
17 M. LE JUGE DAVID : [interprétation] C'est ce qui donne suffisamment
18 d'éléments par le biais de la théorie de la personnalité, à en croire
19 également Gordon Alpert, le fondateur de la théorie américaine de la
20 psychologie, donc tout cela démontre l'importance de l'entretien, n'est-ce
21 pas ?
22 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
23 M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Donc deuxièmement, ou troisième ou
24 quatrièmement, le stress post-traumatique peut être immédiatement relâché
25 dans le cas où le témoin se présente devant la justice. Vous l'avez dit
26 dans un des paragraphes relatifs au VG-115. Je lis : "Le traumatisme sera
27 visible, sera prévisible." C'est ce que vous avez dit, "il sera visible
28 lorsque le témoin déposera." C'est ce que vous avez dit.
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1 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
2 M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Ceci signifie que ça se passerait et
3 qu'il y aurait une décharge d'émotions liée au traumatisme antérieur?
4 LE TÉMOIN : [interprétation] En effet.
5 M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Tout ceci signifie que l'intensité de
6 cette décharge d'émotions peut causer une grande confusion --
7 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
8 M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Et ça peut même causer d'autres
9 processus, comme notamment, l'altération de la langue et des mots ?
10 LE TÉMOIN : [interprétation] En effet.
11 M. LE JUGE DAVID : [interprétation] C'est bien correct ?
12 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est tout à fait correct.
13 M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Je vous remercie beaucoup. Je voulais
14 savoir aussi pour les deux questions importantes de la pertinence de
15 l'entretien psychiatrique et de l'entretien psychologique et aussi l'impact
16 du stress post-traumatique dans le comportement du témoin lorsqu'il est
17 amené à déposer devant une chambre de justice.
18 LE TÉMOIN : [interprétation] Un point sur lequel je voudrais attirer votre
19 attention.
20 M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Oui.
21 LE TÉMOIN : [interprétation] Lorsque le témoin cherche à gérer ce
22 phénomène, il vaut mieux que le traumatisme ne soit pas trop puissant. Il
23 peut y avoir un surtraumatisme [phon] très facilement, sans avoir à
24 appliquer trop de pression. Il y a des gens qui pensent que la possibilité
25 de témoigner a quelque chose de cathartique, de thérapeutique et, en ce qui
26 me concerne, je dirais que c'est vrai pour certaines personnes, mais pour
27 d'autres, ça peut tout simplement surtraumatiser [phon].
28 M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Je suis tout à fait d'accord avec vous.
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1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci.
2 Monsieur Alarid.
3 M. ALARID : [interprétation] Je vais maintenant poursuivre et tout cela va
4 nous amener à une question. Nous allons nous concentrer sur la
5 recommandation du médecin justement et sur le fait que cette enquête aurait
6 pu être menée sans que cela ne mette en doute ou en danger le témoin, en
7 aucune façon.
8 Q. Lorsque l'on pose des questions, n'est-ce pas, et comme l'a dit M. le
9 Juge, lorsque l'on pose des questions, cela peut faire revivre le
10 traumatisme, n'est-ce pas ?
11 R. Oui.
12 Q. Alors en revivant ce traumatisme, cela peut avoir quel genre d'effet
13 sur le témoin qui a vécu ce traumatisme au départ ?
14 R. S'il s'agit de témoins qui ont été à plusieurs reprises exposés à des
15 traumatismes répétés, multiples, cela peut cumuler les traumatismes les uns
16 sur les autres et on parvient à ce que l'on appelle un stress post-
17 traumatique complexe. C'est très difficile à guérir, ça implique une
18 intense souffrance et sans traitement, ces personnes vont continuer à
19 souffrir et à souffrir jusqu'à la fin de leur vie. Parfois, ils n'auront
20 aucun traitement, aucun soin.
21 Q. En tant que psychologue, avez-vous jamais rencontré des personnes ayant
22 subi des traumatismes multiples ? Ça vous est déjà arrivé ?
23 R. Oui, tout à fait. A de nombreuses reprises.
24 Q. Et dans votre expérience, ces personnes ont-elles toujours exposé la
25 totalité de leurs traumatismes dès le début de votre relation ?
26 R. Ça dépend des gens. Il y a une sorte de classification, si vous voulez.
27 Il y a une catégorie de personnes qui subissent des traumatismes si
28 évidents qu'on pourrait ainsi dire que ça se voit tout de suite, dès qu'ils
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1 entrent dans votre bureau, ça se voit. Ça se sent. Ils sont déjà dans leur
2 traumatisme et ils le revivent. Il y en a d'autres où ça se passe
3 différemment. Le traumatisme est mieux réprimé et on met plus de temps à
4 parvenir au traumatisme, parce qu'ils se défendent contre lui
5 psychologiquement. Ça c'est une situation très différente. Mais les cas où
6 le traumatisme complexe est multiple et à fleur de peau, dans ces
7 situations-là, en général, ça se voit tout de suite, presque immédiatement
8 dans les 15 premières minutes, dans la première demi-heure. Souvent c'est
9 très profond dans sa manifestation.
10 Q. Pour mettre cela en perspective, vous est-il arrivé pendant vos voyages
11 ou dans la littérature de voir des exemples de victimes de conflit, qui
12 aient subi ce genre de traumatisme multiple et complexe?
13 Mme SARTORIO : [interprétation] Objection, Monsieur le Président. Encore
14 une fois, tout ceci est très gentil, très beau, très intéressant, mais ça
15 n'a rien à voir avec la raison pour laquelle nous avons fait comparaître ce
16 témoin.
17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Quelle est la pertinence, Maître
18 Alarid ?
19 M. ALARID : [interprétation] Bien, Monsieur le Président, ces trois témoins
20 ont fait l'expérience de toute une série de choses personnelles et aussi de
21 choses dont ils ont été spectateurs, ils ont connu des attaques
22 personnelles, des souffrances personnelles. Ils ont vu des gens qui leur
23 étaient proches souffrir. Ils ont subi des sévices très graves --
24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] D'accord, d'accord, d'accord. C'est
25 pertinent.
26 M. ALARID : [interprétation]
27 Q. Et ces trois témoins collectivement, mais naturellement nous sommes sur
28 le cas de Mme Turjacanin pour l'instant, est-il possible qu'elle souffre
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1 des effets de traumatisme multiple étant donné son expérience pendant la
2 guerre ?
3 R. Je répondrai que, bien sûr, je ne me suis pas entretenu avec elle et je
4 ne peux pas me baser sur mon expérience directe, mais je déduirais, de son
5 témoignage et de la documentation, que cela est très probable. Etant donné
6 la région et la nature du conflit, et cetera, cela me semble très probable.
7 Q. Alors, quels facteurs - des tabous sociaux, des normes religieuses -
8 quels sont les facteurs qui peuvent pousser des gens à révéler des choses
9 qui risquent de violer, justement, ces tabous sociaux ?
10 R. Un tabou social dans la culture américaine, et je pense que dans la
11 plupart des cultures, cela existe également. Un tabou donc est d'admettre
12 que l'on a été l'objet notamment d'abus sexuels. C'est sans doute le tabou
13 le plus courant. Les gens préfèrent, en fait, admettre qu'on les a battus
14 ou qu'on a été violent avec eux verbalement, mais la honte, la
15 stigmatisation liée aux sévices sexuels sont telles que ces victimes ont
16 beaucoup de mal à reconnaître que cela leur est arrivé, parfois ils ne le
17 reconnaîtront jamais. Elles préféreront emporter leur honte dans la tombe.
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4 [Audience publique]
5 M. ALARID : [interprétation] Je voudrais revenir à Mme Zehra Turjacanin.
6 Quelles sont vos inquiétudes en ce qui concerne le témoignage de Zehra
7 Turjacanin ?
8 R. En dehors du témoignage, il y a une chose que je voudrais dire.
9 D'abord, j'ai peur qu'elle nous dise qu'elle n'a pas encore suivi de
10 traitement, puis en ce qui concerne son témoignage, ce que je crains c'est
11 qu'elle soit obligée dans certains cas, certains jours, de s'absenter pour
12 quelques heures ou même pour plus longtemps, parce que le fait d'être
13 confrontée à toutes ces questions risque de déclencher une réaction de
14 nouveau traumatisante pour elle.
15 Le fait de revivre tous ces souvenirs fort traumatisants pour elle va
16 l'obliger à réévoquer toutes ces scènes dans son esprit, dans ses
17 souvenirs, dans sa mémoire. Je pense qu'il va être difficile de lui poser
18 des questions sur ces expériences. Parce que dans un cas comme celui-ci,
19 vous risquez d'ajouter encore à son traumatisme. Il s'agirait alors d'un
20 surtraumatisme, et à ce moment-là, je crois que ce serait trop pour elle.
21 Ce serait trop insoutenable.
22 Q. En regardant les transcripts les plus récents, est-ce que cela change
23 votre façon de voir les choses ?
24 R. Non, pas vraiment. Je n'ai pas encore inclus ce deuxième ensemble de
25 témoignages dans mon rapport. Il est vrai qu'elle avait l'air un petit peu
26 plus solide, un petit peu plus forte, mais elle est également arrivée à un
27 point où, lorsqu'elle s'est trouvée confrontée à ce qui se déroulait dans
28 une description d'une situation dans un enregistrement, là, elle a dû
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1 s'arrêter. Donc on peut se poser la question de savoir comment trouver le
2 bon équilibre avec elle, à savoir comment et jusqu'où aller avec elle sans
3 pour autant la surtraumatiser. Mais d'un autre côté, si on ne l'interroge
4 pas suffisamment, à ce moment-là, il peut y avoir aussi une insuffisance.
5 Donc c'est vrai que c'est un équilibre qui est difficile à trouver.
6 Q. Oui.
7 M. ALARID : [interprétation] Je comprends bien les limites de cela.
8 Q. Passons maintenant au Témoin VG-115. Quels sont les facteurs en ce qui
9 concerne ce témoin, en dehors des faits énoncés, qui ont un impact sur
10 votre opinion ?
11 R. Je crois qu'en dehors des sévices qui sont mentionnés dans les
12 documents, j'ai constaté que dans le transcript, qu'elle a un certain
13 nombre de problèmes dans l'organisation de ses pensées, dans la
14 conceptualisation. Il semblerait qu'elle mélange un petit peu ce qu'elle a
15 entendu dire avec ce qu'elle a réellement vu. Je pense qu'il y a donc des
16 incohérences avec ses témoignages préalables en 2000. Je crois qu'elle
17 avait déjà été considérée comme un témoin peu crédible. Je pense que c'est
18 une situation qui semble difficile à modifier, et qu'en ce qui concerne ce
19 témoin, j'ai des doutes quant à sa capacité à véritablement fournir des
20 informations fiables et cohérentes.
21 Q. Est-ce que vous pensez que c'est important, le fait que d'une certaine
22 façon, peut-être le destin, elle se soit trouvée comme un témoin oculaire
23 très important aux deux événements les plus importants qui constituent les
24 chefs d'accusation contre mon client, à savoir le feu de Bikavac et celui
25 de la rue Pionirska ?
26 R. Oui et non. Oui, parce que ce sont des coïncidences assez importantes.
27 Mais en même temps, c'est vrai qu'étant donné que dans ce contexte il y
28 avait tellement de violence, tellement d'actes de violence et de
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1 criminalité partout que peut-être on ne pouvait qu'être le spectateur de
2 ces violences un peu partout. Puis il y a aussi le fait qu'elle pouvait
3 être aussi au mauvais endroit au mauvais moment.
4 Q. Quelle est l'importance --
5 R. Je ne comprends pas bien votre question.
6 Q. Elle a assisté à l'assassinat d'un certain nombre de personnes --
7 Mme SARTORIO : [interprétation] Monsieur le Président, est-ce qu'on
8 pourrait avoir une référence particulière, s'il vous plaît.
9 M. ALARID : [interprétation]
10 Q. Nous regardons ce rapport, page 2. Elle dit qu'elle ne pouvait oublier
11 les cris, et donc elle était témoin de choses épouvantables. Elle était
12 témoin de choses épouvantables sur le pont, d'après sa déclaration. Quelle
13 est l'importance du fait qu'elle ait pu aussi être témoin d'exécutions
14 sommaires ?
15 R. Les troubles post-traumatiques peuvent survenir non pas seulement à la
16 suite d'événements qu'on a vécus soi-même, mais aussi d'événements dont on
17 a été témoin. Plus vous avez été proche de l'événement en question, plus
18 vous allez être affecté. Donc ces traumatismes, ces troubles post-
19 traumatiques peuvent très bien être provoqués par le simple fait d'avoir
20 été témoin.
21 Q. Est-ce important pour vous qu'elle ait mentionné également que M.
22 Vasiljevic ait participé à l'incendie de la rue Bikavac le 27 juin ? Ne
23 pensez-vous pas qu'elle se base là uniquement sur des choses qu'elle a
24 entendu dire ?
25 R. Si elle n'y était pas, en fait, elle s'est basée dans son témoignage
26 uniquement sur des ouï-dire, des choses qu'elle avait entendu dire par
27 d'autres, donc à ce moment-là, ce sont des informations qui viennent de
28 tiers qu'elle a inclus dans son propre témoignage. C'est vrai que c'est
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1 quelque chose qui peut se faire dans certains cas, après de telles
2 expériences. Vous pouvez effectivement - et c'est un risque qui se présente
3 - inclure des choses que vous entendez dire dans votre propre expérience,
4 comme si vous les aviez réellement vécues.
5 Q. Avez-vous d'autres éléments à ajouter concernant le Témoin VG-115 et
6 d'autres conclusions à tirer et à exprimer à la Chambre ?
7 R. Je crois que nous avons effectivement couvert les points les plus
8 importants. Ce que je dirais encore une fois en guise de conclusion - et il
9 s'agit là d'une opinion professionnelle - à savoir que dans les documents
10 et les dossiers que j'ai pu étudier, j'ai des doutes quant à la crédibilité
11 du témoin pour pouvoir fournir des informations fiables et cohérentes et
12 qui puissent réellement être utiles. En ce qui concerne le témoignage de
13 l'année 2000, je n'ai vu aucun événement entre-temps, depuis l'année 2000,
14 qui soit survenu qui puisse changer mon opinion.
15 Q. Merci.
16 M. ALARID : [interprétation] Nous allons donc verser le rapport du médecin
17 au dossier concernant l'évaluation de VG-115.
18 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, nous allons traiter ce rapport
19 de la même façon.
20 M. ALARID : [interprétation] D'accord. Je voulais juste m'assurer que nous
21 n'allons pas oublier de verser cette pièce.
22 Je tiens à dire qu'il s'agit de VG-115, et non pas VG-15.
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10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Entendu. Donc huis clos partiel.
11 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes en séance à huis clos
12 partiel.
13 [Audience à huis clos partiel]
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4 [Audience publique]
5 M. ALARID : [interprétation]
6 Q. [aucune interprétation]
7 R. Mais maintenant, on voit le nom pour la première fois de Lukic dans ce
8 narratif, dans ce récit, dix ans plus tard. Apparemment, elle le connaît,
9 elle l'a reconnu. Et si elle l'avait reconnu la première fois, elle aurait
10 pu le dire. A l'évidence --
11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Un instant. Le Juge David a une
12 question à vous poser.
13 LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur.
14 M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Docteur, donnez-moi une idée de
15 l'importance du refoulement inconscient dans une situation de traumatisme
16 ou de stress ou de trouble post-traumatique, et connaissez-vous le rôle que
17 peut jouer le refoulement, c'est-à-dire qu'on ne retrouve plus dans le
18 discours rationnel des événements, parce qu'on les a refoulés car ils sont
19 trop traumatiques.
20 LE TÉMOIN : [interprétation] Excellente question. Vous le savez, le rôle de
21 la répression, du refoulement, reste un élément très polémique, fort
22 discuté par les chercheurs. Même si c'est accepté en psychoanalyse, ce
23 concept a été souvent mal utilisé pour des cas de violence sexuelle aux
24 Etats-Unis. Il y a des gens, après bien des années, qui disent se souvenir
25 de quelque chose qui s'est passé pour eux il y a longtemps, et les
26 barrières, disent-elles, de ce refoulement ont disparu, elles se
27 souviennent.
28 Je suis d'accord avec vous, Monsieur le Juge. Il se peut que le
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1 refoulement soit un obstacle conséquent qui empêche le souvenir de
2 remonter, et il serait possible de remplacer le véritable coupable par ce
3 concept l'agresseur soldat. Et des années plus tard, il se peut que ce
4 refoulement s'éloigne ou que cette barrière, cet obstacle disparaisse et
5 qu'il soit possible de se souvenir. Cependant, il faut être très prudent,
6 car parfois un souvenir peut franchir cet obstacle et on peut dire des
7 choses avec beaucoup de sincérité et beaucoup de conviction affective tout
8 en ayant tort, tout en se trompant.
9 M. LE JUGE DAVID : [interprétation] -- la méthode de la réaction au départ
10 c'est un apport freudien qui permet de réveiller le souvenir du patient, de
11 réveiller des circonstances qui permettent de révéler l'obstacle qui
12 empêchait de se remémorer, c'est ça la réaction.
13 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
14 M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Ce n'est pas un processus simple, dit
15 Freud, parce que le refoulement est dans le subconscient, dans
16 l'inconscient, et il y a le fait que le problème est masqué et la mémoire
17 est masquée par cet obstacle. Pourriez-vous étoffer ce propos ?
18 LE TÉMOIN : [interprétation] Tout à fait. Mais permettez-moi d'ajouter
19 ceci. De façon générale, lorsqu'on traite des personnes si traumatisées, on
20 constate que toute action ne suffit pas. Il faut qu'il y ait aussi le fait
21 de retravailler ce moment, de le revivre. Il faut trouver un moyen pour que
22 cette personne retraverse ce moment pour en sortir et se réinstaurer dans
23 sa vie.
24 Il y a aussi des situations où l'obstacle du refoulement cède trop
25 facilement, peut-être parce qu'il y a une technique abréactive [phon] qui
26 est utilisée ou en raison d'une circonstance de la vie. Mais je pense
27 effectivement qu'il peut y avoir un refoulement et que nous tous, nous
28 charrions des choses dont nous ne sommes pas conscients, mais que ces
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1 choses, suivant les circonstances, peuvent revenir. Mais c'est souvent une
2 idée effrayante qui fait peur au sujet. Est-ce que je réponds à votre
3 question ?
4 M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Oui. Une question que je voudrais vous
5 poser, elle concerne le rôle que joue le refoulement et l'amnésie
6 temporaire ou longue d'événements traumatiques.
7 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. C'est très polémique, mais c'est souvent
8 constaté sur le plan clinique. La terminologie que nous avons pour les
9 troubles post-traumatiques c'est la réponse retardée, retardée de mois,
10 voire d'années. Puis tout ceci revient et inonde la personne. J'ai parlé à
11 beaucoup de vétérans de la Deuxième Guerre mondiale qui ont vécu des vies
12 sans complication affective jusqu'au moment, par exemple, où ils ont
13 regardé un film de guerre. Il y en a eu plusieurs. Puis alors ça les a
14 vraiment frappés de plein fouet, c'était comme si tout s'était passé le
15 matin même de cette journée-là, c'était très puissant. Il existe un tel
16 phénomène retardé, tout à fait.
17 M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Merci beaucoup.
18 M. ALARID : [interprétation] Merci, Monsieur le Juge.
19 Q. Les déclarations ont-elles manifesté des discordances, des
20 contradictions qui montreraient qu'ici on a affaire à un cas de refoulement
21 plutôt qu'une décision consciente de ne pas dévoiler ?
22 R. Nous parlons toujours du Témoin 063 ?
23 Q. Oui.
24 Mme SARTORIO : [interprétation] Objection, parce qu'ici, de nouveau, on
25 demande au témoin de se mettre dans la tête du Témoin
26 VG-63.
27 M. ALARID : [interprétation] Moi, je lui demande s'il peut le faire à
28 partir des documents qu'il a pu consulter.
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1 Mme SARTORIO : [interprétation] Est-ce que quelque chose a été dit ou n'a
2 pas été dit ? Je ne pense pas qu'il soit à même de répondre à cette
3 question, suivant les circonstances, il pourrait présenter des hypothèses,
4 mais --
5 M. ALARID : [interprétation] Je vais essayer de reformuler la question pour
6 répondre à l'objection.
7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur le Témoin, pouvez-vous
8 présenter des conclusions scientifiques qui parleraient d'un refoulement de
9 la part de ce témoin compte tenu du fait que vous ne l'avez pas examiné ?
10 LE TÉMOIN : [interprétation] Le fait que je n'ai pas examiné cette personne
11 me limite dans ma capacité à tirer des conclusions. Parler de refoulement
12 dans son cas, vraiment je ne suis pas en mesure de le faire.
13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Fort bien.
14 Passez à un autre sujet, Maître Alarid.
15 M. ALARID : [interprétation]
16 Q. Le fait que ce témoin a fait une description physique très précise, a
17 parlé de tatouage s'agissant de M. Lukic bien avant qu'il y ait eu d'autres
18 révélations ou communications, est-ce important ? Si je vous disais que M.
19 Lukic n'a pas de tatouage présentant un aigle à double tête, est-ce que
20 c'est un fait important ?
21 R. Nous sommes toujours dans le domaine de votre hypothèse. En l'absence
22 de ces traits physiques tels qu'un tatouage alors que le témoin affirme
23 avoir vu un tatouage, là aussi c'est une erreur de perception, mais je
24 constate que pour avoir examiné plusieurs documents on parle souvent de ce
25 tatouage du double aigle, ce qu'on voit aisément si quelqu'un s'est
26 retroussé les manches, sans doute que c'est un détail qui frapperait l'œil.
27 Mais en l'absence de ce tatouage, manifestement, il y a erreur de
28 perception qui vient peut-être du fait que ceci a été souvent discuté. Donc
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1 on en a beaucoup discuté de ce tatouage, ce qui pourrait peut-être
2 expliquer une erreur de perception.
3 Q. Est-ce que ça veut dire aussi qu'il y a erreur en matière
4 d'identification, que cette personne n'est pas la personne dite ?
5 Mme SARTORIO : [interprétation] Objection.
6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui.
7 Mme SARTORIO : [interprétation] D'abord, la question est directrice, puis
8 je ne pense pas qu'on ait justifié cette question. Quelle en est la base ?
9 Il ne peut pas expliquer pourquoi cette personne a dit que l'homme était
10 tatoué.
11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Alarid, posez une autre
12 question.
13 M. ALARID : [interprétation] Oui, mais comment se fait-il que dans la
14 déclaration ce soit dit ? Est-ce que je ne peux pas poser la question au
15 témoin ? Je pense que nous avons la déclaration où on fait référence à un
16 trait distinctif [inaudible]. C'est objectif, n'est-ce pas ? Pourtant, nous
17 pouvons ici offrir l'élément, et c'est un fait certain, M. Lukic n'a jamais
18 eu ce genre de tatouage. Il me semble que c'est quelque chose de tout à
19 fait pertinent. Le témoin peut apporter son commentaire puisqu'il est
20 médecin. Apparemment, pour ce faire, je suis forcé de vous donner un
21 élément concret qui donne l'impression que je suis directeur dans ma
22 question, mais je ne le suis pas du tout. Mais j'aimerais revenir sur cette
23 question. M'autorisez-vous à le faire ?
24 Mme SARTORIO : [interprétation] Mon problème c'est qu'ici, en fait, nous
25 avons des plaidoiries. On ne peut pas demander maintenant au témoin de
26 commenter les raisons pour lesquelles un autre témoin a dit ou n'a pas dit
27 telle ou telle chose. Etait-ce une erreur ? Etait-ce délibéré ? Impossible
28 que le témoin ne commente ici, à moins qu'effectivement ce témoin n'ait
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1 posé la question à l'autre témoin. Bien sûr, l'avocat de la Défense peut
2 revenir dans ses plaidoiries sur la question du tatouage, mais le présent
3 témoin n'est pas à même de dire ce que pensait l'autre témoin quand elle a
4 parlé du tatouage.
5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je suis d'accord. Passez à autre
6 chose, Maître Alarid.
7 M. ALARID : [interprétation] Peut-on afficher le document 1D22-0788.
8 Troisième page du document, s'il vous plaît.
9 Q. Ce que vous avez à l'écran, c'est votre rapport, vous avez examiné
10 plusieurs documents, prenons le troisième paragraphe. Apparemment, à la fin
11 de ce paragraphe, vous parlez de la description physique de ces aigles.
12 R. C'est quelle page ?
13 Q. Page 3 --
14 R. D'accord.
15 Q. -- c'est au troisième paragraphe, dernière phrase du paragraphe. Si
16 l'on suppose qu'elle a pris ceci comme point de référence, est-ce que ceci
17 a une importance significative dans ce que vous dites dans votre rapport ?
18 R. Mais ici il y a erreur sur un détail physique, ce qui semble mettre en
19 cause sa capacité à bien se souvenir et à bien présenter des éléments, des
20 juges de faits.
21 Q. Mis à part ce qui a déjà été dit dans ce rapport et consigné au procès-
22 verbal, avez-vous autre chose à dire à propos du Témoin VG-63 ?
23 R. Rien que ceci, quand on parle de qualité ou d'attributs physiques,
24 c'est important parce que ceci aide à identifier une personne. Une personne
25 aura encore moins tendance a décrire physiquement telle ou telle personne
26 si elle n'est pas sûre de ce qu'elle dit, plus on est sûr de ses qualités
27 physiques, plus on va en parler. J'en conclus qu'elle était peut-être tout
28 à fait sûre de ce qu'elle avait vu, était-ce exact ou pas, je ne sais pas,
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1 en tout cas elle en était sûre.
2 Q. Merci, Monsieur le Témoin.
3 M. ALARID : [interprétation] Nous demandons le versement du rapport du Dr
4 Hough en ce qui concerne le Témoin VG-63.
5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous allons traiter de ce document
6 comme nous l'avons fait pour les autres rapports.
7 M. ALARID : [interprétation] Merci. Maintenant avant d'oublier, nous allons
8 parler de l'évaluation de M. Lukic. Peut-on afficher le document 1D22-0784,
9 annexe A. Je ne sais plus si c'était l'annexe du rapport ou du CV. Mais si
10 on peut le retrouver, est-ce qu'on peut verser cette partie des documents.
11 Q. Reconnaissez-vous l'annexe A, la cote étant différente, quelle
12 importance a donné ce document à votre rapport ?
13 R. L'annexe A versée en annexe au rapport concernant le Témoin VG-115
14 [comme interprété]. On voit ici : Le contexte du problème. Mais je parle de
15 ce que dit la littérature scientifique à propos de la mémoire et des
16 témoins oculaires, c'est ici parce que c'est une lecture supplémentaire
17 pour celui qui cherche à avoir l'aide de la théorie qui s'est créée à
18 propos de cette problématique du témoin oculaire et de la mémoire.
19 M. ALARID : [interprétation] Pour l'annexe A, je demande le versement de
20 1D22-0779 qui a déjà été versé au dossier. Ce sera donc l'annexe A, ce qui
21 est déjà devenu une pièce.
22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] D'accord.
23 M. ALARID : [interprétation]
24 Q. Ensuite, nous voudrions traiter de votre --
25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous allons maintenant faire la
26 pause.
27 M. ALARID : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
28 --- L'audience est suspendue à 17 heures 35.
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1 --- L'audience est reprise à 17 heures 55.
2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Alarid. Je présume que vous
3 vous approchez de votre conclusion. C'est la dernière ligne droite.
4 M. ALARID : [interprétation] En effet, Monsieur le Président. Nous n'avons
5 plus qu'un seul sujet à évoquer, il s'agit cependant d'un sujet
6 relativement vaste qui concerne l'évaluation de M. Milan Lukic. Messieurs
7 les Juges, je pense que nous n'avons plus besoin de l'annexe A à l'écran.
8 Je crois que j'ai demandé le versement des trois déclarations au préalable.
9 Peut-on maintenant afficher le document 1D22-0735.
10 Q. Vous avez eu l'occasion de faire une évaluation de M. Milan Lukic.
11 Pourriez-vous nous relater les circonstances et ce que vous avez fait. Mais
12 commencez par le début.
13 R. La Défense m'a contacté pour que je fasse une évaluation de M. Lukic,
14 ce que j'ai fait au quartier pénitentiaire des Nations Unies ici à La Haye.
15 Je l'ai vu six fois, chaque fois pendant trois heures et demie, quatre
16 heures, en tout pendant 24 heures. En plus de cela il y a eu des tests
17 psychologiques, un examen de l'acte d'accusation et de documents concernant
18 l'acte d'accusation modifié.
19 Q. S'agissant de la procédure -- nous verrons les tests plus tard.
20 Franchissons les différentes étapes. Pour ce qui est des observations de
21 comportement, pourquoi c'est important ?
22 R. C'est important, parce que quand on interroge un sujet c'est pour
23 contribuer à l'établissement d'un rapport de travail basé sur la
24 coopération, ce qui va renforcer la validité du rapport. M. Lukic a
25 toujours été très poli, toujours prêt à coopérer, a été tout à fait
26 affable. Je pense que ses réponses ont été tout à fait réfléchies, bien
27 pensées. Il n'a pas essayé de louvoyer. Il a montré de bonnes capacités
28 dans les tests, il a montré une bonne tolérance dans les tests sur la
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1 persévérance. Je lui ai expliqué ce que recouvrait le caractère
2 confidentiel de notre rapport. Je lui ai dit que j'allais écrire un rapport
3 que j'allais soumettre à l'avocat de la Défense, puis que ce serait fourni
4 au greffe, puis que je serais appelé à témoigner en audience publique pour
5 parler du résultat de cette évaluation. Ce qu'il a compris, il a accepté.
6 Q. Voyons très rapidement la page 2.
7 R. De surcroît, j'ai remarqué dans cette rubrique-ci : Comportement et
8 analyse du comportement. J'ai bénéficié de Me Ivetic qui m'a servi
9 d'interprète, il est actuellement co-conseil de M. Lukic.
10 Q. Est-ce que nous pouvons voir la page suivante du document affiché à
11 l'écran.
12 R. D'accord.
13 Q. Nous l'avons maintenant à l'écran. Pour que nous soyons vraiment sur la
14 même longueur d'onde. Que pensez-vous de ce genre de circonstance,
15 notamment avec le problème de la langue, la présence d'un interprète, et
16 cetera ?
17 R. Idéalement, on verrait son client dans son propre bureau, pas en
18 situation de détention -- ou en situation de détention préventive vu les
19 circonstances. Aussi, lorsque vous avez les deux intervenants qui parlent
20 la même langue, c'est l'idéal. Je ne parle pas la langue de M. Lukic, donc
21 j'ai besoin de l'aide d'un interprète. Je savais que pouvait s'instaurer un
22 risque, celui du double rapport, puisque Me Ivetic est aussi co-conseil,
23 fait partie de la Défense. Mais les avocats de la Défense m'ont dit qu'ils
24 avaient épuisé tous les moyens possibles pour trouver un traducteur
25 compétent, ce qui veut dire que j'ai accepté et j'ai commencé à travailler
26 avec Me Ivetic. Je dois dire qu'il a pris son rôle très au sérieux. Il
27 était très concentré. Il a demandé des précisions s'il ne comprenait pas un
28 terme, un mot particulier. Il est toujours resté en retrait. Quand on
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1 n'avait pas besoin de lui, il est resté dans l'ombre. Il n'est pas
2 intervenu personnellement dans le processus. J'ai déjà eu recours à des
3 interprètes de par le passé, et il faut faire attention à cela. Et d'après
4 ce que j'ai pu en juger, il s'est comporté en véritable professionnel. Tout
5 ceci a été enregistré. Nous avons une bande sonore de ces entretiens, ce
6 qui nous a permis de bien consigner tout ce qui s'était dit et de conserver
7 ces dires.
8 Ce que je dirais de façon globale, c'est que partant des informations
9 dont je disposais, des différentes sources de données, surtout les procès-
10 verbaux d'auditions, des tests et des archives que j'avais, des archives
11 limitées à l'époque, je pense qu'ici, vous avez une bonne idée dans ce
12 rapport de l'état cognitif et affectif de M. Lukic.
13 N'oublions pas non plus que nous sommes en train d'évaluer un homme qu'on
14 accuse de crimes qui remontent ou qui remonteraient à 17 ans. On voit
15 l'homme qu'il est devenu aujourd'hui davantage que l'homme qu'on aurait
16 peut-être rencontré il y a 17 ans. Il n'est pas possible de voir
17 aujourd'hui l'homme qu'il était il y a 17 ans. Qui soit-il, ne serait-ce
18 qu'en raison de l'âge, il a gagné en maturité. Il vit dans un environnement
19 très contrôlé et il est probable qu'il a des différences, mais qu'il est
20 impossible d'éviter. Pour reconstruire, reconstituer, c'est une tâche qui
21 se poursuit et ce n'est pas une science exacte, mais il faut bien essayer
22 de le faire.
23 Q. Si au moment du contre-interrogatoire, on laisse entendre que Me Ivetic
24 a peut-être mal traduit, est-ce que vous avez tenu compte de cet élément-là
25 ?
26 R. Oui. Il me serait impossible de savoir s'il s'est trompé,
27 manifestement, mais je le répète, les observations directes et immédiates
28 que j'ai faites, c'est qu'il a pris la chose très au sérieux. Il était très
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1 concentré et m'a plusieurs fois dit qu'il voulait faire de son mieux, être
2 sûr qu'il ne se trompait pas, qu'il ne faisait pas d'erreur. Il ne m'a pas
3 donné l'impression ou semé le doute dans mon esprit qu'on n'essayait pas de
4 le faire de notre mieux.
5 Q. Quels sont les éléments que vous avez pu obtenir des procès-verbaux ou
6 des premiers entretiens avec M. Lukic avant de faire les tests ?
7 R. D'abord je n'avais jamais rencontré cet homme. Or ici, les enjeux dans
8 ce procès sont élevés. Si on perd le rapport qu'on peut établir avec un
9 client, c'est une perte irrémédiable, si elle se perd. Ce qui veut dire que
10 je voulais agir avec prudence et circonspection. Je voulais poser les bases
11 d'une bonne relation avec lui de façon à ce que lui puisse me dire, en
12 utilisant ses propres termes, quelle avait été sa vie.
13 J'examine la vie de façon assez systématique, je commence par
14 l'enfance et je poursuis. J'ai une raison d'agir ainsi, mais parallèlement,
15 un de mes objectifs, en fin de compte, c'est qu'à un moment donné, on
16 obtienne des éléments qui seront les plus importants pour la Chambre, donc
17 les lieux du crime, les faits, l'élément moral, et ça prend un certain
18 temps. Il faut créer cette relation et il faut d'abord faire une première
19 évaluation, une bonne évaluation élémentaire de l'état actuel du témoin, de
20 l'histoire de sa vie. Je pense que nous y sommes parvenus.
21 Bien entendu, et c'est vrai dans tout rapport, il y a des lacunes,
22 des blancs. Il y a des discordances qui demeurent. J'avais espéré pouvoir
23 revoir M. Lukic pour une deuxième série, ce qui m'aurait permis d'amplifier
24 telle ou telle question précise, mais nous avions établi un bon rapport de
25 travail et c'est ce qu'il fallait faire, parce que je voulais avoir une
26 espèce d'anamnèse, un historique de sa vie avant de pouvoir poser d'autres
27 questions. Je pense que nous sommes parvenus à le faire.
28 Q. Quels sont les facteurs qui vous sont apparus pertinents ? Bon, nous
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1 avons un rapport qui est très complet, mais essayons de réduire ceci aux
2 éléments les plus importants lorsque vous avez étudié la vie de M. Lukic.
3 Si nous prenons les premières pages de votre rapport.
4 R. Les éléments les plus importants c'est la qualité de son éducation, la
5 qualité de ses relations. C'est un homme qui a bénéficié de conditions tout
6 à fait favorables pour grandir. Une famille aimante, il n'a pas été en
7 butte aux situations habituelles qui peuvent avoir un effet négatif. Il n'a
8 subi aucun sévice. Il était aimé. Il a des liens avec ses parents qui sont
9 solides. Il est à même d'avoir de bons contacts avec les gens de son âge.
10 La transition à l'école s'est très bien passée. Il a eu d'assez bons
11 résultats. Ce n'était pas une élève hors pair, mais il n'a pas eu de
12 problèmes à l'école non plus.
13 Il a, bien sûr, noté plusieurs choses, ce sont que la famille a eu
14 des difficultés pendant la Deuxième Guerre Mondiale et à la fin de la
15 guerre et la famille a dû vivre dans le régime communiste. Ses deux grands-
16 pères ont été tués, l'un a été tué, l'autre a été emprisonné pendant un
17 certain temps, ce qui a été un point de tension, mais pas exagérément. Et
18 pour ce qui est de l'enfance, là le développement est bon. Rien ne m'a
19 indiqué l'émergence d'un développement déviant ou de pathologie sérieuse.
20 Q. A quoi pourrait-on s'attendre si quelqu'un se préparait à emprunter
21 cette voie dans son développement psychologique ?
22 R. D'emblée, il faut voir la qualité du lien parental. Si ce lien est
23 faible, à ce moment-là, on peut s'attendre à ce qu'il pose problème, des
24 problèmes qui vont se manifester dans les rapports sociaux en dehors de la
25 famille. On peut avoir des indicateurs, des indices de comportement, le
26 fait de se battre, des faits de délinquance, de criminalité, d'avoir des
27 ennuis, d'avoir des démêlés, recours à l'alcool, aux stupéfiants,
28 intégration dans des
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1 sous-cultures déviantes. Mais rien de tout cela ne s'est présenté chez
2 lui.
3 Q. Quels seraient les facteurs, par exemple, une famille très liée, le
4 fait qu'il était le plus jeune dans la famille et qu'il a grandi à la
5 campagne ?
6 R. Deux choses. Manifestement, c'est un facteur de protection le fait que
7 sa famille était très unie, aimante. Il était le plus jeune de la famille,
8 il était protégé, c'était le petit bambin. On l'aimait beaucoup et il a
9 appris à aimer. Je pense que le fait d'aimer et d'être aimé c'est très
10 important, parce que ceci aura une incidence directe sur la capacité de
11 créer des liens, de trouver la compagne aimante plus tard.
12 Je cherchais aussi d'autres indices allant dans ce sens, qui
13 montreraient une éventuelle possibilité à avoir des relations déviantes
14 pour voir si on peut s'acheminer vers la psychopathie. Souvent quand on
15 voit l'évolution, la trajectoire du développement d'un véritable
16 psychopathe, on constate que très tôt dans la vie de cette personne il y a
17 des failles, des lacunes. Mais ici, je n'en ai pas trouvé chez cet homme.
18 Q. Vous aviez commencé à parler de son parcours scolaire. Le parcours
19 scolaire, est-ce que c'est important dans cette évaluation ?
20 R. Oui, parce qu'il y a des troubles de l'enfance. Souvent ils se
21 manifestent une fois que l'enfant est scolarisé. C'est souvent évident,
22 parce qu'il a du mal à apprendre. Il a des problèmes d'attention, de
23 déficit d'attention qui se manifestent dans les mauvaises notes ou le fait
24 qu'on se comporte mal en classe ou encore des conflits avec d'autres
25 élèves. Pour le dire autrement, si un enfant commence à démontrer qu'il a
26 des problèmes, ça se manifeste à l'école. Et pour autant que je puisse en
27 juger --
28 Je m'excuse. Dans tous les rapports scolaires, on l'a bien aidé à s'ajuster
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1 à l'école, il est bien intégré. Il a dit que ce n'était pas un enfant qui
2 aimait lire beaucoup, qui passait tout son temps à lire ou voulait bien
3 réussir à l'école, mais en même temps, il n'a pas eu beaucoup de mal à
4 apprendre. Il s'entendait bien avec les autres, il s'entendait bien avec
5 ses copains.
6 Q. Prenons la page 6 de votre rapport qu'on voit à l'écran, le numéro est
7 en haut de la page, nous parlons ici de l'histoire sociale. Quels sont les
8 facteurs sociaux qui interviennent dans votre diagnostic ?
9 R. Bien, je vois quelle est la qualité de ses rapports avec ses amis, a-t-
10 il un meilleur ami. Est-ce qu'il est capable d'avoir ce genre de relation
11 très proche. Il m'a dit, par exemple, que la plupart des enfants avec
12 lesquels il jouait étaient des Musulmans. Il avait un meilleur ami. Il a eu
13 des relations hétérosexuelles avec des filles du voisinage. Je pense qu'il
14 s'est épanoui dans des relations extérieures à celles de la famille. Il a
15 eu une petite amie et il fréquentait des copains, ça n'a jamais été
16 difficile et il a toujours été couru par les filles, aucun problème en
17 situation sociale, il était toujours à l'aise d'après ce que j'ai pu en
18 juger.
19 Il n'a pas vraiment eu de problèmes sur le plan social et il a pu
20 établir des rapports avec des personnes d'origine ethnique différente :
21 avec des Croates, des Serbo-Croates, des Musulmans, des gens de l'Amérique
22 latine. Il se lie facilement, il se fait vite des amis. Il aime se
23 retrouver en situation de société, il est grégaire.
24 Q. Nous connaissons tous le conflit et les tensions raciales et
25 religieuses qui existaient, mais est-ce qu'on peut faire la psychanalyse
26 comme si c'était quelqu'un de né aux Etats-Unis et qui se retrouve dans
27 l'Amérique profonde ?
28 R. Je ne pense pas qu'il ait connu de tensions particulières à l'égard
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1 d'autres groupes ethniques. Il se sentait tout à fait à l'aise avec tout le
2 monde. Il n'avait pas de préjugés particuliers ou d'idées préconçues ou
3 d'idées exagérées où il surestimait ou sous-estimait d'autres personnes que
4 lui.
5 Q. Nous savons toujours dans le domaine de l'hypothèse et d'une analogie
6 hypothétique. Aux Etats-Unis, est-ce que vous posez des questions aux gens
7 sur leurs tendances ou affinités religieuses ou penchants particuliers ?
8 R. Oui, je le fais. Je demande ce qu'il en est, par exemple, pour les
9 minorités, je demande à ces gens ce qu'ils pensent par rapport à la
10 majorité de la population. Mais je pense qu'ici c'est tout à fait pertinent
11 dans ce contexte-ci.
12 Q. Bas de page et page suivante du rapport. Est-ce que vous avez trouvé
13 des éléments pertinents dans son dossier de santé ?
14 R. Rien de particulier. C'est un homme en bonne santé, il n'a pas eu de
15 maladies ni de pathologies particulières, pas de problèmes neurologiques
16 particuliers. Il n'a jamais été blessé à la tête.
17 Q. Un autre élément qui intervient dans l'analyse du bilan de santé, c'est
18 l'aspect psychiatrique, alcool, drogue.
19 R. En matière de psychiatrie, négatif, tout à fait. Jamais il n'a subi de
20 traitement psychiatrique, n'en a jamais eu besoin, on ne le lui a jamais
21 recommandé, jamais il n'a pris de psychotropes, ça n'a jamais été un --
22 même, la question je s'est jamais posée.
23 Pour ce qui est de l'alcool, des stupéfiants, il reconnaît avoir pris
24 des stupéfiants. Pour ce qui est de l'alcool, quand il y en avait, il en a
25 bu mais pas beaucoup, très peu, ce qui est assez inhabituel dans une
26 culture où la consommation d'alcool est un haut statut social. Disons,
27 qu'il prenait une bière, un demi-verre de bière pour faire comme les
28 autres, mais pas parce qu'il aimait l'alcool.
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1 Q. Nous avons maintenant le bas de la page et le haut de la page 7. Nous
2 passons à la rubrique casier judiciaire ou antécédents judiciaires. Est-ce
3 que c'est un élément important ?
4 R. Oui, c'est important. Mis à part les chefs d'accusation portés contre
5 lui maintenant, il y a très peu à dire sur ses antécédents judiciaires, et
6 j'ai posé la question, parce que je voulais savoir s'il avait peut-être un
7 comportement asocial et c'est important de voir s'il y a eu des actes de
8 délinquance ou des démêlés avec la police ou avec le tribunal de la
9 jeunesse avant l'âge de 15 ans.
10 Il m'a dit -- je lui ai posé la question, je lui ai demandé si, par
11 exemple, il avait quand même commis des actes pour lesquels il n'avait pas
12 été attrapé. Il m'a dit que certains enfants avaient chapardé des fruits
13 dans un verger voisin et je n'ai pas trouvé ça très grave. Et c'est à peu
14 près tout.
15 Q. Quels sont les facteurs qui pourraient se manifester si quelqu'un
16 affichait un comportement asocial ou des tendances psychopathiques, si
17 c'est le cas ?
18 R. Bien, si elles affleuraient, on commencerait à voir, par exemple, des
19 problèmes avec la police, avec les autorités judiciaires. Vous auriez des
20 violations répétées du droit d'autrui, très jeune. A ce stade précoce, il
21 est fort probable qu'il y aurait l'échec scolaire ou manque d'intégration
22 scolaire. Il est probable de voir le début d'une utilisation régulière de
23 drogue et d'alcool, une identification avec des sous-cultures déviantes, le
24 fait qu'on trouve que la criminalité, ça devient un bon style de vie. Rien
25 de tout cela.
26 Q. Maintenant nous allons parler de ses rapports dans le travail. Est-ce
27 important ?
28 R. Oui, parce que je veux savoir si une personne est capable de s'adonner
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1 à une activité productive, à gagner sa vie. En un mot, il apprécie la
2 valeur du travail. Ses employeurs l'apprécient, il me l'a dit, il m'a dit
3 qu'on l'aimait bien au travail. Il n'a pas été au chômage pendant de
4 longues périodes. Il travaille dur. C'est un travailleur, mais ç'a surtout
5 été un travail manuel, dans le bâtiment ou il travaillait dans des
6 restaurants du coin, dans une pizzeria. Des activités, disons, qui se font
7 à la journée, mais il a toujours été régulier, jamais il n'a été licencié,
8 jamais on ne l'a menacé de le licencier. Non, il aime travailler. Ce sont
9 là mes conclusions principales.
10 Q. Rubrique suivante, service militaire ou antécédents militaires. Il y a
11 une des choses qui m'a sauté aux yeux, qui m'a frappé. Vous reprenez son
12 service militaire obligatoire, mais pourquoi n'avoir pas repris dans cette
13 rubrique de votre rapport toute la guerre ?
14 R. Ce que j'ai saisi ici, disons, c'est la première activité militaire. Le
15 service militaire obligatoire, dans l'armée nationale yougoslave, un
16 service de 12 mois. Il s'est bien adapté. Il a bien fonctionné. Il a
17 terminé sans punition. Il a appris le maniement des armes, ce que faisait
18 tout le monde. Pas de formation particulière, si ce n'est de se servir
19 d'une arme de roquettes. Mais il n'a été soumis à aucune mesure
20 disciplinaire. Il s'est bien adapté à la vie militaire.
21 Q. Merci. Rubriques suivantes, formation aux arts martiaux et intérêts
22 pour les armes. Pourquoi est-ce que ceci a suscité votre attention et en
23 quoi c'est pertinent ?
24 R. Si j'examine ces documents c'est parce que ça peut nous donner des
25 indices d'une attitude d'agression et de gestion de l'agression. Les arts
26 martiaux manifestement sont une façon très utile de sublimer une énergie
27 agressive, mais certains utilisent les arts martiaux pour compenser une
28 faible estime de soi ou pour acquérir des compétences qu'on peut utiliser
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1 de façon plus violente ou antisociale. Je n'ai rien constaté de ce genre.
2 Il aime tous les sports. C'est un sportif.
3 Pour ce qui est de l'intérêt pour les armes, j'ai travaillé avec bon nombre
4 de personnes qui étaient des collectionneurs d'armes et qui semblent
5 graviter dans un monde où les armes dominent, ce n'est pas le cas pour lui.
6 Il avait bien une licence pour un port d'armes, de fusil comme de pistolet,
7 mais ce n'est pas un collectionneur d'armes. Il a dit que parfois, après la
8 guerre, il allait chasser le sanglier, mais c'est au niveau du sportif.
9 Q. Page suivante, c'est la dernière rubrique, vous avez intérêt pour les
10 livres et les films. Est-ce que c'est intéressant pour votre analyse ?
11 R. Oui, parce qu'il faut, à mon avis, comprendre les intérêts et les
12 expressions culturelles mais aussi la volonté d'avoir une identification
13 avec une esthétique supérieure.
14 Les films et les livres sont une bonne façon de sublimer l'énergie mentale
15 pour la maîtriser, pour l'exprimer, ce n'est pas un lecteur avide de
16 lecture, mais il lit quand même. Ce n'est pas un grand intellectuel, mais
17 il lit des livres assez simples, légers. Il a parlé notamment de ce livre
18 sur la rivière Drina, un livre très populaire qu'il a lu. Il a parlé d'un
19 film, "Joli village, jolies flammes," je l'ai regardé plus tard ce film
20 pour savoir de quoi il voulait parler.
21 Q. Est-ce qu'au visionnement de ce film vous avez eu une idée du sujet de
22 ce film et de la façon dont ceci pouvait s'appliquer à sa vie ?
23 R. Oui, parce que tout d'abord il m'a dit que ce film il avait une
24 importance personnelle pour lui, parce que ça montre comment les choses se
25 passaient parmi les combattants à l'époque. Mais on a vu certains des
26 hommes qui étaient piégés dans ce film, piégés dans un tunnel et essayaient
27 de sauver leur peau, et il a trouvé que c'était important. Donc ceci avait
28 une importance personnelle pour lui.
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1 Q. Excusez-moi, j'avais oublié de brancher mon micro.
2 Autre rubrique, la suivante sans doute la plus importante c'est le rapport
3 qu'il a eu avec la guerre. Qu'est-ce que vous avez pu glaner comme
4 information en faisant cette évaluation ?
5 R. Plusieurs choses. Dans ce qu'il m'a relaté de sa vie, il semble scinder
6 la vie en deux moments. La vie avant la guerre, une vie assez tranquille où
7 il n'avait pas trop de problèmes ni de soucis. Puis survint la guerre et,
8 comme il le dit, c'est la première phrase, la guerre a tout changé. Donc de
9 son point de vue, les choses changeaient non seulement pour lui mais pour
10 le monde autour de lui.
11 Son introduction dans cet univers de guerre a été assez lente. Il
12 vivait en Europe à ce moment-là. Quand on a commencé à parler de guerre, il
13 était en Suisse, si je ne me trompe, et on en parlait dans les médias, on
14 en parlait à la télévision; avec ses amis venant de partout en ex-
15 Yougoslavie, ils se réunissaient pour suivre ces événements sans trop y
16 croire d'ailleurs, avec ses amis ils étaient choqués par ce qu'ils
17 voyaient.
18 A ce moment-là il nous décrit le processus qui lui arrivait, à savoir qu'il
19 ne prenait pas partie, qu'il donnait de l'argent aux réfugiés, de quelque
20 groupe qu'il s'agisse par ailleurs. Lui, tout ce qu'il voulait c'était
21 sortir dans les boîtes où les filles dansaient.
22 Q. Comment décrit-il son introduction dans le monde de la guerre ?
23 R. Ça s'est passé lentement, il a fini par retourner à Visegrad, parce
24 qu'il voulait vérifier comment se portaient ses parents. Il s'inquiétait
25 d'eux, parce que de toute évidence ils se trouvaient dans une zone de
26 combat. Et en arrivant à Visegrad, il a rencontré d'anciens camarades,
27 notamment son ancien professeur pour lequel il avait beaucoup de respect,
28 un professeur qui, à ce moment-là, était responsable de la brigade
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1 policière. Il lui a parlé de ce qui se passait, il lui a expliqué qu'il
2 voulait simplement rendre visite à ses parents et vérifier comment ils se
3 portaient. Mais pour obtenir l'autorisation qui lui permettrait de pénétrer
4 dans la zone de combat, il s'est vu obligé d'endosser l'uniforme, et c'est
5 ainsi que tout a commencé. Il s'est donc retrouvé en uniforme, armé et
6 chargé de suivre les ordres qu'on lui donnait.
7 M. ALARID : [interprétation] Pour bien savoir où nous en sommes, je pense
8 qu'il serait bon de mettre à l'écran la page 13, le haut de la page 13.
9 Q. Si je ne me trompe, vous étiez en train de nous dire en gros ce que
10 vous avez écrit dans votre rapport.
11 R. En effet. Donc il essayait d'expliquer à son ancien professeur et son
12 supérieur hiérarchique à ce moment-là qu'il avait rencontré une fille qu'il
13 voulait épouser, qu'il voulait ramener ses parents à Belgrade pour les
14 sortir de la zone de guerre. C'est ce supérieur qui a dû lui expliquer que
15 les gens revenaient à la région de partout, d'où qu'ils soient dans le
16 monde, des Etats-Unis, et cetera, et que le moment était venu, il suggère
17 qu'on lui mette un peu la pression subtilement pour éveiller en lui un
18 sentiment de nationalité serbe.
19 M. Lukic explique que ça ne l'intéressait pas beaucoup, mais qu'en même
20 temps il se rendait compte qu'il lui fallait cet uniforme pour lui servir
21 de laissez-passer pour aller jusqu'à chez ses parents. Et quand je lui ai
22 demandé dans le troisième ce qu'il ressentait en enfilant l'uniforme, il a
23 répondu : "Je ne m'en rendais pas compte. Pour moi, c'était un jeu." Je
24 note ceci parce qu'il a vraiment mis du temps à comprendre que c'était une
25 situation de guerre et que cet environ dans lequel il pénétrait était très
26 dangereux et que les choses allaient évoluer très vite, apparemment il ne
27 s'en rendait pas compte. Je lui ai demandé plus tard, Mais quand vous êtes-
28 vous rendu compte que ce n'était pas un jeu, que c'était très sérieux ? Il
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1 m'a répondu que c'est au moment où le Corps d'Uzice s'est préparé à partir,
2 et il s'est rendu compte que oui, que ça allait vraiment arriver.
3 Il y a une sorte de passivité et une sorte de suivisme qui se manifestent
4 là. C'est ce que les gens pourraient décrire comme une induction de rôle.
5 C'est-à-dire qu'il se laissait faire. Il allait là où le courant
6 l'entraînait, il suivait la mobilisation; il avait un supérieur
7 hiérarchique, il suivait le chef là où on l'emmenait, puis sans même avoir
8 été formé, sans avoir une expérience en matière policière, il se retrouvait
9 à arrêter des gens et à les amener au poste pour interrogatoire, et cetera.
10 Donc c'est là que tout a commencé.
11 M. ALARID : [interprétation] Passons à la page suivante, si vous le voulez
12 bien, la page 15, s'il vous plaît, à l'écran.
13 Q. Donc à un certain moment le Corps d'Uzice a quitté Visegrad et les
14 choses ont changé pour lui. Pouvez-vous nous en parler un petit peu,
15 pourquoi est-ce que ces découvertes ultérieures sont importantes pour votre
16 rapport.
17 R. Il décrit la situation où le Corps d'Uzice se prépare à partir et quand
18 ils sont partis, ça a créé une sorte de vide, il n'y avait plus d'autorité,
19 donc il fallait bien remplir ce vide et c'est la police locale qui était
20 censée le faire, et le résultat a été une sorte de panique.
21 Dans un environnement de ce genre, la tension va forcément augmenter, les
22 groupes ethniques commencent à se renfermer sur eux-mêmes et les autres
23 groupes ethniques qui, jusqu'à l'avènement de ce conflit, ne leur posaient
24 pas vraiment de problèmes et avec lesquels ils avaient des rapports
25 harmonieux, polis, prennent l'aspect d'ennemis, de menace. Si eux ne les
26 attaquent pas les premiers, c'est l'ennemi qui va leur tomber dessus. C'est
27 à ce moment-là, à mon avis, que l'autorité sociale s'est effondrée --
28 l'autorité civile, ou disons, les institutions civiles, celles qui sont
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1 conçues pour protéger le citoyen. Je parle de la police, par exemple, ce
2 sont les institutions qui sont censées huiler les rouages de la société,
3 tout cela a commencé à s'effondrer.
4 Q. Vous avez discuté des Aigles blancs et de leur rôle au début de la
5 guerre. Comment cela s'est-il produit ?
6 R. Soit que je lui ai posé la question, soit c'est lui qui en a parlé en
7 premier. Nous sommes là en page 15, en bas de page. Il m'a dit qu'au départ
8 du Corps d'Uzice, un groupe est resté sur place. Là encore une fois, je
9 répète ce qu'il m'a dit, un groupe est resté sur place, un groupe portant
10 le nom des Aigles blancs, et il m'a dit que ces Aigles blancs étaient une
11 cinquantaine, peut-être 80 personnes qui avaient combattu dans des
12 opérations de combat importantes partout dans la région, qu'ils allaient en
13 fait de zone de conflit en zone de conflit pour se battre, et que leur chef
14 était un ancien légionnaire. Je présume que c'était quelqu'un qui avait été
15 dans la Légion étrangère française, mais je n'en suis pas sûr, et que
16 c'étaient des gens qu'on ne pouvait pas vraiment fréquenter à Vilina Vlas,
17 à l'hôtel, ils avaient une situation assez isolée.
18 Il m'a dit que le commandant des Aigles blancs recevait des
19 instructions directes du chef de la police, et j'ai saisi cette occasion,
20 qui était la première mais qui ne fut pas la dernière, de lui poser des
21 questions sur son implication présumée avec les Aigles blancs pendant qu'il
22 se trouvait lui-même à Visegrad. Il m'a répondu qu'il n'en était rien. Il
23 s'est exclamé qu'il n'avait pas fréquenté ces gens-là, qu'il n'avait jamais
24 pris un verre avec. Que son point de vue sur eux, sur les Aigles blancs,
25 était que c'étaient des camés, je le cite, des criminels et des gens
26 infréquentables, qu'encore une fois leur chef était un ex-légionnaire et
27 que le commandant adjoint était un ex-colonel de l'armée yougoslave. Donc
28 il m'a expliqué encore une fois que c'étaient des gens qui étaient
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1 cantonnés dans cet hôtel où lui-même ne mettait pas les pieds, qu'on ne les
2 connaissait pas, qu'on savait qu'ils se trouvaient là, qu'il savait où ils
3 étaient, mais qu'il ne les fréquentait pas.
4 Donc encore une fois, lui, ce qu'il me dit, c'est qu'il nie avoir eu
5 des rapports avec ces gens-là.
6 Q. Donc lorsque vous décrivez leur structure de commandement, je note que
7 vous avez parlé d'un certain Savovic Brano. Vous êtes sûr que vous ne
8 parlez pas de Branimir Savovic ?
9 R. C'est bien possible. Je peux m'être trompé en recopiant mes notes. Je
10 n'en suis pas sûr. C'est tout à fait possible.
11 Q. Comment décrivait-il la fin de la guerre ?
12 R. Donc pour m'exprimer avec concision dans la mesure du possible, il
13 décrit qu'il était de plus en plus mécontent du rôle qui était le sien à
14 Visegrad, qu'il avait perdu ses illusions et n'avait plus vraiment
15 confiance en son commandement, que plusieurs de ses amis avaient été tués
16 et que, finalement, il a quitté la région de Visegrad pour rejoindre
17 l'armée derrière la ligne de front, donc après il m'a parlé de ces
18 expériences-là.
19 Q. Vous a-t-il parlé de ses autres missions en tant que policier avant
20 d'avoir rejoint l'armée ?
21 R. Voyons. Je ne me souviens pas qu'il m'ait parlé de cela en détail --
22 Q. Pour nous référer à votre rapport, nous sommes en page 17.
23 R. D'accord, laissez-moi regarder.
24 Q. Bas de page.
25 R. D'accord. Alors il m'a dit qu'il y avait une liste d'extrémistes à
26 faire arrêter. Donc pour lui c'était l'arrestation -- l'arrestation de ces
27 extrémistes aurait dû être la tâche de policiers plus expérimentés ou de
28 soldats, mais ça n'aurait pas dû lui être confié à lui. Ç'aurait été
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1 normalement un travail de professionnel. Il dit que son rôle à lui en tant
2 que policier, la façon dont il remplissait son devoir en tant que policier
3 consistait, à son avis, lorsqu'il arrivait à la résidence de quelqu'un, à
4 se présenter, à dire qui il était, qu'il estimait que c'était normal, parce
5 que pour lui il s'agissait de jouer le rôle d'un policier. Un policier, où
6 qu'il soit, un vrai policier quand il arrive chez quelqu'un, il se
7 présente. Il estimait qu'en tant que représentant de la police, même s'il
8 n'était pas formé en tant que tel, il estimait qu'il avait à faire cela. Il
9 a décrit différentes scènes dont il a été témoin, des camions partant
10 chargés vers le nord, et cetera. Mais son rôle en tant que policier n'était
11 pas de très haut niveau et assez limité.
12 Q. Merci. Donc lorsqu'il a quitté la police pour rejoindre les forces de
13 l'armée, vous a-t-il parlé de ce transfert, puis de ses rapports avec le
14 Parti SDS, s'ils ont existé ?
15 R. Tout d'abord, il m'a dit qu'il était soulagé de quitter la police et de
16 sortir de Visegrad, même si en fait il entreprenait quelque chose de
17 beaucoup plus dangereux. C'était tout de même un soulagement de partir de
18 là. Il s'est beaucoup battu, de façon presque continue pendant un certain
19 temps. Il reconnaît d'ailleurs avoir tué des gens dans ces situations de
20 combat. Pour autant que je puisse voir d'après ce qu'il m'a dit quand il
21 décrit ces incidents, tout s'est passé de façon conforme aux règles et
22 coutumes de la guerre. Des gens se tuent dans des opérations de combat.
23 Mais il nie - et je lui ai posé des questions - il nie tout acte spécifique
24 pouvant indiquer des atrocités, le fait d'avoir abattu des personnes non
25 armées, des soldats qui étaient en train de se rendre, et cetera, toutes
26 sortes d'actes qui auraient été en dehors de ce que l'on considère comme
27 des opérations de combat conventionnelles. Tout ce qu'il a fait s'inscrit
28 dans les opérations de combat conventionnelles.
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1 L'autre partie de votre question était ?
2 Q. A un certain moment il était dans la prison d'Uzice en Serbie.
3 R. Oui.
4 Q. Nous sommes en page 20 de votre rapport.
5 R. Il a effectivement été arrêté et détenu pendant un certain temps. De
6 quel paragraphe s'agissait-il en page 20 ?
7 Q. Excusez-moi, j'ai oublié d'allumer mon micro. Premier paragraphe, le
8 milieu du premier paragraphe.
9 R. Oui. D'accord. Il m'a dit qu'il avait été arrêté, qu'il avait été
10 détenu par les autorités et emmené à la prison d'Uzice en Serbie, qu'il y a
11 passé huit jours avant d'être renvoyé à Visegrad. A son point de vue, il
12 s'agissait là, en le mettant en prison de cette façon, on voulait lui faire
13 passer un message. C'était un message qui lui a fait très peur et il en
14 parle comme étant le genre de chose qui pouvait arriver à l'époque
15 stalinienne et qui se reproduisait à ce moment-là, voilà.
16 Q. En gros, que vous a-t-il dit de la chaîne de commandement, de la
17 structure d'autorité dont il était un maillon ?
18 R. Franchement, je devrais vérifier dans mes notes. Il m'a donné de
19 nombreux détails sur cela, je n'arrivais pas à suivre l'ordre exact avec
20 chaque personne et le supérieur hiérarchique de cette personne. Ce dont
21 j'ai pris note, c'est que de toute évidence, il y avait, en tout cas à ses
22 yeux, une chaîne de commandement, qu'elle était complexe et qu'il la
23 connaissait bien, que chaque individu avait son rôle sa responsabilité, son
24 domaine de responsabilité et son comportement et qu'il était tout à fait
25 disposé à en parler et à expliciter cette chaîne de commandement. Mais
26 l'hypothèse que j'avais à l'esprit, c'était que, tout comme il est assez
27 simple de rejeter la responsabilité en dessous de soi dans la chaîne de
28 commandement, on peut aussi la rejeter vers le haut. Tout cela est simple.
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1 Donc je ne sais pas s'il cherchait, lui, à se distancer des actes en
2 rejetant le blâme sur ses supérieurs. Il y avait beaucoup de détails qu'on
3 ne me donnait pas. Je n'étais pas sûr de qui avait des rapports avec qui.
4 Q. Dites-nous maintenant, en page 21, quelles étaient les pensées qu'il
5 avait sur ses expériences militaires, le temps qu'il a passé derrière les
6 lignes de l'ennemi ?
7 R. En gros, M. Lukic avait le sentiment, il m'a dit, qu'il avait fait son
8 devoir, mais il n'y avait pas pris de plaisir. Et après avoir, pour la
9 première fois, tué quelqu'un en opération de combat, il s'est rendu compte,
10 une chose dont on ne se rend pas compte en général avant de l'avoir fait,
11 il s'est rendu compte qu'il n'aimait pas ça, qu'il n'avait pas envie de
12 tuer des gens. Cela étant dit, il est resté un combattant actif, très, très
13 courageux, parfois même téméraire, très actif en tant que guerrier et il
14 m'a dit parfois et je le cite : "On a frappé très fort." C'était un
15 combattant, mais encore une fois, il a toujours nié avoir commis ce que
16 l'on peut considérer comme des atrocités ou des actes qui seraient en
17 dehors de ce qui est acceptable en condition de guerre.
18 Q. Donc, vous dites, Il m'a toujours nié. Je présume que la façon dont
19 vous formulez cela doit être précisée. Vous devez nous dire ce que vous
20 entendez par là.
21 R. Bien, je ne suis pas tout à fait sûr de ce que je peux vous dire. C'est
22 ce qu'il me dit, bien sûr, et ce qu'il me dit, il me le dit de façon
23 cohérente, tout du long.
24 Q. Passons maintenant à la page 24. La section suivante de votre rapport
25 concerne l'effet de la propagande sur cette personne. Pourquoi avez-vous
26 jugé bon de consacrer à cela un passage distinct de votre rapport ?
27 R. En fait, je voulais lui poser des questions sur la propagande, parce
28 que dans ce que j'avais lu sur cette époque et sur cet environnement,
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1 j'avais constaté que la propagande jouait un rôle très important, elle
2 influençait beaucoup la polarisation ethnique et la mobilisation des
3 tensions, des haines ethniques entre les différents groupes, que chaque
4 groupe avait son propre média de propagande qui permettait d'encourager la
5 mobilisation et de diaboliser les autres groupes. Donc je voulais me faire
6 une idée de la mesure dans laquelle M. Lukic lui-même avait été l'objet de
7 propagande et dans quelle mesure il avait lui-même internalisé cette
8 propagande et s'en était servi pour se motiver lui-même, dans son propre
9 comportement. Et il m'a expliqué que la propagande, les informations qui
10 pénétraient dans la zone où il se trouvait à ce moment-là, principalement
11 dominée par les Serbes, que ce qui lui parvenait venait toujours de cette
12 source-là.
13 Il m'a également expliqué que pour lui il n'avait pas l'impression
14 d'être excessivement influencé par l'information qu'il recevait. Il m'a dit
15 que seuls les vrais paysans pouvaient se laisser influencer par la
16 propagande, mais pas lui. Il n'était pas un fervent nationaliste, je
17 dirais, n'était pas un grand idéaliste avant la guerre. Et là encore, je
18 dois dire que je n'ai vu aucune manifestation de son côté d'avoir été très
19 influencé par la propagande, pas du tout. Je pense qu'il avait déjà vécu
20 pendant assez longtemps dans une société multiculturelle et il voyait très
21 bien que ces idées qui étaient répandues par la propagande n'étaient que
22 propagande.
23 Q. Je voulais vous poser simplement la question suivante : il dit,
24 Simplement les paysans pouvaient se laisser influencer par la propagande,
25 mais lui, il venait d'un milieu paysan. Qu'est-ce que vous en pensez de
26 cela ?
27 R. En fait, je pense, qu'à mon avis, ce qu'il voulait me faire comprendre,
28 c'est que lui, il avait réfléchi. Peut-être qu'il venait d'un milieu très
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1 modeste, néanmoins, il était allé à l'école, pas comme beaucoup de paysans.
2 Ensuite, lui, il avait voyagé à travers l'Europe. Il avait vu le monde
3 extérieur, donc il s'était fait ses propres idées, loin de ses origines
4 paysannes; il avait rencontré des gens, de tout horizon, dans les
5 différentes régions du monde et il avait rencontré cette jeune femme, qui
6 était d'un milieu plus favorisé que lui en Suisse, avec qui il comptait se
7 marier.
8 Q. Maintenant la partie suivante en page 26, c'est une partie importante,
9 parce que c'est un incident qui a entraîné une condamnation par consumas.
10 Alors de quoi s'agit-il ?
11 R. En fait, il s'agit de cet incident du car. C'est un incident - je ne
12 suis pas sûr de bien prononcer - enfin, c'était dans le village de Severin.
13 Ce n'est pas moi qui lui ai posé la question. C'est lui qui m'a raconté
14 toute cette histoire. La raison pour laquelle j'ai choisi de l'inclure dans
15 le rapport, c'est que tout au long de l'entretien, je me suis rendu compte
16 qu'il voulait à tout prix que je comprenne bien ce qui s'était passé, pour
17 que je comprenne bien les accusations qui lui sont reprochées. Parce que
18 tout au long de l'entretien, tout au long de l'établissement de ce rapport,
19 très souvent, vous avez besoin de donner un petit peu de marge de manœuvre
20 à la personne; et c'était éminent de sa part qu'il avait besoin de parler
21 de cet incident et que c'était important pour lui, donc je lui ai donné
22 cette marge de manœuvre. Je l'ai laissé en parler, j'ai pensé que c'était
23 important que j'aie cette information si je voulais bien le comprendre.
24 C'est ce qu'il essayait de me faire comprendre, donc c'est pour cela que
25 j'ai consacré une partie à cet incident.
26 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci.
27 Maître Alarid, je dois vous dire que vous devez avoir fini votre
28 interrogatoire principal à 19 heures 10.
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1 M. ALARID : [interprétation] D'accord.
2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Puisque vous avez en tout trois
3 heures pour cet interrogatoire principal et que trois heures c'est
4 largement suffisant et nous y seront à 19 heures 10. C'est à vous
5 d'apprendre à gérer votre temps. Trois heures, c'est largement suffisant.
6 M. ALARID : [interprétation] J'essayais de gérer mon temps, Monsieur le
7 Président, étant donné que nous avons quatre sujets à aborder, je pensais
8 que j'aurais plus de temps que cela, donc je vais essayer, Monsieur le
9 Président, de me concentrer sur ce point-là. J'espère que vous serez
10 indulgent.
11 Q. Comment avez-vous intégré donc cet incident de Severin dans votre
12 rapport ?
13 R. Je crois, je ne suis même pas sûr que je l'aie complètement intégré,
14 parce que j'ai bien inclus cet incident dans le rapport. Ça c'est bien sûr.
15 Mais j'aimerais avoir une compréhension plus totale encore de M. Lukic et,
16 ce que je peux dire ici, c'est que c'est une personne qui souhaite être
17 comprise et qui a vu en moi quelqu'un qui était peut-être en mesure de bien
18 le comprendre.
19 Donc pour lui, c'est un incident qui a une grande signification et il
20 voulait que je le comprenne cela. Je ne sais pas ce que je vais en faire,
21 mais en tout cas, je ne savais pas encore à ce moment-là ce que j'allais en
22 faire, mais il tenait absolument à ce que je considère cette information
23 comme importante de façon à bien le comprendre. Quand quelqu'un vous donne
24 ce type d'information, c'est presque un cadeau pour nous.
25 Et son rôle dans cette région du monde à l'époque était très
26 complexe. C'était un rôle qui recouvrait plusieurs aspects, mais
27 l'essentiel, c'est qu'il essayait d'aider les autres. Bien entendu, il
28 savait qu'il fallait en payer le prix.
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1 Q. Maintenant si on avance rapidement vers la page 29, là où justement
2 vous commencez réellement votre entretien de confrontation. Expliquez-nous
3 ce qui est important là.
4 R. Oui, c'est important pour moi, parce que je voulais vraiment le
5 confronter avec les différences flagrantes qui existaient entre ce qu'il
6 m'avait dit et ce que j'avais lu jusque-là. Donc j'avais un certain nombre
7 de questions à lui poser, par exemple, je voulais savoir comment il
8 pourrait répondre à ce type de confrontation entre ce qu'il avait dit et ce
9 qui était exposé. Je pense que ça c'est quelque chose qu'il fallait
10 explorer plus en détail. Alors au départ, il a eu une réaction plutôt sur
11 la défensive en me disant, Oui, ils m'ont accusé de tatouages, ils m'ont
12 accusé d'être un ivrogne, et cetera, et cetera. Ensuite il a nié avoir eu
13 quelque participation que ce soit au travail des Aigles blancs. Voilà donc,
14 si vous voulez, la première tentative j'ai faite réellement de voir
15 exactement ce qui était vrai de ce qui était, enfin, pour expliquer les
16 différences.
17 Q. Qu'est-ce que vous entendez par première tentative ?
18 R. Parce que dans une affaire comme celle-ci, une seule fois ça ne suffit
19 pas. Vous savez, il faut plusieurs tentatives. Dans l'affaire de M. Zinc,
20 par exemple, dont je vous ai parlé tout à l'heure, je m'étais entretenu
21 avec ce client à de nombreuses reprises. Ce serait complètement irréaliste,
22 à ce stade, de s'attendre à en avoir plus que cela.
23 Q. Donc je suis sûr que vous l'avez ensuite confronté sur la question de
24 savoir s'il avait un intérêt quelconque à vous donner des mauvaises
25 indications en tant que témoin expert éventuel. Qu'en pensez-vous ?
26 R. Je pense que c'est quelque chose qui est très important, parce que
27 c'est quelque chose qui peut arriver et dans de nombreux cas, cela
28 effectivement arrive. C'est une question empirique, ouverte. On ne peut pas
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1 savoir comment ces différents aspects vont être résolus. Moi aussi je
2 pourrais, de mon côté, partir de ce principe, mais finalement, ce sont les
3 données et les informations elles-mêmes qui sont les plus importantes.
4 Q. Alors, venons-en justement aux données concrètes, aux résultats des
5 tests psychologiques.
6 R. Oui. Alors j'ai utilisé ces tests psychologiques pour compléter mes
7 entretiens avec lui. Je voulais, d'ores et déjà, avoir une idée de la façon
8 dont il se comportait en dehors d'un entretien en direct, en face à face.
9 Donc je lui ai administré un certain nombre de tests que je connais bien,
10 que j'ai déjà expérimenté à plusieurs reprises. Et dans notre clinique,
11 nous avions des patients qui venaient du monde entier, donc je sais comment
12 adapter et comment utiliser ce type de test et il n'y a pas tellement
13 d'autres outils, d'autres instruments qui existent en dehors de ceux que
14 nous avons aux Etats-Unis. Il faut reconnaître que certes ils peuvent être
15 limités, mais ce que nous avons à notre disposition.
16 Alors, la première échelle, l'échelle d'intelligence abrégée, le WASI,
17 évidemment, c'est une échelle qui s'applique aux Nord-américains, mais que
18 l'on peut très bien aussi utiliser, puisqu'elle donne une indication de
19 l'intelligence non verbale. Donc j'ai décidé d'utiliser cette échelle. Je
20 n'ai pas du tout utilisé toute la partie verbale pour des raisons évidentes
21 de différence de langue.
22 Mais avec un intervalle de confiance de 95 %, je pense que son quotient
23 intellectuel peut se situer entre 79 et 90, ce qui correspond, en gros, à
24 son niveau d'éducation enseignement supérieur, tout à fait dans la moyenne.
25 Je pense qu'il est très peu vraisemblable que cet homme puisse avoir une
26 intelligence au-dessus de la moyenne. Alors voilà l'indication que l'on a
27 ici.
28 Ensuite j'ai étudié les questions de personnalité et pour cela, j'ai
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1 utilisé divers outils, notamment l'entretien clinique structuré, l'étude
2 DSM-IV et j'ai essayé de me concentrer aussi sur des aspects de sa
3 personnalité qui pourraient révéler une personnalité narcissique ou
4 obsessionnelle. En fait, non, je n'ai rien trouvé qui relève de ces
5 troubles de personnalité.
6 Ensuite le test "Incomplete Sentences Blank" est également un test
7 que l'on peut administrer très fréquemment et qui peut se faire assez
8 rapidement. Cela nous permet de voir quels sont les problèmes qu'un patient
9 peut avoir.
10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Il ne nous reste plus que 10
11 minutes.
12 LE TÉMOIN : [interprétation] D'accord.
13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Avez-vous fait une étude sur ses
14 capacités pour diriger d'autres hommes, la responsabilité d'autres hommes ?
15 LE TÉMOIN : [interprétation] Non. Cela fait partie d'autres tests, le MCMI,
16 ce que j'ai pu voir c'est, qu'en fait, c'est quelqu'un qui veut toujours
17 faire plaisir aux autres, qui veut toujours être bien considéré par ses
18 supérieurs, donc il veut toujours faire plaisir aux autorités.
19 Mais en dehors de cela, je crois qu'il faut regarder aussi la vie de
20 l'individu en question et je pense que c'est cela qui est l'indicateur le
21 plus utile. Dans toute la vie de cet homme, je ne vois aucune indication
22 selon laquelle il aurait eu une position de chef ou une situation où il ait
23 commencé un projet ou essayé de motiver les autres.
24 Je pense qu'aussi bien dans ses études que dans son travail,
25 c'est quelqu'un qui aimait avoir un rôle, je dirais, de subalterne, c'est
26 quelqu'un qui souhaitait toujours être dans la moyenne, au milieu. Ni un
27 chef ni quelqu'un qui ne fait qu'obéir, mais entre les deux, c'est
28 quelqu'un qui suit le flot. Pour moi, ma conclusion concernant cette
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1 personne c'est que ce n'est pas un chef, ce n'est pas quelqu'un qui dirige,
2 ce n'est pas un leader, si vous voulez, c'est plutôt quelqu'un qui suit, un
3 suiveur.
4 En général, les leaders, les chefs, ils se distinguent des autres
5 relativement tôt dans la vie ou dès que les circonstances le permettent.
6 Ils peuvent à ce moment-là démontrer leur capacité de leader. Mais c'est
7 quelqu'un qui non plus n'a pas suivi de formation particulière pour
8 justement devenir un responsable, parce que même dans l'armée, il avait un
9 rang relativement bas, et il n'a manifesté aucun désir de monter en grade.
10 Il n'a pas pris d'initiative particulière pour monter en grade, ce que
11 voudrait probablement n'importe quelle personne qui vient d'un milieu
12 relativement modeste comme lui et qui souhaiterait justement monter
13 l'échelle.
14 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci.
15 M. ALARID : [interprétation] Oui, Monsieur.
16 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Etes-vous satisfait des réponses de
17 votre témoin ?
18 M. ALARID : [interprétation] Bien --
19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Car il ne vous reste plus que trois
20 ou quatre minutes. Il faut que nous traitions d'un certain nombre de
21 questions administratives.
22 M. ALARID : [interprétation] D'accord.
23 Q. En ce qui concerne la littérature sur laquelle vous vous êtes fondé,
24 vous avez utilisé ce terme d'"homme ordinaire."
25 R. D'accord.
26 Q. Qu'est-ce que vous entendez par homme ordinaire ?
27 R. De façon très brève, laissez-moi résumer la littérature que j'ai lue à
28 ce sujet.
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1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais vous voulez dire que l'accusé
2 est un homme ordinaire ?
3 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
4 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Mais ça il faut l'expliquer,
5 Maître Alarid. Il faut voir, il faut nous présenter ce qui est important.
6 LE TÉMOIN : [interprétation] Il faut regarder ce qu'en pensaient les
7 personnes qui ont étudié les nazis pendant la Deuxième Guerre mondiale. En
8 général, on les considérait comme des psychopathes ou alors comme des
9 personnes profondément perturbées psychologiquement, comment sinon pouvait-
10 on expliquer un tel comportement ? Mais le problème c'est qu'on s'est
11 aperçu petit à petit qu'en fait ce n'étaient pas des monstres, c'étaient
12 pour la plupart des personnes qui étaient tout simplement des hommes
13 relativement ordinaires qui ne déviaient pas de la psychopathologie
14 ordinaire.
15 M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Peut-être que je vais vous interrompre
16 quelques instants. Mais est-ce que vous avez présenté dans votre rapport,
17 ou avez-vous fait allusion à ce que l'on appelle la personnalité
18 autoritaire ?
19 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, c'est une très bonne question. Il y a eu
20 toute une littérature provenant de l'Université de Californie, entre
21 autres, sur justement la personnalité autoritaire. Mais il est vrai que
22 dans ces études, il a été montré que vous avez cette personnalité de
23 l'homme autoritaire qui est extrêmement sensible à ces idées de nazisme et
24 qui se laisse entraîner par ces idées aveuglément, je dirais même; mais à
25 ce stade le principe de la personnalité autoritaire et la recherche qui a
26 été faite à ce sujet est un petit peu laissée de côté, je dirais, dans la
27 littérature, mais c'est néanmoins un concept très utile.
28 M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Dans votre réponse au Président vous
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1 avez dit qu'il avait des traits de caractère compulsif, et c'est ce que
2 l'on voit dans votre rapport. Est-ce que vous pouvez expliquer ?
3 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Je ne veux pas dire compulsif dans le
4 sens du type de comportements, genre de comportements, comme les troubles
5 obsessionnels compulsifs, aller se laver les mains toutes les dix secondes,
6 et cetera, ça, ça se serait manifesté de différentes façons.
7 Mais c'est lors de l'entretien lui-même, parfois il insistait lourdement et
8 longuement sur des détails, mais vraiment des petits détails qui
9 m'apparaissaient parfaitement sans importance. Donc il avait une sorte de
10 surconcentration [phon], je dirais, sur certains aspects, des petits
11 détails. Ça je pense que c'est une manifestation justement de cette
12 compulsivité, je dirais, cela fait partie d'une personnalité un petit peu
13 obsessionnelle.
14 L'organisation de sa Défense aussi correspondait beaucoup à cette
15 personnalité obsessionnelle. Il a établi des défenses quelque peu
16 neurotiques. Je pense que dans les tests on le voit très bien, là encore
17 c'est une autre façon d'examiner cette personne. Lorsque j'ai, si vous
18 voulez, rassemblé toutes ces informations, j'en ai conclu que c'était un
19 homme qui était organisé de façon obsessionnelle, mais pas de façon
20 pathologique. Il ne va pas jusqu'au point où il a un comportement
21 obsessionnel, compulsif, qui peut être vraiment préjudiciable, pas du tout.
22 M. LE JUGE DAVID : [interprétation] D'accord. Merci.
23 LE TÉMOIN : [interprétation] Si vous le permettez, Monsieur le Président,
24 je terminerais.
25 M. LE JUGE ROBINSON : [aucune interprétation]
26 LE TÉMOIN : [interprétation] Comment expliquer la personnalité des
27 criminels nazis à l'époque. Il a fallu essayer de trouver une autre
28 explication à celle qui était l'explication traditionnelle. Donc les gens
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1 ont commencé à regarder aussi l'environnement dans lequel ces gens se
2 trouvaient, le contexte, la situation générale qui pourrait peut-être
3 expliquer ce type de phénomène. Il y a un nombre d'études qui ont été
4 réalisées.
5 Notamment l'étude Milgram de l'Université de Yale. C'est vraiment la crème
6 de la crème, je dirais, ce sont des étudiants --
7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Qu'est-ce que vous êtes en train de
8 nous dire sur l'accusé ?
9 LE TÉMOIN : [interprétation] J'étais en train de vous dire que c'est un
10 homme qui est très respectueux et qui souhaite obéir à l'autorité.
11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ecoutez, vous avez passé la journée
12 entière, trois séances, Maître Alarid, à cela. Je ne considère pas que ce
13 soit dans l'intérêt du déroulement de ce procès de vous permettre de
14 continuer l'interrogatoire principal. Je pense que vous avez disposé de
15 suffisamment de temps.
16 Maintenant je voudrais traiter de la question soulevée par le bureau du
17 Procureur, mais j'ai aussi besoin que Mme Sartorio me dise de combien de
18 temps avez-vous besoin.
19 Mme SARTORIO : [interprétation] Au moins deux heures, Monsieur le
20 Président.
21 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Au moins deux heures.
22 Mme SARTORIO : [interprétation] Oui. J'aimerais deux heures.
23 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Qui est votre prochain témoin,
24 Maître Alarid, après cela ?
25 M. ALARID : [interprétation] Clifford Jenkins.
26 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Combien de temps ?
27 M. ALARID : [interprétation] Deux heures, j'espérais.
28 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Après cela ?
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1 M. ALARID : [interprétation] Pour cette semaine, après M. Jenkins, nous
2 espérions M. Rasic. Nous n'avons pas encore la confirmation de l'Unité des
3 Victimes et des Témoins, mais nous avons essayé de prendre les dispositions
4 nécessaires. Sinon, ce sera M. Jenkins qui sera notre dernier témoin pour
5 la semaine. La question c'est - je vous ai expliqué le cas du Dr Andersen,
6 témoignage qui a été empêché par le ministère de la Défense, donc peut-être
7 que nous établirons une motion de façon à ce qu'il soit versé au dossier.
8 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Donc vous alliez déposer une motion
9 sur le 92.
10 M. ALARID : [interprétation] Je n'ai pas eu le temps. J'espérais que je
11 pourrais, mais je n'ai pas eu le temps, je crois qu'il y a une double
12 session demain.
13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Non, il n'y en aura pas deux.
14 M. ALARID : [interprétation] D'accord. Mais c'était prévu, donc c'est ce
15 que je craignais.
16 M. GROOME : [interprétation] Monsieur le Président, donc Me Alarid a
17 expliqué en dehors des comparutions, donc ce qui me fait considérer que
18 Milan Lukic ne témoignera pas. Ce serait quand ?
19 M. ALARID : [interprétation] Ce sera à la fin et nous n'avons pas encore
20 procédé au récolement. J'ai pas eu encore assez de temps à passer avec lui
21 dans le quartier pénitentiaire.
22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Alarid, est-ce que vous
23 avez d'autres questions à soulever concernant ce témoin ?
24 M. ALARID : [interprétation] Bien, la seule chose que je voulais aborder
25 avec lui, c'était de savoir pourquoi le rapport Milgram est si important en
26 l'espèce.
27 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais qu'est-ce que c'est Milgram ?
28 M. ALARID : [interprétation] C'est le rapport auquel il vient de faire
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1 allusion, Monsieur le Président. C'est un ensemble d'études et d'études de
2 suivi sur le comportement des criminels de guerre.
3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous lui avons posé la question sur
4 la capacité à diriger. C'est la fin de votre interrogatoire principal.
5 Demain, Mme Sartorio commencera son contre-interrogatoire.
6 L'audience est levée.
7 M. GROOME : [interprétation] Monsieur le Président.
8 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui.
9 M. GROOME : [interprétation] Il semble qu'il sera impossible pour
10 l'Accusation de citer un témoin vendredi; c'est bien cela ? Est-ce que je
11 peux donc dire au Dr Fagel qu'il ne doit pas essayer de prendre ses
12 dispositions ?
13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Qu'est-ce que vous en pensez ? Quel
14 conseil donner à l'Accusation ?
15 M. ALARID : [interprétation] Je pense que c'est une très bonne évaluation.
16 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Bien.
17 M. GROOME : [interprétation] Je n'ai aucune objection à dire que si nous
18 devons nous trouver un petit peu de temps libre vendredi, je pense qu'on
19 peut utiliser ce temps pour entendre Dr Fagel.
20 M. ALARID : [interprétation] Oui. Je pense qu'il n'est pas nécessaire
21 d'avoir une double séance. Je pense que c'est déjà bien, la semaine est
22 bien pleine.
23 M. GROOME : [interprétation] Monsieur le Président, je pense qu'il y a une
24 double session vendredi, n'est-ce pas ?
25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Vendredi.
26 M. ALARID : [interprétation] Alors, cela permettrait d'utiliser le temps
27 qui nous reste en faisant venir M. Rasic -- M. Rasic remplira toute cette
28 journée même avec la double séance.
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1 [La Chambre de première instance et le Juriste se concertent]
2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Groome, on me rappelle que
3 dans la décision que nous avons émise aujourd'hui, la citation du Dr Fagel
4 dépendra, en fait, de certains documents qui sont préparés par d'autres
5 témoins, je crois, trois autres témoins qui doivent encore être cités par
6 vous. Peut-être n'avez-vous pas vu la décision.
7 M. GROOME : [interprétation] Président, c'est effectivement dans cet ordre-
8 là que nous devrions procéder. Mais il est également possible tout
9 simplement de les marquer pour identification et que finalement ce soit des
10 documents qui ne soient pas versés en tant qu'éléments de preuve tant que
11 les fondements ne sont pas établis. Mais je peux essayer de proposer une
12 suggestion à la Chambre pour utiliser le temps de la façon la plus efficace
13 possible.
14 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Alarid.
15 M. ALARID : [interprétation] Question de logistique, Monsieur le Président.
16 J'ai envoyé une requête par lettre à la Chambre pour permettre à Mme Marie
17 O'Leary de s'occuper de Clifford Jenkins. Marie O'Leary. Elle était mon
18 assistante et gérait ce dossier. Elle était à ma gauche pendant la première
19 partie du procès et je voulais lui donner la possibilité de poser des
20 questions à notre policier. Donc je me demande si la Chambre le lui
21 permettrait avec dérogation.
22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais pourquoi une dérogation ? Elle
23 n'est pas avocate ?
24 M. GROOME : [interprétation] Oui, elle est avocate, absolument.
25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Elle l'est ?
26 M. ALARID : [interprétation] Elle est "attorney" depuis 2006.
27 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Et elle répond aux critères de la
28 Règle 40 ?
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1 M. ALARID : [interprétation] Bien, elle n'a pas sept ans d'expérience
2 derrière elle, mais je pense qu'elle est parfaitement compétente.
3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Alarid, vous présentez
4 toujours ce genre de petit problème. Il faudra s'en occuper. Je ne peux pas
5 vous répondre pour l'instant.
6 M. ALARID : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Groome, je pense qu'il vaut
8 mieux que vous prévoyiez de faire apparaître le Dr Fagel.
9 M. GROOME : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.
10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] La séance est levée.
11 --- L'audience est levée à 19 heures 16 et reprendra le jeudi 26 mars 2009,
12 à 14 heures 15.
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