Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le mercredi 21 février 2007

2 [Audience publique]

3 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

4 [L'accusé Petkovic est absent]

5 --- L'audience est ouverte à 9 heures 01.

6 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

7 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Bonjour, Monsieur Ball.

8 LE TÉMOIN : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président.

9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Me Ackerman va poursuivre son contre-

10 interrogatoire.

11 Maître Ackerman, c'est à vous.

12 M. ACKERMAN : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.LE TÉMOIN:

13 PATRICK BALL [Reprise]

14 [Le témoin répond par l'interprète]

15 Contre-interrogatoire par M. Ackerman : [Suite]

16 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur Ball. Comment cela va aujourd'hui ?

17 Vous avez pu vous reposer hier ? Cela va mieux ?

18 R. Je me sentais bien hier. Vous vous êtes bien reposé ?

19 Q. Pas tellement, pas autant que vous.

20 R. Cela ne m'étonne pas.

21 Q. Pendant la nuit et ce matin je me suis longuement interrogé sur les

22 questions que j'allais vous poser. J'ai complètement remanié le plan de mes

23 questions afin que cela soit des questions aussi simples que possible,

24 auxquelles vous puissiez répondre par oui ou par non. J'espère que nous

25 serons en mesure d'en terminer assez rapidement si vous essayez de coopérer

26 et de répondre par oui ou par non. Je n'ai rien contre des explications de

27 votre part si cela s'avère nécessaire. D'accord ?

28 Dans l'affaire Milosevic, page 2 178, vous avez déclaré à la Chambre que 45

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1 % des éléments dont vous aviez tenu compte au sujet des activités de l'UCK

2 vous avaient été remis par le bureau du Procureur et que 55 % de ces pièces

3 étaient issues de sources publiques. Quelles étaient ces sources publiques

4 qui correspondaient à 55 % des informations ?

5 R. Nous en avons déjà parlé longuement hier, me semble-t-il. Cela se

6 trouve à l'annexe 3 de mon rapport.

7 Q. Bien. Donc rien de plus que ce qui figure à l'annexe 3 ?

8 R. Non.

9 Q. Est-ce que vous avez vérifié d'une manière ou d'une autre la fiabilité

10 des informations recueillies auprès de ces sources publiques ?

11 R. Tout comme pour les déclarations de décès, nous avons comparé les

12 sources afin d'éviter les doublons puisque souvent plusieurs sources

13 rapportent les mêmes événements. Nous avons essayé de ne décompter chaque

14 événement qu'une seule et unique fois.

15 Q. Cela c'est plutôt une vérification de l'intégrité des données que de

16 leur fiabilité ?

17 R. Je ne comprends pas bien dans quel sens vous utilisez ce terme. Peut-

18 être pourriez-vous l'expliquer.

19 Q. Quand je parle de vérification de l'intégrité des données, vous

20 vérifiez qu'il n'y a pas de doublons. Mais quand je parle de vérification

21 de la fiabilité, je parle de la vérification de la véracité ou non de ces

22 données.

23 R. Non, Monsieur. Je ne suis pas un enquêteur. Je ne suis pas allé au

24 Kosovo pour enquêter sur ces affaires.

25 Q. S'agissant des informations fournies par le bureau du Procureur, on

26 vous a demandé dans l'affaire Milosevic si ces informations vous avez été

27 fournies de manière résumée, de forme statistique ou sous forme de

28 déclarations, et vous avez répondu à cette question de M. Nice en disant

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1 que ceci vous avait été remis de manière "extrêmement synthétique."

2 Quand vous qualifiez ces informations "d'extrêmement synthétiques,"

3 d'extrêmement résumées, qu'est-ce que vous voulez dire exactement ?

4 R. On m'a donné un tableur, un tableau où se trouvait des champs avec une

5 description sommaire des événements ainsi que des dates et des lieux. Il y

6 avait aussi d'autres champs sur ce tableau, mais ils avaient été expurgés.

7 Q. Est-ce que vous avez, comme pour les éléments venant de sources

8 publiques, vérifié indépendamment la validité des informations qui vous

9 avaient été communiquées par le bureau du Procureur ?

10 R. Non, Monsieur. Je ne suis pas enquêteur. Je ne suis pas allé au Kosovo

11 pour enquêter sur place.

12 Q. Hier, page 89, ligne 21 du compte rendu d'audience, en réponse à une

13 question semblable à celle que je viens de vous poser, vous avez répondu

14 que le TPIY vous avait remis une base de données dans laquelle figurait des

15 informations. Est-ce qu'il s'agit du tableur dont vous êtes en train de

16 nous parler ou est-ce qu'il y a une autre base de données qui vous a été

17 remise par le bureau du Procureur ?

18 R. Pour ce qui est des activités de l'UCK, il s'agit des seuls éléments

19 d'information qui m'aient été fournis. Il y a d'autres sources qui m'ont

20 été communiquées, mais s'agissant d'autres domaines.

21 Q. Au moment où le bureau du Procureur vous a fourni ces informations au

22 sujet de l'UCK, vous saviez que le bureau du Procureur avait certaines

23 théories déjà bien arrêtées au sujet de cette affaire, n'est-ce pas ?

24 R. J'ai lu les actes d'accusation, si c'est ce que vous voulez dire.

25 Q. En vous engageant, ils espéraient que vous alliez les aider à confirmer

26 la validité de leurs théories.

27 R. Ce n'est pas la manière dont M. Nice ou ses collègues ont défini ma

28 mission. Ils ont déclaré qu'ils voulaient que je leur fournisse une

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1 évaluation statistique de l'évolution des phénomènes.

2 Q. J'imagine que vous serez d'accord avec moi quand je vous dirais qu'ils

3 n'auraient pas trouvé votre travail très utile si cela avait infirmé leurs

4 théories ?

5 R. Apparemment, mon opinion de M. Nice est bien meilleure que la vôtre.

6 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Quels sont les quatre phénomènes ?

7 LE TÉMOIN : [interprétation] L'UCK et les interactions avec la police

8 serbe, donc activités de l'UCK; frappes aériennes de l'OTAN; meurtres des

9 Albanais du Kosovo; et migration des Albanais du Kosovo.

10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous faites la différence entre

11 migration et massacre.

12 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

13 M. ACKERMAN : [interprétation]

14 Q. Page 9 624 hier, vous avez expliqué la manière d'évaluer certains

15 éléments de preuve. Vous dites que : "Ceux qui vont à l'encontre des

16 intérêts sont beaucoup plus intéressants que ceux qui sont en faveur des

17 intérêts concernés."

18 A ce moment-là, dans ces conditions, j'imagine que ce qui vous a été fourni

19 par le bureau du Procureur, vous auriez dû y attacher moins d'importance

20 qu'à d'autres données en suivant cette logique-là ?

21 R. Non.

22 Q. J'aimerais qu'on parle de vos hypothèses; vos trois hypothèses qui sont

23 énumérées dans votre rapport. Premièrement, les activités de l'UCK ont

24 entraîné le départ des Albanais du Kosovo, soit directement parce que l'UCK

25 a ordonné aux gens de partir ou indirectement parce que les habitants ont

26 quitté les zones de combat entre l'UCK et les forces yougoslaves. Afin

27 d'analyser cette hypothèse, il vous était nécessaire de disposer

28 d'informations les plus exhaustives possibles au sujet de l'UCK, les

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1 informations disponibles les plus exhaustives possibles.

2 R. Oui, tout à fait, les informations disponibles.

3 Q. Vous n'avez obtenu aucune information directement de la part de l'UCK ?

4 R. Non.

5 Q. Il me semble que les seules informations dont vous disposiez, c'étaient

6 celles qui venaient soit du bureau du Procureur, soit des sources publiques

7 auxquelles vous avez précédemment fait référence.

8 R. Je crois que les informations venaient essentiellement de sources

9 yougoslaves, aussi bien dans les données qui m'ont été fournies par le TPIY

10 que celles que j'ai trouvées dans le cadre de mes propres recherches.

11 Q. Est-ce que le bureau du Procureur vous a remis une déclaration ou des

12 copies de la déposition de M. Bislim Zyrapi, chef d'état-major de l'UCK ?

13 R. Non, je n'ai jamais reçu de déposition quelle qu'elle soit.

14 Q. Hier, vous avez expliqué à la Chambre que 60 % des pics de migration et

15 de massacre s'étaient déroulés, alors qu'auparavant, il n'y avait pas eu

16 d'activité de l'UCK ou de l'OTAN. Vous souvenez-vous avoir déclaré cela ?

17 R. Je pense que c'est une conclusion qui a été tirée de l'examen d'un

18 tableau, nous pouvons y revenir. Je ne peux pas confirmer la statistique

19 que vous me donnez sans examiner le tableau, mais vous pouvez poursuivre

20 vos questions. Je vais chercher ce tableau.

21 Q. N'aurait-il pas été plus juste de dire qu'il n'y avait pas eu

22 d'activité de l'UCK ou de l'OTAN connue ?

23 R. Oui, c'est exact.

24 Q. S'il y avait eu des activités de l'UCK ou de l'OTAN dont vous n'aviez

25 pas connaissance et qui auraient coïncidé avec les migrations ou les

26 massacres, ceci aurait peut-être pu affecter de manière très nette vos

27 conclusions ?

28 R. Pas de manière très forte. Cela aura eu un impact certain, mais pas

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1 prépondérant. Si on avait trouvé une ou deux municipalités, ou même trois

2 ou quatre où cela se serait passé, cela n'aura pas eu un impact très

3 important. Comme on l'a dit, les pics et les creux, cette méthode, c'est

4 une méthode qui est assez faible pour évaluer la causalité entre

5 différentes configurations de phénomènes. Nous en avons parlé longuement

6 hier, et je vous ai expliqué que c'était une difficulté que j'avais

7 rencontrée dans mes recherches et que j'avais des réserves. Depuis j'ai

8 revu ces recherches, je peux vous expliquer en quels domaines j'ai un

9 certain nombre de réserves.

10 Q. Mais --

11 R. Mais, laissez-moi finir.

12 Q. Cela ne m'intéresse pas vraiment, à moins que les Juges souhaitent vous

13 entendre à ce sujet.

14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Que souhaitez-vous ajouter ?

15 LE TÉMOIN : [interprétation] Hier, Me Ackerman a évoqué la question de

16 manière très approfondie. Il semble revenir à la charge aujourd'hui, malgré

17 ce qu'il affirme. Hier, il a dit qu'il n'avait pas été en mesure de voir

18 dans notre rapport les réserves que nous exprimions. J'ai indiqué où cela

19 se trouvait. Il y a un deuxième endroit où cela se trouve également.

20 Deuxième page du rapport du 19 février, dans la partie du rapport consacrée

21 à l'examen des faits, il est écrit ici : "Le principal défaut de cette

22 méthode, c'est qu'elle tient compte uniquement de l'effet de la cause qui

23 est prise pour hypothèse sur l'effet au moment du pic ou du point maximum."

24 Ensuite, nous analysons la chose plus en détail. Quand vous vous êtes

25 demandé si on découvrait des activités jusqu'alors inconnues de l'UCK ou de

26 l'OTAN, est-ce que cela aurait eu un impact certain sur nos conclusions ?

27 Je ne suis pas d'accord. Comme je l'ai dit - c'est d'ailleurs une réserve

28 qui figure dans notre rapport - la technique employée, j'ai certaines

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1 réserves à son sujet. Elle n'est pas assez précise, assez fine, pour

2 permettre de rendre une conclusion assez claire au sujet de certaines

3 causes, pour les exclure définitivement. Ceci explique ce que j'ai dit

4 précédemment peut-être.

5 M. ACKERMAN : [interprétation]

6 Q. Vous venez de nous dire que si vous aviez trouvé des données

7 contradictoires sur trois ou quatre municipalités, cela n'aurait pas changé

8 vos conclusions. Combien de municipalités avez-vous analysées ?

9 R. La totalité des municipalités, 29.

10 Q. Quatre municipalités, cela fait à peu près un sixième d'un total de 29.

11 Si vous aviez des données qui n'étaient pas correctes pour un sixième de

12 ces 29 municipalités, est-ce que ce n'est quand même pas un chiffre assez

13 important ? Est-ce que ce n'est pas un pourcentage finalement assez

14 important de l'ensemble des municipalités ?

15 R. C'est justement la raison pour laquelle j'ai demandé aux Juges la

16 possibilité de revenir sur le rapport du 19 février et c'est pourquoi j'ai

17 lu les conclusions qui y figurent. Me Ackerman tire des conclusions qui ne

18 tiennent pas au sujet de l'efficacité de cette méthode. Même s'il y avait

19 coïncidence dans ces 29 municipalités avec un pic en particulier et s'il y

20 avait eu des activités de l'UCK et de l'OTAN qui coïncidaient avec ce pic,

21 ceci ne permettrait pourtant pas de conclure que les activités de l'UCK ou

22 de l'OTAN étaient la cause de l'activité et du pic. Ceci s'est expliqué de

23 manière, me semble-t-il, assez claire au point 1.2 du rapport du 19 février

24 qui vous a été remis, dans lequel nous parlons du fait que la coïncidence

25 n'implique pas un lien de causalité. Je sais que vous connaissez bien la

26 logique. Je vois que vous connaissez bien la logique, donc j'imagine que

27 vous comprenez ce que je veux dire, ou peut-être faut-il revenir là-dessus

28 ?

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1 Q. Non, ne revenons pas là-dessus.

2 R. Me Ackerman, quand le soleil se lève et si le même jour vous avez un

3 flux de réfugiés ou des massacres, cela ne signifie pas que le soleil est

4 la cause de ces phénomènes. La coïncidence des massacres et des migrations

5 avec les activités de l'UCK et de l'OTAN n'entraîne pas de conclusions

6 probantes sur un lien de causalité. Il y a simplement coïncidence. Mais

7 s'il y a massacres et migrations sans activité de l'UCK et de l'OTAN, à ce

8 moment-là on peut se demander quelle est la motivation de ces événements.

9 On remarque sur les graphiques qu'il y a de nombreux cas de coïncidence de

10 ces événements, d'activités de l'UCK et de l'OTAN avec massacres et

11 migrations, mais il y a beaucoup plus de jours où nous avons des massacres

12 et des migrations alors qu'il n'y a pas d'activités de l'UCK ou de l'OTAN.

13 Si bien que par vos questions, vous détournez la Chambre des conclusions

14 beaucoup plus générales que nous avons répétées à l'envie dans ces

15 rapports.

16 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais pour revenir à ce que vous avez

17 dit quand vous expliquez que même si dans 29 municipalités il y avait

18 coïncidence entre un pic particulier et des activités de l'UCK ou de

19 l'OTAN, est-ce que ceci ne met pas à mal la conclusion que vous avez tirée

20 selon laquelle les activités de l'OTAN et de l'UCK ne correspondaient pas

21 au déplacement des populations, qu'il n'y avait pas corrélation ?

22 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est une bonne question. Pour répondre, on

23 pourrait se pencher sur un graphique en particulier et s'interroger sur la

24 configuration d'un phénomène donné. Je vais vous demander de vous reporter

25 au graphique qui figure à la page 10, le graphique de Djakovica à la page

26 10 de mon rapport de janvier 2007. Entrons un peu plus dans les détails.

27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui.

28 LE TÉMOIN : [interprétation] Nous remarquons qu'il y a une seule opération

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1 de l'UCK, un attentat, plutôt un bombardement qui coïncide avec un pic de

2 massacres et qui précède un pic de migrations au début de la période de la

3 fin mars, début avril. Ensuite, il y a toute une série, et c'est une

4 coïncidence, la coïncidence qu'on évoque. Ensuite, il y a une série

5 d'activités de l'UCK et de frappes aériennes de l'OTAN qui ne correspond

6 pas. Mais je m'excuse, je m'interromps parce que le graphique que l'on voit

7 à l'écran n'est pas celui que j'examine. J'examine en ce moment le

8 graphique de Decani.

9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je croyais que vous examiniez le

10 graphique de Djakovica.

11 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, je m'excuse, mais Decani, cela se trouve

12 sur la même page, page 10.

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Nous avons la copie papier du rapport.

14 Vous pouvez continuer.

15 LE TÉMOIN : [interprétation] Il y a une série de bombardements, d'activités

16 de l'UCK qui suivent ces pics. Ce qui est frappant, c'est que ces activités

17 de l'UCK qui suivent les pics ne correspondent à aucun autre pic. Si on

18 adoptait l'argument d'un rapport de causalité, on pourrait dire qu'il

19 faudrait que les meurtres et les migrations se poursuivent puisqu'il y a

20 poursuite des activités de l'UCK et des bombardements.

21 La question de Me Ackerman, c'est de savoir si dans toutes les 29

22 municipalités ou dans un grand nombre de ces municipalités, il se passait

23 ce qu'il y a à Djakovica, à savoir une coïncidence de ces événements. Ma

24 réponse, c'est que ce n'est pas seulement la coïncidence des pics qui est

25 importante; il faut tenir compte de cette coïncidence quand il y a un effet

26 positif aussi bien que quand il y a un effet négatif. Ce que nous avons

27 ici, c'est une coïncidence quand il y a un effet positif, c'est-à-dire on

28 voit l'augmentation du nombre de massacres et de migrations après les

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1 activités de l'UCK et les bombardements. Mais ensuite, il y a des activités

2 de l'UCK, des bombardements de l'OTAN qui n'entraînent pas pour autant ou

3 qui ne sont pas suivis pour autant d'une augmentation des massacres et des

4 migrations.

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

6 Maître Ackerman.

7 M. ACKERMAN : [interprétation]

8 Q. Monsieur Ball, j'ai un immense respect pour vos compétences et même

9 pour votre point de vue politique, mais malgré tout j'ai l'impression que

10 dans votre réponse au Président, vous vous êtes appuyé sur de très

11 nombreuses hypothèses qui peuvent se révéler tout à fait fallacieuses.

12 Exemple : vous dites qu'on pourrait s'attendre à voir une poursuite des

13 migrations si les activités de l'UCK et les bombardements se poursuivaient.

14 Quand vous faites cela, vous partez de l'hypothèse que si un village est

15 complètement vide, complètement déserté suite à des activités de l'UCK ou à

16 un bombardement, il faudrait voir les habitants de ce village continuer à

17 partir, mais ce n'est pas possible puisqu'il n'y a plus personne. C'est une

18 hypothèse qui ne me paraît pas tenir la route, si c'est celle que vous

19 faites véritablement.

20 R. Excusez-moi, quelle est votre question ?

21 Q. Est-ce que j'ai mal compris ?

22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] La question est très simple. Si les

23 gens sont partis, il y a un pic; il ne peut plus y avoir d'autres pics

24 puisqu'il n'y a plus personne. Voilà ce qu'on est en train de vous dire.

25 LE TÉMOIN : [interprétation] Nous estimons qu'il y a eu environ 875 000

26 réfugiés, avec à peu près plus ou moins une grande incertitude, qui ont

27 quitté le Kosovo entre mars et juin. Avant, il y avait beaucoup plus

28 d'habitants, et tout le monde n'est pas parti. Je ne pense pas qu'il soit

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1 évident que toutes ces municipalités aient été désertées. Au contraire,

2 quand les gens sont rentrés chez eux, j'ai entendu beaucoup de gens

3 expliquer que certains n'étaient jamais partis. Il y avait des gens sur

4 place qui auraient pu continuer à s'en aller pendant toute cette période si

5 les bombardements ou les meurtres les avaient incités à partir.

6 M. ACKERMAN : [interprétation]

7 Q. Mais pour que ceci soit logique et tienne la route, il faut examiner

8 une municipalité, les municipalités dans leur ensemble, mais pas les

9 villages. Je parlais de villages. Bien entendu, si vous tenez compte d'une

10 municipalité dans son ensemble, il y a toujours des gens qui ne sont pas

11 partis, mais il y a des villages qui étaient complètement désertés pour une

12 raison X ou Y, une raison que nous n'avons pas pu déterminer jusqu'à

13 présent. C'est la question que je vous pose. Je ne vous parle pas des

14 municipalités. Une fois qu'on a eu un pic pour un village donné, ce pic, il

15 ne pourra pas se reproduire puisque tout le monde est parti. Voilà ce que

16 je veux dire. C'est vrai, n'est-ce pas, ce que j'affirme ?

17 R. Non, malheureusement, ce n'est pas vrai, parce que ce pic qui est ici,

18 il ne concerne pas un village, il concerne une municipalité entière.

19 Q. Je pense que c'est un thème que nous avons suffisamment exploré.

20 Passons à votre deuxième hypothèse, à savoir : "Les frappes aériennes de

21 l'OTAN ont entraîné les conditions ou une évolution de la situation qui a

22 fait que les Kosovars ont quitté leurs foyers, et ceci, directement parce

23 que les gens ont trouvé la mort pendant les frappes aériennes ou

24 indirectement parce que les autorités locales ont réagi aux frappes

25 aériennes en forçant les gens à quitter leurs foyers."

26 S'agissant de cette hypothèse, l'intégrité de vos conclusions, bien

27 entendu, dépend de l'intégrité des données et de la fiabilité des données

28 qui étaient les vôtres. Par exemple, si les frappes aériennes coïncidaient

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1 avec les massacres ou les migrations et s'il y avait des frappes aériennes

2 dont vous n'aviez pas connaissance, à ce moment-là vos conclusions sont

3 erronées ?

4 R. S'il y avait eu beaucoup de frappes aériennes sur une période étendue,

5 c'est possible. Cependant, ce que nous savons au sujet des frappes

6 aériennes, c'est le contraire. On en a parlé assez longuement hier, à

7 savoir que la plupart des frappes aériennes qui ont eu lieu ont eu lieu à

8 la fin mai et au début du moi de juin. Ce qui est beaucoup plus probable si

9 vous parlez des frappes aériennes, c'est que si on ajoutait de nouvelles

10 données et de nouvelles frappes aériennes, cela renforcerait nos résultats,

11 un résultat qui, je pense, est une coïncidence et qui est que les frappes

12 aériennes ont fait cesser ou ont eu un effet négatif, disons, sur le

13 phénomène des massacres et des migrations.

14 Q. C'est un résultat un petit peu étrange que vous avez qualifié de

15 coïncidence hier puisque vous avez considéré que les frappes aériennes de

16 l'OTAN en avril et en mai avaient sauvé des vies entières.

17 R. Non, ce n'est pas un résultat bizarre, c'est assez prévisible. C'est la

18 raison pour laquelle nous l'avons exclu de nos résultats initiaux. C'est un

19 calcul que nous n'avons pas fait dans notre rapport initial, c'est évident.

20 Quand vous avez beaucoup de frappes aériennes, puis dans les semaines qui

21 suivent, beaucoup plus tard, des massacres et des migrations, l'effet

22 statistique, ce serait que les frappes aériennes ont entraîné une

23 diminution ou une suppression des massacres et des migrations. Je ne pense

24 pas que cela soit le cas. Certains vont peut-être l'affirmer, moi non.

25 Q. Vous estimez que ce n'est pas un résultat bizarre d'estimer que les

26 bombardements qui ont lieu en avril ont sauvé des vies en mars. Je trouve

27 cela bizarre. Mais une question : vous n'avez obtenu aucune donnée de la

28 part de l'OTAN ?

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1 R. Non.

2 Q. Vous n'avez demandé aucune donnée à l'OTAN ?

3 R. Non, nous n'avons pas demandé de données à l'OTAN.

4 Q. Vous n'avez pas demandé au bureau du Procureur d'obtenir des données

5 auprès de l'OTAN ?

6 R. Non.

7 Q. Vous vous êtes simplement appuyé sur des données secondaires,

8 indirectes, qui venaient essentiellement des sites Web yougoslaves ainsi

9 que d'autres sources ?

10 R. Oui, les sites yougoslaves. Il s'agit de sources directes, de sources

11 primaires, parce que sur ces sites internet, il était indiqué que ces

12 informations venaient de témoins oculaires. Il me semble qu'il s'agit là de

13 données primaires, de données directes.

14 Q. Si l'OTAN avait souhaité coopérer avec vous, si vous aviez au moins

15 tenté d'obtenir la coopération de l'OTAN avec le bureau du Procureur

16 également, ils auraient pu vous dire exactement ce qui avait été frappé et

17 à quel moment. Vous auriez pu avoir beaucoup d'informations détaillées.

18 Cela aurait été très utile, n'est-ce pas ?

19 R. Oui, cela aurait été sans doute très utile si ce n'était pas

20 confidentiel.

21 Q. Mais vous n'avez jamais eu ces données à votre disposition. Je sais que

22 vous êtes un informaticien hors pair, vous connaissez bien la manière dont

23 cela fonctionne et vous connaissez la phrase "garbage in and garbage out"

24 qui signifie que quand on a de mauvaises données, on obtient de mauvais

25 résultats.

26 R. Oui, je connais cette phrase, mais ce n'est pas de cette manière dont

27 on travaille en statistique.

28 Q. Une analyse statistique ne peut pas marcher si on utilise des données

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1 qui ne sont pas valables. A ce moment-là, on n'obtient rien de bon. Il faut

2 que les données soient d'une certaine intégrité.

3 R. Vous mettez en doute mon intégrité ?

4 Q. Non, celle des données. Si les données sont fausses, la réponse est

5 fausse, n'est-ce pas ?

6 R. Faire de la statistique, ce n'est pas de la charcuterie, Maître

7 Ackerman, comme vous semblez le penser. L'analyse statistique consiste à

8 écouter une voix, la voix qui se dégage d'une pièce, d'une pièce où il y a

9 beaucoup de monde. On essaye d'écouter cette voix, de se concentrer sur

10 cette voix alors qu'il y a beaucoup de parasites, il y a beaucoup de voix

11 qui parlent très fort. Si bien que nous, notre travail, c'est d'essayer

12 d'entendre cette voix et de la comprendre. Parfois, cette voix, elle parle

13 tout doucement alors que d'autres parlent très fort avec un accent très

14 prononcé.

15 J'utilise cette métaphore pour vous expliquer que l'analyse

16 statistique, cela ne consiste pas à faire ce que vous avez évoqué, ce

17 système, ou quand on a de mauvaises données, cela donne de mauvais

18 résultats. Il s'agit d'abord d'examiner les données dont on dispose, de

19 trouver ces données, de déterminer des systèmes, des configurations, et

20 cetera. Cette notion que vous venez d'évoquer, cette notion d'informatique,

21 c'est peut-être intéressant dans le domaine informatique, mais pas pour ce

22 que j'ai fait.

23 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Ackerman, poursuivez.

24 M. ACKERMAN : [interprétation]

25 Q. Vous nous racontez n'importe quoi, là. Il faut que vous acceptiez que

26 si vous avez des données qui ne sont pas valables, à ce moment-là vous ne

27 pouvez pas obtenir de résultats dignes de ce nom.

28 R. Si toutes les données sont erronées, à ce moment-là vous ne pouvez pas

Page 10349

1 avoir de résultats dignes de ce nom.

2 Q. Mais il y a un moment où dans la proportion des données erronées ou

3 pas, on traverse une limite.

4 R. Non, il n'y a pas de point, c'est continu. Mais il y a un moment où

5 certaines données entraînent un parasitage. A ce moment-là, il y a une

6 marge d'erreur qui est beaucoup plus forte; c'est la raison pour laquelle

7 les statisticiens indiquent la marge d'erreur dans le résultat. Nous

8 faisons toutes sortes de tests. C'est l'analyse de la sensibilité des

9 données afin d'essayer de déterminer quelle est la sensibilité de nos

10 résultats aux données parasites, aux données inexactes, partiales, et

11 cetera.

12 C'est la raison, et c'est ce qui explique l'annexe du rapport "Politique ou

13 Panique". Il y a aussi des analyses de ce type qui se trouvent dans le

14 rapport de janvier 2002. C'est quelque chose à quoi nous consacrons

15 beaucoup de temps pour répondre à la question de savoir quelle est la

16 partie de ces données qui sont peut-être erronées, et que si elles sont

17 erronées, elles entraîneront une modification de nos résultats. Voilà.

18 M. ACKERMAN : [interprétation] Monsieur le Président, vous avez quelque

19 chose à dire ?

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, Maître Ackerman. Je me souviens

21 très bien qu'au cours de ce procès, il y a quelque temps, nous avons obtenu

22 des chiffres relatifs aux frappes aériennes de l'OTAN qui ont été utilisés

23 en contre-interrogatoire. Vous vous en souvenez, j'imagine ?

24 M. ACKERMAN : [interprétation] Je ne m'en souviens pas, mais je sais que

25 certains chiffres existaient dans un Livre blanc relatif aux frappes

26 aériennes de l'OTAN. Je ne sais pas si c'est de cela que vous parlez.

27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Ce que je vais vous demander, c'est la

28 source de ces données, si vous la connaissez. Est-ce le Livre blanc ?

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1 M. ACKERMAN : [interprétation] Je ne saurais répondre précisément à cette

2 question. Je sais qu'il y a des chiffres dans ce Livre blanc, mais

3 apparemment le gouvernement yougoslave était en train d'établir un ouvrage

4 relatif à l'action de l'OTAN considérée par ce gouvernement comme une série

5 de crimes de guerre.

6 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que le général Naumann n'a pas

7 été interrogé au sujet de l'importance des frappes aériennes de l'OTAN ?

8 M. ACKERMAN : [interprétation] Je devrais relire le compte rendu

9 d'audience, Monsieur le Président. Je ne m'en souviens pas. Je ne pense pas

10 que cette déposition ait donné lieu à la citation de chiffres autres que

11 ceux qui étaient disponibles sur le site Web de l'OTAN. On y trouve des

12 chiffres, effectivement.

13 [Le conseil de la Défense se concerte]

14 M. ACKERMAN : [interprétation] On me rappelle à l'instant que le général

15 Naumann s'est vu soumettre un certain nombre de cartes géographiques

16 illustrant les bombardements de l'OTAN, dont un exemplaire a été remis à

17 chacun des Juges de la Chambre. Mais la Chambre a décidé que ce document

18 n'était pas utilisable avec le général Naumann en tant que témoin. C'est

19 peut-être à cela que vous pensiez.

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Le Livre blanc a été établi

21 également ?

22 M. ACKERMAN : [interprétation] Je pense que le gouvernement yougoslave a

23 fait paraître ce Livre blanc sur la base de la compilation d'une série de

24 données venant du terrain. Je pense que c'est cela, la nature de ces

25 données.

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Me Aleksic a peut-être quelque chose à

27 ajouter.

28 [Le conseil de la Défense se concerte]

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1 M. ACKERMAN : [interprétation] D'accord. On me dit à l'instant que ces

2 chiffres viennent de la KFOR.

3 M. VISNJIC : [interprétation] Peut-être pourrais-je vous aider, Monsieur le

4 Président. Je pense que c'est une carte montrant les lieux où des munitions

5 à l'uranium appauvri ont été utilisées. Je pense que c'est la carte où l'on

6 voit les lieux où des bombes à fragmentation et des munitions à l'uranium

7 appauvri ont été utilisées qui a été montrée au témoin. Cette carte venait

8 de la KFOR, sinon nous n'avons pas d'autres données de ce genre et on en

9 trouve en partie dans un rapport des Nations Unies sur l'uranium appauvri.

10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Cela ne nous aidera pas sur les dates

11 des bombardements. Ce sont des informations au sujet des résultats des

12 bombardements que j'avais à l'esprit. Veuillez poursuivre, Maître Ackerman.

13 M. ACKERMAN : [interprétation]

14 Q. Monsieur Ball, nous ne travaillons pas aussi rapidement que je

15 l'espérais en ce moment. Je vais essayer de renoncer à traiter de certaines

16 questions controversées avec vous, si cela est possible. Je voudrais passer

17 à votre troisième hypothèse :

18 "Campagne systématique par les forces yougoslaves pour expulser les

19 Kosovars albanais de leurs domiciles et des massacres utilisés pour motiver

20 le départ des Kosovars ou résultant de la campagne en question."

21 Si j'ai bien compris votre position, vous dites que vous n'aviez pas

22 suffisamment de données pour tirer des conclusions dans le cadre de cette

23 hypothèse ?

24 R. C'est exact.

25 Q. Puisque votre premier rapport ne vous a pas fourni des données

26 complémentaires, vous n'avez pas pu tirer de conclusions définitives au

27 sujet de cette hypothèse ?

28 R. Non. Je n'ai pas continué l'analyse sur ce point dans le rapport depuis

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1 2002.

2 Q. Paragraphe 5.1 de votre premier rapport, je ne peux vous donner que la

3 cote 3831, car je n'ai pas la pagination sur mon document. Je ne sais pas

4 très bien pourquoi, mais enfin, le paragraphe 5.1, je cite le titre de ce

5 paragraphe : "Actions de l'Armée de libération du Kosovo." Vous avez trouvé

6 ce passage ?

7 R. Oui.

8 Q. On le voit à l'écran. Vous voyez comment cette action est décrite. Je

9 cite : "Les renseignements sur les actions de l'UCK ont été obtenues sur la

10 base d'entretiens et d'un certain nombre de rapports non gouvernementaux

11 synthétisés et fournis au projet par le TPIY." Ce qui m'intéresse, c'est la

12 suite. Je cite :

13 "L'utilisation de ces renseignements dans le cadre de la présente étude a

14 permis de recenser le nombre de combats ayant opposé l'UCK et les forces

15 yougoslaves dans chacune des municipalités dans le temps."

16 Ceci est vrai ?

17 R. Oui.

18 Q. Cela n'a pas changé. Vous ne changeriez pas ce passage du texte dans

19 votre nouveau rapport ?

20 R. Non.

21 Q. D'accord. La seule autre activité de l'UCK à laquelle vous avez fait

22 référence dans ce paragraphe consiste en attaques isolées de la part de

23 l'UCK contre les Serbes qui ne figuraient pas dans votre analyse, n'est-ce

24 pas ?

25 R. Non, ce n'est pas exact. C'est une deuxième variable que nous avons

26 utilisée pour analyser l'action de l'UCK.

27 Q. D'accord. Mais la première action de l'UCK que vous avez analysée

28 portait sur les combats entre l'UCK et les forces yougoslaves, des combats

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1 organisés ?

2 R. Ce n'est pas vraiment une distinction. Ce n'est pas une différence

3 entre des données qui seraient primaires et d'autres secondaires. Nous

4 avons utilisé les deux.

5 Q. La conclusion que vous avez tirée de ces données figure au dernier

6 paragraphe du point 5.1, à savoir, je cite : "Il n'y pas de relation de

7 cause à effet claire entre l'action de l'UCK et les phénomènes décrits

8 ici." C'est exact ?

9 R. Oui, c'est exact.

10 Q. J'aimerais que nous regardions cela d'un point de vue un peu différent.

11 Si nous parlons des combats recensés entre l'UCK et les forces yougoslaves

12 dans chacune des municipalités en fonction du temps, commençons par

13 remplacer action de l'UCK par action des forces yougoslaves. Ce qui nous

14 permettra en conclusion de dire, je cite : "Il n'y a donc pas de relation

15 de cause à effet entre l'action des forces yougoslaves et les phénomènes

16 décrits ici." Est-ce que ce serait une conclusion acceptable ?

17 R. Non. Ce serait une conclusion acceptable si l'on partait du principe

18 que la seule action des forces yougoslaves qui a eu lieu était due à une

19 réaction à l'action de l'UCK comme si, par exemple, les forces yougoslaves

20 n'étaient pas les forces du pouvoir en place dans la région, qu'elles

21 n'avaient pas de postes de police dans toute la région, qu'elles n'avaient

22 aucun moyen de défense organisé contre l'OTAN, comme si toute son existence

23 pouvait être réduite à cette série de conflits avec l'UCK. Ce qui me semble

24 un peu exagéré.

25 Q. Vous n'avez aucune action des forces yougoslaves en dehors de celles

26 qui sont présentées sous la forme de ces combats opposant les forces

27 yougoslaves à l'UCK dans ces municipalités et dans le temps ?

28 R. C'est exact. Par conséquent, nous n'avons tiré aucune conclusion.

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1 Q. On peut remplacer action de l'UCK par action des forces yougoslaves ?

2 R. Non.

3 Q. Mais cela se passait au même endroit ?

4 R. Non, parce qu'il faudrait partir d'une hypothèse qui serait

5 véritablement tirée par les cheveux.

6 Q. Je pense qu'on peut utiliser un terme ou un autre dans les conclusions

7 et on arrive au même résultat parce que les données utilisées pour

8 l'analyse sont les mêmes. Je ne crois pas que l'existence de postes de

9 police au Kosovo puisse intervenir ou modifier les résultats dans ces

10 circonstances.

11 M. STAMP : [interprétation] Le conseil de la Défense se lance dans des

12 déclarations sans laisser le temps au témoin de parler.

13 M. ACKERMAN : [interprétation] Je n'avais pas remarqué qu'il hésitait à

14 répondre.

15 LE TÉMOIN : [interprétation] Si vous le souhaitez, Monsieur le Président,

16 je peux manifester une hésitation.

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Nous entrons dans un débat très animé,

18 il semble relativement clair que M. Ball a pris pour base un certain nombre

19 d'hypothèses dans son analyse de l'action des forces yougoslaves et une de

20 ces hypothèses concerne une action illégale de la part des forces

21 yougoslaves. Comme vous le savez, Maître Ackerman, de nombreux documents

22 assez anecdotiques traitent de la puissance de ces forces, et je pense

23 qu'il est justifié de partir d'une telle hypothèse. Il me semble qu'il est

24 permis de distinguer entre le fait d'examiner cette question en tant que

25 telle et le fait de se pencher sur la légitimité ou non de l'engagement des

26 forces yougoslaves vis-à-vis de l'action illégale de l'UCK qui est une des

27 questions que nous traitons en ce moment. Je considère qu'il est difficile

28 tout de même de voir pourquoi on pourrait remplacer action de l'UCK par

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1 action des forces yougoslaves dans ces conditions comme vous le suggérez

2 pour le paragraphe 5.1.

3 M. ACKERMAN : [interprétation] Bien, Monsieur le Président --

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Si vous voulez explorer ce point,

5 allez-y.

6 M. ACKERMAN : [interprétation] Monsieur le Président, j'essaie de poser des

7 questions au témoin dans les limites des données utilisées par lui et

8 fournies à lui par le bureau du Procureur. C'est ce qu'il a utilisé pour

9 aboutir à ses conclusions. Il est possible qu'il existe des données autres

10 que celles qu'il a reçues qui auraient pu être utiles. Il est possible que

11 certaines données auraient pu lui être remises par le bureau du Procureur

12 et ne l'ont pas été et il se peut aussi que le bureau du Procureur n'ait

13 pas eu de données fiables au sujet de l'action des forces yougoslaves en

14 dehors de ces affrontements avec l'UCK. Il me semble que le Procureur

15 aurait transmis ces données s'il les avait en sa possession. Voilà mon

16 argument.

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Il est fort possible que cet argument

18 soit un peu différent de celui que vous avez exprimé dans votre dernière

19 question.

20 M. ACKERMAN : [interprétation] Je vais passer à autre chose.

21 Q. N'y a-t-il pas un problème dans votre analyse, Monsieur, puisque vous

22 vous êtes limité simplement à trois hypothèses qui réduisent le champ de

23 l'analyse ? Par exemple, vous partez de certaines hypothèses au sujet du

24 fait que les Kosovars albanais ont quitté leurs domiciles, de la date à

25 laquelle ils l'ont fait et des raisons qui les ont poussés à le faire ou

26 peut-être pas des raisons qui les ont poussés, mais en tout cas du moment

27 où ils l'ont fait, du temps qu'il leur a fallu pour atteindre la frontière.

28 Toute une série d'hypothèses que vous avez prises en compte au départ,

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1 n'est-ce pas ?

2 R. Voyons. Comme vous le faites remarquer à très juste titre, nous n'avons

3 pas fait d'hypothèses au sujet des raisons qui les ont poussés à quitter

4 leurs domiciles.

5 Q. D'accord.

6 R. Nous n'avons pas non plus fait d'hypothèses au sujet du moment où ils

7 ont quitté leurs domiciles. Nous avons mesuré et enregistré le moment où

8 ils ont traversé la frontière, et nous avons examiné la situation de toutes

9 les personnes que nous avons pu interroger dans les camps après leur

10 franchissement de la frontière ce jour-là. Nous leur avons demandé combien

11 de temps il leur avait fallu pour atteindre la frontière. Ce n'est pas une

12 hypothèse. C'est l'établissement d'un modèle. Les modèles sont très utiles,

13 parce qu'ils nous permettent de faire des projections dans une marge

14 d'erreur déterminée. En fait, nous consacrons un grand nombre de pages

15 d'analyse dans l'ouvrage "Politique ou panique" à l'effet des modèles sur

16 la détermination du temps. Permettez-moi pour un moment de revenir sur ce

17 franchissement de la frontière, parce que je pense que c'est une question

18 tout à fait capitale par rapport à notre débat. C'est la raison pour

19 laquelle je souligne qu'il ne s'agit pas d'une hypothèse.

20 Nous sommes allés sur place. Nous avons interrogé les gens dans les

21 camps de réfugiés. Combien de temps leur a-t-il fallu pour atteindre la

22 frontière ? Nous savions que des habitants de différentes régions du Kosovo

23 auraient besoin d'un temps différent pour atteindre cette frontière. Nous

24 savions seulement que certaines personnes qui avaient quitté leurs villages

25 pourraient atteindre relativement vite cette frontière compte tenu des

26 obstacles sur le chemin, alors que d'autres auraient beaucoup plus de

27 difficultés. Nous savions que ces personnes se déplaçaient à pied ou

28 qu'elles avaient été arrêtées ici ou là pour diverses raisons.

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1 Nous savions qu'il y aurait une distribution dans le temps qu'il

2 faudrait ensuite relier à ce départ de ces personnes de leurs domiciles

3 pour parcourir un certain chemin jusqu'à la frontière. J'appelle cela la

4 distribution du temps de transport. Nous avons mesuré le temps de transport

5 pour les différentes personnes introduites dans notre étude et nous avons

6 constaté que la plupart de ces personnes ont pu atteindre la frontière le

7 premier jour. Au cours du conflit, le temps passé par ces personnes pour

8 atteindre la frontière s'est accru. Si vous regardez le moment où les

9 personnes passent la frontière au début du mois de mars -- pardon, à la fin

10 du mois de mars, début avril, nous voyons que ce temps est relativement

11 court. Si nous examinons la situation des personnes qui traversent la

12 frontière à la fin du mois d'avril, début mai, le temps de transport est

13 beaucoup plus long.

14 S'agissant de la structuration du temps de transport, nous avons dit

15 : bon, il y a des gens qui ont passé la frontière tel et tel jour, nous

16 savons que 50 % d'entre elles ont quitté leurs domiciles ce même jour. Nous

17 savons que 20 % ou 30 % d'entre elles avaient quitté leurs maisons la

18 veille. Donc, il reste une petite proportion qui était partie la veille, et

19 ceci nous donne une fonction dont la valeur diminue. Nous avons pris la

20 situation de toutes les personnes d'un village déterminé qui ont franchi la

21 frontière un jour déterminé, et nous avons fait reculer le moment de leur

22 départ de leurs domiciles de la valeur de la fraction résultant de ce

23 calcul de la distribution du temps de transport.

24 Cela c'est un modèle et une estimation. Par conséquent, il y a une marge

25 d'erreur. Nous avons modélisé la marge d'erreur de plusieurs façons

26 différentes. La première, c'était de voir quel pouvait en être l'incidence

27 sur nos résultats en utilisant un échantillonnage de marge d'erreur qui

28 nous donnait un échantillonnage de probabilités par rapport aux personnes

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1 dans les camps de réfugiés pour déterminer plus précisément leur temps de

2 transport sur la base des informations disponibles et sur la base d'autres

3 informations qui avaient été modélisées par d'autres. Dans certains cas, la

4 proportion s'établissant à 50-50.

5 Deuxième manière d'agir, la plus pertinente en l'espèce sur ce point en

6 tout cas, nous avons analysé l'incidence du temps de transport sur la base

7 de l'analyse de sensibilité des données dont j'ai parlé tout à l'heure.

8 Nous pensions que tous ces facteurs avaient une incidence sur la

9 distribution du temps de transport. Nous avons déterminé six facteurs qui

10 pouvaient affecter ce temps de transport, des facteurs statistiques qui

11 affectent la structure du modèle du temps de transport de ces personnes

12 jusqu'à la frontière, du temps de trajet plutôt que de transport. Nous

13 avons fait varier ces facteurs jusqu'à leurs valeurs positives extrêmes et

14 leurs valeurs négatives extrêmes, et recalculer ces temps de trajet dans le

15 cadre de l'analyse des migrations - vous le trouverez en annexe 1 de

16 "Politique ou panique" - nous avons découvert que les hypothèses relatives

17 au temps de trajet n'avaient pas d'incidence sur les conclusions que nous

18 tirions au sujet du processus de migration, qu'on le considère globalement

19 pour l'ensemble du Kosovo ou qu'on le considère pour les quatre régions sur

20 lesquelles nous avions centré notre analyse, à savoir le nord, le sud,

21 l'est et l'ouest.

22 Je suis très clair, Maître Ackerman, ce n'est pas une hypothèse désormais,

23 mais un modèle et une analyse que nous avons passé plusieurs semaines à

24 examiner sous un certain nombre d'angles différents.

25 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Ackerman, est-ce que "Politique

26 ou Panique" est une pièce à conviction en l'espèce ?

27 M. STAMP : [interprétation] Une pièce de la Défense.

28 M. ACKERMAN : [interprétation] Je le pense, en effet.

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1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, c'est le cas. Merci.

2 M. ACKERMAN : [interprétation]

3 Q. Monsieur Ball, je ne pensais pas vous poser une question aussi longue.

4 La plupart de choses que vous nous avez dites hier concernent les

5 hypothèses, nous sommes d'accord que vous en avez faites. Je pense que vous

6 avez fait une hypothèse selon laquelle si l'OTAN avait bombardé plus tard,

7 beaucoup plus tard, quatre jours plus tard par exemple, je crois que c'est

8 le chiffre que vous avez cité, quatre jours après le départ des habitants

9 de leurs villages, cela ne pouvait pas être un élément ayant poussé ces

10 personnes à quitter leurs villages.

11 R. D'accord. Nous revenons sur les pics et les creux dans l'analyse,

12 Maître Ackerman, je ne voudrais pas me répéter, mais je rappelle les

13 réserves que j'ai émises par rapport à l'analyse en tant que telle. Je

14 dirais que dans notre analyse, nous avons rejeté les hypothèses selon

15 lesquelles l'OTAN et l'action de l'UCK étaient des causes plausibles des

16 massacres et des migrations, et que ceci est le résultat résiduel de

17 l'analyse figurant dans mon rapport initial aux figures 10 et 11. Je ne

18 saurais vous répondre autre chose.

19 Si la Chambre le souhaite, je peux répéter mes réserves, mais puisque nous

20 en avons longuement parlé, j'ai parlé des corrections apportées à l'analyse

21 en raison d'une qualification inexacte de notre travail en tant

22 qu'hypothèse, ensuite vous avez protesté par rapport à ces corrections, car

23 vous ne sembliez pas avoir compris ce que j'ai dit hier. Je n'aimerais pas

24 revenir sur tout cela maintenant, Monsieur le Président.

25 Q. Je ne voudrais pas que vous vous répétiez non plus. C'est à la Chambre

26 qu'il appartiendra d'en décider. Je pense que la Chambre ne le voudra pas

27 non plus.

28 Vous conviendrez que personne ne peut agir sur la base de

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1 renseignements qui ne lui sont pas communiqués ?

2 R. D'accord.

3 Q. Et inversement. Donc, si les gens vivent dans un village, prenons cela

4 comme exemple, si des gens vivent dans un village où il y a une caserne de

5 l'armée yougoslave et qu'il leur est transmis une information leur

6 apprenant que l'OTAN bombarde les installations de l'armée yougoslave, il

7 me semble que ces personnes peuvent considérer cette information comme un

8 élément susceptible de les pousser à prendre une décision et que cette

9 décision peut consister à quitter le village. Si l'installation en question

10 est bombardée dix jours plus tard, votre conclusion consisterait à dire que

11 les bombardements de l'OTAN ont eu un effet sur le départ de ces personnes

12 de leurs villages ou le contraire, car c'est bien pour cela que ces

13 personnes ont quitté le village, n'est-ce pas ?

14 R. Ma conclusion consisterait à dire que le bombardement du village par

15 l'OTAN n'a pas eu d'effet sur le départ de ces personnes. Mon travail n'est

16 pas une analyse fondée sur des rumeurs ou sur la psychologie, Maître

17 Ackerman.

18 Q. Je ne parlais pas de rumeurs. Je parlais d'une situation hypothétique

19 qui a beaucoup à voir avec la réalité sur le terrain au Kosovo. Ce qu'il

20 faut que vous compreniez, c'est que nous ne pratiquons pas ici une espèce

21 d'étude universitaire de méthodes statistiques. Ce que nous faisons, c'est

22 décider ou non si les Juges de la Chambre auront des éléments d'information

23 suffisants pour leur permettre de déterminer au-delà de tout doute

24 raisonnable que certaines accusations figurant dans l'acte d'accusation

25 dans le présent procès sont vraies. Je pense que l'un des éléments qui pose

26 problème ici, vous l'avez fait apparaître très clairement je crois, c'est

27 que vos conclusions ne prouvent pratiquement rien. Je pense que vous avez

28 utilisé ces termes vous-même, "ne prouvent pratiquement rien".

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1 R. Mon travail permet de prouver au moins deux hypothèses pertinentes pour

2 la Chambre; c'est exact.

3 Q. Je ne pense pas que vous iriez aussi loin que d'approuver quelque chose

4 qui n'est pas prouvé ?

5 R. C'est exact, Maître Ackerman. Nous sommes très clairs dans notre

6 analyse; nous avons rejeté les hypothèses selon lesquelles l'action de

7 l'UCK ou de l'OTAN aurait pu être la cause des massacres ou des migrations.

8 Je ne veux pas jouer avec les mots, ce serait absurde.

9 Q. Est-ce que, par exemple, vous avez examiné les médias du Kosovo,

10 télévision, radio, presse, pour voir quelles informations étaient fournies

11 à la population dans les villages au sujet de ce qui risquait de leur

12 arriver dans leur vie quotidienne ? Est-ce que vous vous êtes penché sur

13 ces éléments pour voir s'ils pouvaient avoir un effet sur le départ de ces

14 habitants de leurs villages ?

15 R. Cette analyse n'est ni une analyse psychologique ni une analyse des

16 rumeurs ou de la propagande, Monsieur.

17 Q. Si vous voulez parler de rumeurs et de propagande, vous le pouvez, mais

18 ce que l'OTAN, l'UCK ou les forces yougoslaves a fait en termes

19 d'avertissement aux villageois, c'est de leur dire que des combats allaient

20 se dérouler dans leurs villages. En vertu de cet avertissement, il était

21 compréhensible que les habitants quittent leurs villages. Je veux dire,

22 nous avons des éléments d'information en l'espèce qui montrent que tel

23 était le cas; ce ne sont pas des rumeurs, c'est la réalité. Vous semblez

24 ignorer la réalité, me semble-t-il, dans votre rapport.

25 R. Très bien. Revenons à la réalité, dans ce cas, Maître Ackerman. Cela

26 nous donnera un peu d'air. A la figure 2 de mon premier rapport, page 6,

27 nous trouvons une comparaison entre le nombre de personnes ayant quitté

28 leur domicile pour quelque raison que cela soit et le nombre de personnes

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1 assassinées. Vous remarquerez que les deux courbes suivent une trajectoire

2 assez comparable, et je peux vous décrire le phénomène statistiquement,

3 vous expliquer cette similitude statistiquement, car les deux graphiques

4 sont très similaires. Figures 4, 5, 6 et 7, on y voit le même phénomène

5 segmenté par région. Si les gens quittent leur domicile suite à des

6 rumeurs, aux rumeurs auxquelles Me Ackerman vient de faire allusion, ceci

7 n'explique pas pourquoi ces personnes ont été tuées précisément au même

8 moment et aux mêmes endroits, à moins que peut-être Me Ackerman n'en sache

9 plus au sujet de la fatalité dont parlait la presse à l'époque.

10 Mon explication de cette coïncidence entre ces deux phénomènes, qui

11 coïncident d'une façon très importante dans le temps et dans l'espace, est

12 que la cause de ces deux phénomènes est similaire. Il me semble très peu

13 probable que ce soit la presse ou des rumeurs ou quoi que ce soit d'autre

14 qui soit à l'origine de cela. Ce que je crois, c'est que nous pouvons

15 convenir qu'un meurtre est un acte de violence, donc il y a quelque chose

16 de violent qui se passe qui crée ce phénomène de migrations et de massacres

17 et qui crée les deux, parce qu'il est très difficile d'expliquer comment

18 nous pourrions avoir une telle similitude dans les graphiques en fonction

19 du temps et de l'espace si la cause n'était pas la même. Peut-être que nous

20 interprétons cette cause commune comme étant une cause violente, et nous

21 nous sommes donc centrés sur l'hypothèse que les parties en présence

22 risquaient de développer de la violence dans le conflit, d'où les trois

23 hypothèses de départ.

24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais par rapport à vos conclusions, je

25 regarde la figure 8 de votre rapport initial, quand vous dites que dans 11

26 municipalités sur 29, l'action de l'UCK coïncidait avec un pic global,

27 l'acte d'accusation étant divisé par municipalités, les municipalités nous

28 intéressent. Je sais que ce n'était pas ce dont vous parliez à l'instant,

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1 mais partons du principe que ces municipalités sont les municipalités qui

2 nous intéressent en l'espèce.

3 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Quelle serait votre conclusion par

5 rapport à cela ?

6 LE TÉMOIN : [interprétation] Cela dépendrait de ce qui s'est passé au

7 moment autre que les moments du pic, Monsieur le Président. Il pourrait y

8 avoir coïncidence entre l'action de l'UCK, par exemple, et les massacres

9 dans une municipalité déterminée au moment du pic des massacres. Mais si la

10 suite de l'action de l'UCK dans la période ultérieure a lieu en l'absence

11 d'assassinats, nous nous poserions la question suivante : qu'est-il advenu

12 de l'action de l'UCK ? Ceci nous ramènerait --

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais nous pouvons nous exprimer ainsi

14 par rapport à chacune des municipalités prises isolement, n'est-ce pas ?

15 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Il y a 29

16 graphiques dans le rapport que j'ai présenté en janvier 2007.

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] On y trouve une étude pour chacune des

18 municipalités ?

19 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Quatre séries sur

20 les graphiques, et je peux les présenter sous d'autres formats si la

21 Chambre le demande.

22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Un autre point important, c'est

23 Pristina. Votre conclusion au sujet de Pristina, c'est que la situation de

24 Pristina ne correspond pas à votre position d'ensemble sur le Kosovo en

25 général, n'est-ce pas ?

26 LE TÉMOIN : [interprétation] Pristina est un cas un peu spécial, parce

27 qu'on y trouve une action plus importante de l'UCK et de l'OTAN. C'est le

28 point essentiel. Je cherche le graphique, voyons, page 16 --

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1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Page 19.

2 LE TÉMOIN : [interprétation] Pristina. Vous voyez que Pristina était la

3 cible d'une campagne quotidienne de bombardements dans la période qui a

4 fait l'objet de l'analyse. Mais le pic se produit tout à fait au début de

5 la campagne, puis à la mi-avril. Les bombardements ont lieu tous les jours,

6 et il y a migration à des moments particuliers. Pourquoi y a-t-il migration

7 à certains jours, et pas tous les jours de la campagne de bombardements ?

8 Voilà la question que je me pose principalement au sujet de ce rapport

9 entre les deux phénomènes.

10 Voyez-vous, notamment, on peut voir que la campagne de bombardements se

11 poursuit régulièrement jusqu'à la fin d'une période déterminée. Quand on

12 arrive vers la fin de cette période, le 7 avril à peu près ou le 10 avril,

13 elle diminue. Mais le pic des migrations se produit au début de la

14 campagne, au moment où la campagne de bombardements est intense. Cela,

15 c'est Pristina qui a été bombardé en permanence. Pour établir le rapport de

16 cause à effet, il me semble qu'il faudrait qu'il y ait une corrélation

17 positive entre les deux phénomènes, et c'est ce que prouverait le pic de

18 l'analyse qui permettrait de penser que les bombardements ont un lien avec

19 l'immigration ou les attaques de l'UCK et les massacres. Mais il faut qu'il

20 y ait également corrélation négative, c'est-à-dire qu'il faut qu'en

21 l'absence de coïncidence entre les deux phénomènes, il n'y ait ni l'un ni

22 l'autre de ces deux phénomènes.

23 Je pense que c'est intéressant ici. Je me penche sur mes documents.

24 Une autre municipalité intéressante, oui, c'est Djakovica. Une seule frappe

25 aérienne et une seule opération de l'UCK pour Djakovica, et pourtant une

26 migration très importante et un nombre assez important d'assassinats, puis

27 une période continue et assez régulière de bombardements réduits au minimum

28 et de réduction également de l'action de l'UCK qui n'ont pas de

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1 correspondance avec la suite des meurtres et des migrations. Je pense que

2 si nous comparons Djakovica et Pristina, nous voyons qu'il y a variation de

3 ces phénomènes dans les deux sens, et pas seulement dans un sens. Est-ce

4 que cela vous aide ?

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Ce que j'essaie de comprendre en

6 ce moment, c'est par rapport à une municipalité où vous ne parvenez pas à

7 conclure que ce qui s'est passé n'a aucun rapport avec l'action de l'UCK.

8 LE TÉMOIN : [interprétation] Hm-hm.

9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Qu'est-ce qu'on fait dans ces

10 cas-là ? Je veux dire, si on examine une municipalité déterminée, est-ce

11 qu'on peut dire : nous n'avons pas pu identifier un élément probant par

12 rapport à ce que nous avons pu entendre de la bouche de témoins au sujet

13 des déplacements de population ? Je veux dire, on ne peut pas considérer

14 tout cela comme un exercice global qui s'applique à l'ensemble du Kosovo

15 parce que notre acte d'accusation concerne des régions précises du Kosovo.

16 LE TÉMOIN : [interprétation] Je comprends bien, Monsieur le Président. Je

17 pense que le but d'une analyse statistique avec ses limites est de donner

18 une image assez générale, assez globale. Il est difficile de s'appuyer sur

19 une analyse statistique de ce genre pour examiner des cas isolés, les cas

20 isolés cités dans l'acte d'accusation. Il faut bien comprendre que

21 l'analyse statistique aboutit à des résultats globaux. Je crains de devoir

22 dire que cette méthode ne permet pas facilement d'obtenir des résultats

23 pour une région très limitée, autrement dit ce que vous demandez.

24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

25 M. ACKERMAN : [interprétation]

26 Q. En répondant à ma dernière question relative aux médias, à la presse

27 notamment, vous avez utilisé l'expression : il me semble fortement

28 improbable. Je reviens à la question qui figure à la page antérieure du

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1 compte rendu d'audience au sujet de l'incidence éventuelle des articles de

2 presse. L'expression "fortement improbable" n'est pas un terme technique de

3 statistique, n'est-ce pas ?

4 R. Pas dans ce cas, non.

5 Q. A mon avis, lorsque vous utilisez l'expression "fortement improbable",

6 vous n'êtes pas scientifique, vous êtes quelqu'un qui défend une position

7 déterminée ?

8 R. Non. Je n'étais pas scientifique. J'étais quelqu'un qui essayait

9 d'expliquer quelque chose, un non-scientifique.

10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Ackerman, vous êtes

11 pratiquement au bout des deux heures que vous aviez à votre disposition, et

12 d'autres conseils de la Défense devront prendre la parole après vous. Il

13 faut que nous soyons réalistes.

14 M. ACKERMAN : [interprétation] Monsieur le Président, je suis très

15 conscient du fait que le temps qui m'était imparti est pratiquement écoulé.

16 J'espérais pouvoir traiter de quelques autres questions dans le temps dont

17 je dispose, et nous avons été bloqués sur des aspects techniques, comme

18 vous vous en souviendrez.

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] J'exprime une inquiétude que j'ai

20 depuis hier vis-à-vis de tous ceux qui vont procéder à des contre-

21 interrogatoires sur la base de ce rapport d'expert. Je pense qu'il

22 conviendrait de se centrer sur des questions qui peuvent être utiles aux

23 Juges. Si l'on parle de questions sans grande importance, le sens commun

24 nous dit que n'importe qui pourrait poser ces questions. Je pense qu'il est

25 nécessaire, dans ce genre de contre-interrogatoire d'un témoin expert, de

26 se concentrer sur les points principaux qui sont au cœur de la spécialité

27 du témoin expert.

28 M. ACKERMAN : [interprétation] Monsieur le Président, je vais essayer d'en

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1 terminer en 10 minutes. Je ne sais pas si je pourrai le faire, car M. Ball

2 --

3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je pense que c'est admettre que vous

4 avez eu tout de même pas mal d'occasions à votre disposition.

5 M. ACKERMAN : [interprétation] Je vais me centrer sur l'essentiel.

6 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] La seule chose qui me préoccupe un

7 peu, c'est cette comparaison entre la participation de l'UCK au conflit

8 avec les forces yougoslaves et l'action des forces yougoslaves dans la

9 conflit avec l'UCK. Je ne voudrais pas interrompre prématurément. Je pense

10 que vous voudrez explorer cette question plus avant. Ceci pourrait être

11 utile pour la Chambre.

12 Ce qu'on vous a laissé entendre, c'est que la même conclusion pouvait être

13 tirée pour les forces yougoslaves sur la base des données disponibles.

14 M. ACKERMAN : [interprétation] Monsieur le Président, je pense que le

15 rapport fera la lumière sur ce point. C'était plutôt une polémique qu'une

16 question.

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] D'accord.

18 M. ACKERMAN : [interprétation] Je suis tout à fait d'accord pour donner la

19 parole à un de mes confrères qui pourra poser d'autres questions.

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

21 Maître Fila.

22 M. FILA : [interprétation] Je vais essayer d'être bref.

23 Contre-interrogatoire par M. Fila :

24 Q. [interprétation] Vous pouvez continuer à rire au cas où je vous pose

25 des questions de profane, mais je ne suis pas spécialiste de statistique.

26 Je vais vous interroger sur des points un peu différents de ceux qui ont

27 fait l'objet du contre-interrogatoire jusqu'à présent. Si je vous comprends

28 bien, Monsieur Ball -- d'abord, je m'appelle Toma Fila, je défends M.

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1 Sainovic.

2 Dans votre rapport du 3 janvier 2002 intitulé "Massacres et déplacement de

3 population entre mars et juin 1999", ce qui m'intéresse, c'est ce que j'ai

4 lu dans une partie de ce rapport. J'ai vu qu'il n'avait pas été commandité

5 ou financé par le bureau du Procureur, mais pourtant vous l'avez envoyé au

6 bureau du Procureur. Ce qui m'intéresse, c'est son titre.

7 Qui a décidé du titre de ce rapport ?

8 R. Moi.

9 Q. Vous. Je me posais cette question parce que quand on lit le titre, on

10 ne peut que conclure qu'il concerne les déplacements de population au

11 Kosovo. Toutefois, et je suppose que vous serez d'accord avec moi, on en

12 arrive à la conclusion qu'il ne s'intéresse qu'aux Albanais du Kosovo. Par

13 conséquent, la question qui se pose est la suivante : est-ce que vous vous

14 êtes efforcé de laisser de côté -- ou plutôt, nous avons entendu Mme Sandra

15 Mitchell le 11 juillet ici, en tant que témoin devant la Chambre, pages 565

16 et 566, lignes 20 à 25 et lignes 1 à 7 respectivement du compte rendu

17 d'audience. Elle a confirmé les constatations du HCR de Genève, à savoir

18 que le 15 octobre 1999, pendant la campagne aérienne de l'OTAN, plus de 100

19 000 Serbes avaient quitté le Kosovo. Est-ce que vous êtes d'accord avec

20 cela ? Sinon, je peux vous citer ce passage par écrit, je l'ai ici.

21 R. Je suis sûr que ce rapport existe. Je ne l'ai pas étudié, donc je ne

22 peux pas vous répondre.

23 Q. Non. Je ne voulais pas de commentaires de votre part. Je voulais

24 simplement savoir si vous étiez prêt à accepter ce que je dis.

25 Deuxièmement, si vous connaissez la situation, vous conviendrez avec moi

26 qu'hormis les Albanais qui étaient les plus nombreux ainsi que les Serbes,

27 il y avait d'autres communautés dont les membres ont également fui le

28 Kosovo pendant la guerre, d'où la question suivante. Dans le titre,

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1 pourquoi n'avez-vous pas dit qu'il s'agissait de massacres et de flux de

2 réfugiés albanais au Kosovo ? On a l'impression que vous ne vous êtes pas

3 intéressé aux raisons pour lesquelles les autres ont quitté le Kosovo. Or

4 personne ne conteste qu'ils sont partis également. Est-ce qu'il ne serait

5 pas plus scientifique d'analyser les 29 municipalités dont certaines

6 étaient peuplées exclusivement de Serbes et d'autres peuplées exclusivement

7 d'Albanais, d'autres étaient mixtes, afin de savoir quelle était l'attitude

8 de la population face aux bombardements ? Vous auriez pu vous intéresser à

9 la population qui n'était pas Serbe, ainsi vous aurez eu un tableau

10 d'ensemble permettant d'expliquer l'impact des bombardements sur la

11 population au Kosovo. Voilà ma question. Excusez-moi, je l'ai formulée en

12 termes de profane.

13 R. Inutile de vous excuser. Je pense qu'en substance, une analyse

14 scientifique doit porter sur une question très précise. Je pense qu'il

15 serait très intéressant de procéder à une analyse des phénomènes de

16 migrations et de massacres au sein des autres communautés au Kosovo à

17 l'époque. Comme vous l'avez fait remarquer, nous nous sommes intéressés au

18 groupe le plus nombreux, à savoir les Albanais du Kosovo, mais ceci

19 n'exclut aucunement les études concernant d'autres groupes.

20 Q. Je pense que vous conviendrez avec moi que si l'on applique ces trois

21 hypothèses aux autres communautés qui ont fui le Kosovo également, vous

22 parviendrez sans doute à d'autres conclusions quant aux raisons de leur

23 départ. Ces conclusions, les raisons de leur départ étaient sans doute

24 différentes, les raisons qui ont poussé les Albanais à partir.

25 R. Je ne sais pas. Je n'ai pas étudié ces autres groupes, ces autres

26 communautés.

27 Q. Fort bien. Puisque nous parlons de cela, j'ai une autre question à vous

28 poser. Vous dites que vous ne vous êtes rendu qu'à un seul poste-frontière.

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1 Peut-être que mes confrères reviendront là-dessus plus en détail. Vous avez

2 témoigné dans le procès Milosevic. Dans ce procès, le 28 février 2005, un

3 médecin, le Dr Aleksovski qui venait de Macédoine a témoigné, il a

4 accueilli les réfugiés qui avaient franchi la frontière pour arriver en

5 Macédoine. Il a confirmé que les réfugiés Albanais avaient déclaré fuir

6 suite à la campagne menée par l'OTAN. C'est différent de ce que vous nous

7 dites. J'espère que cette personne reviendra témoigner en l'espèce, mais je

8 voulais simplement vous soumettre ses propos. Le compte rendu de sa

9 déposition a été versé au dossier.

10 R. Il y a eu des centaines de milliers de réfugiés albanais, peut-être 875

11 000 grosso modo. Je ne suis pas sûr de la marge d'erreur. Certains ont pu

12 déclarer certaines choses, comme vous venez de le dire. Mon étude ne s'est

13 pas intéressée à ce que les gens ont dit qu'ils avaient fait, mais à la

14 chronologie des événements qui a pu conduire à leur départ. Il ne s'agit

15 pas d'une étude des comportements ou des raisons exposées par les gens pour

16 expliquer leur départ, mais je me suis intéressé à la chronologie des

17 événements et aux massacres, aux départs qui ont pu survenir, les gens sont

18 partis pour l'Albanais, pour la Macédoine, pour la Bosnie ou par la Serbie.

19 Q. Très bien. Je souhaiterais aborder un autre sujet. Dans votre rapport,

20 vous mentionnez un cessez-le-feu unilatéral qui est entré en vigueur en

21 Yougoslavie le 6 avril 1999. Vous dites que ce cessez-le-feu n'a été

22 respecté ni par l'OTAN ni par l'UCK. C'était la Pâque orthodoxe. Au

23 contraire, vous parlez d'une intensification des activités. Il ressort de

24 votre rapport que les Serbes n'ont pas violé le cessez-le-feu à l'époque.

25 En fait, ils l'ont fait car nous avons refusé de cesser de protéger les

26 Serbes puisqu'on tirait sur eux. Si quelqu'un ouvre le feu sur les membres

27 de l'armée yougoslave, ils ne peuvent pas rester là sans rien faire, n'est-

28 ce pas ?

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1 R. Je n'ai indiqué nulle part dans mon rapport que les Serbes n'avaient

2 pas violé le cessez-le-feu, qu'ils n'avaient pas tiré. Ce que j'ai dit,

3 c'est que les autorités yougoslaves avaient annoncé à la télévision qu'il y

4 aurait un cessez-le-feu. Est-ce que ce cessez-le-feu a été respecté sur le

5 terrain, je l'ignore. Ce que je sais, c'est que juste après l'annonce du

6 cessez-le-feu, le nombre des massacres et des migrations a chuté. C'est

7 l'observation que nous avons faite lorsque nous avons affirmé qu'il y avait

8 une coïncidence très importante entre la cessation des hostilités annoncée

9 par les autorités yougoslaves d'une part et les massacres et les migrations

10 d'autre part. Quant à savoir si ces hostilités ont véritablement cessé,

11 ceci dépasse le champ de mon rapport.

12 Q. Ceci ne figure pas dans le système électronique, mais à moins que

13 l'Accusation n'y voit une objection, je peux vous montrer ce document qui

14 parle du flux de réfugiés. Vous pouvez même garder ce document si vous le

15 souhaitez. Vous pouvez vous en servir par la suite. Il s'agit de l'un des

16 documents provenant de l'Accusation. Ceci met un terme à mon contre-

17 interrogatoire car je ne pense pas que je serai autorisé à utiliser ce

18 document.

19 J'aurais encore une question de nature générale à vous poser. Bien

20 sûr que je comprends bien que vous ne serez peut-être pas en mesure d'y

21 répondre, mais je vais quand même essayer de vous expliquer --

22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Un instant, Monsieur Fila. Que se

23 passe-t-il ? Pourquoi est-ce que vous remettez ce document ?

24 M. FILA : [interprétation] C'est un document utile, l'Accusation peut le

25 garder, le témoin également. Il s'agit d'un document concernant les

26 phénomènes de migration. Ce document ne figure pas dans le système, par

27 conséquent, je ne peux pas m'en servir, mais le bureau du Procureur pourra

28 s'en servir par la suite s'il le souhaite.

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1 Q. L'année dernière, un comité de l'assemblée nationale a été constitué et

2 un certain nombre de personnes ont été dépêchées au Kosovo. Il y avait

3 également des représentants albanais, tous ensemble ils ont rédigé un

4 rapport général concernant les personnes disparues et tuées. On parle de 9

5 700 personnes dont 4 000 Albanais et 3 000 Serbes, ainsi que des membres

6 d'autres communautés. J'ai ici ces conclusions, elles ne sont pas

7 traduites. J'ai l'intention de me servir de ce document plus tard. Au

8 total, il y a eu moins de 10 000 victimes appartenant à tous les groupes.

9 Plus tard, lorsque je serai autorisé à me servir de ce document, ce que

10 j'espère si j'étais en mesure de vous le présenter maintenant, est-ce que

11 cela changerait vos conclusions quant au nombre total des victimes ? Il y a

12 eu un peu plus de 4 000 Albanais tués ou portés disparus. Même Natasa

13 Kandic qui coopère avec le bureau du Procureur est d'accord avec ces

14 chiffres. Est-ce que cela aurait une incidence sur vos conclusions ? Je ne

15 veux pas entrer dans une polémique avec vous, je vous demande simplement si

16 cela changerait vos conclusions ?

17 R. En fait, vous posez deux questions différentes. D'abord combien

18 d'Albanais du Kosovo ont été tués ? Vu mon expérience au fil des années --

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous nous avez parlé de cela hier. Ce

20 n'est pas la question qui vous a été posée, Monsieur Ball.

21 La question était la suivante : supposons qu'un peu plus de 4 000 Albanais

22 aient été tués, supposons que ce chiffre soit exact, en quoi est-ce que

23 cela pourrait changer vos conclusions ?

24 LE TÉMOIN : [interprétation] Si ces personnes sont réparties dans les

25 catégories mentionnées à la figure 1 de l'annexe 3 de mon rapport de

26 janvier 2002, cela n'aurait aucune incidence sur mon analyse. L'analyse

27 resterait la même. Cette analyse ne repose pas sur le nombre de décès, mais

28 sur la répartition des décès dans le temps et dans l'espace.

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1 M. FILA : [interprétation]

2 Q. Ces chiffres ne changeraient pas votre opinion ? Vous avez évoqué en

3 détail cette question pendant le procès Milosevic, notamment à l'époque je

4 n'avais pas compris, je ne comprends toujours pas ce que vous voulez dire.

5 Je souhaiterais passer à un troisième sujet maintenant.

6 M. FILA : [interprétation] Pourrait-on afficher à l'écran le tableau numéro

7 1 qui figure à la page 3 de la version anglaise.

8 Q. Votre rapport du 28 janvier 2007, il s'agit des 29 municipalités.

9 M. FILA : [interprétation] Je ne vois toujours pas ce texte à l'écran. Il

10 s'agit de la pièce P2678.

11 Q. J'essaie de procéder à des calculs, si je me suis trompé, encore une

12 fois je vous présente mes excuses. Si nous parcourons ces colonnes, pouvez-

13 vous nous indiquer le nombre de coïncidences et déterminer le nombre de

14 municipalités où il y a eu coïncidence entre les actions menées par l'OTAN

15 et les massacres et les migrations. Vous pouvez vous servir du stylet si

16 vous le souhaitez, je vais vous dire quel est le résultat de mes calculs.

17 Selon moi, les activités de l'UCK coïncident en neuf municipalités, six

18 municipalités pour ce qui est des activités de l'OTAN.

19 R. J'espère seulement que nous n'allons pas entrer dans le même type de

20 polémique qu'avec Me Ackerman. J'ai parlé de la méthode que j'ai utilisée

21 déjà en détail.

22 Q. Non.

23 R. Très bien, allons-y.

24 Q. Monsieur Ball, chez moi nous préférons ne pas nous répéter, seulement

25 s'il y a eu des problèmes de communication. Mais je ne pense pas que cela

26 ait été le cas. Je n'ai pas l'intention de poser les mêmes questions que Me

27 Ackerman. Comme nous ne sommes pas sourds ni l'un ni l'autre, nous allons

28 poursuivre.

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1 Dans neuf municipalités on constate une coïncidence, une corrélation avec

2 les activités de l'UCK et dans six municipalités avec les activités de

3 l'OTAN. A Djakovica, Pec et Pristina nous avons activité de l'OTAN et de

4 l'UCK. Ai-je raison de dire que dans 12 municipalités il y a une

5 corrélation entre les massacres et les activités de l'UCK et/ou de l'OTAN ?

6 R. Non.

7 Q. Mais c'est ce que vous avez indiqué.

8 R. Non, désolé. La coïncidence porte sur le pic des massacres et des

9 migrations ce jour-là seulement. Comme je l'ai déclaré à Me Ackerman, pour

10 parvenir à cette conclusion que vous me soumettez, il faudrait qu'il y ait

11 corrélation positive et négative. Il faudrait qu'il n'y ait pas activité de

12 l'UCK --

13 Q. Non, ma question ne porte pas sur cela. Je comprends ce que vous me

14 dites. C'est pour cela que j'ai dit qu'il était inutile de nous répéter. Je

15 compte le nombre de coïncidences indiquées dans ce tableau, j'essaie de

16 procéder à un calcul pour qu'on comprenne bien le teneur de ce tableau.

17 Nous parlons ici de migration - vous pouvez calculer vous-même pour

18 vérifier ce que j'affirme - selon moi, dans dix municipalités il y a une

19 corrélation entre les migrations et les activités menées par l'UCK. Voilà

20 ce que vous avez indiqué dans ce tableau. Dans neuf municipalités, il y a

21 une corrélation entre les migrations et les bombardements de l'OTAN. Dans

22 les municipalités d'Orahovac, Pec, Pristina et Prizren, il y a corrélation

23 entre les migrations et les activités menées et par l'UCK et par l'OTAN.

24 Est-ce que nous pouvons en conclure que dans 15 municipalités il y a une

25 corrélation entre les migrations et les activités menées soit par l'UCK,

26 soit par l'OTAN, soit par les deux ? Voilà ce que je comprends dans ce

27 tableau. Répondez-moi par oui ou par non. Dites-moi si j'ai raison, oui ou

28 non.

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1 R. Vous parlez de coïncidences, mais ici ces coïncidences portent

2 uniquement sur le pic des activités. Il a pu y avoir des massacres ou des

3 migrations à d'autres moments, mais il est important de bien distinguer les

4 choses.

5 Q. Bien. Mais les chiffres que j'ai cités sont exacts.

6 R. Je ne les ai pas vérifiés, mais ils paraissent exacts.

7 Q. Est-ce que vous conviendrez avec moi que sur les 29 municipalités

8 énumérées, le terme "coïncidence" revient assez souvent ? Nous avons ici 29

9 municipalités, il y a plus ou moins 15 coïncidences, donc dans 15

10 municipalités sur 29. Les municipalités de Leposavic et Novo Brdo sont

11 quasiment exclusivement peuplées de Serbes, et vous nous dites que les

12 quatre Albanais qui y vivaient sont partis, il s'agit donc de municipalités

13 exclusivement peuplés de Serbes, ainsi que celle de Gora où se trouve des

14 Albanais serbophones. Ceci a une incidence encore plus importante sur la

15 valeur probante de vos conclusions, car ces municipalités devaient être

16 mises à part.

17 Vous en avez parlé avec Me Ackerman, et je souhaitais ajouter quelque

18 chose. Dans les municipalités énumérées dans l'acte d'accusation, celles

19 qui nous intéressent, il y a deux coïncidences ou plus. Pour ce qui est de

20 Pristina, il y a coïncidence pour ce qui est des quatre catégories, ce qui

21 signifie qu'il y a corrélation entre les massacres et les migrations d'une

22 part et les activités menées par l'UCK et l'OTAN d'autre part. Vous avez

23 confirmé cela dans le corps du rapport, page 4, deuxième paragraphe de la

24 version anglaise. Est-ce que vous maintenez ce que vous avez indiqué dans

25 votre rapport ?

26 R. Je maintiens ce que j'ai dit; toutefois, j'ai l'impression que

27 vous accordez trop de poids à ces coïncidences.

28 Q. Oui, c'est ainsi que j'ai compris les choses. C'est ce que vous avez

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1 dit à Me Ackerman. Il y a ces coïncidences --

2 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Ces coïncidences ne sont constatées

3 que dans une minorité des municipalités ?

4 LE TÉMOIN : [interprétation] Pas nécessairement. Comme je l'ai déjà

5 affirmé, même s'il y a coïncidence dans chacune de ces rubriques,

6 l'argument de causalité serait quand même mis à mal s'il y a eu des

7 bombardements et pas de migration, s'il y a eu des attaques menées par

8 l'UCK et pas de massacres.

9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Il y a quelque chose que je ne

10 comprends pas. J'ai compris qu'il y avait une minorité de municipalités où

11 l'on a constaté une coïncidence, où l'on pouvait dire qu'il n'y avait pas

12 corrélation entre les activités que vous avez étudiées, à savoir par

13 exemple les bombardements, les mouvements de population. Est-ce que j'ai

14 mal compris votre rapport ? Le fait que cela ne concerne qu'une minorité de

15 municipalités importe peu par rapport à votre conclusion.

16 LE TÉMOIN : [interprétation] Le fait que cela se soit produit dans une

17 minorité de municipalités conduit à cette conclusion, mais l'inverse n'est

18 pas vrai.

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Ce n'est pas ce que je suggère.

20 LE TÉMOIN : [interprétation] Bien.

21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Me Fila, peut-être certains noms de

22 municipalités n'ont pas été consignés au compte rendu. Peut-être que vous

23 pourriez nous dire quels sont ces municipalités exclusivement ou

24 principalement peuplées de Serbes. Vous avez parlé de Gora notamment.

25 M. FILA : [interprétation] Non. Gora, c'est une municipalité où vivent les

26 Gorani. Il s'agit de personnes parlant la langue serbe, mais ce sont des

27 Musulmans. Ce ne sont pas des Albanais, ce sont des Musulmans.

28 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Quelles sont les autres

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1 municipalités ?

2 M. FILA : [interprétation] Zvecan, Leposavic, Strpce, Novo Brdo. Zvecan,

3 Leposavic, Strpce, Novo Brdo, Gora et Zubin Potok également.

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Il y a six municipalités dans

5 lesquelles on a laissé entendre que la population albanaise n'était pas

6 suffisamment importante pour être prise en compte. Est-ce que cela revêt

7 une importance quelconque par rapport à votre analyse ?

8 LE TÉMOIN : [interprétation] Ce tableau peut donner lieu à des débats

9 intéressants concernant certains lieux, mais je pense que l'analyse des

10 conclusions statistiques doit reposer sur les figures 10 et 11 du rapport

11 initial, où l'on a procédé à un test statistique plus strict de ces

12 rapports. En fait, il est malheureux que l'on ait passé autant de temps là-

13 dessus, mais dans ces deux figures, on a procédé à un test statistique

14 adéquat entre des rapports entre les quatre variables sur une période de

15 deux jours, donc pour chacune de ces 29 municipalités. On a considéré que

16 cette période de deux jours revêtait une importance cruciale pour

17 l'histoire du conflit dans la région. Il faudrait procéder à un test plus

18 cohérent et plus approfondi.

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, mais au tableau numéro 1 et

20 lorsqu'on examine les municipalités qui y sont mentionnées, les résultats

21 ne sont pas concluants.

22 LE TÉMOIN : [interprétation] Mais il y en a eu d'autres. Il y a eu Kosovo

23 Polje, notamment.

24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais ici ne se trouve pas cet endroit.

25 Les personnes qui sont susceptibles d'être déplacées par les forces serbes,

26 est-ce que cela ne peut pas avoir une incidence sur l'importance globale

27 qu'il faut accorder à ces 29 municipalités, si de ces municipalités se

28 trouvent des personnes qui ne sont pas concernées par la troisième

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1 hypothèse ?

2 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, mais si l'on supposait que les massacres

3 et les migrations étaient provoqués par les autorités yougoslaves et si

4 l'on supposait que les autorités yougoslaves ne massacraient pas qui que ce

5 soit ou ne forçaient pas les populations serbes à partir, on constaterait

6 exactement les mêmes phénomènes dans les municipalités essentiellement

7 peuplées de Serbes. Mais ceci dépasse le champ de ce rapport.

8 M. FILA : [interprétation]

9 Q. Excusez-moi d'interrompre. Ce n'est pas moi qui ai choisi ce tableau;

10 c'est votre tableau. C'est vous qui l'avez préparé. Ce n'est pas moi.

11 Pouvez-vous faire ce que l'on vous demande de faire, je vous prie ? Pouvez-

12 vous d'abord répondre à la question que je souhaiterais vous poser ?

13 Le Kosovo n'est pas un territoire très étendu. Vous venez d'Amérique,

14 cela vous paraît petit. C'est petit pour moi aussi, cela doit vous paraître

15 encore plus petit à vous. Il s'agit de villages qui sont proches les uns

16 des autres. Est-ce qu'il n'est pas logique de supposer que la peur s'est

17 répandue parmi la population et que cela a provoqué des migrations ? Il y a

18 eu une spirale d'événements suite à ces rumeurs, et les gens sont partis.

19 Les Albanais ont vu que les Serbes partaient, les Serbes ont vu que les

20 Albanais partaient, et les Gorani sont partis également.

21 R. Excusez-moi, quelle est votre question ?

22 Q. Ce que je veux dire, c'est que la panique s'est répandue dans ces

23 municipalités. Est-ce que vous avez tenu compte de cela ? Ces bombardements

24 étaient continus. Il y a un document que le Procureur ne vous a pas montré.

25 J'en suis bien désolé, car on y voit les dates de départ, mais le Procureur

26 n'a pas voulu vous montrer ce document. Je dis bien qu'on constate que les

27 gens sont partis de façon continue à différents moments. Vous, vous vous

28 êtes intéressé uniquement aux Albanais. Nous, nous avons examiné les autres

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1 groupes également à cause de cette panique qui s'est répandue dans une

2 communauté telle que le Kosovo. Ces trois hypothèses ne sont pas les seules

3 causes de ces départs. Il y a la panique également, n'est-ce pas, la peur ?

4 R. Vous me demandez si nous avons tenu compte de la panique. Je répète ce

5 que j'ai dit précédemment, il ne s'agit pas d'une étude psychologique. Nous

6 ne nous sommes pas intéressés aux effets psychologiques de la guerre ou des

7 rumeurs. Nous nous sommes penchés sur les mouvements de population et le

8 rapport avec les actions menées par l'UCK et l'OTAN, et les massacres.

9 Q. Pour vérifier mes conclusions, est-ce que vous pourriez vous servir de

10 votre stylet sur ce graphique et indiquer les chiffres que je vous ai

11 mentionnés ? Ainsi, nous pourrons verser ce document au dossier.

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je ne pense pas que ce sera utile.

13 Nous avons déjà ces chiffres, Maître Fila.

14 M. FILA : [interprétation] Très bien. Ce sera tout, Monsieur le Président.

15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci beaucoup.

16 Maître Cepic, avez-vous des questions ?

17 M. CEPIC : [interprétation] Non, pas de questions.

18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

19 Maître Lukic, est-ce que vous pouvez nous donner une idée du temps dont

20 vous aurez besoin ?

21 M. LUKIC : [interprétation] J'espère que ce sera très court.

22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Nous reprendrons à 11 heures 10.

23 Monsieur Ball, nous reprendrons votre déposition à ce moment-là.

24 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

25 [Le témoin se retire]

26 --- L'audience est suspendue à 10 heures 41.

27 --- L'audience est reprise à 11 heures 19.

28 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

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1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Lukic.

2 M. LUKIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

3 Contre-interrogatoire par M. Lukic :

4 Q. [Interprétation] Bonjour, Monsieur Ball. Je m'appelle Branko Lukic, et

5 j'ai quelques questions seulement à vous poser. Dans la partie liminaire de

6 votre rapport, au paragraphe 2, vous dites, je cite : "Rien dans ce

7 document ne doit être considéré comme un avis juridique dans le cadre d'un

8 procès concret. Les informations qui figurent ici ont un but purement

9 informatif."

10 Cependant, nous estimons que dans votre rapport vous donnez votre

11 opinion, des conclusions, et même une opinion juridique, même si peut-être

12 cela n'est pas intentionnel. Vous dites, par exemple, que dans les données

13 qui ont été soumises à votre attention, il était question de massacres. Je

14 voudrais vous poser la question suivante. Dans vos conclusions, est-ce que

15 vous avez réuni sous une seule et même catégorie toutes les victimes, les

16 victimes civiles, les combattants de l'UCK qui ont été tués, les Albanais

17 qui ont été tués par les membres de l'UCK ou les personnes décédées de mort

18 naturelle ?

19 R. Dans notre analyse, nous n'avons pris en compte que les morts violentes

20 qui ont été enregistrées pendant la période à laquelle est consacrée notre

21 étude. Nous ignorons qui a tué qui, et les suppositions quant à ceux qui

22 sont responsables de la mort de ces personnes, c'est ce qui nous a amenés à

23 formuler un certain nombre d'hypothèses, des hypothèses que nous avons

24 étudiées.

25 Q. Est-il exact que toutes les informations que vous avez présentées l'ont

26 été de la manière suivante : vous avez préservé l'anonymat des personnes

27 concernées, et dans les données que vous présentez, il n'y a aucun élément

28 permettant d'identifier les victimes ou les témoins des événements

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1 concernés ?

2 R. C'est exact.

3 Q. Si bien que la Défense est dans l'impossibilité de procéder à des

4 vérifications, de vérifier ces informations, n'est-ce pas ?

5 M. STAMP : [interprétation] Ceci sort du domaine de compétence du témoin.

6 L'Accusation, pendant depuis des années, a communiqué à la Défense les

7 pièces sous-jacentes, les pièces sources.

8 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Y compris l'identité de toutes les

9 victimes ?

10 M. STAMP : [interprétation] Non.

11 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais c'est justement la question qui

12 est posée et qui est tout à fait légitime de la part du conseil de la

13 Défense.

14 M. STAMP : [interprétation] Question légitime à poser à ce témoin ? Bon.

15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Le témoin, c'est quelqu'un de tout à

16 fait raisonnable. Il m'a l'air de savoir tout à fait où sont ses limites,

17 et je suis sûr qu'il pourra tout de suite nous dire s'il ne peut pas

18 répondre à la question.

19 M. LUKIC : [interprétation]

20 Q. Pouvez-vous répondre, s'il vous plaît ?

21 R. Mes limites, elles sont dues au fait que je ne sais pas exactement ce

22 que le bureau du Procureur a communiqué à la Défense. Si le bureau du

23 Procureur a communiqué à la Défense les déclarations primaires, les relevés

24 des entretiens menés par les groupes qui nous ont fourni à nous ces

25 données, à ce moment-là vous devriez avoir tous les noms des victimes à

26 moins qu'ils n'aient été expurgés.

27 M. STAMP : [interprétation] Excusez-moi. Dans les pièces communiquées à la

28 Défense figuraient les noms des victimes.

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1 LE TÉMOIN : [interprétation] La réponse est affirmative, vous disposez des

2 noms de toutes les victimes.

3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

4 M. LUKIC : [interprétation]

5 Q. Monsieur Ball, si l'on parle des pièces qui étayent votre rapport, on

6 nous a fourni simplement un seul document, P3193, c'est-à-dire un rapport

7 que vous avez obtenu au poste-frontière de Morina. Nous n'avons rien reçu

8 d'autre.

9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous vous trompez, il me semble,

10 Maître Lukic. Vous faites ici la différence entre les pièces qui ont été

11 versées au dossier et tout ce qui vous a été communiqué par ailleurs.

12 L'Accusation affirme qu'elle vous a communiqué tous ces éléments, mais des

13 éléments qui n'ont pas encore été versés au dossier officiellement. Est-ce

14 que vous, vous le contester ?

15 M. LUKIC : [interprétation] Pendant le contre-interrogatoire de M. Abrahams

16 et de Mme Mitchell, nous avons parlé de cela. A ma connaissance, nous

17 n'avons pas reçu toutes ces déclarations. Cependant, je ne veux pas

18 m'appesantir sur cette question avec ce témoin.

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] C'est quelque chose que vous pouvez

20 évoquer soit avec le bureau du Procureur, soit devant nous si nous

21 comprenons mal la situation.

22 Je voudrais poser une question malgré tout au témoin.

23 Me Lukic a évoqué une question qui pourrait se révéler significative. On

24 dit que parfois l'UCK tuait des Albanais qui collaboraient ou qui étaient

25 considérés comme occupant des positions officielles. Dans votre hypothèse

26 relative aux activités de l'UCK, vous vous limitez à ceci : l'UCK a ordonné

27 aux gens de partir ou les gens sont partis à cause des combats entre l'UCK

28 et les forces yougoslaves, ceci semble exclure les cas de meurtres.

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1 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, mais si l'UCK avait mené à bien des

2 exécutions de ce type, elles auraient été incluses dans cette hypothèse de

3 toute manière. Tout meurtre, apparemment de l'UCK directement ou

4 indirectement, est traité dans le cadre de cette hypothèse. Permettez-moi

5 d'ajouter la chose suivante.

6 Me Lukic, cela a peut-être entraîné une certaine confusion, nous dit

7 qu'il n'a qu'un seul rapport de 690 pages. Ceci a trait à tous les

8 documents qui ont été récupérés à la frontière avec l'Albanie et qui ont

9 été transmis au procès à la Chambre de première instance dans Milosevic.

10 C'est différent des documents fournis par "Human Rights Watch" et par

11 l'OSCE qu'évoquaient M. Stamp, lui.

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, c'est la pièce P1393. C'est un

13 des documents qui a été récupéré au poste-frontière.

14 M. LUKIC : [interprétation] Merci.

15 Q. Aujourd'hui même, à la page 37, ligne 12 du compte rendu d'audience en

16 réponse à une question qui vous a été posée vous avez déclaré que peu vous

17 importait ce que disaient les déclarations des gens. On était en train de

18 parler de ce que racontait les Albanais qui traversaient la frontière. Est-

19 ce que justement ce n'est pas là la source d'information que vous avez

20 utilisée, à savoir les récits, les propos tenus par les personnes qui

21 traversaient la frontière et qui expliquaient à quel moment elles avaient

22 quitté leurs foyers et le moment où elles traversaient la frontière ?

23 R. Oui. Cela m'intéresse quand les gens m'expliquent à quel moment ils

24 quittent leurs maisons et à quel moment ils ont traversé la frontière. Cela

25 m'intéresse. En revanche, ce qui ne m'intéresse pas - et nous n'avons pas

26 posé de questions à ce sujet - c'est de savoir pourquoi les gens ont quitté

27 leurs maisons, de quoi ils avaient peur ou tout le contexte psychologique

28 qui pouvait se dégager de ce genre d'entretien.

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1 Q. Merci. On va bientôt arriver justement à cette question précise. Etant

2 donné que les étrangers qui étaient présents ne parlaient pas l'albanais,

3 savez-vous que les Albanais qui interprétaient pour eux c'étaient des

4 Albanais premièrement et c'étaient des gens qui travaillaient pour le

5 Conseil chargé de protection des droits de l'homme et des libertés ?

6 R. Ce Conseil chargé de la protection des droits humains et des libertés a

7 assuré l'interprétation pour deux de nos programmes, pas les quatre, pas

8 pour ce qui est des éléments que nous avons utilisés dans notre rapport de

9 janvier 2007. Il est en rapport avec peut-être deux de nos sources

10 utilisées pour l'analyse des massacres.

11 Q. Très bien. Merci.

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] De quelles sources s'agit-il ? De

13 quelles données s'agit-il ?

14 LE TÉMOIN : [interprétation] Les données de l'ABA/CEELI, le barreau

15 américain. Ils ont peut-être assuré la traduction dans le cadre du projet

16 organisé par l'OSCE. Cela, l'OSCE pourra vous le confirmer.

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

18 M. LUKIC : [interprétation]

19 Q. Savez-vous qu'il y avait des membres de ce conseil qui était aussi

20 membres de l'UCK, et souvent à des postes de très hauts niveaux au sein de

21 cette organisation de l'UCK ?

22 R. Cela, je ne le sais absolument pas.

23 Q. A plusieurs reprises aujourd'hui, vous nous avez expliqué que la

24 psychologie cela ne vous intéressait pas, que vous ce qui vous intéressait

25 c'était les statistiques; justement, je voudrais vous interroger au sujet

26 du volet psychologique de vos conclusions. Vous avez choisi des périodes ou

27 des intervalles de deux jours, deux jours avant les pics de massacres ou de

28 départs des populations. Vous êtes parti du principe que pendant deux jours

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1 après les bombardements de l'OTAN que les gens auraient été saisis par la

2 peur.

3 Pouvez-vous m'expliquer, à moi ainsi qu'aux Juges de la Chambre, ce qui

4 vous a permis d'arriver à cette conclusion. Pourquoi n'avoir pris en compte

5 que cette période de deux jours ?

6 R. En premier lieu, nous avons utilisé tout au long de notre analyse des

7 intervalles de deux jours, parce que le volume de données dont nous

8 disposions ne permettait pas de mener une analyse au jour le jour ou jour

9 par jour. Nous avons chaque fois groupé les données pour des périodes de

10 deux jours afin de mener une analyse digne de ce nom, une analyse

11 pertinente.

12 En deuxième lieu, je crois que c'est ce que vous évoquez dans votre

13 question, dans l'analyse des creux et dans l'analyse des pics, dont nous

14 avons déjà longuement parlé ce matin et qui apparaît de manière très claire

15 dans le tableau qui a été mentionné au sujet des coïncidences ou du

16 caractère non concluant de certains phénomènes pour dire qu'il y avait

17 coïncidence entre les activités de l'UCK et les bombardements pour le

18 déterminer et un pic de migration ou de massacres, nous avons utilisé des

19 périodes de quatre jours avant pour voir s'il y avait coïncidence entre ces

20 événements et les pics. Donc pas une période de deux jours, mais une

21 période de quatre jours. Pourquoi quatre jours ? Parce qu'il nous a semblé

22 que c'était une période de temps raisonnable pour permettre aux gens de

23 réagir à un événement donné. Si l'événement durait plus longtemps, à ce

24 moment-là, nous estimions que ce n'était pas concluant. Dans notre rapport

25 du 28 janvier 2007, nous faisons une analyse approfondie de ces données qui

26 sont non concluantes, de ces phénomènes non concluants. Cela signifie que

27 dans une municipalité donnée, la frappe aérienne ou les activités de l'UCK

28 ont eu lieu pendant une période précédant de plus de quatre jours des pics

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1 des migrations, ou des meurtres, ou des massacres.

2 Si vous souhaitez que la période considérée soit plus longue, vous

3 pouvez tout à fait le faire à partir des 29 graphiques qui figurent dans

4 notre rapport.

5 Q. Peut-on en conclure que vous n'avez trouvé ni dans la littérature

6 spécialisée ni dans les données dont vous disposiez de fondements à de tels

7 calculs ?

8 R. C'est exact.

9 Q. Le 20 et le 21 mars 1999, il y avait des convois de réfugiés, un témoin

10 albanais nous en a parlé ici même, cela se déroulait avant les

11 bombardements. Comment cela est-il compatible avec votre analyse ? Comment

12 cela s'inscrit dans votre analyse avant les combats et pendant le séjour

13 des vérificateurs au Kosovo ? Est-ce que vous pouvez faire cadrer cela avec

14 votre analyse ?

15 R. Notre analyse commence plus tard, parce que cela c'était avant que les

16 gardes frontières albanais n'aient commencé à prendre note systématiquement

17 ou compter systématiquement le nombre de personnes qui traversaient la

18 frontière. Le HCR des Nations Unies et l'OSCE ne le faisaient pas non plus.

19 Cependant, ce dont il faut bien se souvenir, c'est qu'il est très peu

20 probable -- nous avons rejeté l'hypothèse d'ailleurs selon laquelle les

21 bombardements avaient entraîné les flux de réfugiés. Le fait qu'il y a eu

22 un grand afflux de réfugiés avant les bombardements va dans le sens de

23 notre affirmation. S'il y a eu des convois de réfugiés avant les

24 bombardements, il est clair que ce ne sont pas les bombardements qui ont

25 causé ces convois, ces flux de réfugiés. C'est un phénomène que l'on

26 rencontre dans toute la région.

27 Q. Est-ce qu'on peut en déduire que ceci n'est pas conforme à votre

28 conclusion, à savoir que les gens partaient uniquement parce que la région

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1 d'où ils provenaient faisait l'objet d'une attaque. Est-ce que cela ne va

2 pas dans le sens de ce qu'a dit mon collègue, Me Fila, à savoir que la

3 crainte, la peur ne peut pas être limitée de manière aussi restrictive ? La

4 peur peut tout à fait régner alors qu'il n'y a pas eu d'attaque. Il faut

5 adopter une perspective beaucoup plus large que celle que vous avez adoptée

6 en préparant vos tableaux.

7 R. La déclaration que vous venez de faire est assez complexe. Je vais

8 essayer de voir si j'arrive à bien en comprendre tous les éléments. Vous

9 dites que les convois qui dataient d'avant les bombardements étaient dus à

10 la peur. J'ignore pourquoi les gens étaient partis de chez eux. Je n'ai pas

11 réalisé une analyse psychologique des événements, mais ce qui est

12 manifeste, je crois qu'on peut être d'accord là-dessus, c'est que ces gens-

13 là ne sont pas partis de chez eux parce que la région d'où ils venaient a

14 été bombardée. Cela c'est ce que nous disons dans notre analyse. Les

15 bombardements n'ont pas commencé, donc les gens ne sont pas partis à cause

16 des bombardements. Si on veut se lancer dans des conjectures et des

17 hypothèses au sujet de l'état psychologique des personnes concernées, on

18 peut effectivement formuler l'hypothèse que vous évoquez, mais je ne veux

19 pas me lancer dans ce genre d'hypothèse.

20 Q. Peut-on convenir qu'à cette époque il n'y avait pas non plus d'attaques

21 menées par les forces serbes parce que les vérificateurs étaient au Kosovo,

22 ils n'ont jamais signalé d'attaques de ce type ?

23 R. J'ignore si ce que vous dites est vrai ou pas.

24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Cette question n'entre pas dans le

25 domaine de compétence du témoin.

26 M. LUKIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

27 Q. A la page 15 de la version en anglais de votre rapport, paragraphe 2,

28 vous dites que : "L'analyse statistique des corrélations ne peut permettre

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1 de dire que les forces yougoslaves étaient le facteur externe qui explique

2 la configuration des phénomènes observés." Point 5.4, forces yougoslaves,

3 premier paragraphe. Est-ce que vous maintenez cette affirmation ?

4 R. Page 15, paragraphe 2 --

5 Q. Paragraphe 5.4, le premier que l'on voit sur cette page qui s'intitule

6 "Forces yougoslaves".

7 R. Oui, c'est exact. Tout au long de notre rapport, nous disons très

8 clairement que nous ne faisons aucune affirmation, nous ne lançons aucune

9 affirmation que ce soit dans ce rapport d'ailleurs ou les autres ou les

10 addenda.

11 Q. Vous ajoutez : "Cependant les conclusions de cette étude sont

12 compatibles avec l'hypothèse selon laquelle l'action des forces yougoslaves

13 constitue la cause des massacres et des flux de réfugiés."

14 Ma question est la suivante : si vous n'avez pas été en mesure de conclure

15 ceci à partir d'une analyse statistique des corrélations des phénomènes,

16 qu'est-ce qui vous permet d'affirmer ce que je viens de lire ?

17 R. Si vous lisez ce qui figure au paragraphe suivant, vous voyez qu'on y

18 dit qu'on a observé une relation ou un rapport circonstanciel entre le

19 cessez-le-feu du 6 et du 7 avril et la baisse des migrations et des

20 massacres. C'est ceci qui nous amène à dire que les éléments dont nous

21 disposons sont compatibles avec l'hypothèse selon laquelle les actions des

22 forces yougoslaves sont la cause des meurtres et des flux de réfugiés. Ce

23 n'est pas une preuve, mais c'est un rapport qui est quand même assez

24 intéressant.

25 Q. A la dernière phrase, vous dites : "De plus, on peut voir que les

26 déplacements ou les mouvements des troupes yougoslaves ont suivi la même

27 évolution que la configuration des phénomènes des massacres et de flux de

28 réfugiés; cependant une telle analyse n'entre pas dans le cadre du présent

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1 rapport et de la présente étude."

2 Donc vous n'avez pas étudié de manière approfondie ceci, n'est-ce pas,

3 puisqu'elle n'entrait pas dans le cadre de ce qu'on vous avait demandé de

4 faire ?

5 R. C'est exact.

6 Q. Paragraphe 5 en anglais, page 45, point 3.3, addition de l'ensemble des

7 tableaux pour tenir compte de volume limité de données.

8 Vous ajoutez : "L'objectif principal de cette analyse c'est d'estimer

9 le nombre de massacres pour chacun des points représentés pendant les

10 périodes de deux jours et dans quatre régions géographiques."

11 Qui vous a fixé cet objectif, vous-même ou le bureau du Procureur ?

12 R. C'est mes collègues et moi-même, les personnes qui ont rédigé ce

13 rapport.

14 Q. Paragraphe 47, figure 7, deuxième paragraphe. La figure 7 pour laquelle

15 la légende commence par les mots suivants :

16 "Recensement des cellules zéros pour les tableaux à quatre axes."

17 Vous dites, je cite : "La compilation des périodes de 24 heures pour les

18 régions étudiées présentée sous forme de tableaux. Sur le total, 48 ou 50 %

19 contiennent plus que dix cellules zéro. Pour 16 périodes de six jours dans

20 les quatre régions, on obtient 64 tableaux de classification croisée. Sur

21 celles-ci, 26 ou 41 % contiennent plus de dix cellules zéro. L'analyse

22 ultérieure se poursuit selon les objectifs prévus."

23 Nous vous avons entendu parler du choix des périodes de deux jours. Est-ce

24 que ceci allait dans le sens de l'analyse souhaitée ?

25 R. Quand nous procédons à une analyse pour une région entière, nous le

26 faisons par périodes de deux jours. L'analyse du phénomène de migration

27 dont nous parlons ici parce que l'annexe que vous avez utilisée était

28 centrée sur l'analyse du phénomène des massacres. L'analyse du phénomène de

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1 migration qui a été la première à être mise de côté a été réalisée

2 uniquement sur base de l'étude de périodes de deux jours par municipalité,

3 avec ensuite agrégation pour aboutir au niveau des régions. La présente

4 analyse du phénomène des massacres s'est faite d'une façon un peu plus

5 complexe, parce que les données étant moins nombreuses, pour aboutir à un

6 résultat valable pour l'ensemble de la région sur base de périodes de deux

7 jours, si vous regardez le paragraphe suivant vous verrez que nous avons

8 constaté qu'au lieu de procéder par classification croisée de quatre

9 facteurs, nous allions être contraints de procéder par classification

10 croisée de trois facteurs, c'est sur cette base que nous avons établi les

11 combinaisons.

12 Lorsqu'on est en présence de quatre systèmes, on peut créer quatre

13 combinaisons possibles de ces trois systèmes. On a quatre séries de

14 données, puis sept, mais à ce moment-là nous en avions quatre. Nous avons

15 pu les créer en disant, nous allons prendre A, B, C ou A, B et D, dans

16 toutes les combinaisons possibles à partir des quatre séries de données

17 initiales. Cela se fait selon une des modalités qui sont expliquées dans le

18 corps du texte. Nous avons pu aboutir ainsi à des estimations plus fines

19 que celles que nous aurions pu obtenir en utilisant le système de

20 classification à quatre facteurs. C'est une des explications des raisons

21 pour lesquelles nous avons utilisé la méthode à trois facteurs.

22 Q. Par conséquent, votre explication, c'est que ceci n'a pas nui à

23 l'analyse voulue ?

24 R. Non, en effet.

25 Q. Page 57, paragraphe 4. Vous dites ce qui suit, je cite : "Les modèles

26 de régression utilisant les migrations en tant que variables indépendantes

27 produisent toutefois une interprétation différente. Dans le cas présent,

28 ceci apparaît être une association entre l'action de l'UCK et le phénomène

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1 de migration en tant que tel, plus précisément entre les combats menés par

2 l'UCK dans la période antérieure et les migrations de la période

3 ultérieure. Ce lien apparaît comme significatif. Le carré R dans les deux

4 modèles est élevé et confirme cette association."

5 Pourriez-vous nous dire dans ces conditions comment l'action de l'UCK a pu

6 avoir une incidence sur la migration ?

7 R. Ce que nous constatons ici, c'est qu'il existe une association entre

8 les deux phénomènes. Mais si nous regardons de façon plus approfondie ce

9 qui figure en page 59 où on voit nos conclusions finales, nous constatons

10 que des associations statistiques existent, mais que celles-ci sont

11 insuffisantes pour modifier le déroulement, les caractéristiques sous-

12 jacentes du phénomène de migration et du phénomène de massacre. Les figures

13 20 et 21 fournissent les détails de cette explication. J'apprécie que vous

14 ayez posé la question, car il est au cœur de l'argument relatif à

15 l'existence d'une cause à effet entre les deux phénomènes.

16 L'analyse statistique conclut qu'il existe un rapport entre les actions de

17 l'UCK et les actions de l'OTAN. Toutefois, lorsqu'on contrôle, lorsqu'on

18 vérifie la nature de ce rapport, on élimine l'effet statistique du rapport

19 entre l'action de l'UCK et l'action de l'OTAN d'une part, et les meurtres

20 et migrations d'autre part; et on découvre que les phénomènes de massacre

21 et de migration sont pratiquement inchangés, et cette absence de changement

22 allait être démontrer très clairement dans les huit graphiques que l'on

23 trouve aux figures 20 et 21, pages 59 et 60 du rapport. Je pourrais

24 m'expliquer plus longuement, car cela semble assez peu clair. Je peux

25 expliciter ce point si la Chambre le souhaite.

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Si vous le jugez nécessaire, allez-y.

27 LE TÉMOIN : [interprétation] D'accord.

28 Prenons la figure 20 de la page 59. La figure 20 est intitulée :

Page 10396

1 "Estimation du nombre total d'assassinats et restes par région en fonction

2 du temps." Ce sont les courbes qui résultent de l'application des

3 coefficients statistiques découverts en figure 19 en deuxième colonne.

4 L'effet de ce graphique pour commencer -- la signification de ce graphique

5 c'est d'abord, regardez si vous voulez bien la ligne bleue foncée dans les

6 quatre graphiques qui montrent le total estimé des assassinats par région.

7 Compte tenu des quatre sources de données que nous avions au départ, et des

8 ajustements auxquels nous avons procédé, nous pensons que c'est bien ce

9 total qui est effectif.

10 En dessous, vous voyez la courbe gris foncé, gris noir, et une autre

11 courbe. Il y a une courbe gris clair et une courbe gris foncé qui suivent à

12 peu près le même trajet et démontrent l'incidence statistique de l'action

13 de l'OTAN et de l'UCK. Nous avons extrait la relation statistique entre

14 l'action de l'OTAN et de l'UCK et le nombre total de massacres, nous avons

15 réutilisé le modèle, refait la courbe totale des assassinats, c'est ce

16 qu'on appelle en termes techniques statistiques, le résiduel. Vous trouvez

17 la ligne gris clair qui vous illustre le résiduel, c'est-à-dire ce qui

18 reste une fois qu'on a supprimé de l'analyse l'effet de l'action de l'OTAN

19 et de l'UCK.

20 L'interprétation de ces graphiques et ce que je crois nécessaire d'ajouter

21 à titre d'explication, c'est qu'elle nous permet simultanément de prendre

22 en compte l'effet des opérations de l'OTAN et de l'UCK pendant la période

23 en question, et nous voyons que cela supprime l'effet de l'action de l'OTAN

24 et de l'UCK, qui finalement n'ont pas une incidence substantielle sur les

25 phénomènes que nous étudions. Cela, c'est la conclusion fondamentale.

26 Encore une fois, revenons à la figure 20, qui montre la région nord en haut

27 à gauche du graphique. Nous voyons que la ligne gris clair suit la ligne

28 gris foncé ou noire de façon assez proche. Notamment, il y a une montée au

Page 10397

1 cours de la première phase, ensuite une chute spectaculaire la nuit du 6 au

2 7 avril, c'est-à-dire du cessez-le-feu, ensuite un plateau et une remontée.

3 Vous trouverez les éléments de discussion de ce graphique dans le texte du

4 rapport. J'aurais grand plaisir à en discuter à présent si vous le

5 préférez, mais ces deux graphiques montrent - ils sont vraiment au cœur du

6 débat auquel nous participons - que nous devrions rejeter l'argument selon

7 lequel les opérations de l'OTAN ou de l'UCK sont des causes plausibles pour

8 les massacres.

9 M. LUKIC : [interprétation]

10 Q. Merci, Monsieur. Par conséquent, ce que vous dites sur le fond c'est

11 que dans votre analyse, c'est que l'UCK n'a eu aucune incidence sur le

12 phénomène de migration. Vous n'êtes peut-être pas au courant des

13 dépositions d'un certain nombre d'Albanais devant cette Chambre et

14 notamment du chef de l'UCK qui a déclaré le contraire. Il a dit que l'UCK

15 avait ordonné aux civils de partir en même temps que les troupes.

16 Est-ce que vous avez eu ces témoignages sous les yeux ? Est-ce que

17 vous avez pu constater dans quelle mesure les ordres donnés par l'UCK aux

18 civils leur intimant de partir avaient une incidence sur les résultats

19 éventuels de votre travail ?

20 R. Parlons de la figure 21. Je voudrais indiquer au préalable que nous ne

21 tenons systématiquement pas compte des points de vue des représentants

22 politiques ou de la façon dont les civils et la population peuvent réagir à

23 des ordres donnés par eux. Mais ce qui m'intéresse dans tout cela c'est ce

24 que les gens ont fait effectivement et pas ce qu'on leur a dit de faire.

25 Q. Je me permets de vous interrompre. Nous avons eu ici des témoins qui

26 ont obéi à de tels ordres et si on associe ce critère à tout ce que vous

27 avez dit précédemment, est-ce que cela aurait pu avoir une incidence sur

28 votre position ?

Page 10398

1 R. Je suis sûr que certaines personnes ont obéi aux ordres. La question

2 qui se pose est de savoir si des centaines et des centaines ou des milliers

3 de personnes ont obéi à ces ordres ou si la situation était différente ?

4 Voilà ma première question. C'est ce qui m'intéresse et c'est au cœur de

5 mon rapport. Il ne fait aucun doute que quelqu'un peut trouver quelque

6 chose qui dira suite à tel et tel ordre, telle et telle chose a été faite.

7 Mais nous, si nous regardons les graphiques de la figure 21, il nous

8 apparaît, semble-t-il, que le flux de réfugiés permet de ne pas tenir

9 compte de l'effet éventuel d'une opération de l'UCK ou de l'OTAN. Les gens

10 ne sont pas partis à cause de cela. C'est ce que montre la figure 20. Nous

11 en avons discuté longuement dans le corps du texte, la conclusion

12 principale est tirée à partir des pics importants que l'on voit dans telle

13 ou telle région à tel ou tel moment, et on constate une similitude des

14 courbes.

15 Pour revenir dans notre débat, au sud et à l'ouest on voit la

16 présence d'un pic important au début de la période et d'une chute dans la

17 période de la nuit du 6 au 7 avril, alors que dans le nord et l'est, le pic

18 arrive le 27 avril. Là, nous avons le résiduel qui suit très fidèlement le

19 tracé original. Il y a une exception à l'est dominée par Pristina. Nous en

20 avons déjà discuté. C'est l'endroit qui semble poser quelques problèmes au

21 sujet du rapport statistique entre ces éléments. Ce graphique et tous ces

22 graphiques suivent les trois phénomènes de migrations principaux de très

23 près.

24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que vous parlez de la période

25 intermédiaire ?

26 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. La période

27 intermédiaire qui nous intéresse particulièrement dans le nord et l'est où

28 les opérations ont été plus importantes dans cette période, figures 20 et

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1 21.

2 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] C'est cela que vous décrivez sous le

3 terme de 27 avril ?

4 LE TÉMOIN : [interprétation] Du 6 au 24.

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais au compte rendu d'audience cela

6 n'est pas apparu.

7 LE TÉMOIN : [interprétation] Tous les graphiques ont un tracé noir et un

8 tracé plus clair, dans ces tracés, trois phases différentes sont

9 distinguées.

10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je comprends. J'essaie simplement

11 d'obtenir des éclaircissements au sujet de votre réponse et de sa

12 transcription au compte rendu d'audience.

13 M. LUKIC : [interprétation]

14 Q. En tant que conseils de la Défense, nous aimons parler, mais je pense

15 que vous nous battez largement. Tout ce que je souhaitais entendre de vous

16 était la chose suivante : les données que vous avez reçues provenaient des

17 personnes que vous avez interrogées avec lesquelles vous avez discuté. Est-

18 ce que vous aviez des données qui découlaient de ces entretiens dans le

19 domaine dont nous parlons maintenant ? Est-ce que ceci aurait pu avoir une

20 incidence sur votre rapport ?

21 R. Certaines données venaient d'entretiens personnels, mais pas toutes.

22 Certaines données viennent des registres d'exhumation, d'autres des

23 registres administratifs. Tout ne se limite pas aux entretiens personnels,

24 c'est un point important. Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris ce que

25 vous vouliez savoir. J'ai déjà répondu à votre question, je ne m'intéresse

26 pas aux sentiments exprimés sur un plan personnel par les gens quant à ce

27 qu'ils ont fait, et je ne m'intéresse pas non plus à l'influence exercée

28 par tel ou tel homme politique.

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1 Q. Nous parlons des raisons qui ont poussé la population à fuir. Je

2 suppose que vous n'avez pas pu établir cela sur la base des registres

3 d'exhumation. Vous êtes allé à la frontière, est-ce que vous avez d'autres

4 données que les entretiens à ce moment-là pour établir votre rapport ?

5 R. A la frontière, nous avons interrogé les gens qui arrivaient à leur

6 arrivée et à leur départ, au moment où ils franchissaient la frontière.

7 Nous ne leur demandions pas quand ils la franchissaient.

8 Q. Merci. Ceci explique tout.

9 M. LUKIC : [interprétation] J'ai reçu ce document de mon confrère, Me Fila.

10 Il dit qu'il a discuté pendant la pause avec M. Stamp qui n'a fait aucune

11 objection à ce que ce document soit soumis à M. Ball. Avec l'autorisation

12 de la Chambre nous pourrions nous pencher sur ce texte pour revenir sur les

13 dates, le 6 avril, flux de réfugiés, début de la migration.

14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Il est impossible de dire quand elle a

15 commencé puisque vous n'avez pas mis le document sur le rétroprojecteur.

16 M. LUKIC : [interprétation] Ce n'est pas moi qui ai parlé à M. Stamp. Je ne

17 sais pas exactement quelle est sa position sur ce point ?

18 M. STAMP : [interprétation] On peut montrer l'intégralité du document au

19 témoin.

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur Stamp.

21 M. STAMP : [interprétation] Je pensais que le conseil de la Défense

22 expliquerait que c'est ce document qu'il veut montrer au témoin.

23 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Alors, plaçons-le sur le

24 rétroprojecteur ou faites-le vous-même.

25 M. LUKIC : [interprétation] Dans le document que j'ai entre les mains, il y

26 a des annotations de nos clients. Il faudrait peut-être que M. Stamp

27 fournisse une version vierge du document à M. l'Huissier pour qu'il le

28 remette au témoin.

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1 Bien. Nous voyons la source de ce document "HCR, Genève, 15 octobre

2 1999."

3 LE TÉMOIN : [interprétation] Exact.

4 M. LUKIC : [interprétation]

5 Q. Monsieur Ball, vous voyez que dans ce document, il n'est pas mention

6 d'une interruption du flux de réfugiés à partir du 6 avril et jusqu'au 10

7 avril, contrairement à ce que vous avez affirmé. Est-ce que vous aviez ce

8 document à votre disposition quand vous avez établi votre rapport et si

9 oui, pourriez-vous commenter ?

10 R. Nous avons déjà discuté de ce document, Maître. J'en ai discuté. J'ai

11 dit pourquoi je considérais pourquoi il n'était pas fiable. Les courbes

12 qu'il présente ont été établies à partir des sources qui sont mentionnées

13 en figure 3 de mon rapport de janvier 2007. Les sources étant les personnes

14 quittant Kosovo. J'ai déjà parlé de cela. J'ai dit que je considérais que

15 ce n'était pas fiable car il y a un effet de masse ici, avec un moyen âge

16 et le calcul de totaux et vous voyez qu'on aboutit à une ligne droite

17 plate, donc à un plateau, ce qui montre bien que les calculs ont été faits

18 par lots et que les données étaient fournies en groupe à Genève plutôt que

19 d'être recueillies individuellement. Je répète ma critique à l'égard de ce

20 document, il est peu fiable.

21 Q. Très bien. Je me souviens de votre réponse. Vous maintenez votre

22 position, vous dites que ce document n'est pas fiable et que vous ne

23 l'admettez pas ?

24 R. Je pense qu'il n'est pas fiable car il a été établi à Genève, beaucoup

25 trop loin du lieu des événements.

26 Q. D'accord. Merci, Monsieur Ball.

27 M. LUKIC : [interprétation] Je n'ai plus de questions pour aujourd'hui,

28 Monsieur le Président.

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1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Puisque ce document n'existe sous

2 aucune forme, je pense qu'il faudrait lui octroyer un numéro en IC.

3 M. LE GREFFIER : [interprétation] IC122, Monsieur le Président.

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

5 M. STAMP : [interprétation] J'indiquerais simplement à la Chambre que ce

6 document est en grande partie une reprise à l'identique de la pièce P737

7 qui est déjà au dossier.

8 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Nous l'avons sous la forme actuelle et

9 j'aimerais le revoir de toute façon. Merci.

10 M. STAMP : [interprétation] J'indiquais simplement cela pour éviter toute

11 confusion par la suite. C'est, en grande partie, une reprise à l'identique

12 de la pièce P737.

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Zecevic, est-ce vous avez des

14 questions.

15 Maître Zecevic.

16 M. ZECEVIC : [interprétation] Pas de questions, Monsieur le Président.

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Ackerman, est-ce que nous vous

18 avons épuisé ?

19 Contre-interrogatoire supplémentaire par M. Ackerman :

20 Q. [interprétation] Monsieur Ball, le Président vous a demandé d'en dire

21 un peu plus au sujet des consultations éventuelles que vous avez pu avoir

22 avec d'autres experts dans votre domaine de spécialités. Je pense que je

23 vais revenir sur ce point rapidement. J'ai mentionné un nom hier, le nom

24 d'un statisticien dont je me souviens qu'il travaille à l'Université du

25 Wisconsin. Je me souviens même de son nom, John Steele. Je voudrais vous

26 relire un passage d'un texte et vous demander ensuite votre commentaire sur

27 ce que vous avez dit vous-même lors de votre déposition dans l'affaire

28 Milosevic. Je cite :

Page 10404

1 "Il y a deux façons de traiter la fiabilité. La première c'est de réaliser

2 une analyse qui est exacte sur le plan technique. La deuxième est de voir

3 quelle peut être la fiabilité d'une relation de cause à effet qu'on déduit

4 de cette analyse, sur la base de la fiabilité de l'analyse. Le problème que

5 je vois ici, c'est qu'il n'y a que très peu de précédents, sinon aucun,

6 s'agissant de déterminer la fiabilité d'une déduction dans des cas de ce

7 genre. Cela n'a pas été fait souvent. Il est rare que l'on ait tiré des

8 déductions d'une situation dont la cause était inconnue. Toute la

9 conception manque de fondement. L'expert pourrait peut-être répondre à

10 cela. Ce qu'il a fait semble appeler à un raisonnement statistique

11 heuristique qui chercherait à comprendre quelque chose ou à générer des

12 hypothèses vérifiables à partir d'une analyse de données. De telles études

13 peuvent être très utiles, mais n'ont rien de concluantes. Elles peuvent

14 mettre en exergue tel ou tel phénomène qui peut faire l'objet d'études

15 ultérieures, mais en tant que tel ne confirment pas les hypothèses établies

16 au départ."

17 Qu'avez-vous à dire à ce sujet ?

18 R. C'est une déclaration formulée avec beaucoup de précautions. Je ne suis

19 pas d'accord avec le fait qu'il s'agirait d'une méthode "statistique

20 heuristique", car je ne suis pas non plus d'accord pour penser que de

21 telles études peuvent être utiles. Revenons point par point, car il y a des

22 termes faits sur mesure pratiquement à chaque ligne.

23 "Est-ce qu'il y a peu de précédents, sinon aucun, eu égard à la fiabilité

24 d'une déduction dans des cas comme celui-ci ou des cas similaires ?"

25 En matière de droits humains, certainement pas. Toutefois, les

26 méthodes utilisées par les démographes et les historiens pour étudier les

27 migrations, et les méthodes nécessaires d'ajustement des recensements sur

28 base d'estimation par systèmes multiples sont bien connues. Nous avons des

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1 centaines de références utilisables. Nous en avons cité plusieurs dizaines

2 dans le premier rapport. C'est facile à générer --

3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Permettez-moi de vous interrompre.

4 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Pourquoi est-ce que vous parlez du

6 secteur des droits de l'homme comme étant différent de celui qui a donné

7 lieu à votre analyse ?

8 LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, pour des raisons

9 financières. Les droits de l'homme, personne ne s'y intéresse.

10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Hm-hm.

11 LE TÉMOIN : [interprétation] Les gens s'intéressent beaucoup plus aux

12 recensements.

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je ne vous demandais pas cela. Ce que

14 je vous demandais c'est pourquoi vous parliez des droits de l'homme comme

15 étant un domaine différent de celui dans lequel vous avez travaillé.

16 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne crois pas que cela soit le cas, Monsieur

17 le Président. C'est la raison pour laquelle j'ai appliqué les mêmes

18 méthodes.

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je dois m'interroger sur votre

20 description du domaine des droits humains, mais --

21 LE TÉMOIN : [interprétation] Mais --

22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] -- aucune raison de poursuivre les

23 débats sur ce point. Veuillez continuer à exposer votre analyse.

24 LE TÉMOIN : [interprétation] J'aimerais que l'on revienne à l'écran à la

25 déclaration qui m'a été citée, qui a été très précise et formulée avec un

26 soin extrême.

27 [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]

28 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je crois que cette citation est à

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1 l'écran maintenant.

2 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui d'accord. Bien un peu plus bas, voilà,

3 merci.

4 L'affirmation faite par le Pr Steele selon laquelle nous aurions utilisé

5 les statistiques pour générer des hypothèses vérifiables, et a contrario,

6 nous avons tiré des hypothèses d'un débat politique au sujet du conflit au

7 Kosovo. Nous n'avons certainement pas utilisé les statistiques heuristiques

8 pour générer des hypothèses à partir d'une analyse de données. Nous avons

9 généré des hypothèses à partir d'un débat politique et nous nous sommes

10 efforcés de quantifier ces hypothèses selon des modalités vérifiables.

11 De même, je remarque que le Pr Steele parle de confirmation

12 d'hypothèses. Encore une fois il a raison, la confirmation des hypothèses

13 dépend de la maîtrise que l'on a de son étude. Cela n'a rien à avoir avec

14 des observations. L'étude que nous avons faite était une étude sur base

15 d'observations dans laquelle nous nous sommes strictement limités à

16 infirmer ou confirmer des hypothèses. Ce qui est un exercice beaucoup plus

17 simple sur le plan intellectuel. Il est beaucoup plus facile de rejeter des

18 hypothèses qui sont manifestement contredites par des données existantes

19 que de confirmer des hypothèses exigeant une conception expérimentale

20 beaucoup plus élaborée. Je n'ai plus rien sur mon écran. Confirmer des

21 hypothèses exige donc un travail expérimental beaucoup plus élaboré. Cela

22 dépasse de loin les capacités d'un statisticien dans la situation de la

23 réalité politique actuelle.

24 M. ACKERMAN : [interprétation]

25 Q. D'accord. Voyons, je pense que vous avez déjà répondu à cela du moins

26 en partie aujourd'hui. Comprenez que vous n'avez pas besoin de redire des

27 choses que vous avez dites déjà, n'est-ce pas ?

28 Voici la déclaration que je vous soumets, je cite : "Le raisonnement

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1 de cause à effet présent dans le rapport de l'expert et sa déposition sont

2 peut-être marqués d'un important défaut. Il s'appuie sur des rapports dans

3 le temps et part d'une hypothèse qu'une cause peut précéder sa conséquence.

4 Il exclut de ce fait les frappes aériennes de l'OTAN comme étant une cause

5 possible du flux de réfugiés parce que les frappes ont eu lieu après le

6 début du phénomène de migration. Toutefois, il est possible que l'on

7 applique cette logique aux êtres humains puisque nous sommes parfois

8 capables d'anticiper des événements futurs. Dans cette situation, la

9 logique habituelle vis-à-vis de la relation de cause à effet ne s'applique

10 plus. Si vous voyez des nuages se rassembler sur votre tête, vous demandez

11 à vos invités de rentrer à l'intérieur de la maison. Est-ce que cela

12 signifie que c'est la pluie ou les nuages qui sont la cause du phénomène

13 météorologique ? Comment est-ce qu'on peut déterminer la cause dans une

14 telle situation ? Est-ce que quelqu'un pourrait à juste tire dire que la

15 pluie n'a pas provoqué votre entrée à l'intérieur de la maison ?"

16 R. C'est très intéressant ce que vous dites sur le plan psychologique en

17 tant que conjecture. Cela fait tout de même plusieurs centaines d'années

18 que dans le monde occidental et dans sa logique, la cause est censée

19 précéder les conséquences.

20 Q. D'accord, je sais bien que c'est ce que vous avez dit en tout cas, je

21 le crois. Je pense que ce qui est intéressant ici c'est que vos invités

22 rentrent dans la maison parce qu'ils ont vu des nuages. La cause de leur

23 rentrée dans la maison peut être la présence de nuages visant à éviter de

24 se faire mouiller par la pluie, même si la pluie ne vient que quelques

25 temps plus tard. C'est cela le problème, me semble-t-il, qu'évoque le Pr

26 Steele et que je vois dans votre analyse, où vous dites que les

27 bombardements ont précédé le phénomène de migration. Dans la situation de

28 l'époque, il était tout à fait clair à chacun en Albanie que les

Page 10408

1 bombardements de l'OTAN étaient imminents et qu'il valait mieux se mettre à

2 l'abri. C'est ce que dit le Pr Steele, qui essaie de se faire comprendre en

3 tout cas. J'ai repris son propos. Peut-être pourriez-vous avoir un

4 commentaire sur cette question ? Sinon, nous allons passer à autre chose.

5 R. Ceci semble un très bon moment pour fermer la boucle par rapport aux

6 débats sur la première figure importante de mon rapport de janvier 2002,

7 qui traite précisément du point que vous venez d'évoquer. S'il était vrai

8 que les gens devaient quitter leurs domiciles parce qu'ils pensaient qu'il

9 allait avoir un bombardement, selon votre métaphore avec la pluie et les

10 nuages, ce serait assez plausible finalement. Comment est-ce que ces

11 personnes ont été assassinées ? Comme nous le voyons, schéma après schéma,

12 graphique après graphique, à commencer avec la figure 2 de mon rapport --

13 enfin non, je ne sais pas si c'est la 2, mais en tout cas. Comme on le

14 voit, graphique après graphique, on a des gens qui ne cessent d'aller ici

15 ou là. Je dois passer tout le temps d'un rapport à l'autre. C'est un peu

16 difficile pour donner des chiffres précis. On cherche la corrélation

17 possible entre massacres et phénomènes migratoires. On voit qu'il y a

18 parfaite corrélation entre les deux.

19 Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire qu'on pourrait pique-

20 niquer à l'intérieur de la maison si on voyait beaucoup de nuages dans le

21 ciel, et que ce serait la cause d'une averse que nous anticiperions. Je ne

22 suis pas d'accord pour dire qu'on peut s'attendre à ce que tous les

23 participants au pique-nique soient massacrés parce que la pluie va tomber.

24 Or, ce que nous avons ici, Maître, c'est une corrélation parfaite entre le

25 phénomène migratoire et la courbe des massacres au niveau régional ainsi

26 qu'au niveau municipal. Alors, si vous prétendez que ce que les gens

27 prévoyaient raisonnablement, à savoir qu'il y aurait un bombardement, les a

28 fait partir, ce même rapport de cause et effet ne s'établi pas vis-à-vis

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1 des massacres.

2 Q. Je pense que nous devrions revenir sur la question de la coïncidence

3 dont vous avez parlé, mais je m'y refuse. Nous sommes trop près de la fin.

4 J'ai encore d'autres questions à vous poser qui me préoccupent gravement.

5 Je ne sais pas si cela préoccupe tout le monde, mais vous avez parlé de

6 données requises au poste-frontière de Morina. Notamment, dans la

7 déposition du procès Milosevic, page 2 157 du compte rendu d'audience, vous

8 étiez interrogé à ce sujet. Vous avez dit que : "Interroger des gens à un

9 poste-frontière uniquement suffisait parce que cela vous donnait des

10 données tout à fait fiables et que d'après vous plus de la moitié des

11 Kosovars albanais qui ont quitté le Kosovo dans cette période, l'ont fait

12 par ce poste-frontière."

13 Lorsque vous dites : "Je crois que plus de la moitié ont quitté le Kosovo

14 par ce poste-frontière," est-ce que cela signifie que vous pensez que c'est

15 le cas ou est-ce que ceci est prouvé par des preuves concrètes ?

16 R. Je suis désolé de vous voir si préoccupé, Maître Ackerman. Vous avez

17 utilisé ce terme à plusieurs reprises. Vous ne devez pas bien dormir. Peut-

18 être puis-je vous aider ?

19 Si vous vous penchez sur les annexes au document "Politique ou panique,"

20 vous y trouverez une analyse de sensibilité très détaillée dans laquelle

21 nous comparons les flux de réfugiés vers un certain nombre de pays,

22 notamment vers la Macédoine, en dehors de l'Albanie. Nous prenons également

23 en compte d'autres postes-frontières vers l'Albanie. Nous parlons d'un

24 poste-frontière vers la Macédoine ou vers la Bosnie, ou vers d'autres

25 endroits en Albanie. Macédoine, Bosnie, nous avons utilisé également ces

26 données.

27 Nous avons créé une espèce de ligue des nations de modalisation des

28 phénomènes de migration dans tous ces endroits. Notamment, au

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1 poste-frontière de Morina où nous avions des hypothèses assez fortes selon

2 lesquelles les gens avaient tendance à utiliser ce poste-frontière pour se

3 rendre vers la Macédoine ou vers la Bosnie. Nous n'avons pas parlé avec

4 toutes les personnes qui sont entrées en Albanie. Ce n'était pas

5 réalisable. Ce n'était pas notre objectif au départ. Nous avons établi une

6 analyse de sensibilité assez détaillée qui est à votre disposition, si vous

7 voulez l'examiner.

8 Q. Dans l'affaire Milosevic, vous avez poursuivi en disant ce qui

9 suit, je cite : "Tous les autres éléments de preuve disponibles provenant

10 des autres postes-frontières avec l'Albanie ainsi que des postes-frontières

11 avec la Macédoine et avec la Bosnie, et cetera," et un peu plus loin je

12 reprends la citation : "permettent de penser que la structure des

13 phénomènes de migration était similaire à celle des réfugiés entrant en

14 Albanie."

15 Alors, est-ce que tous ces termes sont des termes techniques de votre

16 domaine de spécialité ?

17 R. En effet, ils le sont.

18 Q. Les deux ?

19 R. Nous avons utilisé "permettent de penser," parce que nous ne voulions

20 pas dire "prouve" ou "confirme." Nous avons dit "permettent de penser"

21 parce que c'est le genre d'éléments de preuve qui peut nous laisser

22 quelques interrogations. Nous le présentons dans le cadre d'une enquête

23 fouillée, comme éléments susceptibles de contribuer à apporter un peu de

24 lumière supplémentaire par rapport à une conclusion générale.

25 Q. Est-ce que vous avez reçu des données provenant de ces autres postes-

26 frontières que vous citez ou est-ce que vous n'en avez reçu que de Morina ?

27 R. Non.

28 Q. Est-ce que vous savez comment les données des autres postes-frontières

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1 ont été utilisées ? Est-ce que vous avez obtenu quelque chose qui

2 démontrait comment les gens avaient quitté leurs domiciles et d'où ils

3 venaient ?

4 R. Non, nous n'avons pas ce genre d'information pour les autres postes-

5 frontières. Nous ne savons pas d'où les gens venaient. Nous avons

6 simplement une donnée, à savoir qu'un grand nombre de personnes a traversé

7 à ces postes-frontières au fil du temps. C'est le HCR qui nous a donné ces

8 informations. Ensuite, avec un groupe de collègues, nous avons travaillé

9 sur ces données. Quand je dis "groupe de collègues," j'indique que nous

10 avons mené environ 2 000 entretiens avec des réfugiés en Bosnie au Centre

11 des droits de l'homme de Berkeley. Nous avons utilisé ces entretiens menés

12 par les médecins chargés des droits de l'homme qui ont interrogé ces

13 personnes pour faire un calcul de probabilité dans les camps de réfugiés de

14 Macédoine. C'est sur cette base que nous avons mené deux études qui

15 montrent bien que le phénomène dans son déroulement était très semblable à

16 celui qui caractérisait les réfugiés d'Albanie.

17 Q. D'accord, puisque vous nous dites que le mot "permettent de penser" est

18 un terme acceptable par rapport à ces données, je vous parlerai d'un

19 pourcentage de probabilité précis qui permet de penser à un certain niveau

20 de précision. Est-ce que vous êtes sûr à 95 %, à 70 % de ce que vous

21 dites ?

22 R. Aucun niveau de probabilité n'a été associé à cela. Nous avons mené une

23 analyse de sensibilité que j'ai sous les yeux. Elle figure en annexe du

24 document "Politique ou Panique."

25 Q. Vous n'avez pas répondu à ma question.

26 R. Hm-hm.

27 Q. Est-ce que vous pourriez --

28 R. Monsieur le Président, je suis désolé. Je voudrais terminer.

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1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je voudrais entendre l'explication qui

2 suit.

3 M. ACKERMAN : [interprétation]

4 Q. Pouvez-vous en dériver une probabilité ? Est-ce qu'il y a une façon de

5 le faire ? Je sais que vous ne l'avez pas fait, mais est-ce qu'il y aurait

6 moyen de le faire ?

7 R. Il n'y a pas moyen de dériver une probabilité au sens technique du

8 terme. Toutefois, ce que nous avons fait, c'est obtenir des résultats

9 plausibles sur la base de variations importantes de nos hypothèses de

10 départ sur un certain nombre de points qui auraient risqué de constituer

11 des biais par rapport à l'étude globale. Il n'y a pas de mesure de

12 probabilité à proprement parler dans ce genre de domaine.

13 Q. D'accord, vous vouliez dire encore --

14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Et --

15 M. ACKERMAN : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président.

16 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous étiez en train de parler d'une

17 annexe au document "Politique ou Panique" --

18 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Pour faire quoi ?

20 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Excusez-moi ?

21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que vous citiez cela dans un

22 but précis ?

23 LE TÉMOIN : [interprétation] Dans le but de prouver qu'une analyse de

24 sensibilité a bel et bien été menée.

25 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que vous avez besoin d'appeler

26 notre attention sur ce point précis ?

27 LE TÉMOIN : [interprétation] Je voulais appeler l'attention des Juges sur

28 ce point. Si des questions se posent au sujet de la validité de notre

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1 analyse globale, je suis tout à fait prêt à apporter les explications

2 nécessaires.

3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Ackerman.

4 M. ACKERMAN : [interprétation]

5 Q. Vous avez poursuivi dans votre déposition Milosevic, page 2 310 du

6 compte rendu d'audience, je cite : "J'ai examiné les informations résultant

7 d'entretiens menés dans d'autres lieux et considéré que le schéma, le

8 déroulement était similaire." Est-ce que cela signifie que vous n'aviez pas

9 assez de données pour construire un modèle; vous avez envisagé qu'un modèle

10 était probable, vous avez fait des conjectures en vous faisant une idée de

11 la nature de ce modèle ?

12 R. Non, Maître Ackerman. Comme je suis sûr que vous le savez, lorsque l'on

13 parle de modèle vraisemblable, on le fait sur la base d'un échantillonnage

14 de données. Quant vous avez des données échantillonnées, vous ne savez pas

15 quel modèle va en découler. Vous ne le savez pas parce que vous ne disposez

16 que de quelques données au départ.

17 Il faut que vous utilisiez cet échantillon pour aboutir à une

18 estimation de l'aspect que pourrait prendre le modèle, et cette estimation

19 est sujette à une erreur. Il y a une marge d'erreur associée régissant

20 l'échantillonnage. J'espère que cela suffira. On ne travaille pas sur la

21 base de conjectures.

22 Q. Vous avez poursuivi en disant --

23 R. Oui.

24 Q. Toujours dans l'affaire Milosevic --

25 R. Hm-hm.

26 Q. Vous dites un peu plus loin, je cite : "Nous savons une chose," vous

27 parlez des autres postes-frontières, je cite : "Nous savons une chose au

28 sujet du dénombrement fait par les garde-frontières albanais à ces deux

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1 autres postes-frontières importants. Nous savons une chose, même si à mon

2 avis c'est un peu erroné, mais nous avons quelques renseignements au sujet

3 des réfugiés qui sont allés en Macédoine. Nous avons des renseignements au

4 sujet des réfugiés qui sont allés en Bosnie. Nous avons des renseignements

5 peut-être moins certains, mais nous en avons au sujet de ceux qui sont

6 allés au Monténégro."

7 R. C'est exact.

8 Q. Ce que vous avez fini par dire dans Milosevic, c'est que vous pensiez

9 sur la base de ces hypothèses vous pouviez aboutir à une estimation

10 raisonnable.

11 R. Non, Maître. Ce n'est pas le terme. Ce que cela signifie et que je me

12 tue à répéter à des profanes, c'est qu'il y a une différence entre la

13 qualité de notre interprétation scientifique du franchissement de la

14 frontière par ces personnes au poste de Morina et de leur franchissement de

15 la frontière à d'autres endroits pour lesquels nous n'avons que quelques

16 informations. La marge d'erreur est donc beaucoup plus importante pour ces

17 autres postes-frontières. Il y a une différence entre avoir suffisamment de

18 données et avoir quelques informations. La marge d'erreur était

19 considérable pour les autres postes-frontières. Savoir, cela n'est pas

20 présumer, Maître. Je crains de devoir le répéter. J'ai commencé à corriger

21 chacun oralement sur ce plan depuis ce matin. Cela fait sept fois que je le

22 fais. J'espère que je suis clair.

23 Q. Ce n'était pas mes mots que je citais, mais les vôtres.

24 R. Non, Maître. Vous avez introduit à plusieurs reprises le terme

25 "conjecture" ou "présomption".

26 Q. Ce sont les termes utilisés par vous. Je cite : "Avec ces autres

27 éléments d'information, je pense que nous pouvons restreindre le champ et

28 j'ai à partir de là fait une conjecture devant mener à une estimation

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1 raisonnable."

2 Voilà les mots que vous avez prononcés. Je n'ai pas inventé le mot

3 "conjecture" que vous avez utilisé dans l'affaire Milosevic.

4 R. Je le réfute, Maître Ackerman. Je ne nie pas que j'aie prononcé le mot

5 "estimation", mais trouver un mot dans une phrase, ce n'est pas la même

6 chose que vous l'imposer comme cela a été fait. En toute logique, vous

7 devez le comprendre.

8 Q. D'accord. J'en avais terminé, page 56, ligne 9. Me Lukic vous posait

9 des questions au sujet des personnes qui ont quitté leurs domiciles avant

10 les bombardements, et vous avez dit, je cite : "S'il y a eu des convois

11 avant les bombardements, les bombardements n'ont manifestement pas été la

12 cause de la formation de ces convois de réfugiés." Un peu de temps après,

13 vous avez dit : "Je n'ai pas la moindre idée des raisons qui les ont

14 poussés à partir."

15 N'est-il pas permis d'affirmer que dans votre première déclaration vous

16 dites que : "manifestement, les bombardements n'ont pas provoqué la

17 création des convois de réfugiés", et que par conséquent, les raisons du

18 départ de toutes ces personnes étaient de votre part une conjecture ?

19 R. Non, Maître, pas du tout. Je ne sais pas pourquoi ces personnes sont

20 parties, mais je crois pouvoir dire clairement pourquoi elles ne sont pas

21 parties. Je ne sais pas quel était leur motif, ce qui ne signifie pas que

22 je sais que le motif n'existait pas.

23 Q. Vous avez dit que ces personnes n'étaient certainement pas parties

24 parce que leur région était bombardée, ce qui est différent de ce que vous

25 avez dit dans votre première déclaration. Mais enfin, avançons --

26 R. Excusez-moi, Maître. J'ai l'impression qu'on coupe les cheveux en

27 quatre, là.

28 Q. Si vous en avez davantage à dire, faites-le. J'en ai terminé de mes

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1 questions. Je vous remercie.

2 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Les échanges récents portaient sur des

3 questions qui peuvent donner lieu à débat infini. Ce ne sont pas des

4 questions qui méritaient des explications complémentaires de votre part,

5 Monsieur Ball. A ce stade, j'ai deux questions à poser, une à M. Stamp. On

6 a parlé du poste-frontière de Morina, et M. Ball a témoigné dans l'affaire

7 Milosevic en présentant un certain nombre de documents susceptibles de

8 déterminer, de situer certains lieux. Est-ce que ce sont des pièces à

9 conviction dans notre affaire ? Je n'en vois pas la dénomination sur la

10 liste.

11 M. STAMP : [interprétation] Non, Monsieur le Président.

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que nous pouvons donc penser

13 que ce poste-frontière était le plus important dans l'affaire Milosevic et

14 qu'il ne l'est plus ici ?

15 M. STAMP : [interprétation] Je pensais que ce qui était clair dans

16 l'affaire Milosevic figurait sur une carte des postes-frontières dans notre

17 procès.

18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Excusez-moi.

19 M. STAMP : [interprétation] Une carte géographique a été enregistrée dans

20 l'affaire Milosevic.

21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que nous l'avons ?

22 M. STAMP : [interprétation] Je peux la produire si cela n'a pas été le cas

23 jusqu'à présent. Je pense que c'était une question réglée.

24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Si nous n'avons pas vu cette carte,

25 nous ne savons pas où se trouve cet endroit. Ne gardez pas de secrets,

26 Monsieur Stamp. Si vous pouvez fournir cette carte, il faudra le faire de

27 façon à ce que la Chambre soit satisfaite. Il n'est pas nécessaire de

28 contester ce point. Vous avez raison. Mais je continue à penser que les

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1 documents doivent être à la disposition de la Chambre pour établir la

2 situation exacte de ce poste-frontière.

3 M. STAMP : [interprétation] Très bien.

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Autre question. Elle s'adresse à vous,

5 Monsieur Ball. Cela sera sans doute le signe d'une mauvaise compréhension

6 de ma part, mais M. Milosevic a essayé de vous interroger au sujet de

7 l'idée que l'OTAN et l'UCK avaient travaillé ensemble. Il a essayé de vous

8 soumettre une hypothèse nouvelle différente des trois sur lesquelles vous

9 travailliez. Alors, d'abord, est-ce que cette hypothèse est bien différente

10 de celles sur lesquelles vous avez travaillé ?

11 LE TÉMOIN : [interprétation] Cela pourrait être une hypothèse distincte.

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Deuxièmement -- je pense que vous avez

13 répondu à cette question.

14 Ma deuxième question, c'est : est-ce que vous avez quelque chose dans le

15 rapport 2007 qui traite de cela ?

16 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, Monsieur le Président.

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Très bien.

18 LE TÉMOIN : [interprétation] La raison en est la même que celle que j'ai

19 expliquée à M. Milosevic, à savoir que pour obtenir un effet combiné ou

20 mesurer une interaction, et que cela soit significatif sur le plan

21 statistique, les deux composantes sous-jacentes doivent être significatives

22 également. Or, celles-ci sont des valeurs qui doivent être

23 significativement différentes de zéro, sinon il ne s'agit que d'un

24 événement aléatoire. Or ceci ne s'est pas produit dans les quatre modèles

25 calculés primitivement qui n'ont pu démontrer l'existence d'une interaction

26 entre ces deux phénomènes. Je pense que j'ai été clair en utilisant un

27 langage peut-être moins technique.

28 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous semblez ne pas avoir voulu

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1 aborder cette question au cours du procès.

2 LE TÉMOIN : [interprétation] Bien --

3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais je ne pense pas que j'ai bien

4 compris votre réponse actuelle.

5 LE TÉMOIN : [interprétation] D'accord.

6 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Pouvez-vous m'aider un peu, expliciter

7 un peu ?

8 LE TÉMOIN : [interprétation] D'accord.

9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je ne comprends pas ce que vous

10 entendez par les deux événements sous-jacents qui doivent être

11 significatifs également.

12 LE TÉMOIN : [interprétation] D'accord.

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Et qui doivent avoir des valeurs

14 significativement différentes de zéro.

15 LE TÉMOIN : [interprétation] D'accord. Lorsqu'on construit un modèle

16 statistique, la logique qui préside à la construction de ce modèle, c'est

17 que nous devons prévoir des valeurs dans le cadre d'une estimation de

18 quelque chose. Dans le cas de l'analyse dont nous parlons ce matin, à

19 savoir l'estimation du nombre total des personnes tuées et des personnes

20 réfugiées, nous estimons le total des décès et des départs et nous

21 utilisons les renseignements que nous possédons au sujet de l'action de

22 l'UCK et de l'OTAN pour essayer d'établir ces prévisions, d'accord ?

23 L'idée, c'est de déterminer quelle est la valeur d'une prévision au sujet

24 des massacres et du phénomène migratoire sur la base de ce que nous savons

25 de l'action de l'OTAN et de l'UCK.

26 La vérification centrale de la valeur raisonnable ou non de ce que

27 nous avons fait, c'est de déterminer si un des effets, dans ce cas l'action

28 de l'OTAN ou l'action de l'UCK, a eu une incidence sur la valeur calculée

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1 par nous, et quelle est l'importance quantifiable de cette incidence qui

2 doit être donc une valeur différente de zéro. Nous faisons cela pour

3 établir des modèles statistiques qui ne seront pas le fruit du hasard. Nous

4 le faisons pour exclure les valeurs qui pourraient être le fruit du hasard.

5 Si nous ne trouvons pas de valeur significativement différente de zéro pour

6 l'action de l'UCK ou de l'OTAN dans le cas qui nous intéresse, donc si ces

7 deux phénomènes ne donnent pas lieu à des valeurs significativement

8 différentes de zéro, nous rejetons l'affirmation selon laquelle ces

9 éléments pourraient avoir été aléatoires. Nous construisons un modèle

10 combiné sur la base de mesures relatives à ces deux phénomènes avec

11 combinaison des deux ensuite, de façon à obtenir un modèle d'une qualité

12 encore supérieure vis-à-vis des massacres et des phénomènes migratoires.

13 Toutefois, dans aucun des quatre modèles que nous avons étudiés, nous

14 n'avons pu trouver en même temps une valeur significativement différente de

15 zéro pour les effets de l'action de l'OTAN et de l'UCK, donc nous avons

16 estimé que c'était un travail inutile.

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] J'ai encore un peu de mal, j'en ai

18 peur.

19 Manifestement, vous nous parlez de quelque chose qui n'a rien à voir

20 avec la conclusion dont nous discutions jusqu'à présent. Vous parlez de

21 valeur significativement différente de zéro, sinon vous n'auriez pas pu

22 traiter l'hypothèse par rapport à ces deux phénomènes séparément ou est-ce

23 que je vous ai mal compris ?

24 LE TÉMOIN : [interprétation] Dans certains modèles, nous avons des valeurs

25 significativement différentes de zéro, mais dans d'autres pas. En fait,

26 rejeter l'affirmation selon laquelle l'OTAN était la cause des massacres

27 aurait été synonyme de découvrir que l'incidence de son action aurait pu

28 avoir lieu par hasard, donc qu'on aurait rejeté automatiquement l'hypothèse

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1 de l'OTAN. Toutefois, nous avons découvert que dans certains de nos

2 modèles, l'OTAN avait eu une incidence importante, et dans d'autres c'était

3 l'UCK qui avait eu un effet important. Mais ce n'était pas les mêmes

4 modèles. Il a fallu en choisir un et vérifier son interaction par rapport à

5 ces deux phénomènes, et c'est ce que nous avons fait dans les limites de la

6 réalité, oui, Monsieur le Président.

7 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que vous dites que le travail

8 ne pouvait pas se faire sur la base des éléments disponibles ou est-ce que

9 vous avez démontré quelque chose en négatif ?

10 LE TÉMOIN : [interprétation] Le travail ne pouvait pas être fait sur la

11 base des éléments disponibles. J'hésiterais de m'engager plus avant.

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] D'accord, merci.

13 Questions supplémentaires, Monsieur Stamp ?

14 M. STAMP : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous savez combien de temps cela vous

16 prendra à peu près, Monsieur Stamp ?

17 M. STAMP : [interprétation] Vingt minutes.

18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vérifions auprès des interprètes.

19 M. STAMP : [interprétation] Peut-être un peu moins. Peut-être pourrait-on

20 faire la pause maintenant ? Je ne voudrais pas retarder l'audition du

21 témoin suivant, donc il faudrait que pendant la suspension certaines

22 mesures soient prises. Je préfèrerais que nous suspendions maintenant.

23 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Poursuivez jusqu'à 13 heures, si cela

24 ne vous dérange pas.

25 M. STAMP : [interprétation] J'aimerais que les pièces 70 et 71 de l'affaire

26 Milosevic mentionnées en page 2 302 du compte rendu, là où il est question

27 du poste-frontière de Morina, soient soumises au témoin, car il y avait

28 deux postes-frontières à Morina auxquels se trouvaient des membres de son

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1 équipe qui recueillaient des informations. Je croyais la question résolue,

2 mais je pense qu'il serait bon d'y revenir.

3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je ne crois pas que cela soit

4 nécessaire. Je pense que vous pouvez produire ces pièces en tant que pièces

5 à conviction; nous interpréterons les éléments de preuve lorsque nous les

6 verrons.

7 M. STAMP : [interprétation] Très bien.

8 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je ne pense pas que cela soit

9 nécessaire de reparler de tout cela avec le témoin.

10 M. STAMP : [interprétation] Peut-être pourrais-je lui poser une question de

11 confirmation ?

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] D'accord.

13 Nouvel interrogatoire par M. Stamp :

14 Q. [interprétation] Vous vous rappelez dans l'affaire Milosevic, on vous a

15 montré une carte du sud du Kosovo. Vous avez localisé le village de Morina

16 près duquel se trouvait un poste-frontière ?

17 R. Oui.

18 Q. Est-ce que c'était le village de Morina du côté kosovar ou du côté

19 albanais ?

20 R. Du côté albanais.

21 Q. A quelle distance se trouvait la frontière de ce village ?

22 R. Quelques dizaines de mètres. C'est tout près de la frontière, il n'y a

23 que quelques buissons.

24 Q. Merci.

25 Vous avez dit au cours du contre-interrogatoire que vous aviez reçu

26 du gouvernement américain un appui pour votre travail, y compris la

27 rédaction du rapport principal, un appui du département d'Etat américain si

28 je me souviens bien, ainsi de l'agence au développement, l'AID. Est-ce que

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1 vous pourriez nous dire quelle était la nature exacte de ce soutien et quel

2 est le rôle qu'il a joué dans votre travail statistique ?

3 R. L'argent est venu de nos associés ABA et CEELI qui ont subventionné ce

4 travail, qui nous étaient commandés par l'Association américaine pour

5 l'avancement de la science. Je n'ai pas de rapport particulier avec le

6 CEELI autre que financier. Cet argent a servi à ce travail de recherche, et

7 je n'ai pas non plus de rapport particulier avec le département d'Etat.

8 J'ai simplement fait un exposé un jour devant le département d'Etat qui m'a

9 posé des questions sur le fond de la question dont nous traitions.

10 Q. Merci. Je pense vous avoir entendu expliquer ceci de façon plus

11 détaillée à un autre moment. Mais enfin, le système que vous avez utilisé

12 pour déterminer le moment de départ de ces personnes de leurs domiciles

13 dans la période de l'étude était un moment de cessez-le-feu unilatéral

14 décrété par le gouvernement yougoslave. Est-ce que ce système de mesure de

15 datage du temps a servi à la confection de votre rapport où vous faites

16 état des entretiens que vous avez eu avec des personnes au poste-

17 frontière ? Est-ce que vous avez pu déterminer la date exacte, le moment

18 exact où toutes personnes ont quitté leur domicile ?

19 R. Pour répondre brièvement, je dirais que les deux sont vrais. Les

20 modèles sont construits à partir des données. Nous avons construit le

21 modèle du temps de trajet à partir des informations qui nous étaient

22 données dans une série d'entretiens que nous avons rassemblés ou plutôt que

23 "Human Rights Watch" a rassemblés, ainsi que les médecins de l'humanitaire,

24 les médecins humanitaires.

25 Q. On vous a donné lecture d'un passage de votre article intitulé "Les

26 statistiques et Slobodan". Je paraphrase vos propos, je n'ai pas la

27 citation exacte sous les yeux, mais vous avez dit qu'il était impossible de

28 séparer les activités de l'UCK de celles menées par les forces yougoslaves.

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1 Est-ce que vous vous souvenez de cela ? Est-ce que vous préfériez que

2 je retrouve le passage en question ? Je pense que vous cherchiez par là à

3 expliquer le contexte de cette affirmation. Est-ce que vous voulez d'abord

4 examiner l'article avant de répondre ?

5 R. Je pense que c'est inutile. Compte tenu des données dont nous

6 disposions, il était impossible de séparer ces deux phénomènes. Il aurait

7 été possible de le faire si l'on disposait de nombreux éléments concernant

8 les mouvements des forces yougoslaves, mais cela aurait donné lieu à une

9 étude tout à fait différente. Cela aurait pu être fait, mais nous n'avions

10 pas ces données à notre disposition.

11 Q. Merci. On a soulevé la question de savoir s'il était juste de votre

12 part d'estimer à 10 356 personnes le nombre de tués. Je pense que vous avez

13 essayé d'expliquer qu'il s'agissait d'une estimation, ni plus ni moins,

14 qu'il y avait une marge d'erreur. Pourriez-vous examiner la page 6 de votre

15 rapport principal, s'il vous plaît ? Deuxième paragraphe.

16 R. Oui, troisième ligne en partant du bas, je pense.

17 Q. Vous parlez de l'intervalle de confiance ici.

18 R. Oui, c'est exact.

19 Q. Vous dites que cette estimation repose sur une méthode statistique

20 utilisée en démographie fréquemment, appelée l'estimation de systèmes

21 multiples.

22 R. C'est exact.

23 Q. Est-ce que vous pourriez nous expliquer en quelques mots à nous qui

24 sommes des profanes ce que vous entendez par là ? Comment fonctionnaient

25 ces estimations ? Vous disposiez de chiffres récents concernant les morts

26 et qui confirmaient les données dont vous étiez servis précédemment, n'est-

27 ce pas ?

28 R. Je pense que les nouvelles informations confirmaient la configuration

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1 des phénomènes que nous avons présentée plus tôt. Cela n'a pu ni affirmer

2 ni confirmer l'estimation précédente. Comme je l'ai déjà expliqué, il nous

3 aurait fallu bénéficier de ressources beaucoup plus importantes.

4 L'estimation de systèmes multiples, en fait, il y a plusieurs métaphores

5 que l'on peut utiliser et qui permettent de mieux comprendre de quoi nous

6 parlons. Si l'on se rapproche d'une pièce sombre et s'il y a des petites

7 balles en caoutchouc qui rebondissent, et qu'on veut avoir une idée des

8 dimensions de la pièce. On ne peut pas rentrer dans la pièce et la mesurer

9 pour une raison X ou Y, alors on rentre dans la pièce et on lance les

10 balles aussi fort que possible contre le mur. On entend ces balles qui

11 rebondissent.

12 Puis, on rassemble ces balles, on va dans une autre pièce, et de

13 nouveau on lance les balles avec la même force contre le mur. On entend le

14 son que produit ces balles qui rebondissent et qui se heurtent parfois. On

15 entend le son que produit ces balles et on en déduit que la deuxième pièce

16 est plus petite que la première, parce que les balles se heurtent plus

17 fréquemment. Cela signifie qu'il y a moins d'espace.

18 De même, lorsqu'on se sert de ce système d'estimation de systèmes

19 multiples, on étudie certains phénomènes, en l'occurrence des décès, des

20 massacres, et pour chacun de ces projets - donc nous avons un certain

21 nombre de décès survenus au Kosovo sur une certaine période et nous

22 mesurons la fréquence des phénomènes, les coïncidences. Plus la fréquence

23 est importante, plus l'espace est réduit. Il y a également l'approche

24 intuitive qui aurait pu être suivie pour traiter de cette question.

25 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je pense que nous avons

26 suffisamment bien compris les choses, Monsieur Ball. Inutile de nous

27 fournir une longue réponse. En fait, j'ai compris ce que vous vouliez dire

28 avant même que la question ne vous soit posée, je pense qu'il est inutile

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1 de nous appesantir là-dessus lors des questions supplémentaires.

2 Veuillez passer à autre chose, Monsieur Stamp.

3 M. STAMP : [interprétation]

4 Q. Merci.

5 Hormis l'estimation que vous avez faite, avez-vous connaissance des

6 estimations provenant d'autres équipes, par exemple, Médecins pour les

7 droits de l'homme ou des démographes qui ont procédé à des estimations de

8 leur côté ? Dans l'affirmative, est-ce que ces estimations correspondent

9 aux vôtres ?

10 R. Oui, pour ce qui est de Speigel et Solana. Les Médecins chargés des

11 droits de l'homme ont procédé à une étude épidémiologique tout à fait

12 différente qui a été menée pendant le conflit au cours de la première

13 quinzaine du mois d'avril. Leurs estimations correspondent aux nôtres. Les

14 estimations ne sont pas tout à fait les mêmes, les mesures non plus, mais

15 en gros cela correspond.

16 Q. Merci. On vous a posé beaucoup de questions au sujet de l'addendum

17 numéro 2. Vous nous avez expliqué ce qu'il en était. En fait, lorsque je

18 parle de l'addendum numéro 2, je veux dire le dernier addendum. Est-ce que

19 je peux essayer de résumer ce que vous avez dit ou vous pouvez me confirmer

20 si je vous ai bien compris ?

21 M. ACKERMAN : [interprétation] Excusez-moi, mais personne ne se souvient

22 que l'on ait posé des questions au sujet de l'addendum numéro 2.

23 M. STAMP : [interprétation] Je veux parler de l'addendum en date du 28

24 janvier 2007. Il s'agit du deuxième addendum préparé par le témoin.

25 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Cette question a effectivement été

26 soulevée. Poursuivez.

27 M. STAMP : [interprétation]

28 Q. Vous avez préparé cet addendum à notre demande afin d'inclure de

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1 nouvelles données dont disposait le bureau du Procureur. C'est ce que vous

2 avez dit lors de l'interrogatoire principal. Toutefois, vous avez également

3 préparé le tableau numéro 1, car lors de votre présente comparution ici, on

4 vous avait demandé de le faire.

5 R. C'est exact.

6 Q. Mais hormis cela, êtes-vous d'avis qu'en raison de ces limitations, ce

7 n'est pas un outil utile pour le type d'analyse à laquelle vous vous êtes

8 livré dans votre travail principal ?

9 R. C'est exact.

10 Q. Est-ce que je peux vous soumettre trois raisons pour cela et je vous

11 demanderais de commenter ce que je vous dis. On ne mesure ici qu'un seul

12 pic, non pas un flux étendu sur une période donnée ?

13 R. C'est exact.

14 Q. Deuxièmement, pour diverses raisons, vous avez procédé à une estimation

15 prudente, ce que vous avez expliqué dans votre rapport ?

16 R. Tout à fait.

17 Q. Vous nous dites ici que même si vous parvenez à des éléments non

18 concluants ou à des coïncidences, on ne pourra pas se servir de cela dans

19 le cadre de l'analyse qui nous intéresse et qui fait l'objet de votre

20 rapport principal ?

21 R. Il reste des questions importantes à se poser concernant les moments

22 outre que les moments où il y a eu des pics.

23 Q. Dans le corps de votre rapport, dans les annexes en particulier, vous

24 avez procédé à une ventilation des municipalités. Vous avez parlé de quatre

25 régions dans la figure 3 de votre rapport ?

26 R. Oui.

27 Q. Si l'on examine le tableau qui se trouve aux pages 59 et 60, vous

28 analysez le flux dans les régions.

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1 M. LUKIC : [interprétation] Excusez-moi, mais nous n'arrivons pas à suivre.

2 Nous ne savons pas qui a demandé quoi dans le contre-interrogatoire. Si mon

3 éminent confrère pouvait signaler les références dans le compte rendu

4 d'audience ?

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Les choses deviennent trop compliquées

6 pour moi. Nous allons devoir suspendre l'audience et reprendre cet après-

7 midi. Maintenant je ne comprends plus, alors que je pensais avoir compris,

8 il va falloir poser des questions de toute façon. Les choses vont donc

9 durer plus longtemps que prévu, j'en suis bien désolé. Monsieur Ball,

10 excusez-moi. Je pensais que nous aurions terminé plus tôt. C'est

11 impossible. Pouvez-vous quitter le prétoire ? Nous reprendrons nous travaux

12 à 14 heures.

13 LE TÉMOIN : [interprétation] Bien, Monsieur le Président.

14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Stamp, je vous rappelle que

15 de façon générale, les questions directrices lors des questions

16 supplémentaires n'aident pas les Juges de la Chambre.

17 M. STAMP : [interprétation] Je le renvoyais simplement à son témoignage que

18 j'ai résumé avant de poser ma question.

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous ne devriez pas faire cela lors

20 des questions supplémentaires. Vous devriez laisser au témoin la

21 possibilité de répondre aux questions.

22 [Le témoin se retire]

23 --- L'audience est levée pour le déjeuner à 12 heures 56.

24 --- L'audience est reprise à 13 heures 59.

25 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Stamp.

27 M. STAMP : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

28 Q. Nous allons reprendre là où nous nous étions arrêtés. Nous revenons sur

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1 certaines des questions qui vous avaient été posées au sujet des graphiques

2 figurant aux pages 59 et 60 de votre rapport, lesquels expliquaient le flux

3 de réfugiés. Vous avez procédé à une analyse dans les différentes régions

4 concernées, ou plutôt au sujet des différentes régions concernées, et vous

5 avez apporté des corrections concernant certainement informations relatives

6 au flux de réfugiés et leur corrélation ou leur rapport avec des activités

7 menées par l'OTAN et l'UCK.

8 M. STAMP : [interprétation] Je souhaiterais retrouver le passage pertinent

9 du compte rendu d'audience où l'on traite de cette question.

10 Q. Vous dites que ces graphiques nous permettent de comprendre la

11 question des flux de réfugiés. Vous avez parlé de certaines anomalies qui

12 sont évoquées dans le corps du rapport, et c'est à cela que je voudrais

13 vous renvoyer.

14 Compte tenu de ce que je viens de vous montrer, compte tenu des

15 informations figurant dans ces graphiques, est-ce que ces anomalies ont une

16 incidence sur vos conclusions ? Est-ce que vous pourriez répondre en

17 quelques mots ?

18 R. Non. Il n'y a pas eu d'incidence sur les conclusions, comme nous

19 l'avons indiqué dans le rapport initial. L'anomalie principale concerne le

20 flux de réfugiés à l'est de la région, là où il y a coïncidence du

21 phénomène résiduel. Il semblerait que les activités de l'UCK ou de l'OTAN

22 aient eu une certaine incidence à ce moment-là dans la région. C'est

23 intéressant, car c'est unique. Dans aucun autre graphique on n'a pu établir

24 un tel rapport. C'est donc intéressant à souligner. On en a parlé en détail

25 dans l'affaire Milosevic. J'en ai parlé également en annexe de ce rapport.

26 Nous n'avons pas voulu nous y appesantir, car il s'agit de points bien

27 précis, ici. Nous avons examiné le Kosovo dans son ensemble. Il y a deux

28 graphiques qui sont plus détaillés qui parlent de cela, si vous le

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1 souhaitez.

2 Q. Bien. C'est l'une des anomalies que vous avez relevée ?

3 R. Oui, et c'est la seule.

4 Q. Merci. Je souhaiterais maintenant vous montrer une carte que vous avez

5 annotée dans le procès Milosevic. Est-ce que vous pourriez nous indiquer

6 sur cette carte où se trouve la ville ou le village du Morina ?

7 M. STAMP : [interprétation] Je demande que cette carte soit placée sur le

8 rétroprojecteur.

9 Q. Pourriez-vous nous dire où se trouve cet endroit, donc à côté du poste-

10 frontière ? Est-ce que vous pouvez faire cela ?

11 [Le conseil de l'Accusation se concerte]

12 LE TÉMOIN : [interprétation] Tout à fait. Il me faudrait une loupe.

13 M. STAMP : [interprétation] Peut-être que nous devrions faire un gros plan.

14 LE TÉMOIN : [interprétation] Mais je ne vois rien, ici.

15 M. STAMP : [interprétation]

16 Q. Est-ce que l'on pourrait voir la partie inférieure de cette carte ?

17 R. Oui. Il faut vraiment agrandir l'image, puisqu'il y a des flous. Est-ce

18 que je peux me lever et examiner cette carte de plus près ? Les lettres

19 sont petites.

20 M. STAMP : [interprétation] Non, non, c'est inutile. Est-ce que l'on

21 pourrait reculer un peu ?

22 Q. Est-ce que vous pouvez tracer un cercle autour de cet endroit ?

23 R. Oui, mais je dois me rapprocher. Je m'excuse. Je n'arrive pas à lire

24 les lettres, les caractères sont trop petits. La route passe par là. C'est

25 ici.

26 Q. Côté albanais ?

27 R. Oui. On voit Prizren, la route se poursuit, et le président Milosevic a

28 parlé de cette ville, ici. Je n'arrive à prononcer le nom, du côté kosovar

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1 de la frontière, Srbica. Morina est indiqué ici. Je montre cet endroit avec

2 mon stylo. C'est un peu plus loin de la frontière. Mais les gens du cru

3 appellent ce poste-frontière le poste-frontière de Morina. Lorsqu'ils

4 parlent du poste-frontière de Morina, ils parlent de cet endroit-ci que

5 j'indique.

6 Q. Est-ce que vous pourriez tracer un cercle autour de "Morina" ?

7 R. [Le témoin s'exécute]

8 Q. Vous avez parlé d'un autre endroit appelé Morina au Kosovo ?

9 R. C'est le président Milosevic qui m'en a parlé. Il m'a parlé de cet

10 endroit. Il y a sans doute beaucoup de villes qui portent ce nom.

11 Q. Merci beaucoup.

12 M. STAMP : [interprétation] Monsieur le Président, je n'ai pas d'autres

13 questions à poser au témoin.

14 Pourrait-on donner une cote IC à ce document ?

15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Très bien.

16 M. LE GREFFIER : [interprétation] Il s'agira du document IC123.

17 Questions de la Cour :

18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] J'aurais une question à vous poser.

19 Veuillez répondre de façon aussi précise que possible. On nous a dit que le

20 rapport du 28 janvier 2007 a été préparé suite aux instructions données par

21 le bureau du Procureur. Est-ce que vous pourriez nous dire de quelles

22 instructions il s'agissait ?

23 R. Oui. Ils m'ont demandé premièrement de répondre de façon plus détaillée

24 aux questions qui avaient été posées par le juge Kwon lors du procès

25 Milosevic. Il avait demandé de ventiler par municipalité les figures 8 et 9

26 du rapport initial. Dans ces figures, on résume tout ce qui touche aux pics

27 et aux creux.

28 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Bien. Cela me suffit. Mais on a dû

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1 vous donner d'autres instructions également.

2 R. Oui. On m'a demandé également de me pencher sur l'impact éventuel des

3 nouvelles données qui n'étaient pas disponibles au moment où nous avions

4 préparé le rapport de 2002, mais qui avaient pu être obtenues par la suite.

5 Il y avait quatre ensembles de données que l'on m'a demandé d'examiner.

6 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui. Nous avons bien compris cela.

7 Voilà les deux instructions que vous avez reçues.

8 R. Oui.

9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Dans le cadre de l'interrogatoire

10 principal, il y a quelque chose que je n'ai pas bien compris au sujet de ce

11 nouveau rapport, et il y avait quelques erreurs. Je ne comprends pas bien.

12 Est-ce que vous pourriez examiner ce rapport ? Vous avez une version

13 papier, n'est-ce pas ?

14 R. Oui. Mais veuillez m'accorder quelques instants pour que je le

15 retrouve. Voilà, je l'ai retrouvé. Qu'est-ce qui vous intéresse en

16 particulier ?

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que vous pourriez regarder la

18 partie liminaire du document, premier paragraphe, deuxième ligne ? Vous

19 dites : "Nous confirmons et développons les résultats présentés en 2002."

20 R. Oui, c'est exact.

21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous poursuivez en disant : "Nous

22 présentons une analyse modifiée et plus détaillée des liens éventuels de

23 cause à effet entre des activités menées par l'OTAN et l'UCK, et le sujet

24 dont nous traitons."

25 R. Oui.

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous dites ensuite, je cite : "Nous

27 revenons sur nos estimations initiales qui étaient intentionnellement

28 prudentes." Là, il est vraisemblablement fait référence à 2002 également.

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1 Vous affirmez ensuite, troisième ligne du paragraphe suivant, qu'en

2 2002 tout comme dans le présent rapport, vous examinez trois hypothèses que

3 vous énumérez. Au paragraphe suivant, vous dites : "Si les activités de

4 l'UCK ou les frappes aériennes de l'OTAN sont survenues juste avant ou

5 pendant cette période, s'il y a eu de nombreux massacres et des migrations

6 importantes, des activités en question ont pu être la cause de ces pics et

7 de ces creux." Il est fait référence à la configuration de phénomènes

8 évoqués dans le rapport initial.

9 Ensuite, à la page suivante, premier paragraphe complet, vous parlez

10 de l'analyse qui fait l'objet de ce rapport et vous dites que vous n'avez

11 pas pu établir de lien de cause à effet manifeste. Vous dites : "Etant

12 donné le processus d'encodage des données a été utilisé pour l'analyse de

13 2007, certaines conclusions sont différentes par rapport au rapport

14 initial."

15 Au paragraphe suivant, vous dites : "La méthodologie utilisée dans ce

16 rapport est analogue à celle utilisée en 2002, mais elle est plus précise."

17 Ensuite, vous dites, comme il est indiqué plus haut : "L'analyse

18 faite en 2007 est compatible avec les conclusions auxquelles nous sommes

19 parvenus en 2002 dans le rapport initial."

20 Ensuite, vous avez le tableau numéro 1, et page suivante, troisième

21 ligne, vous faites référence au graphique et vous dites ce qu'il signifie.

22 Dans la partie suivante, vous dites : "Les analyses faites en 2002 et en

23 2007 ont été très prudentes."

24 Paragraphe suivant, troisième ligne, "Les pics que l'on constate vers

25 la fin de la période examinée ne sont pas vraiment concluants."

26 R. [aucune interprétation]

27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Ensuite, nous voyons un certain nombre

28 de graphiques. Il n'y a pas un seul pic, il y a plusieurs pics. On a laissé

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1 entendre que cette analyse qui fait l'objet du présent rapport portait sur

2 un seul pic. Cela peut induire le lecteur en erreur. Est-ce que vous

3 pourriez expliquer cela ?

4 R. Oui. Je souhaite d'abord m'excuser pour toute confusion éventuelle que

5 cela a pu susciter. En fait, dans le rapport initial, nous nous sommes

6 intéressés aux données figurant dans les figures 8 et 9, donc tous les

7 débats concernant d'autres hypothèses sont par rapport à ces conclusions

8 que nous avons faites au sujet de ces figures. On parle de cela plus en

9 détail ici. Mais comme je l'ai dit au cours des deux jours qui viennent de

10 s'écouler, nous avons préféré tirer des conclusions statistiques reposant

11 non pas uniquement sur ces pics et ces creux, mais également sur les

12 graphiques et les analyses résiduelles, les régressions, et cetera, dont

13 nous avons parlé ce matin.

14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais finalement, ce qui est le

15 plus intéressant, ce sont ces pics et ces creux, n'est-ce pas ?

16 R. Oui, mais il faut également tenir compte d'autres causes

17 possibles, il faut examiner tous ces résultats ensemble.

18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que vous conviendrez avec

19 moi qu'il est malheureux que l'on n'ait pas souligné ces limites dans votre

20 rapport ?

21 R. Je suis d'accord.

22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci beaucoup.

23 Maître Visnjic.

24 M. VISNJIC : [interprétation] Je sais que cela peut paraître quelque peu

25 inhabituel, mais avec votre autorisation, je souhaiterais poser une

26 question au témoin concernant la carte qui a fait l'objet des questions de

27 la part de M. Stamp.

28 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous pouvez interroger le témoin au

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1 sujet de cette carte. Allez-y.

2 M. VISNJIC : [interprétation] Merci.

3 Contre-interrogatoire supplémentaire par M. Visnjic :

4 Q. [interprétation] Monsieur Ball, est-ce que j'ai raison de dire que dans

5 le cadre de l'un de vos rapports précédent ou de l'une de vos déclarations

6 précédentes, même si je ne sais pas vous dire dans quel moment exactement,

7 vous avez affirmé que la route qui traverse le village de Morina où vous

8 vous trouviez et qui abouti à un poste-frontière est une route non

9 goudronnée ?

10 R. Non, c'est une route à deux voies.

11 Q. Merci.

12 R. Cette route a été prise en photo, c'est la photo qui apparaît sur la

13 couverture de l'ouvrage "Politique ou Panique".

14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Ackerman.

15 M. ACKERMAN : [interprétation] Dans le cadre du contre-interrogatoire de Me

16 Lukic, le témoin a affirmé qu'il nous serait utile de nous pencher sur la

17 page 60 du rapport où figurent les graphiques. Comme l'a indiqué M. Stamp,

18 le témoin a relevé certaines anomalies. M. Stamp a donné lecture des

19 parties pertinentes de son témoignage, et en réponse aux questions posées

20 par M. Stamp, le témoin a signalé qu'il y avait une anomalie dans le

21 graphique concernant la partie est de la région. Il a dit que c'était la

22 seule anomalie qu'il avait relevée. Je souhaite obtenir des

23 éclaircissements, car je relève plusieurs anomalies et je me demande

24 pourquoi il n'en est pas fait mention. S'il y a une anomalie concernant la

25 région est, pourquoi il n'y en a pas une concernant le nord, deux au sud,

26 trois à l'ouest, quatre peut-être au total ?

27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je ne retrouve pas cette référence.

28 M. ACKERMAN : [interprétation] Page 3 880, page 60.

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1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui.

2 M. ACKERMAN : [interprétation] Page 3 880, c'est ce qu'on voit en haut de

3 la page.

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que vous pouvez me dire où il

5 fait référence à ces anomalies ?

6 M. ACKERMAN : [interprétation] M. Stamp a donné lecture de la page 93,

7 ligne 15 du compte rendu.

8 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Ce n'est pas dans le rapport ?

9 M. ACKERMAN : [interprétation] Non, c'est dans sa déposition. Lorsque Me

10 Lukic l'a interrogé, il a fait référence à certaines anomalies, ensuite M.

11 Stamp a donné lecture du passage pertinent, page 93 de la ligne 15.

12 Ensuite, nous avons la réponse, page 94, ligne 12, et il a dit que

13 l'anomalie relevée dans le graphique concernant la partie est était la

14 seule anomalie du rapport. J'hésite à demander l'autorisation de poser des

15 questions supplémentaires à ce sujet.

16 [La Chambre de première instance se concerte]

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, vous pouvez y aller, Maître

18 Ackerman.

19 Contre-interrogatoire supplémentaire par M. Ackerman :

20 Q. [interprétation] Monsieur Ball, nous avons déjà eu à réexaminer un

21 certain nombre de graphiques, et à cause des chiffres concernant chacune

22 des régions traitées ici, l'échelle de ces graphiques diffère. Parfois, les

23 différences sont très importantes, si bien que si on essaie de comparer ces

24 graphiques et d'évaluer la hauteur respective des pics et des creux, cela

25 ne serait pas vraiment possible, n'est-ce pas ?

26 R. Non, parce que ce n'est pas l'objectif des graphiques de donner une

27 image juste. L'objectif, c'est d'analyser.

28 Q. Oui. Je me suis peut-être mal exprimé. Mais si on examine le graphique

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1 qui porte sur la région ouest, je vois que vers le 24 mars, la courbe du

2 bas, la courbe grise nous indique un creux qui ne correspond pas à celle

3 qui est plus foncée. Je vois que vers le 10 avril, il y a un creux qui ne

4 correspond pas à la ligne du haut, à la courbe du haut. Un peu plus loin,

5 c'est la même chose et cela se reproduit tout au long du graphique. Est-ce

6 que vous affirmez qu'il ne s'agit pas là d'anomalie ?

7 R. L'anomalie qui est un intérêt, c'est celle où on voit les courbes se

8 croiser dans des directions opposées, où elles s'éloignent l'une de

9 l'autre, où elles divergent. Cela, c'est intéressant, mais intéressant dans

10 la mesure où l'erreur permet de dire qu'il y a véritablement une différence

11 entre ces deux courbes. Il faut se méfier des erreurs qui, finalement, ne

12 portent pas à conséquence. La principale différence, c'est quand vous avez

13 deux lignes qui se croisent. C'est le 6 avril, du 6 au 7 ou 8 avril, là

14 vous avez un point qui correspond à la région est. C'est le seul endroit

15 dans ces quatre graphiques où nous avons différence qui est suffisamment

16 significative pour en tenir compte, suffisamment significative pour être

17 digne d'interprétation de notre part.

18 Q. C'est clair, maintenant, parce que j'avais compris que l'anomalie,

19 c'était le creux après le croisement des deux courbes. Si on garde le

20 graphique qui porte sur la région du nord, là où les courbes se croisent,

21 c'est une anomalie, mais pas importante ?

22 R. Elles se croisent, mais elles vont dans la même direction. Lorsque

23 c'est intéressant, c'est quand vous avez deux courbes qui se croisent, mais

24 qui vont dans des directions opposées.

25 M. ACKERMAN : [interprétation] Merci. C'est tout ce que je voulais demander

26 au témoin.

27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

28 [La Chambre de première instance se concerte]

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1 Questions supplémentaires de la Cour :

2 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Je reconnais, bien entendu, Monsieur,

3 l'expérience qui est la votre dans ce domaine et toutes vos connaissances

4 dans ce domaine. On vous a remis des données que vous avez utilisées de

5 manière empirique pour votre évaluation statistique. Nous avons sous les

6 yeux le résultat de vos travaux et vous avez pu nous dire tout ce qu'il y

7 avait à en penser. Mais ma question est la suivante : est-ce que vous avez

8 vérifié ces données ? Est-ce que ces données vous ont parues dignes de

9 foi ? Enfin, voilà simplement ce que je voulais vous demander.

10 R. Je pense que c'est une excellente question. Votre question est plus

11 subtile que celles qui m'ont été posées précédemment qui allaient dans le

12 même sens. J'ai déjà répondu précédemment à ces questions-là que je ne suis

13 pas allé sur le terrain pour confirmer ce qui m'avait été dit ou les

14 données qui m'avaient été données. Cependant, sur le plan statistique, nous

15 avons confirmé, vérifié ces données, procédé à des vérifications de ces

16 données qui se déroulent de la manière suivante. Comme par exemple, quand

17 nous examinons des jeux de données qui sont en rapport avec le même

18 événement, est-ce que nous constatons une répartition, une ventilation qui

19 correspond pour différents événements ?

20 Si les gens, par exemple, mentaient systématiquement dans leurs

21 relations des événements, on pourrait s'attendre à ce qu'il n'y ait pas

22 convergence entre leurs récits. Il serait très complexe d'arriver à

23 coordonner tous ces gens pour qu'ils mentent en même temps. On aurait deux

24 personnes qui raconteraient quelque chose, trois autres choses, et cetera.

25 Pour que tout le monde raconte la même chose, il faut beaucoup de

26 coordination, quand on pense à une histoire inventée de toutes pièces, on

27 se dit que les gens inventent les choses au fur et à mesure. Or, ce n'est

28 pas ce que nous avons constaté du point de vue statistique. C'est ce que

Page 10441

1 nous cherchons quand nous examinons les données. Est-ce que l'histoire est

2 montée de toutes pièces ?

3 D'autre part, s'agissant de la véracité des données, nous nous sommes

4 simplement demandé qu'arriverait-il à nos résultats si une partie des

5 données était fausse ?

6 Ce que nous avons fait systématiquement, c'est que nous avons

7 perturbé les données sous-jacentes. Sous les avons inversées. Nous en avons

8 fait des mensonges pour voir ce que cela donnait. Dans "Politique et

9 Panique" nous l'avons fait pratiquement systématiquement. Dans ce que le

10 Procureur appelle le rapport principal, nous l'avons fait également. Nous

11 avons constaté que les résultats ne changeaient que très peu. C'est ce que

12 j'essayais d'expliquer précédemment en disant que l'analyse des données

13 consiste à écouter une voix, une voix et une seule dans une pièce où il y a

14 beaucoup de monde. Quand vous arrivez à distinguer la voix, même s'il y a

15 des parasites, des bruits dans cette pièce, cela ne vous empêche pas

16 forcément une fois que vous avez commencé à entendre cette voix de

17 continuer à bien l'entendre.

18 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Merci.

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Ball, nous en sommes arrivés

20 à la fin de votre déposition. Je vous remercie d'être venu déposer ici

21 même, vous pouvez maintenant quitter le prétoire.

22 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

23 [Le témoin se retire]

24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Votre témoin suivant.

25 M. STAMP : [interprétation] C'est le Témoin K88. Il va falloir prendre des

26 dispositions particulières avant de l'entendre. C'est ma consoeur Mme

27 Daniela Kravetz qui va l'interroger.

28 Pendant que ceci est préparé, j'aimerais vous faire une demande.

Page 10442

1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] C'est impossible, parce qu'il faut que

2 nous sortions du prétoire pour que les dispositions nécessaires soient

3 prises.

4 M. STAMP : [interprétation] C'est très bref.

5 Vous m'avez demandé à moi et à M. Ivetic de préparer un document qui va

6 vous être remis d'ici la fin de la journée. Est-ce qu'on pourrait nous

7 donner jusqu'à demain ? C'est une application conjointe de notre part, même

8 si Me Ivetic n'est pas actuellement ici.

9 [La Chambre de première instance se concerte]

10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Bien, d'accord.

11 M. STAMP : [interprétation] Merci beaucoup.

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Nous allons faire une pause jusqu'à 15

13 heures afin que les dispositions nécessaires à l'audition du prochain

14 témoin soient prises.

15 --- L'audience est suspendue à 14 heures 30.

16 --- L'audience est reprise à 15 heures 01.

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Faites entrer le témoin, je vous prie.

18 M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes à huis clos.

19 [Audience à huis clos]

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9 (expurgé)

10 (expurgé)

11 (expurgé)

12 [Audience publique]

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

14 Il y a un rideau qui ne se lève pas, mais ce n'est pas grave.

15 Madame Kravetz.

16 Mme KRAVETZ : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

17 Interrogatoire principal par Mme Kravetz :

18 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur le Témoin. Je vais commencer par

19 vous remettre un document. Je vais demander d'en prendre connaissance.

20 Surtout ne dites pas à haute voix ce qui figure sur ce document et veuillez

21 ensuite nous confirmer que ce qui est écrit est bien exact ?

22 R. Oui.

23 Mme KRAVETZ : [interprétation] Il s'agit de la pièce P2691. Je souhaiterais

24 qu'elle soit versée au dossier sous pli scellé.

25 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

26 Mme KRAVETZ : [interprétation]

27 Q. Témoin K88, avez-vous fait une déclaration au bureau du Procureur le 16

28 et le 17 avril 2005, ainsi que le 21 janvier 2006 ?

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1 R. Oui.

2 Mme KRAVETZ : [interprétation] J'aimerais que l'on remette au témoin un

3 exemplaire de sa déclaration.

4 Q. Veuillez, je vous prie, examiner cette déclaration et confirmer qu'il

5 s'agit bien de celle que vous avez faite au bureau du Procureur.

6 R. Oui, il s'agit bien de cette déclaration.

7 Q. Merci. Est-ce que ce dernier temps récemment, vous avez eu la

8 possibilité de parcourir à nouveau cette déclaration ?

9 R. Oui.

10 Q. En parcourant cette déclaration, est-ce que vous avez apporté un

11 certain nombre de corrections, des corrections peu importantes, au nombre

12 de deux que vous m'avez signalées pendant la séance de récolement ?

13 R. Oui.

14 Q. Il y a une correction que vous m'avez indiquée au cours de la séance de

15 récolement. Cela porte sur la dernière phrase du paragraphe 3 qui commence

16 par la mention : "Mon titre officiel, c'était," et cetera, jusqu'à la fin

17 de la phrase. Cela, il faut le supprimer, n'est-ce pas ?

18 R. Oui, c'est exact.

19 Q. Pendant la séance de récolement --

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Un instant. C'est le paragraphe 3.

21 Mme KRAVETZ : [interprétation] Oui. C'est au paragraphe 3, à la toute

22 dernière ligne en réalité qui commence par la mention : "Mon titre

23 officiel," et cetera.

24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Bien.

25 Mme KRAVETZ : [interprétation]

26 Q. La deuxième correction que vous avez apportée au cours de la séance de

27 récolement se trouve au paragraphe 14, ligne 6, lorsque vous avez dit :

28 "Ensuite, je l'ai modifiée pour que l'on puisse à nouveau l'utiliser," au

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1 milieu du paragraphe 14, ligne 6; est-ce bien exact ?

2 R. Oui.

3 Q. Merci, Témoin K88. En dehors de ces deux corrections, après avoir relu

4 votre déclaration écrite, êtes-vous convaincu que cette déclaration, dans

5 la mesure où vous parvenez à vous en souvenir, dans la mesure de ce que

6 vous savez, est-ce que cela reflète de manière fidèle les événements qui

7 font l'objet de votre déclaration ?

8 R. Oui.

9 Mme KRAVETZ : [interprétation] J'aimerais que ladite déclaration soit

10 versée au dossier sous pli scellé. Il s'agit de la pièce P2691.

11 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

12 Mme KRAVETZ : [interprétation] Je voudrais savoir si vous souhaitez que

13 nous vous fournissions une déclaration expurgée de la déclaration. Elle n'a

14 pas encore été chargée dans le système du prétoire électronique, parce

15 qu'en procédant à ces expurgations, nous nous sommes rendu compte qu'il

16 faudrait supprimer des passages importants du texte pour ne pas révéler

17 l'identité du témoin. Si l'on procède à ces expurgations, je me demande si

18 ce qui restera présentera un quelconque intérêt pour la Chambre.

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] D'abord, c'est la pièce P2681, n'est-

20 ce pas ? Pas P2691 ?

21 Mme KRAVETZ : [interprétation] Oui.

22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Il faut d'abord que vous nous

23 présentiez la version expurgée pour que nous décidions s'il convient de la

24 publier de cette manière.

25 Mme KRAVETZ : [interprétation] Je vous signalerai le moment où cela sera

26 fait.

27 Je souhaiterais présenter au témoin l'annexe à sa déclaration en

28 B/C/S, page 11. Je voudrais surtout que cela ne soit pas diffusé à

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1 l'extérieur de ce prétoire. Page 11 de la déclaration en B/C/S. On ne

2 trouve pas l'équivalent en anglais, parce que je constate qu'on est en

3 train d'ouvrir le document en anglais et de l'afficher à l'écran.

4 Est-ce qu'on pourrait le tourner sur la droite, s'il vous plaît ?

5 Q. Monsieur le Témoin, il s'agit d'un plan que vous avez dessiné à

6 l'intention des enquêteurs du bureau du Procureur pour expliciter ce que

7 vous dites dans le corps même de la déclaration; est-ce bien exact ?

8 R. Oui.

9 Q. Au paragraphe 14 de cette déclaration, vous faites référence à un

10 camion de type FAP que vous avez vu sur la base au début du mois d'avril

11 1999 quand vous vous y êtes rendu. J'aimerais que vous nous indiquiez où se

12 trouve ce camion, où il est représenté sur le plan que vous avez dessiné.

13 Veuillez, je vous prie, tracer un cercle autour du point où il se trouvait.

14 R. [Le témoin s'exécute]

15 Q. Merci.

16 Mme KRAVETZ : [interprétation] Dans la version en anglais, ceci a été

17 indiqué de manière erronée avec la mention 1V. Cela devrait être numéro 4.

18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Moi, c'est le numéro 6, paragraphe 14

19 -- non.

20 Mme KRAVETZ : [interprétation] Oui, c'est un peu plus bas.

21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, 1V, en fait c'est 4.

22 Mme KRAVETZ : [interprétation] Oui.

23 Q. Sur ce plan, vous avez dessiné une longue flèche vers ce cercle où se

24 trouve le numéro 4. Pouvez-vous nous expliquer ce que représente cette

25 flèche que vous avez dessinée qui part à droite du chiffre 4 ?

26 R. Je n'ai pas très bien compris.

27 Q. On voit ici un trait, une ligne qui part du chiffre 4 que vous avez

28 écrit ici. Je voudrais savoir ce que cela représente, cette droite, cette

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1 ligne ?

2 R. Cette ligne, cela représente la direction vers laquelle les corps qui

3 se trouvaient à bord de ce camion ont été enterrés.

4 Mme KRAVETZ : [interprétation] J'aimerais que l'on passe à la page

5 suivante, C'est la page 12. Auparavant, il convient que nous donnions un

6 numéro de référence IC.

7 M. LE GREFFIER : [interprétation] Il s'agira de la pièce sous pli scellé

8 IC124.

9 Mme KRAVETZ : [interprétation]

10 Q. Monsieur le Témoin K88, que représente ce chiffre 1 ? Qu'indique-t-il

11 ce chiffre 1 que vous avez dessiné à gauche du plan ?

12 R. Il s'agit de la fosse numéro 1, la première ayant rapport avec le

13 camion précédemment mentionné.

14 Q. Merci. Est-ce que cette fosse se trouve à l'extérieur de la zone que

15 vous avez représentée sur le plan précédent et qui se trouve à la page

16 précédente ?

17 R. Oui. Le dessin qu'on voyait sur la page précédente, cela représentait

18 le champ de tir. Il y a un parapet ensuite d'environ 12 mètres de hauteur.

19 Q. Cette première fosse, elle se trouve à l'extérieur du champ de tir ?

20 R. Oui, à l'extérieur du polygone ou du champ de tir.

21 Q. Si vous le savez, pouvez-vous nous dire qui contrôlait cette zone où on

22 a creusé la première fosse ? Elle était sous la responsabilité de qui cette

23 zone ?

24 R. Disons que nous aussi on utilisait cette zone. Comment dire ? C'était à

25 l'époque une zone boisée. Enfin, il y avait plutôt des buissons, des

26 broussailles, mais personne ne s'en servait de cette zone, mais c'était

27 nous qui la contrôlions, parce qu'après il y a une clôture, ensuite une

28 entreprise agricole, entreprise de PKB de Belgrade; c'est à eux

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1 qu'appartiennent les terrains qui se trouvent ensuite au-delà de la

2 clôture.

3 Mme KRAVETZ : [interprétation] J'aimerais qu'on passe à la page 11 de votre

4 déclaration.

5 Q. Au paragraphe 14 de la même déclaration, vous évoquez deux autres

6 camions que vous avez indiqués en écrivant 2V et 3V en sus du numéro 4,

7 n'est-ce pas ?

8 R. Oui.

9 Q. Au paragraphe 16, vous dites que vous avez vu ces deux camions quitter

10 la base et vous dites : "J'ai ensuite entendu dire qu'il y avait également

11 des cadavres à bord de ces camions, mais je n'ai jamais revu ces camions."

12 Pouvez-vous nous dire qui vous a dit que ces camions numérotés 2 et 3

13 sur le croquis transportaient aussi des cadavres ?

14 R. Un de mes collègues puisque l'unité s'était séparée. Il se rendait

15 parfois dans cette zone et il a regardé les choses d'un peu plus près. Il

16 est sans doute arrivé à cette conclusion à partir de l'odeur qui se

17 dégageait, je ne sais pas, en tout cas il y avait des corps, des cadavres à

18 l'intérieur.

19 Q. Est-ce que cette personne vous a dit ce qu'il est advenu de ces camions

20 une fois qu'ils ont eu quitté la base ?

21 R. Non. Non, cela n'a duré qu'un instant. Il s'est sans doute arrêté à

22 côté brièvement. Je ne sais même plus qui c'était, c'était quelqu'un chargé

23 de la sécurité à l'époque.

24 Q. Merci. Au paragraphe 22, vous parlez d'un quatrième camion que vous

25 avez vu dans l'enceinte de la base quelques jours plus tard. Est-ce que sur

26 le croquis, c'est ce qu'on voit avec l'annotation 4V, 4B plutôt en bas à

27 gauche du croquis, 4V plutôt ?

28 R. Non.

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1 Q. Le quatrième camion où l'avez-vous dessiné ?

2 R. Le quatrième en bas à gauche --

3 Q. Oui, je vous demande si c'est là que vous avez indiqué avoir vu ce

4 camion, si c'est cela que vous avez dessiné en bas à gauche de votre plan ?

5 R. Oui, mais cela c'est après tous ces événements.

6 Q. Bien. Vous avez décrit les chauffeurs de ce quatrième camion, vous

7 dites que ces hommes avaient un accent monténégrin et qu'ils étaient vêtus

8 d'uniformes de camouflage bleus, que c'étaient sans doute des réservistes.

9 Au paragraphe 24, vous dites qu'après le déchargement de ce camion, ils ont

10 dû retourner au Kosovo. Comment savez-vous que ces chauffeurs ont dû

11 retourner au Kosovo ? Est-ce que c'est quelque chose qu'ils vous ont dit

12 eux-mêmes ?

13 R. Vraisemblablement qu'ils l'ont dit. Je ne me souviens pas précisément

14 de la chose maintenant. Tout ceci s'est déroulé il y a bien longtemps. Il y

15 a beaucoup de choses qui se produites entre-temps, mais je crois que ce

16 sont eux qui m'ont dit qu'ils allaient retourner là-bas.

17 Q. Vous dites qu'ils ont dû retourner au Kosovo, est-ce qu'ils vous ont

18 expliqué d'où ils venaient initialement ? D'où ils étaient partis au

19 Kosovo ?

20 R. Non, ils ne me l'ont pas dit, ils ne m'ont pas dit d'où ils venaient ni

21 où ils rentraient. Ils n'ont pas mentionné de localité particulière et

22 précise.

23 Q. Au paragraphe 24, vous dites qu'ils devaient retourner au Kosovo.

24 Qu'est-ce que vous vouliez dire par là ?

25 R. Que sans doute c'est de là qu'ils venaient, ils venaient de là en bas,

26 puisque la plupart des opérations de guerre avaient lieu au Kosovo.

27 Q. Qu'est-ce qui vous a fait penser qu'ils venaient du Kosovo ?

28 R. Sans doute leur accent, leur manière de parler. Je ne sais pas quoi

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1 vous dire maintenant.

2 Q. Merci. Au paragraphe 29 de votre déclaration, vous parlez de deux

3 autres camions, 5 et 6, vous dites que les chauffeurs étaient des hommes

4 âgés en civil et qu'il y en avait deux autres qui avaient un uniforme de la

5 police. Ces deux policiers qui sont venus avec le sixième et le cinquième

6 camion, est-ce qu'ils étaient différents de ceux que vous aviez vus dans le

7 quatrième camion, celui que vous avez indiqué sur votre croquis ?

8 R. Oui, c'étaient d'autres hommes.

9 Q. Au même paragraphe, vous dites que vous ignoriez d'où ils venaient,

10 qu'ils venaient peut-être du Kosovo, qu'ils parlaient serbe ? Qu'est-ce qui

11 vous a amené à dire que ces policiers et cet homme qui se trouvaient dans

12 les sixième et cinquième camions, qu'est-ce qui vous a amené à dire que ces

13 hommes venaient du Kosovo ?

14 R. Je ne sais pas. Pourquoi j'ai pensé cela. C'est sans doute eux qui

15 l'ont dit.

16 Q. Merci. Au paragraphe 30 de votre déclaration, vous parlez des

17 chauffeurs qui sont venus la deuxième fois, qui vous ont dit qu'alors

18 qu'ils allaient à Belgrade, ils avaient eu un accident et qu'environ 50

19 corps étaient tombés du camion. Vous parlez des chauffeurs, je cite : "De

20 la deuxième fois." Est-ce que vous parlez à ce moment-là, dans cette partie

21 de votre déclaration, des chauffeurs des camions 5 et 6 ?

22 R. Je ne sais pas exactement maintenant. Je ne sais pas de quel camion il

23 s'agissait et quel camion était lequel ? En tout cas, c'est ce qu'ils m'ont

24 dit, c'est ce qu'ils m'ont raconté. C'est ce qu'il leur est arrivé en

25 route. La porte du camion s'est ouverte et les corps ont commencé à tomber,

26 ensuite, ils ont eu des problèmes avec le camion. Le camion est tombé en

27 panne lorsqu'ils sont arrivés à la base.

28 Q. Est-ce qu'ils vous ont expliqué pourquoi ils transportaient des corps à

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1 bord de ces camions ?

2 R. Non.

3 Mme KRAVETZ : [interprétation] J'aimerais qu'on examine de nouveau le

4 croquis qui se trouve à la page 11.

5 Q. Nous avons à droite tracé les numéros 2, 3, 4 et 5. Est-ce que vous

6 avez indiqué par-là les différentes fosses ? Est-ce que vous avez indiqué

7 ainsi l'endroit où se trouvaient les différentes fosses qui ont été

8 creusées sur le champ de tir ?

9 R. Oui.

10 Mme KRAVETZ : [interprétation] Est-ce qu'on pourrait passer à huis clos

11 partiel pour quelques questions seulement ?

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce qu'il s'agit de préserver et

13 d'assurer la sécurité du témoin ?

14 Mme KRAVETZ : [interprétation] Oui.

15 Nous n'avons plus besoin de la page 11.

16 M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.

17 [Audience à huis clos partiel]

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20 --- L'audience est levée à 15 heures 38 et reprendra le jeudi 22

21 février 2007, à 9 heures 00.

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