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1 Le lundi 11 mars 2013
2 [Audience d'appel]
3 [Audience publique]
4 [Les appelants sont introduits dans le prétoire]
5 --- L'audience est ouverte à 9 heures 30.
6 [L'accusé est introduit dans le prétoire]
7 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Bonjour à toutes et à tous.
8 Madame la Greffière, veuillez citer l'affaire, s'il vous plaît.
9 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame,
10 Messieurs les Juges. Affaire IT-05-87-A, le Procureur contre Nikola
11 Sainovic, Nebojsa Pavkovic, Vladimir Lazarevic et Sreten Lukic.
12 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie.
13 Avant de commencer, est-ce que toutes les personnes présentes peuvent
14 entendre les débats dans une langue qu'elles comprennent ?
15 Monsieur Sainovic ?
16 L'APPELANT SAINOVIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.
17 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie.
18 Monsieur Pavkovic ?
19 L'APPELANT PAVKOVIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Je peux
20 suivre.
21 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Monsieur Lazarevic ?
22 L'APPELANT LAZAREVIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.
23 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Monsieur Lukic ?
24 L'APPELANT LUKIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.
25 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie. Je ne reposerai pas la
26 même question tous les jours, mais si jamais vous rencontriez un problème,
27 vous ne pouviez pas suivre les débats, n'hésitez pas à me le faire savoir,
28 s'il vous plaît.
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1 Je m'adresse aux parties à présent, peuvent-elles se présenter. Pour
2 commencer, l'Accusation.
3 M. KREMER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame,
4 Messieurs les Juges. Peter Kremer, je représente le bureau du Procureur.
5 Ici avec nous, et l'équipe ne sera pas toujours présentée de la même
6 manière, Elena Martin-Salgado, Virginie Monchy également, et Colin Nawrot,
7 notre commis à l'affaire.
8 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie.
9 Les conseils de la Défense, s'il vous plaît, peuvent-ils se
10 présenter.
11 M. FILA : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Thomas Fila, je
12 défends ici M. Nikola Sainovic, avec l'avocat Vladimir Petrovic.
13 M. ACKERMAN : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame,
14 Messieurs les Juges. Johan Ackerman avec Aleksander Aleksic. Nous défendons
15 ici le général Pavkovic, avec notre assistante Cathy MacDaid.
16 M. BAKRAC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame,
17 Messieurs les Juges. Mihajlo Bakrac et Djuro Cepic, nous défendons M.
18 Lazarevic.
19 M. LUKIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs les
20 Juges. Branko Lukic et M. Dragan Ivetic pour M. Sreten Lukic.
21 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie, Conseils.
22 L'Accusation et la Défense ont déposé un appel contre le jugement
23 rendu le 26 février 2009 par la troisième Chambre d'appel de ce Tribunal.
24 Conformément à l'ordonnance qui a été rendu le 18 janvier 2013 et le 31
25 janvier 2013, la Chambre d'appel va aujourd'hui entendre les appels en
26 l'espèce. Cette affaire porte sur la responsabilité pénale de M. Sainovic,
27 M. Pavkovic, M. Lazarevic et M. Lukic pour le déplacement forcé de la
28 population albanaise du Kosovo entre mars et juin 1999. Les accusés sont
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1 accusés d'expulsion, d'autres actes inhumains, transferts forcés, de
2 meurtres, de persécution par le moyen ou le biais d'assassinats, de sévices
3 sexuelles, de destruction de biens culturels en tant que crimes contre
4 l'humanité et d'assassinat et de meurtre en tant que violation des lois et
5 coutumes de la guerre en vertu des articles 7(1) et 7(3) du Statut de ce
6 Tribunal.
7 La Chambre de première instance a constaté que pendant la période
8 couverte par l'acte d'accusation, une entreprise criminelle commune
9 existait, dont l'objectif commun consistait à assurer le contrôle par l'ex-
10 République de Yougoslavie des autorités serbes du Kosovo, et ce, par des
11 moyens criminels. La Chambre de première instance a décidé que par une
12 campagne généralisée et systématique de terreur et de violence, la
13 population albanaise du Kosovo devait être déplacée par la force à
14 l'intérieur et à l'extérieur du Kosovo. La Chambre de première instance a
15 en outre conclu que pendant que les crimes d'expulsion et de transfert
16 forcé relevaient du champ de l'objectif commun, les crimes de meurtre, de
17 persécution par l'intermédiaire des meurtres, les sévices sexuelles et la
18 destruction des biens culturels sortaient du champ de l'objectif commun.
19 La Chambre de première instance a constaté que M. Sainovic, l'ancien
20 premier ministre de Serbie et vice-premier ministre de la République
21 fédérale de Yougoslavie, disposait de l'intention de déplacer par la force
22 la population albanaise du Kosovo, et a contribué de manière significative
23 à l'entreprise criminelle commune.
24 Etant donné que les membres de l'entreprise criminelle commune ont
25 utilisé les forces de la VJ et du MUP pour concourir à la réalisation de
26 leur objectif commun, les crimes commis par ces forces pendant la mise en
27 œuvre de l'objectif commun sont imputables, comme il a été conclu à M.
28 Sainovic. En ce qui concerne les crimes qui sortent du champ de l'objectif
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1 commun, la Chambre de première instance a considéré que le meurtre des
2 Albanais du Kosovo et les dégâts et destructions provoqués aux biens
3 religieux pouvaient raisonnablement être prévus par M. Sainovic, alors que
4 les cas de sévices sexuelles ne l'étaient pas. La Chambre de première
5 instance a en conséquence déclaré M. Sainovic coupable d'expulsion,
6 d'autres actes inhumains, transfert forcé, assassinat et persécution en
7 tant que crime contre l'humanité, et meurtre en tant que violation des lois
8 ou coutumes de la guerre du fait de sa participation dans l'entreprise
9 criminelle commune. M. Sainovic a été condamné à une peine unique de 22 ans
10 d'emprisonnement.
11 M. Sainovic a présenté sept moyens d'appel, qui portent essentiellement sur
12 quatre points qui contestent le jugement rendu par la Chambre de première
13 instance. Premièrement, il fait valoir que la Chambre de première instance
14 a violé son droit à un procès équitable en le condamnant sur le fondement
15 de faits matériels qui n'ont pas été plaidés dans l'acte d'accusation.
16 Deuxièmement, il affirme que la Chambre de première instance a commis une
17 erreur dans son appréciation des éléments de preuve. Troisièmement, il
18 conteste les conclusions de la Chambre de première instance concernant
19 l'existence de l'entreprise criminelle commune en général, et au niveau de
20 sa participation à celle-ci. Finalement, il conteste la peine imposée par
21 la Chambre de première instance.
22 Abordons maintenant le cas de M. Pavkovic. M. Pavkovic a servi en tant que
23 commandant de la VJ de la 3e Armée entre le 13 janvier 1999 et le début de
24 l'an 2000 lorsqu'il est devenu chef de l'état-major de la VJ. La Chambre de
25 première instance a constaté qu'il partageait l'intention de déplacer par
26 la force la population albanaise du Kosovo, et qu'il a contribué de manière
27 significative à l'entreprise criminelle commune. Etant donné que les
28 membres de l'entreprise criminelle commune ont utilisé les forces de la VJ
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1 et du MUP pour concourir à la réalisation de leur objectif commun, les
2 crimes commis par ces forces pendant la mise en œuvre de l'objectif commun
3 sont imputables à M. Pavkovic, comme il a été conclu. La Chambre de
4 première instance a en outre conclu que les crimes en dehors du champ de
5 l'objectif commun, notamment le meurtre des Albanais du Kosovo, les sévices
6 sexuels, et les dégâts et destructions provoqués aux biens religieux,
7 étaient raisonnablement prévisibles par M. Pavkovic. La Chambre de première
8 instance a, en conséquence, condamné M. Pavkovic pour des actes
9 d'expulsion, autres actes inhumains, transfert forcé, assassinat et
10 persécution en tant que crimes contre l'humanité, et meurtre en tant que
11 violation des lois ou coutumes de la guerre. M. Pavkovic a été condamné à
12 une peine unique de 22 ans d'emprisonnement.
13 M. Pavkovic a énoncé 12 moyens d'appel qui remettent en cause le
14 jugement rendu par la Chambre de première instance sur cinq points. Tout
15 d'abord, il affirme que la Chambre de première instance a violé son droit à
16 un procès équitable. Deuxièmement, il affirme que la Chambre de première
17 instance a commis une erreur dans son appréciation des éléments de preuve.
18 Troisièmement, M. Pavkovic conteste les conclusions de la Chambre de
19 première instance concernant sa responsabilité pénale individuelle.
20 Quatrièmement, il fait valoir que la Chambre de première instance a commis
21 une erreur de droit à propos de l'élément chapeau de l'élément moral requis
22 pour les crimes contre l'humanité. Finalement, il fait valoir que la
23 Chambre de première instance a commis une erreur concernant l'appréciation
24 des facteurs portant sur sa peine.
25 Je vais maintenant parler de M. Lazarevic. M. Lazarevic a été nommé
26 commandant de la VJ du Corps de Pristina le 25 décembre 1998. Il a occupé
27 ce poste jusqu'au 28 décembre 1999 lorsqu'il a été nommé chef de l'état-
28 major de la 3e Armée. La Chambre de première instance a considéré que M.
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1 Lazarevic était responsable pour avoir aidé et encouragé des cas
2 d'expulsion et de transfert forcé, au cours desquels la VJ était impliquée.
3 En conséquence, la Chambre de première instance a condamné M. Lazarevic
4 pour avoir aidé et encouragé l'expulsion, ainsi que d'autres actes
5 inhumains, transferts forcés, et l'a condamné à une peine unique de 15 ans
6 d'emprisonnement.
7 M. Lazarevic fait valoir quatre moyens d'appel. Tout d'abord, il conteste
8 les conclusions de la Chambre de première instance concernant certains
9 crimes sous-jacents. Deuxièmement, il fait valoir que la Chambre de
10 première instance a commis une erreur dans son appréciation des éléments de
11 preuve. Troisièmement, il affirme que la Chambre de première instance a
12 commis une erreur de droit et de fait lorsqu'elle a apprécié sa
13 responsabilité pour avoir aidé et encouragé le transfert forcé et
14 l'expulsion. Finalement, il affirme que la Chambre de première instance n'a
15 pas apprécié les circonstances pertinentes et a imposé une peine qui était
16 injustement lourde.
17 Je vais maintenant parler de M. Lukic. M. Lukic était le chef de l'état-
18 major du MUP à Pristina de la mi-1998, et lorsqu'il a terminé sa mission au
19 Kosovo, il a été nommé à la tête de l'administration de la police des
20 frontières du ministère serbe de l'Intérieur. La Chambre de première
21 instance a constaté que M. Lukic partageait l'intention de déplacer par la
22 force la population albanaise du Kosovo, et qu'il a contribué de manière
23 significative à l'entreprise criminelle commune. Comme les membres de
24 l'entreprise criminelle commune ont utilisé les forces de la VJ et du MUP
25 pour concourir à la réalisation de leur objectif commun, les crimes commis
26 par ces forces pendant la mise en œuvre de l'objectif commun sont
27 imputables à M. Lukic, comme il a été conclu.
28 En ce qui concerne les crimes qui sortent du champ de l'objectif commun, la
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1 Chambre de première instance a constaté que le meurtre d'Albanais du Kosovo
2 et les dégâts et les destructions provoqués aux biens religieux étaient
3 raisonnablement prévisibles par M. Lukic, alors que les cas de sévices
4 sexuels ne l'étaient pas. La Chambre de première instance a, en
5 conséquence, conclu que M. Lukic était déclaré coupable d'expulsions,
6 d'autres actes inhumains, transfert forcé, assassinat et persécution en
7 tant que crimes contre l'humanité, ainsi que de meurtre en tant que
8 violation des lois ou coutumes de la guerre. M. Lukic a été condamné à une
9 peine unique d'emprisonnement de 22 ans.
10 M. Lukic énonce 37 moyens d'appel, qui contestent le jugement rendu
11 par la Chambre de première instance sur quatre points essentiels.
12 Premièrement, il affirme que la Chambre de première instance a violé son
13 droit à un procès équitable à diverses reprises. Deuxièmement, il conteste
14 un certain nombre de conclusions concernant les crimes sous-jacents commis
15 dans différentes municipalités. Troisièmement, il fait valoir que la
16 Chambre de première instance a commis une erreur en constatant l'existence
17 d'une entreprise criminelle commune et sa participation à celle-ci.
18 Finalement, il affirme que la Chambre de première instance a commis une
19 erreur en imposant une peine excessive et disproportionnée.
20 L'Accusation avance six moyens d'appel contre le jugement rendu par
21 la Chambre de première instance. Premièrement, l'Accusation demande à la
22 Chambre d'appel de condamner M. Sainovic, M. Pavkovic, M. Lazarevic et M.
23 Lukic pour persécution en tant que crime contre l'humanité au moyen de
24 transfert forcé et d'expulsion. Deuxièmement, l'Accusation demande à la
25 Chambre d'appel de condamner M. Lazarevic pour avoir aidé et encouragé les
26 assassinats et persécutions en tant que crimes contre l'humanité, et de
27 meurtre en tant que violation des lois et coutumes de la guerre pour les
28 meurtres commis à Korenica, Meja et Dubrava. Troisièmement, l'Accusation
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1 fait valoir que M. Sainovic et M. Lukic devraient être condamnés pour
2 persécution en tant que crime contre l'humanité en raison des cas avérés de
3 sévices sexuels à Beleg et Cirez. Quatrièmement, l'Accusation demande à la
4 Chambre d'appel de condamner M. Sainovic, M. Pavkovic et M. Lukic pour
5 persécution en tant que crime contre l'humanité pour les autres cas de
6 sévices sexuels commis à Pristina. Cinquièmement, l'Accusation demande à la
7 Chambre d'appel de condamner M. Lazarevic pour avoir aidé et encouragé
8 l'expulsion et autres actes inhumains, transfert forcé en tant que crime
9 contre l'humanité à l'égard ou concernant certains lieux.
10 L'Accusation fait valoir que les peines devraient être augmentées
11 dans le cas où ces condamnations sont prononcées. Quoi qu'il en soit,
12 l'Accusation fait valoir que les peines imposées par la Chambre de première
13 instance étaient trop faibles et devraient être augmentées.
14 Pendant toute la durée de cette audience, les conseils peuvent plaider
15 leurs moyens d'appel dans l'ordre qu'ils jugent de convenir pour leurs
16 présentations; cependant, j'exhorterais les conseils de ne pas répéter
17 littéralement ou de trop résumer les arguments déjà présentés dans leurs
18 mémoires. La Chambre d'appel connaît leurs mémoires. En outre, les parties
19 ont l'obligation de fournir des références précises aux documents qui
20 étayent leurs arguments oraux.
21 L'appel n'est pas un procès de novo et les parties doivent s'abstenir
22 de répéter leurs thèses qu'elles ont présentées lors du procès. Les
23 arguments doivent être limités à des erreurs de droit alléguées qui
24 invalide le jugement de première instance ou d'erreurs de faits alléguées
25 qui donnent lieu à un déni de justice.
26 Outre les questions soulevées par la Chambre d'appel dans
27 l'ordonnance délivrée le 20 février 2013, les Juges peuvent poser des
28 questions à tout moment pendant la présentation des arguments des parties
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1 ou à la fin de l'audience. Compte tenu des évolutions sur le plan
2 jurisprudentiel lors de l'arrêt Perisic, les conseils de M. Lazarevic et
3 l'Accusation sont invités à présenter des arguments sur la complexité par
4 aide et encouragement au cours de la présentation de leurs arguments le
5 mercredi, 13 mars.
6 Tel qu'énoncé dans l'ordonnance portant au calendrier du 31 janvier
7 2013, cette audience se déroulera comme suit : premièrement, nous
8 entendrons les arguments du conseil de M. Sainovic pendant une heure. Nous
9 aurons ensuite une pause de 15 minutes. Après avoir entendu le conseil de
10 M. Sainovic pendant une deuxième heure, l'Accusation répliquera pendant une
11 heure. S'ensuivra une pause d'une heure et de 30 minutes, et, ensuite,
12 l'Accusation terminera sa deuxième heure de réplique, après quoi le conseil
13 de M. Sainovic répondra à la réplique de l'Accusation.
14 Demain, nous entendrons les arguments concernant l'appel de M.
15 Pavkovic. Les conseils de M. Lazarevic et de M. Lukic présenteront leurs
16 arguments mercredi et jeudi respectivement. Finalement, vendredi, nous
17 entendrons les arguments sur l'appel de l'Accusation.
18 A la fin de l'audience, les accusés auront chacun l'occasion de
19 s'adresser personnellement aux Juges de la Chambre pendant dix minutes,
20 s'ils le souhaitent.
21 Après avoir énoncé la manière dont nous allons procéder, je souhaite
22 inviter le conseil de M. Sainovic à présenter son appel.
23 M. FILA : [interprétation] Merci, Monsieur le Président, Madame,
24 Messieurs les Juges.
25 La Défense, dans son mémoire en appel, a présenté de façon détaillée
26 et précise tous les motifs pour lesquels elle estime que le jugement en
27 première instance ne saurait être juridiquement et factuellement maintenu
28 et pour indiquer que cet angle d'appel devrait modifier le jugement rendu
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1 dans toutes les parties qui déterminent la responsabilité pénale
2 individuelle de Sainovic pour prononcer un arrêt d'acquittement. La Défense
3 maintient ce qu'elle a dit dans son mémoire en appel. Elle ne renonce à
4 aucun moyen d'appel ou branche de moyen d'appel, tout en tirant des
5 conclusions qui sont celles de dire qu'au bout de quatre années, suite à ce
6 jugement en première instance, les motifs d'appels se trouvent être
7 profondément justifiés, puisque le jugement de la Chambre de première
8 instance est plein de contradictions, de points obscurs, de points
9 illogiques et de conclusions juridiques contestables.
10 La Défense estime que ce débat n'est pas une bonne opportunité pour
11 ce qui est de réitérer la totalité des arguments présentés. La Défense est
12 convaincue du fait que la Chambre d'appel a lu très attentivement les
13 écritures des parties en présence, ce qui fait que la Défense va se centrer
14 sur quelques éléments seulement qu'elle estime être particulièrement
15 importants et suffisamment illustratifs pour indiquer qu'il y a une logique
16 erronée de conclusions au sujet de faits et du droit qui ont fait que la
17 Chambre de première instance a tiré des conclusions qui ne seraient pas
18 celles d'un seul Juge raisonnable qui se serait chargé des faits.
19 La Défense va se pencher sur la question des conclusions disant que
20 Sainovic est un coordinateur politique; conclusions au sujet de l'existence
21 d'une entreprise criminelle commune, de l'existence d'un commandement
22 conjoint ou prétendu commandement conjoint; conclusions qui sont liées aux
23 événements de 1998 qui se répercutent sur l'année 1999; conclusions
24 relatives à la préméditation qu'a eue M. Sainovic pour ce qui est des
25 agissements pour lesquels il a été condamné par la Chambre de première
26 instance, à concurrence de la peine qui a été prononcée.
27 L'entreprise criminelle commune, points 6.1 6.2 et 6.4. La Défense va
28 d'abord se pencher sur la question liée à l'existence d'une entreprise
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1 criminelle commune dont l'objectif, d'après les conclusions de la Chambre
2 de première instance, auraient été d'assurer un contrôle continu de la FRY
3 et de la Serbie au Kosovo, et ce, par la perpétration de crimes et une
4 campagne de grande envergure et systématique de terreur et de violence,
5 raison pour laquelle la population albanaise du Kosovo aurait été déplacée
6 par la force à l'intérieur et à l'extérieur du Kosovo (95-III). La Chambre
7 n'a pas de preuves directes au sujet d'un planning de criminels et aussi
8 recherche-t-elle des éléments de preuve de son existence dans ce qu'il est
9 convenu d'appeler schéma ou scénario des événements. Que fait la Chambre de
10 première instance dans sa tentative visant à établir l'existence d'une
11 entreprise ou d'un planning criminel commun ? Il n'y a pas d'élément de
12 preuve direct au sujet de l'existence de ce planning, mais il y a toute une
13 série de témoins qui ont témoigné de façon claire pour dire qu'il n'y avait
14 pas eu de planning du tout. Ils n'en ont jamais entendu parler et ne l'ont
15 jamais vu. Il s'agit de témoins qui, compte tenu des postes qu'ils ont
16 occupés, des tâches qu'ils ont accomplies en 1999, auraient dû savoir si
17 tant est qu'un plan avait existé. Cependant, la Chambre rejette la totalité
18 des témoignages de ces témoins, participants directs aux événements, pour
19 dire que la totalité des témoins qui ont affirmé qu'il n'y avait pas de
20 planning avaient soit un motif de mentir pour ce qui était de se protéger
21 eux-mêmes ou de protéger d'autres personnes, ou n'étaient pas en position
22 de connaître l'existence de ce plan ou se perdaient tout simplement en
23 conjecture partant d'informations inadéquates (93-III).
24 La Chambre de première instance n'a même pas exposé les motifs pour
25 lesquels elle a estimé que ces témoins ne disaient pas la vérité. En termes
26 simples, pour elle, les témoins qui ont dit qu'il n'y avait pas de planning
27 ont menti. Cependant, pour ce qui est des témoins pour lesquels la Chambre
28 de première instance ne dit pas qu'ils mentent ne savent rien au sujet d'un
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1 plan éventuel. Bon nombre d'étrangers au Kosovo qui avaient assuré le
2 monitoring vis-à-vis de la partie serbe dans leurs documents et dans leurs
3 témoignages devant la Chambre de première instance n'ont pas non plus
4 indiqué un seul élément de preuve concernant l'existence de ce planning.
5 Ont témoigné des gens qui s'étaient trouvés à la tête de grandes équipes et
6 qui étaient composées suivant la règle d'officiers militaires des pays de
7 l'OTAN, de la mission de l'OSCE, du Groupe de contact, et des missions
8 d'observations diplomatiques. Ces témoins ne savent rien au sujet d'un
9 planning, mais à leur sujet, la Chambre ne statue pas pour dire qu'ils sont
10 en train de mentir.
11 La Chambre de première instance a conclu de l'existence d'un plan et
12 il semblerait que les accusés ont attendu une attaque de l'alliance
13 militaire la plus puissante au monde pour réaliser ce planning criminel
14 dans ce type de circonstances. Donc, la Chambre tire la conclusion qui est
15 celle de dire que la République fédérale de Yougoslavie et la Serbie
16 avaient attendu la plus défavorable des circonstances, un conflit de la
17 Serbie avec l'OTAN, la seule des circonstances qui, effectivement, ne
18 pouvait pas se terminer par une victoire de la République fédérale de
19 Yougoslavie et de la Serbie. Et on a dit que le bombardement, c'est-à-dire
20 la guerre avec l'OTAN, avait été l'opportunité qui était attendue par les
21 Serbes pour faire partir les Albanais du Kosovo, c'est une conclusion qui
22 ne serait adoptée par aucun Juge raisonnable des faits. Donc, les Serbes
23 auraient attendu l'attaque de l'OTAN pour commencer à réaliser un objectif
24 durable qui aurait été l'existence d'un Kosovo sans Albanais, ce qui se
25 trouve être tout à fait contraire à l'objectif poursuivi par l'OTAN dans
26 cette guerre. Donc, d'après les constats des Juges de la Chambre vont se
27 lancer dans la réalisation d'un plan qui n'est possible de réaliser qu'au
28 cas où ils finiraient par vaincre l'OTAN.
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1 La Chambre constate qu'il y a quelque 700 000 Albanais du Kosovo qui ont
2 quitté ce Kosovo, et ce, en raison d'agissements délibérés des forces de la
3 RFY et de la Serbie. La Chambre exclut toutes les autres causes pour
4 lesquelles la population avait quitté ses logements. La Chambre ne s'est
5 nulle part penchée sur les conséquences du bombardement des convois de
6 civils avec des Albanais du Kosovo près de Djakovica en avril 1999 ou
7 bombardement du village de Korisa au mois de mai 1999 ou d'un autocar à
8 côté du village de Luzine en mai 1999. Combien de personnes sur les 700 000
9 personnes qui sont parties étaient parties par peur de ces morts en masse
10 qui ont été causées par les bombardements de l'OTAN ? L'OTAN avait bombardé
11 des villes, Pec, Djakovica. Et alors qu'est-il advenu de la population qui
12 y vivait ? Il existe à ce sujet des éléments de preuve dans le dossier, y
13 compris des éléments de preuve tout à fait crédibles qui ont été obtenus en
14 application de l'article 70, mais les Juges de la Chambre ignorent ou
15 mettent de côté tout ce qui ne coïncide pas avec l'image définie par avance
16 que l'on s'était faite.
17 La Défense dans son mémoire en appel, dans le cadre de son sixième motif
18 d'appel, a fourni des raisons pour dire que la conclusion concernant
19 l'existence d'un planning criminel était tout à fait infondé.
20 Pour ce qui est maintenant de la coordination politique. Nikola Sainovic,
21 d'après l'acte d'accusation qui a fait l'objet de la présentation des
22 éléments de preuve par l'Accusation, a été qualifié comme étant le
23 commandant d'un commandement conjoint qui avait commandé, contrôlé, dirigé,
24 et exercé de façon autre un contrôle effectif vis-à-vis des forces de la
25 RFY et de la Serbie au Kosovo. Nikola Sainovic pour ce qui est de ce type
26 de chefs d'accusation a présenté sa défense et a réussi à se défendre. La
27 Défense a réussi à le faire parce que nulle part dans le jugement rendu par
28 la Chambre de première instance il n'est dit que Sainovic est le commandant
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1 d'un commandement conjoint, pas plus qu'il n'est dit qu'il a commandé et
2 contrôlé les effectifs de la VJ et du MUP de Serbie au Kosovo pendant la
3 période couverte par l'acte d'accusation.
4 La Chambre de première instance, au lieu de libérer Sainovic étant donné
5 que les allégations de l'Accusation selon lesquelles Sainovic aurait été
6 commandant d'un commandement conjoint n'a pas été prouvé, condamne Nikola
7 Sainovic à plusieurs années d'emprisonnement pour des éléments qui n'ont
8 même pas fait l'objet de l'acte d'accusation. La Chambre de première
9 instance a condamné Sainovic en disant que c'était le coordinateur
10 politique des effectifs de la VJ et du MUP au Kosovo. Sainovic n'a pas
11 présenté de défense pour ce qui est d'une coordination politique des
12 effectifs au Kosovo. Il a dû se défendre de chefs d'accusation qui disait
13 qu'il avait commandé ces effectifs, qu'il avait planifié leur utilisation
14 et donné des ordres à cet effet. Sainovic, s'il avait été informé qu'il ne
15 lui était pas reproché le fait d'être commandant d'un commandement conjoint
16 mais coordinateur politique, sa conception de la défense aurait
17 probablement été autre. On aurait amené d'autres témoins et on aurait
18 présenté des éléments de preuve relatifs à des faits tout à fait
19 différents.
20 Ce que la Défense souhaite souligner c'est que le fait est que Sainovic n'a
21 pas été mis en accusation en sa qualité de coordinateur politique mais en
22 sa qualité de commandant d'un commandement conjoint qui commandait les
23 effectifs de la VJ et du MUP, cela fait que Sainovic ait lutté pour son
24 droit à un procès équitable et juste. Alors ce que la Défense conteste ce
25 n'est pas seulement le fait que Sainovic ait été condamné pour un élément
26 pour lequel il n'avait pas été mis en accusation. Pour la Défense, ce qui
27 est contestable, c'est la teneur même des conclusions relatives à Sainovic
28 pour ce qui est de son prétendu rôle de coordinateur politique.
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1 La Chambre de première instance, au paragraphe 331-III, indique que la VJ
2 et le MUP avaient établi des liens avec les hommes politiques, que l'armée
3 et le ministère de l'Intérieur ont dû demander à Milosevic des
4 approbations, et que c'est la raison pour laquelle le rôle joué par
5 Sainovic était décisif. Et à cet effet, la Chambre de première instance a
6 recours à trois groupes d'éléments de preuve pour tenter d'étayer cette
7 allégation : (a), les réunions qui sont désignées comme étant des réunions
8 du commandement conjoint; (b), autres réunions; et c'est toute une série
9 d'allégations qui étaient censées faire de Sainovic l'homme de Milosevic
10 chargé pour le Kosovo.
11 Sainovic et les réunions du commandement conjoint. La Défense va
12 d'abord se pencher sur les questions qui sont liées à ce qu'il est convenu
13 d'appeler le commandement conjoint. Et là, de prime abord, la Défense
14 souhaite indiquer que la grande majorité des éléments de preuve utilisés
15 par la Chambre de première instance dans son analyse ne se rapportent qu'à
16 l'année 1998, et cette année n'a pas fait du tout l'objet de l'acte
17 d'accusation dans le dossier qui nous intéresse. Comment la Chambre de
18 première instance a-t-elle tiré ses conclusions ? Elle a cité de façon
19 détaillée la teneur de la pièce à conviction P1468 pour apporter une
20 explication de ce qui s'y trouve consigné. Puis ensuite, on cite des
21 témoins qui n'ont jamais participé aux réunions à Pristina, à savoir
22 Crosland, Petritsch, et Kickert. Ensuite, on cite Cvetic, que les autres
23 témoins contestent, et elle indique que Cvetic a impressionné. On cite
24 Cvetic, donc qui n'a aucun droit de vue direct au sujet de ce qui est
25 appelé le commandement conjoint puisqu'il n'a jamais assisté aux réunions
26 dont il a témoigné. On cite un télégramme où Crosland a noté ce que
27 Dimitrijevic aurait dit. Puis ensuite, la Chambre de première instance cite
28 à comparaître Dimitrijevic pour qu'il explique ce qu'il a dit à Crosland.
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1 Et la Chambre rejette la totalité de ce qu'a dit l'un des témoins qui a été
2 cité à comparaître par la Chambre parce que de façon évidente cela ne
3 rentrait pas dans un contexte de préjugés qui avaient déjà été mis en place
4 par les Juges de la Chambre de première instance. Et ce témoin a été cité à
5 comparaître après le mémoire en clôture et après notre présentation des
6 arguments. Donc il était indispensable que ce témoin comparaisse pour que
7 la Chambre tire ces conclusions-là. Juste un petit -- ce n'est pas
8 "Drewienkiewicz" ici au compte rendu on consigne "Drewienkiewicz" non, non,
9 on a parlé "d'Aleksandar Dimitrijevic", le général.
10 Le deuxième témoin qui a été cité à comparaître par la Chambre de
11 première instance c'est un colonel, Djakovic, qui a rédigé la pièce P1468,
12 pour lui demander d'expliquer. Et bien qu'il n'ait pas dit que Djakovic
13 était non crédible, à la différence de Dimitrijevic, il rejette tout ce que
14 Djakovic a expliqué au sujet du document pour lequel il a été cité à
15 comparaître.
16 La Chambre accepte une moitié du témoignage de Gajic, et l'autre
17 moitié au sujet des mêmes circonstances fournies le jour d'après est
18 rejeté, et c'est là que Gajic avait expliqué ce qu'il avait dit le jour
19 d'avant. La Chambre a rejeté ou a négligé toutes les autres circonstances
20 qui sont évidentes et qui ont été prouvées montrant que Sainovic n'aurait
21 pas joué un rôle à caractère crucial. On ignore les conclusions tirées par
22 la Chambre, qui indique que toutes les filières de commandement étaient en
23 fonctionnement, on parle de l'existence d'un Conseil suprême de la Défense
24 qui fonctionne et qui prend ses décisions, il existe un planning de combat
25 contre le terrorisme en 1998 qui est adopté au niveau le plus élevé; puis
26 il y a une directive du chef d'état-major, qui s'appelle Tonnerre 98. Il
27 existe 20 témoins qui ont été entendus dans l'affaire et que ces derniers
28 ont confirmé qu'il existait des filières de commandement en place.
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1 Alors d'après les Juges de la Chambre de première instance, les
2 conclusions faites au sujet des témoignages de témoins sur ces
3 circonstances font que ces témoins ont parlé de connaissances qu'ils ne
4 pouvaient pas avoir de façon directe. Lorsque la Chambre de première
5 instance cite à comparaître l'auteur des éléments de preuve présentés par
6 écrit, toutes ces explications authentiques fournies par l'auteur du texte
7 se trouvent être rejetées par les Juges de la Chambre.
8 Au sujet des autres réunions, la Chambre de première instance dans son
9 analyse a recherché des éléments de preuve qui étaient censés documenter le
10 rôle joué par Sainovic au Kosovo et trouve plusieurs éléments de preuve.
11 Une première réunion qui s'est tenue le 29 octobre 1998, où les rapports
12 sont présentés par Pavkovic, Lukic et Minic. Sainovic ne participe pas à
13 cette réunion. Il ne fait que parler brièvement au sujet de la mission de
14 l'OSCE. Ensuite, une réunion qui s'est tenue le 5 novembre 1998, où
15 Milutinovic qui a été libéré de toute responsabilité parle, explique, et
16 donne des instructions, alors que Sainovic, lui, se tait. Milutinovic se
17 trouve être libéré bien qu'il ait parlé, exposé des motifs et donner des
18 instructions, et Sainovic se trouve être condamné, alors qu'il n'a fait que
19 rester assis à cette réunion. Et aux yeux des Juges de la Chambre de
20 première instance, cette réunion est un élément de preuve crucial au sujet
21 du rôle qu'il a joué.
22 Et pour finir, en 1999, la Chambre détermine la participation de Sainovic à
23 quatre réunions. La guerre, elle, a duré de mars à juin. Les éléments de
24 preuve parlent d'une réunion en avril, de deux réunions en mai, et d'une
25 réunion en juin. Alors la teneur de ces réunions se trouve être dénuée de
26 valeur si l'on cherche à trouver des fondements pour ce qui est de tirer
27 des conclusions relatives au rôle crucial joué par Sainovic ou au rôle de
28 Sainovic en sa qualité de coordinateur politique. La guerre avec l'OTAN, la
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1 guerre avec l'UCK, aurait demandé à un coordinateur d'une armée ou d'une
2 police en guerre des dizaines de réunions au quotidien, et non pas quatre
3 réunions en trois mois.
4 Qu'a donc Sainovic coordonné en 1999 ? Qui a-t-il coordonné ? De quelle
5 façon a-t-il procédé à cette coordination ? Quelles sont les conséquences
6 de sa coordination s'agissant de certains crimes ? Existait-il des
7 opérations ou des actions conduites qui auraient été coordonnées par
8 Sainovic ? Aucun mot à ce sujet, aucun élément de preuve, aucune hypothèse
9 même. Les Juges de la Chambre donc ont dédaigné la nécessité de satisfaire
10 à leur obligation élémentaire d'apporter un exposé des motifs. Une réunion
11 dont il a été question au sujet de la mission de l'OSCE en octobre 1998,
12 une réunion où il ne dit pas un mot en novembre 1998, et quatre réunions en
13 trois mois de guerre où il ne transmet aucun ordre, ne donne aucune
14 instruction et aucune ligne directrice, ce sont des éléments de preuve
15 qu'un Juge des faits raisonnable ne saurait accepter pour indiquer ou dire
16 que Sainovic se trouve être la personnalité cruciale ou le coordinateur
17 politique qui, aux termes d'ailleurs, n'a jamais été expliqué.
18 Excusez-moi. Alors, ce qui est encore contestable, c'est la conclusion des
19 Juges de la Chambre qui dit que Sainovic avait transmis des ordres donnés
20 par Milosevic. Cette conclusion est tirée d'une phrase dans l'élément de
21 preuve P1996, qui cite Sainovic qui dit que Milosevic aurait entendu des
22 rapports d'un commandant de la 3e Armée et du QG du MUP pour le Kosovo, et
23 il a été fourni un communiqué public qui aurait constitué une directive et
24 des ordres émanant du commandant Suprême, commandant Suprême qui se trouve
25 être Slobodan Milosevic qui, à titre d'élément intéressant, se trouve à
26 être décédé il y a dix ans de cela, aujourd'hui même. Tout ce que fait
27 Sainovic, c'est qu'il fait état d'un communiqué public, d'une réunion du
28 commandant de la 3e Armée et du chef de l'état-major du MUP, chez
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1 Milosevic.
2 Alors ce qui est encore plus important, c'est que le communiqué dont fait
3 état Sainovic, au moment où il en parle, eh bien, cela a déjà été
4 communiqué aux membres du MUP. A savoir, dès le 6 mai 1999, ce communiqué
5 publié dans les journaux dont parle Sainovic, le 7 mai 1999 avait été
6 communiqué au secrétariat du MUP de Kosovo, à savoir preuve 5D1289. La
7 Défense avance que la seule preuve qui, dans la totalité du jugement permet
8 de tirer la conclusion que Sainovic transmet les ordres de Milosevic, est
9 précisément la preuve de Sainovic faisant état de cet article de journaux.
10 La Chambre de première instance dans son analyse n'a pas été en mesure de
11 faire état, ne serait-ce qu'un seul autre élément, une seule autre pièce à
12 conviction qui aurait permis de suggérer quelque chose de comparable.
13 Toutes les autres conclusions portant sur les relations entre Sainovic et
14 Milosevic évoluent dans le domaine des suppositions. Il n'y a pas de Juge
15 des faits raisonnable pour lequel le fait de faire état d'une coupure de
16 journaux permettrait de remplacer les preuves requises sur le lien-clé qui
17 aurait existé d'après la Chambre de première instance entre Milosevic et
18 Sainovic, que Milosevic aurait réalisé par le truchement de Sainovic sur
19 les forces au Kosovo. Egalement, lors de la réunion du 17 mai 1999,
20 Sainovic joue un rôle plus que marginal. Sainovic, lors de cette réunion,
21 fait plusieurs commentaires qui sont tout à fait en passant, tandis que la
22 substance des problèmes fait l'objet de débat d'autres personnes présentes,
23 bien entendu conformément aux obligations et responsabilités des uns et des
24 autres par rapport à la situation au Kosovo.
25 La conclusion disant que Sainovic constitue le lien-clé entre Milosevic et
26 le Kosovo ne pourrait être tiré par un Juge des fais raisonnable que s'il
27 avait des preuves portant sur la communication Sainovic et Milosevic et
28 Sainovic, forces de la VJ et du MUP au Kosovo, en l'absence de la preuve
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1 que Milosevic a à sa disposition bien d'autres canaux lui permettant de
2 communiquer.
3 Cependant, alors quelle est la seule chose, quel est le seul élément qui
4 existe dans le dossier de l'espèce ? Les preuves sur la communication
5 Sainovic, Milosevic au moment qui est pertinent eu égard à l'acte
6 d'accusation. Trois réunions, dont deux qui n'ont duré qu'une dizaine de
7 minutes chacune. Alors qu'est-ce qui a été conclu lors de ces réunions ?
8 Est-ce que Sainovic a dit quoi que ce soit à Milosevic ou Milosevic à
9 Sainovic ? Il n'y a aucune preuve là-dessus. Les preuves sur la
10 communication Sainovic, VJ, au MUP ou au Kosovo, deux réunions au MUP, une
11 réunion avec les représentants de la VJ et du MUP à la fin de la guerre
12 après tous les événements qui sont évoqués au jugement. Et je répète encore
13 une fois, il a pris part à ces réunions très brièvement. Il est venu, il a
14 échangé quelques salutations, et puis il est parti.
15 Lorsqu'il s'agit de preuve de la communication entre Milosevic et la VJ et
16 le MUP, eh bien, la situation est complètement différente. Des centaines de
17 preuves, de rapports de combat, d'ordres directifs, des dizaines de
18 témoignages, et tout cela en l'absence de preuve d'obstruction ou d'entrave
19 à cette communication.
20 Egalement, il n'est pas raisonnable d'arriver à des conclusions qui
21 ont été tirées sur les missions de Sainovic au Kosovo. Une mission d'un
22 jour pour constater la situation, et la confiance de Milosevic, comme si le
23 président de l'Etat ne dispose que d'une seule source d'information sur un
24 problème-clé qui se pose au niveau de l'Etat, comme si le président de
25 l'Etat n'avait qu'un seul homme de confiance.
26 Alors, comment agit la Chambre de première instance ? Elle nie tout
27 ce qui peut être conclu sur la base des documents, les témoignages des
28 témoins, et elle constate puisque ce n'est pas Bulatovic, eh bien, la seule
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1 source d'autorité possible de Sainovic est bien Milosevic.
2 Alors ici, la Chambre cesse d'opérer une distinction entre les
3 preuves, les faits, et les impressions. La Chambre omet d'apprécier la
4 totalité des éléments de preuve. Elle ne se demande pas quelles sont les
5 autres possibilités ? Est-ce qu'ils sont analysés ? Est-ce qu'ils ont été
6 éliminés ? Alors, le principe que le doute profite à l'accusé, est-ce que
7 ce doute est pris en compte ? Est-ce qu'il est autorisé de conclure sur la
8 base du principe de probabilité ? Quant à la Chambre, le rôle et la
9 position de Milosevic, elle le prend comme un axiome. Est-ce qu'elle
10 cherche à démontrer qui est Milosevic, quel est son rôle, quels sont les
11 droits et ses attributions, ou bien est-ce que c'est quelque chose qui est
12 su sans qu'il soit nécessaire de le démontrer. Sur la position de Sainovic,
13 sa relation avec Milosevic, la Chambre de première instance juge sur la
14 base des suppositions sur Milosevic, des suppositions sur Sainovic, cela ne
15 constitue pas des conclusions qui ont été adoptées par un Juge des faits
16 raisonnable.
17 Sur Sainovic qui prend des décisions qui influent sur les événements,
18 eh bien, nous avons Naumann, Vollebaek, qui arrivent pour mettre en œuvre
19 l'accord sur la décision de vérification de l'OSCE à l'automne 1998, qui
20 participe à un entretien avec Sainovic qui est à la tête de la commission
21 chargée de la coopération avec cette mission. Ils font état de leurs
22 sentiments, de leurs impressions. Pourquoi sont-ils venus ? Pour coopérer
23 avec l'OSCE. Ignorant tout de l'armée yougoslave, du MUP, des relations en
24 Serbie, en RFY, ils ont des impressions et non pas des connaissances, et
25 les impressions ne constituent pas un fondement permettant de bâtir sur ce
26 fondement les conclusions d'un Juge des faits raisonnable.
27 Ciaglinksi, un lieutenant-colonel, il n'a jamais rencontré aucun
28 membre du gouvernement de la RFY ou de la Serbie. Il ne sait rien sur le
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1 fonctionnement de ce gouvernement. Il ne sait rien des relations au sein de
2 ce gouvernement. Il dit : Je ne pouvais qu'imaginer qu'il y avait Milosevic
3 au-dessus de Sainovic. Là encore, c'est une supposition. Encore des
4 intuitions des témoins qui constituent la base des conclusions qui ont été
5 tirées, alors que l'intuition du témoin ne constitue pas un fondement sur
6 lequel un Juge des faits raisonnable peut bâtir ses conclusions sur les
7 faits. Ensuite, nous avons une réunion qui est présidée par Keller.
8 Maisonneuve a vu Sainovic une fois lors de cette réunion où plusieurs
9 personnes sont présentes. Il n'a eu aucune connaissance directe du rôle et
10 de la position de Sainovic. Plusieurs personnes parlent de Sainovic;
11 Petritsch, Byrnes, mais la Chambre cite une partie de leur témoignage
12 lorsqu'ils font état de leurs impressions. Mais lorsqu'ils parlent de la
13 teneur du travail, des activités de Sainovic, la Chambre ne prend pas cela
14 en compte, lorsqu'ils expliquent de quelle nature était leur coopération
15 avec Sainovic. Une première impression généralisée suffit. Telles sont les
16 preuves sur l'autorité de Sainovic, sur son influence sur les événements,
17 des sentiments, des impressions, des suppositions. Permettez-moi de faire
18 une digression.
19 M. Petritsch a parlé du rôle de Milan Milutinovic. S'il avait dit au
20 sujet de Sainovic ce qu'il a dit au sujet de Milutinovic, Sainovic aurait
21 été condamné à une peine de prison à vie. Toutefois, cela n'a eu aucune
22 importance apparemment aux yeux de l'Accusation, ni de la Chambre de
23 première instance. J'espère que vous vous attacherez avec une attention
24 particulière à cette partie-là. Ensuite, nous avons déjà parlé de cet
25 article de journal dont a fait état Sainovic. Quel est l'ordre que Sainovic
26 a transmis de la part de Milosevic ? Si on pense à l'ordre sur
27 l'interruption des activités que Sainovic aurait transmis, d'après la
28 Chambre, lors de la réunion du 1er juin 1999, il n'est pas croyable que
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1 Sainovic ait pu transmettre un ordre sur le retrait en tant que conséquence
2 de l'accord qui n'était pas conclu à ce moment-là. L'accord entre Milosevic
3 et Ahtisaari, qui constitue un des éléments du dossier, a été conclu le 4
4 juin 1999. Je répète bien la date. Le 4 juin 1999. C'est uniquement sur la
5 base de cet accord, quatre jours plus tard, qu'Ojdanic autorise les
6 officiers haut gradés de la VJ de négocier un retrait avec l'OTAN pour que
7 l'accord militaire technique ne soit conclu que le 9 juin 1999. La Chambre
8 de première instance attribue à Sainovic un ordre qui n'aurait pas pu
9 exister, lui attribue un comportement, une activité qui constitue un écart
10 très clair avec le reste des conclusions. Il s'agit d'un ordre qui n'a eu
11 lieu que le 9, alors comment est-ce qu'il aurait pu le transmettre le 1er ?
12 La Chambre de première instance constate que Sainovic a joué un rôle-
13 clé, mais cela n'est établi nulle part. Quels sont les ordres qui ont été
14 donnés de manière autonome par Sainovic ? Il n'y en a pas. Quelle activité
15 de Sainovic a eu un impact sur les événements sur le terrain, et de quelle
16 manière ? Il n'y en a pas. Quelle activité de Sainovic a comporté les
17 éléments d'un comportement criminel ? Aucune. Quelle activité de Sainovic
18 n'a pas correspondu à son rôle de vice-président du gouvernement fédéral,
19 ou position du président de la commission chargée de la coopération ?
20 Aucune. Il n'y en a pas.
21 Quant à la confiance que Milosevic a pour Sainovic, au paragraphe 292
22 du jugement, on annonce qu'on analysera cet élément, mais cela ne figure
23 nulle part au niveau du jugement. Pourquoi ? Parce que ces preuves
24 n'existaient pas. Aucune preuve sur la nature spéciale de la relation entre
25 Sainovic et Milosevic. Pourquoi ? Parce que ces relations n'existent pas.
26 En revanche, il y a des preuves qui remettent en question toute nature
27 spécifique de confiance. Mais en fait, je pense qu'il y a eu une erreur
28 ici, d'après l'avis de la Défense de Sainovic. Il y a eu un lien spécial
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1 entre Milutinovic et Milosevic, puisque Milosevic, lors des négociations de
2 Rambouillet et à d'autres occasions, a eu son envoyé spécial, également
3 vice-président du gouvernement fédéral, mais son nom est Vladan Kutlesic et
4 non pas Sainovic. Sainovic a été marginalisé au sein du Parti socialiste de
5 Serbie. Nous avons apporté des preuves démontrant qu'il a été démis de ses
6 fonctions de vice-président du Parti socialiste de Serbie en 1997. S'il
7 était aussi proche de Milosevic, pourquoi est-ce qu'on l'a démis de ses
8 fonctions ?
9 Milosevic propose un Groupe de travail au Parti socialiste. Il
10 propose également quelqu'un pour se mettre à la tête de ce Groupe de
11 travail, et Sainovic n'est même pas membre de ce groupe, encore moins son
12 chef. Milosevic propose Milosevic [sic] au poste de président de la Serbie;
13 il ne propose pas Sainovic. Ainsi, il le propose au poste de membre du
14 conseil suprême de la Défense. Milosevic [sic] est gardé à tous les postes
15 importants au sein du Parti socialiste, mais tout cela ne démontre pas la
16 nature du lien proche aux yeux de la Chambre, à la différence de Sainovic.
17 Pourquoi ? Parce que Milutinovic a dit dans son entretien avec le bureau du
18 Procureur qu'il a dit à son épouse, au moment des événements, qu'il n'était
19 pas d'accord avec Milosevic. C'est la seule preuve de son désaccord. Si en
20 1998, Milosevic [sic] s'était opposé à Milosevic, l'histoire aurait pris un
21 tout autre cours, et on ne serait pas là où on est aujourd'hui, il n'y
22 aurait pas eu de guerre.
23 Le fait qu'il ait confié son désaccord à son épouse, cela a suffi aux Juges
24 de la Chambre de première instance de conclure que Milutinovic n'était pas
25 un proche de Milosevic, mais pendant toute la guerre, Milutinovic se trouve
26 au poste de commandement avec son épouse, Milosevic avec son épouse. Les
27 deux Chambres sont l'une à côté de l'autre, jour et nuit, 78 jours, sauf
28 lorsqu'il va au Kosovo. Sainovic, pendant toute la durée de la guerre, ne
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1 rencontre Milosevic que deux ou trois fois, mais pas de manière très
2 proche, et pas avec son épouse. Cependant, la Chambre de première instance
3 acquitte Milutinovic parce qu'il n'est pas proche de Milosevic. Sainovic se
4 trouve condamné parce qu'il est proche. C'est un exemple frappant de deux
5 poids, deux mesures qui ont été appliqués par la Chambre de première
6 instance lorsqu'elle apprécie la nature du lien proche avec Milosevic.
7 Un Juge des faits raisonnable s'appuie sur des critères raisonnables, fonde
8 ses conclusions sur des faits, ne tient pas compte de l'opinion des
9 témoins, des suppositions et des impressions. Tout ce qui a été dit sur la
10 position Sainovic, de son autorité, ne représente qu'une impression, et
11 jamais il ne s'agit de faits, ni de preuves. D'ailleurs, vous verrez que la
12 police est sous les ordres de Milutinovic puisqu'elle est serbe, et
13 Sainovic est un fonctionnaire fédéral.
14 Qu'en est-il de l'existence du commandement conjoint, quelle est sa nature.
15 L'explication sur celui qui a besoin du commandement conjoint est donnée
16 par la Chambre de première instance par le truchement de Dimitrijevic, mais
17 l'interprétation que la Chambre est erronée, inexacte, l'interprétation de
18 Dimitrijevic. Même si Dimitrijevic ne parle que des actions de Pavkovic
19 vis-à-vis de la VJ, la Chambre comprend qu'il s'agit là d'une manière de
20 garantir une coordination entre la VJ et le MUP. Dimetrijevic, cependant,
21 ne mentionne pas le MUP. Son témoignage sur le commandement conjoint, il le
22 qualifie de supposition. Exusez-moi. Les personnes âgées sont les premières
23 touchées par la grippe.
24 Comme je viens de le dire, Dimitrijevic jamais ne mentionne la
25 police. Il dit qu'il s'agit de suppositions lorsqu'il parle du commandement
26 conjoint, mais tout cela ne constitue aucun problème aux yeux de la Chambre
27 de première instance. Elle fonde sa conclusion sur le témoignage de
28 Dimitrijevic lorsqu'elle affirme que le commandement conjoint sert à
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1 assurer une meilleure coordination entre la VJ et le MUP. Un Juge des faits
2 raisonnable ne peut pas et ne doit pas construire d'abord des preuves et
3 ensuite fonder sa conclusion là-dessus.
4 La Chambre de première instance arrive à sa conclusion sur la base du
5 témoin qui parle d'un autre contexte, qui dit qu'il s'agit de conjectures,
6 tout en ne tenant pas compte de toute une série de preuves cohérentes sur
7 la coordination des actions de la VJ et du MUP en 1998. Lorsqu'elle parle
8 des activités du commandement conjoint, la Chambre ne tient pas compte des
9 participants, Minic, Matkovic, Andjeklovic, elle ne tient pas compte de
10 Djakovic - qui a été cité par la Chambre et qui dit que lui et Pavkovic ont
11 créé le nom de la réunion en tant que commandement conjoint - elle ne tient
12 pas compte du témoignage de Mijatovic, de Vucurevic, d'Adamovic, et ne
13 prête foi qu'à Cvetic qui n'a jamais vu ces réunions, qui n'a jamais été
14 présent. La Chambre examine 40 témoins qui expliquent le commandement
15 conjoint, et la conclusion qu'elle adopte sur la nature du commandement
16 conjoint ne ressemble qu'à un seul témoignage, à savoir le témoignage de
17 Cvetic.
18 Pourquoi la Chambre n'apprécie pas le témoignage de plus de 40
19 témoins sur la nature du commandement conjoint ? Pourquoi elle n'explique
20 pas pourquoi elle ne leur prête pas foi ? Pourquoi elle n'explique pas
21 qu'est-ce qui l'incite à ne prêter foi qu'à Cvetic ? Et encore une fois, il
22 n'a jamais été là, il n'a jamais été présent. Cette attitude adoptée par la
23 Chambre montre de manière flagrante qu'elle ne tient pas compte des preuves
24 et elle accepte des suppositions à la place des faits.
25 Il y a très longtemps, il y a 50 ans, mon professeur à la faculté de
26 droit a dit quelque chose qui s'applique ici, à savoir que tous les
27 indices, toutes les suppositions du monde tombent à l'eau à partir du
28 moment où nous avons une preuve, ne serait-ce qu'une seule preuve, alors
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1 qu'ici, l'attitude adoptée est exactement à l'inverse. Ces conclusions sur
2 l'autorité du commandement conjoint, la Chambre de première instance les
3 explique d'une seule phrase. Leurs réunions ne se résumaient pas à un
4 échange quotidien d'information. Cette attitude constitue un exemple
5 flagrant d'un manque de précision au niveau des conclusions. Plus qu'un
6 échange, mais quoi de plus ? Qu'est-ce qui a été dit ? Qu'est-ce qui a été
7 ordonné ? Qu'est-ce qui a été fait ? Que s'est-il passé sur le terrain ? Un
8 Juge des faits raisonnable, s'il dit qu'il ne s'agissait pas d'un échange
9 d'information, qu'il s'agissait de quelque chose de plus, a l'obligation de
10 dire de quoi de plus il s'était agi. Il s'agit ici d'une erreur flagrante
11 de la part de la Chambre de première instance. Les conclusions sur
12 l'autorité du commandement conjoint, sur la VJ, sur le MUP de Serbie, ces
13 conclusions sont bâties par la Chambre sur plusieurs exemples datant de
14 1998. Tous ces exemples sont indéfendables. Tous ces exemples montrent
15 précisément qu'il n'y a pas d'autorité plutôt que les lignes de
16 subordination ont été maintenues et qu'elles sont sans interruption.
17 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Est-ce que je peux vous poser une
18 question, Conseil ?
19 Le lien entre le commandement conjoint et ce qu'on a appelé le Groupe
20 de travail, quelle est la nature du lien entre les deux ? Est-ce que ce
21 Groupe de travail a été créé pour coordonner la relation entre la VJ et le
22 MUP ?
23 M. FILA : [interprétation] Si vous vous penchez bien sur l'acte
24 d'accusation, au départ on a dit que lors de cette réunion du Parti
25 socialiste de Serbie, on a adopté cette conclusion. C'était ça, la thèse de
26 la Chambre, que Milosevic a proposé la création de ce Groupe de travail
27 avec Milomir Minic à la tête de l'assemblée fédérale et avec deux
28 ministres, les ministres des Sports et de l'Industrie. Et l'objectif du
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1 Groupe de travail était de se rendre pendant une journée sur place et de
2 constater quelle était la situation. C'est le parti le plus important qui
3 décide d'aller voir ce qui se passe sur le terrain. Il faut savoir, pour
4 replacer cela dans le contexte, la spécificité de la Yougoslavie. L'armée
5 est commune, mais la police appartient à chacune des républiques, donc pour
6 savoir exactement ce qui se passe sur place, la Parti socialiste envoie sa
7 délégation du parti pour constater les faits. La communication au sein du
8 commandement conjoint, vous avez là des personnes qui sont en place et qui
9 doivent se mettre d'accord, enfin, qui doivent s'informer, parce que vous
10 avez une structure civile, la Croix-Rouge, les autorités locales,
11 l'autonomie locale, les liens avec l'étranger. Quand ils pouvaient regarder
12 la télévision pour s'informer, ils échangeaient les informations, donc il y
13 a un échange d'information, mais cela n'a rien à voir avec la commission
14 qui est allée rendre compte à Milosevic sur ce qu'elle a vu sur place.
15 Pourquoi est-ce que Sainovic les rejoint ? Parce que l'Etat fédéral doit
16 envoyer quelqu'un pour que l'Etat fédéral s'informe. Sainovic y va sur
17 ordre de Bulatovic, c'est pour cela qu'il rejoint la mission, et il le fait
18 occasionnellement en 1998.
19 Mais, ce qui est important, c'est que les chaînes de commandement de la
20 police et de l'armée sont sans entraves, donc il n'y a pas d'influence
21 exercée sur le commandement. Je ne sais pas si j'ai répondu à votre
22 question.
23 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie. Vous pouvez continuer.
24 M. FILA : [interprétation] Quel est le rôle du commandement conjoint ? Vous
25 avez l'exemple de cette demande de recevoir des hélicoptères. C'est
26 Sainovic qui le fait pour la Croix-Rouge, demande d'emploi d'hélicoptères.
27 C'est l'état-major général qui a décidé, le commandement de la 3e Armée, et
28 cet hélicoptère n'a pas été donné. Si Sainovic avait été aussi important,
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1 il aurait pu obtenir cet hélicoptère pour la Croix-Rouge. Puis, la question
2 de l'affectation, du déploiement des groupes de combat, ils sont affectés
3 exclusivement sur la base des ordres du commandant de la 3e Armée. Sainovic
4 était commandant du Corps de Pristina, donc ce n'est pas lui qui donne
5 l'autorisation, c'est le général Samardzic. Puis, l'exemple des forces
6 d'intervention rapide, elles ne constituent aucun problème. Là encore, nous
7 avons un échange d'opinions, puisque ces forces n'ont jamais été
8 constituées. Ensuite, l'exemple de la mise en œuvre de la troisième phase
9 du plan. Indépendamment des tentatives qui ont été déployés par Pavkovic,
10 l'emploi des unités du Corps de Pristina ne peut avoir lieu sans ordre du
11 commandement de la 3e Armée.
12 L'exemple de la lettre de Perisic, P717, Perisic parle exclusivement de
13 tentatives d'influence pas traduites dans les faits sur l'emploi des unités
14 du corps. Exemple des ordres du Corps de Pristina. La Chambre arrive à la
15 conclusion que l'opération s'est passée sous le contrôle du commandement du
16 Corps de Pristina, P1427 et P1428. La Chambre accepte qu'on ait préservé la
17 chaîne de commandement au sein de la VJ. L'exemple des ordres où on demande
18 l'autorisation du commandement conjoint, la Chambre admet qu'en réalité
19 cette autorisation était donnée par le commandement du Corps de Pristina et
20 non pas par le commandement conjoint.
21 Qu'en est-t-il du commandement conjoint en 1999. Les conclusions sur le
22 commandement conjoint en 1999 sont différentes de manière dramatique des
23 conclusions sur ce même commandement en 1998. La Chambre fait état des
24 choses suivantes : l'existence du commandement conjoint est moins évidente.
25 Les preuves sont moins détaillées, moins précises, pas de procès-verbaux
26 sur les réunions. Les preuves sont superficielles sur le commandement
27 conjoint. Il n'y a pas de preuve sur un mandat clair du commandement
28 conjoint en 1999. Les ordres qui portent donc la marque du commandement
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1 conjoint émanent du Corps de Pristina. La seule chose qui existe c'est la
2 conclusion de la Chambre sur la base de Vasiljevic, que la réunion du 1er
3 juin 1999, était une réunion semblable à celles de 1998. Donc le seul
4 caractère semblable c'est que cela s'est tenu au Kosovo et que l'objet de
5 la réunion est la situation qui règne au Kosovo. Tout le reste est
6 différent. Pas de participants des réunions de 1998, pas de continuité. Si
7 cela est au service de la coordination, alors une réunion ne suffit pas. Il
8 n'y pas de procès-verbaux, pas de notes. Pas de civils. La ressemblance
9 constatée par la Chambre ne constitue pas un fondement permettant de tirer
10 des conclusions raisonnables. La ressemblance ne constitue pas l'identité.
11 Semblable n'est pas le même. Par définition, ils sont différents. Donc,
12 soit il s'agit d'une réunion du commandement conjoint, soit il n'en s'agit
13 pas. Si cela est simplement semblable, alors une comparaison ne permet pas
14 d'arriver à des conclusions qui ont des conséquences importantes sur la
15 responsabilité pénale.
16 Vous vous rappellerez cet exemple de quelqu'un qui aurait un comportement
17 d'une oie ou d'un canard, eh bien, on pourrait arriver à la conclusion
18 qu'il s'agit d'un canard, ce qui est erroné.
19 La Chambre fait état d'un certain nombre de mentions faites par les accusés
20 du commandement conjoint en 1999, et que cette mention, en fait, rappelle
21 l'ensemble du système de coordination de 1998. Mais qu'est-ce que cela
22 signifie "mention" ? Est-ce qu'un organe existe ou n'existe pas ? Est-ce
23 que l'organe est différent si la situation sur le terrain a changé ? Alors,
24 la Chambre dit que le Corps de Pristina adoptait cette mention
25 "commandement conjoint" pour s'attribuer une plus grande autorité. "Plus
26 grande autorité", mais qu'est-ce que cela signifie ? A quoi est-ce que cela
27 est nécessaire ? Aux unités de la VJ qui sont commandées par le Corps de
28 Pristina de toutes les manières. MUP qui n'est pas commandé par le Corps de
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1 Pristina. Donc, la logique de la Chambre nous amène à la conclusion que
2 l'autorité du Corps de Pristina dans ces mêmes unités n'est garantie qu'à
3 partir du moment où l'en-tête mentionne le commandement conjoint. Mais, il
4 s'agit là d'une conclusion qu'un Juge des faits raisonnables ne pourrait
5 pas accepter. Et ce qui est tout particulièrement important. La mention du
6 commandement conjoint constitue un facteur important car au niveau de la
7 planification, de la mise en œuvre, cela rappelle l'autorité de 1998. Là,
8 nous n'avons qu'une seule dans toute une série de conclusions pas claires
9 et contradictoires. Alors, est-ce que l'organe existe ou est-ce qu'il
10 existe parce qu'on en parle, parce qu'on le mentionne ? Donc, même si
11 Sainovic était décédé l'organe aurait existé. Est-ce qu'il y a un rôle joué
12 par les accusés au sein de cet organe ? Est-ce qu'il y a des conséquences
13 des activités de cet organe sur le terrain et, en particulier, lorsqu'il
14 s'agit de notre Statut, au vu de notre Statut ? La conclusion de la Chambre
15 disant que le commandement conjoint a été créé pour permettre aux
16 commandants du MUP pour sauver la face et ne pas se voir commander par la
17 VJ avant et pendant l'état d'urgence, ça mérite un aperçu tout à fait
18 particulier. Ici, il ne s'agit de rien que d'une supposition. Pourquoi
19 voulez-vous que Milosevic et Pavkovic aient besoin d'un commandement
20 conjoint alors qu'il y avait des décisions d'instance compétente et du
21 commandement pour ce qui est de l'utilisation de la VJ ? Pourquoi
22 Milosevic, Pavkovic ou Sainovic auraient besoin d'un commandement conjoint
23 pour coordonner le MUP alors qu'il y avait des filières de commandement
24 interrompues pour ce qui est du commandement et du MUP ?
25 Pourquoi voulez-vous que Milosevic et Pavkovic aient à quoi que ce
26 soit à voir ensemble alors que Milosevic est un homme politique qui agit
27 sans contrôle parlementaire ou celle du parti qui est décrit comme étant un
28 homme politique, qui est capable de nommer, de révoquer, de dégrader
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1 quelque officier ou responsable à quel que poste que ce soit au niveau de
2 la structure de l'Etat ? Alors, s'il pouvait avec l'appui de Milutinovic
3 prendre la décision de révoquer le général Perisic, et ce, le 24 novembre
4 1998, Milosevic aurait pu l'empêcher cela. S'il avait pu prendre la
5 décision de révoquer de ces fonctions le commandement de la 3e Armée, Dusan
6 Samardzic, à la date du 25 décembre 1998, et si la constitution de la RFY
7 et la Loi régissant l'armée pour ce qui est de la conduite des cadres dans
8 la VJ, alors on ne comprend pas pourquoi Milosevic aurait hésité à procéder
9 à ces changements alors qu'il le pouvait, et pourquoi aurait-il créé des
10 instances particulières. Pourquoi aurait-il eu besoin de Pavkovic pour
11 contourner d'autres officiers, d'officiers qui n'auraient pas été d'accord
12 avec le recours à la VJ ? Alors que la façon de procéder constitutionnelle
13 simple et légale aurait pu être utilisée pour ce qui est d'écarter ceux qui
14 pensaient autrement, si tant est qu'il y avait des gens qui avaient
15 constitué un problème pour ce qui est de l'utilisation des unités de la VJ
16 d'après les idées qui étaient celles de Milosevic.
17 Alors, les conclusions tirées par la Chambre sont non logiques, ne
18 sont infondées sur des faits et la Défense estime que ces conclusions sont
19 des conclusions qu'aucun Juge des faits raisonnable n'aurait pu adopter.
20 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je crois que le moment est venu de faire
21 une pause, nous allons faire une pause de 15 minutes. Et puis nous allons
22 reprendre nos sessions à 11 heures.
23 --- L'audience est suspendue à 10 heures 44.
24 --- L'audience est reprise à 11 heures 02.
25 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Monsieur Fila, vous pouvez continuer.
26 M. FILA : [interprétation] Merci.
27 Lorsque dans l'acte d'accusation on a affirmé que ce commandement commun
28 avec son commandement à la tête, M. Sainovic, était en train de commander
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1 l'armée et la police au Kosovo en 1999, on a parlé d'un modus operandi --
2 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Monsieur Fila, excusez-moi de vous
3 interrompre. Le Juge Guney a une question à poser. Le Juge Guney a sa
4 question.
5 M. LE JUGE GUNEY : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
6 Monsieur le Conseil, avant de poursuivre, j'aurais une question à poser au
7 sujet du cadre du commandement conjoint et du Groupe de travail. Est-ce que
8 le rôle qui a été conféré aux Juges de la Chambre de première instance à ce
9 Groupe de travail se trouve être compatible aux conclusions adoptées au
10 sujet du commandement conjoint ? Ça, c'est une première partie de ma
11 question. Parce que d'après ce qui a été constaté par les Juges de la
12 Chambre de première instance, il est établi que le Groupe de commandement
13 aurait été créé pour représenter le commandement conjoint, ou une partie de
14 ce commandement conjoint. Alors, cette constatation, d'une certaine façon,
15 détermine le fait que ce Groupe de travail avait constitué une entité
16 distincte des autres autorités ? Merci de me répondre.
17 M. FILA : [interprétation] Votre conclusion est absolument exacte. Le
18 Groupe de travail créé par Slobodan Milosevic à l'occasion d'une réunion du
19 Parti socialiste de Serbie se voit confier une mission du parti, parce que
20 c'est le parti qui l'emporte au niveau de notre parlement, et cela se
21 compose de trois types de responsables. Il y en a deux qui sont ministres
22 au niveau du gouvernement de la Serbie, Matkovic et Andjelkovic, et il y
23 avait le président du parlement fédéral, Milomir Minic. Ce Groupe de
24 travail va voir ce qui se passe au Kosovo pour informer le parti, et c'est
25 la raison pour laquelle la conclusion est bonne de dire que le Groupe de
26 travail et le commandement conjoint, ce n'est pas la même chose. C'est
27 différent. Une fois qu'ils reviennent et qu'ils présentent un rapport à
28 Slobodan Milosevic au sujet de ce qu'ils ont vu et de comment ils ont vu
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1 les choses, ils se voient confier la mission d'aller de temps à autre là-
2 bas pour recueillir des informations et informer le parti de ce qui se
3 passe. Les réunions de ce commandement conjoint, c'est une chose, et le
4 Groupe de travail, c'est autre chose. En particulier si vous vous penchez
5 sur les notes de ce commandement conjoint, vous verrez que jamais ils ne
6 sont à trois. Il y en a un, voire deux, et cetera. Mais Sainovic, que je
7 défends ici, est le représentant de l'Etat fédéral, et il n'a rien à voir
8 avec ce Groupe de travail. Je ne sais pas si j'ai été clair. Alors, ils se
9 réunissent à un endroit, il y a une télévision, ils suivent la CNN et les
10 autres chaînes, et ils échangent leurs expériences, mais chacun fait son
11 travail. Le Groupe de travail est là pour aller voir ce qui se passe et
12 informer son propre parti de ce qui est en train de se passer au Kosovo.
13 Sainovic, lui, représente le gouvernement fédéral et, par la suite, il a
14 été coordinateur chargé de la coopération avec l'OSCE, et c'est ainsi qu'il
15 y a un échange d'information. C'est une espèce de réunion informative de
16 club de débat; mais il n'y a pas de commandement conjoint, il n'y a pas de
17 commandant. Dans une armée, quand vous n'avez pas de commandant, il n'y a
18 pas de commandement.
19 M. LE JUGE GUNEY : [interprétation] Merci.
20 M. FILA : [interprétation] Lorsqu'on a dit que le commandement conjoint
21 avec son commandant, Sainovic, était en train de commander les effectifs de
22 l'armée et de la police en 1999, on a affirmé qu'il y avait un modus
23 operandi pour ce qui est de la mise en œuvre du rôle de Sainovic, d'après
24 le Procureur. Parce que s'il n'y a plus de commandement conjoint à
25 commander, alors il n'y a plus de Sainovic en sa qualité de commandant. Si
26 on a affirmé de la part de l'Accusation qu'il y a eu un commandement
27 conjoint et si c'est tombé à l'eau, alors ce qui tombe à l'eau, c'est aussi
28 l'explication relative à la participation de Nikola Sainovic aux événements
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1 de 1999. S'il n'y a pas de commandement conjoint, il n'y a pas de Sainovic.
2 Qu'est-ce qu'il fait alors ? On ne peut pas remédier à cette carence en
3 modifiant l'appellation et en le qualifiant maintenant de coordinateur
4 politique. D'abord, on l'accuse d'être commandant d'un commandement
5 conjoint, et ensuite on modifie la chose pour dire que c'est coordinateur
6 politique. Et on n'a pas débattu de la chose, on n'a pas dit ce que cela
7 signifiait, il n'y a aucun élément de preuve qui a été avancé à cet effet.
8 Le chapitre suivant, c'est la contribution notable à l'entreprise
9 criminelle commune, 2-1 et 2-2. La Défense ne conteste pas le fait que la
10 Chambre de première instance ait déterminé comme élément de l'entreprise
11 criminelle commune à juste titre la nécessité de constater sa contribution
12 à la réalisation d'un planning criminel commun au niveau de l'accusé, mais
13 dans son mémoire en appel, la Défense avance toute une série de raisons
14 pour lesquelles l'engagement de Sainovic au Kosovo au fil de 1999 ne
15 pourrait en aucune façon être considéré comme étant important. La Chambre
16 de première instance a constaté que Sainovic était un homme utilisé par
17 Milosevic pour orchestrer les événements au Kosovo. Maintenant, c'est un
18 nouveau terme qu'on introduit, et on dit que Sainovic aurait donné ses
19 propres instructions dans l'objectif de faire en sorte que la Serbie
20 maintienne son contrôle à l'égard du Kosovo. Mais à qui a-t-il donné des
21 instructions et quelles instructions ? Ça, on ne le dit pas.
22 Avec tout le respect qui leur est dû, la Défense considère que cette
23 conclusion des Juges de la Chambre est déraisonnable. Cette conclusion nie
24 l'existence d'un Etat, nie l'existence d'institutions. La Chambre de
25 première instance considère la Serbie et la République fédérale de
26 Yougoslavie comme si c'était une propriété privée de Milosevic où, sans
27 aucune limite, il décide de tout, il répartit les uns, il donne des ordres
28 aux autres. Ce qui est particulièrement marquant au niveau des
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1 constatations des Juges de la Chambre pour ce qui est du jugement rendu,
2 c'est que la position de Milosevic et le rôle de Milosevic n'étaient pas à
3 prouver. Sa position - la position de Milosevic - était donnée d'avance et
4 connue de tout un chacun.
5 La Chambre de première instance dans le dossier de l'affaire présente
6 certains éléments de preuve au sujet d'entretiens qui se sont déroulés
7 entre les responsables les plus haut placés au niveau de l'Etat. Mais ces
8 entretiens ont été a priori considérés comme étant des conversations
9 privées que ce Milosevic tout-puissant aurait eues avec des hommes qui
10 étaient à ses bottes au niveau politique. Ces entretiens sont considérés
11 par les Juges de la Chambre comme étant une des activités hors système,
12 contraires à la constitution et à la loi. Et dans ce jugement rendu, les
13 entretiens politiques sont considérés a priori comme étant des entretiens
14 qui, dès qu'ils ne sont pas publics, constituent une conspiration, un
15 complot pour ce qui est de commettre un délit au pénal, comme s'il y avait
16 un système politique au monde où il n'y aurait pas d'entretiens entre les
17 responsables de l'Etat à l'extérieur de l'assemblée du parlement, du
18 gouvernement et de l'opinion publique. Mais nulle part au monde on ne rend
19 publics les débats qui se produisent au gouvernement ou à l'assemblée.
20 Les Juges de la Chambre, par leur constat, disent que Milosevic "orchestre
21 des événements". On souhaite présenter l'autorité de Milosevic dans un sens
22 extra-systématique, c'est-à-dire que Milosevic réalise sa volonté par le
23 biais de ses hommes au-delà de toute considération constitutionnelle,
24 légale ou de coutume politique. L'autorité incontestée de Milosevic, ça
25 découle du fait qu'il s'était trouvé aux fonctions du président de la RFY,
26 qu'il était à la tête du Conseil suprême de la Défense de la République
27 fédérale de Yougoslavie, qui adopte des décisions cruciales pour ce qui est
28 de la défense du pays et pour ce qui est d'avoir été à la tête du principal
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1 parti politique en la RFY et en Serbie. La mesure et les modalités de
2 l'exercice de l'influence de Milosevic pour ce qui est de la position et du
3 rôle de Sainovic - pour tout responsable d'Etat, d'ailleurs, c'est le cas -
4 ne peuvent être interprétés que dans ce contexte, à savoir que ces
5 caractéristiques, pour toute organisation de l'Etat, ne comportent aucun
6 élément de complot pour ce qui est de commettre un délit au pénal.
7 Parce que le président de la Serbie, c'est Milutinovic, il y a un président
8 de l'Etat fédéral, c'est Milosevic, et on a dit que Milutinovic n'était pas
9 un proche de Milosevic. La Chambre de première instance tire une conclusion
10 qui est celle de dire que Sainovic était la personne que Milosevic a
11 utilisée pour orchestrer les événements au Kosovo, pour montrer que le rôle
12 de Sainovic dans le contexte de la mise en œuvre d'une entreprise
13 criminelle commune avait été important. Les Juges de la Chambre, s'agissant
14 du rôle de Sainovic, procèdent à une mystification. On le qualifie d'homme
15 à l'égard duquel Milosevic aurait attribué un Kosovo "brief" en anglais,
16 c'est-à-dire l'homme de Milosevic pour le Kosovo, ou l'homme chargé des
17 activités opérationnelles au quotidien. Mais les Juges de la Chambre ne
18 tentent même pas d'exposer les motifs relatifs aux activités de Sainovic
19 pour ce qui est des éléments de preuve qui existeraient dans le dossier
20 pour analyser sa façon de procéder et de voir ce qui peut être attribué à
21 Sainovic, et évaluer ses agissements et les conséquences de ses
22 agissements.
23 Les Juges de la Chambre se situent au niveau de préjugés et de
24 suppositions, mais pour un Juge des faits raisonnable, cela ne saurait
25 suffire pour ce qui est de prendre position quant à savoir s'il y a ou pas
26 une responsabilité pénale. Quand on se penche sur les éléments de preuve,
27 quand on parle de l'homme chargé du Kosovo, de l'orchestration ou d'un
28 Kosovo "brief", si cela se ramène aux éléments de preuve disponibles, le
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1 rôle de Sainovic pour tout Juge raisonnable des faits, cela signifie que
2 c'est quelqu'un qui se situe dans le cadre des attributions
3 constitutionnelles et légales qui ont été celles de Sainovic, vice-
4 président du gouvernement fédéral chargé des relations internationales. Il
5 existe plusieurs tâches distinctes que Sainovic a effectuées au sujet du
6 Kosovo. En premier temps, à savoir en été 1998, partant d'une décision du
7 président du gouvernement fédéral, M. Bulatovic, Sainovic a été envoyé au
8 Kosovo en sa qualité de vice-président du gouvernement chargé des questions
9 de la politique étrangère. La deuxième phase, c'est son engagement après la
10 signature des accords d'octobre entre Holbrooke et Milosevic, où Sainovic,
11 suite à la proposition du ministère fédéral des affaires étrangères, a été
12 nommé par le gouvernement fédéral à la tête d'une commission chargée de la
13 coopération avec la mission de vérification du Kosovo. Une troisième phase,
14 c'est la participation de Sainovic à la conférence de Rambouillet, où suite
15 à proposition émanant d'Andjelkovic, le gouvernement de la République de
16 Serbie a rendu une décision concernant la composition de la délégation dont
17 Sainovic n'est qu'un membre sur 12. Et pour finir, Sainovic a participé aux
18 processus liés à Rugova, ce qui lui a été confié par le président du
19 gouvernement fédéral.
20 Par conséquent, les missions de Sainovic ne sont pas une orchestration
21 mystifiée des événements au Kosovo, mais des activités légitimes dans un
22 système d'administration d'Etat de la Yougoslavie et de la Serbie, où l'on
23 prend des décisions selon des modalités prévues par la loi et la
24 constitution, ou tous les éléments, tous les facteurs, les présidents des
25 gouvernements, les présidents des partis et les présidents des républiques
26 prennent part et exercent leurs influences respectives. Pour toutes
27 activités de Sainovic, il y a des documents écrits - je le souligne - pour
28 indiquer pourquoi il se trouve là où il se trouve et quelles sont ses
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1 missions exactes.
2 Il convient particulièrement de consacrer une attention notable aux
3 activités de Sainovic après la date du 24 mars 1999. Aucun élément de
4 preuve ne montre que Sainovic aurait procédé à des coordinations
5 d'effectifs ou d'activités, qu'il aurait donné des instructions ou
6 suggestions qui auraient fait que ces instructions et suggestions auraient
7 influé de quelle que façon que ce soit sur les événements in situ, sur des
8 déplacements et activités d'unité, et en particulier pas au service de la
9 réalisation de l'objectif de garder le contrôle à l'égard du Kosovo. Et
10 tout ceci, comme le souligne particulièrement la Défense, se produit après
11 le 24 mars 1999, à l'époque où il s'est déjà produit des crimes qui sont
12 constatés par le jugement rendu en première instance.
13 Les Juges de la Chambre de première instance ont disposé de pièces à
14 conviction pour ce qui est des modalités de commandement de l'armée de la
15 VJ et du MUP, pour ce qui est donc du commandement et du contrôle des
16 activités qui étaient celles des unités. Il n'existe pas des pièces à
17 conviction qui montreraient que le processus de commandement et de contrôle
18 aurait subi une influence de qui que ce soit d'extérieur à la loi pour ce
19 qui est des participants à la filière de commandement, y compris Sainovic,
20 notamment pendant la période suite au départ de la Mission de vérification
21 du Kosovo et du début de la guerre contre l'OTAN et l'UCK.
22 Les Juges de la Chambre n'ont pas été à même d'indiquer dans leur
23 argumentation la présence de quel que élément de preuve que ce soit qui
24 démontrerait qu'il y a eu influence exercée par les activités de Sainovic
25 sur les événements au niveau du terrain après le départ de la Mission
26 d'observation du Kosovo. Si la contribution de Sainovic à l'entreprise
27 criminelle commune était à estimer comme étant notable ou importante, il
28 faudrait qu'il y ait des éléments de preuve montrant que Sainovic avait
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1 influé sur les modalités de réalisation de cette entreprise, et ces
2 modalités se devraient d'être démontrées comme étant considérables. Or là,
3 il n'en est pas question. La Défense tient en particulier à indiquer ici
4 l'existence d'une phrase qu'on peut retrouver au paragraphe 467 du
5 troisième volet du jugement, qui montre l'étendue de l'erreur dans laquelle
6 ont sombré les Juges de la Chambre lorsqu'ils ont apprécié les activités et
7 la responsabilité de Sainovic. La Chambre reconnaît qu'il y a bien moins
8 d'éléments de preuve pour ce qui est de l'activité directe de la part de
9 Sainovic lorsqu'il s'agit de 1999 que pour ce qui est de l'année 1998, mais
10 qu'il y avait certains éléments de preuve de présents, et on indique sa
11 présence aux réunions. Mais on en a déjà parlé, de sa présence aux
12 réunions; en trois mois, quatre réunions. Cependant, d'après la Défense,
13 les Juges de la Chambre étaient censés analyser de façon indépendante et
14 autonome la tenue de ces réunions auxquelles Sainovic a participé en 1998
15 pour voir la différence. Quelle était la nature de ces réunions ? Qu'est-ce
16 que Sainovic a dit à ces réunions ? Est-ce que les propos de Sainovic,
17 selon une interprétation raisonnable, pourraient ou pas être qualifiés
18 comme étant des ordres de donnés ou une orchestration quelconque, on une
19 influence exercée par les propos de Sainovic au niveau du terrain. Est-ce
20 que la conséquence des propos tenus par Sainovic aurait déplacé des unités
21 militaires ou policières ? Est-ce qu'il y a eu des actions de conduites ?
22 Est-ce qu'il y a eu un crime de commis ? Rien de tout cela. Quatre réunions
23 sans teneur qui constitueraient un fondement pour tirer une conclusion
24 quelle qu'elle soit au niveau de la responsabilité de Sainovic.
25 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Est-ce que vous parlez maintenant
26 des réunions qui sont tenues en 1998 ou 1999 ? Parce qu'au compte rendu, il
27 est dit "1998", donc je ne suis pas sûr de quoi il s'agit. Ou est-ce que
28 vous êtes maintenant en train de parler de 1999 ?
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1 M. FILA : [interprétation] Je parle de quatre réunions en 1999.
2 L'objectif pratique, c'est d'indiquer la distinction à faire entre ce
3 qui s'est passé aux réunions de 1998 et ce qui s'est passé aux réunions de
4 1999.
5 Une fois que vous vous serez penchés sur les PV de ces réunions, vous
6 verrez dans quelle mesure Sainovic a été présent à ces réunions et ce qu'il
7 y a dit.
8 Les Juges de la Chambre de première instance parlent du contexte du rôle
9 important réalisé par Sainovic dans l'entreprise criminelle commune, et
10 tout ceci est placé dans un contexte de commandement conjoint en 1999, mais
11 s'agissant de ce commandement conjoint en 1999, la même Chambre de première
12 instance dit que les éléments de preuve sont peu clairs, insuffisants,
13 qu'il n'y a pas de renseignements relatifs à son mandat en 1999. A un
14 endroit, les Juges de la Chambre indiquent que le commandement conjoint en
15 1999 constitue une évocation d'une autorité qui aurait été celle de 1998,
16 quoi que cela veuille dire. Les Juges de la Chambre, en l'absence
17 d'éléments de preuve en 1999, se servent de façon inadmissible d'analogies
18 et de conclusions tirées en 1998 pour projeter le tout sur une période qui
19 est celle de 1999, ou plus exactement vers une période où il y a eu des
20 délits au pénal de commis. Mais en matière de droit pénal, il est interdit
21 de procéder à des méthodes d'analogie, notamment en Serbie pour ce qui est
22 de nos procès et du droit civil. Ça peut éventuellement être fait, mais pas
23 en matière de droit pénal.
24 Les Juges de la Chambre n'ont pas disposé de pièces à conviction qui
25 diraient que Sainovic aurait participé à une coordination quelconque en
26 1999. Les Juges de la Chambre de première instance n'ont pas d'éléments de
27 preuve pour ce qui est de l'existence d'un commandement conjoint en 1999.
28 Au contraire, on parle de l'existence de cette prétendue instance au
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1 travers d'impressions et de souvenirs datant de 1998. Les Juges de la
2 Chambre négligent les différences substantielles qui existent entre 1998 et
3 1999, qui se trouvent avoir une importance cruciale pour ce qui est des
4 conclusions à tirer en la matière. En 1999, il y a eu un état de guerre de
5 proclamé. En 1999, il y a dans ce pays une guerre entre mon pays et l'OTAN.
6 La différence entre 1998, Mesdames et Messieurs, et 1999, c'est une guerre,
7 et la présence d'une organisation militaire qui est l'OTAN. C'est là la
8 différence, et celle-ci influe sur le caractère du conflit. La différence,
9 donc, entre 1998 et 1999. En 1999, il n'y a pas de civils qui assisteraient
10 à quelle que réunion que ce soit au niveau de la VJ et du MUP, parce que
11 dans un état de guerre, il n'y a pas participation de civils, dans aucun
12 pays et dans le mien non plus.
13 Les Juges de la Chambre de première instance commettent une grave erreur de
14 droit pour ce qui est de la détermination des faits, car ils recourent à
15 des méthodes d'analogie pour ce qui est des présentations d'éléments de
16 preuve. On tire des conclusions sur une période de temps partant de ce qui
17 a été constaté dans une autre période de temps, et la Défense estime que
18 dans un contexte quelque peu plus large, il est répondu par la présente à
19 l'une des questions posées par les Juges de la Chambre d'arrêt à la page 3
20 de son ordonnance du 20 février 2013.
21 L'actus reus et le mens rea de Sainovic s'agissant des événements qui lui
22 sont reprochés sont déterminés uniquement par une méthode d'analogie.
23 Toutes les conclusions pour ce qui est de ces agissements et de son mens
24 rea ont été formulées par les Juges de la Chambre de première instance,
25 moyennant analyse de faits datant de 1998. Mais en 1998, il y a
26 détermination de l'autorité de Sainovic et de l'origine de son autorité.
27 Pour 1998, les Juges de la Chambre de première instance déterminent qu'il y
28 a eu des réunions qui se sont tenues pour analyser les activités de l'armée
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1 et de la police, et à certaines de ces réunions, il y a présence de
2 Sainovic. Pour 1998, les Juges de la Chambre de première instance
3 déterminent l'existence d'un commandement conjoint et de ses attributions
4 avec détermination du rôle prétendu de Sainovic, mais tout cela n'est plus
5 en 1999. Or, c'est la période de temps pour laquelle Sainovic est censé
6 être tenu responsable. Est-ce qu'il existe un commandement conjoint ou est-
7 ce qu'il n'existe rien que des souvenirs de tout ceci qui sont évoqués pour
8 des raisons indéfinies. On ne sait pas ce que Sainovic est en train de
9 coordonner. On ne sait pas s'il donne des ordres significatifs ou des
10 instructions importantes. On ne sait pas où Sainovic se trouve pour la
11 période de l'acte d'accusation. Tout ce qu'on a, ce sont des renseignements
12 pour ce qui est de sa présence à quatre réunions. Mais, comme si personne
13 n'avait compris qu'entre 1998 et 1999, il n'y a que cette toute petite
14 différence de l'existence d'une guerre et de l'attaque de l'OTAN. Donc, les
15 Juges de la Chambre n'ont aucun élément de preuve pour 1999 et, de façon
16 inadmissible, on se sert d'analogies pour tirer des conclusions et dire que
17 si telle chose existait en 1998, elle a dû forcément exister en 1999. Ceci
18 enfreint de façon grave la légalité du procès contre Sainovic.
19 Ici, la Défense estime qu'il convient de répondre à un deuxième volet de la
20 question des Juges de la Chambre d'appel qui se rapporte à l'année 1998, où
21 on demande à la Défense de prendre position pour ce qui est de savoir si le
22 mens rea de l'accusé pourrait être déterminé s'agissant d'une première
23 forme d'entreprise criminelle commune, à savoir le chef de déportation et
24 de déplacement forcé partant des connaissances qu'avait eues l'accusé des
25 crimes commis en 1998, y compris des crimes qui seraient ceux d'expulsion
26 ou de déplacement forcé.
27 La Défense souhaite d'abord se pencher sur certains faits. Au paragraphe
28 920 du jugement rendu en première instance, il est dit qu'à quelques
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1 exceptions près, de façon générale, on a présenté des éléments de preuve
2 qui ne sont pas de nature à prouver des délits au pénal concrets commis par
3 des groupes particuliers, des effectifs de la VJ ou du MUP en 1998. Dans
4 certains cas de figure, il y a eu usage exagéré de la force avec des
5 conséquences graves et certains observateurs ont formulé leur préoccupation
6 à cet effet. Les Juges de la Chambre de première instance ont analysé les
7 connaissances qui étaient celles de Sainovic au sujet de ces crimes ou
8 prétendus crimes en 1998 aux paragraphes allant de 441 à 443. La présence
9 de réfugiés, du fait de combats en 1998, ne constitue pas un élément de
10 preuve concernant des crimes, mais un élément de preuve relatif au sérieux,
11 à la gravité des conflits qui existaient au Kosovo à l'époque. Il y a eu
12 une forte présence de réfugiés en 1998 qu'on essaie de présenter comme
13 étant des expulsions qui auraient existé en 1999; mais s'agissant
14 d'éléments de preuve de 1998, il n'y en a pas trace du tout. Alors,
15 l'apparition de réfugiés et des expulsions, les déplacements forcés, n'ont
16 aucun élément commun et ne pourraient être pris en tant qu'éléments
17 comparatifs pour ce qui est d'illustrer ou de démontrer que Sainovic avait
18 su qu'il y avait eu des crimes ou prétendus crimes de commis.
19 La Chambre cite également l'exemple de Gornje Obrinje, 899. S'agissant des
20 événements d'Obrinje, le rapport a été demandé par l'état-major général de
21 l'armée de Yougoslavie. Le commandement du Corps de Pristina a informé
22 l'état-major général du fait qu'elle n'avait pas d'informations sur un
23 massacre qui se serait produit à Gornje Obrinje. Les médecins légistes
24 finlandais étaient censés procéder à une enquête, mais cette équipe est
25 arrivée au Kosovo, il y a eu des problèmes au niveau d'accès, de la
26 sécurité, ils n'ont pas pu faire leur travail. D'ailleurs, la juge
27 d'instruction du tribunal de district de Pristina a mené une enquête.
28 Milomir Minic était d'accord sur le fait qu'il était nécessaire de mener
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1 une enquête. Il était le numéro deux sous le président du parlement. Donc,
2 les événements de 1998, qui sont qualifiés de crimes par la Chambre de
3 première instance, par leurs caractéristiques de base, par leurs modes
4 d'exécution, par leur envergure, par les circonstances qui se sont
5 produites, n'ont aucune ressemblance avec les événements de 1999. Les
6 événements de 1998 ne peuvent pas constituer une connaissance, une mise en
7 garde pour l'année 1999, tel est l'avis de la Défense. Egalement, la
8 connaissance d'un crime de 1998 ne peut pas être utilisé en tant que preuve
9 de prévisibilité d'un crime de 1999, parce que les crimes allégués sont
10 différents au niveau de tous les éléments essentiels qui les caractérise.
11 Pour l'existence des crimes d'expulsions et de transferts forcés, l'élément
12 évoqué, le transfert forcé du secteur ou la personne transférée réside de
13 manière légale. Alors, la Chambre, au paragraphe 919, constate qu'un nombre
14 considérable de personnes ont fait l'objet de transfert forcé, mais elle
15 établit deux types de raisons : les combats entre la République fédérale de
16 Yougoslavie et la Serbie avec le l'UCK et le recours disproportionné à la
17 force dans certains secteurs. Alors, la Chambre de première instance ne
18 parle pas de transfert forcé à aucun endroit.
19 Enfin, lorsqu'il s'agit d'expulsion, il n'y a aucune preuve d'expulsion au-
20 delà de la frontière d'Etat et, enfin, tous les individus qui ont quitté
21 leur foyer en 1998 avec l'aide des instances d'Etat de la Serbie et de la
22 République fédérale de Yougoslavie reviennent dans leurs foyers. Dans
23 nombre de cas, l'Etat aide à ce que l'on répare les maisons endommagées,
24 aide d'une autre manière.
25 Donc, chercher à constater l'élément moral pour quelques crimes que
26 ce soit de 1998 est tout simplement impossible, et surtout impossible pour
27 ce qui est de Sainovic. Les événements de 1998 sont de manière fondamentale
28 différents des événements de 1999 au niveau de toutes les caractéristiques
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1 essentielles, donc toute conclusion de l'existence de l'élément moral dans
2 le cas de Sainovic rend cela impossible de cette manière-là.
3 Alors, qu'en est-il de l'élément moral chez Sainovic. La Défense
4 souhaite souligner quelques arguments de taille qui concernent l'intention
5 de Sainovic de commettre des crimes qui lui sont imputés. La Chambre de
6 première instance, au paragraphe 466, Volume III du jugement, conclut que
7 Sainovic avait l'intention de transférer par la force une partie de la
8 population albanaise du Kosovo et d'influer ainsi sur l'équilibre ethnique
9 pour assurer un contrôle durable à la Serbie et la République fédérale de
10 Yougoslavie au Kosovo. Alors, la Chambre de première instance utilise cinq
11 sources aux paragraphes 428 à 438, lorsqu'elle examine l'état d'esprit de
12 Sainovic. Il s'agit de Naumann, Phillips, Byrnes, Loncar, et Petritsch.
13 Alors, ce sont des individus qui sont entrés en contact avec Sainovic avant
14 la période couverte par l'acte d'accusation.
15 Donc, la Chambre de première instance analyse la déposition de
16 Naumann, mais elle arrive à la conclusion qu'elle ne peut pas s'en servir
17 pour l'utiliser pour prouver la relation de Sainovic vis-à-vis de la
18 population albanaise au Kosovo. Byrnes était à la tête de la mission
19 d'observation diplomatique américaine au Kosovo. Byrnes cite que Sainovic
20 considérait que les problèmes du Kosovo devaient être résolus par des
21 moyens politiques. Il fallait aller chercher une solution mutuellement
22 acceptable, que Sainovic recherchait une telle solution, qu'il a toujours
23 fait preuve de coopération, qu'il a même essayé de négocier avec l'ALK ou
24 l'UCK pour essayer de trouver une solution. Et Byrnes, qui a participé aux
25 négociations de Rambouillet, a déposé en disant qu'il faisait confiance;
26 lui, personnellement, faisait confiance à Sainovic.
27 Alors, la Chambre cite Petritsch dans la partie du jugement où il est
28 question de l'intention de Sainovic. Et il est dit à cet endroit que
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1 Sainovic était le plus constructif à la recherche d'une solution globale.
2 Et Loncar a déposé en disant que Sainovic prônait une mise sur pied d'une
3 police multiethnique au Kosovo, ce qui, de toute évidence, démontre que
4 Sainovic pensait que seule la négociation et le compromis pouvait permettre
5 de trouver une solution pour le Kosovo. Et Petritsch affirme qu'à
6 Rambouillet, c'était Milutinovic qui était le critique le plus sévère,
7 qu'il a eu un impact très négatif sur une partie des négociations; mais la
8 Chambre ne tient pas compte de cela du tout. La Chambre de première
9 instance ne tient compte d'aucune raison fournie par les individus qui
10 étaient en contact direct avec Sainovic. En revanche, la Chambre décide
11 d'accepter la déposition de Phillips. Alors, en agissant de cette manière-
12 là, en adoptant cette attitude, la Chambre de première instance s'engage
13 sur le chemin qui ne serait empruntée par aucun Juge des faits raisonnable.
14 Que ce soit Byrnes, ou Loncar, ou Petritsch, ils sont tous des témoins de
15 l'Accusation. Byrnes et Petritsch sont des diplomates de haut rang dans
16 leurs pays respectifs. Les deux connaissaient parfaitement la situation en
17 Serbie et ils s'étaient intéressés à cette situation pendant longtemps.
18 Leur perception, en plus de Loncar, ne permet aucune possibilité d'apporter
19 la conclusion qui a été apportée par la Chambre de première instance.
20 Byrnes et Petritsch ont passé beaucoup de temps avec Sainovic. Leurs
21 dépositions, de par leur poids, ne peuvent pas être comparées aux
22 dépositions de ceux qui n'ont rencontré Sainovic qu'une fois ou deux fois.
23 Or, la Chambre de première instance n'explique nulle part pourquoi elle
24 n'accepte pas la déposition de Byrnes, pourquoi elle ne tient pas compte de
25 Petritsch et de Loncar.
26 La Chambre de première instance accepte la déposition de Phillips.
27 Cependant, s'agissant de Phillips, la Chambre de première instance fait
28 quelque chose qui ne serait digne d'aucun Juge des faits raisonnable. Elle
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1 ne tient compte d'aucun élément de la déposition de Phillips et une
2 conclusion lourde de conséquences, sa conclusion portant sur l'intention de
3 Sainovic, eh bien, elle la fonde sur une seule phrase prononcée par
4 Phillips, qui est sortie de tout contexte et qui est réfutée par l'ensemble
5 de sa déposition. La Chambre de première instance accepte la phrase de
6 Phillips disant que les Albanais n'appartiennent pas au Kosovo et que le
7 Kosovo constitue un berceau de la civilisation serbe et que les Albanais ne
8 souhaitent pas cohabiter avec les Serbes. La Défense souligne que la
9 déposition de Phillips n'est pas claire là-dessus, qu'elle est intervenue
10 suite à plusieurs questions répétées par le Procureur, où le Procureur a
11 même interrompu le témoin, lui a reposé sa question jusqu'à ce qu'il
12 obtienne la réponse qu'il voulait obtenir.
13 Alors, qu'a dit Phillips dans le cadre de sa déposition ? Il a déclaré que
14 Sainovic était sincère lorsqu'il a parlé d'une coexistence entre les Serbes
15 et les Albanais, que Sainovic, lors de la réunion qui s'est tenue le 24
16 novembre 1998, a déclaré que la plupart des gens au Kosovo croient qu'il
17 est possible de trouver une solution politique et que Sainovic, lui aussi,
18 pensait qu'une telle solution était possible, que lors d'une réunion avec
19 Walker le 8 décembre 1998, que Sainovic a présenté ses propositions de
20 manière sincère et qu'il souhaitait résoudre les problèmes, et enfin, que
21 lors de sa réunion avec Walker le 14 janvier 1999, qu'il a déclaré qu'il se
22 félicitait de leur travail commun et que la VJ et l'UCK devaient chercher
23 une solution politique et qu'il fallait travailler sur les éléments-clés
24 d'un accord à passer. C'était la déposition de Phillips, mais c'étaient
25 aussi les notes de Phillips, et les notes officielles, donc, qui datent du
26 moment pertinent et qui ont fait l'objet de mesures de protection
27 spécifiques en l'espèce mais qui existent. Phillips affirme donc que
28 Sainovic prône une coexistence des Serbes et des Albanais au Kosovo, qu'il
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1 est favorable à ne solution politique, que Sainovic espère qu'une telle
2 solution est possible, et qu'il convient d'œuvrer sur un accord. La Chambre
3 de première instance, en revanche, n'accepte qu'une seule phrase faisant
4 l'objet de la déposition de Phillips, même si quatre autres situations au
5 moins indiquent une attitude tout à fait opposée de la part de Sainovic.
6 Alors, si Sainovic est favorable à une coexistence des Serbes et des
7 Albanais, s'il est favorable à ce qu'on trouve par la voie des négociations
8 une solution commune, s'il est sincère dans sa recherche d'une solution par
9 les négociations, si Phillips lui fait confiance, alors il est impossible
10 de ne retenir qu'une seule phrase qui se présente sous une forme pas claire
11 et qui est sortie du contexte, ou dont le contexte n'est pas clair, le
12 contexte où elle a été prononcée.
13 Alors, rappelons aussi la déposition sur le rôle joué par Sainovic à
14 Rambouillet, où on voit encore une fois exprimer son désir de résoudre les
15 problèmes par la voie des négociations. C'est Petritsch qui en parle d'une
16 manière très claire. Alors, la Défense arrive à la conclusion qu'aucun Juge
17 des faits raisonnable ne serait arrivé à une conclusion sur l'existence de
18 l'intention de Sainovic de la manière dont cela a été fait par la Chambre
19 de première instance en l'espèce. On ne tient compte d'aucun témoin qui a
20 des connaissances directes, on ne tient compte d'aucune preuve écrite qui
21 date de la période pertinente, on ne tient compte d'aucun élément
22 substantiel dans la déposition de Phillips, et la décision qui constitue la
23 base de la déclaration de culpabilité de Nikola Sainovic se fonde sur une
24 phrase qui, au moins, est contradictoire avec le reste de la déposition du
25 témoin.
26 Alors, je tiens à répondre à présent aux questions posées par la Chambre
27 d'appel sur l'importance du moment où l'acte d'accusation contre Sainovic a
28 été rendu public.
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1 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Maître Fila, est-ce que vous pouvez
2 ralentir, s'il vous plaît.
3 M. FILA : [interprétation] Oui, je semble avoir peur de ne pas pouvoir
4 arriver au terme de mon exposé.
5 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Oui, je vous comprends parfaitement, mais
6 les propos liminaires ont pris à peu près huit minutes -- enfin, ont
7 prélevé huit minutes sur votre temps, et vous vous verrez accorder huit
8 minutes de plus.
9 M. FILA : [interprétation] Dans son ordonnance du 20 février 2013, la
10 Chambre d'appel demande à la Défense de présenter ses arguments sur
11 l'importance du fait que l'acte d'accusation contre Sainovic a été publié
12 le 27 mai 1999, et que le dernier crime reproché à Sainovic s'est produit
13 le 25 mai 1999, donc deux jours avant.
14 Pour commencer, la Défense avance que la disponibilité générale des
15 éléments d'information ne saurait pas étayer une présomption sur les
16 connaissances véritables de Sainovic. Seule une connaissance véritable peut
17 constituer un fondement d'une déclaration de culpabilité. En conséquence,
18 le fait que les médias aient disposé d'information, cela ne peut pas être
19 considéré comme constituant une conclusion faisant état d'une véritable
20 connaissance de Sainovic du fait qu'un acte d'accusation avait été dressé
21 contre lui.
22 Donc, en l'absence de preuves concrètes de sa connaissance et une
23 connaissance éventuelle de l'existence de l'acte d'accusation pourrait
24 avoir une importance uniquement dans un contexte où il s'agirait de
25 sanctionner éventuellement certains auteurs de crimes; cependant, dans le
26 dossier de l'espèce, aucune preuve ne montre que Sainovic aurait eu des
27 attributions ou une possibilité lui permettant de sanctionner qui que ce
28 soit sur le plan disciplinaire ou pénal. Alors, s'agissant maintenant de la
Page 208
1 question de la Chambre d'appel sur le critère d'élément moral par rapport à
2 la troisième catégorie d'entreprise criminelle commune.
3 Donc, la Chambre d'appel demande ce qui en est des moyens quatre et
4 cinq de la défense de Sainovic, est-ce qu'ils seraient affectés
5 éventuellement lorsqu'on acceptait l'appel du Procureur par rapport à une
6 correction à apporter au critère de l'élément moral par rapport à la
7 troisième catégorie d'entreprise criminelle commune. Avant tout, la Chambre
8 de première instance fonde sa position sur le critère requis sur la
9 décision de la Chambre d'arrêt dans l'affaire Brdjanin. Nous nous sommes
10 exprimés là-dessus dans nos paragraphes 49 à 56 en répondant aux moyens
11 d'appel du Procureur. Si, cependant, la présente Chambre d'appel arrivait à
12 la conclusion que le critère de "probable" devait se trouver remplacé par
13 le critère de "possible", la Défense rappelle la position de la Chambre
14 d'appel dans l'affaire Karadzic sur la troisième catégorie d'entreprise
15 criminelle commune, il s'agit de la position du 25 juin 2009, à savoir il
16 est dit que le critère de possibilité ne saurait être appliqué aux
17 situations où l'accusé se trouve éloigné de manière considérable des
18 événements et que l'élément moral dans le cas de la troisième catégorie
19 d'entreprise criminelle commune exige que la possibilité de commettre le
20 crime soit suffisamment substantiel pour l'accusé pour pouvoir être
21 prévisible pour lui. Cependant, la Défense souligne qu'indépendamment du
22 critère de droit, une conclusion sur la responsabilité de Sainovic des
23 crimes de meurtre, d'assassinat et d'endommagement d'édifices religieux
24 serait la même. Il n'y a pas de faits sur lesquels on pourrait fonder une
25 conclusion disant que ces crimes auraient pu être prévisibles pour
26 Sainovic. Des arguments détaillés figurent dans notre appel aux paragraphes
27 397 à 410.
28 J'aborde enfin l'incident de Tusilje, qui ne figure pas à l'acte
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1 d'accusation, mais qui est néanmoins mentionné dans le jugement. Même si
2 cet incident ne fait pas partie de notre appel, nous estimons qu'il
3 faudrait prononcer l'acquittement vis-à-vis de toute responsabilité imputée
4 à Sainovic pour les événements qui se sont produits dans cette localité.
5 Et enfin, parlons de la détermination de la peine. La Défense est
6 convaincue que les arguments présentés dans la peine montrent de manière
7 convaincante que la seule décision juste, lorsqu'il s'agit de Sainovic,
8 serait un acquittement. Si, cependant, la présente Chambre d'appel
9 n'acceptait pas, en partie ou dans la totalité, les arguments de la
10 Défense, la Défense souligne que la Chambre de première instance a commis
11 des erreurs en déterminant la peine de Sainovic qui rendent cette peine
12 tout à fait inadéquate. Si Sainovic a transmis tel ou tel élément
13 d'information, s'il a transmis une consigne, il s'agit d'un très petit
14 nombre de situations.
15 La Chambre de première instance n'a pu identifier que quelques-unes
16 de ces situations. Dans la plupart des cas, dans la grosse majorité des
17 activités de la VJ et du MUP, les informations de Sainovic ou les consignes
18 de Sainovic ne constituent qu'une partie infime qui se perd dans les
19 centaines de milliers d'ordres, de rapports, de commandements qui ont été
20 échangés entre les commandants de la VJ, du MUP et leurs structures
21 supérieures. Si Sainovic a joué un rôle, s'il a eu une contribution, s'il a
22 eu une certaine autorité, alors sa contribution n'a été que très faible et
23 il n'a que très faiblement utilisé son autorité. S'il y a quatre réunions,
24 s'il y a quatre consignes pas claires, mal formulées, que Sainovic aurait
25 transmises, et si en même temps nous sommes en présence d'une situation de
26 guerre, des commandements des états-majors, des moyens de transmission,
27 ordres, commandements, rapports, une chaîne de commandement ininterrompue
28 au niveau de l'armée et de la police, s'il existe des instances de pouvoirs
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1 civils, alors le rôle joué par Sainovic - si jamais un tel rôle a existé -
2 il n'est que minimal et la peine qui a été prononcée contre lui est
3 exagérée.
4 Si cette Chambre d'appel devait constater que Sainovic est
5 responsable, alors la peine prononcée devrait être bien plus clémente que
6 les 22 années de prison qui ont été prononcées contre lui pour quatre
7 épisodes qui se sont produits pendant la période couverte par l'acte
8 d'accusation; quatre épisodes marginaux.
9 Pour toutes les raisons exposées, la Défense demande à la Chambre
10 d'appel de prendre en considération l'ensemble des arguments, d'apprécier
11 tous les aspects factuels et juridiques du jugement de première instance,
12 de considérer les erreurs commises par la Chambre de première instance et
13 de prononcer un arrêt juste dans le respect du droit. La Défense de M.
14 Sainovic estime que seul un acquittement correspondrait à ces critères.
15 Dans le temps qui me reste, permettez-moi d'ajouter quelque chose.
16 L'année 2013 est l'année où ce tribunal fête le 20e anniversaire de son
17 existence. Beaucoup de protagonistes sont venus, ont apporté leur
18 contribution aux travaux de ce Tribunal, en particulier M. Cassese et M.
19 Golson [phon], qui ont lancé les travaux de ce tribunal. Nombreux sont ceux
20 qui ont contribué grandement à la vie, aux activités de cette instance.
21 En leurs noms, permettez-moi de terminer en paraphrasant des propos
22 du plus grand combattant pour les droits de l'homme vivant, à savoir Nelson
23 Mandela, qui a déclaré que chacun d'entre nous laisse les traces de ses
24 activités, elles durent, et de manière infaillible, elles montrent quelle a
25 été la voie que nous avons empruntée, la voie de la vérité et de la justice
26 ou cette autre voie. Chacun d'entre nous choisit sa voie. Je demande à
27 cette Chambre d'appel de choisir la voie de la justice et de la vérité, de
28 nous permettre de choisir la bonne voie.
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1 Je dois dire aussi que la dernière phase de négociations entre les
2 gouvernements serbe et kosovar commence aujourd'hui. Les représentants les
3 plus haut placés des instances civiles y participent. Le moment est venu de
4 trouver une solution aux problèmes qui opposent les Serbes et les Albanais
5 du Kosovo. Le président et plusieurs chefs d'état-major militaires se sont
6 vus accuser en Serbie et en Yougoslavie de ces événements. Si les crimes
7 tels que le bombardement de l'ambassade étrangère à Belgrade et d'autres
8 crimes avaient été poursuivis aujourd'hui, on aurait pu être fier de dire
9 que le troisième objectif de ce Tribunal a été atteint; non seulement
10 d'accuser les responsables, de les déclarer coupables, mais aussi de rendre
11 la justice et la vérité au nom des victimes. Je vous remercie de m'avoir
12 accordé plus de temps qu'initialement prévu.
13 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie beaucoup, Maître
14 Fila. Je crois que vous êtes en avance sur le temps qui vous a été imparti.
15 Pourrions-nous entendre maintenant les arguments de l'Accusation,
16 s'il vous plaît.
17 M. KREMER : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.
18 Je vais répondre à l'examen contradictoire des preuves concernant
19 l'entreprise criminelle commune ainsi que son opération, notamment le
20 système de coordination des activités de la VJ et du MUP, qui comprenait le
21 commandement conjoint. Compte tenu du caractère particulier, à savoir que
22 de nombreuses questions sont liées entre elles, je vais tenter d'aborder
23 ces questions et ces constatations relatives à Messieurs Sainovic, Pavkovic
24 et Lukic comme membres de l'entreprise criminelle commune, ainsi que M.
25 Lazarevic, et de fournir le contexte de ces constatations.
26 Mes collègues, M. Martin Salgado et Mme Monchy répondront aux questions qui
27 concernant Sainovic, tel qu'exposé dans votre ordonnance, Mesdames,
28 Messieurs les Juges, du 31 janvier 2013, et nous répondrons aux questions
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1 relatives à l'élément matériel et à l'élément moral respectivement.
2 Monsieur le Président, M. Sainovic fait peu d'allégations véridiques
3 d'erreurs juridiques, et comme cela est clair dans son mémoire ainsi que
4 dans ses arguments, la plus grande majorité de son examen contradictoire
5 des preuves correspond à des erreurs factuelles. Dans ses arguments, il
6 critique de façon répétée la Chambre de première instance pour son mode de
7 prise de décision en citant d'autres éléments de preuve que ceux qui sont
8 au dossier et en laissant entendre qu'il y a d'autres conclusions qui
9 auraient pu être tirées. Comme nous l'avons dit dans notre mémoire en
10 réplique, ceci est exposé de façon détaillée. Un nombre important de ces
11 arguments répond aux critères d'un rejet de l'examen, et la même chose est
12 valable pour les arguments des autres appelants. Nous estimons que cela ne
13 serait pas utile pour les Juges de la Chambre que d'aborder chaque argument
14 et chaque argument oral cette semaine. En répliquant, plus particulièrement
15 nous nous reposons sur nos mémoires que nous avons déposés.
16 Mesdames, Messieurs les Juges, Sainovic et les autres appelants dans leurs
17 arguments écrits ont refusé d'admettre qu'il s'agissait ici d'une procédure
18 en appel, qu'il ne s'agit pas d'un réexamen de novo, qu'il ne s'agit pas
19 d'un forum qui permette de plaider à nouveau les arguments qui ont été
20 présidés lors du procès. Pour déloger les conclusions factuelles de la
21 Chambre de première instance en se fondant sur la prestation des éléments
22 de preuve, les appelants doivent démontrer que les conclusions étaient
23 celles qu'aucun Juge du fait raisonnable n'aurait pu conclure au moment
24 d'apprécier l'ensemble des éléments de preuve, et que ces constations
25 factuelles ont conduit à un déni de justice.
26 M. Fila, dans ses arguments, n'a eu de cesse de parler d'un petit
27 élément de preuve et a avancé un argument qu'il avait déjà avancé lors du
28 procès, qui indiquait qu'il y avait d'autres éléments de preuve, et il a
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1 dit que la Chambre de première instance s'est trompée au niveau de ses
2 constatations factuelles. Mais pendant l'ensemble de ses arguments, il a
3 ignoré les faits essentiels que les Juges de la Chambre de première
4 instance ont utilisé pour fonder leurs appréciations en analysant les
5 éléments de preuve, à savoir le caractère systématique des crimes qui ont
6 commencé le 24 mars 1999 et qui se sont poursuivis pendant une période de
7 deux mois. C'est au cours de cela que plus de 700 000 Albanais du Kosovo
8 ont été déplacés. C'est dans ce contexte-là que l'analyse a été menée, et
9 non pas de façon isolée par rapport à ce qui est arrivé lors de la réunion
10 et ce que Sainovic a dit ou non à cette réunion. Tous ces événements qui
11 ont conduit à ces crimes et les déductions adéquates et conclusions qui
12 peuvent être tirées à partir de ces événements concernant la responsabilité
13 pénale de chaque appelant aujourd'hui.
14 La Chambre de première instance n'a pas rendu ses conclusions sans
15 avoir exposé dans son jugement comment elle s'y est prise pour juger ce
16 procès fort long et fort complexe. Les Juges de la Chambre de première
17 instance, en trois [comme interprété] volumes et sur 1 300 [comme
18 interprété] pages, ont indiqué exactement comment ils ont apprécié les
19 éléments de preuve et ont appliqué cette approche de manière cohérente dans
20 l'ensemble du jugement.
21 Les Juges de Chambre de première instance ont eu la possibilité de
22 voir et d'entendre les témoins déposer devant les Juges de la Chambre. Ils
23 avaient cet avantage et ont pu apprécier leur comportement et pouvaient
24 également se faire une impression de leur crédibilité. M. Fila plaide cela
25 également et a dit que cela devait être rejeté, mais parce que d'autres
26 témoins ont dit autre chose, les Juges de la Chambre de première instance
27 ont conclu, à la lumière de l'ensemble des éléments de preuve, qu'il
28 fallait simplement les ignorer, et qu'une autre constatation devait
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1 remplacer celle-ci, à savoir constatation au-delà de tout doute
2 raisonnable.
3 La Chambre de première instance a clairement sélectionné et soupesé
4 des éléments de preuve et a donné ses raisons lorsqu'il y a eu des éléments
5 de preuve controversés. Et lorsqu'il y a eu doute, la Chambre de première
6 instance en a fait profiter l'accusé. Lorsque la Chambre de première
7 instance a rejeté les éléments de preuve ou les affirmations faites par les
8 parties, les Juges de la Chambre ont motivé leur opinion. Les constatations
9 de la Chambre de première instance sont empreintes d'un respect non
10 négligeable.
11 Dans son jugement comportant quelques 1 300 pages et trois volumes
12 essentiels, les constatations factuelles sont étayées par des références
13 détaillées aux éléments de preuve du dossier. Lorsqu'elle a fondé ses
14 conclusions sur des éléments de preuve indirects, la Chambre a indiqué
15 qu'elle tenait compte dans ses conclusions de l'ensemble des éléments de
16 preuve.
17 Dans le Volume I, au paragraphe 39, la Chambre de première instance a
18 précisément fait référence à l'arrêt Delalic, au paragraphe 458, qui donne
19 une définition d'un faisceau de présomption :
20 "Un faisceau de présomption est constitué d'un certain nombre d'indices
21 qui, pris ensemble, porteraient à conclure à la culpabilité de l'accusé
22 parce qu'ils ne sont habituellement réunis que lorsque ce dernier a fait ce
23 qui lui est reproché…"
24 Les arguments de la Défense aujourd'hui semblent indiquer qu'il faille se
25 pencher sur des éléments de preuve individuels, et non pas un ensemble
26 d'éléments de preuve. Ce qui est important concernant l'analyse des Juges
27 de la Chambre, c'est que la Chambre de première instance a correctement
28 compris comment devait être apprécié un faisceau de preuves lors de ses
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1 conclusions, qui porte à conclure à la culpabilité de l'accusé et qui doit
2 être la seule déduction raisonnable. Il n'est pas nécessaire ni correct
3 d'apprécier chaque élément de preuve et de dire que ceci peut porter à
4 conclure qu'il y a une déclaration de doute au-delà de tout doute
5 raisonnable. Ce qui est requis est d'examiner l'ensemble des constatations
6 factuelles pertinentes en se fondant sur l'ensemble des éléments de preuve
7 étant importants avant d'appliquer le critère d'au-delà de tout doute
8 raisonnable aux éléments essentiels requis pour la condamnation de ces
9 accusés.
10 Les arguments de Sainovic demandent à la Chambre d'appel d'aborder le
11 jugement rendu par la Chambre de première instance par morceaux. Cependant,
12 il y a des liens étroits et complexes entre les paragraphes et les volumes
13 de ce jugement, et on ne peut comprendre ce jugement qu'en l'abordant de
14 façon holistique.
15 Je vais vous illustrer ceci en vous présentant les constatations de
16 la Chambre de première instance sur l'entreprise criminelle commune. Les
17 constatations essentielles relatives à l'ensemble du caractère systématique
18 des crimes se trouve au Volume II, paragraphes 1 150 à 1 178, et est cité
19 au Volume III, paragraphe 46, et fait partie intégrante des conclusions au
20 sujet des crimes qui ont été commis conformément à un objectif commun, et
21 ainsi conformément à l'existence d'une entreprise criminelle commune.
22 La Chambre de première instance s'est concentrée particulièrement sur
23 l'ampleur et le scénario des crimes de déplacement en 1999, abordés au
24 Volume II, pour constater que l'entreprise criminelle commune existait au
25 moment où ces crimes ont été commis. La Chambre de première instance a dit
26 dans le Volume III, au paragraphe 17, que :
27 "D'après la Chambre de première instance, les éléments de preuve les plus
28 irréfutables d'un plan, d'un dessein ou d'un objectif commun sont ceux qui
Page 216
1 portent sur le caractère systématique des crimes commis en 1999."
2 Dans ses constatations dans le Volume III, aux paragraphes 89 à 96, après
3 avoir apprécié tous les éléments de preuve pertinents qui ne sont pas
4 limités au caractère systématique des crimes, mais qui comprennent un
5 certain nombre d'autres facteurs, la Chambre de première instance a conclu
6 que l'existence d'une entreprise criminelle commune a été prouvée au-delà
7 de tout doute raisonnable. Ce faisant, nous faisons valoir qu'il était en
8 droit d'étayer ses conclusions avec des éléments de preuve portant sur des
9 événements qui ont été commis avant la commission des crimes et des
10 éléments de preuve qui portent sur la dissimulation de plus de 700 corps
11 par la suite.
12 Mesdames, Messieurs les Juges, je vais maintenant vous détailler les
13 raisons pour lesquelles les Juges de la Chambre ont de façon raisonnable
14 tenu compte du caractère systématique des crimes commis par la VJ et les
15 forces du MUP, sous couvert du bombardement de l'OTAN, et je vais vous
16 montrer comment ceci ainsi que de nombreux autres facteurs ont permis de
17 démontrer l'existence d'une entreprise criminelle commune.
18 Dans son jugement, la Chambre de première instance a décidé, au vu de tous
19 les éléments de preuve, qu'un système de coordination entre le MUP, les
20 forces de la VJ et Belgrade faisaient partie intégrante de la commission de
21 ces crimes. Le commandement conjoint, placé sous la direction de Sainovic
22 et avec des membres comme Pavkovic et Lukic, constituait une partie
23 essentielle de ce système de coordination.
24 Comme l'a noté M. le Juge Liu au début de cette audience, la Chambre
25 d'appel est là pour examiner les erreurs de faits et de droit et ne doit
26 pas analyser tous les aspects du raisonnement de la Chambre de première
27 instance et décider si oui ou non elle est d'accord. Nous exhortons la
28 Chambre d'appel en l'espèce d'appliquer le critère d'examen en appel de
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1 façon rigoureuse et laisser l'appréciation des éléments de preuve à la
2 Chambre de première instance, c'est son rôle, et d'indiquer que les Juges
3 en l'espèce ont apprécié les éléments de preuve comme il convient et de
4 façon prudente et raisonnable, et de façon diligente. Et lorsque le critère
5 d'examen en appel est appliqué correctement, ce qui correspond à une
6 pratique adoptée depuis longtemps par la Chambre d'appel, nous faisons, là,
7 valoir que votre conclusion sera dans ce cas-là que la conclusion de la
8 Chambre de première instance est raisonnable et motivée.
9 M. Sainovic fait valoir que la Chambre de première instance a commis une
10 erreur en constatant qu'une entreprise criminelle commune existait et qu'il
11 en était membre.
12 Premièrement, être membre de l'entreprise criminelle commune. La
13 Chambre de première instance a constaté que les membres de l'entreprise
14 criminelle commune occupaient les postes politiques, militaires et police
15 les plus élevés au sein de la RFY en Serbie. Et en ce qui nous concerne,
16 ses membres comprenaient Milosevic, le président de la RFY et le commandant
17 Suprême de la VJ; Sainovic, le vice-premier ministre de la RFY et
18 responsable de la politique étrangère et des relations internationales à la
19 RFY, ainsi que coordinateur politique de la VJ et du MUP au Kosovo;
20 Pavkovic, le commandant de la 3e armée; Lukic, à la tête de l'état-major du
21 MUP au Kosovo.
22 Tel que cela a été noté dans le Volume III aux paragraphes 91 et 92,
23 les membres de l'entreprise criminelle commune considéraient l'ensemble de
24 la population albanaise du Kosovo comme des ennemis de la RFY et de la
25 Serbie. Au lieu de résoudre le problème politique au Kosovo par des moyens
26 démocratiques en s'occupant des crimes commis par l'UCK aux moyens d'une
27 utilisation efficace de la police et des ressources judiciaires, les
28 membres de l'entreprise criminelle commune ont commis des crimes
Page 218
1 généralisés et systématiques contre la population albanaise du Kosovo en
2 1999.
3 Slobodan Milosevic a joué un rôle crucial au sein de cette entreprise
4 criminelle commune. Son rôle ainsi que son influence au sein de
5 l'entreprise criminelle commune fournit un contexte pertinent étant donné
6 que Sainovic était l'homme de Milosevic au Kosovo et, par conséquent,
7 l'intermédiaire de Milosevic pour exercer son influence au Kosovo. Il
8 existe un certain nombre de constatations qui confirment que Milosevic a
9 effectivement joué ce rôle-là. Milosevic exerçait un pouvoir important
10 pendant toute la durée couverte par l'acte d'accusation, Volume I,
11 paragraphes 284 à 467. Egalement, la Chambre de première instance a
12 constaté dans le Volume I, paragraphes 284, 467, 485, dans le Volume III,
13 468, il était au sommet de la chaîne de l'exécutif et du commandement de la
14 VJ pendant toute la durée du conflit, il exerçait des pouvoirs de facto
15 importants sur le MUP.
16 La Chambre a constaté dans le Volume I, aux paragraphes 1 009 à 1
17 111, que c'était par le truchement de Milosevic qu'il exerçait une autorité
18 de facto et que le commandement conjoint au Kosovo a été créé pour garantir
19 une plus grande coordination entre le MUP et les forces de la VJ et lui
20 permettre d'orienter les actions du MUP. Milosevic a orchestré les
21 événements au Kosovo par l'intermédiaire de tous les accusés, et en
22 particulier de Sainovic.
23 Par exemple, il a donné des ordres au personnel du MUP au Kosovo,
24 souvent par l'intermédiaire de Sainovic, tel que noté au Volume III,
25 paragraphe 274. Par l'intermédiaire de Sainovic, Milosevic a donné son
26 autorisation pour que soient menées des activités du MUP et de la VJ au
27 Kosovo et a donné des instructions en conséquence, confer Volume III,
28 paragraphe 331.
Page 219
1 Et Milosevic a promu Pavkovic et Ojdanic vers la fin de l'année 1998
2 pour faciliter la mise en œuvre de l'objectif commun tel que noté au Volume
3 III, paragraphe 85.
4 La Chambre de première instance a constaté que tous les membres de
5 l'entreprise criminelle commune, notamment Sainovic, partageaient les
6 sentiments de Milosevic à propos du Kosovo. C'est par l'intermédiaire de sa
7 relation avec Milosevic que Sainovic a développé l'influence et l'autorité
8 dont il avait besoin pour coordonner les activités au Kosovo. Vous
9 trouverez ces constations dans le Volume III, aux paragraphes 427, 462, 466
10 et 467.
11 Monsieur le Président, Mesdames, Monsieur les Juges, avant d'aborder
12 l'examen contradictoire des preuves et les éléments de preuve qui étayent
13 l'existence d'une entreprise criminelle commune, je vais en quelques mots
14 aborder la question de la création de l'objectif commun de l'entreprise
15 criminelle commune, et je vais analyser la question de savoir s'il y avait
16 un objectif commun. Comme je l'ai indiqué plus tôt, la Chambre de première
17 instance s'est penchée sur la question de savoir s'il existait un caractère
18 systématique des crimes, la dissimulation des corps et un certain nombre
19 d'autres facteurs qui ont précédé les crimes et, dans certains cas, de
20 plusieurs mois. Les constatations des Juges de la Chambre sur ces autres
21 questions indiquaient qu'ils admettaient que l'objectif commun avait vu le
22 jour pas plus tard qu'au mois d'octobre 1998, tel que plaidé au paragraphe
23 20 de l'acte d'accusation.
24 Premièrement, dans le Volume III, aux paragraphes 68 à 72, la Chambre
25 de première instance a constaté que le désarmement des Albanais du Kosovo
26 et l'armement des non-Albanais était "destiné à rendre la population
27 albanaise du Kosovo vulnérable aux mains des forces de la RFY et de la
28 Serbie tout en responsabilisant la population non-albanaise."
Page 220
1 Cette constatation expresse indique que les efforts d'armement et de
2 désarmement qui se sont poursuivis pendant tout le mois d'octobre 1998
3 faisait partie de l'objectif commun.
4 Dans le Volume III, au paragraphe 85, la Chambre de première instance
5 a confirmé que l'objectif commun s'est poursuivi à la fin de l'année 1998.
6 La Chambre de première instance a dit dans son raisonnement que la
7 promotion d'Ojdanic le 24 novembre 1998 et la promotion de Pavkovic le 28
8 décembre 1998 ont été faites "de façon intentionnelle … par Milosevic, un
9 membre de l'entreprise criminelle commune, afin de faciliter la mise en
10 œuvre de l'objectif commun."
11 Dans le Volume III, paragraphe 778, la Chambre de première instance a
12 ajouté que la promotion de Pavkovic était une récompense "pour sa
13 participation à l'entreprise criminelle commune."
14 De cette manière, la Chambre de première instance a confirmé que l'objectif
15 commun existait bien avant le mois de décembre 1998.
16 Dans le Volume III, aux paragraphes 76 et 92, la Chambre a confirmé que
17 l'objectif commun était manifeste pendant les négociations de Rambouillet
18 et de Paris en février 1998 [comme interprété]. La RFY et les forces serbes
19 "ont mis à profit la période de négociations" pour retarder une présence
20 militaire internationale au Kosovo et faire intervenir d'autres forces en
21 violation des accords d'octobre pour être en mesure de préparer l'attaque
22 généralisée du printemps. La Chambre de première instance a noté que "ces
23 processus dynamiques et liés entre eux sont le signe d'un objectif commun."
24 Et finalement, dans le Volume III, au paragraphe 92, la Chambre a utilisé
25 ses constatations antérieures pour conclure que le bombardement de l'OTAN a
26 donné aux membres de l'entreprise criminelle commune l'"occasion" de lancer
27 une campagne de déplacement, et a ajouté qu'il s'agissait d'une occasion
28 "qu'attendaient les membres de l'entreprise criminelle commune et à
Page 221
1 laquelle ils s'étaient préparés en déplaçant ou en faisant venir d'autres
2 forces au Kosovo et en armant et en désarmant la population."
3 Même si la Chambre de première instance a constaté dans le Volume III,
4 paragraphe 96 [comme interprété], que l'objectif commun existait pour le
5 moins à la période couverte par l'acte d'accusation qui a commencé le 24
6 mars 1999, ceci ne se limitait pas à l'existence de l'objectif commun au
7 cours de cette période. Effectivement, comme cela est précisé dans les
8 autres constatations, la Chambre de première instance a clairement estimé
9 que l'objectif commun existait au plus tard au mois d'octobre 1998.
10 La conclusion qui consiste à dire que l'objectif commun avait vu le jour
11 bien avant les crimes reprochés dans l'acte d'accusation correspond aux
12 autres constatations de la Chambre sur les expulsions généralisées et
13 organisées sur l'ensemble du Kosovo -- pardonnez-moi. Que ceci correspond
14 aux constatations, que ceci ainsi que la mise en œuvre de l'objectif commun
15 exigeait une planification importante ainsi qu'une coordination importante,
16 confer le Volume II et les paragraphes 48 et 888.
17 Je vais maintenant aborder la question des constatations des Juges de la
18 Chambre de première instance concernant l'entreprise criminelle commune. La
19 Chambre de première instance a examiné de près les éléments de preuve
20 solides et importants, y compris les actes et le comportement de l'accusé
21 pour constater l'existence de l'entreprise criminelle commune. Comme l'a
22 noté la Chambre de première instance dans le Volume III, au paragraphe 17,
23 les "éléments de preuve les plus irréfutables" de l'existence d'un objectif
24 criminel commun étaient le caractère systématique manifeste de nombreux
25 crimes en 1999, notamment le déplacement forcé de la population albanaise
26 du Kosovo, qui était évidente dès le 24 mars.
27 Les crimes étaient hautement coordonnés, systématiques et prémédités. Ils
28 étaient d'un caractère, d'une échelle et d'une cruauté tels qu'ils
Page 222
1 permettent d'établir le fondement des constatations de la Chambre de
2 première instance d'une entreprise criminelle commune entre les dirigeants
3 politiques, militaires, et de la police de la RFY en Serbie aux fins de
4 déplacer par la force la population albanaise du Kosovo. Confer encore une
5 fois le Volume III, paragraphe 95.
6 La mise en œuvre de ce caractère systématique des crimes sur l'ensemble du
7 Kosovo s'est déroulée pendant un si court laps de temps, quelque deux mois,
8 exigeait un haut niveau de coopération ou de coordination entre le MUP, la
9 VJ et les échelons politiques les plus importants. Confer Volume 1,
10 paragraphes 1 023, 1 041, 1 054, 1 123 et 1 151; Volume 2, paragraphes 48,
11 253, 888; et Volume III, paragraphes 468, 819 et 1 132.
12 La mise en œuvre de ces crimes systématiques s'est fait par le moyen d'un
13 système de coordination dirigé par les appelants en l'espèce, M. Sainovic,
14 le général Pavkovic et le général Lukic, en particulier par le truchement
15 du commandement conjoint, un système tel que cela a été constaté par les
16 Juges de la Chambre dans lequel Sainovic a joué un rôle essentiel. J'en
17 parlerai plus tard lorsque je parlerai du commandement conjoint. Tout
18 d'abord, les différents crimes en résumé.
19 Pendant les trois premiers jours de la campagne, les forces conjointes ont
20 lancé des attaques sur quasiment chaque ville importante du Kosovo,
21 notamment Pristina, Prizren, Djakovica, Kosovska Mitrovica, et Pec.
22 Les forces de la VJ et du MUP ont également attaqué de façon
23 systématique tous les villages aux alentours et les villages du Kosovo. La
24 Chambre a constaté que sur 27 villes et villages sur l'ensemble du Kosovo
25 et dans les 13 municipalités représentatives, reprochées dans l'acte
26 d'accusation ont été attaquées et la population albanaise de ces derniers a
27 été déplacée. Ceci est illustré dans le Volume II, paragraphes 1 181 à 1
28 262.
Page 223
1 Tel que cela a été noté dans le Volume II, au paragraphe 1 150, suite à ces
2 efforts coordonnés, plus de 300 000 Albanais du Kosovo ont été chassés à la
3 fin de la première semaine de campagne. A la fin de la deuxième semaine, le
4 5 avril, ce chiffre a doublé pour atteindre 613 530. Et à la date du 30
5 avril, 715 158 Albanais du Kosovo avaient été chassés. Pour placer ces
6 chiffres dans leur contexte, en moins de deux mois, environ la moitié de la
7 population albanaise du Kosovo avait été chassé et contrainte à se rendre
8 en Albanie, Macédoine ou au Monténégro.
9 Je vais à présent parler du caractère systématique des crimes. La Chambre a
10 constaté que les unités de la VJ et du MUP ont recouru à un haut niveau de
11 coordination pour ce qui est de l'expulsion de la population albanaise du
12 Kosovo, Volume I, paragraphes 1 033 à 1 043 du jugement en première
13 instance.
14 Des mois avant l'attaque, la RFY et les forces serbes ont commencé les
15 préparatifs qui ont posé les fondements pour ce qui est des expulsions en
16 masse.
17 A titre d'exemple, en 1998 et début 1999, la VJ et le MUP ont secrètement
18 armé des non-Albanais à Pristina. Et en même temps, la VJ et le MUP ont
19 procédé au désarmement d'Albanais du Kosovo en ville; c'est ce qui est
20 indiqué au Volume III, paragraphes 52, 54, 62 et 72 du jugement en première
21 instance.
22 A des semaines qui ont précédé l'attaque de l'OTAN, le MUP, la VJ et les
23 paramilitaires serbes ont été renforcés à Pristina et autour indépendamment
24 de l'absence de présence notable de l'UCK. Il s'agit du Volume II,
25 paragraphes 808, 811 à 813.
26 Une fois que ces préparatifs ont été effectués, à la date du 24 mars 1999,
27 sous le couvert d'une campagne de l'OTAN, les forces de la VJ et du MUP ont
28 lancé une vague de violence et de terreur coordonnée tout au large du
Page 224
1 Kosovo dans l'intention d'expulser la population albanaise de ce
2 territoire. Volume III, paragraphes 41 à 46.
3 Dans certains cas de figure, dans des villages et villes tels que Pec,
4 Pristina, Vladovo et Sojevo, ces forces conjointes allaient d'une porte à
5 l'autre pour forcer les Albanais hors de leurs maisons, Volume II,
6 paragraphe 48 pour Pec; paragraphe 885 pour Pristina; 1 247 pour Zegra et
7 Vladovo; 1 250 pour Sojevo, je l'indique à titre d'exemple.
8 Dans d'autres cas de figure, tels que celui de Celina, Staro Selo et
9 Dubrava, les forces conjointes ont délibérément créé une atmosphère de peur
10 pour expulser les Albanais, Volume II, paragraphe 311 pour Celina; 885 --
11 non, excusez-moi, 1 251 pour Staro Selo et 1 247 pour Vladovo.
12 Les forces de la VJ ont d'abord eu coutume d'encercler une ville ou un
13 village et ont commencé à pilonner le secteur. Les effectifs de la VJ ou du
14 MUP, à titre individuel ou ensemble, entraient par la suite dans la ville
15 pour terroriser les villageois ou les résidents par des meurtres, menaces
16 de mort, pillage, mise à feu de maisons ou recours à l'usage d'armes,
17 Volume II, paragraphes 1 060 à 1 061 -- non, excusez-moi, 1 060, 1 061
18 [comme interprété], 1 164.
19 Les Albanais du Kosovo faisaient l'objet d'ultimatums; abandonner leurs
20 maisons ou être tués. Vous pouvez voir cela, Mesdames, Messieurs le Juge,
21 au Volume II, paragraphes 230, 718 et 839, lorsqu'il s'agit de crimes
22 commis dans le secteur de Reka, Suva Reka, Zabare et Pristina.
23 Suite à ces attaques coordonnées de la VJ et du MUP, les Albanais du Kosovo
24 se sont trouvés forcés à quitter leurs logis. Ils ont été entassés dans des
25 convois en masse pour être forcés à aller vers l'Albanie, le Monténégro ou
26 la Macédoine. Dans certains cas de figure, les maisons des Albanais du
27 Kosovo ont été occupées par des Serbes. Ceci se trouve indiqué au Volume
28 II, paragraphes 831 à 832. A Pristina, bon nombre de maisons qui avait
Page 225
1 appartenu à des Albanais du Kosovo a été occupé par la VJ et le MUP pour
2 s'en servir pour y loger des instances officielles de la RFY ou du
3 gouvernement serbe.
4 La VJ et le MUP ont très souvent contrôlé des convois en bloquant les
5 routes et les voies de passage pour s'assurer que les Albanais du Kosovo se
6 dirigeraient bien vers la frontière sans pour autant pouvoir chercher
7 refuge au Kosovo même. Parfois, les convois des Albanais du Kosovo ont été
8 escortés l'arme au poing. Dans d'autres cas de figure, la VJ et les forces
9 du MUP dirigeaient les convois vers des entrepôts où l'on avait rassemblé
10 des trains, des autobus ou des camions. Je fais référence ici au Volume II,
11 paragraphe 334 pour ce qui est de Celine et 1 167 pour Pristina. Les
12 Albanais du Kosovo ont été contraints à monter à bord de trains ou de
13 véhicules qui étaient bondés et pour être transportés vers différents
14 passages de frontière. Les groupes de réfugiés se créaient au niveau de ces
15 entrepôts pour attendre des moyens de transport jusqu'à leur expulsion.
16 Lorsque ces convois se déplaçaient vers les passages de frontière, les
17 Albanais du Kosovo ont été constamment menacés et malmenés. Les convois,
18 par exemple, qui ont quitté Pristina ont été exposés à des insultes de la
19 part des membres de la VJ et du MUP. Ces membres de la VJ et du MUP leur
20 criaient : "Le Kosovo n'appartient pas aux Albanais, ça appartient aux
21 Serbes", et "nous allons vous tuer, vous, les Albanais". On pouvait voir
22 cela au Volume II, paragraphe 859.
23 A différents postes de frontière, avant que d'être expulsées, les
24 forces du MUP et de la VJ détruisaient les pièces d'identité, y compris
25 passeports et permis de conduire, pour leur rendre difficile ou leur rendre
26 impossible le retour au Kosovo. On peut voir ceci au Volume III, paragraphe
27 32. D'après les Juges de la Chambre de première instance, la confiscation
28 et la destruction des pièces d'identité avait constitué l'un des indices
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1 les plus convaincants démontrant l'existence de cet objectif criminel
2 commun, Volume III, paragraphe 40. La confiscation avait constitué une
3 pratique communément utilisée, d'après les Juges de la Chambre de première
4 instance, et à ce titre les références sont par trop nombreuses pour être
5 citées dans leur ensemble.
6 Les Juges de la Chambre ont pris en considération les déclarations
7 faites par les effectifs de la RFY ou de la Serbie, qui disaient que les
8 Kosovars ne reviendraient pas au Kosovo une fois ces documents confisqués.
9 Pavkovic a reconnu que cette pratique avait été bel et bien présente
10 parmi les membres du MUP. Ça peut être constaté au Volume III, paragraphes
11 720 à 775. D'autres officiers de la VJ ont également témoigné pour indiquer
12 qu'il y a eu des ordres de donnés pour ce qui est de la confiscation des
13 pièces d'identité, Volume III, paragraphes 34 à 39. Par exemple, le Témoin
14 K89, un soldat de la VJ à Djakovica, a témoigné pour dire que son
15 commandant lui avait donné l'ordre suivant :
16 "…aucun Albanais ne doit rester au Kosovo et leurs pièces d'identité
17 doivent être déchirées pour empêcher leur retour."
18 On peut voir ceci en pages du compte rendu d'audience 9 124, 9 154 et
19 9 201. Il a été procédé à une citation à cet effet au Volume III,
20 paragraphe 34.
21 Les Juges de la Chambre de première instance ont, à juste titre,
22 rejeté les témoignages des membres du MUP ou de la VJ qui ont nié
23 l'existence d'une telle pratique. Les Juges de la Chambre de première
24 instance ont à juste titre constaté que tant les membres du MUP que de la
25 VJ étaient impliqués dans ce type d'agissements d'après les témoignages des
26 témoins qui ont parlé de l'implication de la VJ.
27 La Chambre a donc, de façon appropriée, rejeté les allégations
28 avancées par M. Sainovic, au terme desquelles les confiscations et la
Page 227
1 destruction des pièces d'identité n'avaient pas influé sur l'éventualité de
2 voir les Albanais du Kosovo perdre leur citoyenneté. Mais il a été constaté
3 que ceci rendait plus difficile le retour des Albanais du Kosovo qui ont
4 été expulsés par la force, parce que ce retour au Kosovo se trouverait être
5 plus difficile sans pièce d'identité ou sans preuve de citoyenneté avec
6 toutes les difficultés qu'il y aurait eu pour se procurer de nouvelles
7 pièces d'identité de la part des autorités serbes ou de la RFY.
8 La VJ et le MUP ont commis d'autres crimes contre les Albanais du
9 Kosovo, contre cette campagne de déplacement forcé, et la Chambre a, à
10 juste titre, considéré que ceci faisait partie de l'entreprise criminelle
11 commune au Volume III. Ceci incluait des pillages et la destruction de
12 maisons appartenant aux Albanais du Kosovo, destruction du contexte de
13 bâtiments culturels, historiques et autres, et religieux, notamment les
14 mosquées, avec exécutions sommaires de civils Albanais du Kosovo avec
15 agressions sexuelles et viol de femmes albanaises du Kosovo. A titre
16 d'exemple, ceci peut être retrouvé au Volume II.
17 Cette échelle de crimes de déplacement commise par la VJ n'a pas été
18 faite de façon fortuite ou spontanée. Ceci a été commis en application
19 d'une finalité criminelle commune. Ces crimes ont été désignés au Volume
20 II, paragraphes 1 156 et 1 178, pour terroriser systématiquement la
21 population albanaise du Kosovo et la forcer à quitter le Kosovo. A cette
22 fin, il fallait forcément qu'il y ait un haut niveau de coordination. La
23 Chambre a donc, à juste titre, considéré que cette coordination tombait
24 sous la responsabilité de Sainovic, Pavkovic et Lukic, et que ceci a été
25 réalisé au travers d'un système mis en place par Milosevic.
26 Mais il ne s'agit pas seulement d'une échelle de crimes et d'une
27 étendue systématique de ces crimes commis qui ont influé sur les décisions
28 prises par la Chambre. Il s'agit de toute une série d'éléments de preuve
Page 228
1 qui indique qu'il existait un système mis en place. Les Juges de la Chambre
2 ont analysé de façon détaillée et attentive des éléments de preuve se
3 trouvant sur plus de 400 pages, qui se trouvent être englobées dans le
4 Volume II, allant du paragraphe 1 au paragraphe 1 149. Bon nombre de
5 témoins albanais qui sont venus témoigner au sujet de ce qu'ils ont vécu,
6 de ce qu'ont vécu leurs familles, leurs parents, leurs amis et leurs
7 voisins, a fourni une image cohérente de ce système mis en place de
8 violence et de terrorisation qui ont été le fait de forces de la RFY et de
9 la Serbie.
10 Sainovic, dans sa contestation ou dans son appel, a estimé que les
11 Juges de la Chambre de première instance avaient commis des erreurs pour ce
12 qui est d'avoir prêté une oreille attentive aux témoins albanais qui ont
13 dit que ces témoignages n'étaient pas crédibles et que ceci ne les rendait
14 pas crédibles. Les Juges de la Chambre se sont penchés sur ceci pour
15 décider que les témoignages de ces Albanais du Kosovo étaient fiables,
16 puisqu'ils ont jugé qu'ils était inconcevable que des éléments de
17 témoignage aussi détaillés, cohérents -- ne pouvaient pas être inventés de
18 toutes pièces. Les Juges de la Chambre ont donc estimé qu'ils venaient de
19 13 municipalités différentes et qu'ils n'avaient rien à voir les uns avec
20 les autres.
21 On a considéré que les descriptions des événements faites par les
22 Albanais du Kosovo étaient similaires parce qu'ils avaient connu quelque
23 chose qui était conforme à ce système méthodiquement mis en place par les
24 effectifs de la RFY et de la Serbie au Kosovo.
25 Les témoignages de ces témoins, des Albanais du Kosovo, ont été corroborés
26 par des témoignages par des membres de la VJ et du MUP qui ont été
27 impliqués dans ces événements, et qui ont commis des crimes à l'égard des
28 Albanais du Kosovo, à savoir le témoignage K73, ex-membre de la VJ, Volume
Page 229
1 II, paragraphe 1 172 :
2 "…pour nous, il était tout à fait désagréable que d'avoir à expulser des
3 femmes, des enfants, des personnes âgées et invalides. Je connaissais bien
4 l'UCK et je n'ai pas vu une seule femme de 70 ans dans leurs rangs, ou un
5 enfant, ou quoi que ce soit de similaire. Ces gens ne pouvaient pas être
6 considérés comme étant des combattants ou des terroristes, ou des gens qui
7 étaient dans des chaises roulantes. Nous les avons tous expulsés, y compris
8 les bébés dans leurs berceaux, et c'est un problème auquel je dois faire
9 face de nos jours."
10 Un autre membre de la VJ, K90 :
11 "…a expliqué que les ordres que son unité recevait disant qu'il
12 fallait 'déplacer' des personnes n'ont jamais été donnés par écrit, mais
13 que ça a été donné verbalement le long de la filière de commandement, parce
14 que les autorités avaient appris en Croatie et en Bosnie que ce type
15 d'ordres ne devait pas être donné sous forme écrite," disant que "des
16 ordres d'une telle importance devaient être approuvés au niveau le plus
17 élevé, parce que ce type d'activité ne pouvait pas être ordonné par des
18 commandants locaux seuls," et "les ordres en question concernaient
19 seulement des villages d'Albanais du Kosovo."
20 Vous pouvez retrouver ces passages au Volume II, paragraphe 153.
21 Il ne s'agit pas seulement de témoignages de la part d'Albanais du Kosovo.
22 Cela était corroboré par des experts et des médecins légistes, avec
23 présentation de la documentation du MUP et de la VJ, avec des vidéos de
24 journalistes étrangers présents au Kosovo à l'époque - par exemple Antonio
25 Russo, un journaliste italien qui a été présent à Pristina et qui a été
26 expulsé aux côtés des Albanais du Kosovo qui résidaient là-bas. Je renvoie
27 les Juges de la Chambre aux conclusions qui ont été présentées au
28 paragraphe 266 de notre mémoire en réponse avec les notes de bas de page
Page 230
1 appropriées.
2 A la lumière de ces éléments de preuve cohérents et de taille, les Juges de
3 la Chambre ont eu raison de rejeter les témoignages de témoins qui ont nié
4 l'existence d'un plan visant à expulser les civils albanais du Kosovo.
5 La Chambre a eu raison de se pencher et de rejeter les explications
6 alternatives pour ce qui est des expulsions en masse. En effet, ces
7 conclusions et certains des exposés des motifs avancés par les Juges de la
8 Chambre se trouvent au Volume II, paragraphes 1 175 à 1 179.
9 Contrairement à ce qu'a dit la Défense de M. Sainovic ce matin, les Juges
10 de la Chambre de première instance ont à juste titre considéré que les
11 bombardements de l'OTAN n'ont pas donné lieu à des déplacements en masse
12 des Albanais du Kosovo. La Chambre a fait remarquer que pas un seul des
13 Albanais du Kosovo qui ont témoigné n'a cité les bombardements de l'OTAN
14 comme étant l'une des causes de son départ ou du départ d'autrui. Les Juges
15 de la Chambre ont à juste titre constaté que la campagne de l'OTAN avait
16 fourni une opportunité aux membres de cette entreprise criminelle commune
17 pour ce qui est de mettre en œuvre cet objectif criminel, à savoir infliger
18 de graves pertes à l'UCK, déplacer par la force suffisamment de civils
19 albanais du Kosovo pour modifier l'équilibre ethnique au Kosovo, et pour en
20 faire porter le blâme à l'UCK et l'OTAN, ce qui avait été plausible comme
21 étant "un élément de déni". Vous pouvez retrouver ceci au Volume III,
22 paragraphe 92.
23 Les membres de l'entreprise criminelle commune ont attendu une telle
24 opportunité. Leurs effectifs ont été complets pendant les jours qui ont
25 précédé la compagne de l'OTAN, et celle-ci a commencé le 24 mars. Les
26 membres de l'entreprise criminelle commune étaient tout à fait prêts à
27 prendre profit du moment lorsque celui-ci surviendrait, et ceci a été fait
28 pendant la période de négociation, et suite au retard de l'arrivée de cette
Page 231
1 présence militaire internationale qu'ils ont mis à profit pour déployer des
2 forces complémentaires au Kosovo en violation des accords d'octobre. Je
3 vous renvoie vers le Volume III, paragraphes 76 et 92.
4 Les Juges de la Chambre de première instance ont rejeté les autres
5 explications pour ce qui est des expulsions. Il a été procédé au rejet des
6 allégations de la Défense disant que les activités de combat entre l'UCK et
7 la RFY et la Serbie avaient pu être la cause première de ces déplacements;
8 Volume II, paragraphe 1 177. Paragraphes qui suivent; paragraphes 285, 887
9 et 1 175.
10 Elle s'est penchée et a rejeté les arguments disant que ces crimes avaient
11 constitué une réponse légitime aux activités de l'UCK. Les Juges de la
12 Chambre ont constaté que les membres de l'UCK étaient en petit nombre. Ils
13 n'avaient pas de matériel ou d'armes pour combattre; Volume II, paragraphe
14 1 177, et on a vu que les effectifs de la VJ et du MUP ont utilisé des
15 forces incomparablement plus grandes et ont eu recours à une violence non
16 proportionnée à l'égard de cette population civile et de ses biens. Volume
17 II, paragraphe 1 178.
18 Pour finir, les Juges de la Chambre ont constaté que ces deux sites de
19 départ des Albanais du Kosovo étaient dus à des instructions données par
20 l'UCK, mais on a constaté que cette conclusion n'avait pas porté atteinte à
21 l'argument présenté du départ en masse du fait des actions de violence de
22 la RFY et des forces serbes, et notamment à la lumière des éléments de
23 preuve puissants présentés à l'audition de témoins. Je vous renvoie vers le
24 Volume II, 1 175.
25 Mis à part les constatations des Juges de la Chambre partant d'une campagne
26 de grande envergure organisée et coordonnée de violence et de peur, la
27 Chambre a déterminé qu'il y a eu une entreprise criminelle commune se
28 basant sur d'autres facteurs pour ce qui est des mois qui ont précédé aux
Page 232
1 crimes et aux opérations clandestines qui ont visé à dissimuler des corps
2 en avril et mai 1999, et ce, notamment 700 corps qui ont été exhumés,
3 transportés et réenterrés en Serbie. J'en ai parlé à l'occasion de la
4 formulation de ce qui a constitué les éléments du planning conjoint. Les
5 détails se trouvent au Volume III, paragraphes 48 à 96.
6 Etant donné cette grande quantité d'éléments de preuve qui se complètent
7 les uns les autres, pas une seule de ces tentatives des appelants pour ce
8 qui est de contester les conclusions adoptées, à titre individuel ou de
9 façon globale, ne saurait en aucune façon miner le caractère raisonnable de
10 la constatation disant qu'il y a eu une entreprise criminelle commune.
11 Maintenant, je voudrais parler du commandement conjoint.
12 Ces membres de l'entreprise criminelle commune ont procédé à la
13 réalisation d'une intention criminelle commune par le biais d'une
14 coordination qui s'est manifestée en 1999 sous forme d'organisation appelée
15 commandement conjoint. Les Juges de la Chambre ont estimé que ce système de
16 coordination avait été mis en place et a existé en 1999, et que c'était une
17 conclusion raisonnable que d'estimer qu'il y a eu une attaque massive sous
18 prétexte et sous couvert des bombardements de l'OTAN, qui ne pouvaient pas
19 se faire de façon spontanée. Ça avait nécessité une planification, une
20 coordination, et nécessitait de procéder à des niveaux les plus élevés de
21 la police, de l'armée et des instances politiques. La Chambre de première
22 instance a constaté qu'il y a eu un niveau très important de coordination
23 et de coopération entre la VJ et le MUP pendant la planification et la mise
24 en œuvre des opérations conjointes qui ont commencé en mars 1999. Volume I,
25 paragraphe 1 023.
26 M. Sainovic conteste les conclusions de la Chambre de première instance
27 faisant valoir qu'une instance appelée le commandement conjoint existait à
28 partir du mois d'octobre 1998 et tout au long de l'année 1999, et que cette
Page 233
1 instance avait le pouvoir de commander les forces déployées sur le terrain
2 et que Sainovic n'en a jamais fait partie. Des arguments comparables sont
3 avancés par Pavkovic, Lukic et Lazarevic. Et mes collègues répondront à ces
4 arguments plus tard au cours de la semaine. Martin Salgado se penchera plus
5 en détail sur la contribution personnelle de M. Sainovic, et moi, je me
6 focaliserai sur l'existence et l'autorité du commandement conjoint.
7 Les contestations qui sont avancées cherchent à remettre en question les
8 conclusions-clés de la Chambre de première instance faisant valoir que le
9 commandement conjoint a "joué un rôle important dans la direction et la
10 coordination des activités de la VJ et du MUP au Kosovo tant en 1998 qu'en
11 1999," Volume III, paragraphe 1 023, et que "en 1999 le système de
12 coordination a continué de fonctionner," Volume I, paragraphe 1 151.
13 Il s'agit de conclusions raisonnables, compte tenu des éléments de preuve
14 en très grand nombre sur lesquels ces conclusions se fondent, telles que :
15 les ordres explicites du commandement conjoint de 1999, la réunion du
16 commandement conjoint du 1er juin 1999, de nombreuses références au
17 commandement conjoint tout au long de l'année 1999, et d'autres éléments de
18 preuve qui démontrent que le système de commandement conjoint a continué de
19 fonctionner en 1999 et qu'ils ont continué à coordonner les opérations
20 conjointes de la VJ et du MUP.
21 Pendant que plus d'éléments de preuve datent de 1998 et montrent de manière
22 plus détaillée le fonctionnement interne du commandement conjoint, par
23 exemple le procès-verbal des réunions du commandement conjoint qui se sont
24 tenues quasiment tous les jours, les éléments de preuve néanmoins
25 démontrent que le besoin d'avoir cette coordination s'est fait sentir aussi
26 en 1999, donc, continue en 1999, tout comme le système de coordination, y
27 compris le commandement conjoint lui-même.
28 Le besoin d'avoir un commandement conjoint est démontré par le fait
Page 234
1 et les éléments de preuve que la VJ et le MUP ne pouvaient pas fonctionner
2 de manière efficace ensemble si cela leur était laissé à eux. Donc, la
3 Chambre de première instance a constaté qu'ils ont essayé de procéder ainsi
4 au début de l'année 1998 et que cela n'a pas bien fonctionné, Volume I,
5 paragraphe 1 025. En résultat, en mai ou juin 1998, on a déployé des
6 efforts pour améliorer la coordination sous la direction de Milosevic et
7 finalement, cela a donné lieu à la création d'une instance du commandement
8 conjoint, Volume 1, paragraphes 1 005 jusqu'à 1 011 et 1 109. Milosevic
9 constate que lorsque le système a été créé pendant la deuxième moitié de
10 1998, la police, l'armée, et les hommes politiques ont chacun eu un rôle à
11 jouer dans le plan antiterrorisme qui a été adopté. Je vous renvoie au
12 Volume I, paragraphe 995. La Chambre de première instance a constaté que
13 lorsque des protagonistes très importants, y compris les accusés, se
14 référaient au commandement conjoint en 1999, eh bien, ils se référaient à
15 l'ensemble de ce système de coordination, Volume I, paragraphe 1 151.
16 Le commandement conjoint était constitué de membres très haut placés
17 de la VJ et du MUP et des dirigeants civils de haut rang, tels que Milomir
18 Minic, qui était le président de l'assemblée et membre du Groupe de travail
19 pour le Kosovo et, bien entendu, de Sainovic. Minic et Sainovic ont joué un
20 rôle de direction en 1998 et lorsque Minic a quitté le Kosovo à la fin de
21 l'année 1998, Sainovic est resté sur place pour assurer toujours le travail
22 de coordination.
23 Cette dimension politique a été une dimension-clé pour Milosevic. En
24 1999, Sainovic a été celui que Milosevic a utilisé pour orchestrer les
25 événements au Kosovo. Je vous renvoie au Volume III, paragraphe 467. En
26 tant qu'un des conseillers les plus proches de Milosevic, c'était à lui de
27 faire ce travail. Plusieurs témoins ont estimé que Milosevic exerçait le
28 contrôle total et que Sainovic était son plus proche collaborateur, Volume
Page 235
1 III, paragraphes 200, 409 et 467.
2 Le commandement conjoint a également permis à Slobodan Milosevic de diriger
3 les actions du MUP au Kosovo, Volume I, paragraphe 111 [comme interprété],
4 Volume III, paragraphe 274.
5 Avec Sainovic, ainsi que Pavkovic et Lukic, Milosevic a été en mesure de
6 coordonner les activités du MUP et de la VJ, et cela lui a permis de
7 diriger le MUP, qui était un organe au niveau de la république, autrement
8 se situant à l'extérieur du ressort de ses attributions fédérales. Cela lui
9 aurait également permis de déployer des unités de la VJ au Kosovo
10 indépendamment ou en dépit des objections de la VJ.
11 Je vais expliquer très brièvement, et j'en ai presque terminé, que la
12 Chambre de première instance est arrivée à une conclusion raisonnable, que
13 ce système de coordination s'est poursuivi en 1999 et que ce système a eu
14 un impact important sur les événements sur le terrain.
15 Premièrement, nous constatons l'existence de 16 ordres datant de 1999, tous
16 avec l'en-tête "commandement conjoint," Volume I, paragraphe 1 122, qui
17 comporte les ordres pour l'emploi des unités. A la fin de chacun de ces
18 ordres, nous avons sous une forme ou une autre la phrase suivante : "Le
19 commandement conjoint pour le Kosovo-Metohija commande et contrôle
20 l'ensemble des forces pendant les opérations de combat depuis le secteur de
21 Pristina", et la phrase "commandement conjoint" figure dans l'en-tête et au
22 niveau de la signature, Volume I, paragraphes 1 122 et 1 137.
23 Ce qui est important à signaler, c'est que la Chambre de première instance
24 a relevé que plusieurs ordres du commandement conjoint de 1999 identifient
25 les forces employées au niveau des opérations de combat dans les zones et à
26 des dates qui correspondent aux lieux de crimes visés à l'acte
27 d'accusation. Je vous renvoie au volume I, paragraphe 1 123, Volume III,
28 paragraphe 695. A titre d'exemple, l'ordre qui a été donné à la 549e
Page 236
1 Brigade motorisée, ordre du 23 mars 1999, correspond à la mission générale
2 et à l'endroit qui a été spécifié dans l'ordre du commandement conjoint qui
3 porte lui aussi la date du 23 mars. Les deux ordres de prendre pour cible
4 Suva Reka-Orahovac avec pour mission de détruire les forces siptar. Ces
5 ordres correspondent à cette vague d'attaques qui ont eu lieu dans
6 plusieurs villes dans la municipalité d'Orahovac, Volume II, paragraphe
7 296. Et le rapport après l'action qui a été établi par la 549e Brigade
8 motorisée affirme que la coordination entre les forces a bien fonctionné et
9 que le commandement des forces était placé sous le commandement conjoint du
10 MUP et de la VJ. Nous trouvons plusieurs autres exemples du même genre dans
11 le jugement de l'espèce, Volume I, paragraphes 1 124 à 1 126.
12 La Chambre de première instance a constaté que ces ordres émanaient
13 du commandement du Corps de Pristina et que la VJ et le MUP avaient des
14 chaînes de commandement qui étaient restées en place, intactes, tout au
15 long de l'année 1999. Le système de coordination qui a opéré en 1999 n'a
16 pas remplacé les chaînes de commandement mais s'en est servi par le
17 truchement de l'influence de ses membres. La Chambre de première instance
18 est arrivée à la conclusion qu'en 1998, pendant que certains membres du
19 commandement conjoint n'avaient peut-être pas les pouvoirs de jure de
20 donner des ordres aux unités du MUP et de la VJ, des membres individuels du
21 commandement conjoint ont fait jouer leur influence de fait afin d'avoir un
22 impact sur la manière de mettre en œuvre le plan de suppression de
23 terrorisme au Kosovo. Et je vous renvoie au Volume I, paragraphe 1 110.
24 De manière analogue, la Chambre a constaté qu'en 1999 il y a des
25 ordres qui portent l'en-tête "le commandement conjoint", que cela permet à
26 ces ordres de conférer plus d'autorité au commandement et que cela a
27 constitué un facteur important pendant la planification et la mise en œuvre
28 des opérations conjointes entre le MUP et la VJ, Volume I, paragraphe 1
Page 237
1 151.
2 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je pense que nous avons épuisé le temps
3 qui était prévu pour une réponse d'une heure --
4 M. KREMER : [interprétation] Il ne me reste que trois minutes --
5 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Non, je pense qu'il nous faut arrêter ici
6 --
7 Maître Ackerman, oui.
8 M. ACKERMAN : [interprétation] J'ai une toute petite annonce à faire. Vous
9 savez parfaitement qu'un certain nombre d'éléments de preuves
10 supplémentaires ont été versés au dossier sur une autre requête pour ce qui
11 nous concerne et cela complique les arguments que je vais devoir annoncer.
12 Donc, j'ai à peu près trois heures à présenter, mais le temps qui m'a été
13 imparti n'est que de deux heures. Donc, je me demande si je pourrais me
14 faire accorder une heure de plus. Est-ce qu'on pourrait éventuellement
15 prélever une demi-heure sur la pause ou pas ?
16 M. LE JUGE LIU : [interprétation] J'ai bien peur que l'ordre portant au
17 calendrier date du 20 février 2013. Vous auriez dû formuler votre requête
18 avant l'audience. Je suis désolée, je dois rejeter votre requête. Nous
19 reprendrons à 14 heures 30.
20 --- L'audience est levée pour le déjeuner à 12 heures 59.
21 --- L'audience est reprise à 14 heures 30.
22 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Oui, Monsieur Kremer. Vous pouvez prendre
23 la parole.
24 M. KREMER : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.
25 Juste avant la pause, j'étais en train d'expliquer pourquoi la Chambre de
26 première instance a tiré une conclusion raisonnable en affirmant que le
27 système de coordination a continué, s'est poursuivi pendant l'année 1999,
28 et que ce système a eu une influence importante sur les événements qui se
Page 238
1 sont déroulés sur le terrain. Donc, mes premiers arguments portaient sur
2 les 16 ordres qui portent le titre "commandement conjoint", qui ont été
3 émis en 1999. Mon deuxième argument concerne la réunion du 1er juin 1999,
4 qui était comparable aux réunions du commandement conjoint qui se sont
5 tenus tout au long de l'année 1998. Sainovic, Pavkovic et Lukic étaient
6 présents. Des présentations faites par Pavkovic et Lukic comprenaient des
7 détails très techniques sur ce qui se passait pendant les activités de la
8 VJ et du MUP. Le général Vasiljevic, l'ex-chef de l'administration de la
9 sécurité de la VJ, a déposé disant que tous avait un comportement très
10 respectueux vis-à-vis de Sainovic tout au long de cela, et que les rapports
11 se focalisent uniquement sur les activités de la journée, lui donnant
12 l'impression que les réunions se produisaient tous les jours, et je vous
13 renvoie au paragraphe 1 145 du Volume I. Cela correspond au fait qu'en
14 1998, entre juillet et octobre, il y a des éléments de preuve attestant des
15 réunions quotidiennes quasiment du commandement conjoint, pièce P1468.
16 Le troisième élément de preuve est constitué par le besoin de faire
17 continuer le commandement conjoint en 1999, cela ressort clairement d'une
18 autre réunion qui s'est tenue le 29 octobre 1998, présidée par Milosevic.
19 Sainovic, Milutinovic, Pavkovic et Lukic étaient présents. Je vous renvoie
20 aux paragraphes 1 097 et 1 099 du premier volume. Un accord a été obtenu
21 lors de cette réunion faisant état de la nécessité de faire continuer
22 l'existence du commandement conjoint. Milosevic a signalé qu'il "était
23 nécessaire que le commandement conjoint pour le Kosovo-Metohija et l'état-
24 major de coordination continuent de fonctionner." Excusez-moi si j'ai mal
25 prononcé.
26 Alors, Sainovic lui-même reconnaît cela accordant son appui à la poursuite
27 de l'existence du commandement conjoint, ces citations se trouvent au
28 paragraphe 1 099 du premier volume. Et quatrièmement, la Chambre de
Page 239
1 première instance a cité plusieurs autres pièces à conviction indépendantes
2 concernant l'autorité du commandement conjoint en 1999. Vasiljevic a
3 déclaré que le commandement conjoint en 1999 avait la puissance d'un
4 commandement Suprême mini. Premier volume, paragraphe 1 114.
5 Ojdanic, le chef de l'état-major général de la VJ, a déclaré à une réunion
6 du collegium de l'état-major général du 21 janvier 1999 que si le
7 "commandement conjoint ou n'importe quoi" décidait qu'une opération du
8 village de Racak devait ne pas avoir lieu sans l'assistance de la VJ, eh
9 bien, il leur fallait une approbation du président fédéral yougoslave; et
10 alternativement, le commandement conjoint pouvait recevoir des ordres
11 directement du président de la Yougoslavie fédéral, ce qu'il pouvait lui
12 passer, donc relayer. Volume I, paragraphe 1 120.
13 Pavkovic a envoyé une lettre en date du 25 mai 1999 concernant l'échec des
14 tentatives de resubordonner le MUP à la VJ. Il a déclaré que l'ordre devait
15 être soit renforcé soit annulé. Si annulé, le commandement du MUP devait
16 revenir entre les mains du ministère de l'Intérieur en passant par le
17 truchement du commandement conjoint, comme cela avait été le cas, et c'est
18 ce que nous pouvons trouver au paragraphe 1 121 du premier volume.
19 Mais enfin, en juin 201, Pavkovic a fait une déclaration sur le site web de
20 la VJ portant sur le camion frigorifique qui a été utilisé pour cacher les
21 corps trouvés dans le Danube en 1999. S'agissant de l'incident, il a
22 déclaré que la police a coopéré avec l'armée et que cela "était coordonné
23 en passant par des protagonistes politiques dans le commandement conjoint,
24 qui a été constitué à cette fin". Citation utilisée par la Chambre de
25 première instance, Volume I, paragraphe 1 117.
26 Par rapport à ces éléments de preuve qui datent à la fois de 1998 et de
27 1999, la Chambre de première instance a conclu raisonnablement que le
28 système de commandement conjoint et de coordination continuait de
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1 fonctionner en 1999 et a facilité la coopération et la coordination de la
2 VJ et du MUP. Et cette coopération, coordination, a joué un rôle crucial
3 pour la mise en œuvre réussie de l'entreprise criminelle commune et a eu un
4 impact direct sur les événements sur le terrain.
5 Et permettez-moi de conclure avant de passer la main à Mme Salgado,
6 je répondrais à la dernière question qui a été posée par la Chambre
7 d'appel, et cela à voir avec les crimes de Tusilje. Nous sommes d'accord
8 sur le fait que cela aurait dû figurer à l'acte d'accusation et que rien
9 n'a été mentionné dans notre mémoire préalable au procès ou dans nos
10 écritures en application de l'article 65 ter. Nous avons présenté des
11 éléments de preuve et les conclusions de la Chambre montrent que Tusilje a
12 constitué un point de rassemblement pour les Albanais kosovars qui
13 prenaient la fuite du village de Turcevac, et les accusés ont été condamnés
14 pour les déportations de Turcevac. Vendredi, nous allons évoquer cette
15 question, qui est de savoir si la Chambre devrait invalider les
16 déclarations de culpabilité. Les accusés ont été déclarés coupables de la
17 déportation de plus de 700 000 Albanais kosovars de 13 municipalités qui
18 ont été choisis. La gravité et l'échelle des crimes et leur impact sur les
19 victimes, comme nous allons le dire vendredi, demandent une augmentation
20 des peines.
21 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Oui. Le Juge Tuzmukhamedov souhaite
22 vous poser une question.
23 M. LE JUGE TUZMUKHAMEDOV : [interprétation] Je vous remercie,
24 Monsieur le Président.
25 Alors, Monsieur Kremer, vous avez déclaré il y a quelques instants que
26 l'entreprise criminelle commune a eu une influence importante sur les
27 événements sur le terrain. Et cette affirmation reflète la conclusion de la
28 Chambre de première instance faisant valoir que le commandement conjoint
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1 avait une influence sur le MUP et sur la VJ par rapport à la mise en œuvre
2 des différentes étapes du plan visant à combattre le terrorisme. Alors, sur
3 le plan juridique et administratif, comment qualifieriez-vous la source et
4 la portée de cette influence en pratique et, en particulier, dans quelle
5 mesure était-elle contraignante ? Quels étaient les modes de sa mise en
6 œuvre ? Quelles seraient les conséquences de la non-exécution des ordres ?
7 Est-ce qu'il y en, est-ce qu'il y a eu quelques exemples, quelques
8 instances de non-exécution. Je vous remercie.
9 M. KREMER : [interprétation] L'influence prend son origine dans l'influence
10 de Slobodan Milosevic qui était l'un des membres de l'entreprise criminelle
11 commune et qui, à ce moment-là, disposait d'un pouvoir substantiel sur
12 l'ensemble des événements qui se produisaient République fédérale de
13 Yougoslavie et en Serbie. Et comment s'est opérée cette influence, eh bien,
14 il a été la personne de contact pour Milosevic sur le terrain. Et, dans la
15 mesure où il y avait un désaccord, Milosevic remplaçait les différents
16 protagonistes. Il l'a fait avec le général Perisic qui a été remplacé par
17 Samardzic, remplacé par le général Pavkovic à la fin de l'année 1998. Et,
18 en fin de compte, nous avons des preuves de réunions qui se sont tenues à
19 Belgrade, des réunions portant sur certaines de ces questions où Pavkovic
20 et Lukic ont rendu compte à Milosevic et Sainovic était présent. Donc, pour
21 ce qui est de l'influence et de l'autorité de Sainovic, elles existent tout
22 au long, c'est un représentant et il est évident que cela est le cas tant
23 dans les réunions qui se tiennent à Belgrade que lorsqu'il est nommé au
24 poste de responsabilité à la MVK et aussi il se rend aux réunions du MUP,
25 aux réunions de la VJ, donc il exhibe son influence. Donc, les réunions en
26 tant que telles n'ont pas été utilisées pour exercer son influence.
27 L'influence était sensible, palpable par le biais de leurs capacités des
28 trois entreprises criminelles d'influencer le travail commun, de
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1 coopération. Dans la mesure où on pouvait reprogrammer le départ des
2 trains, les bus étaient mis à disposition, les autorités civiles
3 coopéraient, tout était consolidé, donc tout pouvait avoir lieu à partir du
4 moment où les bombardements de l'OTAN ont été déclenchés, donc ils ont à ce
5 moment-là libéré l'ensemble des ressources qui avaient été mises en place
6 partout au Kosovo afin de mettre en œuvre l'objectif criminel commun. Donc,
7 il y a eu du personnel militaire en plus, des effectifs de la police en
8 plus, la police et les militaires ont travaillé de concert aux mêmes
9 endroits, ils ont œuvrés pour atteindre les objectifs politiques, parce que
10 l'objectif affiché était de combattre le terrorisme, de combattre ALK.
11 Mais, en pratique, comme la Chambre a pu le constater, ce qui se passait
12 effectivement sur le terrain, de manière consolidée, coordonnée, eh bien,
13 c'était que l'on chassait la population albanaise kosovare pour modifier
14 l'équilibre démographique de la population, pour donner la majorité aux
15 Serbes et on a cherché à promouvoir cet objectif par des moyens criminels.
16 Parce que, partout sur le territoire du Kosovo et dans les 13 municipalités
17 citées, on a pu démontrer l'emploi, le recours aux moyens criminels, encore
18 et encore de manière répétée pendant les premières semaines de la campagne.
19 M. LE JUGE TUZMUKHAMEDOV : [interprétation] Je ne vous ai pas interrogé sur
20 M. Sainovic plus particulièrement, je ne voudrais pas être trop insistant,
21 mais je pense que ma question était très concrète. Donc, sur les moyens
22 juridiques et administratifs, décrire les sources, de qualifier la source
23 de l'influence de commandement conjoint sur les événements sur le terrain
24 et sur des cas spécifiques, si vous pourriez me citer des exemples précis,
25 des conséquences lorsque ces ordres n'étaient pas exécutés.
26 M. KREMER : [interprétation] Le commandement conjoint a opéré en tant
27 qu'une instance coordonnée, donc nous n'avons pas d'attributions juridiques
28 concrètes qui lui auraient été conférées. La VJ avait sa chaîne de
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1 commandement qui fonctionnait, nous avions aussi la chaîne de commandement
2 du MUP qui fonctionnait. La VJ, donc, a sa hiérarchie qui se termine au
3 niveau du commandant Suprême, Milosevic. Le MUP, le sommet de sa hiérarchie
4 est le ministre de l'Intérieur. Les deux travaillent de concert, il n'y a
5 pas d'instrument juridique. En fait, cela se passe par le truchement d'une
6 influence politique et une détermination de Slobodan Milosevic qui se sert
7 de son avant, M. Sainovic. Est-ce qu'il y aurait un exemple de quelqu'un
8 qui aurait refusé de suivre…
9 [Le conseil de l'Accusation se concerte]
10 M. KREMER : [interprétation] En fait, je vous renvoie au Volume I où il y
11 quelques exemples où Pavkovic n'est pas d'accord avec la 3e Armée lorsqu'il
12 est chef du Corps de Pristina, de son commandement, mais c'est la même
13 chaîne de commandement. Il ne refuse pas d'exécuter un ordre du
14 commandement conjoint.
15 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Monsieur Kremer, j'ai une question à vous
16 poser. Quelle est votre position concernant les relations entre l'objectif
17 criminel commun en 1998 et l'entreprise criminelle commune en 1999 ? Ce
18 matin, le conseil de la Défense a fait valoir que même s'il existe une
19 entreprise criminelle commune, la Chambre de première instance aurait dû
20 aborder les éléments de preuve portant sur 1999 au lieu de 1998. Quel est
21 votre point de vue sur cette question ?
22 M. KREMER : [interprétation] La simple réponse consiste à dire que la
23 Chambre de première instance a analysé les événements qui se sont déroulés
24 avant la commission desdits crimes qui ont débuté le 24 mars 1999 et ce
25 sont tournés vers des dates antérieures pour étayer leurs conclusions pour
26 dire qu'il existait une entreprise criminelle commune à cette date-là. Et
27 en se tournant vers les éléments antérieurs et la préparation des attaques
28 contres les Albanais du Kosovo qui ont commencé le 24 mars 1999, ils ont
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1 constaté que l'entreprise criminelle commune avait été créée bien avant
2 cette date-là. Et lorsque j'en ai parlé ce matin, j'ai parlé de la date du
3 mois d'octobre ce matin, je vous ai cité des exemples et des références
4 qu'ont utilisés les Juges de la Chambre de première instance pour établir
5 le fait que l'entreprise criminelle commune antidatait de beaucoup le début
6 de la commission des crimes.
7 Alors, pour ce qui est de l'année 1998, je crois que les termes
8 employés par les Juges de la Chambre sont clairs. Ils ne se penchent pas
9 sur l'année 1998 pour confirmer qu'une entreprise criminelle commune
10 existe, mais pour étayer leurs constatations, qui consistent à dire qu'il y
11 avait une entreprise criminelle commune manifeste à partir du moment où les
12 événements se sont déroulés sur le terrain, qu'il y avait un caractère
13 systématique des crimes qui n'aurait pu se produire qu'avec l'appui,
14 l'influence et la participation des haut gradés de l'armée, de la police et
15 des dirigeants politiques et, ensuite, ils se sont retournés vers les
16 événements antérieurs pour établir des liens factuels entre les événements
17 qui se déroulaient en 1999 et ont analysé ceci pour leur permettre
18 d'établir que les éléments qu'ils ont utilisés pour rétablir l'existence
19 d'une entreprise criminelle commune en 1999 était sûrs et raisonnables.
20 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie.
21 M. KREMER : [interprétation] Je vous remercie.
22 Mme MARTIN SALGADO : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président,
23 Madame, Messieurs les Juges. Je vais adresser la question des positions
24 juridiques pour répondre à votre dixième question à la page 3 de
25 l'ordonnance portant sur la préparation de cette audience en appel. Je vais
26 également parler de l'actus reus relatif à Sainovic. Ma collègue, Mme
27 Monchy, va ensuite aborder la question de la mens rea de cette question-là
28 et comment elle se rapporte à Sainovic et les questions restantes portant
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1 sur la mens rea.
2 La dixième question est comme suit :
3 "Nous allons aborder la question juridique ainsi que les constatations
4 particulières de la Chambre de première instance concernant chaque appelant
5 condamné pour avoir participé à l'entreprise criminelle commune, à savoir
6 si l'actus reus et la mens rea d'un membre de l'entreprise criminelle
7 commune peuvent être réalisés oui ou non avant l'existence de l'objectif
8 commun de l'entreprise criminelle commune."
9 Avant de répondre à votre question en matière de droit, je vais clarifier
10 les termes employés. Lorsque nous faisons mention du terme "actus reus",
11 "d'un membre de l'entreprise criminelle commune," nous comprenons,
12 Mesdames, Messieurs les Juges, qu'il s'agit de poser une question sur un
13 élément objectif et précis, à savoir la participation de l'accusé à
14 l'objectif commun. La participation à un objectif commun signifie un
15 comportement qui est assimilable à une contribution importante en vue de
16 concourir à la réalisation d'un objectif commun.
17 Lorsque nous parlons de la "mens rea", "d'un membre de l'entreprise
18 criminelle commune," nous pensons que vous posez une question sur deux
19 éléments subjectifs, en ce qui nous concerne la première catégorie de
20 l'entreprise criminelle commune. Il s'agit des suivants : premièrement,
21 l'accusé avait l'intention de commettre le crime; et deuxièmement, l'accusé
22 avait l'intention de participer à un objectif commun qui avait pour but la
23 commission du crime.
24 Pour répondre à votre question, en matière de droit, en règle générale,
25 l'actus reus d'un accusé - dans le sens de sa contribution importante - et
26 son mens rea ne peuvent être remplis avant l'existence de l'objectif
27 commun. Les raisons de ce point de vue sont comme suit :
28 L'objectif commun doit être commun à toutes les personnes qui agissent de
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1 concert dans le cadre d'une entreprise criminelle commune, et cela consiste
2 à dire que l'intention qu'ils ont est une intention partagée.
3 Etant donné que la contribution d'un accusé doit concourir de façon
4 importante à la réalisation de l'objectif commun dans la mesure où, d'une
5 manière ou d'une autre, ceci doit viser précisément la réalisation de
6 l'objectif commun, cela ne peut être réalisé avant que l'objectif commun
7 n'existe.
8 Et de même, le mens rea de l'accusé ne peut être réuni avant qu'il ne soit
9 partagé par l'un ou plusieurs membres de l'entreprise criminelle commune.
10 Et nous notons à cet égard que le cas échéant, un accusé peut être tenu
11 responsable pour un comportement qui a eu lieu avant l'existence d'un
12 objectif commun en vertu d'autres modes de responsabilité en vertu du
13 Statut.
14 Ce que nous venons d'expliquer ne signifie pas que le comportement d'un
15 accusé avant l'existence de l'objectif commun n'est pas pertinent eu égard
16 à sa responsabilité au terme de l'entreprise criminelle commune. Ceci peut
17 être pertinent de deux manières.
18 Premièrement, il est clair que l'état d'esprit et le comportement d'un
19 accusé avant l'existence de l'objectif commun peuvent être considérés comme
20 éléments de preuve de la mens rea de l'accusé en question, et confer
21 l'arrêt Krajisnik aux paragraphes 200 à 204 et au paragraphe 492.
22 Krajisnik, également, le jugement rendu par la Chambre de première
23 instance, paragraphes 925 à 929.
24 Deuxièmement, un accusé peut faire intervenir ou utiliser les résultats
25 d'un comportement qui antidate l'existence d'un objectif commun aux fins de
26 concourir à la réalisation dudit objectif commun. "Faire intervenir" ou
27 "utiliser" ces résultats peut dans ce cas constituer une contribution à cet
28 objectif commun dans la mesure où : le fait de "faire intervenir" ou
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1 "d'utiliser" est effectué avec l'intention requise; et deuxièmement,
2 concourt de façon importante à la réalisation de l'objectif commun. Dans un
3 tel cas, il n'est pas logique de parler de "contributions qui précèdent
4 l'entreprise criminelle commune," puisque c'est le fait "d'intervenir" ou
5 "d'utiliser" les résultats de comportements antérieurs qui sont
6 assimilables à une contribution, et ceci est réalisé à partir du moment où
7 l'objectif commun existe.
8 A titre d'exemple, d'autres affaires devant ce Tribunal ont adopté cette
9 approche. Par exemple, dans l'affaire Krajisnik, la Chambre d'appel a
10 confirmé la position de la Chambre de première instance, qui s'est reposée
11 sur les structures politiques crées par Krajisnik avant la période portant
12 sur l'existence de l'entreprise criminelle commune, qui ont été utilisées
13 pour mettre en œuvre l'objectif commun pendant la période couverte par
14 l'entreprise criminelle commune. Arrêt Krajisnik, paragraphes 162 à 218.
15 Et la participation de Martic à l'entreprise criminelle commune, de même,
16 la Chambre de première instance a constaté que les contacts de Martic avec
17 d'autres membres de l'entreprise criminelle commune avant l'existence de
18 l'objectif commun, qui se sont poursuivis et qui se sont intensifiés
19 pendant la période couverte par l'entreprise criminelle commune, ont
20 conduit à un appui militaire et logistique important qui par la suite a été
21 utilisé pour concourir à la réalisation de l'objectif commun. Arrêt Martic,
22 paragraphe 117, et jugement Martic, paragraphes 445 et 448.
23 Voilà notre position en matière de droit. Nous allons maintenant aborder
24 séparément les constatations factuelles relatives à chaque appelant
25 condamné au terme de l'entreprise criminelle commune. Mais pour chacun
26 d'entre aux, au vu des éléments de preuve en l'espèce, nous estimons que
27 cette question ne se pose pas. Les appelants ont contribué de manière
28 importante à l'objectif commun et disposaient de l'intention requise au
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1 moment où l'entreprise criminelle commune existait, bien avant que les
2 crimes n'aient été commis en 1999, et au minimum pendant la période des
3 crimes reprochés dans l'acte d'accusation. J'en ai terminé de la partie
4 juridique de ma présentation.
5 En ce qui concerne les constatations factuelles concernant Sainovic,
6 d'après votre question, nous avons estimé que la question que vous posiez
7 était de demander si Sainovic avait contribué à l'entreprise criminelle
8 commune avant que n'existe l'objectif commun. Et la réponse courte consiste
9 à dire non.
10 En tant que membre du commandement conjoint et en tant qu'homme politique
11 le plus haut gradé qui rencontrait Pavkovic et Lukic, Sainovic n'a cessé
12 d'influencer et de coordonner les actions des forces de la RFY et de Serbie
13 au Kosovo. Tandis que la contribution importante de Sainovic se fonde sur
14 un comportement qui a été le sien pendant toute la période où les crimes
15 ont été commis en 1999, son autorité et sa participation au Kosovo sont
16 restées inchangées à partir de l'été 1998. En tant que telles, son autorité
17 et sa participation se sont élargies et ont débordé sur la période où les
18 crimes ont été commis.
19 J'ai l'intention de développer cette réponse en expliquant comment Sainovic
20 a contribué à l'objectif commun et pourquoi sa contribution était
21 importante, et je vais le faire en décrivant son rôle au Kosovo en 1998 et
22 1999.
23 Je vais donc aborder la question de son rôle au Kosovo. Sainovic était le
24 coordinateur politique des actions menées par la VJ et le MUP au Kosovo à
25 partir du deuxième semestre de 1998, et ce, jusqu'au début du deuxième
26 semestre de 1998. Jugement, Volume III, paragraphes 331 à 462, et je vais
27 vous expliquer ce que l'on entend par le terme de "coordinateur politique".
28 En qualité d'homme de Milosevic au Kosovo, Sainovic avait l'autorité
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1 politique nécessaire lui permettant de faire fi de la réticence de la VJ et
2 du MUP, qui ne souhaitaient pas travailler ensemble au Kosovo. En outre,
3 Sainovic a eu l'autorisation de Milosevic pour les actions menées de la VJ
4 et du MUP et a transmis à Milosevic ses propres instructions à ses forces
5 par le truchement de Pavkovic et Lukic. De cette manière, en faisant
6 travailler ensemble Pavkovic et Lukic et en leur donnant des instructions,
7 Sainovic a coordonné et a influencé les actions de la VJ et du MUP
8 respectivement. Ces actions ont été mises en œuvre par Pavkovic et Lukic au
9 sein du MUP de la VJ et leurs chefs de commandement respectifs.
10 La Chambre a constaté de façon raisonnable que la participation de Sainovic
11 s'est poursuivie pendant la période où les crimes ont été commis en 1999 et
12 que son autorité, à l'époque, ne diminuait en rien et que les facteurs
13 suivants n'ont rien changé concernant l'autorité de Sainovic ainsi que sa
14 participation.
15 Premièrement, la manière dont il agissait avec ses interlocuteurs était la
16 même. En 1999, Sainovic a continué à coordonner les forces de la même façon
17 qu'il l'avait fait en 1998. Il a reçu l'aide des mêmes personnes - à savoir
18 Pavkovic et Lukic - avec qui il est resté en contact permanent et il
19 agissait au nom ou sur l'instigation de Milosevic. Le Volume III,
20 paragraphe 464.
21 Le deuxième facteur est une source de facto que l'autorité de Sainovic
22 restait inchangée. C'était l'un des membres les plus proches et des
23 collaborateurs auxquels Milosevic faisait le plus confiance en 1998 et en
24 1999. Grâce à sa relation, il a dirigé les réunions du commandement
25 conjoint et d'autres réunions de la VJ et du MUP auxquelles siégeaient les
26 représentants officiels. Grâce à cette relation, il est devenu président de
27 la commission chargée de la coopération au sein de la mission du Kosovo,
28 KVM. Cela se trouve au Volume III, paragraphe 427. Effectivement, entre
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1 novembre 1998 et mars 1999, Milosevic remplaçait les différents individus,
2 comme Perisic, Samardzic, Dimitrijevic. Sainovic est resté à un rôle
3 proéminent en traitant des questions du Kosovo, ce qui a permis à Sainovic
4 d'étendre son rôle en qualité de représentant politique de Milosevic dans
5 la province. Volume III, paragraphe 427.
6 Le troisième facteur, Mesdames, Messieurs les Juges, est qu'en 1999,
7 Sainovic a continué à être au courant des événements qui se sont déroulés
8 au Kosovo et il s'y rendait souvent. En réalité, l'essentiel de ses voyages
9 se sont déroulés à la fin du mois de mars et au début du mois d'avril,
10 lorsque la majorité des crimes ont été commis.
11 Je vais maintenant parler de la participation de Sainovic lorsque les
12 crimes ont été commis. Plus précisément à la période couverte par ces
13 crimes, Sainovic a coordonné et a influencé les actions de la VJ et du MUP
14 au Kosovo en qualité de membre du commandement conjoint et en tant que
15 homme politique de haut rang lors des réunions avec Pavkovic et Lukic. Des
16 crimes généralisés ont été commis par le truchement des actions que
17 coordonnait Sainovic, et en particulier les opérations conjointes de la VJ
18 et du MUP.
19 Pendant la période où les crimes ont été commis, Sainovic était membre du
20 commandement conjoint, et en tant que membre du MUP, il a resubordonné la
21 VJ malgré les ordres donnés en avril 1999, qui confirment qu'il y a eu une
22 participation politique continue et la coordination de ces forces.
23 Effectivement, s'agissant de problèmes de resubordination en mai 1999,
24 Vasiljevic a dit dans sa déposition qu' "il y avait un commandement
25 exécutif entre les mains de M. Sainovic là-bas, à cet effet, pour pouvoir
26 coordonner les actions de l'armée et du MUP." Volume III, paragraphe 339.
27 Les 16 ordres du commandement conjoint sont des éléments au dossier,
28 mentionnés par M. Kremer ce matin, sont les résultats d'une coordination
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1 politique et d'opérations conjointes de la VJ et du MUP, qui correspondent
2 à certains crimes reprochés dans l'acte d'accusation commis par les forces
3 de la VJ et du MUP. Le premier ordre émanant du commandement conjoint versé
4 au dossier date de 1999, du 19 mars et montre que le commandement conjoint
5 a participé avant même que les crimes n'aient été commis, préparant ainsi
6 le terrain en vue des expulsions massives qui ont suivi peu de temps après.
7 En outre, à ce poste de commandement conjoint en 1999, la participation de
8 Sainovic aux réunions de la VJ, du MUP et des représentants officiels qui
9 traitaient les questions du Kosovo montre en outre qu'il exerçait une
10 influence et coordonnait la VJ et le MUP pendant la période où ces crimes
11 ont été commis.
12 M. LE JUGE LIU : [aucune interprétation]
13 Mme MARTIN SALGADO : [interprétation] Lors de ces réunions, le rôle
14 de Sainovic consistait à assurer une liaison entre la VJ, le MUP et
15 Milosevic. Lors de réunions avec les dirigeants du MUP au Kosovo, Sainovic
16 assurait la coordination entre la VJ et le MUP et autorisait les actions
17 que devaient mener le MUP. Il donnait également des instructions lorsqu'il
18 relayait les ordres de Milosevic. Il faisait cela, malgré le fait que lui
19 et Milosevic étaient des hommes politiques de la Fédération et, par
20 conséquent, ne faisaient pas partie de la chaîne de commandement officiel
21 du MUP de la république.
22 Par exemple, lors de la réunion du 4 avril 1999, en présence de haut
23 représentants officiels de la police au Kosovo, qui se déroulait à
24 Pristina, Sainovic a déclaré que c'était la fin de la première étape des
25 opérations antiterroristes. Lors de cette même réunion, il a également
26 nommé ou en tout cas assigné deux tâches particulières, qui devaient être
27 planifiées et menées ensemble avec la VJ. Volume III, paragraphe 341 du
28 jugement en l'espèce.
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1 Lors de la réunion de l'état-major du MUP le 7 mai 1999, également à
2 Pristina, Sainovic a défini les principaux objectifs et tâches et a dit
3 qu'après l'opération Jezerce, pardonnez-moi ma prononciation, les forces de
4 police spéciales en coopération avec la VJ "oeuvrerait à la destruction des
5 groupes terroristes restants."
6 Lors de cette même réunion -- pardonnez-moi, cela se trouve dans le
7 Volume III, paragraphe 346. Lors de cette même réunion, il a également cité
8 un autre ordre de Milosevic qui déclarait que cela devait être communiqué à
9 tous les commandants de la police en tant que tâche assignée par le
10 commandement Suprême. Et contrairement à l'argument de la Défense ce matin,
11 ceci montre que Sainovic avait un poids politique et qu'il était derrière
12 cette transmission.
13 Ces réunions confirment la déposition de Vasiljevic, à savoir qu'en
14 1999 Sainovic "devait être informé et devait coordonner les éventuels
15 problèmes entre la VJ et le MUP et devait suivre l'ensemble de la situation
16 au Kosovo, et devait tenir Belgrade informée de ces événements." Volume
17 III, paragraphe 357. Pour renforcer le rôle d'homme de liaison de Sainovic,
18 nous avons la déposition d'Ojdanic en juin 1999; Odjanic qui s'est plaint
19 auprès de Vasiljevic en disant que Pavkovic attachait trop d'importance au
20 fait de garder Sainovic informé plutôt que d'informer Ojdanic, son
21 supérieur hiérarchique direct.
22 Le rôle crucial joué par Sainovic dans la coordination entre le MUP
23 et la VJ est resté inchangé jusqu'à la fin de la campagne de 1999, ceci est
24 démontré le 1er juin 1999 lors de la réunion du commandement conjoint à
25 Pristina auxquels ont assisté Sainovic, Lukic, Pavkovic, Lazarevic, et
26 d'autres membres de la VJ et du MUP, ainsi que des dirigeants civils. Lors
27 de la réunion du 1er juin 1999, Sainovic a fait un certain nombre de choses
28 : il a coordonné les actions de la VJ et du MUP, Sainovic a autorisé que
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1 soient menées leurs actions. Il a dit : "D'accord, faites comme vous avez
2 prévu", en faisant référence à une action à Drenica qui consistait à
3 engager 300 officiers de police; Volume III, paragraphe 356. Deuxièmement,
4 il a donné les instructions de Milosevic tout seul, et il l'a fait en
5 ordonnant que les actions des forces conjointes cessent, compte tenu de
6 l'accord entre Milosevic et Martti Ahtisaari, et lorsque les personnes
7 présentes à la réunion ont protesté, il a usé de son pouvoir
8 discrétionnaire en donnant des instructions que soient terminées ces
9 actions dans les jours suivants. Volume III, paragraphe 359. Effectivement,
10 les hostilités ont cessé à la date du 10 juin 1999. Volume III, paragraphe
11 743. Nous avons entendu ce matin l'argument qui consistait à dire que
12 Sainovic n'aurait pas pu donner cet ordre, parce que, d'après la Défense,
13 l'accord militaire technique n'avait pas été conclu. Mais il est clair ou
14 manifeste d'après la déposition de Branko Krga, qui est cité dans le Volume
15 I, note en bas de page 3322, que l'accord cité par Sainovic était un accord
16 intermédiaire. Et il est clair d'après la déposition de Stojanovic, qui se
17 trouve au paragraphe 356, Volume III, que ce que Sainovic a transmis était
18 le fait qu'un accord entre la RFY et la communauté internationale était sur
19 le point d'être signé, que celui-ci envisageait le départ de la VJ et du
20 MUP du Kosovo, et que ce retrait devait commencer bientôt.
21 Pour ce qui est de son importance, le comportement de Sainovic était
22 assimilable à une contribution importante à l'entreprise criminelle commune
23 parce que la campagne organisée de déplacement forcé mise en œuvre en 1999
24 signifiait une coordination importante et une coopération importante entre
25 le MUP et la VJ pour concourir à la réalisation de la politique menée par
26 Belgrade.
27 Je vais maintenant aborder la question de la participation de Sainovic
28 avant la période au cours de laquelle les crimes ont été commis. Outre les
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1 éléments de preuve précis de sa coordination et de son influence pendant la
2 période où les crimes ont été commis, la Chambre de première instance s'est
3 appuyée sur des éléments de preuve relatifs à l'autorité de Sainovic et sa
4 participation avant cette période. Elle a, à juste titre, constaté qu'en se
5 fondant sur ces éléments de preuve, il était le coordinateur politique de
6 la VJ et du MUP pendant toute la durée de cette période et que, par ce
7 fait, il a contribué de façon importante à l'objectif commun. Paragraphes
8 462 et 467.
9 A l'instar de ce qui c'était passé pendant la campagne de l'OTAN, Sainovic
10 a coordonné et influencé la VJ et le MUP au Kosovo en 1998 et avant le 24
11 mars 1999.
12 La Chambre a constaté qu'en 1998, c'était l'un des membres dirigeants du
13 commandement conjoint et, en tant que tel, Sainovic disposait des pouvoirs
14 de facto qu'il exerçait à la fois sur la VJ et le MUP au Kosovo et, de
15 concert avec Pavkovic et Lukic, il a coordonné les actions de la VJ et du
16 MUP lorsqu'il a mis en œuvre le plan visant à combattre le terrorisme.
17 Volume I, paragraphe 1 110, et Volume III, paragraphes 462, 468.
18 Après le parachèvement de ce plan en octobre 1998, il a coordonné les
19 forces au Kosovo tout en étant président de la commission chargée de la
20 coopération entre le MVK, et il a fait cela tout en continuant à traiter
21 avec et à avoir une influence sur Pavkovic et Lukic, et ce, sans
22 interruption, comme il l'avait fait par le passé et comme il allait
23 continuer à le faire à l'avenir.
24 Et sur ce thème, je souhaite simplement faire remarquer que les
25 réclamations d'Ojdanic que j'ai déjà évoquées, lorsqu'en 1999 il dit que
26 Pavkovic considère qu'il est plus important que Sainovic soit informé
27 plutôt que d'informer son supérieur hiérarchique direct, cette doléance est
28 l'illustration des instructions que Sainovic a donné bien avant. Il existe
Page 255
1 des éléments de preuve indiquant que le 12 novembre 1998, après avoir
2 assumé le rôle de président de la commission, Sainovic a donné des
3 instructions à Pavkovic et Lukic pour continuer à mettre en œuvre ce qui
4 avait déjà été établi et a informé Sainovic des incidents importants
5 premièrement et ensuite qu'il fallait en informer leurs supérieurs
6 hiérarchiques. Volume III, paragraphe 373.
7 A titre d'exemple, la Chambre a constaté que la manière dont Sainovic a
8 géré la période qui a suivi les incidents de Podujevo et Racak, qui se sont
9 déroulés à la fin du mois de décembre 1998 et à la mi-janvier 1999
10 respectivement, ont démontré qu'il était en contact permanent avec Pavkovic
11 et Lukic, qu'il exerçait une influence sur eux, et qu'il était au courant
12 des actions imminentes conjointes de la VJ et du MUP. Volume III,
13 paragraphes 395 et 401.
14 Pour conclure, Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges, la
15 Chambre de première instance a constaté de façon raisonnable que Sainovic
16 était un des membres essentiel de l'entreprise criminelle commune. Dans les
17 mois qui ont précédé les crimes, Sainovic a coordonné, influencé les
18 actions de la VJ et du MUP au Kosovo, et a agi en tant qu'homme de liaison
19 entre ces forces et Milosevic. Une fois que les crimes ont commencé,
20 Sainovic a continué à coordonner et à influencer l'objectif commun en
21 concourrant à la réalisation de ce dernier. Confer Volume III, paragraphes
22 462 et 467.
23 Pour répondre à votre dernière question, la contribution de Sainovic à
24 l'entreprise criminelle commune s'est déroulée au moment où existait
25 l'objectif commun. Et pour répondre à l'appel de Sainovic et ses arguments
26 présentés aujourd'hui, nous faisons valoir que ses moyens d'appels relatifs
27 à sa contribution à l'entreprise criminelle commune devraient être rejetés.
28 Et, à moins que vous n'ayez des questions, Madame, Messieurs les Juges, je
Page 256
1 vais passer la parole à mon collègue.
2 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Monsieur le Juge T.
3 M. LE JUGE TUZMUKHAMEDOV : [interprétation] Madame Martin Salgado, je
4 souhaite aborder la question de ce terme de "coordinateur politique". Il
5 s'agit là d'une déduction faite par la Chambre de première instance en se
6 fondant sur les éléments de preuve, ils en ont conclu que ceci était le
7 rôle qu'a eu ou c'est le rôle qu'ils ont attribué à Sainovic. Dans votre
8 mémoire en réplique, vous avez interprété cette conclusion de la Chambre de
9 première instance en déclarant que le terme de "coordinateur politique"
10 était descriptif par nature. J'ai l'impression que lors de votre
11 présentation maintenant vous êtes allée un petit peu au-delà de cela, et
12 vous avez déclaré qu'il s'agissait d'un terme descriptif. Cependant, la
13 question que j'ai à vous poser : à supposer qu'il existe une contestation
14 factuelle qui consiste à dire que le terme de "coordinateur politique"
15 n'était pas un simple terme descriptif, dans ce cas comment ceci pourrait-
16 il avoir une incidence sur la responsabilité pénale de M. Sainovic ?
17 Alors, j'ai une autre question aussi, mais devrions procéder pas à
18 pas, peut-être.
19 Mme MARTIN SALGADO : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Je ne
20 voulais pas m'éloigner de l'argumentation qui a été présentée dans notre
21 mémoire, s'agissant de ce terme "coordinateur politique" qui se trouve être
22 un terme descriptif. Il a été utilisé à titre descriptif pour qualifier ou
23 étiqueter d'une façon ou décrire d'une façon quelconque ce qui, de notre
24 avis, avait constitué la contribution qui était la sienne, à savoir la
25 coordination et l'influence qu'il exerçait vis-à-vis des activités de la VJ
26 et du MUP. Et, de notre avis, ce terme de "coordinateur politique" est un
27 condensé qui nous dit en substance la signification de ce qui est entendu.
28 Et pour ce qui est de la deuxième partie de votre question -- oui,
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1 excusez-moi. Je crois qu'il me faudra revenir à la toute première réponse
2 que j'ai apportée : ce qu'il importe de dire, c'est qu'il a fait une
3 contribution à la réalisation de cet objectif commun, et cette contribution
4 a été notable. Nous avons décrit cette contribution, nous avons parlé de
5 coordination et d'exercice d'influence. En résultante, je ne pense pas
6 qu'une conclusion qui serait liée à la coordination politique signifierait
7 autre chose plutôt qu'une signification descriptive. Je ne pense pas que
8 cela puisse avoir une influence quelconque sur sa responsabilité pénale.
9 J'espère que je vous ai compris.
10 M. LE JUGE TUZMUKHAMEDOV : [interprétation] Merci. Alors, en fait, vous
11 avez cité la Chambre de première instance pour déclarer que M. Sainovic
12 avait été le plus proche et le collaborateur le plus fiable de M. feu
13 Milosevic, alors je pense que vous vous êtes rapprochée d'une autre
14 description au sujet de la relation qui avait existé entre M. Sainovic et
15 M. Milosevic. Parce que la Chambre de première instance avait dit qu'il
16 s'agissait d'une relation particulière, et je pense que vos confrères d'en
17 face ont contesté ce volet. Mais les Juges de la Chambre ont déclaré que
18 cette relation particulière résultait du fait que Sainovic avait exercé un
19 rôle principal lors des réunions du commandement conjoint. Alors, est-ce
20 que vous pourriez étoffer quelque peu davantage les caractéristiques de
21 cette relation proche d'homme de confiance, c'est-à-dire relation spéciale
22 - pour utiliser la terminologie qui a été celle des Juges de la Chambre de
23 première instance ? Y a-t-il quelque chose qui sortirait de l'ordinaire au
24 niveau de ces relations, est-ce qu'on peut dire qu'il y a eu des
25 constatations pour ce qui est de l'influence que l'existence de cette
26 relation spéciale pouvait avoir sur la responsabilité pénale de M. Sainovic
27 ?
28 Mme MARTIN SALGADO : [interprétation] Merci, Monsieur le Juge. Je vais
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1 commencer par le deuxième volet de votre question. Alors, l'importance de
2 cette corrélation proche avec Slobodan Milosevic, de notre avis, revêt un
3 double sens. D'abord, il a donné une description de sa contribution à la
4 réalisation de cet objectif criminel commun, et ceci parce que, comme je
5 l'ai dit, de par sa fonction il était chargé de coordonner les activités de
6 la VJ et du MUP. Et l'une des façons de procéder à cette coordination,
7 c'était d'intervenir en tant que lien entre la VJ et le MUP, mais aussi
8 entre la VJ, le MUP et Milosevic, ce qui fait que ces objectifs criminels
9 communs pouvaient être mis en œuvre par recours aux forces qui se
10 trouvaient sur le terrain pour réaliser la politique qui était celle de
11 Belgrade. A cet effet, cette corrélation ou cette relation proche est une
12 contribution significative et qui a consisté à jouer le rôle de lien entre
13 Milosevic et les forces sur le terrain.
14 Et cette corrélation rapprochée avait montré à quel point il avait
15 bénéficié d'une autorité qui permettait d'influer sur les activités de la
16 VJ et du MUP sur le terrain. Donc, ceci explique également notre position
17 par laquelle nous affirmons qu'il a été en position de faire tout ce qu'il
18 a fait et qui a constitué une contribution à cet objectif criminel commun.
19 Je vais vérifier si j'ai bien répondu à tous les volets de votre question,
20 Monsieur le Juge.
21 Alors, si je puis à présent me référer au jugement, Volume II de cette
22 section, où il est question de la relation qu'il avait eue avec Milosevic,
23 je vous convie à vous pencher sur la description qui est fournie à cet
24 endroit. J'espère que j'ai répondu à la question posée par M. le Juge.
25 M. LE JUGE TUZMUKHAMEDOV : [interprétation] Merci.
26 Mme MARTIN SALGADO : [interprétation] C'est moi qui vous remercie.
27 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Madame, avant que vous ne commenciez, je
28 tiens à vous rappeler que vous n'avez que six minutes pour apporter votre
Page 259
1 réponse.
2 Mme MONCHY : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges. Je vais
3 essayer de répondre à ce défi et je vais me centrer strictement sur les
4 questions qui sont liées au mens rea.
5 Madame, Messieurs les Juges, pour ce qui est de la dernière partie de la
6 question qui a été évoquée par Mme Martin Salgado, et la réponse est tout à
7 fait courte et directe. Les Juges de la Chambre n'ont pas constaté que
8 Sainovic avait partagé une intention de commettre une entreprise criminelle
9 commune avant qu'il n'y ait eu un objectif commun de poursuivi et de mis en
10 place. Les Juges de la Chambre ont, à juste titre, pris en considération
11 les éléments de preuve qui datent de la période d'avant, pendant et après
12 la perpétration d'un crime pour trouver que Sainovic avait eu l'intention
13 requise à l'époque pour ce qui est de sa contribution à l'entreprise
14 criminelle commune.
15 Je me tourne maintenant vers la question numéro 11 qui se rapporte à la
16 pertinence des connaissances qui étaient celles de Sainovic au sujet des
17 crimes commis en 1998. Messieurs, Madame les Juges, les Juges de la Chambre
18 de première instance ont raisonnablement considéré que Sainovic avait des
19 connaissances pour ce qui est de l'usage excessif et disproportionné des
20 forces de la RFY et des forces serbes pour aboutir à des déplacements
21 forcés, constitue un facteur qui permet de parler du mens rea chez
22 Sainovic, et c'est la raison pour laquelle ces connaissances étaient
23 claires, on avait laissé entendre que les forces de la RFY et les forces
24 serbes allaient se comporter de façon similaire quelques mois plus tard
25 pour générer des déplacements massifs par la force. Et s'agissant des
26 crimes en 1998, il y a eu des perpétrations à moindre échelle et moins
27 systématiques que pendant la campagne de l'OTAN, mais Sainovic était mis au
28 courant de l'existence du risque de la perpétration de ce type de crimes
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1 par les forces en question. Sa connaissance était pertinente en la matière
2 parce que Sainovic pouvait être sûr que les mêmes forces seraient utilisées
3 pour réaliser une campagne de grande envergure et systématique pour ce qui
4 est de la violence et de la terreur avec destruction de biens privés,
5 intimidation, violence à l'égard des Albanais du Kosovo comme en 1998, et
6 on considérait que ces forces pourraient réaliser avec succès les
7 déplacements en masse de 1999.
8 Et pour finir, le dernier point que je voulais évoquer à ce sujet, c'était
9 que c'est pertinent pour montrer le modèle de comportement de Sainovic.
10 Sainovic savait pertinemment bien que les effectifs de la RFY et de la
11 Serbie avaient commis ces crimes en 1998, mais n'a rien fait pour y
12 remédier. Il a continué à coordonner ces effectifs et à coordonner et
13 appuyer leur approche brutale, et ceci est mentionné au Volume III,
14 paragraphe 463. Il s'agit du même type de comportement pendant la campagne
15 de l'OTAN.
16 Alors, normalement, pour ce qui est de la quatrième question posée par les
17 Juges de la Chambre au sujet de l'acte d'accusation du 27 mai 1999, les
18 Juges de la Chambre ont, de façon tout à fait raisonnable, pris en
19 considération les connaissances qui étaient celles de Sainovic pour ce qui
20 est de l'existence d'un acte d'accusation pour tirer des conclusions
21 concernant son intention d'entreprise criminelle commune, parce que ceci
22 n'a fait que confirmer à titre complémentaire qu'il en avait eu
23 l'intention. Indépendamment du fait de savoir qu'un acte d'accusation avait
24 été dressé à son encontre, Sainovic n'a rien fait pour encourager les
25 personnes qui avaient placé -- enfin, qui avaient physiquement sous leur
26 contrôle et commandement les auteurs de ces crimes qui sont mentionnés à
27 l'acte d'accusation pour entreprendre des mesures de poursuites et les
28 sanctionner. Il n'a rien fait en sa qualité de premier ministre adjoint de
Page 261
1 la République fédérale de Yougoslavie pendant plus d'un an après. Et ceci
2 ne constitue qu'une confirmation complémentaire pour indiquer que ses
3 déclarations de 1998 et 1999 concernant le sanctionnement des crimes,
4 c'était une "façon cosmétique" de faire passer sous silence ou de montrer
5 que Sainovic n'avait en fait jamais l'intention de poursuivre les crimes
6 commis par les effectifs de la RFY et de la Serbie.
7 Pour en revenir à la première question relative à l'entreprise criminelle
8 commune III. Alors pour répondre en bref, ce serait non. Si vous considérez
9 que pour ce qui est des éléments subjectifs du mens rea, pour ce qui est
10 d'établir la troisième catégorie de l'entreprise criminelle commune, cela
11 n'aura aucun impact pour ce qui est du jugement de Sainovic s'agissant de
12 meurtres et de dégâts portés aux bâtiments religieux des Albanais du
13 Kosovo. Les Juges de la Chambre ont constaté que ces crimes étaient
14 prévisibles de façon tout à fait raisonnable, et Sainovic avait plus que
15 suffisamment de connaissances pour ce qui est de savoir que ces crimes
16 allaient être prévisibles en application des normes qui sont les moins
17 élevées, c'est-à-dire les normes de probabilité. Nous nous référons
18 maintenant à notre mémoire en réponse, paragraphes 246 à 258 pour ce qui
19 est des références qui sont fournies.
20 Pour conclure, Mesdames, Messieurs les Juges, pour ce qui est des
21 fondements du mens rea, je crois que toutes les objections devraient être
22 rejetées. A moins que les Juges de la Chambre n'aient des questions à
23 poser, je crois avoir terminé pour aujourd'hui.
24 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci. Votre réponse a été véritablement
25 courte.
26 [La Chambre d'appel se concerte]
27 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Excusez-moi, le Juge Pocar a une
28 question à poser.
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1 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Excusez-moi. Je suis d'accord
2 avec le Juge qui préside aux travaux de cette Chambre pour dire que vos
3 réponses ont été fort courtes, mais je voudrais être très clair pour ce qui
4 est d'une réponse que vous nous avez fournie. Est-ce que vous considérez
5 que la connaissance relative aux crimes commis en 1998 est utilisable comme
6 circonstance pour démontrer qu'il y a eu mens rea pour ce qui est des
7 crimes commis en 1999 ? Et je crois que c'est le point que vous avez évoqué
8 de façon tout à fait claire. Est-ce que vous estimez également que la
9 connaissance qu'il aurait pu avoir au sujet du crime A commis en 1998
10 risque d'être suffisante pour déterminer la présence d'un mens rea en 1999
11 pour un crime B ? Parce que la question est celle de savoir si le mens rea
12 lié à des transferts forcés ou des expulsions commises en 1999 pourrait
13 constituer une conclusion qui serait susceptible d'être tirée de la
14 perpétration de crimes autres que celui des expulsions commises en 1998.
15 Les crimes qui ont été commis en 1998, autres que ceux d'expulsion,
16 peuvent-ils servir de base pour le mens rea s'agissant d'expulsion en 1999
17 ? S'agissant donc de connaissance au sujet d'un crime véritable commis. Et
18 je voudrais que les choses soient dites de façon tout à fait claires
19 s'agissant de la position qui est la vôtre.
20 Mme MONCHY : [interprétation] Oui, Monsieur le Juge. Je crois qu'en réponse
21 brève, le recours excessif est disproportionné à la force en 1998 de la
22 part de la République fédérale de Yougoslavie et de Serbie, chose qui a
23 englobé plusieurs crimes; mise à feu de maisons, pillage, violence à
24 l'égard de civils, y compris meurtre, ce type de crimes avait conduit à des
25 déplacements forcés de la population albanaise du Kosovo en 1998. Etant
26 donné que l'accusé avait certainement su que si ces forces commettaient le
27 même type de crime, cela ne manquerait de contribuer à de nouveaux
28 déplacements des Albanais du Kosovo en 1999. C'est la raison pour laquelle
Page 263
1 les autres crimes, exception faite de ces déplacements forcés se doivent
2 d'être pertinents pour ce qui est des connaissances qui étaient les
3 siennes.
4 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vois que vous répondez qu'"il y a
5 possibilité d'établir ce lien." Merci.
6 Mme MONCHY : [aucune interprétation]
7 M. LE JUGE POCAR : [aucune interprétation]
8 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Oui, maintenant, la réplique du
9 défendant.
10 M. PETROVIC : [interprétation] En ma qualité de co-conseil de M. Sainovic,
11 je vais apporter quelques éléments. Je ne pense pas avoir le temps
12 d'élaborer plus en long et en large.
13 Je vais d'abord apporter une réponse générale à ce que nos confrères de
14 l'Accusation ont dit; s'agissant de ce qui a été dit dans nos exposés des
15 motifs qui sont contenus dans notre mémoire en appel, la réponse, ça a été
16 de donner lecture de certaines parties du jugement en première instance. On
17 apporte des exposés de motifs pour ce qui est d'une telle approche. C'est
18 qu'il faut avoir une approche en tant qu'entité, et il ne s'agit pas de se
19 pencher sur des parties différentes et il ne fallait pas considérer que ces
20 différents segments ne devraient pas faire l'objet d'analyse complémentaire
21 et d'évaluation complémentaire. Ce que nous voulons dire, c'est que dans
22 l'ensemble, il y a un jugement, certes, mais il y a toute une série de
23 détails qui, pris ensemble, nous mènent à dire que la conclusion présentée
24 par cette Défense, c'est de dire que le jugement à l'égard de M. Sainovic
25 ne saurait être maintenu. On ne peut pas dire que c'est un tout et qu'il ne
26 convient pas d'analyser les détails du jugement. Au contraire, les détails
27 doivent être réanalysés, et il faut que ce soit fait - comme nos propos
28 laissent entendre - de façon convaincante. Cela nous amènera à des
Page 264
1 conclusions différentes de celles qui ont été adoptées par la Chambre de
2 première instance.
3 Quelques détails au sujet de ce que nos confrères et consœurs ont dit
4 aujourd'hui. Parlant des relations qui se rapportent à l'existence de cette
5 entreprise criminelle commune, il est dit qu'il existe un modèle de
6 comportement ou un système d'événements qui ont justifié ceci. On a avancé
7 plusieurs arguments. On a parlé d'armement et de désarmement de la
8 population. Je tiens à vous rappeler que dans le jugement en première
9 instance, la Chambre de première instance ne conteste pas la légalité de
10 l'armement. Ce qui a été contesté par la Chambre, ça a été l'armement
11 suivant des filières ethniques. Mais pour ce qui est de l'armement et du
12 désarmement, il convient de garder à l'esprit une situation dans laquelle
13 se produit ce dont on est en train de parler. On ne peut pas considérer
14 l'armement ou le désarmement de façon isolée par rapport aux événements. A
15 l'époque où tout ceci se produit, entre les autorités de la Serbie et la
16 République fédérale de Yougoslavie d'une part, et les Albanais du Kosovo,
17 il y a des tensions, des conflits. Ce n'est pas nouveau. C'est un conflit
18 qui a duré depuis des dizaines d'années. On ne pouvait pas s'attendre de la
19 part des autorités légales à ce que dans une situation où il y a un blocus
20 des communications, où il y a des enlèvements, des meurtres de la
21 population locale, où il y a une défiance très grande entre la population
22 serbe et albanaise, on ne peut pas s'attendre à ce que les autorités de la
23 Serbie et de la Yougoslavie aillent armer des membres du groupe ethnique
24 qui en majeure partie s'était opposé à l'Etat et s'était opposé à son armée
25 et à sa police. Dans une situation où il y a tous les éléments d'une
26 insurrection armée au Kosovo, il est déraisonnable de tirer une conclusion
27 ou de considérer que le désarmement ou l'armement peuvent permettre de
28 tirer des conclusions que cela avait été l'un des éléments incorporés à
Page 265
1 cette entreprise criminelle commune.
2 Mon éminent confrère a mentionné la promotion de Pavkovic et Ojdanic dans
3 le contexte des explications du rôle joué par M. Sainovic. Et là, je ne
4 vois vraiment pas qu'il y ait quoi que ce soit dans le dossier qui
5 permettrait d'établir un lien entre M. Sainovic et les promotions accordées
6 à Pavkovic et à Ojdanic. Dans le cadre de ce modèle de comportement, il y a
7 également citation d'acheminement des forces de la Serbie et de la
8 Yougoslavie sur le territoire du Kosovo. Et on a qualifié cela comme étant
9 l'un des éléments prouvant qu'il y a violation des accords d'octobre et
10 démontrant que la Serbie et la Yougoslavie s'étaient préparées pour la
11 guerre. Mais qu'est-ce qu'on a dit dans le dossier ? On montre qu'il y a
12 des éléments de preuve montrant qu'une certaine augmentation des effectifs
13 de l'armée de Yougoslavie survient en mars 1999; donc, ça se produit
14 lorsqu'on est déjà certain qu'il y aura un bombardement de l'OTAN, quand il
15 est certain qu'il y aura un conflit très grave, et d'après ce qui a été
16 confirmé dans le jugement, les autorités ni de la Serbie, ni de la
17 Yougoslavie ne le souhaitaient.
18 Et on a constaté que l'OTAN avait une présence de 2 000 hommes en Macédoine
19 au moment où il y a des renforts de l'armée de la Yougoslavie, et ces
20 effectifs sont majorés à 12 000 en avril. Les activités de l'UCK ne font
21 qu'augmenter pendant cette période, en même temps. La seule réponse
22 rationnelle de l'Etat, c'était de renforcer sa présence militaire sur une
23 partie du territoire où il est certain qu'il va y avoir un conflit sérieux.
24 Et ça a été fait par l'armée de Yougoslavie et par le MUP de la Serbie,
25 mais ça aurait été l'œuvre de tout autre Etat confronté à ce type de
26 situation.
27 Je dirai brièvement quelque chose au sujet des départs de la population
28 pour ce qui est d'un modèle de comportement uniforme à cet effet. Les Juges
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1 de la Chambre de première instance ont constaté qu'il y avait
2 responsabilité pour ce qui est des déplacements de la population et elle
3 n'est imputée qu'à la partie serbe. Or, la Chambre de première instance
4 constate qu'il y a également des frappes de l'OTAN, constate qu'on a
5 bombardé des cibles à côté des endroits habités par une population, et on
6 constate qu'il y a des raisons qui, pour tout Juge raisonnable de faits,
7 peuvent permettre de tirer des conclusions autres que celles qui ont été
8 tirées. Néanmoins, les Juges de la Chambre considèrent responsable
9 uniquement - pour tous ces déplacements de ces 700 000 personnes - les
10 effectifs de la Serbie et de la Yougoslavie. S'il y a eu des bombardements
11 à côté des maisons, des conflits dans les villes, dans les villages, avec
12 l'Armée de libération du Kosovo, est-ce que ce fait-là ne devait pas aussi
13 être considéré comme important et jaugé lors de l'évaluation des
14 circonstances dans lesquelles il y a eu - s'il y a eu - autant de
15 déplacements de population, comme on le dit, 700 000 personnes ? S'il y a
16 d'autres raisons - et on peut le voir à partir du jugement en tant que tel
17 - ces autres raisons devaient forcément être prises en considération et on
18 devait prendre en considération la mesure ou la participation de ces
19 éléments à ce qui s'est produit. Et je crois que ce à quoi mes collègues et
20 mes confrères ont fait référence aujourd'hui, ceci n'a pas été jaugé de
21 façon adéquate.
22 Les déclarations de témoins concernant la façon dont il y a eu des
23 déplacements d'opérés, c'est presque uniquement - que les Juges de la
24 Chambre se réfèrent - à des témoignages de témoins du groupe ethnique
25 albanais. Il en va de même -- ce sont des déclarations uniformes. Ce sont
26 des déclarations identiques. Notre éminent confrère nous dit aujourd'hui
27 que c'était parce que la pratique était identique, mais il y a tant de
28 similitudes qu'en termes simples, cela n'est guère possible dans le cas où
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1 il s'agirait de témoignages crédibles et conformes à la vérité. La plupart
2 de ces témoins étaient venus de régions où l'Armée de libération du Kosovo
3 s'est trouvée être très active, et tous ces témoins ont témoigné devant les
4 Juges de la Chambre de première instance. Et ils ont nié que dans le coin
5 d'où ils venaient, où ils ont dû quitter leurs maisons, il y avait eu une
6 présence notable de l'UCK. Jusqu'au dernier, ils ont nié la présence de
7 l'UCK et la présence de conflit. Et les Juges de la Chambre de première
8 instance estiment que c'est irrationnel comme incohérence, mais cette
9 incohérence devrait mettre en garde de façon très sérieuse pour indiquer
10 que ces témoignages, il y a quelque chose qui cloche avec, et que pour le
11 moins qu'on puisse dire, cela devait éveiller des suspicions et des doutes,
12 et ces suspicions et doutes auraient dû se solder par une décision ou un
13 jugement autre des Juges de la Chambre de première instance.
14 Pour ce qui est des pièces d'identité, la confiscation de ces pièces
15 d'identité a été citée pour illustrer le modèle de comportement qui a été
16 présent dans ce cas de figure. Il convient de mentionner que la
17 confiscation des pièces d'identité n'a aucune espèce de conséquence en soi
18 parce qu'il y a, au niveau de chaque secrétariat de l'Intérieur, des
19 registres qui existent, tout comme en Serbie et ailleurs et dans d'autres
20 parties du pays. En termes simples, le fait qu'on ait perdu des papiers ou
21 qu'on soit resté sans ces papiers, cela n'influe en rien sur son statut de
22 citoyen. On ne perd pas sa citoyenneté parce qu'on a perdu ses papiers
23 d'identité, donc cela n'a pas été fait en fonction de l'appartenance
24 ethnique. S'il existe un registre, il y est consigné autant les noms des
25 Albanais que des Serbes, parce que la perte d'une pièce d'identité, ça ne
26 change en rien le statut de la personne qui a perdu ses papiers d'identité
27 ou la personne à qui ces papiers d'identité ont été confisqués.
28 Le commandement conjoint, c'est un sujet qui a dominé aujourd'hui. Le
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1 Procureur, lorsqu'il parle du commandement conjoint, cite certains
2 paragraphes du jugement, et nous avons l'impression qu'il ne tient pas
3 compte d'arguments qu'il faudrait. La situation est très différente entre
4 1998 et 1999. Même la Chambre de première instance fait cette différence,
5 sauf que la Chambre de première instance décide de ne pas en tenir compte,
6 et c'est la substance de notre moyen d'appel. Que fait la Chambre de
7 première instance et qu'est-ce qui est étayé par le Procureur aujourd'hui ?
8 Si les preuves ne sont pas claires - et c'est ce que la Chambre dit pour le
9 commandement conjoint en 1999 - si elles sont différentes, si elles
10 divergent, s'il ne s'agit que d'une évocation d'autorité, d'une description
11 d'instance pour laquelle on ne sait pas si elle existe, il ne s'agit pas là
12 de faits sur la base desquels on peut fonder une décision consistant à dire
13 que le commandement conjoint, s'il a existé en 1998, existe de la même
14 façon en 1999. Et la Chambre de première instance, comme nous l'avons
15 entendu aujourd'hui, a fait référence aux évocations, aux mentions, aux
16 souvenirs. Quelque chose d'aussi important, comme l'existence ou la non-
17 existence d'une instance aussi importante, ne peut pas se fonder sur
18 certaines mentions ou évocations vagues, et nous affirmons que les preuves
19 à l'appui n'existent pas. Prenons l'année 1999 et les ordres de cette
20 année-là. Si nous nous penchons sur le jugement de première instance, ces
21 ordres de 1999 sont attribués par la Chambre de première instance au Corps
22 de Pristina. Il est dit explicitement que c'est le Corps de Pristina qui
23 est la source de ces ordres. Egalement, il est constaté que dans le
24 contexte de ces ordres-là, la chaîne de commandement, d'une part de la VJ
25 et d'autre part du MUP, sont sans entrave, sans interruption, les deux.
26 Donc, c'est le point de départ qui amène à des conclusions portant sur la
27 présence ou l'absence des différentes instances en 1999. Seize ordres ne
28 peuvent pas suffire en tant que preuve de l'existence du commandement
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1 conjoint. Il s'agit d'ordres du Corps de Pristina qui concernent des unités
2 subordonnées au Corps de Pristina et, tout simplement, grâce à la teneur de
3 ces ordres, il n'est pas possible de voir qu'il y ait eu une instance, un
4 organe, un individu qui, de quelque sorte que ce soit, aurait constitué le
5 point convergent ou un point de coordination des fonctions du commandement.
6 Le commandement et le mode de coordination en 1999. Même dans le jugement
7 de première instance, c'est quelque chose qui se trouve explicité. Et la
8 Chambre de première instance constate une pratique régulière du MUP et de
9 la VJ avant la mise en œuvre d'un plan, d'une activité qui est menée de
10 concert, de tenir une réunion de coordination entre la VJ et le MUP, et que
11 la coordination se produit lors de cette réunion, ce qui est tout à fait
12 normal, tout à fait naturel, lorsque deux structures différentes coopèrent.
13 Dans cette pratique régulière, nulle part il n'y a lieu, il n'y a besoin -
14 et d'ailleurs, il n'y a aucune preuve, je le souligne - qu'un organe
15 supplémentaire existe, que qui que ce soit qui n'aurait pas la connaissance
16 et qui n'aurait pas une fonction politique pour participer à cette
17 coordination.
18 Le dossier de l'affaire nous explique pourquoi ces ordres de 1999
19 portent cet en-tête, l'en-tête du commandement conjoint. Nous avons eu les
20 dépositions ici de témoins affirmant que cela désigne les activités menées
21 de concert entre la VJ et le MUP. Donc, il n'y a pas de mystère ici. Cette
22 mention sert à montrer qu'il s'agit d'une action conjointe. C'est la seule
23 explication. Logiquement, ni d'un point de vue fonctionnel, il n'y a pas
24 lieu d'ajouter qui que ce soit d'autre, surtout pas quelqu'un qui n'a rien
25 à voir avec le commandement ni avec la coordination de la police et de
26 l'armée, qui n'a pas de connaissances requises, comme c'est le cas de M.
27 Nikola Sainovic.
28 A plusieurs reprises aujourd'hui, nous avons entendu l'Accusation affirmer
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1 que Sainovic joue un rôle central, qu'il occupe une position centrale. Mais
2 même aujourd'hui, on ne nous a pas décrit la substance de cette position
3 centrale. Il ne suffit pas d'affirmer qu'il existe cette position centrale
4 puis d'étayer cela par des impressions de quelqu'un quant à l'importance ou
5 la signification de ce poste central. Qu'a-t-il fait Sainovic ? Qu'a-t-il
6 ordonné ? Qu'a-t-il fait ? Qu'a-t-il omis de faire ? Et ce qui est encore
7 le plus important, parmi tout cela, qu'est-ce qui a eu une influence
8 substantielle sur le déroulement des événements sur le terrain, car d'une
9 part, affirmer que quelqu'un joue un rôle-clé ne suffit pas en tant que
10 tel. Cela n'a aucune importance, aucune signification. On ne peut pas se
11 servir de fondement pour en arriver à la conclusion des fonctions et du
12 poste occupé par Sainovic.
13 A l'appui, un exemple qui a été cité aujourd'hui par mes collègues, la
14 réunion du 1er juin. Vasiljevic affirme que Sainovic avait une bonne
15 réputation et il a eu la sensation que c'étaient des réunions qui se
16 répétaient. Donc, c'est le respect du vice-président du gouvernement
17 fédéral. Où que ce soit dans le monde, il aurait bénéficié d'une certaine
18 autorité, d'un respect. Mais quid si cette impression est fausse sur le
19 plan pénal, sur le plan juridique, mais qu'est-ce que cela signifie, cette
20 impression ? Est-ce que nous avons une preuve à l'appui ou pas ?
21 Nous avons également entendu nos confrères dire qu'il se mêlait de tout, la
22 MVK, la VJ, donc toute une série d'activités qui ne sont même pas reconnues
23 au niveau du jugement de première instance. On a même entendu des mentions
24 de trains, d'autocars. Nulle part ne trouve-t-on cela dans le jugement,
25 rien qui aurait un lien avec ce que nous avons entendu dire aujourd'hui. La
26 détermination de Milosevic, le fait que Sainovic ait été un agent, tout
27 cela nous l'avons entendu aujourd'hui. Cette volonté très puissante, cette
28 détermination de Milosevic, mais qu'est-ce que cela devrait signifier ?
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1 Alors que nous avons des indices très clairs que les chaînes de
2 commandement fonctionnent, que Milosevic -- si cela est exact, d'ailleurs
3 il y a de nombreuses preuves à l'appui du contraire, donc Milosevic peut
4 nommer, peut démettre qui il veut, alors qu'est-ce que cela veut dire,
5 volonté très puissante, détermination ? A quoi est-ce que cela sert ? Et
6 l'agent Sainovic sur le terrain ? Quelle est sa fonctionnalité, sa finalité
7 ? Si Milosevic, à l'époque, donc c'est la période qui suit le 24 mars,
8 c'est la seule période pertinente pour nous, si c'est lui le commandant
9 Suprême, si c'est lui, celui qui a le droit constitutionnel de commander.
10 Il n'a pas besoin d'intermédiaire. Il n'y a pas besoin de relais, parce
11 qu'il a ses filières militaires, de la police, bien entendu, dans ce
12 contexte spécifique où la police est intégrée à l'une des unités fédérales.
13 Donc, ce qui est nécessaire sur le plan de la défense de l'Etat, eh bien,
14 qu'il le prenne en charge de manière tout à fait prévue par la
15 constitution.
16 Ensuite, nous avons la question de coordination. Cette coordination, on
17 cherche à nous présenter cela comme la conspiration, comme si c'est quelque
18 chose qui borde le complot. Mais mes éminents confrères ne tiennent pas
19 compte du fait que la coordination entre les différentes instances
20 constitue une obligation constitutionnelle des parties prenantes à la
21 défense d'un Etat, et que cela, d'ailleurs, fait partie de la pratique
22 régulière. Un policier n'a pas besoin d'une personne tierce pour que la
23 coordination lui soit claire. Il sait parfaitement ce que cela signifie.
24 Les activités conjointes ne peuvent être menées à leur terme que par le
25 biais d'une coordination. Il n'y a rien de mystérieux, rien d'illégal.
26 C'est tout à fait naturel et normal. C'est quelque chose que tout un chacun
27 qui travaille soit pour l'armée soit pour la police connaît très bien.
28 On parle aussi de Milosevic aujourd'hui, alors la Défense affirme qu'il n'y
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1 a pas de preuve à l'appui de l'affirmation que ce qui a existé en 1998 sur
2 le terrain au niveau de la communication entre le Kosovo et Belgrade, rien
3 qui aurait pu empêcher Milosevic en 1999 en tant que commandant Suprême de
4 jouer son rôle de commandant Suprême. Il n'y a pas de bruit au niveau du
5 canal, au niveau de la communication. Tout simplement, cela n'existe pas.
6 Donc, Sainovic, en tant qu'intermédiaire, il n'en a tout simplement pas
7 besoin. Puisque au niveau des transmissions, au niveau de la communication,
8 des chaînes de communication - même la Chambre de première instance l'a
9 reconnu, d'ailleurs - sont intactes.
10 Et en particulier, je tiens à aborder la question de la proximité entre
11 Sainovic et Milosevic. C'est une des circonstances qui n'a pas été
12 élucidée. Les relations entre Sainovic et Milosevic en 1999, quelle est la
13 nature de ces relations ? On n'a aucune preuve à l'appui. On ne sait pas de
14 quelle nature de relation il s'agit. Nous avons un ou deux protocoles de
15 réunion, rien d'autre sur aucune autre forme de communication. On ne peut
16 que supposer, se lancer dans des conjectures, et les conjectures ne peuvent
17 pas constituer le fondement d'une décision quelle qu'elle soit.
18 Donc, une ou deux réunions qui ont peut-être eu lieu ne constituent pas des
19 preuves. Encore une fois, les conjectures ne peuvent pas nous permettre de
20 dire quoi que ce soit à ce sujet. La nature du lien entre Sainovic et
21 Milosevic, de la manière dont on le représente, sous-entendrait une
22 communication quotidienne, mais tout cela n'a pas été démontré. Aucune
23 preuve à l'appui. Sainovic, vice-président du gouvernement fédéral à ce
24 moment-là, démis de ses fonctions de vice-président du SPS, Sainovic
25 marginalisé dans de nombreuses situations qui auraient pu être
26 intéressantes pour les appréciations de cette Chambre, à la différence et à
27 l'opposé de Milutinovic, ce qui a déjà été suffisamment abordé aujourd'hui.
28 La réunion du 1er juin 1999, encore une fois, si je puis. Encore une fois,
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1 aujourd'hui, on nous a dit que Sainovic fait quelque chose de complètement
2 invraisemblable. L'accord Ahtisaari-Cernomirdin-Milosevic, c'est un accord
3 qui a été conclu quatre jours plus tard. Les négociations sont encore en
4 cours à ce moment-là, donc comment aurait-il pu faire l'impossible ? Et une
5 autre question très importante, question de ces filières de communication.
6 De la manière dont le Procureur et, hélas, la Chambre de première instance
7 comprennent le dossier de l'affaire, il semblerait que Milosevic est
8 dépourvu d'autres filières de communication. Il n'a que Sainovic. C'est son
9 seul moyen d'atteindre qui que ce soit au Kosovo. C'est son seul moyen
10 d'influer sur les événements du Kosovo. Alors là, véritablement, on est au
11 bord de l'invraisemblable.
12 Et enfin, ma consœur à l'instant vient de poser une question, en fait, elle
13 a tenté de répondre à une question qui porte sur l'importance de la
14 publication de l'acte d'accusation après les événements qui sont cités, et
15 il est dit que c'était pourtant pour Sainovic, parce qu'il aurait pu faire
16 jouer son influence pour sanctionner les auteurs des crimes, mais aucun
17 élément de preuve dans le dossier de la peine ne nous permet de voir que
18 Sainovic a eu des attributions à quelque moment que ce soit, des
19 attributions lui permettant de sanctionner les auteurs de crimes. Les
20 organes ayant des compétences permettant de sanctionner sont très bien
21 définies. Sainovic ne figure nulle part dans cette structure.
22 Je vous remercie, Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges,
23 j'en ai terminé nos réponses suite aux arguments présentés par
24 l'Accusation.
25 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie. Nous voici arrivés à la
26 fin de l'audience d'aujourd'hui. Nous allons interrompre notre audience
27 jusqu'à demain matin à 9 heures 30.
28 --- L'audience est levée à 16 heures et reprendra le mardi, 12 mars 2013, à
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1 9 heures 30.
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