Affaire n° : IT-05-87-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Patrick Robinson, Président
M. le Juge O-Gon Kwon
M. le Juge Iain Bonomy

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
22 juillet 2005

LE PROCUREUR

C/

MILAN MILUTINOVIC
NIKOLA SAINOVIC
DRAGOLJUB OJDANIC
NEBOJSA PAVKOVIC
VLADIMIR LAZAREVIC
VLASTIMIR DJORDJEVIC
SRETEN LUKIC

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DÉCISION RELATIVE À L’EXCEPTION PRÉJUDICIELLE SOULEVÉE PAR NEBOJSA PAVKOVIC POUR VICES DE FORME DE L’ACTE D’ACCUSATION

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Le Bureau du Procureur :

M. Thomas Hannis
Mme Christina Moeller
Mme Carolyn Edgerton

Les Conseils des Accusés :

MM. Eugène O’Sullivan et Slobodan Zecevic pour Milan Milutinovic
MM. Toma Fila et Vladimir Petrovic pour Nikola Sainovic
MM. Tomislav Visnjic et Peter Robinson pour Dragoljub Ojdanic
MM. John Ackerman et Aleksander Aleksic pour Nebojsa Pavkovic
M. Mihaljo Bakrac pour Vladimir Lazarevic
M. Theodore Scudder pour Sreten Lukic

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),

VU l’exception préjudicielle soulevée le 1er juillet 2005 par Nebojsa Pavkovic (l’« Accusé ») pour vices de forme de l’acte d’accusation (Preliminary Motion Alleging Indictment Defects) (l’« Exception préjudicielle ») et la réponse de l’Accusation déposée le 15 juillet 2005 (Prosecution Response to the Preliminary Motion Alleging Indictment Defects Filed by the Accused Vladimir [sic] Pavkovic) (la « Notification »),

ATTENDU que le 2 octobre 2003, le Juge O-Gon Kwon a confirmé l’acte d’accusation établi contre l’Accusé et ses trois coaccusés, Sreten Lukic, Vladimir Lazarevic et Vlastimir Djordjevic, et que l’Accusé a été transféré au Tribunal le 25 avril 2005,

ATTENDU que lors de sa comparution initiale qui a eu lieu le 28 avril 2005 devant le Juge Iain Bonomy, l’Accusé a plaidé « non coupable » de tous les chefs retenus à son encontre dans l’acte d’accusation1, et que le 28 mai 2005, l’Accusation a communiqué à l’Accusé, en application de l’article 66 A) i) du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal (le « Règlement »), des copies en anglais et en b/c/s des pièces jointes à l’acte d’accusation lors de la confirmation de ce dernier,

ATTENDU que l’Accusé doit répondre de divers crimes commis au Kosovo entre le 1er janvier et le 20 juin 1999 par des forces de la RFY et de la Serbie contre des Albanais du Kosovo, et qu’il lui est en particulier reproché, sur la base des articles 7 1) et 7 3) du Statut du Tribunal (le « Statut »), de s’être rendu coupable de :

a) chef 1 : expulsion constitutive d’un crime contre l’humanité (article 5 d) du Statut),

b) chef 2 : autres actes inhumains qualifiés de crime contre l’humanité (transfert forcé) (article 5 i) du Statut),

c) chefs 3 et 4 : assassinat assimilable à un crime contre l’humanité (article 5 a) du Statut) et meurtre constitutif d’une violation des lois ou coutumes de la guerre (article 3 du Statut) reconnue par l’article 3 1) a) des Conventions de Genève,

d) chef 5 : persécutions pour des raisons politiques, raciales et religieuses assimilables à un crime contre l’humanité (article 5 h) du Statut).

ATTENDU que la Défense fait valoir que dans l’acte d’accusation, les auteurs présumés des crimes reprochés à l’Accusé sur la base des articles 7 1) et 7 3) du Statut sont désignés simplement par l’expression « forces de la RFY et de la Serbie », et que l’Accusé ne peut savoir avec précision si ces crimes ont été commis par des militaires, des policiers, des groupes paramilitaires, des individus armés, de vulgaires criminels ou autres et ne peut donc préparer sa défense2,

ATTENDU que la Défense demande à la Chambre de première instance d’ordonner à l’Accusation « d’indiquer avec précision quelles sont les forces de la RFY et de la Serbie responsables, selon elle, de chacune des infractions sous-jacentes3 »,

ATTENDU que dans la Notification, l’Accusation fait savoir que vu la Décision relative à l’exception préjudicielle soulevée par Vladimir Lazarevic pour vices de forme de l’acte d’accusation, la Décision relative à l’exception préjudicielle soulevée par Sreten Lukic pour vices de forme de l’acte d’accusation et la Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins de jonction d’instances, rendues par la Chambre de première instance le 15 juillet 2005 (respectivement la « Décision relative à l’exception préjudicielle de Lazarevic », la « Décision relative à l’exception préjudicielle de Lukic » et la « Décision de jonction d’instances »), elle n’entendait pas répondre à l’Exception préjudicielle4,

ATTENDU que la Chambre de première instance estime que les principes généraux de présentation de l’acte d’accusation énoncés dans la Décision relative à l’exception préjudicielle de Lazarevic s’appliquent en l’espèce5,

ATTENDU que le grief formulé dans l’Exception préjudicielle a été pour l’essentiel examiné dans la décision précitée dans laquelle la Chambre de première instance a notamment ordonné à l’Accusation 1) de préciser la catégorie à laquelle appartiennent les personnes qui auraient commis les crimes allégués en désignant les forces et unités subordonnées à l’Accusé qui auraient pris part aux événements survenus dans chaque municipalité et préciser si la thèse de l’Accusation est que ces forces et unités sont les seules à avoir pris part à ces crimes6, 2) d’indiquer précisément à quoi renvoie l’expression « d’autres, connus ou inconnus », de désigner nommément les participants à l’entreprise criminelle commune dont l’identité est connue et, s’agissant des autres participants inconnus, de préciser à quelle catégorie ils appartiennent7, et 3) de désigner les forces de la RFY et de la Serbie qui seraient mêlées aux différentes affaires de meurtre énumérées8,

ATTENDU que la Chambre de première instance suit le raisonnement exposé aux paragraphes 32, 33 et 43 de la Décision relative à l’exception préjudicielle de Lazarevic,

EN APPLICATION de l’article 72 du Règlement, et par ces motifs,

ACCUEILLE l’Exception préjudicielle comme suit :

a) l’Accusation est tenue de modifier l’acte d’accusation en précisant la catégorie à laquelle appartiennent les personnes désignées par l’expression « forces de la RFY et de la Serbie » qui auraient commis les crimes allégués,

b) l’acte d’accusation modifié sera déposé le 15 août 2005 au plus tard ; il sera accompagné d’un tableau dans lequel seront indiqués toutes les modifications apportées à l’acte d’accusation (tableau des modifications),

c) la Défense fera connaître les griefs qu’elle pourrait avoir à la suite des modifications apportées en exécution des directives susvisées dans les quinze jours du dépôt de l’acte d’accusation modifié.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance
______________
Patrick Robinson

[Sceau du Tribunal]

Le 22 juillet 2005
La Haye (Pays-Bas)


1. Comparution initiale, audience du 28 avril 2005, compte rendu d’audience, p. 35 et 36.
2. Exception préjudicielle, par. 6 à 8.
3. Ibidem, par. 8.
4. Notification, par. 5 et 6.
5. Décision relative à l’exception préjudicielle de Lazarevic, par. 4 à 8 et 14.
6.Ibidem, p. 25.
7. Ibid. La Chambre de première instance a fait observer : « Lorsqu’elle affirme qu’elle a précisé la catégorie à laquelle appartiennent [les] autres participants [de l’entreprise criminelle commune], l’Accusation pense forcément à l’expression qu’elle a utilisée à maintes reprises tout au long de l’Acte d’accusation – "les forces de la RFY et de la Serbie" – ainsi qu’aux forces désignées plus précisément dans certains paragraphes. Or, lorsqu’il fait plus précisément état des participants à l’entreprise criminelle commune, l’Acte d’accusation mentionne souvent les forces de la RFY et de la Serbie agissant sur les instructions, avec les encouragements ou avec le soutien des accusés, de huit autres membres désignés nommément "et d’autres, connus ou inconnus". Il en ressort que les "forces de la RFY et de la Serbie" désignent tout au long de l’Acte d’accusation des personnes n’appartenant pas à la catégorie des autres participants "connus ou inconnus". » Ibid, par. 23.
8. Ibid., p. 25.