Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le jeudi 1er mars 2007

2 [Audience publique]

3 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

4 --- L'audience est ouverte à 9 heures 01.

5 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

6 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Bonjour, Monsieur Petritsch.

7 LE TÉMOIN : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame,

8 Messieurs les Juges.

9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Me Stamp va continuer à vous poser ses

10 questions.

11 Maître Stamp, je vous donne la parole.

12 M. STAMP : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

13 LE TÉMOIN: WOLFGANG PETRITSCH [Reprise]

14 [Le témoin répond par l'interprète]

15 Interrogatoire principal par M. Stamp : [Suite]

16 Q. [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Bonjour à toutes les

17 parties présentes dans ce prétoire, bonjour Ambassadeur.

18 R. Bonjour, Monsieur.

19 Q. Monsieur, je voudrais parcourir assez rapidement les documents dont

20 nous avons parlé hier. Je voudrais demander que l'on présente le document

21 P2660. Pourriez-vous le placer sur les écrans. P2660, je répète.

22 Je pense que ce document reflète les difficultés qu'a rencontrées le groupe

23 de médiation en essayant d'en arriver à un compromis. A la fin du premier

24 paragraphe et de la dernière phrase de ce paragraphe je vais vous demander

25 de me faire part de votre commentaire.

26 "Cela devient de plus en plus clair, cependant, que la vraie raison

27 pour l'intransigeance des Kosovars est la dissolution de l'UCK telle que

28 prévu dans l'accord."

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1 Est-ce que vous pourrez nous faire part de votre commentaire

2 brièvement.

3 R. Quand les Albanais du Kosovo, l'UCK tout particulièrement, a

4 commencé à avoir son mot à dire dans les négociations qui étaient exprimées

5 par ce qu'on peut appeler les dirigeants de l'UCK,

6 M. Thaqi, notamment, a été sélectionné pour présider les négociations,

7 c'est-à-dire l'équipe des négociations de Kosovars albanais du Kosovo.

8 C'est là qu'ils ont compris qu'ils seraient obligés de signer, d'accepter

9 la dissolution de leur propre organisation. C'était clair que c'était

10 devenu un obstacle majeur. A cause de cela il était acceptable et bien que

11 le négociateur en chef, pour dire quelqu'un de l'UCK justement, parce que

12 c'était une question difficile qu'il s'agissait de résoudre, mais en même

13 temps ils avaient là une chance d'arrêter les violences en démilitarisant

14 le volet armée de cette résistance des Kosovars.

15 La deuxième question qui se pose là aussi c'est la question du

16 référendum. Ils voulaient qu'un référendum soit tenu et ils voulaient que

17 ce référendum soit mentionné de façon expresse dans l'accord. Nous avons

18 réussi à le tenir à l'écart, mais pas l'inclure.

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous avez dit qu'à un moment

20 donné du côté des Albanais du Kosovo c'était l'UCK qui a commencé à prendre

21 le dessus. Est-ce que vous voulez dire que vous essayiez d'en arriver à un

22 accord avec eux, et autrement dit les négociateurs ont essayé de négocier

23 avec quelqu'un de moins radical.

24 LE TÉMOIN : [interprétation] Dans le groupe des Albanais du Kosovo il y

25 avait des fractions très profondes. Ils étaient vraiment divisés. Vous

26 aviez d'un côté le groupe plus conservateur, le groupe de Rugova, puis de

27 l'autre côté, vous aviez les factions armées autour de l'UCK. Il était

28 clair qu'il était nécessaire que l'UCK participe aussi aux négociations

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1 pour ainsi dire, c'est-à-dire qu'ils acceptent cet accord puisque Rugova

2 n'était pas ami de l'UCK. Au contraire, il continuait à dire que l'UCK

3 c'était le passé. En tout cas, c'était une invention du côté serbe. Donc,

4 vous aviez cette fraction très profonde au sein de l'équipe des

5 négociateurs des Albanais du Kosovo et les radicaux qui étaient rassemblés

6 autour de Thaqi, et d'autres représentants de l'UCK étaient ceux qui

7 étaient les plus difficiles dans ces négociations puisqu'il fallait qu'ils

8 acceptent la dissolution de leur propre organisation.

9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je comprends cela. Est-ce qu'il y

10 avait un leader, quelqu'un qui était à la tête de l'équipe des négociateurs

11 des Albanais du Kosovo ?

12 LE TÉMOIN : [interprétation] Rambouillet c'était Hashim Thaqi. C'était lui

13 qui était élu à la tête de la délégation des Albanais du Kosovo. C'était

14 leur dirigeant à Rambouillet.

15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Quelle était sa position de l'UCK ?

16 LE TÉMOIN : [interprétation] Que je sache, c'était un des dirigeants

17 politiques de l'UCK, c'est-à-dire le dirigeant politique du volet politique

18 de l'UCK.

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

20 M. STAMP : [interprétation]

21 Q. Est-ce que vous pourriez me dire quels étaient les autres membres sur

22 la liste des négociateurs albanais ?

23 R. C'est une liste très longue. Je ne suis pas en mesure de vous les

24 énumérer tous.

25 Q. Donnez-nous quelques noms.

26 R. Vous aviez Hashim Thaqi, ensuite vous avez Rugova, Ibrahim Rugova, puis

27 il y en avait d'autres, ceux qui étaient étiquetés indépendants, Veton

28 Surroi, un éditeur, Blerim Shala aussi, un éditeur. Ensuite, vous aviez les

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1 membres indépendants du groupe qui auraient présenté tous les Kosovars là-

2 bas à Rambouillet.

3 Q. Très bien. Je vais vous demander de passer à une autre partie de ce

4 document. Toujours le même, le document 2260. Je cite : "On a abouti à un

5 accord à 4 heures 15 avec l'équipe des négociateurs du Kosovo sur tous les

6 points, l'exception faite de la clause de revue. Ensuite, à 5 heures 25,

7 Hill et Gef," donc Gef c'est vous-même, n'est-ce pas, vous avez signé le

8 document ?

9 R. Oui, oui.

10 Q. "Ont informé toute la délégation du Kosovo du contenu de cette clause.

11 Dans cette clause se trouvait la dernière proposition des Kosovars même si

12 le mot de 'référendum' n'y figurait pas. Cette phrase va comme cela …"

13 Elle est en allemand. Ce document était en allemand à l'époque ?

14 R. Non, c'était en anglais.

15 Q. Oui, mais elle n'est pas traduite.

16 M. STAMP : [interprétation] Il faudrait peut-être regarder l'original en

17 allemand.

18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] N'avez-vous pas dit que ce document

19 était à l'origine écrit en anglais ?

20 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Ceci ne figure pas dans la traduction en

21 allemand, mais vous le voyez dans l'original sur le côté gauche du

22 document.

23 M. STAMP : [interprétation]

24 Q. [aucune interprétation]

25 R. "Trois années après --"

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] On parle d'une lettre

27 d'accompagnement. C'est une lettre dont les Serbes n'auraient pas

28 connaissance ?

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1 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

2 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce normal de négocier comme cela ?

3 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

4 M. STAMP : [aucune interprétation]

5 R. Ce n'était pas fait au nom des négociateurs. C'était une initiative

6 unilatérale de la part du secrétaire d'Etat américain.

7 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] J'ai compris cela, mais quand je vous

8 ai demandé si c'était normal de procéder comme cela, j'ai pensé plus

9 largement, si vous voulez. Vous nous dites que c'est typique pour les

10 négociations de paix internationales de procéder comme cela.

11 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

12 M. STAMP : [interprétation]

13 Q. Le texte que nous voyons ici sur cette clause de confirmation dont on

14 discutait le 22 février, nous voyons que ce texte est passé avec quelques

15 modifications par rapport à la dernière version des accords de Rambouillet

16 du 23 février.

17 M. STAMP : [interprétation] Est-ce que l'on pourrait mettre cela sur

18 l'écran.

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Ceci est une expression bien

20 bizarre cette expression de clause de vérification. Qu'est-ce que cela veut

21 dire dans ce contexte ? Parce que cela veut dire le référendum; c'est cela

22 ?

23 LE TÉMOIN : [interprétation] Cela veut dire que nous pouvons

24 vérifier, revoir cet accord intérim au bout de trois ans. L'accord de

25 Rambouillet c'est un accord intérim et il s'agit de le revoir, de le

26 vérifier.

27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, mais autrement dit c'est la

28 nation qui s'engage à permettre au peuple d'exprimer sa volonté.

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1 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

2 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vous remercie.

3 LE TÉMOIN : [interprétation] Dans ce contexte, il est important de dire que

4 le mot "exprimé" ne figure pas dans la dernière version des accords. C'est

5 la seule différence à mes yeux maintenant que je regarde ces différentes

6 versions.

7 M. STAMP : [interprétation] Il y en a deux, effectivement.

8 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Dites-nous, Monsieur Stamp, puisque

9 nous n'avons pas besoin de nous arrêter à toutes les formalités ici.

10 M. STAMP : [interprétation] Je fais référence au chapitre 8 de la pièce

11 474, où on peut lire comme suit : "L'exception" -- le chapitre 4 lit comme

12 suit : "Trois années après l'entrée," et cetera, et cetera.

13 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

14 M. STAMP : [interprétation] Ensuite, la troisième ligne du document, on

15 peut lire : "Sur la base et l'expression de la volonté du peuple." Donc

16 dans les accords du 23 février, il n'y avait pas ce mot "l'expression,"

17 mais c'était écrit juste "sur la base de la volonté des gens."

18 M. LE JUGE BNOMY : [interprétation] Je ne vois pas de quelle façon ceci

19 change vraiment cette clause.

20 M. STAMP : [interprétation]

21 Q. [aucune interprétation]

22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Fila.

23 M. FILA : [interprétation] Je ne veux pas interrompre M. Stamp, mais s'il

24 s'agit d'une lettre qui n'est pas connue aux Serbes, côté serbe, et s'il

25 s'agit tout simplement d'une correspondance entre

26 Mme Albright et les Kosovars et que les Serbes n'ont jamais vu cela, je

27 voudrais savoir quelle est la pertinence de cela ? Ce qui est important

28 c'est la version qui a été montrée aux Serbes le

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1 23 février. C'est ce que nous devions accepter, alors que là l'on nous fait

2 part d'une correspondance interne de l'ambassadeur Hill qui démontre bien

3 que les Américains étaient plus forts dans la diplomatie que tous les

4 autres. Je veux bien, mais je ne vois pas la pertinence.

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je ne suis absolument pas d'accord

6 avec vous, Monsieur Fila mais je vais aussi consulter mes collègues pour

7 voir quel est leur point de vue.Je me dis que c'est rien d'autre, ceci

8 pourrait vous être très utile, même vous servir, servir à la Défense. Cela

9 étant dit, je consulte mes collègues et je vérifie quel est leur point de

10 vue là-dessus.

11 [La Chambre de première instance se concerte]

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Nous considérons tous que ceci est

13 pertinent. Vous pouvez continuer, Maître Stamp.

14 M. STAMP : [interprétation]

15 Q. Sans parler des accords de Rambouillet du 23, pouvez-vous nous dire

16 quelle est la signification de cette clause ? Qu'est-ce qu'on voulait faire

17 passer par cette clause ? Quel est son message ? Que veut dire ce terme, le

18 terme inclus "exprimé" et qui a été d'abord inclus et ensuite enlevé ?

19 R. Nous voulions baisser d'un ton, si vous voulez, cette expression de la

20 volonté du peuple, parce que la volonté du peuple, cela veut dire qu'il

21 existe un droit démocratique pour un peuple d'exprimer sa volonté. Il n'y a

22 rien de vraiment extraordinaire là-dedans. Mais vous aviez deux points ici,

23 c'est-à-dire qu'on souhaite que les Albanais du Kosovo expriment leur

24 volonté, enfin leur volonté existe. Mais nous, nous voulions l'expression

25 de la volonté du peuple, et ce peuple comprend tous les habitants, y

26 compris les Serbes. Donc, vous avez ces droits démocratiques, les droits,

27 l'expression de la volonté du peuple qui appartient à tous les habitants du

28 Kosovo et pas seulement un groupe. Derrière tout cela, vous avez le Groupe

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1 de contact, leurs directives politiques qui ont insisté là-dessus. Ils ont

2 dit que l'expression doit disparaître. Ce terme "expression" doit

3 disparaître. C'est peut-être plutôt une question politique qu'une question

4 juridique, mais dans le contexte du référendum, c'était quelque chose de

5 très important. Parce que vous savez, les référendums dans les Balkans,

6 c'est une épée à double tranchant, et souvent ils ont mené vers la guerre,

7 par exemple, en Bosnie-Herzégovine. Donc, la communauté internationale a

8 pris sa leçon, et ils se sont dit que le référendum, non, ce n'était pas

9 une option. Quand vous avez la domination d'une ethnie, quand vous n'avez

10 pas une société de droit civil, avec la situation que vous avez avec les

11 Serbes et les Albanais, le référendum n'a aucun sens. C'était un point de

12 controverse. C'est quelque chose qui est très important, puisque ce qui est

13 important aussi d'avoir à l'esprit à l'époque, c'était que là il ne

14 s'agissait pas de démocratie, mais des ethnocies [phon], comme on disait,

15 et il fallait avoir cela à l'esprit.

16 Quand les Américains ont dit qu'ils étaient tout à fait prêts à écrire

17 cette lettre, nous étions complètement opposés à cela. Les Albanais du

18 Kosovo ont appris que les Américains étaient prêts, tout à fait prêts à

19 écrire cette lettre, à signer cette lettre. Ils voulaient aussi que les

20 Européens soient d'accord. Ils ont dit : Monsieur Petritsch, nous voulons

21 une lettre venant de l'Union européenne. Nous étions contre cela. J'ai été

22 contre cela. Même en dépit de cela, je savais que la présidence européenne

23 et les Allemands allaient être d'accord. A la fin, nous en sommes arrivés à

24 la version du document qui dit "plus tard," c'est le document P2660. Je ne

25 l'ai qu'en allemand, on peut y lire : "La délégation du Kosovo a été

26 informée par Albright, parmi d'autres, que le référendum et la continuation

27 de l'existence de l'UCK étaient hors de question."

28 Donc, c'était le résultat de la discussion qui a eu lieu entre les

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1 négociateurs et les équipes de négociateurs européens et américains. Il

2 faut attirer votre attention là-dessus. Les Américains voulaient le faire,

3 mais nous étions en mesure de les convaincre qu'il ne fallait pas faire

4 cela, que ce n'était pas une bonne chose à faire.

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que cela veut dire tout

6 simplement que la façon dont on détermine la volonté du peuple n'est pas

7 définie ?

8 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Cela veut dire que les Américains

10 peuvent décider quelle est la volonté du peuple ?

11 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, c'est le peuple qui peut en décider.

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Comment ils peuvent le faire savoir

13 aux autres s'ils n'ont pas le droit de l'exprimer ?

14 LE TÉMOIN : [interprétation] Par les élections, par le biais des élections,

15 du référendum, ce que vous voulez. Ce qui était important pour nous,

16 c'était que l'on sache clairement que ceci ne fait pas partie de l'accord,

17 des accords, parce que sinon, juridiquement nous étions obligés de le

18 tenir. Parce que si cela figure dans l'accord, nous sommes obligés de le

19 faire, alors que vous dites qu'il permettrait la volonté du peuple, et

20 bien, nous ne pouvons pas l'empêcher en même temps.

21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Quand on dit expression et quand on

22 enlève l'expression, j'ai l'impression qu'on laisse là la possibilité que

23 quelqu'un d'autre que le peuple peut déterminer quelle est leur volonté,

24 quelle est sa volonté, la volonté du peuple.

25 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, non, non. Ce n'est pas cela.

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais comment on voit cet aspect-là ?

27 Comment on va faire cela ? Comment on va permettre au peuple d'exprimer sa

28 volonté s'il n'a pas le droit de l'exprimer, si l'expression -- si le terme

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1 "expression" ne figure pas ?

2 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est très clair qu'après trois années vous

3 pouvez avoir les élections.

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Quelles sont les élections autres que

5 l'expression de la volonté du peuple --

6 LE TÉMOIN : [interprétation] Exactement.

7 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Très bien.

8 M. STAMP : [interprétation]

9 Q. Ensuite, dans la suite on peut lire, l'opinion des autorités

10 pertinentes, les efforts de tous les partis pour mettre en œuvre cet accord

11 et l'acte définitif, c'est celui d'Helsinki. Donc, au bout de trois ans,

12 d'après ces accords, il va y avoir une révision et une vérification basée

13 sur la volonté du peuple, et vous avez dit que la Communauté européenne

14 voulait que l'expression "exprimé" soit enlevée ?

15 R. Oui.

16 Q. Qu'est-ce que vous dites ?

17 R. Et bien, vous savez, c'est juste une question de langage diplomatique.

18 Nous voulions qu'il soit bien clair que là il ne s'agit pas d'une décision

19 unilatérale des Albanais du Kosovo qui souhaitent l'indépendance, par

20 exemple. Nous avons inclus dans ces accords ce terme, le terme de volonté

21 du peuple, c'est très important, mais c'est aussi important d'y ajouter

22 l'opinion des autorités pertinentes, autrement, de façon très vague, on n'y

23 fait référence à Belgrade, il a son mot à dire par rapport à la mise en

24 œuvre de ces accords. D'après les Serbes -- les Serbes ont leur mot à dire,

25 les Albanais du Kosovo aussi, puis vous avez aussi l'obligation de

26 respecter cet acte définitif d'Helsinki. L'Europe n'allait pas accepter un

27 quelconque changement au niveau des frontières internationales et pas par

28 la force. Cela c'est quelque chose qui est au cœur des accords d'Helsinki,

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1 donc c'est quelque chose qui était très important. Il fallait que Belgrade

2 et Pristina acceptent là. D'après moi, c'est quelque chose qui est très

3 important. Nous continuons à inclure les Serbes et les Yougoslaves dans le

4 processus de prise de décisions par rapport à l'avenir du Kosovo.

5 Malheureusement, le côté yougoslave n'a pas compris cela et c'est pour cela

6 qu'ils n'ont pas accepté les accords de Rambouillet alors que c'est au cœur

7 de ces accords. C'est un point-clé.

8 Q. Merci. Maintenant je vais vous demander d'examiner rapidement la pièce

9 P2659. Ici dans ce document on voit où en sont les négociations à la date

10 du 23 février 1999 à 12 heures 30. Je peux lire au niveau du quatrième

11 paragraphe ce qui suit : "La délégation yougoslave serbe a rejeté la

12 plupart des points figurant dans l'accord. Ensuite, les appendices 5

13 concernant (l'implémentation civile), 2 et 7 (sécurité/police et questions

14 militaires) ont déjà été présentés et ont été rejetés."

15 Cela nous donne une idée de ce qui s'est passé ce jour-là. Est-ce que

16 vous pouvez nous faire un commentaire rapide par rapport à la situation

17 telle qu'elle était à 12 heures 30 ?

18 R. Là c'était la troisième session des négociations. Cela devenait de plus

19 en plus clair que tout le monde était un peu nerveux. Nous avions tous les

20 ministres des pays étrangers, tous les ministres des Affaires étrangères

21 qui étaient là, toute l'équipe était là. Nous savions que nous allions

22 arriver à un accord sur le volet politique, mais en même temps, on savait

23 qu'à moins qu'on ait un accord de fond sur le volet politique des accords

24 de Rambouillet, cela ne servait à rien de continuer. Il y a eu beaucoup de

25 réunions, beaucoup de négociations pour faire en sorte que ceci se produise

26 en effet.

27 Les deux côtés s'observaient, s'observaient beaucoup pour voir qui va

28 faire le moindre petit compromis. Ceci se reflète, se voit dans ce rapport.

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1 C'est reflété là dedans. Ce rapport a été écrit à

2 12 heures 30, donc une demi-heure avant la fin du délai où il fallait faire

3 part de son commentaire par rapport à la version définitive. C'était une

4 demi-heure avant l'échéance. Donc, ce rapport doit être lu dans le contexte

5 de la lettre adressée par le chef de la délégation yougoslave Ratko

6 Markovic à Boris Mayorski, Christopher Hill et moi-même, les trois

7 médiateurs. Si vous voulez, c'est le nexus dont on a besoin pour bien

8 comprendre le mécanisme de tout cela.

9 Q. Donc, l'échéance expirait à 13 heures et il fallait qu'un accord soit

10 conclu à cette heure-là --

11 R. Oui. S'agissant de la version définitive du texte, il s'agissait de

12 voir si les partis étaient d'accord et étaient prêts à poursuivre trois

13 semaines plus tard.

14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que le rejet des modifications

15 proposées par la délégation yougoslave est lié au changement de position de

16 Thaqi ?

17 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, mais il ne s'agit là que de conjecture de

18 ma part, mais il y a un lien entre les deux.

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Ma question était mal formulée. Est-ce

20 qu'ils avaient connaissance de ce changement de position ? C'est ce que je

21 voudrais savoir.

22 LE TÉMOIN : [interprétation] Nous étions tous placés dans la même position

23 et si les intéressés ne parlaient entre eux ils se connaissaient malgré

24 tout.

25 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

26 M. STAMP : [interprétation] Je souhaiterais que l'on voie maintenant la

27 lettre du 23 février signée par le Pr Ratko Markovic, chef de la délégation

28 serbe.

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1 Q. S'agissant de ce que vous avez dit au sujet de cette échéance qui

2 expire à 13 heures, pourriez-vous nous expliquer dans quelles circonstances

3 cette lettre a été transmise à la troïka ?

4 R. Et bien, à 13 heures nous avons reçu une première lettre de la partie

5 yougoslave. Lorsque nous l'avons lue nous nous sommes rendu compte qu'il

6 s'agissait en réalité d'une lettre indiquant que les négociations n'avaient

7 pas abouti. Les ministres des Affaires étrangères devaient l'interpréter

8 comme cela. J'ai eu une réunion avec M. Sainovic, avec qui j'avais

9 d'excellents rapports de travail. Nous avions des rapports très

10 constructifs, nous nous efforcions de trouver une solution à la situation

11 globale. J'ai dit à M. Sainovic que cette lettre ne suffisait pas et

12 qu'elle serait interprétée comme la fin des pourparlers de Rambouillet. Les

13 négociations avaient donc échoué.

14 M. Sainovic, manifestement, s'est entretenu avec le reste de la

15 délégation. A 14 heures 30 nous avons reçu une deuxième lettre dans

16 laquelle il était dit qu'ils étaient prêts à poursuivre les pourparlers au

17 bout de trois semaines et ils voulaient s'occuper de la mise en oeuvre de

18 l'accord. Donc, le volet politique avait été réglé à Rambouillet, mais tout

19 n'avait pas fait l'objet d'un accord. Nous devions savoir que les

20 intéressés avaient trouvé un accord au plan politique. C'est ce qu'a dit

21 également M. Milutinovic aux deux ministres des Affaires étrangères. Il

22 avait déjà dit cela.

23 Sans que nous ne demandions quoi que ce soit, nous avons reçu une

24 troisième lettre à 16 heures. C'est la lettre que vous avez sous les yeux.

25 Il faut la lire du début à la fin pour bien comprendre qu'ils étaient prêts

26 à poursuivre. Après être rentrés de France, ils étaient prêts à négocier la

27 mise en œuvre de l'accord. La phrase-clé dans cette lettre est la suivante

28 : "La République fédérale" - il s'agit du quatrième paragraphe - "La RFY

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1 est prête à débattre de la portée, de la nature de la présence

2 internationale à Kosmet pour la mise en œuvre de l'accord de Rambouillet."

3 Il s'agissait là "de la mise en œuvre de l'accord de Rambouillet." Il

4 est important de noter que l'on parle ici de "présence internationale." Il

5 ne s'agissait pas uniquement d'une présence civile. C'est très important.

6 J'ai également dit à

7 M. Sainovic qu'il fallait trouver une manière de poursuivre les pourparlers

8 en s'intéressant à la mise en œuvre de l'accord, et la présence

9 internationale ne devait pas se limiter aux civils. Il fallait comprendre

10 qu'il s'agissait de civils et de militaires.

11 Q. Merci.

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que vous nous avez donné

13 la bonne cote ?

14 M. STAMP : [interprétation] 625 --

15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je pensais qu'il s'agissait

16 d'une version modifiée de la lettre.

17 LE TÉMOIN : [interprétation] Il s'agit de la dernière lettre. Cette

18 version est tout à fait valable. Les autres, nous n'en disposons pas ici.

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Donc P625, c'est la lettre qui a

20 été envoyée après que vous ayez rencontré M. Sainovic ?

21 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Avant cela, il y avait eu une autre

23 lettre similaire, mais sans commentaires.

24 LE TÉMOIN : [interprétation] Effectivement.

25 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Nous n'avons pas vu cette lettre, si

26 je vous ai bien compris.

27 LE TÉMOIN : [interprétation] Effectivement.

28 [La Chambre de première instance se concerte]

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1 M. STAMP : [interprétation]

2 Q. Vous avez déclaré que M. Milutinovic avait indiqué sa position pour ce

3 qui est des éléments politiques de l'accord. Il avait indiqué sa position

4 aux deux coprésidents. Est-ce que vous pourriez nous dire quelques mots à

5 ce sujet ?

6 R. Je crains de ne pouvoir trouver le bon document. Il figure dans la

7 liasse de documents qui ont été présentés, mais je ne suis pas en mesure de

8 le localiser.

9 Q. Très bien. Je retrouverai ce document et nous y reviendrons plus tard.

10 R. Bien.

11 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] On peut également déposer ce document

12 et le verser au dossier plus tard après que le témoin ait fait sa

13 déposition. Il peut nous dire ce qu'il sait à ce sujet sans que nous ayons

14 besoin de consulter le document.

15 M. STAMP : [interprétation] Très bien, Monsieur le Président.

16 Pourrions-nous passer à la pièce 2658, s'il vous plaît. Ce document

17 est intitulé "Rapport final sur les pourparlers de Rambouillet concernant

18 le Kosovo."

19 Q. Il faudrait examiner l'intégralité de ce document, mais nous n'avons

20 pas le temps de le faire. Pourriez-vous commenter brièvement un ou deux

21 points. Ce qui m'intéresse c'est le sixième point à la première page. Vous

22 en avez déjà parlé. Vous avez déjà dit que les rapports de travail étaient

23 bons entre les membres de la troïka, notamment avec l'ambassadeur de la

24 fédération russe,

25 M. Mayorski. Vous avez dit s'agissant des annexes 2 et 1(A) concernant les

26 questions relatives à la police et à l'armée qui sont devenues les

27 chapitres 2 et 7 de l'accord, vous avez dit qu'à l'issue de la première

28 semaine de négociations, M. Mayorski avait coopéré de façon très

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1 constructive.

2 Pourriez-vous commenter ce qui est dit au sujet du fait qu'il s'est

3 calmé.

4 R. Pour tout fonctionnaire russe, il convient de se méfier de l'OTAN. Il

5 n'était manifestement pas satisfait de la proposition formulée par l'OTAN.

6 Il avait voulu négocier le volet civil de l'accord à Rambouillet. Nous nous

7 sommes concentrés sur la question civile et politique. Mais d'emblée, dès

8 la première semaine, il savait qu'il y aurait un volet militaire à ce

9 traité et il a reconnu la nécessité de cela. Il s'agissait du moment où

10 cela serait mis en œuvre. A quel stade des pourparlers allait-on parler de

11 cela ? Dans l'ensemble, il s'agissait d'une coopération tout à fait franche

12 et transparente. Tout ce qui a été décidé l'était de façon collégiale.

13 Sinon, nous n'aurions pas pu travailler. Cela n'était pas un secret. Les

14 Juges de la Chambre ont mentionné le fait que les rapports bilatéraux ou

15 individuels entre pays sont bien différents du cadre officiel des

16 pourparlers. Au sein de cette troïka, dans le cadre de ces pourparlers, il

17 régnait une grande transparence. Nous nous rencontrions tous les matins

18 afin de prévoir la manière dont nous allions travailler pendant la journée.

19 Il y avait les deux ministres des Affaires étrangères, l'OSCE, à l'époque

20 c'est la Norvège qui présidait l'OSCE.

21 Q. Merci. Au point suivant on peut lire que "L'Europe joue un rôle

22 important dans les pourparlers. Il est fait mention de MM. Cook et Vedrine

23 et de vous-même," n'est-ce pas ?

24 R. Oui.

25 Q. "Vers la fin, toutefois, les Etats-Unis ont essayé de prendre le

26 contrôle des pourparlers. Il est fait mention du déplacement de M. Hill à

27 Belgrade, de la présence sur une longue période de la secrétaire d'Etat,

28 Madeleine Albright à Paris et à Rambouillet. De l'importance des relations

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1 publiques."

2 Quelles que soient les manœuvres des différents partis en présence,

3 vous parlez ici de la tentative des Etats-Unis de prendre le contrôle des

4 pourparlers. Est-ce que c'est ce qui s'est passé ?

5 R. Non. Finalement cela n'a pas eu lieu. Lorsque j'ai parlé de ce document

6 un peu plus tôt, j'ai dit qu'il s'agissait d'un document interne. On

7 n'évoquait pas la concurrence entre les Européens et les Américains mais

8 même entre amis il peut y avoir une certaine concurrence. A cet égard, je

9 souhaite souligner qu'en comparaison avec les pourparlers de Dayton qui se

10 sont déroulés aux Etats-Unis et qui étaient dominés par les Américains et

11 dans lesquels les Européens n'ont quasiment joué aucun rôle, ce n'était pas

12 le cas à Rambouillet. Les deux coprésidents étaient deux ministres des

13 Affaires étrangères européens. L'un des trois négociateurs représentait

14 l'Union européenne. Ceci en soi indique que l'Europe jouait un rôle plus

15 important qu'à Dayton. Vers la fin, nous avons pensé que nos efforts

16 seraient couronnés de succès car tout portait à croire que ce serait le

17 cas. Brankovic, pour la partie yougoslave, l'un des conseillers

18 diplomatiques m'a dit : Nous avons besoin de plus de temps. Nous comprenons

19 bien que tout cela ne pourra pas marcher sans le volet militaire, mais nous

20 avons besoin de plus de temps. Nous ne voulons pas conclure un accord de

21 façon précipitée. Les Américains ont voulu en quelque sorte tirer la

22 couverture vers eux. Ils voulaient faire en sorte que ces pourparlers

23 aboutissent. Il y a toujours une concurrence en quelque sorte entre les

24 Européens et les Américains. C'est ce qui ressort de ce passage.

25 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Avant que nous ne passions à autre

26 chose, Monsieur Stamp.

27 Monsieur Petritsch, avez-vous été surpris que l'on divulgue ces documents ?

28 LE TÉMOIN : [interprétation] Je n'ai pas été consulté à ce propos. La

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1 décision a dû être prise par le ministère dont je relève.

2 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] On peut voir qu'il y a une forte

3 coopération avec ce Tribunal.

4 LE TÉMOIN : [interprétation] Certes.

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Ce qui n'est pas toujours le cas pour

6 ce Tribunal.

7 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai d'abord vu ce texte lorsque je l'ai

8 rédigé, bien sûr. Le Tribunal m'a fourni les documents dont nous allons

9 débattre ici. Au sein de mon ministère je n'avais rien à dire à propos de

10 ces documents. Lorsque vous les lisez, vous vous rendez compte qu'ils

11 décrivent la situation à un moment donné. Il ne s'agit pas de documents sur

12 lesquels se fonderont les historiens à l'avenir. Il s'agit d'une réflexion

13 très pragmatique de ce que nous savions à ce moment-là. Il faut garder cela

14 à l'esprit lorsqu'on lit ce document.

15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Le Tribunal, dans de nombreux cas, ne

16 dispose pas de ce genre d'éléments.

17 LE TÉMOIN : [interprétation] Tout à fait.

18 M. STAMP : [interprétation]

19 Q. Page 2, deuxième point on peut lire : "Le projet américain visant à

20 menacer Belgrade de bombardements a échoué." Et vous expliquez pourquoi.

21 R. Oui.

22 Q. Est-ce que vous pourriez nous dire ce que cela signifie.

23 R. Comme nous l'avons dit hier - comment dirais-je - il y a eu une

24 répartition des tâches. A la fin des négociations de Rambouillet, le 23,

25 nous voulions avoir des résultats. Nous voulions que les deux parties

26 signent, que la partie yougoslave, c'est-à-dire Milosevic signe mais il

27 n'était pas vraiment impressionné. Il y avait d'autres raisons internes à

28 cela. Ceci n'était pas seulement le fait de la Russie, comme je l'ai dit,

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1 mais également des pays européens de l'OTAN, en particulier de l'Italie et

2 de la France. Nous avons déployé des efforts très importants. Il est

3 important de le souligner. Nous voulions parvenir à une solution pacifique.

4 Les Européens insistaient pour que l'on parvienne à cet accord pacifique.

5 Il y avait une grande frustration chez les Européens par rapport à la

6 partie yougoslave. Les Européens voulaient vraiment trouver une solution au

7 problème du Kosovo et une solution pacifique. Nous voulions un compromis.

8 Nous voulions prendre en considération la situation sur le terrain tout en

9 agissant dans le respect de la souveraineté de l'intégrité territoriale de

10 la Yougoslavie.

11 Q. Merci.

12 M. STAMP : [interprétation] Pourrait-on passer au document P2814, s'il vous

13 plaît.

14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Petritsch, est-ce que vous

15 avez constaté une différence entre les obligations d'un Etat bien établi

16 comme la Yougoslavie ou la Serbie et celles d'un groupe mixte de

17 représentants d'une entité qui avaient certaines ambitions au sein de

18 laquelle se trouvaient ce que certains considéraient comme des terroristes.

19 Est-ce que vous pensez que leurs responsabilités étaient différentes

20 s'agissant de la conclusion d'un accord ?

21 LE TÉMOIN : [interprétation] Tout à fait. Il y avait un partenariat assez

22 délicat entre la Yougoslavie et la communauté internationale. La communauté

23 internationale, bien sûr, est une communauté d'Etat, mais les Albanais du

24 Kosovo, lorsqu'ils se sont insurgés, avaient des raisons très claires pour

25 le faire. En 1989,

26 M. Milosevic avait révoqué l'autonomie du Kosovo ce qui a provoqué le

27 conflit. Donc les problèmes remontent à 1980 lorsque les étudiants se sont

28 insurgés, tout cela, tout ce qui s'est passé à cette époque.

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1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je ne pensais pas à cette situation en

2 particulier. Inutile que nous revenions sur ce sujet. Je pensais à cela du

3 point de vue exclusivement théorique, car les deux parties en présence

4 avaient un statut bien différent. Peut-être que l'une des parties était

5 davantage tenue de faire des efforts que l'autre, efforts qui auraient pu

6 aboutir à un accord.

7 LE TÉMOIN : [interprétation] Le cadre avait été clairement énoncé. Il

8 s'appliquait aux deux parties, mais en théorie, un Etat a, bien entendu,

9 plus d'obligations qu'une partie qui n'est pas un Etat.

10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

11 Monsieur Stamp.

12 M. STAMP : [interprétation] P2814.

13 Q. Le Groupe de contact fait une déclaration le 23 février, cette

14 déclaration qui résume en partie ce que vous avez vécu. Pourrions-nous nous

15 intéresser brièvement au paragraphe 4 où il est dit : "Un cadre politique

16 est maintenant en place ainsi qu'il a été prévu dans les accords de

17 Rambouillet. Toutes les conditions étaient posées en vue finaliser les

18 chapitres à la mise en œuvre de l'accord, y compris les modalités de la

19 présence civile et militaire internationale au Kosovo."

20 J'en déduis qu'on avait trouvé un accord sur le volet politique ?

21 R. Oui.

22 Q. Nous avons examiné certaines dispositions de l'accord s'agissant de la

23 mise en œuvre d'une présence militaire. Est-ce que tout cela restait

24 négociable ou bien est-ce que le cadre politique avait été établi et l'on

25 ne pouvait pas revenir dessus ?

26 R. Vous parlez maintenant du volet militaire ou du volet civil.

27 Q. Du volet militaire.

28 R. Ici, on peut lire que le cadre politique a été mis en place, ce qui

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1 signifie qu'il était manifeste que nous avions terminé les pourparlers sur

2 ce point et que nous pourrions maintenant passer aux chapitres relatifs à

3 la mise en œuvre de l'accord, y compris les modalités de la présence civile

4 et militaire au Kosovo. Il faut garder à l'esprit cette déclaration faite

5 par le Groupe de contact qui incluait la Russie. C'est important de le

6 souligner. Il n'y avait pas de désaccord au sein du Groupe de contact

7 s'agissant des volets civils et militaires de la mise en œuvre de l'accord.

8 Q. Toujours dans le même paragraphe, on peut lire : "Il est essentiel que

9 l'accord sur l'accord provisoire soit finalisé et signé. Les parties se

10 sont engagées à assister à une conférence traitant de tous les aspects de

11 la mise en œuvre, laquelle se déroulera en France le 15 mars suite aux

12 consultations qui seront menées avec les parties et avec les organisations

13 internationales compétentes."

14 R. Oui. On s'est mis d'accord sur la suite des événements.

15 Q. Et [inaudible] de votre déclaration et des comptes rendus disponibles

16 c'est que la partie yougoslave a convenu de poursuivre ainsi qu'il est

17 indiqué ici ?

18 R. Après la lettre dont j'ai parlé en date du 23 février, où il y a eu un

19 engagement clair pour la suite des pourparlers où il a été dit, "que des

20 progrès importants avaient été réalisés lors des pourparlers de Rambouillet

21 afin de trouver une solution politique définitive concernant la question de

22 l'autonomie du Kosovo-Metohija dans le respect de la souveraineté," et

23 cetera. Il est également

24 dit : "Les représentants yougoslaves sont tout à fait prêts à poursuivre le

25 travail conformément à l'esprit positif de cette réunion."

26 Donc, le dernier jour des pourparlers de Rambouillet, tard dans

27 l'après-midi, cet esprit positif qui régnait a fait l'objet d'une lettre de

28 la part de la délégation yougoslave. Quelque chose s'est manifestement

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1 passé entre le 23 février et la reprise des négociations le 15 mars à

2 Paris. Lorsque je dis que "quelque chose s'est passé," je veux parler d'un

3 changement d'attitude de la part de la délégation yougoslave, ce qui

4 ressort également des rencontres que j'ai eues au plan individuel dans

5 l'intervalle avec des représentants de la présidence de l'Union européenne,

6 le ministre des Affaires étrangères allemandes, Joschka Fischer qui est

7 venu en visite, le président Milosevic. Nous nous sommes rendus sur place.

8 Il y a eu une déclaration du président de la Serbie, M. Milutinovic, assez

9 longue, que vous pouvez lire, qui date du 4 ou du 5 mars, où on voit ce

10 changement d'attitude manifeste s'agissant de Rambouillet et du processus

11 de Rambouillet.

12 Q. Merci. Votre Excellence, tout cela est traité en détail dans

13 votre déclaration écrite et également dans la transcription, le compte

14 rendu de l'audience dans laquelle vous avez déposé. Je vais passer à autre

15 chose. J'aimerais que nous revenions sur les circonstances qui ont conduit

16 aux rencontres de Rambouillet., que nous remontions un peu sur le plan

17 historique, que nous parlions des conditions qui concernaient le Kosovo

18 dans la période antérieure. Je vais m'efforcer de traiter de ce point très

19 rapidement sur la base notamment de la pièce à conviction 2655. Ce document

20 est une télécopie envoyée par votre ambassadeur à Belgrade le 4 août 1998.

21 Expliquez-nous-en la nature. En quelques mots, je vous prie.

22 R. Cette télécopie a pour but fondamentalement de transmettre à nos

23 collègues de l'ambassade américaine, française, allemande, italienne et

24 britannique les points qui feront l'objet des discussions organisées par le

25 Groupe de contact pour traiter de la situation humanitaire au Kosovo.

26 C'était le 4 août. Il s'agit fondamentalement des notes, des premiers

27 points constituant une espèce de brouillon d'ordre du jour pour cette

28 démarche diplomatique qui devait revêtir la forme d'une présentation orale

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1 relative à la situation humanitaire au Kosovo. Il fallait également que

2 soit traité la question de la liberté d'accès des organisations

3 humanitaires non gouvernementales qui travaillaient dans cette région, et

4 les ambassades britanniques et autrichiennes devaient élaborer ce projet

5 d'ordre du jour.

6 Q. Est-ce que nous pourrions passer à la deuxième page du document.

7 R. Dans la deuxième page un certain nombre de détails sur les points

8 en discussion. Nous avions demandé à un représentant du ministère des

9 Affaires étrangères de nous rencontrer pour savoir quelles pouvaient être

10 les préoccupations principales au sujet de ces propositions de points à

11 l'ordre du jour, notamment du point de vue de l'offensive militaire qui se

12 poursuivait. Les rapports affluaient au sujet de pillages et d'incendies de

13 maisons, d'incendies de champs en culture également. Les forces de sécurité

14 de la République fédérale yougoslave faisaient parvenir ces rapports. Il y

15 avait un grand nombre de personnes déplacées qui ne cessaient de croître

16 tous les jours. La situation de ces personnes s'aggravait. Il y avait les

17 problèmes de malnutrition, de pénurie en eau, de déshydratation, de risques

18 d'épidémie, des risques très nets pour les groupes les plus vulnérables. Je

19 vais peut-être un peu trop vite pour les interprètes. Il est difficile pour

20 les organisations humanitaires de travailler lorsqu'ils n'ont pas accès à

21 une région en raison des combats et lorsqu'ils doivent se cacher dans les

22 bois et les forêts. Donc, certaines organisations avaient rencontré ce

23 genre de problèmes dans les zones où elles étaient basées et ne pouvaient

24 plus travailler de façon efficace, notamment parce qu'on leur avait

25 confisqué leurs postes de radio, leurs émetteurs radio. Les autorités

26 serbes les avaient confisqués. Donc, je demandais qu'une attention

27 particulière soit consacrée aux problèmes des organisations internationales

28 dans les médias internationaux et que les autorités serbes se voient

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1 reprocher cette catastrophe humanitaire. Par conséquent, nous avons

2 instamment demandé au gouvernement de cesser toutes les hostilités

3 immédiatement; d'arrêter les forces qui mettaient le feu aux maisons et

4 endommageaient les biens; d'empêcher les pillages et d'autoriser toutes les

5 organisations humanitaires, pas seulement le Comité international de la

6 Croix-Rouge et le Haut-commissariat aux réfugiés des Nations Unies, mais

7 toutes les autres également à accéder à cette région, de permettre de

8 bonnes communications radio aux organisations humanitaires et d'aider par

9 tous les moyens au retour des réfugiés.

10 Q. Merci.

11 R. Nous avons également indiqué qu'il fallait que les réfugiés soient

12 aidés dans la récupération de leurs maisons.

13 Q. Nous allons maintenant --

14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Quelle est la source des informations

15 que vous aviez au sujet de la situation des personnes déplacées du Kosovo ?

16 LE TÉMOIN : [interprétation] A l'époque, à partir du 6 juillet, ce qu'il

17 était convenu d'appeler la Mission des observateurs diplomatiques au

18 Kosovo, créée sur la base de l'accord conclu entre les présidents Milosevic

19 et Yeltsin à Moscou à la mi-juin existait. Donc, nous, diplomates

20 observateurs, étions plusieurs centaines représentants de toute l'Union

21 européenne. Nous constituions l'organisation connue sous le sigle MOCE,

22 Mission européenne de vérification, qui a été créée et déployée un peu

23 partout en Yougoslavie, et a fait son travail dans toutes les régions. Pour

24 notre part, nous nous concentrions sur le Kosovo. Puis, il y avait aussi

25 les Américains et les Russes. Ces observateurs se composaient de trois

26 nationalités; américaine, russe et européenne, qui se déplaçaient sur le

27 territoire du Kosovo, prenaient des notes et se réunissaient au moins une

28 fois par semaine pour envoyer un rapport consolidé qui était ensuite

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1 partagé par les Européens, les Américains et les Russes, et envoyé

2 également aux Nations Unies. Tout cela a mené à l'adoption de la Résolution

3 1199 des Nations Unies, où l'on voit mention du chiffre de plus de 200 000

4 réfugiés.

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Stamp, est-ce que ces

6 rapports consolidés sont des pièces à conviction en l'espèce ?

7 M. STAMP : [interprétation] Certains dont disponibles. Je ne crois pas que

8 nous ayons un rapport consolidé ici même, mais ils sont résumés dans la

9 pièce à conviction du Conseil de sécurité des Nations Unies.

10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais nous n'avons pas la source

11 initiale de ces documents. C'est toujours le même problème. Est-ce que vous

12 avez rencontré un représentant du ministère des Affaires étrangères ?

13 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Donc, nous comprenons l'importance

15 qu'il y a à transmettre les informations au gouvernement yougoslave. Ce qui

16 m'intéresse en ce moment, c'est le fondement matériel de cette note. Où

17 est-ce que l'on trouve les preuves qui permettent d'établir à 200 000 le

18 chiffre des personnes déplacées en interne au Kosovo ?

19 LE TÉMOIN : [interprétation] Je pense que le Haut-commissariat des réfugiés

20 des Nations Unies est la source initiale.

21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Ce qui m'intéresse, c'est la source

22 pour notre procès.

23 LE TÉMOIN : [interprétation] En l'espèce.

24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Ce qui nous a été remis à nous, les

25 Juges de cette Chambre.

26 Enfin, veuillez poursuivre, Monsieur Stamp.

27 M. STAMP : [interprétation]

28 Q. Comme vous avez communiqué aux autorités yougoslaves, votre inquiétude

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1 au sujet de l'évolution de la situation humanitaire, quelle a été sa

2 réponse générale ?

3 R. De façon générale, la réponse a consisté à dire que la situation

4 n'était pas si mauvaise que cela, qu'il ne s'agissait pas d'attaques

5 dirigées contre la population, mais contre des terroristes, et que ce genre

6 de choses arrive finalement. La réponse n'a pas été très constructive. Nous

7 l'avons officiellement fait connaître au ministère des Affaires étrangères.

8 Mais nous avons dit de la façon la plus claire qui soit qu'il était

9 extrêmement urgent à nos yeux de transmettre ces informations aux plus

10 hauts responsables des décisions sur le plan politique de l'époque.

11 M. STAMP : [interprétation] J'aimerais que nous passions à la pièce P557.

12 Q. Ce document est une dépêche envoyée par l'ambassade autrichienne de

13 Belgrade en date du 30 septembre 1998. Vous y évoquez de nombreuses

14 questions dont nous n'allons pas débattre ici aujourd'hui. Je vous invite à

15 vous pencher sur le deuxième paragraphe où nous trouvons : "La liste des

16 points les plus importants soulevés par le président yougoslave au cours

17 des discussions à suivre." Au dernier tiret de la page 2 --

18 M. STAMP : [interprétation] Il faut passer en page 2.

19 M. STAMP : [interprétation]

20 Q. Nous lisons que le nombre des personnes déplacées du Kosovo se situe

21 probablement aux environs de 700 personnes dormant à la belle étoile --

22 R. Oui.

23 Q. Un peu plus bas dans la page 2, au chapitre 2 intitulé : "Camps de

24 personnes déplacées et rapatriement possible," nous voyons au paragraphe 2

25 de ce chapitre que vous évoquez une visite au camp des personnes déplacées

26 situées non loin de Kisna Reka --

27 R. Reka, oui.

28 Q. Excusez ma prononciation. En tout cas, il est écrit que ce camp abrite

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1 2 500 à 300 [comme interprété] personnes déplacées au total.

2 Pouvez-vous commenter ces deux chiffres ?

3 R. Oui. Je pense que vous avez cité le chiffre de 700 personnes déplacées

4 en interne dormant à la belle étoile. Pour le premier nombre cité, ce

5 nombre nous avait été communiqué par

6 M. Milosevic lorsque nous lui avions transmis par écrit le

7 28 septembre les points devant faire l'objet d'une discussion à venir, qui

8 avaient été acceptés par nos ministres des Affaires étrangères, et pour

9 lesquels il nous avait demandé de les transmettre au président, discussion

10 qui devait porter sur la situation humanitaire. Ce projet d'ordre du jour

11 n'avait pas provoqué de commentaires ultérieurs, mais lorsque la situation

12 s'est un peu normalisée, disons, après la défaite de l'UCK, M. Milosevic

13 s'en est mêlé, et il a été question à ce moment-là de 700 personnes

14 déplacées en interne, par plus, dormant à la belle étoile. Ceci se passait

15 cinq jours après que le Conseil de sécurité ait adopté la Résolution 1199 -

16 - excusez-moi.

17 Grey Wolves s'était inquiété des derniers combats très intenses au Kosovo

18 et en particulier du recours abusif à la force par les forces de sécurité

19 serbes et l'armée yougoslave, qui avaient fait un grand nombre de victimes

20 civiles, et selon les estimations du secrétaire général, avaient provoqué

21 le déplacement de plus de

22 230 000 personnes hors de leurs domiciles." Nous parlons du Kosovo, n'est-

23 ce pas.

24 Ensuite, nous lisons dans ce texte, je cite : "Très préoccupé par le flot

25 de réfugiés arrivant dans le nord de l'Albanie, en Bosnie-Herzégovine et

26 dans d'autres pays européens suite au recours à la force au Kosovo. Très

27 inquiet également de l'augmentation du nombre de personnes déplacées au

28 sein du Kosovo et dans d'autres régions de la République fédérale

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1 yougoslave, qui atteint 50 000 selon les estimations du Haut-commissariat

2 pour les réfugiés des Nations Unies, 50 000 personnes qui sont estimées

3 vivre sans abri et en l'absence de possibilité de satisfaire leurs besoins

4 fondamentaux."

5 En même temps, cinq jours plus tard, M. Milosevic parle de

6 700 personnes déplacées en interne. Voilà la contradiction très, très

7 importante, celle que nous affrontions lors de toutes nos réunions sur la

8 nature même du conflit, le nombre de victimes, et cetera, toujours minimisé

9 par le gouvernement. Or, les faits qui étaient à notre connaissance

10 prouvaient le contraire, bien entendu.

11 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que vous avez rencontré M.

12 Milosevic ce jour-là ?

13 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que vous vous êtes rendu dans

15 le camp dont il a été question ?

16 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, Kisna Reka.

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Kisna Reka. Merci.

18 M. STAMP : [interprétation] J'aimerais que nous passions rapidement à la

19 page 3 du document, toujours le même.

20 Q. Paragraphe 3, ou plutôt chapitre 3. Nous n'allons pas le lire

21 intégralement, mais nous y trouvons une description d'un certain nombre

22 d'événements qui sont qualifiés de massacres. Deux événements. En tout cas

23 l'un qui s'est produit à Gornje Obrinje et à ce sujet la MOCE de Pristina

24 vous a donné consigne d'en informer le TPIY. Est-ce que vous pourriez

25 répondre en deux phrases en disant si c'était également un sujet de

26 préoccupation.

27 R. Est-ce que c'était quoi ?

28 Q. Le problème du recours abusif à la force entraînant de tels massacres,

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1 est-ce que c'était également un sujet de préoccupation ?

2 R. Oui, absolument. J'ai pris le plus grand soin en utilisant le mot de

3 massacre car je n'ai pas assisté à ce massacre, mais j'ai rencontré un

4 survivant qui m'a dit l'horreur de ce qui s'était passé et s'est présenté

5 comme ayant survécu à ce massacre. Il a dit qu'il n'avait été que blessé,

6 qu'il avait fait semblant d'être mort et qu'une demi-heure, une heure après

7 dans le noir, il a réussi à s'enfuir. Nous avons vu les traces de ses

8 blessures, et cetera, et cetera. Bien entendu, il avait été évacué et

9 transféré hors du pays avec sa famille. Nous avons informé le TPIY et nous

10 lui avons demandé de se renseigner sur cette situation, mais je n'ai pas eu

11 d'informations ultérieures sur la question. Je ne sais pas ce qui s'est

12 passé ensuite. Cela étant la MOCE, Mission de vérification de l'Union

13 européenne, nous a renseignés sur d'autres faits, et bien sûr, nous avons

14 toujours transmis ces renseignements.

15 Q. Je vous remercie.

16 M. STAMP : [interprétation] Pourrions-nous passer à la pièce P560.

17 Q. Il s'agit d'une dépêche datant du 7 octobre 1999.

18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Stamp, est-ce que vous savez

19 si cet incident a fait l'objet d'enquête détaillée ?

20 M. STAMP : [interprétation] L'incident de Gornje Obrinje a fait l'objet

21 d'une enquête, effectivement. Un certain nombre d'éléments de preuve ont

22 été présentés au cours du procès sur ce sujet. Je ne dirais pas qu'il a

23 fait l'objet d'une enquête détaillée. C'était plutôt une tentative

24 d'enquêter qui s'est vue opposer un certain nombre d'obstacles et a donc

25 été limitée.

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

27 M. STAMP : [interprétation]

28 Q. Cette dépêche traite de votre première rencontre avec

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1 M. Sainovic, le vice-premier ministre yougoslave. Au paragraphe 2 vous

2 dites que malheureusement le COREU n'a pas pu être établi ?

3 R. Oui.

4 Q. Pourriez-vous nous dire en une phrase ce qu'est un COREU ?

5 R. Un COREU, c'est un instrument électronique de l'Union européenne par

6 lequel grâce à internet tous les pays de l'union sont connectés et on peut

7 charger un certain nombre de renseignements dans le système, renseignements

8 nécessaires aux autres gouvernements ou qui peuvent présenter un certain

9 intérêt pour les autres gouvernements de l'Union européenne éventuellement.

10 Voilà, c'est ce qu'on appelle un COREU, qui est un sigle signifiant

11 correspondance européenne. En général, suite aux réunions telles que celles

12 dont nous sommes en train de parler, et à l'époque l'Union européenne se

13 composait de 15 membres, il était impossible de transmettre les résultats

14 de ces réunions rapidement à ces 15 pays. Donc, le jour même de la réunion,

15 nous informions les chefs de mission de l'Union européenne des conclusions

16 tirées à ces réunions et c'est ce que j'ai fait au sujet de ma réunion avec

17 le vice-premier ministre Sainovic.

18 Q. D'accord. Premier paragraphe vous dites que : "Que

19 M. Sainovic est considéré comme un proche du président yougoslave,

20 M. Milosevic, et qu'il est jugé responsable de la coordination des forces

21 de sécurité au Kosovo depuis l'été."

22 Pourriez-vous nous donner quelques détails complémentaires. Sur quoi

23 vous fondiez-vous pour tirer cette conclusion et pour penser qu'il était

24 responsable de la coordination des forces de sécurité ?

25 R. Fondamentalement, nous savions au sein de la communauté diplomatique

26 que M. Sainovic était responsable de coordonner les forces de sécurité du

27 Kosovo depuis l'été 1998.

28 Q. Cette interprétation ou cette information reposait sur quoi compte tenu

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1 des circonstances ?

2 R. Je ne m'en souviens pas aujourd'hui. Je ne sais pas si c'est un

3 renseignement qui nous a été officiellement communiqué ou s'il nous est

4 venu par les médias ou d'autres moyens. En tout cas, comme je l'ai déjà

5 dit, nous pensions savoir que M. Sainovic était responsable du Kosovo.

6 Q. Au cours des diverses rencontres que vous avez eues avec

7 M. Sainovic, quelque chose de particulier s'est-il passé qui vous a poussé

8 à remettre en cause cette impression ?

9 R. Non, pas que je sache. J'ai toujours eu le sentiment que

10 M. Sainovic était très bien informé de toutes les questions relatives au

11 Kosovo. Nous avons toujours eu des entretiens agréables et centrés sur la

12 réalité des faits en dépit du caractère tendu de la situation et du conflit

13 qui avait cours à l'époque.

14 Q. Merci.

15 M. STAMP : [interprétation] J'aimerais que nous examinions rapidement la

16 pièce 2654 à présent.

17 Q. C'est une dépêche envoyée un peu plus tard le même jour, le 7 octobre

18 1998.

19 R. Il y a une erreur dans ce texte. A la première ligne où nous lisons :

20 "Le 7 septembre, le soussigné a été reçu par son excellence l'ambassadeur

21 Holbrooke." La date est fausse. Il convient de lire 7 octobre. On le voit

22 clairement quand on lit un peu plus loin la date de la dépêche. Il faut

23 qu'une correction soit apportée à ce niveau, Monsieur le Président.

24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que c'est la pièce P654 ?

25 M. STAMP : [interprétation] P2654.

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci. P2654.

27 M. STAMP : [interprétation]

28 Q. Cette dépêche traite avant tout de l'action de l'envoyé spécial des

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1 Etats-Unis, M. Holbrooke. Au troisième paragraphe, nous lisons que : "La

2 Résolution 1199 des Nations Unies sera, bien sûr, au centre de

3 discussions." C'est la résolution dont vous avez déjà parlé, il s'agit de

4 la pièce P456, et vous dites, je cite : "L'avis de Milosevic était que

5 toutes les dispositions de la résolution des Nations Unies avaient été

6 mises en œuvre."

7 R. Oui, c'est ce qui m'avait été dit. Tout ce qui est écrit dans cette

8 dépêche porte sur mon entretien avec M. l'Ambassadeur Holbrooke ce jour-là,

9 le 7 octobre à Belgrade.

10 Q. J'aimerais que nous lisions les deux phrases suivantes, ou plutôt les

11 deux paragraphes suivants. Nous y voyons qu'il vous a également été dit que

12 : "Les Etats-Unis allaient adopter une interprétation plus stricte et plus

13 large de la résolution."

14 Pourriez-vous nous donner quelques détails complémentaires sur ces deux

15 paragraphes ?

16 R. Oui. S'agissant de la Résolution 1199 du Conseil de sécurité qui décrit

17 la situation, il importe également de comprendre qu'elle relève du chapitre

18 7 de la charte des Nations Unies - comment est-ce que je pourrais dire

19 cela - implique l'usage d'un libellé très précis dans cette résolution. M.

20 Holbrooke s'est entretenu avec le président Milosevic, et dans ce que je

21 vais dire maintenant, je rapporte, bien entendu, comme je le fais dans ce

22 rapport, ce qu'il m'en a été dit. Il était censé transmettre un message

23 très clair et un avertissement très clair au président Milosevic quant au

24 fait que si les réunions en cours n'aboutissaient pas - c'est, bien sûr ce

25 qui a conduit à ce qu'il est convenu d'appeler l'accord Holbrooke-Milosevic

26 du 13 octobre, qui a lui-même permis de mettre en place ce qu'il est

27 convenu d'appeler la Mission de vérification de l'OSCE au Kosovo, qui a

28 abouti à la création de l'ACTORD dans le cadre de l'OTAN. En langage de

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1 l'OTAN, cela signifie un ordre d'activation, à savoir que le secrétaire

2 général de l'OTAN peut sans délai donner l'ordre à cette organisation de

3 lancer l'intervention préalablement envisagée. Bien sûr, à l'époque, la

4 situation était très grave. Au début du mois d'octobre, plusieurs

5 ambassades, et notamment l'ambassade américaine avaient déjà évacué leur

6 personnel. La situation était très, très grave. On était tout près d'une

7 intervention militaire déjà à cette époque. Je parle bien du début du mois

8 d'octobre 1998.

9 Q. Vous indiquez que cette lettre met en place la Mission de vérification

10 du Kosovo. Pour revenir à ce que nous lisons à la ligne 13, je cite : "En

11 langage de l'OTAN, cela signifie un ordre d'activation."

12 R. Oui.

13 Q. A savoir "Que le secrétaire général peut sans délai" et cetera.

14 R. Une explication supplémentaire. Cela signifie qu'il n'a pas besoin de

15 consulter les responsables politiques de l'OTAN, à savoir les ambassadeurs

16 de l'OTAN ou les ministres de la Défense. Cela signifie qu'il a déjà le

17 pouvoir d'ordonner immédiatement, s'il le décide, quelque action militaire

18 que ce soit qui a été envisagée préalablement à cette décision. Un ordre

19 d'activation c'est le niveau suprême d'alerte, si nous pouvons utiliser

20 cette expression, au sein de l'OTAN.

21 M. STAMP : [interprétation] Je me demandais si l'heure de la pause était

22 arrivée. Je pense en avoir terminé de mon interrogatoire principal, mais je

23 crois prudent de réfléchir un peu à la question pour voir si j'ai bien

24 abordé tous les documents nécessaires. J'aimerais dire à la Chambre que

25 certains documents figurent sur la liste que je n'ai pas utilisés, car nous

26 aurons un autre témoin,

27 M. Jan Kickert, également présent en ex-Yougoslavie à l'époque, qui

28 pourrait permettre de verser au dossier ces autres documents. Je me

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1 demandais si nous pourrions suspendre maintenant.

2 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous avez toujours la possibilité de

3 vous adresser à la Chambre par écrit, si possible, et de préférence pour

4 lui demander de verser au dossier tout document susceptible de démontrer un

5 degré de fiabilité suffisante.

6 M. STAMP : [interprétation] Très bien, Monsieur le Président.

7 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Petritsch, nous sommes

8 arrivés à l'heure de la pause obligatoire. Nous reviendrons dans ce

9 prétoire à 10 heures 50. Je vous invite maintenant à suivre M. l'Huissier

10 qui vous montrera où vous allez passer ces 20 minutes de pause.

11 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

12 [La Chambre de première instance et le Juriste se concertent]

13 [Le témoin se retire]

14 --- L'audience est suspendue à 10 heures 30.

15 --- L'audience est reprise à 10 heures 56.

16 M. O'SULLIVAN : [interprétation] J'ai une question à vous poser, c'est la

17 question du temps. Nous espérons que nous allons avoir suffisamment de

18 temps pour poser toutes nos questions. Je vais poser beaucoup de questions

19 dans le cadre de mon contre-interrogatoire. Je voudrais vous demander de

20 prolonger le temps qui nous sera alloué.

21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Le calcul que j'ai fait par rapport au

22 temps que vous sera alloué sans extensions, sans compter les extensions,

23 serait de trois heures et demie. Il y a aussi la déclaration préalable.

24 Vous savez, notre objectif est de terminer aujourd'hui, tout cela dépend

25 des circonstances. Je vais vous demander de faire entrer le témoin pour

26 commencer.

27 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

28 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que vous avez terminé, Maître

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1 Stamp ?

2 M. STAMP : [interprétation] Oui, j'ai terminé, Monsieur le Président, mon

3 interrogatoire principal. Je vous remercie.

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître O'Sullivan.

5 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Nous allons procéder selon l'ordre de

6 l'acte d'accusation. Bonjour, Monsieur l'Ambassadeur.

7 LE TÉMOIN : [interprétation] Bonjour, Monsieur.

8 Contre-interrogatoire par M. O'Sullivan :

9 Q. [interprétation] Vous nous avez dit que pendant toute l'année 1998 vous

10 avez été l'ambassadeur au sein de la RFY et vous êtes devenu l'envoyé

11 spécial de l'Union européenne pour le Kosovo. Est-ce que je peux dire qu'à

12 l'époque vous suiviez la situation politique au niveau diplomatique et

13 politique aussi bien en Serbie, la Yougoslavie et au Kosovo ?

14 R. Oui.

15 Q. Est-ce que vous comprenez le serbo-croate ?

16 R. Oui, plus ou moins.

17 Q. Est-ce qu'on pourrait dire que vous pourriez suivre les médias, la

18 télévision, et dans les médias de la presse écrite ?

19 R. Oui.

20 Q. Au moment où vous avez été nommé au poste de l'envoyé spécial au mois

21 d'octobre 1998, est-ce que c'était l'Autriche qui assurait la présidence de

22 l'Union européenne et à partir de la date du 1er janvier c'était l'Allemagne

23 qui a pris la suite ?

24 R. Oui.

25 Q. Vous avez déposé dans l'affaire Milosevic, c'est la

26 pièce 2793, et je vais vous citer ce que vous avez dit à la page

27 7 219. Ceci va servir de base pour la question que je vais vous poser. "Je

28 considérais que la délégation qui a été envoyée à Rambouillet avait

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1 beaucoup d'importance. C'était au fond la délégation qui, au cours des

2 quelques mois qui ont précédé, a déjà négocié avec Chris Hill. Par la

3 suite, quand j'ai rejoint Chris Hill en tant que l'envoyé spécial européen

4 dans cette phase diplomatique --- de navette diplomatique entre Pristina et

5 Belgrade, quand nous leur faisions part des différentes propositions en

6 faisant des allers et retours entre ces gens, cette navette diplomatique a

7 duré entre l'été, l'automne et l'hiver 1998. C'étaient les mêmes gens qui

8 ont participé à tout cela, c'est-à-dire des experts très bien informés qui

9 sont arrivés à Rambouillet. Pour moi, c'était un signe positif, puisque

10 nous savions qu'ils connaissaient tous les détails, tous les problèmes

11 vraiment affreux. Pour résoudre ces problèmes extrêmement complexes,

12 c'était un très bon signe."

13 Je vais vous poser à présent quelques questions au sujet de l'année

14 1998 et cette période de navette diplomatique.

15 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Et avec l'aide de l'huissier, je voudrais

16 vous communiquer les documents que nous souhaitons utiliser, nous le

17 conseil de la Défense. Ces documents font partie du système e-court, mais

18 pour vous être utile, nous les avons aussi présentés sous la forme écrite.

19 Q. Au niveau de l'intercalaire 1 papier, version papier, c'est la pièce

20 1D78, c'est une déclaration du gouvernement de Serbie en date du 11 mars

21 1998. Est-ce que vous avez ce document sous vos yeux ?

22 R. Oui.

23 Q. Vous allez voir qu'au niveau du premier paragraphe on dit que le

24 gouvernement de la République de Serbie a, en vertu d'une réunion qui s'est

25 tenue le 10 mars 1998, choisi ses représentants pour participer aux

26 négociations avec les dirigeants des partis albanais et des associations

27 ainsi qu'avec les représentants du peuple et de la vie publique et

28 culturelle au Kosovo-Metohija, et avec tout ceux qui se considèrent être

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1 les représentants de la minorité nationale albanaise pour améliorer le

2 processus politique et résoudre des points cruciaux pour le bien-être des

3 citoyens de Kosovo-Metohija.

4 Ensuite, vous avez les noms des gens. Vous avez pour le gouvernement

5 de la République de Serbie le Pr Dr Ratko Markovic,

6 M. Radomir Vico, Andrija Milisavljevic et Ivan Sedlak qui allaient

7 participer à tout cela. M. Markovic, c'est la personne qui va être le chef

8 de la délégation à Rambouillet pour la Serbie ?

9 R. Oui, exact. C'est la même personne.

10 Q. Si vous regardez le quatrième paragraphe, vous allez voir dans ce

11 document que "le gouvernement de Serbie demande à tous les partis

12 parlementaires de l'assemblée nationale de la République de Serbie de

13 nommer leurs propres représentants pour participer à ces négociations."

14 Est-ce que vous voyez cela ?

15 R. Oui.

16 Q. Ensuite, on dit quel est l'objectif. Ceci figure au niveau du troisième

17 paragraphe, où on dit que ces négociations ont pour but d'aboutir à un

18 dialogue, de réaliser un dialogue par les moyens politiques, d'améliorer le

19 développement culturel et économique, et résoudre tous les problèmes au

20 Kosovo-Metohija.Est-ce que vous vous souvenez de cette initiative qui date

21 du 11 mars 1998 ?

22 R. Non, je ne me souviens pas de cela de façon précise, mais c'est vrai

23 que je me souviens de quelque chose relevant de cela, c'est-à-dire que le

24 gouvernement avait fait quelque chose de similaire.

25 Q. Est-ce que vous voyez dans ce même document, dans l'avant-dernier

26 paragraphe, qu'il y a une invitation formulée à l'attention des

27 représentants des Albanais de se rencontrer à Pristina le

28 12 mars 1998 ? Est-ce que vous voyez cela ?

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1 R. Oui.

2 Q. Est-ce que vous savez si la délégation s'est rendue à Pristina et que

3 les représentants albanais ne sont pas venus ?

4 R. Oui.

5 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Le document suivant.

6 LE TÉMOIN : [interprétation] Permettez-moi --

7 M. O'SULLIVAN : [interprétation] C'est un document que j'ai déjà utilisé.

8 C'est un document qui figure dans le e-court. C'est le document du Pr Mark

9 Weller, 1D18 --

10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je pense que le témoin souhaite

11 ajouter quelque chose.

12 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Comme vous voyez en haut de ce document,

13 vous voyez que ce document date du 11 mars 1998. L'invitation d'une telle

14 importance a été prévue pour le lendemain, à savoir le 12 mars 1998, et

15 c'est précisément la raison par laquelle les Albanais du Kosovo ont refusé

16 de participer à cette réunion puisqu'ils considéraient qu'ils n'avaient pas

17 été avertis à l'avance d'une réunion revêtue d'une telle importance. C'est

18 la raison pour laquelle cela a été refusé. Vous avez une déclaration très

19 positive avec un langage très utile, très constructif. Malheureusement, ils

20 ont fait en sorte que l'autre côté ne puisse pas se présenter, ne puisse

21 pas accepter. Parce qu'ensuite ils avaient des raisons pour dire : Nous

22 venons -- donc il sont dit : Ecoutez, nous venons de recevoir cette

23 invitation, nous n'avons pas formé notre équipe, nous ne pouvons pas venir.

24 Donc ils ont dû refuser. C'est un commentaire que j'ai voulu vous faire.

25 M. O'SULLIVAN : [interprétation]

26 Q. Comment vous le savez ? Comment vous savez que c'était la position

27 albanaise le 11 et le 12 mars à l'époque ?

28 R. C'était une des nombreuses réunions qui a eu lieu. On en a parlé,

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1 c'était quelque chose qui était parfaitement public. C'était souvent la

2 réaction qui suivait. Nous avons essayé de motiver les Albanais pour qu'ils

3 s'y rendent, on leur a demandé : Ecoutez, même si vous n'avez été avertis

4 que très tardivement, essayez d'y aller, essayez de vous présenter, de

5 commencer les négociations.

6 Q. Merci.

7 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Maintenant je voudrais vous présenter la

8 prochaine pièce et pour le greffier je voudrais dire que c'est un extrait

9 du livre, c'est un livre du Pr Mark Weller, c'est la pièce 12D18. Dans le

10 passé nous avons déjà versé des documents relevant de ce livre.

11 Q. Ambassadeur, est-ce que vous connaissez le Pr Mark Weller de

12 Cambridge ?

13 R. Oui.

14 Q. C'était l'expert consultant qui a travaillé pour la délégation des

15 Albanais du Kosovo à Rambouillet ?

16 R. Oui, que je sache, oui.

17 Q. Vous le savez ?

18 R. Oui, je l'ai rencontré là-bas.

19 Q. Au niveau de l'intercalaire 2 du document papier, la pièce ID page e-

20 court 348, vous avez l'invitation envoyée par le gouvernement de Serbie le

21 14 mars 1998. Au niveau du paragraphe, du deuxième paragraphe, on voit la

22 liste des personnes, des représentants de communautés albanaises du Kosovo-

23 Metohija à qui s'adresse cette lettre. On y voit à peu près 11 noms parmi

24 lesquels figurent Rugova, Adem Demaqi, et cetera. Ensuite, vous avez

25 l'invitation, proprement dit, par laquelle les Albanais sont invités à

26 participer à une réunion qui a eu lieu le 16 mars 1998. Est-ce que vous

27 étiez au courant de cette initiative-là ?

28 R. Je ne me souviens pas de façon distincte de cette initiative-là, mais

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1 je sais qu'il y a eu plusieurs invitations similaires lancées par le

2 gouvernement serbe, mais à chaque fois, en laissant très peu de temps aux

3 Albanais pour répondre, comme ici, deux jours avant.

4 Q. Dans votre déposition vous avez parlé de la Résolution du Conseil de

5 sécurité 1160 en date du 31 mars 1998. Vous êtes au courant de cette

6 résolution ?

7 R. Je ne l'ai pas relue récemment, mais si vous attirez mon attention sur

8 les paragraphes qui vous intéressent --

9 Q. Mais vous, à l'époque, vous étiez au courant de cela ?

10 R. Oui.

11 Q. Il s'agit de l'intercalaire 3 en papier, version papier du document.

12 C'est la pièce P455. Nous allons examiner la première page, quatrième

13 paragraphe où il est dit : "Par rapport à la déclaration du 18 mars 1998

14 par le président de la République de Serbie concernant le processus

15 politique au Kosovo-Metohija."

16 Ensuite, la page suivante sur laquelle je voudrais attirer votre

17 attention, le troisième paragraphe, le Conseil de sécurité : "Souligne que

18 la façon de se battre contre la violence et le terrorisme au Kosovo est de

19 permettre aux autorités de Belgrade d'offrir ou de proposer à la communauté

20 des Albanais du Kosovo, un véritable processus politique."

21 Ensuite, le paragraphe 4, le Conseil de sécurité : "Fait appel aux

22 autorités à Belgrade et aux dirigeants de la communauté des Albanais du

23 Kosovo de commencer de façon urgente et sans aucune condition préalable

24 dans un dialogue sensé portant sur les questions politiques."

25 Ensuite, le cinquième paragraphe, les quatre dernières lignes, le

26 Conseil de sécurité dit : "Une telle solution doit aussi prendre en compte

27 les droits des Albanais du Kosovo et de tous ceux qui habitent le Kosovo,

28 et exprime son support pour un statut amélioré du Kosovo, qui comprendrait

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1 plus d'autonomie et une autoadministration qui a du sens."

2 Ensuite, le paragraphe 6, un accord sur l'éducation.

3 Vous étiez au courant de ces points qui sont identifiés dans cette

4 résolution du Conseil de sécurité où on demande à toutes les parties de

5 négocier. Je pense que vous étiez aussi au courant de cet accord portant

6 sur l'éducation ?

7 R. Oui, c'est exact.

8 Q. Si vous examinez à l'intercalaire 4, version papier, la pièce 1D79,

9 c'est la déclaration du président de la République de Serbie, Milan

10 Milutinovic, sur le processus politique à Kosovo-Metohija. C'est une

11 déclaration qui fait référence à la résolution du Conseil de sécurité que

12 nous venons d'examiner.Voici ce qu'il dit : "Tout délai d'un début d'un

13 dialogue politique porte préjudice et n'est pas justifié."

14 Est-ce que vous voyez cela dans le premier paragraphe ?

15 R. Oui.

16 Q. Ensuite, il fait appel à la minorité albanaise, ensuite il dit : "Moi,

17 en tant que président de la république, je suis prêt à me porter garant de

18 telles discussions sur la base du principe de la préservation de

19 l'intégrité territoriale et du principe d'inclure dans l'agenda la question

20 de l'autogouvernance pour le Kosovo-Metohija dans le cadre de la Serbie."

21 Ensuite, le troisième paragraphe où il parle des moyens pour aboutir à

22 cela, qui sont les moyens pacifiques, politiques et dialogue avant tout ?

23 R. Oui.

24 Q. Ensuite, si on change la page -- enfin, si on tourne la page au

25 deuxième paragraphe où il dit : "C'est pour cela que j'ai fait appel au

26 groupe 3 plus 3 de mettre en œuvre sans aucun délai l'accord sur la

27 normalisation de l'éducation. Ceci aussi servira d'encouragement pour

28 résoudre d'autres problèmes et pour mettre en œuvre les droits et les

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1 intérêts de tous les citoyens du Kosovo-Metohija, et pour tous ceux en

2 Serbie, qu'il n'y ait pas de divisions sur des bases ethniques, religieuses

3 ou culturelles et que l'on vive dans la paix, l'égalité, l'intégration une

4 vie ensemble, commune."

5 Q. Est-ce que vous êtes au courant de cette déclaration en date du 18 mars

6 1998 ?

7 R. Oui.

8 Q. Maintenant, je vais vous demander de vous référer à l'intercalaire 5,

9 1D18.

10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur O'Sullivan. Je pense que la

11 question va se poser de savoir s'il est pertinent en l'espèce de savoir si

12 le témoin a des connaissances au sujet de cela. Parce que si tel n'est pas

13 le cas, ce sont les questions dont vous allez pouvoir nous parler. S'il est

14 nécessaire que le témoin soit au courant de tout cela, je veux bien. Mais

15 si ce n'est pas le cas, je ne pense pas que c'est par le biais de ce témoin

16 qu'il faut introduire tous ces éléments relevant de la période qui nous

17 concerne.

18 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Et bien, c'est un témoin qui a participé à

19 tout cela, il peut confirmer l'authenticité. C'est un diplomate d'active,

20 c'est un envoyé spécial, il participé aux navettes diplomatiques, aux

21 initiatives. Je vais parler de cela.

22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je suis d'accord avec vous, mais tout

23 cela sont les documents que nous pourrions accepter. On aurait pu les lire

24 sans perdre du temps des audiences.

25 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Puisqu'il est déjà là, l'ambassadeur

26 Petritsch, nous souhaitons lui poser des questions sans avoir besoin de le

27 rappeler. Mais si vous voulez, je pourrais aussi le citer en tant que

28 témoin de la Défense.

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1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Non. Je vous dis que si vous lui posez

2 les questions qui ont du sens, je comprends; mais vous n'allez pas lui

3 demander s'il connaît le document que vous allez lire et rien d'autre,

4 parce que pour l'instant et jusqu'à présent c'est tout ce que vous avez

5 fait. Vous lui avez donné lecture de différents documents sans faire rien

6 d'autre.

7 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Merci.

8 [La Chambre de première instance se concerte]

9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur O'Sullivan, nous comprenons.

10 Nous sommes reconnaissants, parce que vous vous êtes restreint quand il

11 s'agissait de mener à bien votre contre-interrogatoire pendant tout ce

12 procès. Nous voyons que vous vous trouvez ici dans une situation

13 extraordinaire. Néanmoins, vous devriez savoir que son excellence, M.

14 l'Ambassadeur a pris de son temps pour être ici. Il faut vraiment que ceci

15 soit justifié.

16 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Je vous comprends.

17 Q. Monsieur l'Ambassadeur, votre Excellence, je vous demanderais de

18 regarder le document suivant, c'est le document qui figurent à

19 l'intercalaire 5, 1D18, pages 90 et 91 dans le e-court. Vous savez, n'est-

20 ce pas, qu'au mois de mars 1998 on a revu l'accord sur l'éducation sous les

21 auspices de la communauté Saint-Edigio,

22 Mgr Palija, et des mesures ont été prises pour relancer ce processus, pour

23 rouvrir l'institut, les facultés albanaises, l'université, les écoles

24 élémentaires et les écoles secondaires au Kosovo. Vous étiez au courant de

25 cela, n'est-ce pas ?

26 R. Oui, mais il ne s'agissait pas de rouvrir toutes les écoles. Il y a eu

27 des efforts pour œuvrer dans ce sens, mais ceci n'a jamais été vraiment mis

28 en œuvre.

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1 Q. C'est un accord qui date de 1996 et en 1998. On voit que le

2 gouvernement commence vraiment à œuvrer dans ce sens avec l'aide des Saint-

3 Edigio; est-ce exact ?

4 R. C'est exact.

5 Q. Ce genre d'initiatives correspond à ce qui est dit dans la Résolution

6 des Nations Unies 1660, c'est-à-dire d'entamer un véritable processus

7 politique, un véritable dialogue ?

8 R. Oui. Justement nous insistions là-dessus. Nous voulions que les deux

9 parties dialoguent et qu'il y ait un véritable dialogue entre les parties.

10 Q. Ensuite, le point suivant : la pièce 1D82, c'est l'intercalaire 6.

11 C'est la déclaration du gouvernement de la République de Serbie concernant

12 le Kosovo-Metohija en date du

13 31 mars 1998. Je voudrais à nouveau vous demander si vous saviez que la

14 première délégation que nous avions vue tout à l'heure avec

15 Pr Markovic où il y avait quatre personnes. Cette délégation a été élargie

16 et la raison pour cela figure en bas de la dernière page, le dernier

17 paragraphe. Je vais vous le lire : "Le gouvernement de Serbie s'est rendu

18 compte que les requêtes des membres des minorités musulmanes, Rom, Turcs et

19 autres habitants au Kosovo ont demandé de participer aux dialogues

20 politiques et que ces requêtes sont légitimes." Est-ce que vous vous

21 souvenez de cela ?

22 R. Non, je ne m'en souviens pas de façon distincte, mais c'est

23 probablement exact.

24 Q. Ensuite, il y a un autre point dont vous allez peut-être vous souvenir

25 qui figure à la deuxième page, le quatrième paragraphe, la dernière phrase

26 où il est dit : "Le représentant spécial du président de la RFY, le vice-

27 premier ministre, le Pr Vladan Kutlesic" a été ajouté à cette délégation.

28 Est-ce que vous vous souvenez de cela ? Est-ce que vous vous souvenez que

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1 Vladan Kutlesic était un envoyé spécial du président Milosevic ?

2 R. Oui, effectivement.

3 Q. Le Dr Kutlesic vous le connaissez ? C'est un académique de renommée.

4 R. Je le connais en tant que politique.

5 Q. Vous saviez que c'était un expert de la constitution ?

6 R. Tout à fait possible. Je le savais. C'est pour cela qu'il a participé

7 aux négociations de Rambouillet en tant qu'expert.

8 Q. Il était membre de la délégation de Rambouillet ?

9 R. Oui.

10 Q. Bien sûr, le Pr Markovic c'est aussi un expert de la constitution ?

11 R. Oui.

12 Q. Ensuite, le suivant paragraphe où on demande qu'une réunion se tienne

13 le 7 avril 1998 à Pristina. Est-ce que vous vous souvenez de cela ?

14 R. Oui.

15 Q. Ils font donc des progrès, n'est-ce pas ?

16 R. Oui.

17 Q. Au dernier paragraphe, on parle de 11 personnes. Il s'agit des 11

18 personnes dont nous avons déjà parlé, n'est-ce pas, qui représentaient les

19 différentes communautés. Il y avait Rugova, Demaqi et d'autres, n'est-ce

20 pas ?

21 R. Oui.

22 Q. Saviez-vous que le 7 avril, cette délégation s'était rendue à

23 Pristina et M. Milutinovic les a accompagnés. C'est lui qui était garant du

24 processus. Savez-vous qu'il s'était rendu à Pristina le

25 7 avril ?

26 R. Je ne m'en souviens pas, mais je suppose que vous avez raison.

27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vois que le nom de Thaqi n'apparaît

28 pas sur la liste des personnes invitées. Quand

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1 a-t-il commencé à participer au dialogue ?

2 LE TÉMOIN : [interprétation] Il n'a jamais été accepté par la partie

3 yougoslave avant Rambouillet, car il avait été condamné à dix ans

4 d'emprisonnement pour des activités terroristes ou quelque chose de ce

5 genre. Il habitait en Albanie, je crois, ou dans les montagnes, je ne sais

6 pas très bien. Evidemment, il n'y avait aucun membre de l'UCK.

7 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

8 M. O'SULLIVAN : [interprétation]

9 Q. Qu'en est-il d'Adem Demaqi, n'était-il pas membre de l'UCK ?

10 R. Plus tard, il est devenu le porte-parole officiel de l'UCK, mais Adem

11 Demaqi est un cas particulier. Il a passé 27 années en prison en

12 Yougoslavie. Il était normal qu'il soit là.

13 Q. Intercalaire 7, il s'agit de la pièce 1D83. C'est une déclaration faite

14 par M. Milutinovic le 7 avril 1998 à Pristina. Savez-vous que les

15 représentants de la communauté albanaise ne se sont pas présentés lorsque

16 les membres de cette délégation souhaitaient les rencontrer ?

17 R. Oui.

18 Q. C'est ce que dit M. Milutinovic dans les deux premiers paragraphes de

19 ce texte, où il renvoie à la déclaration qu'il avait faite le 18 mars,

20 celle que nous avons vue mentionnée dans la résolution du Conseil de

21 sécurité.

22 M. STAMP : [interprétation] Excusez-moi. Là on commence à parler du

23 document sans demander au préalable au témoin s'il connaît le document en

24 question, s'il connaît sa teneur. Avant d'en parler, je pense qu'il

25 faudrait donner la possibilité au témoin au moins de dire s'il connaît ce

26 document.

27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître O'Sullivan.

28 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Très bien. Je suivrai cette proposition.

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1 Q. Vous savez que M. Milutinovic a fait de nombreuses déclarations au

2 cours de cette période. Là, il s'agit d'une déclaration publique. Il a

3 déployé des efforts de façon répétée pour encourager les représentants

4 albanais du Kosovo à rencontrer la délégation menée par Markovic, n'est-ce

5 pas ?

6 R. Oui.

7 Q. Il s'est montré critique lorsque les intéressés ne se sont pas

8 présentés malgré l'invitation qui avait été faite ?

9 R. Tout à fait.

10 Q. Il ne cessait de répéter que cette question était importante pour la

11 Serbie et qu'il fallait résoudre le problème qui se posait à la Serbie en

12 1998. C'était l'un de ses objectifs principaux à lui et aux autorités de la

13 République de Serbie.

14 R. A l'époque, on a essayé de contraindre les Serbes à relancer le

15 dialogue. Nous nous sommes rendu compte que ces invitations qui étaient

16 faites au dernier moment pour la forme en quelque sorte, ces déplacements

17 en Pristina et tout cela, rendaient la situation difficile pour les

18 dirigeants albanais du Kosovo. "nous," les représentants de la Communauté

19 européenne et les Américains avons dit : il faut trouver une manière

20 convenable d'agir, quelque chose qui pourrait permettre d'obtenir la

21 présence des Albanais du Kosovo à la table de négociations. C'est ce que

22 vous proposez. Nous étions tout à fait favorables à ces efforts déployés

23 par les autorités serbes, mais nous pensions que la manière n'était pas la

24 bonne.

25 Q. Nous avons vu que le Conseil de sécurité des Nations Unies avait appelé

26 les deux parties à participer à un dialogue. Il y a eu des initiatives de

27 la part du gouvernement serbe. M. Milutinovic lui-même était garant du

28 processus. A votre connaissance - et nous parlons ici des mois de mars et

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1 avril, qu'avaient fait les Albanais pour satisfaire aux exigences du

2 Conseil de sécurité des Nations Unies ?

3 R. Je pense qu'il faut replacer les choses dans un contexte plus large

4 lorsque l'on évoque les mois de mars et avril 1998. A la fin du mois de

5 février, début du mois de mars de cette même année, il y a eu le massacre

6 de la famille Jashari. M. Jashari était considéré comme étant l'un des

7 membres fondateurs de l'UCK et les forces de Sécurité serbes ont fait une

8 incursion à son domicile et ont tué un certain nombre de membres de sa

9 famille. Je ne connais pas le chiffre exact. Donc, il faut replacer les

10 invitations en question dans ce contexte-là. Après ce massacre, le conflit

11 opposant les Serbes aux Albanais a pris une nouvelle dimension.

12 Q. D'après ce que vous dites, si j'ai bien compris votre réponse, aucun

13 membre du cercle politique au Kosovo-Metohija n'avait pris de mesures à ce

14 stade ?

15 R. Pas pour ce qui est de participer aux négociations.

16 Q. Vous, est-ce que vous avez fait des propositions aux Serbes pour qu'ils

17 changent leur manière de faire; et dans l'affirmative quelle proposition

18 était-ce ?

19 R. Nous avons dit que le gouvernement serbe devait traiter de ce massacre

20 et que sinon, nous ne voyons pas comment les dirigeants politiques du

21 Kosovo pourraient participer à des négociations. Selon nous, il s'agissait

22 d'une condition préalable pour clarifier les choses et pour -- il fallait

23 que les responsables de ce crime soient traduits en justice. Il ne fallait

24 pas que l'impunité règne. Il fallait agir. On ne peut pas faire des

25 déclarations sans que ces questions soient adressées. C'est le message que

26 nous avons adressé aux Serbes.

27 Q. Vous savez qu'au cours de cette période, au printemps 1998, il y a eu

28 12 à 15 tentatives de cette délégation pour encourager le dialogue, et à

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1 chaque fois la partie adverse ne s'est pas présentée. Dans tous les

2 conflits du monde, il y a des rencontres et il y a des tentatives visant à

3 trouver une solution politique pacifique au conflit, n'est-ce pas ?

4 R. Tout à fait, mais en même temps, le conflit faisait rage. Une famille

5 entière avait été massacrée en raison de sa participation alléguée à des

6 activités terroristes. Nous avons tous condamné cela à l'époque. Nous

7 étions fermement opposés à l'usage de la force des deux côtés. La famille

8 Jashari avait été attaquée. Plusieurs personnes ont été tuées et il fallait

9 régler cette question avant de se rasseoir à la table de négociations.

10 Q. Pièce suivante, intercalaire 10. Il s'agit de la pièce 1D18, un extrait

11 de l'ouvrage de Weller, page 289 dans le système de prétoire électronique.

12 Vous avez parlé de la déclaration faite par Milosevic et Yeltsin en juin

13 1998 lorsque le président Milosevic s'est rendu à Moscou. Les deux

14 présidents ont fait une déclaration conjointe. Vous nous avez dit que cela

15 a mené à la création de la KDOM. Dans l'intervalle vous savez, n'est-ce

16 pas, que le président Milosevic a rencontré M. Rugova à la mi-mai à

17 Belgrade. C'était aux environs du 15 mai.

18 R. Oui.

19 Q. En réalité, le 22 mai, une semaine plus tard, une rencontre a eu lieu à

20 Pristina entre la délégation du Pr Markovic et un groupe de dirigeants

21 albanais, n'est-ce pas ?

22 R. Je ne me souviens pas très bien de cette réunion, mais vous avez sans

23 doute raison s'il y a des documents écrits qui attestent cela.

24 Q. Les Albanais à l'époque disposaient d'un groupe. Ils auraient pu

25 rencontrer les membres de la délégation du Pr Markovic, n'est-ce pas ?

26 R. A l'époque, les Etats-Unis exerçaient des pressions sur les Albanais du

27 Kosovo pour qu'ils mettent en place une équipe chargée de participer aux

28 pourparlers, c'est exact.

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1 Q. Est-ce que vous savez que la première et la dernière fois que les

2 Albanais se sont présentés à une réunion avec la délégation du Pr Markovic,

3 c'était à cette occasion-là ?

4 R. C'est tout à fait possible.

5 Q. Vous savez que la déclaration conjointe faite par

6 MM. Milosevic et Yeltsin appelait à trouver une solution politique fondée

7 sur l'égalité de tous les citoyens et de toutes les nations au Kosovo-

8 Metohija, n'est-ce pas ?

9 R. Tout à fait. Il s'agit d'une déclaration historique à bien des égards

10 et qui montre le rôle constructif joué par la Russie dans ce conflit.

11 C'était très important, car pour la première fois on a officiellement

12 reconnu l'implication de la communauté internationale dans le conflit au

13 Kosovo, ce qui est très différent du référendum organisé par Milosevic en

14 Serbie. Je pense que c'était au mois d'avril où on demandait aux citoyens

15 serbes : est-ce que vous êtes pour ou contre une implication de la

16 communauté internationale au Kosovo ? M. Milosevic a obtenu presque 97 % de

17 voix contre une implication de la communauté internationale en avril 1998.

18 A la mi-juin de cette même année, on a autorisé l'implication de la

19 communauté internationale. Voilà ce qu'il en est des référendums dans les

20 Balkans.

21 Q. Donc il y a eu un changement de cap dans ces deux mois.

22 R. Oui.

23 Q. Il s'agit d'un changement de cap très important et très rapide au plan

24 politique.

25 R. Tout à fait. Il s'agissait d'une mesure très encourageante de la part

26 du gouvernement Milosevic.

27 Q. Je pense que vous conviendriez avec moi, Excellence, que de façon

28 générale les Etats souverains sont réticents à accepter une

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1 internationalisation des conflits. Mais dans ce cas, la RFY l'a acceptée, a

2 même autorisé la KDOM à surveiller le conflit.

3 R. Tout à fait. Il s'agit d'une mesure très positive de la part du

4 gouvernement yougoslave et je m'en suis bien rendu compte à l'époque nous

5 avons pris cela sérieusement, nous avons constitué notre KDOM en deux

6 semaines et nous avons ainsi établi un réseau d'observateurs déployés sur

7 l'ensemble du territoire du Kosovo, ce qui nous a permis d'avancer de façon

8 importante dans ce conflit au Kosovo. Je répète qu'il s'agissait d'une

9 mesure très positive de la part de la partie serbe.

10 Q. Ceci a résulté en partie de l'engagement pris par Yeltsin et Milosevic,

11 un accord qui garantissait la liberté de mouvement pour les diplomates

12 habilités au Kosovo, accès aux organisations humanitaires, et cetera.

13 R. Tout à fait.

14 Q. On prévoyait le retour des réfugiés, des personnes déplacées ?

15 R. Oui. C'était prévu. Mais cela n'a pas vraiment fonctionné.

16 Q. On prévoyait également une assistance de l'Etat pour reconstruire les

17 maisons ?

18 R. Oui.

19 Q. Il s'agissait également de poursuivre les négociations avec l'OSCE

20 concernant le contrôle de la situation ?

21 R. Oui.

22 Q. Si l'on examine ces documents, on voit qu'il est dit : "En cas de

23 cessation des activités terroristes, réduire la présence des forces de

24 sécurité à l'extérieur de la zone où elles sont déployées de façon

25 permanente."

26 Car à l'époque il y avait des problèmes de terrorisme au Kosovo, n'est-ce

27 pas ?

28 R. Peu importe comment on appelle cela, il y avait une résistance armée de

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1 la part des Albanais du Kosovo où d'aucun l'appellerait du terrorisme.

2 Q. Le Conseil de sécurité des Nations Unies dans sa résolution parle de

3 terrorisme, n'est-ce pas ?

4 R. Dans la résolution que vous avez évoquée, c'est exact.

5 Q. Est-ce que vous considérez que les membres de l'UCK sont des

6 terroristes ?

7 R. Ce n'est pas à moi qu'il convient de répondre à cette question. A

8 l'époque, pour moi, il était important d'amener ces gens à la table des

9 négociations. C'était ma tâche en tant que diplomate.

10 Q. Oui, je comprends bien. Mais ce n'est pas ce que vous avez dit à

11 l'époque, maintenant, 8 ou 9 années se sont écoulées depuis les faits. Est-

12 ce qu'aujourd'hui, avec le recul, vous pensez que l'UCK est une

13 organisation terroriste ?

14 R. Je vous répète qu'à un moment donné les Etats-Unis ont considéré qu'il

15 s'agissait d'une organisation terroriste. Ensuite, ils sont revenus sur

16 leurs propos car cela entraîne des conséquences au plan juridique aux

17 Etats-Unis. Mais l'Union européenne n'a pas fait cette démarche, mais nous

18 avions tous à l'esprit ce qui s'était passé, ce qui était en train de se

19 passer, et ces attaques que l'on pourrait considérer comme terroristes.

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître O'Sullivan, ligne 14, je crois

21 que la question était : C'est ce que vous avez dit à l'époque, et non pas

22 ce n'est pas ce que vous avez dit à l'époque.

23 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Tout à fait.

24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vous ai bien compris.

25 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Oui. Merci.

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Dans l'ouvrage de Weller, est-ce qu'on

27 a déployé des efforts pour confirmer comme l'a fait l'Accusation

28 l'authenticité des différents documents ?

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1 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Non.

2 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que cela est difficile ?

3 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Nous pouvons essayer de le faire.

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Très bien. Est-ce que vous avez omis

5 l'intercalaire 9 intentionnellement ou est-ce que je vous ai mal compris ?

6 M. O'SULLIVAN : [interprétation] J'ai simplement posé la question, et je

7 n'ai pas montré le document.

8 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Il s'agissait simplement d'exemples

9 relatifs au fait que les participants albanais ne se présentaient pas aux

10 réunions ?

11 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Oui.

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

13 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Nous parlons du 12 et du 10, il y avait 12

14 à 15 personnes comme nous l'avons entendu dans la déposition d'autres

15 témoins.

16 Q. S'agissant de la question de l'aide fournie par l'Etat dont nous avons

17 parlé en juin 1998, vous saviez, n'est-ce pas, que des centres humanitaires

18 avaient été ouverts par les autorités serbes, notamment à Decani ?

19 R. Oui, j'ai connaissance de cela. Nous avons encouragé la création de ces

20 centres, mais il y a eu des problèmes. Ceux que j'ai visités soit n'étaient

21 pas vraiment mis en place, soit n'accueillaient pas vraiment des Albanais

22 du Kosovo, car il y avait une grande méfiance entre les deux communautés.

23 Q. Mais vous conviendrez que l'ouverture de ces centres humanitaires a

24 visé à renforcer cette confiance mutuelle ?

25 R. En principe, oui. Je pense que quelque chose aurait dû être fait

26 différemment avec l'aide d'un organisme neutre comme le HCR par exemple.

27 Q. Est-ce que vous avez connaissance d'un programme cadre adopté par le

28 gouvernement de la République de Serbie qui appelait à la coopération avec

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1 les organisations humanitaires, notamment avec la Croix-Rouge yougoslave.

2 Est-ce que vous savez que c'était le cas à la mi-juin ?

3 R. A l'époque, je le savais certainement.

4 Q. Intercalaire numéro 11, pièce 1D84. Ceci pourra peut-être vous aider à

5 relever vos souvenirs. Donc, ce programme cadre a été mis en place. Il

6 incluait la coopération entre les autorités locales et la Croix-Rouge

7 yougoslave dans l'approvisionnement des vivres et d'autres choses. Ce

8 programme a été adopté suite à une décision prise par le gouvernement de

9 Serbie le 17 juin. Est-ce que cela vous dit quelque chose ?

10 R. Oui. Comme je l'ai dit, je ne me souviens pas très bien de ce document.

11 Je me souviens qu'il y a eu des efforts que nous avons encouragés, mais

12 encore nous avons suggéré aux autorités serbes de faire en sorte d'avoir

13 accès aux Albanais du Kosovo qui avaient vraiment besoin d'aide. Il pouvait

14 y avoir un intermédiaire pour parvenir à ces fins, soit des Albanais du

15 Kosovo, soit des ONG, une question de bon sens. Si la méfiance règne, il

16 faut trouver une manière de faire en sorte que ces actes de bonne volonté

17 se traduisent par des actes concrets.

18 Q. Ce que nous voyons ici, ce sont des exemples de ce que vous dites ?

19 R. Oui.

20 Q. Nous avons examiné la période allant de la fin du mois de mars à la mi-

21 juin ou la fin du mois de juin 1998. Est-ce que vous savez qu'au début

22 juillet 1998 l'UCK selon les estimations contrôlait 30 à 40 %, voire 50 %

23 du territoire du Kosovo-Metohija ?

24 R. C'est ce qu'affirmait l'UCK, qui exagérait toujours les choses pour

25 essayer d'impressionner les Albanais, mais ils ne pouvaient nous

26 impressionner, nous. C'était beaucoup moins. Ils contrôlaient les parties

27 qui avaient été abandonnées par l'armée yougoslave. Les forces de sécurité

28 serbe ont été, bien entendu, bien plus professionnelles que l'UCK, qui

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1 n'était qu'une organisation constituée de gamins qui voulaient jouer aux

2 soldats.

3 Q. Je pense que vous confondez peut-être le retrait des forces de sécurité

4 après l'accord conclu entre Milosevic et Holbrooke et l'OSCE --

5 R. Oui, excusez-moi, je vous interromps. Je voulais dire que toutes les

6 affirmations faites pour l'UCK devaient être prises avec un grain de sel.

7 Il s'agissait plutôt de propagande. Mais, effectivement, ils tenaient,

8 notamment les villages et certains secteurs, mais pas la capitale Pristina,

9 ni les villes plus importantes du Kosovo.

10 Q. Je vous rappelle ce qui figure dans l'une de vos dépêches, il s'agit

11 des pièces P2665. Nous n'avons pas de version papier. Vous avez envoyé ces

12 dépêches au ministère des Affaires étrangères à Vienne le 1er juillet 1998.

13 Vous avez écrit, je cite : "Les affirmations faites par les Serbes selon

14 lesquelles ils contrôlent toutes les villes et un nombre important d'axes

15 routiers au Kosovo, malgré le secteur contrôlé par l'UCK, qui est estimé à

16 environ 30 à 40 %, voire 50 % du territoire est vrai s'agissant de villes,

17 mais complètement fausse s'agissant des routes."

18 R. Voilà, c'est ici.

19 Q. C'est ce que je vous ai soumis comme idée tout à l'heure.

20 R. Non, ce n'est pas ce que j'ai dit. On citait des chiffres et à l'époque

21 nous avons dit que c'était faux.

22 Q. Non, je crois que ce qui apparaît dans votre document dit l'inverse.

23 Vous dites que les Serbes contrôlaient les villes mais ne contrôlaient pas

24 les routes. C'est ce que vous avez dit en juillet à votre ministère des

25 Affaires étrangères ?

26 R. Oui, ce que je dis c'est que les villes étaient contrôlées par les

27 Serbes et que la campagne, en partie, notamment Drenica, était contrôlait

28 par l'UCK. Quant aux routes il y avait des barrages routiers, mais la

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1 situation changeait à chaque fois que l'armée yougoslave ou les forces de

2 sécurité prenaient l'initiative. Bien sûr, elles anéantissaient assez

3 facilement l'UCK et l'UCK se déplaçait.

4 Q. Dans cette même pièce, il est dit, je cite : "Par conséquent, l'UCK

5 peut faire des interventions sur les axes routiers majeurs et les axes

6 d'approvisionnement dans les zones contrôlées par les Serbes, au moins de

7 façon temporaire."

8 R. Tout à fait. C'est un exemple caractéristique de la manière dont les

9 participants à un conflit qui ne sont pas des états fonctionnent. Ils

10 procèdent à des attaques, ensuite se retirent.

11 Je n'essais pas de minimiser les choses, bien au contraire. Il

12 s'agissait d'une situation très difficile pour une armée régulière.

13 Q. Une armée régulière ou les forces de sécurité avaient des problèmes

14 avec l'UCK, n'est-ce pas ?

15 R. Tout à fait.

16 Q. Ce n'était pas simplement un groupe d'enfants un peu fous, ces membres

17 de l'UCK ?

18 R. Non. Ceux qui étaient armés avaient des uniformes de l'UCK et les

19 civils -- en fait, il y a beaucoup de civils qui ont souffert, ce sont eux

20 qui souffraient dans ces attaques aveugles et disproportionnées de la part

21 des forces de sécurité serbes.

22 Q. Vous savez, vu votre expérience personnelle, que l'UCK posait des

23 embuscades aux membres du MUP serbe ?

24 R. Tout à fait.

25 Q. Vous dites que l'UCK kidnappait des Serbes, des Monténégrins, d'autres

26 non-Albanais, même des Albanais, qu'ils soient de profession musulmane ou

27 catholique, ceux que l'UCK considère comme des ennemis ?

28 R. Tout à fait. Ils allaient contre les leurs, ceux qui étaient opposés à

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1 l'UCK.

2 Q. Il s'agissait d'une manière très efficace de contrôler la situation

3 même s'il pouvait s'agir d'une organisation plus petite que les forces

4 serbes ?

5 R. Non, ce n'était pas très efficace, mais c'était fait.

6 Q. Vous savez, n'est-ce pas, que les Serbes ont lancé une initiative pour

7 mettre en place une police locale. Cette initiative n'a pas aboutit, c'est

8 ce qui est indiqué dans la pièce P99, l'une de vos dépêches en date du 7

9 septembre 1998 où vous dites :

10 "Bien entendu, ce plan est très délicat. D'un côté, pour des raisons

11 propres aux Serbes et en raison de l'armement des Albanais, et d'autre

12 part, pour des raisons propres aux Albanais du Kosovo car ces policiers

13 pouvaient être considérés comme des traîtres à la cause albanaise et soumis

14 à des persécutions de la part de l'UCK."

15 Ceci reflète bien les problèmes posés par la tentative visant à

16 établir une police locale, n'est-ce pas ?

17 R. Tout à fait. Ils essayaient d'établir cette police locale en incluant

18 les Albanais du Kosovo, mais à l'époque il était très difficile d'obtenir

19 que des Albanais du Kosovo qui y participent. Certains ont rejoint les

20 rangs de cette police, ils étaient considérés comme des traîtres. Bien

21 entendu, l'UCK a essayé à plusieurs reprises de les assassiner. Voilà

22 quelle était la situation. Aucune partie ne contrôlait cela.

23 Q. Vous saviez que l'UCK entraînait des hommes dans certains centres en

24 Albanie, en Suisse, en Allemagne, en Turquie et dans d'autres pays

25 étrangers, n'est-ce pas ?

26 R. Je ne suis pas au courant de cela.

27 Q. Mais vous saviez que l'UCK avait des camps d'entraînement dans le nord

28 de l'Albanie ?

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1 R. C'est ce que j'ai entendu dire et j'ai lu les articles à ce sujet, oui.

2 Q. Vous étiez informé par les milieux diplomatiques sur ces sujets, n'est-

3 ce pas ?

4 R. Non, comment est-ce que je pourrais dire ? C'était plutôt des

5 hypothèses relevant de la simple raison, ce n'était pas des connaissances

6 fondées, mais des hypothèses puisqu'il faut bien qu'on apprenne à tirer

7 quelque part si on veut tirer.

8 Q. Mais vos collègues diplomatiques américains, les représentants que vous

9 rencontriez à Belgrade, vous disaient ce genre de choses à Belgrade, n'est-

10 ce pas ?

11 R. Non. Ils étaient très discrets quand il s'agissant de renseignements

12 relevant du service de renseignements.

13 Q. Vous saviez que l'UCK avait des routes d'approvisionnement entrant au

14 Kosovo et passant par l'Albanie ?

15 R. Cela, c'était encore une hypothèse, oui.

16 Q. Vous saviez qu'en raison de la chute du régime albanais à la fin des

17 années 1990 --

18 R. A la fin des années 1990, oui.

19 Q. -- et en raison de tout cela, ces routes étaient disponibles ?

20 R. Oui.

21 Q. C'était des routes d'approvisionnement en armes et en munitions pour

22 l'UCK ?

23 R. A l'époque, comment est-ce que je pourrais dire ? Dès le début de la

24 résistance armée de la part des kosovars albanais, oui. C'est tout à fait

25 clair, un lien direct existait entre la chute du régime albanais en 1997 et

26 le début d'une résistance armée majeure au Kosovo, et on part de

27 l'hypothèse que les armes venaient d'Albanie.

28 Q. Vous saviez aussi que les autorités gouvernementales albanaises

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1 soutenaient l'UCK ?

2 R. Je ne suis pas au courant de cela, mais c'était une hypothèse que nous

3 nourrissions, à savoir qu'il y avait une fraction qui soutenait l'UCK au

4 Kosovo.

5 Q. Passons maintenant à la période où vous êtes devenu émissaire spécial

6 en octobre 1998, la période de la navette diplomatique. Vous-même et M.

7 l'Ambassadeur Hill travaillaient ensemble dans le cadre de cette navette

8 diplomatique, et des efforts diplomatiques déployés à l'époque, n'est-ce

9 pas ?

10 R. Exact.

11 Q. Vous avez connaissance de la tenue d'une réunion à Belgrade le 29

12 septembre 1998 à laquelle ont participé M. Milutinovic, Son Excellence

13 l'ambassadeur, M. Hill et M. Rossin qui dirigeait le département sud-est de

14 l'Europe, au département d'Etat américain ?

15 R. Oui.

16 Q. Ainsi qu'en présence du Pr Markovic et du Pr Kutlesic ?

17 R. Simplement une petite correction. Je lis Rossin au compte rendu

18 d'audience, il s'agit de Larry Rosen.

19 Q. C'est ma faute, c'est une erreur de ma part.

20 R. Non, non, non. C'est une erreur de ma part dans la rédaction du

21 rapport. Donc l'orthographe du nom est R-o-s-e-n au troisième paragraphe du

22 texte.

23 Q. Intercalaire 12, en copie papier, pièce 556. Vous voyez qu'on discute

24 dans ce texte d'un projet d'accord dû à M. Hill ?

25 R. Oui.

26 Q. Vous avez déjà parlé de nombreux efforts déployés dans le sens d'une

27 conclusion d'accord au mois de septembre ?

28 R. Hm-hm.

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1 Q. Trois problèmes importants sont évoqués dans ce texte, la police,

2 l'administration de la justice dans le tout le Kosovo, et la position des

3 représentants. Alors, ceci montre que la délégation dirigée par le Pr

4 Markovic avait pris des mesures pour formuler sa position, de même que vous

5 l'aviez fait vous-même, ainsi que l'avait fait M. L'Ambassadeur Hill,

6 n'est-ce pas ?

7 R. Absolument. Je pense que ceci atteste du fait qu'il n'y avait aucun

8 piège à Rambouillet, car pendant de nombreux mois auparavant, les questions

9 avaient été discutées dans tous les détails avec des experts à Belgrade.

10 Q. Un autre document qui rend compte de cette réunion est la pièce 1D86,

11 intercalaire 13 de votre dossier papier, la déclaration vient du bureau du

12 Procureur Milutinovic, et nous y lisons qu'il a reçu M. l'Ambassadeur Hill,

13 ainsi qu'un certain nombre d'autres personnes dont les noms figurent dans

14 le texte. Dans le document précédent, dans votre rapport, c'était M.

15 l'Ambassadeur Hill qui vous avez donné des renseignements, je suppose ?

16 R. Oui.

17 Q. Alors que dans ce texte nous voyons, notamment au paragraphe 3, qu'il

18 est mutuellement établi qu'un flot d'interventions actualisées doit

19 circuler. Ceci correspond à ce que M. l'Ambassadeur Hill vous avait dit ?

20 R. Absolument.

21 M. STAMP : [interprétation] Je ne fais pas objection à ce document en tant

22 que tel, mais à son utilisation. Même objection que celle que j'ai

23 soulevée hier, c'est la façon dont le document a été utilisé qui nous gêne.

24 Le témoin est interrogé au sujet du contenu d'un document sans avoir eu la

25 possibilité de le reconnaître au préalable.

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Il ne le reconnaîtra.

27 Me O'Sullivan lui demande seulement s'il a connaissance des événements qui

28 sont évoqués dans ce document, et si ce qu'il en sait correspond a ce qui

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1 est écrit dans le document, n'est-ce pas ?

2 M. STAMP : [interprétation] Mais le témoin est renvoyé au contenu même du

3 document.

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Quel est le problème ?

5 M. STAMP : [interprétation] Je pars du principe --

6 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Qu'il devrait confronter le témoin à

7 ses propres arguments ?

8 M. STAMP : [interprétation] En effet.

9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] En temps utile le témoin confirmera la

10 teneur du document.

11 M. STAMP : [interprétation] Mais s'il confronte le témoin au document, je

12 pense pour ma part qu'il doit donner au préalable la possibilité au témoin

13 d'identifier, de reconnaître ce document ou de ne pas le reconnaître.

14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je crains de ne pas très bien vous

15 suivre, mais je vais consulter mes collègues et nous verrons si c'est

16 effectivement une nécessité.

17 [La Chambre de première instance se concerte]

18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Stamp, nous ne voyons pas de

19 problèmes sur ce point. Si le témoin doit nous dire que ce qu'il sait des

20 événements correspond à ce qui est écrit dans le document, nous avons sa

21 déposition, et s'il dit le contraire, nous avons également sa déposition.

22 Il n'y a pas tentative d'établir ces documents en tant qu'éléments de

23 droit. Cela, c'est la fonction du contre-interrogatoire, de mettre

24 l'exergue sur des éléments qui ne peuvent pas être confirmés par un témoin.

25 Si, par ailleurs,

26 Me O'Sullivan souhaite agir dans ce sens, s'il le juge utile, il le fera

27 sans aucun doute. Il demandera confirmation au témoin de l'authenticité ou

28 non du document, éventuellement.

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1 Veuillez poursuivre, Maître O'Sullivan. Le témoin souhaitait dire quelques

2 mots.

3 LE TÉMOIN : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président. J'ai eu le

4 temps maintenant de lire la déclaration publique émanant du cabinet du

5 président en date du

6 29 septembre 1998, et j'ai pu comparer ce texte à celui du rapport que nous

7 avons adressé à mon ministère des Affaires extérieures. Il est tout à fait

8 clair que ces deux textes ne correspondent pas totalement. La déclaration

9 publique de la République de Serbie rend compte de la position serbe, alors

10 que notre rapport qui reposait sur les suites de la rencontre avec M.

11 l'Ambassadeur Hill est davantage concentré sur les faits, et il est

12 également davantage détaillé, il met l'accent sur la nature des problèmes

13 vécus par la partie serbe. Donc, à cet égard, nous n'allons pas dire les

14 deux textes coïncident exactement. Mais ceci apparaît à l'évidence à la

15 comparaison des deux documents.

16 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] En effet. C'est une question que

17 l'Accusation peut vous poser au cours de ses questions supplémentaires.

18 Mais Maître O'Sullivan, vous posez deux questions en une seule, en fait.

19 L'une d'entre elles étant si la déclaration confirmait ce qui avait été dit

20 pendant la réunion, et deuxièmement, si elle faisait état de l'urgence de

21 poursuivre le dialogue. Vous avez répondu en confirmant les deux choses,

22 puisque vous avez répondu "absolument".

23 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Manifestement, nous pourrons entendre

25 d'autres propos relatifs au contenu du document en temps utile. Nous

26 pourrons lire ce document. Nous pourrons aussi entendre les réponses faites

27 aux questions de l'Accusation au moment des questions supplémentaires, vos

28 réponses. Notre procédure dans ce procès a consisté jusqu'à présent à

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1 verser au dossier des documents dans la mesure où ils peuvent aider les

2 Juges à mieux comprendre les réponses d'un témoin. Nous avons suivi cette

3 façon de faire jusqu'à présent, puisque vous avez admis qu'il y avait

4 correspondance entre la déclaration écrite et ce que vous en avez dit

5 oralement. Nous partons donc du principe que ce genre de document n'exige

6 pas une identification de votre part, à moins que Me O'Sullivan vous

7 demande de confirmer, que vous pouvez l'identifier.

8 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Oui, je peux poser la question au témoin.

9 Q. Est-ce que vous connaissiez déjà cette déclaration ?

10 R. Non.

11 Q. Et --

12 R. Sa teneur, bien entendu, est tout à fait conforme avec le cours des

13 discussions à l'époque.

14 Q. Les renseignements qui vous sont fournis par

15 M. l'Ambassadeur Hill quant à la nature de --

16 R. Comme je l'ai déjà dit, les renseignements qui m'ont été fournis par M.

17 l'Ambassadeur Hill étaient présentés beaucoup plus dans le détail, étaient

18 davantage liés à des faits concrets qu'une simple déclaration

19 gouvernementale. D'ailleurs, c'est en général le cas.

20 Q. Très bien. Donc, les deux textes ne s'excluent pas l'un l'autre, n'est-

21 ce pas ?

22 R. Donc, les deux textes ne s'excluent pas l'un l'autre.

23 Q. Il n'y a pas opposition entre eux ?

24 R. Il n'y a pas opposition.

25 Q. Dans la déclaration au deuxième paragraphe, nous lisons : "Conclusions

26 tirées par l'assemblée nationale de Serbie." Je vais vous renvoyer à

27 l'intercalaire 15, pièce 1D202, où nous trouvons les conclusions établies

28 par la République de Serbie le

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1 28 septembre 1998."

2 Je pense que vous les connaissez, ces conclusions. Vous en

3 conviendrez sans doute avec moi, se situe au début de la navette

4 diplomatique, de la phase de navette diplomatique, la phase Hill-Petritsch

5 comme nous pourrions l'appeler, et nous voyons que le gouvernement de

6 Serbie émet un certain nombre de conclusions sur la base de la réunion de

7 l'assemblée de son pays, du parlement de son pays. Vous savez que le

8 gouvernement de Serbie distinguait clairement entre terroristes et

9 terrorisme d'une part, et membres de la communauté kosovare albanaise

10 d'autre part, à savoir population du Kosovo, population albanaise du

11 Kosovo, n'est-ce pas ?

12 R. C'est exact. C'était le cas dans ces écrits. Malheureusement,

13 dans ces actions sur le terrain, cette distinction n'était pas respectée.

14 Q. Vous savez que le gouvernement de Serbie condamnait toute forme

15 de terrorisme comme n'étant pas le vecteur le plus propre à aboutir à une

16 solution politique ?

17 R. En effet.

18 Q. Vous êtes d'accord avec cela, n'est-ce pas ?

19 R. Bien entendu, nous ne pouvons qu'être d'accord pour refuser le recours

20 à la force contre le terrorisme ou contre tout autre force, mais il était

21 clair que nous demandions également aux deux parties de ne pas recourir de

22 façon indiscriminée à la force comme cela a été le cas dans ce conflit, ce

23 dont rendent compte les résolutions du Conseil de sécurité d'ailleurs.

24 Q. Paragraphe 6, vous faites référence à la République albanaise qui

25 autorise l'UCK à entretenir des bases sur son territoire aux fins

26 d'organiser, de recruter, d'entraîner, et d'armer ses hommes. Alors, ceci a

27 fait l'objet d'un débat public à l'assemblée, ce n'était pas un secret. Je

28 veux dire, il n'y avait pas d'interventions des services de Renseignements,

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1 le gouvernement était tout à fait au courant. Je suis sûr que la communauté

2 diplomatique dont vous faisiez partie le savait également, n'est-ce pas ?

3 R. Exact. Nous agissions quelque peu à ce sujet, bien sûr. Nous avons

4 entamé un certain travail à Tirana sur cette question pour faire cesser

5 l'afflux d'armes, et cetera.

6 Q. Vous connaissez la position du gouvernement serbe, l'assemblée de

7 Serbie à cette époque estimait qu'il fallait poursuivre le dialogue sans

8 condition, cherchait à dialoguer avec les dirigeants des groupes résidents

9 au Kosovo-Metohija en vue d'une solution, n'est-ce pas ?

10 R. Oui, c'est exact.

11 Q. La position du gouvernement est décrite de façon assez exacte au

12 paragraphe 14 --

13 R. Je n'ai pas le texte sous les yeux.

14 Q. Excusez-moi, page 3 --

15 R. Excusez-moi de vous interrompre, mais il y a vraiment un bruit dans les

16 écouteurs.

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous pouvez peut-être travailler sans

18 écouteurs. Il y a un problème avec un micro. Ce problème ne peut être

19 résolu avant la prochaine pause qui aura lieu bientôt. Je pense que puisque

20 vous parlez relativement couramment tous les deux la même langue, nous

21 n'avons pas, à strictement parler, besoin d'écouter les interprètes.

22 L'INTERPRÈTE : Mais les interprètes doivent parler pour la sténotypie.

23 M. O'SULLIVAN : [interprétation]

24 Q. L'une des réalités, si on peut l'appeler ainsi, dans les Balkans, c'est

25 que l'appartenance à un groupe ethnique ou à un groupe de citoyens était

26 mêlée avec l'appartenance à une religion et qu'il n'y avait pas de

27 distinction entre les habitants comme s'établit cette distinction dans

28 d'autres pays du monde. Je veux dire dans les autres pays du monde, on

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1 parle d'un habitant d'un pays comme d'un citoyen ou de quelqu'un qui

2 détient un certain nombre de droits individuels, alors que dans cette

3 région des Balkans, c'est un peu différent, on définit les gens en fonction

4 de leur religion, et la religion entraîne automatiquement une définition en

5 fonction de l'appartenance ethnique. Vous êtes d'accord avec cela ?

6 R. Sur le principe, je suis d'accord. C'était au cœur d'ailleurs de la

7 tragédie yougoslave. Cette tentative de fonder une société moderne sur des

8 différences ethniques, notamment lorsqu'on se trouve face à une société

9 multiethnique comme c'était le cas en Yougoslavie, et cela a conduit à un

10 désastre. Dans le cas des Kosovars albanais, le problème était encore plus

11 complexe, car il y avait à la fois des Albanais musulmans et des Albanais

12 chrétiens. Donc, il y avait encore un mélange supplémentaire, la religion

13 ne pouvait pas jouer le même rôle au Kosovo que dans les autres régions où

14 elle était directement liée à l'appartenance ethnique. Donc, au Kosovo, les

15 Kosovars étaient avant tout Albanais avant d'être Catholiques ou Musulmans.

16 Q. Mais --

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître O'Sullivan, on m'indique le

18 problème devient de plus en plus difficile pour les interprètes. Donc, est-

19 ce que cela ne vous poserait pas problème que nous fassions la pause un peu

20 plus tôt que prévue ?

21 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Pas de problème.

22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Il faudrait qu'elle se fasse

23 maintenant pour que les réparations techniques puissent avoir lieu.

24 Je vous demanderais, Monsieur Petritsch, de quitter une fois le prétoire

25 avec l'aide de M. l'Huissier un peu plus tôt qu'à l'heure prévue.

26 [Le témoin se retire]

27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Suspension pendant 20 minutes.

28 --- L'audience est suspendue à 12 heures 08.

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1 --- L'audience est reprise à 12 heures 41.

2 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

3 [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître O'Sullivan.

5 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Il y a une correction pour le compte rendu

6 d'audience à la page 64, ligne 7. J'ai fait un lapsus. Il ne s'agit pas de

7 la pièce P99, mais il s'agit de la page P599.

8 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vous remercie.

9 M. O'SULLIVAN : [interprétation]

10 Q. Maintenant, je voudrais passer au mois d'octobre 1998. C'est la période

11 de ces navettes diplomatiques. Nous avons entendu parler dans des termes

12 très généraux de cet accord qui était l'œuvre de l'ambassadeur Hill et de

13 vous-même pendant cette période de navette diplomatique. A l'intercalaire

14 16, vous allez voir un de ces projets. C'est la pièce 1D18. Le e-court page

15 353 jusqu'au 359. C'est un de ces projets que vous avez écrits, reproduit

16 par le Pr Weller. Est-ce vous l'avez ?

17 R. Hm-hm.

18 Q. Je ne voudrais pas que vous examiniez tous les détails, mais juste pour

19 voir de quoi il s'agit, regardez un peu le titre : "Les droits et les

20 devoirs du Kosovo, Les droits des nationalités," ensuite "Les organes au

21 Kosovo, La partie relevant des communes." Ensuite cela continue dans le

22 document: "La résolution des conflits et la maintenance de l'ordre public,

23 le financement, la période de la mise en œuvre. Les amendements, les

24 clauses définitives," et cetera, et cetera. Ensuite, on voit une annexe

25 portant sur la sécurité. Ensuite, on voit une question du ministère de

26 l'Intérieur avec la représentation albanaise qui se pose aussi, un projet -

27 - quelques documents concernant le ministère de l'Intérieur, les organes de

28 sécurité par rapport à la coopération éventuelle avec la police fédérale et

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1 au niveau de la République, au Kosovo, et cetera.

2 C'est un des exemples de projet datant du mois d'octobre 1998.

3 R. Oui, le 1er octobre 1998.

4 Q. Ensuite, l'intercalaire 17, 1D18, e-court pages 359 à 366, c'est un

5 exemplaire de la version du 1er novembre 1998 et là, je pense qu'il y a eu

6 des navettes de ce projet qui ont été envoyées et renvoyées entre vous et

7 l'ambassadeur Hill et les autres participants pour valider les idées,

8 n'est-ce pas ?

9 R. Oui.

10 Q. Je ne veux pas à nouveau examiner en détail ce document, mais toute

11 personne examinant ce document qui comporte le titre similaire voit que

12 c'est un document assez détaillé même s'il s'agit que d'un projet, comment

13 dire ?

14 R. Je dirais que ceci appartient au volet politique d'un quelconque accord

15 sans spécification des conditions de mise en œuvre.

16 Q. Ce sont les projets qui auraient été transmis aussi bien au côté serbe

17 qu'albanais ?

18 R. Oui, c'est exact.

19 Q. Qu'est-ce qu'ils faisaient, ils vous renvoyaient leurs commentaires,

20 ils examinaient cela ?

21 R. Nous nous rendions à Pristina ou à Belgrade pour rencontrer différents

22 individus, les personnes qui étaient en charge du groupe pour négocier avec

23 nous, et ensuite on discutait tout cela; souvent c'était M. Milutinovic du

24 côté serbe et M. Agani du côté albanais très, très souvent et dans une

25 grande mesure.

26 Q. Est-ce qu'on peut dire que c'était une période assez positive où l'on

27 avait accompli pas mal de choses, comme l'on peut le voir et constater en

28 examinant ces documents ?

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1 R. Je dirais qu'on les a poussés un peu, nous et deux médiateurs. Il y

2 avait pas mal de résistance des deux côtés. Ils essayaient de faire

3 obstruction, de nous faire prolonger, si vous voulez, tout le processus de

4 négociation. Nous avions tout de suite l'impression qu'on avait un petit

5 peu de retard, alors que sur le terrain il y a une escalation [phon] nette

6 et claire qui s'accélérait sur le terrain.

7 Q. Je voudrais attirer votre attention sur la moitié du mois de novembre

8 et j'ai quelques documents à vous montrer. Le

9 14 novembre, par exemple, vous avez reçu une invitation. Elle figure à

10 l'intercalaire 18. C'est l'invitation qui vous a été adressée à vous, à

11 l'ambassadeur Hill, à l'ambassadeur de la Fédération de Russie et de la

12 République populaire de Chine envoyée par le président Milutinovic vous

13 demandant d'assister à une réunion le

14 18 novembre à Pristina ?

15 R. Oui.

16 Q. Vous ne pouvez malheureusement pas assister à cette réunion ?

17 R. Physiquement, je n'étais pas présent. Malheureusement, je n'étais pas

18 là parce que je n'étais pas à Belgrade et je m'en suis excusé.

19 Q. Nous avons, en effet, à l'intercalaire 18 [comme interprété] votre

20 lettre où vous vous excusez en disant : "Qu'il y a eu du progrès, qu'on

21 peut constater un certain progrès en étant plus compréhensif. --"

22 R. Pour la première fois, les négociateurs et les médiateurs ont été

23 acceptés par le côté serbe, à savoir qu'ils pouvaient participer au

24 processus et pour moi il s'agissait là d'un développement positif.

25 Q. Dans votre réponse, Ambassadeur, au dernier paragraphe vous exprimez

26 vos regrets que, "par erreur, cette lettre d'invitation a été mal placée."

27 C'est une erreur, n'est-ce pas ?

28 R. Oui. Même les meilleurs diplomates font des erreurs de temps en temps.

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1 Q. En tout cas, les Serbes cette fois-ci ont réagi à temps.

2 La réunion a eu lieu à Pristina le 18 novembre. Vous ne pouviez pas y

3 aller, mais pas mal de gens y sont allés. Ceci a été repris largement dans

4 les médias, dans la télévision, et cetera.

5 R. Je ne me souviens pas de cela, mais je pense que cela a été

6 couvert. Oui, effectivement.

7 Q. Quand vous êtes revenu de Vienne, vous avez consulté la Politika et

8 autres sources ?

9 R. Je ne m'en souviens pas exactement, mais je suis sûr qu'on en a parlé

10 dans la presse.

11 Q. Est-ce que vous vous souvenez avoir vu Politika, c'est-à-dire je vais

12 vous présenter la traduction anglaise de cet article. Il s'agit de

13 l'intercalaire 21, le document 1D46 et e-court, pages 367 à 369. Là vous y

14 voyez une copie de la déclaration de Milutinovic à Pristina, celle qu'il a

15 faite ce jour-là. C'est assez long, je dois dire. Il y a quelques remarques

16 liminaires, aussi des conclusions, mais on voit de cette déclaration

17 prononcée par M. Milutinovic, qui a été utilisée de façon constante pendant

18 cette période, que la Serbie est attachée à ce que les problèmes au Kosovo-

19 Metohija soient résolus au niveau politique ?

20 R. Oui.

21 Q. Mais le côté albanais a choisi de ne pas assister à nouveau à cette

22 réunion qui a eu lieu à Pristina le 18. Est-ce que vous le savez ?

23 R. Puisque je n'étais pas présent, je ne sais pas qui a assisté et qui n'a

24 pas assisté à la réunion.

25 Q. On le voit dans la déclaration. Je dis que malheureusement les Albanais

26 n'ont pas participé à cette réunion.

27 Mais vous savez qu'en dépit de ce fait, cette délégation d'Etat à la tête

28 de laquelle se trouvait de temps en temps M. Milutinovic, vous l'avez

Page 10813

1 encouragée de continuer à avoir de l'espoir que le processus allait

2 continuer, voire même évoluer; est-ce exact ?

3 R. Oui.

4 Q. A la dernière page de cet intercalaire, on voit qu'un commentaire

5 concernant le projet de Hill où on peut dire : Les participants au débat --

6 "

7 L'INTERPRÈTE : Pourriez-vous ralentir quand vous lisez.

8 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne retrouve pas cela.

9 M. O'SULLIVAN : [interprétation]

10 Q. C'est la troisième page de l'intercalaire 20. Est-ce que vous l'avez

11 trouvée ?

12 R. [aucune interprétation]

13 Q. Deux colonnes --

14 R. [aucune interprétation]

15 Q. Cela commence par "Je souhaite remercier tous les individus" ?

16 R. Hm-hm.

17 Q. "Tous les participants au débat ont présenté des remarques critiques

18 concernant le document qui est l'œuvre de l'ambassadeur Christopher Hill.

19 Ces remarques sont légitimes. Ce document ne s'appuie pas sur l'accord

20 Milosevic-Holbrooke puisqu'il ne respecte pas toutes les communautés au

21 Kosovo-Metohija ainsi qu'en République fédérale de Yougoslavie."

22 Vous vous souvenez peut-être que vous avez appris de la tenue de cette

23 réunion et que c'était une réunion assez importante où l'on a discuté de la

24 proposition formulée par Hill, où on a fait des remarques critiques, mais

25 toujours avec le désir d'améliorer les documents proposés par Hill, de leur

26 point de vue, bien sûr, pour faire avancer le processus. Est-ce que cela

27 est exact ?

28 R. Ce qu'il faut ajouter aussi c'est que Milutinovic dit:

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1 "Malheureusement, à notre réunion aujourd'hui n'ont pas participé les

2 représentants des principaux politiques des Albanais du Kosovo." C'est une

3 critique qui a suivi l'invitation formulée par le gouvernement serbe qui

4 ont invité ceux qui se sont alignés sous la position de Belgrade. C'était

5 tout à fait légitime.

6 Mais ils ne représentaient pas la grande majorité des citoyens du

7 Kosovo. C'est là le problème. Ceux qui étaient d'accord avec Belgrade et

8 qui suivaient un petit peu leur position, ont accepté mais ceux qui

9 représentaient la grande majorité, comme Rugova, et cetera, n'ont pas

10 accepté cette invitation. C'est pour cela que l'on peut dire que ce qui est

11 écrit ici est très critique par rapport au projet de Hill. Donc oui,

12 effectivement, ce groupe était assez critique.

13 Q. Donc, vous et l'ambassadeur Hill, vous travailliez en tant que

14 médiateurs internationaux dans le cadre de ces navettes diplomatiques.

15 Pourquoi n'avez-vous pas essayé de convaincre les gens comme Rugova et les

16 autres d'aller négocier, d'aller là-bas ?

17 R. Nous essayions de le faire, mais sans succès.

18 Q. Pourquoi vous n'avez pas de succès ?

19 R. Parce que la grande majorité des Albanais du Kosovo voulaient qu'il y

20 ait une médiation internationale, et pas que les négociations soient faites

21 sous la direction du gouvernement de Serbie. C'était leur principal point.

22 Q. Pourquoi vous et l'ambassadeur Hill vous ne représentiez pas la

23 communauté internationale ?

24 R. Oui, mais nous n'étions qu'invités. Nous n'étions pas là pour diriger,

25 si vous voulez, ces médiations, puisque les négociations ont été initiées

26 par le gouvernement de Serbie.

27 Q. Depuis 1998, vous avez vu que par sa résolution, le Conseil de sécurité

28 a demandé aux parties de s'asseoir et de commencer à négocier, de discuter.

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1 Vous êtes devenu l'envoyé spécial. Pourquoi les Albanais ne voulaient pas

2 négocier ?

3 R. Parce qu'ils ont décidé de ne pas le faire.

4 Q. Vous devez connaître la raison. Parce qu'ils vous ont dit pourquoi.

5 R. Oui, parce qu'ils voulaient que le processus -- la présence de la

6 communauté internationale soit formalisée. Ils voulaient que ceci soit fait

7 sous les auspices de la communauté internationale et pas du gouvernement de

8 Serbie.

9 Q. Très bien.

10 R. Ce n'est pas quelque chose que nous avons accepté. Vous savez, nous

11 leur avons dit qu'il fallait qu'ils y aillent, qu'il fallait qu'ils soient

12 présents, puisque -- donc, on était là pour essayer de dire aux Albanais ce

13 que pensent les Serbes et de dire aux Serbes ce que pensent les Albanais.

14 On faisait la navette entre les deux.

15 Q. S'ils voulaient qu'on soit critique par rapport à un côté, on peut dire

16 que le côté albanais était ouvert au criticisme, sans accepter votre

17 médiation internationale, puisqu'ils décidaient de temps en temps de ne pas

18 être présents, de ne pas venir.

19 R. A nouveau, vous devez voir que vous devez avoir à l'esprit le fait que

20 la situation du point de vue de la sécurité et politiquement au Kosovo se

21 détériorait.

22 Q. Après cette réunion à Pristina, le 19 novembre, est-ce que vous savez

23 que M. Milutinovic a rencontré les représentants des groupes des minorités

24 de Belgrade, les Turcs, Rom, Egyptiens, Albanais, et cetera ?

25 R. Oui. Ils étaient aussi présents à Rambouillet. Ils étaient inclus dans

26 la délégation des Serbes/Yougoslaves.

27 Q. Cette pièce qui figure à l'intercalaire 22, c'est un document public où

28 il dit : "Tous les participants aux négociations d'aujourd'hui ont mis

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1 l'accent sur le fait que leurs suggestions et remarques laissent

2 suffisamment d'espace pour la continuation des négociations et pour

3 reprendre les dialogues sur -- pour trouver des solutions concrètes, ce qui

4 est dans l'intérêt de tous les citoyens et de toutes les communautés qui

5 vivent au Kosovo-Metohija."

6 Est-il vrai que ceci a été exprimé vers la fin du mois de novembre 1998, et

7 que finalement, on pouvait être optimiste puisque les choses allaient dans

8 le bon sens ?

9 R. Je peux vous dire que quand on voit la liste de ceux qui ont rencontré

10 le président Milutinovic, ce sont les gens honorables, les gens bien, mais

11 ils étaient loyaux au gouvernement serbe, et ne représentaient pas la

12 grande majorité. Aucune des ces personnes n'avait une pertinence politique

13 dans la réalité sur le terrain au Kosovo. Malheureusement, je dois le dire.

14 Q. Cela n'a rien de mauvais que d'être un membre négatif, je veux dire

15 d'être membre d'une minorité, n'est-ce pas ?

16 R. Absolument pas. Au contraire, je pense que c'est très positif de la

17 part du gouvernement serbe d'avoir inclus les minorités dans leurs

18 négociations. Il faut avoir ceci à l'esprit. Mais ceux qui étaient là

19 n'étaient pas vraiment représentants de cette grande majorité vivant au

20 Kosovo. Je sais que c'est une société multiethnique. C'est très important

21 qu'ils soient invités, mais --

22 Q. Mais il n'y a rien de mauvais --

23 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Petritsch, peut-être que je

24 n'ai pas très bien compris de quoi il s'agit. Est-ce que vous avez essayé

25 de persuader le gouvernement serbe sur le fait que les Albanais du Kosovo

26 souhaitaient une médiation internationale, ils préféraient cela à une

27 navette diplomatique ou bien une présence, "invité" ?

28 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Nous essayions de convaincre Belgrade que

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1 nous devrions passer à l'autre stade prochain, qui devrait être plus

2 rationnel, plus robuste et plus rapide, puisque l'escalade avait lieu sur

3 le terrain et il fallait accélérer les choses. Je suis sûr qu'on va revenir

4 là-dessus. C'est seulement après le massacre de Racak, qui a eu lieu le 15

5 janvier 1990, que tout le monde a compris : Cette navette diplomatique ne

6 fonctionne pas parce que de l'autre côté, sur le terrain, la violence a

7 lieu, il y a de la violence, donc il faut agir.

8 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je ne sais pas si vous pourrez

9 répondre d'une façon très concrète. A un moment donné, vous dites que vous

10 discutez avec les Albanais qui avaient du mal ou obstruaient les

11 négociations, alors que ces négociations étaient présidées par la Serbie ou

12 le gouvernement serbe. Est-ce que vous avez fait quelque chose de

13 spécifique, de précis, de concret pour persuader le gouvernement serbe

14 d'autoriser un autre processus, un autre type de négociation, de processus

15 diplomatique ?

16 LE TÉMOIN : [interprétation] A l'époque, tout le monde travaillait là-

17 dessus. Lors de chaque réunion où la majorité des Albanais de Kosovo

18 n'étaient pas présents démontrait qu'il existait cette nécessité, la

19 nécessité d'accepter un autre type de processus de négociation autre que

20 celui placé sous les auspices du gouvernement serbe. Nous sommes en 1998.

21 Ils étaient en quelque sorte dans la résistance par rapport au gouvernement

22 depuis 1989, qui leur a pris leur autonomie en 1989. Tout ceci était

23 considéré comme une autonomie illégitime par les Albanais du Kosovo.

24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Quand il y a l'initiative d'entamer un

25 nouveau processus par les Nations Unies, est-ce que toutes les parties

26 voulaient participer à cela ?

27 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, c'est exactement ce qui s'est passé. Par

28 le biais des médiateurs, les Albanais du Kosovo ont dit aux Serbes quelle

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1 était leur position par rapport à différents accords.

2 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je ne vois pas de documents qui

3 indiquent que ceci s'est passé, qu'il y avait des efforts pour faire en

4 sorte que ces négociations ou ces discussions soient acceptables par les

5 deux côtés. Est-ce qu'il existe des preuves que quelqu'un a essayé de le

6 faire à l'époque ? Parce que vous dites qu'effectivement, ceci existait.

7 LE TÉMOIN : [interprétation] Je me souviens d'une phrase-type qui était

8 récurrente lors des réunions, à savoir : En réalité, nous devons passer à

9 un stade plus cohérent, plus productif.

10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais là, c'est le langage

11 diplomatique. Je ne vois pas exactement ce que cela veut dire.

12 LE TÉMOIN : [interprétation] Cela veut dire ce que je viens de dire. C'est

13 très clair.

14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Qu'est-ce que cela veut dire ?

15 LE TÉMOIN : [interprétation] Cela veut dire que cela ne fonctionnait pas

16 bien.

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous aviez une proposition très

18 concrète. Je vous parle de cette proposition concrète, c'est-à-dire la

19 demande qu'il y a une direction neutre ou une médiation du côté de la

20 communauté internationale, donc qu'au lieu d'être des observateurs, simples

21 observateurs ou bien de ceux qui ont passé les messages, qui font la

22 navette diplomatique et que vous ayez un rôle plus actif, est-ce que ceci a

23 été dit clairement à Milutinovic et autres ?

24 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, bien sûr. Mais il nous répondait toujours

25 que c'était un Etat souverain, qu'ils s'en occuperaient eux-mêmes.

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Donc, vous en avez parlé ?

27 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Moi, M. Hill, toute la Communauté

28 européenne, chaque fois, on le disait. On était de plus en plus frustrés,

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1 puisque le processus était trop long et il y avait l'escalade sur le

2 terrain, l'escalade du conflit.

3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] J'ai compris tout cela. Mais il serait

4 intéressant pour moi de voir un document, un document où il est dit très

5 clairement : "C'est la proposition que nous vous faisons puisque cela ne

6 fonctionne pas. Il faut avancer. Parce que vous nous dites qu'il faut aller

7 plus loin, qu'il faut avancer, et cetera. Cela ne veut pas dire vraiment

8 grand-chose, peut-être que cela veut dire beaucoup de choses pour un

9 diplomate, mais pour moi, un profane, cela ne veut pas dire grand-chose.

10 LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis désolé, je ne suis pas d'accord. Mais

11 c'est clair que vous n'avez pas participé à ces négociations. Evidemment

12 les choses sont différentes de votre point de vue. Il y avait une

13 compréhension très claire. C'était dit clairement qu'à un moment donné,

14 plus tôt ou plus tard, il serait vraiment nécessaire. D'ailleurs plus tôt

15 aurait été le mieux d'avancer. Le 19 novembre on a déjà parlé de la Mission

16 de vérification au Kosovo qui a déjà été prévue.

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Petritsch, avec tout le

18 respect que je vous dois, la Mission de vérificateur au Kosovo n'a jamais

19 été mise en place, n'a jamais vraiment existé. C'est ce que nous ont dit

20 les gens qui faisaient partie de cette mission. Il y avait un plan plein de

21 bonnes intentions, mais ceci n'a jamais été mis en œuvre, ceci n'a jamais

22 existé, c'est les preuves qui nous disent cela.

23 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Pas entièrement, puisqu'il ensuite les

24 événements ont pris un autre cours. Mais la structure était là, les gens

25 étaient là, pas tous, 1 600 personnes, si je me souviens, même si

26 normalement il était prévu qu'il y ait

27 1 600 personnes, mais il y a jamais eu plus que 1 000 mais en tout cas ils

28 étaient là.

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1 M. LE JUGE : [interprétation] Maître O'Sullivan, vous pouvez continuer.

2 M. O'SULLIVAN : [interprétation]

3 Q. La dernière question que je vais vous poser par rapport à ce document

4 1D89, c'est par rapport aux groupes de minorité, les minorités qui ont

5 participé à la réunion avec Milutinovic et qui ont supporté de façon très

6 active aux négociations. Vous avez dit qu'il n'y a pas de mal à être

7 membres d'une minorité ou à appuyer, supporter l'Etat ?

8 R. Non, au contraire.

9 Q. Et le gouvernement serbe n'a jamais exclus la majorité du gouvernement

10 des dirigeants albanais de participer au gouvernement. C'était tout le

11 contraire, ils voulaient les rencontrer pour arriver à un accord qui avait

12 du sens; c'est exact ?

13 R. Et bien, les dirigeants des Albanais du Kosovo attiraient l'attention

14 sans cesse sur le statut d'autonomie qui leur a été pris en 1989. Tant que

15 cette autonomie n'était pas réinstaurée, ils disaient qu'on ne les

16 supportait pas. Ils considéraient que ce gouvernement, le gouvernement

17 serbe et le gouvernement yougoslave n'étaient pas leur gouvernement, ils ne

18 l'appuyaient pas. Vous devez avoir ceci à l'esprit, c'était un problème

19 permanent.

20 Q. Une façon évidence de leur rendre leur autonomie aurait été de négocier

21 avec les autorités de l'Etat ?

22 R. C'est exactement ce que nous disions. Nous attirions constamment leur

23 attention là-dessus. Vous devez vous asseoir, vous devez discuter avec les

24 autorités de Belgrade, ensuite ils vont être d'accord ou ne pas être

25 d'accord. Mais vous avez besoin de vous asseoir à la table des

26 négociations.

27 Q. Est-ce que vous seriez aussi d'accord que pour faire partie de ce

28 processus, pour commencer ce processus, on n'a pas forcément besoin d'une

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1 présence internationale ? Vous pourriez avoir les gens de bonne volonté des

2 deux côtés qui discutent autour d'une table, s'assoient autour d'une table

3 pour discuter sans internationaliser la question.

4 R. Et bien, vous devez aussi avoir à l'esprit en même temps qu'elles

5 étaient les déclarations publiques de ces gens, puis aussi les activités

6 des forces de sécurité serbes avec une situation humanitaire absolument

7 terrifiante avec plein de personnes déplacées à l'intérieur du Kosovo.

8 C'était difficile de leur demander de faire semblant que rien ne s'était

9 passé entre 1989 et 1998. J'essaie de vous montrer le contexte tel qu'il

10 existait.

11 Q. Parlons de cela, parlons du contexte. Nous sommes le

12 19 novembre. L'accord Milosevic-Holbrooke vient d'être finalisé, la MVK se

13 met en place, l'armée et la police serbe se sont retirées. Vous parlez de

14 tentatives parallèles pour arrêter les combats. On essaie de régler la

15 solution par la voix diplomatique et politique. Donc, si nous nous

16 replaçons dans ce contexte, il y a une période d'accalmie, malheureusement

17 l'UCK, comme vous le savez, retrouve ses positions, n'est-ce pas ?

18 R. Tout à fait. Il s'agit d'un élément essentiel dans l'accord Milosevic-

19 Holbrooke. Ce point n'a été négocié qu'avec Milosevic et n'a pas inclus les

20 Albanais du Kosovo, si bien qu'ils ne se sentaient pas tenu par cet accord.

21 Ils n'étaient pas liés par l'accord. Et cela a constitué un problème

22 important. La communauté internationale n'a pas fait suffisamment pour

23 inclure les dirigeants militaires albanais du Kosovo. C'était le problème à

24 l'époque. Par conséquent, ils ont eu la possibilité de retrouver les

25 positions quittées par l'armée yougoslave ou les forces yougoslaves.

26 Q. Je souhaiterais attirer votre attention sur une "proposition conjointe

27 d'accord relatif au cadre politique de l'autonomie au Kosovo-Metohija. Ce

28 document est daté du

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1 20 novembre 1998, il figure à l'intercalaire 24, pièce 1D91. Vous aviez

2 connaissance de l'existence de cet accord à l'époque, n'est-ce pas ? Est-ce

3 que vous le connaissez ?

4 R. Oui.

5 Q. Sinon je vais raviver vos souvenirs ?

6 R. Oui, j'en ai entendu parler. Nous l'avons vu à l'époque, mais je ne

7 l'ai pas relu depuis. C'est la première fois que je le revois depuis les

8 faits.

9 Q. Examinons ensemble la première page, si vous le voulez bien. Les trois

10 premiers paragraphes vous aideront peut-être à vous souvenir mieux des

11 événements. Nous pouvons d'abord lire : "Une solution politique au problème

12 du Kosovo-Metohija a été examinée à Pristina le 18 novembre et à Belgrade

13 le 19 novembre avec une délégation des parties concernées." Un peu plus

14 loin on peut lire dans ce même paragraphe : "Ainsi qu'avec les

15 représentants du Parti socialiste de Serbie et le président du Parti

16 radical serbe et du Parti de la gauche yougoslave. La Yougoslavie a

17 également tenu à organiser des consultations sur cette question le 20

18 novembre avec les présidents des mouvements Nouvelles alliances et

19 Vojvodina. Et l'ambassadeur Richard Holbrooke, s'agissant notamment de la

20 résolution politique des problèmes au Kosovo-Metohija, a fait des

21 propositions aux 11 points au gouvernement de Serbie ainsi que des

22 commentaires concrets sur la manière de régler les problèmes au Kosovo-

23 Metohija."

24 Ceci peut peut-être vous aider à mieux vous souvenir de ces

25 événements, et la situation a atteint son paroxysme. A ce moment-là, les

26 navettes diplomatiques étaient très impliquées, il y a eu cet accord du 20

27 novembre.

28 R. Non, il s'agit ici d'une proposition conjointe faite par les partis

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1 mentionnés, et nous avons, comme nous l'avons déjà dit, malheureusement

2 cela n'incluait pas la majorité des Albanais du Kosovo.

3 Q. Je n'ai pas laissé entendre que ce document incluait les autres

4 groupes. Je n'ai pas dit non plus qu'il s'agissait d'un accord définitif,

5 ce n'était pas l'objectif.

6 R. Bien.

7 Q. Ce que je vous dis, c'est que nous avons suivi la chronologie des

8 événements depuis la création de la délégation menée par Markovic, votre

9 participation en compagnie de l'ambassadeur Hill, les projets de

10 [inaudible]. Donc, cet accord est le fruit des efforts déployés, n'est-ce

11 pas ?

12 R. Cela s'est fait sans la participation de Hill ou la mienne. Je ne sais

13 pas si nos efforts ont donné lieu à cela. Je ne sais pas. Je n'ai pas

14 étudié ce texte. Il s'agit effectivement d'une proposition conjointe

15 formulée par les partis intéressés au Kosovo et le gouvernement de Serbie.

16 Q. Il est fait référence à l'accord Milosevic-Holbrooke en 11 points. Ce

17 qui m'intéresse c'est l'intercalaire 25, la pièce 1D204. Il s'agit d'une

18 lettre envoyée par la mission permanente de la Yougoslavie aux Nations

19 Unies adressée au président du Conseil de sécurité. On voit en annexe ce

20 document en 11 points.

21 R. Hm-hm.

22 Q. Ceci est le résultat des rencontres obtenues entre l'ambassadeur

23 Holbrooke et le président Milosevic au début octobre. Je pense que vous

24 avez déjà vu ce document en 11 points auparavant.

25 R. Oui.

26 Q. Il s'agit du document qui a conduit à l'arrivée de l'OSCE, n'est-ce pas

27 ?

28 R. Oui.

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1 Q. Nous voyons au quatrième paragraphe de ce document, page 2, sixième

2 paragraphe plutôt : "En outre, un cadre politique a été débattu, un accord

3 a été conclu sur les principes d'une solution politique et sur le

4 calendrier qui sera appliqué pour sa mise en œuvre. Il s'agit d'un succès

5 important."

6 R. Excusez-moi. Je n'ai pas trouvé le passage en question.

7 Q. Excusez-moi.

8 R. [aucune interprétation]

9 Q. Cela se trouve à la deuxième page du document en question, 1D204.

10 R. Oui.

11 Q. En haut de la deuxième page, on peut lire, "Annexe." Est-ce que vous

12 voyez cela ? Intercalaire 25 pour vous.

13 R. Oui.

14 Q. Intercalaire 25.

15 R. 25. "Annexe," et cetera.

16 Q. Sixième paragraphe qui commence ainsi : "En outre."

17 R. Oui, j'ai trouvé le passage.

18 Q. "Un cadre politique a été débattu, un accord conclu pour trouver une

19 solution politique et un calendrier acceptable en rapport avec ce fait

20 important."

21 Ce document, cet accord conclu entre Holbrooke et Milosevic, est-ce qu'il

22 ne complète pas l'accord conclu entre Milosevic et Yeltsin au mois de juin

23 pour obtenir l'implication de la communauté internationale ?

24 R. Tout à fait. Il s'agissait d'une avancée importante qui a conduit à la

25 participation de l'OSCE et de l'OTAN. Il y a eu deux accords, un conclu

26 avec l'OSCE et l'autre avec l'OTAN, par lequel l'OTAN constitue une mission

27 de surveillance au Kosovo. Pour ce qui est du volet civil il incluait les

28 11 points avancés par le président Milutinovic qui, par la suite, sont

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1 devenus des principes non négociables. On a inclus ces points importants

2 qui figuraient dans les 11 points avancés par le président Milutinovic. Il

3 s'agit d'une avancée très importante de la part du gouvernement serbe.

4 Q. Page suivante, paragraphes 5, 6 et 7. Inutile de nous appesantir là-

5 dessus. Nous allons les parcourir rapidement. Il est question ici de

6 l'avenir du Kosovo-Metohija, un avenir fondé sur l'égalité, l'autonomie,

7 des cadres juridiques devaient être mis en place, et on invite l'OSCE à

8 surveiller les élections à venir pour garantir leur transparence et leur

9 procédure régulière.

10 R. Hm-hm.

11 Q. N'est-ce pas ?

12 R. Oui.

13 Q. Dans ce document ce qui m'intéresse également c'est le calendrier. On

14 dit : "Mercredi 14 octobre au plus tard, un calendrier exhaustif sera

15 convenu --"

16 R. Excusez-moi. Je suis perdu de nouveau. Oui, il est question de

17 calendrier un peu plus loin.

18 Q. Excusez-moi, je devrais formuler mes indications de façon plus précise.

19 Donc, le 19 octobre, accord relatif à l'OSCE. Page suivante,

20 2 octobre : "Il est question d'un accord comportant les éléments

21 fondamentaux du règlement de la situation au Kosovo-Metohija en se servant

22 du document proposé par le Groupe de contact le

23 2 octobre 1998."

24 Nous avons examiné la proposition datée du 20 octobre, 18 jours trop tard,

25 peut-être. Mais nous voyons que les engagements pris par rapport à ce

26 calendrier ont été plus ou moins respectés ?

27 R. Oui.

28 Q. Est-ce que vous savez que le 25 novembre à Pristina, la délégation du

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1 Pr Markovic et les représentants des minorités sont retournés à Pristina.

2 M. Milutinovic a présidé une réunion au cours de laquelle on a signé une

3 déclaration en faveur de cette proposition commune ou de cet accord.

4 C'était le 25 novembre. Est-ce que cela vous dit quelque chose ?

5 R. Non, malheureusement, je ne m'en souviens pas mais je peux imaginer que

6 cela ait eu lieu.

7 Q. Intercalaire 26, pièce 1D18. Il s'agit d'un extrait de l'ouvrage de

8 Weller, référence numéro 372 dans le système de prétoire électronique.

9 R. Oui.

10 Q. Il s'agit donc d'une déclaration.

11 R. Hm-hm.

12 Q. On voit les participants, ensuite le nom des signataires. On voit le

13 nom du Dr Markovic, n'est-ce pas ?

14 R. Oui.

15 Q. Vous voyez qu'il est fait mention des représentants des minorités au

16 Kosovo. On voit le nom du Dr Kutlesic également qui, comme nous le savons,

17 était l'émissaire spécial du président Milosevic ?

18 R. Oui.

19 Q. Donc, ce que j'avance, c'est que cela n'a pas mis fin au processus. Il

20 s'agit d'un tournant important dans ce processus, car si nous nous référons

21 à l'intercalaire 27, pièce 1D18, pages 373 à 379, il s'agit de la

22 proposition de Hill en date du 2 décembre 1998. Donc, ce processus n'a pas

23 abouti. L'ambassadeur Hill et vous-même travaillez encore dessus. Je suis

24 sûr que vous avez tenu compte du fait que la proposition conjointe ou

25 commune que nous avons examinée en date du 20 novembre, vous avez tenu

26 compte de cela lorsque vous avez remanié la proposition de Hill.

27 R. Comme d'habitude, nous avons contacté les deux parties avant de rédiger

28 une nouvelle proposition.

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1 Q. Donc, la délégation de l'Etat et les représentants des minorités

2 favorables à l'Etat se sont montrés constructifs. Des gens comme Demaqi

3 étaient quant à eux destructifs. Etait-ce bien le cas à l'époque ?

4 R. Oui, c'est vrai. Mais là encore, il faut se souvenir qui ils

5 représentaient; qui Demaqi ou Rugova représentait. La majorité ne se

6 rangeait pas à ces efforts, n'était pas convaincue ni par le gouvernement

7 serbe ni par la communauté internationale.

8 Q. Est-ce que vous pensez que l'ambassadeur Hill ne connaissait pas bien

9 la question albanaise ?

10 R. Non.

11 Q. Est-ce que vous pensez qu'il avait des lacunes qui devaient être

12 remplacées ?

13 R. Non.

14 Q. Intercalaire 28. Un autre extrait du livre de Weller, numéro 379 dans

15 le système de prétoire électronique.

16 On voit un communiqué de presse où il est question du rejet du plan

17 proposé par Hill : "M. Chris Hill soit ne connaît pas bien la question

18 albanaise, soit se range du côté des Serbes en répondant à leur demande,"

19 c'est ce qu'affirme Demaqi. "Le représentant de l'UCK invite le département

20 d'Etat, si possible, à revoir les activités de M. Holbrooke et de M. Hill,

21 notamment de ce dernier, et de trouver des personnes qui n'ont pas les

22 préjudices de Dayton. Demaqi affirme qu'il souhaite que le département

23 d'Etat se penche sur le parcours de M. Hill et trouve éventuellement

24 quelqu'un qui serait libéré du poids du passé en quelque sorte, qui n'ait

25 pas de partie pris et qui soit prêt à déployer des efforts importants pour

26 trouver une véritable solution au problème."

27 Est-ce que vous êtes d'accord avec cette description faite de

28 l'ambassadeur Hill ?

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1 R. Non, pas du tout. L'ambassadeur Hill a essayé de faire un travail

2 objectif et professionnel. Des positions extrémistes telles que celles

3 exprimées par Demaqi existaient. Bien sûr que Demaqi n'était pas content de

4 la proposition de Hill, et pour moi il s'agit d'un signe de qualité de ce

5 projet de texte.

6 Q. Dernière phrase de la déclaration: "Adem Demaqi affirme que sa mission

7 historique consiste à réunir les Albanais de façon à ce qu'ils soient unis

8 et plus forts pour créer leur Etat."

9 Il a une vision qui va au-delà d'un Kosovo indépendant. Il voulait réunir

10 tous les Albanais en Macédoine, au Kosovo et en Albanie, n'est-ce pas ?

11 R. Il s'agissait d'idées. De même qu'il y a eu la Grande-Serbie, certains

12 ont voulu la Grande-Albanie. C'est quelque chose qui est propre à cette

13 région mais qui n'a rien à voir avec la réalité sur le terrain.

14 Q. Pour que l'UCK parvienne à ses fins, cela supposait que trois Etats

15 souverains, la Macédoine, la RFY et l'Albanie soient touchées ?

16 R. Tout à fait. La communauté internationale a totalement exclu cela. A

17 l'époque, en 1998 et en 1999, nous avons œuvré en faveur d'une solution qui

18 tiendrait compte des frontières internationalement reconnues de la

19 Yougoslavie.

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Petritsch, vers le milieu de

21 ce communiqué de presse, après la citation de Demaqi, on peut lire : "Il

22 est tout à fait d'accord avec la position du principal négociateur pour le

23 Kosovo, Fehmi Agani, par rapport au dernier projet en date proposé par

24 Hill. Je pense que le temps est venu pour nous, les Albanais, de faire

25 notre propre proposition afin de régler le problème."

26 Il s'agit de propos très étranges de sa part à ce stade.

27 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, je ne dirais pas cela. Le Dr Agani a dit

28 à M. Rugova quelle était son opinion. Si je me souviens bien, le projet

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1 datant du mois de décembre, le dernier projet en date dont il est question

2 ici, était tel que nous avons essayé d'obtenir le plus possible des Serbes.

3 Nous avons fait des efforts. Nous pensions que c'était possible et pourtant

4 nous savions très bien que la partie albanaise y serait opposée. Mais nous

5 avons essayé malgré tout; c'est pour cela qu'il y a eu ces navettes

6 diplomatiques et ces médiations.

7 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] La raison pour laquelle je vous pose

8 cette question c'est que j'ai eu l'impression, en lisant cette déclaration,

9 que jusqu'à présent ils n'avaient pas offert leur aide pour régler le

10 problème.

11 LE TÉMOIN : [interprétation] Excusez-moi, je ne vous ai pas compris.

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vous ai posé cette question parce

13 qu'on pourrait interpréter cela comme une indication du fait que jusque-là

14 les Albanais n'avaient pas proposé d'aider à régler le problème.

15 LE TÉMOIN : [interprétation] Non. Ce qu'Agani affirme ici c'est qu'ils

16 allaient faire leurs propres positions, avoir des initiatives propres. Ils

17 se rendaient compte que leurs intérêts ne passaient pas en premier. A mon

18 avis c'est ce qui ressort de ce texte. C'est la première fois que je le

19 vois ici.

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

21 Maître O'Sullivan, poursuivez.

22 M. O'SULLIVAN : [interprétation]

23 Q. Monsieur l'Ambassadeur, passons maintenant à Rambouillet. Vous nous

24 avez dit que ce processus a résulté d'une réunion du Groupe de contact qui

25 s'est tenue à Londres le 29 janvier 1999, n'est-ce pas ?

26 R. C'est exact.

27 Q. Nous avons entendu des témoins dans cette affaire qui nous ont parlé

28 d'un certain nombre de dates particulièrement importantes, ainsi que de

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1 personnalités particulièrement importantes. Mais je vais tenter de vous

2 resituer dans le contexte. Je parle de la pièce à conviction 1D16,

3 intercalaire 26 [comme interprété], à savoir le calendrier du mois de

4 février que je vous présente pour que vous ayez plus de facilité à vous y

5 retrouver dans le temps. Vous avez évoqué de très nombreux problèmes ici

6 aujourd'hui.

7 R. Hm-hm.

8 Q. Mais vous nous avez dit que la conférence avait commencé le samedi 6

9 février.

10 R. Hm-hm.

11 Q. Et qu'elle s'était achevée le mardi 23; c'est cela ?

12 R. Oui, c'est exact.

13 Q. On nous a dit également qu'au départ que cette conférence aurait pu ne

14 durer qu'une semaine et qu'elle a été prorogée pour durer une deuxième

15 semaine jusqu'au samedi 20, ensuite prolongée encore jusqu'au mardi 23;

16 c'est bien cela ?

17 R. C'est exact.

18 Q. La rencontre a été prolongée le 20, suite à réunion du Groupe de

19 contact tenue à Rambouillet, n'est-ce pas ?

20 R. Oui.

21 Q. Les six pays du Groupe de contact étaient les Etats-Unis, le Royaume-

22 Uni, la France, l'Allemagne et la Russie ?

23 R. Oui.

24 Q. Les co-présidents en étant M. Vedrine et M. Cook ? Nous savons que vous

25 faisiez partie de la troïka au côté des ambassadeurs MM. Hill et Mayorksi,

26 n'est-ce pas ?

27 R. Exact.

28 Q. A l'époque, l'Allemagne présidait l'Union européenne; c'est bien cela ?

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1 R. Exact.

2 Q. Je vous soumets maintenant la pièce P2792 qui est la transcription de

3 votre rencontre avec les représentants du bureau du Procureur de ce

4 Tribunal. En page 2 vous dites ce qui suit, je cite : "En février, l'équipe

5 de négociateurs serbes à Rambouillet a été mandatée pour rechercher un

6 compromis et parvenir à un accord sur les aspects politiques de la

7 proposition, à savoir la question de l'existence et du niveau de

8 l'autonomie du Kosovo."

9 En page 3 vous avez une citation un peu plus précise. Je cite : "A

10 Rambouillet la délégation serbe a été mandatée pour négocier un accord

11 politique, mais manifestement pas pour en négocier la mise en œuvre."

12 Alors ma question est la suivante : est-ce que vous connaissiez les

13 conclusions tirées par le parlement serbe, le 4 février 1999, qui

14 établissaient cette délégation et lui définissaient son mandat. Est-ce que

15 vous connaissez ces conclusions du parlement serbe le 4 février ?

16 R. Je ne m'en souviens pas.

17 Q. Vous ne vous souvenez pas en avoir entendu parler ?

18 R. J'étais au courant à l'époque, mais il y a pas mal de temps qui s'est

19 écoulé depuis.

20 Q. Non, je ne vous demande pas de nous réciter chaque mot de ces

21 conclusions, mais je vous demande si vous saviez que l'assemblée nationale

22 de Serbie avait discuté de la question --

23 R. Oui.

24 Q. -- et quelle en était arrivée à un certain nombre de conclusions à ce

25 sujet --

26 R. Oui.

27 Q. -- notamment s'agissant de savoir qui envoyer pour négocier et quel

28 serait le mandat des négociations ? Est-ce que je résume bien les choses ?

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1 R. Oui.

2 Q. Intercalaire 31. Il s'agit de la pièce 1D93, votre Excellence. On y

3 trouve les conclusions de l'assemblée nationale de la République de Serbie

4 le 4 février 1999.

5 R. Oui. J'ai ce texte sous les yeux.

6 Q. Intercalaire 31. Pour vous, pièce 1D93 dans le système du prétoire

7 électronique. C'est un document assez long dont je ne vais pas vous imposer

8 la lecture en grand détail. Mais si vous passez au paragraphe 10, est-ce

9 que vous l'avez sous les yeux ? On y voit une référence à une proposition

10 conjointe datant du 20 novembre 1998, et de la déclaration de Pristina

11 datant du 25 novembre ?

12 R. Hm-hm.

13 Q. 1998. Au paragraphe 11, nous lisons, je cite : "S'agissant du

14 commandement accepté par les parties, ces dernières admettent une présence

15 internationale jugée nécessaire par la communauté internationale,

16 l'assemblée nationale tient à faire remarquer le niveau et la nature de

17 cette présence internationale au Kosovo qui doit être définie en dernière

18 analyse suite à un accord avec le président de la République fédérale

19 yougoslave, Slobodan Milosevic et l'ambassadeur Richard Holbrooke, accord

20 qui doit faire intervenir également le gouvernement fédéral et l'OSCE pour

21 création de la Mission de vérification des observateurs de l'OSCE au

22 Kosovo-Metohija."

23 Est-ce que ceci rend bien compte de la position dont vous aviez

24 connaissance le 4 février, n'est-ce pas ?

25 R. Oui.

26 Q. Paragraphe 14, l'assemblée nationale souligne ce qui suit, je cite :

27 "Toute demande d'autonomie gouvernementale substantielle ou d'un degré

28 important pour le Kosovo-Metohija et pas seulement pour des négociations à

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1 venir ne pourra mener qu'à l'indépendance du Kosovo-Metohija ou à un statut

2 de troisième unité fédérale. Mais cette autonomie ne doit tout simplement

3 pas impliquer la rupture des liens juridiques, politiques, économiques avec

4 la République de Serbie."

5 Est-ce que vous connaissiez cette position, n'est-ce pas ?

6 R. Oui.

7 Q. Passons maintenant au chapitre V, paragraphe 2 : "L'assemblée nationale

8 de Serbie réaffirme une nouvelle fois les principes sur lesquels elle fonde

9 une solution éventuelle à la crise du Kosovo-Metohija, solution signifiant

10 qu'elle doit être fructueuse, durable et dans l'intérêt de tous."

11 Ensuite on a une série de tirets. On a une référence à des moyens

12 politiques et au dialogue, à la nécessité de pleinement respecter

13 l'intégrité territoriale et la souveraineté, à la notion de pleine égalité,

14 d'harmonisation des textes législatifs avec les textes de la constitution,

15 du refus de l'indépendance. Puis au dernier tiret en bas de la page, je

16 cite : "Nous n'acceptons pas la présence de soldats étrangers sur notre

17 territoire, sous un quelconque prétexte y compris celui d'une mise en œuvre

18 de l'accord conclu."

19 Est-ce que vous connaissiez cette position ?

20 R. Je ne connaissais pas ce point particulier dont vous venez de donner

21 lecture.

22 Q. Pourriez-vous nous expliquer comment il se fait qu'étant l'un des

23 négociateurs représentant du Groupe du contact à Rambouillet vous ne

24 connaissiez pas les conclusions tirées par le gouvernement deux jours avant

25 à l'assemblée nationale ?

26 R. Ce qui est dit ici dans ce document ce sont les conclusions de

27 l'assemblée nationale de la République de Serbie qui n'apporte rien de bien

28 nouveau. Nous connaissions bien sûr la résistance de celle-ci à toute

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1 présence militaire. Nous négociions depuis des semaines pour l'obtention

2 d'une présence internationale non armée et l'ajout éventuel d'une

3 composante armée. Nous avons à un certain moment été tout près d'obtenir un

4 accord sur ce point, mais nous n'avons jamais réussi s'agissant de la

5 Mission des observateurs au Kosovo. Le contexte de tout cela c'est que la

6 communauté internationale n'était pas armée. Le conflit armé quant à lui ne

7 cessait de s'intensifier. C'était évident aux yeux de tous qu'il fallait

8 donc finalement introduire une composante militaire pour obtenir le

9 rétablissement de la paix au Kosovo.

10 Q. Je pense que vous avez répondu déjà à ma question, mais elle était très

11 précise. Vous connaissiez la position adoptée par l'assemblée nationale au

12 sujet des troupes étrangères. Vous saviez qu'elle y était opposée, n'est-ce

13 pas ?

14 R. Je connaissais la position serbe sur ce sujet.

15 Q. Merci. Ces conclusions de l'assemblée nationale portent également sur

16 une délégation, intercalaire 32, pièce à conviction P967. On voit dans ce

17 document la liste des membres d'une délégation. Est-ce que vous avez ce

18 texte sous les yeux ?

19 R. Oui.

20 Q. Est-ce que parmi les noms qui figurent ici, vous connaissez --

21 R. Je sais que --

22 Q. Est-ce que vous savez qu'un certain nombre de personnes ont passé un

23 certain temps dans un château au sud de Paris ?

24 R. Oui. Je connaissais ces personnes.

25 Q. Le Pr Markovic était le chef de la délégation et je mets l'accent sur

26 le nom des personnes figurant au regard des numéros, 6, 7, 8, 9, ainsi que

27 11 et 12 qui sont des représentants des communautés musulmanes, turques,

28 gores [phon], albanaises, rom, égyptiennes respectivement, n'est-ce pas ?

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1 R. C'est exact.

2 Q. Intercalaire 30 à présent, pièce à conviction P979.

3 R. 30 ?

4 Q. Intercalaire 30, pièce P979. C'est la déclaration du Groupe de contact

5 --

6 R. Oui.

7 Q. -- datant du 29 janvier 1999 qui invite les différentes parties à se

8 rendre à Rambouillet, n'est-ce pas ?

9 R. Exact.

10 Q. Je lis le paragraphe 3(D). Vous l'avez sous les yeux ?

11 R. Oui.

12 Q. Trois lignes à partir du bas de la page, je cite : "Le Groupe de

13 contact reconnaît les droits légitimes de toutes les autres communautés du

14 Kosovo."

15 Par ces mots, ceux qui étaient impliqués, c'était la majorité non-

16 albanaise, n'est-ce pas ?

17 R. Oui.

18 Q. Nous avons vu que la délégation serbe comportait des représentants qui

19 n'étaient pas seulement Serbes et Albanais, mais également représentants

20 des minorités ?

21 R. Oui et ceci a été très bien accueilli.

22 Q. Bien entendu, la délégation kosovar albanaise de Rambouillet n'était

23 composée que d'Albanais du Kosovo, n'est-ce pas ?

24 R. Oui.

25 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Monsieur le Président, est-ce que nous

26 suspendons à 13 heures 45 ?

27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Il va falloir car il y a une autre

28 affaire ici cet après-midi.

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1 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Le moment pour moi est tout à fait

2 bienvenu.

3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que vous en avez encore pour

4 longtemps ?

5 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Je ne propose pas que nous continuions

6 maintenant.

7 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que le passage d'intercalaires

8 de couleur jaune à des intercalaires de couleur bleue a la moindre

9 signification ? Est-ce vous avez manqué d'intercalaires jaunes ?

10 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Je crois qu'effectivement que la boîte

11 s'est vidée, Monsieur le Président.

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Très bien.

13 Dans un monde idéal nous pourrions continuer à travailler aujourd'hui mais

14 cela n'est pas possible car nous n'avons pas de prétoire. C'est aussi

15 simple que cela. Il va falloir que nous respections le roulement des

16 équipes dans ce prétoire.

17 LE TÉMOIN : [interprétation] Je dois rentrer pour travailler à Genève et

18 bien sûr, je suis à votre disposition.

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Il va falloir que nous reprenions

20 demain à 9 heures. J'espère que nous pourrons en terminer. Me O'Sullivan a

21 un contre-interrogatoire qui est beaucoup plus long que celui des autres

22 conseils de la Défense et il est probable que deux autres conseils auront

23 des questions à vous poser. Après quoi vous subirez les questions

24 supplémentaires de l'Accusation. Je vous invite avec regret à quitter le

25 prétoire avec l'aide de l'Huissier maintenant et à revenir demain à 9

26 heures.

27 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

28 [Le témoin se retire]

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1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître O'Sullivan, vos efforts pour

2 corriger le tir n'ont pas été très fructueux jusqu'à présent.

3 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Je sais.

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je pense que la pièce qui vous

5 intéressait était la pièce P559.

6 M. O'SULLIVAN : [interprétation] C'est exact, je vous remercie.

7 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vous remercie.

8 Nous reprenons demain à 9 heures.

9 --- L'audience est levée à 13 heures 44 et reprendra le vendredi 2 mars

10 2007, à 9 heures 00.

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