Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le mercredi 25 mars 2009

  2   [Audience publique]

  3   [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

  4   --- L'audience est ouverte à 14 heures 19.

  5   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Groome, vous avez des

  6   questions préliminaires.

  7   M. GROOME : [interprétation] En effet, très brièvement. Lundi, vous nous

  8   avez parlé de la possibilité que l'Accusation soit priée de présenter un

  9   témoin vendredi. De fait, nous avons discuté de la possibilité avec le Dr

 10   Fagel, qui est une personne que la Chambre nous a déjà autorisée de faire

 11   venir aux Pays-Bas, il vit aux Pays-Bas, mais il faudrait que je sache

 12   avant que nous n'ajournions aujourd'hui. Parce qu'il essaie de s'organiser.

 13   Si la Chambre pouvait nous donner une idée de ce qui sera possible, je lui

 14   permettrai de s'organiser pour vendredi.

 15   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je ne vais pas poser la question à

 16   M. Alarid. Nous en reparlerons à la fin de la journée, nous en discuterons

 17   avec M. Alarid en prenant en compte sa liste de témoins.

 18   M. GROOME : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président. Pour

 19   la prochaine question, je préférerais que nous soyons à huis clos partiel.

 20   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] D'accord, huis clos partiel.

 21   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.

 22   [Audience à huis clos partiel]

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  5   [Audience publique]

  6   [Le témoin est introduit dans le prétoire]

  7   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Veuillez demander au témoin de

  8   prononcer la déclaration solennelle.

  9   LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

 10   vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

 11   LE TÉMOIN : DAVID GEORGE HOUGH [Assermenté]

 12   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous pouvez vous asseoir.

 13   Maître Alarid, vous pouvez commencer.

 14   M. ALARID : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 15   Interrogatoire principal par M. Alarid : 

 16   Q.  [interprétation] Bonjour, Docteur Hough.

 17   R.  Bonjour.

 18   Q.  Remettez votre col droit. Vous êtes à la télé. Très bien. Merci.

 19   Veuillez nous donner votre nom complet, s'il vous plaît, pour le compte

 20   rendu.

 21   R.  Je m'appelle David George Hough, ça s'écrit H-o-u-g-h.

 22   Q.  Et vous êtes domicilié où en ce moment ?

 23   R.  A Topeka, dans le Kansas, aux Etats-Unis.

 24   Q.  Vous êtes marié ?

 25   R.  Oui.

 26   Q.  Vous avez des enfants ?

 27   R.  Oui. J'ai deux filles âgées de 16 et 12 ans.

 28   Q.  Et en ce moment même, vous travaillez pour qui ?

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  1   R.  En fait, j'ai une pratique privée, je suis psychologue clinicien.

  2   Q.  Et pour revenir à ce voyage qui vous a emmené ici au Tribunal pénal

  3   international à La Haye, revenons un peu sur votre parcours. Vous avez été

  4   incorporé à l'armée ?

  5   R.  Oui. J'ai fait partie de l'armée des Etats-Unis de 1970 à 1973. Pendant

  6   cette époque, je faisais partie des forces spéciales, qu'on appelle les

  7   Bérets verts. J'ai subi toutes les formations très rigoureuses qui font

  8   partie de ce programme-là et j'ai été déployé en Thaïlande en 1972 où je

  9   m'occupais d'opérations spéciales avec les forces spéciales thaïlandaises

 10   et aussi de travail radio.

 11   Q.  Vous avez ensuite quitté l'armée ?

 12   R.  Tout à fait. J'ai quitté l'armée en tant que sergent du rang E-5.

 13   Q.  Et vous avez fait quoi après avoir quitté l'armée ?

 14   R.  Après avoir quitté l'armée, je suis revenu aux Etats-Unis et je suis

 15   allé à l'Université de Michigan.

 16   Q.  Vous avez eu un matricule à l'Université du Michigan, qu'est-ce que ça

 17   veut dire ?

 18   R.  Ça veut dire que je me suis inscrit à l'école et je suis allé à

 19   l'université.

 20   Q.  Et qu'est-ce qui vous a fait décider d'aller à l'Université de Michigan

 21   ? Parce que vous y habitiez ?

 22   R.  C'est parce que c'est là que j'avais grandi.

 23   Q.  Et dites-nous, en peu de mots, quelle formation secondaire vous avez

 24   suivie.

 25   R.  J'ai quitté l'Université du Michigan en 1978 avec l'équivalent d'un

 26   bac, puis j'ai passé un doctorat à l'Université de Berkeley en Californie.

 27   C'était en janvier 1988, si je ne me trompe, après quoi, j'ai été accepté à

 28   la clinique de Menninger dans le Kansas à Topeka pour y faire une thèse.

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  1   J'y ai passé deux ans après mon doctorat en psychologie clinique. Puis je

  2   me suis retrouvé à travailler à l'hôpital de Topeka en tant que directeur

  3   du programme de formation des stagiaires à l'interne et j'ai terminé une

  4   formation à l'Institut de Topeka de psychanalyse et j'ai été diplômé après

  5   cette formation.

  6   Q.  Pouvez-vous nous parler un peu de ce programme à Menninger dont vous

  7   venez de nous parler.

  8   R.  C'est un programme assez difficile. Il y a beaucoup de personnes qui

  9   sont candidats. On doit participer à beaucoup d'entretiens personnels, non

 10   seulement des entretiens sur ses origines, et cetera, mais aussi des

 11   entretiens visant à vérifier votre propre niveau de stress clinique. L'idée

 12   est d'éliminer les gens qui ont des problèmes de caractère, disons.

 13   Q.  Et qu'en est-il de l'institut de Topeka pour la psychanalyse ?

 14   R.  Ça aussi c'est un programme assez sélectif. En général, on ne peut y

 15   participer que si on vous y convie. De fait, on m'a moi-même invité à

 16   participer.

 17   Q.  Vous êtes resté combien de temps auprès de cet

 18   institut ?

 19   R.  Huit ans, environ. C'est un programme assez strict. Ça demande beaucoup

 20   de travail, beaucoup de temps aussi. On passe quatre ans à suivre les

 21   cours, ensuite on travaille patients en psychoanalyse. Il faut compléter

 22   deux psychoanalyses, ce qui peut prendre de deux à huit ans. De toute

 23   façon, c'est un processus très difficile pour y entrer. Après un an, vous

 24   participez à un entretien pour vérifier vos connaissances de théorie de

 25   technique de psychanalyse et pour vérifier que vous êtes prêt à progresser.

 26   Q.  Donc vous êtes maintenant diplômé en psychologie clinique, n'est-ce pas

 27   ?

 28   R.  Oui.

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  1   Q.  Alors, dites-nous, pourquoi il est important d'être certifié auprès --

  2   R.  -- par le Conseil des psychologues américain aux Etats-Unis, c'est le

  3   seul qui soit reconnu par l'Association américaine des psychologues. Il

  4   existe d'autres diplômes de ce genre, mais cette certification-là est la

  5   seule qui soit reconnue par l'Association américaine des psychologues. Il

  6   faut pour obtenir la certification de ce conseil présenter un certain

  7   nombre d'échantillons de son travail pour évaluation psychologique et

  8   montrer que l'on a fait des psychothérapies, mais il faut aussi se

  9   soumettre à un entretien avec un panel et discuter de toutes sortes de

 10   sujets, notamment votre travail clinique, mais aussi votre éthique, votre

 11   recherche; toutes les questions qui peuvent les intéresser peuvent vous

 12   être posées. C'est un processus assez exigeant, mais une fois que vous avez

 13   cette certification, vous pouvez compter que vous êtes reconnu comme

 14   possédant un niveau de compétence qui ne serait pas nécessairement présumé

 15   juste parce que vous avez un doctorat.

 16   Q.  Et si je ne me trompe, vous l'avez peut-être déjà dit, il y a un niveau

 17   d'examen qui est nécessaire pour obtenir cette certification ?

 18   R.  Tout à fait. D'une part, il y a le processus de psychothérapie, mais il

 19   y a aussi une évaluation psychologique et des échantillons de travail que

 20   vous devez montrer.

 21   Q.  Et votre formation professionnelle au long de la vie ?

 22   R.  Ça, c'est une exigence pour tous les psychologues qui travaillent aux

 23   Etats-Unis. Moi-même, je possède une licence de psychologue auprès de

 24   l'Etat du Kansas et de l'Etat du Missouri, et on exige que l'on poursuive

 25   sa formation dans ces deux Etats. Il est nécessaire de prendre un cours

 26   d'éthique, d'une part, de déontologie, mais il y a d'autres façons aussi de

 27   se tenir à jour avec les évolutions de sa spécialisation. Par exemple, en

 28   ce moment même, je suis censé faire un séminaire de quatre jours au mois

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  1   d'avril en psychologie médico-légale.

  2   Q.  Je vais faire une petite pause.

  3   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Alarid, excusez-moi, mais

  4   j'aurais dû vous préciser tout d'abord que le Juge van Den Wyngaert n'est

  5   pas présente, donc nous siégeons avec le Juge David conformément à la Règle

  6   15 bis.

  7   M. ALARID : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

  8   Q.  Mais vous constaterez également que nous allons faire régulièrement de

  9   petites pauses entre chacune de nos interventions de façon à ce que les

 10   personnes qui ne comprennent pas l'anglais puissent bénéficier d'une

 11   interprétation complète. Pour ce qui est de ce séminaire, vous nous parliez

 12   de psychologie médico-légale.

 13   R.  [aucune interprétation]

 14   Q.  Qu'est-ce que c'est au juste ?

 15   R.  Bien, la psychologie médico-légale, en gros, c'est la psychologie qui

 16   s'applique au domaine légal, c'est-à-dire qui peut être exigée devant un

 17   tribunal.

 18   Q.  Donc, en gros, si vous êtes ici aujourd'hui, c'est pour de la

 19   psychologie médico-légale ?

 20   R.  Tout à fait.

 21   Q.  Et vous avez déjà fait des interventions de psychologie médico-légale ?

 22   R.  Oui, tout à fait.

 23   Q.  Vous pouvez me donner un exemple ?

 24   R.  Tout à fait. Il faut que je sorte mes lunettes.

 25   D'accord, alors j'examine mon propre curriculum vitae, alors je commence à

 26   la page 7, tout en haut, puis je vais revenir en arrière.

 27   M. ALARID : [interprétation] J'aimerais que la pièce 1D22-0719, qui est

 28   votre CV, soit présentée à l'écran, s'il vous plaît.

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  1   Q.  Ainsi, Docteur Hough, vous pourrez nous montrer ce que vous désirer

  2   nous montrer à l'écran.

  3   R.  D'accord. Donc vous avez le document, passons à la page 7 de ce

  4   document et vous trouverez, en bas de la page, une présentation, qui est

  5   d'ailleurs la plus récente que j'ai faite, avec un débat sur un panel. Il

  6   s'agissait du cerveau politique : le rôle des émotions dans la

  7   détermination du destin d'une nation.

  8   L'affaire suivante ayant une importance médico-légale, c'est peut-

  9   être la présentation du 7 mai 2008.

 10   Q.  Et pourquoi ?

 11   R.  Bien, il s'agissait de se poser la question de comment une société,

 12   dans une période postconflictuelle, comment se reconstituait et gérait les

 13   traumatismes de façon globale. Ceci était basé en partie sur une visite en

 14   Bosnie avec un collègue, une visite de collecte de faits en 2005, ou peut-

 15   être 2006, excusez-moi.

 16   Q.  Et où êtes-vous allés en Bosnie ?

 17   R.  Nous sommes arrivés à Dubrovnik, puis nous nous sommes rendus

 18   directement à Tuzla. C'est là que nous avons passé le gros de notre temps.

 19   De là nous sommes allés à Srebrenica, ce qui fut assez terrible, puis à

 20   Sarajevo. C'est de là que nous sommes partis. Donc c'était un voyage d'une

 21   dizaine de jours qui nous a permis de recueillir des informations

 22   suffisantes.

 23   La présentation suivante, après cette même affaire, concernait un crime

 24   sexuel qui agissait sur internet. Ensuite, le 28 mars 2007, des prédateurs

 25   sexuels sur internet; 18 avril 2006, traumatisme en Bosnie après la guerre.

 26   Q.  [aucune interprétation]

 27   R.  Il s'agissait principalement du sujet que je viens de décrire. Après

 28   quoi, l'évaluation du PTST, stress post-traumatique dans un contexte

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  1   international.

  2   Q.  Et pourquoi cela est-il pertinent à la psychologie médico-légale ?

  3   R.  D'une part la situation dont je discutais lors de cette présentation

  4   était un travail réalisé au Kosovo avec des fonctionnaires internationaux

  5   qui avaient été victimes d'une embuscade. Mais tout ceci, de toute façon,

  6   serait pertinent, parce que bien souvent les gens d'autres cultures sont

  7   priés de fournir les meilleurs traitements possibles dans une culture qui a

  8   subi des traumatismes de guerre. L'effort que nous essayons de faire est

  9   d'évaluer le phénomène, c'est-à-dire la possibilité de traitement dans une

 10   situation aussi difficile.

 11   Q.  Quelle est la pertinence de la sensibilité culturelle lorsqu'on examine

 12   le parcours médico-légal d'une personne, par exemple, bosniaque ?

 13   R.  C'est très pertinent. Les grands groupes culturels dans le monde ont

 14   naturellement leur propre façon de fonctionner en termes linguistiques, en

 15   termes social, dans leurs rapports sociaux mais aussi dans leurs rapports

 16   familiaux, mais aussi leur propre façon de percevoir ce que c'est qu'un

 17   traitement et la possibilité d'accepter l'aide d'autres personnes. Il y a

 18   des différences énormes entre les groupes. Donc il est très important de

 19   chercher à comprendre dans la mesure du possible la culture dans laquelle

 20   on a choisi de s'immerger et de rester sensible à la mesure dans laquelle

 21   des malentendus culturels vont forcément se présenter de façon à en rester

 22   conscient pour pouvoir les corriger dans la mesure du possible. Cette

 23   difficulté s'est posée même au sein de ma propre culture, qui est une

 24   société très, très diverse, puisqu'il y a des gens d'origines très

 25   différentes et de tranches socio-économiques est très différentes aussi et

 26   qui sont tous réunis, qui sont censés partager un espace physique mais dans

 27   des mondes culturels parfois extrêmement différents. Donc il est important

 28   de rester sensible à ces différences culturelles même aux Etats-Unis. Je

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  1   pourrais poursuivre ma liste, si vous voulez.

  2    Q.  Rapidement, s'il vous plaît.

  3   M. ALARID : [interprétation] Monsieur le Président, là je ne sais pas

  4   quelle a été la décision de la Chambre. A-t-on décidé d'accepter le niveau

  5   d'expertise du Dr Hough ? Je sais qu'elle a été mise en question, donc il

  6   me semblait pertinent de poser quelques questions sur son parcours.

  7   [La Chambre de première instance et le Juriste se concertent]

  8   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Si je ne me trompe, il a été décidé

  9   en général que toute une série d'experts, enfin, de témoins peuvent être

 10   qualifiés d'experts et le Dr Hough est sur cette liste. Hough ou Hough ?

 11   LE TÉMOIN : [interprétation] Hough.

 12   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Veuillez m'excuser. Hough.

 13   Je vois que vous vouliez prendre la parole.

 14   Mme SARTORIO : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Nous ne doutons

 15   pas des qualifications du Dr Hough comme psychologue clinique. Cela dit,

 16   nous allons discuter de certains domaines, où selon nous, il est en dehors

 17   de son propre domaine de spécialisation et d'expertise.

 18   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] D'accord. Mais cela relève du

 19   contre-interrogatoire.

 20   Il a donc bel et bien été accepté par la Chambre comme étant un

 21   témoin expert pour les questions sur lesquelles il est censé déposer.

 22   Voilà. Donc ceci est clarifié. De toute façon, la Chambre le reconnaît

 23   comme témoin expert. Mais je ne pense pas qu'il soit nécessaire de

 24   consacrer beaucoup de temps à examiner ses qualifications.

 25   M. ALARID : [interprétation] Tout à fait, Monsieur le Président. Donc je

 26   vais d'emblée m'orienter vers des travaux plus pertinents à la question

 27   pour laquelle il se trouve parmi nous et nous allons passer le plus

 28   rapidement possible à ces conclusions et la façon dont il y est parvenu.

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  1   Q.  Alors, d'un point de vue culturel ou d'autres points de vue sur la base

  2   de votre CV, y a-t-il d'autres éléments que vous aimeriez faire ressortir ?

  3   R.  Oui. J'aimerais parler de l'expérience que j'ai eue pour travailler à

  4   la fois du côté de l'Accusation et de la Défense dans des affaires

  5   précédentes.

  6   Q.  Oui. Mais y a-t-il d'autres aspects que vous aimeriez aborder

  7   maintenant ?

  8   R.  Non. Pas pour le moment.

  9   Q.  Alors, vous travaillez aujourd'hui dans le cadre d'un cabinet privé.

 10   Est-ce que vous pouvez expliquer à la Chambre de quoi il s'agit exactement

 11   ?

 12   R.  Alors, 40 % de mon travail est un travail d'ordre clinique. C'est un

 13   petit cabinet dans lequel j'apporte des conseils psychologiques et

 14   psychanalytiques à un certain nombre de patients, essentiellement adultes

 15   et quelques adolescents, donc en gros, à partir de l'âge de 17 ans

 16   jusqu'aux personnes âgées; 20 % de mon travail concerne en fait des

 17   activités de consultation clinique pour des entreprises, pour des

 18   organisations, des agences locales. Il s'agit de problèmes de gestion de

 19   personnel, ensuite, le reste de mon travail, 40 %, c'est encore tout ce qui

 20   concerne des évaluations médico-légales.

 21   Q.  En ce qui concerne ces consultations et ces évaluations médico-légales,

 22   en gros, 40 %, est-ce que vous pouvez entrer plus en détail pour expliquer

 23   ?

 24   R.  Oui. Alors, ce travail médico-légal, je peux le répartir en plusieurs

 25   domaines. D'abord, il y a les évaluations psychologiques indépendantes pour

 26   des entreprises, pour des agences gouvernementales américaines, puis il y a

 27   aussi des affaires criminelles. Alors là, je dirais que c'est à peu près 75

 28   % des cas. En dehors d'évaluations systématiques, je travaille également

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  1   pour des cabinets locaux, pour des cabinets juridiques locaux, à la fois

  2   pour la Défense, pour l'Accusation. Et il s'agit en général en termes de

  3   crimes, d'homicides, d'assassinats, d'agresseurs sexuels, et je travaille

  4   également dans certains cas civils.

  5   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous nous avez mentionné les

  6   meurtres nombreux. Qu'est-ce que vous entendez par là ?

  7   LE TÉMOIN : [interprétation] Bien, en général, il s'agit de plusieurs

  8   personnes qui sont assassinées. J'ai eu un cas, par exemple, une affaire où

  9   un individu avait tué six personnes en même temps dans le cadre d'une

 10   affaire de stupéfiants qui avait mal tourné.

 11   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vois. Merci.

 12   LE TÉMOIN : [interprétation] Puis je fais également du travail en matière

 13   d'études de crédibilité des témoins pour l'Accusation, pour la Défense.

 14   J'examine le transcript, j'examine, j'évalue les éléments de preuve, les

 15   bandes audio, les interrogatoires.

 16   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Quelles sont les questions sur

 17   lesquelles vous travaillez en général en ce qui concerne un accusé ?

 18   LE TÉMOIN : [interprétation] Tout d'abord, il faut voir la compétence de

 19   base qui est en jeu. Est-ce qu'il est possible de faire subir un procès à

 20   l'accusé ? Est-ce que cette personne dispose des ressources psychologiques

 21   nécessaires ? En dehors de cela, il y a aussi toutes sortes d'autres

 22   domaines qu'il faut étudier. Il faut voir quel est le niveau de

 23   préparation, puis il peut y avoir aussi d'autres questions. Ça peut être

 24   très, très vaste. On peut me demander, par exemple, d'examiner l'historique

 25   du comportement de la personne, dans quelle mesure cette personne a connu

 26   des sévices quels qu'ils soient dans son enfance. Donc tout cela peut être

 27   très, très vaste. Il y a énormément d'éléments qui entrent en jeu et qu'il

 28   faut que j'évalue.

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  1   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci.

  2   M. ALARID : [interprétation]

  3   Q.  Nous allons maintenant aborder deux sujets que vous avez mentionnés.

  4   D'abord, l'évaluation de M. Milan Lukic lui-même; et deuxièmement, en plus

  5   de cela, vous avez été sollicité pour examiner trois témoins de

  6   l'Accusation qui ont été cités par l'Accusation.

  7   Alors, nous allons d'abord aborder les questions concernant les témoins. Et

  8   pouvez-vous nous expliquer par le passé quelles sont les affaires sur

  9   lesquelles vous avez travaillé et où des questions, des problèmes

 10   apparaissaient concernant la crédibilité des témoins ?

 11   R.  Bien, à de nombreuses reprises, les questions de crédibilité des

 12   témoins sont des questions très pertinentes, parce qu'en fait les seules

 13   sources de preuves reposent sur des témoins oculaires. Et dans ce type

 14   d'affaire, les témoins sont très importants. Surtout dans des affaires qui

 15   impliquent des enfants, par exemple, avec des agressions sexuelles sur les

 16   enfants. Donc c'est dans ce cadre-là que j'ai travaillé, j'ai commencé à

 17   travailler de plus en plus sur l'évaluation de la crédibilité des témoins.

 18   Q.  Donc en ce qui concerne les évaluations médico-légales, par exemple,

 19   d'un accusé pour crime, pouvez-vous nous présenter un petit peu votre

 20   travail dans ce domaine ?

 21   R.  Bien, j'ai une expérience assez vaste dans ce domaine. Parfois, on m'a

 22   sollicité pour simplement passer un petit peu de temps avec un accusé qui

 23   sait qu'il risque d'éprouver des difficultés lors du procès, donc on me

 24   demande de l'aider à se préparer psychologiquement. Cela ça peut être donc

 25   à un extrême, c'est une intervention très simple. Puis ça peut aller

 26   jusqu'à l'autre extrême avec, par exemple, toutes les questions de

 27   compétences. Quand on parle de compétences, cela peut être très, très

 28   large, c'est-à-dire compétences pour subir un procès, compétences pour, par

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  1   exemple, signer une dérogation, compétences même d'exécution. Il y a toute

  2   une grande gamme, si vous voulez, de questions en matière de compétences

  3   qui sont très, très pertinentes à cet égard.

  4   Puis, au-delà de cela, on me sollicite également pour procéder à une

  5   évaluation psychologique complète de la personne. Quelquefois, ils veulent

  6   connaître l'état affectif et cognitif de la personne. Parfois on me demande

  7   aussi des questions sur la personnalité de l'individu en question, est-ce

  8   que la personne peut s'adonner à certains types de comportements, et

  9   cetera.

 10   Q.  Alors si l'on se concentre un petit peu sur les affaires dans

 11   lesquelles vous avez travaillé, combien de fois avez-vous été sollicité

 12   pour examiner des affaires criminelles ? Combien de fois avez-vous témoigné

 13   ou déposé ?

 14   R.  Au total, j'ai déposé, je dirais, environ 63 fois. J'ai été sollicité

 15   pour évaluer des affaires criminelles beaucoup plus souvent, bien entendu.

 16   Mais là, ce serait juste le nombre de cas où j'ai effectivement apporté un

 17   témoignage.

 18   Q.  Est-ce que vous pouvez nous présenter un certain nombre de ces affaires

 19   avec les différents types de suspects et les problèmes qui étaient liés à

 20   ces individus.

 21   R.  Je pourrais commencer par des affaires de peine de mort sur lesquelles

 22   j'ai travaillé dans l'Etat du Kansas et l'Etat du Missouri aux Etats-Unis.

 23   Il y a une affaire très difficile dans laquelle j'ai témoigné, il

 24   s'agissait de l'affaire Etat du Missouri contre M. Zinc [phon].

 25   Q.  Parlez-nous un petit peu de M. Zinc.

 26   R.  C'est une affaire qui a déjà été jugée, donc je suis parfaitement libre

 27   d'en parler. C'était le cas, M. Zinc, qui avait passé 20 ans en prison pour

 28   un viol avec violence commis à l'âge de 20 ans. Ensuite il avait été

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  1   libéré, il devait faire du service communautaire. Quatre mois plus tard, il

  2   s'est adonné à la boisson et il a été impliqué dans un léger accident de

  3   voiture avec une femme qui l'avait aidé à sortir de la voiture, ensuite

  4   avec qui il était en train d'échanger des informations sur l'assurance.

  5   Donc il a enlevé cette femme. Enfin, bref, pour raccourcir l'histoire,

  6   finalement il l'a emmenée dans les bois et il lui a rompu le cou en

  7   l'étranglant.

  8   Q.  Est-ce que vous pouvez nous parler de ce tueur en particulier qui a

  9   apparemment tué de sang-froid ?

 10   R.  Oui. En fait, je dirais que c'était en pur psychopathe. Il n'avait

 11   aucun remord, aucun sentiment de culpabilité, et il était tout à fait prêt

 12   à retourner en prison et à faire face à une peine de mort. Il était

 13   préoccupé pour lui, mais pas pour la victime.

 14   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Quels sont les éléments de preuve

 15   que vous avez apportés ?

 16   LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis arrivé sur l'affaire au moment de

 17   l'appel et j'avais évalué M. Zinc depuis le tout début, et j'avais été

 18   sollicité, parce qu'en fait il était apparu en qualité de volontaire. Donc

 19   en général pour ce type d'affaire, il y a des questions de compétence qui

 20   se posent. Nous nous sommes aperçus à ce moment-là qu'il s'agissait d'une

 21   manipulation, c'était une manipulation de sa part. C'était, en fait, un

 22   appel à l'aide pour bénéficier des privilèges lorsqu'il était en prison.

 23   Ensuite, j'ai été un petit peu plus impliqué dans cette affaire pour

 24   l'évaluation de M. Zinc et j'ai été en mesure d'avoir une idée assez

 25   précise de son développement psychologique, de la façon dont il se

 26   comportait, la façon dont il avait des relations avec les autres personnes

 27   en général.

 28   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Quelles ont été vos conclusions ?

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  1   LE TÉMOIN : [interprétation] A ce stade-là, j'ai constaté que c'était un

  2   adulte qui avait une personnalité anti-sociale, qu'il était asocial. Et en

  3   plus de cela il souffrait paranoïa, de caractéristiques de paranoïa assez

  4   fortes. Qu'il soit psychopathe ou non, c'est quelqu'un qui souffrait de ces

  5   deux choses, asocial et paranoïaque. Mais nous n'avons pas le diagnostic

  6   officiel pour cela aux Etats-Unis, mais je pense que c'est à peu près dans

  7   cette catégorie que l'on peut le classer.

  8   Ensuite, la phase suivante de mon travail a consisté à examiner les

  9   questions de l'élément moral, c'est-à-dire lui demander de m'expliquer très

 10   en détail, très, très en détail, ce qui l'a amené à se conduire de cette

 11   façon-là, ce qui s'était passé cette nuit-là. En fait, aussi bien dans

 12   cette affaire que dans d'autres, ce sont des types de discussions pour

 13   lesquels il faut beaucoup de préparation. Parce qu'il faut beaucoup parler

 14   avec la personne, il faut instaurer un climat de confiance pour arriver à

 15   ce stade où la personne en face de vous se sent suffisamment à l'aise pour

 16   tout d'un coup se mettre à vous parler de son enfance et, finalement, du

 17   crime qu'il a commis, qu'il a perpétré lui-même.

 18   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Alors, quelles ont été vos

 19   conclusions en matière de l'élément moral ?

 20   LE TÉMOIN : [interprétation] Là j'ai constaté que c'était une action

 21   parfaitement délibérée de sa part, parfaitement volontaire. C'était une

 22   décision calculée. Son raisonnement était le suivant : comme la femme en

 23   question savait qu'il avait bu alors qu'il était en liberté provisoire,

 24   surveillée, il savait qu'elle pouvait tout de suite en parler à son avocat

 25   de liberté surveillée, et que très vite on aurait vu qu'il avait

 26   effectivement enfreint son régime et donc qu'il allait être obligé de

 27   retourner en prison. Donc la seule façon pour lui c'était de la tuer. Et il

 28   n'a pas essayé d'étudier d'autres possibilités. Pour lui, il n'avait aucun

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  1   remords à cet égard.

  2   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Très bien. Merci.

  3   M. ALARID : [interprétation]

  4   Q.  Avez-vous déjà travaillé sur des affaires de tueurs en série ?

  5   R.  Oui.

  6   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ecoutez, nous n'avons pas besoin

  7   d'aller dans ces détails. Ici, nous venons d'avoir un excellent exemple du

  8   travail déjà réalisé par le Pr Hough.

  9   M. ALARID : [interprétation] La raison pour laquelle je voulais évoquer ces

 10   affaires de tueurs en série, c'est que peut-être cela pouvait nous

 11   permettre de procéder à une comparaison avec le cas de M. Lukic par

 12   contraste, si vous voulez.

 13   M. LE JUGE ROBINSON : [aucune interprétation] 

 14   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, effectivement, j'ai travaillé sur une

 15   affaire de ce type dans l'Etat du Kansas, l'Etat du Kansas contre John

 16   Robinson. Je n'ai pas été appelé pour témoigner dans cette affaire, parce

 17   qu'en fait la compétence a été déplacée à l'Etat du Missouri. C'était donc

 18   une affaire qui recouvrait plusieurs Etats. Mais j'ai été sollicité pour

 19   évaluer M. Robinson à plusieurs reprises, ainsi qu'un certain nombre de

 20   dossiers qui avaient été fournis pour cette affaire. C'était, en fait, un

 21   homme qui avait l'habitude finalement de rencontrer des femmes en ligne sur

 22   internet. Il créait des conversations avec ces femmes, ensuite il avait des

 23   conversations avec elles qui tournaient autour de pratiques sexuelles

 24   déviantes et des pratiques sado-masochistes, et certaines femmes étaient

 25   très réceptives à ce type de conversation. Finalement, en général, il

 26   organisait des rendez-vous avec ces femmes. Ils s'adonnaient à ces

 27   activités ensemble et, finalement, il les faisait entrer dans une sorte de

 28   grand tonneau, un grand baril et les femmes, en général, pensaient que ça

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  1   faisait partie du jeu sexuel. Mais une fois qu'elles étaient dans ce grand

  2   tonneau, il les tuait avec un marteau, ensuite il refermait le tonneau et

  3   ces tonneaux étaient utilisés pour construire, en partie, un certain nombre

  4   de pylônes qu'il était lui-même en train de construire près d'un lac. Si

  5   bien que lorsqu'il allait sur le bord du lac, il marchait sur chacun de ces

  6   tonneaux et donc sur chacune de ses victimes.

  7   Je dois dire que là il s'agissait d'un psychopathe de tout premier

  8   ordre. Il était très manipulateur, très difficile d'avoir une relation avec

  9   lui et de discuter avec lui. Il m'avait fourni très, très peu

 10   d'informations véritablement utilisables.

 11   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci.

 12   M. ALARID : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 13   Q.  Pour évoquer maintenant d'autres expériences tout à fait à l'autre

 14   extrême de votre large éventail d'expériences, dans quelles autres

 15   circonstances avez-vous témoigné où il y avait des questions de crédibilité

 16   des témoins ?

 17   R.  Bien, je vais vous donner quelques exemples. Par exemple, ici, il

 18   s'agit de faux témoignages par des témoins. Il s'agissait d'un homme qui

 19   avait avoué un crime, les éléments de preuve étaient là, mais ce n'était

 20   pas lui qui avait commis le crime.

 21   Mais plus souvent, j'ai été sollicité pour étudier des cassettes des

 22   adultes qui auraient commis des crimes sexuels sur des enfants et, très

 23   rarement, ces affaires ne sont allées jusqu'au stade du procès. J'ai une

 24   affaire, ici, le 4 janvier 2008, j'ai été sollicité pour témoigner dans

 25   l'affaire de l'Etat du Kansas contre Kenneth Wadell [phon] et il s'agissait

 26   donc d'étudier la capacité de cette jeune personne à témoigner devant un

 27   tribunal. Et dans ce cas, j'ai examiné des volumes et des volumes de

 28   témoignages qui avaient précédemment été fournis aux enquêteurs ainsi que

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  1   des bandes sonores. Mes conclusions étaient qu'il n'y avait pas d'obstacle

  2   pour que cet enfant puisse témoigner et cet enfant a effectivement

  3   témoigné.

  4    M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Merci.

  5   M. ALARID : [interprétation]

  6   Q.  En ce qui concerne ce cas, est-ce qu'il y a une science de la

  7   psychologie qui couvre toutes ces questions concernant la perception et la

  8   mémoire ?

  9   R.  Oui, ce sont des disciplines séparées, dans le cadre de la psychologie

 10   générale.

 11   Q.  Et d'une façon générale, quelle sorte de ressources utilisez-vous pour

 12   procéder à vos recherches ?

 13   R.  Bien, dans le domaine des sciences sociales, vous savez, nous disposons

 14   d'énormément de ressources, et si je regarde ces différents domaines, nous

 15   disposons d'informations réellement encyclopédiques. Pour cette affaire en

 16   particulier, pour me familiariser avec l'affaire, avec son contexte, avec

 17   les éléments géographiques, sociopolitiques, et cetera, et pour comprendre

 18   aussi les différentes questions qui pouvaient être pertinentes dans cette

 19   affaire, j'ai examiné un nombre infini d'éléments. J'ai énormément

 20   travaillé, ensuite j'ai présenté une répartition de tous les aspects que

 21   j'ai étudiés et je crois que cela montre, de façon résumée, les différents

 22   aspects que j'ai coutume d'étudier dans ce type d'affaire.

 23   Q.  Oui, nous venons d'être prévenus qu'il fallait ralentir un petit peu

 24   pour les interprètes. Bien. Maintenant passons plus précisément à tout ce

 25   qui concerne la mémoire, parce que nous allons tout d'abord, comme je l'ai

 26   dit tout à l'heure, aborder la question des témoins, ensuite nous

 27   aborderons Milan Lukic. Alors, quelles sont les ressources en matière de

 28   mémoire, de souvenir que vous avez utilisées ?

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  1   R.  Dans le domaine de la mémoire, la littérature est extrêmement

  2   volumineuse. Il faut essayer d'être sélectif, sinon il y en a trop. Il faut

  3   trouver la littérature qui représente le mieux l'état actuel de la pensée

  4   en matière de souvenir et de mémoire. Et en page 6 des documents que j'ai

  5   publiés dans mon curriculum vitae, je peux résumer un petit peu tous ces

  6   documents.

  7   Q.  Oui, s'il vous plaît.

  8   R.  Alors il y a, dans la bibliographie, ce livre, "La Mémoire de

  9   l'Holocauste : Rappel permanent de traumatisme extrême," puis un autre

 10   ouvrage, "L'étude de la psychologie dans son ensemble : La science

 11   intégrée," de William N. Dember. C'est un article particulier qui était une

 12   étude des survivants de l'Holocauste de la Deuxième Guerre mondiale pour

 13   voir s'il y a des caractéristiques particulières dans la façon dont ils

 14   évoquent leurs souvenirs et s'il y a des caractéristiques que l'on peut

 15   retrouver chez les différents survivants pour reparler de ces événements

 16   chez des victimes après des troubles post-traumatiques.

 17   Q.  Quel type de facteurs sont pris en compte dans de telles situations ?

 18   R.  [aucune interprétation]

 19   Q.  [aucune interprétation]

 20   R.  Bien, une étude qualitative, qui avait été réalisée à l'Université de

 21   Yale aux Etats-Unis, une étude qualitative de tous les entretiens avec ces

 22   survivants pour essayer de voir comment, dans leurs souvenirs, ces

 23   personnes évoquaient tout ce qu'ils avaient vécu et pour étudier la façon

 24   dont ces souvenirs étaient encore empreints d'une très, très forte

 25   émotivité chez ces personnes ou s'il s'agissait de souvenirs qui étaient

 26   présentés de façon très fragmentée.

 27   C'est très important, parce que dans le cas de trouble post-

 28   traumatique, il faut bien comprendre que les patients, lorsqu'on leur

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  1   demande de redécrire une expérience telle que celle-là, traumatisante, ils

  2   sont très émotifs, ils ont du mal à en reparler, ils ont du mal à surmonter

  3   cet exercice, parce que c'est quelque chose qui est trop pour eux. Mais ce

  4   n'est pas vrai pour tout le monde, ce sont des cas extrêmes. Il faut

  5   essayer d'examiner tout cela pour comprendre, en général, la façon dont les

  6   souvenirs, après une bonne période de temps, peuvent être réévoqués, par

  7   exemple, dans le cas des survivants d'Auschwitz en 1944 et 1943. Il

  8   s'agissait donc, dans cette étude, de voir comment les souvenirs sont

  9   évoqués chez les victimes qui ont encore des troubles post-traumatiques.

 10   Autre étude que j'ai étudiée bien en profondeur, celle réalisée par Karen

 11   Nelson en 1998, qui a écrit un article "Les souvenirs de traumatismes :

 12   comment transférer le présent vers le passé," et c'est un autre article

 13   dans un ouvrage. Puis, aussi un autre document, David Ruben, Ariel Boals,

 14   Dorothy Bernstein, ça s'est fait en 2008 et encore un autre : "Les

 15   souvenirs autobiographiques traumatiques et non traumatiques chez les

 16   personnes qui souffrent de symptômes de troubles post-traumatiques." C'est

 17   un article publié dans le journal de psychologie expérimentale, le volume

 18   137 numéro 4, des pages 591 à 614. Dans cet article en particulier, les

 19   choses sont très, très intéressantes et, je crois, très pertinentes. Parce

 20   qu'en fait, cet article explique les différentes façons de conceptualiser

 21   les troubles post-traumatiques chez les sujets qui ont eu ce type

 22   d'expérience traumatisante.

 23   Une école de pensée, présentée par un chercheur du nom de Marty Horowitz

 24   [phon] à l'Université de Californie à San Francisco, explique qu'il y a

 25   très souvent ce que l'on appelle un processus de fragmentation dans les

 26   souvenirs et une autre étude étudie également le même phénomène et explique

 27   que ce n'est pas toujours le cas. En fait, ce que je veux dire ici dans ce

 28   dernier cas, il n'y a pas vraiment de raisons de créer une théorie tout à

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  1   fait distincte pour la psychologie post-traumatique. Il n'y a pas de

  2   théorie générale, si vous voulez, en matière de psychologie post-

  3   traumatique.

  4   Q.  Quelle est la théorie générale de la mémoire ou du

  5   souvenir ?

  6    R.  Bien, la théorie générale veut que lorsque l'on évoque des souvenirs,

  7   les souvenirs sont entiers et il n'y a pas de fragmentation, alors que dans

  8   le cas de la théorie de la psychologie post-traumatique il peut y avoir des

  9   fragmentations, parce que la personne va se souvenir de certaines parties

 10   de façon plus intense que d'autres.

 11   Il y a un autre article qui présente une recherche réalisée par Daniel

 12   Shakter en 1999 intitulée, "Les sept péchés de la

 13   mémoire : aperçu de la psychologie et de la neuroscience," c'est quelque

 14   chose que l'on trouve dans le journal américain de psychologie, volume 54,

 15   pages 182 à 203. Et j'ajouterais même que ce journal professionnel, The

 16   American Psychologist, est la revue, je dirais, qui a le plus d'autorité en

 17   la matière aux Etats-Unis et sur le continent nord-américain pour les

 18   psychologues. Si vous devez vous abonner à une revue quelle qu'elle soit

 19   dans ce domaine, c'est vraiment la revue incontournable.

 20   Alors Dr Shakter, dans son article, explique les différentes façons

 21   dont les sources extérieures peuvent influencer la façon dont une personne

 22   va évoquer ses souvenirs. Le Dr Shakter parle d'erreur d'attribution qui

 23   signifie que, par exemple, un individu ne va pas bien comprendre ce qui est

 24   codé dans son souvenir. Par exemple, la personne va se souvenir que

 25   quelqu'un a été victime d'un vol avec un pistolet. Mais du fait que la

 26   personne n'est pas sûre d'avoir réellement vu un pistolet, mais peut-être

 27   un bâton ou quelque chose, la perception sera différente et il va mal

 28   décrire le souvenir qu'il a de cet incident.

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  1   J'ai aussi revu le travail fait par le Dr Bruce en 1991, un article paru

  2   dans cette revue, pages 46 à 48 du numéro 1 du volume 6 de cette même

  3   revue, American Psychologist, et j'ai vu aussi, dans cet article, des

  4   différents mécanismes intervenant dans l'encodage et le travail fait sur la

  5   mémoire. Voulez-vous que je le parcoure, que je vous cite que --

  6   Q.  Pas nécessairement. Ce qui m'intéresse surtout, ce sont les meilleures

  7   références que vous avez et qui sont à la base de l'évaluation que nous

  8   avons faite de ces trois témoins à charge.

  9   R.  C'est sans doute Shakter, mais j'ai aussi examiné certains éléments

 10   parus dans la littérature scientifique portant sur de mauvais témoins

 11   oculaires.

 12   Q.  Parlez-nous-en.

 13   R.  Plusieurs études ont été réalisées. Il y en a une, faite par Saul

 14   Kassin, K-a-s-s-i-n; Anne Tubb, T-u-b-b; Harmon Hosch, H-o-s-c-h; et Amina

 15   Mermon, M-e-r-m-o-n; en 2001 sur l'acceptation générale de recherche en

 16   matière de témoin oculaire, article paru dans American Psychologist, volume

 17   56, numéro 5, pages 405 à 416. Que font ces auteurs ? Ils prennent un

 18   échantillon de psychologues cliniques et médico-légaux pour voir dans

 19   quelles mesures les théories concernant les témoins oculaires ont été

 20   retenues par les tribunaux où ces personnes ont exercé. Quelles sont les

 21   conclusions de ce rapport ? Dans la plupart des tribunaux à l'époque, ce

 22   genre de témoignage a été déclaré recevable. L'objectif, c'était d'établir

 23   une acceptation générale de ce type de témoignage.

 24   Mais je recommanderais aussi le Dr Elizabeth Loftus, qui est très connue en

 25   matière de recherche de la mémoire visuelle ou de la mémoire et de la

 26   recherche pour ce qui est des témoins oculaires. Il y a un article de

 27   American Psychologist, volume 48, numéro 5, paru en 1993, pages 50 à 52

 28   [comme interprété]. La dernière référence que je citerai, c'est le Dr Gary

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  1   Wells, 1993. Son article s'intitule, "Que savons-nous des témoins

  2   oculaires," American Psychologist, volume 48, numéro 5, pages 53 à 71

  3   [comme interprété].

  4   J'ai aussi fourni une brève synthèse d'ouvrages scientifiques que je vous

  5   ai remis en 2008, le 9 juin, qui faisait le tour d'écrits en ce qui

  6   concerne le souvenir qu'ont les témoins oculaires et leur identification.      

  7   Q.  Quels sont les problèmes qui se posent pour l'identification pour des

  8   témoins oculaires ? Pourriez-vous nous le dire de façon générale ?

  9   R.  Il y a plusieurs concepts qui sont mal utilisés à ce propos. J'aimerais

 10   les citer. Ce sont des avis couramment répandus dans l'opinion publique,

 11   mais souvent ils reposent sur des erreurs. La première erreur c'est qu'une

 12   fois un souvenir consigné dans la mémoire, il ne va pas se modifier. C'est

 13   comme si c'était un magnétophone qui l'avait enregistré. Une fois que c'est

 14   saisi, ce souvenir va rester intact. Il est engrangé et on peut le rappeler

 15   dans la forme dans laquelle il a été saisi, comme si c'était une bande

 16   sonore.

 17   Deuxième erreur, c'est que les informations consécutives à l'événement,

 18   donc ce qu'on a dit à quelqu'un après l'événement et ce qui est saisi par

 19   cette personne n'aura aucun effet sur le souvenir une fois qu'il est

 20   engrangé.

 21   Troisième erreur, c'est que la mémoire est imperméable à la suggestion.

 22   Quatrième erreur, c'est que les défaillances en matière de mémoire sont

 23   dues à la façon dont on va retrouver ce souvenir, mais le souvenir en tant

 24   que tel, lui, reste intact.

 25   Dernière erreur en matière de concept, c'est que le souvenir ne va pas se

 26   dégrader, se déliter au fil du temps.

 27   Je parle d'une conception reconstructive de souvenir et j'analyse ces

 28   concepts ou ces erreurs de pensée différemment. Le souvenir, ce n'est pas

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  1   comme si c'était une bande sonore enregistrée à tout jamais. Le souvenir

  2   peut se transformer, il ne demeure pas intact.

  3   Deuxième élément de cette théorie reconstructive c'est que les informations

  4   consécutives à l'information peuvent avoir un effet sur le souvenir. Je

  5   m'explique. Plus tard, une fois que le souvenir est soumis à des

  6   conversations et à d'autres événements, aux médias, quelqu'un peut avoir du

  7   coup un souvenir différent de ce qu'il était au départ.

  8   Troisième idée de cette théorie reconstructive c'est qu'il est possible

  9   d'influer sur le souvenir.

 10   Quatrièmement, c'est que les défaillances en matière de souvenir

 11   peuvent venir d'un problème qui peut intervenir à toute étape, quelle

 12   qu'elle soit. La façon dont on a encodé le souvenir, dont on l'a retenu ou

 13   dont on va le retrouver plus tard.

 14   Cinquième idée, c'est qu'effectivement, le souvenir peut faire l'objet

 15   d'une dégradation au fil du temps.

 16   Enfin, c'est une idée qu'acceptent la plupart des psychologues qui se

 17   penchent sur la question de la mémoire, c'est que c'est malléable, le

 18   souvenir, c'est influençable.

 19   Q.  Vous avez étudié beaucoup d'éléments de recherche et vous dites que

 20   cette idée reconstructive est généralement acceptée par les chercheurs.

 21   Pourriez-vous nous en dire davantage ?

 22   R.  Je donne dans ma liste de références l'article de Goodman; Radlich

 23   [comme interprété], R-a [comme interprété]-d-l-i-c-h; Kyn, K-y-n; Gagtti,

 24   G-a-g-t-i [comme interprété]; Tydi; Schaff; et Hahn, H-a-h-n 1999, "Manuel

 25   de psychologie médico-légale," deuxième édition. L'intitulé de ce chapitre

 26   qu'ils ont écrit c'est "L'évaluation du témoignages de témoins oculaires

 27   adultes en enfants," c'est de là que je tiens cette référence précise.

 28   Mais effectivement c'est une idée largement répandue parmi les chercheurs

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  1   qui étudient cette question de la maniabilité du souvenir de témoins

  2   oculaires qui on fait alors cette théorie reconstructive. Moi ici, bien

  3   sûr, je ne vous donne qu'un aperçu tout à fait schématique de cette idée.

  4   Il n'y a pas là la complexité que vous trouveriez dans un tel manuel, mais

  5   il y a certains éléments très clairs. Donc le produit ultime de ce que va

  6   vous dire un sujet, un témoin, ce sera un amalgame, ce sera une synthèse de

  7   ce qui s'est véritablement passé; ça, ce sera la source principale du

  8   souvenir, de la mémoire. Mais à cela se greffent au souvenir de ce qui

  9   s'est passé, se greffent d'autres éléments parmi lesquels le travail

 10   interne de ce que la personne a pu avoir comme intuition, ce qu'elle a tiré

 11   comme conclusion des informations qu'elle aura obtenues de sources

 12   externes, des informations consécutives à l'événement --

 13   Mme SARTORIO : [interprétation] Objection, Monsieur le Président. Je pense

 14   que le témoin ne fait que réciter ce qu'il a lu dans les manuels, et ça a

 15   dépassé de loin la question posée.

 16   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je ne sais pas si l'objection est

 17   valable, mais je pense personnellement que nous en savons suffisamment.

 18   Demandons au témoin de se prononcer sur l'affaire en l'espèce. Nous savons

 19   suffisamment ce qu'il a fait dans sa carrière. Je commence à perdre

 20   patience.

 21   M. ALARID : [interprétation] Oui, je peux vous dire pourquoi c'est

 22   pertinent.

 23   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, c'est pertinent, mais ça

 24   suffit. Ça suffit. Demandez-lui de parler de notre procès. Mme Sartorio

 25   attend de procéder au contre-interrogatoire, et bon nombre des choses qu'a

 26   dites le témoin vont revenir en contre-interrogatoire.

 27   M. ALARID : [interprétation] Oui, bien sûr, je suis d'accord. Mais il y a

 28   plusieurs écoles de pensée, vous savez.

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  1   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ça suffit. Ce contexte me suffit.

  2   M. ALARID : [interprétation] D'accord.

  3   Q.  Soyons précis. Prenons la mémoire, ce qui se fait de façon classique

  4   pour ce qui est de l'encodage, de la rétention et de la saisie de ce qu'a

  5   retenu un témoin qui était témoin d'un crime.

  6   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous ne m'avez pas écouté. Est-ce

  7   qu'il n'est pas ici pour parler d'une question propre à notre procès ?

  8   M. ALARID : [interprétation] Mais si.

  9   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Bien, qu'il en parle. Est-ce que

 10   vous ne lui avez pas posé des questions au récolement sur tel ou tel sujet

 11   précis ? Ça fait maintenant une heure et un quart que nous parlons de sa

 12   qualité, de son expérience professionnelle.

 13   M. ALARID : [interprétation] D'accord.

 14   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Moi, je suis convaincu.

 15   M. ALARID : [interprétation] Mais c'est la science qui s'applique en

 16   l'espèce.

 17   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je ne sais pas comment vous

 18   travaillez chez vous. Mais moi, ici, je crois que nous avons entendu

 19   suffisamment d'éléments concernant sa carrière. Passez tout de suite

 20   directement à ce qui compte vraiment dans ce procès.

 21   M. ALARID : [interprétation] D'accord.

 22   Q.  Pour ce qui est de témoins protégés, nous allons utiliser pour chacun

 23   d'entre eux un pseudonyme qui leur a été alloué. Mais pour les témoins qui

 24   ne sont pas protégés, nous pourrons utiliser leurs noms. Pour justifier ma

 25   question, je vous demande d'abord s'il est vrai que je vous ai demandé

 26   d'examiner la question concernant

 27   VG-114, Mme Zehra Turjacanin; aussi le Témoin 63; et le Témoin 115 ?

 28   R.  Oui.

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  1   Q.  Parlons d'abord de Mme Zehra Turjacanin. Dites-nous ce que vous avez

  2   étudié comme dossier la concernant avant de procéder à votre évaluation.

  3   R.  En ce qui concerne ce témoin-ci, il y a à la page 1 --

  4   M. ALARID : [interprétation] Avant de m'écarter du sujet, j'aimerais

  5   demander le versement du curriculum vitae du témoin.

  6   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Il est reçu.

  7   M. ALARID : [interprétation] Nous allons demander que soit affiché le

  8   document --

  9   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Ce sera le document D202.

 10   M. ALARID : [interprétation] Peut-on afficher le document 1D22-0779.

 11   Q.  Bien sûr, la première page nous le montre, quels sont les éléments

 12   saillants que vous avez étudiés avant de faire une évaluation de la

 13   déposition et de la présence de ce témoin et avant d'évaluer sa déclaration

 14   préalable.

 15   R.  Tous ces éléments sont, bien entendu, pertinents, mais c'est sans doute

 16   le numéro 15, sa déposition, son procès-verbal d'audition, qui me semble le

 17   plus important. De plus, au moment où j'ai rédigé ce rapport, je n'avais

 18   pas encore eu l'occasion d'examiner ce qu'elle avait déclaré les 4 et 5

 19   novembre 2008. Donc ceci ne se retrouve pas et ne se répercute pas dans ce

 20   rapport.

 21   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Un instant.

 22   Oui, Madame Sartorio.

 23   Mme SARTORIO : [interprétation] Objection à ce qu'on fasse usage de cette

 24   deuxième partie de l'audition. Ça n'a pas été repris dans le rapport du

 25   témoin. Nous n'avons pas été avertis, nous n'avons pas eu l'occasion

 26   d'examiner ce qu'il aurait écrit.

 27   M. ALARID : [interprétation] Oui, il n'a pas fait de rapport, il a

 28   simplement retenu ceci. Mais tout ce qui est nouveau me semble pertinent.

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  1   Il ne me semble pas que ceci eut un effet de surprise pour ce qui est de la

  2   suite de la déposition, d'autant que cette partie-là s'est faite assez

  3   tardivement et ne faisait pas partie des documents remis au témoin.

  4   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, mais Mme Sartorio n'a pas eu

  5   l'occasion de voir ce qu'a écrit le témoin.

  6   M. ALARID : [interprétation] Mais il n'y a rien à revoir. C'est la

  7   déposition, c'est le procès-verbal de l'audition du témoin. Je vais poser

  8   la question au témoin.

  9   Q.  Monsieur, est-ce que l'examen de ce que vous avez vu s'agissant de la

 10   dernière partie de l'audition de ce témoin a changé votre opinion ?

 11   R.  Non.

 12   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Fort bien. Poursuivez.

 13   M. ALARID : [interprétation]

 14   Q.  Monsieur le Témoin, qu'est-ce que vous avez examiné ? Quelles sont vos

 15   conclusions ? Montrez-nous le cheminement de votre pensée avant de procéder

 16   à ces conclusions.

 17   R.  Les documents que j'ai examinés sont énumérés aux pages 1 et 2 du

 18   rapport, et je l'ai indiqué, ce qui me semble le plus important, c'est sans

 19   doute le procès-verbal de l'audition de ce témoin, le document numéro 15.

 20   Il y a eu plusieurs entretiens avec des enquêteurs, avec des journalistes,

 21   avec différents agents -- ou des forces de sécurité, mais ce qui me semble

 22   le plus important, c'est sa déposition à l'audience.

 23   Si vous me le permettez, j'aimerais commenter ceci. Je comprends que mon

 24   style est peut-être un peu tranchant quand j'écris. Mais j'écris en tant

 25   qu'être humain, quelqu'un qui a, effectivement - bon, qui aussi soigne, et

 26   je n'ai pas eu l'intention d'attaquer ce témoin. Je suis allé en Bosnie. Je

 27   comprends parfaitement ce qu'ont pu avoir subi les victimes. Je sais que

 28   beaucoup ont souffert, et ont souffert beaucoup.

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  1   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Poursuivez, Maître.

  2   M. ALARID : [interprétation]

  3   Q.  Vous avez dit que ce procès-verbal d'audition était le plus important,

  4   mais je suppose qu'il y a aussi des déclarations préalables antérieures qui

  5   étaient importantes. Qu'est-ce que vous avez essayé de trouver comme

  6   éléments susceptibles de forger votre évaluation ?

  7   R.  C'est vrai pour toute analyse du contenu. Ce qui est important, c'est

  8   le degré de cohérence au fil du temps. C'est compréhensible, quand beaucoup

  9   de temps s'écoule, on ne peut pas s'attendre à ce qu'il y ait une parfaite

 10   cohérence entre ce qu'aurait dit un témoin à un moment donné et plus tard.

 11   Pourtant, il faut qu'il y ait un degré suffisant de cohérence pour dire

 12   qu'il reste un fil conducteur.

 13   Je me suis donc intéressé aux questions de cohérence, au degré de

 14   détail présenté par le témoin. La version des événements présentée au fil

 15   du temps ne me semble pas avoir suffisamment de cohérence. Parfois, on

 16   mélange ce qu'on a entendu et ce qu'on a vécu, et je l'ai déjà dit, il y a

 17   un problème intrinsèque. Et c'est vrai pour tout témoin. Parce qu'il y a

 18   énormément de temps qui s'est écoulé, il est très difficile que le témoin

 19   se souvienne de tout. Ce n'est pas leur faute, c'est un fait. C'est un fait

 20   propre à la situation, car il s'agit d'événements survenus il y a des

 21   années, ce qui, en soi, provoque une dégradation de la mémoire, du

 22   souvenir. Je l'ai déjà dit.

 23   Q.  Quelle est l'importance qu'il faut apporter à cela et au fait que cette

 24   dame a subi des blessures personnelles, des traumatismes, elle a été

 25   brûlée, indépendamment de la source ?

 26   R.  J'aimerais d'abord dire que ce traumatisme a envahi sa vie, et je

 27   comprends parfaitement pourquoi le Président tient à protéger ce témoin.

 28   Cette femme, elle a été vraiment très touchée, très endommagée, si j'ose

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  1   dire, et loin de moi l'idée de dire qu'elle ne peut pas témoigner. Je pense

  2   qu'elle a le droit à la parole, et je suis content qu'elle l'ait eu. Mais

  3   je pense aussi que vu l'ampleur du traumatisme, la profondeur de celui-ci,

  4   ce n'est pas surprenant que ce traumatisme se manifeste dans ses dires,

  5   dans la façon dont elle dit les choses, dans son besoin d'avoir plusieurs

  6   interruptions. C'est tout à fait compréhensible. J'ai déjà travaillé avec

  7   des victimes de traumatisme. Mais justement, je sais qu'avec de telles

  8   victimes, il est souvent difficile, sur le plan de l'émotion, de bien se

  9   souvenir de l'expérience du traumatisme et de bien la traduire. D'abord, le

 10   fait d'essayer de revivre ceci a la même force que le traumatisme lui-même.

 11   Ça a la même force. Si quelqu'un veut se remettre dans ce souvenir, c'est

 12   quelque chose qui est très stressant. Il va y avoir un accroissement de ce

 13   stress à cause de l'anxiété, ce qui fait que le fait de se remémorer va

 14   peut-être être déformé, le fait de rendre les choses va peut-être être

 15   entaché d'erreurs. La date aura changé, l'ordre des événements aussi. Ça ne

 16   veut pas dire que la personne va fabriquer ce souvenir de toutes pièces,

 17   pas du tout. Mais je pense qu'il y a un processus et un style qui est

 18   propre à ces victimes de traumatisme. Ce n'est pas ce que vous dira une

 19   personne qui n'a pas été victime d'un tel traumatisme. Le style d'une telle

 20   personne, d'une telle victime, ce sera vraiment quelque chose qui est

 21   imprégné d'émotions, qui sera peut-être pour l'auditeur, moins cohérent. On

 22   sait qu'il y a beaucoup de vérité dans ce qui est dit, mais chacun des

 23   détails ne le sera pas nécessairement.

 24   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous avez conclu que cette personne

 25   a présenté ces caractéristiques pendant son audition ?

 26   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, effectivement.

 27   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous le pensez. Qu'auriez-vous

 28   conclu de la fiabilité générale de ce qu'elle a déclaré ?

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  1   LE TÉMOIN : [interprétation] A mon avis - et là, je vais être juste - je

  2   pense qu'il faut lui accorder un certain degré de fiabilité; mais il faut

  3   aussi voir le versant de cela. Il y a la compassion, bien sûr, mais ça ne

  4   veut pas dire nécessairement que ce qu'elle dit est vrai. On ne peut pas

  5   supposer cela alors qu'on pourrait peut-être le supposer de quelqu'un qui

  6   n'a pas vécu cette expérience. On ne peut pas supposer qu'elle va pouvoir

  7   vous présenter les choses de la façon dont vous le souhaitez, c'est-à-dire

  8   de façon logique, rationnelle, factuelle, de façon bien cohérente. Ce n'est

  9   pas probable, ce l'est peu. Ça veut dire qu'il faut avoir une troisième

 10   oreille, pour ainsi dire, pour entendre ce qu'elle a à dire.

 11   Mais je dirais qu'il demeure un domaine qui m'interpelle, et je ne sais pas

 12   comment résoudre cette contradiction, je m'explique : elle a parlé au

 13   commissariat de police des brûlures qu'elle avait subies et de la nature de

 14   ces brûlures. On a ici parlé d'une bonbonne de gaz alors qu'on parle d'un

 15   incendie, et je n'ai pas de réponse. Tout ce que j'ai, tout ce qui me

 16   reste, c'est la question.

 17   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Dites-moi, vous n'avez pas procédé à

 18   un examen clinique du témoin.

 19   LE TÉMOIN : [interprétation] Non.

 20   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous le dites d'ailleurs dans le

 21   paragraphe liminaire de votre rapport.

 22   LE TÉMOIN : [interprétation] Non.

 23   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Est-ce que c'est important ? Si vous

 24   l'aviez examinée, si vous aviez pu procéder à un examen clinique de la

 25   personne, est-ce qu'éventuellement, vous auriez relevé telle ou telle chose

 26   susceptible de modifier les conclusions que vous avez fini par tirer sans

 27   avoir eu cet examen clinique ?

 28   LE TÉMOIN : [interprétation] Il est toujours utile de pouvoir procéder à un

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  1   examen clinique. D'être dans la même pièce que le patient, c'est tout à

  2   fait différent de l'examen de documents. Malheureusement, je n'ai pas pu le

  3   faire, et je ne sais pas si j'avais été la personne idoine pour le faire.

  4   Si ça avait été possible, il est fort probable que ceci ait modifié la

  5   perception que j'ai eue du dossier; et peut-être aurais-je pu offrir un

  6   diagnostic clinique et poser des questions. Manifestement, on ne peut pas

  7   poser des questions à un dossier. Ça aurait été différent.

  8   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Dans votre pratique professionnelle,

  9   avez-vous souvent examiné des dossiers ? Dites-moi ça par rapport au nombre

 10   d'examens cliniques, aux fins de dépositions en tant qu'expert devant les

 11   tribunaux ?

 12   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Dans la plupart des cas, manifestement,

 13   l'idéal c'est d'avoir aussi bien le dossier que l'examen clinique de la

 14   personne. Parfois, la possibilité de parler à la personne ne se présente

 15   pas, ce n'est pas possible, alors ce qui reste c'est le dossier. Mais

 16   l'examen optimal va réunir les deux formes d'examen. Mais oui,

 17   effectivement, j'ai parfois déposé en tant que témoin sur seule base du

 18   dossier.

 19   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Qu'est-ce que vous avez fait le plus

 20   souvent ?

 21   LE TÉMOIN : [interprétation] L'ensemble des deux, l'examen clinique avec

 22   examen du dossier. C'est d'ailleurs le mode de fonctionnement privilégié.

 23   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Monsieur Alarid.

 24   M. ALARID : [interprétation] Puis, je voulais vous expliquer ce que je

 25   voulais faire. Dans mon système, on a un expert 706, on peut demander au

 26   Tribunal de demander à quelqu'un de procéder à l'examen d'une personne.

 27   Mais vu le climat du procès, je me suis dit que ce n'était pas une bonne

 28   idée, mais j'y ai pensé. Je me suis dit, est-ce que la Chambre gagnerait à

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  1   avoir un examen indépendant, tout à fait neutre, effectué par quelqu'un qui

  2   pourrait faire aboutir le cheminement de la pensée ? Je me suis dit

  3   effectivement que je ne savais pas si c'était quelque chose de faisable

  4   ici, je voulais simplement vous le dire.

  5   Q.  Quelle est l'importance qu'il faut attribuer à ceci, une des parties

  6   qu'elle accuse qui l'aurait agressée, donc à part M. Milan Lukic, c'était

  7   Mitar Vasiljevic qui, au moment où ceci s'est passé, était depuis deux

  8   semaines à l'hôpital et donc n'aurait pas pu faire partie du traumatisme de

  9   ce qui s'est passé le 27 juin 1992; en tant que [inaudible] ou réellement ?

 10   Mme SARTORIO : [interprétation] Objection. La question est très longue.

 11   Tout d'abord, je ne sais pas si je l'ai bien comprise personnellement. On

 12   demande quelle est la signification qu'il faut donner ? Ici on présente à

 13   un psychologue ce qui est une idée car --

 14   M. ALARID : [hors micro]

 15   Mme SARTORIO : [interprétation] Oui, mais Me Alarid souhaite un commentaire

 16   de la part du témoin, on demande au témoin quel est l'effet que ceci aurait

 17   pu avoir sur le témoin, là je m'interroge, où veut-il en venir.

 18   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais ce n'est pas très clair. De

 19   toute façon, nous allons faire une pause et peut-être que la pause sera de

 20   bon conseil pour vous, Maître Alarid.

 21   Pause d'une demi-heure, l'audience est suspendue.

 22   --- L'audience est suspendue à 15 heures 44.

 23   --- L'audience est reprise à 16 heures 16.

 24   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Alarid, j'espère que vous

 25   avez profité de la pause pour nous donner une nouvelle formulation de cette

 26   question.

 27   M. ALARID : [interprétation] Je vais faire de mon mieux. Nous allons

 28   travailler par hypothèse, disons.

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  1   Q.  Monsieur, dans cette affaire précise, Mme Turjacanin a accusé également

  2   et maintenu son accusation contre le coaccusé, Mitar Vasiljevic, qui était

  3   considéré par sa propre Chambre. Il s'est avéré qu'il avait une jambe

  4   cassée et qu'il était à l'hôpital depuis près de deux semaines.

  5   Mme SARTORIO : [interprétation] Objection, Monsieur le Président. Le témoin

  6   n'a pas témoigné sur l'incendie de Pionirska et c'était un autre incendie.

  7   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais que voulez-vous dire, Madame

  8   Sartorio ?

  9   Mme SARTORIO : [interprétation] Que Zehra n'a pas témoigné concernant

 10   l'incendie de Pionirska.

 11   M. ALARID : [interprétation] Zehra a accusé Mitar Vasiljevic d'être l'un

 12   des responsables de la nuit du 27 juin 1992.

 13   Mme SARTORIO : [interprétation] Mais il n'était pas là. Il n'était pas

 14   accusé de Bikavac.

 15   M. ALARID : [interprétation] Mais si, il l'était et il a été accusé par la

 16   justice, il était accusé de ça.

 17   Mme SARTORIO : [interprétation] Il n'était pas l'hôpital à ce moment-là. Il

 18   n'y a pas eu de conclusion. Il a été acquitté.

 19   M. ALARID : [interprétation] Bon. Il a été acquitté. Voyons. C'est mon

 20   expert. D'abord j'ai le droit de lui proposer des hypothèses et je peux

 21   obtenir la preuve que l'accusé Mitar, pendant sa rencontre avec M. Groome,

 22   pendant laquelle les notes de l'entretien ont été montrées pour le premier

 23   témoignage, et je suis convaincu que ce médecin a d'ailleurs vu cette note.

 24   Donc, à mon avis, c'est pertinent et c'est un fait dont on débat dans cette

 25   affaire, et d'ailleurs je pense pouvoir le prouver à ce témoin.

 26   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais nous allons nous en servir

 27   comme d'une hypothèse.

 28   M. ALARID : [interprétation]

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  1   Q.  Donc c'est une hypothèse que Mme Zehra Turjacanin ait accusé une autre

  2   personne d'avoir également participé aux événements du 27 juin.

  3   Hypothétiquement, cette personne n'aurait pas pu être là, parce qu'en fait,

  4   il avait cassé sa jambe et qu'il n'était certainement pas présent le 27

  5   juin.

  6   Cependant Mme Turjacanin continuait de maintenir que cette personne était

  7   également responsable de ce qui lui était arrivé. Etant donné ce fait, ceci

  8   a-t-il des conséquences sur votre évaluation, sur votre point de vue sur

  9   cette affaire ou est-ce que c'est d'ailleurs une idée que vous avez déjà

 10   incluse dans votre évaluation de cette affaire ?

 11   R.  Pour répondre à cette question fort complexe et hypothétique, je

 12   commencerais par répondre à la dernière partie de votre question en disant,

 13   Non, je n'ai pas tenu compte de cela dans mon évaluation. Mais supposons

 14   maintenant que ce témoin, donc hypothétiquement, ait accusé quelqu'un qui

 15   ne pouvait manifestement pas être là, il y a toutes sortes de possibilités,

 16   de raisons à cela. Mais de toute évidence, ce serait tout de même une

 17   accusation fausse qui pourrait avoir toutes sortes d'origines, mais qui en

 18   soi, si vous le constatiez, soulèverait des questions relatives à la

 19   capacité de ce témoin à donner des informations fiables sur les autres

 20   aspects de ce même événement, quelles que soient les raisons.

 21   Q.  Et en ce qui concerne le faux témoignage, vous dites, ça peut être pour

 22   toutes sortes de raisons. Pouvez-vous nous donner une idée de ce que

 23   seraient éventuellement ces raisons ?

 24   R.  Bien, une possibilité serait qu'elle se soit trompée, tout simplement.

 25   Elle aurait pu voir une personne qui ressemblait à une personne qui avait

 26   été là ce jour-là et donc penser que c'est la même personne. On peut aussi

 27   avoir fait un transfert, on peut avoir une distorsion de la mémoire due à

 28   des problèmes psychologiques ou une distorsion liée tout simplement à un

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  1   handicap, à des circonstances physiques de l'événement, circonstances liées

  2   à l'environnement de l'événement. Donc il y a toutes sortes de possibilités

  3   qu'il faudrait envisager.

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 12   [Audience à huis clos partiel]

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 11   [Audience publique]

 12   LE TÉMOIN : [interprétation] Le mot "transfert" peut signifier plusieurs

 13   choses. En général, ce qu'on entend par là, c'est qu'il y a un rapport

 14   entre le patient et le médecin qui s'instaure et par lequel le patient

 15   transfère à son thérapeute des sentiments et commence à se comporter d'une

 16   certaine façon, comme si ce thérapeute était quelqu'un d'autre, notamment

 17   un de ses parents, par exemple. Ça c'est la façon la plus habituelle de

 18   parler de transfert.

 19   Mais parfois, parmi les victimes, il y a des phénomènes de transfert

 20   d'identité. On voit une personne qui a des caractéristiques qui peuvent

 21   ressembler éventuellement à une autre personne et présumer que cette

 22   personne que l'on voit est en fait quelqu'un d'autre, notamment la personne

 23   - comment m'exprimer ? La victime peut transférer certains aspects de leur

 24   perception d'une certaine personne à quelqu'un d'autre et présumer que

 25   telle autre personne est en fait la première. En gros, ça revient à prendre

 26   quelqu'un pour quelqu'un d'autre.

 27   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur le Juge.

 28   M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Si j'ai bien compris, mes connaissances

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  1   en psychologie sont limitées, Freud était la personne qui a appliqué la

  2   première fois le concept de transfert. Dans son premier travail en 1925,

  3   dans la première version de son œuvre, il a exploré d'autres sens de ce que

  4   c'était que le transfert, et notamment le transfert par les rêves, n'est-ce

  5   pas ? Vous connaissez ce concept ?

  6   LE TÉMOIN : [interprétation] Tout à fait, j'ai même enseigné la chose.

  7   M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Donc la possibilité de transférer, dans

  8   les rapports quotidiens, des similitudes entre les personnes de façon

  9   inconsciente au départ, puis à terme, le problème peut arriver à la

 10   surface.

 11   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

 12   M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Donc le transfert, d'après la théorie

 13   psychanalytique, n'est pas un phénomène lié exclusivement à la pathologie.

 14   En fait, c'est un problème assez commun que le psychiatre cherche à

 15   identifier par le biais d'un entretien psychanalytique ou psychologique.

 16   LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis enchanté de constater que vous avez lu

 17   Freud et je suis tout à fait d'accord avec vous. Le transfert c'est quelque

 18   chose d'omniprésent en fin de compte, c'est impliqué dans tous les rapports

 19   humains. Dans une situation psychanalyste, par exemple, le transfert c'est

 20   un outil très utile pour faciliter les rapports, pour résoudre les conflits

 21   pour le patient.

 22   M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Mais vous savez aussi que le transfert,

 23   il y a un chapitre, par exemple, de Freud qui s'appelle "Le transfert

 24   interminable," qui essaie de dire que justement pour le thérapeute, à un

 25   certain moment il faut que cela s'arrête, il faut conclure le processus de

 26   transfert pour parvenir à la guérison, n'est-ce pas ?

 27   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

 28   M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Donc tout ceci nous amène au problème

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  1   de la pertinence, de l'importance de l'entretien personnel par rapport à la

  2   psychologie clinique ou au psychiatrie. Vous savez que Sullivan [phon] a

  3   publié un ouvrage qui s'appelle "L'entretien psychanalytique," qui est

  4   l'ouvrage de base de la psychiatrie américaine et qui fait que la

  5   psychiatrie américaine s'éloigne de la version européenne de la chose,

  6   c'est l'importance de l'entretien pour évaluer le patient et pour faire un

  7   diagnostic clinique, n'est-ce pas ?

  8   LE TÉMOIN : [interprétation] Tout à fait.

  9   M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Bien. Donc n'ayant pas vu, n'ayant pas

 10   évalué personnellement, dans le cadre d'un entretien clinique, ce qui vous

 11   aurait permis naturellement d'administrer des tests objectifs plus ou moins

 12   ou pas. Mais en tout cas cela vous aurait permis d'appliquer certains

 13   paramètres à sa personnalité, donc cet entretien psychanalytique ou

 14   psychologique étant crucial pour déterminer au-delà des éléments de

 15   documentation, pour déterminer les troubles de la personnalité.

 16   LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis tout à fait d'accord avec vous.

 17   M. LE JUGE DAVID : [interprétation] C'est ce qui donne suffisamment

 18   d'éléments par le biais de la théorie de la personnalité, à en croire

 19   également Gordon Alpert, le fondateur de la théorie américaine de la

 20   psychologie, donc tout cela démontre l'importance de l'entretien, n'est-ce

 21   pas ?

 22   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

 23   M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Donc deuxièmement, ou troisième ou

 24   quatrièmement, le stress post-traumatique peut être immédiatement relâché

 25   dans le cas où le témoin se présente devant la justice. Vous l'avez dit

 26   dans un des paragraphes relatifs au VG-115. Je lis : "Le traumatisme sera

 27   visible, sera prévisible." C'est ce que vous avez dit, "il sera visible

 28   lorsque le témoin déposera." C'est ce que vous avez dit.

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  1   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

  2   M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Ceci signifie que ça se passerait et

  3   qu'il y aurait une décharge d'émotions liée au traumatisme antérieur?

  4   LE TÉMOIN : [interprétation] En effet.

  5   M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Tout ceci signifie que l'intensité de

  6   cette décharge d'émotions peut causer une grande confusion --

  7   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

  8   M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Et ça peut même causer d'autres

  9   processus, comme notamment, l'altération de la langue et des mots ?

 10   LE TÉMOIN : [interprétation] En effet.

 11   M. LE JUGE DAVID : [interprétation] C'est bien correct ?

 12   LE TÉMOIN : [interprétation] C'est tout à fait correct.

 13   M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Je vous remercie beaucoup. Je voulais

 14   savoir aussi pour les deux questions importantes de la pertinence de

 15   l'entretien psychiatrique et de l'entretien psychologique et aussi l'impact

 16   du stress post-traumatique dans le comportement du témoin lorsqu'il est

 17   amené à déposer devant une chambre de justice.

 18   LE TÉMOIN : [interprétation] Un point sur lequel je voudrais attirer votre

 19   attention.

 20   M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Oui.

 21   LE TÉMOIN : [interprétation] Lorsque le témoin cherche à gérer ce

 22   phénomène, il vaut mieux que le traumatisme ne soit pas trop puissant. Il

 23   peut y avoir un surtraumatisme [phon] très facilement, sans avoir à

 24   appliquer trop de pression. Il y a des gens qui pensent que la possibilité

 25   de témoigner a quelque chose de cathartique, de thérapeutique et, en ce qui

 26   me concerne, je dirais que c'est vrai pour certaines personnes, mais pour

 27   d'autres, ça peut tout simplement surtraumatiser [phon].

 28   M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Je suis tout à fait d'accord avec vous.

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  1   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci.

  2   Monsieur Alarid.

  3   M. ALARID : [interprétation] Je vais maintenant poursuivre et tout cela va

  4   nous amener à une question. Nous allons nous concentrer sur la

  5   recommandation du médecin justement et sur le fait que cette enquête aurait

  6   pu être menée sans que cela ne mette en doute ou en danger le témoin, en

  7   aucune façon.

  8   Q.  Lorsque l'on pose des questions, n'est-ce pas, et comme l'a dit M. le

  9   Juge, lorsque l'on pose des questions, cela peut faire revivre le

 10   traumatisme, n'est-ce pas ?

 11   R.  Oui.

 12   Q.  Alors en revivant ce traumatisme, cela peut avoir quel genre d'effet

 13   sur le témoin qui a vécu ce traumatisme au départ ?

 14   R.  S'il s'agit de témoins qui ont été à plusieurs reprises exposés à des

 15   traumatismes répétés, multiples, cela peut cumuler les traumatismes les uns

 16   sur les autres et on parvient à ce que l'on appelle un stress post-

 17   traumatique complexe. C'est très difficile à guérir, ça implique une

 18   intense souffrance et sans traitement, ces personnes vont continuer à

 19   souffrir et à souffrir jusqu'à la fin de leur vie. Parfois, ils n'auront

 20   aucun traitement, aucun soin.

 21   Q.  En tant que psychologue, avez-vous jamais rencontré des personnes ayant

 22   subi des traumatismes multiples ? Ça vous est déjà arrivé ?

 23   R.  Oui, tout à fait. A de nombreuses reprises. 

 24   Q.  Et dans votre expérience, ces personnes ont-elles toujours exposé la

 25   totalité de leurs traumatismes dès le début de votre relation ?

 26   R.  Ça dépend des gens. Il y a une sorte de classification, si vous voulez.

 27   Il y a une catégorie de personnes qui subissent des traumatismes si

 28   évidents qu'on pourrait ainsi dire que ça se voit tout de suite, dès qu'ils

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  1   entrent dans votre bureau, ça se voit. Ça se sent. Ils sont déjà dans leur

  2   traumatisme et ils le revivent. Il y en a d'autres où ça se passe

  3   différemment. Le traumatisme est mieux réprimé et on met plus de temps à

  4   parvenir au traumatisme, parce qu'ils se défendent contre lui

  5   psychologiquement. Ça c'est une situation très différente. Mais les cas où

  6   le traumatisme complexe est multiple et à fleur de peau, dans ces

  7   situations-là, en général, ça se voit tout de suite, presque immédiatement

  8   dans les 15 premières minutes, dans la première demi-heure. Souvent c'est

  9   très profond dans sa manifestation.

 10   Q.  Pour mettre cela en perspective, vous est-il arrivé pendant vos voyages

 11   ou dans la littérature de voir des exemples de victimes de conflit, qui

 12   aient subi ce genre de traumatisme multiple et complexe?

 13   Mme SARTORIO : [interprétation] Objection, Monsieur le Président. Encore

 14   une fois, tout ceci est très gentil, très beau, très intéressant, mais ça

 15   n'a rien à voir avec la raison pour laquelle nous avons fait comparaître ce

 16   témoin.

 17   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Quelle est la pertinence, Maître

 18   Alarid ?

 19   M. ALARID : [interprétation] Bien, Monsieur le Président, ces trois témoins

 20   ont fait l'expérience de toute une série de choses personnelles et aussi de

 21   choses dont ils ont été spectateurs, ils ont connu des attaques

 22   personnelles, des souffrances personnelles. Ils ont vu des gens qui leur

 23   étaient proches souffrir. Ils ont subi des sévices très graves --

 24   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] D'accord, d'accord, d'accord. C'est

 25   pertinent.

 26   M. ALARID : [interprétation]

 27    Q. Et ces trois témoins collectivement, mais naturellement nous sommes sur

 28   le cas de Mme Turjacanin pour l'instant, est-il possible qu'elle souffre

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  1   des effets de traumatisme multiple étant donné son expérience pendant la

  2   guerre ?

  3   R.  Je répondrai que, bien sûr, je ne me suis pas entretenu avec elle et je

  4   ne peux pas me baser sur mon expérience directe, mais je déduirais, de son

  5   témoignage et de la documentation, que cela est très probable. Etant donné

  6   la région et la nature du conflit, et cetera, cela me semble très probable.  

  7   Q.  Alors, quels facteurs - des tabous sociaux, des normes religieuses -

  8   quels sont les facteurs qui peuvent pousser des gens à révéler des choses

  9   qui risquent de violer, justement, ces tabous sociaux ?

 10   R.  Un tabou social dans la culture américaine, et je pense que dans la

 11   plupart des cultures, cela existe également. Un tabou donc est d'admettre

 12   que l'on a été l'objet notamment d'abus sexuels. C'est sans doute le tabou

 13   le plus courant. Les gens préfèrent, en fait, admettre qu'on les a battus

 14   ou qu'on a été violent avec eux verbalement, mais la honte, la

 15   stigmatisation liée aux sévices sexuels sont telles que ces victimes ont

 16   beaucoup de mal à reconnaître que cela leur est arrivé, parfois ils ne le

 17   reconnaîtront jamais. Elles préféreront emporter leur honte dans la tombe.

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  4   [Audience à huis clos partiel]  

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 13  Pages 6261-6270 expurgées. Audience à huis clos partiel.

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  4   [Audience publique]

  5   M. ALARID : [interprétation] Je voudrais revenir à Mme Zehra Turjacanin.

  6   Quelles sont vos inquiétudes en ce qui concerne le témoignage de Zehra

  7   Turjacanin ?

  8   R.  En dehors du témoignage, il y a une chose que je voudrais dire.

  9   D'abord, j'ai peur qu'elle nous dise qu'elle n'a pas encore suivi de

 10   traitement, puis en ce qui concerne son témoignage, ce que je crains c'est

 11   qu'elle soit obligée dans certains cas, certains jours, de s'absenter pour

 12   quelques heures ou même pour plus longtemps, parce que le fait d'être

 13   confrontée à toutes ces questions risque de déclencher une réaction de

 14   nouveau traumatisante pour elle.

 15   Le fait de revivre tous ces souvenirs fort traumatisants pour elle va

 16   l'obliger à réévoquer toutes ces scènes dans son esprit, dans ses

 17   souvenirs, dans sa mémoire. Je pense qu'il va être difficile de lui poser

 18   des questions sur ces expériences. Parce que dans un cas comme celui-ci,

 19   vous risquez d'ajouter encore à son traumatisme. Il s'agirait alors d'un

 20   surtraumatisme, et à ce moment-là, je crois que ce serait trop pour elle.

 21   Ce serait trop insoutenable.

 22   Q.  En regardant les transcripts les plus récents, est-ce que cela change

 23   votre façon de voir les choses ?

 24   R.  Non, pas vraiment. Je n'ai pas encore inclus ce deuxième ensemble de

 25   témoignages dans mon rapport. Il est vrai qu'elle avait l'air un petit peu

 26   plus solide, un petit peu plus forte, mais elle est également arrivée à un

 27   point où, lorsqu'elle s'est trouvée confrontée à ce qui se déroulait dans

 28   une description d'une situation dans un enregistrement, là, elle a dû

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  1   s'arrêter. Donc on peut se poser la question de savoir comment trouver le

  2   bon équilibre avec elle, à savoir comment et jusqu'où aller avec elle sans

  3   pour autant la surtraumatiser. Mais d'un autre côté, si on ne l'interroge

  4   pas suffisamment, à ce moment-là, il peut y avoir aussi une insuffisance.

  5   Donc c'est vrai que c'est un équilibre qui est difficile à trouver.

  6   Q.  Oui.

  7   M. ALARID : [interprétation] Je comprends bien les limites de cela.

  8   Q.  Passons maintenant au Témoin VG-115. Quels sont les facteurs en ce qui

  9   concerne ce témoin, en dehors des faits énoncés, qui ont un impact sur

 10   votre opinion ?

 11   R.  Je crois qu'en dehors des sévices qui sont mentionnés dans les

 12   documents, j'ai constaté que dans le transcript, qu'elle a un certain

 13   nombre de problèmes dans l'organisation de ses pensées, dans la

 14   conceptualisation. Il semblerait qu'elle mélange un petit peu ce qu'elle a

 15   entendu dire avec ce qu'elle a réellement vu. Je pense qu'il y a donc des

 16   incohérences avec ses témoignages préalables en 2000. Je crois qu'elle

 17   avait déjà été considérée comme un témoin peu crédible. Je pense que c'est

 18   une situation qui semble difficile à modifier, et qu'en ce qui concerne ce

 19   témoin, j'ai des doutes quant à sa capacité à véritablement fournir des

 20   informations fiables et cohérentes.

 21   Q.  Est-ce que vous pensez que c'est important, le fait que d'une certaine

 22   façon, peut-être le destin, elle se soit trouvée comme un témoin oculaire

 23   très important aux deux événements les plus importants qui constituent les

 24   chefs d'accusation contre mon client, à savoir le feu de Bikavac et celui

 25   de la rue Pionirska ?

 26   R.  Oui et non. Oui, parce que ce sont des coïncidences assez importantes.

 27   Mais en même temps, c'est vrai qu'étant donné que dans ce contexte il y

 28   avait tellement de violence, tellement d'actes de violence et de

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  1   criminalité partout que peut-être on ne pouvait qu'être le spectateur de

  2   ces violences un peu partout. Puis il y a aussi le fait qu'elle pouvait

  3   être aussi au mauvais endroit au mauvais moment.

  4   Q.  Quelle est l'importance --

  5   R.  Je ne comprends pas bien votre question.

  6   Q.  Elle a assisté à l'assassinat d'un certain nombre de personnes --

  7   Mme SARTORIO : [interprétation] Monsieur le Président, est-ce qu'on

  8   pourrait avoir une référence particulière, s'il vous plaît.

  9   M. ALARID : [interprétation]

 10   Q.  Nous regardons ce rapport, page 2. Elle dit qu'elle ne pouvait oublier

 11   les cris, et donc elle était témoin de choses épouvantables. Elle était

 12   témoin de choses épouvantables sur le pont, d'après sa déclaration. Quelle

 13   est l'importance du fait qu'elle ait pu aussi être témoin d'exécutions

 14   sommaires ?

 15   R.  Les troubles post-traumatiques peuvent survenir non pas seulement à la

 16   suite d'événements qu'on a vécus soi-même, mais aussi d'événements dont on

 17   a été témoin. Plus vous avez été proche de l'événement en question, plus

 18   vous allez être affecté. Donc ces traumatismes, ces troubles post-

 19   traumatiques peuvent très bien être provoqués par le simple fait d'avoir

 20   été témoin.

 21   Q.  Est-ce important pour vous qu'elle ait mentionné également que M.

 22   Vasiljevic ait participé à l'incendie de la rue Bikavac le 27 juin ? Ne

 23   pensez-vous pas qu'elle se base là uniquement sur des choses qu'elle a

 24   entendu dire ?

 25   R.  Si elle n'y était pas, en fait, elle s'est basée dans son témoignage

 26   uniquement sur des ouï-dire, des choses qu'elle avait entendu dire par

 27   d'autres, donc à ce moment-là, ce sont des informations qui viennent de

 28   tiers qu'elle a inclus dans son propre témoignage. C'est vrai que c'est

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  1   quelque chose qui peut se faire dans certains cas, après de telles

  2   expériences. Vous pouvez effectivement - et c'est un risque qui se présente

  3   - inclure des choses que vous entendez dire dans votre propre expérience,

  4   comme si vous les aviez réellement vécues.

  5   Q.  Avez-vous d'autres éléments à ajouter concernant le Témoin VG-115 et

  6   d'autres conclusions à tirer et à exprimer à la Chambre ?

  7   R.  Je crois que nous avons effectivement couvert les points les plus

  8   importants. Ce que je dirais encore une fois en guise de conclusion - et il

  9   s'agit là d'une opinion professionnelle - à savoir que dans les documents

 10   et les dossiers que j'ai pu étudier, j'ai des doutes quant à la crédibilité

 11   du témoin pour pouvoir fournir des informations fiables et cohérentes et

 12   qui puissent réellement être utiles. En ce qui concerne le témoignage de

 13   l'année 2000, je n'ai vu aucun événement entre-temps, depuis l'année 2000,

 14   qui soit survenu qui puisse changer mon opinion.

 15   Q.  Merci.

 16   M. ALARID : [interprétation] Nous allons donc verser le rapport du médecin

 17   au dossier concernant l'évaluation de VG-115.

 18   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, nous allons traiter ce rapport

 19   de la même façon.

 20   M. ALARID : [interprétation] D'accord. Je voulais juste m'assurer que nous

 21   n'allons pas oublier de verser cette pièce.

 22   Je tiens à dire qu'il s'agit de VG-115, et non pas VG-15.

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 10   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Entendu. Donc huis clos partiel.

 11   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes en séance à huis clos

 12   partiel.

 13   [Audience à huis clos partiel]

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  4   [Audience publique]

  5   M. ALARID : [interprétation]

  6   Q.  [aucune interprétation]

  7   R.  Mais maintenant, on voit le nom pour la première fois de Lukic dans ce

  8   narratif, dans ce récit, dix ans plus tard. Apparemment, elle le connaît,

  9   elle l'a reconnu. Et si elle l'avait reconnu la première fois, elle aurait

 10   pu le dire. A l'évidence --

 11   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Un instant. Le Juge David a une

 12   question à vous poser.

 13   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur.

 14   M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Docteur, donnez-moi une idée de

 15   l'importance du refoulement inconscient dans une situation de traumatisme

 16   ou de stress ou de trouble post-traumatique, et connaissez-vous le rôle que

 17   peut jouer le refoulement, c'est-à-dire qu'on ne retrouve plus dans le

 18   discours rationnel des événements, parce qu'on les a refoulés car ils sont

 19   trop traumatiques.

 20   LE TÉMOIN : [interprétation] Excellente question. Vous le savez, le rôle de

 21   la répression, du refoulement, reste un élément très polémique, fort

 22   discuté par les chercheurs. Même si c'est accepté en psychoanalyse, ce

 23   concept a été souvent mal utilisé pour des cas de violence sexuelle aux

 24   Etats-Unis. Il y a des gens, après bien des années, qui disent se souvenir

 25   de quelque chose qui s'est passé pour eux il y a longtemps, et les

 26   barrières, disent-elles, de ce refoulement ont disparu, elles se

 27   souviennent.

 28   Je suis d'accord avec vous, Monsieur le Juge. Il se peut que le

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  1   refoulement soit un obstacle conséquent qui empêche le souvenir de

  2   remonter, et il serait possible de remplacer le véritable coupable par ce

  3   concept l'agresseur soldat. Et des années plus tard, il se peut que ce

  4   refoulement s'éloigne ou que cette barrière, cet obstacle disparaisse et

  5   qu'il soit possible de se souvenir. Cependant, il faut être très prudent,

  6   car parfois un souvenir peut franchir cet obstacle et on peut dire des

  7   choses avec beaucoup de sincérité et beaucoup de conviction affective tout

  8   en ayant tort, tout en se trompant.

  9   M. LE JUGE DAVID : [interprétation] -- la méthode de la réaction au départ

 10   c'est un apport freudien qui permet de réveiller le souvenir du patient, de

 11   réveiller des circonstances qui permettent de révéler l'obstacle qui

 12   empêchait de se remémorer, c'est ça la réaction.

 13   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

 14   M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Ce n'est pas un processus simple, dit

 15   Freud, parce que le refoulement est dans le subconscient, dans

 16   l'inconscient, et il y a le fait que le problème est masqué et la mémoire

 17   est masquée par cet obstacle. Pourriez-vous étoffer ce propos ?

 18   LE TÉMOIN : [interprétation] Tout à fait. Mais permettez-moi d'ajouter

 19   ceci. De façon générale, lorsqu'on traite des personnes si traumatisées, on

 20   constate que toute action ne suffit pas. Il faut qu'il y ait aussi le fait

 21   de retravailler ce moment, de le revivre. Il faut trouver un moyen pour que

 22   cette personne retraverse ce moment pour en sortir et se réinstaurer dans

 23   sa vie.

 24   Il y a aussi des situations où l'obstacle du refoulement cède trop

 25   facilement, peut-être parce qu'il y a une technique abréactive [phon] qui

 26   est utilisée ou en raison d'une circonstance de la vie. Mais je pense

 27   effectivement qu'il peut y avoir un refoulement et que nous tous, nous

 28   charrions des choses dont nous ne sommes pas conscients, mais que ces

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  1   choses, suivant les circonstances, peuvent revenir. Mais c'est souvent une

  2   idée effrayante qui fait peur au sujet. Est-ce que je réponds à votre

  3   question ?

  4   M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Oui. Une question que je voudrais vous

  5   poser, elle concerne le rôle que joue le refoulement et l'amnésie

  6   temporaire ou longue d'événements traumatiques.

  7   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. C'est très polémique, mais c'est souvent

  8   constaté sur le plan clinique. La terminologie que nous avons pour les

  9   troubles post-traumatiques c'est la réponse retardée, retardée de mois,

 10   voire d'années. Puis tout ceci revient et inonde la personne. J'ai parlé à

 11   beaucoup de vétérans de la Deuxième Guerre mondiale qui ont vécu des vies

 12   sans complication affective jusqu'au moment, par exemple, où ils ont

 13   regardé un film de guerre. Il y en a eu plusieurs. Puis alors ça les a

 14   vraiment frappés de plein fouet, c'était comme si tout s'était passé le

 15   matin même de cette journée-là, c'était très puissant. Il existe un tel

 16   phénomène retardé, tout à fait.

 17   M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Merci beaucoup.

 18   M. ALARID : [interprétation] Merci, Monsieur le Juge.

 19   Q.  Les déclarations ont-elles manifesté des discordances, des

 20   contradictions qui montreraient qu'ici on a affaire à un cas de refoulement

 21   plutôt qu'une décision consciente de ne pas dévoiler ?

 22   R.  Nous parlons toujours du Témoin 063 ?

 23   Q.  Oui.

 24   Mme SARTORIO : [interprétation] Objection, parce qu'ici, de nouveau, on

 25   demande au témoin de se mettre dans la tête du Témoin

 26   VG-63.

 27   M. ALARID : [interprétation] Moi, je lui demande s'il peut le faire à

 28   partir des documents qu'il a pu consulter.

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  1   Mme SARTORIO : [interprétation] Est-ce que quelque chose a été dit ou n'a

  2   pas été dit ? Je ne pense pas qu'il soit à même de répondre à cette

  3   question, suivant les circonstances, il pourrait présenter des hypothèses,

  4   mais --

  5   M. ALARID : [interprétation] Je vais essayer de reformuler la question pour

  6   répondre à l'objection.

  7   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur le Témoin, pouvez-vous

  8   présenter des conclusions scientifiques qui parleraient d'un refoulement de

  9   la part de ce témoin compte tenu du fait que vous ne l'avez pas examiné ?

 10   LE TÉMOIN : [interprétation] Le fait que je n'ai pas examiné cette personne

 11   me limite dans ma capacité à tirer des conclusions. Parler de refoulement

 12   dans son cas, vraiment je ne suis pas en mesure de le faire.

 13   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Fort bien.

 14   Passez à un autre sujet, Maître Alarid.

 15   M. ALARID : [interprétation]

 16   Q.  Le fait que ce témoin a fait une description physique très précise, a

 17   parlé de tatouage s'agissant de M. Lukic bien avant qu'il y ait eu d'autres

 18   révélations ou communications, est-ce important ? Si je vous disais que M.

 19   Lukic n'a pas de tatouage présentant un aigle à double tête, est-ce que

 20   c'est un fait important ?

 21   R.  Nous sommes toujours dans le domaine de votre hypothèse. En l'absence

 22   de ces traits physiques tels qu'un tatouage alors que le témoin affirme

 23   avoir vu un tatouage, là aussi c'est une erreur de perception, mais je

 24   constate que pour avoir examiné plusieurs documents on parle souvent de ce

 25   tatouage du double aigle, ce qu'on voit aisément si quelqu'un s'est

 26   retroussé les manches, sans doute que c'est un détail qui frapperait l'œil.

 27   Mais en l'absence de ce tatouage, manifestement, il y a erreur de

 28   perception qui vient peut-être du fait que ceci a été souvent discuté. Donc

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  1   on en a beaucoup discuté de ce tatouage, ce qui pourrait peut-être

  2   expliquer une erreur de perception.

  3   Q.  Est-ce que ça veut dire aussi qu'il y a erreur en matière

  4   d'identification, que cette personne n'est pas la personne dite ?

  5   Mme SARTORIO : [interprétation] Objection.

  6   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui.

  7   Mme SARTORIO : [interprétation] D'abord, la question est directrice, puis

  8   je ne pense pas qu'on ait justifié cette question. Quelle en est la base ?

  9   Il ne peut pas expliquer pourquoi cette personne a dit que l'homme était

 10   tatoué.

 11   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Alarid, posez une autre

 12   question.

 13   M. ALARID : [interprétation] Oui, mais comment se fait-il que dans la

 14   déclaration ce soit dit ? Est-ce que je ne peux pas poser la question au

 15   témoin ? Je pense que nous avons la déclaration où on fait référence à un

 16   trait distinctif [inaudible]. C'est objectif, n'est-ce pas ? Pourtant, nous

 17   pouvons ici offrir l'élément, et c'est un fait certain, M. Lukic n'a jamais

 18   eu ce genre de tatouage. Il me semble que c'est quelque chose de tout à

 19   fait pertinent. Le témoin peut apporter son commentaire puisqu'il est

 20   médecin. Apparemment, pour ce faire, je suis forcé de vous donner un

 21   élément concret qui donne l'impression que je suis directeur dans ma

 22   question, mais je ne le suis pas du tout. Mais j'aimerais revenir sur cette

 23   question. M'autorisez-vous à le faire ?

 24   Mme SARTORIO : [interprétation] Mon problème c'est qu'ici, en fait, nous

 25   avons des plaidoiries. On ne peut pas demander maintenant au témoin de

 26   commenter les raisons pour lesquelles un autre témoin a dit ou n'a pas dit

 27   telle ou telle chose. Etait-ce une erreur ? Etait-ce délibéré ? Impossible

 28   que le témoin ne commente ici, à moins qu'effectivement ce témoin n'ait

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  1   posé la question à l'autre témoin. Bien sûr, l'avocat de la Défense peut

  2   revenir dans ses plaidoiries sur la question du tatouage, mais le présent

  3   témoin n'est pas à même de dire ce que pensait l'autre témoin quand elle a

  4   parlé du tatouage.

  5   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je suis d'accord. Passez à autre

  6   chose, Maître Alarid.

  7   M. ALARID : [interprétation] Peut-on afficher le document 1D22-0788.

  8   Troisième page du document, s'il vous plaît.

  9   Q.  Ce que vous avez à l'écran, c'est votre rapport, vous avez examiné

 10   plusieurs documents, prenons le troisième paragraphe. Apparemment, à la fin

 11   de ce paragraphe, vous parlez de la description physique de ces aigles.

 12   R.  C'est quelle page ?

 13   Q.  Page 3 --

 14   R.  D'accord.

 15   Q.  -- c'est au troisième paragraphe, dernière phrase du paragraphe. Si

 16   l'on suppose qu'elle a pris ceci comme point de référence, est-ce que ceci

 17   a une importance significative dans ce que vous dites dans votre rapport ?

 18   R.  Mais ici il y a erreur sur un détail physique, ce qui semble mettre en

 19   cause sa capacité à bien se souvenir et à bien présenter des éléments, des

 20   juges de faits.

 21   Q.  Mis à part ce qui a déjà été dit dans ce rapport et consigné au procès-

 22   verbal, avez-vous autre chose à dire à propos du Témoin VG-63 ?

 23   R.  Rien que ceci, quand on parle de qualité ou d'attributs physiques,

 24   c'est important parce que ceci aide à identifier une personne. Une personne

 25   aura encore moins tendance a décrire physiquement telle ou telle personne

 26   si elle n'est pas sûre de ce qu'elle dit, plus on est sûr de ses qualités

 27   physiques, plus on va en parler. J'en conclus qu'elle était peut-être tout

 28   à fait sûre de ce qu'elle avait vu, était-ce exact ou pas, je ne sais pas,

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  1   en tout cas elle en était sûre.

  2   Q.  Merci, Monsieur le Témoin.

  3   M. ALARID : [interprétation] Nous demandons le versement du rapport du Dr

  4   Hough en ce qui concerne le Témoin VG-63.

  5   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous allons traiter de ce document

  6   comme nous l'avons fait pour les autres rapports.

  7   M. ALARID : [interprétation] Merci. Maintenant avant d'oublier, nous allons

  8   parler de l'évaluation de M. Lukic. Peut-on afficher le document 1D22-0784,

  9   annexe A. Je ne sais plus si c'était l'annexe du rapport ou du CV. Mais si

 10   on peut le retrouver, est-ce qu'on peut verser cette partie des documents.

 11   Q.  Reconnaissez-vous l'annexe A, la cote étant différente, quelle

 12   importance a donné ce document à votre rapport ?

 13   R.  L'annexe A versée en annexe au rapport concernant le Témoin VG-115

 14   [comme interprété]. On voit ici : Le contexte du problème. Mais je parle de

 15   ce que dit la littérature scientifique à propos de la mémoire et des

 16   témoins oculaires, c'est ici parce que c'est une lecture supplémentaire

 17   pour celui qui cherche à avoir l'aide de la théorie qui s'est créée à

 18   propos de cette problématique du témoin oculaire et de la mémoire.

 19   M. ALARID : [interprétation] Pour l'annexe A, je demande le versement de

 20   1D22-0779 qui a déjà été versé au dossier. Ce sera donc l'annexe A, ce qui

 21   est déjà devenu une pièce.

 22   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] D'accord.

 23   M. ALARID : [interprétation]

 24   Q.  Ensuite, nous voudrions traiter de votre --

 25   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous allons maintenant faire la

 26   pause.

 27   M. ALARID : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 28   --- L'audience est suspendue à 17 heures 35.

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  1   --- L'audience est reprise à 17 heures 55.

  2   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Alarid. Je présume que vous

  3   vous approchez de votre conclusion. C'est la dernière ligne droite.

  4   M. ALARID : [interprétation] En effet, Monsieur le Président. Nous n'avons

  5   plus qu'un seul sujet à évoquer, il s'agit cependant d'un sujet

  6   relativement vaste qui concerne l'évaluation de M. Milan Lukic. Messieurs

  7   les Juges, je pense que nous n'avons plus besoin de l'annexe A à l'écran.

  8   Je crois que j'ai demandé le versement des trois déclarations au préalable.

  9   Peut-on maintenant afficher le document 1D22-0735.

 10   Q.  Vous avez eu l'occasion de faire une évaluation de M. Milan Lukic.

 11   Pourriez-vous nous relater les circonstances et ce que vous avez fait. Mais

 12   commencez par le début.

 13   R.  La Défense m'a contacté pour que je fasse une évaluation de M. Lukic,

 14   ce que j'ai fait au quartier pénitentiaire des Nations Unies ici à La Haye.

 15   Je l'ai vu six fois, chaque fois pendant trois heures et demie, quatre

 16   heures, en tout pendant 24 heures. En plus de cela il y a eu des tests

 17   psychologiques, un examen de l'acte d'accusation et de documents concernant

 18   l'acte d'accusation modifié.

 19   Q.  S'agissant de la procédure -- nous verrons les tests plus tard.

 20   Franchissons les différentes étapes. Pour ce qui est des observations de

 21   comportement, pourquoi c'est important ?

 22   R.  C'est important, parce que quand on interroge un sujet c'est pour

 23   contribuer à l'établissement d'un rapport de travail basé sur la

 24   coopération, ce qui va renforcer la validité du rapport. M. Lukic a

 25   toujours été très poli, toujours prêt à coopérer, a été tout à fait

 26   affable. Je pense que ses réponses ont été tout à fait réfléchies, bien

 27   pensées. Il n'a pas essayé de louvoyer. Il a montré de bonnes capacités

 28   dans les tests, il a montré une bonne tolérance dans les tests sur la

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  1   persévérance. Je lui ai expliqué ce que recouvrait le caractère

  2   confidentiel de notre rapport. Je lui ai dit que j'allais écrire un rapport

  3   que j'allais soumettre à l'avocat de la Défense, puis que ce serait fourni

  4   au greffe, puis que je serais appelé à témoigner en audience publique pour

  5   parler du résultat de cette évaluation. Ce qu'il a compris, il a accepté.

  6   Q.  Voyons très rapidement la page 2.

  7   R.  De surcroît, j'ai remarqué dans cette rubrique-ci : Comportement et

  8   analyse du comportement. J'ai bénéficié de Me Ivetic qui m'a servi

  9   d'interprète, il est actuellement co-conseil de M. Lukic.

 10   Q.  Est-ce que nous pouvons voir la page suivante du document affiché à

 11   l'écran.

 12   R.  D'accord.

 13   Q.  Nous l'avons maintenant à l'écran. Pour que nous soyons vraiment sur la

 14   même longueur d'onde. Que pensez-vous de ce genre de circonstance,

 15   notamment avec le problème de la langue, la présence d'un interprète, et

 16   cetera ?

 17   R.  Idéalement, on verrait son client dans son propre bureau, pas en

 18   situation de détention -- ou en situation de détention préventive vu les

 19   circonstances. Aussi, lorsque vous avez les deux intervenants qui parlent

 20   la même langue, c'est l'idéal. Je ne parle pas la langue de M. Lukic, donc

 21   j'ai besoin de l'aide d'un interprète. Je savais que pouvait s'instaurer un

 22   risque, celui du double rapport, puisque Me Ivetic est aussi co-conseil,

 23   fait partie de la Défense. Mais les avocats de la Défense m'ont dit qu'ils

 24   avaient épuisé tous les moyens possibles pour trouver un traducteur

 25   compétent, ce qui veut dire que j'ai accepté et j'ai commencé à travailler

 26   avec Me Ivetic. Je dois dire qu'il a pris son rôle très au sérieux. Il

 27   était très concentré. Il a demandé des précisions s'il ne comprenait pas un

 28   terme, un mot particulier. Il est toujours resté en retrait. Quand on

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  1   n'avait pas besoin de lui, il est resté dans l'ombre. Il n'est pas

  2   intervenu personnellement dans le processus. J'ai déjà eu recours à des

  3   interprètes de par le passé, et il faut faire attention à cela. Et d'après

  4   ce que j'ai pu en juger, il s'est comporté en véritable professionnel. Tout

  5   ceci a été enregistré. Nous avons une bande sonore de ces entretiens, ce

  6   qui nous a permis de bien consigner tout ce qui s'était dit et de conserver

  7   ces dires.

  8   Ce que je dirais de façon globale, c'est que partant des informations

  9   dont je disposais, des différentes sources de données, surtout les procès-

 10   verbaux d'auditions, des tests et des archives que j'avais, des archives

 11   limitées à l'époque, je pense qu'ici, vous avez une bonne idée dans ce

 12   rapport de l'état cognitif et affectif de M. Lukic.

 13   N'oublions pas non plus que nous sommes en train d'évaluer un homme qu'on

 14   accuse de crimes qui remontent ou qui remonteraient à 17 ans. On voit

 15   l'homme qu'il est devenu aujourd'hui davantage que l'homme qu'on aurait

 16   peut-être rencontré il y a 17 ans. Il n'est pas possible de voir

 17   aujourd'hui l'homme qu'il était il y a 17 ans. Qui soit-il, ne serait-ce

 18   qu'en raison de l'âge, il a gagné en maturité. Il vit dans un environnement

 19   très contrôlé et il est probable qu'il a des différences, mais qu'il est

 20   impossible d'éviter. Pour reconstruire, reconstituer, c'est une tâche qui

 21   se poursuit et ce n'est pas une science exacte, mais il faut bien essayer

 22   de le faire.

 23   Q.  Si au moment du contre-interrogatoire, on laisse entendre que Me Ivetic

 24   a peut-être mal traduit, est-ce que vous avez tenu compte de cet élément-là

 25   ?

 26   R.  Oui. Il me serait impossible de savoir s'il s'est trompé,

 27   manifestement, mais je le répète, les observations directes et immédiates

 28   que j'ai faites, c'est qu'il a pris la chose très au sérieux. Il était très

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  1   concentré et m'a plusieurs fois dit qu'il voulait faire de son mieux, être

  2   sûr qu'il ne se trompait pas, qu'il ne faisait pas d'erreur. Il ne m'a pas

  3   donné l'impression ou semé le doute dans mon esprit qu'on n'essayait pas de

  4   le faire de notre mieux.

  5   Q.  Quels sont les éléments que vous avez pu obtenir des procès-verbaux ou

  6   des premiers entretiens avec M. Lukic avant de faire les tests ?

  7   R.  D'abord je n'avais jamais rencontré cet homme. Or ici, les enjeux dans

  8   ce procès sont élevés. Si on perd le rapport qu'on peut établir avec un

  9   client, c'est une perte irrémédiable, si elle se perd. Ce qui veut dire que

 10   je voulais agir avec prudence et circonspection. Je voulais poser les bases

 11   d'une bonne relation avec lui de façon à ce que lui puisse me dire, en

 12   utilisant ses propres termes, quelle avait été sa vie.

 13   J'examine la vie de façon assez systématique, je commence par

 14   l'enfance et je poursuis. J'ai une raison d'agir ainsi, mais parallèlement,

 15   un de mes objectifs, en fin de compte, c'est qu'à un moment donné, on

 16   obtienne des éléments qui seront les plus importants pour la Chambre, donc

 17   les lieux du crime, les faits, l'élément moral, et ça prend un certain

 18   temps. Il faut créer cette relation et il faut d'abord faire une première

 19   évaluation, une bonne évaluation élémentaire de l'état actuel du témoin, de

 20   l'histoire de sa vie. Je pense que nous y sommes parvenus.

 21   Bien entendu, et c'est vrai dans tout rapport, il y a des lacunes,

 22   des blancs. Il y a des discordances qui demeurent. J'avais espéré pouvoir

 23   revoir M. Lukic pour une deuxième série, ce qui m'aurait permis d'amplifier

 24   telle ou telle question précise, mais nous avions établi un bon rapport de

 25   travail et c'est ce qu'il fallait faire, parce que je voulais avoir une

 26   espèce d'anamnèse, un historique de sa vie avant de pouvoir poser d'autres

 27   questions. Je pense que nous sommes parvenus à le faire.

 28   Q.  Quels sont les facteurs qui vous sont apparus pertinents ? Bon, nous

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  1   avons un rapport qui est très complet, mais essayons de réduire ceci aux

  2   éléments les plus importants lorsque vous avez étudié la vie de M. Lukic.

  3   Si nous prenons les premières pages de votre rapport.

  4   R.  Les éléments les plus importants c'est la qualité de son éducation, la

  5   qualité de ses relations. C'est un homme qui a bénéficié de conditions tout

  6   à fait favorables pour grandir. Une famille aimante, il n'a pas été en

  7   butte aux situations habituelles qui peuvent avoir un effet négatif. Il n'a

  8   subi aucun sévice. Il était aimé. Il a des liens avec ses parents qui sont

  9   solides. Il est à même d'avoir de bons contacts avec les gens de son âge.

 10   La transition à l'école s'est très bien passée. Il a eu d'assez bons

 11   résultats. Ce n'était pas une élève hors pair, mais il n'a pas eu de

 12   problèmes à l'école non plus.

 13   Il a, bien sûr, noté plusieurs choses, ce sont que la famille a eu

 14   des difficultés pendant la Deuxième Guerre Mondiale et à la fin de la

 15   guerre et la famille a dû vivre dans le régime communiste. Ses deux grands-

 16   pères ont été tués, l'un a été tué, l'autre a été emprisonné pendant un

 17   certain temps, ce qui a été un point de tension, mais pas exagérément. Et

 18   pour ce qui est de l'enfance, là le développement est bon. Rien ne m'a

 19   indiqué l'émergence d'un développement déviant ou de pathologie sérieuse.

 20   Q.  A quoi pourrait-on s'attendre si quelqu'un se préparait à emprunter

 21   cette voie dans son développement psychologique ?

 22   R.  D'emblée, il faut voir la qualité du lien parental. Si ce lien est

 23   faible, à ce moment-là, on peut s'attendre à ce qu'il pose problème, des

 24   problèmes qui vont se manifester dans les rapports sociaux en dehors de la

 25   famille. On peut avoir des indicateurs, des indices de comportement, le

 26   fait de se battre, des faits de délinquance, de criminalité, d'avoir des

 27   ennuis, d'avoir des démêlés, recours à l'alcool, aux stupéfiants,

 28   intégration dans des

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  1   sous-cultures déviantes.  Mais rien de tout cela ne s'est présenté chez

  2   lui.

  3   Q.  Quels seraient les facteurs, par exemple, une famille très liée, le

  4   fait qu'il était le plus jeune dans la famille et qu'il a grandi à la

  5   campagne ?

  6   R.  Deux choses. Manifestement, c'est un facteur de protection le fait que

  7   sa famille était très unie, aimante. Il était le plus jeune de la famille,

  8   il était protégé, c'était le petit bambin. On l'aimait beaucoup et il a

  9   appris à aimer. Je pense que le fait d'aimer et d'être aimé c'est très

 10   important, parce que ceci aura une incidence directe sur la capacité de

 11   créer des liens, de trouver la compagne aimante plus tard.

 12   Je cherchais aussi d'autres indices allant dans ce sens, qui

 13   montreraient une éventuelle possibilité à avoir des relations déviantes

 14   pour voir si on peut s'acheminer vers la psychopathie. Souvent quand on

 15   voit l'évolution, la trajectoire du développement d'un véritable

 16   psychopathe, on constate que très tôt dans la vie de cette personne il y a

 17   des failles, des lacunes. Mais ici, je n'en ai pas trouvé chez cet homme.

 18   Q.  Vous aviez commencé à parler de son parcours scolaire. Le parcours

 19   scolaire, est-ce que c'est important dans cette évaluation ?

 20   R.  Oui, parce qu'il y a des troubles de l'enfance. Souvent ils se

 21   manifestent une fois que l'enfant est scolarisé. C'est souvent évident,

 22   parce qu'il a du mal à apprendre. Il a des problèmes d'attention, de

 23   déficit d'attention qui se manifestent dans les mauvaises notes ou le fait

 24   qu'on se comporte mal en classe ou encore des conflits avec d'autres

 25   élèves. Pour le dire autrement, si un enfant commence à démontrer qu'il a

 26   des problèmes, ça se manifeste à l'école. Et pour autant que je puisse en

 27   juger --

 28   Je m'excuse. Dans tous les rapports scolaires, on l'a bien aidé à s'ajuster

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  1   à l'école, il est bien intégré. Il a dit que ce n'était pas un enfant qui

  2   aimait lire beaucoup, qui passait tout son temps à lire ou voulait bien

  3   réussir à l'école, mais en même temps, il n'a pas eu beaucoup de mal à

  4   apprendre. Il s'entendait bien avec les autres, il s'entendait bien avec

  5   ses copains.

  6   Q.  Prenons la page 6 de votre rapport qu'on voit à l'écran, le numéro est

  7   en haut de la page, nous parlons ici de l'histoire sociale. Quels sont les

  8   facteurs sociaux qui interviennent dans votre diagnostic ?

  9   R.  Bien, je vois quelle est la qualité de ses rapports avec ses amis, a-t-

 10   il un meilleur ami. Est-ce qu'il est capable d'avoir ce genre de relation

 11   très proche. Il m'a dit, par exemple, que la plupart des enfants avec

 12   lesquels il jouait étaient des Musulmans. Il avait un meilleur ami. Il a eu

 13   des relations hétérosexuelles avec des filles du voisinage. Je pense qu'il

 14   s'est épanoui dans des relations extérieures à celles de la famille. Il a

 15   eu une petite amie et il fréquentait des copains, ça n'a jamais été

 16   difficile et il a toujours été couru par les filles, aucun problème en

 17   situation sociale, il était toujours à l'aise d'après ce que j'ai pu en

 18   juger.

 19   Il n'a pas vraiment eu de problèmes sur le plan social et il a pu

 20   établir des rapports avec des personnes d'origine ethnique différente :

 21   avec des Croates, des Serbo-Croates, des Musulmans, des gens de l'Amérique

 22   latine. Il se lie facilement, il se fait vite des amis. Il aime se

 23   retrouver en situation de société, il est grégaire.

 24   Q.  Nous connaissons tous le conflit et les tensions raciales et

 25   religieuses qui existaient, mais est-ce qu'on peut faire la psychanalyse

 26   comme si c'était quelqu'un de né aux Etats-Unis et qui se retrouve dans

 27   l'Amérique profonde ?

 28   R.  Je ne pense pas qu'il ait connu de tensions particulières à l'égard

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  1   d'autres groupes ethniques. Il se sentait tout à fait à l'aise avec tout le

  2   monde. Il n'avait pas de préjugés particuliers ou d'idées préconçues ou

  3   d'idées exagérées où il surestimait ou sous-estimait d'autres personnes que

  4   lui.

  5   Q.  Nous savons toujours dans le domaine de l'hypothèse et d'une analogie

  6   hypothétique. Aux Etats-Unis, est-ce que vous posez des questions aux gens

  7   sur leurs tendances ou affinités religieuses ou penchants particuliers ?

  8   R.  Oui, je le fais. Je demande ce qu'il en est, par exemple, pour les

  9   minorités, je demande à ces gens ce qu'ils pensent par rapport à la

 10   majorité de la population. Mais je pense qu'ici c'est tout à fait pertinent

 11   dans ce contexte-ci.

 12   Q.  Bas de page et page suivante du rapport. Est-ce que vous avez trouvé

 13   des éléments pertinents dans son dossier de santé ?

 14   R.  Rien de particulier. C'est un homme en bonne santé, il n'a pas eu de

 15   maladies ni de pathologies particulières, pas de problèmes neurologiques

 16   particuliers. Il n'a jamais été blessé à la tête.

 17   Q.  Un autre élément qui intervient dans l'analyse du bilan de santé, c'est

 18   l'aspect psychiatrique, alcool, drogue.

 19   R.  En matière de psychiatrie, négatif, tout à fait. Jamais il n'a subi de

 20   traitement psychiatrique, n'en a jamais eu besoin, on ne le lui a jamais

 21   recommandé, jamais il n'a pris de psychotropes, ça n'a jamais été un --

 22   même, la question je s'est jamais posée.

 23   Pour ce qui est de l'alcool, des stupéfiants, il reconnaît avoir pris

 24   des stupéfiants. Pour ce qui est de l'alcool, quand il y en avait, il en a

 25   bu mais pas beaucoup, très peu, ce qui est assez inhabituel dans une

 26   culture où la consommation d'alcool est un haut statut social. Disons,

 27   qu'il prenait une bière, un demi-verre de bière pour faire comme les

 28   autres, mais pas parce qu'il aimait l'alcool.

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  1   Q.  Nous avons maintenant le bas de la page et le haut de la page 7. Nous

  2   passons à la rubrique casier judiciaire ou antécédents judiciaires. Est-ce

  3   que c'est un élément important ?

  4   R.  Oui, c'est important. Mis à part les chefs d'accusation portés contre

  5   lui maintenant, il y a très peu à dire sur ses antécédents judiciaires, et

  6   j'ai posé la question, parce que je voulais savoir s'il avait peut-être un

  7   comportement asocial et c'est important de voir s'il y a eu des actes de

  8   délinquance ou des démêlés avec la police ou avec le tribunal de la

  9   jeunesse avant l'âge de 15 ans.

 10    Il m'a dit -- je lui ai posé la question, je lui ai demandé si, par

 11   exemple, il avait quand même commis des actes pour lesquels il n'avait pas

 12   été attrapé. Il m'a dit que certains enfants avaient chapardé des fruits

 13   dans un verger voisin et je n'ai pas trouvé ça très grave. Et c'est à peu

 14   près tout.

 15   Q.  Quels sont les facteurs qui pourraient se manifester si quelqu'un

 16   affichait un comportement asocial ou des tendances psychopathiques, si

 17   c'est le cas ?

 18   R.  Bien, si elles affleuraient, on commencerait à voir, par exemple, des

 19   problèmes avec la police, avec les autorités judiciaires. Vous auriez des

 20   violations répétées du droit d'autrui, très jeune. A ce stade précoce, il

 21   est fort probable qu'il y aurait l'échec scolaire ou manque d'intégration

 22   scolaire. Il est probable de voir le début d'une utilisation régulière de

 23   drogue et d'alcool, une identification avec des sous-cultures déviantes, le

 24   fait qu'on trouve que la criminalité, ça devient un bon style de vie. Rien

 25   de tout cela.

 26   Q.  Maintenant nous allons parler de ses rapports dans le travail. Est-ce

 27   important ?

 28   R.  Oui, parce que je veux savoir si une personne est capable de s'adonner

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  1   à une activité productive, à gagner sa vie. En un mot, il apprécie la

  2   valeur du travail.  Ses employeurs l'apprécient, il me l'a dit, il m'a dit

  3   qu'on l'aimait bien au travail. Il n'a pas été au chômage pendant de

  4   longues périodes. Il travaille dur. C'est un travailleur, mais ç'a surtout

  5   été un travail manuel, dans le bâtiment ou il travaillait dans des

  6   restaurants du coin, dans une pizzeria. Des activités, disons, qui se font

  7   à la journée, mais il a toujours été régulier, jamais il n'a été licencié,

  8   jamais on ne l'a menacé de le licencier. Non, il aime travailler. Ce sont

  9   là mes conclusions principales.

 10   Q.  Rubrique suivante, service militaire ou antécédents militaires. Il y a

 11   une des choses qui m'a sauté aux yeux, qui m'a frappé. Vous reprenez son

 12   service militaire obligatoire, mais pourquoi n'avoir pas repris dans cette

 13   rubrique de votre rapport toute la guerre ?

 14   R.  Ce que j'ai saisi ici, disons, c'est la première activité militaire. Le

 15   service militaire obligatoire, dans l'armée nationale yougoslave, un

 16   service de 12 mois. Il s'est bien adapté. Il a bien fonctionné. Il a

 17   terminé sans punition. Il a appris le maniement des armes, ce que faisait

 18   tout le monde. Pas de formation particulière, si ce n'est de se servir

 19   d'une arme de roquettes. Mais il n'a été soumis à aucune mesure

 20   disciplinaire. Il s'est bien adapté à la vie militaire.

 21   Q.  Merci. Rubriques suivantes, formation aux arts martiaux et intérêts

 22   pour les armes. Pourquoi est-ce que ceci a suscité votre attention et en

 23   quoi c'est pertinent ?

 24   R.  Si j'examine ces documents c'est parce que ça peut nous donner des

 25   indices d'une attitude d'agression et de gestion de l'agression. Les arts

 26   martiaux manifestement sont une façon très utile de sublimer une énergie

 27   agressive, mais certains utilisent les arts martiaux pour compenser une

 28   faible estime de soi ou pour acquérir des compétences qu'on peut utiliser

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  1   de façon plus violente ou antisociale. Je n'ai rien constaté de ce genre.

  2   Il aime tous les sports. C'est un sportif.

  3   Pour ce qui est de l'intérêt pour les armes, j'ai travaillé avec bon nombre

  4   de personnes qui étaient des collectionneurs d'armes et qui semblent

  5   graviter dans un monde où les armes dominent, ce n'est pas le cas pour lui.

  6   Il avait bien une licence pour un port d'armes, de fusil comme de pistolet,

  7   mais ce n'est pas un collectionneur d'armes. Il a dit que parfois, après la

  8   guerre, il allait chasser le sanglier, mais c'est au niveau du sportif.

  9   Q.  Page suivante, c'est la dernière rubrique, vous avez intérêt pour les

 10   livres et les films. Est-ce que c'est intéressant pour votre analyse ?

 11   R.  Oui, parce qu'il faut, à mon avis, comprendre les intérêts et les

 12   expressions culturelles mais aussi la volonté d'avoir une identification

 13   avec une esthétique supérieure.

 14   Les films et les livres sont une bonne façon de sublimer l'énergie mentale

 15   pour la maîtriser, pour l'exprimer, ce n'est pas un lecteur avide de

 16   lecture, mais il lit quand même. Ce n'est pas un grand intellectuel, mais

 17   il lit des livres assez simples, légers. Il a parlé notamment de ce livre

 18   sur la rivière Drina, un livre très populaire qu'il a lu. Il a parlé d'un

 19   film, "Joli village, jolies flammes," je l'ai regardé plus tard ce film

 20   pour savoir de quoi il voulait parler.

 21   Q.  Est-ce qu'au visionnement de ce film vous avez eu une idée du sujet de

 22   ce film et de la façon dont ceci pouvait s'appliquer à sa vie ?

 23   R.  Oui, parce que tout d'abord il m'a dit que ce film il avait une

 24   importance personnelle pour lui, parce que ça montre comment les choses se

 25   passaient parmi les combattants à l'époque. Mais on a vu certains des

 26   hommes qui étaient piégés dans ce film, piégés dans un tunnel et essayaient

 27   de sauver leur peau, et il a trouvé que c'était important. Donc ceci avait

 28   une importance personnelle pour lui.

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  1   Q.  Excusez-moi, j'avais oublié de brancher mon micro.

  2   Autre rubrique, la suivante sans doute la plus importante c'est le rapport

  3   qu'il a eu avec la guerre. Qu'est-ce que vous avez pu glaner comme

  4   information en faisant cette évaluation ?

  5   R.  Plusieurs choses. Dans ce qu'il m'a relaté de sa vie, il semble scinder

  6   la vie en deux moments. La vie avant la guerre, une vie assez tranquille où

  7   il n'avait pas trop de problèmes ni de soucis. Puis survint la guerre et,

  8   comme il le dit, c'est la première phrase, la guerre a tout changé. Donc de

  9   son point de vue, les choses changeaient non seulement pour lui mais pour

 10   le monde autour de lui.

 11   Son introduction dans cet univers de guerre a été assez lente. Il

 12   vivait en Europe à ce moment-là. Quand on a commencé à parler de guerre, il

 13   était en Suisse, si je ne me trompe, et on en parlait dans les médias, on

 14   en parlait à la télévision; avec ses amis venant de partout en ex-

 15   Yougoslavie, ils se réunissaient pour suivre ces événements sans trop y

 16   croire d'ailleurs, avec ses amis ils étaient choqués par ce qu'ils

 17   voyaient.

 18   A ce moment-là il nous décrit le processus qui lui arrivait, à savoir qu'il

 19   ne prenait pas partie, qu'il donnait de l'argent aux réfugiés, de quelque

 20   groupe qu'il s'agisse par ailleurs. Lui, tout ce qu'il voulait c'était

 21   sortir dans les boîtes où les filles dansaient.

 22   Q.  Comment décrit-il son introduction dans le monde de la guerre ?

 23   R.  Ça s'est passé lentement, il a fini par retourner à Visegrad, parce

 24   qu'il voulait vérifier comment se portaient ses parents. Il s'inquiétait

 25   d'eux, parce que de toute évidence ils se trouvaient dans une zone de

 26   combat. Et en arrivant à Visegrad, il a rencontré d'anciens camarades,

 27   notamment son ancien professeur pour lequel il avait beaucoup de respect,

 28   un professeur qui, à ce moment-là, était responsable de la brigade

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  1   policière. Il lui a parlé de ce qui se passait, il lui a expliqué qu'il

  2   voulait simplement rendre visite à ses parents et vérifier comment ils se

  3   portaient. Mais pour obtenir l'autorisation qui lui permettrait de pénétrer

  4   dans la zone de combat, il s'est vu obligé d'endosser l'uniforme, et c'est

  5   ainsi que tout a commencé. Il s'est donc retrouvé en uniforme, armé et

  6   chargé de suivre les ordres qu'on lui donnait.

  7   M. ALARID : [interprétation] Pour bien savoir où nous en sommes, je pense

  8   qu'il serait bon de mettre à l'écran la page 13, le haut de la page 13.

  9   Q.  Si je ne me trompe, vous étiez en train de nous dire en gros ce que

 10   vous avez écrit dans votre rapport.

 11   R.  En effet. Donc il essayait d'expliquer à son ancien professeur et son

 12   supérieur hiérarchique à ce moment-là qu'il avait rencontré une fille qu'il

 13   voulait épouser, qu'il voulait ramener ses parents à Belgrade pour les

 14   sortir de la zone de guerre. C'est ce supérieur qui a dû lui expliquer que

 15   les gens revenaient à la région de partout, d'où qu'ils soient dans le

 16   monde, des Etats-Unis, et cetera, et que le moment était venu, il suggère

 17   qu'on lui mette un peu la pression subtilement pour éveiller en lui un

 18   sentiment de nationalité serbe.

 19   M. Lukic explique que ça ne l'intéressait pas beaucoup, mais qu'en même

 20   temps il se rendait compte qu'il lui fallait cet uniforme pour lui servir

 21   de laissez-passer pour aller jusqu'à chez ses parents. Et quand je lui ai

 22   demandé dans le troisième ce qu'il ressentait en enfilant l'uniforme, il a

 23   répondu : "Je ne m'en rendais pas compte. Pour moi, c'était un jeu." Je

 24   note ceci parce qu'il a vraiment mis du temps à comprendre que c'était une

 25   situation de guerre et que cet environ dans lequel il pénétrait était très

 26   dangereux et que les choses allaient évoluer très vite, apparemment il ne

 27   s'en rendait pas compte. Je lui ai demandé plus tard, Mais quand vous êtes-

 28   vous rendu compte que ce n'était pas un jeu, que c'était très sérieux ? Il

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  1   m'a répondu que c'est au moment où le Corps d'Uzice s'est préparé à partir,

  2   et il s'est rendu compte que oui, que ça allait vraiment arriver.

  3   Il y a une sorte de passivité et une sorte de suivisme qui se manifestent

  4   là. C'est ce que les gens pourraient décrire comme une induction de rôle.

  5   C'est-à-dire qu'il se laissait faire. Il allait là où le courant

  6   l'entraînait, il suivait la mobilisation; il avait un supérieur

  7   hiérarchique, il suivait le chef là où on l'emmenait, puis sans même avoir

  8   été formé, sans avoir une expérience en matière policière, il se retrouvait

  9   à arrêter des gens et à les amener au poste pour interrogatoire, et cetera.

 10   Donc c'est là que tout a commencé.

 11   M. ALARID : [interprétation] Passons à la page suivante, si vous le voulez

 12   bien, la page 15, s'il vous plaît, à l'écran.

 13   Q.  Donc à un certain moment le Corps d'Uzice a quitté Visegrad et les

 14   choses ont changé pour lui. Pouvez-vous nous en parler un petit peu,

 15   pourquoi est-ce que ces découvertes ultérieures sont importantes pour votre

 16   rapport.

 17   R.  Il décrit la situation où le Corps d'Uzice se prépare à partir et quand

 18   ils sont partis, ça a créé une sorte de vide, il n'y avait plus d'autorité,

 19   donc il fallait bien remplir ce vide et c'est la police locale qui était

 20   censée le faire, et le résultat a été une sorte de panique.

 21   Dans un environnement de ce genre, la tension va forcément augmenter, les

 22   groupes ethniques commencent à se renfermer sur eux-mêmes et les autres

 23   groupes ethniques qui, jusqu'à l'avènement de ce conflit, ne leur posaient

 24   pas vraiment de problèmes et avec lesquels ils avaient des rapports

 25   harmonieux, polis, prennent l'aspect d'ennemis, de menace. Si eux ne les

 26   attaquent pas les premiers, c'est l'ennemi qui va leur tomber dessus. C'est

 27   à ce moment-là, à mon avis, que l'autorité sociale s'est effondrée --

 28   l'autorité civile, ou disons, les institutions civiles, celles qui sont

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  1   conçues pour protéger le citoyen. Je parle de la police, par exemple, ce

  2   sont les institutions qui sont censées huiler les rouages de la société,

  3   tout cela a commencé à s'effondrer.

  4   Q.  Vous avez discuté des Aigles blancs et de leur rôle au début de la

  5   guerre. Comment cela s'est-il produit ?

  6   R.  Soit que je lui ai posé la question, soit c'est lui qui en a parlé en

  7   premier. Nous sommes là en page 15, en bas de page. Il m'a dit qu'au départ

  8   du Corps d'Uzice, un groupe est resté sur place. Là encore une fois, je

  9   répète ce qu'il m'a dit, un groupe est resté sur place, un groupe portant

 10   le nom des Aigles blancs, et il m'a dit que ces Aigles blancs étaient une

 11   cinquantaine, peut-être 80 personnes qui avaient combattu dans des

 12   opérations de combat importantes partout dans la région, qu'ils allaient en

 13   fait de zone de conflit en zone de conflit pour se battre, et que leur chef

 14   était un ancien légionnaire. Je présume que c'était quelqu'un qui avait été

 15   dans la Légion étrangère française, mais je n'en suis pas sûr, et que

 16   c'étaient des gens qu'on ne pouvait pas vraiment fréquenter à Vilina Vlas,

 17   à l'hôtel, ils avaient une situation assez isolée.

 18   Il m'a dit que le commandant des Aigles blancs recevait des

 19   instructions directes du chef de la police, et j'ai saisi cette occasion,

 20   qui était la première mais qui ne fut pas la dernière, de lui poser des

 21   questions sur son implication présumée avec les Aigles blancs pendant qu'il

 22   se trouvait lui-même à Visegrad. Il m'a répondu qu'il n'en était rien. Il

 23   s'est exclamé qu'il n'avait pas fréquenté ces gens-là, qu'il n'avait jamais

 24   pris un verre avec. Que son point de vue sur eux, sur les Aigles blancs,

 25   était que c'étaient des camés, je le cite, des criminels et des gens

 26   infréquentables, qu'encore une fois leur chef était un ex-légionnaire et

 27   que le commandant adjoint était un ex-colonel de l'armée yougoslave. Donc

 28   il m'a expliqué encore une fois que c'étaient des gens qui étaient

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  1   cantonnés dans cet hôtel où lui-même ne mettait pas les pieds, qu'on ne les

  2   connaissait pas, qu'on savait qu'ils se trouvaient là, qu'il savait où ils

  3   étaient, mais qu'il ne les fréquentait pas.

  4   Donc encore une fois, lui, ce qu'il me dit, c'est qu'il nie avoir eu

  5   des rapports avec ces gens-là.

  6    Q.  Donc lorsque vous décrivez leur structure de commandement, je note que

  7   vous avez parlé d'un certain Savovic Brano. Vous êtes sûr que vous ne

  8   parlez pas de Branimir Savovic ?

  9   R.  C'est bien possible. Je peux m'être trompé en recopiant mes notes. Je

 10   n'en suis pas sûr. C'est tout à fait possible.

 11   Q.  Comment décrivait-il la fin de la guerre ?

 12   R.  Donc pour m'exprimer avec concision dans la mesure du possible, il

 13   décrit qu'il était de plus en plus mécontent du rôle qui était le sien à

 14   Visegrad, qu'il avait perdu ses illusions et n'avait plus vraiment

 15   confiance en son commandement, que plusieurs de ses amis avaient été tués

 16   et que, finalement, il a quitté la région de Visegrad pour rejoindre

 17   l'armée derrière la ligne de front, donc après il m'a parlé de ces

 18   expériences-là.

 19   Q.  Vous a-t-il parlé de ses autres missions en tant que policier avant

 20   d'avoir rejoint l'armée ?

 21   R.  Voyons. Je ne me souviens pas qu'il m'ait parlé de cela en détail --

 22   Q.  Pour nous référer à votre rapport, nous sommes en page 17.

 23   R.  D'accord, laissez-moi regarder.

 24   Q.  Bas de page.

 25   R.  D'accord. Alors il m'a dit qu'il y avait une liste d'extrémistes à

 26   faire arrêter. Donc pour lui c'était l'arrestation -- l'arrestation de ces

 27   extrémistes aurait dû être la tâche de policiers plus expérimentés ou de

 28   soldats, mais ça n'aurait pas dû lui être confié à lui. Ç'aurait été

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  1   normalement un travail de professionnel. Il dit que son rôle à lui en tant

  2   que policier, la façon dont il remplissait son devoir en tant que policier

  3   consistait, à son avis, lorsqu'il arrivait à la résidence de quelqu'un, à

  4   se présenter, à dire qui il était, qu'il estimait que c'était normal, parce

  5   que pour lui il s'agissait de jouer le rôle d'un policier. Un policier, où

  6   qu'il soit, un vrai policier quand il arrive chez quelqu'un, il se

  7   présente. Il estimait qu'en tant que représentant de la police, même s'il

  8   n'était pas formé en tant que tel, il estimait qu'il avait à faire cela. Il

  9   a décrit différentes scènes dont il a été témoin, des camions partant

 10   chargés vers le nord, et cetera. Mais son rôle en tant que policier n'était

 11   pas de très haut niveau et assez limité.

 12   Q.  Merci. Donc lorsqu'il a quitté la police pour rejoindre les forces de

 13   l'armée, vous a-t-il parlé de ce transfert, puis de ses rapports avec le

 14   Parti SDS, s'ils ont existé ?

 15   R.  Tout d'abord, il m'a dit qu'il était soulagé de quitter la police et de

 16   sortir de Visegrad, même si en fait il entreprenait quelque chose de

 17   beaucoup plus dangereux. C'était tout de même un soulagement de partir de

 18   là. Il s'est beaucoup battu, de façon presque continue pendant un certain

 19   temps. Il reconnaît d'ailleurs avoir tué des gens dans ces situations de

 20   combat. Pour autant que je puisse voir d'après ce qu'il m'a dit quand il

 21   décrit ces incidents, tout s'est passé de façon conforme aux règles et

 22   coutumes de la guerre. Des gens se tuent dans des opérations de combat.

 23   Mais il nie - et je lui ai posé des questions - il nie tout acte spécifique

 24   pouvant indiquer des atrocités, le fait d'avoir abattu des personnes non

 25   armées, des soldats qui étaient en train de se rendre, et cetera, toutes

 26   sortes d'actes qui auraient été en dehors de ce que l'on considère comme

 27   des opérations de combat conventionnelles. Tout ce qu'il a fait s'inscrit

 28   dans les opérations de combat conventionnelles.

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  1   L'autre partie de votre question était ?

  2   Q.  A un certain moment il était dans la prison d'Uzice en Serbie.

  3   R.  Oui.

  4   Q.  Nous sommes en page 20 de votre rapport.

  5   R.  Il a effectivement été arrêté et détenu pendant un certain temps. De

  6   quel paragraphe s'agissait-il en page 20 ?

  7   Q.  Excusez-moi, j'ai oublié d'allumer mon micro. Premier paragraphe, le

  8   milieu du premier paragraphe.

  9   R.  Oui. D'accord. Il m'a dit qu'il avait été arrêté, qu'il avait été

 10   détenu par les autorités et emmené à la prison d'Uzice en Serbie, qu'il y a

 11   passé huit jours avant d'être renvoyé à Visegrad. A son point de vue, il

 12   s'agissait là, en le mettant en prison de cette façon, on voulait lui faire

 13   passer un message. C'était un message qui lui a fait très peur et il en

 14   parle comme étant le genre de chose qui pouvait arriver à l'époque

 15   stalinienne et qui se reproduisait à ce moment-là, voilà.

 16   Q.  En gros, que vous a-t-il dit de la chaîne de commandement, de la

 17   structure d'autorité dont il était un maillon ?

 18   R.  Franchement, je devrais vérifier dans mes notes. Il m'a donné de

 19   nombreux détails sur cela, je n'arrivais pas à suivre l'ordre exact avec

 20   chaque personne et le supérieur hiérarchique de cette personne. Ce dont

 21   j'ai pris note, c'est que de toute évidence, il y avait, en tout cas à ses

 22   yeux, une chaîne de commandement, qu'elle était complexe et qu'il la

 23   connaissait bien, que chaque individu avait son rôle sa responsabilité, son

 24   domaine de responsabilité et son comportement et qu'il était tout à fait

 25   disposé à en parler et à expliciter cette chaîne de commandement. Mais

 26   l'hypothèse que j'avais à l'esprit, c'était que, tout comme il est assez

 27   simple de rejeter la responsabilité en dessous de soi dans la chaîne de

 28   commandement, on peut aussi la rejeter vers le haut. Tout cela est simple.

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  1   Donc je ne sais pas s'il cherchait, lui, à se distancer des actes en

  2   rejetant le blâme sur ses supérieurs. Il y avait beaucoup de détails qu'on

  3   ne me donnait pas. Je n'étais pas sûr de qui avait des rapports avec qui.

  4   Q.  Dites-nous maintenant, en page 21, quelles étaient les pensées qu'il

  5   avait sur ses expériences militaires, le temps qu'il a passé derrière les

  6   lignes de l'ennemi ?

  7   R.  En gros, M. Lukic avait le sentiment, il m'a dit, qu'il avait fait son

  8   devoir, mais il n'y avait pas pris de plaisir. Et après avoir, pour la

  9   première fois, tué quelqu'un en opération de combat, il s'est rendu compte,

 10   une chose dont on ne se rend pas compte en général avant de l'avoir fait,

 11   il s'est rendu compte qu'il n'aimait pas ça, qu'il n'avait pas envie de

 12   tuer des gens. Cela étant dit, il est resté un combattant actif, très, très

 13   courageux, parfois même téméraire, très actif en tant que guerrier et il

 14   m'a dit parfois et je le cite : "On a frappé très fort." C'était un

 15   combattant, mais encore une fois, il a toujours nié avoir commis ce que

 16   l'on peut considérer comme des atrocités ou des actes qui seraient en

 17   dehors de ce qui est acceptable en condition de guerre.

 18   Q.  Donc, vous dites, Il m'a toujours nié. Je présume que la façon dont

 19   vous formulez cela doit être précisée. Vous devez nous dire ce que vous

 20   entendez par là.

 21   R.  Bien, je ne suis pas tout à fait sûr de ce que je peux vous dire. C'est

 22   ce qu'il me dit, bien sûr, et ce qu'il me dit, il me le dit de façon

 23   cohérente, tout du long.

 24   Q.  Passons maintenant à la page 24. La section suivante de votre rapport

 25   concerne l'effet de la propagande sur cette personne. Pourquoi avez-vous

 26   jugé bon de consacrer à cela un passage distinct de votre rapport ?

 27   R.  En fait, je voulais lui poser des questions sur la propagande, parce

 28   que dans ce que j'avais lu sur cette époque et sur cet environnement,

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  1   j'avais constaté que la propagande jouait un rôle très important, elle

  2   influençait beaucoup la polarisation ethnique et la mobilisation des

  3   tensions, des haines ethniques entre les différents groupes, que chaque

  4   groupe avait son propre média de propagande qui permettait d'encourager la

  5   mobilisation et de diaboliser les autres groupes. Donc je voulais me faire

  6   une idée de la mesure dans laquelle M. Lukic lui-même avait été l'objet de

  7   propagande et dans quelle mesure il avait lui-même internalisé cette

  8   propagande et s'en était servi pour se motiver lui-même, dans son propre

  9   comportement. Et il m'a expliqué que la propagande, les informations qui

 10   pénétraient dans la zone où il se trouvait à ce moment-là, principalement

 11   dominée par les Serbes, que ce qui lui parvenait venait toujours de cette

 12   source-là.

 13   Il m'a également expliqué que pour lui il n'avait pas l'impression

 14   d'être excessivement influencé par l'information qu'il recevait. Il m'a dit

 15   que seuls les vrais paysans pouvaient se laisser influencer par la

 16   propagande, mais pas lui. Il n'était pas un fervent nationaliste, je

 17   dirais, n'était pas un grand idéaliste avant la guerre. Et là encore, je

 18   dois dire que je n'ai vu aucune manifestation de son côté d'avoir été très

 19   influencé par la propagande, pas du tout. Je pense qu'il avait déjà vécu

 20   pendant assez longtemps dans une société multiculturelle et il voyait très

 21   bien que ces idées qui étaient répandues par la propagande n'étaient que

 22   propagande.

 23   Q.  Je voulais vous poser simplement la question suivante : il dit,

 24   Simplement les paysans pouvaient se laisser influencer par la propagande,

 25   mais lui, il venait d'un milieu paysan. Qu'est-ce que vous en pensez de

 26   cela ?

 27   R.  En fait, je pense, qu'à mon avis, ce qu'il voulait me faire comprendre,

 28   c'est que lui, il avait réfléchi. Peut-être qu'il venait d'un milieu très

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  1   modeste, néanmoins, il était allé à l'école, pas comme beaucoup de paysans.

  2   Ensuite, lui, il avait voyagé à travers l'Europe. Il avait vu le monde

  3   extérieur, donc il s'était fait ses propres idées, loin de ses origines

  4   paysannes; il avait rencontré des gens, de tout horizon, dans les

  5   différentes régions du monde et il avait rencontré cette jeune femme, qui

  6   était d'un milieu plus favorisé que lui en Suisse, avec qui il comptait se

  7   marier.

  8   Q.  Maintenant la partie suivante en page 26, c'est une partie importante,

  9   parce que c'est un incident qui a entraîné une condamnation par consumas.

 10   Alors de quoi s'agit-il ?

 11   R.  En fait, il s'agit de cet incident du car. C'est un incident - je ne

 12   suis pas sûr de bien prononcer - enfin, c'était dans le village de Severin.

 13   Ce n'est pas moi qui lui ai posé la question. C'est lui qui m'a raconté

 14   toute cette histoire. La raison pour laquelle j'ai choisi de l'inclure dans

 15   le rapport, c'est que tout au long de l'entretien, je me suis rendu compte

 16   qu'il voulait à tout prix que je comprenne bien ce qui s'était passé, pour

 17   que je comprenne bien les accusations qui lui sont reprochées. Parce que

 18   tout au long de l'entretien, tout au long de l'établissement de ce rapport,

 19   très souvent, vous avez besoin de donner un petit peu de marge de manœuvre

 20   à la personne; et c'était éminent de sa part qu'il avait besoin de parler

 21   de cet incident et que c'était important pour lui, donc je lui ai donné

 22   cette marge de manœuvre. Je l'ai laissé en parler, j'ai pensé que c'était

 23   important que j'aie cette information si je voulais bien le comprendre.

 24   C'est ce qu'il essayait de me faire comprendre, donc c'est pour cela que

 25   j'ai consacré une partie à cet incident.

 26   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci.

 27   Maître Alarid, je dois vous dire que vous devez avoir fini votre

 28   interrogatoire principal à 19 heures 10.

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  1   M. ALARID : [interprétation] D'accord.

  2   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Puisque vous avez en tout trois

  3   heures pour cet interrogatoire principal et que trois heures c'est

  4   largement suffisant et nous y seront à 19 heures 10. C'est à vous

  5   d'apprendre à gérer votre temps. Trois heures, c'est largement suffisant.

  6   M. ALARID : [interprétation] J'essayais de gérer mon temps, Monsieur le

  7   Président, étant donné que nous avons quatre sujets à aborder, je pensais

  8   que j'aurais plus de temps que cela, donc je vais essayer, Monsieur le

  9   Président, de me concentrer sur ce point-là. J'espère que vous serez

 10   indulgent.

 11   Q.  Comment avez-vous intégré donc cet incident de Severin dans votre

 12   rapport ?

 13   R.  Je crois, je ne suis même pas sûr que je l'aie complètement intégré,

 14   parce que j'ai bien inclus cet incident dans le rapport. Ça c'est bien sûr.

 15   Mais j'aimerais avoir une compréhension plus totale encore de M. Lukic et,

 16   ce que je peux dire ici, c'est que c'est une personne qui souhaite être

 17   comprise et qui a vu en moi quelqu'un qui était peut-être en mesure de bien

 18   le comprendre.

 19   Donc pour lui, c'est un incident qui a une grande signification et il

 20   voulait que je le comprenne cela. Je ne sais pas ce que je vais en faire,

 21   mais en tout cas, je ne savais pas encore à ce moment-là ce que j'allais en

 22   faire, mais il tenait absolument à ce que je considère cette information

 23   comme importante de façon à bien le comprendre. Quand quelqu'un vous donne

 24   ce type d'information, c'est presque un cadeau pour nous.

 25   Et son rôle dans cette région du monde à l'époque était très

 26   complexe. C'était un rôle qui recouvrait plusieurs aspects, mais

 27   l'essentiel, c'est qu'il essayait d'aider les autres. Bien entendu, il

 28   savait qu'il fallait en payer le prix.

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  1   Q.  Maintenant si on avance rapidement vers la page 29, là où justement

  2   vous commencez réellement votre entretien de confrontation. Expliquez-nous

  3   ce qui est important là.

  4   R.  Oui, c'est important pour moi, parce que je voulais vraiment le

  5   confronter avec les différences flagrantes qui existaient entre ce qu'il

  6   m'avait dit et ce que j'avais lu jusque-là. Donc j'avais un certain nombre

  7   de questions à lui poser, par exemple, je voulais savoir comment il

  8   pourrait répondre à ce type de confrontation entre ce qu'il avait dit et ce

  9   qui était exposé. Je pense que ça c'est quelque chose qu'il fallait

 10   explorer plus en détail. Alors au départ, il a eu une réaction plutôt sur

 11   la défensive en me disant, Oui, ils m'ont accusé de tatouages, ils m'ont

 12   accusé d'être un ivrogne, et cetera, et cetera. Ensuite il a nié avoir eu

 13   quelque participation que ce soit au travail des Aigles blancs. Voilà donc,

 14   si vous voulez, la première tentative j'ai faite réellement de voir

 15   exactement ce qui était vrai de ce qui était, enfin, pour expliquer les

 16   différences.

 17   Q.  Qu'est-ce que vous entendez par première tentative ?

 18   R.  Parce que dans une affaire comme celle-ci, une seule fois ça ne suffit

 19   pas. Vous savez, il faut plusieurs tentatives. Dans l'affaire de M. Zinc,

 20   par exemple, dont je vous ai parlé tout à l'heure, je m'étais entretenu

 21   avec ce client à de nombreuses reprises. Ce serait complètement irréaliste,

 22   à ce stade, de s'attendre à en avoir plus que cela.

 23   Q.  Donc je suis sûr que vous l'avez ensuite confronté sur la question de

 24   savoir s'il avait un intérêt quelconque à vous donner des mauvaises

 25   indications en tant que témoin expert éventuel. Qu'en pensez-vous ?

 26   R.  Je pense que c'est quelque chose qui est très important, parce que

 27   c'est quelque chose qui peut arriver et dans de nombreux cas, cela

 28   effectivement arrive. C'est une question empirique, ouverte. On ne peut pas

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  1   savoir comment ces différents aspects vont être résolus. Moi aussi je

  2   pourrais, de mon côté, partir de ce principe, mais finalement, ce sont les

  3   données et les informations elles-mêmes qui sont les plus importantes.

  4   Q.  Alors, venons-en justement aux données concrètes, aux résultats des

  5   tests psychologiques.

  6   R.  Oui. Alors j'ai utilisé ces tests psychologiques pour compléter mes

  7   entretiens avec lui. Je voulais, d'ores et déjà, avoir une idée de la façon

  8   dont il se comportait en dehors d'un entretien en direct, en face à face.

  9   Donc je lui ai administré un certain nombre de tests que je connais bien,

 10   que j'ai déjà expérimenté à plusieurs reprises. Et dans notre clinique,

 11   nous avions des patients qui venaient du monde entier, donc je sais comment

 12   adapter et comment utiliser ce type de test et il n'y a pas tellement

 13   d'autres outils, d'autres instruments qui existent en dehors de ceux que

 14   nous avons aux Etats-Unis. Il faut reconnaître que certes ils peuvent être

 15   limités, mais ce que nous avons à notre disposition.

 16   Alors, la première échelle, l'échelle d'intelligence abrégée, le WASI,

 17   évidemment, c'est une échelle qui s'applique aux Nord-américains, mais que

 18   l'on peut très bien aussi utiliser, puisqu'elle donne une indication de

 19   l'intelligence non verbale. Donc j'ai décidé d'utiliser cette échelle. Je

 20   n'ai pas du tout utilisé toute la partie verbale pour des raisons évidentes

 21   de différence de langue.

 22   Mais avec un intervalle de confiance de 95 %, je pense que son quotient

 23   intellectuel peut se situer entre 79 et 90, ce qui correspond, en gros, à

 24   son niveau d'éducation enseignement supérieur, tout à fait dans la moyenne.

 25   Je pense qu'il est très peu vraisemblable que cet homme puisse avoir une

 26   intelligence au-dessus de la moyenne. Alors voilà l'indication que l'on a

 27   ici.

 28   Ensuite j'ai étudié les questions de personnalité et pour cela, j'ai

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  1   utilisé divers outils, notamment l'entretien clinique structuré, l'étude

  2   DSM-IV et j'ai essayé de me concentrer aussi sur des aspects de sa

  3   personnalité qui pourraient révéler une personnalité narcissique ou

  4   obsessionnelle. En fait, non, je n'ai rien trouvé qui relève de ces

  5   troubles de personnalité.

  6   Ensuite le test "Incomplete Sentences Blank" est également un test

  7   que l'on peut administrer très fréquemment et qui peut se faire assez

  8   rapidement. Cela nous permet de voir quels sont les problèmes qu'un patient

  9   peut avoir.

 10   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Il ne nous reste plus que 10

 11   minutes.

 12   LE TÉMOIN : [interprétation] D'accord.

 13   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Avez-vous fait une étude sur ses

 14   capacités pour diriger d'autres hommes, la responsabilité d'autres hommes ?  

 15   LE TÉMOIN : [interprétation] Non. Cela fait partie d'autres tests, le MCMI,

 16   ce que j'ai pu voir c'est, qu'en fait, c'est quelqu'un qui veut toujours

 17   faire plaisir aux autres, qui veut toujours être bien considéré par ses

 18   supérieurs, donc il veut toujours faire plaisir aux autorités.

 19   Mais en dehors de cela, je crois qu'il faut regarder aussi la vie de

 20   l'individu en question et je pense que c'est cela qui est l'indicateur le

 21   plus utile. Dans toute la vie de cet homme, je ne vois aucune indication

 22   selon laquelle il aurait eu une position de chef ou une situation où il ait

 23   commencé un projet ou essayé de motiver les autres.

 24   Je pense qu'aussi bien dans ses études que dans son travail, 

 25   c'est quelqu'un qui aimait avoir un rôle, je dirais, de subalterne, c'est

 26   quelqu'un qui souhaitait toujours être dans la moyenne, au milieu. Ni un

 27   chef ni quelqu'un qui ne fait qu'obéir, mais entre les deux, c'est

 28   quelqu'un qui suit le flot. Pour moi, ma conclusion concernant cette

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  1   personne c'est que ce n'est pas un chef, ce n'est pas quelqu'un qui dirige,

  2   ce n'est pas un leader, si vous voulez, c'est plutôt quelqu'un qui suit, un

  3   suiveur.

  4   En général, les leaders, les chefs, ils se distinguent des autres

  5   relativement tôt dans la vie ou dès que les circonstances le permettent.

  6   Ils peuvent à ce moment-là démontrer leur capacité de leader. Mais c'est

  7   quelqu'un qui non plus n'a pas suivi de formation particulière pour

  8   justement devenir un responsable, parce que même dans l'armée, il avait un

  9   rang relativement bas, et il n'a manifesté aucun désir de monter en grade.

 10   Il n'a pas pris d'initiative particulière pour monter en grade, ce que

 11   voudrait probablement n'importe quelle personne qui vient d'un milieu

 12   relativement modeste comme lui et qui souhaiterait justement monter

 13   l'échelle.

 14   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci.

 15   M. ALARID : [interprétation] Oui, Monsieur.

 16   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Etes-vous satisfait des réponses de

 17   votre témoin ?

 18   M. ALARID : [interprétation] Bien --

 19   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Car il ne vous reste plus que trois

 20   ou quatre minutes. Il faut que nous traitions d'un certain nombre de

 21   questions administratives.

 22   M. ALARID : [interprétation] D'accord.

 23   Q.  En ce qui concerne la littérature sur laquelle vous vous êtes fondé,

 24   vous avez utilisé ce terme d'"homme ordinaire."

 25   R.  D'accord.

 26   Q.  Qu'est-ce que vous entendez par homme ordinaire ?

 27   R.  De façon très brève, laissez-moi résumer la littérature que j'ai lue à

 28   ce sujet.

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  1   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais vous voulez dire que l'accusé

  2   est un homme ordinaire ?

  3   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

  4   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Mais ça il faut l'expliquer,

  5   Maître Alarid. Il faut voir, il faut nous présenter ce qui est important.

  6   LE TÉMOIN : [interprétation] Il faut regarder ce qu'en pensaient les

  7   personnes qui ont étudié les nazis pendant la Deuxième Guerre mondiale. En

  8   général, on les considérait comme des psychopathes ou alors comme des

  9   personnes profondément perturbées psychologiquement, comment sinon pouvait-

 10   on expliquer un tel comportement ? Mais le problème c'est qu'on s'est

 11   aperçu petit à petit qu'en fait ce n'étaient pas des monstres, c'étaient

 12   pour la plupart des personnes qui étaient tout simplement des hommes

 13   relativement ordinaires qui ne déviaient pas de la psychopathologie

 14   ordinaire.

 15   M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Peut-être que je vais vous interrompre

 16   quelques instants. Mais est-ce que vous avez présenté dans votre rapport,

 17   ou avez-vous fait allusion à ce que l'on appelle la personnalité

 18   autoritaire ?

 19   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, c'est une très bonne question. Il y a eu

 20   toute une littérature provenant de l'Université de Californie, entre

 21   autres, sur justement la personnalité autoritaire. Mais il est vrai que

 22   dans ces études, il a été montré que vous avez cette personnalité de

 23   l'homme autoritaire qui est extrêmement sensible à ces idées de nazisme et

 24   qui se laisse entraîner par ces idées aveuglément, je dirais même; mais à

 25   ce stade le principe de la personnalité autoritaire et la recherche qui a

 26   été faite à ce sujet est un petit peu laissée de côté, je dirais, dans la

 27   littérature, mais c'est néanmoins un concept très utile.

 28   M. LE JUGE DAVID : [interprétation] Dans votre réponse au Président vous

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  1   avez dit qu'il avait des traits de caractère compulsif, et c'est ce que

  2   l'on voit dans votre rapport. Est-ce que vous pouvez expliquer ?

  3   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Je ne veux pas dire compulsif dans le

  4   sens du type de comportements, genre de comportements, comme les troubles

  5   obsessionnels compulsifs, aller se laver les mains toutes les dix secondes,

  6   et cetera, ça, ça se serait manifesté de différentes façons.

  7   Mais c'est lors de l'entretien lui-même, parfois il insistait lourdement et

  8   longuement sur des détails, mais vraiment des petits détails qui

  9   m'apparaissaient parfaitement sans importance. Donc il avait une sorte de

 10   surconcentration [phon], je dirais, sur certains aspects, des petits

 11   détails. Ça je pense que c'est une manifestation justement de cette

 12   compulsivité, je dirais, cela fait partie d'une personnalité un petit peu

 13   obsessionnelle.

 14   L'organisation de sa Défense aussi correspondait beaucoup à cette

 15   personnalité obsessionnelle. Il a établi des défenses quelque peu

 16   neurotiques. Je pense que dans les tests on le voit très bien, là encore

 17   c'est une autre façon d'examiner cette personne. Lorsque j'ai, si vous

 18   voulez, rassemblé toutes ces informations, j'en ai conclu que c'était un

 19   homme qui était organisé de façon obsessionnelle, mais pas de façon

 20   pathologique. Il ne va pas jusqu'au point où il a un comportement

 21   obsessionnel, compulsif, qui peut être vraiment préjudiciable, pas du tout.

 22   M. LE JUGE DAVID : [interprétation] D'accord. Merci.

 23   LE TÉMOIN : [interprétation] Si vous le permettez, Monsieur le Président,

 24   je terminerais.

 25   M. LE JUGE ROBINSON : [aucune interprétation]

 26   LE TÉMOIN : [interprétation] Comment expliquer la personnalité des

 27   criminels nazis à l'époque. Il a fallu essayer de trouver une autre

 28   explication à celle qui était l'explication traditionnelle. Donc les gens

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  1   ont commencé à regarder aussi l'environnement dans lequel ces gens se

  2   trouvaient, le contexte, la situation générale qui pourrait peut-être

  3   expliquer ce type de phénomène. Il y a un nombre d'études qui ont été

  4   réalisées.

  5   Notamment l'étude Milgram de l'Université de Yale. C'est vraiment la crème

  6   de la crème, je dirais, ce sont des étudiants --

  7   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Qu'est-ce que vous êtes en train de

  8   nous dire sur l'accusé ?

  9   LE TÉMOIN : [interprétation] J'étais en train de vous dire que c'est un

 10   homme qui est très respectueux et qui souhaite obéir à l'autorité.

 11   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ecoutez, vous avez passé la journée

 12   entière, trois séances, Maître Alarid, à cela. Je ne considère pas que ce

 13   soit dans l'intérêt du déroulement de ce procès de vous permettre de

 14   continuer l'interrogatoire principal. Je pense que vous avez disposé de

 15   suffisamment de temps.

 16   Maintenant je voudrais traiter de la question soulevée par le bureau du

 17   Procureur, mais j'ai aussi besoin que Mme Sartorio me dise de combien de

 18   temps avez-vous besoin.

 19   Mme SARTORIO : [interprétation] Au moins deux heures, Monsieur le

 20   Président.

 21   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Au moins deux heures.

 22   Mme SARTORIO : [interprétation] Oui. J'aimerais deux heures.

 23   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Qui est votre prochain témoin,

 24   Maître Alarid, après cela ?

 25   M. ALARID : [interprétation] Clifford Jenkins.

 26   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Combien de temps ?

 27   M. ALARID : [interprétation] Deux heures, j'espérais.

 28   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Après cela ?

Page 6321

  1   M. ALARID : [interprétation] Pour cette semaine, après M. Jenkins, nous

  2   espérions M. Rasic. Nous n'avons pas encore la confirmation de l'Unité des

  3   Victimes et des Témoins, mais nous avons essayé de prendre les dispositions

  4   nécessaires. Sinon, ce sera M. Jenkins qui sera notre dernier témoin pour

  5   la semaine. La question c'est - je vous ai expliqué le cas du Dr Andersen,

  6   témoignage qui a été empêché par le ministère de la Défense, donc peut-être

  7   que nous établirons une motion de façon à ce qu'il soit versé au dossier.

  8   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Donc vous alliez déposer une motion

  9   sur le 92.

 10   M. ALARID : [interprétation] Je n'ai pas eu le temps. J'espérais que je

 11   pourrais, mais je n'ai pas eu le temps, je crois qu'il y a une double

 12   session demain.

 13   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Non, il n'y en aura pas deux.

 14   M. ALARID : [interprétation] D'accord. Mais c'était prévu, donc c'est ce

 15   que je craignais.

 16   M. GROOME : [interprétation] Monsieur le Président, donc Me Alarid a

 17   expliqué en dehors des comparutions, donc ce qui me fait considérer que

 18   Milan Lukic ne témoignera pas. Ce serait quand ? 

 19   M. ALARID : [interprétation] Ce sera à la fin et nous n'avons pas encore

 20   procédé au récolement. J'ai pas eu encore assez de temps à passer avec lui

 21   dans le quartier pénitentiaire.

 22   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Alarid, est-ce que vous

 23   avez d'autres questions à soulever concernant ce témoin ?

 24   M. ALARID : [interprétation] Bien, la seule chose que je voulais aborder

 25   avec lui, c'était de savoir pourquoi le rapport Milgram est si important en

 26   l'espèce.

 27   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais qu'est-ce que c'est Milgram ?

 28   M. ALARID : [interprétation] C'est le rapport auquel il vient de faire

Page 6322

  1   allusion, Monsieur le Président. C'est un ensemble d'études et d'études de

  2   suivi sur le comportement des criminels de guerre.

  3   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous lui avons posé la question sur

  4   la capacité à diriger. C'est la fin de votre interrogatoire principal.

  5   Demain, Mme Sartorio commencera son contre-interrogatoire.

  6   L'audience est levée.

  7   M. GROOME : [interprétation] Monsieur le Président.

  8   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui.

  9   M. GROOME : [interprétation] Il semble qu'il sera impossible pour

 10   l'Accusation de citer un témoin vendredi; c'est bien cela ? Est-ce que je

 11   peux donc dire au Dr Fagel qu'il ne doit pas essayer de prendre ses

 12   dispositions ?

 13   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Qu'est-ce que vous en pensez ? Quel

 14   conseil donner à l'Accusation ?

 15   M. ALARID : [interprétation] Je pense que c'est une très bonne évaluation.

 16   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Bien.

 17   M. GROOME : [interprétation] Je n'ai aucune objection à dire que si nous

 18   devons nous trouver un petit peu de temps libre vendredi, je pense qu'on

 19   peut utiliser ce temps pour entendre Dr Fagel.

 20   M. ALARID : [interprétation] Oui. Je pense qu'il n'est pas nécessaire

 21   d'avoir une double séance. Je pense que c'est déjà bien, la semaine est

 22   bien pleine.

 23   M. GROOME : [interprétation] Monsieur le Président, je pense qu'il y a une

 24   double session vendredi, n'est-ce pas ?

 25   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Vendredi.

 26   M. ALARID : [interprétation] Alors, cela permettrait d'utiliser le temps

 27   qui nous reste en faisant venir M. Rasic -- M. Rasic remplira toute cette

 28   journée même avec la double séance.

Page 6323

  1   [La Chambre de première instance et le Juriste se concertent]

  2   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Groome, on me rappelle que

  3   dans la décision que nous avons émise aujourd'hui, la citation du Dr Fagel

  4   dépendra, en fait, de certains documents qui sont préparés par d'autres

  5   témoins, je crois, trois autres témoins qui doivent encore être cités par

  6   vous. Peut-être n'avez-vous pas vu la décision.

  7   M. GROOME : [interprétation] Président, c'est effectivement dans cet ordre-

  8   là que nous devrions procéder. Mais il est également possible tout

  9   simplement de les marquer pour identification et que finalement ce soit des

 10   documents qui ne soient pas versés en tant qu'éléments de preuve tant que

 11   les fondements ne sont pas établis. Mais je peux essayer de proposer une

 12   suggestion à la Chambre pour utiliser le temps de la façon la plus efficace

 13   possible.

 14   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Alarid.

 15   M. ALARID : [interprétation] Question de logistique, Monsieur le Président.

 16   J'ai envoyé une requête par lettre à la Chambre pour permettre à Mme Marie

 17   O'Leary de s'occuper de Clifford Jenkins. Marie O'Leary. Elle était mon

 18   assistante et gérait ce dossier. Elle était à ma gauche pendant la première

 19   partie du procès et je voulais lui donner la possibilité de poser des

 20   questions à notre policier. Donc je me demande si la Chambre le lui

 21   permettrait avec dérogation.

 22   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais pourquoi une dérogation ? Elle

 23   n'est pas avocate ?

 24   M. GROOME : [interprétation] Oui, elle est avocate, absolument.

 25   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Elle l'est ?

 26   M. ALARID : [interprétation] Elle est "attorney" depuis 2006.

 27   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Et elle répond aux critères de la

 28   Règle 40 ?

Page 6324

  1   M. ALARID : [interprétation] Bien, elle n'a pas sept ans d'expérience

  2   derrière elle, mais je pense qu'elle est parfaitement compétente.

  3   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Alarid, vous présentez

  4   toujours ce genre de petit problème. Il faudra s'en occuper. Je ne peux pas

  5   vous répondre pour l'instant.

  6   M. ALARID : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  7   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Groome, je pense qu'il vaut

  8   mieux que vous prévoyiez de faire apparaître le Dr Fagel.

  9   M. GROOME : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

 10   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] La séance est levée.

 11   --- L'audience est levée à 19 heures 16 et reprendra le jeudi 26 mars 2009,

 12   à 14 heures 15.

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